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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 18 - Témoignages du 26 mai 2003


OTTAWA, le lundi 26 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 18 h 07 pour examiner, et ensuite en faire rapport, la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité pour le Canada.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Ce soir, nous entendrons des témoignages sur la défense et la sécurité des côtes canadiennes.

Je m'appelle Colin Kenny. Je suis un sénateur de l'Ontario et je préside le comité.

Le sénateur Jack Wiebe se trouve à ma droite. Avant d'être nommé au Sénat en 2000, le sénateur Wiebe, qui est originaire de la Saskatchewan, a occupé le poste de lieutenant-gouverneur de cette province et a été élu député de l'Assemblée législative. Le sénateur Wiebe est vice-président du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, et il siège également au Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement ainsi qu'à notre sous- comité des anciens combattants.

Le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta, est assis à côté du sénateur Wiebe. Il est reconnu au Canada comme étant l'un de nos artistes les plus accomplis et les plus polyvalents. Son talent et son dévouement lui ont valu un prix Juno, le Grand Prix du Disque-Canada et beaucoup d'autres honneurs. Il a été nommé au Sénat en 2000. Le sénateur Banks préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Ce comité étudie actuellement la Loi sur la protection de l'environnement.

Le sénateur Norm Atkins, de l'Ontario, est assis à côté de moi à ma droite. Il a été nommé au Sénat en 1986, fort d'une solide connaissance du domaine des communications et de son expérience à titre de conseiller de l'ancien premier ministre Davis de l'Ontario. Le sénateur Atkins siège également à notre sous-comité des anciens combattants ainsi qu'au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration. Il est également président du caucus sénatorial du Parti conservateur.

Le sénateur David Smith de l'Ontario est assis à mon extrême gauche. Il a été nommé au Sénat en 2002. Il a été conseiller municipal et adjoint au maire de Toronto, député fédéral et ministre d'État dans le gouvernement Trudeau. Le sénateur Smith siège également au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de même qu'au Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.

C'est la première fois qu'un comité sénatorial permanent reçoit le mandat d'examiner les questions de sécurité et de défense. Au cours des 18 derniers mois, nous avons préparé plusieurs rapports, dont le premier s'intitulait «L'état de préparation du Canada sur les plans de la sécurité et de la défense». Présentée en février 2002, cette étude portait sur les grands dossiers relatifs à la défense et à la sécurité au Canada.

Le Sénat a ensuite chargé notre comité d'examiner la nécessité d'une politique nationale sur la sécurité. Jusqu'à maintenant, nous avons présenté trois rapports sur différents aspects de la sécurité nationale: le premier, «La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne» est paru en septembre 2002; le deuxième, «Pour 130 dollars de plus... Mise à jour sur la crise financière des Forces canadiennes, une vue de bas en haut», a été publié en novembre 2002; le troisième, et le plus récent, «Le mythe de la sécurité dans les aéroports canadiens» est paru en janvier 2003.

Le comité poursuit son examen approfondi de la capacité du Canada de contribuer à la sécurité et à la défense de l'Amérique du Nord. Pour mener à bien cette tâche, il a tenu des audiences portant sur le soutien que le gouvernement fédéral offre aux hommes et aux femmes du Canada qui sont les premiers à intervenir en cas d'urgence ou de catastrophe. Le comité a cependant décidé d'évaluer en priorité la capacité du Canada de défendre ses eaux territoriales et d'aider à surveiller les côtes du continent. Les audiences en cours permettront d'actualiser un rapport publié par le comité en septembre 2002 et intitulé «La défense de l'Amérique du Nord: une responsabilité canadienne», qui faisait état du caractère fragmentaire et peu systématique de la défense des côtes canadiennes.

Nous recevons ce soir M. James C. Kelly, qui est chercheur au Centre d'étude sur la politique étrangère de l'Université Dalhousie. M. Kelly est un ancien directeur des Relations internationales à la Garde côtière canadienne. Il a étudié le rôle de la Garde côtière dans beaucoup de pays et a été expert-conseil international. Ce soir, il nous communiquera une partie de ses connaissances fondées sur ses recherches et sur ses 30 ans d'expérience au service de la Garde côtière.

Monsieur Kelly, vous avez la parole.

M. James Kelly, à titre personnel: Je m'excuse tout d'abord de n'avoir pas de document officiel à vous remettre, mais c'est parce qu'on ne m'a invité à comparaître que jeudi dernier, en fin d'après-midi. J'ai accepté sachant cependant que j'aurais beaucoup de mal à rédiger un document intelligible dans un délai aussi court. Cela dit, je vais souligner cinq aspects essentiels dans mon exposé.

Dans un premier temps, pour situer mes propos, je vais décrire la Garde côtière canadienne pour laquelle j'ai travaillé pendant 30 ans sur la côte et également à l'administration centrale à Ottawa. La Garde côtière canadienne étant l'une des plus importantes au monde, j'aimerais décrire ses rôles et ses responsabilités à l'intérieur du Canada ainsi que certaines de ses activités internationales.

Vous savez sans doute que la Garde côtière est le volet opérationnel du ministère des Pêches et des Océans. Elle est chargée d'offrir des plates-formes et services opérationnels pour assurer la sécurité en route, de même que les aides à la navigation, la navigation de précision, les services de protection de l'environnement marin, le développement et la protection des voies de navigation, l'application des lois relatives à la gestion des pêches, la planification d'urgence, le soutien aux recherches en sciences océaniques et des services au secteur privé ainsi qu'à d'autres ministères.

Étant chargée d'appliquer et d'administrer des normes canadiennes relatives à la navigation en mer et d'offrir les services connexes, la Garde côtière a accumulé au fil des ans beaucoup de connaissances sur toutes les questions qui touchent la navigation au Canada. Elle a acquis la capacité et la crédibilité nécessaires pour transiger avec les nombreux intervenants qui composent la communauté maritime de notre pays. C'est ainsi qu'elle a été appelée à représenter le Canada à des tribunes internationales comme l'Organisation maritime internationale, à négocier des questions stratégiques avec divers intervenants du transport maritime au Canada et à collaborer avec les autorités provinciales, avec des groupes d'intérêt et avec les utilisateurs de petites embarcations au sujet de questions ayant trait à la législation et aux services maritimes.

Peu de gens le savent, mais la Garde côtière canadienne est l'une des principales du monde. Elle évolue dans l'un des climats les plus rigoureux de la planète. Elle est dotée d'un effectif de 5 000 hommes et femmes qualifiés et disciplinés, qui sont secondés par la Garde côtière auxiliaire canadienne, qui compte un nombre équivalent de bénévoles, recrutés parmi les pêcheurs et les plaisanciers.

La flotte de la Garde côtière canadienne est la plus importante flotte fédérale. Elle compte plus de 100 navires, qui vont des brise-glace polaires et fluviaux aux baliseurs, en passant par des navires de recherche scientifique, des garde- côte ou des embarcations de sauvetage SAR.

La Garde côtière affecte actuellement 38 navires de cette flotte assez importante au maintien de services de recherche et de sauvetage prêts à intervenir jour et nuit. Elle gère également une flotte d'hélicoptères, d'aéroglisseurs et d'aéronefs à voilure fixe. Elle compte 13 services de communications et trafic maritimes qui sont disséminés sur nos côtes, pour faciliter la navigation commerciale et autre.

La Garde côtière est dirigée par un commissaire. Je crois que John Adams a comparu devant votre comité à quelques reprises. Le commissaire est secondé par cinq bureaux régionaux situés le long des côtes. Il y a aussi des bases et des bases auxiliaires de la Garde côtière dans toutes les régions du pays.

La formation du personnel est assurée par le Collège de la Garde côtière canadienne, situé à Sydney, en Nouvelle- Écosse. Le Collège, qui jouit d'une solide réputation, s'apparente par sa vocation à un établissement national de formation maritime. En plus d'assurer la formation des officiers de la Garde côtière, des officiers de navigation, des ingénieurs navals et d'autres spécialistes de la Garde côtière, il fournit des services à certains secteurs du ministère de la Défense nationale et de la Gendarmerie royale du Canada.

Parce qu'elle exerce certaines fonctions traditionnelles et qu'elle a mené des opérations parfois inusitées pour répondre aux besoins qui se sont présentés au fil des ans, la Garde côtière a mérité une réputation internationale enviable, car elle est perçue comme capable de réagir à différentes situations et d'entreprendre un vaste éventail d'activités maritimes aussi bien au Canada qu'ailleurs dans le monde. Voici quelques exemples de ses réalisations et exploits: gérer des navires météorologiques — il fut un temps où nous en avions — pour faciliter des recherches atmosphériques sur le climat tropical le long des côtes africaines; escorter le MV Manhattan dans le passage du Nord- Ouest; expédier des approvisionnements de secours aux victimes d'un ouragan en Jamaïque; récupérer le mini-sous- marin Pisces et les débris du vol 172 d'Air India dans les eaux profondes au large de la République d'Irlande; et enfin, fournir aux scientifiques canadiens qui ont fait des expéditions polaires au fil des ans des navires de recherche.

La Garde côtière est considérée comme un chef de file de l'intégration des services opérationnels de la société civile et de la marine. Le Canada est perçu dans le monde comme un intermédiaire impartial, un «courtier honnête» selon l'expression souvent utilisée. Il est perçu comme un pays non menaçant n'ayant aucun antécédent d'agression militaire ou de colonialisme.

