Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 16, Témoignages du 27 mai 2003


OTTAWA, le mardi 27 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale se réunit aujourd'hui à 18 h 04 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Tommy Banks (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons nous pencher sur le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.

Monsieur le ministre, je crois savoir que vous aimeriez nous parler de certaines choses au sujet du projet de loi C-9.

L'honorable David Anderson, ministre de l'Environnement: Honorables sénateurs, il me fait grand plaisir d'être de nouveau parmi vous. Il me semble que ça ne fait vraiment pas très longtemps que je suis venu la dernière fois. D'ailleurs, je viens à peine de terminer le livre que j'ai promis au sénateur Buchanan, et qui explique comment les Écossais ont inventé le monde moderne. Cela vous donne une idée de la brièveté de mon absence.

Je vous remercie de me donner l'occasion de discuter aujourd'hui du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.

Le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes en mars 2001. Il cherche à renforcer les outils de prise de décisions figurant dans la loi actuelle, s'alignant ainsi sur les législations en vigueur dans plus d'une centaine d'autres pays.

La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ou LCEE a été adoptée par le Parlement en 1992 et mise en vigueur en 1995.

La raison d'être est simple. Le gouvernement fédéral doit tenir compte de facteurs environnementaux lorsqu'il se prononce sur les projets qu'on lui propose.

Plus de 30 ministères et organismes gouvernementaux prennent des décisions relatives à plus de 6 500 projets à chaque année. Cela comprend ceux des secteurs tant public que privé, ainsi que les projets appuyés à l'étranger par l'Agence canadienne de développement international.

[Français]

L'évaluation environnementale permet aux promoteurs de projets de réduire les risques et les redevances en repérant rapidement les problèmes potentiels. Elle permet aux personnes intéressées et aux organisations de faire part de leurs inquiétudes et d'offrir leurs suggestions. Pour les décideurs, l'évaluation environnementale facilite l'intégration des considérations d'ordre social, économique et environnemental.

L'expérience a démontré que prévenir les effets environnementaux négatifs et en apportant des modifications à la conception d'un projet avant le début de sa réalisation est beaucoup moins coûteux et beaucoup plus efficace que d'essayer de réparer les dommages après le fait. L'évaluation environnementale est une pratique en évolution et le projet de loi C-9 fait partie de cette évolution continue.

[Traduction]

J'aimerais donner aux honorables sénateurs une idée des origines du projet de loi C-9, en décrire certains points saillants, y compris les améliorations importantes que lui a apportées la Chambre des communes; enfin, j'aimerais montrer le lien entre un processus fédéral d'évaluation environnementale renforcé et les priorités du Canada par rapport à l'environnement.

Je me ferai un plaisir de répondre ensuite à toutes les questions qu'on voudra me poser.

Le projet de loi C-9 résulte de l'obligation qui est faite au ministre de l'Environnement de revoir les dispositions et la mise en œuvre de la loi cinq ans après son entrée en vigueur. J'ai annoncé le réexamen quinquennal en diffusant un document de travail en décembre 1999. Il a servi de base de discussion, à l'occasion des consultations très poussées que l'Agence canadienne d'évaluation environnementale a tenues auprès de la population et qui ont eu lieu dans 19 centres au Canada, et se sont accompagnées de sept ateliers régionaux, de consultations avec les provinces et de la création d'un site Web interactif.

L'Assemblée des premières nations, l'Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis ont facilité nos discussions avec les peuples autochtones. Nous avons également tenu des consultations directes auprès de 13 organisations autochtones régionales. Le Comité consultatif de la réglementation, dont font partie des représentants des provinces, des Autochtones, des ministères fédéraux, du secteur industriel et des groupes d'écologistes ont aussi étudié les enjeux et les choix traités dans le document de travail.

J'ai le plaisir de vous rapporter que dans l'ensemble, les groupes d'écologistes et de représentants de l'industrie se sont montrés satisfaits de notre examen. Ils l'ont jugé ouvert, opportun et complet.

Ainsi, le Réseau canadien de l'environnement a diffusé un communiqué de presse pour féliciter l'Agence d'avoir «réussi à mener un examen complet et transparent...»

Lorsqu'elle a témoigné devant le Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes, l'Association minière du Canada a dit ce qui suit:

Par rapport à la LCEE, le gouvernement s'est comporté de façon exemplaire, par la manière dont il a tenu compte des avis des intervenants et des groupes de notre pays [...]

Sans avoir obtenu l'unanimité, ce qui était bien sûr impossible, nous avons néanmoins réussi à convaincre certains des groupes les plus exigeants grâce à ce processus.

La première conclusion que nous avons tirée du réexamen de la loi est qu'il n'était pas nécessaire de la réécrire au complet. En effet, après seulement cinq ans de mise en vigueur, une refonte complète serait le signe d'un problème grave à l'origine, et tel n'a pas été le cas. À ce sujet, Wendy Francis de la Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada disait ce qui suit:

[...] il n'est pas nécessaire d'effectuer une refonte majeure de la loi. Dans l'ensemble, la structure, la portée et le caractère de la loi sont convenables. C'est dans son application que les faiblesses se font souvent sentir.

Sur ce dernier point de l'application de la loi, le réexamen a confirmé les soupçons déjà exprimés dans le document de travail.

Il a montré que l'incertitude entoure les modalités d'application de la loi.

[Français]

Nous avons également pris connaissance des préoccupations relativement à la qualité inégale de diverses évaluations environnementales. Certains groupes et individus ont souligné les restrictions quant à la participation du public. Nous pouvons affirmer d'un commun accord que l'objet fondamental de la loi ainsi que ses principes directeurs sont solides. L'examen a recommandé que l'Agence canadienne d'évaluation environnementale puisse jouer un plus grand rôle dans le processus d'évaluation environnementale.

Fait encourageant, le Comité consultatif de la réglementation a reconnu à l'unanimité les changements nécessaires à apporter. Grâce aux résultats obtenus et grâce aux recommandations offertes lors des audiences publiques, nous avons pu concentrer nos efforts sur l'élaboration de solutions pratiques à des problèmes précis. Le projet de loi C-9 en est le résultat.

Mon rapport au Parlement sur l'examen engage le gouvernement fédéral à favoriser des changements à la réglementation et à la politique dans le but de compléter les modifications législatives aujourd'hui devant vous.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je suis sûr que le projet de loi C-9 renforcera la loi de manière à nous donner un processus d'évaluation environnementale plus certain, plus prévisible et plus opportun, ce qui produira des évaluations environnementales de grande qualité et favorisera des occasions de participation plus significative du public.

