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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des 
Pêches et des océans

Fascicule 4 - Témoignages du 18 mars 2003


OTTAWA, le mardi 18 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit ce jour à 19 h 06 pour étudier les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Avant de donner la parole aux témoins, je veux revenir sur l'annulation du voyage que nous avions prévu en Colombie-Britannique pour examiner les questions d'habitat du poisson. Êtes-vous d'accord pour que nous demandions au Comité des finances de prévoir les crédits nécessaires à un tel voyage dans le budget de l'an prochain?

Le sénateur Cook: J'en fais la proposition.

Le président: Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

[Français]

Le président: Je suis le président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.

[Traduction]

Je suis heureux d'accueillir trois invités distingués du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique. Il s'agit d'abord de M. John Fraser, président du Conseil depuis sa création, à la fin des années 90. M. Fraser est natif de Vancouver, où il a été avocat jusqu'à son élection à la Chambre des communes. Au Parlement, il a occupé des postes clés, notamment ceux de ministre de l'Environnement et de ministre des Pêches. M. Fraser est aussi le premier président de la Chambre des communes à avoir été élu par ses pairs. À l'époque, j'étais l'un de ceux qui avaient voté pour vous. Vous pouviez compter sur ma voix à l'époque et vous pouvez encore compter sur elle aujourd'hui. En 1994, il a présidé le Comité d'examen public du saumon rouge du Fraser, et il a représenté le Canada comme ambassadeur pour l'environnement. Il est conseiller de la Reine, officier de l'Ordre du Canada et membre de l'Ordre de la Colombie-Britannique. Il a été décoré par les Forces canadiennes et a obtenu des doctorats honoraires en droit pour sa contribution aux causes environnementales.

Le témoin suivant est le Dr Jeff Marliave, biologiste ichtyologue, qui a fait sa carrière à l'Aquarium de Vancouver, d'abord comme scientifique en résidence, puis comme scientifique principal, directeur de la Conservation et de la recherche, directeur des Opérations et vice-président, Science de la mer. Il a produit plus de 70 études scientifiques et techniques et a élevé quelque 70 espèces de poissons marins et de crustacés.

Nous accueillons aussi le Dr Paul LeBlond, professeur d'océanographie et de physique à l'Université de la Colombie-Britannique jusqu'à sa retraite, en 1996. Avant de se joindre au Conseil, il était l'un des membres originels du Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, ou CCRH, pour la région de l'Atlantique. Il préside le Conseil consultatif scientifique du MPO et le Conseil consultatif des sciences et de l'industrie du Institute for Pacific Ocean Science and Technology. Il est aussi membre de la Société royale du Canada.

Je crois comprendre que le Conseil a préparé un mémoire. Je vous donne donc immédiatement la parole.

[Français]

L'honorable John Fraser, président, Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique: Il me fait grand plaisir de témoigner à ce comité pour la première fois. J'ai beaucoup de respect pour le Sénat. Je suis heureux de rencontrer à nouveau mon ancien collègue, le président de ce comité, ce soir.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de nous avoir invités à venir vous parler de la problématique des stocks de poissons et de l'habitat halieutique de la côte Ouest. Vous avez tous reçu un exemplaire de notre mémoire, dans les deux langues officielles.

Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique a vu le jour en 1998, à l'instigation du ministre des Pêches de l'époque, David Anderson, suite à une enquête menée sur les stocks de saumon rouge manquants, quelques années auparavant. On avait alors jugé nécessaire de demander à un comité indépendant de faire rapport aux gouvernements fédéral et provincial, ainsi qu'au public, sur la situation des stocks de saumon rouge et de saumon arc-en-ciel, et sur l'état de l'habitat. Nous ne sommes pas un comité de gestion de la pêche. Il ne nous appartient pas de décider jusqu'à quelle profondeur peuvent aller les filets ni comment seront réparties les ressources halieutiques, par exemple. Nous n'avons rien à voir avec les fonctions d'administration ordinaires du ministère des Pêches et des Océans. En outre, c'est le ministère des Pêches et des Océans qui nous finance, et nous sommes indépendants. Ce n'est pas le gouvernement provincial qui nous finance, bien que nous ayons des relations de travail étroites avec lui.

Je vous ai remis une liste de tous les membres du comité. Vous pouvez constater que sa composition est très diversifiée et que nous bénéficions d'un bassin de talents considérable, notamment de personnes ayant une vaste expérience scientifique, de la pêche et de la communauté. On y trouve notamment trois membres des Premières nations de la Colombie-Britannique. Il convient aussi de souligner que nous avons un membre d'office, le Dr Richard Beamish, du ministère des Pêches et des Océans, qui est lui aussi un scientifique de renom dans le domaine de la pêche. Nous avons aussi un membre d'office de la Commission des pêches autochtone. Autrement dit, notre comité constitue un large bassin d'expérience, de savoir et de connaissances scientifiques, qui se dévoue à l'intérêt public.

La Colombie-Britannique a un énorme défi à relever en ce qui concerne l'habitat du poisson. Le saumon est très important pour l'économie autant que pour la culture de la province. Il est très important aussi pour la culture des Premières nations, et il est extrêmement important pour les habitants de la province, autant pour ceux qui y vivent depuis de nombreuses générations que pour ceux qui y sont des nouveaux venus.

La conservation de l'habitat est essentielle pour assurer la conservation du saumon sauvage. Le saumon constitue une ressource économique cruciale pour les Premières nations et pour un nombre non négligeable de pêcheurs commerciaux traditionnels. Il est également important pour le tourisme, le loisir, la pêche sportive, la construction navale, les fournitures de pêche et toutes les choses qui sont reliées à ce secteur qui connaît une croissance économique rapide.

D'aucuns pensent que la pêche traditionnelle — la pêche sauvage — revêt aujourd'hui moins d'importance qu'autrefois puisque les recettes qu'en tire l'économie provinciale ont diminué. De ce fait, des gens ont décidé qu'il fallait réduire le budget du MPO, et c'est ce qui s'est fait. Ces gens disent que l'on ferait mieux de consacrer l'argent à d'autres choses, comme la promotion de l'aquaculture dont les revenus dépassent aujourd'hui ceux de la pêche traditionnelle. Ils oublient cependant que le saumon sauvage de nos côtes est le pilier de toute une industrie du tourisme de plein air qui connaît actuellement un boom économique remarquable. Autrement dit, si nous ne protégeons pas adéquatement notre saumon sauvage, ce secteur de l'économie provinciale sera en sérieuse difficulté.

Que veut-on dire quand on parle d'habitat halieutique? Le poisson anadrome — c'est-à-dire le saumon rouge et le saumon arc-en-ciel — doit remonter les rivières et les cours d'eau pour frayer. Il faut que ces cours d'eau soient propres. Il faut qu'on y trouve des bancs de graviers adéquats et de l'eau vive. Il faut qu'il y ait de l'ombre et qu'on assure une protection contre les maraudeurs, l'urbanisation et l'envasement. Il faut aussi assurer une protection contre les autres choses qui dégradent l'habitat nécessaire non seulement pour que le poisson puisse frayer mais aussi pour que les oeufs puissent éclore et pour que les alevins puissent survivre et entreprendre lentement leur migration de printemps — ou plus tard, selon l'espèce — vers l'océan.

Or, cet habitat est fragile. La population de la Colombie-Britannique augmente rapidement, ce qui se traduit par une énorme augmentation de l'urbanisation. Certes, toute urbanisation n'est pas mauvaise — elle est même dans certains cas absolument nécessaire, mais elle empiète constamment sur ces secteurs de l'habitat halieutique.

Nous ne parlons pas ici seulement de l'habitat d'eau douce mais aussi de l'habitat marin. Dans l'habitat marin, les problèmes sont autres, par exemple de pollution. Sur une période d'environ 10 ans, soit jusqu'à il y a quelques années, la productivité de l'océan était faible suite au réchauffement des mers. En conséquence, les eaux dans lesquelles les alevins devaient grandir ne contenaient pas assez d'éléments nutritifs. Les grandes migrations que l'on avait constatées il y a quelques années produisaient beaucoup moins d'animaux de retour. Tout cela a changé ces dernières années. Le saumon revient aujourd'hui en grande quantité. Toutefois, nous avons cette année El Niño et nous ne savons pas quelle en sera l'incidence sur la productivité des océans.

Nous ne faisons pas assez non plus au sujet des changements climatiques. Il y a des El Niños depuis des générations, mais le changement climatique est un tout autre problème. Nous sommes convaincus qu'on ne fait pas assez pour étudier les conséquences du changement climatique, phénomène qui risque d'entraîner des eaux trop chaudes, avec des débits trop faibles. Cette année, par exemple, l'accumulation de neige est environ la moitié de ce qu'elle est normalement. Sur la côte Ouest, nous n'avons pas connu le long hiver de la côte Est. Certes, on peut s'en réjouir car ce n'est pas désagréable, mais il faudra en payer le prix plus tard dans l'année car il n'y aura pas dans les cours d'eau les courants dont a besoin le poisson pour remonter. Si nous avons un long été très chaud, sans pluie, avec une fonte très rapide de la neige accumulée, le poisson aura beaucoup de mal à remonter les cours d'eau. Une fois que la température de l'eau atteint un certain niveau, on constate du stress et des maladies, et le poisson ne fraie pas.

Certains prédisent que si cette situation continue, à cause du changement climatique, les bancs de saumon du Pacifique devront remonter vers le Nord. C'est une mise en garde. L'habitat est sujet à de nombreuses sources de stress. Voyons par exemple la partie du Fraser qui va de Chilliwack à la mer, qui représente quelques centaines de milles. Sur la carte, on voit que les petits cours d'eau qui se déversaient autrefois dans le Fraser dans la moitié sud de ce segment sont pratiquement tous à sec. On n'y trouve plus de poissons. Dans le sens contraire, soit de ce point intermédiaire vers l'est, en remontant le Fraser, on trouve beaucoup de cours d'eau qui sont encore viables. La question est de savoir comment nous pourrons les protéger contre l'urbanisation, l'envasement, la construction de routes ou l'aménagement de parcelles à bâtir, d'autant plus que les pouvoirs législatifs sur ces diverses questions sont répartis entre le gouvernement fédéral, la province et les municipalités. Tout cela appelle une bien meilleure coordination.

L'habitat du poisson est également menacé par les institutions. Chacun comprend que le gouvernement provincial tente d'équilibrer son budget et fait tout son possible pour permettre aux entreprises et aux commerces de réussir. On parle ainsi de modifier le code des pratiques forestières pour en faire un code fondé sur les résultats. Autrement dit, au lieu d'avoir un système de réglementation indiquant clairement ce qu'on peut faire ou ne pas faire, on devra s'intéresser aux résultats ultimes en se demandant seulement si l'on a fait les choses comme il faut ou non.

Il est encore trop tôt pour savoir comment tout cela fonctionnera mais c'est une question que nous avons soulevée auprès des autorités provinciales et fédérales car les conséquences de toute erreur résultant de ce changement d'approche seront graves. Nous voulons donc nous assurer que l'assouplissement de la réglementation, pour permettre aux gens de faire des choses qui créeront des emplois, ne nous amènera pas à faire l'erreur d'avoir un système tellement souple que l'habitat ne sera plus protégé. Réglementer en fonction des résultats est peut-être une bonne chose, tout comme rationaliser les règlements, mais il est très important de bien savoir ce qu'on fait et quelle en sera la conséquence.