L'acceptation par les acteurs régionaux du rôle du Canada dans le processus visant la paix au Moyen-Orient témoigne de cette perception du Canada. Je fais allusion à une série de colloques sur la sécurité maritime connue sous l'acronyme MARSAF, dont l'organisme directeur est la Garde côtière canadienne; ces colloques se déroulent dans une région très explosive et très instable du monde, c'est-à-dire le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, avec la collaboration du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Faute de temps, je ne donnerai pas plus de précisions à ce sujet dans mon exposé, mais je serai heureux de répondre à vos questions par la suite, car je crois que ce sujet pourrait intéresser votre comité.

Le Canada est un État portuaire, parce que nous faisons appel dans une mesure considérable à des navires étrangers pour transporter nos marchandises vers les marchés internationaux. Nous avons joué un rôle très important dans l'élaboration du règlement qui porte sur le contrôle des navires par l'État du port. Nous avons la distinction, par exemple, d'être signataires à la fois du Protocole de Paris sur le contrôle par l'État du port et de l'Accord de Tokyo sur le contrôle par l'État du port dans la région Asie-Pacifique. La question du contrôle par l'État du port revêt une importance capitale pour le Canada. Comme nous sommes l'un des principaux pays commerçants du monde, nous exportons, principalement par bateau, des marchandises dont la valeur s'élève à des milliards de dollars chaque année. C'est donc un domaine d'importance particulière pour le Canada.

La Garde côtière a joué un rôle important dans l'élaboration et la mise en place de services de communications et de trafic maritimes. Après avoir établi l'infrastructure dans ce domaine au Canada, elle a conçu le Système des services au trafic maritime de Hong Kong et a aidé d'autres villes côtières à le faire.

La Garde côtière participe activement à une organisation appelée Asia-Pacific Heads of Maritime Safety Agencies. À l'invitation de l'Organisation maritime internationale, elle a conseillé les autorités du détroit de Malaka, qui souhaitent mettre en place une autoroute de l'information faisant appel à la technologie de pointe dans le domaine des communications maritimes.

Dans le domaine de la recherche et du sauvetage, le Canada est un des pays fondateurs du Système international de satellite pour les recherches et le sauvetage, le COSPAS-SARSAT. La Garde côtière fait partie de la délégation du Canada représentée au conseil de l'organisation et à ses divers groupes de travail qui participent à l'élaboration, à la recommandation et à l'approbation des changements à apporter au système.

Le Canada a été l'un des premiers pays à adhérer à l'Organisation maritime internationale (OMI). Soit dit en passant, M. William O'Neil, un ancien commissaire de la Garde côtière canadienne, est actuellement le secrétaire général de l'OMI.

La Garde côtière participe également à d'autres regroupements internationaux, dont l'Association internationale de signalisation maritime et l'Organisation hydrographique internationale.

Au fil des ans, la Garde côtière a conseillé des États maritimes désireux d'instaurer leur propre garde côtière. C'est le cas d'Israël, de la Malaisie, de Taiwan et d'Haïti, entre autres. Elle a également exercé une influence dans les Antilles, en assurant la formation du personnel de leurs gardes côtières au Collège de la Garde côtière canadienne, dans le cadre d'un programme financé par l'ACDI qui a débuté au cours des années 80 et duré près de 10 ans.

J'aimerais évoquer brièvement le rôle des gardes côtières dans le contexte mondial. Je dis brièvement, parce que c'est un sujet très vaste. Je vais décrire certains courants qui se dessinent dans le monde ainsi que le rôle traditionnel de la Garde côtière, comparativement à divers modèles qui existent à l'heure actuelle.

Si l'on admet que le rôle primordial de l'armée ou des forces de la défense est d'exercer de façon ordonnée des activités militaires au nom de l'État, au nom de notre pays, le rôle de la Garde côtière est indiscutablement de contenir la violence dans le domaine naval. Personne ne songerait à le contester. Cependant, le rôle de la Garde côtière n'est pas toujours aussi clair, comme je vais l'expliquer.

Cela dépend de l'histoire de chaque pays. Historiquement, les gardes côtières ont émané des forces navales ou des administrations douanières et des divisions des finances ou du transport. Normalement, les gardes côtières sont civiles ou paramilitaires; ce sont des forces disciplinées, en uniforme et fréquemment, mais pas toujours, armées. Elles rendent des comptes à des autorités qui diffèrent d'un pays à l'autre. Chez nous, la Garde côtière rend des comptes au ministère des Pêches et des Océans; en Inde, la garde côtière rend des comptes à la marine; et aux États-Unis, la garde côtière rend des comptes au ministère des Transports. Et là-bas, on la considère dans tous les milieux comme étant la cinquième branche des forces de défense nationale américaines.

Les gardes côtières portent différentes appellations. Dans certains pays, elle prend le nom de police maritime, alors que dans d'autres, on l'appelle garde frontalière ou encore agence de la sécurité maritime. Elles ont pour mandat d'entreprendre diverses missions, dont la recherche et le sauvetage, la sécurité des côtes, la protection de l'environnement marin et les mesures correctives connexes, l'entretien des aides à la navigation maritime, l'application de la loi, l'immigration illégale, la lutte contre la contrebande, le piratage et la pêche illégale, les communications maritimes, les services de trafic maritime, les opérations de déglaçage, et cetera. Évidemment, on ne peut demander à une garde côtière donnée de remplir toutes ces fonctions. Mais elle remplit généralement une combinaison de fonctions. Tout dépend des circonstances.

Certains États maritimes n'ont pas de garde côtière. J'effectue actuellement au nom du Centre d'étude sur la politique étrangère de l'Université Dalhousie une recherche sur la sécurité maritime en Afrique sub-saharienne. J'ai appris avec surprise pendant ma recherche que le long de la côte africaine, c'est-à-dire du Sénégal jusqu'à l'Érythrée en passant par le cap, on compte de 25 à 26 États côtiers dont deux seulement ont une garde côtière. En effet, il n'y a que deux gardes côtières tout le long de la côte est et ouest de l'Afrique sub-saharienne! C'est très surprenant, n'est-ce pas? Je pourrai y revenir plus tard, dans le cadre d'autres commentaires. Un garde côtière est plus intéressante pour bien des pays parce qu'elle constitue une organisation plus petite, moins coûteuse, et aussi plus efficace. Une fois que nous aurons fait le ménage chez nous, peut-être qu'il y aura autre chose à faire dans cette région de l'Afrique sub-saharienne.

Dans certains pays de l'Amérique latine, par exemple, c'est la marine qui remplit les fonctions que l'on associe normalement à la garde côtière, à l'exception notable de la Prefectura de l'Argentine, qui est une formidable opération de garde côtière.

Que l'on décide d'intégrer des forces militaires et d'autres forces de sécurité comme les gardes côtières, les gardes frontaliers, les douanes et l'immigration, à des fins de défense, c'est une chose; toutefois, l'avènement récent de nouvelles gardes côtières dans le monde, ou l'intérêt manifesté envers leur constitution, constitue à mon avis un événement des plus intéressants et positifs. J'ai déjà parlé d'Israël et de Taiwan, mais on pourrait également penser à l'Irlande, au Vietnam et à la Malaisie. Il vaut également la peine de noter que certaines gardes côtières déjà bien en place comme celles du Royaume-Uni, du Japon et de l'Inde, sont en train de prendre de l'expansion.

Je voudrais aborder maintenant deux notions, celle de la sûreté et de la sécurité, de même que parler brièvement du secteur de la sécurité. Les lois internationales adoptées récemment, de même que les lois nationales et la réflexion qui a permis leur aboutissement, ont permis de fixer des normes qui font clairement le lien entre la sécurité et la sûreté. En effet, la sécurité est devenue une question de sûreté. Il vaut la peine de noter à cet égard que l'Organisation maritime internationale a récemment reformulé son énoncé de mission: en effet, alors que la mission était naguère «Safer Shipping, Cleaner Oceans», on y a ajouté désormais l'élément de sécurité. On constate du moins que c'est une préoccupation de plus en plus présente dans le monde.

La sécurité est donc devenue une question de sûreté, et je le dis en toute confiance. Dans toutes les études des facteurs qui touchent l'industrie maritime, on relève une certitude: les incidents liés à la sécurité et, par extension, liés à la sûreté augmenteront en nombre, causant plus de préjudices, plus de pertes, plus de retards, plus de blessures et, malheureusement, plus de décès.

Les actes de terrorisme et de piratage sont des choses qui surviennent. Même si nous ne sommes pas affligés dans notre coin du monde par des attaques de piratage, celles-ci abondent malheureusement ailleurs dans le monde. Chez nous, ce seront surtout des infractions en matière de pêche, des incidents liés à la drogue et des vagues croissantes d'immigrants illégaux et de demandeurs d'asile qui poseront problème, mais ce seront ces activités qui grèveront encore plus nos ressources, services et infrastructures existants. Souvent, on parle de sécurité maritime en termes de vol, de fraude ou d'autres formes de comportement criminel, mais cela va bien au-delà de cela. De fait, comme je viens de le signaler, il y a énormément de chevauchement entre la sûreté et la sécurité et, conséquemment, entre les organisations maritimes comme les marines et les gardes côtières, dont les opérations sont fréquemment définies par l'un ou l'autre de ces concepts et parfois par les deux.