Mes collaborateurs de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale vous expliqueront le projet de loi au complet; pour ma part, je parlerai de ses points saillants.

Le projet de loi C-9 comporte des mesures améliorant la coordination et la mise en oeuvre de la loi par le gouvernement fédéral, y compris l'élargissement du rôle de l'Agence canadienne d'évaluation environnementale. Cette dernière disposera de pouvoirs accrus lui permettant, dans le cas d'évaluations tenues en collaboration avec d'autres ordres de gouvernement, de veiller à leur bonne coordination et à ce qu'elles soient effectuées en temps opportun. L'Agence sera tenue de promouvoir, de suivre et de faciliter le respect de la loi et de mettre en oeuvre un programme d'assurance de la qualité.

Le ministre de l'Environnement ou les ministres chargés d'une évaluation auront aussi le pouvoir d'émettre un arrêté suspendant le projet avant qu'une évaluation environnementale n'ait été effectuée.

Le projet de loi reconnaît également les connaissances et traditions des Autochtones et propose la mise en place d'une nouvelle catégorie d'outils d'examens préalables, qui servira à traiter les projets de moindre envergure d'une façon écologique.

Pour éliminer un facteur important d'incertitude, le projet de loi C-9 propose l'élimination de la possibilité qu'un projet soit assujetti à une deuxième évaluation environnementale par une commission après avoir fait l'objet d'un examen en profondeur par une étude approfondie. Les modifications apportées aux évaluations par étude approfondie prévoient deux nouveaux modes de participation du public appuyés par le financement.

L'adoption du projet de loi C-9 entraînera l'établissement de programmes de suivi obligatoire des projets d'envergure à la suite d'une étude approfondie, d'une médiation ou d'un examen par une commission. De tels programmes permettront de vérifier l'exactitude des prévisions de l'évaluation environnementale et l'efficacité des mesures d'atténuation visant à protéger de l'environnement.

Jusqu'à maintenant, la loi a surtout visé à prévoir l'avenir et à faire démarrer le processus, mais il lui manquait des dispositions des suivis, chose que nous estimons importante.

Le projet de loi propose aussi de rendre les dispositions transfrontalières plus faciles en mettre en oeuvre. Cela nécessitera la mise sur pied d'un site Internet, où les Canadiens obtiendront sans peine des renseignements sur les projets avant que les décisions finales ne soient prises. Il y a plus de deux ans, en mars 2001, nous déposions le projet de loi C-9, et déjà les groupes d'écologistes et de l'industrie se montraient favorables à ces changements, qui leur paraissaient être un pas dans la bonne direction.

La Chambre des communes a étudié le projet de loi de façon approfondie. Sous la présidence de M. Charles Caccia, le Comité permanent de l'environnement et du développement durable a consacré plus d'un an à la consultation des Canadiens que la chose intéressait, et il a proposé bon nombre d'amendements positifs. Je me réjouis toutefois de pouvoir dire que le consensus initial favorable est demeuré le même.

Parmi les amendements adoptés par la Chambre des communes, mentionnons l'élargissement des obligations de faire effectuer des évaluations environnementales aux sociétés de la Couronne trois ans après que le projet de loi C-9 aura reçu la sanction royale. L'article relatif aux réalités transfrontalières témoigne d'une attention toute spéciale aux parcs nationaux et à leur intégrité écologique. On a aussi élargi et renforcé les dispositions qui donnent au public l'accès aux documents des évaluations environnementales, y compris celles qui portent sur le site Internet.

Enfin, le gouvernement a saisi l'occasion que lui donnait le projet de loi C-9 pour proposer des amendements qui élimineront l'échappatoire éventuel que constitue la décision de la Cour fédérale dans la cause de l'autoroute du ruisseau Red Hill, décision postérieure au dépôt du projet de loi. Vous vous souviendrez sans doute que cette cause, qui a semblé traîner en longueur, s'est soldé par une conclusion assez consternante pour l'efficacité des évaluations environnementales.

[Français]

Honorables sénateurs, à chaque année, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale donne lieu à des investissements potentiels de plusieurs milliards de dollars. L'évaluation environnementale touche des projets de toutes sortes dans des domaines allant de l'énergie à l'infrastructure municipale. Les investisseurs, promoteurs et communautés associés au projet proposé bénéficieront davantage du projet de loi C-9. Ce projet de loi prévoit un processus plus prévisible et mieux coordonné.

Notons également que le gouvernement du Canada se sert de l'évaluation environnementale pour ses projets en fonction de leurs effets possibles sur l'air, sur la santé, sur l'eau, sur la faune et sur nos espaces naturels.

[Traduction]

Par conséquent, quels sont les effets de ce projet de loi? D'abord, le projet de loi C-9 améliorera le processus à suivre pour obtenir des évaluations de grande qualité. Ainsi par exemple, l'obligation de mettre en oeuvre des programmes de suivi dans le cas de projets de grande envergure, le programme d'assurance de la qualité et la possibilité de suivre les programmes en cours sur le nouveau site Internet seront une source de renseignements utiles pour améliorer l'évaluation environnementale. De meilleures évaluations fourniront des renseignements plus exacts aux promoteurs de projets et aux décideurs gouvernementaux.

En second lieu, nous espérons qu'un élargissement des possibilités de participation du public incitera toutes les personnes et les organisations que ces questions intéressent à prendre réellement part au processus et à en suivre l'évolution par après.

Encore une fois, les promoteurs de projets et les décideurs seront mieux renseignés au sujet des effets environnementaux sur l'air, l'eau, les espèces sauvages et les espaces naturels. À mon avis, cela devrait mener à des décisions plus éclairées, qui à leur tour entraîneront des résultats positifs à long terme pour l'environnement. Que les décisions soient prises par Agriculture et Agroalimentaire Canada, par Pêches et Océans, ou par le ministère de la Défense nationale, leur qualité nous garantira une meilleure protection de notre environnement.

Pour ce qui est de l'aspect financier, le gouvernement s'est engagé à verser de nouveaux crédits de 51 millions de dollars sur cinq ans pour mettre en oeuvre la loi telle qu'amendée. Ce montant s'ajoutera aux crédits déjà attribués.

Je suis persuadé que ces prochaines années, l'étude au cas par cas des projets et l'évaluation environnementale progressive nous fourniront des outils encore plus précieux à utiliser afin d'atteindre nos objectifs environnementaux.