Cela dit, je peux aussi faire quelques commentaires positifs sur l'habitat. British Columbia Hydro, la principale société d'électricité de la province, travaille avec des groupes de citoyens, dont l'un de nos membres, le Dr Mark Angelo, qui dirige une association de citoyens préoccupés par l'état de nos rivières et qui publie chaque année un rapport sur celles qui sont le plus menacées. Cette association négocie depuis plusieurs années avec B.C. Hydro pour assurer un débit suffisant à partir des barrages hydro-électriques pour accroître la productivité des cours d'eau. Voilà un exemple de travail très positif, et il est encourageant pour tout le monde de constater que des parties peuvent discuter de manière civile, dans la même salle, afin de produire de bons résultats.

Nous avons toutefois un sérieux problème en ce qui concerne les ressources disponibles pour la protection de l'habitat, la restauration des cours d'eau et l'amélioration du saumon, pour deux raisons. D'une part, le gouvernement provincial — encore une fois parce qu'il essaie d'équilibrer son budget — a réduit énormément ses dépenses. On a ainsi vu disparaître une énorme somme d'argent qui servait autrefois à rétablir les cours d'eau, à restaurer l'habitat du saumon en milieu urbain, à restaurer les forêts et à réhabiliter les bassins hydrographiques. D'autre part, le ministère fédéral des Pêches en Colombie-Britannique est confronté à une administration centrale à Ottawa qui prétend avoir dit, il y a déjà longtemps, que certains des programmes mis sur pied pour appuyer la gestion du saumon avec la contribution des citoyens, par la restauration des cours d'eau et la protection de l'habitat, seraient un jour éliminés. En fait, ce qu'on avait dit à l'époque, c'est que ces programmes seraient progressivement éliminés une fois qu'on aurait trouvé d'autres formes de soutien. Hélas, on ne les a pas trouvées. Nous sommes donc aujourd'hui confrontés à diverses formes de réduction des budgets d'exploitation du ministère des Pêches et des Océans sur la côte Ouest, au moment même où la province réduit elle aussi sa contribution financière.

Nous ne parlons pas ici de dizaines ou centaines de millions de dollars. Nous parlons de millions de dollars. Il me semble irresponsable de réduire ces budgets quand tout indique que le besoin est pressant. Nous avions besoin de cet argent dans le passé et nous en avons besoin aujourd'hui. Même si nous ne demandons pas d'accroissement des budgets, il faudrait au moins ne pas les réduire. En outre, le public est de plus en plus mécontent de ces réductions budgétaires car il estime que la gestion du poisson relève après tout des responsabilités fédérales. Évidemment, ce n'est pas seulement une responsabilité fédérale, c'est aussi une responsabilité provinciale puisque la province détient la responsabilité constitutionnelle des forêts, des routes, des mines, du gravier, des municipalités, de l'électricité, de l'eau et de pratiquement tout ce qui peut affecter la protection de l'habitat.

Le gouvernement précédent — et je précise que je ne suis pas membre du parti du gouvernement précédent — essayait d'assumer cette responsabilité. Je crois que le gouvernement actuel aimerait faire de même mais il dit ne pas avoir suffisamment d'argent. Finalement, tout le monde va donc se tourner vers le gouvernement fédéral car, si quelque chose ne va pas dans le secteur de la pêche, en Colombie-Britannique, c'est toujours au gouvernement fédéral qu'on adresse des reproches. C'est la réalité politique en Colombie-Britannique et il importe peu que cela soit justifié ou non. C'est cela qui va arriver. Nous essayons de faire comprendre aux responsables d'Ottawa que ce sont leurs représentants fédéraux en Colombie-Britannique qui se trouvent en première ligne à ce sujet. Je puis vous assurer que nous le savons. Beaucoup d'entre eux font tout leur possible pour minimiser les conséquences de cette situation mais celle-ci est grave.

Notre Conseil n'a jamais dit qu'il ne devrait pas y avoir d'aquaculture, c'est-à-dire qu'on ne devrait pas élever de saumons dans des filets dans les eaux du Pacifique. Nous disons par contre que, si cela doit se faire, il faut le faire en sachant que c'est la protection du saumon sauvage qui passe en premier. La situation actuelle en Colombie-Britannique est grave et déplaisante. Dans l'archipel Broughton, on a enregistré il y a quelque temps un retour de saumon rose totalisant de 3,5 à 4 millions d'animaux. Lorsque les saumoneaux sont repartis, au printemps de 2001, un biologiste indépendant a découvert qu'ils étaient couverts de poux du poisson. Lorsque les saumons survivants sont revenus, cet automne, il n'y en avait que 175 000, contre 3,5 millions l'année précédente. Nous avons produit plusieurs rapports indiquant qu'il ne semblait y avoir aucune autre raison à cette catastrophe, si ce n'est que les saumoneaux avaient été contaminés par le pou du poisson provenant des fermes piscicoles. Je précise que l'on n'a constaté cette réduction nulle part ailleurs où il n'y avait pas de fermes piscicoles. Nous avons fait nos recommandations.

Les gouvernements provincial et fédéral prêtent aujourd'hui beaucoup plus d'attention au problème qu'il y a six ou 12 mois. Nous espérons que les mesures qu'ils sont en train de prendre — et nous pourrons en discuter pendant la période des questions — seront bénéfiques mais, pour le moment, nous n'en savons encore rien.

M. Paul LeBlond, membre, Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique: Vous savez tous ce qui est arrivé à la morue de l'Atlantique. Il y a des similitudes et des différences entre la morue et le saumon. Ainsi, il est plus facile de compter le nombre de saumons parce qu'ils reviennent dans les rivières et que l'on peut compter chaque animal qui revient. Le danger posé par la surpêche du saumon est beaucoup moins élevé que pour la morue, laquelle est invisible.

Par contre, les problèmes d'habitat du saumon sont beaucoup plus graves. Ces problèmes ne concernent pas seulement les océans, au sujet desquels nous ne savons pas grand-chose, mais aussi les régions côtières où se trouvent les fermes piscicoles, ainsi que les rivières et les régions proches des rivières et des lacs. Au fond, c'est toute la province qui est un habitat du saumon.

Les scientifiques comprennent encore mal le rôle de l'habitat dans le succès du frai. Vous avez entendu parler des batailles concernant l'origine du pou du poisson, c'est-à-dire la question de savoir s'il provient des fermes piscicoles. Ici encore, on manque beaucoup d'informations essentielles. Le ministère des Pêches n'a pas assez de personnel et il est apparemment incapable de trouver toutes ces informations. Comme à l'époque de la crise de la morue, les données scientifiques sont insuffisantes pour contrer les arguments économiques. On se retrouve donc avec un problème résultant d'une absence de volonté politique et d'une insuffisance de données scientifiques.

Il est crucial que l'on comprenne mieux le comportement du saumon dans les eaux de la Colombie-Britannique.

M. Jeffrey Marliave, membre, Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique: Nous avons entendu ce soir des exposés médiatiques très convaincants sur le problème dont nous discutons actuellement. Il est clair que la presse tente délibérément de montrer que le gouvernement fédéral est en conflit d'intérêts, ce qui est un problème difficile au sein du MPO.

Vous devez comprendre qu'il y a beaucoup de gens qui consacrent leur vie au saumon sauvage. Il y a des gens qui ont consacré toute leur carrière à démontrer que la salmoniculture est viable.

Nous avons des relations étroites avec le gouvernement provincial. Vous trouverez dans notre rapport les détails de nos recommandations, ainsi que des informations sur ce que font la province et les fermes piscicoles. La différence fondamentale est que, si l'on ne peut pas mettre toutes les fermes piscicoles en jachère, il faut le faire pour le plus grand nombre possible, en accélérant la commercialisation et en traitant tous les animaux qui restent. Nous avons peut-être fait preuve de naïveté parce que nous ne sommes pas des experts en salmoniculture. J'ai cependant eu le privilège d'assister au forum organisé par le gouvernement provincial et par l'Université de la Colombie-Britannique sur le pou du poisson, à l'hôtel Vancouver. Tous les experts internationaux qui sont intervenus — même s'ils affirment avec acharnement qu'il n'y a aucune preuve — déclarent que, dans l'archipel Broughton, les risques sont tellement extrêmes qu'il faut absolument dresser un plan et prendre des mesures prophylactiques.

La province ne recommande pas ce traitement prophylactique. Dans une certaine mesure, elle prend le gouvernement fédéral comme excuse. Elle dit: «Santé Canada ne donnera pas d'autorisation d'urgence du médicament préféré sans posséder toutes les informations de diagnostic.»

Je me suis penché sur la question avec nos propres vétérinaires qui m'ont dit que Santé Canada s'occupe de santé des êtres humains, pas des poissons, et que son agrément des médicaments est plus ou moins automatique et ne constitue jamais un obstacle pour un vétérinaire. Voilà pourquoi j'affirme que le gouvernement provincial utilise le gouvernement fédéral comme excuse, dans une certaine mesure.

L'une des choses que j'ai découvertes, parce que le Conseil n'a pas pu se pencher sur tous les détails, c'est que le MPO donne au moins clairement l'apparence d'un conflit d'intérêts lorsqu'il doit à la fois protéger le saumon sauvage et promouvoir l'aquaculture. En outre, il y a eu certaines pressions pour que l'Agence canadienne d'inspection des aliments intervienne. Il se peut que le Sénat ait déjà reçu cette pression.

Le MPO a établi la preuve que la salmoniculture est faisable. Les recherches fondamentales se sont faites à la Station biologique du Pacifique. C'est toutefois au sein de l'Agence canadienne d'inspection des aliments que l'on trouve une expertise considérable en termes de vétérinaires, de protocoles et d'autres éléments touchant l'élevage des animaux. Un organisme aussi sage que le Sénat pourrait donc peut-être formuler des recommandations qui aideraient le MPO à résoudre le dilemme dans lequel il se trouve. Il y a au MPO des gens qui sont conscients du conflit et qui pensent que le MPO devrait s'occuper du saumon sauvage. Je crois par ailleurs que c'est ainsi que le public interprète le mandat originel du ministère, et c'est pourquoi M. Fraser affirme que c'est le gouvernement fédéral qui fera l'objet de reproches car le public estime que c'est lui qui a la responsabilité du saumon sauvage.

Le président: Je voudrais faire quelques remarques au sujet des déclarations de M. Fraser concernant certaines des études effectuées par le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques du Pacifique. Bon nombre de ces études, rapports, recommandations et avis valaient certainement la peine d'être lus, et je suis sûr qu'on peut en trouver une grande partie sur le site Web du Conseil, dont l'adresse est www.fish.bc.ca.

Le sénateur Cook: Je suis originaire de Terre-Neuve, à l'autre bout du pays. Est-ce que le mandat du CCRHP est différent de celui du CCRH pour la côte Est?

Pensez-vous par ailleurs que le ministère des Pêches vous écoute? Je pose cette question parce que Le sénateur Cochrane et moi-même attendons avec impatience la décision du CCRH concernant l'avenir de la morue du Nord. Elle doit sortir la semaine prochaine et je l'attends avec impatience.

M. LeBlond: Avant de devenir membre du CCRHP, je faisais partie du CCRH, qui avait été créé par M. Crosbie pour conseiller le ministre des Pêches sur les quotas de poisson de fond de l'Atlantique. Cela concernait quelque chose comme 50 espèces différentes, allant de la morue à tous les types de poissons plats, d'aiglefin, et cetera. Le CCRH recommande chaque année le nombre total de prises autorisées pour chacune de ces espèces, et le ministère adopte ou non ces recommandations. En règle générale, il les suit d'assez près.

