Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 4 - Témoignages du 19 novembre 2002


OTTAWA, le mardi 19 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-5 concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, se réunit aujourd'hui, à 17 h 07, pour en faire l'examen.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Je déclare la séance ouverte, en dépit de l'absence des membres du comité représentant l'opposition, qui sont retenus ailleurs.

Nous examinons aujourd'hui le projet de loi C-5 concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, au sujet duquel nous allons entendre des témoignages.

Sont présents aujourd'hui le sénateur Christensen, du Yukon, le sénateur Lorna Milne, de l'Ontario, et le sénateur Charlie Watt, du Québec. Je suis Tommy Banks, de l'Alberta, et c'est moi qui préside le comité. Tous les sénateurs présents sont des libéraux. Nous attendons l'arrivée de nos collègues d'en face, ce qui, nous l'espérons, ne saurait tarder.

Nos premiers témoins sont MM. Bob Woolham et David Pope qui représentent respectivement l'Ontario Property and Environmental Alliance et le Land Resource Partnership, qui est lui aussi un organisme ontarien, si je ne me trompe. C'est bien cela, monsieur Pope?

M. David Pope, directeur, Land Resource Partnership: Non. Notre organisme est exclusivement albertain.

Le président: Je suis heureux de vous accueillir. Vous êtes là en tant que groupe de témoins. Je peux donc supposer que vous avez des intérêts communs. Monsieur Pope, aimeriez-vous prendre la parole en premier?

M. Pope: Merci. Je suis avocat et j'élève du bétail dans la région de High River. J'ai contribué à la mise sur pied de Land Resource Partnership, qui est une coalition d'associations pétrolières, gazières, forestières et agricoles d'un peu partout dans la province. Elle représente la grande majorité des particuliers et des entreprises de l'Alberta qui seront les plus touchés par ce mauvais projet de loi.

C'est tout ce que j'avais à dire.

Le président: Pourriez-vous nous dire pourquoi le projet de loi est mauvais?

M. Pope: Il ne règle pas la question de l'indemnisation juste et raisonnable de ceux dont les terres sont expropriées dans l'intérêt public.

Le président: Pourriez-vous nous préciser où il est question d'exproprier des terres, pour que nous comprenions bien de quoi vous parlez?

M. Pope: L'article du projet de loi qui me préoccupe est, bien sûr, celui qui concerne le gouvernement fédéral. La façon dont les terres fédérales sont touchées relève certes de sa compétence, mais à l'article 61, si vous tenez à entrer dans le détail tout de suite, il est question d'espèces en péril sur des terres provinciales. L'article 64 prévoit une indemnisation dont le montant est laissé à la discrétion du ministre — c'est-à-dire qu'on laisse le gouvernement fédéral juger s'il convient de verser une indemnité juste et raisonnable pour tout impact négatif touchant l'habitat de ces espèces, en d'autres mots, là où elles vivent.

Le président: Pour reprendre les termes que nous avons utilisés jusqu'ici, vous parlez du filet de sécurité. Je vous le précise au cas où un sénateur en parlerait, plus tard.

M. Pope: Je n'y vois pas de différence, monsieur. Le filet de sécurité qui est prévu est laissé à la discrétion du gouvernement fédéral. S'il estime qu'un gouvernement provincial n'en fait pas assez pour protéger l'habitat, quel que soit le problème, il a, aux termes de l'article 64, la compétence et le pouvoir voulus pour prendre des règlements et confisquer des terres de la Couronne provinciale ou des terres privées. Or, aucune compensation juste et raisonnable n'est prévue dans pareil cas, comme on a l'habitude de le faire pour une autoroute, des lignes de transport d'électricité, un aéroport ou je ne sais quoi encore.

Le président: Tout ce que vous avez dit est juste. Le projet de loi dit bien que le ministre peut verser une indemnité, non pas qu'il y est obligé.

Le sénateur Mira Spivak, vice-présidente du comité, vient de se joindre à nous.

Soyez la bienvenue, madame le sénateur.

Le président: Monsieur Pope, avez-vous autre chose à ajouter?

M. Pope: Non. C'est tout ce que j'avais à dire. Vous avez reçu mon mémoire. J'avais cru comprendre que je venais ici pour répondre à des questions, ce que je ferai volontiers tout à l'heure. J'ai fait ce petit exposé uniquement en guise d'introduction.

Le président: Monsieur Woolham, avez-vous quelque chose à nous dire?

M. Bob Woolham, président, Association of Rural Property Owners (association membre et représentante de la coalition OPERA pour l'est de l'Ontario): Je souscris à ce que vient de dire David Pope au sujet de l'indemnisation. Je représente l'Ontario Property and Environmental Rights Alliance, qui a son siège en Ontario. Elle a été formée à la suite de lois adoptées par la province en vue d'exproprier des terres, notamment la Loi sur la planification et l'aménagement du territoire, et, dans son cadre, de politiques provinciales relatives, entre autres, aux terres humides, aux habitats et ainsi de suite. Comme vous le savez, il existe déjà en Ontario des lois protégeant les espèces en péril, de sorte que nous connaissons très bien le sujet.

Les membres de l'alliance se préoccupent tout d'abord de ce que l'on entend par «compensation» ou «filet de sécurité» dans le contexte de propriétés touchées par la loi et son règlement d'application. Nos efforts en vue de porter à l'attention du gouvernement ces préoccupations pour qu'il y donne suite avant que ne soit adoptée la loi n'ont pas eu grand succès.

Par ailleurs, le risque de responsabilité en cas d'infraction et la façon dont le texte est libellé nous préoccupe également. De pareilles infractions relèvent du Code criminel, et les mesures prévues dans ce contexte sont très rigoureuses. Elles vont bien au-delà de ce qu'exige la situation et sont une source de préoccupation en ce sens qu'elles pourraient être invoquées par un groupe de défense d'intérêts, par exemple, à propos d'une espèce en particulier qui se trouve sur la propriété. Comme vous le savez, une de ces espèces est la pie-grièche migratrice qui a fait l'objet de beaucoup de publicité. Des couples d'oiseaux ont été étudiés par des chercheurs de McGill. Le gouvernement a débloqué un million de dollars pour un programme de rétablissement de la population. Cette espèce se trouve surtout en Ontario, bien qu'il y en ait aussi au Québec. En août dernier, on s'affairait à relâcher des oiseaux bagués aux alentours de Perth. Qu'arrivera-t-il aux propriétaires fonciers lorsque des pies-grièches seront découvertes sur leur propriété, car des membres d'un club de naturalistes d'Ottawa sont à la recherche des oiseaux bagués? Dans le contexte du Code criminel, cela revient presque à dissimuler des preuves pour les incriminer.

La plupart des propriétaires fonciers s'inquiètent de ce qui arrivera. Le mot «espèce» désigne une multitude d'organismes vivants. Ce ne sont pas tous de petits Bambis, des alligators et ces autres animaux que nous aimons. Il inclut aussi des mousses, des algues, du poisson et j'en passe. Quiconque dispose du genre d'outils qui sont offerts sur le marché peut trouver sur ma ferme, sur ma terre, une espèce en voie de disparition ou en péril. Ce que prévoit le projet de loi à l'étude fait presque de moi un criminel.

Voilà le genre de précisions que nous aimerions obtenir et, si possible, les changements que nous aimerions voir apporter, de manière à nous protéger.

Le président: Pouvez-vous nous préciser quels changements seraient utiles?

M. Woolham: Il faudrait entre autres éliminer ce concept de responsabilité. Si quelqu'un commet un acte par mégarde, par ignorance ou sans le vouloir, il devrait pouvoir le faire valoir à sa décharge en toute légitimité devant le tribunal, plutôt que d'être présumé coupable jusqu'à preuve du contraire. Nous parlons ici de mesures plutôt graves, surtout dans le contexte du Code criminel. Je ne vois pas comment on pourrait soustraire le projet de loi à l'étude de l'application du Code criminel dans le cadre existant des arrangements fédéraux-provinciaux pour ce qui est du mandat, des responsabilités et ainsi de suite. Ce serait certes un domaine où il faudrait apporter des changements.

Nous aimerions aussi qu'on envisage d'inclure une exemption quelconque pour ceux qui sont en quelque sorte considérés comme étant crédibles. Un des problèmes, c'est que je ne veux plus que qui que ce soit vienne sur mes terres, pour quelque raison que ce soit. Je ne plus voir de chasseurs et de trappeurs, parce que je ne peux plus me fier à la raison de leur présence ou à ce qu'ils sont en train de faire. C'est dommage, parce que j'aime bien accueillir des gens et leur montrer mes terres.

