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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des 
Pêches et des océans

Fascicule 5 - Témoignages du 29 avril 2003


OTTAWA, le mardi 29 avril 2003

Le Comité sénatorial permanent des pêches et océans se réunit aujourd'hui à 19 h 09 pour examiner, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous accueillons ce soir Patrick McGuinness, du Conseil canadien des pêches.

Je n'ai pas l'intention de lire votre biographie, monsieur McGuinness, parce que tout le monde vous connaît bien grâce aux nombreuses fois où vous avez comparu devant le comité. Peut-être pourriez-vous simplement nous parler brièvement de votre collègue, le professeur Douglas Johnston. Si je ne m'abuse, c'est la première fois qu'il comparaît devant le comité. Bienvenue. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir accueillir ce soir deux personnes si expertes en la matière que nous examinons.

M. Patrick McGuinness, vice-président, Conseil canadien des pêches: Le Conseil canadien des pêches est toujours très heureux de comparaître devant le comité pour exprimer les vues de ses membres. Je suis d'autant plus heureux d'être parmi vous ce soir, puisque je suis accompagné de mon collègue, le professeur Douglas Johnston.

Je vais faire une petite introduction en essayant de vous donner un peu le contexte des remarques que nous allons faire ce soir. Tout d'abord, le Conseil canadien des pêches est une association commerciale. Nous représentons environ 130 entreprises qui élèvent, récoltent et transforment les produits du poisson et de la mer dans l'ensemble du Canada. Nos compagnies membres se trouvent au Canada atlantique, en Colombie-Britannique, en Ontario, au Québec et au Nunavut.

La question que nous examinons ce soir — les stocks chevauchants — constitue depuis de nombreuses années une grande priorité pour notre Conseil. Elle revêt une importance clé, notamment au Canada atlantique. Nous nous sommes prononcés sur la question pour la première fois en 1987, au moment de publier un rapport interne intitulé «Foreign Overfishing: A Strategy for Canada». L'idée de ce document était d'essayer d'élaborer une stratégie à long terme visant à la fois le gouvernement du Canada et un certain nombre de provinces clés. Ces provinces clés sont pour le moment Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse et, jusqu'à un certain point, le Nouveau-Brunswick. À un certain moment, lorsque les stocks étaient plus abondants, le Québec avait également certaines aspirations en ce qui concerne les stocks chevauchants.

En 1990, au sein de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest, soit l'OPANO, l'Union européenne s'est opposée de façon répétée et même systématique aux décisions majoritaires prises par l'OPANO concernant la conservation des stocks chevauchants. L'Union européenne se contentait à chaque fois de rejeter ces décisions majoritaires et d'établir unilatéralement ses propres contingents. Voilà qui a vraiment commencé à déstabiliser l'OPANO. À ce moment-là, nous avons conclu un marché avec l'Institut canadien des océans (l'ICO), situé à l'Université Dalhousie, pour élaborer un rapport intitulé «Managing Fisheries Resources Beyond 200 Miles: Canada's Options to Protect North Atlantic Straddling Stocks».

Il s'agit d'un excellent document qui fait l'historique de l'évolution du droit international dans le domaine des pêches. Ce dernier précise, entre autres, que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, l'UNCLOS, était un peu comme un livre dont il manque le dernier chapitre. Et ce dernier chapitre manquant concerne le fait que l'UNCLOS ne prévoit rien de concret en ce qui concerne la gestion et la conservation des stocks chevauchants.

C'est parce que le Canada a reconnu la gravité de cette lacune et, jusqu'à un certain point, l'importance des recommandations que présentait ce document qu'il a décidé de mener une campagne pour que soit élaborée l'Entente des Nations Unies sur les pêches (l'ENUP), entente qui précise les modalités d'application de l'UNCLOS en ce qui concerne les stocks chevauchants et les stocks de poissons grands migrateurs.

C'est grâce à ce document pionnier, jusqu'à un certain point, que nous avons pu commencer à progresser, si bien qu'au milieu des années 90, nous croyions, au Canada, que la situation serait bien en main grâce à la conclusion de l'ENUP.

Bien sûr, nous n'avons pas cessé notre travail à cause de ce document. D'ailleurs, nous avons récemment commandé un autre rapport à la Faculté de droit de l'Université Dalhousie en raison d'un certain nombre de situations au sein de l'Organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest, l'OPANO.