Pour moi, l'idée que je me fais de la sécurité correspond plus à la définition du terme que donnait l'amiral Garnett. Le secteur de la sécurité regroupe à mon avis des entités, prises dans leur sens le plus large, qui sont, en dernière analyse, chargées dans un État de la sécurité des citoyens de même que de la sécurité nationale; je pense donc aux forces militaires, aux corps policiers, à l'appareil judiciaire, à la Garde côtière, aux douanes, aux services de renseignement, et cetera. Je suis sûr que le comité a déjà entendu des représentants de la plupart de ces entités.

On pourrait ajouter à ce regroupement diverses organisations gouvernementales telles que la Croix-Rouge internationale et Médecins sans frontières qui sont fortement mis à contribution dans des opérations de sécurité d'envergure dans le monde. Je suis sûr qu'on pourrait en trouver d'autres aussi. Lorsque l'on regarde la grande diversité des acteurs dans la grande famille de la sécurité, on comprend mieux la taille de l'équipe et l'ampleur du problème et on voit que cela dépasse un élément strictement conventionnel et principalement militaire et politique.

J'aimerais parler des avantages possibles qu'offrent les gardes côtières par rapport aux marines et aux autres forces de défense dans des activités de coopération nationale et régionale et dans la sécurité humaine et de l'environnement en mer. J'imagine que vous avez maintenant compris à quel point je suis un partisan des gardes côtières, puisque j'y ai consacré 30 ans de ma vie et que j'ai vu la plupart des gardes côtières qui existent dans le monde, sous une forme ou une autre, tout au long de ma carrière. En effet, je suis un chaud partisan et je les considère comme des institutions nationales extrêmement importantes disposant d'atouts considérables. En effet, les gardes côtières peuvent contribuer considérablement à la gouvernance des océans et à des activités de coopération régionale en matière de sécurité. À preuve, la collaboration qui existe entre la Garde côtière américaine et la Garde côtière canadienne: les deux gardes côtières ont signé une pléthore de protocoles d'entente et d'accords s'appliquant à l'ensemble du continent et à toute une gamme d'activités maritimes.

Il est important d'encourager ce type de développement coopératif puisque les activités en question peuvent être très profitables et bénéfiques à l'État ainsi qu'aux autorités maritimes au sein de l'État. De plus, ces activités peuvent même permettre d'aider les forces de défense dans l'exécution de leurs tâches. Enfin, en dotant la Garde côtière canadienne de fonctions de police en mer, je pense humblement que cela permettrait à la GRC de se concentrer sur les activités sur le territoire canadien.

En intégrant la Garde côtière aux éléments de sécurité, cela permettrait-il de réduire les susceptibilités parfois associées aux forces navales ou aux forces de défense? Je voudrais répondre, si vous permettez, en donnant le point de vue du combattant plutôt que celui du sauveteur ou du gardien. Il ne s'agit aucunement de préférer la marine à la Garde côtière ou vice versa. Je n'oserais le suggérer. Toutefois, déléguer des responsabilités supplémentaires à la Garde côtière qui viendraient s'ajouter à ce qu'elle a actuellement, pourrait permettre de réduire les tensions qui existeraient autrement. Je songe notamment aux tâches dévolues traditionnellement à la marine ou à la GRC et aux missions qui ne sont pas strictement d'ordre militaire. Ce faisant, on pourrait aller beaucoup plus loin dans la coopération en matière de sécurité, prise dans son sens le plus large.

Beaucoup de gardes côtières dans le monde sont dotées d'un rôle de maintien de l'ordre; en fait, c'est le cas de la majorité d'entre elles. C'est ce qui les définit la plupart du temps, et c'est pourquoi elles sont dotées de l'équipement nécessaire et du personnel formé pour ce genre de travail. Que faudrait-il pour équiper notre propre Garde côtière et la doter de ce rôle d'application de la loi? Je songe notamment aux activités de lutte contre le trafic de drogue, de lutte contre l'immigration illégale et contre la contrebande. Non seulement une décision en ce sens réduirait la politisation dont j'ai parlé et qui est souvent associée aux opérations de défense, mais elle pourrait également se traduire par des avantages économiques puisque l'on pourrait ainsi déployer des moyens moins imposants et plus rentables comme les embarcations rapides de sauvetage et des bateaux de patrouille à l'équipage plus restreint. Cela permettrait également d'alléger la charge de travail déjà très lourde de nos forces policières fédérales et de notre marine.

Je voudrais aborder brièvement en dernier lieu les possibilités de coopération entre la Garde côtière et les autres intervenants du secteur de la sécurité lorsque surviennent des problèmes maritimes transfrontaliers d'une nature civile et paramilitaire. Les aspects humanitaires sont souvent associés aux autres programmes traditionnels de la Garde côtière, dont notamment la sécurité maritime et la recherche et le sauvetage en mer. Normalement, dans une région comme en Amérique du Nord, il y a peu d'obstacles à la discussion et à la coopération entre les agences maritimes de la région. J'ai déjà mentionné la relation entre la Garde côtière du Canada et celle des États-Unis. Par extension, d'autres secteurs chevauchent souvent ce domaine de coopération maritime éventuelle, et je songe notamment à la gestion portuaire, à la sécurité portuaire, à la protection de l'environnement marin et à la planification d'urgence qui y est associée, à la planification en cas de grands désastres maritimes et à la gestion des zones côtières.

Bref, la Garde côtière constitue une ressource nationale précieuse. Même si rien ne devait changer, elle contribue déjà énormément à la sécurité dans son sens le plus large. Toutefois, dans le sens plus étroit et plus traditionnel du terme, on pourrait dire que la Garde côtière ne répond plus au besoin car elle n'est pas dotée d'un pouvoir d'application de la loi. Toutefois, il serait possible de le faire si on le désire. Je disais déjà que dans bien des régions du monde, les gardes côtières sont en train de prendre beaucoup d'expansion, particulièrement dans la région de l'Asie- Pacifique, et que dans tous ces cas particuliers, elles sont dotées de ces pouvoirs.

Ce qui importe encore plus dans ce contexte post-droit de la mer et zone économique exclusive qui est la nôtre — même si le Canada n'a toujours pas ratifié la Convention sur le droit de la mer, ce qu'il finira par faire, j'en suis convaincu — c'est cette préoccupation de plus en plus présente quant à la gestion des océans et à la protection des ressources vivantes et non vivantes dans la ZEE, c'est-à-dire dans cette zone de 200 milles à laquelle ont souscrit les nombreux pays qui ont ratifié la convention.

La Garde côtière pourra devenir un joueur de premier plan dans cette sphère de la sécurité nationale de plus en plus englobante. Toutefois, cette zone économique exclusive suppose des responsabilités accrues. Cette zone constitue un territoire accru, et ces responsabilités supplémentaires incluent le maintien du bon ordre en mer, le maintien de la sécurité maritime et un rôle plus grand dans la protection de l'environnement qu'exploitent les États maritimes.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Kelly. Vos commentaires étaient très utiles.

Le sénateur Atkins: Votre enthousiasme à l'égard de la Garde côtière m'a convaincu. Vous vous êtes fait très bien comprendre. La Garde côtière devrait-elle continuer à relever du ministère des Pêches et des Océans, à votre avis, ou demanderiez-vous plutôt au ministère des Transports, voire à la Défense nationale, de la chapeauter?

M. Kelly: Je savais que l'on me poserait la question. Je répondrai de cette façon-ci: la plus grande partie de ma carrière s'est faite au ministère des Transports, au sein de la Garde côtière, puisque la Garde côtière faisait partie intégrante de ce ministère.

Puis, est arrivé l'examen des programmes et l'énorme défi qu'a dû relever notre pays au début des années 1990. Nous étions devenus un pays débiteur, dont l'endettement et le déficit étaient énormes, et il a fallu prendre des décisions draconiennes. L'un des ministères ciblés a été le ministère des Transports, qui comptait plus de 30 000 employés, et la Garde côtière, puisqu'elle en faisait partie, de même que le système de navigation aérienne, et d'autres encore.

Le ministère des Transports est aujourd'hui l'ombre de ce qu'il a été, parce qu'on lui a retranché toutes ses entités opérationnelles. Vous savez tous que le système de navigation aérienne est devenu ensuite une agence autonome. À l'époque, je travaillais à Ottawa près de l'administration centrale, et je me rappelle que nous avions formé à la Garde côtière un comité destiné à nous aider à faire face aux énormes pressions qui s'exerçaient sur nous. Je sais que tous les autres ministères étaient dans le même bateau, mais ce fut tout un défi à relever pour nous. La haute direction de la Garde côtière a donc formé un comité — il existe toutes sortes de comités aujourd'hui — pour déterminer comment faire des économies et comment faire les choses différemment.

J'ai pensé à cela dans l'avion qui m'amenait du Cap-Breton. Nous avions formé un comité de quatre ou cinq personnes et nous étions chargés d'étudier la façon dont les autres parties du monde assuraient la gouvernance de leur Garde côtière. Le comité a fait un certain nombre de propositions et celle qui m'a le plus frappé concernait un organisme directeur. Je crois que c'est une formule britannique, du moins à l'origine. En tant qu'organisme spécial, la Garde côtière n'aurait pas fait partie du ministère des Transports et n'aurait relevé d'aucun ministère, quitte à ce qu'elle rende des comptes à un ministre qui aurait fait rapport au Parlement, dont il aurait obtenu directement les crédits destinés à l'organisme.