Le CCRHP, quant à lui, est chargé de fournir des avis stratégiques à long terme sur le saumon. Notre rôle n'est donc pas de formuler des recommandations sur les prises autorisées cette année, parce que le saumon n'arrive sur la côte que quelques semaines avant l'ouverture de la pêche. Il est donc impossible de faire des prédictions et de formuler des recommandations à l'avance. Voilà la grande différence, sénateur.

M. Fraser: Pour ce qui est de la deuxième question du sénateur Cook, concernant ce que les gouvernements font de nos recommandations, nous pensons qu'ils n'y réagissent parfois pas assez rapidement. Prenons cependant quelques exemples où il est incontestable qu'ils ont tenu compte de ce que nous avons dit.

Le premier est le problème de l'archipel Broughton, entre le poisson d'élevage et le saumoneau rose sauvage, et la probabilité que le pou du poisson des fermes piscicoles a infecté les saumoneaux.

Comme les sénateurs le savent, cette question a été soulevée et portée à l'attention du public par Alexandra Morton, une simple citoyenne qui est aussi biologiste piscicole. C'est elle-même qui a pris toute seule l'initiative de capturer des saumoneaux, ce qui lui a fait constater qu'ils étaient couverts de poux du poisson. Elle a fait cela il y a plusieurs mois. Cela a provoqué des réactions de fureur dans la province et le Conseil a décidé, tout à fait légitimement, que cette question relevait de sa compétence étant donné qu'il s'agissait d'une question d'habitat et de l'état des stocks de poisson. Nous avons donc organisé des consultations sur l'île de Vancouver en octobre, avec une coopération excellente du ministère des Pêches et des Océans et de la province. Nous avons eu des représentants de la province, de la salmoniculture et d'autres secteurs.

Suite à cette journée de consultation, et notamment grâce aux preuves fournies par les biologistes piscicoles principaux du ministère des Pêches et des Océans, nous avons conclu que l'on pouvait affirmer qu'il y avait un lien entre le pou du poisson des fermes piscicoles et le pou du poisson des saumoneaux.

Nous avons formulé des recommandations. Pour protéger les saumoneaux qui sortent des rivières au printemps, nous avons mis en jachère toutes les fermes de l'archipel Broughton. Si certaines n'étaient pas en jachère, nous leur avons dit d'appliquer une combinaison de jachère et de traitement prophylactique, ce qui permettrait de réduire l'ampleur du problème et d'éliminer le pou du poisson.

Ont-elles fait exactement tout ce que nous avons dit? Pas vraiment. Toutes les fermes piscicoles n'ont pas été mises en jachère. Elles se sont arrangées pour avoir un chenal entre l'archipel Broughton et la mer, à partir de la côte de la Colombie-Britannique, où il n'y aurait aucune ferme piscicole ayant du poisson. En même temps, le gouvernement a mis en oeuvre un plan de surveillance continue. Le gouvernement provincial a formulé un plan d'examen plus attentif du poisson dans les cages d'élevage.

Nous ne pouvons dire encore si ces mesures sont suffisantes mais c'est quand même plus que ce qu'on envisageait il y a six mois. Il y a encore trois mois, beaucoup de gens en Colombie-Britannique croyaient que personne ne ferait rien. Il faut donc être juste et reconnaître que les deux gouvernements ont prêté une attention considérable à nos recommandations, peut-être aussi à cause de l'indignation du public. Quoi qu'il en soit, voici un cas où nous avons été écoutés.

Avant l'année dernière, les remontées de saumon arc-en-ciel dans le Fraser avaient été catastrophiques pendant plusieurs années. Sans qu'on sache pourquoi, le saumon arrivait plus tôt dans l'année à l'embouchure du Fraser et commençait à remonter. Dès qu'il arrivait en eau douce, un parasite commençait à l'affecter. Les animaux remontaient donc les rivières, jusqu'aux zones de frai, avant d'être assez développés pour pouvoir frayer, mais le parasite les tuait. Le taux de mortalité ces années-là se situait entre 80 et 90 p. 100.

L'automne dernier, lorsqu'il y a eu une très grosse remontée, le MPO et la Commission du saumon du Pacifique en avaient sous-estimé la taille, ce qui était déjà arrivé auparavant. Ils craignaient que le même phénomène se reproduise. Ce fut la grande remontée de la rivière Adams. En conséquence, les responsables établirent ce que d'aucuns ont qualifié de principe de prudence trop rigoureux. Ils ont limité à 15 p. 100 les prises des pêcheurs commerciaux.

Cette décision a suscité beaucoup de critiques. Finalement, quand on a pu constater que la remontée était beaucoup plus grande que prévue, cette restriction a été assouplie. Encore une fois, pour des raisons que nous ignorons, cette énorme remontée de saumon arc-en-ciel a atteint la rivière Adams et le frai a pu se produire, sans mortalité.

Nous avons défendu la décision du MPO et de la Commission du saumon du Pacifique d'agir avec beaucoup de prudence — au moins pendant les premières étapes de la remontée. Dans des avis adressés au gouvernement, nous avons dit que cette décision était justifiée suite au taux de mortalité énorme que l'on avait constaté dans le passé et au fait que le poisson ne vivait pas assez longtemps pour frayer.

Il y a eu un feu croisé de critiques. On a critiqué le ministère des Pêches et des Océans pour ne pas s'être adapté assez rapidement au fait que cette remontée était sans doute plus grosse et plus saine que les précédentes. Ce débat durera longtemps et d'autres témoins viendront vous en parler. Quoi qu'il en soit, c'est un cas où nous avons favorisé le principe de prudence. Nous pensons que l'on a pris les bonnes mesures au départ, même si l'on aurait peut-être pu les ajuster plus tôt.

Quelques années auparavant, lorsque l'honorable David Anderson était ministre des Pêches, des mesures très rigoureuses avaient également été prises pour assurer la protection des remontées de saumon coho car nous savions que le nombre avait beaucoup baissé. Cela ne s'appliquait pas à tout le saumon coho mais à certains stocks identifiables.

Nous avions alors encouragé le gouvernement à appliquer un principe de précaution très rigoureux. Si un nombre limité de saumons coho n'atteignaient pas les zones de frai dans les secteurs où les stocks avaient baissé, et si tous les animaux étaient pêchés dans le cadre de la pêche commerciale d'autres espèces, on constaterait une disparition rapide de ces stocks particuliers.

Avec l'appui du ministre, le ministère des Pêches et des Océans a donc appliqué des mesures très rigoureuses de prudence. C'est la politique que nous avions recommandée et nous l'avons également défendue publiquement. Il n'est pas toujours facile de défendre des mesures de prudence quand les gens vous disent qu'il y a beaucoup de poissons dans les cours d'eau. On vous demande pourquoi vous sacrifiez la pêche des stocks plus abondants pour protéger quelques stocks beaucoup moins nombreux. Le problème de cet argument est que c'est précisément l'approche qui avait été appliquée en Colombie-Britannique pendant des décennies et qui a entraîné l'épuisement de certains stocks dans certains secteurs.

Voilà donc des exemples de positions que nous avons prises publiquement. Nous avons essayé d'appuyer le gouvernement quand nous avons pensé qu'il agissait correctement.

Sur la question de l'aquaculture, notre avis au gouvernement a été brutal: «Vous avez attendu trop longtemps; vous auriez dû faire beaucoup plus dans le passé et vous devez donc absolument agir maintenant». L'effet de cette recommandation ne pourra être perçu que dans un certain temps. Pour le moment, il est encore trop tôt. Le gouvernement a-t-il fait tout ce qu'il aurait pu ou dû faire? Nous le saurons dans plusieurs semaines ou mois. Évidemment, nous savons qu'il fait quelque chose.

Je ne veux pas donner l'impression que les gouvernements passent immédiatement à l'action chaque fois que nous leur recommandons de faire quelque chose. L'honnêteté nous oblige cependant à dire que les deux paliers de gouvernement prêtent beaucoup plus attention aujourd'hui que dans le passé aux avis que nous leur adressons.

Le sénateur Cook: J'essaie de comparer la pêche à la morue à la pêche au saumon sur la côte Ouest. Vous dites posséder des informations très solides qui vous permettent de mieux prévoir la pêche au saumon. Vous savez quand les remontées arrivent et combien il y aura d'animaux. Cela n'est pas possible avec la morue. Croyez-vous que le MPO mène des études scientifiques adéquates du point de vue de la pêche, que ce soit sur la côte Ouest ou sur la côte Est?

M. Fraser: Je ne parlerai pas de la côte Est ce soir. J'ai dû m'occuper de cela il y a longtemps.

Pour l'information des honorables sénateurs, je peux dire que, lorsque j'étais ministre des Pêches, il y a un siècle, j'étais très inquiet de lire des rapports parlant de réduction des prises de morue alors qu'on permettait chaque année de pêcher les mêmes quantités. Je pensais que cela nous menait à la catastrophe.

Quand un comité consultatif indépendant tel que le Conseil pour la conservation des pêches de la côte Est formule des recommandations visant à préserver les stocks de morue, les gens qui veulent continuer à pêcher sont évidemment mécontents. Il y a là un conflit. C'est la même situation sur la côte Ouest.

Je crois aujourd'hui que le public nous appuie et, soyons justes, je dois dire que nous recevons aussi l'appui des deux paliers de gouvernement, bien qu'il soit encore trop tôt pour juger de l'efficacité de leurs interventions, notamment dans l'archipel Broughton.

Le sénateur Cook: Pensez-vous qu'il y a un programme scientifique adéquat au MPO pour faire face aux problèmes que nous avons sur les deux côtes?

M. Marliave: N'oubliez pas que la biodiversité du nord-ouest de l'Atlantique est bien plus faible que celle du nord- est du Pacifique. Nous avons plus de deux douzaines d'espèces de bar alors que vous n'en avez qu'une poignée. En outre, il y a toujours eu beaucoup plus de coopération entre les gouvernements américain et canadien pour la gestion du poisson de fond, notamment sur la côte de l'Atlantique. Le MPO a consacré une part considérable de ses ressources à la gestion du saumon. Si vous allez au-delà du saumon pour arriver au poisson de fond, je peux vous dire, en tant que spécialiste pour le CSEMDC, que nous avons de sérieuses difficultés parce que nous ne possédons pas les bases de données qui nous permettraient d'évaluer bon nombre des espèces à risque sur la côte du Pacifique.

Le MPO tente actuellement d'éteindre ce feu concernant le saumon rose et le pou du poisson, dans l'archipel Broughton, en consacrant 700 000 $ au programme qu'il a adopté à ce sujet. Toutefois, le Dr Davis est le premier à reconnaître qu'il n'est pas tout à fait certain d'obtenir cet argent. Il y a un problème énorme sur la côte du Pacifique. Historiquement, la pêche n'a pas beaucoup dépassé le saumon et le hareng, même s'il y a une diversité énorme d'espèces qui sont exploitées.

M. LeBlond: Vous avez demandé si le MPO a un programme scientifique adéquat. La réponse est simple: non. On ne possède pas assez de connaissances. Même en ce qui concerne le saumon qui remonte les mêmes rivières année après année, on ne sait pas combien d'individus vont remonter. On sait approximativement quand mais pas combien. Il y a une foule d'autres questions qui se posent, concernant par exemple leur réaction à l'environnement, ou leur interaction avec les autres poissons, et qui rendent la gestion très difficile. C'est comme conduire dans le brouillard.