Paul Catling, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, est venu sur ma propriété examiner quelque chose que je n'arrivais pas à identifier. Il est ensuite revenu accompagné de son fils et a passé la journée dans des dunes de sable, à la recherche de cicindèles. Il m'a promis, même s'il a prélevé des échantillons, qu'il ne décrirait pas exactement l'endroit où il les avait trouvées.

Il existe peut-être un moyen de protéger les propriétaires fonciers sur les terres desquelles pourraient se trouver ces espèces sans les soumettre aux rigueurs du marché actuellement très concurrentiel et profitable du produit qu'on appelle la «faune». La faune est très intéressante, en ce sens qu'elle permet de réunir beaucoup de fonds. C'est ce pouvoir et ce contrôle qui rajoutent à nos préoccupations.

J'ai parlé longtemps, monsieur. Je m'en excuse.

Le président: Cela prouve que vous avez beaucoup réfléchi à ce que vous alliez dire.

Monsieur Pope, avant que mes collègues commencent à vous poser des questions, avez-vous autre chose à ajouter à ce qu'a dit M. Woolham au sujet de changements à apporter au projet de loi?

M. Pope: L'autre grande source de préoccupation de nos membres est la lourdeur des pénalités prévues. En effet, elles varient d'une amende de 50 000 $, d'un an d'emprisonnement ou des deux à la fois à une amende de un million de dollars, une peine d'emprisonnement de cinq ans ou les deux à la fois et ce, pour chaque incident. Il est précisé que l'amende de un million de dollars s'applique aux personnes morales seulement, mais de nombreuses fermes agricoles et fermes d'élevage de bétail de l'Alberta et du reste du Canada sont constituées en personnes morales, de sorte que les nouvelles infractions sont tout simplement scandaleuses.

Le président: Qu'est-ce qui est scandaleux, les infractions ou les pénalités auxquelles on s'expose pour les avoir commises?

M. Pope: On crée de nouvelles infractions pour la destruction d'une partie de l'habitat d'une espèce en péril énumérée à l'annexe. Je parle au nom d'associations minières, gazières, pétrolières, forestières et agricoles, mais en tant moi-même qu'éleveur de bétail, je pourrais débroussailler en vue de construire une nouvelle clôture ou d'en réparer une et, si cette broussaille se trouve à servir d'habitat à une espèce en péril, un oiseau ou que sais-je encore, et que je l'ignore, en vertu des dispositions de responsabilité stricte des articles 97 et 98 — qui prévoient d'effroyables pénalités —, il faut que je prouve que je n'ai pas commis d'infraction, et c'est là un lourd fardeau.

Quand on élève du bétail, il est normal de débroussailler pour réparer une clôture ou en construire une. Je pourrais aussi mentionner le déboisement d'un lieu pour y forer un puits ou la coupe d'arbres sur une propriété. Voilà les nouvelles infractions dont je parle.

Le président: Le sénateur Kenny, troisième membre de notre comité de direction, vient de se joindre à nous.

Le sénateur Spivak: S'il n'en tenait qu'à moi, je n'aurais pas parlé d'indemnités ou de responsabilités pour les propriétaires fonciers. L'expérience m'a appris, particulièrement à Waterton, que les éleveurs de bétail sont très conscients de la nécessité de préserver l'environnement et leur mode de vie. On aurait peut-être pu éviter d'imposer le lourd fardeau que représentent la responsabilité et l'indemnisation.

Le Canada a signé la Convention sur la biodiversité, qu'il est bien sûr très important de protéger. Je me demande si vous avez réfléchi aux moyens que nous devrions, selon vous, prendre pour respecter ces engagements. Comment pourrait-on convaincre les propriétaires fonciers de coopérer à la réalisation de ces engagements sans leur imposer ce que vous estimez être un très lourd fardeau?

M. Pope: Le Land Resource Partnership, ainsi que des éleveurs de bétail, se sont penchés sur la question. Ils préconisent de réunir le gouvernement, les chercheurs et les propriétaires fonciers autour d'une même table. Ce serait les chercheurs scientifiques qui définiraient les espèces en péril.

Le sénateur Spivak: C'est bien vrai.

M. Pope: Ensuite, ils définiraient aussi l'habitat de ces créatures, après quoi il faudrait que les intéressés en viennent à une entente de coopération et, comme l'a mentionné tout à l'heure le président, on aurait alors un filet de sécurité. La première étape devrait se situer au niveau des provinces. Il faudrait tenir des assemblées locales, comme cela se fait avec les agriculteurs et les éleveurs qui négocient avec une pétrolière désireuse de forer un puits. On ne peut pas les exclure du processus, mais on peut négocier avec eux et préciser quelles sont les espèces et où se trouve leur habitat. Ensuite, en Alberta comme dans la plupart des autres provinces, il existe une loi visant les droits de surface qui prévoit des chefs de dommage.

Il y en a six et, si vous y tenez, je peux vous en fournir la liste plus tard. Quoi qu'il en soit, après avoir défini l'habitat, il faut habituellement, pour le protéger, réduire le nombre de bêtes qu'on élève ou modifier d'une façon quelconque son cycle de production. Cela signifierait probablement pour nous de clôturer une partie de la propriété pour en interdire l'accès. Définissez les modalités dans un contrat, dites quelles sont les espèces, renseignez-vous sur combien de temps il faudrait avant que le nombre de couples reproducteurs atteigne un seuil acceptable et soumettez-le tout à un examen. Je fais partie du Comité de la société d'entomologie de l'Alberta et il me semble qu'une période de 25 à trente ans serait convenable, mais il faudrait procéder à un examen tous les quatre ou cinq ans pour faire un bilan. Il s'agirait de coopérer. La compensation serait versée dans le cadre des lois existantes, et tout le processus serait entièrement facultatif.

Cela fonctionnerait, parce que vous y intégreriez ceux qui sont propriétaires des terres. Ils ne seraient pas menacés de perdre leurs terres sans compensation et sans vraiment savoir ce qu'est l'habitat. Vous obtiendriez ainsi beaucoup de collaboration, du moins des propriétaires du sud de l'Alberta.

Le sénateur Spivak: Il s'agit de la troisième version du projet de loi. Je suppose que vous avez déjà présenté ces idées, mais qu'on ne les a pas retenues.

M. Pope: Oui, madame. Je travaille à ce projet de loi depuis sept ans.

M. Woolham: J'aimerais simplement renchérir sur ce qu'a dit M. Pope. J'estime que la transparence est essentielle au propriétaire foncier ou à la personne touchée et qu'il faut qu'elle participe au processus. Je ne me rappelle pas qu'on m'ait demandé quel genre de terre je possédais. Je la connais probablement mieux que la plupart de ceux qui pourraient y venir.

On parle d'écosystèmes, d'écologie et des liens entre les espèces qui y vivent. On parle de l'habitat comme si ce n'était qu'un endroit où elles vivent, mais il est aussi une source de nourriture. C'est là que les espèces s'accouplent et se reproduisent. L'habitat n'est donc pas unidimensionnel. La nourriture est fournie par d'autres espèces. Voilà en réalité ce qu'est le cycle de vie, de fournir de la nourriture à d'autres espèces. C'est toute une chaîne.

Il y a des castors dans mon marais. Ils inondent mes terres, et il m'est interdit d'y couper les cèdres dont j'aimerais me servir pour faire des poteaux de clôture. Je peux piéger les castors. Par le fait même, il arrive que des tortues se retrouvent dans le piège, des tortues musquées, des tortues ponctuées, des tortues hargneuses et certaines tortues peintes. Ce sont toutes des espèces en péril, du moins la tortue musquée et la tortue ponctuée. Quelqu'un viendra me dire que si je les piège, je pourrais les tuer. Or, le piégeage ne les tue pas. Elles se font prendre. Il suffit de les relâcher. Le tout est de savoir à quelle partie de l'écologie vous accordez la plus haute priorité. C'est également là qu'il faut qu'il y ait, selon moi, le plus de transparence. Il faut qu'en tant que propriétaires fonciers, nous soyons avertis d'avance, avant qu'il ne se produise des incidents.

Dans le passé, la tendance était d'introduire des gens sur notre propriété en douce et de les faire partir de la même façon. Avec la technologie contemporaine, le système de positionnement global et BlackBerry, vous pouvez envoyer de l'information à votre ordinateur et, par le temps que vous êtes de retour à la maison, vous avez une carte de tout ce que vous avez visité. C'est dangereux.