Deux réunions importantes ont eu lieu: la première, en février 2002 à Helsinger, au Danemark, et une réunion en septembre 2002 à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne. Lors de ces deux réunions, l'OPANO a rejeté des mesures de conservation clés que le Canada jugeait tout à fait essentielles pour la conservation des stocks de turbot ou de flétan noir. On se rendait compte que la surpêche et la récolte de stocks faisant l'objet d'un moratoire redevenaient une habitude pour les flottilles de pêche étrangères.

À la suite de ces réunions, il y a eu beaucoup de débats et surtout beaucoup de désaccord entre les provinces concernées, notamment au Canada atlantique, et le gouvernement fédéral pour ce qui est du rôle du ministère des Pêches et des Océans et de l'industrie. Au Conseil canadien des pêches, nous avons organisé une réunion du conseil d'administration afin de voir ce que nous pourrions faire. Nous nous sommes demandé s'il serait possible de faire plus pour mettre en relief cette question importante. Il a donc été proposé qu'un groupe universitaire indépendant, c'est-à- dire une tierce partie comme l'École de droit de l'Université Dalhousie, soit chargée de faire une analyse complète des enjeux et des difficultés et de définir un certain nombre d'options qui pourraient constituer le fondement d'une stratégie. Notre seul objectif consistait à rassembler les parties pour voir si l'industrie et les gouvernements du Canada, de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse pourraient s'entendre sur les éléments à retenir pour d'éventuelles stratégies à court terme, à moyen terme et à long terme.

Heureusement, cette démarche a reçu l'appui des parties. Nous avons obtenu du soutien financier et des engagements de la part du ministère des Pêches et des Océans, du ministère des Pêches de Terre-Neuve-et-Labrador, et de la Nouvelle-Écosse.

C'est nous qui avons essentiellement établi les conditions du contrat. Le professeur Johnston et ses collègues de la Faculté de droit de l'Université Dalhousie ont travaillé avec un comité directeur, composé de membres du Conseil canadien des pêches, y compris de membres de la province où réside votre président et dont il est originaire, et de représentants des gouvernements de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve et du ministère des Pêches et des Océans. Nous sommes en train de mettre la dernière main à ce rapport, qui devrait être publié au mois de mai.

Une fois que ce rapport sera public, l'étape suivante consistera à s'en servir comme document de base pour une table ronde organisée par le ministre Thibeault du ministère des Pêches et des Océans sur l'amélioration des mesures de conservation et de gestion des stocks chevauchants. Dans le cadre de cette table ronde, qui réunit des représentants de l'industrie, des experts en droit, des membres des collectivités concernées et des gens de diverses provinces, des consultations ont commencé à se tenir en février 2003, et se poursuivront en juin et pendant tout l'été.

Nous espérons que le résultat de ces discussions sera une position commune sur les stocks chevauchants par rapport à notre stratégie à court terme, à moyen terme et à long terme.

Voilà donc le contexte dans lequel le Conseil canadien des pêches poursuit ses activités. Nous avons cherché dans ce cas à jouer le rôle de facilitateur.

Nous avons pu bénéficier de la contribution d'un certain nombre d'excellents enquêteurs et chercheurs universitaires qui ont accepté non seulement de faire une étude universitaire sur la question, mais de travailler avec les représentants des industries et des gouvernements concernés pour élaborer ce rapport.

L'une des trois personnes qui ont apporté la plus grande contribution à cette étude est la personne qui m'accompagne ce soir, soit le professeur Douglas Johnston. C'est un expert en droit international qui est très respecté dans le monde entier. Il a pris l'initiative d'organiser des séances de discussion pour examiner certaines questions juridiques ainsi que des idées nouvelles. Il est actuellement professeur émérite de droit à l'Université de Victoria. Il est également professeur adjoint de droit à l'Université Dalhousie. Le professeur Johnston va donc vous présenter un résumé de ses conclusions et de celles de ses collaborateurs et certaines des recommandations qu'il fera au Conseil canadien des pêches et aux gouvernements du Canada, de Terre-Neuve-et-Labrador, et de la Nouvelle-Écosse.

M. Douglas Johnston, représentant le Programme de droit de l'environnement marin, Université Dalhousie: Je suis très heureux de comparaître ce soir au nom de mes collègues. Vous aurez certainement remarqué mon accent écossais. Bien que j'ai vécu presque toute ma vie d'adulte au Canada, je n'ai jamais réussi à m'en débarrasser. J'espère que cela ne compromettra pas la bonne conduite de la réunion.

