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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 5 - Témoignages du 26 novembre 2002


OTTAWA, le mardi 26 novembre 2002

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-5, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada, se réunit aujourd'hui à 18 h 30 pour en faire l'examen.

Le sénateur Ione Christensen (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente suppléante: Nous souhaitons la bienvenue à nos témoins. Je vous remercie beaucoup d'avoir attendu. Nous nous excusons de notre retard. Nous étions en train de siéger au Sénat et nous venons tout juste de recevoir l'autorisation de venir ici entendre votre témoignage. Veuillez commencer votre exposé.

M. Pierre J. Beauchamp, chef de la direction, Association canadienne de l'immeuble: L'Association canadienne de l'immeuble représente plus de 65 000 courtiers immobiliers dans toutes les régions du Canada, ainsi qu'une centaine de chambres immobilières au niveau local. Bon nombre de ces chambres immobilières couvrent un vaste territoire, et nos membres vendent des propriétés dans les régions rurales et éloignées.

L'Association canadienne de l'immeuble est propriétaire et gestionnaire du service interagences, mieux connu sous l'acronyme anglais MLS. Le service interagences est un système coopératif d'inscription utilisé exclusivement par les courtiers immobiliers membres de l'Association canadienne de l'immeuble. L'année dernière, plus de 421 000 transactions ont été effectuées par l'entremise du service interagences, ce qui représente une injection de 73 milliards de dollars dans l'économie.

Nous savons que le territoire est important pour les Canadiens. Par extension, le respect du territoire et partant, des droits de propriété, l'est tout autant. En fait, dans le passé, nous avons commandé des sondages qui montrent que 80 p. 100 des Canadiens jugent assez ou très importante la protection des droits de propriété. Les courtiers en valeurs immobilières appuient le renforcement des droits de propriété depuis plus de 20 ans. Pendant pratiquement tout ce temps, nos dirigeants politiques nous ont dit que l'absence des droits de propriété dans la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas une cause d'inquiétude. À leur avis, les droits de propriété sont solidement établis dans la common law et bien protégés dans la législation canadienne.

Pour notre part, nous estimons que les droits de propriété ne sont pas suffisamment protégés dans le projet de loi C- 5 actuellement à l'étude, ce qui est malheureux. C'est malheureux parce que nous pensons que l'approche générale du gouvernement est la bonne. Nos membres appuient le principe d'une loi visant à protéger les espèces en voie de disparition. Pour la plupart, ils adhèrent d'accord à une approche coopérative en matière d'intendance. Le problème, c'est que lorsque cette approche axée sur la coopération échoue, le projet de loi stipule clairement qu'un propriétaire ne peut plus exploiter sa propriété. Nous ne faisons aucune distinction entre l'appropriation partielle d'une propriété et son expropriation pure et simple. D'après les experts que nous avons consultés, pareille restriction de l'utilisation d'un bien-fonds équivaut à une expropriation en droit.

Soyons clairs: Dans ce projet de loi, nous accordons au pic à tête blanche des droits très précis, alors que les droits des propriétaires demeurent vagues et mal définis. Le paragraphe 64(1) précise que le ministre de l'Environnement «peut» verser à toute personne une indemnité juste et raisonnable pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires que pourrait avoir l'application de la loi. Dans d'autres articles, le projet de loi utilise l'expression «le ministre est tenu de» pour décrire les mesures requises par la loi.

En dépit des instances répétées présentées par nos membres et par de nombreux autres intervenants pour que l'on remplace le terme «peut» par «est tenu de» au paragraphe 64(1), jusqu'ici, le gouvernement a fait la sourde oreille. Il a plutôt accepté de reformuler le paragraphe 64(2) pour exiger la prise de règlements pour appliquer l'indemnisation. Dans l'ébauche à l'étude, il est dit que le gouverneur en conseil «doit» prendre des règlements. Auparavant, le terme «peut» était également employé à l'égard de la prise de règlements.

Sénateurs, la Chambre des communes a modifié le mauvais article. La garantie d'une réglementation n'équivaut absolument pas à l'assurance qu'un propriétaire foncier privé de l'utilisation de sa terre recevra une indemnisation. Il aurait plutôt fallu remplacer le verbe «peut» par «est tenu de» ou «doit» au paragraphe 64(1). De cette façon, l'indemnisation aurait été garantie.

La Chambre des communes a amendé l'article en ajoutant une précision, soit que l'indemnisation devra être «juste et raisonnable». Autrement dit, le niveau d'indemnisation doit correspondre à la perte subie. Voilà pourquoi l'ajout de l'expression «juste et raisonnable» est le bienvenu. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous appuyons la nouvelle politique du ministre consistant à appliquer une approche souple, fondée sur l'expérience pratique, pour déterminer le montant de l'indemnité. Comme nous nous opposions à la formule arbitraire qui avait été proposée auparavant, c'est un changement que nous accueillons favorablement.

Au Canada, nous disposons d'une solide expertise pour ce qui est d'évaluer la valeur d'une perte. Le comité de la Chambre a entendu un expert estimateur qui a déclaré qu'il existe déjà des méthodes bien définies et éprouvées pour mener à bien l'évaluation requise en vue de fixer l'indemnité correspondant à la perte de valeur. Ces méthodes sont déjà utilisées à l'égard des terres cédées au gouvernement dans le cadre de l'Initiative fiscale pour les dons écologiques relevant d'Environnement Canada.

À nos yeux, le maillon manquant est la garantie, inscrite dans le texte législatif, qu'une indemnité sera versée. Depuis le tout début, le paragraphe 64(1) stipule qu'une indemnité sera versée uniquement dans les cas où l'application de la loi aurait eu «des conséquences extraordinaires». Cela n'a pas changé. Qu'entend-on par «conséquences extraordinaires»? Cela n'a jamais été défini. On suppose qu'on laissera aux bureaucrates chargés d'élaborer la réglementation le soin de définir cette expression, mais à notre avis, c'est nettement insuffisant.

Nous voulons nous assurer que dans la foulée de l'adoption du projet de loi, le propriétaire foncier ne sera pas réduit à exercer un seul droit — c'est-à-dire le droit de lutter pour obtenir une compensation quelconque dans un processus bureaucratique interne, sans garantie de succès et sans possibilité de faire appel.

Madame la présidente, nous avons tous une responsabilité face au patrimoine foncier. Les courtiers immobiliers qui sont membres de notre association adhèrent sans exception à ce principe. Cependant, nous estimons qu'en tant que législateurs, vous avez également des devoirs envers les personnes qui vivent sur la terre. C'est une question d'équilibre. Tout comme on recherche l'équilibre dans l'environnement, on doit également rechercher l'équilibre et l'équité en ce qui concerne les droits des citoyens. Si on limite leurs droits, il faut les indemniser équitablement. C'est tout ce que nous demandons.

M. Mike Buis, coprésident, Comité de l'environnement, Canadian Cattlemen's Association: Merci. Je m'appelle Mike Buis, et je suis un producteur de boeuf du sud-ouest de l'Ontario. Aujourd'hui, je vais vous présenter la position des membres de la Cattlemen's Association au sujet du projet de loi.

Les producteurs de bœuf ont participé à l'évolution de cette mesure législative depuis les premières consultations tenues il y a huit ans. À l'époque, tout comme maintenant, nous souhaitions vivement que la mesure, tout en protégeant les espèces en péril au Canada, offre aussi aux producteurs de bœuf du Canada l'assurance qu'ils ne seront pas indûment désavantagés advenant son adoption.

Notre mémoire contient un résumé de la situation de l'industrie bovine au Canada afin de mieux vous faire comprendre l'ampleur des défis auxquels notre secteur fait face. Un survol des efforts de conservation volontaires déjà déployés par les producteurs de bœuf y figure également.

Cela dit, dans mon exposé, je m'attacherai surtout à la mesure législative proprement dite.

Le projet de loi est complexe. Dans de nombreux domaines, nous avons proposé des changements. Par ailleurs, sur certains points, nous avons félicité le ministre Anderson d'avoir mis de l'avant des approches novatrices et tout à fait canadiennes. J'en citerai deux en particulier, soit la reconnaissance du fait que les activités d'intendance sont importantes pour la conservation des espèces et qu'il convient de les appuyer, ainsi que le retrait de la partie sur les poursuites civiles.

En ce qui concerne l'intendance, nous accueillons favorablement les dispositions relatives aux accords de conservation tant pour les espèces en péril que pour les autres espèces, de même que les accords de financement prévoyant le partage des coûts de certains programmes. Ce mécanisme permettra d'utiliser des fonds publics pour aider les producteurs à apporter les changements nécessaires aux pratiques d'intendance pour assurer la protection des espèces.

Il faut également prévoir un soutien financier suffisant pour empêcher que certaines espèces se retrouvent en péril. Les ressources en question doivent s'ajouter à celles disponibles pour protéger les espèces déjà en péril. Ce soutien financier est nécessaire non seulement au niveau de l'administration gouvernementale, mais aussi sur le terrain, au niveau des groupes de conservation et des propriétaires fonciers locaux. Si l'on veut réussir à changer les attitudes et les pratiques de gestion, il faudra consentir un effort national concerté appuyé par des ressources financières.

L'incidence potentielle de la mesure à l'étude suscite des inquiétudes considérables dans la communauté rurale. Or, il est difficile de prendre de bonnes décisions d'affaires dans un climat d'incertitude. L'agriculture traverse une période difficile. De nombreux producteurs doivent prendre des décisions ardues. La mesure ne devrait pas constituer pour eux un fardeau supplémentaire. Pour apaiser leurs craintes, la Canadian Cattlemen's Association propose les amendements suivants: garantir une indemnisation intégrale pour la restriction des utilisations normales et la perte de valeur marchande des terres; ajouter les termes «sciemment» ou «délibérément» à l'interdiction de tuer, nuire, harceler, capturer ou prendre un individu d'une espèce disparue, en voie de disparition ou menacée; prévoir un processus de désignation des espèces avant de porter des accusations potentielles; et réduire le montant des amendes pour le rendre proportionnel à la gravité de l'infraction.

D'après la formulation du paragraphe 32(1), sous la rubrique «Interdictions générales», il s'agit d'une question de responsabilité stricte. Cela signifie que la Couronne doit uniquement prouver que l'infraction a eu lieu. L'accusé doit ensuite faire la preuve qu'il a respecté son devoir de diligence. Autrement dit, les propriétaires fonciers pourraient être obligés d'effectuer des évaluations environnementales sur leurs terres pour pouvoir prouver qu'ils savaient quelles espèces s'y trouvaient et que leur gestion en était sans reproche. Ce n'est pas là un fardeau raisonnable pour eux. Dans bien des cas, nos connaissances au sujet de ces espèces sont très limitées. Souvent, les biologistes ne savent pas avec certitude quels changements ou quelles pratiques de gestion recommander pour améliorer le sort d'une espèce.

La défense du devoir de diligence est dispendieuse. Le coût d'une évaluation environnementale pourrait entraîner la faillite de nombreux ranchs ou exploitations agricoles, et ce même sans tenir compte des temps économiques difficiles que nous vivons. Comme vous le savez sans doute, il nous est absolument impossible de refiler nos coûts aux consommateurs.

Les producteurs de bœuf ont exprimé leur volonté de participer à des programmes et à des projets favorables à la biodiversité et à la conservation des espèces sauvages. Or, cette bonne volonté et cet esprit de collaboration risquent d'être compromis si l'on maintient le caractère indûment rigide et punitif de cette interdiction. Les éleveurs de bétail comprennent la nécessité de pénaliser ceux qui tuent ou harcèlent délibérément des animaux sauvages. Il convient d'ajouter les termes «sciemment» ou «délibérément» à cette interdiction. Ce changement qualifierait l'infraction de mens rea, ce qui signifie qu'elle aurait été perpétrée de façon délibérée.

Afin de donner aux propriétaires fonciers l'assurance que l'on reconnaît à sa juste valeur leur participation, nous proposons de supprimer le membre de phrase «dans la mesure du possible» au paragraphe 39(1). Nous convenons que le ministre doit maintenir une approche souple, mais ce dernier n'a laissé aucun doute sur sa volonté de faire participer les propriétaires fonciers à la planification du rétablissement. Le libellé de cette disposition devrait refléter cela.

Il importe que la mesure reconnaisse la nécessité de faire participer les titulaires de domaines à bail ou les locateurs à la planification du programme de rétablissement et à l'élaboration des plans d'action. Des millions d'acres de terres agricoles appartenant aux provinces et à des propriétaires absents sont gérés par des titulaires de bail.

Nous félicitons le gouvernement d'avoir embrassé le principe de l'indemnisation et inclus une formulation habilitante dans le projet de loi C-5. Cette initiative est cruciale pour le succès des efforts visant à protéger les espèces en péril lorsque leur bien-être dépend de terres privées. Compte tenu de l'importance que revêt l'indemnisation pour les producteurs de bétail, nous avons demandé au gouvernement de remplacer le verbe «peut» par «est tenu de». De même, nous l'invitons instamment à retirer le terme «extraordinaires». Nous recommandons que tout producteur qui absorbe des pertes au titre de l'utilisation normale prévue et de la valeur marchande de sa terre par suite de la mise en œuvre de la mesure ait droit à une indemnisation.

On peut raisonnablement supposer que le genre de restrictions que la Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada risque d'imposer aux éleveurs de bétail et aux agriculteurs interdira toute exploitation agricole ou toute autre utilisation économique de la terre. Si cela se produit, les propriétaires fonciers perdront pratiquement tous les droits associés à leurs terres, ce qui pourrait leur enlever toute valeur.

Dans l'importante décision rendue dans l'affaire Regina c. Tener, ces circonstances précises ont amené la Cour suprême du Canada à conclure à l'expropriation et à exiger du gouvernement le versement d'une indemnisation intégrale. Les terres qui sont la propriété du gouvernement fédéral ou provincial jouent un rôle clé dans l'économie agricole, particulièrement dans les Prairies. Les éleveurs de bétail détenteurs de baux sur des terres domaniales ou provinciales risquent de subir des contrecoups négatifs considérables advenant qu'elles soient désignées comme habitats dans le cadre d'un programme de rétablissement, s'ils ne sont pas admissibles à une éventuelle indemnisation. Les baux à long terme de terres gouvernementales, que la tradition veut que l'on renouvelle habituellement, ont fait de ces terres une partie intégrale de ces exploitations pour ce qui est du budget d'immobilisations et de la planification agricole. L'interdiction d'accéder à ces terres louées risque d'imposer au locateur des pertes plus considérables que la valeur actuelle des paiements locatifs sur le bien-fonds en question. Cela risque de compromettre la viabilité financière de l'exploitation bovine ou agricole.

