Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 4 - Témoignages du 25 mars 2003
OTTAWA, le mardi 25 mars 2003
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 19 h 06, pour examiner, en vue d'en faire rapport périodiquement, des questions liées au chevauchement des stocks et à l'habitat du poisson.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je vous remercie d'être présents ce soir et je vous souhaite la bienvenue. Nous avons la chance d'accueillir comme témoin M. Mike Samson, sous-ministre des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et- Labrador. M. Samson accompagnait à Ottawa, il n'y a pas longtemps, le comité composé de représentants de tous les partis de Terre-Neuve-et-Labrador qui venait rencontrer les membres des comités des deux Chambres. M. Samson faisait partie de la délégation qui a présenté les recommandations du comité dont tous les sénateurs ont reçu un exemplaire. C'est ce dont nous entretiendra M. Samson, ce soir.
Nous avons prévu d'adopter une motion d'appui au comité composé de représentants de tous les partis. Mais, tout d'abord, nous allons entendre M. Samson, après quoi il pourra peut-être nous être utile pour l'adoption de notre motion.
M. Mike Samson, sous-ministre des Pêches et de l'Aquaculture, Terre-Neuve-et-Labrador: Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner. C'est avec plaisir que j'essaierai de vous aider à comprendre le rapport du comité composé de représentants de tous les partis de Terre-Neuve-et-Labrador au sujet de la pêche de la morue dans les zones 2J3KL et 3Pn4RS. Ce rapport fait suite à une série d'événements survenus à Ottawa, le 17 mars, quand notre comité a rendu public son rapport et l'a présenté à l'honorable Robert Thibault, ministre des Pêches et des Océans.
Je vais me servir, pour faire mon exposé, du texte de présentation qui a été utilisé lundi dernier. Nous y avons ajouté quelques diapositives afin de mieux vous situer en contexte. J'ai cru comprendre que je disposerais, ce soir, d'un peu plus de temps qu'à cette occasion de la semaine dernière où les choses se faisaient rondement.
J'aimerais commencer par vous expliquer brièvement d'où vient notre comité. Ceux d'entre vous qui suivent les dossiers des pêches se rappellent que vers le 20 novembre 2002, après que des fonctionnaires du ministère des Pêches et des Océans ont rencontré les membres du caucus de l'Atlantique de la Chambre des communes — et quelques sénateurs, si ma mémoire est bonne — pour les mettre au fait, tous ont pris conscience que le ministère fédéral envisageait d'interdire la pêche de la morue dans les zones 2J3KL, où se trouvent les stocks de morue du Nord, et 3Pn4RS, où se trouvent les stocks de morue de la partie septentrionale du golfe. La réaction à Terre-Neuve-et- Labrador a été immédiate. Toute l'industrie et la province en ont été atterrées.
Comme vous le savez, la dernière série de fermetures de la pêche en 1992 a nui à l'économie de la province et aux collectivités rurales de Terre-Neuve et du Labrador. Le gouvernement provincial a réagi en tenant le lendemain un débat d'urgence à l'assemblée législative. Le débat a mené à l'adoption unanime d'une motion visant à former un comité composé de représentants de tous les partis qui examinerait la question et élaborerait la position qu'adopterait la province face au gouvernement du Canada.
Le comité de Terre-Neuve-et-Labrador a été officiellement créé le 2 décembre 2002, lors d'une réunion à Ottawa. Il comprenait des représentants de tous les partis provinciaux et fédéraux, en ce sens qu'en étaient membres le premier ministre Roger Grimes, Mme Yvonne Jones, ministre des Pêches et de l'Aquaculture, M. Danny Williams, leader officiel de l'opposition, M. Loyola Hearn, porte-parole de l'opposition en matière de pêches, le chef néo-démocrate de Terre-Neuve-et-Labrador et tous les sénateurs et députés de Terre-Neuve-et-Labrador, quelle que soit leur affiliation politique.
Le comité a tenu des consultations et des délibérations et en est arrivé à un consensus au début de mars. Un document a donc été rédigé et, par la suite, ce rapport a été rendu public et présenté au ministre fédéral, le 17 mars. Le même jour, le comité a été invité à faire une présentation lors d'une réunion conjointe des comités permanents des pêches et des océans de la Chambre des communes et du Sénat.
Il importe, je crois, de décrire le contexte dans lequel le comité a entrepris ses délibérations. Les stocks de morue dans les eaux adjacentes de Terre-Neuve-et-Labrador se maintiennent à leur plus bas niveau. Or, il n'y a pas si longtemps, les deux stocks dont il est question, soit la morue du Nord et la morue de la partie septentrionale du golfe, étaient pêchés commercialement, les débarquements oscillant entre 300 000 et 400 000 tonnes métriques par année. Vous pouvez facilement imaginer l'impact économique qu'avait la disponibilité d'une telle quantité de poisson pour l'industrie de la transformation de la province. Actuellement, les stocks n'ont jamais été aussi bas. Par exemple, dans la zone 2J3KL, les chercheurs scientifiques évaluent les stocks de la morue du Nord à un à trois pour cent de leur biomasse antérieure.
Un autre élément du contexte qu'il importe de bien comprendre est la dépendance encore réelle de l'économie à l'égard des pêches, dans les régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador qu'en dépit des nombreux changements survenus depuis le moratoire de 1992, quelque 60 000 personnes, soit 10 p. 100 de la population, ont quitté pour des raisons économiques. Ce qui était autrefois une dépendance à l'égard du poisson de fond, particulièrement de la morue, s'est tranformée en dépendance à l'égard des coquillages, notamment du crabe des neiges et de la crevette. La pêche demeure néanmoins la raison d'être de ce qui reste des régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador.
En juillet 1992, quand fut décrété le premier moratoire, on avait l'impression dans la province que la mesure était temporaire. On croyait que, bien que la pêche soit fermée et qu'il soit nécessaire de s'adapter, de diversifier l'industrie et de prendre des mesures d'aide au revenu, la fermeture ne durerait que cinq ou dix ans, le temps que les stocks de morue se rétablissent. On reprendrait alors la pêche du poisson de fond qui s'y pratiquait depuis 500 ans. Or, l'annonce, après la fermeture des pêches — et lorsqu'elles ont repris, ce fut à de très bas niveaux — que la pêche de ces stocks sera fermée ou pourrait l'être maintenant donne aux régions rurales de Terre-Neuve-et-Labrador le signal que les stocks de cette ressource ne se rétabliront pas au cours de la présente génération. Ce sera là un message très définitif.