Le sénateur Spivak: Je crois que ce que j'ai dit au sujet des propriétaires fonciers ne s'applique probablement pas aux compagnies minières et forestières. Il s'agit-là d'une autre paire de manches, parce qu'elles se trouvent sur des terres domaniales. J'ignore quels sont vos sentiments à ce sujet, mais elles ont déjà transformé et détruit le paysage dans une certaine mesure.

Dans le mémoire présenté par l'Ontario Property and Environmental Rights Alliance, vous êtes contre le programme des dons écologiques. Vous ne souhaitez pas que des organismes non gouvernementaux reçoivent des terres en dons. Je m'interroge sur la raison, étant donné le dossier peu reluisant du Canada en matière de conservation. Naturellement, ces organismes ne reçoivent pas la plupart du temps des dons. Ils achètent plutôt les terres. Il me semble que les dons sont un moyen de conserver des habitats ou des espèces en péril. Je me demande pourquoi vous adoptez cette position.

M. Woolham: La raison en est que les espèces sauvages sont considérées comme un produit. Il y a aussi les concepts de ces différents groupes. Nous avons ce que j'appelle les «bureaucraties X et Y.» Nous avons d'une part le gouvernement et, d'autre part, les organismes de défense comme Nature Conservancy et le Fond mondial pour la nature. Il y en a beaucoup; la plupart sont des organismes de bienfaisance. Ils recueillent des fonds au moyen d'affiches très adroites et se concentrent ensuite sur leur objectif principal qui peut être par exemple les fiducies foncières du Nature Conservancy.

Un des problèmes qui se pose c'est que ci si ces dons sont effectués, nous devons être prudents et nous assurer que tout se fait dans la transparence. Ce qui a tendance à arriver c'est que lorsque ces organismes voient un habitat qu'ils aiment, ils veulent soit l'acheter soit conclure un accord. Si vous n'êtes pas agriculteur mais simplement propriétaire foncier, ils peuvent vous offrir des crédits d'impôt, des rendements sur le bien, des dégrèvements d'impôt, etc. Cependant, si vous décidez de procéder autrement, c'est le chapitre 5 du manuel sur la façon de se porter acquéreur d'une fiducie foncière en Ontario qui vous renseignera sur l'utilisation de la Loi sur l'aménagement du territoire et sur les espèces en voie de disparition qu'on trouve sur le territoire. Vous vous adressez ensuite à vos conseils municipaux pour faire changer le plan pour y indiquer que le territoire est habité par beaucoup d'espèces sauvages et signaler d'autres caractéristiques. Vous revenez ensuite et dites: «Dommage, votre propriété n'a plus la même valeur parce qu'elle a été ciblée par le plan officiel.»

Le sénateur Spivak: Vous dites qu'on abuse du système, pas nécessairement que vous vous y opposez.

M. Woolham: C'est exact. Si le plan est tout ce qu'il y a de plus régulier et transparent, je ne m'y oppose pas.

Certains de ces organismes concluent assurément des accords. Je parle surtout aussi des propriétaires fonciers privés, pas de géants comme Domtar qui échangent 500 acres de feuillus contre un crédit d'impôt énorme. Cela ne pose pas de problèmes. La plupart de ces sociétés ne se plaignent pas. Elles savent ce qu'il faut faire.

Je parle de propriétaires fonciers plus petits qui ne sont pas en mesure de lire la loi ou le règlement et qui n'ont aucune idée que n'importe quoi pourrait leur arriver. Ils ont peut-être pensé qu'ils pourraient acheter un chenil pour chiens ou que sais encore pour se rendre compte tout à coup qu'ils ne peuvent pas le faire. Leur monde a changé.

Je ne sais pas s'il y a une réponse claire à toutes ces questions autres que la transparence et le déclenchement rapide du processus. Commencez par ce que vous essayez de faire.

Il y a, comme vous savez, les biosphères. L'une d'entre elles a été créée récemment aux Mille-Iles et une autre à Niagara. Cela fait partie de la biodiversité.

Le sénateur Spivak: J'espère que d'autres sénateurs poursuivront sur la route de la défense concernant la responsabilité.

Le président: Comme je le fais.

Le sénateur Milne: Premièrement, Bob Woolham et moi-même avons fréquenté l'université ensemble. Nous avons tous deux étudié en agronomie. Je manifeste un certain intérêt pour les terres agricoles, la propriété des terres et certains des problèmes qu'une loi sur les espèces en péril risque de poser aux propriétaires fonciers.

Monsieur Pope, j'ai parcouru votre mémoire. Vous commentez un certain nombre d'articles et de choses qui vous préoccupent, mais je ne vois aucune recommandation précise pour régler les problèmes.

M. Pope: Je vais le répéter. La solution est la suivante: il faut tout simplement que le gouvernement, les scientifiques et les propriétaires fonciers — le propriétaire foncier est habituellement celui qui s'y connaît le plus au sujet de ses terres; c'est mon cas — s'assoient et fixent les critèresqui serviront à repérer les espèces en péril, leur habitat de même que le nombre précis d'acres ou d'hectares qui seront touchés si l'on modifie la gestion des terres pour assurer leur protection. Ensuite, il faudrait dégager des activités précises sur lesquelles tout le monde s'entend. Dans mon cas, il pourrait s'agir d'activités que je modifierais pour gérer mon entreprise d'élevage de bovins de boucherie. C'est-à-dire comment vais-je changer ma façon de faire pour protéger l'habitat et les espèces en péril?

Je réfléchirais ensuite un certain temps afin de déterminer ce qu'il m'en coûtera. Cette question relèverait en Alberta de la Surface Rights Act.

Je veux parler au sujet de six têtes de puits endommagées qui nous inquiètent en ce qui a trait à un puits de pétrole et de gaz que l'on creuse, ce qui représente seulement trois ou quatre acres environ. Cela pourrait être quelques acres. Cependant, pour me servir de l'exemple de la chevêche des terriers dans l'est de l'Alberta, il pourrait s'agir d'au moins une section.

Nous nous inquiéterions, en ce qui concerne l'indemnisation, de la superficie accordée — c'est-à-dire les terres touchées — de la perturbation générale à la propriété, de la perte de l'utilisation du terrain, des dommages accessoires, de l'effet préjudiciable et de l'effet nuisible. Cela ne s'applique pas nécessairement à toutes les espèces en péril, mais c'est une possibilité. Il s'agit de la jurisprudence que nous avons eue en Alberta depuis bien au-delà de 40 ans et les choses ont bien fonctionné.

Si vous vous assoyez avec un propriétaire foncier et approfondissez la chose, comme je l'ai dit, il ne s'opposera pas beaucoup à la protection de l'habitat des espèces sauvages en péril. Cependant, le résultat sera différent si vous ne pouvez faire affaire avec le propriétaire foncier.

Supposons que le gouvernement albertain n'est pas tout à fait parvenu à invoquer le filet de sécurité et que le gouvernement fédéral intervient finalement parce qu'il n'a pas été possible de conclure une entente avec le propriétaire foncier. Si des scientifiques et le gouvernement en viennent à la conclusion que les deux dernières chevêches des terriers vivent sur une certaine partie de ces terres, il devrait être possible d'exproprier cette terre dans l'intérêt public.

Une telle loi d'expropriation il devrait prévoir des moyens légaux permettant le versement d'une indemnisation raisonnable et juste. Comme les gens vendent à leur corps défendant, l'avocat dont le propriétaire foncier doit retenir les services pour plaider sa cause devrait être payé par le gouvernement comme celui-ci le fait dans le cas d'un aéroport, d'une canalisation d'égout, d'une voie de chemin de fer ou d'une route.

Si la loi prévoit des moyens légaux, tout baignera dans l'huile. On servirait l'intérêt public et on protégerait les droits patrimoniaux du propriétaire foncier.

Le sénateur Milne: Vous parliez de terres qu'il est interdit d'utiliser pour générer des revenus?

M. Pope: Oui.

Le sénateur Milne: Si c'est le cas, les terres devraient être expropriées et une indemnisation adéquate devrait être versée.

M. Pope: Comme je l'ai dit plus tôt, l'entente conclue serait à long terme.

Le sénateur Milne: Il s'agit en quelque sorte d'un programme d'intendance.