Toutefois, nous encourageons fortement le gouvernement à financer convenablement les programmes et les incitatifs à l'appui de l'intendance. Si cela est fait, nous croyons qu'il y aura un nombre minimal de demandes d'indemnisation. Cela dit, il est très important pour les propriétaires fonciers et les gestionnaires de terres d'avoir accès à une indemnisation intégrale pour être sûrs que leur mode de vie ne sera pas menacé.

Les amendes proposées sont excessives par rapport à au crime. Si l'on ne veut pas porter atteinte à l'esprit de collaboration nécessaire à l'application de la mesure, il faudra apporter plusieurs changements. L'un d'eux consiste à imposer des peines proportionnelles à la gravité de l'infraction. Nombre de ranchs et d'exploitations agricoles familiales sont constitués en société, mais leurs revenus ou leurs profits ne se comparent certainement pas à l'idée qu'on se fait de ceux d'une grande entreprise. C'est une distinction qui s'impose. Le Canada compte près de 29 000 exploitations agricoles qui sont des entreprises familiales constituées en société. La nature cumulative des amendes est inappropriée et il convient de la supprimer.

Nous constatons qu'en matière de poursuites, cette mesure est similaire à la plupart des autres mesures de protection de la faune, qu'elles soient fédérales ou provinciales; les infractions ont trait à la responsabilité stricte. Nous pensons cependant qu'il y a lieu d'adopter une nouvelle approche dans le présent texte législatif. Selon notre association, la Couronne devrait être tenue de prouver que c'est avec une intention délibérée et coupable que l'inculpé a tué ou harcelé une espèce particulière figurant sur la liste.

Nous avons également demandé que la Couronne soit tenue d'aviser les propriétaires fonciers de la présence d'une espèce en péril sur leur propriété, ainsi que des mesures bénéfiques qu'il convient de prendre pour la protéger. Un éleveur de bétail qui a recours aux pratiques agricoles normales ne devrait pas être passible de poursuites aux termes de la présente mesure. Nous convenons par ailleurs que toute personne ayant agi avec négligence, témérité ou une intention nuisible devrait faire face à des accusations en vertu du projet de loi.

En conclusion, s'il est important que la mesure soit rédigée de façon à protéger efficacement les espèces en péril, il faut aussi que ce faisant, elle ne menace pas des entreprises légitimes comme la production bovine. Les éleveurs de bétail contribueront certainement à préserver ces espèces, mais ils auront besoin d'aide pour le faire. On ne peut s'attendre à ce que les familles rurales assument seules ce fardeau.

Le sénateur Banks: Mille excuses pour vous avoir fait attendre si longtemps. Le Règlement du Sénat, contrairement à celui de l'autre endroit, exige que les comités sénatoriaux n'amorcent pas leurs travaux tant que le Sénat siège. Même si j'ai obtenu l'autorisation de venir ici avant que le Sénat ne lève la séance d'aujourd'hui, nous vous avons fait attendre indûment. Je me confonds en excuses en mon nom en particulier et au nom des autres sénateurs.

Je suis ravi que le comité ait pris l'initiative d'entendre des témoignages même si quelques sénateurs manquaient à l'appel.

En guise de préambule, permettez-moi de vous dire que je suis le parrain du projet de loi au Sénat. C'est à moi qu'il incombe, en tant que parrain du projet de loi à la chambre haute, de le faire adopter. Par conséquent, je ne prétends pas à l'objectivité complète dans ce dossier. Je voulais que vous le sachiez.

Nous avons obtenu de la part du ministre et d'autres acteurs des assurances consignées au compte rendu. Entre autres choses, monsieur Buis, vous avez mentionné tout à l'heure le risque que vos membres soient pénalisés dans l'exercice de leurs activités. À cet égard, on nous garantit que les pratiques qui ne sont pas contraires à la loi actuellement ne le seront pas davantage une fois le projet de loi adopté, pourvu qu'elles correspondent aux activités normales d'une entreprise.

On nous a aussi dit que la même chose vaut pour le projet de loi C-10, Loi sur la cruauté envers les animaux. C'est une autre mesure que nous attendons et qui intéresse votre secteur.

J'aimerais poser à chacun d'entre vous la même question. Je sais que vous appuyez tous deux les objectifs du projet de loi, c'est-à-dire imposer des sanctions plus rigoureuses aux personnes qui sont délibérément cruelles envers les animaux et élargir légèrement les circonstances dans lesquelles il est possible de porter des accusations.

Lorsque le Sénat est saisi d'un projet de loi par l'autre endroit, il a trois options: l'adopter, l'amender ou le rejeter. Il est rare que le Sénat choisisse la troisième option. Plus souvent qu'on ne le croit, il opte pour la deuxième et parfois, pour la première. Dès que nous amendons un projet de loi, nous devons le renvoyer à la Chambre des communes étant donné qu'il s'agit alors d'un projet de loi différent et qu'aucune mesure législative ne peut être adoptée, sous la même forme, sans l'assentiment des deux chambres. D'ailleurs, l'autre endroit peut également apporter des changements à la disposition visée par notre amendement, c'est-à-dire amender l'amendement.

Vous êtes certainement au fait, comme nous, de la discussion qui a eu lieu à la Chambre des communes et des arguments qui ont façonné l'évolution du projet de loi pour lui donner sa forme actuelle. Par conséquent, vous savez pertinemment que certains députés estiment que ce projet de loi est extrême sous un angle ou un autre. Si nous amendons un projet de loi, il est automatiquement renvoyé à la Chambre des communes et il y a de très bonnes chances que la disposition que nous avons amendée fasse l'objet d'un amendement allant complètement dans le sens contraire de celui que nous souhaitions.

Voilà le risque que nous courons si nous apportons un amendement en ce qui concerne l'indemnisation. Il y a lieu de craindre que si le projet de loi est renvoyé à l'autre endroit avec un amendement relatif à l'indemnisation, par exemple, le libellé soit moins clair, moins mordant et moins sûr qu'il ne l'est à l'heure actuelle. Il est aussi possible — et nous savons que vous êtes opposés à la cruauté envers les animaux — que les choses s'enlisent à un point tel à l'autre endroit que l'on perde le projet de loi en entier.

Je déteste qu'on me dise: «Je suis ici de la part du gouvernement pour vous aider.» Je déteste encore plus qu'on me dise: «Faites-moi confiance.» Compte tenu des possibilités que j'ai mentionnées et de la teneur actuelle du projet de loi et de l'attitude raisonnable de la plupart des procureurs à l'égard de ces questions — même en ce qui concerne la responsabilité stricte —, souhaitez-vous quand même que nous envisagions sérieusement d'amender le projet de loi?

M. Beauchamp: Vous soulevez une question intéressante de processus et de procédure. La raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui n'a rien à voir avec le processus, mais plutôt avec la détermination des courtiers immobiliers que je représente ici aujourd'hui d'obtenir la protection des droits de propriété au Canada. Nous considérons que c'est là un droit fondamental des Canadiens et nous jugeons pratiquement impératif que les changements mineurs que nous recommandons soient mis en œuvre. Dans la première partie de mon exposé, j'ai fait remarquer que les courtiers en valeurs immobilières du Canada appuient le principe général qui préside au projet de loi.

Toutefois, nous craignons que les droits des Canadiens ne soient pas suffisamment protégés. La Constitution du Canada n'offre aucune protection à l'égard des droits de propriété. Nous devons y veiller au cas par cas, loi après loi. Je comprends les problèmes de processus et de procédure que vous venez d'expliquer. Ils sont très clairs, et je les comprends très bien. Néanmoins, c'est peut-être par erreur que l'on n'a pas changé «peu» par «doit». Je pense qu'on avait peut-être l'intention d'employer «doit» et que, par conséquent, ce ne serait pas un changement très compliqué puisque c'est tout ce que nous demandons.

La mesure n'est pas parfaite; il y a d'autres changements que nous souhaiterions. Toutefois, nous n'allons pas perdre du temps au sujet de ces autres changements. Pour ce qui est de celui-ci, toutefois, nous jugeons important que votre comité envisage sérieusement de changer ce seul mot car à notre avis, cela aurait une incidence considérable pour les Canadiens.

Le sénateur Banks: Il va de soi que je ne parlais pas de la cruauté envers les animaux, mais plutôt de la disparition d'animaux. Je me suis mis à parler tellement vite que j'ai fait un lapsus. Cependant, la même question et les mêmes arguments s'appliquent dans ce cas.

M. Buis: En tant que représentant de la Cattlemen's Association, je n'ai pas à me soucier de savoir comment la Chambre votera. Je ne suis pas non plus ici pour vous dire comment vous acquitter de votre mandat. Je suis ici pour vous faire comprendre que les producteurs de bétail estiment qu'il s'agit là de changements importants. Je suppose que nous allons nous en remettre à vous. Cela dit, les changements que nous proposons revêtent suffisamment d'importance pour mériter qu'on les examine sérieusement.

La présidente suppléante: Comme il n'y a pas d'autres questions, ce sera tout, messieurs. Merci beaucoup.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

M. Stewart Elgie, juriste spécialiste des questions d'environnement: Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant le comité. C'est un grand soulagement et un plaisir de comparaître devant le comité sénatorial sur cette question. J'ai comparu devant le Comité de l'environnement de la Chambre des communes à sept reprises au cours des dix dernières années sur des projets de loi concernant les espèces en voie de disparition. Je me suis prononcé au sujet de trois projets de loi différents qui sont venus terriblement prêts de se rendre au Sénat, mais qui ont été retirés à la dernière minute. Par conséquent, on pourrait peut-être en déduire que cette mesure a fait l'objet d'un débat approfondi au fil des années et que malgré qu'il ne soit pas parfait, nous devrions peut-être l'adopter et en faire un examen dans cinq ans.

Cette façon de voir les choses est peut-être juste dans le cas de nombreux projets de loi soumis à cette chambre, mais en l'occurrence les enjeux sont considérables. Si l'on fait une erreur dans le projet de loi, on peut se retrouver avec une pollution accrue et davantage d'effets négatifs sur l'habitat. Ce sont là des conséquences sérieuses. L'échec du projet de loi C-5 peut se traduire par la disparition d'espèces sauvages.

Il n'y a rien de plus irréversible que la disparition d'une espèce; cela va au-delà des effets sur la santé ou de la mort d'un animal. C'est la fin d'une espèce qui évolue depuis des millions d'années sur la terre; une espèce dont l'ADN — un seul brin — est plus complexe que tous les volumes de l'(Encyclopédie Britannica jamais publiés.

Les conséquences de l'imperfection de la mesure sont sérieuses et, pour cette raison, j'invite le comité à l'examiner en profondeur. Si vous êtes d'avis que certaines choses doivent être corrigées, je vous invite instamment à aller de l'avant, en dépit des observations du sénateur Banks. Peu de personnes au Canada sont plus impatientes que moi de voir le projet de loi adopté. J'avais moins de cheveux gris lorsqu'on a donné le premier coup d'envoi à cette initiative et je souhaite vivement qu'elle se concrétise.

À mon avis, la mesure nécessite des changements substantiels si l'on veut être sûr qu'il n'y ait pas davantage d'espèces disparues au Canada d'ici cinq ans. À l'échelle internationale, nous traversons l'épidémie de disparition la plus importante depuis l'époque des dinosaures. Le taux actuel de disparition est approximativement 10 000 fois plus élevé que le taux naturel de disparition. Dans l'état des connaissances scientifiques, on pense que tout au long des temps géologiques, une ou deux espèces disparaissaient en moyenne chaque année. À l'heure actuelle, des scientifiques réputés pour leur prudence estiment que deux à trois espèces disparaissent toutes les heures dans le monde. Dans 99 p. 100 des cas, l'activité humaine est responsable de cette accélération. Le Canada n'est pas à l'abri du problème. Il y a dans notre pays 402 espèces en péril, soit le double de leur nombre depuis que j'ai commencé à témoigner sur cette question il y a dix ans.

Pourquoi est-ce important? Voilà ce qu'on m'a demandé la première fois que j'ai comparu devant un comité de la Chambre des communes. Il est difficile de fournir une réponse complète à cette question. Il y a certaines raisons pratiques. Plus de 40 p. 100 des médicaments que nous trouvons en pharmacie sont dérivés d'espèces naturelles. Ainsi, on a constaté que l'if occidental, qui pousse en Colombie-Britannique et qu'on coupait à tort et à travers avant qu'il n'arrive à l'âge adulte, dans la mine contient du Taxol, l'une des drogues de pointe dans la lutte contre le cancer des ovaires. Je pourrais continuer sur ma lancée et vous donner bien d'autres exemples.

La faune fait partie intégrale de l'identité nationale des Canadiens. Elle est profondément ancrée en nous: c'est un sentiment de fierté, un élément rassembleur d'un océan à l'autre. Les Canadiens consacrent neuf milliards de dollars par an à des activités liées à la faune, d'après Statistique Canada, ce qui génère 200 000 emplois.

Pour moi, la véritable raison est plus profonde encore. C'est simple: les espèces en voie de disparition sont le système d'alarme de la nature. C'est un peu comme le canari dans la mine — un indice que l'écosystème dans son ensemble manifeste des signes d'épuisement. Lorsqu'une baleine blanche s'échoue sur les rives du fleuve Saint-Laurent à Québec, elle est tellement imprégnée de poisons que sur le plan juridique, on doit en disposer comme s'il s'agissait d'un déchet toxique. C'est un signe que le fleuve Saint-Laurent et l'écosystème des Grands Lacs où jouent nos enfants, où se nourrit notre bétail et à proximité duquel des êtres humains vivent est devenu trop empoisonné et qu'il faut réagir.

Les espèces en voie de disparition sont le baromètre de l'écosystème sur lequel reposent nos vies, et c'est là la raison incontournable pour laquelle il faut s'en soucier. Si nous perdons des espèces, ce n'est pas parce que nous les tuons directement, mais parce que nous détruisons leur habitat — champs, forêts et terres humides. D'après certaines estimations, nous perdons environ 240 acres d'habitat toutes les heures au Canada, ce qui représente approximativement une surface de la taille de 200 terrains de football.

Je vais préconiser plusieurs changements fondamentaux qui jouissent d'un vaste appui, non seulement auprès de toutes les organisations de protection de la faune au Canada, comme on pouvait s'y attendre, mais aussi de multiples acteurs du secteur des ressources naturelles qui ont fait front commun pour recommander des modifications raisonnables. D'ailleurs, certains de leurs représentants ont témoigné devant le comité. Plus de 1 000 scientifiques œuvrant dans les universités canadiennes ont apposé leur signature au bas d'une lettre collective adressée au premier ministre. Les députés de différentes formations politiques faisant partie du Comité de l'environnement de la Chambre des communes ont voté en faveur des changements clés dont je parlerai aujourd'hui.