Cette formule n'a pas été retenue. Néanmoins, au début des années 1990, c'était une option très séduisante pour mes collègues, étant donné la situation calamiteuse dans laquelle se trouvait alors la fonction publique. Comme je l'ai dit, cette option n'a pas été retenue, et nous avons été dépassés par les événements. En définitive, il a été décidé, par souci d'opportunisme ou pour des raisons financières — je suppose qu'il y avait un peu des deux — de nous faire fusionner avec le ministère des Pêches et des Océans, où la Garde côtière se trouve encore aujourd'hui.

Que va-t-il advenir maintenant? C'est difficile à dire. L'idée de l'organisme spécial me plaît toujours. Je ne suis plus au service de la Garde côtière ni du gouvernement du Canada, mais j'aime toujours la formule de l'organisme, pour la souplesse qu'elle peut apporter à une entité opérationnelle que l'on peut modifier selon les paramètres que j'ai déjà évoqués en ce qui concerne la capacité de maintien de l'ordre.

Il existe évidemment d'autres options, qui méritent d'être étudiées. J'en ai parlé brièvement. Dans le sous-continent indien, il existe une garde côtière. C'est un organisme énorme, d'excellente tenue, mais qui relève de la marine. Il a sa propre identité, ses navires portent un marquage signalétique distinctif, ses agents ont leurs propres emblèmes, insignes, et cetera, mais c'est une garde côtière et elle relève de la marine de guerre.

On trouve d'autres formules ailleurs — je n'en ai pas beaucoup parlé, faute de temps — où les activités de garde côtière sont assujetties directement à la Défense nationale du pays. En tout cas, si le gouvernement s'intéresse à la question ou s'il est possible de lui faire une recommandation, il faudrait, pour rationaliser le bouleversement, procéder à une étude approfondie de la situation actuelle, peut-être pas uniquement au sein de la Garde côtière mais dans tout le domaine de la sécurité, et je suppose que c'est essentiellement ce qu'a entrepris votre comité.

Le sénateur Atkins: J'ai écouté votre exposé et j'ai l'impression, en lisant entre les lignes, que vous attendez un mandat différent pour la Garde côtière. Est-ce que c'est à cause des événements du 11 septembre et pensez-vous que la mission de la Garde côtière a changé dans le contexte de la sécurité du Canada?

M. Kelly: Je pense que notre perception de la sécurité a changé. Le 11 septembre 2001 a sonné le réveil. Il n'a pas marqué le début du terrorisme, qui est sans doute aussi vieux que le temps. Mais il a sonné le réveil. Pour une puissance colossale comme les États-Unis, cette attaque directe contre son territoire et sa population était un fait sans précédent. C'est un événement qui nous préoccupe, mais comme j'ai essayé de l'indiquer dans ma déclaration liminaire, il est important, pour nous, de conserver une perspective plus large de la sécurité.

Comme je l'ai dit dans la conclusion de mon exposé, je considère que la gestion des océans est aussi importante que les menaces militaires. Un jour, nous serons signataires du droit de la mer. Un jour, nous allons revendiquer une zone côtière de 200 milles, comme l'ont fait ou vont le faire l'Argentine, le Brésil, le Venezuela et tous les autres pays maritimes du monde. Ce faisant, nous hériterons de la responsabilité de nous occuper de cette zone. Nous connaissons déjà le défi que présente la surveillance d'une zone de 12 milles dans l'environnement marin. Pensez à une zone de 200 milles au large des côtes. Eh bien oui, je pense que c'est une question de sécurité aussi importante que les menaces militaires.

Le sénateur Smith: Je dirais les choses un peu différemment. Il s'agit de savoir s'il faut ou non paramilitariser la Garde côtière. Vous avez dit qu'il y avait du pour et du contre, qu'il fallait faire un compromis entre le rôle de policier et le rôle de sauveteur. Le problème a aussi une dimension économique. Idéalement, chacun voudrait que la marine, la Garde côtière et la GRC disposent de toutes les ressources nécessaires, mais il faut tenir compte des coûts. Compte tenu de tous ces facteurs, si l'on vous proposait une paramilitarisation, de quel côté pencheriez-vous?

M. Kelly: Je me trouve devant un comité du Sénat du Canada, et je peux donc parler en toute franchise, en ma qualité de citoyen.

Le sénateur Smith: Absolument. Mais nous vous consultons aussi en tant qu'expert.

M. Kelly: En fait, j'opterais pour que la Garde côtière assume un rôle paramilitaire, du point de vue de sa capacité à maintenir l'ordre et à faire respecter la loi. Nous avons déjà une plate-forme. Nous avons un personnel important au sein de la Garde côtière et dans l'ensemble du pays, où nous pouvons recruter des effectifs de la police. Nous pouvons faire de la formation. Nous sommes du reste experts en formation. Pour répondre directement à votre question, je pense que c'est dans cette direction qu'il faut évoluer.

Le sénateur Atkins: Il y a un modèle dont vous n'avez pas parlé. Vous avez fait état de l'Inde, du Brésil et de l'Argentine. Et les États-Unis? Je vous pose cette question parce que j'ai vu à la télévision, la semaine dernière, un responsable de la Garde côtière américaine qui exprimait ses inquiétudes. Son secteur d'affectation était la Floride, et il a évoqué des problèmes semblables à ceux qui se présentent sur notre littoral, c'est-à-dire l'inspection des conteneurs, l'arrivée des réfugiés, le trafic de drogue, et cetera. Il s'inquiétait du fait que le littoral américain est immense et que la Garde côtière est presque dans l'impossibilité d'en assurer la protection.

Pour parler dans le même contexte du Canada, la Garde côtière pourrait-elle assurer une meilleure protection de notre littoral?

M. Kelly: Notre littoral est long de plusieurs centaines de milliers de kilomètres, si l'on tient compte de l'archipel arctique, de toutes les baies, de tous les bras de mer, ainsi que de nos voies navigables intérieures, notamment des Grands Lacs. Nous avons un très long littoral. Quand on y pense, c'est assez époustouflant. Vous vous souvenez des petits soldats que nous recevions à Noël quand nous étions enfants? On les plaçait sur les côtés des coussins du canapé. Par extension, si l'on considère le littoral de ce pays, sans parler de celui de l'Amérique du Nord et si on envisage de déployer des navires sur chaque segment de ce littoral, y compris dans l'Arctique, c'est tout à fait époustouflant. Évidemment, on n'aura jamais à le faire. Heureusement, il ne faut pas envisager les choses de cette façon. Il y a d'autres logarithmes qui entrent en ligne de compte, comme la surveillance aérienne et la surveillance par satellite.

Le secteur de la sécurité dont j'ai parlé tout à l'heure, sénateur, se compose de plusieurs éléments. La Garde côtière comporte elle-même une Garde côtière auxiliaire, formée de bénévoles, qui constitue un aspect très important de notre capacité de recherche et de sauvetage. C'est une formule brillante, même si elle n'est pas spécifiquement canadienne, car les Américains ont la même chose et les Britanniques ont été les pionniers dans ce domaine. Compte tenu des différents intervenants qui peuvent contribuer à la sécurité d'un pays possédant un aussi long littoral, la situation est gérable.

Dans mon exposé, j'ai aussi parlé de coopération régionale, et je l'ai fait dans un but bien précis, même si nous ne nous sommes encore jamais rencontrés. La conception que je me fais de la coopération régionale, c'est que tout d'abord, les Gardes côtières canadienne et américaine la pratiquent beaucoup, en particulier dans les Grands Lacs, mais aussi à l'occasion des exercices en milieu marin. Ce sont de véritables exercices, coûteux et complexes. Ils ne se produisent pas tous les mois, tous les six mois ou même tous les ans, mais ils existent, et ils se déroulent dans les Grands Lacs, dans les eaux limitrophes entre nos deux pays, sur la côte Est, dans le Canada atlantique, ainsi que sur la côte Ouest. Ils sont très bénéfiques, car ils mettent tout le monde en état d'alerte. C'est un excellent outil de formation. Ceux qui servent à bord de nos navires sont ainsi placés dans un état d'esprit qui leur donne la capacité de faire face à toutes les situations qui se présentent.

Pour en revenir à votre question, je ne pense pas que nous puissions protéger chaque kilomètre ou chaque mille nautique de notre littoral. C'est inconcevable, du moins si on reprend le modèle des petits soldats de plomb. Cependant, il y a d'autres façons de procéder. Nous pouvons investir dans la technologie de surveillance, y compris dans l'Arctique, y compris dans les Grands Lacs, et augmenter l'investissement dans les activités régionales de façon à les améliorer et à favoriser la coopération avec les autres autorités maritimes du monde, en particulier avec celles de notre région, qui peuvent contribuer à résoudre le problème de la sécurité.

Le sénateur Atkins: Quand vous parlez des différents éléments, est-ce que vous avez une bonne idée de la place qu'occupe la Garde côtière, ou faudrait-il la soumettre à une réforme importante ou la rattacher à la Marine canadienne ou à la Défense nationale?

M. Kelly: Je pense que c'est tout le secteur de la sécurité qu'il faut reconsidérer. La définition même de la sécurité est telle qu'il faut constamment la reconsidérer et ne jamais s'en satisfaire. Je ne parle pas simplement d'augmenter les budgets pour améliorer la capacité de la Garde côtière, ses moyens technologiques, et cetera.