M. Pope: Les programmes d'intendance sont autre chose. Je n'ai rien contre. Vous pouvez remettre à quelqu'un une plaque ou que sais-je encore. Il est important de récompenser la bonne intendance et nous avons des programmes au sein de nos organismes d'éleveurs, tant à l'échelle nationale que provinciale. Cependant, ce qui m'inquiète c'est de savoir dans quelle mesure je serai touché par la protection de l'habitat — c'est-à-dire mes terres — en ce qui a trait à cette créature dont le nom figure sur la liste des espèces en péril.

J'ai trouvé à redire de quelque chose plus tôt. Les choses ont changé au cours des 20 dernières années dans l'industrie forestière et minière. Il arrive parfois qu'on y fait du bon travail.

Cependant, il faudrait préparer un document de base sur l'indemnisation. On devrait s'entendre sur les conditions d'un programme de rétablissement. Il est très important de donner des définitions d'où sont les choses et de préciser les montants qui seront versés.

Le sénateur Milne: Fondamentalement, nous revenons à une méthode de récompense pour la terre.

M. Pope: Bien sûr. Si cela m'oblige à fermer boutique ou à réduire mon utilisation de 30 p. 100.

Le sénateur Milne: Monsieur Pope, vous parlez dans votre mémoire du risque que représente la responsabilité stricte. Au troisième point à la page 2 vous énumérez un certain nombre d'articles qui définissent la responsabilité stricte, les infractions et les peines.

D'un point de vue pratique, nous estimons que vous énumérez les problèmes sans offrir de solutions précises. Nous ne trouverons pas les solutions comme par magie.

M. Pope: Je viens tout juste de vous donner certaines solutions fondées sur une approche volontaire, une entente contractuelle avec le propriétaire foncier.

Je vous ai aussi donné une porte de sortie si vous deviez avoir affaire aux deux ou trois pour cent de propriétaires fonciers avec lesquels vous ne pouvez conclure d'entente. Vous pourriez exproprier leurs terres.

Notre ranch appartient à la famille depuis 1894. Mon épouse y réside depuis plus longtemps que moi. Le pire qui pourrait arriver c'est qu'on nous prenne nos terres à notre corps défendant.

Je vous ai donné l'exemple d'une situation où, s'il vous faut vous approprier les terres, dans l'intérêt public il vous faut le faire en vertu de la Loi sur les expropriations. C'est un moyen qui existe dans la common law depuis 200 ou 300 ans. En vous en remettant à cette loi, vous ne me jetez pas en prison, vous ne me privez de mon existence, vous ne m'amenez pas à recourir aux tribunaux et à payer mes propres avocats dans le but de prendre mes terres ou m'obliger à conclure un marché inacceptable. Je pense vous avoir donné quelques très bonnes options.

Le sénateur Milne: Vous avez parlé plus tôt d'exploitations agricoles qui ont été constituées en sociétés. Avez-vous une idée du pourcentage de ranchs ou d'exploitations agricoles en Alberta qui seraient soient constitués en société soit des sociétés par actions à responsabilité limitée?

M. Pope: Je n'ai pas de chiffres là-dessus. Je dirais à peu près 50 p. 100. Nous avons des éleveurs de bovins de boucherie dans notre province. Quelque 36 000 personnes font paître des animaux pour gagner leur vie en Alberta.

Le sénateur Milne: Monsieur Woolham, en Ontario, il me semble que la plupart des exploitations familiales de plus de 100 acres sont constituées en sociétés. Avez-vous une idée du pourcentage?

M. Woolham: Je ne dirais pas cela. Je crois que la constitution en société d'une entreprise agricole dépend des politiques et des lois émanant de Revenu Canada. Cela est régi par notre assujettissement à l'impôt plus que toute autre chose. C'est aussi une façon d'offrir certaines protections contre l'éclatement de la famille d'une part et, d'autre part, le legs d'actions et le maintien de ce genre d'unité.

Oui, les exploitations agricoles de plus grande envergure sont constituées en sociétés, mais il s'agit toujours de l'ancienne du 20/80 p. 100. Cent acres, c'est très petit.

L'autre raison qui justifie la constitution en société c'est que, dans une certaine mesure, il est possible, si cela est bien fait, de limiter peut-être la responsabilité de certaines manières. Certaines choses sont exclues de cette constitution en société, par exemple votre résidence personnelle, etc. Si votre entreprise n'est pas constituée en société et que quelque chose arrive, vous pourriez perdre aussi votre résidence.

Le sénateur Milne: Je me suis enquise auprès de tout le monde de la perte de revenus et de la perte de l'utilisation de terres de même que de la façon de rembourser les gens qui participent à des programmes d'intendance par l'entremise de ce projet de loi. Il me semble, monsieur Pope, en lisant votre mémoire et d'après ce que vous avez dit, que vous êtes d'avis que nous devrions oublier la mesure législative et revenir à la négociation d'ententes ponctuelles avec chaque propriétaire foncier si la province ne fait pas son travail et recourir à la Loi sur les expropriations lorsque tout le reste a été un échec plutôt que d'adopter une approche plus commune?

M. Pope: Je ne peux parler que pour l'Alberta. Nous avons de bons programmes de conservation. J'ai commencé avec le projet de loi C-65, avec l'opération chevêche des terriers dans la partie est de la province où des agriculteurs ont collaboré avec le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Agriculture à Edmonton. La chevêche des terriers est une espèce complexe de par sa répartition périphérique. C'est une espèce commune aux États-Unis et au Mexique. On n'en trouve pas beaucoup au Canada, mais des gens ont manifesté de l'intérêt pour les surveiller.

À Cochran, une dame anglaise s'est intéressée au renard véloce qui a disparu dans les années 30. Elle s'est lancée dans l'élevage de petits renards en travaillant en collaboration avec le ministère albertain de l'Environnement et les a relâchés sur des ranchs dans les régions de Manyberries et Three Hills dans le sud-est et dans le centre de l'Alberta. Elle a commencé à reconstituer l'espèce.

Nous n'avons pas suffisamment de temps pour vous parler de tous les programmes volontaires qui ont très bien fonctionné en Alberta. Dans l'Est du Canada, le canard branchu avait presque disparu.

De plus, en Alberta, il y a l'oiseau bleu.

Nous avons beaucoup de bons programmes de protection solides qui ont connu un très grand succès.

Il y a quelque chose à dire au sujet de la protection volontaire. Pour ce qui est du peu de gens avec qui vous ne pouvez faire affaire, lorsqu'il vous faut prendre des mesures, la loi actuelle conviendrait très bien selon moi.

Il y a beaucoup d'Albertains, citadins et ruraux, qui connaissent les ramifications de projets de loi de ce genre et je suis mal à l'aise quant au succès réel sur le terrain, non seulement pour les gens, mais aussi pour les espèces en péril. C'est transformer ces espèces en risques, ce qu'elles ne devraient pas être. Je ne les ai jamais considérées de la sorte.

C'est arrivé aux États-Unis. Vous avez utilisé les mots. Je n'ose pas le faire, mais vous parlez de «risques» lorsque cela va ruiner toutes vos activités. Aux États-Unis, je connais des cas, à partir d'un terrain résidentiel de 50 par 100 jusqu'à un ranch de 1 200 milles carrés, qui a été touché. Lorsqu'on parle de survie, il arrive parfois que les gens posent des gestes irrationnels.

Le président: C'est un point intéressant. D'après les promoteurs de ce projet de loi, et il y en a beaucoup, la mesure constitue une approche beaucoup plus raisonnable que celle des Américains qui sont procéduriers presque par définition et se retrouvent constamment devant les tribunaux. Tant que vous n'avez pas dit que la loi actuelle le prévoyait et tant que vous n'avez pas prononcé le mot expropriation dans votre réponse à la question précédente du sénateur Milne, vous décriviez assez bien les trois premiers quarts de ce projet de loi qui parle d'intendance non pas dans le sens d'afficher une plaque sur le mur mais dans celui d'éviter l'expropriation ou la prison ou que sais-je encore.

Monsieur Woolham, la Loi sur la protection de l'environnement de l'Ontario contient des dispositions en ce qui a trait à la responsabilité stricte. Connaissez-vous des cas précis où le gouvernement a abusé de cette loi? En outre, la Loi sur les pêches, la Loi canadienne sur la protection environnementale, la Loi sur le transport des marchandises dangereuses, la Loi sur la faune du Canada, La Loi sur les oiseaux migrateurs et la réglementation sur les espèces animales et végétales sauvages renferment cette disposition relative à la responsabilité stricte. Connaissez-vous des cas où un ordre de gouvernement en aurait abusé?