Cela causera, d'après nous et d'après le comité composé de représentants de tous les partis, d'autres bouleversements économiques et le dépeuplement des régions rurales de Terre-Neuve. Le comité en a tenu compte quand il a élaboré le cadre dans lequel il devait évoluer. Bien que tout cela puisse sembler défavorable, il importe aussi de reconnaître qu'il a repéré des possibilités qui permettraient de progresser. J'y reviendrai plus longuement tout à l'heure.
J'ai ajouté la diapositive que voici depuis la dernière présentation. Je vous ai parlé des niveaux de deux stocks de morue. La région colorée en vert illustre les prises de morue après 1961. Il est intéressant de noter que le pic atteint en 1968 représente 900 000 tonnes métriques environ de morue capturée dans la zone 2J3KL, dont 810 000 par des flotilles étrangères. Après le moratoire de 1992, les prises diminuent. Parallèlement, la zone blanche au bas de la diapositive représente les prises historiques dans la partie septentrionale du golfe, soit dans 3Pn4RS. Elles ont constamment oscillé entre 70 000 et 100 000 tonnes. Cependant, depuis 1992, les prises ont chuté à un niveau sans précédent. Si vous cherchez une année représentative après le prolongement des eaux territoriales en 1977, regardez ce qui s'est produit vers la fin des années 80. La pêche commerciale de ces deux stocks de morue représentait en tout 420 000 tonnes métriques. Actuellement, on se demande si la pêche des 12 600 tonnes métriques que nous prenons depuis quelques années est durable. Manifestement, un événement désastreux s'est produit dans l'écosystème pour provoquer un pareil épuisement.
Le comité s'est fixé des objectifs pour le guider dans ses travaux. Il a avant tout décidé d'élaborer un plan qui contribuerait à reconstituer et à conserver les stocks de morue dans les eaux adjacentes de Terre-Neuve-et-Labrador, d'élaborer un plan de gestion efficace et durable des stocks au fil des ans, de favoriser la maximisation des avantages tirés des ressources halieutiques par les membres des collectivités de Terre-Neuve-et-Labrador et du Canada et, enfin, de travailler à la diversification et au développement de l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador.
Au cours de ses délibérations qui se sont étalées sur trois mois, le comité a exécuté ses travaux en ayant recours à un comité et à un sous-comité. Les délibérations ont été longues et d'une grande portée, et le comité a analysé à fond beaucoup de questions. Pour vous en donner une idée, beaucoup de discussions, que l'on retrouve pour la plupart dans l'annexe au rapport dont vous avez reçu copie, ont porté sur des questions qui entourent les sciences halieutiques, l'incertitude scientifique, les lacunes des sciences parfois, les problèmes de méthodologie, le manque de données et l'incertitude dans laquelle il laisse les décideurs responsables de la gestion des pêches. Le comité s'est longuement attardé aux questions liées à la durabilité des méthodes de capture. Il a examiné à fond des points associés aux prises accessoires, au lien entre les prises accessoires de morue et d'autres poissons et à la possibilité que la ressource puisse se reconstituer. Il a aussi étudié les questions entourant le matériel de pêche, la durabilité de la pêche au chalut à plateaux, du rapport entre les filets maillants et la pêche fantôme, le mérite relatif de la pêche avec ligne et hameçon par rapport à la pêche au filet maillant, et j'en passe. Il fut beaucoup question des phoques, y compris de leur gestion, des sciences qui les concernent, de la surpopulation des phoques du Groenland, des phoques à crête et des phoques gris, et du lien entre les phoques, le capelan et la morue dans l'écosystème de l'Atlantique Nord-Ouest. Nous avons étudié le capelan comme source d'aliment pour la morue, le rapport entre le capelan et la morue dans l'écosystème et l'éventuel impact de la pêche commerciale du capelan sur l'alimentation du phoque.
Le comité a aussi fait une analyse fouillée de la surpêche pratiquée par les navires de pêche étrangers. Il l'a fait, conscient dès le début que les efforts de pêche étrangers sur le nez et la queue du Grand banc ou au Bonnet Flamand ne sont pas en cause dans les zones 2J3KL et 3Pn4RS. Le golfe du Saint-Laurent se trouve entièrement en territoire canadien et il ne s'y pratique aucune pêche étrangère.
La vérité est que, bien que les pêcheurs étrangers aient exercé beaucoup de pressions sur les stocks de morue du Nord au début, 95 p. 100 des stocks de morue se trouvent dans les eaux territoriales du Canada. De plus, il y a si peu de morue du Nord en haute mer que les navires étrangers qui pêchent sur le nez et la queue du Grand banc ne prennent presque rien.
Nous avons examiné la pêche récréative de la morue et son lien avec la mortalité par pêche, la mortalité de la morue, la gestion et les défis politiques à relever dans la pêche récréative de la morue dans le Canada atlantique, particulièrement à Terre-Neuve-et-Labrador. Le comité s'est entendu sur une position concernant la pêche récréative de la morue. Durant les dix jours qui ont suivi la publication du rapport, il est juste de dire que la recommandation de fermer la pêche récréative est celle qui a suscité le plus de débat probablement, du moins à Terre-Neuve-et-Labrador.
Par ailleurs, le comité a examiné plusieurs autres questions qui ont un rapport avec l'industrie de la pêche de Terre- Neuve-et-Labrador et le rôle qu'elle joue dans la création de richesse et de débouchés pour les collectivités. On s'est particulièrement arrêté aux barrières commerciales touchant le poisson de fond. Ainsi, il subsiste d'importantes barrières commerciales à l'entrée des produits de poisson de fond canadiens dans l'Union européenne, et un tarif de 20 p. 100 est toujours appliqué à la crevette canadienne cuite et décortiquée, à son arrivée en Union européenne.
Après 1992, la pêche de la crevette s'est taillée une place de choix dans l'activité économique de Terre-Neuve-et- Labrador. La ressource est saine, et nous avons la capacité de la pêcher. En effet, nous avons chez nous treize des usines de cuisson et de décortication des crevettes les plus modernes, les plus d'avant-garde. N'eût été cette barrière commerciale de l'Union européenne, qui est le plus grand consommateur de crevette cuite et décortiquée, Terre-Neuve- et-Labrador serait le producteur au plus bas coût du monde. Cette barrière de 20 p. 100 fait de nous le producteur au coût le plus élevé du monde.
Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a consacré du temps et de l'argent à mettre de l'avant cette question et à la faire inscrire au programme du MAECI. Il pense, tout comme le comité composé de représentants de tous les partis, que, bien que la question soit d'une grande importance pour nous, elle n'a pas beaucoup de poids dans les relations commerciales du Canada avec l'Union européenne, de sorte qu'Ottawa ne voit pas l'utilité d'y accorder la priorité.