Le contexte dans lequel nous nous réunissons ce soir est évidemment assez décourageant, vu les difficultés qui continuent de se poser sur le plan de la pêche hauturière. Il convient peut-être de se rappeler que bon nombre des problèmes liés aux pêches dans l'est du Canada surgissent à l'intérieur de la zone relevant de notre compétence nationale. En fait, la majeure partie du poisson que nous récoltons vient de cette zone. Mais les stocks chevauchants qui migrent vers la haute mer revêtent également une grande importance pour le Canada, et il n'est donc guère approprié de sous-estimer la valeur des stocks se trouvant à la périphérie des Grands Bancs.

Peut-être avez-vous déjà reçu une copie du document présentant les grandes lignes de mon exposé de ce soir. Il vous donne une idée des questions que je voudrais essayer d'aborder rapidement au cours de la prochaine demi-heure dans l'espoir que certaines d'entre elles vous intéresseront plus que d'autres et donneront donc lieu à des questions ou des discussions plus approfondies.

Permettez-moi donc de commencer, comme l'indique mon document, par vous parler des problèmes que pose le système de l'OPANO. À cet égard, certaines observations préliminaires s'imposent. L'OPANO fait partie de ce groupe d'agences régionales de gestion des pêches, dont il existe un grand nombre dans le monde, qui ont vu le jour ou acquis une nouvelle vigueur lors de la création de la zone d'intérêt économique exclusive de 200 milles. C'était bien connu à l'époque, il y a une trentaine d'années, qu'il y aurait des conflits entre les États riverains et notamment l'État riverain le plus proche, d'une part, et les États pêcheurs éloignés qui correspondent aux autres membres de ces agences. Il n'est donc guère surprenant que nous nous heurtions maintenant à des difficultés qui sont un peu le propre d'organisations de ce genre.

Il est possible que certaines de ces difficultés ne puissent pas être réglées en l'absence d'une nouvelle démarche diplomatique relative aux pêches canadiennes.

L'Entente sur les stocks chevauchants dont vous parlait M. McGuinness, soit l'ENUP, est en train d'être ratifiée par les différents pays du monde. Au fur et à mesure que cette nouvelle entente internationale commencera à s'appliquer, les problèmes de mise en oeuvre qui surgiront concerneront surtout l'avenir de l'OPANO et des autres agences régionales de gestion des pêches.

Nous allons surtout parler de l'OPANO ce soir. L'OPANO fait partie d'une grande famille d'organisations. Ainsi le Canada et d'autres membres de l'OPANO ont peut-être l'occasion à présent de rencontrer les membres de ces autres organisations pour voir comment ces dernières pourraient organiser leurs activités dans le nouveau contexte de l'application de l'ENUP, et ce en vue de moderniser, d'actualiser et d'améliorer le fonctionnement de ces agences pour qu'elles soient plus efficaces.

La plupart des Canadiens que nous avons consultés dernièrement estiment que l'OPANO n'a pas vraiment donné de très bons résultats jusqu'à présent. Comment cela se fait-il? Est-ce possible que ce soit parce que ces agences — comme l'OPANO, par exemple — n'ont jamais eu la structure ou le mandat qui leur aurait fallu pour être efficaces? Le fait est qu'on n'a jamais investi dans aucune de ces organisations — ni l'OPANO, ni les autres — les ressources requises pour leur permettre de donner des résultats optimaux.

La documentation actuelle sur ces agences est pourtant claire et non ambiguë. Elles sont décentralisées à outrance. Leur capacité de fonctionner dépend entièrement du désir des principaux États membres d'y investir leurs ressources nationales. Les secrétariats de ces agences sont faibles, et n'ont essentiellement aucun pouvoir. Il s'agit d'organisations qui sont dirigées par les États membres, c'est-à-dire, si on veut être réaliste, par les États membres les plus puissants sur les plans politique et diplomatique.

Donc, si on veut vraiment faire preuve de réalisme, il faut admettre qu'il aurait été très surprenant que l'OPANO réponde aux attentes optimistes de certains relativement à son efficacité.