J'ai présenté un mémoire que je vais vous laisser. J'ai aussi remis une trousse de documents. Après avoir rencontré littéralement des centaines de personnes au sujet de ce projet de loi, j'ai constaté qu'un graphique illustrant ses tenants et ses aboutissants était utile pour mettre en contexte certains des changements requis car c'est une mesure complexe.

Vous trouverez à l'onglet 1 de la trousse un graphique fort simple. Dans la colonne de gauche figurent les grandes lignes du projet de loi, processus d'inscription, interdiction de tuer ou de harceler directement des espèces, planification du rétablissement et protection de l'habitat, qui s'inscrivent dans un ordre chronologique. Vous constaterez que nous avons séparé les espèces relevant de la compétence du gouvernement fédéral et celles relevant du filet de sécurité.

Je vais aborder deux points principaux. Évidemment, le projet de loi s'amorce avec le processus d'inscription. Je n'en parlerai pas aujourd'hui. Mme Smallwood le fera. À gauche du graphique, on peut voir ce qui se passe lorsqu'une espèce est considérée comme une espèce fédérale. L'interdiction de tuer une espèce sur le territoire domanial, qu'il s'agisse d'une espèce aquatique ou d'un oiseau migrateur suit immédiatement l'inscription sur la liste. Il est également interdit de détruire la résidence, nid ou terrier, d'un individu de ces espèces.

Ensuite, on lance un programme de rétablissement. Le plan initial doit être finalisé en l'espace d'un an. Selon le comité de la Chambre, il convenait d'imposer un délai à la phase plan d'action du programme de rétablissement. Or, ce délai a été supprimé. Personnellement, je trouve contradictoire d'élaborer un plan d'action sans limite de temps.

Autre aspect crucial, pendant que le programme de rétablissement est en cours, on prévoit mener avec les entreprises et les propriétaires privés des négociations en vue de conclure des accords d'intendance qui permettraient d'éviter d'imposer des interdictions.

J'aborde maintenant l'enjeu le plus crucial de mon exposé d'aujourd'hui. La protection de l'habitat est le fer de lance du projet de loi. L'habitat des espèces vivant sur le territoire domanial et des espèces aquatiques est protégé. Cependant, rien n'est prévu pour assurer la protection de l'habitat des oiseaux migrateurs. En dépit du fait qu'on reconnaît qu'il s'agit là d'une espèce relevant de la responsabilité du gouvernement fédéral, le projet de loi adopte une approche anormale, en ce sens qu'on précise que le Cabinet pourrait choisir de les protéger à l'avenir mais que contrairement à ce qu'on fait pour les espèces vivant sur le territoire domanial, la protection de l'habitat n'est pas exigée.

À mon avis, il s'agit là de la plus importante lacune du projet de loi car elle amènera vraisemblablement de nombreux oiseaux migrateurs au bord de l'extinction, et certains n'y échapperont pas.

J'appuie sans réserve le principe de l'intendance et l'approche coopérative du projet de loi. Cependant, il faut qu'une loi fasse appel à la fois au bâton et à la carotte pour avoir du succès. Il faut espérer que la carotte suffira à faire le gros du travail. Mais sans bâton, c'est-à-dire la certitude que la protection juridique s'appliquera, la carotte et les incitatifs du projet de loi ne donneront pas d'aussi bons résultats.

La partie du projet de loi consacrée aux oiseaux migrateurs fait état d'une protection discrétionnaire seulement. Il est indéniable que le gouvernement fédéral a compétence sur les oiseaux migrateurs et leur habitat. Dans la trousse, vous constaterez que nous avons consulté la plus haute instance du pays. En effet, nous avons retenu les commentaires de l'ancien juge de la Cour suprême Gérard LaForest qui avait rédigé les trois derniers jugements de la cour au sujet de la Constitution et de l'environnement. Je ne vais pas vous en faire lecture maintenant, mais vous pourrez en prendre connaissance à loisir à l'onglet 10. M. LaForest, et son collègue, M. Dale Gibson, l'un des plus éminents constitutionnalistes du pays, ont noté que la compétence du Parlement à l'égard des oiseaux migrateurs et de leur habitat est d'une grande portée et pratiquement incontestable. Ils l'appuient sans réserve. D'ailleurs, l'Association du Barreau canadien est d'accord avec cette opinion. Néanmoins, le gouvernement fédéral a adopté une approche différente dans ce texte législatif.

Le gouvernement fédéral a établi une protection pour la résidence, nid ou terrier, de l'oiseau migrateur, mais pas pour les autres aires dont dépend son habitat. Sur cette diapositive, vous voyez qu'une espèce appelée «guillemot marbré», qui est une espèce d'oiseaux en péril, passe ses journées sur l'eau le long de la côte du Pacifique. Cet oiseau a un curieux cycle de vie. Il niche sur des branches moussues à plusieurs centaines de pieds de hauteur, dans des forêts de vieux peuplements. Aux premières lueurs de l'aube, il s'envole vers l'eau et ne revient à son nid qu'après le coucher du soleil.

Le seul moyen de trouver le nid de l'un de ces oiseaux, c'est de se promener à l'aube dans une forêt ancienne et de scruter la voûte de verdure au-dessus de nos têtes, dans l'espoir d'apercevoir une petite silhouette s'envoler d'un arbre, de deviner de quel arbre l'oiseau est parti, de grimper dans l'arbre et de chercher un creux dans la mousse de la taille d'une tasse de thé. Ce n'est qu'après avoir cherché pendant des années qu'on a réussi à en trouver un en 1989. Nous savions toutefois que ces oiseaux étaient moins nombreux parce qu'on en voyait moins sur l'eau.

Des chercheurs de l'Université de Victoria ont passé l'été de 1989 à chercher ces oiseaux. Vous pouvez voir ici le cordage qu'ils utilisaient pour grimper dans un arbre très tôt le matin. Voyez-vous cette petite dépression encerclée de blanc? C'est le premier nid de guillemots marbrés trouvé au Canada. Ils ont vu des dizaines d'autres guillemots marbrés tourner en cercle au-dessus des arbres, mais ils n'arrivaient pas à trouver le nid. Même s'ils ne trouvaient pas les nids proprement dit, ils savaient que ces oiseaux nichaient là-haut.

La compagnie forestière, en application de la loi, a protégé seulement l'arbre de nidification et une petite zone tampon autour. Les travailleurs ont coupé à blanc une bonne partie du secteur, même si l'on savait que ces oiseaux en péril y nichaient. Heureusement, ce secteur a ensuite été transformé en un parc et le guillemot marbré survit dans la région.

Cette histoire a été publiée en première page du New York Times il y a deux ans. Vous trouverez cet article à l'onglet 12 de mon document. On signalait dans l'article que le Canada ne protège pas des oiseaux migrateurs qui sont en voie de disparition et qui sont partagés avec les États-Unis. On y voir une photographie d'un nid de guillemots marbrés solitaires dans un secteur de coupe à blanc. C'est ce qu'on appelle la «protection» d'un nid. C'est ce que ce projet de loi exige pour les 20 espèces d'oiseaux migrateurs en voie de disparition et menacées du Canada, espèces qui, nous le reconnaissons tous, sont en bonne voie d'extinction. Je peux vous assurer qu'une telle protection ne les empêchera pas de disparaître à tout jamais.

Je vous exhorte à réfléchir sérieusement à cela et à prendre en considération que non seulement moi, mais aussi l'Association des produits forestiers du Canada, l'Association minière du Canada et les membres et le Groupe de travail sur les espèces en danger de disparition, y compris la Fédération de l'agriculture, l'Association des producteurs et le Conseil des pêches — tous ont recommandé que la protection de l'habitat des oiseaux migrateurs soit assurée par les autorités fédérales.

Ce projet de loi n'aura pas beaucoup d'impact. Il est semblable à la Loi sur les pêches par laquelle le gouvernement fédéral s'acquitte de la responsabilité qui lui est confiée par la Constitution dans le domaine du poisson. Cette responsabilité s'étend à l'habitat du poisson, même quand cet habitat englobe des zones riveraines qui peuvent être des terres provinciales ou privées. Cette disposition fait partie de la Loi sur les pêches depuis 1977 et cela n'a pas été la fin du monde.

Il faut faire la même chose pour les oiseaux migrateurs. Si nous ne le faisons pas, le Canada deviendra le maillon faible des pays de l'ALENA. Les lois mexicaine et américaine sur les espèces en danger de disparition prévoient une protection obligatoire de l'habitat des espèces migratoires que nous partageons avec ces deux autres pays. Le Canada ne remplira pas ses obligations éthiques et légales envers nos partenaires nord-américains.

Je sais que le temps file et je vais donc m'arrêter là. J'aborde d'autres questions dans mon mémoire.

Le président: Personne ne voudrait que vous omettiez quoi que ce soit à cause des contraintes de temps. Je vous le promets.

M. Elgie: Je vous en remercie, et je sais qu'il se fait tard pour tout le monde. Le président du comité de l'autre endroit est plus direct que vous quand il demande aux témoins d'en terminer.

Le président: Au Sénat, nous voulons entendre ce que vous avez à dire.

M. Elgie: Dans ce cas, je vais poursuivre. Merci beaucoup, monsieur.

La deuxième question est celle du filet de sécurité. Si vous vous reportez au graphique qui figure à l'onglet 1, vous comprendrez l'importance critique du filet de sécurité.

C'est le filet de sécurité qui constitue l'élément essentiel de ce projet de loi. Les oiseaux migrateurs représentent environ 10 p. 100 des espèces inscrites sur la liste que nous avons au Canada. Le filet de sécurité traite d'environ 60 p. 100 des 402 espèces en voie de disparition et menacées au Canada. Ce sont des espèces qui ne vivent pas sur le territoire domanial fédéral ou qui ne sont pas considérées aquatiques ou migratoires. En pareil cas, l'approche que l'on a adoptée consiste à rendre les provinces responsables au premier chef de la protection de l'espèce, ce qui est une approche défendable, dans la fédération canadienne. Je soutiens toutefois que le point faible, c'est que le filet de sécurité est tellement peu clair et manque tellement de solidité qu'il y a très peu de chance qu'il soit jamais invoqué. Il est très possible que les espèces en voie de disparition ne seront protégées par ni l'un ni l'autre des deux ordres de gouvernement. Les autorités se livreront à un petit jeu des gobelets ou à une guerre de fiefs pour décider qui a le droit de protéger les espèces, au lieu de s'attaquer au nœud du problème, c'est-à-dire qui va les protéger.

Je peux vous assurer que la plupart des Canadiens et, assurément, les animaux sauvages se fichent éperdument de savoir que la personne qui les protège agite un drapeau provincial ou fédéral. Les gens veulent savoir que ce projet de loi garantira d'une manière ou d'une autre que ces espèces seront protégées. Le projet de loi ne donne pas cette assurance.

Ce projet de loi stipule que si une province ne protège pas efficacement l'espèce en voie de disparition ou son habitat, le ministre fédéral recommande au Cabinet de prendre un règlement pour appliquer la protection fédérale. Cependant, le Cabinet n'est pas tenu de suivre cette recommandation, son pouvoir est purement discrétionnaire.

Peut-être avez-vous déjà vu ce graphique. J'en suis l'auteur. À l'onglet 3, nous illustrons le fruit de nos recherches sur la façon dont des pouvoirs semblables dans d'autres lois fédérales ont été utilisés en adoptant une approche semblable. La Loi sur les espèces sauvages au Canada, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, la Loi sur les ressources en eau du Canada et la Loi sur la lutte contre la pollution atmosphérique ont toutes des dispositions semblables stipulant qu'en cas de conflit environnemental interprovincial ou international, le Cabinet fédéral a le pouvoir discrétionnaire de prendre des mesures en l'absence d'interventions provinciales efficaces. Ce que l'on constate, même en remontant 27 ans en arrière dans le cas de la Loi sur la faune et 30 ans en arrière dans le cas des lois sur les ressources en eau et sur la lutte contre la pollution atmosphérique, c'est que ces dispositions n'ont jamais été utilisées.

Je peux vous assurer qu'un certain nombre de graves conflits interprovinciaux et internationaux ont surgi relativement à la qualité de l'air, de l'eau et de l'évaluation environnementale. Je me ferai un plaisir d'en donner des exemples à quiconque est intéressé.

Aux termes de la Loi sur les espèces sauvages au Canada, depuis 27 ans, les autorités ont le pouvoir discrétionnaire de protéger les espèces en voie de disparition. Les membres du comité doivent maintenant être au courant qu'il y a eu certains problèmes mettant en cause des espèces en voie de disparition au cours de ces 27 années, mais rien n'a jamais été fait.

Le bilan est très peu reluisant pour ce qui est d'invoquer ces dispositions discrétionnaires en cas de divergences fédérales-provinciales. Je soutiens que si le gouvernement fédéral n'a pas actuellement la volonté de dire qu'il agira si des difficultés surgissent, il est encore beaucoup moins probable qu'il aura la volonté d'agir lorsque ces problèmes surgiront véritablement.

Quant à savoir si les provinces protègent effectivement les espèces en voie de disparition, c'est une question complexe et d'une vaste portée. Le fait que la liste s'allonge et que de plus en plus d'espèces disparaissent indique que, collectivement, nous ne faisons pas du bon travail. Cependant, à l'onglet 4, vous pouvez voir ce qui a été fait sur le point précis de l'inscription sur la liste.

Dans la colonne de gauche, vous voyez le nombre d'espèces dans chaque province que le COSEPAC, l'organisme fédéral-provincial d'experts scientifiques qui inscrit sur la liste nos espèces en péril, a identifiées comme étant en voie de disparition ou menacées. On voit ensuite le pourcentage d'espèces qui ont été légalement inscrites dans les lois de ces provinces sur les espèces en voie de disparition. Vous voyez qu'il y a des variations, mais une seule province se situe à plus de 50 p. 100, nommément le Nouveau-Brunswick. Collectivement, l'ensemble des provinces se situe à peu près à un tiers. La Nouvelle-Écosse est la seule exception, parce que sa loi stipule que toute espèce inscrite par le COSEPAC est automatiquement inscrite aux termes de la loi.

Mon argument est que les provinces n'ont même pas inscrit les deux tiers des espèces qui, d'après le COSEPAC, sont en voie de disparition, ce qui exclut toute possibilité d'intervention protectrice.