L'autre question reliée au commerce concerne les phoques, plus particulièrement le Marine Mammal Protection Act des États-Unis et le fait qu'il restreint notre capacité d'établir et de développer une industrie durable de la pêche du phoque.
Le comité a fait une analyse socio-économique de l'impact d'une éventuelle fermeture. Les nombres que vous voyez sur la diapositive reposent sur l'hypothèse que les deux pêches seraient fermées. Lorsqu'il a entrepris ces travaux, le comité a dû choisir un scénario pour faire son évaluation étant donné que le ministre fédéral a plusieurs options à sa disposition. Ainsi, il peut fermer une seule pêche, fermer les deux, réduire le niveau des prises autorisées dans les deux ou je ne sais trop quoi encore. Les chiffres que vous avez devant vous supposent une fermeture complète de la pêche dans les deux zones 2J3KL et 3Pn4RS. La fermeture toucherait directement 4 400 pêcheurs et travailleurs d'usine. Le comité évalue à 400 le nombre de travailleurs d'usine qui perdraient leur emploi et qui seraient, dans les faits, expulsés de l'industrie de la transformation du poisson. Mille cinq cents autres travailleurs verraient leur revenu baisser en raison d'une moins grande disponibilité de la matière première dans les usines. Par ailleurs, bon nombre de ces 1 500 travailleurs finiraient par ne plus avoir accès aux prestations saisonnières d'assurance-emploi parce qu'ils seraient incapables de travailler le nombre d'heures voulu, durant une saison de pêche, pour y être admissibles.
Chez les pêcheurs professionnels, on évalue à 2 500 environ le nombre de navires, surtout de petits bateaux ayant moins de 35 pieds, qui verraient leur revenu baisser. Certains seraient obligés de quitter l'industrie.
La flotille des moins de 35 pieds est la composante la plus marginalisée de l'industrie classique terre-neuvienne. Ce sont eux qui ont les plus bas revenus dans l'industrie et qui tendent à dépendre le plus de la pêche de la morue. On dénombre dans la zone 3Pn4RS, sur la côte Ouest, quelque 650 à 700 entreprises qui tirent la moitié peut-être de leurs revenus de la pêche de la morue. La plupart des entreprises exploitant des bateaux de moins de 35 pieds compte deux travailleurs. Souvent, il s'agit d'un couple qui pêche dans une petite embarcation non pontée et vit donc en grande partie de la pêche de la morue. En réalité, il n'y a pas de crabe des neiges dans le golfe du Saint-Laurent. La plupart de ces personnes vivent de quelques prises de morue et de la prise de certaines quantités de homard. Ces fermetures les expulseraient de l'industrie.
En tant que haut fonctionnaire chargé de coordonner tout cela, j'ai trouvé le processus intéressant. J'ai été très étonné de la rapidité avec laquelle les diverses personnes assises à la table ont réussi à dégager un consensus. Le comité a présenté un train de mesures qu'il faudrait, selon lui, adopter intégralement pour réussir à reconstituer et à conserver la ressource à long terme au Canada.
Le comité estime qu'il n'est pas nécessaire de fermer les deux pêches pour l'instant, mais que le maintien de la pêche à des niveaux réduits doit s'accompagner de diverses autres mesures si nous voulons reconstituer la ressource. En ce qui a trait plus particulièrement à la morue du Nord, le comité recommande le maintien à de bas niveaux de la pêche repère et de la pêche indicatrice, à la seule fin de réunir de l'information. Le comité ne s'est pas entendu sur un nombre précis et n'a pas proposé de niveau au ministre fédéral. Je laisserai ce soin au Conseil pour la conservation des ressources halieutiques qui doit faire rapport plus tard, cette semaine. Bien qu'il reconnaisse que la morue du Nord nage en eaux troubles, le comité estime qu'il n'y a rien à gagner à plus long terme à interdire complètement la pêche.
En ce qui concerne la morue du nord du golfe, c'est-à-dire de la zone 3Pn4RS, le comité recommande le maintien d'une pêche commerciale limitée. Le total des prises admissibles, l'an dernier, a été fixé à 7 000 tonnes métriques. On reconnaît qu'il est possible d'abaisser ce nombre tout en précisant qu'il faut maintenir une pêche commerciale limitée sur la côte Ouest.
L'enjeu relatif à la morue de la partie septentrionale du golfe est que nous ne disposons pas de bonnes données scientifiques. La méthodologie scientifique pose de nombreux problèmes. Les données des études scientifiques ne concordent pas avec celles de la pêche, et les études sur les engins mobiles contredisent celles de la pêche indicatrice. Les variations vont d'un extrême à l'autre. Le comité estime qu'il est possible de soutenir une pêche commerciale limitée. Cependant, comme la pêche se poursuit à la fois dans le Nord et dans la partie septentrionale du golfe, il faudrait prendre diverses autres mesures.
La première consisterait à autoriser seulement la pêche avec ligne et hameçon, donc d'interdire les filets maillants. Un vif débat fait rage dans l'industrie depuis déjà quarante ans au sujet de ces filets. La pêche fantôme est problématique, mais d'autres questions le sont également concernant la sélectivité de l'engin, en termes de taille du poisson pris entre autres. En règle générale, on semble croire que la pêche avec ligne et hameçon est une pratique plus durable pour la morue.
Il faut élaborer et mettre en oeuvre des mesures visant à réduire les rejets de morue, y compris dans la pêche dirigée de la morue, où seuls les gros poissons sont conservés en raison de la manière dont sont établis les prix. Le gros poisson vaut plus que le petit. Les pêcheurs qui ne sont autorisés à prendre que des quantités limitées de poisson auront donc tendance à privilégier les gros poissons pour en obtenir le plus d'argent possible.
Il faut aussi prendre des mesures pour réduire les prises accessoires de morue dans les autres pêches. Cela vaut pour la pêche de la crevette comme pour les autres. Enfin, au besoin, il faudrait limiter la saison de pêche de la morue de manière à protéger les bancs de reproducteurs et d'alevins à certaines périodes de l'année.
Au-delà de cette première série de mesures qui vise à maintenir une pêche limitée dans le Nord et dans le golfe et qui porte sur les règles en vertu desquelles devraient se pratiquer ces pêches, le comité a recommandé d'autres mesures qui s'imposent selon lui pour favoriser la reconstitution des stocks de morue à plus long terme.