Dans le cas de l'OPANO, notamment, il est inévitable que sa performance soit moins qu'optimale en raison de la situation géopolitique et économique des pêches de l'Atlantique nord-ouest. Dernièrement, c'est-à-dire depuis la création de l'OPANO, qui a remplacé la Commission internationale des pêches de l'Atlantique nord-ouest, l'Union soviétique s'est effondrée, et plusieurs parties de l'Union soviétique, telles que les États baltes, sont devenues des États indépendants et donc des membres indépendants de l'OPANO. Ce changement est important du point de vue de l'actuelle inefficacité de l'OPANO, car autrefois l'Union soviétique était un État fortement discipliné, et le gouvernement central de l'Union soviétique à Moscou était alors en mesure d'imposer un degré assez élevé de discipline à ses flottilles de pêche. Quant à savoir s'il voulait toujours le faire, ça c'est une autre question. Mais il en avait la capacité, puisqu'il s'agissait d'un système politique communiste. Donc, depuis l'effondrement de l'Union soviétique, le comportement des gouvernements et des flottilles qui battent leur pavillon est maintenant moins discipliné qu'il ne l'était auparavant. La situation géopolitique a évolué.

La Russie, successeur de l'Union soviétique, représente en réalité l'un des États pêcheurs les plus disciplinés de tous ceux qui sont membres de l'OPANO. Ce n'est pas elle la grande coupable dans tout cela. À cela s'ajoute, du côté géopolitique, le fait que bon nombre ou même la grande majorité des ex-membres de l'Union soviétique, et plusieurs ex-membres du Pacte de Varsovie, comme la Pologne, qui sont à présent de vrais membres indépendants de l'OPANO, demandent à adhérer à l'Union européenne. Dans ce contexte, il n'est pas réaliste de s'attendre à ce qu'ils ne tiennent aucun compte des préférences bien arrêtées de l'Union européenne.

La question de savoir si cela risque de causer de graves ennuis diplomatiques au Canada à l'avenir, au fur et à mesure que ces états deviennent membres de l'Union européenne, est une question difficile que nous pourrions peut- être examiner tout à l'heure. Je pense que les deux points de vue se défendent. Mais un autre problème central pour l'OPANO est de nature économique. En réalité, si nous laissons de côté le Canada, l'Espagne et le Portugal, pour la plupart des autres membres de l'OPANO, l'enjeu économique des pêches de l'Atlantique nord-ouest n'est tout simplement pas suffisant pour justifier de gros investissements dans des opérations fort coûteuses de gestion et de conservation des pêches hauturières. S'agissant de l'équilibre avantages-coûts, disons que ces pays ne sont pas particulièrement motivés à investir dans tout ce qui peut concerner la conformité avec les mesures adoptées par l'OPANO.

Il est clair que nous ne pouvons agir sur la situation géopolitique. Il en va de même pour l'aspect économique des pêches de l'Atlantique nord-ouest. Par conséquent, le Canada devra faire preuve d'ingéniosité et peut-être même trouver des idées originales s'il souhaite exercer d'importantes pressions diplomatiques sur l'OPANO au cours des années qui viennent. Le Canada ne pourra sans doute pas y arriver tout seul. Il faudra trouver des façons ingénieuses d'obtenir l'appui d'États d'optique commune, d'abord au sein de l'OPANO, et pour certaines questions, au sein de la communauté internationale chez des non-membres de l'OPANO.

Voilà donc pour mes observations préliminaires. Permettez-moi maintenant de vous énumérer rapidement certaines des lacunes structurelles de l'OPANO.

On pourrait dire que la légitimité du système décisionnel est contestable.

Ce serait peut-être faire preuve d'un surcroît d'optimisme que de penser que le Canada peut encore influencer les décisions de l'OPANO. En réalité, le Canada a peut-être moins d'influence à l'heure actuelle qu'il ne l'avait autrefois. Premièrement, le Canada a peu de carottes — et peut-être pas du tout — à offrir aux autres membres de l'OPANO pour ce qui est d'autoriser l'accès aux stocks excédentaires et aux contingents que pourrait posséder le Canada, à l'intérieur ou à l'extérieur de la zone d'intérêt économique de 200 milles. Puisqu'il n'y a pour ainsi dire aucun stock excédentaire, le Canada n'a vraiment pas de carottes à offrir, comme il aurait pu le faire par le passé.

Pour ce qui est des bâtons — c'est-à-dire les sanctions qu'il pourrait imposer — refuser l'entrée aux ports canadiens ne constitue plus un moyen très efficace; une telle mesure n'influence aucunement l'Union européenne, et à peine un peu plus la plupart des autres membres de l'OPANO.