Je ne vais pas passer la liste en revue, mais si cela vous intéresse, il y a une entente fédérale-provinciale aux termes de laquelle toutes les instances s'engagent à adopter une loi sur les espèces en voie de disparition comportant au minimum 12 éléments. À l'onglet 8, on trouve un bulletin donnant une appréciation des efforts déployés par chaque instance pour respecter chacun de ces engagements. Vous remarquerez que la meilleure note de toutes est un C plus. La Colombie-Britannique n'a aucune loi sur les espèces en voie de disparition et a fait savoir qu'elle n'adopterait aucune mesure de ce genre. L'Alberta n'a pas de loi sur les espèces en voie de disparition, sinon une seule et unique disposition discrétionnaire dans la Loi sur les animaux sauvages, et elle refuse de modifier cette situation. Seulement six des treize provinces et territoires ont des lois sur les espèces en voie de disparition, même si tous ont signé un accord en 1996 par lequel on s'engageait à légiférer en ce sens, et quatre avaient déjà signé à ce moment-là.

Par conséquent, il ne faut pas s'en remettre aux provinces pour protéger les espèces en voie de disparition. La preuve démontre que cela n'arrivera tout simplement pas. J'espère que cela va arriver. Je serais absolument ravi que le gouvernement fédéral n'ait jamais à invoquer le filet de sécurité; cependant, je suis assez réaliste pour savoir que cela n'arrivera pas.

En fait, il faudrait apporter trois changements au projet de loi pour le rendre efficace. Le premier est très simple: quand une province ne protège pas une espèce en voie de disparition ou son habitat, il faudrait dire que le filet de sécurité «doit» être invoqué, et non pas «peut». Même si vous ne voulez pas aller aussi loin, il y a deux changements très simples qui permettraient au moins d'obtenir une meilleure reddition de comptes. Le comité de la Chambre a essayé d'en apporter un, à savoir indiquer des critères permettant de mesurer si une province protège effectivement l'habitat d'une espèce en voie de disparition. Cela aiderait tout le monde parce que le filet de sécurité ne serait pas appliqué arbitrairement. Ce serait uniforme, parce qu'il y aurait des critères.

Le deuxième changement est l'exigence de rendre des comptes: faire en sorte que le ministre soit tenu d'indiquer les raisons de sa décision à savoir si la province protège effectivement l'habitat. Ainsi, les raisons seraient au moins du domaine public.

Je le répète, ce qui est vraiment préoccupant, ce n'est pas l'ingérence indue; ce qui est vraiment préoccupant, c'est que ni l'un ni l'autre des niveaux de gouvernement ne protège une espèce qui est en voie de disparition. Voilà ce qu'il est très difficile d'expliquer aux Canadiens.

Je n'irai pas plus loin. Je voudrais parler de l'indemnisation; je soupçonne toutefois que l'on pourrait bien avoir des questions là-dessus. Je vais donc laisser cela de côté parce que je crois que c'est un aspect qui intéresse les gens et je ne voudrais pas empiéter sur le temps de Mme Smallwood.

Voilà donc les deux principaux points. Il y en a deux ou trois autres dans mon mémoire, à la page 1, et je me ferai un plaisir de répondre aux questions sur ces points.

Je vais terminer en disant que ce projet de loi présente une remarquable occasion de faire quelque chose de bien pour les Canadiens, quelque chose qui va nous unir. C'est l'une des rares fois où nous avons la chance de prendre une initiative dont nous serons fiers, de la même manière que nous sommes tous fiers de nos grands espaces et de notre nature sauvage. C'est un investissement dans l'avenir du Canada, dans un avenir où il y aura encore des ours grizzly, des baleines belouga et des guillemots marbrés dans la nature sauvage.

Vous avez l'occasion et la responsabilité de faire tout en votre pouvoir pour que cette vision de l'avenir se réalise. Si je peux vous être le moindrement utile, cela me ferait grandement plaisir.

Le président: Merci, Monsieur Elgie.

Préféreriez-vous que Mme Smallwood prenne d'abord la parole, après quoi on passerait aux questions?

M. Elgie: Absolument, je crois que j'ai déjà assez empiété sur son temps.

Mme Kate Smallwood, directrice, Programme des espèces en voie de disparition, Sierra Legal Defence Fund: Je suis absolument ravie de témoigner ici devant le Sénat au sujet d'un projet de loi sur les espèces en voie de disparition au Canada. Je travaille à ce dossier depuis 1996 et, à l'instar de M. Elgie, j'ai déjà témoigné devant le Comité de l'environnement de la Chambre sur chacun des autres projets de loi. Je suis ravie d'être ici.

Aujourd'hui, je voudrais aborder brièvement deux éléments. Premièrement, je voudrais donner mon point de vue sur les deux questions qui ont focalisé l'attention du comité, et ces deux questions ont d'ailleurs été abordées par le groupe précédent. Deuxièmement, je voudrais proposer des changements limités à ce projet de loi; nous estimons que ces amendements amélioreraient considérablement le projet de loi.

Je vais traiter d'abord des deux questions clés dont le comité a été saisi. La première est celle de l'indemnisation, et la deuxième, que le sénateur Banks a soulevée tout à l'heure, est le fait que si le Sénat apporte le moindre changement à ce projet de loi, le gouvernement va le torpiller.

Je sais pour avoir lu le compte rendu des séances précédentes que la question de l'indemnisation a été soulevée notamment par les sénateurs Spivak, Milne, Kenny et Baker. Ce qui m'inquiète profondément, c'est que si le Sénat insiste tellement sur la question de l'indemnisation, c'est à cause d'un profond malentendu quant à la manière dont le projet de loi C-5 va être appliqué en réalité sur le terrain.

Je suis notamment préoccupé par trois éléments clés. Le premier, comme Peter Pearce l'a exposé en long et en large dans son rapport sur l'indemnisation, c'est que tout le projet de loi est structuré en fonction d'une approche d'efforts déployés volontairement et en collaboration, suivi d'une réglementation fédérale limitée applicable à tout ce qui est de ressort fédéral. Autrement dit, entre la carotte et le bâton, on a choisi la carotte.

Le deuxième élément clé, c'est que les interdictions de base du projet de loi, les articles 32 et 33, stipulant qu'il est interdit de nuire à une espèce ou à sa résidence, et l'interdiction relative à la destruction de l'habitat essentiel, qui figure à l'article 58, sont d'une application limitée au domaine fédéral. Les chances que ce projet de loi ne s'applique jamais à des terres privées sont extrêmement minimes, à moins que le sujet ne se trouve sur des terres fédérales, dans les eaux fédérales, qu'il s'agisse d'une espèce aquatique ou de l'une des espèces d'oiseaux migrateurs protégés aux termes de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs. Il y a 35 espèces d'oiseaux migrateurs visés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs qui sont inscrites sur la liste du COSEPAC, dont 20 sont dans une catégorie à laquelle s'appliqueront les interdictions énoncées dans le projet de loi.

Il s'agit des interdictions générales s'appliquant à des terres privées uniquement si une espèce aquatique ou 20 espèces d'oiseaux migrateurs sont en cause. Cependant, pour ce qui est de l'habitat essentiel, comme M. Elgie l'a dit, il n'y a aucune protection obligatoire pour les 20 espèces d'oiseaux dont l'habitat se trouve sur le territoire domanial. Quelles seront les modalités d'application de ces interdictions générales dans le projet de loi? Elles s'appliqueront aux terres domaniales, aux terres fédérales, aux espèces aquatiques et, pour ce qui est de l'habitat essentiel, on ne va pas plus loin.

Troisièmement, si l'on poursuit, l'approche globale est axée, dans un premier temps, sur la collaboration et, dans un deuxième temps, sur la réglementation. La deuxième partie vise l'option réglementation. Son champ d'application est très limité puisqu'il est circonscrit à la compétence fédérale seulement. Et si l'on en arrive à cette rare occasion où le projet de loi s'applique à des terres privées, on adopte une approche «sans surprise» en ce qui concerne l'habitat essentiel. Aucun propriétaire foncier ne sera étonné d'apprendre que l'habitat essentiel est protégé sur sa propriété. Pourquoi? En raison de l'approche adoptée dans le projet de loi.

Selon la définition de l'article 2, «habitat essentiel» signifie un habitat désigné comme tel dans un programme de rétablissement ou un plan d'action. Or, le processus d'identification de cet habitat exige une consultation incontournable avec les propriétaires fonciers. Ces derniers, s'ils sont directement touchés, participeront à la définition de cet habitat essentiel.

En outre, une fois qu'un habitat essentiel a été défini, dans les cas très rares où leurs terres seraient en cause, les propriétaires fonciers ont un créneau de trois mois avant que n'entrent en vigueur les interdictions prévues à l'article 58. Un processus de 180 jours s'applique aux diverses catégories ressortissant à la compétence fédérale dans cet article, avant que l'habitat essentiel soit protégé. Il faudrait qu'un propriétaire foncier soit profondément endormi ou pratiquement mort pour ne pas savoir qu'un habitat essentiel sera protégé sur sa terre.

Si vous le voulez, je vous donnerai volontiers plus de détails sur ces points.

Dans son rapport, M. Peter Pearce insiste énormément sur une autre question. Si l'on modifie la disposition du projet de loi relative à l'indemnisation pour en faire une disposition obligatoire et non plus discrétionnaire, on se trouve à assortir d'une indemnisation obligatoire une restriction réglementaire par opposition à une expropriation, ce qui représente un changement de fond dans la politique canadienne en matière d'indemnisation.

À l'heure actuelle, comme l'ont fait remarquer les représentants de la Cattlemen's Association ainsi que de l'Association canadienne de l'immeuble, si je ne m'abuse — pour ce qui est des infractions de responsabilité stricte dans le droit environnemental canadien, il est pratique courante que l'indemnisation s'applique uniquement dans les cas d'expropriation; elle ne s'applique pas dans les cas d'une exigence réglementaire. M. Peter Pearce en explique les raisons. Arguments à l'appui, il démontre clairement qu'en apportant un changement de cette nature dans le projet de loi, on se trouve à modifier de façon substantielle et fondamentale la politique canadienne, ce à quoi nous sommes assurément opposés.

Encore une fois, je pourrais vous donner de plus amples explications sur un aspect ou l'autre de l'indemnisation.

Pour en venir à la deuxième option du sénateur Banks tout à l'heure, selon laquelle le comité sénatorial ne devrait pas envisager d'apporter des changements au projet de loi sous prétexte que ce dernier pourrait être torpillé, je n'ai qu'une chose à dire: balivernes!

Je travaille sur la législation sur les espèces en danger de disparition depuis 1996. Nous avons entendu cet argument dans la bouche du ministre David Anderson et de son entourage depuis l'époque du projet de loi C-33, qui est maintenant le projet de loi C-5. J'ai ici des citations des propos tenus par le ministre Anderson, si cela vous intéresse, avant et après que le Comité de l'environnement de la Chambre des communes a amendé le projet de loi. Et voilà que maintenant, on nous serine le même argument.

Le gouvernement crie au loup dans cette affaire, c'est le moins qu'on puisse dire! Le ministre Anderson a déclaré officiellement que le projet de loi ne pouvait être déstabilisé. Par exemple, lors de sa comparution devant le Comité de l'environnement de la Chambre des communes, le 19 septembre 2000, il a dit: «Ce que j'ai dit — et je n'en démords pas —, c'est que je ne peux permettre que ce projet de loi soit déstabilisé par des amendements qui en détruiront l'intention.» Il a ensuite poursuivi dans cette veine.

Comme vous le savez, le Comité de l'environnement de la Chambre des communes a apporté des amendements en profondeur au projet de loi. On nous avait dit que s'il y avait des amendements, le ciel nous tomberait sur la tête et que cela en serait fini du projet de loi. Non seulement le projet de loi a survécu, mais le gouvernement lui-même a pris l'initiative d'y apporter des amendements — par exemple, en ce qui concerne le Conseil autochtone national, la liste et la compétence fédérale.

Le gouvernement crie au loup. Je vous conseille de ne pas vous laisser avoir. Même si l'on accepte l'argument voulant que le gouvernement torpille le projet de loi, je plaide en ce moment devant un comité composé de sénateurs. Le Sénat est une chambre de réflexion. C'est une chambre consacrée à un second examen objectif. Vous avez un travail à faire. Les Canadiens attendent du Sénat qu'il joue son rôle à l'égard de ce projet de loi.

À l'occasion de la deuxième lecture du projet de loi, le 13 juin 2002, c'est-à-dire de la première deuxième lecture au Sénat, le leader adjoint de l'opposition, le sénateur Noël Kinsella, a déclaré:

«En ce qui concerne notre rôle, honorables sénateurs, il incombe à notre chambre d'examiner et de scruter cette mesure législative de la façon la plus exhaustive possible. Autrement dit, nous ne saurions céder aux pressions et bâcler notre étude simplement parce que le gouvernement a un calendrier législatif chargé et que c'est la troisième fois que le projet de loi nous est renvoyé. S'il est possible de le renforcer et de l'améliorer, il est de notre devoir de le faire.»

Comme M. Elgie l'a expliqué avec beaucoup d'éloquence, si nous optons pour l'inaction ou que nous cédons aux pressions, cela entraînera la disparition d'espèces sauvages, et c'est pourquoi le Sénat devrait jouer pleinement son rôle. À l'instar d'autres Canadiens, je vous invite instamment à jouer votre rôle de sénateurs et à examiner cette mesure qui constitue, pour le gouvernement, la pièce maîtresse de sa législation environnementale.

Enfin, à ceux qui craignent qu'en amendant le projet de loi on lui réserve une issue fatale, je dis ceci: regardez la priorité que le gouvernement Chrétien lui a accordé. Il a été déclaré prioritaire dans de nombreux discours du Trône, dont le dernier. Le premier ministre l'a présenté publiquement comme une initiative environnementale de premier plan du Canada à Johannesburg. Ne vous méprenez pas: le gouvernement ne torpillera pas ce projet de loi si vous en faites un examen en bonne et due forme et que vous y proposez des amendements.

Voilà qui m'amène aux quatre amendements prioritaires que nous réclamons du Sénat.

À notre avis, si ces quatre amendements prioritaires étaient adoptés, le projet de loi s'en trouverait sensiblement amélioré. Je précise que tous ces amendements ont recueilli l'appui du Comité de l'environnement de la Chambre des communes.

Comme vous le savez sans doute, le Comité de l'environnement de la Chambre des communes — et j'étais présente pendant toutes les semaines qu'ont duré les audiences, à l'exception d'une seule — a conclu un compromis historique relativement aux amendements au projet de loi. Tous les amendements clés, y compris les quatre que je vais vous présenter, ont reçu l'appui de tous les partis ou de plusieurs partis autour de la table. À cet égard, l'adjectif «historique» n'est pas assez fort pour décrire ce compromis.

M. Stewart Elgie a déjà évoqué le premier amendement que nous réclamons, soit élargir la protection de l'habitat pour englober les oiseaux migrateurs au-delà du territoire domanial. Le gouvernement fédéral dispose incontestablement du pouvoir constitutionnel d'agir ainsi. Il devrait donner l'exemple aux provinces en exerçant le plein pouvoir constitutionnel qui est le sien dans ce champ de compétence fédérale. En ne protégeant pas les oiseaux migrateurs en dehors du territoire domanial, comme il le fait pour les espèces aquatiques, le gouvernement fédéral abdique ses responsabilités.