La première est un programme en vue de réduire le nombre des troupeaux de phoques surpeuplés dans le golfe et dans le Nord. Il est question de phoques du Groenland, de phoques à crête et de phoques gris. On évalue la population de phoques du Groenland au large de Terre-Neuve-et-Labrador à 5 ou 6 millions. D'après les données scientifiques du MPO, les phoques du Groenland ont consommé 37 000 tonnes métriques de morue de l'Atlantique, 893 000 tonnes métriques de capelan et 185 000 tonnes métriques de morue polaire l'an dernier. Vous comprendrez la difficulté qu'ont les pêcheurs et les collectivités de Terre-Neuve-et-Labrador qui dépendent de la morue lorsqu'ils entendent le débat qui fait rage au sujet de la disponibilité de 12 600 tonnes métriques de morue alors que les phoques en consomment au moins 37 000 tonnes métriques.
Le comité estime qu'il faut que le MPO, de concert avec le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques, agisse immédiatement pour dresser un plan complet à long terme de reconstitution des stocks dans les eaux adjacentes de Terre-Neuve-et-Labrador. Les pêches ont été fermées en 1992. Une certaine pêche limitée a été autorisée par la suite, à compter de 1997 à peu près. Toutefois, il n'y a pas de plan en oeuvre pour promouvoir activement la reconstitution de ces stocks jadis abondants. Un plan serait un bon point de départ.
Le comité a adopté comme principe ferme qu'il faut débloquer plus de fonds pour la recherche scientifique, particulièrement au sujet de la morue, mais également au sujet d'autres éléments de l'écosystème. En fait, il faudrait définir une approche à l'égard de l'écosystème et des multiples paliers de gestion des pêches dans l'Atlantique Nord- Ouest. Il nous faut plus de données et de meilleures données si nous voulons comprendre ce qui est arrivé à la morue et ce qu'il faut faire pour en rétablir les stocks.
Le comité a recommandé l'établissement par le premier ministre d'un groupe de travail sur le poisson de fond de l'Atlantique chargé d'enquêter sur ce qui est arrivé à la ressource de la morue qui a entraîné les mesures de 1992 et de formuler des recommandations relativement aux objectifs d'un programme de reconstitution des stocks.
En tant que dirigeants politiques de Terre-Neuve-et-Labrador, les membres du comité avaient la nette impression, tout comme la population d'ailleurs, que nous sommes aux prises avec un désastre écologique et économique d'une ampleur nationale et internationale dans l'Atlantique Nord-Ouest. On y portera l'attention qu'il mérite seulement si le plus haut niveau de gouvernement à Ottawa s'engage dans ce domaine de compétence fédérale. Le comité est d'avis que le premier ministre du Canada est le mieux placé pour le faire.
Le comité recommande que soit permise la pêche récréative uniquement si la pêche commerciale est illimitée. On a longtemps débattu de cette question. Il s'agit d'une question épineuse qui suscite de vives émotions et qui est délicate, sur le plan politique, à Terre-Neuve-et-Labrador. Là où les stocks de morue sont problématiques, le comité ne croit pas qu'il faille autoriser la pêche récréative pour diverses raisons, dont la moindre n'est pas les nombreuses questions que soulèvent le contrôle, la gestion et les erreurs de déclaration dans cette pêche.
Le comité recommande également que le Canada fasse rapidement la transition vers un système canadien de gestion des pêches de stocks chevauchants. J'ai mentionné tout à l'heure que la pêche étrangère de ces deux stocks sur le nez et la queue du Grand banc n'est pas un facteur déterminant. Vous vous rappellerez cependant la diapositive que je vous ai montrée, selon laquelle les pêcheurs étrangers avaient pris 810 000 tonnes métriques de morue du Nord en 1968. Si nous parvenions à reconstituer les stocks, les pêcheurs étrangers y gagneraient économiquement. Ils reviendraient pêcher la morue sur le nez et la queue du Grand banc. Il faut régler cette question tout de suite.
Le comité recommande de plus d'interdire la pêche au chalut de la crevette dans les zones où se regroupent les reproducteurs et les juvéniles de la morue. Voilà une recommandation qui n'est pas facile à faire parce que la pêche de la crevette représente un apport économique important à Terre-Neuve-et-Labrador. Par contre, on estime qu'il faut prendre toutes les mesures voulues pour protéger la morue.
Le comité estime qu'il faut que le MPO investisse davantage dans l'exécution des lois et règlements relatifs aux pêches. Il se pratique beaucoup de pêche illégale dans les eaux adjacentes de Terre-Neuve-et-Labrador, et elle est le fait à la fois de Canadiens et d'étrangers.
Le comité recommande que soit décrété un moratoire à l'égard de la pêche commerciale du capelan en raison des rapports qui existe entre celui-ci et la morue, dans l'écosystème. Le moratoire demeurerait en vigueur jusqu'à ce que nous ayons acquis une meilleure compréhension de ces rapports.
De plus, il faut que les gouvernements coopèrent pour voir s'il est possible d'étoffer les stocks. On en a fait l'essai dès la fin du XIXe siècle. Reste à savoir si c'est possible, mais le comité soutient qu'il faut étudier la question.
Il faut que les gouvernements coopèrent pour examiner si l'on ne pourrait pas avoir recours à l'établissement d'une zone spéciale, d'une zone de protection marine, pour aider à protéger et à reconstituer les stocks. Il faut que le gouvernement du Canada et Terre-Neuve-et-Labrador, en partenariat avec les industriels intéressés, améliorent les programmes d'information relatifs à la conservation qui sont destinés aux participants de l'industrie, aux pêcheurs professionnels et au grand public et qu'ils y investissent davantage.
Pour ce qui est des possibilités qui s'offrent à nous, le comité s'est concentré sur trois points. Le comité a l'intime conviction qu'il faut que les gouvernements poursuivent leur coopération visant à diversifier l'industrie de la pêche. À Terre-Neuve-et-Labrador, les efforts que nous avons déployés après 1992 en vue de développer une importante industrie de la crevette cuite et décortiquée et de faire la transition de la pêche du poisson de fond à celle des coquillages, surtout du crabe des neiges qui rapporte actuellement un demi-milliard de dollars par année à notre économie, ont connu beaucoup de succès.
Le comité comprend qu'il est très improbable qu'on autorise la prise de 300 ou de 400 tonnes métriques de poisson de fond à court terme. Il faut diversifier l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador, particulièrement son économie rurale, de manière à offrir des débouchés à ceux qui vivent de cette pêche.
Ensuite, il s'est arrêté à l'aquaculture. Le comité est convaincu que Terre-Neuve-et-Labrador offre de nombreuses possibilités de développement de l'aquaculture. Cette industrie relativement petite est en croissance. Ainsi, on pourrait parler de ces 500 travailleurs, en grande partie de la région de Baie d'Espoir sur la côte Sud, qui sont actuellement employés par l'industrie de l'aquaculture.
