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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 3 - Témoignages du 5 novembre 2002


OTTAWA, le mardi 5 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, qui a été saisi du projet de loi C-5, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, se réunit aujourd'hui à 17 h 45 pour étudier ce projet de loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte et je vous informe que nos délibérations seront consignées au compte rendu, mais qu'elles ne seront ni télévisées ni radiodiffusées.

Nous accueillons aujourd'hui des fonctionnaires d'Environnement Canada venus discuter du projet de loi C-5. Il s'agit de Mme Ruth Wherry, directrice du Bureau de la Loi sur les espèces sauvages en péril (LEP) et de M. Simon Nadeau, conseiller scientifique. Nous recevons également M. David Near, avocat-conseil au ministère de la Justice.

Avant d'entendre nos témoins, le sénateur Watt voudrait déposer, avec l'assentiment des membres, une lettre du ministre de la Justice, ainsi que la réponse de son groupe au ministre. Si vous êtes d'accord pour qu'il dépose ces documents maintenant, ceux-ci seront photocopiés et distribués plus tard aux membres du comité. Cela vous convient- il?

Des voix: Oui.

Le président: Veuillez procéder, sénateur Watt.

Le sénateur Watt: Monsieur le président, ces lettres sont accompagnées de l'ébauche du texte de loi distinct proposé pour la disposition de non-dérogation. Je dépose donc ces documents.

Le président: Je demanderais à la greffière d'en faire des photocopies qu'elle distribuera aux membres du comité ainsi qu'aux autres sénateurs intéressés.

Je laisse maintenant la parole aux témoins pour qu'ils fassent leurs déclarations préliminaires.

Mme Ruth Wherry, directrice du Bureau de la LEP (Loi sur les espèces sauvages en péril), Environnement Canada: Tout le monde a-t-il une copie de la présentation?

Le président: Oui.

Mme Wherry: Permettez-moi de faire un survol rapide du document que vous avez devant vous. Les trois ou quatre premières diapositives donnent une indication du nombre d'espèces en péril au pays, selon les évaluations du COSEPAC, qui gère également les espèces sauvages et leur habitat au Canada.

Tous les ordres de gouvernement protègent la vie sauvage au moyen de mesures législatives, de politiques et de programmes. Le gouvernement fédéral est responsable des espèces aquatiques, des oiseaux migrateurs et des espèces se trouvant sur le territoire domanial. Il s'acquitte de ses responsabilités conformément à différentes lois, comme la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, la Loi sur les espèces sauvages du Canada, la Loi sur les pêches, la Loi sur les parcs nationaux, etc. La gestion de l'habitat se fait également au moyen de lois, de politiques et de programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux. Les zones protégées couvrent 8 p. 100 du territoire canadien. Il y a des parcs, et il existe également des programmes conjoints mis en oeuvre en vertu du Plan nord-américain de gestion de la faune.

La diapositive no 5 expose les principes fondamentaux requis en matière de collaboration et d'intendance. La compétence complexe en matière de gestion de la faune, de l'environnement et des ressources naturelles exige la collaboration entre les ministères fédéraux, les provinces, les territoires et les peuples autochtones.

Les propriétaires fonciers, les utilisateurs des terres et des ressources, entre autres, doivent évidemment faire preuve du même esprit de collaboration à l'égard de la préservation de l'habitat. Il existe une stratégie fédérale en trois étapes pour protéger les espèces en péril: l'Accord pour la protection des espèces en péril, qui unifie les activités des provinces, des territoires et du gouvernement fédéral; le Programme d'intendance complémentaire pour l'habitat, qui encourage les Canadiens à prendre des mesures de conservation pour protéger des espèces dont l'habitat est menacé; et la Loi sur les espèces en péril, qui est le troisième élément de cette stratégie en trois étapes.

Le processus d'élaboration du projet de loi C-5 a nécessité la tenue de plus de 150 séances de consultation partout au pays. Les peuples autochtones ont aussi participé au processus de manière innovatrice. À cela viennent s'ajouter, bien sûr, les nombreuses séances du Comité permanent de l'environnement et du développement durable et les débats tout aussi nombreux tenus à la Chambre des communes.

Une fois adopté, ce projet de loi permettra au Canada de s'acquitter un peu plus de ses engagements en tant que premier pays industrialisé ayant signé la Convention des Nations Unies sur la biodiversité de 1992. Cette loi vise à empêcher la disparition des espèces sauvages menacées et son but ultime consiste à assurer le rétablissement de ces espèces. Elle vaut pour toutes les espèces sauvages, c'est-à-dire les oiseaux, les plantes, les poissons, les mammifères, les insectes, les amphibiens et les reptiles. La loi couvre toutes les espèces sauvages en péril, partout au pays, ainsi que leur habitat essentiel, et elle s'applique à toutes les terres au Canada.

Dans le cadre du projet de loi C-5, les trois ministres responsables sont: le ministre de l'Environnement, qui est le ministre principal responsable de l'administration globale de la LEP, la ministre du Patrimoine canadien, responsable des espèces gérées par l'Agence Parcs Canada et le ministre des Pêches et des Océans, qui a la responsabilité des espèces aquatiques.

Les principaux éléments du projet de loi C-5 comprennent des évaluations des espèces fondées sur des données scientifiques; un processus d'inscription à la liste légale; une protection immédiate des espèces; la planification du rétablissement et de la gestion des espèces menacées; des mesures d'intendance pour protéger l'habitat et des mesures efficaces d'application de la loi. Pour résumer, il faut commencer par définir quelles sont les espèces en péril au moyen d'évaluations. Nous avons d'ailleurs un organe scientifique investi de cette tâche. Une fois que nous connaissons les espèces menacées, nous assurons leur protection après avoir repéré leur habitat. C'est une façon un peu simple d'expliquer les choses, mais c'est ce qui constitue le fondement de la loi.

Pour garantir la protection immédiate des espèces, il existe des interdictions automatiques contre l'abattage et la destruction de l'habitat des espèces en danger, menacées ou disparues du Canada, que l'on appelle les «espèces fédérales». Il s'agit des espèces aquatiques, des oiseaux migrateurs et de toutes les espèces se trouvant sur le territoire domanial. Les provinces et les territoires ont l'occasion première de protéger toutes les autres espèces figurant sur la liste, ainsi que leur habitat. S'il n'y a pas de dispositions législatives pour protéger ces espèces, il existe, dans la loi, l'approche dite du «filet de sécurité» permettant de faire obstacle à la destruction des espèces et des habitats non protégés par les lois en vigueur dans les provinces et les territoires. Il est également possible d'exercer un pouvoir d'urgence pour empêcher la destruction de l'habitat essentiel d'espèces inscrites et dont la survie et le rétablissement font face à des menaces imminentes.

Il faut mettre en oeuvre des programmes de rétablissement et des plans d'action obligatoires. Dans le cas des espèces en voie de disparition, menacées ou disparues du Canada, il convient d'élaborer des stratégies de rétablissement dans un délai de une à deux années. Les plans de gestion des espèces particulièrement touchées devront être terminés d'ici trois ans.

Dans la mesure du possible, les programmes de rétablissement et les plans d'action doivent être préparés en collaboration avec les provinces, les territoires, les organisations autochtones, les conseils de gestion de la faune et tous les autres intervenants directement concernés. Ces programmes sont également soumis à une période d'observation du public.

Les programmes de rétablissement présentent l'information scientifique de base; ils permettent de déterminer les menaces à la survie des espèces, de décrire une vaste stratégie et d'adopter un calendrier pour éliminer les menaces. Ils permettent aussi de définir l'habitat essentiel nécessaire à la survie et au rétablissement des espèces. Ces programmes sont mis en oeuvre au moyen de plans d'action qui incluent — si l'habitat essentiel n'a pas été établi — un plan d'intervention, des mesures de protection de l'habitat essentiel et un échéancier de mise en oeuvre. On effectue également une évaluation socio-économique des coûts et des avantages durant la phase de planification. En outre, un rapport ministériel de mise en oeuvre est publié tous les cinq ans.

L'un des fondements de ce projet de loi — la première approche destinée à protéger l'habitat essentiel des espèces — consiste à favoriser les mesures d'intendance et à encourager les actions spontanées. Le projet de loi prévoit des accords de conservation avec tout gouvernement, toute organisation ou toute personne intéressée en vue de créer des mesures de protection des espèces en péril et de leur habitat essentiel, ainsi que pour échafauder et mettre en oeuvre des programmes de rétablissement, des plans d'action et des plans de gestion. Il existe des accords de financement pour aider à assumer le coût des mesures de conservation.