Le sénateur Banks: Monsieur Kelly, vous nous avez dit des choses intéressantes et vous avez soulevé un grand nombre de questions, ce qui est excellent.

Quand il nous est arrivé d'aborder des questions concernant la sécurité nationale et la défense, nous avons toujours pris soin, dans nos critiques, de préciser que nous parlions des politiques et de l'exécution, et que nous n'avons jamais adressé de reproches aux personnes en cause. Je tiens à le préciser ici également. Nous savons que les membres de la Garde côtière canadienne sont des gens dévoués et déterminés à assumer leur mission.

Pourtant, des témoins précédents, à qui on parlait de la possibilité de jouer un rôle de maintien de l'ordre — c'est-à- dire la possibilité d'assurer une véritable protection du littoral, qui n'existe pas actuellement, apparemment, car les agents de la Garde côtière ne peuvent rien interdire et ne peuvent pas intervenir — ces témoins nous ont dit qu'ils se heurtaient à des obstacles insurmontables. Ils nous en ont donné une longue liste, comprenant certains éléments d'ordre culturel, et d'autres, d'ordre contractuel, concernant les engagements pris envers les syndicats. Certains nous ont dit que les membres de la Garde côtière devaient toujours rester en retrait à cause des obligations qui découlent des conventions collectives. Par exemple, le capitaine d'un navire ne pouvait pas leur ordonner de poursuivre des auteurs d'infraction ou d'empêcher une infraction quelconque.

Vous avez dit que le rôle de maintien de l'ordre — ou, pour reprendre la formule par laquelle vous avez répondu au sénateur Smith, la «paramilitarisation» de la Garde côtière — était réalisable. Comment le concevez-vous concrètement? Faut-il recourir à la notion d'organisme spécial dont vous avez parlé, pour soustraire la Garde côtière du régime actuel en ce qui concerne la culture d'organisme, mais également les contraintes imposées par les conventions collectives et les antécédents? Je vous pose une question à deux volets. Tout d'abord, comment procéderiez-vous? Deuxièmement, est-ce que vous avez proposé cette formule d'organisme distinct afin de pouvoir modifier la nature même de l'institution?

M. Kelly: Si je vous comprends bien, sénateur Banks, les deux sont presque incompatibles. On peut conserver la Garde côtière telle qu'elle est actuellement et telle qu'elle existe depuis plusieurs années; mes commentaires concernant sa structure hiérarchique, son architecture, son administration centrale, concernaient l'histoire ancienne de l'organisme, l'époque où j'en faisais partie, et les défis et les pressions auxquels la Garde côtière a été confrontée lorsqu'elle s'est trouvée à la croisée des chemins. Ensuite, nous avons été dépassés par les décisionnaires, le MPO, et cetera.

Il y a aussi la question du maintien de l'ordre. J'ai dit que les deux étaient incompatibles, en quelque sorte. Ce sont deux choses distinctes. Le ministère des Pêches et des Océans a un rôle de maintien de l'ordre dans le cadre de l'application de la Loi sur les pêches.

Le sénateur Banks: Il ne s'agit pas d'empêcher un navire de décharger des clandestins, de faire du trafic d'armes, et cetera.

M. Kelly: C'est vrai. Cependant, c'est le même domaine, il s'agit de l'application de la loi. C'est précisément ce qui nous distingue de la Garde côtière américaine. Les agents américains de la Garde côtière font partie des forces de l'ordre. À part nos capacités en matière d'application de la Loi sur les pêches, notre Garde côtière ne fait pas partie des forces de l'ordre.

Le sénateur Smith m'a déjà posé directement la question, et j'ai répondu que notre Garde côtière peut jouer un rôle de maintien de l'ordre. Il faut pour cela des navires appropriés, et la Garde côtière en a quelques-uns.

Le sénateur Banks: Je pense que la plupart des Canadiens seraient d'accord avec vous. Nous avons une centaine de navires importants, qui pourraient remplir des missions plus variées. Je ne veux pas dénigrer le travail qu'ils font actuellement, qui est nécessaire, mais nous pourrions avoir une capacité de maintien de l'ordre avec une centaine de navires supplémentaires, dont des navires de haute mer.

Voyez-vous un inconvénient à ce qu'on annonce du jour au lendemain aux responsables de la Garde côtière qu'on va désormais recruter des policiers qui seront présents à bord de leurs navires?

M. Kelly: Il serait sans doute difficile de le réaliser du jour au lendemain. Dans le secteur public — et je le dis sans ironie — il faut planifier tout changement, le concevoir et consulter les autres autorités concernées avant de le réaliser. Mais si le premier ministre ou la Chambre des communes en faisait l'annonce, le changement serait effectué.

Le sénateur Banks: Supposons que je sois un marin formé à l'académie dont vous avez parlé, en service sur un navire de la Garde côtière; si je constate, dans un an et demi, que le premier ministre annonce ce changement, pourrais-je exercer un recours? C'est ce dont on nous a parlé. Vous avez fait partie de la Garde côtière pendant 30 ans. Est-ce que ce marin aurait la possibilité de dire: «Non, vous ne pouvez pas faire cela, vous ne pouvez pas m'envoyer là-bas, vous ne pouvez pas m'obliger à amener ce policier armé d'une mitraillette à côté de ce navire qui a peut-être à son bord des personnages dangereux, car ma convention collective vous empêche d'agir ainsi»? Est-ce qu'une telle situation est possible?

M. Kelly: Nous parlons ici d'une attitude. Je pense que cette attitude existe.

Nous pouvons tous être d'honnêtes citoyens, mais nous ne pouvons pas tous faire de bons policiers.

Le sénateur Banks: Je ne parle pas d'une attitude; je parle d'une contrainte juridique. À votre connaissance, existe-t- il une contrainte juridique ou contractuelle qui empêcherait un tel changement?

M. Kelly: C'est une question très pratique, qui nous ramène à des considérations concrètes sur la façon de procéder.

Le sénateur Banks: Exactement.

M. Kelly: Je n'ai certainement pas réponse à tout, mais je dirais que c'est comme si l'on voulait former un marin, un élève officier ou une recrue du Collège de la Garde côtière canadienne pour en faire un officier de navigation ou un ingénieur naval. C'est un programme de quatre ans, entièrement financé par le gouvernement du Canada. Il donne un emploi garanti à vie. C'est une carrière fantastique. Il faut examiner de très près les candidats. Ce n'est pas destiné à n'importe qui, et tout le monde ne veut pas devenir marin ou policier.

Dans une société démocratique comme la nôtre, on ne peut pas imposer un moule à quelqu'un qui ne veut pas y entrer.

Le sénateur Banks: Je suis d'accord. Mais si le gouvernement décide que c'est possible, quel obstacle juridique pouvez-vous envisager, à part le changement d'ordre culturel pour les personnes en cause? Vous avez dit que ce rôle de maintien de l'ordre était envisageable.

M. Kelly: Oui, j'y crois.

Le sénateur Banks: Cette formule d'organisme autonome est une idée intéressante dont nous n'avons encore jamais entendu parler. Vous dites qu'elle a fait son apparition lors de l'examen des programmes, où le bourreau a fait son office, comme nous le savons, mais c'est une idée intéressante. Si la Garde côtière était un organisme distinct, elle ferait rapport au Parlement par l'intermédiaire d'un ministre, sans nécessairement relever d'un ministère.

Pouvez-vous nous dire quelques mots du raisonnement qui a permis d'aboutir à cette formule? Nous n'en avons encore jamais entendu parler, mais je la trouve très intéressante.

M. Kelly: Cette idée a été le résultat des recherches consacrées aux différentes formules appliquées ailleurs. Je ne faisais pas partie du comité qui l'a formulée, mais je me souviens de certains documents de travail. Ce qui m'a plu, c'est la plus grande souplesse qu'elle permet. Je pense à des institutions nationales comme la Gendarmerie royale du Canada. C'est un corps policier extraordinaire. La Gendarmerie royale relève du ministère du Solliciteur général, mais la loi et les règlements lui confèrent toute la souplesse nécessaire pour s'acquitter de sa tâche. Je crois que la plupart des Canadiens s'accordent pour reconnaître que cette institution fonctionne admirablement.

Je ne peux sans doute pas vous donner toute l'information que vous cherchez, mais je pense que j'ai réagi très favorablement à cette idée à l'époque parce qu'elle conférait plus de souplesse à la Garde côtière.

Souvenez-vous qu'à l'époque, nous avons souffert. Nous avons perdu la direction générale de la sécurité maritime, qui est restée à Transports Canada. Elle était composée d'agents de la Garde côtière. Une bonne partie de la Garde côtière est restée à Transports Canada, même s'il s'agissait de services opérationnels de la Garde côtière. Je parle actuellement du régime de sécurité des navires, de ceux qui sont chargés du contrôle des navires par l'État du port, dont j'ai parlé tout à l'heure.

Oui, nous avons souffert, sans parler de la fusion ultérieure avec un autre ministère. C'est une décision qui a été prise en haut lieu, mais la formule de l'organisme distinct était séduisante.

Le sénateur Banks: Elle mérite d'être considérée.