On parle à Terre-Neuve d'usines à poisson qui sont exploitées à raison de 420 heures par année. Une usine de St. Albans, sur la côte Sud, a pendant 39 semaines fait exclusivement de la transformation de saumon d'élevage. Si je ne m'abuse, seulement deux usines de transformation du poisson sauvage ont été exploitées pendant plus longtemps à Terre-Neuve-et-Labrador. Il faut se concentrer sur la morue. La capacité de R-D, l'expertise, la technologie et les connaissances existent à Terre-Neuve-et-Labrador, notamment à l'Université Memorial et au Marine Institute. Le secteur public scandinave, plus particulièrement le gouvernement de la Norvège, investit beaucoup dans l'aquaculture. Des personnes en provenance de ces pays sont à St. John's, Terre-Neuve, en ce monent même pour embaucher nos experts et acheter notre technologie. Si nous n'agissons pas rapidement, nous allons nous faire damer le pion.
Selon le comité, il faudrait accorder plus de poids aux relations commerciales dans le domaine du poisson et des fruits de mer, ce dont je vous ai déjà parlé. Il existe de nombreuses possibilités de bâtir une industrie plus forte et plus prospère, mais pour cela, il faut que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international insiste beaucoup plus sur cette question, particulièrement au moment où débute le nouveau cycle de négociation de l'OMC. Il faut absolument régler la question des barrières tarifaires et autres obstacles qui existent sur les grands marchés si nous désirons maximiser l'avantage économique tiré de ces ressources.
Je vous remercie de m'avoir écouté et je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.
Le président: Nous nous sommes écartés un peu de la procédure habituelle. Normalement, nous ne répondons pas immédiatement à ceux qui nous demandent de prendre position en tant que comité. Toutefois, il s'agit d'un cas très différent aujourd'hui. Nous examinons cette question depuis plusieurs mois. Bon nombre d'entre nous commencent à mieux maîtriser le sujet et à mieux comprendre les enjeux. Je sais que certains membres du comité — surout les sénateurs Cook et Cochrane — ont consacré beaucoup d'heures à étudier le dossier. Notre but ce soir est donc de persuader les membres du comité d'adopter une motion d'appui ou de rejet, en tout ou en partie, de la position énoncée par le comité composé de représentants de tous les partis.
J'ai demandé à M. Emery d'examiner les recommandations faites par ce comité pour voir s'il y aurait des incompatibilités entre sa position et les nôtres. Le sénateur Cook et moi-même avons fait la même chose pour nous assurer que, si nous adoptons les recommandations du comité composé de représentants de tous les partis, il n'y aura pas d'incohérences. Je crois pouvoir affirmer avec certitude, et le sénateur Cook sera probablement d'accord avec moi, qu'il n'y en a pas.
Cela étant dit, nous aimerions que la soirée se termine par une prise de position de la part du comité. Le Sénat siège ce soir, de sorte que nous allons passer tout de suite aux questions. Puis-je recommander que nous adoptions une motion appuyant la position du comité composé de représentants de tous les partis? Mes collègues sont-ils d'accord?
Le sénateur Cook: Je tiens à déclarer officiellement qu'à mon avis, le sous-ministre des Pêches et de l'Aquaculture de Terre-Neuve-et-Labrador est un des hommes les plus professionnels et les plus patients qu'il m'ait été donné de rencontrer, sans parler de sa sagesse. Voilà un excellent rapport et, comme le sait le sénateur Cochrane, nous n'avions qu'une seule pensée, soit de représenter le point de vue de notre population et de présenter un document que pourrait examiner de manière responsable le ministère des Pêches et des Océans. C'est ce que reflète le rapport. Oui, il reste de nombreuses questions auxquelles nous n'avons pas la réponse, notamment sur le plan scientifique. Ce n'est pas le genre de rapport dont on peut retenir ce qui nous plaît et écarter le reste. Un point s'enchaîne sur un autre. L'édifice a été bâti une brique à la fois, mais si l'on en retire une, c'est tout le bâtiment qui s'écroule.
J'aimerais que les membres du comité présentent une résolution à l'appui de cette initiative. Ma requête, à laquelle souscrivent les sénateurs Rompkey et Cochrane, vous sera communiquée dans une demi-heure. Nous demandons du soutien. Le président de ce comité est en faveur d'une résolution, ce qui est merveilleux, mais chacun de nous exprimera à sa façon ce qu'il ressent profondément. Nous devrions trouver, avec le gouvernement fédéral, une solution qui avantagera les plus touchés.
Le président: J'imagine que cela équivaut à un «oui» très fort en faveur de la résolution.
Le sénateur Cook: Effectivement.
Le sénateur Cochrane: Monsieur le président, en regardant l'heure, je me suis rappelée que nous devrons être en chambre à huit heures. Est-ce exact?
Le président: Ce matin, en prévision de la rencontre de ce soir avec M. Samson, j'ai demandé la permission de nous réunir pendant que le Sénat siégerait, au cas où notre rencontre se prolongerait, permettant ainsi aux membres du comité d'arriver plus tard à la séance du Sénat. Ma demande a été acceptée.
Le sénateur Cochrane: Monsieur Samson, je m'associe aux propos tenus par le sénateur Cook au sujet des efforts que vous avez déployés en la matière, et votre déclaration me satisfait.
Ma question concerne M. Art May, qui a récemment comparu devant ce comité à titre de membre du Newfoundland and Labrador Advisory Council on Foreign Overfishing. Il a dit, et je le cite:
Le concept de gestion axée sur la conservation proposé par Terre-Neuve-et-Labrador, en particulier, pourrait très bien fonctionner. Une entité, le Canada, assurerait la gestion au nom de tous. Il existe une autre solution à laquelle, je crois, on n'a pas pensé, mais dont on pourrait débattre, à savoir que l'OPANO elle-même joue ce rôle de gardien si un pays donné refusait que ses navires soient arrêtés par un autre pays.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de la proposition de M. May voulant que l'OPANO agisse comme gardien. Est- ce une approche viable pour le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador?
M. Samson: Oui, j'imagine que c'est faisable. Le problème, c'est que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador n'est toujours pas convaincu que l'objectif des membres de l'OPANO — c'est-à-dire des pays qui constituent l'organisation — soit la mise en place de mesures de conservation responsables. De manière générale, Terre-Neuve-et- Labrador considère que les 17 ou 18 pays membres de l'OPANO se sont rassemblés dans un seul but: celui d'avoir accès aux ressources halieutiques. Pour la province, il n'y a pas et il n'y a jamais eu dans l'histoire de pays préoccupés par les mesures de conservation et les problèmes connexes qui soient véritablement prêts à assurer efficacement un rôle de gardien.