Comme je l'ai fait remarquer, le projet de loi C-5 prévoit la protection de l'habitat essentiel, et l'intendance est l'approche préconisée en matière de protection de cet habitat. De plus, l'habitat essentiel est automatiquement protégé dans les parcs nationaux, les sanctuaires d'oiseaux migrateurs et les réserves nationales de faune, dès l'instant qu'on définit cet habitat comme étant essentiel dans un programme de rétablissement ou un plan d'action. Je crois qu'il faut peu de temps pour mettre en branle le processus, et c'est automatique pour la protection de l'habitat essentiel.

Pour les autres habitats essentiels se trouvant sur le territoire domanial ou pour les espèces aquatiques, les interdictions de destruction doivent s'appliquer dans un délai de 180 jours si ces habitats ne sont pas protégés en vertu d'autres lois fédérales ou d'accords d'intendance. En d'autres termes, si les efforts visant à établir des accords d'intendance pour protéger l'habitat essentiel n'aboutissent pas, on peut prendre des mesures de dernier recours. Si dans un délai de 180 jours rien n'a été fait, on dicte des mesures de protection obligatoire, comme le prévoit la loi.

La loi exige par ailleurs que le ministre indique, dans le registre des documents, les mesures prises pour assurer la protection de l'habitat, et ce, dans un délai de 180 jours après qu'on a défini cet habitat comme étant essentiel dans un programme de rétablissement ou un plan d'action. Le ministre doit continuer de faire rapport, tous les 180 jours suivants, jusqu'à ce que l'habitat soit effectivement protégé.

S'il devient nécessaire de prendre des mesures d'interdiction pour protéger les habitats essentiels à cause de l'échec de l'approche volontaire, le projet de loi prévoit une indemnisation. Ces dispositions s'appliqueraient. Je veux parler des interdictions, des décrets ou des mesures d'urgence que nous prendrions pour protéger ces habitats.

Le projet de loi C-5 prévoit une compensation juste et raisonnable. Comme l'a dit le ministre, l'indemnisation découlant de restrictions applicables à l'utilisation des terres est un problème complexe, et ce n'est qu'au terme de plusieurs années d'application de la loi que nous pourrons tirer des conclusions. Il nous faudra du temps avant d'être capables d'établir une réglementation globale et détaillée concernant l'intendance, les programmes de rétablissement et les questions d'indemnisation. Agir avant d'avoir toute l'expérience requise nous fait courir le risque d'écarter peut-être quelqu'un qui aurait pu bénéficier de cette indemnisation. En outre, la première et la principale approche visée touche l'intendance. Nous aimerions vraiment qu'elle porte fruit. Comme je l'ai dit, nous avons besoin d'acquérir de l'expérience en la matière.

En attendant, il n'y aura pas de vide en matière d'indemnisation. Nous travaillons à l'élaboration d'un règlement général. Celui-ci sera prêt dès que la loi sera adoptée. Ce règlement général interdira les procédures permettant à quiconque de faire des demandes d'indemnisation. Dans le cadre des interdictions relatives à la destruction de l'habitat essentiel, il est possible de présenter des demandes d'indemnisation. Une fois le règlement en vigueur, nous examinerons ces demandes au cas par cas.

Le projet de loi prévoit également l'examen des projets. Les évaluations environnementales des projets requises par une loi du Parlement devront tenir compte des effets de ces projets sur les espèces inscrites et sur leur habitat essentiel. Il faudra prendre des mesures pour éviter ou atténuer ces effets et pour surveiller les résultats.

Si le projet de loi est adopté, il conviendra de faire un amendement corrélatif à la définition des effets environnementaux dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale pour qu'elle comprenne une espèce inscrite, son habitat essentiel ou sa résidence telle que définie dans la LEP.

On devra également tenir compte de la participation du public et des interventions des citoyens. Le processus sera très ouvert et transparent. Presque tous les documents référencés dans le projet de loi devront être inclus dans le registre public des documents.

Les citoyens ont le droit de demander l'évaluation d'une espèce par le COSEPAC, de commenter les programmes de rétablissement, les plans d'action et les plans de gestion proposés avant leur approbation, et de demander qu'une enquête soit faite sur une infraction reprochée au titre de la loi.

Il existe également des dispositions d'application de la loi. L'approche retenue est semblable à celle d'autres lois environnementales fédérales qui prévoient des infractions de responsabilité stricte et une défense basée sur la diligence raisonnable. L'application de la loi se fera en étroite collaboration avec les autres organismes d'application de la loi au pays.

Le sénateur Baker: Si je comprends bien, on parle d'indemnisation aux articles 58, 60 et 61. Est-ce exact?

Mme Wherry: Oui, 58, 60, 61 et dans le décret d'urgence.

Le sénateur Baker: L'article 58 traite de l'indemnisation pour la protection des espèces en voie de disparition ou menacées sur le territoire domanial ou à l'extérieur de ce territoire s'il s'agit d'espèces aquatiques. Qu'entendez-vous par-là? Je parle de l'article 58. Autrement dit, cela couvrirait-il aussi les espèces de poissons et les frayères dans l'océan?

Mme Wherry: Je propose que nous demandions aux fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans et de Parcs Canada de répondre à ces questions. Pour ma part, je dirais qu'il arrive que l'habitat essentiel d'espèces aquatiques ou vivant en eau douce se trouve sur des terres privées.

M. David Near, avocat-conseil, ministère de la Justice: L'article 58 porte sur la définition des espèces aquatiques. L'expression «espèces aquatiques» définie dans cette loi désigne ce à quoi fait référence la Loi sur les pêches. Dans la mesure où la Loi sur les pêches couvre cet aspect, la réponse est oui.

Le sénateur Baker: En d'autres termes, l'article 58 interdirait la destruction de l'habitat essentiel de toutes les espèces en danger ou menacées sur le territoire domanial, incluant l'océan, au-delà de la limite de trois ou des dix milles? À quoi s'appliquerait la loi fédérale dans ce cas?

M. Near: Je ne vois pas exactement de quelle zone des trois ou des dix milles vous voulez parler.

Sauf votre respect, je pense que cela relève de la compétence fédérale, comme le stipule la Loi sur les océans qui définit les termes: «eaux intérieures, mers territoriales du Canada et ZEE». En outre, on en a déjà parlé la semaine dernière et je pense que cela fait également référence à la plate-forme continentale.

Le sénateur Baker: Je ne suis pas sûr qu'on s'entend sur la définition de «au-delà de la ZEE», c'est-à-dire de tout ce qui est en dehors de la zone des 200 milles.

Avez-vous eu la possibilité de consulter les documents faisant référence à la dernière séance de notre comité au sujet de la déclaration unilatérale du gouvernement à propos de ce texte de loi?

M. Near: Oui et j'ai même consulté les experts. Ces derniers m'ont assuré que l'article 4 de la loi pourrait s'appliquer aux espèces sédentaires de la plate-forme continentale, dont certaines se trouvent dans la zone des 200 milles.

Le sénateur Baker: L'ancien premier ministre de la Nouvelle-Écosse serait intéressé d'entendre ce que vous venez de dire.

Le sénateur Buchanan: La plate-forme continentale de Nouvelle-Écosse nous appartient.

Le sénateur Baker: Honorables sénateurs, la Nouvelle-Écosse a adopté une loi selon laquelle la plate-forme continentale et ses extensions lui appartiennent dans la mesure où elles offrent un potentiel d'exploitation, comme pour la laisse de basse mer en Afrique.

Le sénateur Buchanan: Un grand premier ministre a réussi à faire adopter cette loi.

Le sénateur Baker: Effectivement, et c'était toute une loi. J'aimerais vraiment que le gouvernement fédéral fasse preuve d'autant de compétence et de créativité.

Le sénateur Buchanan: Je ne sais pas jusqu'à quel point c'est légal, mais c'est passé.

Le sénateur Baker: Chers sénateurs, pour en revenir à la question, je considère que c'est un point important car il me semble que ce serait la première fois, si la loi entre en vigueur, que le gouvernement fédéral devrait verser des indemnités pour protéger des espèces menacées ou en danger se trouvant dans ce que l'on appelle «le territoire domanial».

Vous faisiez référence aux espèces sédentaires, n'est-ce pas?