J'aimerais que vous nous disiez pourquoi le Canada n'a pas encore ratifié la Convention sur le droit de la mer. Je connais une longue liste d'avantages concernant la préservation des stocks de poisson, sans parler des ressources naturelles et des fonds marins, et cetera.

Savez-vous pourquoi le Canada a signé la Convention sur le droit de la mer, mais ne l'a pas ratifiée?

M. Kelly: En toute franchise, je ne sais pas. Je ne peux pas vous donner de réponse satisfaisante, sinon pour dire qu'il s'agit d'une mesure législative très volumineuse. Nous avons participé activement aux délibérations qui ont eu lieu il y a quelques années, et c'est pourquoi je pense que le volume même de cette convention a peut-être eu une incidence.

Par ailleurs, je viens de la côte Est, d'un port de pêche, et je sais que les Grands Bancs sont une région sensible du point de vue des lieux de pêche traditionnels et historiques, non seulement pour le Canada, mais pour le monde entier. C'est devenu un secteur extrêmement sensible, compte tenu de tous les intérêts qui convoitent cette ressource de plus en plus rare. Voilà les quelques remarques que je peux vous soumettre; je n'irai pas plus loin.

Le sénateur Wiebe: Je vais rester sur le même sujet que le sénateur Banks. Dans votre exposé, vous avez dit que la Garde côtière canadienne est considérée comme l'une des principales gardes côtières du monde et qu'elle compte à son service 5 000 hommes et femmes disciplinés et bien entraînés. À la fin de votre exposé, vous avez dit qu'il était réalisable de conférer des pouvoirs de maintien de l'ordre à la Garde côtière. Si nous envisageons sérieusement une telle possibilité, il faut le faire de façon concrète. Quelle proportion de ces 5 000 agents de la Garde côtière devraient suivre une formation spéciale pour effectuer les activités de maintien de l'ordre qui sont actuellement assurées par la GRC conjointement avec la Garde côtière?

M. Kelly: À mon avis, une très petite proportion. Lorsque je pense à la capacité de maintien de l'ordre, j'envisage des équipes d'abordage, qui sont généralement de dimension réduite et qui opèrent à partir de petites plates-formes. Du reste, ces 5 000 employés de la Garde côtière ne naviguent pas tous.

Le sénateur Wiebe: Je sais.

M. Kelly: Peut-être que la moitié d'entre eux, au maximum, fait partie du personnel navigant. La formation s'adresserait à un très petit pourcentage.

Le sénateur Wiebe: Actuellement, des policiers montent à bord des navires de la Garde côtière en cas de besoin, ils ne sont donc pas présents sur tous les navires de la Garde côtière.

M. Kelly: En effet.

Le sénateur Wiebe: Nous voulons que les navires de la Garde côtière soient en mesure de réagir à toute situation quand ils sont en patrouille. Par conséquent, la majorité des agents à bord devraient être formés au maintien de l'ordre. Ainsi, si la Garde côtière est investie de pouvoirs de maintien de l'ordre, il faut que le personnel présent à bord des navires soit capable de réagir à toute situation qui nécessite des activités de maintien de l'ordre. J'ai donc l'impression que si nous voulons conférer des pouvoirs de maintien de l'ordre à la Garde côtière, on ne pourra pas se contenter de ne former que quelques agents.

M. Kelly: On ne pourra peut-être pas se contenter de quelques agents, mais je ne pense pas, sénateur, qu'il faille en former un fort pourcentage.

Prenons un exemple fictif. Nous avons un équipage de 50 hommes, y compris les officiers, à bord d'un navire. Cet équipage comprend le capitaine, les officiers de navigation, les hommes de pont ou les marins, l'ingénieur en chef, les mécaniciens, les ingénieurs navals, les graisseurs, le personnel civil de la salle des machines, le personnel de cuisine, les stewards et d'autres. Je ne pense pas qu'il faille former au maintien de l'ordre les ingénieurs navals ou les cuisiniers. Je pense qu'il faudrait donner une formation spéciale à quelques agents et modifier les navires en fonction de ce travail de maintien de l'ordre. Dans la plupart des cas, les activités de maintien de l'ordre devraient se faire à partir d'embarcations beaucoup plus petites que la plupart des navires de la Garde côtière. Pensons au Louis St. Laurent, avec ses 45 000 chevaux. Rien que pour faire demi-tour, il lui faudrait un budget supérieur à celui du comté d'Inverness. C'est un navire qui coûte très cher à faire naviguer, et qui ne conviendrait pas à ce genre d'activité. La plupart des gros baliseurs qui appartiennent à la Garde côtière, tous ces navires qui servent à poser et à récupérer des balises, ne conviendraient pas au maintien de l'ordre.

Ce que j'envisage, en ce qui concerne les gardes côtières que j'ai visitées et qui ont un rôle de maintien de l'ordre, c'est d'avoir des navires qui peuvent atteindre 40 nœuds. Ils pourraient se déplacer à grande vitesse en ayant à leur bord de petits équipages armés ayant une formation policière. Ils sauraient ce qu'ils font et ils le feraient, pas comme les gros navires qui naviguent le long des côtes du Canada, avec leurs coques rouges et blanches.

Le sénateur Wiebe: Proposez-vous que nous établissions une force policière distincte?

M. Kelly: Au sein de la Garde côtière.

Le sénateur Wiebe: Elle serait chargée du maintien de l'ordre. Elle attendrait sur le rivage les hors-bord qui feraient des excès de vitesse. Est-ce ainsi que vous envisagez la chose?

M. Kelly: Je ne suis pas un spécialiste des navires qui assurent le maintien de l'ordre. En fait, je ne suis pas un spécialiste de grand-chose. D'après ce que j'ai pu constater du maintien de l'ordre dans le contexte de la Garde côtière, même les Zodiacs peuvent être utilisés pour ce genre de travail. Cela dépend de la nature de l'infraction.

Le sénateur Wiebe: Si nous décidons de le faire, cela rendrait-il nos côtes plus sûres qu'elles ne le sont à l'heure actuelle?

M. Kelly: Je le crois.

Le sénateur Wiebe: Quel en serait le coût?

M. Kelly: Malheureusement, je l'ignore.

Le sénateur Smith: En réponse au sénateur Wiebe, vous avez indiqué qu'à votre avis il n'y avait pas beaucoup de gens qui auraient besoin de formation. J'ai pensé que vous auriez pu dire que la Garde côtière assure déjà dans une certaine mesure des fonctions de maintien de l'ordre en ce qui concerne la pêche.

Si la Garde côtière soupçonnait que des activités illégales se déroulaient à bord d'un navire qu'elle avait repéré sur le Saint-Laurent, par exemple, possède-t-elle à l'heure actuelle l'information nécessaire pour y dépêcher une équipe d'abordage? Lui arrive-t-il de le faire?

M. Kelly: C'est une question intéressante. Les choses ne cessent d'évoluer. Vous êtes en train de faire allusion à la fusion de la Garde côtière avec le ministère des Pêches et des Océans. Il ne faut pas oublier que le ministère des Pêches et des Océans avait sa propre flotte de navires beaucoup plus petite, y compris des navires de patrouille, avant la fusion de ces deux entités. Le ministère avait dès le départ des agents chargés de l'application de la législation sur les pêches, avant la fusion.

Aujourd'hui, la flotte même est intégrée car elles ont toutes été fusionnées avec la Garde côtière canadienne. Elles battent toutes le même pavillon et reçoivent toutes la même formation. Les agents chargés de l'application de la législation sur les pêches proviennent d'un autre secteur, si je peux m'exprimer ainsi, au sein du ministère des Pêches et des Océans.

Le sénateur Smith: Si un capitaine de la Garde côtière avait des raisons de croire qu'un navire pêchait dans une zone illégale, par exemple, ou se livrait à une activité illégale, qui relevait clairement du mandat de la Garde côtière, la Garde côtière ne serait-elle pas appelée à assurer le maintien de l'ordre et à monter à bord du navire? Que ferait-elle? Exerce-t- elle même ce genre de fonction?

M. Kelly: Sommes-nous en train de parler d'un incident concernant les pêches ou d'une autre activité quelconque?

Le sénateur Smith: Nous sommes en train de parler d'un capitaine qui soupçonne qu'un navire qu'il croise sur l'eau enfreint la loi concernant les pêches — par exemple qu'il pêche dans une zone où il ne devrait pas.

M. Kelly: C'est le rôle de la Garde côtière.

Le sénateur Smith: Dans un tel cas, la Garde côtière monterait-elle à bord du navire? Que ferait le capitaine de la Garde côtière? Téléphonerait-il à ses homologues à Halifax, par exemple, pour les informer de la situation?

M. Kelly: Ils ont plutôt tendance à passer à l'action, mais vous pouvez comprendre que dans la réalité quotidienne la communication se fera entre une région de la Garde côtière où les navires sont déployés et avec l'effectif d'application de la législation sur les pêches qui sert à bord de la plate-forme du navire pour s'occuper de cet incident en particulier.

Le sénateur Smith: Est-ce qu'ils envoient une équipe d'abordage lorsqu'ils estiment que cela est justifié?

M. Kelly: Ils le peuvent et ils le font.

Le sénateur Smith: Cela se produit-il souvent?

M. Kelly: De moins en moins, mais je crois que cela se produit encore.

Le sénateur Banks: Pour résumer la réponse à la question du sénateur Smith, si l'équipage à bord du navire rouge et blanc soupçonne qu'une activité disons, par exemple, de pêche illégale est en train de se dérouler mais n'a aucun agent d'application de la loi du MPO à bord, le navire de la Garde côtière ne peut rien faire?