Comme l'a dit M. May, la province estime que c'est au gouvernement du Canada d'assurer la protection des stocks chevauchants. Toutefois, la position mise de l'avant par le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador n'empêche pas l'OPANO de jouer un rôle dans le régime de gestion axée sur la conservation des stocks. Nous tentons d'expliquer notre conception de la gestion axée sur la conservation des stocks en la présentant comme une redéfinition du rôle et des responsabilités du Canada, en tant qu'État côtier, et de l'OPANO, en tant qu'organisation régionale de gestion des pêches. L'OPANO continuerait de faire des choses, mais le Canada aurait davantage d'attributions qu'il n'en a actuellement. Je ne sais pas si c'est utile.
Le sénateur Cochrane: J'ai déjà entendu cet argument. Permettez-moi d'exprimer un autre point de vue. Certains des témoins qui ont comparu sont opposés à l'approche proposée en matière de gestion axée sur la conservation. Parmi eux, il y a M. Robert Hage, qui est directeur à la Direction des Institutions européennes du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Selon lui, la gestion axée sur la conservation n'est autre qu'un élargissement déguisé de la compétence du Canada. Comme l'indique la réponse du gouvernement au rapport du comité permanent, ce n'est pas dans l'intérêt du Canada d'élargir unilatéralement sa compétence. Il a ajouté qu'on n'y était pas du tout favorable.
Qu'en pensez-vous? Que répondriez-vous à ce monsieur?
M. Samson: Ma réponse, et probablement celle du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, est que l'approche proposée par ce gouvernement en matière de gestion axée sur la conservation est conforme au droit international actuel. Toutefois, il convient de rechercher un consensus international afin de bien cibler les raisons pour lesquelles on veut agir. Tout dépend de l'optique dans laquelle on se place car il y a une distinction très subtile entre ce que certains considèrent comme «une gestion axée sur la conservation» et ce que d'autres voient comme «un élargissement unilatéral de la compétence». Cet unilatéralisme n'est peut-être pas nécessaire.
L'un des grands problèmes auquel est confronté le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador est le refus catégorique d'agir du gouvernement du Canada, du ministère des Pêches et des Océans et du ministère des Affaires étrangères, ne serait-ce que pour faire progresser les discussions au sein de la communauté internationale. Nous reconnaissons qu'il faudra sans doute modifier certaines dispositions du droit international et que nous aurons besoin de temps pour rallier les différents pays concernés autour d'une nouvelle approche. Ce que nous disons, c'est que les 3 milles sont devenus 12 milles puis 200 milles. Cela a pris du temps, mais il a suffi que quelqu'un se décide à prendre le taureau par les cornes, commence à monter un dossier et défende la cause à l'échelle internationale pour que ça change. Le refus catégorique du gouvernement du Canada, qui considère cette approche incorrecte ou inappropriée, est absolument inacceptable pour le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Cochrane: Je ne vois pas pourquoi il s'y oppose puisque la gestion axée sur la conservation est une question à laquelle le secteur des pêches de Terre-Neuve s'intéresse depuis très longtemps. C'est très curieux que les discussions aient piétiné pendant des années.
M. Samson: Le gouvernement du Canada a miné tous les efforts et toutes les tentatives du gouvernement de Terre- Neuve-et-Labrador et de l'industrie destinés à s'orienter dans cette voie. Selon le gouvernement de cette province, cela tient tout simplement au fait que ces questions empiètent sur le programme du gouvernement fédéral en matière de politique étrangère. Par exemple, entretenir des relations harmonieuses avec l'Union européenne est plus important, aux yeux du gouvernement du Canada, dans le contexte de sa politique étrangère, que de défendre toute une série d'intérêts des provinces, comme les ressources halieutiques dans les eaux limitrophes de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le problème, c'est le manque de volonté du fédéral d'en faire une priorité nationale car, si cela devait arriver, il faudrait défendre sa position sur la scène internationale.
Le sénateur Cochrane: Monsieur Alastair O'Reilly, du Newfoundland Provincial Advisory Council on Foreign Overfishing a comparu devant notre comité. Il a dit que le problème auquel nous étions confrontés à l'extérieur de la limite des 200 milles marins n'avait rien à voir avec l'évaluation des stocks. Il s'agit essentiellement d'un problème d'application des lois dont doivent s'occuper les instances réglementaires et les autorités compétentes. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Que peut-on faire, et que voudraient les provinces, pour régler les problèmes réglementaires et de compétence?
M. Samson: Pour la province, et je suis d'accord avec M. O'Reilly dans son analyse de la situation, lorsque vous sortez de la limite des 200 milles marins, vous vous retrouvez dans les eaux internationales et vous êtes assujetti au cadre juridique de la pêche en haute mer. Les questions de souveraineté nationale et le rôle des États du pavillon entrent en jeu. À l'extérieur de la limite des 200 milles, c'est chacun pour soi. Les seuls qui peuvent contrôler les navires sont les États du pavillon. D'après ce que l'on a pu observer dans la région du nez et de la queue des Grands Bancs, ces pays ont peu ou pas intérêt à contrôler les activités de leur flotte de navires.
De l'avis de Terre-Neuve-et-Labrador, il faudrait un changement significatif du droit international pour permettre aux navires canadiens, par exemple, d'appliquer les règlements sur les pêches à l'extérieur de la zone des 200 milles marins, c'est-à-dire en haute mer. Par conséquent, en l'absence d'un consensus permettant au Canada d'assurer la gestion des stocks chevauchants et d'établir, en consultation avec l'OPANO, les règles encadrant le secteur des pêches, et autorisant le Canada ou n'importe quel autre pays membre de l'OPANO à faire appliquer ces règles à l'extérieur de la limite des 200 milles marins, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador estime que les membres raisonnables de l'OPANO devraient s'entendre dans le meilleur intérêt de la conservation des ressources.
Le sénateur Cochrane: Même si elles n'en ont pas.
Merci. Je suis très contente que vous ayez répondu car je voulais précisément avoir votre point de vue.
Le sénateur Adams: Vous avez dit que 4 400 employés travaillant dans les usines de transformation du poisson se retrouvaient à la rue, je crois. Ces pertes d'emploi sont-elles attribuables aux mêmes raisons que celles qui ont frappé le secteur des pêches en 1992? Tiennent-elles à l'effondrement des stocks de morue?