Pour le Canada, ce sera une tâche pénible d'essayer d'opérer des changements notables au sein de l'OPANO, mais notre rôle est de vous présenter toute la gamme des possibilités.

En ce qui concerne les pays qui ne sont pas parties à l'entente, il est possible, en théorie, que certains États aggravent le problème de la surexploitation de certains stocks à l'extérieur de la zone exclusive de 200 milles, tels que les stocks chevauchants se trouvant à la périphérie des Grands Bancs, et qu'il s'agisse d'États qui ne se sentent pas encore obligés de devenir membres de l'OPANO. Mais le droit international à cet égard est en pleine évolution, comme je vous l'expliquerai un peu plus tard.

Toutefois, le problème des États non parties diminuent. Les stocks qui pourraient les intéresser sur le plan commercial soit ne sont plus disponibles, soit sont moins intéressants d'un point de vue économique. Certains aiment attribuer l'atténuation du problème des États non parties au projet de loi C-29, qui apporte des modifications à la Loi sur la protection des pêcheries côtières. C'est peut-être vrai. Bien sûr, il est difficile de savoir si ces mesures législatives ont eu pour effet de décourager certains États de vouloir participer à ces pêches. Quant à savoir si le Canada devrait abroger cette loi, on pourrait se sentir obligé de le faire par la suite; nous pourrons en discuter tout à l'heure.

Troisièmement, bien que le système de répartition des contingents suscitait peut-être des controverses à un moment donné, cette question pose de moins en moins problème au sein de l'OPANO. L'application accrue de la politique des moratoires à l'égard de divers stocks, espèces et zones de l'Atlantique nord-ouest y est pour quelque chose et vise essentiellement à faire en sorte qu'on ne puisse plus formuler une telle critique à l'égard de l'OPANO.

Et qu'en est-il de la procédure d'opposition? Dans notre rapport, nous examinons en détail la nature de ce problème. Si les membres désirent revenir sur la question plus tard, nous pourrions alors examiner certains aspects de la procédure d'opposition de l'OPANO.

Bien que cette question continue de préoccuper le Canada, à savoir qu'il est possible que des minorités dissidentes qui sont membres de l'OPANO recourent à la procédure d'opposition pour contourner leurs obligations aux termes de la mesure adoptée par la majorité, cela se produit moins souvent que par le passé. Si je ne m'abuse, l'Union européenne n'a pas recours à la procédure d'opposition depuis 1991. Ce sont surtout d'ex-membres de l'Union soviétique, les États baltes, de même que l'Islande et le Danemark, pour certains stocks, qui ont eu recours à cette procédure dernièrement.

C'est quelque chose qui pourrait être une source d'inquiétude à l'avenir, si l'on donne foi à certains scénarios, selon lesquels ceci pourrait finir par nous nuire. Par conséquent, nous devrions peut-être, par esprit de réforme, chercher à améliorer ce système en faisant adopter par l'OPANO une série de lignes directrices officielles, peut-être de concert avec un mécanisme de règlement des différends, qui permettrait de tirer au clair les responsabilités des États qui exercent leur droit en vertu de la procédure d'opposition. Si cette question intéresse les membres du comité, nous pourrons peut-être revenir sur cet élément tout à l'heure, ainsi que sur la question du règlement des différends.

Passons maintenant à la question du besoin de modernisation. Il faut se rappeler que l'OPANO est une création des années 70. La situation en matière de pêches internationales et de droit international a beaucoup évolué depuis. L'impact des changements intervenus au cours des 30 dernières années a été presque révolutionnaire, tellement la situation a évolué rapidement. Donc, à partir de maintenant, toute analyse sérieuse de nos possibilités diplomatiques, responsabilités et droits, vis-à-vis des membres de l'OPANO, devra tenir compte de l'Entente sur les stocks chevauchants. À présent, les deux vont de pair, comme le sel et le poivre.

L'Entente sur les stocks chevauchants dont le Canada est signataire, comme le sont les États-Unis, d'ailleurs, représente une tentative pour combler les lacunes de la Convention sur le droit de la mer relativement aux stocks chevauchants. Nous pourrons explorer cette question plus en profondeur tout à l'heure.

Quand nous parlons de modernisation de l'OPANO, nous parlons le plus souvent de l'application par l'OPANO d'un certain nombre ou de la plupart des principes inscrits dans l'ENUP, mais qui ne figurent pas dans la convention originale de l'OPANO, ou encore, de l'incorporation d'une procédure d'observation ou d'autres dispositions de l'ENUP, soit en les y inscrivant directement, soit en amenant les États membres de l'OPANO à faire en sorte que leurs modalités de fonctionnement se conforment davantage aux attentes qu'a créées l'ENUP. Peut-être voudrons-nous revenir sur ce point plus tard.