Le sénateur Spivak: Monsieur le ministre, vous n'ignorez pas que je suis du Manitoba. Là-bas, on a eu un exemple vraiment notoire des lacunes de la mise en oeuvre de cette loi, non de l'amendement. J'ignore si vous êtes au courant. Quoi qu'il en soit, vous devez savoir qu'en vertu des articles 5 et 15 de la loi, le gouvernement envisage les projets étudiés comme quelque chose de limité, or en l'occurrence, à la place d'une évaluation qui aurait englobé 15 millions d'hectares de forêts, y compris six millions d'hectares d'habitats supérieurs du poisson et d'oiseaux migrateurs et des milliers de kilomètres d'une nouvelle route, cela a donné l'évaluation d'un simple pont très étroit. Quant aux articles 46 et 47, relatifs aux effets transfrontaliers, ils utilisent les mêmes termes, et je crois que c'est à cause de cela que les tribunaux ont rejeté tout ce que la Forest Alliance faisait.

Le projet de loi C-9 ne contient aucun amendement aux articles 46 et 47 afin de corriger ce qui me semble une lacune manifeste. Avez-vous l'intention de régler cela par l'entremise des règlements? Comment envisageriez-vous de corriger un exemple aussi flagrant des lacunes de la loi actuelle?

M. Anderson: Vous vous reportez sans doute au jugement dans la cause Tolko.

Le sénateur Spivak: Oui, c'est exact. Il s'agit de plus de la moitié de notre province, mais aucune de ces régions n'a fait l'objet d'une évaluation environnementale.

M. Anderson: Lorsque cette proposition a d'abord été présentée en 1996, aucune décision fédérale ne déclenchait le processus de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Le ministère des Pêches et des Océans a donc décidé de demander des renseignements au sujet de l'habitat du poisson afin d'obtenir confirmation de cela, ce qui fut fait.

Après cela, le gouvernement fédéral a participé au processus environnemental provincial et a donc témoigné devant la Manitoba Clean Environment Commission.

Enfin, grâce à la Loi sur la protection des eaux navigables, le processus a pu être déclenché, essentiellement par la Garde côtière. Mme Smith pourra vous expliquer les aspects juridiques de la question, qui vous paraîtront peut-être un peu moins étranges après. Ce projet comportait des impacts considérables sur la terre, mais ce n'est que dans le contexte de la Loi sur la protection des eaux navigables que le gouvernement fédéral est intervenu.

Le sénateur Spivak: Celle sur les oiseaux migrateurs aussi.

M. Anderson: Oui, c'est exact, mais c'est la Loi sur la protection des eaux navigables qui a quand même déclenché la participation du gouvernement fédéral en raison de la construction d'un pont. La même situation s'est d'ailleurs produite dans le sud de l'Alberta, sur la rivière Oldman.

Selon la décision de la Cour fédérale, l'évaluation effectuée par la Garde côtière était conforme à la loi. Pour corriger cela, nous espérons que les nouvelles dispositions relatives au coordonnateur à l'évaluation environnementale donneront lieu à une application plus cohérente de la loi, y compris en ce qui a trait aux décisions délimitant la portée de l'évaluation.

Le sénateur Spivak: De quel article est-ce que cela relèvera?

M. Anderson: M. Connelly vous obtiendra le renseignement à l'instant. Pendant qu'il s'en occupe, j'ajouterai que le programme d'assurance de la qualité devrait aussi avoir des effets positifs à cet égard. Le projet de loi est assez souple, mais j'espère quand même que ce genre de situation ne se reproduira pas. C'était pendant les premières années. Grâce à notre expérience et grâce aux modifications qui ont été apportées, sénateur, j'espère que nous pourrons agir plus efficacement dans ce genre de situation.

C'est dans l'article 7 qu'on trouve les dispositions relatives au coordonnateur à l'évaluation environnementale.

Le sénateur Spivak: J'ai raison, n'est-ce, pas lorsque j'affirme que la Loi sur la protection des eaux navigables n'a jamais comporté de mécanismes de déclenchement d'une évaluation? Ça ne s'est pas produit.

M. Anderson: Est-ce que vous me demandez si cette loi a déjà entraîné le déclenchement d'évaluations?

Le sénateur Spivak: Je pose cette question par rapport à ce genre d'évaluation complète.

M. Anderson: Je vais m'en remettre à Mme Smith pour le moment. Je ne suis pas avocat et je me souviens que les décisions rendues par les tribunaux dans les causes Tolko et l'autre en Alberta étaient divergentes.

Le sénateur Spivak: Si vous permettez, à mon avis, si les tribunaux se sont prononcés de cette façon, c'est en raison de la définition étriquée qu'on a donnée du projet. D'après mes connaissances limitées, c'est de là que vient le problème. L'article 46 parle des effets transfrontaliers. Eh bien, ce projet ne se limitait pas au Manitoba, il atteignait aussi la Saskatchewan étant donné que les rivières coulent entre ces deux provinces. Quoiqu'il en soit, c'est un exemple scandaleux d'un mauvais usage de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

L'idée de cette coordination donnera peut-être de bons résultats, mais qu'arrivera-t-il si c'est un échec?

M. Anderson: Je comprends tout à fait votre mécontentement au sujet de la portée limitée qu'on a donnée à cette question, qui remonte à loin. Je me souviens d'ailleurs de m'être plaint de l'impact en aval des barrages de la rivière de la Paix, dans les régions marécageuses de l'Alberta, et du fait qu'on n'en avait pas tenu compte lors de la construction.

Je vais maintenant demander à Mme Smith de vous expliquer certains des aspects complexes de ce mécanisme de déclenchement.

Le sénateur Spivak: J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi la portée du projet est si limitée afin de mettre fin à ma confusion. Ça me serait utile. Je sais aussi que les décisions des tribunaux sont contradictoires.

M. Robert G. Connelly, vice-président, Élaboration des politiques, Agence canadienne d'évaluation environnementale: Honorables sénateurs, la loi donne à l'autorité responsable le pouvoir nécessaire pour se prononcer sur la portée du projet à évaluer. En l'occurrence, en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, l'autorité responsable, le ministère des Pêches et des Océans a décidé de limiter la portée du projet aux passages de cours d'eau, c'est-à-dire de tenir compte des aspects qui affectent la navigation.

Le projet de loi C-9 ne modifie pas ce pouvoir discrétionnaire; vous avez tout à fait raison de le souligner. Toutefois, ainsi que l'a dit le ministre, nous espérons que d'autres dispositions nous permettront de prendre des décisions plus cohérentes à l'avenir lorsqu'il s'agira de délimiter la portée d'un projet. Il a aussi mentionné les responsabilités du nouveau coordonnateur fédéral à l'évaluation environnementale, poste que nous nous apprêtons à créer.