M. Near: Oui.

Le sénateur Baker: Dans la loi, c'est défini comme étant sous le plancher océanique ou fixé au fond de l'océan. Ainsi, vous dites que tout ce qui se trouve sur la plate-forme continentale, même à l'extérieur de la zone des 200 milles — et vous le spécifiez —, serait couvert par le projet de loi. En d'autres termes, seriez-vous prêt à dire, en tant qu'éminent juriste, que vous pourriez contrôler la destruction ou le déplacement du sol sur le plancher océanique, au-delà de la limite des 200 milles, y compris des zones comme le Bonnet Flamand, les Grands Bancs et toute autre partie du plancher océanique qui s'étend au-delà de la limite des 200 milles?

M. Near: Le projet de loi proposé permettrait de protéger les espèces sédentaires inscrites sur la liste et se trouvant dans ces régions, à condition que ces dernières fassent partie de la plate-forme continentale.

Le sénateur Baker: Elles font partie de la plate-forme continentale et de ses extensions.

Le gouvernement canadien a effectué des tests pour déterminer la composition de la roche, et un capitaine du Bonnet Flamand a découvert que c'était en fait une partie qui s'était détachée de la plate-forme continentale. Cette région de la plate-forme continentale, qui s'étend jusqu'au Nord, contourne le Nunavut, va au-delà des Territoires du Nord-Ouest et de la côte Est jusqu'au nord de la Colombie-Britannique, couvre une superficie équivalente à celle des trois provinces des Prairies réunies.

S'agissant du plancher océanique et des espèces sédentaires qu'on y trouve, c'est toute une région sur laquelle vous avez décidé d'avoir compétence. Je suppose qu'il s'agit de votre définition.

Croyez-vous qu'en vertu de cette loi, vous pourriez mettre un terme à l'exercice — jugé destructif — fait par les 17 pays étrangers qui possèdent maintenant des droits de pêche dans ces secteurs? Nous savons que tous draguent le plancher océanique. Si les poissons ainsi que les mollusques et crustacés qui vivent sous ou sur la surface du plancher océanique sont en péril une fois la loi adoptée, pensez-vous que ce projet de loi permettra au gouvernement fédéral de mettre fin aux activités de pêche des 17 pays étrangers dans cette région si ces derniers continuent ainsi à détruire des espèces que vous qualifiez d'espèces menacées ou en voie de disparition?

M. Near: Autant que je sache, le ministre des Pêches doit délivrer un permis aux personnes susceptibles de pêcher sur la plate-forme continentale, même dans les secteurs à l'extérieur de la limite de 200 milles. Le ministre doit, par ailleurs, tenir compte du fait qu'une espèce est inscrite sur la liste des espèces en voie de disparition avant de délivrer ces permis.

Le sénateur Baker: J'aimerais apporter une correction. Ce n'est pas le ministre des Pêches qui délivre les permis de pêche, mais plutôt l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest. En fait, il ne délivre pas les permis de pêche en tant que tels, mais autorise les jours de pêche, comme le sait bien le premier ministre. Dans l'Est, le fait que le gouvernement fédéral n'ait absolument aucun contrôle, qu'il ne représente qu'un seul pays sur 17 et qu'une destruction massive de nos ressources halieutiques se produise sur notre plate-forme continentale au-delà de la zone de 200 milles, est une question assez litigieuse. Vous avez absolument raison, nous contrôlons la pêche effectuée par les pays étrangers à l'intérieur de la zone de 200 milles, puisque nous les autorisons à pêcher six espèces de poisson à l'intérieur de cette zone. Au large de Halifax, la zone est de 80 milles.

Si j'ai bien compris, vous dites au comité qu'en vertu de ce projet de loi, le gouvernement fédéral pourra mettre un terme à la destruction du plancher océanique causée par ces 17 pays. S'il se trouve des espèces menacées ou en voie de disparition sous ou sur la surface de ce plancher, le projet de loi pourra permettre au gouvernement fédéral de le faire également au-delà de la limite de 200 milles. Je suis quasiment sûr qu'aucun autre pays du monde n'a pris une telle décision unilatéralement. Tous se sont adressés aux Nations Unies et ont suivi le processus de ratification de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, que nous n'avons toujours pas ratifiée par des mesures législatives.

M. Near: La meilleure réponse que je puisse vous donner, c'est que le projet de loi permettra au gouvernement fédéral de protéger une espèce menacée ou en voie de disparition inscrite dont l'habitat est qualifié d'essentiel en vertu d'un programme de rétablissement ou d'un plan d'action, s'il se trouve en partie sur la plate-forme continentale, telle que définie dans le projet de loi.

Le sénateur Baker: Très bonne réponse juridique. Merci.

Le sénateur Buchanan: Je ne veux pas contredire le sénateur Baker, mais nous avons adopté la loi, qui d'après nous est valable au plan constitutionnel. Avant la Confédération, la colonie de la Nouvelle-Écosse représentait une masse continentale qui s'étendait vers le large sur 40 lieues marines de la plate-forme continentale, comprenant la grande île de Sable. Une question litigieuse pourrait se poser; en effet, le gouvernement fédéral a toujours affirmé avoir compétence sur l'île de Sable, alors qu'en réalité, ce n'est pas le cas. Conformément à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le gouvernement fédéral a compétence sur l'île de Sable en tant que bureau de poste, base militaire ou phare. On a toujours considéré que la masse continentale faisait partie de la Nouvelle-Écosse puisqu'elle a été intégrée dans cette province à l'époque de la Confédération. C'est inscrit en toutes lettres: «ainsi que l'île de Sable.» Même le défunt premier ministre Pierre Trudeau en 1982 a reconnu à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, lors du Conseil des premiers ministres des Maritimes, que l'île de Sable faisait partie de la Nouvelle-Écosse. Il m'a même dit à cette occasion que si je voulais quitter la politique, il me nommerait gouverneur général de l'île de Sable. J'ai refusé.

Le sénateur Milne: Je me demande bien pourquoi.

Le sénateur Buchanan: C'est parce que j'ai remporté une autre élection tout de suite après.

Sérieusement, la plate-forme continentale est incluse. Vous avez absolument raison. Dans l'Accord Canada- Nouvelle-Écosse sur les ressources pétrolières offshore, qui a été négocié avec le gouvernement fédéral, ce dernier reconnaît que toutes les ressources pétrolières et gazières de la plate-forme continentale, s'étendant sur 40 lieux marines vers le large, y compris la grande île de Sable, relèvent de la compétence du gouvernement de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Baker: Monsieur le président, il n'a pas parlé des extensions qui vont jusqu'à la côte de l'Afrique.

Le sénateur Buchanan: Il en est question ici.

Le président: Je crois que la meilleure solution serait de trouver un point à mi-chemin des deux grands continents.

Sénateurs, nous avons commencé tard et je ne voudrais pas garder les témoins trop longtemps. Des questions très importantes sont à l'ordre du jour après ce témoignage et nous devons absolument les régler aujourd'hui.

J'aimerais que la discussion progresse assez vite, puisque nous aurons environ trois quarts d'heure de travail relativement difficile après le départ des témoins.

Le sénateur Milne: Vous avez expliqué aujourd'hui que vous ne pouviez pas prendre de règlements avant d'acquérir de l'expérience. Je ne vois pas de problème, mais vous avez ensuite dit que vous étiez en train de travailler sur des règlements généraux. Seront-ils en place dès l'adoption de ce projet de loi?

Mme Wherry: Peu de temps après.

Le sénateur Milne: C'est bien de prendre des règlements généraux, mais c'est une piètre consolation pour les agriculteurs, car ce sont eux, essentiellement, qui en subiront les conséquences.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de la nature de l'indemnisation proposée pour apaiser la crainte des agriculteurs d'être les grands perdants dans toute cette affaire? Serait-il possible que le comité puisse examiner ces règlements?

Mme Wherry: Il est important de souligner que si les outils d'intendance fonctionnent comme ils le doivent, nous n'aurons peut-être pas à accorder d'indemnisation. Plus simplement dit, si nous devons verser des indemnités, c'est que nous n'aurons pas en quelque sorte réussi à travailler ensemble pour protéger les espèces.

Le sénateur Milne: C'est tout à fait vrai, mais c'est sans aucun doute ce qui va se passer.

Mme Wherry: Si cela arrive, les règlements généraux d'indemnisation seront prêts peu de temps après la promulgation de la loi si bien que les personnes visées auront le droit de présenter des demandes d'indemnisation. Le projet de loi prévoit que le ministre peut agir de la sorte conformément aux règlements; il faut donc que des règlements existent. Ils expliqueront simplement la procédure à suivre pour présenter de telles demandes. Ces règlements ne seront pas beaucoup plus compliqués.