Le deuxième amendement que nous réclamons est celui-ci: inclure un échéancier d'exécution des plans d'action. Aux termes du projet de loi, le processus de rétablissement comporte deux étapes: premièrement, l'élaboration d'une stratégie de rétablissement dans un délai prescrit et, deuxièmement, l'élaboration d'un vaste cadre scientifique en vue de protéger les espèces. La deuxième étape englobe les plans d'action énonçant les mesures concrètes précises visant à protéger les espèces. Il existe à cet égard une lacune fondamentale car le gouvernement a supprimé toute mention d'un échéancier pour l'exécution des plans d'action, contrairement aux vœux du Comité de l'environnement de la Chambre des communes.

Pourquoi est-ce problématique? À l'heure actuelle, aucun délai n'est prévu en ce qui concerne le rétablissement et les mesures d'action propres à protéger les espèces en péril. Quatre cent deux espèces figurent sur la liste des espèces en péril établie par le COSEPAC. Combien d'entre elles sont visées par des mesures de rétablissement? Soixante-quatre. Combien de plans d'action ont été approuvés? Dix-neuf seulement. La feuille de route parle d'elle-même.

Si l'on ne modifie pas la mesure pour y inclure un échéancier pour les plans d'action, la situation actuelle se perpétuera, c'est-à-dire qu'on retrouvera sur la liste un nombre substantiel d'espèces mais que les interventions sur le terrain demeureront minimales.

Par le biais de notre troisième amendement, nous souhaitons instaurer une protection temporaire de l'habitat entre le moment où une espèce en péril est inscrite sur la liste et le moment où débute la protection de l'habitat essentiel dans le cadre du processus de rétablissement. Comme M. Elgie l'a signalé, la perte de l'habitat est la principale menace pour les espèces en péril. C'est bien simple, si nous voulons sauver des espèces, nous devons sauver des espaces pour elles. Entre le moment de l'inscription sur la liste et l'établissement d'une stratégie de rétablissement, ce qui peut prendre de deux à trois ans ou de quatre à cinq ans, le projet de loi ne fait rien pour contrer la menace fondamentale que constitue pour les espèces en péril la perte de l'habitat. Il y a un décalage énorme entre l'inscription sur la liste et la mise en œuvre d'une véritable protection de l'habitat essentiel.

Après avoir entendu des témoignages à ce sujet, le Comité de l'environnement de la Chambre des communes a appuyé une disposition discrétionnaire de protection temporaire de l'habitat, de façon à ce que le ministre puisse, si les circonstances l'exigent, prendre les mesures appropriées pour protéger les espèces, y compris leur habitat. Nous réclamons la réintégration de cette disposition.

Le dernier amendement clé que nous souhaitons est une disposition prévoyant un examen quinquennal régulier de la loi. Encore là, c'est un amendement qui a été adopté par le Comité de l'environnement de la Chambre. Or, le gouvernement a reculé sur ce point en adoptant un examen unique du projet de loi.

La majeure partie des efforts de rétablissement prévus dans le projet de loi auront à peine progressé ou même commencé d'ici cinq ans. Le processus de rétablissement est le principal mécanisme qui permettra de sauver les espèces sauvages sur le point de disparaître pour les ramener à un niveau de risque moindre. Nous ne saurons pas dans cinq ans quels seront les résultats de la loi. Nous en aurons une idée, mais nous n'aurons pas une vue d'ensemble. Étant donné que nous sommes en présence d'une pièce maîtresse de la législation environnementale canadienne, elle devrait faire l'objet d'un examen quinquennal régulier et non d'un examen unique pour savoir si elle fonctionne ou non.

Pour bien montrer l'importance que le gouvernement attache à l'évaluation constante du rendement du projet de loi, on a prescrit au plan législatif la tenue d'une évaluation quinquennale du statut des espèces sauvages en péril. Cette évaluation ayant lieu tous les cinq ans, nous estimons que, de la même façon, on devrait se pencher sur les résultats obtenus par le projet de loi tous les cinq ans.

Dans mon mémoire, j'ai également passé en revue de multiples amendements mineurs dont je ne parlerai pas en détail ici mais qui auraient pour effet d'améliorer des domaines clés et de supprimer des incohérences qui subsistent dans la mesure. L'une de ces améliorations a été évoquée devant le comité. Il s'agit de l'inclusion de toutes les espèces réévaluées sur la liste légale des espèces en péril. Le ministre Anderson s'était engagé publiquement à le faire et pourtant, les espèces réévaluées par le COSEPAC à la réunion de mai 2002 n'ont pas encore été incluses. Cela vise deux espèces qui ont fait l'objet d'une inscription d'urgence en octobre. D'ailleurs, le COSEPAC rendra publique sa liste la plus récente vendredi. Toutes les espèces qui sont réévaluées par le COSEPAC cette année, de même que les espèces évaluées en fonction des nouveaux critères devraient être incluses sur la liste législative.

En dernier lieu, je parlerai brièvement des espèces transfrontalières. En me fondant sur l'opinion de MM. Gérard LaForest et Dale Gibson, j'explique en détail dans mon mémoire que le gouvernement fédéral dispose du pouvoir constitutionnel nécessaire pour s'occuper de ces espèces. Reconnaissant la compétence conférée au gouvernement fédéral par la Constitution, le projet de loi C-65, Loi sur la protection des espèces en péril au Canada, renfermait une disposition spécifique à l'égard des espèces transfrontalières. De 80 à 90 p. 100 de toutes les espèces inscrites par le COSEPAC sur sa liste sont des espèces transfrontalières — d'ailleurs, mon mémoire s'accompagne d'un tableau du COSEPAC confirmant cela. Du fait qu'il se désintéresse des espèces sauvages dont l'aire de distribution ou de migration se situe entre le Canada et les États-Unis, le gouvernement fédéral abdique carrément sa responsabilité. Nous aurions préféré qu'il règle le problème.

Je vais terminer là et je répondrai volontiers aux questions concernant mon témoignage.

Le président: Avant de passer aux questions, pourriez-vous revenir sur ce que vous avez qualifié de «balivernes»?

Mme Smallwood: C'est simplement que le terme m'a paru approprié.

Le président: Pourriez-vous nous dire si vous craignez que dans les domaines où nous serions susceptibles d'apporter des amendements, le projet de loi soit amendé de nouveau lorsqu'il sera renvoyé à la Chambre des communes?

Mme Smallwood: Pour vous, sénateur Banks, c'est une raison suffisante de ne pas le renvoyer à la Chambre. Comme vous le savez pertinemment, les amendements proposés par le Comité de l'environnement de la Chambre ont été chaudement discutés au sein du caucus libéral. Après un débat approfondi au caucus libéral, le gouvernement a accepté deux des amendements clés émanant du Comité de l'environnement de la Chambre. Le premier consistait à améliorer le processus d'inscription sur la liste pour qu'elle fonctionne par défaut. Autrement dit, la liste scientifique demeure en vigueur à moins que dans les neuf mois suivants le comité prenne des mesures contraires. Ce fut le premier pas en avant. Le second amendement visait à améliorer la protection de l'habitat relevant de la compétence fédérale.

À mon avis, les membres du caucus libéral savent très bien quels domaines ont suscité un débat. Ils en ont discuté en long et en large et ont convenu des paramètres qui seraient acceptables dans le cadre du projet de loi. Contrairement à ce qu'a dit le sénateur Banks tout à l'heure, j'estime approprié de soumettre les quatre autres amendements limités que nous proposons. Je ne crains pas que cette démarche expose le reste du projet de loi à des amendements d'envergure de la part du gouvernement.

Le président: Cela ne concerne pas le reste du projet de loi, mais bien les domaines visés par nos amendements. Quel que soit le domaine que nous amendions, lorsque la mesure est renvoyée aux Communes, c'est ce domaine qui peut faire l'objet de nouveaux amendements. Tout amendement que nous apportons peut être amendé de nouveau. Par conséquent, si nous présentons un amendement dans un domaine quelconque, c'est uniquement dans ce domaine que la Chambre peut revenir avec un nouvel amendement.

Mme Smallwood: Si le Sénat explique clairement au gouvernement ce qui justifie les amendements qu'il présente, je ne crains pas de remaniement en profondeur ou de recul de la part du gouvernement.

Je pense qu'il a exprimé clairement dans quelle mesure il appuie le projet de loi, comme le caucus libéral. En ce qui concerne les quatre amendements que je soumets au Sénat, il s'agit de quatre amendements prioritaires qui ont déjà été endossés par le Comité de l'environnement de la Chambre. Pour conclure cette longue réponse, je répète que je ne crains pas que si le Sénat amende le projet de loi, nous soyons confrontés à un rafistolage des amendements que je jugerais problématique ou majeur.

Le président: Je vous rappelle qu'un bon nombre des amendements figurant dans le rapport du comité de la Chambre ont été renversés et rejetés.

M. Elgie: Je n'ai pas grand-chose à ajouter, si ce n'est qu'en tant qu'observateur à distance du Sénat, j'ai rarement vu ses membres renoncer parce que les députés de l'autre endroit risquent de ne pas partager leur point de vue. Le fait que le Sénat puisse à l'occasion nous faire bénéficier de sa sagesse est un élément positif de notre système de démocratie parlementaire.

Je suis sûr que vous avez réfléchi à tout cela, mais en guise de mesure de sécurité ou de secours, le comité pourrait rédiger un rapport qui ferait état de tous les amendements recommandés. De cette façon, vous pourriez consigner les domaines visés ainsi que les raisons qui vous ont amenés à penser que des changements étaient nécessaires pour qu'on puisse évaluer la situation dans cinq ans. À tout le moins, ce rapport survivrait, si certains de vos changements ne survivent pas. Je partage l'avis de Mme Smallwood. Il y a très peu de risque qu'il y ait un recul concernant les domaines visés par les amendements puisque la formulation actuelle reprend la formulation initiale proposée par le gouvernement.

Le président: Incidemment, j'ai posé la même question aux témoins qui vous ont précédé. Vous serez heureux d'apprendre qu'avant d'entamer nos travaux sur ce projet de loi, nous avons décidé qu'indépendamment de la façon dont nous en ferions rapport, notre décision s'accompagnerait d'observations pertinentes.

Le sénateur Spivak: Je ferai un commentaire avant de poser ma question. Si, au Sénat, une majorité de sénateurs étaient convaincus du bien-fondé d'apporter des amendements, nous pourrions adopter une stratégie audacieuse puisque c'est à nous qu'il appartient, ultimement, d'amender ou d'avaliser le projet de loi. La Chambre peut faire ce qu'elle veut. Lorsque le projet de loi nous reviendra, nous pourrions simplement demeurer sur nos positions. C'est la méthode de la ligne dure. Elle repose sur l'hypothèse que la majorité des sénateurs sont favorables à l'idée de modifier le projet de loi.

J'ai lu les commentaires du juge LaForest, et je me pose une question. Il affirme que la Convention concernant les oiseaux migrateurs — et il se lance dans une longue argumentation — a une portée qui est large, et non étroite. Il ajoute une explication très détaillée au sujet du principe de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. D'après lui, la législation fédérale relevant de ce pouvoir permet de protéger non seulement l'ensemble des oiseaux migrateurs, mais toutes les espèces en danger de disparition qui se répartissent ou migrent de chaque côté des frontières nationales ou provinciales.

Ces dernières années, toute l'attitude du gouvernement fédéral vis-à-vis ses homologues provinciaux a été marquée par une crainte ou une timidité extrême. Je me demande si la disposition de la mesure qui a pour effet de réduire la portée de la Loi sur les oiseaux migrateurs est justiciable. En en restreignant la portée comme il le fait, le gouvernement fédéral pose-t-il un geste justiciable sur le plan constitutionnel ou autre? Pourrait-on soumettre aux tribunaux tous les précédents associés à ce pouvoir? Qui plus est, en limitant l'exercice de ce pouvoir, le gouvernement crée-t-il un précédent lui permettant de le limiter pendant un certain temps? Si tel est le cas, les gouvernements provinciaux peuvent-ils légiférer dans ce domaine? Dans l'affirmative, n'est-ce pas là une évolution très dangereuse?

M. Elgie: Je comprends ces questions. Je n'ai pas la prétention d'ajouter à ce qu'a dit sans aucun doute l'un des juristes spécialistes des questions d'environnement les plus respectés au pays. Si vous avez lu son opinion, vous reconnaîtrez qu'il a présenté des arguments étoffés et convaincants pour expliquer qu'il s'agit bel et bien d'un champ de compétence fédérale.

Les avocats qui sont présents dans la salle savent très bien qu'il n'est pas possible d'engager des poursuites constitutionnelles contre le gouvernement parce qu'il n'a pas exercé sa compétence alors qu'il aurait pu le faire. Seule une contestation motivée par le fait que le gouvernement a outrepassé sa compétence est admissible. Le gouvernement n'est pas légalement tenu de légiférer dans toute la mesure de son autorité.

Il est possible d'invoquer le droit international ou des accords internationaux pour engager des poursuites contre un pays qui n'a pas honoré ses obligations internationales, mais ce sont là des pratiques somme toute inefficaces. Peut-être verrons-nous cela si le projet de loi est adopté sous sa forme actuelle car, comme je l'ai dit, le Canada ne respecte pas l'entente qu'il a conclue avec ses partenaires de l'ALENA aux termes de la Convention concernant les oiseaux migrateurs et de la Convention sur la biodiversité. Toutefois, ces recours n'ont aucun poids devant un tribunal intérieur.

À mes yeux, le plus grand problème est celui du précédent créé. C'est une source réelle d'inquiétude. Dans les années 70, lorsque nous sommes devenus plus sensibilisés aux questions environnementales, le gouvernement de l'époque s'est penché sur la Loi sur les pêches et a constaté: «Nous protégeons le poisson, comme nous le faisons depuis 90 ans, mais nous nous rendons compte maintenant que la principale menace visant le poisson est la destruction de l'habitat dont il dépend pour sa survie.» À ce moment-là, les autorités ont étendu la portée de la Loi sur les pêches pour qu'elle s'applique non seulement à la capture du poisson, mais aussi à l'habitat. À l'époque, les gouvernements provinciaux avaient réagi en disant que cela perturberait les relations fédérales-provinciales et que le chaos s'ensuivrait et bien sûr, rien de tout cela n'est arrivé.