M. Fraser: Si vous demandez en privé à pratiquement tous les meilleurs scientifiques halieutiques de la côte Ouest s'ils possèdent assez d'informations pour faire face à leurs besoins, ils vous répondront la même chose: non.

Il y a un autre problème, notamment en ce qui concerne l'interrelation entre le poisson d'élevage et le poisson sauvage. Par exemple, une enquête a été effectuée sur la salmoniculture entre 1995 et 1998, avec la coopération des deux gouvernements. Elle était censée porter sur la plupart des problèmes que l'on pouvait prévoir suite à la multiplication des fermes piscicoles, et il est vrai qu'elle en a traité un grand nombre. Elle a aussi clairement révélé que la pisciculture était acceptable, étant donné le nombre de fermes piscicoles qui existaient à l'époque, et le nombre de cages de poisson, mais les auteurs de l'enquête ne sont pas allés beaucoup plus loin.

Plus tard, quand est apparu le problème de l'archipel Broughton et toute la question du pou du poisson, des gens ont dit que tout cela avait été traité dans le rapport sur la salmoniculture. C'est un rapport qui fait plusieurs centaines de pages mais nous n'y avons trouvé que deux brèves références au pou du poisson, et elles n'avaient strictement rien à voir avec la relation entre le poisson d'élevage et le poisson sauvage.

Le problème est apparu comme une bombe et nous n'avons aucune donnée scientifique locale sur la manière dont le pou du poisson se transmet du poisson d'élevage au poisson sauvage sur la côte ouest de la Colombie-Britannique. Certes, il existe beaucoup d'informations éclairées, et des études scientifiques émanant d'autres régions du monde, mais pas sur la situation dans notre province, aujourd'hui même. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples similaires.

Le Dr John Davis vous donnera une très longue liste de recommandations concernant les études scientifiques dont nous avons grand besoin.

Le sénateur Cochrane: Je suis sûre que tout ceci est une révélation pour nous tous. Ce que vous dites est très important et nous en percevons tous l'urgence. Le saumon est important pour votre économie et votre culture, tout comme la morue pour Terre-Neuve.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur les initiatives de mise en valeur du saumon que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur Fraser? Quelles techniques utilise-t-on? Quelles mesures se sont révélées les plus efficaces?

M. Fraser: On croyait autrefois sur la côte Ouest qu'il suffisait de construire un nombre suffisant d'écloseries et de jeter un nombre suffisant d'alevins dans l'océan pour compenser les pertes de stocks enregistrées au cours des années à cause d'activités imprudentes de déboisement, de la pollution des cours d'eau, de l'extraction de gravier, de la surpêche, et cetera. Je reconnais que, lorsque j'avais beaucoup plus d'enthousiasme que de connaissances, l'idée qu'on puisse compenser les pertes et rétablir les stocks simplement en produisant suffisamment d'alevins dans les écloseries m'intriguait beaucoup. On ne parlait d'ailleurs pas seulement d'écloseries mais aussi de fertilisation des lacs, notamment avec du saumon arc-en-ciel. On créait aussi des chenaux de frai pour compenser les dégâts causés par l'érosion et les inondations suite au déboisement.

Il y avait donc toute une combinaison de facteurs et il ne fait aucun doute que, pendant un certain temps, le programme de mise en valeur du saumon dans la province de la Colombie-Britannique a été appliqué de cette manière. Pendant un certain temps, le ministère des Pêches et des Océans a pu, avec des estimations de coûts, montrer que l'argent investi dans le béton et dans les écloseries produisait effectivement plus de poisson — notamment de saumon rouge, l'espère la plus précieuse. Le ministère a pu ensuite produire des quotients coûts-bénéfices raisonnables pour convaincre le Conseil du Trésor de continuer à financer le programme.

Cela s'est aussi fait ailleurs qu'en Colombie-Britannique, mais c'est ensuite qu'on a commencé à obtenir des informations troublantes.

Le résultat final est que l'augmentation artificielle du nombre de saumons d'élevage qui étaient rejetés dans la mer et qui entraient en contact avec le poisson sauvage entraînait une modification de la base génétique dans les rivières. Après une hausse initiale, les quantités ont généralement commencé à baisser — notamment le pourcentage de saumon sauvage par rapport au saumon d'élevage. Aujourd'hui, on craint d'assister à une destruction complète de la base génétique des stocks sauvages si l'on ne fait pas très attention. Cela veut dire que l'on deviendrait totalement tributaire de poisson d'élevage, c'est-à-dire d'un animal différent.

Devrait-on fermer toutes les écloseries? L'opinion actuelle de ceux qui s'occupent de cette question est qu'il ne faut pas les fermer toutes mais qu'on devrait les utiliser de manière beaucoup plus prudente qu'il y a 20 ou 30 ans parce qu'on possède aujourd'hui de meilleures informations scientifiques.

Les écloseries ont-elles un rôle à jouer? Probablement. Sont-elles la seule réponse possible à la baisse des stocks de saumon sauvage? Je dirais que non, pas à elles seules. La vraie réponse au problème est de veiller à ce que les pratiques d'exploitation assurent que les stocks les plus faibles — c'est-à-dire les moins abondants — sont protégés, que les zones de frai de ces espèces soient maintenues en bonne condition pour permettre le frai, que les oeufs puissent éclore et que les alevins puissent vivre dans ces eaux pendant les mois où ils doivent y rester avant de partir en mer. Il y a donc un ensemble de facteurs à prendre en compte.

On a prétendu pendant longtemps en Colombie-Britannique que ce n'était pas la surpêche qui causait le déclin des stocks de saumon mais que tout provenait de la pollution, de la foresterie, de l'urbanisation, et cetera. Certes, il y a beaucoup de cela à prendre en considération mais il ne fait aussi aucun doute que la surpêche a causé beaucoup de dégâts dans certains domaines.

On fait aujourd'hui beaucoup plus attention à ne pas surpêcher. Certains stocks sont protégés de manière sélective par le ministère des Pêches et des Océans. Celui-ci a entrepris d'appliquer le principe de prudence, à un point tel que les pêcheurs se plaignent parfois de rigueur excessive et de ne pas pouvoir prêcher les stocks abondants parce qu'on essaie de protéger les autres.

Voilà ce que veut dire la mise en valeur du saumon. C'est une combinaison d'habitat, de pratiques de pêche, de limitations des prises dans certains secteurs et de pêche sélective — c'est-à-dire d'interdire la pêche des stocks menacés. C'est un concept beaucoup plus sophistiqué aujourd'hui que ne le pensaient il y a 20, 30 ou 40 ans certaines personnes bien intentionnées — dont moi.

M. Marliave: Le Dr LeBlond est mieux placé pour parler de l'effet des changements climatiques. La mauvaise océanographie des années 90 a clairement montré au public de la Colombie-Britannique que les écloseries ne sont pas une panacée si l'océan n'assure pas la survie.

De plus, avec la nouvelle inscription du saumon rouge du lac Cultis et du lac Sakinaw, il ne faut pas oublier que, pour la majeure partie des 50 dernières années, à cause des remontées extrêmement nombreuses d'espèces telles que le saumon rouge de la rivière Adams, et avec la pêche de stocks mélangés, la remontée du lac Cultis était touchée de 80 à 85 p. 100 chaque année. La remontée de Stewart a toujours appuyé la pêche dans le détroit de Johnstone, qui frappait durement la remontée de Little Sakinaw.

Si l'on ajoute les écloseries à cette situation, cela crée des remontées encore plus volumineuses qui aggravent les problèmes terribles de gestion des stocks mélangés qui poussent incontestablement les remontées faibles vers l'extinction.

M. Fraser: Les remontées moins volumineuses.

M. Marliave: Oui, les petites remontées.

Vous entendrez parler du concept d'écloseries de conservation, qu'on appelle aussi la réforme des écloseries. Je soupçonne que l'inertie bureaucratique entraîne une tendance à la fermeture des petites écloseries — notamment les écloseries d'entretien communautaire, dont certaines sont très axées sur la conservation — alors que les grosses écloseries dinosaures, les écloseries fédérales, semblent être totalement immunisées contre toute idée de fermeture.

Voilà les choix difficiles qu'il va falloir faire. Nous avons soumis ce problème aux gens du MPO, qui en sont aujourd'hui parfaitement conscients et qui savent que certaines des grandes écloseries offrent une possibilité de recouvrement des coûts. Ce serait cependant un choix terriblement cruel à faire car le public hurlera s'il s'est habitué à y voir arriver des tonnes de saumon.

Le sénateur Cochrane: Ces grandes écloseries seront-elles également fermées?

M. Marliave: Je pense que certaines devraient l'être mais il y a beaucoup plus de résistance à cet égard. La grande écloserie qui est près de chez nous, près du centre-ville de Vancouver — l'écloserie de Capilano — est une sorte de cas spécial car la route de migration est telle qu'il peut y avoir une pêche sportive sans aucune conséquence sur les stocks mélangés puisque les poissons s'écartent du trajet du Fraser pour remonter vers le port de Vancouver. Il est très facile au MPO de gérer la pêche sportive dans ce contexte, alors que certaines des autres écloseries du Fraser ne peuvent tout simplement pas s'écarter des problèmes de gestion des stocks mélangés.

Le sénateur Cochrane: Qu'arrivera-t-il? Vous dites que vous allez faire des études pour voir si ces stocks sont infestés de poux? Qu'arrivera-t-il si cette grande écloserie n'est pas fermée? Cela entachera-t-il les résultats?

M. Marliave: Les problèmes du pou et des écloseries sont tout à fait séparés, sur le plan spatial. Le Conseil ne s'est pas penché officiellement sur le problème des écloseries, qui est un gros problème. Nous avons eu des conversations intéressantes à ce sujet mais c'est un sujet qui fait peur, tout comme les fermes d'élevage du saumon.

M. LeBlond: En ce qui concerne les écloseries, l'intention était à l'origine d'accroître le nombre de poissons qui seraient disponibles. Toutefois, les gens ont découvert que produire un plus grand nombre d'alevins ne produit pas nécessairement un beaucoup plus grand nombre de poissons adultes car, dans l'océan, la capacité biotique est limitée. Les ressources alimentaires sont limitées. Les océanographes ne savent pas encore exactement combien de tonnes de poisson l'océan Pacifique peut produire mais c'est à l'évidence une quantité limitée. Avec les écloseries, l'expérience a montré qu'après une certaine augmentation initiale des remontées, on revient à terme à une quantité beaucoup plus faible. On atteint une limite parce qu'il n'y a qu'une quantité donnée d'aliments pour le poisson et pas plus. Rejeter plus d'alevins dans l'océan n'y change rien.

Le sénateur Cochrane: Un témoin de Terre-Neuve nous a parlé de stocks chevauchants et il a mentionné certaines des choses dont vous venez de parler. Il a dit que le MPO manque sérieusement de personnel. Il a dit aussi que des coupures budgétaires aussi profondes que celles qui ont été faites font perdre des scientifiques de haut vol — pas seulement les scientifiques qui s'occupent des problèmes concrets mais aussi ceux qui ont les connaissances et la vision nécessaires pour fixer des objectifs scientifiques de grande portée pour une pêche qui est complexe et très difficile à gérer.