Le président: Ma question fait suite à celle du sénateur Milne. Quelle serait la date à laquelle les règlements généraux devraient en principe être prêts?

Mme Wherry: Ce serait peu de temps après l'adoption du projet de loi.

Le président: C'est quelque peu incertain. Quand croyez-vous que les règlements pourront être examinés?

Mme Wherry: Je n'ai pas de date précise dans mes documents ni en tête. Nous avons l'intention de travailler avec toutes les parties concernées afin que les règlements généraux d'indemnisation puissent être promulgués immédiatement après la promulgation de la loi. En fait, nous allons consulter les gens au sujet du contenu du projet de loi avant la promulgation de la loi.

Le président: Je suis désolé d'avoir à insister, mais nous ne savons pas quand la loi sera promulguée. Spontanément, diriez-vous d'ici quelques semaines, quelques mois ou quelques jours?

Mme Wherry: Vous voulez dire après la promulgation?

Le président: Non, à partir d'aujourd'hui. Il ne suffit pas de deviner la teneur des règlements généraux pour adopter le projet de loi.

Le sénateur Kenny: Sont-ils déjà rédigés?

Le président: Existent-ils? Quand pourrons-nous les examiner, indépendamment de la date de promulgation du projet de loi?

Mme Wherry: Nous n'avons pas pour l'instant d'ébauche du règlement général d'indemnisation. Comme je l'ai dit, nous y travaillons et nous pourrons certainement vous donner plus de détails à ce sujet.

Le président: Nous ferez-vous savoir quand, selon vous, ils pourraient être prêts?

Mme Wherry: Oui.

Le sénateur Milne: Toujours dans le même ordre d'idées, vous parlez de principes justes et équitables. De quels principes s'agit-il si on refuse à quelqu'un d'utiliser une partie de sa propriété? La valeur marchande de la propriété sera-t-elle prise en considération?

Mme Wherry: Je vais demander à M. Near de répondre à cette question. Toutefois, j'aimerais souligner qu'en ce qui concerne la possibilité de définir ou non, en droit, ce qui est juste et équitable, ou d'indiquer la manière dont un tribunal interpréterait ces termes, il ne faut pas oublier que l'on parle ici de restrictions quant à l'utilisation des terres et non d'expropriation. S'il était question d'expropriation, on utiliserait alors des expressions telles que «juste valeur marchande.»

Le sénateur Milne: Si les propriétaires ne peuvent plus exploiter leurs terres en raison de l'imposition de certaines restrictions, ils n'en deviennent que les intendants. Il est donc peut-être bon de partir du principe de juste valeur marchande.

Mme Wherry: Il est peu probable que ces restrictions s'appliquent à l'ensemble des terres d'un propriétaire, mais plutôt à une petite partie. Par exemple, on pourrait demander à un agriculteur de faire paître son bétail sur une terre en particulier pendant trois mois de l'année. C'est ce genre de situation qui semble le plus probable.

Je ferais remarquer que si l'on en venait à l'expropriation, c'est la Loi sur l'expropriation qui serait invoquée.

Le sénateur Milne: Je le sais.

Mme Wherry: Je ne dis pas que l'on ne se servirait pas de la juste valeur marchande si l'on devait prendre de telles mesures compte tenu de la situation.

Le sénateur Milne: Je crois qu'en vertu de la Loi sur l'expropriation, c'est ce que vous devriez faire.

Toutefois, si vous voulez que l'agriculteur agisse en tant qu'intendant du terrain, vous devriez tout de même lui verser une somme juste et équitable. J'aimerais connaître la définition de l'expression «juste et équitable», étant donné qu'il ne pourrait plus exploiter ces terres de la même façon qu'auparavant et comme source de revenus.

Mme Wherry: Je tiens seulement à préciser que lorsque le concept d'intendance a été mis à l'essai, les efforts que vous avez déployés dans ce sens doivent de nouveau l'être à cette étape-ci.

M. Near: Il importe de comprendre que c'est au terme d'un processus suivi dans le cadre d'un programme de rétablissement ou d'un plan d'action ou, dans de très rares circonstances, en cas de situation d'urgence, que l'on peut définir ce qu'est l'habitat essentiel.

Ensuite, il s'agit de communiquer directement avec le propriétaire visé et de voir s'il est possible d'arriver à un accord de conservation afin qu'il puisse être dédommagé, en application d'un accord d'intendance, sans avoir à invoquer le filet de sécurité ou toute autre mesure plus rigide du projet de loi.

Si, comme vous le dites, cela ne fonctionne pas et, pour reprendre votre exemple, qu'aucune entente en matière d'indemnisation n'intervient dans le cas d'un propriétaire de 2 000 acres de terres et qu'on lui demande de retirer 100 acres de la production, on pourrait — nous dit-on — calculer le pourcentage que représentent ces 100 acres par rapport à la superficie totale de 2000 acres, et arriver ainsi à un chiffre juste et équitable.

Le sénateur Milne: Dois-je comprendre d'après ce que vous avez dit pour commencer que même si aucune partie des terres n'est retirée de la production, mais que le propriétaire joue le rôle d'intendant de ces terres, vous lui accordez tout de même une indemnisation? Je crois bien que c'est ce que vous avez dit.

M. Near: Non, il faudrait qu'il ait subi une perte que l'on puisse calculer afin d'arriver à un montant d'indemnisation.

Le président: Le projet de loi prévoit le versement d'indemnités en cas de perte démontrable, ce qui est équitable.

Le sénateur Kenny: Il n'est pas question de générosité sans bornes dans le projet de loi.

Vous semblez être de bonne foi, mais vous pourriez en effrayer plus d'un avec un tel projet de loi. La responsabilité de prouver la valeur équitable doit bien incomber à quelqu'un. Par exemple, même si vous ne voulez que 10 acres d'un terrain de 100 acres, il est possible qu'en fait, la parcelle éliminée représente bien plus que 10 p. 100 de la superficie totale. Je n'y vois aucune générosité. En fait, nous sommes économes et protégeons l'argent des contribuables, ce qui est aussi important. Nous ne sommes peut-être pas disposés à aider quelqu'un qui traverse une période difficile.

Celui qui doit démontrer la juste valeur marchande ne va probablement pas dépenser beaucoup d'argent pour ce faire et va certainement perdre de précieuses heures de sommeil en essayant de trouver des arguments susceptibles de lui permettre de protéger son investissement, afin de continuer à vivre comme il l'avait prévu, avant que d'autres n'interviennent pour souligner un problème. Comment régleriez-vous une telle situation?

Mme Wherry: J'aimerais ajouter, une fois de plus, que le programme de rétablissement vise à réunir toutes les personnes touchées lorsque nous examinons la question du rétablissement, identifions les habitats essentiels, évaluons les diverses options, les facteurs socio-économiques, etc. C'est à ce stade que serait défini le coût des activités nuisibles à l'habitat essentiel.

Le sénateur Kenny: Combien vont recevoir ces gens? Quelle somme va recevoir un agriculteur — qui perd ses terres — pour discuter avec vous? Donne-t-il de son temps, alors qu'il pourrait le consacrer aux travaux de la ferme? Croyez- vous qu'il va vous faire cadeau de son temps pour participer à ces négociations, ou allez-vous reconnaître que son temps est précieux et que vous l'éloignez de sa ferme lorsque vous lui demandez de venir discuter avec vous de questions qui sont très importantes pour lui? Allez-vous lui verser une indemnité, du fait qu'il aurait pu faire autre chose de rentable?

Mme Wherry: La loi vise essentiellement la protection des espèces menacées et de l'habitat essentiel. Il s'agit d'un bien public, et nous travaillons tous en vue de protéger le bien public. Ce n'est pas la réponse. Ce n'est pas le but ultime, mais seulement un petit rappel: nous travaillons tous pour le bien public.

Comme je l'ai dit, nous travaillons ensemble à l'étape du programme de rétablissement pour essayer de calculer les coûts socio-économiques et les coûts supportés par les personnes visées, même si vos remarques au sujet du temps sont pertinentes.

Le sénateur Kenny: Pourront-ils envoyer un reçu aux fins d'impôt pour le temps perdu?

Mme Wherry: J'ajouterais simplement que nous avons eu recours aux services de trois ou quatre experts ces dernières années pour qu'ils nous aident à définir le côté indemnisation. Nous avons consulté des experts de l'évaluation foncière, laquelle fondamentale en ce qui concerne les questions que vous posez. Les trois experts que nous avons consultés nous ont dit que les modalités en place sont bien définies, qu'il s'agisse de juste valeur marchande ou autre, en matière de restrictions imposées quant à l'utilisation des terres à certaines périodes de l'année pour des activités particulières. Ils nous ont certifié qu'il existe des usages établis à cet égard.