Entre parenthèses, je pourrais vous parler de nombre de projets ayant fait l'objet d'une évaluation déclenchée en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables. La portée de certains d'entre eux a été délimitée de façon plus vaste. Cela dit, il faut qu'il y ait davantage de cohérence, nous le reconnaissons volontiers.

Ainsi par exemple, si un projet nécessite la construction d'une longue route, et qu'il y a peut-être un passage de cours d'eau le long de cette route, alors il faudra décider si la portée du projet doit englober seulement le passage de cours d'eau ou la route en entier. Si le projet comporte de nombreux passages de cours d'eau, peut-être faudrait-il que sa portée couvre la route en entier et tous les passages.

Aussi, comme l'a dit le ministre, la province concernée effectue parfois une évaluation environnementale de son côté. C'est ce qui s'est passé dans le cas du projet manitobain dont vous avez parlé. Nous nous efforçons de collaborer avec les provinces afin qu'on effectue une seule évaluation, mais conforme aux exigences tant fédérales que provinciales.

C'était ce que je tenais à dire là-dessus. J'espère que ces remarques tireront au clair certaines des questions que vous avez soulevées.

Le sénateur Spivak: Elles ne répondent pas à ce que j'ai dit au sujet de la définition étriquée d'un projet qui affectait 15 millions d'hectares de forêt vierge ou d'habitat du poisson de grande qualité. Je sais que c'est la province qui a effectué l'évaluation environnementale, mais une évaluation superficielle, et on ne peut se contenter de cela. Si je me reporte au projet de loi, il a renforcé les pouvoirs de la loi à certains égards, mais il me semble qu'il n'a pas résolu le problème posé par une interprétation trop étroite.

Je ne sais pas.

M. Connelly: J'ajouterai encore une chose. Le projet de loi laisse à l'autorité responsable le pouvoir discrétionnaire de délimiter la portée du projet à évaluer. Je me rends bien compte que la participation de la province à l'évaluation a son importance dans une telle décision. En général, nous élaborons un processus en collaboration ou harmonisé, qui se conforme aux exigences tant provinciales que fédérales. Je crois que c'est ce qui s'est passé dans ce cas.

Mme Heather Smith, conseillère juridique principale, Agence canadienne d'évaluation environnementale: J'aimerais parler de la définition d'un «projet», qui est la cause de vos préoccupations.

Vous avez tout à fait raison, la définition d'un projet est très limitée dans la loi. C'était tout à fait délibéré parce que l'évaluation environnementale interviendra dès que le gouvernement se prononcera sur toute activité qui pourrait déclencher le recours à la loi. Par conséquent, la construction d'un pont déclenchera des évaluations environnementales.

Ensuite viennent les dispositions délimitant la portée du projet — qu'on trouve dans la loi et non dans le projet de loi — qui indiquent aux autorités responsables, c'est-à-dire les ministères qui se prononcent sur les projets, sur ce qu'ils doivent inclure lorsqu'ils ont déclenché une évaluation environnementale.

Ainsi par exemple, si on construit un pont, alors il faut aussi qu'on évalue son utilisation. Si l'on sait ou si l'on estime probable qu'il sera élargi, il faut inclure cela dans l'évaluation. Enfin, si on prévoit le démolir, cela aussi doit être pris en compte. Tous ces renseignements servent d'instruction à l'intention de l'autorité qui définit le projet.

L'autorité responsable dispose d'un autre pouvoir, celui de tenir compte d'activités sans lien direct avec la décision à prendre, et je crois que c'est cela qui est à la source de vos préoccupations.

Vous vous préoccupez du fait que l'autorité n'a pas usé de son pouvoir discrétionnaire pour englober ces activités forestières. En raison des règles relatives au réexamen judiciaire, les tribunaux ont cependant estimé qu'elle l'avait exercé de manière raisonnable, ce qui n'exclut pas qu'elle aurait pu l'exercer autrement.

Je crois que c'est là où M. Connelly veut en venir lorsqu'il parle des outils que ce projet de loi donne aux autorités responsables pour utiliser leur pouvoir discrétionnaire à meilleur escient.

Le sénateur Kenny: Est-ce que la définition d'un projet fait partie de ce projet de loi ou de la loi qu'il s'agit d'amender? Autrement dit, à votre avis, le comité en est-il saisi?

Mme Smith: Cela ne figure pas dans le projet de loi mais dans l'article des définitions de la loi, mais vous êtes saisis d'une partie de cette disposition.

Le sénateur Kenny: C'est une question fondamentale parce que si nous n'en sommes pas saisis, nous ne devrions pas en parler maintenant. Si nous le sommes, alors nous devrions poursuivre notre discussion.

Le sénateur Spivak: Nous sommes saisis des articles 46 et 47, et c'est cela l'essentiel.

Le sénateur Kenny: Je voulais entendre le témoin.

Mme Smith: Mme Spivak fait valoir que la définition...

Le sénateur Kenny: Êtes-vous toutes les deux de connivence ici?

Mme Smith: Pas du tout. La définition d'un «projet» est tout à fait essentielle; elle soutient la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale en entier, et à mon avis, elle en imprègne tout le contenu.

Le sénateur Kenny: Alors estimez-vous que nous nous saisissons légitimement de la question?

Mme Smith: Les préoccupations soulevées par madame le sénateur trouvent leur explication dans des articles de la loi qui ne sont pas traités dans le projet de loi et ne font donc pas l'objet des travaux du comité.

Le président: À titre d'éclaircissement pour les besoins du procès-verbal: est-ce que la définition d'un «projet» est mentionnée dans le projet de loi C-9? La réponse est-elle non?

Mme Smith: On trouve la définition d'un projet à l'article 2 de la loi existante, le projet de loi comporte cependant des amendements à cet article 2.

Le président: S'agit-il de l'article 2 de la LCEE?

Mme Smith: C'est exact.

Le président: Non du projet de loi C-9?

Le sénateur Kenny: Puisque le projet de loi modifie cet article, il est tout à fait approprié que nous étudiions la question.

Mme Smith: C'est juste. Toutefois, je pense qu'on se préoccupe ici du pouvoir de délimitation d'une évaluation. Or, les articles pertinents de la loi ne sont pas repris dans le projet de loi, et le comité n'en est donc pas saisi.

Il me paraît tout à fait légitime d'essayer de comprendre les répercussions de la définition, mais à la base de tout cela, il y a l'exercice d'une latitude discrétionnaire telle qu'elle est définie dans la loi, et ces dispositions ne figurent pas dans le projet de loi.