Il a ajouté qu'il convient de changer complètement d'attitude en matière de gestion de la pêche, ce qui touche aussi bien le travail des scientifiques que les programmes et tout ce qui va avec.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. LeBlond: Je conviens que l'on a besoin de données scientifiques beaucoup plus solides et meilleures et qu'il est vrai que les scientifiques de haut vol partent lorsque le moral s'effondre dans un établissement de recherche tel que le MPO. C'est aussi ce qui est arrivé sur la côte Ouest. Les gens sont partis occuper des postes de prestige dans des universités américaines, par exemple.

La question de savoir comment il faut gérer l'activité scientifique dans les laboratoires du gouvernement a fait l'objet d'un certain nombre d'études. Le Comité des conseillers scientifiques et techniques du gouvernement a produit plusieurs rapports sur la manière d'assurer l'excellence des travaux scientifiques du gouvernement. Dans la plupart des cas, il ne suffit pas d'avoir des scientifiques excellents, il faut aussi travailler sur les problèmes qui sont reliés au mandat du gouvernement, ce qui peut poser des difficultés. Les scientifiques ne sont pas des chiens. On ne peut pas leur mettre un harnais sur le dos et leur dire: «Tirez tous dans le même sens» parce qu'ils sont curieux et qu'ils sortent des chemins battus.

Comment veiller à ce que les scientifiques doués restent concentrés sur les problèmes d'importance nationale et les problèmes qui touchent directement le mandat d'un ministère donné est toujours difficile. Cela exige beaucoup de doigté au niveau de la gestion. Cela exige que les scientifiques eux-mêmes participent à la formulation des programmes scientifiques.

Je sympathise avec ce témoin, dont vous parliez, qui évoquait une crise scientifique au ministère des Pêches. Les cadres du ministère en sont parfaitement conscients et ils essaient de la résoudre.

Le sénateur Cochrane: Avez-vous un commentaire à formuler, monsieur Fraser?

M. Fraser: Nous avons clairement indiqué que nous ne pourrons relever les défis que posent la dégradation de l'habitat, la baisse de débit des rivières, la hausse des températures et les changements climatiques si nous ne faisons pas d'études scientifiques adéquates de manière continue. Tant que nous n'aurons pas décidé de mener les études à leur terme pour relever adéquatement ces défis, nous nous contenterons de passer d'une crise à l'autre. Nous nous retrouverons dans la même situation que pour l'aquaculture: des études que l'on aurait dû faire ne le seront pas parce que quelqu'un aura pensé qu'elles n'étaient pas nécessaires ou parce qu'on n'aura pas eu le budget requis.

Le plus gros problème que pose la gestion de la pêche est qu'on ne peut pas continuer à se contenter de réduire les budgets. Les cadres savent fort bien comment décider de couper les dépenses mais la plupart d'entre eux ne savent rien du poisson. Vous avez des gestionnaires financiers qui n'occupent pas leur poste parce qu'ils savent ce qu'est le poisson mais simplement parce qu'ils savent appliquer les ordres de leurs patrons. S'ils veulent des promotions, ils doivent s'assurer que les services du ministère en Colombie-Britannique ne dépensent pas plus que ceux de tel autre ministère, et ils décident de mettre un terme aux programmes créés par d'autres dans le seul but d'économiser de l'argent. Nous parlons ici de millions de dollars, pas de centaines de millions.

Certes, il faut des comptables dans chaque ministère. Il faut des gens qui puissent dire combien on a d'argent à sa disposition, combien on va en recevoir et combien on va en dépenser. Toutefois, quand on demande à des comptables de formuler des politiques sur des choses compliquées touchant la science, l'histoire, la culture, les animaux sauvages et la nature, on court au désastre. J'estime que nous risquons de faire des erreurs catastrophiques si quelqu'un ne reprend pas les choses en main.

Le sénateur Cochrane: Mais il y va du gagne-pain des gens, monsieur Fraser.

M. Fraser: Absolument. Gagner sa vie, c'est gagner de l'argent parce qu'on doit payer ses factures.

Il y a aussi des aspects culturels à la pêche. Vous avez parlé avec émotion de ce que la morue représentait pour les Maritimes et pour Terre-Neuve-et-Labrador. Le saumon représente beaucoup pour les Britanno-Colombiens. Comme le dit mon collègue M. Marliave, ce n'est pas seulement du poisson. C'est plus que cela. Notre mandat porte sur le saumon rouge et le saumon arc-en-ciel. Toutefois, ce sont des saumons qui nagent dans un océan gigantesque, dans un énorme écosystème, qui ne peut fonctionner que si tout y fonctionne correctement.

Le sénateur Mahovlich: Ce sont les Norvégiens qui ont créé l'aquaculture. Sont-ils conscients du fait que notre côte du Pacifique est un peu plus sensible que leurs propres côtes? Ont-ils eux aussi du saumon rouge, quinnat et coho?

L'an dernier, j'ai fait du bateau en Norvège et je suis monté jusqu'au cercle arctique. Leurs îles ressemblaient plus aux chapeaux de la Reine-Mère qu'aux nôtres, aux côtes très accidentées. Je n'ai pas vu de rivières. J'ai surtout vu des ruisseaux et des fjords.

Ils viennent ici et se mettent à élever du poisson mais je ne pense pas qu'ils soient conscients de la sensibilité de nos côtes. Ai-je raison?

M. Marliave: Cette question a été traitée dans l'épisode de divulgation que vous examiniez. Les fermes piscicoles de la Colombie-Britannique sont contrôlées par des multinationales norvégiennes. Lors de la réunion dont je parlais, le chef de la médecine vétérinaire en Norvège a dit: «Vous devez comprendre que le gouvernement norvégien n'avait pas besoin de preuves pour croire qu'il y a du pou du poisson dans les fermes piscicoles et que le pou est mauvais pour le saumon sauvage. Les fermes n'ont jamais eu besoin de preuves. Nous avons mis en oeuvre un plan d'action pour essayer d'atténuer le problème.»

La vérité est que l'on est actuellement obligé en Norvège de traiter à 0,1 motile par poisson. Ces mêmes multinationales de la Colombie-Britannique — en tandem avec notre gouvernement provincial — ont maintenant un plan disant que, si l'on compte trois motiles de pou par poisson adulte — soit 30 fois plus — on doit examiner la situation de plus près, mais on laisse au vétérinaire de la société le soin de décider s'il faut traiter ou non. Étant donné le coût du traitement, je soupçonne qu'ils savent parfaitement bien qu'ils peuvent gérer au Canada des fermes au rabais qui seraient interdites en Norvège.

Le sénateur Mahovlich: Dans nos collèges d'agriculture et de médecine vétérinaire, le gouvernement donne environ 123 millions de dollars pour l'étude des plantes et des animaux. J'aurais pensé que l'Université de la Colombie- Britannique aurait entrepris une étude là-dessus. A-t-elle reçu un budget pour cela? Je n'en sais rien.

M. Marliave: Le tout nouveau Centre de l'aquaculture et de l'environnement de l'Université de la Colombie- Britannique a reçu en tout 3,75 millions de dollars pour étudier ce problème. Cette somme vaut pour toute la province.

M. Fraser: Ce n'est pas seulement pour le saumon.

M. Marliave: Le Centre consacre toute la somme au saumon.

Le sénateur Mahovlich: Très bien. Y a-t-il sur la côte Est des universités qui mènent des études similaires?

M. Marliave: Nous sommes tous jaloux du collège de médecine vétérinaire de l'Île-du-Prince-Édouard, qui reçoit beaucoup plus d'argent.

Le sénateur Mahovlich: C'est intéressant.

J'ai une autre question à poser à M. Fraser, au nom d'un collègue: Pensez-vous qu'il serait préférable de gérer l'aquaculture au moyen de la Loi sur les pêches ou d'adopter une loi spécifique sur l'aquaculture?

M. Fraser: J'ai pratiqué le droit pendant longtemps, ce qui m'a appris qu'il est dangereux d'essayer de répondre à une question sur un sujet que l'on ne connaît pas en détail. Je serai donc très prudent.

Je ne sais pas si l'adoption d'une loi sur l'aquaculture serait la bonne solution. Cela dépendrait en grande partie du mandat de l'activité. Ce que je vais dire ne me rendra sans doute pas très populaire mais je peux affirmer qu'il y a de sérieuses préoccupations chez les gens qui s'intéressent à cette question, en Colombie-Britannique, sur le fait que le ministère des Pêches et des Océans se trouve dans la position peu enviable de promouvoir l'aquaculture. Ces gens ont l'impression qu'on essaie délibérément de laisser de côté les problèmes que peut poser l'interaction entre l'aquaculture et le saumon sauvage. Le souci de promouvoir l'aquaculture, malgré les meilleures intentions au monde — c'est-à-dire, emplois et activité — fait que, lorsque les gens se tournent vers le MPO pour demander que l'on protège le saumon, ils ne savent pas s'ils s'adressent à un ministère qui s'intéresse plus à promouvoir l'aquaculture qu'à protéger le saumon sauvage.

Si vous posez cette question en Colombie-Britannique, beaucoup de gens vous donneront cette réponse. Je crois que c'est une question qui mérite une attention urgente car elle pose une question de confiance envers une grande institution fédérale.

Il y a aussi un aspect historique à toute cette question. Le ministère des Pêches et des Océans a toujours essayé de trouver le moyen de promouvoir l'exploitation — et j'utilise ce mot dans son sens positif — des produits de la pêche, en cherchant les meilleures méthodes de pêche, les meilleures méthodes de traitement du poisson et la promotion des marchés. Le ministère des Pêches et des Océans s'est toujours occupé de cette exploitation commerciale des produits de la pêche et a utilisé les moyens à sa disposition pour encourager les membres de cette industrie et pour les appuyer afin de les aider à accroître leurs marchés.

Je me suis rendu plusieurs fois à Boston, lorsque j'étais ministre. Ce n'est pas du tout déroger à la tradition canadienne que d'avoir un ministre des Pêches et des Océans qui appuie l'utilisation commerciale des produits de la pêche dans l'intérêt non seulement des consommateurs mais aussi des pêcheurs, des transformateurs, et cetera.

Cela dit, quand les citoyens en arrivent à penser que la situation n'est plus équilibrée et que l'on se soucie plus de promouvoir l'aquaculture que de veiller à ce que tout soit fait pour que le saumon sauvage reste la première priorité, on a un vrai problème de confiance. Et, quand il y a un manque de confiance envers une grande institution fédérale ou provinciale, on nuit beaucoup à la démocratie. On nuit beaucoup au régime politique. Et on nuit aussi beaucoup à quelque chose d'autre: au poisson.

Le sénateur Hubley: Vous avez tout à fait raison. Je vous remercie beaucoup de ce témoignage. Vous nous avez donné beaucoup d'informations utiles.

Vous avez dit que le changement climatique est ce qui menace le plus le saumon de la Colombie-Britannique. Je pense qu'il y a aujourd'hui des données scientifiques qui confirment le phénomène des changements climatiques et, à plus longue échéance, du réchauffement de la planète. Je constate que vous avez parlé du phénomène El Niño des années 90. Fait-on actuellement des études sur les effets éventuels de ces changements climatiques sur le saumon, aussi bien sauvage que d'élevage? Lequel des deux pourra le mieux s'adapter à ces changements?

M. Fraser: Nous avons organisé il y a plusieurs années un symposium sur les changements climatiques où nous avions invité des scientifiques de tout premier niveau. Nous avons d'ailleurs inclus ce rapport dans les informations remises au comité.