Ces espèces d'experts et d'évaluateurs apporteraient une aide à l'étape du rétablissement. C'est plus logique de régler cela à l'étape de rétablissement avec les gens touchés et d'essayer d'obtenir leur coopération avec une approche volontaire, plutôt que d'intervenir avec des interdictions, pour devoir ensuite verser une indemnité.

Le président: Est-ce qu'il y a quelqu'un qui envisage la solution monétaire pour encourager la conclusion d'une entente négociée?

Mme Wherry: Nous avons le programme de gérance de l'habitat, qui a actuellement un budget de 45 millions de dollars sur cinq ans.

Le sénateur Kenny: Disons les choses telles qu'elles sont, les représentants qui y ont participé seront payés. Leurs frais seront remboursés. Aucun de vous n'irait faire cela gratuitement, même si c'est pour le bien public, et vous êtes des gens dévoués à l'intérêt public.

Pourriez-vous nous parler des études que les évaluateurs vous ont données, qui démontrent qu'il existe une méthode équitable qui n'enlèverait rien à la personne touchée? Nous parlons ici de perturber en profondeur la vie de certains. Nous leur demandons de venir exposer leur situation, mais est-ce que nous leur donnons les moyens de préparer leur dossier?

M. Simon Nadeau, conseiller scientifique, Environnement Canada: Peut-être puis-je ajouter quelque chose à la réponse de Mme Wherry. Le projet de loi exige la planification du rétablissement, et le recensement de l'habitat essentiel en est une composante, mais ce n'est même pas encore le début de la planification du rétablissement. Nous avons environ 12 ans d'expérience, au Canada, en matière de planification du rétablissement, et nous avons fait participer les gens qui ne sont pas, comme vous dites, payés pour assister à ces réunions. Nous n'avons pas de politique claire en ce qui concerne le soutien de ces gens. Cependant, nous avons fait cela de temps à autre, lorsqu'on nous l'a demandé, particulièrement quand nous constatons que la participation entraîne des coûts importants, alors que ce n'est pas leur responsabilité de planifier le rétablissement.

Le projet de loi exigera que nous fassions participer les propriétaires fonciers et les personnes qui pourraient être touchées, à un moment ou un autre, par la mise en oeuvre du rétablissement, alors il nous faudra examiner cette importante question.

Le sénateur Kenny: Ce qui me préoccupe, c'est qu'il y a eu beaucoup de précédents, où le gouvernement a financé des groupes pour qu'ils puissent participer au processus d'élaboration d'une politique. La loi, dans l'abstrait, semble correcte, jusqu'à ce qu'on se mette à la place de quelqu'un qu'elle touche et à qui on demande d'agir dans l'intérêt public.

Je crains qu'au bout du compte, il y ait des gens qui se sentiront tiraillés — pas à cause des représentants officiels qui sont ici — mais simplement parce qu'ils ont affaire à quelqu'un qui applique une loi qui a beaucoup de pouvoir. Nous sommes en voie de déterminer la rigueur et l'approche. Est-ce que nous pourrions les déterminer de manière à favoriser la générosité et l'aide aux personnes dont nous voulons avoir le concours dans cette démarche, plutôt que de simplement affirmer que c'est leur devoir civique?

Le président: Est-ce que vous pourriez rassembler quelques scénarios typiques d'après vous, et nous répondre par l'entremise du greffier au sujet de ce qui pourrait arriver dans ces situations? Ce pourrait être des exemples d'un agriculteur ou du propriétaire d'un terrain boisé dont une part des terres est soustraite à la production, ou dont la production sera quelque peu réduite. Comment cette personne se rendra là où il faut pour négocier avec vous?

Le sénateur Christensen: Il pourrait y avoir des concessions minières.

Le président: Oui, il pourrait y avoir des concessions minières, et d'autres pertes subies qui peuvent être prouvées.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous dire combien d'heures et combien d'argent cela prend pour prouver une perte? Comment pourriez-vous démontrer un facteur négatif?

Le président: Je peux prouver une perte de temps à autre.

Le sénateur Kenny: Si vous ne l'avez pas subie, quelqu'un pourrait ne pas être d'accord avec vous.

Le président: C'est un processus de négociation. Nous demandons une description de ce qui pourrait arriver dans un scénario typique en ce qui concerne cette négociation. Peut-être cela amènera-t-il d'autres questions, mais nous pourrions aussi obtenir réponse à nos questions.

Le sénateur Kenny: Cependant, l'une des parties à la négociation a toutes les ressources du gouvernement fédéral et l'autre partie n'a peut-être que son conjoint ou sa conjointe pour l'appuyer.

Le président: C'est exactement l'objet de ma question. Les témoins, vous comprenez la nature de la question: est-ce que nous désavantagerons quelqu'un à qui cette loi pourrait s'appliquer dans la mesure où cette personne devra défrayer les coûts des négociations et prouver les pertes potentielles, quelles qu'elles soient? Nous aimerions savoir ce que vous en pensez. Nous pourrions vous demander de revenir nous en parler. Si vous pouvez envoyer une réponse à cette question par l'entremise du greffier, je vous en serais reconnaissant.

Le sénateur Cochrane: Avez-vous déjà eu une consultation à l'échelle nationale, avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones?

Mme Wherry: Nous l'avons fait au moment de la rédaction du projet de loi, oui.

Le sénateur Cochrane: Quelle a été la réaction des intervenants? Je m'intéresse particulièrement au secteur forestier, parce que ma province a plusieurs usines de papier. Quelle a été la réaction des gens du secteur, ou ceux dont la subsistance en dépend?

Mme Wherry: La réaction, au fil de neuf années, a varié selon la version du projet de loi mais, en général, ce que nous avons surtout entendu des compagnies forestières et autres, c'est qu'elles voulaient que le projet de loi ait une approche principalement axée sur l'intendance pour protéger l'habitat essentiel, avec un programme complémentaire de gérance de l'habitat et le financement approprié pour encourager cette participation. Elles voulaient aussi vraiment participer au processus de rétablissement, ce que le projet de loi exige. Nous avons entendu ces commentaires à maintes reprises.

Le sénateur Cochrane: Est-ce que l'industrie était réceptive à une approche d'intendance?

Mme Wherry: Elle était très favorable à une approche d'intendance en premier lieu, pour protéger l'habitat essentiel.

Le président: Une carotte plutôt qu'un bâton, pour utiliser l'expression du ministre?

Mme Wherry: Oui, pour commencer.

Le sénateur Watt: J'entamerai mes questions sur le sujet de la participation innovatrice des peuples autochtones. Est-ce que vous arrivez un peu à les convaincre?

Mme Wherry: Pour ce qui est de la préparation de ce projet de loi, la participation des peuples autochtones, leur participation à sa rédaction, nous considérons que c'est tout à fait novateur. Les groupes avec lesquels nous avons travaillé considèrent que c'est sans précédent.

Il y a environ quatre ans, plusieurs organisations autochtones ont assisté à l'un de nos premiers ateliers et, de là, nous avons créé un groupe de travail autochtone sur les espèces en péril. Toutes les organisations autochtones nationales et certaines organisations régionales ont participé à ce groupe de travail autochtone. Il se réunit environ trois fois par année et il a participé à toutes les phases de la préparation du projet de loi. Les avocats des organisations autochtones en ont examiné l'avant-projet. Je ne crois pas que ce soit jamais arrivé auparavant.

M. Near: Il faut l'aval spécifique du Cabinet pour diffuser l'avant-projet d'une loi. Le ministre a demandé et obtenu cette autorisation, ce qui est très inhabituel si ce n'est pour les mesures législatives qui concernent une revendication territoriale particulière. L'avant-projet de loi a été, dans ce cas, présenté aux peuples autochtones et aux provinces avant le dépôt du projet de loi. Je peux personnellement attester d'une réunion où il doit y avoir eu au moins une douzaine de conseillers juridiques de divers groupes autochtones de tout le pays, qui ont épluché l'avant-projet de loi ligne par ligne avant qu'il soit déposé à la Chambre.

Le sénateur Watt: Pendant que je vous pose des questions, n'oubliez pas que je viens du Nord. Je ne suis pas toujours informé de la participation des peuples autochtones, particulièrement de ceux qui vivent dans la région arctique. Je parle du Nunavut et du Nunavik, avec le Labrador.