Enfin, d'aucuns affirment — surtout dans les milieux scientifiques — que certaines des faiblesses de l'OPANO sont peut-être le fait d'information scientifique déficiente. Il semble que les avis soient partagés à cet égard; tout dépend de ses interlocuteurs. Peut-être qu'il y a trop peu de données fiables, ou les données disponibles ne sont peut-être pas appropriées, si bien qu'il existe différentes écoles de pensée chez les scientifiques, et sans aucun doute, des opinions qui diffèrent de celles des industries de pêche dont les gouvernements sont membres de l'OPANO, en ce qui concerne leurs attentes vis-à-vis des conseillers scientifiques. Je voudrais revenir sur ce point un peu plus tard.

Je voudrais maintenant vous parler brièvement des problèmes de non-observation — j'en viens au coeur du problème — et à cet égard, certains prétendent que le vrai problème n'est pas tellement causé par la structure de l'OPANO, bien que plusieurs membres de l'OPANO posent des problèmes de non-conformité vis-à-vis des obligations créées par la prise de décisions au sein de l'OPANO.

Commençons donc par parler des principes de base. En vertu de ce qu'on appelle le droit international général dans le domaine des pêches, la compétence continue de relever de l'État du pavillon. Cela est vrai pour tout ce qui concerne la pollution marine et pour les pêches en général aux termes du droit de la mer. De nos jours, la tradition de la primauté de l'État du pavillon en ce qui concerne le contrôle de questions comme l'observation se maintient. Tant que cette tradition de la primauté de l'État du pavillon continuera de prévaloir, il sera très difficile pour un pays comme le Canada, État membre de l'OPANO, de forcer les autres États du pavillon qui sont membres de l'OPANO à répondre aux attentes d'une organisation internationale comme l'OPANO. Autrement dit, l'OPANO, en tant qu'organisation internationale, n'a pas le pouvoir de forcer un État du pavillon à se conformer à certains règlements.

Par contre, la dominance actuelle de l'État du pavillon est remplacée de plus en plus par celle de l'État riverain ou de l'État du port dès lors qu'il s'agit de questions d'inspection, d'observation et d'application.

De plus, en ce qui concerne l'ENUP, soit l'Entente sur les stocks chevauchants actuellement en vigueur, une bonne partie des dispositions de cette dernière prévoit des responsabilités plus lourdes pour les États du pavillon que ne le laissent supposer les textes de la convention de l'OPANO. Nous sommes en période de transition. Pendant encore bien des années, les États membres continueront à reconnaître à l'unanimité que les États du pavillon possèdent toujours une sorte de rôle prioritaire, mais disons que ce rôle est de plus en plus contesté.

Il y a donc lieu d'espérer que les réformes qui sont attribuables à la piètre performance de certains États du pavillon en matière d'application et d'observation s'atténueront dans les années qui viennent, au fur et à mesure que la tradition de dominance des États du pavillon sera moins marquée.

En quoi donc consistent les problèmes de non-observation? Vous trouverez une liste des divers éléments dans notre rapport, mais pour que la situation soit bien claire ce soir, et pour que nous parlions tous des mêmes types de problèmes de non-observation, permettez-moi de vous en citer sept ou huit. Premièrement, il y a le problème de surexploitation des stocks, c'est-à-dire le dépassement des contingents fixés — ce genre de non-observation. Deuxièmement, l'exploitation d'espèces visées par un moratoire, c'est-à-dire d'espèces qui ont été désignées comme telles par suite d'un accord conclu au sein de l'OPANO. Troisièmement, le niveau élevé de prises accessoires, parce qu'il faut désormais supposer qu'en plus des captures fortuites d'espèces non ciblées qui sont prises dans les filets, il y a tout lieu de croire, malheureusement, que certains pêcheurs cherchent délibérément à prendre du poisson auquel ils n'ont pas droit. On soupçonne certains États de faire exprès de capturer d'autres espèces, pour contourner leurs obligations. L'utilisation d'attirail de pêche illégal est un autre exemple de non-observation. La représentation inexacte des prises constitue un autre problème, de même que le rejet à l'eau de prises indésirées et la capture de poissons juvéniles.