Notre opinion est qu'il ne fait aucun doute que nous traversons actuellement une période de changement climatique. C'est aussi ce que pensent beaucoup de bons scientifiques — notamment ceux qui étudient le poisson sur la côte Ouest. Ils prédisent que, si les changements climatiques continuent à réduire le débit des cours d'eau et à augmenter les températures, cela aura à l'évidence un effet sur les remontées de saumon du Pacifique.

Une deuxième question se pose alors: l'adaptabilité. Je ne saurais vous dire si le saumon d'élevage continuera de vivre dans un état complètement artificiel sans être affecté par le changement climatique. Je n'en sais rien.

Toutefois, la plupart des scientifiques conviennent que les créatures — et l'expérience le prouve — ont la capacité de s'adapter aux choses, à défaut de quoi elles disparaissent. Dans la mesure où la base génétique d'une espèce donnée a tellement évolué que celle-ci est capable de s'adapter à des lieux différents, ceci augmente probablement son adaptabilité. Toutefois, nous ne savons vraiment pas grand-chose à ce sujet. Il se peut fort bien que certains saumons puissent s'adapter à des eaux plus chaudes mais nous n'en savons rien.

Très franchement, on ne fait pas grand-chose à l'heure actuelle au ministère des Pêches et des Océans pour essayer de le savoir. Le Conseil a envoyé une lettre à plusieurs ministres, il y a quelques mois, avant le budget, comme plusieurs députés nous l'avaient recommandé. Mme Karen Kraft Sloan, une députée libérale, avait dit qu'elle était très préoccupée par l'absence de ressources pour faire des études dans l'Arctique, notamment sur le changement climatique. Elle nous avait demandé si nous pouvions y faire quelque chose. Nous avons donc décidé que, même si nous n'avons rien à voir avec la pêche, notre mandat touche absolument cette question car nous voulons connaître les conséquences du changement climatique sur certaines espèces.

À l'heure actuelle, c'est dans l'Arctique que l'on constate les changements les plus aigus et les plus notables. Si l'on ne mène pas d'études scientifiques là-bas, on n'aura pas de données pour faire des études sur la côte ouest de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Hubley: Les autres témoins ont-ils quelque chose à dire là-dessus?

M. LeBlond: Oui, je voudrais parler du changement climatique. Il se peut fort bien que le poisson puisse s'adapter mieux que le pêcheur aux changements climatiques. Si le saumon se déplace au nord, vers les eaux de l'Alaska, à cause du réchauffement, il y aura peut-être toujours autant de poissons qu'avant, mais il n'y en aura plus autant pour les Canadiens. Voilà une possibilité. M. Fraser parlait d'adaptabilité. Le saumon s'est déjà adapté au changement climatique. Autrefois, il y avait des glaciers assez bas dans le sud, jusqu'à Vancouver, et les rivières où le saumon fraie aujourd'hui se trouvaient sous un mille de glace il y a 10 000 ans. Le saumon est donc parfaitement capable de s'adapter.

Du point de vue de la pêche, les changements touchant les populations de poissons à cause des changements climatiques auront manifestement des conséquences importantes.

M. Marliave: J'aimerais ajouter un mot là-dessus, du point de vue du saumon sauvage par rapport au saumon d'élevage. Dans les années 90, en Colombie-Britannique, nous avons pu nous faire une idée des effets du réchauffement de la planète lorsque la productivité s'est effondrée, à un point tel que le nombre de saumons sauvages a également chuté. À Puget Sound, en Colombie-Britannique, on élève du saumon de l'Atlantique à des températures sensiblement plus chaudes que dans l'archipel Broughton. Le salmoniculteur a l'avantage que, lorsque l'eau se réchauffe et que le métabolisme du poisson s'accélère, il lui suffit de commander quelques sacs d'aliments en plus. Le poisson peut ainsi vivre dans une eau plus chaude et on a de bonnes conversions. Les éleveurs aiment dire qu'ils n'auront pas de problème avec le réchauffement de la planète, mais il y aura quand même des problèmes de résistance aux maladies, par exemple, qui risquent de leur causer des surprises.

Le sénateur Watt: On pourrait vous poser beaucoup de questions sur le saumon mais je vais tenter de me limiter au saumon de l'Atlantique, que je connais relativement bien.

Nous n'avons que du saumon de l'Atlantique à Nunavik. Nous avons trois grandes rivières qui sont bonnes pour le saumon de l'Atlantique, mais elles subissent des pressions depuis plusieurs années. Il y a cinq ans, nous n'avions quasiment pas de saumon de l'Atlantique. Il y en avait juste un tout petit peu. Cette année, le changement est notable. J'ai pratiqué la pêche commerciale de l'Atlantique, autrefois, et je peux vous dire que cela fait plusieurs années que je ne la pratique plus car il n'y a plus de saumon à pêcher.

Cette année, j'ai constaté que le saumon commence lentement à retrouver les quantités des années passées. Je ne sais pas si cela a quelque chose à voir avec le fait que votre région commence à connaître des problèmes, même depuis plusieurs années, en ce qui concerne le saumon de l'Atlantique. Je ne sais pas si les deux phénomènes sont reliés mais le saumon de l'Atlantique commence à revenir. Il y a de l'espoir mais qui sait ce qui peut arriver!

Vous avez parlé du pou du poisson, problème que je connais un peu. Le saumon de l'Atlantique vient généralement de l'océan avec le pou du poisson. Lorsqu'il arrive en eau douce, le pou disparaît. Vous avez dit cependant que l'on trouve aussi des alevins infestés de poux quand ils partent vers l'océan. Ils doivent cependant les attraper dans l'océan, pas dans l'eau douce. C'est là une maladie intéressante qui n'affecte pas seulement le poisson d'élevage mais aussi le poisson sauvage. Il y a quelque temps, on a parlé de ce problème au sein de ce comité, lorsqu'on commençait à parler d'élevage piscicole. À l'époque, nous nous demandions ce qui arriverait aux poissons sauvages par rapport aux poissons d'élevage. Il semble aujourd'hui que le poisson d'élevage ait un effet sur le poisson sauvage.

Si j'ai bien saisi votre témoignage, vous dites qu'on ne comprend pas encore très bien le problème. Vous pensez que les gouvernements ne fournissent pas assez d'argent pour effectuer les recherches scientifiques nécessaires.

Vous avez soulevé le problème des conflits au sein du MPO. Je crois comprendre qu'il y a manifestement des conflits d'intérêts. Il y a clairement un conflit d'intérêts lorsqu'un ministère chargé de gérer des stocks sauvages doit aussi faire la promotion de stocks d'élevage. Il n'y a aucun doute dans mon esprit à ce sujet. L'une des deux espèces doit en souffrir et c'est le poisson sauvage qui souffre, comme nous l'avions prévu.

Avez-vous des connaissances à long terme sur ce qui arrive au Yukon et en Alaska? Il s'agit des mêmes stocks, si je ne me trompe.

Vous avez dit qu'il faut consacrer plus d'argent aux recherches scientifiques dans l'Arctique. Je vous ai aussi entendu dire que vous aviez envoyé des lettres au premier ministre à ce sujet. Vous a-t-il répondu?

Pensez-vous que votre problème en Colombie-Britannique est relié, d'une certaine manière, à l'absence de recherches scientifiques dans l'Arctique? Y a-t-il un lien?

M. Fraser: Je vais essayer de répondre le mieux possible à vos remarques et questions, sénateur. Pour ce qui est du Yukon et de l'Alaska, je vous lis un extrait de notre rapport annuel de 2001-2002:

Ce rapport annuel offre un compte rendu factuel exhaustif des stocks de saumon du Pacifique dans le sud de la Colombie-Britannique et dans la rivière Okanagan, et des tendances concernant leur abondance et leur diversité. D'autres rapports du Conseil traiteront du saumon du Pacifique dans le centre et le nord de la Colombie- Britannique et dans les rivières transfrontalières, y compris dans la rivière Yukon, ainsi que des stocks de saumon arc-en-ciel et des habitats du saumon.

Il s'agit d'un gros volume, qui est absolument fascinant à lire mais qui exige une certaine attention. Il porte sur la partie sud de la province. Nous ne pensons pas qu'il existe un autre document contenant autant d'informations pertinentes sur l'état des stocks dans le sud de la Colombie-Britannique. Si tout va bien, nous produirons un volume semblable pour le Yukon. Je n'aborderai pas nécessairement l'Alaska mais nous avons certainement l'intention d'aborder le Yukon. La réponse est donc oui, nous nous intéressons à cette région.

Vous dites que vous voyez le saumon de l'Atlantique revenir en plus grand nombre. Cela est une conséquence directe d'une meilleure survie dans l'océan. Je pense que le même phénomène a été constaté dans les rivières du sud des Maritimes. C'était certainement le cas l'été dernier.

Le sénateur Watt: C'est vrai.

M. Fraser: Nous avons constaté ces dernières années un rétablissement remarquable du point de vue de la survie dans l'océan, pas seulement en Colombie-Britannique mais aussi de la Californie jusqu'à la Colombie-Britannique, et peut-être aussi, à un degré moindre, plus au nord.

Certains ont maintenant le sentiment que tout le pessimisme de la dernière décennie peut disparaître, que tout le monde s'était trompé et que tout va bien à nouveau. Le problème est que nous sommes maintenant dans une année El Niño et que nous ne savons pas quel sera l'effet sur la productivité des océans. Nous ne savons pas si, avec l'évolution des régimes océaniques, nous allons entrer dans une nouvelle période de réchauffement des eaux. Évidemment, cela réduirait les éléments nutritifs, ce qui réduirait la productivité, ferait remonter les poissons prédateurs vers le nord, et cetera.

Vous avez dit aussi qu'on ne dépense pas assez d'argent pour étudier la relation entre l'aquaculture et le saumon sauvage, et je tiens à être juste à ce sujet. Le gouvernement fédéral a trouvé 700 000 $ ou 800 000 $ qu'il dépense maintenant — et qu'il ne dépensait pas avant. Le gouvernement provincial dépense maintenant plusieurs millions de dollars. Vous avez entendu le Dr Marliave parler d'un fonds de plusieurs millions de dollars à l'Université de la Colombie-Britannique, qui sert presque totalement à l'étude de l'aquaculture et du saumon sauvage. Il faut donc admettre qu'on consacre plus d'argent à cette question.

Globalement, cependant, quand on considère la réduction des services que le MPO peut dispenser, ajoutée au fait que la province a retiré tellement d'argent de la circulation pour tenter d'équilibrer son budget, il est clair que nous n'avons pas les ressources nécessaires pour faire face aux problèmes.

Vous avez parlé aussi de conflit d'intérêts. Je pense que la plupart des gens considèrent qu'il y a un conflit d'intérêts. Le ministère a toujours tenté d'agir de manière à appuyer ceux qui gagnent leur vie par la pêche, par la transformation et la vente du poisson. Il n'est donc pas étonnant que le ministère des Pêches souhaite promouvoir l'aquaculture.

L'aquaculture n'est pas que l'élevage du saumon; elle peut prendre de nombreuses formes. Nous n'avons jamais dit qu'il ne devrait pas y avoir d'aquaculture. Le Conseil n'a jamais dit cela. Ce que nous avons dit, c'est qu'elle doit se faire de manière à ce qu'on ne réduise pas les stocks de saumon sauvage sur la côte Ouest — et notre mandat porte sur le saumon sauvage et le saumon arc-en-ciel.

Le sénateur Watt: Pour revenir à la manière dont le saumon est élevé dans l'océan, je crois comprendre qu'il y a aujourd'hui une technologie qui permettrait de faire l'élevage sur la terre ferme plutôt que dans l'océan. A-t-on examiné sérieusement cette possibilité?