M. Kelly: Je crois que cela est exact.

Le sénateur Smith: C'est assez inefficace, n'est-ce pas? Vous n'avez pas à répondre à cette question. Cela me semble inefficace.

Retournons à l'époque de leur restructuration il y a huit ou neuf ans environ. Vous semblez laisser entendre que la principale raison était d'ordre financier, et c'était peut-être le cas, mais n'y avait-il pas d'autres facteurs qui sont intervenus également? Ne s'agissait-il pas d'une indication de leur rôle principal, de réduire l'importance des activités limitées de surveillance qu'ils exerçaient? La raison était-elle principalement d'ordre financier? Il me semble que cela a dû être une période angoissante pour les employés des Transports et que ces initiatives n'ont probablement pas reçu un très bon accueil de façon générale.

M. Kelly: Cela a été le cas dans un grand nombre de ministères, je crois. Personnellement — d'après ce que je me rappelle — la grande question à l'époque c'était la question financière, par exemple, la cote qui nous était attribuée à New York, et nous étions menacés de toute part. La compagnie, même si elle n'était pas acculée à la faillite, était aux prises avec de graves difficultés financières et a instauré l'examen des programmes du gouvernement central, qui a touché, comme je l'ai dit, pas uniquement Transports Canada, où nous nous trouvions, mais tous les ministères.

Le sénateur Smith: Je n'arrive pas à comprendre l'importance que peut avoir pour un agent de cotation à New York le fait que la Garde côtière relève des Transports ou du MPO.

Ne croyez-vous pas qu'il y avait d'autres facteurs en jeu? Peut-être y a-t-il eu des pressions de la part de la région de l'Atlantique pour en assumer la responsabilité?

M. Kelly: Un gouvernement qui doit prendre des décisions difficiles rapidement, comme c'était le cas à l'époque, se tourne vers de grands ministères comme celui de Transports Canada. Nous avions des aéroports, des ports et d'autres responsabilités que nous n'avons plus.

Le sénateur Smith: Qu'est-il arrivé aux gardiens de phare?

M. Kelly: Ils feraient partie de ce groupe. Vous faites travailler ma mémoire. Nous étions une cible facile puisque Transports Canada comptait plus de 33 000 employés à l'époque. Il était logique que nous subissions des compressions. Le rôle que l'on envisageait pour Transports Canada était celui d'une agence de réglementation pour le transport aérien, maritime et de surface, et toutes les autres entités opérationnelles seraient transférées ailleurs. C'est ce qui a été fait.

Le sénateur Smith: Ma dernière question: Supposons que le mandat actuel n'avait pas été modifié et que l'on maintenait indéfiniment le statu quo. Croyez-vous que l'appellation «Garde côtière» soit trompeuse, en ce sens que le mot «garde» sous-entend une fonction équivalente à celle exercée par nos homologues américains? Cela sous-entend-il l'existence d'une fonction paramilitaire ou de maintien de l'ordre qui n'existe pas vraiment? Vous avez proposé certaines autres appellations, et j'en ai écrit quelques-unes. J'aime assez «patrouille maritime», parce qu'il s'agit d'un jeu de mots. J'aime aussi «protection côtière» et «patrouille côtière». L'appellation «Garde côtière» n'est-elle pas légèrement trompeuse? Faudrait-il la modifier? Cela en vaut-il la peine?

M. Kelly: L'appellation est peut-être légèrement trompeuse, mais il ne faut pas oublier que même sans une capacité de maintien de l'ordre, la Garde côtière assume en fait des responsabilités de surveillance et offre des services de sécurité. Ce dont je vous ai parlé ce soir s'inscrit dans le contexte général de la sécurité.

Le sénateur Smith: Je suppose qu'il existe une tradition, ce qui me plaît également.

Le président: Je pourrais peut-être résumer par quelques points, monsieur Kelly. On vous a demandé ce qu'il faudrait pour que la Garde côtière assume les fonctions de maintien de l'ordre dont nous avons parlé. Il faudrait un équipage pour manier une mitrailleuse qui serait installée sur le pont de l'un des navires. Il faudrait un équipage d'abordage de 6 à 12 personnes et un Zodiacs ou une autre petite embarcation pour les transporter du navire de la Garde côtière jusqu'au navire arraisonné. Il faudrait une structure de commandement se composant vraisemblablement d'officiers de quart, dont l'un serait probablement un officier subalterne, qui serait chargé de diriger l'équipage d'abordage. Il serait important que tous les officiers de quart chargés d'arraisonner le navire comprennent les fonctions policières de façon à être efficaces.

M. Kelly: L'orientation serait obligatoire.

Le président: Est-ce que cela correspondrait au type du groupe de personnes à bord du navire qui devraient faire l'objet d'un recyclage professionnel si la Garde côtière était appelée à exercer des fonctions policières?

M. Kelly: C'est assez juste. Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas un spécialiste du maintien de l'ordre, mais cela me semble une assez bonne description. Il y a une autre chose que le sénateur Atkins a mentionnée je crois — ou peut-être s'agit-il du sénateur Banks. Nous avons commencé à parler de recrutement. Il existe de nombreuses sources pour recruter des personnes possédant la mentalité, les aspirations et l'ambition voulues pour assumer des responsabilités policières. Cela ne plaît pas forcément à tout le monde. Même si certains membres du secteur maritime ne se porteraient pas candidats pour ce genre de travail, il existe assurément des personnes ayant l'attitude voulue et la volonté d'exécuter ce type de fonctions.

C'est peut-être le genre de détails dont il serait préférable de laisser l'examen à d'autres. Lorsque nous parlons de recrutement, il ne faut pas oublier que le Canada possède une énorme force constabulaire: la GRC et les forces policières à Toronto, Montréal, Vancouver et Winnipeg. Elles recrutent des policiers et même certaines personnes pour exercer des fonctions policières dans les ports et les estuaires, comme vous le savez. La GRC exerce également ce genre de fonctions.

Par le passé, la GRC avait des navires de patrouille dans la plupart des ports du pays, mais une autre décision a été prise, ce qui a donné lieu à une autre transformation. Il y a longtemps de cela, sénateur, mais il s'agissait d'une entité en bonne et due forme. Il n'est pas nécessaire que le recrutement se fasse exclusivement au sein de la Garde côtière. La Garde côtière recrute de nouveaux candidats pour ses navires et ses stations côtières auprès de la population canadienne. Je ne crois pas que la situation serait différente dans le cas du recrutement du personnel approprié pour exécuter des fonctions policières.

Le président: On nous a laissé entendre que cela représenterait un important changement culturel pour la Garde côtière telle qu'elle existe à l'heure actuelle. Vous pourriez peut-être nous donner vos commentaires à ce sujet. On vous a posé la question plus tôt dans le contexte de ce qui suit: si demain un navire de la Garde côtière exécutait des fonctions policières, que se passerait-il? Quelle serait la situation? Par cette question on voulait savoir quelle serait la réaction de l'effectif de la Garde côtière qui travaille en mer lorsqu'il apprendrait qu'au cours des jours, mois ou années à venir, il serait tenu d'exécuter des fonctions policières? Dans les réponses que vous avez données jusqu'à présent, vous avez parlé du recrutement de nouvelles personnes qui s'intéressent au maintien de l'ordre et qui souhaitent conjuguer les fonctions policières à une expérience maritime. En fait, on peut raisonnablement supposer qu'un grand nombre de personnes qui font partie actuellement de la Garde côtière finiront par devoir exercer des fonctions policières. Est-ce que le nombre de doléances augmenterait si cela devenait réalité? Des équipages feraient-ils la grève parce qu'ils refuseraient d'exécuter ce genre de travail? Quelles seraient les réactions? Certains considéreraient-ils cela comme une initiative louable qui aurait dû être prise dès le départ? Ne se demanderaient-ils pas pourquoi il fallait toujours faire appel à quelqu'un de l'extérieur alors qu'ils auraient pu faire le travail eux-mêmes? Ou, certains réagiraient-ils en se disant, «Un instant, nous n'avons pas été embauchés pour faire cela»?

M. Kelly: Je crois que les réactions seraient partagées. Chaque fois que l'on essaie d'apporter un changement, la tradition canadienne veut que l'on traite les gens avec ménagement. Nous les orientons, nous les consultons et nous les formons. Les temps ont changé, mesdames et messieurs, depuis le 11 septembre, et je considère effectivement qu'il est important d'investir du temps et de l'énergie afin de conscientiser ceux qui font déjà partie de notre Garde côtière, par exemple, à l'éventualité d'une nouvelle orientation.

Le président: En ce qui concerne le ministère des Transports, vous avez mentionné qu'il devrait devenir un ministère dont le rôle consisterait à élaborer des politiques appropriées pour le transport aérien, terrestre et maritime. Vous avez aussi souligné que la composante de la Garde côtière portant sur l'inspection maritime n'a pas été transférée et qu'il s'agit d'une fonction opérationnelle. Pourquoi a-t-on conservé cette fonction au sein de Transports Canada?