M. Woolham: Je dois dire que je ne connais pas de cas où ils ont utilisé cela dans le même contexte. J'ai compris que la responsabilité stricte dans le contexte de la loi fédérale avait rapport au Code criminel et qu'elle avait des répercussions différentes de ce qu'elles auraient en Ontario au regard du droit jurisprudentiel. Comme je ne suis pas avocat, je ne suis pas sûr de ce que j'avance ici.

Le président: Moi non plus.

M. Woolham: À cet égard, oui, des accusations ont été portées et des amendes ont été imposées mais pas à l'échelle envisagée par le projet de loi fédéral.

L'Ontario dispose déjà de quantité de textes législatifs, y compris un texte important sur l'habitat des espèces sauvages. J'ai présenté un exposé à M. Pearce. Comme il n'avait pas entendu parler de cette mesure législative en particulier ni des lignes directrices, je lui ai donné mon exemplaire.

Dans ce genre de processus, il faut éviter, dans le Code criminel, la responsabilité stricte.

Pour une raison ou pour une autre, il doit faut faire un certain compromis en qui a trait au processus. Ce que l'on craint c'est que si des gens voient quelque chose, la première chose qu'ils feront c'est de s'en débarrasser. C'est un problème de confiance, d'éducation, et cetera. C'est peut-être là que l'intendance et la direction efficace interviennent dans ce processus.

Nous avons eu plusieurs cas de prise de terre, pour différentes raisons. Je pense à un exemple récent: l'exploitation d'une carrière à l'est de Barrie. Pour une raison ou pour une autre, quelqu'un a découvert que des pies-grièches migratrices pourraient s'y trouver. Je crois, en fait, que quelqu'un a trouvé un couple d'oiseaux là où il n'avait pas été vu auparavant. L'exploitation de la carrière a été interrompue tant que l'affaire n'a pas été entendue par un tribunal. Une décision a été rendue récemment en faveur du propriétaire de la carrière. Je n'ai pas encore lu la décision, mais je vais le faire bientôt. Cependant, c'est l'autre aspect de la façon dont les choses se produisent.

Nous avons abordé la question de la biodiversité dans le contexte des espèces en péril, parce qu'elle suggère la richesse des espèces vivantes — non l'harmonie parce que ce n'est pas ainsi que vivent les animaux. Par ailleurs, d'autres groupes vont utiliser les connaissances et à la technologie qu'ils ont recueillies pour tenter d'empêcher qui que ce soit de mal agir ou , à tout le moins, d'en prendre quelques-uns la main dans le sac. Un de ces groupes qui s'appelle «BioBlitz» est déjà populaire aux États-Unis et s'implante maintenant au Canada. Un «bioblitz» a été tenu sur l'ancienne autoroute 16 il n'y a pas si longtemps. Quelqu'un qui avait remarqué qu'on effectuait des levées de plan en avait conclu qu'un pont allait être construit. Le week-end d'après, tous les spécialistes se sont rendus sur les lieux et ont découvert une incroyable diversité d'espèces sur ce terrain. Ils savent que quand ils iront en cour, ils tenteront d'empêcher cette construction. Il s'est avéré, cependant, que les levées de plan étaient effectuées au nom de la Rideau Valley Conservation Authority qui venait à peine d'acquérir la propriété et comptait construire une passerelle pour que les gens ne piétinent pas l'herbe et n'abîment pas l'environnement.

Un autre bioblitz a eu lieu à Richmond récemment à propos d'un terrain de golf. C'est ainsi que l'on invoque parfois ces dispositions et d'après moi, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond là-dedans. Il devrait y avoir moyen de parvenir à un compromis.

En Ontario — et nous en revenons à la loi — les propriétaires de terrains privés qui vont en cour, peu importe la raison, n'ont aucune chance de gagner à moins d'avoir beaucoup d'argent. Les ministères vont faire intervenir leurs meilleurs avocats, et ils en ont beaucoup. Quand les propriétaires terriens sont en présence de trois ou quatre avocats accompagnés de leurs témoins experts, ils ne peuvent pas se permettre de continuer jusqu'au bout la procédure judiciaire. Je le sais d'expérience. J'ai siégé deux ans au CGO de la ville d'Ottawa pour le dossier des zones humides. Je ne pense pas me tromper en estimant à au moins un quart de million de dollars les frais qu'ont dû supporter la ville d'Ottawa et le ministère des Affaires municipales. Ça nous a coûté beaucoup d'argent, sauf qu'un avocat nous a offert gracieusement la plupart de ses services, si bien que ses honoraires ne se sont élevés qu'à 5 000 $. Il n'y a aucun doute que nous y avons consacré énormément de temps, et franchement, pour pas grand-chose. Nous étions coincés.

Le président: Avez-vous gagné?

M. Woolham: Non.

Le sénateur Milne: J'aimerais revenir sur ce que vous dites, monsieur Woolham, à propos des compromis. Il me semble qu'un compromis relatif à la responsabilité stricte est bel et bien prévu par ce projet de loi, et se présente sous forme de défense de précautions raisonnables. Tant qu'un propriétaire affirme avoir tenté de s'informer et, au meilleur de ses connaissances, avoir pris des précautions raisonnables, sa défense est absolue.

Le sénateur Spivak: Je veux ajouter quelque chose à propos de des précautions raisonnables. La Chambre des communes ne permettrait pas au ministre de contacter directement tous les propriétaires concernés. Ce n'est pas prévu dans le projet de loi. Si vous ne savez même pas ce qui se passe, comment pouvez-vous prendre des précautions raisonnables?

M. Woolham: Pour ce faire, il faut d'habitude retenir les services d'un professionnel dont vous n'avez peut-être pas besoin.

Le sénateur Spivak: Il en est question dans les dispositions relatives à l'inscription.

M. Woolham: Nous soutenons certains amendements au projet de loi, que je ne mentionnerai pas aujourd'hui. Certains ont eu un impact positif, et nous aimerions en voir davantage.

Le sénateur Milne: Si vous aviez le choix entre ce projet de loi inchangé, ou aucun projet de loi du tout, que décideriez-vous? Je connais déjà la réponse de M. Pope.

M. Woolham: Je me rappelle que le tout premier jour, le padre nous a dit «les enfants, évitez les embrouilles», je ne sais toujours pas ce que cela veut dire, et ensuite, «l'éducation passe avant la scolarité» et nous l'avons écouté.

Cette question est une question piège.

Le sénateur Spivak: Effectivement.

M. Woolham: L'une des grandes difficultés que présente ce projet de loi actuellement — comme c'est le cas avec le plan de gestion nucléaire de l'Ontario — c'est que nous ne connaissons pas les effets des règlements. Aujourd'hui, le gouvernement préfère construire le cadre d'une loi et laisser les bureaucrates, conseillés par le ministre, ou vice-versa, prendre les règlements. Une fois cela fait, il est déjà trop tard.

Franchement, un autre projet de loi sur les espèces en péril pourrait être bien pire que celui-ci, d'après nous. Nous ne nous attendons pas à ce que le projet de loi soit abrogé, étant donné la nature politique du sujet traité. Il est impossible de l'arrêter. Après avoir dépensé des millions de dollars pour en arriver là, il serait inconcevable de recommencer à zéro.

M. Pope: J'aimerais revenir à la question des précautions raisonnables qui s'appliquent d'habitude à la diffusion d'un prospectus dans lequel une entreprise doit tout divulguer, ses finances, et tout le reste. Dans le présent contexte, cependant, dans une ferme ou un ranch — c'est ce que je vois tous les jours, mais on pourrait dire la même chose des secteurs du pétrole, de la foresterie, de l'exploitation minière — les précautions raisonnables signifient que vous avez fait tout votre possible pour éviter les écueils du projet de loi C-5. Il me faudrait sûrement retenir les services d'un biologiste, de préférence avec un doctorat. En tant qu'avocat, je pourrais probablement identifier les bestioles. En revanche, il devrait confirmer si j'en ai sur mon terrain, et ensuite identifier leur habitat. Ensuite, il faudrait probablement que j'engage une firme d'experts-conseils en gestion agricole pour me dire comment modifier mon exploitation afin d'en atténuer l'impact sur l'habitat de ces espèces en péril.

Et ce n'est que le début; une fois accusé, il faudrait que je recueille des preuves à présenter devant le tribunal, puis que je me défende en parlant des précautions raisonnables que j'aurais prises. Il me faudrait faire défiler tous ces témoins experts et dire «voilà ce que j'ai fait; j'ai réduit mon bétail de X têtes et j'ai fermé cette parcelle de mon terrain», etc. Le problème, c'est que la situation change constamment. Les chevêches des terriers dans l'est de l'Alberta vont et viennent presque tous les ans. Par conséquent, pour me préparer à un éventuel procès, qui pourrait d'ailleurs être intenté par n'importe quel jeune décidant de recueillir des preuves, il faudrait que j'entreprenne ces démarches tous les ans.