Nous sommes maintenant dans la même situation dans le dossier des oiseaux migrateurs, comme l'a éloquemment démontré le juge LaForest. Si le gouvernement a le pouvoir de protéger ces oiseaux, et nous savons qu'il a le pouvoir de protéger le nid où l'oiseau élève ses petits, il est ridicule de laisser entendre que c'est à un autre palier de gouvernement qu'il appartient de protéger les arbres ou les terres humides entourant ce nid, si ce dernier se trouve dans un marais. Cela ne signifie pas que le territoire en question sera «fédéralisé», pas plus que ne l'est l'habitat du poisson. Si l'habitat d'un poisson se trouve dans une forêt provinciale ou sur une terre privée, cela ne signifie pas qu'Ottawa a, d'une façon quelconque, acquis la propriété de cet habitat du poisson; c'est simplement que le fédéral s'intéresse, en toute légitimité, à la façon dont il est géré. Tout comme le gouvernement fédéral interdit à un particulier d'installer une centrale nucléaire dans sa cour, il y a des domaines d'intérêt fédéral assortis de restrictions.

Le sénateur Spivak: Le juge LaForest avance un argument encore plus fondamental. D'après lui, si vous jetez un filet à l'eau et qu'il n'y a pas de poisson, vous ne pouvez protéger le poisson. La même chose vaut pour les oiseaux. S'il n'y a pas d'oiseaux à protéger, on ne peut les protéger.

Je vais maintenant aborder une autre question. À votre avis, pourquoi le gouvernement a-t-il consacré autant de temps à la question de l'indemnisation des sanctions applicables aux propriétaires fonciers alors que ces dispositions ne seront sans doute pas appliquées, comme vous l'avez fait si justement remarquer. Pourquoi a-t-il ignorer les terres de la Couronne, où vivent la plupart des animaux? Pourquoi mettre l'accent dans le projet de loi sur l'indemnisation et les sanctions alors qu'on aurait pu envisager toute une gamme de mesures de coopération avec les provinces, ou encore un mécanisme d'indemnisation et des sanctions pour les provinces, où l'on retrouve la grande majorité du territoire visé? Je trouve cela des plus curieux.

M. Elgie: C'est une bonne question. En vertu de la loi américaine sur les espèces en danger de disparition, l'une des dispositions les plus positives, qui a débouché sur des accords entre le fédéral et les États a été le partage des coûts lorsque les États adoptent une loi ou acceptent de mettre en œuvre la loi fédérale. Grâce à cette carotte, 49 des 50 États ont signé avec le gouvernement fédéral des accords où ils s'engagent à mettre en œuvre sur leurs territoires la loi fédérale sur les espèces en danger de disparition. Je ne peux prétendre avoir été présent à la réunion du Cabinet où l'on a discuté de cette question. Je sais que les discussions financières fédérales-provinciales ne sont pas faciles.

Vous avez raison de dire que la majorité des espèces en péril au Canada vivent sur les terres publiques. Au Canada, 80 p. 100 ou plus des terres appartiennent à la Couronne, et la plupart des espèces en péril y vivent. On en trouve beaucoup sur les terres privées, mais pour la plupart, elles se trouvent sur les terres ou dans les eaux publiques.

Les dispositions du projet de loi qui favorisent la collaboration et particulièrement, la création d'un fonds de financement de l'intendance représentent des progrès considérables. À bien des égards, ce sont là certaines des dispositions les plus importantes en ce sens qu'elles encourageront les acteurs qui veulent apporter une contribution positive à le faire étant donné qu'ils n'auront pas à assumer eux-mêmes un lourd fardeau financier. Je partage l'opinion de Mme Smallwood: la question de l'indemnisation ne sera pratiquement jamais soulevée dans le cadre de cette mesure, et je vais volontiers vous expliquer pourquoi. Toutefois, la disposition prévoyant des incitatifs à la coopération est tout bonnement formidable. Ce n'est pas quelque chose que l'on voit autant dans d'autres lois environnementales fédérales.

Le sénateur Spivak: Vous avez été consultant auprès du gouvernement au sujet de ce projet de loi lors de la première tentative, n'est-ce pas?

M. Elgie: Oui.

Le sénateur Spivak: Au fil de l'évolution des projets de loi, on a mis davantage l'accent sur l'indemnisation et les peines applicables aux propriétaires fonciers, ce sur quoi on n'avait pas tellement insisté au début, n'est-ce pas?

M. Elgie: C'est juste. Ce sont là des changements positifs car pour obtenir des résultats, il faut employer à la fois le bâton et la carotte. Le premier projet de loi privilégiait l'approche répressive. Et avec raison, les personnes de bonne volonté ont réagi en disant: «Vous nous traitez tous comme des mauvais garçons. Nous ne voulons pas être des mauvais garçons. Encouragez-nous à être de bons garçons avant de nous punir pour être potentiellement de mauvais garçons», ce qui est une approche intelligente. Toutefois, cela ne fonctionne pas. Des propriétaires fonciers m'ont dit qu'ils craignaient de conclure un accord d'intendance afin de gérer différemment leurs terres ou leurs forêts, alors que leurs voisins pourraient décider de faire le pari que le gouvernement fédéral n'aura pas le courage d'invoquer le filet de sécurité et ne fera rien pour protéger les espèces vivant sur leurs terres. À ce moment-là, l'agriculteur ou l'exploitant forestier A subit un désavantage concurrentiel, et c'est en partie la raison pour laquelle l'Association forestière canadienne appuie dans bien des cas les mêmes mesures que nous. Le fait d'être certain que les dispositions du projet de loi seront appliquées — seront, et non pas seraient — si l'approche coopérative fait défaut aide en fait ceux qui adhèrent à ces approches coopératives. Ils ne sont pas pénalisés pour leurs bonnes actions, en ce sens qu'ils ne courent pas le risque d'être moins compétitifs que leur voisin qui se dit que d'après ce qui s'est passé auparavant, Ottawa n'aura pas le courage d'imposer sur leurs terres ou sur une terre de la province sa réglementation sur le filet de sécurité.

Le sénateur Kenny: Bienvenue. Je suis disposé à concéder que vous vous y connaissez tous les deux en matière d'environnement, peut-être plus que n'importe qui d'entre nous ici et certainement plus que moi. Toutefois, je voudrais savoir ce qui vous permet de juger le processus politique. Pouvez-vous dire au comité quelle qualification vous autorise à porter des jugements sur les mesures susceptibles d'être adoptées ou non par le Parlement?

Mme Smallwood: Suis-je aussi qualifiée que le sénateur Kenny ou que n'importe quel autre sénateur présent dans la salle pour exprimer une opinion sur des questions politiques? Non. Je peux toutefois faire certaines observations. J'ai entendu à maintes reprises l'argument voulant que le moindre changement entraînerait la mise au rancart de ce projet de loi, alors que c'est exactement le contraire qui s'est produit. J'en ai fait l'expérience personnelle, j'ai entendu des menaces du genre «n'y touchez pas, sinon nous allons le torpiller», après quoi c'est le contraire qui s'est passé, des amendements importants ont été apportés et conservés, et même des amendements faits par le gouvernement, oui, je peux attester de cela.

Le sénateur Kenny: Vous en avez donc déjà fait l'expérience une fois?

Mme Smallwood: Deux fois, en fait.

Le sénateur Kenny: Mais avec le même projet de loi?

Mme Smallwood: Avec ce projet de loi, c'est bien cela.

Le sénateur Kenny: Combien de projets de loi avez-vous vu échouer au Parlement?

Mme Smallwood: Je me suis occupée principalement de ce projet de loi-ci. Quant à votre crainte que ce projet puisse échouer, ce projet de loi est une importante priorité pour le gouvernement Chrétien, et cela a été dit et affirmé autant au Canada que sur la scène internationale.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous dire au comité que vous avez fait des recherches portant sur les 20 dernières années et que vous avez constaté qu'un grand nombre de projets de loi prétendument prioritaires pour le gouvernement n'ont jamais abouti? Avez-vous cette expertise?

Mme Smallwood: Je n'ai pas cette expertise, mais étant donné la priorité que le gouvernement Chrétien a accordée à ce dossier, je serais stupéfaite si le gouvernement torpillait le projet de loi.

Le sénateur Kenny: Le gouvernement n'a pas besoin de torpiller le projet de loi. Il pourrait y avoir dissolution. On a entendu des conjectures quant à la possibilité d'une dissolution. Cela pourrait arriver. Pensez-vous que les conseils que vous nous donnez seraient jugés imprudents si le projet de loi échouait et que vous deviez ensuite attendre encore dix ans, et si les espèces qui pourraient être protégées par ce projet de loi n'étaient pas protégées pendant encore dix ans? Comment pourriez-vous justifier cela devant vos collègues?

Mme Smallwood: Je dirais ceci: au lieu d'écouter mes conseils, voyez plutôt l'historique du projet de loi. Le gouvernement a constamment cherché à légiférer dans le domaine de l'environnement de manière prioritaire depuis près de dix ans, et ce projet de loi en particulier a été jugé prioritaire en termes d'affectations budgétaires, dans le discours du Trône et dans les engagements internationaux. Vous pouvez écarter mon opinion personnelle, mais vous ne pouvez pas ne pas tenir compte du fait que le gouvernement actuel s'efforce depuis dix ans et de façon prioritaire de légiférer pour protéger les espèces en péril au Canada, et qu'il accorde une grande priorité à ce projet de loi.

Le sénateur Kenny: Que pensez-vous de tout cela, monsieur Elgie?

M. Elgie: Je me suis souvent posé cette question. J'en ai fait l'expérience. À la fin de 1996, le premier projet de loi a été déposé et, en partie suite à mon insistance, le comité a proposé un certain nombre de changements pour améliorer le projet de loi, puis des élections ont été déclenchées après trois ans et demi et le projet de loi est resté en plan. En rétrospective, je pense que c'était ce qu'il fallait faire, en partie à cause de toutes les dispositions financières qui ont été ajoutées et qui en font un bien meilleur projet de loi que celui dont nous étions saisis à l'époque.

Je ne prétends pas être expert en la matière, vous avez raison. Chacun essaie de soupeser le pour et le contre et de prendre la meilleure décision. Il faut voir où l'on se situe dans le mandat d'un gouvernement. Vous avez raison, n'importe quoi pourrait arriver, mais il n'est pas probable que des élections soit imminentes. Cependant, l'adoption du projet de loi sur les espèces en péril a été le meilleur indicateur d'élections imminentes lors des deux dernières élections. Si l'on cherchait une méthode scientifique, on pourrait dire que le fait que ce projet de loi est sur le point d'être adopté permet probablement de prédire des élections imminentes.

Le président: En dépit de la priorité que Mme Smallwood semble avoir décelée, c'est un fait, comme le sénateur Kenny l'a signalé, qu'étant donné les machinations du Parlement, malgré que ce soit prioritaire et malgré la façon dont le Parlement fonctionne, ce projet de loi n'a jamais encore réussi à se rendre au bout d'une législature. Il n'a jamais été mis en vigueur. Je tiens à ce que vous soyez bien conscient de cela. Un projet de loi peut être étudié indéfiniment.

M. Elgie: Je me suis beaucoup débattu avec cette question. Je suis content que les sénateurs se posent également cette question. Il y a lieu de se la poser. Je vais vous faire part de mon analyse.

Nous tenons compte de cette problématique dans les amendements que nous proposons. En effet, nous ne proposons rien qui soit de nature à tout bloquer, rien qui aurait pour résultat de faire dire au gouvernement «le gouvernement fédéral assume la responsabilité de toutes les espèces et de tous les habitats au Canada», ce qu'il pourrait faire. Nous ne recommandons pas cela parce que nous savons que ce n'est pas du domaine du possible sur le plan politique.

Ce que nous proposons bénéficie d'appuis tellement étendus dans l'industrie, parmi les partis d'opposition au comité de la Chambre, parmi les scientifiques et le grand public que nous croyons qu'il y a des chances raisonnables que nos recommandations soient acceptées. Il serait évidemment téméraire d'affirmer qu'elles le seront, mais, chose certaine, dans tous les cas, il y a des chances raisonnables qu'elles le soient. Ce ne sont pas des propositions qui n'ont aucune chance d'aboutir.

Le sénateur Kenny: Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que le comité accorde de la valeur à votre expertise à tous les deux en matière environnementale, et c'est important. Cependant, quand vous venez nous dire «balivernes!», cela ne m'impressionne pas tellement. Franchement, vous avez peut-être dit que vous compreniez à quel point les projets de loi sont fragiles et comme cela peut être difficile quand on a consacré beaucoup de temps pour faire adopter un projet de loi. Malheureusement, vous avez en quelque sorte lancé un défi à notre comité, c'est comme si vous nous aviez dit: «Si vous faites vraiment votre travail, vous allez vous retrousser les manches et renvoyer tout le bataclan aux Communes, parce que c'est ce qui est bien, c'est ce qu'il faut faire politiquement».

Moi, je vous dis que vous devez nous croire quand nous disons que nous tenons à ce projet de loi tout autant que quiconque. Nous devons porter un jugement à savoir si nous avons réalisé du progrès ou non. J'aimerais que vous répondiez à ma question: que diriez-vous à vos collègues si ce projet de loi échouait, si vous deviez retourner les voir pour leur dire: «Eh bien, j'ai dit «balivernes» aux sénateurs. Je leur ai secoué les puces. Ils se sont remis à la tâche et ont proposé des amendements. À cause de ces amendements, le projet de loi nous a échappé.» Qu'allez-vous dire à vos collègues, madame Smallwood?

Mme Smallwood: Mes collègues et moi-même en avons discuté avant ma comparution d'aujourd'hui. Nous nous sommes demandé «quel est notre sentiment profond?», en ayant bien présent à l'esprit, comme M. Elgie l'a dit, que j'aimerais un projet de loi sur les espèces en péril qui soit beaucoup plus ferme. Cependant, notre position sur ce qui est politiquement faisable et ce qui est raisonnable, et qui en même temps permettrait d'améliorer sensiblement le projet de loi, se traduit par les quatre amendements que je vous ai proposés aujourd'hui et que j'expose de façon beaucoup plus détaillée dans mon mémoire. J'ai leur appui pour demander ces changements. Avons-nous pesé le pour et le contre? Oui. Estimons-nous que ce que nous demandons est intrinsèquement raisonnable et susceptible d'être appuyé? Absolument.

Le sénateur Kenny: Sans m'attarder au mérite des amendements proposés, et soyez assuré que nous en examinerons le mérite, mais si l'on met de côté la valeur intrinsèque des amendements, la question se résume à ceci: êtes-vous prêts à lancer les dés et à risquer de perdre le projet de loi?

Mme Smallwood: Absolument.

Le sénateur Kenny: Très bien. Je tiens à ce que vous sachiez ce qui est en jeu dans votre pari, et vous verrez bien à notre réponse si nous sommes d'accord avec votre jugement.