Le sénateur Kenny: Si cela devait mener à un amendement de la définition des projets, il serait légitime que notre comité intervienne parce que cette partie de la loi est modifiée par le projet de loi, c'est bien cela?

Mme Smith: Oui, la définition d'un projet est modifiée; c'est exact.

Le sénateur Kenny: Par conséquent, si le sénateur Spivak souhaite utiliser ce moyen, il sera approprié de le faire, tout comme il le sera si elle décide de passer à autre chose.

Mme Smith: Pour modifier la définition de «projet», oui, c'est exact.

Le sénateur Kenny: C'est pourquoi je posais la question.

Le président: Je vous remercie.

Le sénateur Spivak: J'ai une autre observation assez semblable à faire. D'après le témoin de l'autre endroit, il y a une contradiction entre les articles 5 et 15 et les articles 46 et 47. Dans l'article 5 de la loi en vigueur, le gouvernement considère les projets à évaluer comme ayant une portée très limitée. On a utilisé les articles 46 et 47 dans ce sens, et probablement de façon inappropriée, parce qu'il est question là d'effets transfrontaliers et internationaux. C'est le lien que j'établis avec le projet de loi. Est-ce que vous comprenez?

Mme Smith: Les articles 46 à 47 portant sur les effets transfrontaliers ne portent pas vraiment sur la délimitation. La décision sur la portée est laissée au ministre de l'Environnement, car il est question de ses pouvoirs discrétionnaires à lui.

On ne trouve pas vraiment d'instructions dans ces articles, mais à mon avis, ce qui fait la force de la définition, c'est que le moindre petit élément du cycle d'une activité peut déclencher l'intervention de la loi et le processus. Il y a de réels risques à modifier une façon aussi minimaliste de concevoir l'inclusion, car une fois que quelque chose est inclus, on peut légitimement penser que...

Le sénateur Spivak: Je comprends où vous voulez en venir. J'aimerais poser une autre question, celle-là au sujet de la liste d'exclusions. J'aimerais savoir si on compte allonger la liste des études approfondies. Dans l'un de ses rapports, ce comité a recommandé d'y ajouter les centrales nucléaires fermées pendant de longues périodes ou qui subissent d'importants travaux de rénovation. Avez-vous étudié cette recommandation?

M. Connelly: Sénateur, je vais répondre à deux questions. Vous avez tout à fait raison au sujet de la liste des exclusions. Si nous nous étions engagés à envisager la possibilité d'ajouter d'autres projets à la liste que nous avions reçue, dans le cadre de l'examen quinquennal, c'est qu'on avait critiqué le fait que ce processus nous poussait à évaluer un grand nombre de tout petits projets. À l'heure actuelle, nous évaluons entre 6 500 et 7 000 projets par an. Suite à l'un des changements qui a été apporté au processus dans la foulée de l'examen conduit par le comité permanent de la Chambre, ce chiffre va augmenter considérablement puisque, désormais, les sociétés d'État tombent également sous le coup de la loi.

Nous sommes en train de déterminer comment nous pourrions réduire ce chiffre afin de concentrer plutôt nos ressources sur les projets de plus grande envergure et qui intéressent également davantage le public. Mais avant d'ajouter quoi que ce soit à la liste des exclusions, nous commençons par déterminer si le projet est susceptible d'avoir un impact minime sur l'environnement. Mais c'est l'examen quinquennal qui a mené à la conclusion que nous évaluons un trop grand nombre de petits projets.

Lorsque vous parlez de la liste complète des études, votre comité avait fait, je crois, une recommandation dans un de ses rapports, il y a environ un an, au sujet des centrales nucléaires qui avaient été fermées. Dans son rapport au Parlement, le ministre avait entre autres promis un réexamen périodique de ce que nous appelons les «quatre règlements cadres». Et cela comprend précisément la liste complète des études. Sans doute d'ici deux ans, nous allons envisager d'amender ce règlement et nous tiendrons compte de vos recommandations à ce sujet.

Le sénateur Buchanan: Je vais passer maintenant à un autre niveau. Je ne sais pas si la loi concerne ce dont j'entends vous parler mais, depuis le début des années 80, je m'intéresse énormément à la mise en exploitation des ressources hauturières de la Nouvelle-Écosse. Comme vous le savez, monsieur le ministre, nous avons négocié, puis signé, avec le premier ministre Trudeau et avec le ministre de l'Énergie de l'époque, M. Chrétien, qui est maintenant premier ministre, la toute première entente jamais conclue au Canada sur l'exploitation du pétrole et du gaz naturel en mer. Cette entente couvrait absolument tout, depuis l'Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers jusqu'aux évaluations environnementales des projets d'exploitation. Depuis plusieurs années, cette entente produit d'excellents résultats du point de vue de l'exploitation du pétrole de Terre-Neuve et du gaz naturel de la Nouvelle- Écosse.

Ce projet de loi aura-t-il une incidence quelconque sur ces projets réalisés en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve et qui relèvent actuellement de l'Office Canada-Terre-Neuve et de l'Office Canada-Nouvelle-Écosse? Des évaluations environnementales sont actuellement en cours et d'autres ont déjà été effectuées pour tous les nouveaux projets d'exploitation en mer dans les deux provinces. Ces derniers temps, l'industrie a toutefois reproché à ces évaluations de retarder la mise en œuvre des nouveaux projets.

S'agira-t-il donc d'un nouveau palier d'évaluation environnementale pour les projets fédéraux-provinciaux, les projets qui relèvent actuellement des offices existants entre le Canada, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve?

M. Anderson: À ma connaissance, la position des offices n'a pas changé. Par contre, certaines pressions que je qualifierais de politique, dont vous êtes, j'imagine, au courant, se font actuellement sentir. Certains permis ont été délivrés pour des zones situées à l'ouest du Cap-Breton et une étude a été lancée pour répondre aux préoccupations du public. Certains milieux ont réclamé que les évaluations fédérales soient effectuées différemment.

M. Connelly pourrait vous en dire plus long à ce sujet. Par contre, ce que je comprends de la chose, c'est que dans le domaine de l'évaluation environnementale, nous sommes arrivés à un niveau de coopération fédérale-provinciale relativement bon. Il y a chaque année 150 projets, sur un total de 6 500, qui exigent une ou deux évaluations environnementales fédérales-provinciales conjointes. Dans le nouveau projet de loi que nous vous soumettons, nous avons accepté 13 des 18 recommandations formulées par les provinces et nous y avons donné suite.