Il est bon de les énumérer, bien que toutes ces difficultés vous soient familières. Aucune d'entre elles n'est nouvelle, mais quand nous les voyons ensemble, nous constatons tout de suite les dimensions du problème. Certains qui examineraient cette liste de problèmes de non-observation seraient tentés de conclure que les modalités d'observation de l'OPANO sont insuffisantes si les difficultés qui se posent à cet égard sont à ce point importantes. Et le fait est que nous dépendons toujours des États du pavillon pour faire le suivi des plaintes de non-observation, et par conséquent, les conclusions que nous pouvons tirer à l'égard des moyens d'action de l'OPANO sont assez pessimistes.

Le programme des observateurs correspondait à une tentative pour remédier au problème de l'insuffisance des données permettant d'analyser le système. L'idée, c'était que chaque bateau détenant un permis de pêche dans les zones où se trouvent les stocks chevauchants devait avoir à bord une personne qui passerait son temps avec les membres de l'équipage pendant tout le voyage. Cette personne serait chargée de surveiller les opérations de pêche, et de s'assurer que les prises seraient bien inscrites, que l'attirail de pêche approprié sera utilisé et que les restrictions de contingent seraient respectées.

Mais trouver un moyen efficace de dévaluer le système des observateurs — qui permet d'obtenir de l'information sur laquelle les membres de l'OPANO sont censés agir — pose problème, étant donné les difficultés qu'on rencontre actuellement. La personne qui se trouve à bord du bateau — l'observateur — doit veiller 24 heures sur 24 pendant le nombre de semaines que le bateau se trouve en mer, ce qui est humainement impossible. De plus, certains ou peut-être même bon nombre de ces observateurs ne sont pas aussi neutres et indépendants qu'ils sont censés l'être en théorie. Des fois ils sont inscrits dans la liste des membres de l'équipage et on peut donc supposer qu'ils sont écartelés entre deux obligations, pour ainsi dire. Ce n'est pas ainsi que doit fonctionner un système d'observateur.

Les inspecteurs qui font ce travail, et qui sont surtout fournis par le Canada et l'Union européenne, si je ne m'abuse, montent de temps à autre à bord des bateaux pour rencontrer l'observateur. Ce qu'ils font dépend dans une très large mesure du degré de coopération qui existe entre l'observateur se trouvant à bord du bateau et les inspecteurs. Nombre des critiques formulées à cet égard concernent le fait que la coopération entre les observateurs, d'une part, et les inspecteurs, d'autre part, est loin d'être idéale.

Normalement, les rapports des observateurs ne sont jamais rédigés avant la fin du voyage. Et quand ils arrivent au port d'attache, le plus souvent il est trop tard pour assurer un bon suivi et intenter des poursuites si jamais les données laissent supposer qu'une telle ligne de conduite serait appropriée. De plus, les rapports d'observateurs sont admissibles en preuve pour les besoins de poursuites devant un tribunal canadien, mais non pour l'instant devant les tribunaux d'autres membres, comme les membres de l'Union européenne, ce qui prouve que le système des observateurs compte un certain nombre de défauts assez fondamentaux. Voilà donc quelques-unes des difficultés qui se posent, et nous voudrons peut-être examiner de plus près certaines d'entre elles tout à l'heure.

Deuxièmement, le cadre de l'UNCLOS, comme vous l'expliquait M. McGuinness dans son introduction, n'a plus beaucoup d'importance en ce qui concerne l'Organisation des pêches internationale, et notamment les stocks de poissons hauturiers, tels que les stocks chevauchants. Comme il vous l'a déjà expliqué, s'il en est ainsi, c'est parce que les dispositions de la Convention du droit de la mer relative aux pêches sont rédigées en termes vagues et peu énergiques et manquent de cohérence; de plus, elles ne traduisent pas la nouvelle approche de gestion des pêches internationales. Les limites considérables de cette convention doivent être examinées sous l'angle de l'ENUP, c'est-à- dire de cette entente sur les stocks chevauchants qui a été conclue dans le seul objectif de combler les lacunes des dispositions de la Convention du droit de la mer en matière de gestion des pêches. L'analyse canadienne doit évidemment tenir compte de ces deux instruments. Il est vrai que nous sommes signataire de l'ENUP et non pas de la Convention du droit de la mer, mais en ce qui concerne les dispositions de fond relatives aux responsabilités des États membres en matière de gestion des pêches internationales, c'est l'ENUP qui l'emporte de loin sur la Convention du droit de la mer. Les textes de cette dernière sont trop vagues pour servir de base à la définition des conditions de gestion de la pêche hauturière, si bien que le rôle critique de l'ENUP est désormais indiscutable.