J'ai prévenu mes proches de se préparer pour ce genre de litige; prendre des précautions raisonnables pourrait coûter des milliers de dollars par année.

Cela dépasse le cadre de notre travail habituel. Pourquoi devrions-nous le faire si, comme je l'ai mentionné à quelques reprises, il serait beaucoup plus facile d'adopter une approche volontaire? Pourquoi devrions-nous le faire? Après le procès, on se demandera toujours si on en a assez fait, comme c'est toujours le cas dans le contexte des précautions raisonnables. Les avocats de la Couronne me demanderont: «Monsieur Pope, avez-vous fait ceci et cela?» Il s'agira toujours de savoir si j'en ai assez fait. Je ne le saurais seulement qu'après la décision du juge, à l'issue d'un procès extrêmement coûteux; en effet, en première instance, il en coûterait dans les 200 000 $.

Le sénateur Milne: J'espère que les prochains témoins sont présents et prêts à répondre à quelques-unes de ces questions.

Le président: C'est ainsi que nous terminons, messieurs, mais j'espère que vous allez assister à la table ronde.

M. Pope: J'ai un exposé à faire à High River demain et je dois prendre l'avion.

Le président: Monsieur Woolham et monsieur Pope, je vous remercie d'avoir été aussi clairs.

M. David Near, avocat-conseil à Justice Canada, est notre prochain témoin.

Monsieur Near, merci de revenir nous voir et bienvenue. Nous aimerions avoir votre point de vue au sujet du revirement quant à la présomption d'innocence qui, selon certains, apparaît dans le projet de loi C-5.

M. David Near, avocat-conseil, Justice Canada: Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être de nouveau parmi vous. Je ne dirais certainement pas nous allons discuter du revirement quant à la présomption d'innocence. On m'a dit en effet que le débat allait porter sur la différence entre l'infraction commise avec intention coupable et celle appelée «infraction de responsabilité stricte». Parfois, on l'appelle également «infraction contre le bien-être public» ou «infraction aux règlements». Il s'agit essentiellement des infractions créées par les lois provinciales ou fédérales, et non par le Code criminel.

Le président: Toutefois, les peines qui les accompagnent ne sont pas les mêmes que dans le cas, par exemple, d'une contravention pour excès de vitesse. Vous avez utilisé l'expression correcte, «responsabilité stricte», qui exige, si je comprends bien, que la personne qui est accusée doit prouver qu'elle n'est pas coupable.

M. Near: Peut-être pourrais-je commencer par examiner les deux infractions et faire ensuite la distinction entre elles. Généralement, pour une infraction pénale, ou celle qui exige la mens rea, la Couronne doit prouver ce que l'on appelle l'actus reus, soit l'élément matériel qui porte sur la conduite prohibée, en d'autres termes, l'acte commis. La Couronne doit le prouver au-delà de tout doute raisonnable.

En outre, dans le cas d'une infraction pénale classique qui exige la mens rea, la Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que la personne a intentionnellement ou sciemment — ou d'autres expressions souvent utilisées dans ce contexte — commis cette infraction au-delà de tout doute raisonnable. C'est la définition classique d'une infraction commise avec une intention coupable ou d'une infraction pénale.

Jusqu'à la fin des années 70, ces infractions étaient, pour la plupart, accompagnées de lourdes peines en vertu de la loi. Autrefois cependant, et je ne cherche pas à brouiller les cartes, on parlait parfois d'«infraction de responsabilité absolue»:la Couronne devait prouver que l'accusé avait commis l'infraction et il n'y avait absolument pas d'élément mental.

La Cour suprême a invalidé cette définition dans l'affaire Regina c. Sault Sainte-Marie à la fin des années 70 et a introduit une notion intermédiaire que l'on appelle «infraction de responsabilité stricte». En pareil cas, la Couronne doit prouver au-delà de tout doute raisonnable l'actus reus, soit l'élément matériel qui constitue la conduite prohibée. En d'autres termes, il faut toujours prouver que la personne a commis quelque chose qui constitue une violation de la loi.

Dans un contexte de responsabilité stricte, c'est à l'accusé, au défendeur, de prouver qu'il a fait tout ce qu'une personne raisonnable ferait dans les circonstances pour éviter de commettre l'infraction. Cela constitue la défense de précautions raisonnables, qui existe maintenant depuis près de 30 ans. Pratiquement toutes les lois, fédérales et provinciales, créent en fait des infractions de responsabilité stricte.

En résumé, c'est la différence entre les deux.

Le président: Prenons un exemple: si je suis grand éleveur et que je dérange sans le savoir l'habitat de la chevêche des terriers sur une partie de mes terres en enlevant des broussailles et en cultivant du foin, et par là même peut-être en détruisant l'habitat en question, la Couronne pourrait sans aucun doute prouver que j'ai commis un tel acte. Après tout, les broussailles auraient disparu, le bulldozer serait passé par là et l'habitat n'existerait plus. Comment serais-je traité en vertu de ce projet de loi?

M. Near: Je vais parler d'une infraction en particulier, à titre d'exemple. Disons que votre conduite a détruit l'habitat d'une espèce figurant sur la liste des espèces en péril. Dans ce cas précis, le nid d'un oiseau migrateur est détruit par une activité agricole. Habituellement, la réalité de la destruction est évidente. Par conséquent, vous avez raison. La Couronne n'a normalement aucune difficulté à prouver que c'est ce qui s'est produit.

Normalement, on s'attendrait à ce que l'agent de l'autorité soit la première personne à exercer une certaine discrétion. On s'attendrait à ce qu'il fasse preuve de jugement à propos de l'activité qui a véritablement eu lieu. En fait, l'agent de conservation doit, entre autres, rassembler des preuves indiquant si l'agriculteur a fait preuve de diligence raisonnable ou non.

Ensuite, si l'agent de l'autorité décide de poursuivre l'affaire, il renvoie les faits à l'avocat de la Couronne; le procureur fédéral, dans ce cas précis, juge alors si oui ou non il y va de l'intérêt public de poursuivre ce genre d'affaire.

Le président: Autrement dit, peut-il être déclaré coupable?

M. Near: Il n'y a pas que cela qui compte; il faudrait, par exemple, décider s'il y va de l'intérêt public de dépenser les deniers publics — limités — pour entamer ce genre de poursuite.

Certaines sauvegardes sont prévues, si vous voulez. Toutefois, la décision prise par l'agent d'exécution tout comme par le procureur est probablement fondée en grande partie sur les faits réels de l'affaire: la gravité de l'infraction, la possibilité de prouver que la personne était au courant de l'existence de l'habitat et qu'elle a choisi de ne rien faire à ce sujet.

Le président: Est-ce dans ce cas-là que la présomption d'innocence ne tiendrait plus? Je connais des exemples qui sont problématiques, mais nous essayons de bien comprendre. Dans l'exemple que je vous ai donné, je suis grand éleveur dans le sud de l'Alberta. J'élimine des broussailles dans un coin de mes terres et, ce faisant, assèche un marécage qui n'est pas productif. J'ai vérifié et je n'ai pas trouvé d'espèces sauvages particulières. Je me suis renseigné de façon raisonnable et je n'ai pas su, qu'en fait, il s'y trouvait l'habitat d'une chevêche des terriers, espèce figurant sur la liste des espèces en péril.

Il me semble que c'est à moi de prouver que j'ai fait ce qu'il fallait pour essayer de savoir s'il pouvait se trouver une chevêche des terriers sur cette parcelle de terrain. C'est à moi de montrer que j'ai déployé beaucoup d'efforts, comme il le fallait, ainsi que l'a indiqué M. Pope, pour m'assurer raisonnablement que je ne dérangeais pas un habitat quelconque au moment du débroussaillage. Est-ce bien cela?

M. Near: L'infraction de responsabilité stricte introduit essentiellement un élément de négligence. Lorsque la responsabilité revient au défendeur ou à l'accusé, ce dernier doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, et non au-delà de tout doute raisonnable, qu'il a tenté d'éviter de commettre l'infraction. Chaque cas dépend des faits en cause.

Le président: Le critère de prépondérance des probabilités est-il celui habituellement appliqué au droit civil?