Dans l'ensemble, la seule exception a été la province de Québec qui a refusé de participer à quelque évaluation environnementale conjointe que ce soit, mais je peux néanmoins vous dire qu'en ce qui concerne le projet Eastmain à la Baie James, chez les Cris, tout en n'ayant pas adopté la formule conjointe classique, nous avons néanmoins une démarche commune assortie des mêmes échéanciers et d'une seule et unique série d'audiences publiques au sujet du projet hydroélectrique Eastmain-Rupert. Il y aura toujours deux évaluations, mais les mêmes témoins comparaîtront en même temps dans la même salle. Nous avons fait un grand pas en avant dans ce dossier du point de vue de la coordination. En revanche, techniquement parlant, il ne s'agit pas d'une procédure conjointe. M. Connelly pourra vous en dire plus long au sujet des offices extracôtiers et des modifications possibles du point de vue des évaluations.

M. Connelly: Pour commencer, comme vient de le dire le ministre, le projet de loi ne changera rien dans la façon dont les offices procèdent aux évaluations environnementales. Les deux offices sont considérés comme des organismes fédéraux aux fins de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il s'agit effectivement de créatures fédérales- provinciales comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le sénateur, mais aux fins de la loi, elles sont réputées être des organismes fédéraux. Cela remonte d'ailleurs à plusieurs années, au moment de la négociation de l'entente avec Terre- Neuve. C'est l'industrie elle-même qui nous avait demandé de faire en sorte que ces offices soient des organismes fédéraux pour plus de certitude.

À l'époque, on craignait en effet que la loi puisse être appliquée, suite peut-être à un litige porté devant les tribunaux, à la toute dernière minute, ce qui aurait pu avoir pour effet de retarder la mise en chantier des projets. C'est en partie à cause de cette préoccupation exprimée par l'industrie que le gouvernement fédéral a décidé il y a déjà plusieurs années de cela de faire de l'Office Canada-Terre-Neuve un organisme fédéral aux termes de la loi.

Le sénateur Buchanan: Cela a aussi été le cas, je crois, pour l'Office Canada-Nouvelle-Écosse.

M. Connelly: En effet, et le ministre Anderson a déclaré que cette office est également un organisme fédéral, ce qui assure une certaine uniformité.

Le sénateur Buchanan: Je n'y vois aucune objection.

M. Connelly: Je pense que tout cela a produit de fort bons résultats. Je dois également vous signaler qu'un certain nombre d'initiatives à caractère réglementaire sont actuellement en cours afin d'harmoniser encore davantage le secteur de l'exploitation extracôtière du pétrole et du gaz à l'échelle nationale.

Comme vous pouvez facilement le comprendre, la loi a une portée nationale, et elle s'appliquerait donc à l'exploitation du pétrole et du gaz dans la mer de Beaufort, voire dans le golfe du Saint-Laurent, tout comme le long de la côte Est. Nous essayons ici d'uniformiser et d'harmoniser l'application de la loi, mais nous procédons par voie de réglementation plutôt que par voie d'amendement dans le projet de loi C-9.

Le sénateur Buchanan: Je ne voudrais pas terminer sans signaler au ministre, comme je l'ai déjà fait d'ailleurs, un élément de l'entente de 1982 que j'avais moi-même négociée avec le ministre de l'époque, l'actuel premier ministre, M. Chrétien, et qui concerne la quote-part de la Couronne. J'ai dit au ministre qu'il était dans le camp de la Nouvelle- Écosse et de Terre-Neuve et que nous allions obtenir cette quote-part de la Couronne. Ai-je bien raison?

M. Anderson: Puisque vous parlez de mon patron lorsque vous dites que vous êtes entretenu avec l'ancien ministre, l'actuel premier ministre, je pense que je laisserai plutôt à ce dernier le soin de répondre.

Le sénateur Buchanan: En passant, nous avions négocié au restaurant Canadiana Grill.

M. Anderson: Je vais me faire un point d'honneur de lui demander s'il s'en souvient.

Le sénateur Buchanan: Il l'avait paraphé et moi aussi.

Le sénateur Kenny: Je voudrais faire une petite intervention. Monsieur le ministre, vous ne nous avez pas parlé de l'échéancier de vos pourparlers avec le Québec. Ont-ils eu lieu avant ou après les dernières élections?

M. Anderson: Cette situation inhabituelle, en l'occurrence un seul échéancier et une seule série d'audiences publiques, avait été la résultante d'une entente conclue avec le dernier gouvernement, celui du Parti québécois. Pour l'essentiel, nous étions convenus de travailler ensemble, quitte à arriver chacun à des conclusions différentes. Je me suis entretenu avec le ministre de l'Environnement, Thomas Mulcair, mais je ne l'ai pas encore rencontré. Nous avons eu le loisir ainsi de coopérer de façon efficace sans heurter les susceptibilités. Peut-être le gouvernement provincial précédent avait-il ouvert la voie à cet égard.

Je n'ai jamais constaté que le gouvernement provincial précédent semblait répugner à s'occuper de dossiers environnementaux. Tout au contraire, l'environnement semblait pour lui une priorité.

Le sénateur Kenny: Nous avons déjà plusieurs fois ouvert ce dossier au comité, et le fait qu'il y ait progrès m'intrigue un peu. J'ignore comment le comité pourrait se tenir au courant de l'amélioration des relations fédérales-provinciales en matière environnementale, mais si vous pouvez nous aider dans ce sens, nous vous en serions reconnaissants.

M. Anderson: Ce serait avec plaisir. Pour moi, il s'agit là d'un développement positif. Je dois également vous signaler que nous avons également dû intervenir indépendamment en procédant à des audiences publiques dans un autre cas, c'est-à-dire Kenogami. Cela semble être un retour à l'ancien système mais c'était une décision de l'ancien ministre de l'Environnement du Québec, M. Boisclair, prise deux jours après les élections. Peut-être nous sera-t-il possible de réorganiser tout cela sur le modèle du projet Eastmain-Rupert, et nous l'espérons vivement. Si le gouvernement du Québec reconnaît l'importance qu'il y a d'avoir une certaine coordination, je suis persuadé qu'il ne sera pas difficile d'arriver à trouver une solution.

Le président: Monsieur le ministre, je suis sûr que tout le monde se félicite du fait que les sociétés d'État soient dorénavant assujetties à la même réglementation. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il a fallu attendre trois ans après la Sanction royale pour que ce soit le cas? Vous a-t-il fallu tout ce temps-là pour détruire des pièces à conviction ou jeter des dossiers par-dessus bord? Pourquoi cet interregnum de trois ans?