M. Kelly: Je l'ignore. Je crois que c'était un après-midi d'été — chaud et humide — mais c'est la question que je me pose et d'autres de mes collègues aussi, parce que jusqu'à ce stade nous étions simplement partis du principe que la Direction générale de la sécurité maritime, qui comprenait le régime d'inspection des navires — qui est de toute évidence une fonction opérationnelle puisqu'il s'agit d'aller à bord de navires et d'inspecter s'ils sont conformes aux normes nationales et internationales — allait être transférée à la Garde côtière et que nous allions être transférés au ministère des Pêches et des Océans, mais ce n'est pas ce qui s'est passé.

Le président: Ces types seraient efficaces pour vérifier les endroits difficiles d'accès d'un navire, les endroits où les membres du comité ne voudraient peut-être pas s'aventurer.

M. Kelly: Je n'ai pas bien compris.

Le président: Les membres du service d'inspection maritime sauraient comment s'y prendre pour inspecter les parties d'un navire, difficiles d'accès.

M. Kelly: Oui.

Le président: Si vous deviez choisir quelqu'un pour trouver de la contrebande à bord d'un navire, les inspecteurs de marine auraient-ils les compétences voulues pour trouver de la contrebande?

M. Kelly: Je crois qu'un ingénieur naval serait le meilleur candidat. Un ingénieur naval connaît l'architecture du navire, la construction du navire et les recoins cachés. Lorsque nous avons travaillé en Haïti — la Garde côtière canadienne en coopération avec la Garde côtière américaine — nous avons aidé à mettre sur pied la Garde côtière haïtienne après le renversement de la junte et le retour du président Aristide. Je me souviens que l'un de nos officiers de la Garde côtière, un officier ingénieur, était en train de donner une séance de formation en français à des francophones — de nouvelles recrues de la Garde côtière haïtienne, concernant la réparation de petits moteurs et de navires — et il y a eu une descente. Bien sûr, la Garde côtière américaine est habituée à ce genre de manœuvre et a procédé à l'arraisonnement et mon collègue était à bord du navire. Lorsqu'ils sont montés à bord, c'est un officier ingénieur naval de la Garde côtière canadienne qui a trouvé le recoin où était cachée la cocaïne. Il a donc été décoré à Washington.

Le président: Est-ce que je dénaturerais vos paroles en disant que le service d'inspection de marine cadre toujours avec le travail de la Garde côtière et sur le plan organisationnel, considérez-vous qu'il soit logique qu'il se joigne à la Garde côtière?

M. Kelly: Je suis maintenant en dehors de tout cela, mais je n'ai jamais compris pourquoi cela avait été fait au départ. Une loi a été adoptée pour tenir compte des changements dont nous avons discuté ici. Cependant, effectivement, je considère qu'il s'agit d'un élément de la Garde côtière. C'est l'opinion que j'avais à l'époque et je suis toujours du même avis.

Le président: Est-ce parce que ce service cadre particulièrement bien avec le travail de la Garde côtière?

M. Kelly: C'est parce qu'il se compose de marins et de personnel breveté. Vous constaterez qu'au service de sécurité maritime de Transports Canada, un grand nombre des employés sont des diplômés du Collège de la Garde côtière dont nous avons parlé plus tôt, ont servi à bord de navires de la Garde côtière — pas tous, certains d'entre eux proviennent du secteur de la navigation commerciale. Cependant, il me semblait que ce service cadrait bien avec la Garde côtière avant que soient apportés les changements dont nous avons parlé.

Le président: Y a-t-il d'autres fonctions qui cadreraient particulièrement bien avec le travail de la Garde côtière? En ce qui concerne la sécurité portuaire, la sécurité des ports, y a-t-il des fonctions qui ont disparu — la police portuaire, par exemple — ou qui ont été transférées à d'autres organismes et qui pourraient être assumées par une garde côtière nouvelle et améliorée?

M. Kelly: J'ai mentionné dans mes remarques préliminaires la possibilité de passer à d'autres secteurs de programme où la coopération s'impose. La marine ne peut pas tout faire — ni la Garde côtière non plus — et j'ai parlé de la gestion et de la sécurité des ports. La protection de l'environnement est un domaine immense. Lorsqu'en tant que Canadiens nous parlons du Canada, nous parlons de l'immense superficie, pratiquement inimaginable, compte tenu de la longueur de nos côtes.

Il y a d'autres domaines. À titre de simple citoyen, je m'interroge parfois sur notre capacité d'intervenir en cas de catastrophe nationale. Quelle est notre capacité? Les nouvelles télévisées font assez régulièrement état d'ouragans, d'éruptions volcaniques ou d'importants déversements de pétrole et ainsi de suite dans tel ou tel pays. Comment ferions-nous face à une telle catastrophe? Comment procéderions-nous? En sommes-nous capables? Sommes-nous prêts? Pourrions-nous réellement intervenir efficacement pour assurer le confinement et le sauvetage dans le cas d'une catastrophe de cet ordre? Ce sont des considérations qui à mon avis interpellent tous ceux qui s'intéressent à la sécurité.

Si un pays a investi suffisamment et est assez prévoyant pour établir des plans, il sera prêt à intervenir; mais s'il dort aux commandes, cela risque d'être la cause de nombreux accidents et de terribles destructions qui auraient pu être évitées.

Le président: Les actifs de la Garde côtière sont-ils sous-utilisés?

M. Kelly: Il y a quelques années que je ne suis plus à la Garde côtière. J'ai pris ma retraite, mais il m'arrive encore de parler aux membres de la Garde côtière. L'un des commentaires très sérieux que j'entends, c'est l'absence de ressources pour faire le travail qu'elle est censée faire de toute façon. Qu'entend-on par cela? Nous parlons d'environ 100 navires. Il est facile de citer ce chiffre de 100 en parlant de ces navires. Pour maintenir des navires, surtout dans notre climat, dans les latitudes septentrionales où les hivers sont très durs, il faut les remettre en état selon certains calendriers. Pour que cela se fasse, il faut avoir les ressources nécessaires. On peut retarder l'opération. C'est comme retarder la réparation de l'automobile qui se trouve dans l'entrée. On peut la retarder pendant un certain temps, mais alors vous courez un risque. Donc, pour ne pas esquiver la question, et pour aborder selon un aspect avec lequel je suis plus à l'aise et auquel à mon avis il faut donner suite, la Garde côtière n'a peut-être pas le financement suffisant pour maintenir, pour exploiter — sans compter le fait d'assumer des nouvelles responsabilités — les actifs dont elles disposent.

Il s'agit d'une flotte vieillissante. C'est une excellente flotte pour ce qui est de l'état des navires et des ressources disponibles pour les garder en état. Cependant, à ma connaissance, mis à part les navires de la catégorie 1000, aucun plan n'a été établi pour le remplacement des navires. Je ne parle pas d'embarcations de 25 pieds; je parle de navires. Il n'existe aucun plan de ce genre. C'est un problème grave pour les personnes qui servent dans la Garde côtière bien entendu.

Pendant que nous traitons de cette question, je suppose que si nous examinons l'industrie maritime en général au Canada, où sont les chantiers navals qui effectueraient ce genre de travail? Le chantier naval d'Halifax fonctionne toujours, est encore tout à fait opérationnel et accepte les contrats, ainsi de suite. Nous avons un formidable chantier naval à Saint John qui est pour ainsi dire inutilisé. Après le programme des frégates, il y a eu un peu de travail ici et là. On ne peut pas mettre sur pied des chantiers navals du jour au lendemain ni trouver instantanément les personnes possédant les compétences nécessaires pour les exploiter.

Cela ne répond pas à votre question.

Le président: Je pourrais reformuler ma question, monsieur. Lorsqu'un navire de la Garde côtière assure une patrouille, est-il sous-utilisé?

M. Kelly: La Garde côtière est un service polyvalent. C'est une décision qui a été prise il y a un certain nombre d'années à la suite du rapport Osbaldeston. J'ai fait partie du comité de la Garde côtière chargé de cette étude. C'est une décision qui a été prise et je considère qu'il s'agit d'une décision sage dans la mesure où elle peut être gérée de façon pratique, ce qui est d'ailleurs le cas. À ma connaissance, la flotte de la Garde côtière est une flotte polyvalente. Elle comporte le brise-glace. Le Louis St. Laurent a d'autres fonctions que de briser la glace. Le Louis St. Laurent possède d'ailleurs une incroyable capacité lui permettant d'exécuter toutes sortes de missions et de plate-formes, sauf que c'est un très grand navire dont le fonctionnement est coûteux, mais quoi qu'il en soit, il possède cette capacité. Il est assez efficace.

Le président: Monsieur Kelly, au nom du comité, je tiens à vous remercier d'avoir comparu devant nous. Vous nous avez apporté un point de vue très intéressant et enrichissant. Je crois que votre expérience vous a très bien permis de nous aider dans nos études.

La semaine prochaine, nous entendrons des représentants de Transports Canada et le capitaine John Dewar qui nous parlera des garde-côtes. Nous recevrons avec plaisir les commentaires et les demandes de renseignements de la part du public. Vous pouvez visiter notre site Web à l'adresse suivante: www.sen-sec.ca. Nous y affichons les témoignages que nous entendons de même que le calendrier confirmé des audiences. Autrement, vous pouvez communiquer avec le greffier du comité en composant le 1-800-267-7362 pour plus de renseignements ou pour obtenir de l'aide afin de communiquer avec les membres du comité.

Nous poursuivrons à huis clos dans la pièce attenante. La séance est levée.

La séance se poursuit à huis clos.


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