M. Elgie: Sénateur, pour moi, la réponse serait celle-ci: cela dépend de ce qui est en jeu. Nous avons été confrontés à cela à toutes les étapes. Si je remonte à 1996, je pourrais pointer du doigt cinq étapes différentes où l'on nous a donné ce même avertissement, à savoir qu'à la moindre critique en profondeur, nous perdrons tout le financement associé à ce dossier. Ce projet de loi va s'embourber et ne sera jamais adopté. On réfléchit alors et l'on doit décider sur quel point on est prêt à risquer le tout pour le tout.

De mon point de vue, la protection de l'habitat des oiseaux migrateurs est justement l'une de ces questions cruciales. Je ne veux pas que ce projet de loi tombe, mais s'il doit tomber à cause de cette question, je pourrai discuter avec mes amis et mes collègues et les scientifiques et dire que le jeu en valait la chandelle. Ce serait l'un des plus importants progrès pour le Canada et pour l'Amérique du Nord. Les espèces ne disparaissent pas dans les parcs nationaux et les réserves nationales de la faune, qui représentent l'essentiel du territoire domanial au sud du 60e parallèle. C'est excellent que la loi soit obligatoire dans ce territoire et qu'elle ait une certaine importance symbolique et une certaine importance d'ordre pratique. Cependant, ce qui reste à voir, c'est quel en sera l'effet dans les secteurs de ressort fédéral à l'extérieur des parcs nationaux et des réserves nationales fauniques.

Le sénateur Kenny: Je voudrais une précision, parce que vous semblez avoir changé votre position, monsieur Elgie. Je pensais au début que vous aviez un point de vue assez équilibré et que vous nous demandiez au moins de publier un rapport qui ferait date, de manière que la prochaine fois que le dossier sera étudié, nous saurons quel objectif viser. Je peux comprendre cela. Il me semblait que vous vous trouviez à dire que vous alliez empocher vos gains et cesser de parier. Voilà maintenant que vous semblez dire, non, je pense que je vais lancer les dés encore une fois et me retrouver dans le camp de Mme Smallwood.

M. Elgie: Je suis seulement dans mon propre camp, en fait. Nous avons un traité avec les États-Unis sur les oiseaux migrateurs depuis 1916. C'est assez difficile d'avoir des compétences fédérales plus solidement établies que cela. Quand on dit que le gouvernement fédéral pourrait être en mesure d'occuper ce champ de compétence, ce n'est pas simplement l'opinion conjecturale de quelque constitutionnaliste. Cela remonte à l'époque de Roosevelt et de Laurier. Que le gouvernement fédéral ne prenne pas l'initiative et ne donne pas l'exemple dans l'un de ses domaines de compétence de base, à mes yeux, cela m'apparaît vraiment fondamental, sans parler des 20 espèces d'oiseaux migrateurs qui pourraient disparaître si nous ne faisons rien.

Le sénateur Kenny: Vous dites; «Honte sur eux s'ils ne font rien.» Combien d'oiseaux disparaîtront si le projet de loi tombe à l'eau? Vous posez un jugement politique en vous fondant sur l'expérience que vous avez d'un seul projet de loi, un dossier auquel vous avez travaillé pendant plus de dix ans. Nous avons vu des projets de loi nous glisser entre les doigts pour une foule de raisons bizarres et imprévisibles. J'ai eu de mes projets de loi d'initiative parlementaire qui ont disparu comme par enchantement, et ils étaient importants à mes yeux. J'ai passé beaucoup de temps à y travailler, et puis quelque chose de tout à fait imprévu est survenu et ils ont disparu corps et bien.

M. Elgie: Je m'en remets au Sénat. Les honorables sénateurs seront mieux placés que nous pour calculer ce risque. Ce n'est pas ce que nous disons. Nous vous offrons le fruit de notre réflexion et nous espérons que vous y accorderez le poids que vous jugerez bon d'y accorder.

Le sénateur Buchanan: Je voudrais aborder la question sous un autre angle.

Je m'intéresse beaucoup à ce projet de loi en tant qu'environnementaliste. Examinons la situation des compétences fédérales-provinciales. Pendant 13 ans, j'ai été premier ministre de la province la plus progressiste du Canada — vous en conviendrez, puisque la Nouvelle-Écosse est bien sûr la seule province à avoir adopté la Loi sur les espèces en péril avec la liste intégrale des espèces inscrites par le COSEPAC. Nous sommes très progressistes en Nouvelle-Écosse. Je n'entrevois dans ce dossier aucun conflit constitutionnel fédéral-provincial mettant en cause la Nouvelle-Écosse. Je voudrais toutefois vous poser une question.

J'ai été témoin et acteur de questions constitutionnelles mettant en cause les gouvernements fédéral et provinciaux pendant très longtemps. Je me rappelle de la période entre 1978 et 1981, alors que certains politiciens disaient que les gouvernements provinciaux n'ont vraiment pas leur mot à dire sur la Constitution du Canada et sur les changements à y apporter. Bien sûr, cela ne tenait pas debout et la Cour suprême a réfuté cet argument.

Au fil des années, les conférences fédérales-provinciales sur l'éducation, la santé, le bien-être, l'environnement et le commerce ont toujours réglé les litiges entre les gouvernements fédéral et provinciaux et, dans bien des cas, on s'est retrouvé devant les tribunaux sur des points de droit relativement au partage des compétences. Nous avons réglé un important problème de compétences constitutionnelles relativement aux ressources extracôtières, c'est-à-dire que nous avons passé outre. M. Trudeau et moi-même avons signé la première entente du Canada sur les ressources gazières et pétrolières extracôtières. Nous avons réglé cela et tout a bien fonctionné.

Par conséquent, je soupçonne que dans les provinces où il existe une entente sur les espèces en voie de disparition et une loi sur les espèces en péril, on a probablement réglé à tout jamais les querelles de compétences.

Ce que je ne comprends pas, c'est comment vous-même et d'autres pouvez dire qu'il n'y a aucun problème de compétence dans ce dossier et que le gouvernement fédéral a compétence pleine et entière, à 100 p. 100, sur les espèces en péril. Comment pouvez-vous en arriver à une conclusion pareille? Les oiseaux migrateurs, peut-être; le poisson, je veux bien. Mais que dire de toutes les autres espèces en péril que les gouvernements provinciaux considèrent depuis des décennies comme relevant de leurs compétences? Êtes-vous en train de dire que le gouvernement fédéral a compétence constitutionnelle sur toute espèce en péril sur les terres provinciales?

M. Elgie: Vous et moi pourrions passer beaucoup de temps à discuter de cette question, et peut-être que d'autres auront l'occasion de le faire. C'est une bonne question et une vaste question. J'ai eu la bonne fortune, ou peut-être l'infortune d'être conseiller juridique pour au moins les quatre ou cinq dernières affaires constitutionnelles relatives à l'environnement dont la Cour suprême a été saisie. J'ai dû passer beaucoup de temps à réfléchir à tout cela. Aucun avocat ne dira jamais qu'il est sûr de son fait à 100 p. 100; il lui faudrait se faire payer rapidement après avoir dit cela, parce qu'il pourrait être dans l'embarras par la suite.

Je souscris à l'opinion du juge LaForest. Nous avons demandé à l'un des plus éminents constitutionnalistes spécialisés en environnement et à l'un des plus éminents professeurs de droit constitutionnel de l'environnement de réfléchir à cette question et de nous faire part de leurs réflexions. Ni l'un ni l'autre n'est considéré comme un radical, comme vous le savez bien. Ils ont conclu qu'il y a une forte probabilité que si le gouvernement fédéral a le pouvoir de s'occuper de toutes les espèces, ce pouvoir se trouve dans les dispositions conférant au gouvernement fédéral le pouvoir de légiférer en matière pénale. Ce n'est pas le pouvoir de prendre des mesures détaillées traitant de tous les aspects de la réglementation dans un dossier donné. C'est simplement le pouvoir de fixer des normes nationales comportant certaines exceptions; c'est le même pouvoir sur lequel repose la Loi sur les aliments et drogues, le même pouvoir sur lequel repose la Loi canadienne sur la protection de l'environnement, c'est-à-dire le pouvoir d'établir des normes nationales dans des domaines qui sont d'une importance primordiale. Il est clair que la disparition d'une espèce est d'une telle importance.

Quand on parle de pouvoir de légiférer en matière pénale ou criminelle, c'est un choix de mots malheureux, parce que cela évoque l'idée d'acte criminel et de quelqu'un qu'on jette en prison. Ils sont pourtant d'avis qu'il est fort probable que le gouvernement fédéral soit en terrain solide à ce propos. Vous comprendrez certainement que cela ne veut pas dire que le gouvernement fédéral assume la responsabilité de la gestion de la faune, des forêts ou des marécages dans une province donnée. De la même manière que la Loi fédérale sur les pêches chevauche en partie les lois provinciales sur la qualité de l'eau, et de la même manière que les provinces ont des droits de propriété relativement à la pollution qui est déversée dans leurs eaux et ont des codes détaillés quant à ce qu'il est possible de faire en termes de pollution, le gouvernement fédéral a la Loi sur les pêches qui comporte des dispositions semblables quant à ce que l'on peut rejeter dans l'eau et qui risque de nuire au poisson.

Le sénateur Buchanan: Aux termes de la Constitution, la pêche est de compétence fédérale dans les eaux intérieures et extracôtières.

M. Elgie: Exactement. Il faudrait conclure que d'empêcher la disparition d'une espèce est un objectif valable aux termes du pouvoir de légiférer en matière de droit pénal, avant même d'en arriver à ce point.

Le sénateur Buchanan: Je ne vous suis pas. Comment pouvez-vous invoquer le droit pénal dans des dossiers mettant en cause l'orignal, les cerfs, les renards, et toutes les autres espèces terrestres? Je ne parle pas du poisson ni des oiseaux migrateurs. En quoi cela met-il en péril la sécurité et le bien-être des Canadiens?

M. Elgie: En 1998, la Cour suprême du Canada a conclu que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement est une loi fédérale valide aux termes du pouvoir de légiférer en ce qui a trait au Code criminel. Les juges ont étendu la portée de ce pouvoir et ont dit qu'une loi traitant de questions environnementales d'une importance fondamentale est également un objectif valable que l'on peut poursuivre en application du pouvoir de légiférer en matière pénale. Par conséquent, vous avez raison. Traditionnellement, c'est la santé, le bien-être public, la moralité et la sécurité.

Cependant, les neuf juges de la Cour suprême ont convenu à l'unanimité qu'à l'époque moderne, les dossiers environnementaux importants ont suffisamment de poids pour pouvoir faire légitimement l'objet d'interventions du gouvernement fédéral en matière de droit criminel. Cependant, les juges se sont empressés d'ajouter que cela n'exclut pas que les gouvernements provinciaux continuent de légiférer dans les domaines de compétence conjoints.

Le sénateur Buchanan: Je me suis occupé de dossiers mettant en cause tout ce dont vous parlez et je n'ai aucune objection à cela. Les questions environnementales touchant la sécurité et le bien-être des Canadiens, ce n'est pas ce dont je parle en l'occurrence. Je ne comprends pas comment cette loi, qui ne traite ni des oiseaux migrateurs ni du poisson, etc., a quelque chose à voir avec le droit criminel. J'ai entendu quelqu'un dire qu'il n'y a aucun problème de ce côté, que la compétence fédérale est catégoriquement et définitivement établie. J'ai entendu cela tellement souvent dans d'autres dossiers, et l'on finit par se retrouver devant les tribunaux pour des querelles de compétence que l'on se met d'accord pour mettre de côté.

Êtes-vous en train de dire qu'à votre avis, aucune province, quand ce projet de loi aura force de loi, ne contestera la constitutionnalité de l'intervention du gouvernement fédéral sur les terres provinciales?

M. Elgie: Presque toutes les lois environnementales fédérales adoptées depuis 1970 ont fait l'objet de contestations constitutionnelles. J'ai enseigné cette matière et, à ma connaissance, la seule cause que le gouvernement fédéral ait perdue concerne un article de la Loi sur les pêches qui traite des débris provenant des déchets de l'exploitation forestière. À part cela, le gouvernement fédéral a eu gain de cause dans toutes les contestations constitutionnelles dans le domaine de l'environnement depuis le début des années 70.

En tant qu'avocat, je peux dire que je suis beaucoup plus confiant de faire gagner la cause du gouvernement fédéral sur ce projet de loi que je ne l'étais à propos de la LCPE. Je pense que la LCPE se rapprochait beaucoup plus de la limite parce qu'elle traitait de tous les contaminants possibles et imaginables. Même les réfrigérateurs mis aux rebuts pouvaient être considérés comme des substances toxiques en application de la LCPE, et même l'eau pouvait être toxique.

Je pense que vous avez raison, si ce projet de loi prétendait traiter du cerf, de l'orignal et du renard, il outrepasserait de loin la compétence fédérale. Il faut le rédiger de telle manière que l'on puisse dire que c'est un projet de loi sur les espèces qui sont vraiment menacées de disparaître. Ce n'est pas une question de gestion de la faune; ce qui est en cause, c'est le problème de l'extinction, qui est à certains égards une question morale et écologique et qui s'enracine dans un traité mondial, la Convention sur la biodiversité, parce que les nations du monde ont jugé que c'était d'une importance suffisante pour qu'il y ait lieu de se réunir et ont décidé qu'il fallait un traité mondial pour régler la question.

Le sénateur Buchanan: Ce serait une cause intéressante.

M. Elgie: Cela ne va pas manquer d'arriver. Toutes ces mesures sont contestées.

Le sénateur Spivak: Vous avez répondu avec franchise à ma question, mais je dois dire que je trouve que cette définition du rôle du Sénat, à savoir que nous devons juger froidement si un projet de loi a des chances ou non d'être adopté à la Chambre, que cette notion m'apparaît quelque peu différente de l'expérience que nous avons connue ici au Sénat. Nous avons proposé des amendements. Depuis 1993, un seul amendement mineur a été accepté. Je crois que c'était dans le projet de loi sur l'eau du Nunavut. Il me semble que le Sénat a une responsabilité. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il nous incombe de rejeter des projets de loi, sauf en de rares occasions, et cela m'est déjà arrivé, mais nous avons la responsabilité de corriger et de modifier les projets de loi. Je dois dire que je suis désillusionnée. Il n'y a aucune volonté de faire cela au Sénat. C'est une situation plutôt triste. L'idée que l'on doive évaluer froidement si le projet de loi a des chances de passer, cela correspond à ce qui arrive constamment. Les sénateurs qui examinent les projets de loi savent bien que c'est ainsi que ça se passe. Nous sommes en train d'examiner le projet de loi sur l'éthique et nous n'acceptons pas ce que la Chambre déclare.