M. Anderson: J'espère que vos pires craintes sont sans fondement.

Le président: C'était une blague.

M. Anderson: Nous avons 41 sociétés d'État et un grand nombre d'entre elles nécessiteront un processus fait sur mesure étant donné qu'aucune formule ne conviendra à toutes. La Société du crédit agricole par exemple donne des milliers de petits prêts à des entreprises agricoles familiales et nous ne voulons pas qu'un processus retarde les choses et occasionne à ces entreprises des difficultés économiques qui ne seraient assorties d'aucun avantage du point de vue environnemental. Donc, manifestement, nous allons devoir étudier cela au cas par cas.

Un autre élément important est qu'il faut permettre aux sociétés d'État de se familiariser avec le processus. Les sociétés d'État craignaient beaucoup de devenir assujetties à un processus réglementaire qu'elles jugeaient parfaitement approprié dans le cas du gouvernement mais pas dans le leur étant donné qu'il ne s'agit pas d'une administration publique, du moins c'était l'avis formulé par certains de leurs administrateurs. À notre avis, cela leur donnera l'occasion d'acquérir les compétences et les connaissances nécessaires. Et lorsqu'enfin ces sociétés d'État devront se conformer à la réglementation, dans trois ans, elles se sentiront beaucoup plus à l'aise.

Le président: J'aime beaucoup la notion d'intervalle raisonnable. Vous avez également mentionné, et je reprends vos propres termes, la question du financement des participants. J'imagine que vous entendez par là le financement des représentants du public qui voudront participer au processus.

M. Anderson: En effet, vous avez tout à fait raison, il s'agira d'un financement à même les fonds publics. Par contre, je crois savoir que dans certains cas, les promoteurs ont également offert de financer la participation des milieux représentant l'intérêt public ou les mouvements de défense de l'environnement. M. Connelly sait peut-être de façon plus précise comment ces concours financiers pourront être offerts.

M. Connelly: Selon la loi actuelle, les parties intéressées qui veulent intervenir devant une commission d'évaluation environnementale, peuvent déjà obtenir une aide financière en vertu d'un programme établi. Cette aide financière est accordée au moment des audiences en fonction de certains critères et à la demande des groupes qui veulent intervenir.

Le président: Mais le processus d'examen en commission d'évaluation environnementale représente la minorité des cas, n''est-ce pas?

M. Connelly: En effet. Le projet de loi C-9 propose également la création d'un programme d'aide financière à l'étape suivante de l'évaluation environnementale, celle de l'étude approfondie. Cette disposition va de toute évidence permettre à un plus grand nombre de projets de faire l'objet d'une aide financière aux intervenants.

Le président: Cette aide financière provient-elle du promoteur du projet ou du Trésor?

M. Connelly: Du Trésor.

Le président: Uniquement du Trésor?

M. Connelly: Oui.

Le président: Monsieur le ministre, pouvez-vous nous parler un peu des programmes de suivi concernant les projets de plus grande envergure? Je n'ai rien trouvé à ce sujet en lisant le texte du projet de loi. Quel est le moyen mécanique qui permettrait l'entrée en jeu d'un programme de suivi dans le cas des projets de plus grande envergure?

M. Anderson: Il s'agit en l'occurrence d'une toute nouvelle condition qui vaut pour les commissions. M. Connelly va vous donner les échéanciers, mais d'après ce que je sais, c'est la commission qui dira à quel moment il faudra procéder à un examen pour déterminer si les choses se sont bien déroulées comme prévu. Monsieur Connelly, est-ce que je me trompe? Appartiendra-t-il bien à chaque commission de déterminer à quel moment au juste cela devra se produire dans chaque cas?

M. Connelly: En effet, monsieur le ministre, c'est tout à fait exact.

Cette condition s'appliquera d'ailleurs aussi bien aux études approfondies qu'aux évaluations effectuées par les commissions. Les projets de plus grande envergure réclameront des programmes de suivi.

Dans la pratique, les choses se passeront comme l'a dit le ministre. Le moment auquel il faudra mesurer certains effets sur l'environnement sera déterminé au cas par cas. En l'occurrence, il s'agira de déterminer si ce qu'on avait prévu au départ s'est bien matérialisé. Si on constate à ce moment-là qu'il y a des problèmes, on pourra apporter les correctifs nécessaires.

Le président: Pour mémoire, le critère à partir duquel on détermine s'il s'agit d'un petit projet ou d'un gros projet est-il bien l'impact environnemental? Cela dépend-il du diamètre de la canalisation ou de la superficie exploitée? Nous devons absolument le savoir. En effet, il est tout à fait possible de forer un tout petit trou quelque part et de provoquer par là même énormément de dégâts dans l'environnement.

M. Anderson: Effectivement, monsieur le sénateur, le critère est bien l'impact escompté au niveau de l'environnement. C'est un jugement de valeur. Comme l'Agence reçoit 6 500 dossiers chaque année, il est évident qu'elle doit trouver le moyen de faire la distinction entre la construction d'un quai pour un chalet et un projet qui a un impact beaucoup plus sérieux sur l'environnement. Il est évident que nous ne voulons pas retarder inutilement la réalisation des petits projets.

Le président: Pour être certain de bien comprendre de quoi il s'agit, prenons l'exemple d'un gros bâtiment qui est présumé n'avoir qu'un impact minime sur l'environnement par opposition au petit projet qui exige des travaux d'excavation à proximité d'un cours d'eau, ce qui pourrait avoir un impact énorme sur l'environnement.

Mon premier exemple serait donc un petit projet et le second un gros projet. Est-ce bien cela?

M. Anderson: Tout à fait. Il s'agira de l'impact escompté. Il ne fait aucun doute qu'il s'agit là d'un jugement de valeur qui produira immanquablement, dans certains cas, des différences d'opinions, ce qui risque à ce moment-là d'exiger qu'un petit projet soit reclassifié ou inversement.

Le sénateur Ringuette: Mes oreilles ont tinté lorsque vous avez parlé de la Société du crédit agricole. Je suis originaire d'un milieu agricole où on n'arrête pas d'évaluer les risques et l'impact des changements climatiques. Pouvez- vous me dire si la Société du crédit agricole va commencer à procéder à des évaluations environnementales dans le cas des exploitations agricoles dont les propriétaires demandent un prêt? Est-ce à cela qu'il faut s'attendre?