M. Samson: Si j'ai bien compris votre question, je répondrais que l'incidence immédiate de ce qui est arrivé en 1992 à Terre-Neuve-et-Labrador est que le nombre d'usines de traitement du poisson est tombé de 225 à 125. Le nombre de travailleurs est passé de plus de 30 000 à environ 15 000, et le nombre de pêcheurs professionnels a diminué d'environ 3 000 pendant la même période. Les répercussions des fermetures dont nous parlons actuellement s'ajoutent à celles connues en 1992, année au cours de laquelle 20 000 personnes avaient perdu leur emploi dans le secteur des pêches à Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Adams: Qu'est-il advenu de ces 20 000 personnes? Certaines ont-elles retrouvé du travail? J'étais dans la province il y a deux semaines, et il semble que le niveau des prises soit plus important. Actuellement, on peut pêcher le crabe des neiges et d'autres ressources. Sont-ce les mêmes qui retournent au travail aujourd'hui? Que se passe-t-il?
M. Samson: Après 1992, beaucoup de gens ont complètement abandonné la pêche. Ils se sont mis à travailler dans d'autres secteurs, ils se sont recyclés ou ont quitté la province, par exemple. Ceux qui sont restés et qui étaient tributaires du poisson de fond sont maintenant très dépendants du crabe des neiges et aussi, de plus en plus, de la crevette. Toutefois, étant donné la situation géographique, l'emplacement de la ressource et le type de tessure utilisée, il y a encore un groupe de personnes très dépendantes de la morue. C'est d'elles dont on parle.
Le sénateur Adams: Vous avez dit qu'il fallait faire davantage de recherche. Est-ce que le ministère des Pêches et des Océans entreprend de nouvelles études pour savoir comment évolue la morue, si les stocks vont se reconstituer ou pas? Vous a-t-il communiqué des statistiques depuis que vous avez cessé de pêcher la morue? Est-ce qu'elle revient?
M. Samson: D'après ce que nous avons constaté, les efforts du ministère des Pêches et des Océans en matière scientifique s'amenuisent au fil du temps. Nous avons observé une réduction des ressources disponibles pour réaliser le type d'étude sur la morue que nous estimons nécessaire.
Le sénateur Adams: Qu'en est-il des phoques? Vous avez parlé de la chasse au phoque. Est-elle bonne pour l'emploi? Je pense que les quotas étaient établis à environ 180 000 têtes par année. Ont-ils augmenté ou sont-ils demeurés inchangés?
M. Samson: Le nouveau plan de gestion triennal annoncé par le gouvernement fédéral il y a quelques mois permettra de capturer 975 000 phoques du Groenland sur trois ans, à raison d'un maximum de 350 000 bêtes par année. Les scientifiques disent qu'il naît tous les ans entre 500 000 et 700 000 bébés phoques. Par conséquent, la situation ne changera pas beaucoup. Le plan de gestion actuel n'entraînera pas de diminution du troupeau. Jusqu'à présent, on évalue à environ deux millions le nombre de phoques du Groenland. Lorsque la chasse au phoque a cessé, à la suite des protestations des mouvements de protection des droits des animaux et de Greenpeace...
Le sénateur Mahovlich: En quelle année était-ce?
M. Samson: C'était à la fin des années 70, en 78 ou 79 — nous avons observé un accroissement rapide de la population de phoques du Groenland.
Le sénateur Adams: Actuellement, combien faut-il de chasseurs pour capturer 300 000 phoques par année? Est-ce une grande compagnie équipée de gros navires qui fait le travail ou bien de simples pêcheurs sur la glace? Les gens qui possèdent un bateau de 40 ou 60 pieds peuvent-ils chasser le phoque?
M. Samson: De nos jours, la chasse au phoque se fait surtout sur la terre ferme. Il n'y a plus de gros navires qui participent à cette chasse. Généralement, les pêcheurs utilisent des bateaux de pêche côtière de 65 pieds ou moins et ils rentrent chez après leur journée de travail.
L'année dernière a été très bonne en raison du prix record des peaux. On dit que sur les quais de Terre-Neuve, les peaux de première qualité se négociaient entre 90 et 100 $ l'unité. C'était donc une année extraordinaire. Le marché de la fourrure a repris de la vigueur et nous entrevoyons certains débouchés, particulièrement grâce à l'huile de phoque et à l'acide gras oméga 3. Les phoques offrent un grand potentiel.
Nous devons aussi nous intéresser à la viande car c'est une source de protéines extrêmement riche, mais il faut trouver une façon de l'apprêter qui lui donnerait un goût agréable. Nous mangeons du phoque à Terre-Neuve-et- Labrador, mais bien des gens n'aiment pas sa saveur.
Le sénateur Adams: J'en mange très souvent.
Le sénateur Mahovlich: Ce n'est pas très populaire dans la partie continentale.
M. Samson: C'est exact, mais ça l'est dans certaines régions d'Asie.
Le sénateur Hubley: Merci pour votre exposé. Dans plusieurs des diapositives présentées, vous avez parlé de données, d'études ou de recherches scientifiques. Je crois que l'incertitude scientifique figure en tête de liste de vos problèmes. Que pensez-vous de toutes les études qui ont été réalisées jusqu'à présent? Ont-elles été utiles? D'après ce que j'ai compris, elles n'ont pas résolu les problèmes; mais pour quel type d'études scientifiques opteriez-vous, à la lumière du rapport du comité omnipartite?
M. Samson: Il est clair que le comité considère que le Canada doit entreprendre d'importantes recherches axées sur l'écosystème dans la région de l'Atlantique Nord-Ouest afin de déterminer les aspects fondamentaux de la relation entre la morue, le capelan et les phoques. Ce que nous avons observé au cours des dix dernières années dans les eaux bordant Terre-Neuve-et-Labrador est absolument incroyable. Des eaux qui jadis regorgeaient de poisson de fond, essentiellement de morue, foisonnent maintenant de mollusques et de crustacés. La population de crabes des neiges a fortement augmenté et celle des crevettes explose. Cela semble presque sans limite. Il convient de signaler toutefois qu'aucune ressource halieutique n'est illimitée. Cependant, quelque chose s'est produit dans l'écosystème pour remplacer la morue par les mollusques et les crustacés, surtout des crevettes, et nous ne savons pas quoi.
Dans les sciences halieutiques — et le Canada utilise encore ces méthodes de manière très répandue —, on gère la morue, la crevette et le capelan comme des espèces uniques, et personne ne s'intéresse à la relation entre elles dans l'écosystème. Pour savoir vraiment ce qui a causé l'effondrement des stocks de morue dans l'Atlantique Nord-Ouest, il faut adopter ce type d'approche globale.