M. Near: C'est exact.

Le président: Toutefois, certaines des infractions créées par cette mesure législative sont susceptibles de poursuite en justice et pourraient faire l'objet de peines prévues en vertu du droit criminel. Est-il vrai que la prépondérance des probabilités est toujours le critère retenu?

M. Near: Je crois qu'il est important de ne pas confondre les infractions créées par le Code criminel avec les infractions contre le bien-être public. Comme vous l'avez indiqué plus tôt, monsieur le président, la Loi sur la pêche, la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs — en fait, presque toutes les lois fédérales et provinciales — créent des infractions de responsabilité stricte. Le fait que les peines puissent être lourdes n'en fait pas des infractions pénales, à tout le moins selon la loi, mais je ne dis pas que les peines ne sont pas lourdes. En ce qui concerne la Loi sur la pêche et les autres lois que j'ai citées, les législateurs ont décidé que les peines seront importantes pour les genres de transgressions définies dans la loi.

Il est important de savoir que ce n'est pas parce que les peines sont élevées que l'infraction est pénale et qu'il faut prouver l'existence de la mens rea.

Le sénateur Kenny: J'aimerais poursuivre le cours de droit 101, si vous permettez, monsieur le président. Le critère de prépondérance des probabilités est assez bas, n'est-ce pas?

M. Near: Il est beaucoup plus bas que la preuve au-delà de tout doute raisonnable.

Le sénateur Kenny: Dans ce cas, il est favorable au gouvernement, n'est-ce pas?

M. Near: En fait, ce critère est prévu plus bas pour que l'accusé puisse prouver qu'il a agi de façon raisonnable.

Le sénateur Kenny: J'avais donc compris le contraire?

M. Near: Oui.

Le sénateur Kenny: Pour revenir à l'exemple de la chevêche des terriers, est-il raisonnable de s'attendre à ce qu'un propriétaire sache que c'est une espèce dont il devrait se soucier?

M. Near: Je pourrais vous donner la réponse classique des avocats et vous dire que cela dépend des faits. Toutefois, permettez-moi de vous donner un exemple, celui d'une infraction relative à l'habitat essentiel. Étant donné le processus par lequel il faut passer pour déterminer ce qu'est un habitat essentiel, soit dans le cadre de programmes de rétablissement ou d'un plan d'action, où il faut consulter les personnes visées directement, on s'attendrait à ce que la plupart de ces personnes soient avisées, si vous voulez, qu'il se trouve sur leurs terres une espèce inscrite sur la liste des espèces en péril, dont l'habitat est essentiel. Cinq années plus tard, lorsque l'habitat est effectivement désigné essentiel, cela ne devrait pas les surprendre.

Le sénateur Spivak: Ce n'est pas inscrit dans ce projet de loi.

M. Near: Avec tout le respect que je vous dois, en matière d'habitat essentiel, la mise sur pied des programmes de rétablissement ou d'un plan d'action exige la consultation et la coopération des groupes qui pourraient être visés.

Le sénateur Spivak: Selon un article présenté à la Chambre des communes, le ministre doit, dans la mesure du possible, avertir tous les propriétaires directement visés lorsqu'une espèce est inscrite sur la liste des espèces en péril. Cet article a été supprimé du projet de loi.

Le président: Ce que M. Near a voulu dire, ce n'est pas que l'avis soit donné, mais plutôt que le processus relatif aux programmes de rétablissement n'est un secret pour personne.

Le sénateur Spivak: Si, parce que lorsqu'on inscrit une espèce sur la liste des espèces en péril, cela ne veut pas dire que les gens vont courir partout pour inspecter toutes les parcelles de leurs terres. Toutefois, si vous avertissez tous les propriétaires, ils risquent de piger, mais cet article a été supprimé.

Le sénateur Kenny: A-t-il été supprimé, oui ou non?

Le sénateur Spivak: Il a été supprimé à l'étape du rapport.

Le sénateur Kenny: Monsieur Near?

M. Near: Je peux en parler, puisque j'étais présent et que j'ai assisté à huit ou dix semaines de débats très animés au comité de la Chambre. Cette question a fait l'objet d'un long débat. Cet article n'était pas dans le projet de loi initial, mais une motion a été déposée pour l'inclure. Si je me souviens bien, la motion a été adoptée par le comité de la Chambre mais l'article a été retiré à l'étape du rapport.

Le sénateur Kenny: Il a donc été retiré. Vous auriez pu gagner beaucoup de temps en disant tout simplement qu'il avait été retiré.

M. Near: Je voulais simplement vous situer dans le contexte.

Le sénateur Spivak: Il voulait nous informer que cet article ne se trouvait pas dans le projet de loi initial.

Le président: Je veux être sûr de bien comprendre. L'article du projet de loi qui a existé, selon lequel le ministre doit avertir tous les propriétaires lorsqu'un animal est inscrit sur la liste des espèces en péril, exige, j'imagine, que le ministre avertisse tous les propriétaires du Canada. Si je comprends bien ce que veut dire M. Near, aucune mesure ne peut être prise en vertu de ce projet de loi, aucune peine ne peut être infligée, tant qu'il n'y a pas de programmes de rétablissement entraînant tout un processus de consultation avec le propriétaire visé.

Le sénateur Spivak: En attendant, des champs de foin ont pris la place. Qui le saura?

Le sénateur Milne: Ce projet de loi ne prévoit pas d'indemniser un propriétaire tant qu'il n'y a pas de plan d'action pour les terres. Cela s'applique-t-il aux peines également? Je n'en suis pas sûre.

M. Near: Cela dépend de l'interdiction dont vous parlez. J'ai donné l'interdiction relative à l'habitat essentiel à titre d'exemple pour illustrer le processus. Dans les cas où l'on décidait d'intenter des poursuites, il serait très surprenant que les propriétaires ne sachent pas qu'il se trouve un habitat essentiel sur leurs terres.

C'est différent de l'inscription sur la liste. À certains égards, ils n'auraient pas autant d'avis, puisque le COSEPAC publie dans le registre les espèces qu'il envisage inscrire sur la liste des espèces en péril. Dans le cadre de son travail, le COSEPAC doit consulter. Il présente ses recommandations au ministre, lequel recommande au GC d'inscrire une espèce sur la liste. C'est publié dans la Gazette du Canada, qui est la façon officielle dont le gouvernement du Canada publie ce genre de choses.

Le sénateur Milne: Vous ne nous apprenez rien.

M. Near: C'est ce qui se passe avant l'inscription d'une espèce sur la liste.

Le sénateur Milne: Vous parlez de l'inscription d'une espèce sur la liste et de la mise au point d'un plan d'action, mais qu'en est-il de l'inverse — des poursuites intentées?

M. Near: À partir du moment où une espèce est inscrite, intervient l'interdiction de l'article 32: «Tu ne tueras pas un individu de cette espèce.» À ce moment-là, les poursuites sont possibles si quelqu'un tue une espèce menacée ou en voie de disparition.

Le sénateur Milne: En d'autres termes, cela entraîne le syndrome «ni vu, ni connu.»

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous expliquer ce que cela veut dire pour la gouverne de nos auditeurs, qui n'ont peut- être jamais entendu cette expression?

Le sénateur Milne: Cela veut dire tuer l'espèce en péril, l'enterrer et ne rien dire.

Le sénateur Kenny: Ce n'est pas ce que nous conseillons de faire.

Le sénateur Milne: Certainement pas.

Le sénateur Kenny: J'admets que si les propriétaires initiaux sont passés par ce processus, ils comprennent qu'il se trouve sur leurs terres une espèce dont ils doivent se soucier. Toutefois, est-il prévu une clause restrictive à l'acte de transfert à laquelle il faut faire attention, au même titre que celle relative à la présence d'amiante dans une maison? Comment le propriétaire suivant ou celui qui loue la terre peut-il le comprendre? Quelles protections sont prévues pour l'avenir?

M. Near: Pour répondre à votre première question, je dirais qu'il n'est pas envisagé de système de registre, cela faisant partie probablement du régime d'enregistrement foncier provincial. Le propriétaire actuel devrait avertir le propriétaire suivant, ce qui n'est pas quelque chose à laquelle on ne devrait pas naturellement s'attendre.

Le sénateur Kenny: Vous utilisez une double négation, si bien que je ne suis pas sûr de bien vous comprendre. Vous dites qu'on devrait naturellement s'y attendre?

M. Near: Oui, l'ancien propriétaire avertirait le suivant.

Le sénateur Kenny: Est-il normal pour celui qui vend ses terres de dire à l'acheteur potentiel: «Je veux que vous achetiez ces terres, mais vous ne pouvez pas utiliser telle ou telle parcelle, car elle est protégée, ce qui restreint la valeur économique de la propriété?»