Je dois dire très catégoriquement que, quand vous fondez votre calcul sur des conjectures quant à ce qui se passera à l'autre endroit, ce n'est pas la bonne façon de procéder. La véritable question est celle-ci: quelle est notre conviction profonde ici au Sénat? Si vous croyez ici au Sénat que le projet de loi est valable, alors c'est parfaitement légitime. C'était mon petit sermon.

Vous avez répondu à la question. Je voulais vous demander pourquoi vous avez évité, de façon générale, la question de la protection de l'habitat. Aucun de vos amendements proposés ne traite de cette question. Je suppose que c'est parce que vous estimez que cela irait au-delà de ce qui est acceptable.

M. Elgie: Le filet de sécurité réglerait ce problème. Il donne au gouvernement fédéral le pouvoir résiduel de protéger l'habitat. Il y a trois options. La première consiste à dire dans le projet de loi fédéral «nous protégeons toutes les espèces et tous les habitats partout». Cela susciterait une certaine controverse. La deuxième possibilité serait une approche d'équivalence, et c'est l'approche que l'on a adoptée pour la LCPE, qui consiste à dire que la loi fédérale s'applique, mais que lorsqu'une province a une loi équivalente, notre loi à nous reste en suspens. La solution la plus faible est celle que l'on a adoptée en l'occurrence; elle consiste à dire que le gouvernement fédéral aura le pouvoir résiduel d'intervenir dans un domaine de compétence si la province n'agit pas. Cette approche pourrait fonctionner, pourvu qu'il y ait des critères clairs pour décider quand on va intervenir et des engagements clairs en droit que l'on va effectivement intervenir si la province ne le fait pas. L'approche résiduelle que l'on a adoptée en créant ce filet de sécurité pour régler le problème de la protection de l'habitat pourrait fonctionner, si ces deux éléments étaient présents, et ils ne le sont pas.

Mme Smallwood: Je m'excuse en particulier auprès du sénateur Kenny si ma remarque cavalière, quand j'ai dit «balivernes», a pu paraître un peu présomptueuse. Évidemment, nous n'avons pas votre vaste expérience des projets de loi. Cette remarque reflétait ma frustration, à force d'entendre cet argument de la bouche de David Anderson, pour constater ensuite que c'est le contraire qui arrive.

Évidemment, je vous exhorte instamment à modifier le projet de loi en y apportant au moins les quatre amendements clés que nous préconisons. Cependant, si vous ne deviez apporter qu'un seul amendement, comme M. Elgie l'a soutenu, alors nous estimons qu'il faudrait retenir l'amendement visant à étendre la protection de l'habitat des oiseaux migrateurs à l'extérieur des terres fédérales. Si vous ne faites rien d'autre, cela doit être prioritaire.

Si, cependant, en dépit de notre plaidoyer et de notre témoignage, vous décidez de ne pas amender le projet de loi, ce serait quand même un élément fort valable si vous exposiez dans votre rapport vos domaines de préoccupation en vue de l'examen quinquennal. Évidemment, ce n'est pas notre option préférée. Ce ne serait pas aussi fort. Nous préférerions que vous amendiez le projet de loi.

Le président: Honorables sénateurs, je voudrais faire observer qu'au cours de la 36e session de la législature, le Sénat a apporté 79 amendements à des projets de loi qui ont ensuite été renvoyés à la Chambre des communes, et que 77 d'entre eux ont été approuvés exactement dans la forme où nous les avions renvoyés. Les deux autres ont été approuvés à toutes fins pratiques après qu'on y ait apporté quelques menus changements de forme.

Au cours de la dernière session, avant la dernière prorogation, il y a eu une cinquantaine d'amendements.

Le sénateur Kenny: Nous sommes ici en présence de jugements politiques contradictoires. J'ai quelque difficulté à accepter les gens qui se caractérisent comme les détenteurs de la véritable lumière, de la vérité et les dépositaires de toutes les vertus. Je soutiens que ceux qui veulent vraiment protéger les espèces en péril devraient adopter ce projet de loi dès maintenant, quitte à chercher à améliorer la loi plus tard. Je pourrais être tout aussi vertueux que quiconque et dire: «Ma foi, le projet de loi n'est pas parfait, modifions-le tout de suite pour le rendre encore meilleur», ce à quoi je réponds: «Oui, et vous pourrez perdre tout ce que nous avons en ce moment.»

Je me sens offusqué seulement quand les gens laissent entendre que ceux qui posent un jugement différent quant à ce qui fonctionnera ou ne fonctionnera pas dans ce dossier, que celui qui dit que cela ne fonctionnera pas ne tient pas autant à faire aboutir le dossier. C'est pourquoi je n'ai pas aimé votre remarque, votre «baliverne», parce que cela laissait entendre qu'il y a des gens autour de la table ici qui ne sont pas aussi engagés que vous, et cela, rien ne vous autorise à le dire.

Mme Smallwood: Ce n'était pas mon intention quand j'ai fait ce commentaire. C'est simplement l'expression de ma frustration personnelle, après avoir entendu cet argument de la part du bureau du ministre depuis que ce projet de loi a été déposé.

Il est clair que nous tous, autour de la table, sommes déterminés à faire adopter ce projet de loi sous une forme ou sous une autre. Comme M. Elgie l'a dit, il a fallu faire un choix politique difficile, en tout cas de la part de la communauté environnementale et scientifique, à chaque fois. Acceptez-vous ceci tel quel ou insistez-vous pour obtenir des changements? Étant donné les quatre amendements que nous demandons, et que nous estimons intrinsèquement raisonnables, surtout celui qui concerne les oiseaux migrateurs, nous pensons qu'il vaut la peine de prendre un tel risque pour obtenir cet amendement.

Le sénateur Spivak: Chacun ici sait que le sénateur Kenny est l'un des défenseurs les plus courageux des causes qui lui tiennent à cœur. Il n'hésite pas à défier le gouvernement et n'importe qui. Il déploie une énergie incroyable pour défendre les causes qu'il juge importantes. Je dois dire que j'accorde le plus grand prix à son opinion, mais que dans cette affaire, je ne suis pas de son avis.

Le sénateur Christensen: Nous avons tous travaillé à ce projet de loi. Vous y travaillez depuis dix ans et vous continuez de le faire. Avez-vous une idée du nombre d'espèces qui sont disparues au cours de ces dix années pendant lesquelles il n'y a eu aucune protection?

M. Elgie: Je pense qu'une espèce a été perdue, et elle l'a été dans un parc national. Elle a été perdue dans le cadre d'un régime protecteur assez rigoureux dans les sources thermales de Banff. Un certain nombre ont été ajoutées à la liste, mais on en documente d'autres qui sont plus anciennes. Un certain nombre d'espèces se sont rapprochées de la disparition pendant cette période. J'ai commencé à mesurer en 1997. En 1992, un traité a été signé. En 1997, un projet de loi est venu bien près d'être adopté quand des élections ont été déclenchées après trois ans et demi. Des dizaines d'espèces se sont rapprochées de la disparition depuis lors.

Le sénateur Christensen: D'après votre estimation, il n'y en a eu qu'une seule de perdue en dix ans.

M. Elgie: C'est ce que nous savons. Nous connaissons probablement au plus 10 ou 15 p. 100 seulement de la totalité des espèces. Nous devons admettre une certaine ignorance à ce sujet. À ma connaissance, il n'y a qu'une espèce dont les scientifiques ont documenté la perte au cours de cette période.

Toutefois, le nombre d'espèces inscrites dans la catégorie des espèces en voie de disparition, ce qui signifie, habituellement, qu'il n'en reste que quelques centaines qui sont en déclin, a augmenté sensiblement. En fait, il a plus que doublé.

Mme Smallwood: On croit qu'il y a 140 000 espèces au Canada. C'est une approximation. De ce nombre, quelque 70 000 sont connues des scientifiques. Nous ne pouvons pas dire avec certitude quel nombre nous avons perdu ou non, si nous ne connaissons même pas la moitié des espèces qui existent. Cette information est tirée du rapport sur la situation des espèces sauvages au Canada.

Sénateur Christensen, vous vous êtes attachée aux espèces dont nous savons qu'elles ont maintenant disparu, mais il est aussi important de signaler que le nombre des espèces inscrites sur la liste des espèces en péril, qui est en progression, a essentiellement doublé. C'est une preuve sérieuse que la performance du Canada n'est pas à la hauteur pour ce qui est de conserver la biodiversité. Comme je l'ai relevé dans mon mémoire, certes, le COSEPAC a identifié 402 espèces à risque, mais cela est bien loin du nombre d'espèces qui sont effectivement à risque. Il s'agit des espèces que les experts ont eu la possibilité et les ressources d'étudier.

À partir de l'instantané des connaissances en biodiversité que nous avons devant nous, nous pouvons affirmer que nous ne pensons pas avoir perdu une espèce, mais nous pouvons constater un déclin marqué de la biodiversité au Canada et conclure qu'il est nécessaire d'étudier et de répertorier le reste des espèces existantes.

Le sénateur Christensen: Il y a constamment des espèces qui disparaissent du fait de la sélection naturelle. Toutefois, il y a aussi des espèces qui disparaissent à cause de l'activité humaine et nous essayons d'adopter des lois et des mécanismes pour empêcher que cela se produise.

M. Elgie: D'entrée de jeu, le projet de loi stipule qu'il s'applique uniquement aux espèces menacées en raison de l'activité humaine. Si une espèce n'est pas menacée en raison de l'activité humaine, le projet de loi ne s'applique pas.

Le président: Voulez-vous dire que les peines prévues ne s'appliqueront pas?

M. Elgie: Les espèces en question ne pourraient même pas être inscrites sur la liste. Il faut qu'elles soient en péril à cause de l'activité humaine.

Le président: Pour figurer sur la liste du COSEPAC?

M. Elgie: C'est exact.

J'avais espéré que quelqu'un m'interroge au sujet de l'indemnisation. Il y a une ou deux choses qui n'ont pas été mentionnées et auxquelles il serait bon que le comité réfléchisse.

Je suis moi-même propriétaire foncier et je partage l'inquiétude exprimée par d'autres. En effet, si quelqu'un venait me dire que je ne peux pas exploiter la moitié de ma terre, cela me mettrait très en colère et je voudrais être sûr que quelqu'un d'autre assume cette perte. Si le projet de loi cause un préjudice réel à certaines personnes, je partage l'opinion qu'elles ne devraient pas être tenues d'assumer seules ce fardeau.

Comme c'est le cas pour tout nouveau projet de loi, la plupart des commentaires que vous entendez sont motivés par la peur de l'inconnu et par des spéculations tant à ce qui pourrait se passer. Pour autant que je sache, les divers intervenants ont négligé de vous parler du connu. Il existe au Canada quatre lois sur les espèces en voie de disparition, dont deux remontent au début des années 70 et ont pour objet d'assurer la protection obligatoire de l'habitat intégral des espèces figurant sur une liste. L'Ontario possède aussi une loi en ce sens depuis 1972 et le Manitoba, depuis 1989. En vertu de ces textes législatifs, on a dressé des listes de douzaines d'espèces vivant dans des fermes, des champs, des terres humides et des forêts. Or, nous n'avons pratiquement aucun exemple de cas où ces lois auraient causé un tort sérieux à des personnes.

J'invite les honorables sénateurs à se pencher sur l'expérience concrète que le Canada a connue depuis 30 ans plutôt que sur des hypothèses concernant le pire scénario que l'on peut imaginer. En somme, cela n'a pas causé de problème. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu un ou deux cas. Le comité de la Chambre a demandé qu'on lui fournisse des exemples probants et on ne lui en a communiqué aucun.

Honorables sénateurs, voyez ce qui s'est vraiment passé. La réalité, c'est que la plupart des espèces en voie de disparition n'ont pas besoin de 30 acres interdites à l'activité humaine pour survivre. Il faut simplement conserver les haies intactes, ne pas assécher les terres humides dans les concessions; entretenir un bocage où nichent des oiseaux pendant certaines parties de l'année, faire un détour avec sa charrue pour contourner le nid d'une chevêche des terriers. Bien peu d'espèces exigent un moratoire intégral de l'activité relativement à un vaste habitat précieux.

Dans pratiquement tous les cas, grâce à une planification préalable soignée et à des ajustements mineurs, il est possible de gérer le territoire d'une façon propice à la survie d'une espèce. Nous en avons fait l'expérience en Ontario, au Manitoba, au Nouveau-Brunwick et à l'Île-du-Prince-Édouard. Toutes ces provinces exigent dans leurs lois sur les espèces en voie de disparition la protection obligatoire de l'habitat; aucune d'elles ne renferme de dispositions prévoyant une indemnisation quelconque. Cela n'a pas été un problème. Honorables sénateurs, vous devez vous demander si vous réagissez à une situation réelle.

Pour faire suite à l'argument précédent de Mme Smallwood, si le gouvernement décidait de créer un précédent en reconnaissant un droit à une indemnisation pour toute restriction à l'usage d'un bien-fonds, les municipalités ne voudraient plus adopter des règlements de zonage. En effet, il deviendrait coûteux d'adopter des règlements de zonage municipaux si les restrictions imposées à l'utilisation du territoire donnaient droit à une compensation financière correspondant à la valeur marchande intégrale.

La Loi sur les pêches serait sabotée chaque fois que des compagnies forestières de la Colombie-Britannique seraient tenues de ne pas s'approcher à plus de 100 mètres d'une rivière à saumons — là où l'on trouve les arbres les plus gros et les plus chers — afin d'empêcher que la migration anadrome des saumons soit compromise. Si ces compagnies peuvent envoyer la facture à Ottawa en disant: «Voilà, c'est notre coût de renonciation; à vous de payer ce qu'il nous en coûte pour respecter la législation environnementale», cela ébranlera les assises de la politique environnementale. Ce ne seront pas seulement les propriétaires d'exploitations familiales, qui sont précisément ceux dont le sort nous préoccupe tous, qui feront des réclamations. La prochaine fois que nous interdirons un produit toxique comme les BPC, par exemple, les dirigeants de la société qui fabrique ces BPC diront: «Nous avons le droit d'être remboursés pour ce qu'il nous en coûte de respecter cette loi car vous avez établi un précédent dans la Loi sur les espèces en voie de disparition.»

Je ne voudrais pas que l'on croit que je m'oppose au principe voulant que l'on traite avec équité toute personne victime d'une véritable injustice en raison de la loi; cela va de soi. Le projet de loi va plus loin que toute autre mesure environnementale en vigueur au Canada pour ce qui est d'offrir une indemnisation juste et raisonnable aux personnes sérieusement touchées par la législation environnementale.

J'invite les honorables sénateurs à réfléchir sérieusement aux conséquences liées au fait d'aller plus loin et à envisager non seulement les effets immédiats, mais aussi la boîte de Pandore qu'on ouvrirait ainsi.

Le président: Merci de votre exposé.

La séance se poursuit à huis clos.


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