M. Marliave: Avant de répondre à votre question, je voudrais revenir à ce que vous disiez au sujet du fait que le saumon de l'Atlantique remonte dans les rivières avec le pou du poisson, qui est ensuite laissé dans l'eau douce. Ce qu'il importe de ne pas oublier, parce que c'est relié aux arguments avancés par l'industrie au sujet du pou du poisson dans le nord du Pacifique, c'est qu'il est tout à fait normal que le saumon rose remonte dans les rivières avec du pou adulte, lequel meurt lorsque le poisson entre dans l'eau douce. Le cycle de vie du pou du poisson exige un écosystème de haute mer. C'est là qu'il se reproduit et c'est là que l'infection a lieu. Avec les fermes salmonicoles situées dans des eaux protégées comme l'archipel Broughton, on a des millions de saumons adultes qui favorisent le cycle de vie du pou du poisson, jusqu'à proximité des estuaires des rivières d'où sortent les alevins.

À la différence du saumon coho, arc-en-ciel, quinnat ou de l'Atlantique, les alevins du saumon rouge, du saumon kéta et du saumon rose sont exceptionnellement petits. Ce sont ceux du saumon rose qui sont les plus petits. Du point de vue technique, ce sont des hôtes atypiques. En parasitologie, un bon parasite ne tue pas son hôte, mais l'alevin du saumon rose qui sort de la rivière n'est pas un hôte adéquat. C'est cela qui entraîne la mortalité. Ces poissons sont tout simplement trop petits pour résister à ce type d'infection.

Une solution évidente est de faire de l'aquaculture en milieu fermé ou sur terre. Songez cependant qu'il s'agit d'une toute nouvelle industrie et que l'on a généralement prouvé qu'on ne peut pas vendre de manière compétitive du saumon élevé en bassin plutôt qu'en cage. La raison pour laquelle les restaurateurs ou les poissonneries l'achètent est qu'ils savent que leurs clients sont prêts à payer plus cher pour un saumon qui n'a pas été élevé dans l'océan.

Cela procède strictement d'une attitude «écolo» du public, comparable à la demande de saumon sauvage en restaurant. La vérité est qu'aucun établissement d'élevage en milieu fermé n'applique de traitement des effluents. Le saumon ne peut pas s'échapper, il est facile à contrôler, du point de vue du pou ou des maladies, mais le véritable élevage fermé coûte très cher. Il ne serait probablement économique que pour des espèces autres que le saumon, c'est-à- dire la morue grise du Pacifique, animal de beaucoup plus grande valeur.

Le sénateur Watt: Je crois que notre président a également indiqué qu'il faudrait consacrer plus d'argent à faire des recherches dans l'Arctique. M. Fraser a écrit au ministère il y a quelque temps. Le premier ministre a-t-il répondu?

M. Fraser: À la demande de Karen Kraft Sloan, nous avons envoyé notre lettre à plusieurs ministres ainsi qu'au greffier du Conseil privé. Je ne sais plus si nous en avons envoyé une au premier ministre. Si je me souviens bien, nous avons reçu des réponses. Toutefois, ce qui était encourageant, c'est que les réponses indiquaient que quiconque avait lu la lettre l'avait réellement lue. Comme j'ai passé beaucoup d'années dans la vie publique, je peux vous dire que ce n'est pas toujours le cas.

Il est donc vrai que nous avons eu des réponses. Nous avons reçu un extrait d'une déclaration du Dr Richard Beamish, qui est membre d'office du MPO au sein de notre Conseil. C'est également l'un des tout premiers scientifiques halieutiques en Colombie-Britannique. C'est l'une des personnes qui avaient commencé les toutes premières recherches sur les causes réelles des pluies acides.

Il nous a toujours accordé un soutien considérable. Nous avons donc reçu un extrait de sa déclaration sur le besoin essentiel d'entreprendre des recherches dès maintenant dans l'Arctique, où les manifestations du changement climatique sont les plus évidentes, de façon à en apprendre assez sur le phénomène pour pouvoir en poursuivre l'étude le long de la côte ouest de la Colombie-Britannique et ailleurs.

Nous ne sommes pas favorables à l'exécution de recherches que dans l'Arctique. Je n'ai pas à vous dire quelles sont les conséquences du changement climatique dans le Nord — vous pourriez probablement m'en apprendre là-dessus; quoi qu'il en soit, elles sont importantes.

À titre d'information, j'ai fait en 1954 un voyage dans le Yukon avec l'un de mes meilleurs amis. Certes, nous n'étions pas allés jusqu'au cercle arctique mais quand même dans une région où personne d'autre que des Autochtones n'avaient jamais vécu, et nous avions alors découvert ce qu'on pourrait appeler une nature parfaitement pure. Dans certains endroits, il était très difficile d'enfoncer les pieux de notre tente car, dès que l'on commençait à les marteler, on rencontrait le gel sous l'herbe et la terre. Toute cette région restera en équilibre tant que la température ne montera pas trop. Sinon, on constatera des changements spectaculaires du point de vue topographique. Et les changements seront d'autant plus marqués que l'on ira plus au nord.

Nous ne savons pas quel effet cela aura sur l'écosystème et sur les animaux, mais nous devrions certainement essayer de le savoir car les conséquences de ces changements pourraient être très profondes. De plus, comme l'a dit mon collègue M. LeBlond, le saumon de la côte Ouest s'est adapté. Il y a 10 000 ou 20 000 ans, les choses étaient très différentes sur la côte Ouest. Juste de l'autre côté de la rivière où nous sommes aujourd'hui, dans la Gatineau, il y avait environ un demi-kilomètre ou plus d'épaisseur de glace et de neige il y a 15 000 ou 20 000 ans. D'aucuns disent que ça ne remonte même pas à aussi longtemps que cela.

Quoi qu'il en soit, le saumon a eu du temps pour s'adapter. Ce que craignent les gens qui réfléchissent au problème, à part peut-être Terence Corcoran et les gens de son acabit qui ne croient pas au changement climatique et qui ne pensent pas que nous y contribuons, c'est que, pour la plupart d'entre nous, le changement se produit très rapidement. La question de l'adaptabilité devient donc tout à fait cruciale.

Le sénateur Watt: Vous avez aussi parlé d'une autre méthode que l'on utilise pour la mise en valeur du saumon, en utilisant les rivières naturelles. Je ne saisis pas très bien de quoi il s'agit mais je peux vous décrire ce que nous faisons à Nunavik, puisque c'est une nouvelle technologie. Nous essayons de voir si nous pouvons nous en servir pour mettre en valeur l'omble chevalier, pas le saumon de l'Atlantique.

Y a-t-il des avantages ou des inconvénients à utiliser le saumon sauvage des rivières naturelles pour en extraire les oeufs et de les faire éclore dans un incubateur? Connaissez-vous cette technique?

Quand vous parliez de la génétique du poisson, je me demandais quel effet cela pourrait avoir sur le poisson sauvage. Nous n'avons même pas un dollar pour étudier ce qui se passe avec ces petits alevins qui sont rejetés dans les rivières. Vont-ils se mélanger au poisson sauvage? Avez-vous des connaissances là-dessus?

M. Fraser: J'en ai un peu mais je vais demander au Dr Marliave de vous répondre. Avant cela, toutefois, laissez-moi vous dire que prélever les oeufs du poisson pour les faire éclore n'a rien de nouveau. Cela se fait dans beaucoup d'endroits. On le fait aussi pour préserver les oeufs et le sperme des stocks qui ont considérablement diminué, afin de les reconstituer à partir de cette base génétique. De nos jours, on s'intéresse aussi beaucoup plus à trouver le moyen de les placer dans un environnement reproduisant le mieux possible l'environnement naturel, au lieu de mélanger les oeufs avec la laitance et de protéger ensuite le frai dans des réservoirs artificiels fermés.

Tout cela fait partie du problème des écloseries, et c'est le Dr Marliave qui est l'expert en la matière. Ils ont une écloserie en exposition. Je n'ajoute rien là-dessus si ce n'est pour dire qu'ils y ont consacré beaucoup d'argent et qu'il y a beaucoup de gens qui visitent l'aquarium. Je pense que c'est une opération de démonstration parce que le poisson ne fraie pas réellement.

M. Marliave: Je ne veux pas parler de cette exposition car elle est destinée à montrer aux gens de la ville à quoi peut ressembler le frai du saumon sauvage en rivière.

Le processus dont nous parlons est celui que j'évoquais plus tôt, c'est-à-dire la méthode d'écloserie de conservation, ou de «réforme d'écloserie», comme on l'appelle dans l'État de Washington. Le MPO étudie activement cette méthode. Récemment, Rivers Inlet, l'une des remontées de saumon rouge, a connu un effondrement critique. Les remontées qui étaient dans l'état le plus critique étaient mises en valeur dans une écloserie éloignée mais strictement à un niveau garantissant qu'on ne dépasserait pas la production naturelle des quelques géniteurs qui étaient revenus. On limitait donc strictement le temps durant lequel les oeufs ou les alevins étaient sous contrôle humain plutôt que dans un milieu sélectif naturel. L'objectif est de faire cela pendant le moins d'années possible. On veut faire le moins possible de mise en valeur pour ne pas avoir d'incidence génétique sur le poisson sauvage.

Le problème que j'aimerais soulever, cependant, c'est que tout le monde est entré dans la course. Toutes les grandes écloseries, celles que j'appelais les dinosaures, se félicitent en disant: «Nous prenons à coeur les pratiques d'écloserie de conservation et c'est une partie importante de notre nouveau programme, vous ne pouvez donc pas réduire notre budget». Je vous préviens qu'il va falloir faire des choix cruels et que ce type d'écloserie de conservation et d'approche à court terme peut être intégré à l'une ou l'autre des écloseries les plus performantes et qu'on peut quand même faire des choix cruels au sujet des grandes écloseries à budgets énormes.

Le sénateur Watt: Pourriez-vous être plus précis? Parlez-vous de la rivière?

M. Marliave: Ils vont dans la rivière. Dans le cas du saumon rouge, on ne peut même pas voir si le poisson fraie parce que l'eau est tellement vaseuse. Ils prennent quelques poissons et ils en prélèvent les oeufs. Parfois, ils les récupèrent dans l'eau. Ils les emmènent à l'écloserie et ils éliminent toute mortalité pendant un certain temps. Beaucoup des problèmes que pose le saumon rouge viennent du fait qu'il y a des maladies dans les écloseries, et c'est pourquoi ils ne veulent pas les y garder trop longtemps. Ce n'est pas comme dans les écloseries où l'on produit des animaux adultes. Ici, on veut simplement donner une certaine stimulation au stock sauvage. Cela se fait beaucoup en Colombie- Britannique.

Le sénateur Watt: Je suis très heureux d'avoir pu discuter à nouveau avec vous, monsieur Fraser, et avec vos collègues.

Le président: Monsieur Fraser, vous avez parlé tout à l'heure de la pêche de saumon rouge dans la rivière Adams. On nous a parlé de cela l'an dernier en disant que quatre millions d'animaux étaient remontés dans une rivière qui ne pouvait en accueillir que deux millions environ.