Ils ont un problème avec quelque chose que le ministère des Pêches et des Océans a déjà eu à traiter. Les gens qui sont venus me voir ont souligné le fait qu'il n'y a pas assez d'information scientifique pour étayer la décision d'inscrire certaines espèces sur la liste des espèces en péril. Par exemple, la question du béluga est en discussion depuis déjà pas mal de temps.

Que pouvez-vous juger satisfaisant lorsqu'il s'agit d'évaluation scientifique des espèces? Je suppose qu'il faudrait des données scientifiques satisfaisantes pour justifier l'inscription de certaines espèces sur la liste des espèces en péril?

M. Nadeau: La loi se fonde sur les travaux du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada pour fournir cet avis scientifique indépendant, à savoir si oui ou non les espèces qu'il évalue sont en péril, menacées ou font l'objet de préoccupations particulières. Dans un cas comme celui du béluga, il me semble que le COSEPAC, d'après l'information qu'il avait au moment de l'examen de la situation de cette espèce, est parvenu à la conclusion qu'elle est en péril. Peut-être devrions-nous poser la question aux représentants du MPO au sujet de ce cas particulier, mais c'est le processus sur lequel est fondée la Loi sur les espèces en péril.

Le président: D'après ce que nous avons compris, une consultation des Autochtones est aussi en cours dans ce groupe particulier. Ont-ils été consultés au sujet du béluga?

M. Nadeau: Je ne pourrais pas répondre à cette question.

Le sénateur Watt: Monsieur le président, je crois que non seulement ils ont été consultés, mais ils s'intéressent au sujet depuis déjà plusieurs années maintenant, et ils ne sont toujours pas parvenus au fond de la question parce que les Inuits de l'Arctique disent en fait au ministère des Pêches et des Océans qu'il n'y a pas de données scientifiques pouvant justifier l'inscription du béluga sur la liste des espèces en péril.

Le ministère des Pêches et des Océans a remporté la manche en disant que même s'il y avait suffisamment de données scientifiques, on ne pourrait pas le faire de toute façon. Le feu vert doit être partiellement sanctionné par les Inuits, mais la question de l'indemnisation s'est posé. Ceci m'amène à une question similaire à celle qu'a posée le sénateur Milne au sujet de l'indemnisation. Elle a demandé ce que vous comptiez faire en matière d'indemnisation. Je vous poserai la même question, mais en rapport avec une espèce en particulier et non pas avec le territoire.

Disons qu'une espèce est inscrite sur la liste des espèces en péril, et que cette espèce fait toujours, de nos jours, partie des moyens de subsistance du peuple. C'est leur pain et leur beurre. Lorsqu'on leur enlève ceci, comment le principe d'intendance dont vous avez parlé, selon lequel deux parties conviennent de certaines mesures, peut-il être intégré à cette loi qui est proposée de manière à ce qu'il y ait réellement indemnisation? Vous ne parlez pas d'une solution possible. Peut-être pouvez-vous analyser la situation de telle manière que vous pouvez trouver l'harmonie au bout du compte, mais ce faisant, vous enlevez quelque chose qui est le pain et le beurre du peuple.

Par exemple, monsieur le président, cette pratique se fait déjà. Le gouvernement a versé 50 000 $. Ces 50 000 $ étaient censés équiper les chasseurs pour qu'ils puissent aller assez loin. Les autorités de la collectivité se sont réunies pour décider quoi faire de ces 50 000 $. Cela ne suffira même pas à leur permettre d'aller là où on veut qu'ils aillent. Ce n'est pas assez d'argent. Ils ont utilisé ces 50 000 $ pour acheter la peau des bélugas de Rankin Inlet.

Je crois que nous aurions intérêt à faire attention à ce sujet, parce que, dans un sens, les mesures que vous prenez pour aider certains ont des répercussions sur l'économie d'autres collectivités.

Je voudrais m'assurer, monsieur le président, que ce soit clairement tenu en compte parce que les gens du Nord savent que, quoi qu'ils disent, ce projet de loi sera adopté. Le seul recours qui nous est accessible est de demander comment nos besoins seront comblés. Si quelque chose nous est retiré, serons-nous indemnisés, et est-ce que l'indemnisation suffira à satisfaire le peuple?

Le président: Est-ce que vous prévoyez que la réponse à ces questions sera dans les règlements? Est-ce que c'est ainsi que la réponse sera donnée?

M. Near: Si je peux répondre à une question au sujet du type de perte, nous avons fait attention, dans le libellé de la partie qui traite d'indemnisation, à ne parler que des pertes. Ce n'est lié à rien en particulier. Il n'est pas nécessaire que ce soit lié au territoire, ou s'il y a une perte reconnaissable attribuable aux répercussions extraordinaires des interdictions liées à l'habitat essentiel, alors, une réclamation peut être faite et le ministre pourrait indemniser.

Je crois que le sénateur a parlé de territoire. C'est une perte. Dans l'une des nombreuses consultations auxquelles j'ai assisté, il y avait quelqu'un qui avait fait l'expérience d'essayer de calculer les pertes, comme la perte de récoltes pour les Autochtones, par exemple. Je ne suis pas expert en matière de calcul de ce genre de perte, mais la loi ne limite pas...

Le sénateur Watt: Si vous voulez aborder la question selon la perspective du calcul des pertes, alors c'est l'une des principales responsabilités dont nous avons traité dans nos ententes modernes relatives aux revendications territoriales. En réalité, nous avons effectivement la responsabilité de favoriser la gérance, avec le gouvernement fédéral, si c'est de juridiction fédérale. Si la question relève de l'autorité provinciale, nous avons aussi une entente de cogestion avec les autorités du gouvernement provincial. Je parle des gens qui vivent au Nunavik et au Nunavut. Malheureusement, le Labrador n'a encore rien de tel. Ils n'ont pas encore résolu leurs revendications territoriales.

Le président: Lorsque vous préparerez ces scénarios, pourriez-vous ajouter cette question à la liste? J'aimerais savoir l'ampleur de la perte, non pas en matière d'habitat, dont nous parlions plus tôt, mais la perte réelle d'accès pour les animaux ou autre chose qui pourrait être récolté ou capturé, que ce soit de la flore ou de la faune, par les peuples autochtones et la façon dont vous prévoyez que le règlement pourrait régler ces questions.

Le sénateur Baker: Monsieur le président, j'aimerais m'assurer que les témoins comprennent ce que vous dites. Le paragraphe 64(2) de ce projet de loi parle des règlements qui définiront ce qui sera couvert et les diverses subtilités de l'indemnisation que le gouverneur en conseil devra définir.

Ce que le président demande, c'est si nous pourrions voir ces règlements avant l'adoption du projet de loi. Nous savons que vous préparez les règlements avant l'adoption du projet de loi. Est-ce que vous préparez des résumés d'étude d'impact de la réglementation avant la promulgation d'un projet de loi? Autrement dit, ce que le président vous demande est très important. Si nous pouvions examiner les règlements qui sont proposés, nous saurions ce qu'il y a dans le projet de loi. Actuellement, nous ne le savons pas.

Le sénateur Watt a demandé si quelqu'un peut être indemnisé si, disons, les baleines bleues étaient déclarées une espèce en péril. Si on ne peut pas chasser les baleines bleues dans le Nord à cause d'un règlement, comme dans le cas du filet, des gens perdraient des revenus. Est-ce que ce sera prévu, à coup sûr, dans les dispositions relatives à l'indemnisation?

Mme Wherry: Je suis un peu confuse. Si vous demandez les règlements détaillés en matière d'indemnisation, nous ne les aurons pas formulés avant d'avoir eu plusieurs années d'expérience. C'est ce que nous entendons par des règlements détaillés relatifs à l'indemnisation.

Le président: Je peux le comprendre. Par contre, il y aura un règlement cadre qui définira le processus par lequel ce régime évoluera. N'est-ce pas?

M. Near: Je ne peux que parler de mon expérience. Ce n'est pas toujours le cas, les règlements ne sont pas toujours prêts lorsqu'un projet de loi est adopté. Parfois, lorsque des règlements sont nécessaires pour l'entrée en vigueur du projet de loi, de toute évidence, ces règlements doivent être prêts.

Les honorables sénateurs ont fait la distinction entre les règlements généraux relatifs au processus et la manière dont quelqu'un peut demander une indemnité au ministre. Des travaux préliminaires ont été entrepris relativement à ces règlements, cependant, je n'ai certainement pas entendu dire qu'ils soient prêts d'être terminés.