M. Near: Il pourrait le dire s'il voulait éviter une action en justice pour déclaration délibérément fausse à propos de la propriété à vendre.

Le sénateur Kenny: Êtes-vous en train de dire que si ce propriétaire ne le faisait pas, il s'exposerait à des poursuites, sous prétexte qu'il vendrait sa terre de manière frauduleuse?

M. Near: Oui, j'imagine que dans certains cas, cela pourrait se produire. De nouveau, cela dépend véritablement de l'argent dont il est question, si cela en vaut la peine, tout en tenant compte de tous les éléments qui poussent à un procès.

Le sénateur Kenny: Je suis votre raisonnement qui tient dans le contexte juridique ainsi que dans le contexte gouvernemental. Je ne suis pas sûr qu'il tienne dans la réalité, compte tenu de la façon dont les gens fonctionnent. Je prévois que beaucoup vont être désagréablement surpris par ce processus à un moment ou à un autre. Cela ne diminue en rien votre logique, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit très amicale.

M. Near: C'est un commentaire juste. La logique fonctionne. Le programme fonctionnera si les gens exercent leur jugement, et c'est ce qu'il faut.

Le sénateur Kenny: C'est vraiment inquiétant lorsque vous dites que nous avons une bonne loi et que tout ira bien en autant que les gens fassent preuve de jugement. S'il y a une chose de certaine...

Le sénateur Spivak: C'est qu'ils ne le feront pas.

Le sénateur Kenny: Je n'ai même pas besoin de terminer ma phrase. Nous formons une équipe incroyable.

Commencer par cette supposition me rend profondément mal à l'aise.

M. Near: Ce n'est pas une hypothèse faite en rapport avec cette loi.

Le sénateur Kenny: Je comprends, mais tout simplement parce que cela se produit de façon générale ne signifie pas que ce soit une bonne chose, n'est-ce pas?

M. Near: C'est ainsi que le système est conçu. Un sénateur a demandé à un témoin précédent s'il était au courant d'un cas pour lequel on aurait abusé du processus d'infraction de responsabilité stricte.

Dans mes quelque 14 années d'expérience à Environnement Canada, je ne me rappelle de rien qui s'en approcherait du côté de la poursuite. En fait, de façon générale, lorsque nous comparaissons devant des comités, c'est l'autre côté qui nous critique.

Le sénateur Kenny: C'est bien d'avoir un équilibre.

Le sénateur Eyton: Lorsque je lis la mesure législative proposée, je m'inquiète de son contexte. Si je tue une personne, je suis présumé innocent et il y a le fardeau de la preuve. Cependant, si je tue un certain rongeur, je suis présumé coupable et j'ai l'obligation de préparer ma défense de l'autre façon. Par contre, vous nous avez donné l'assurance que la plupart des mesures législatives qui traitent de sujets semblables sont conçues de cette façon, et que si nous modifions cette mesure législative-ci, cela constituerait une exception à la plupart des mesures législatives qui portent sur ce genre d'infraction. Est-ce exact? Le cas échéant, si nous essayons de modifier le fardeau de la preuve — la présomption —, ce serait une tâche colossale qui n'inclurait pas seulement ce projet de loi-ci, mais aussi 300 ou 400 autres projets de loi.

M. Near: Pour ce qui est de votre première question, il ne me vient à l'esprit aucune mesure législative portant sur l'environnement au Canada qui ne soit pas de responsabilité stricte. Dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, la LCPE, une infraction exige un élément moral. De façon générale, toutes les mesures législatives portant sur l'environnement sont de responsabilité stricte. Cela ne veut pas nécessairement dire que c'est une bonne chose, mais c'est ainsi fait.

Si vous vouliez modifier toute la législation, d'un point de vue purement mécanique, vous n'auriez pas à le faire collectivement, vous pourriez plutôt le faire une mesure législative à la fois. Cependant, c'est une question de processus, et ce serait un changement dramatique. Le ministre a fait une déclaration de principes importante lorsqu'il a comparu devant vous en demandant pourquoi nous rendrions plus difficiles les poursuites relatives aux accusations portant sur les espèces en voie de disparition que sur celles relatives aux espèces abondantes, notamment la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs — et la Loi sur les pêches, tant qu'à y être. À proprement parler, ce n'est pas une question de droit. Vous pourriez rendre les infractions mens rea ou de responsabilité stricte. Ce n'est pas seulement une question stricte de droit lorsque vous faites votre choix.

Le sénateur Eyton: Cela me dérange, mais je ne pense pas qu'il y ait grand-chose que nous puissions y faire compte tenu de la pratique et des précédents.

Le sénateur Spivak: Dans la même veine, quelle est la jurisprudence à cet égard? En d'autres mots, y a-t-il une jurisprudence considérable où les gens ont été poursuivis pour des infractions de responsabilité stricte en vertu de toutes ces lois: la Loi sur les pêches, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement — à laquelle on n'a pratiquement jamais recours — et la Loi sur le transport des marchandises dangereuses, peut-être?

Le sénateur Kenny: En toute équité, nous pouvons nous consoler du fait qu'il y aura peu de fonds destinés aux inspecteurs et aux gens pour leur permettre de mettre en application cette mesure législative proposée.

Le sénateur Spivak: Précisément. Je souscris tout à fait à ce point de vue, mais je me pose des questions au sujet des antécédents en ce qui concerne d'autres lois.

M. Near: Je peux parler en toute connaissance de cause au sujet de la LCPE, de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs et de la Loi sur la protection d'espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, la loi au sujet de laquelle j'ai donné de façon active des conseils. Pour l'essentiel, en vertu de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, la plupart des infractions concernent la prise trop nombreuse d'oiseaux ou la chasse en dehors de la saison. La grande majorité des contrevenants présentent des plaidoyers de culpabilité. Que je me souvienne, je n'ai jamais vu de procès importants où un chasseur a plaidé la diligence raisonnable.

En ce qui concerne la LCPE, je ne peux l'affirmer en toute certitude. Je ne sais pas si le nombre de poursuites est important. Je dirais que nous sommes passablement sélectifs quant aux causes qui sont instruites. De façon générale, ce sont des incidents comportant une importante pollution et mettant en cause une partie défenderesse «de taille» de l'autre côté.

Le président: Encore une fois, c'est la «quadrature du cercle», mais des gens nous ont dit qu'ils s'opposent à la nature des sanctions prévues dans ce projet de loi. Il arrive que les chasseurs qui plaident coupables le font parce qu'ils estiment qu'ils sont sur la voie ferrée face à un train qui fonce sur eux à 90 milles à l'heure et qu'il leur en coûtera quelque chose comme 25 000 pour se défendre contre cette accusation. Donc, ils abandonnent tout simplement et plaident coupables et paient l'amende. Cet argument vous inspire-t-il quelque chose?

M. Near: D'après mon expérience personnelle, non, la plupart d'eux plaident coupables parce qu'ils sont bien heureux d'éviter d'être cités devant les tribunaux et parce qu'ils ont trop d'oiseaux et qu'ils veulent rentrer chez eux. C'est ce qui se passe habituellement dans le cas de la chasse et des oiseaux migrateurs. Ce n'est pas seulement au sujet des oiseaux migrateurs. Vous verrez également, au niveau provincial, des situations où les chasseurs ont été pris en train de faire quelque chose et ils ont tout simplement voulu accélérer le processus, si vous voulez. Voilà pourquoi je dis que je n'ai pas eu connaissance d'infractions de diligence raisonnable en ce qui concerne les oiseaux migrateurs dans mes 13 années en poste.

Le président: Y a-t-il d'autres questions?

Je tiens à remercier M. Near d'avoir comparu devant le comité pour répondre à nos questions.

Le sénateur Buchanan: Il y a précisément une semaine, j'ai passé une heure et demie avec quelque 70 étudiants de l'Université Dalhousie, du département des ressources et de l'environnement. Toute l'heure et demie a été consacrée à ce projet de loi. Un des professeurs agrégés est membre du COSEPAC. En toute honnêteté, ces étudiants m'en ont appris beaucoup au sujet de ce projet de loi. J'ai été surpris de toutes les connaissances qu'ils possédaient.

Je tenais à faire part de cette information aux membres du comité. Bien que le projet de loi puisse comporter quelques lacunes, la totalité des étudiants avaient hâte que le Sénat l'adopte.

Le président: Le mot «lacune» semble être le mot à la mode de nos jours.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


Haut de page