La question que l'on nous a posée est que le principe de prudence, que tout le monde appuie, est devenu un principe d'évitement du risque. L'équipe de gestion intégrée de la pêche a été beaucoup trop lente pour pouvoir répondre aux besoins d'une remontée aussi énorme. On avait mal calculé le moment de la remontée et le nombre d'animaux qui remontreraient, ce qui a mis beaucoup trop de poissons dans la rivière. L'une des solutions pourrait être de donner une autre perspective à l'équipe de gestion des stocks sur la manière dont elle doit faire son travail. Est-ce que cet argument que l'on m'a présenté est trop simpliste ou non?

M. Fraser: Je reviens à ce que vous disiez il y a un instant. Pendant plusieurs années, nous avons surveillé les remontées de saumon rouge dans le Fraser. Au lieu d'attendre à l'embouchure du Fraser, comme c'était «l'habitude», ils arrivaient plus tôt — je parle ici de saumon rouge de montaison tardive — remontaient la rivière et s'installaient sur les lits. À ce moment-là, le parasite, qui commence à s'activer lorsqu'il arrive en eau douce, avait pris le contrôle et tuait le poisson avant qu'il ne soit assez adulte pour frayer. La mortalité avant le frai atteignait dans certains endroits jusqu'à 80 ou 90 p. 100. Voilà le problème qui faisait peur à la Commission du saumon du Pacifique et au ministère des Pêches et des Océans lorsqu'ils ont dû prendre une décision à la fin de l'été dernier et à l'automne pour la rivière Adams.

Ils avaient aussi fait des estimations du nombre d'animaux qui remonteraient et ils en attendaient de quatre à cinq millions. En réalité, il y en a eu probablement le double, mais il leur a fallu un certain temps pour s'en rendre compte. Le problème posé par la mortalité élevée de ces saumons rouges dans les remontées antérieures — il y avait beaucoup moins d'animaux remontant mais leur taux de mortalité était élevé — les a amenés à décider de limiter la pêche commerciale à 15 p. 100 de la remontée estimée. Évidemment, à ce moment-là, ils s'attendaient à voir passer entre quatre et cinq millions de poissons. Pourquoi 15 p. 100? Parce que, suite au taux de mortalité énorme des remontées des dernières années, ils voulaient donner toutes les chances possibles à un nombre suffisant de poissons d'arriver sur les frayères afin de ne pas perdre la remontée de la rivière Adams.

Que s'est-il passé? Beaucoup plus d'animaux que prévu sont arrivés dans la rivière. Je ne veux blâmer personne, de quelque manière que ce soit; il me suffira de dire que, quand on a eu la preuve que la remontée était beaucoup plus grosse qu'auparavant, le MPO a fait l'objet de fortes pressions pour augmenter le pourcentage de saumons qui revenaient dans la rivière et qui allaient frayer. C'était compréhensible parce que les pêcheurs voulaient en obtenir une proportion raisonnable. J'ai vu certaines estimations de ce que cela pouvait représenter pour la communauté de pêche et pour l'économie de la Colombie-Britannique; j'ai vu des chiffres allant de 100 à 200 millions de dollars. Certains disent que cette somme a été perdue parce que les responsables de la gestion de la pêche n'ont pas réussi à ajuster leurs plans à temps en fonction d'une remontée beaucoup plus grosse que prévue. Ils ont ajusté leurs chiffres et ils ont prolongé l'ouverture mais on leur reproche quand même de ne pas l'avoir fait plus tôt.

Auraient-ils pu agir différemment? Une étude est actuellement en cours pour savoir si l'on aurait pu faire mieux. Le ministre Thibault a commandé une analyse exhaustive de la manière dont on a réagi à la situation, et nous devrons attendre son résultat. Si l'on peut faire mieux la prochaine fois, espérons qu'on le fera.

Le fait est que l'on a vu revenir beaucoup plus de poissons qu'on ne l'avait prévu et la question que l'on pose immédiatement est: «N'y a-t-il pas un meilleur moyen d'évaluer plus tôt l'ampleur de la remontée?» Certains d'entre nous posent cette question depuis longtemps.

De plus, nous ne savons pas pourquoi ces poissons sont revenus là et ne semblaient témoigner d'aucune mortalité marquée avant le frai. Pour quoi la différence entre cette année et l'an dernier? C'est quelque chose que l'on va essayer de comprendre. Que se passera-t-il l'an prochain si nous n'avons pas assez d'argent pour étudier le problème?

Lorsque le rapport du ministre sera publié, nous apprendrons peut-être beaucoup de choses. Ce n'est pas nous qui gérons la pêche, mais ceux qui en sont chargés pourront peut-être mieux le faire.

Le président: Vous avez parlé du problème des écloseries. Si le poisson d'écloserie se mélange au saumon génétiquement plus pur, cela risque de causer des problèmes. Pourquoi n'y a-t-il pas la même inquiétude en Alaska? Que font-ils de différent pour que ce problème ne les préoccupe pas?

M. Marliave: Ils ne font rien de différent. Ils se concentrent sur les écloseries de saumon rose et kéta. Nous, nos écloseries s'occupent essentiellement de saumon coho et quinnat. Leur procédure fondamentale est d'incuber et de relâcher le poisson pour qu'il reparte immédiatement dans l'océan. Le poisson passe donc virtuellement toute sa vie dans un environnement de sélection naturelle, dès l'éclosion, ce qui n'est pas le cas quand on élève du saumon pendant longtemps, comme le coho, qui peut passer jusqu'à 18 mois en écloserie, ce qui influe profondément sur son développement et sur sa sélection. Il s'agit d'un saumon domestiqué. Le saumon coho d'écloserie, en particulier, a tendance à présenter des signes de domestication. En Alaska, on n'élève tout simplement pas de saumon coho en écloserie.

Le président: Ne pourrions-nous pas envisager cette méthode pour éviter toute forme de domestication?

M. Marliave: Connaissez-vous le prix actuel du saumon rose et du saumon kéta? L'Alaska ne semble pas connaître un succès extraordinaire sur les marchés.

Le président: Ce qui est évidemment un facteur important.

M. Fraser: Je voudrais dire quelques mots sur les écloseries. Prenez le saumon coho. Tout le monde se pose des questions sur un certain nombre de stocks de coho. Le ministère des Pêches et des Océans a beaucoup fait pour essayer de les protéger. Mon collègue a parlé de remontées «faibles» mais il vaut mieux parler de remontées «moindres» puisqu'il s'agit du nombre d'individus. Les poissons sont en bonne santé. Ils ne sont pas plus faibles mais il y en a moins.

La question est de savoir quoi faire. Si l'on prend les oeufs de saumon coho et la laitance et qu'on les fait éclore dans un bassin artificiel, les alevins vivent en eau douce pendant un an avant de partir. Si l'on attend qu'ils aient atteint la taille des saumoneaux — environ quatre ou cinq pouces de long — avant de les relâcher, ils auront passé toute leur vie en situation artificielle. Nous pensons savoir que, si l'on applique cette méthode sur un grand nombre de poissons qui se mélangent ensuite au poisson sauvage, le stock de poisson sauvage va aller en diminuant. En outre, on va probablement aussi se retrouver avec un moins grand nombre de poissons qui remonteront, après l'augmentation initiale, si l'on en croit l'expérience acquise jusqu'à présent.

En contrepartie, si on laisse les oeufs éclore et qu'on place très tôt les alevins dans un cours d'eau naturel, où ils peuvent vivre pendant un an et atteindre leur maturité comme poissons sauvages, la situation risque d'être très différente. Nous avons essayé de rétablir des bancs de saumon dans des cours d'eau urbains où les stocks qui existaient il y a 70, 80 ou 100 ans avaient disparu. C'est la seule manière de rétablir les stocks.

Dans la plupart des cas, on essaye de les amener à l'état où ils sont juste assez grands pour pouvoir survivre, avant de les remettre dans les cours d'eau pour les laisser grandir. Je parle ici de saumons coho qui sont placés dans des cours d'eau douce pendant environ un an. Les saumon kéta et roses partent très rapidement.

M. Marliave: M. Fraser me provoque au sujet de notre exposition du parc Stanley. L'autre méthode qui fait l'objet d'essais — surtout dans l'État de Washington — est de mettre des prédateurs de poissons vivants dans une écloserie lorsque les poissons peuvent nager. On constate alors des changements de comportement remarquables et on se retrouve avec des animaux complètement différents. C'est l'une des choses que l'on fait actuellement. C'est une méthode différente pour atteindre le même résultat que celui dont parle M. Fraser. Il faut renvoyer dans la nature des saumons aguerris plutôt que des saumons fonctionnellement attardés.

Le président: C'est une manière intéressante de les décrire.

Le sénateur Cochrane: En 1998, on estimait dans un rapport de la Commission géologique du Canada qu'il pourrait y avoir 9,8 milliards de barils de pétrole et 25 trillions de pieds cubes de gaz naturel dans le bassin de la Reine- Charlotte. On dit aussi que les petits bassins de Winona et de Georgia contiennent 16 autres trillions de pieds cubes de gaz naturel. À votre avis, la pêche et le pétrole peuvent-ils coexister?

M. Fraser: Je ne connais pas la réponse à cette question parce que nous ne savons pas quel pourrait être le plan de forage. Nous n'en avons aucune idée.

Sur la côte Est, en revanche, on a constaté que l'exploitation du pétrole et du gaz naturel n'a pas nui à la pêche. Des plaintes se font toutefois entendre aujourd'hui au sujet des effets que peuvent avoir les essais sismiques dans l'eau sur les animaux et le poisson.

Pour ce qui est du potentiel du pétrole et de gaz naturel au large de la côte ouest de la Colombie-Britannique, il y a un moratoire depuis de nombreuses années. Le gouvernement provincial tient beaucoup à lever ce moratoire. Au palier fédéral, des voix se font également entendre en faveur d'une levée du moratoire. D'autres ministres fédéraux, par contre, recommandent la prudence et disent que la levée du moratoire ne pourrait se faire que d'une manière garantissant la protection de l'environnement.

Cela ouvre la porte à un débat sur la question de savoir si les entreprises qui souhaitent prospecter et exploiter ces ressources devraient être obligées de payer les études environnementales indispensables.

On a pu lire également une série d'articles dans les journaux d'affaires couvrant toute la gamme des opinions. Certains parlent de richesse immédiate permettant d'équilibrer les budgets publics et d'enrichir la province, alors que d'autres, surtout des analystes du secteur du pétrole et du gaz naturel, disent: «Attendez une minute. Il reste beaucoup de gaz naturel à découvrir ailleurs en Colombie-Britannique, surtout dans le nord-est. Tant que l'on n'aura pas plus de certitude quant aux processus d'extraction qui permettraient d'exploiter les richesses sous-marines, l'industrie ne sera pas prête à y consacrer beaucoup d'argent.

Quand on parle des défis que pose la pêche du saumon sauvage en Colombie-Britannique, il faut tenir compte de la levée éventuelle du moratoire et du démarrage d'activités de prospection et d'extraction sur la côte Ouest. Cela veut dire qu'il nous appartient de faire beaucoup plus d'études pour être sûrs que cela ne diminuera pas les stocks de saumon sauvage. Encore une fois, cet élément fait partie d'une longue liste de choses allant du changement climatique à l'habitat, au réchauffement de l'eau, à la surpêche, à la pollution, et cetera.

Quoi qu'il en soit, c'est une autre raison pour que l'on consacre des budgets suffisants aux études scientifiques et à la recherche. Nous devons essayer de prévoir les effets que pourrait avoir l'exploitation de ces ressources.

Le président: Au nom des membres du comité, je remercie les témoins qui nous ont permis de participer à une séance extrêmement intéressante.

La séance est levée.


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