La pêche a certainement joué un rôle important — de manière générale, les gens s'entendent là-dessus —, tout comme les phoques. Mais, quel est l'effet du réchauffement de la planète et de la fonte de la calotte glacière? Tous ces facteurs agissent sur l'évolution de l'écosystème. Pourtant, nous continuons d'étudier la morue et le crabe des neiges sans tenir compte de ces éléments, sans comprendre ni évaluer comment ces espèces interagissent. Voilà, selon le comité, le type de recherches à entreprendre.
Le sénateur Hubley: La façon dont on a étudié la morue, les phoques et le capelan par le passé correspondait aux méthodes de l'époque. Je pense que cela a changé dans beaucoup de domaines et nous devons revoir le système dans son ensemble.
Cela fait-il partie des travaux que mène le centre maritime de l'Université Memorial? Celui-ci a-t-il pour mandat d'examiner l'interaction entre les espèces et pourquoi certaines ressources semblent dépérir alors que d'autres croissent?
M. Samson: M. George Rose et son équipe de l'Université Memorial réalisent des études de cette nature et dans cette perspective. M. Rose a parlé longuement devant le comité de la relation entre le capelan, le phoque et la morue. Néanmoins, il faut se rendre à l'évidence que les sciences halieutiques sont très coûteuses.
Il faut des bateaux, des équipages, des laboratoires, des technologues et des docteurs en sciences. Le gouvernement du Canada et le ministère des Pêches et des Océans disposent de ces ressources. Les universités ne peuvent travailler que si elles en ont les moyens. Cela fait partie du défi à relever.
Le sénateur Hubley: Quelle est la contribution de l'industrie du phoque à l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador?
M. Samson: Je n'ai pas les chiffres en mains.
Le sénateur Hubley: Donnez-nous une idée globale.
M. Samson: Je pense que l'année dernière la chasse au phoque a probablement rapporté 20 millions de dollars. Si c'est la valeur au débarquement, cela représente 20 millions sur 500 millions.
Le sénateur Cook: Je vais être plus franche que notre collègue de Terre-Neuve. On a bien dit que les méthodes scientifiques étaient inadéquates. C'est bien le problème. On ne fait pas de la science. Les compressions budgétaires dont a souffert le service scientifique du ministère des Pêches et des Océans au cours des dernières années se sont traduites par une diminution des infrastructures.
Ce que peuvent faire l'Université Memorial et le Marine Institute n'est que très sommaire. Ce n'est pas assez pour déterminer les causes et trouver les solutions.
Vous avez dit que les méthodes scientifiques utilisées étaient inadéquates. Le sous-ministre pourra me faire un signe de tête si j'ai raison. Les compressions nous ont frappés de plein fouet et nous n'avons ni le financement ni les infrastructures pour travailler.
Le président: Permettez-moi de préciser que le sous-ministre vient de hocher la tête.
Le sénateur Hubley: Il sera difficile d'élaborer une politique sur la pêche si nous ne disposons pas de cette information. Je suis ravie que vous ayez soulevé le problème.
Le sénateur Cook: Si vous aviez examiné le budget présenté au Sénat cet après-midi, vous auriez pu voir les mesures d'austérité appliquées au ministère des Pêches et des Océans. Il y a un paragraphe mis en évidence sur lequel vous devriez vous concentrer.
Le sénateur Mahovlich: Je constate que le gouvernement ne donne qu'environ 3 millions de dollars à l'Université de la Colombie-Britannique pour mener des études sur la pêche, alors qu'il octroie 135 millions de dollars aux universités et collèges en agriculture et en sciences vétérinaires partout au Canada.
Quelle est la part totale du financement que le gouvernement s'est engagé à verser aux écoles de Terre-Neuve et au Marine Institute pour la réalisation d'études?
M. Samson: Je n'ai pas les chiffres exacts pour le secteur des pêches, mais c'est un très petit montant. À l'Université Memorial, M. George Rose, qui dirige le Département de conservation des ressources halieutiques, travaille dans le cadre d'un partenariat entre le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador et le ministère des Pêches et des Océans grâce auquel il obtient une contribution en nature qui lui permet d'avoir du temps-navire. En outre, M. Rose reçoit du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador une enveloppe de 300 000 $ par année. FPI, Fisheries Products International, une entreprise du secteur privé, l'aide aussi financièrement.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce significatif?
M. Samson: Pas du tout.
Le sénateur Mahovlich: Cela représente très peu d'argent par rapport à ce que dépense le gouvernement pour l'agriculture.
M. Samson: Absolument. Le budget du ministère des Pêches et des Océans pour la région de Terre-Neuve, y compris celui consacré à la Garde côtière, tourne autour de 170 millions. Avec cet argent, le ministère brise les glaces, assure la surveillance aérienne et tout le reste. Outre ces nombreuses activités, le ministère des Pêches et des Océans effectue des recherches scientifiques, conformément à son mandat de base dans la région de Terre-Neuve-et-Labrador, mais c'est minime.
Le sénateur Mahovlich: Pourtant, bien des questions restent sans réponses.
M. Samson: Oui.
Le sénateur Mahovlich: Vous avez dit que des Norvégiens s'étaient établis à Terre-Neuve. S'agit-il d'entreprises privées ou publiques?
M. Samson: Ce sont des entreprises privées. Des sociétés norvégiennes ont investi dans l'aquaculture à Terre-Neuve- et-Labrador, plus particulièrement dans l'industrie du saumon.
En Scandinavie, l'État a fait d'importants investissements dans le secteur de la morue. Le gouvernement de Norvège a établi un programme en vertu duquel un certain pourcentage des revenus tirés du pétrole exploité en haute mer doit être investi dans l'aquaculture. C'est un mécanisme qui permet de redistribuer la richesse d'un secteur de l'économie à un autre pour soutenir les communautés rurales.
Vous dites que les investissements du secteur privé en Norvège se mesurent en dizaines si ce n'est en centaines de millions de dollars.
Le sénateur Mahovlich: Ce n'est pas un mauvais système.
Le président: Je vous remercie beaucoup. Nous allons passer à la résolution. Je vais demander au greffier de rédiger une ébauche de résolution que nous examinerons.
Si nous adoptons une résolution de ce type, nous devrons la présenter au Sénat sous forme de rapport. Autrement dit, ce serait un rapport intérimaire qui figurerait au Feuilleton, de sorte que n'importe lequel d'entre nous pourrait faire ses commentaires une fois le rapport déposé.
Actuellement, le texte est présenté sous forme de motion ou de résolution, mais il sera très facile de le modifier pour en faire un rapport intérimaire. Je vous donnerai l'occasion de le lire.
Étant donné que j'ai proposé que ce document prenne la forme d'un rapport, je recommande que nous poursuivions nos travaux à huis clos, comme nous le ferions pour n'importe quel rapport.
La séance continue à huis clos.