Le président: Est-ce que dans ces travaux préliminaires, on envisage l'éventualité de la perte de flore et de faune en rapport avec les gens qui vivent en partie de leur récolte, par opposition à une indemnité pour la perte de productivité des terres dans les secteurs agricoles ou miniers?

M. Near: Comme je l'ai dit plus tôt, la loi n'est pas limitée à la perte du territoire. Les types de pertes sont assez variés pour que quelqu'un s'adresse au ministre pour en obtenir une éventuelle indemnité.

Mme Wherry: Il peut y avoir une certaine confusion dans la question qui est posée. L'indemnisation n'entre en jeu que lorsqu'il y a interdiction de destruction d'habitat essentiel ou s'il y a décret d'urgence pour protéger l'habitat essentiel. La question qui est posée, c'est s'il y aurait indemnisation si quelqu'un se faisait interdire de tuer une espèce particulière. Si c'est la question que vous posez, alors la question serait «Non, l'indemnisation est pour la protection de l'habitat essentiel».

D'après moi, M. Near essayait d'expliquer que si l'activité susceptible de détruire un habitat essentiel est liée à l'exploitation d'une espèce particulière dans l'aire précise où situé cet habitat, ce qui ne devrait pas se faire, l'interdiction et l'indemnisation afférentes entrent en vigueur. Toutefois, si l'on parle des articles généraux 32 à 34 de la mesure, selon lesquels il est interdit d'abattre une espèce en particulier, les dispositions concernant l'indemnisation ne s'appliquent pas.

Le sénateur Watt: Comment appelle-t-on l'habitat où les bélugas vont pour faire peau neuve? Il y a certains endroits précis, notamment la baie d'Ungava et la baie d'Hudson où ces baleines se rendent à cette fin. À l'heure actuelle, il est interdit de pêcher les baleines dans certains endroits habituellement fréquentés par les bélugas. Je ne suis pas certain qu'on pourrait appeler ça l'habitat du béluga.

M. Nadeau: La protection de l'habitat essentiel comporte deux aspects. Premièrement, il est nécessaire que l'aire essentielle à la survie et au rétablissement de l'espèce soit identifiée. Nous devons subséquemment établir quelles sont les activités susceptibles de détruire l'habitat essentiel. Ce n'est pas parce que l'habitat essentiel couvre une aire donnée que toutes les activités y seront interdites. Nous devons être convaincus ou faire la preuve que ces activités provoqueront la destruction de l'habitat essentiel.

Il se peut que toutes les activités ayant présentement cours dans cette aire puissent continuer. Tout dépend des espèces et des cas. Je ne sais pas ce qu'il en serait pour les bélugas.

Le sénateur Baker: Pour en revenir à ce qu'a dit le sénateur Watt, le paragraphe 64(1) définit l'indemnisation comme suit:

Le ministre peut, en conformité avec les règlements, verser à toute personne une indemnité juste et raisonnable pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires que pourrait avoir l'application:

a) des articles 58, 60 ou 61 [...]

Quant à l'article 60, il stipule:

(1) Si une espèce sauvage est classée comme espèce en voie de disparition ou menacée [...]

Lorsqu'une espèce est classée comme espèce en voie de disparition aux termes de l'article 60, qu'est-ce qui peut empêcher le versement d'une indemnisation conformément au libellé du paragraphe 64(1)?

Monsieur Near, voyez-vous le paragraphe 64(1) portant sur l'indemnisation?

M. Near: Je connais bien le paragraphe 64(1). Les articles 58, 60 et 61 visent la destruction de l'habitat essentiel.

Le sénateur Baker: Je m'excuse, mais ce n'est pas le cas, monsieur. Le paragraphe 60(1) se lit comme suit:

(1) Si une espèce sauvage est classée comme espèce en voie de disparition [...]

On peut voir la ramification de cet article au paragraphe 64(1), qui se lit ainsi:

Le ministre peut, en conformité avec les règlements, verser à toute personne une indemnité juste et raisonnable pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires de l'application [...] de [...] l'article 60 [...]

L'article 60 s'applique lorsqu'une espèce a été classée en voie de disparition ou menacée.

M. Near: Je devrais peut-être parler de l'article 60. Il stipule:

Si une espèce sauvage est classée comme espèce en voie de disparition ou menacée par un ministre provincial ou territorial, il est interdit de détruire un élément de l'habitat de cette espèce se trouvant sur le territoire domanial situé dans la province ou le territoire et désigné par le ministre provincial ou territorial comme nécessaire à la survie et au rétablissement de l'espèce.

C'est la définition d'«habitat essentiel».

L'article 60 autorise le gouvernement à être lié par la législation provinciale en ce qui concerne un habitat essentiel lorsqu'il juge bon de le faire. Cela exige un arrêt du gouverneur en conseil. Autrement, de façon générale, la législation provinciale ne s'appliquerait pas.

Conséquemment, l'article 60 vise un habitat essentiel identifié comme tel par les autorités provinciales dans une loi à laquelle le gouvernement fédéral déciderait de se plier en vertu d'un décret du gouverneur en conseil.

Le sénateur Baker: Vous n'avez toujours pas répondu à la question. La voici: le paragraphe 64(1) précise que le ministre peut verser à toute personne une indemnité pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires que pourrait avoir l'application de l'article 60. Or, l'article 60 stipule que si une espèce sauvage est classée comme espèce en voie de disparition ou menacée, — et ensuite, on passe à l'habitat. Ce qui se passe, c'est qu'une fois que la mesure est prise, le paragraphe 64(1) intervient, et il stipule précisément «[...] verser à toute personne une indemnité juste et raisonnable pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires de l'application [...]» de l'article 60.

Je suis désolé, monsieur le président, mais c'est ainsi que nous interprétons le projet de loi. Nous affirmons tous les deux qu'il s'agit là d'une indemnisation pour les personnes touchées car c'est ainsi que les choses sont formulées.

L'objet de l'article 61 est clairement énoncé: il s'applique si une espèce sauvage a été classée comme espèce en voie de disparition, etc. Lorsqu'on consulte la réglementation, au paragraphe 64(2), il est précisé que le gouverneur en conseil doit déterminer les paramètres et les conditions de l'application de l'article, qui est admissible, etc. Le paragraphe 64(2) n'empêcherait pas le gouverneur en conseil de définir ces personnes comme celles touchées par le classement d'une espèce comme espèce en voie de disparition. Assurément, cela n'empêchera pas le gouverneur en conseil de dire que cet article s'applique uniquement à la destruction de l'habitat et non à une espèce sauvage qui a été classée comme espèce en voie de disparition ou comme espèce menacée.

À votre avis, le ministre pourrait-il verser une indemnité aux personnes touchées, comme cela est précisé ici, non seulement parce qu'il y a eu destruction de l'habitat mais également parce qu'il s'agit d'une espèce classée comme espèce à voie de disparition?

M. Near: Non. Les dispositions des articles 58, 60 et 61, ainsi que le décret d'urgence relatif à l'habitat essentiel, ont tous trait à la destruction de l'habitat essentiel.

Le sénateur Baker: Vous affirmez que ces dispositions portent toutes sur la destruction de l'habitat essentiel, mais ce n'est pas ce que dit le projet de loi. Le paragraphe 64(1) découle de l'article 60, qui prévoit le versement d'une indemnisation raisonnable pour toutes les pertes subies en raison de l'application de l'article 60. Or, l'article 60 s'applique lorsqu'une espèce sauvage est déclarée espèce en voie de disparition, une fois que cette décision a été prise.

M. Near: L'article 60 concrétise l'interdiction visant la destruction de tout habitat essentiel.

Le sénateur Baker: Oui, mais il découle du classement d'une espèce en tant qu'espèce en voie de disparition, comme cela est précisé dans la première phrase.

Vous n'êtes pas d'accord?

M. Near: Non.

Le sénateur Baker: Dans ce cas, nous avons mal interprété le projet de loi, monsieur le président.

Le président: Il nous faut obtenir confirmation. Au lieu d'avoir une discussion juridique maintenant, pourriez-vous rédiger votre opinion, monsieur Near, et nous expliquer pourquoi l'interprétation du sénateur est erronée. Nous voulons savoir précisément ce qu'il en est de l'indemnité versée aux personnes auxquelles on a interdit d'exploiter une espèce quelconque, peu importe qu'elle vive dans un habitat identifié aux termes de la mesure.