M. Anderson: Il y a littéralement des milliers de demandes de prêts qui parviennent à la Société du crédit agricole et qui sont accueillies favorablement. J'ignore le nombre exact, mais je suis sûr qu'il y en a des milliers. Nous escomptons que la très grande majorité de ces demandes de prêts seront automatiquement approuvées sous l'angle environnemental. S'il s'agit de refaire le toit de la grange, l'impact risque d'être très faible. Si par contre, il s'agit d'une demande de prêt pour changer l'emplacement d'une fosse à purin, il pourra y avoir un problème de drainage par exemple et, à ce moment-là, c'est le genre de chose qui risque d'être un déclencheur.

C'est précisément la raison pour laquelle l'entrée en vigueur se fera sur trois ans. Nous voulons un processus automatique pour deux raisons. D'abord, il y a le facteur temps: il ne sert pas à grand chose d'obtenir un crédit si l'argent arrive trop tard. En second lieu, il y a la question des frais supplémentaires. Il n'est pas nécessaire de procéder à une évaluation de a jusqu'à z s'il ne s'agit que de refaire le toit d'une grange. Le processus peut, dans un cas comme celui-là, être extrêmement rapide.

Je pense que nous pouvons arriver à trouver quelque chose qui convienne très bien à tout le monde. Il est vrai que nous prêtons de l'argent pour beaucoup de choses. Il ne fait aucun doute que dans certains cas, une évaluation environnementale serait chose normale.

Le sénateur Ringuette: Voilà qui me rassure. Je sais que les critères seront évalués et que l'approbation du projet ne dépendra pas nécessairement du refinancement. Un producteur agricole ne pourra pas nécessairement faire l'objet d'une évaluation chaque fois qu'il devra reconduire son prêt auprès de la Société du crédit agricole.

M. Anderson: Je pense que la majorité des projets n'exigeront qu'une vérification très rapide. Bien sûr, certains projets à caractère agricole peuvent avoir un impact sur l'environnement. Par exemple, un nouvel emplacement pour une fosse à purin pourrait avoir pour effet de contaminer la nappe phréatique, avec des conséquences comme ce qu'on a pu voir à Walkerton.

Il est donc logique de faire preuve de bon sens. Je ne veux pas parler de «légalisme» alors que j'ai un avocat à mes côtés, mais disons plutôt que nous ne pouvons pas adopter une attitude inflexible ou catégorique. Le bon sens est en l'occurrence une nécessité.

Le sénateur Ringuette: Je me félicite qu'il y ait une coopération fédérale-provinciale au niveau des projets d'évaluation environnementale. Nous devons souvent songer aux municipalités. Même si les municipalités sont les créatures des provinces, il est à espérer qu'elles seront elles aussi invitées à participer aux évaluations conduites sur les projets qui les intéressent. Les gens qui habitent dans des régions non constituées en municipalité s'en remettent au gouvernement provincial ou aux districts locaux et eux aussi devraient pouvoir participer à l'évaluation des projets qui les touchent. Ces projets sont en effet très importants pour eux. Nos ressources naturelles et écologiques se situent dans la très grande majorité des cas dans des collectivités rurales non constituées en municipalités.

M. Anderson: C'est précisément pour cette raison qu'il est tellement important d'avoir de bonnes relations avec les provinces puisque celles-ci sont directement responsables de ces collectivités, qu'elles soient ou non constituées en municipalités.

Nous faisons donc le maximum. Je suis sincèrement très heureux du niveau de coopération que nous avons obtenu, même si cette coopération n'est pas encore parfaite. En règle générale, lorsqu'un projet exige une évaluation et fédérale et provinciale, nous constatons qu'on nous offre très volontiers la coopération nécessaire. Très souvent, ces évaluations n'en sont d'ailleurs que meilleures étant donné que, lorsque les deux paliers de gouvernement interviennent, on peut compter sur des compétences plus nombreuses.

Nous essayons d'éviter le double emploi et les frais inutiles. Je le répète, c'est désormais chose courante dans les réunions de ce genre, hormis pour le Québec, de signer une entente d'harmonisation. En revanche, nous commençons à voir certains signes encourageants qui me permettent d'espérer que nous allons parvenir à nous sortir de certains problèmes également au Québec.

Je m'en félicite. Certes, il arrive qu'il y ait des problèmes par exemple lorsque les gens réclament une évaluation distincte ou une deuxième évaluation.

Parfois, ces gens-là, nous devons les décevoir et à ce moment-là, ils arrivent à la conclusion que notre processus est insuffisant pour protéger l'environnement pour la seule raison que nous avons cette démarche provinciale-fédérale commune, ou alors parce que nous leur avons dit que ce que faisait la province était suffisant et que nous nous contenterions de fournir des renseignements, voire de participer aux audiences en tant qu'intervenant.

Nous avons donc de multiples possibilités de travailler avec les provinces, mais nous reconnaissons également que la ligne de démarcation entre la compétence fédérale et la compétence provinciale en matière d'environnement est ici encore, n'en déplaise aux juristes, une ligne de démarcation élastique, en particulier lorsque les pouvoirs publics provinciaux amputent radicalement les budgets de leurs ministères de l'Environnement. Dans ma propre province, les dernières compressions budgétaires à cet égard ont été de 40 p. 100. Donc, une ligne de démarcation élastique peut peut-être donner au gouvernement fédéral un rôle plus important qu'il n'aurait pu l'être autrement. Cela bien entendu sans vouloir nous ingérer dans un champ de compétence provinciale, mais simplement en reconnaissance du fait que bien souvent, l'un ou l'autre palier de gouvernement peut fort bien faire le travail nécessaire. S'il y a des compressions au niveau provincial, nous ne devrions pas automatiquement refuser de prêter notre concours.

Le sénateur Ringuette: Comme je viens du Nouveau-Brunswick, c'est avec un sentiment de déception que j'ai vu ces derniers jours dans les journaux les résultats d'une étude qui montrait que ma province est celle où les problèmes environnementaux sont les plus graves et où la faune et la flore sauvages sont les plus à risque. J'espère que cette nouvelle coopération permettra non seulement d'obvier à cela, mais également d'arriver à une sorte de norme environnementale commune. Il faut que les gens qui veulent lancer un projet puissent faire référence à une norme, peu importe qu'il s'agisse du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse ou de l'Ontario. Mais j'imagine que cette coopération que vous recherchez finira par produire ce genre de chose. Je vous remercie.

Le président: Encore une fois merci d'être venu aujourd'hui, monsieur le ministre, vous nous avez très libéralement accordé votre temps et ce que vous nous avez dit a été extrêmement instructif. Nous allons poursuivre notre examen du projet de loi mardi.

La séance se poursuit à huis clos.


Haut de page