Le sénateur Christensen: Merci beaucoup d'être venu. Le gouvernement a réservé 145 millions de dollars pour l'indemnisation des personnes touchées sur une période de cinq ans. Comment est-on arrivé à ce chiffre? Quelles projections a-t-on utilisées pour l'établir? Pensez-vous que cette somme sera suffisante? Sur une période de cinq ans, 145 millions, ce n'est pas beaucoup.

Mme Wherry: C'est en fait 180 millions étalés sur une période de cinq ans, mais ce n'est pas uniquement pour l'indemnisation. Dans son budget 2000, le Canada a prévu 180 millions de dollars sur cinq ans pour la Stratégie nationale et de cette somme, 45 millions ont été réservés au Programme de conservation et de gérance de l'habitat.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons de nombreux succès à notre actif. Nous comptons déjà de nombreuses années d'expérience dans le domaine de la protection et du rétablissement des espèces en péril depuis les années 80. C'est en se fondant sur cette expérience que le gouvernement a établi les chiffres du budget 2000. Évidemment, comme c'est le cas pour tout programme complexe en constante évolution, c'est au fil des ans que nous saurons si les ressources sont suffisantes. C'est en mettant la loi en oeuvre que nous l'apprendrons.

Le sénateur Christensen: Cela semble un chiffre tellement bas.

Le sénateur Gustafson: Ma question porte sur l'article 5, qui stipule:

La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province.

En Saskatchewan, Canards Illimités est intervenu dans certaines collectivités et a offert de l'argent aux gens en faisant valoir qu'ils devraient cesser de drainer leurs terres et ensuite, ils ont été expropriés. Les tribunaux ont été saisis de l'affaire. Les autorités provinciales ont appuyé le gouvernement fédéral étant donné que certaines subventions étaient en cause et qu'elles ne voulaient pas les perdre. Cela devient un outil assez puissant. Étant donné que Kyoto est au coeur des préoccupations de tous les agriculteurs en ce moment, y a-t-il un moyen de contrôler cela?

M. Near: L'article 5 vise précisément à signifier au gouvernement fédéral et aux gouvernements provinciaux que toutes leurs activités doivent respecter la loi. J'ai déjà participé à ce qu'on appelle les poursuites «R. c.R.», dans le cadre desquelles un volet du gouvernement fédéral poursuit un autre volet du gouvernement fédéral ou encore la Couronne provinciale, par exemple pour le déversement de substances délétères aux termes de la Loi sur les pêches. Il y a également eu un cas aux termes de la LCPE. On veut ainsi simplement aviser les gouvernements qu'ils ne sont pas au- dessus des exigences législatives énoncées dans le projet de loi.

Le sénateur Gustafson: On se trouve ainsi à prendre le pouvoir de l'assemblée législative et à le donner aux tribunaux. Il y a de nombreux exemples de cette tendance au Canada. J'évoque le problème car il suscite énormément d'inquiétudes.

Le sénateur Buchanan: J'ai peut-être mal compris vos propos. Vous vous affirmez que l'article 5 ne lie pas un gouvernement provincial pour ce qui est des terres dont il est propriétaire. Il lie un gouvernement provincial dans la mesure où il ne doit pas violer la loi relativement aux terres fédérales.

M. Near: Par exemple, si un fonctionnaire du ministère de l'Environnement de la Nouvelle-Écosse prend une mesure qui se traduit par l'abattage d'une espèce en voie de disparition ou par la destruction d'un habitat essentiel, le gouvernement fédéral pourrait engager des poursuites.

Le président: Monsieur Near, en pareil cas, si la province est délinquante et ne respecte pas les obligations que lui impose la loi, cela ne veut-il pas dire que le gouvernement fédéral pourrait engager des poursuites?

M. Near: Lorsqu'on envisage des poursuites, il y a toujours un élément de discrétion en ce qui concerne l'exécution de la loi. C'est au procureur général qu'il appartient de déterminer s'il est dans l'intérêt public d'engager des poursuites. Évidemment, les causes R. c. R. sont particulièrement délicates étant donné qu'on ne s'attend pas à ce qu'un volet de la Couronne en poursuivre un autre, mais cela arrive de temps à autre.

Le président: Je suis désolé de vous interrompre, sénateur Buchanan. Toutefois, la mesure ne prévoit-elle pas qu'en ce qui concerne les terres qui ne relèvent pas de la responsabilité du gouvernement fédéral, en particulier les terres provinciales — c'est ce que voulait dire le sénateur Buchanan —, la première ligne de défense envisagée est le gouvernement provincial? Ce sont les autorités provinciales qui se chargeront d'appliquer la loi. Pour sa part, le gouvernement fédéral intervient en dernier recours. Il fait office de filet de sécurité advenant que la province n'assume pas les responsabilités que la mesure législative considère comme siennes. Est-ce exact?

M. Near: C'est exact. Cependant, ce n'est pas ce dont il est question dans l'article 5. Ce dernier précise simplement que les deux volets de la Couronne, fédéral et provincial, sont liés par les dispositions de la mesure législative.

Le sénateur Buchanan: Je ne suis pas sûr de bien vous suivre. J'ai sous les yeux le graphique que vous nous avez fourni. Êtes-vous en train de dire qu'en vertu de cette mesure fédérale, nous pourrions engager des poursuites relativement aux terres de la Couronne provinciale?

M. Near: Je ne parle pas tellement des terres de la Couronne. Effectivement, nous pourrions poursuivre la Couronne provinciale si les autorités violent un aspect de la loi fédérale.

Le sénateur Buchanan: Si j'abats un chevreuil sur une terre de la Couronne provinciale et qu'il s'agit d'une espèce en voie de disparition, suis-je passible de poursuites?

M. Near: Si vous êtes un employé du gouvernement provincial, c'est une possibilité.

Le sénateur Buchanan: Supposons que je ne sois pas un employé de qui que ce soit; supposons que je sois un simple citoyen qui veut abattre un chevreuil sur une terre provinciale.

M. Near: Dans ce cas, l'article 5 ne vous touche pas. Il vise la Couronne provinciale et fédérale.

Mme Wherry: Je pense que nous discutons de deux choses différentes. Il n'y a pas que l'article 5 en cause. D'après les questions que j'ai entendues, il ne faut pas oublier que le projet de loi confère au gouvernement fédéral le pouvoir d'assurer la protection de toutes les espèces sur toutes les terres au Canada, l'habitat essentiel. En vertu du pouvoir découlant du droit pénal...

Le sénateur Buchanan: Un instant.

Mme Wherry: Puis-je en finir avec le concept évoqué par le sénateur Banks? Il y a un filet de sécurité. Si le gouvernement fédéral choisit de recourir au filet de sécurité et de l'appliquer à un habitat essentiel situé sur une terre de la Couronne provinciale, cela n'a rien à voir avec l'application de l'article 5.

Voilà ce que j'essayais d'expliquer, suite à la question que vous avez soulevée. On peut donc élargir cette protection à une espèce dite provinciale par le biais du filet de sécurité. À ce moment-là, effectivement, la mesure confère au pouvoir fédéral le pouvoir d'intervenir.

Le sénateur Buchanan: Peut-être suis-je complètement à côté de la plaque. J'essaie de comprendre ce qu'il en est.

De quel droit le gouvernement fédéral peut-il adopter une loi qui lui confère un pouvoir juridique et constitutionnel sur une espèce vivant sur des terres qui ne lui appartiennent pas?

M. Near: Le pouvoir d'imposer une interdiction générale concernant l'abattage d'une espèce en péril se trouve, par exemple, à l'article 32 du projet de loi, à l'article 33 sur la destruction de sa résidence ou encore à l'article 34 sur la protection d'une espèce en voie de disparition, qui tire son fondement du droit pénal. Ce pouvoir est limité à une interdiction directe concernant une action particulière.

Le sénateur Buchanan: Êtes-vous en train de me dire que cela fait partie du droit pénal du Canada?

M. Near: Non. Je dis simplement qu'il y a une différence entre ce qui figure dans le Code criminel et le recours à la juridiction fédérale fondée sur le pouvoir découlant du droit pénal.

Le sénateur Baker: C'est un peu comme dire que la Loi sur les véhicules automobiles s'applique à la propriété aéroportuaire de l'aéroport international d'Halifax.

Le président: Il y a d'autres domaines fédéraux.

Je demanderais maintenant à nos témoins de nous excuser car nous devons examiner d'autres questions. Il est fort probable que nous vous consulterons de nouveau à un moment donné. Je vous remercie beaucoup d'être venus témoigner et d'avoir répondu aussi ouvertement à nos questions.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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