Voilà qui soulève des questions concernant les avantages et les inconvénients de la ratification du point de vue des stocks chevauchants, et j'aurais d'autres commentaires à faire à cet égard tout à l'heure. Pour le moment, il y a d'autres raisons importantes de vouloir ratifier la Convention du droit de la mer qui ne sont pas liées aux dispositions fondamentales de cette dernière relativement à la gestion des pêches hauturières.

Je voudrais faire plusieurs observations à propos de l'ENUP. D'abord, il s'agit d'une entente très complexe. Elle comporte de nombreuses difficultés techniques, et son efficacité future n'est pas non plus certaine, étant donné qu'il s'agit d'une nouvelle entente; de plus, elle est conçue pour nous permettre d'expérimenter de nouvelles idées, de nouveaux principes, de nouvelles procédures et sanctions qui n'existeraient pas autrement. Examinons donc quelques- unes des nouveaux éléments qui caractériseront désormais la gestion des pêches internationales en haute mer.

S'agissant d'objectifs et de principes, il est tout à fait essentiel de moderniser ceux qui sous-tendent la convention de l'OPANO, car l'OPANO ne pourra pas être efficace à moins que ses objectifs et principes ne soient modernisés. Cette organisation ne s'améliorera jamais, et risque même d'être encore plus marginalisée à moins qu'on ne déploie de sérieux efforts pour la moderniser. Je n'ai pas l'intention de vous parler de tous ces différents principes. Je vais me contenter d'en mentionner deux, pour vous donner quelques exemples d'idées nouvelles. D'abord, le principe de prudence dans le contexte de la gestion des pêches constitue à présent un élément courant du droit international de l'environnement, et de plus en plus, il en va de même pour le droit international des pêches. Deuxièmement, ce qu'on appelle maintenant l'approche écosystémique de gestion des pêches remet en question à présent les méthodes traditionnelles de gestion des pêches.

Je me contente donc de mentionner ces deux éléments, et si vous le souhaitez, nous pourrons parler plus tard de l'opportunité d'incorporer d'autres objectifs et principes de l'ENUP dans la convention de l'OPANO.

L'ENUP contient également d'autres textes qui laissent supposer que des agences internationales de gestion régionale des pêches, comme l'OPANO, qui sont responsables de la gestion de stocks hauturiers comme les stocks chevauchants, devront se conformer aux mesures adoptées par l'État riverain avoisinant à l'intérieur de sa zone d'intérêt économique exclusive. Quant à savoir si cela donnerait lieu à un résultat différent, par rapport aux textes actuels de l'OPANO relatifs à la conformité, voilà une question qui donne parfois lieu à de bons débats entre avocats, mais à mon avis, il ne convient pas maintenant d'aborder cette question. L'important, c'est de savoir s'il faut parler de conformité ou de compatibilité. D'une façon ou d'une autre, puisqu'il s'agit de synonymes selon le dictionnaire, la nouvelle philosophie qui s'impose de plus en plus exige l'harmonisation. Nous visons donc un système de gestion harmonieuse et coopérative et il ne faut donc pas que les mots deviennent un obstacle.

Bien sûr, on insiste beaucoup dans l'ENUP sur le rôle d'organisations comme l'OPANO. L'un des principaux objectifs de cette entente est d'ailleurs de prévoir les moyens institutionnels d'étoffer et de concrétiser les dispositions minimales que prévoit la Convention sur le droit de la mer.

À mon avis — et j'espère que nous pourrons en discuter plus tard — cette situation présente pour le Canada l'occasion idéale de réaffirmer son leadership international dans le domaine des affaires océaniques. Toute ma vie j'ai travaillé dans ce secteur. Après 40 ans, je suis donc fermement convaincu que le Canada a perdu presque toute la crédibilité que nous avons acquise à la belle époque de la diplomatie qui a donné lieu à l'UNCLOS 3, pas seulement dans le secteur des pêches mais par rapport au droit de la mer en général.

Pendant une quinzaine d'années, le Canada avait certainement l'une des trois ou quatre délégations les plus impressionnantes à la Conférence sur le droit de la mer et, comparativement aux autres pays du monde, c'est lui qui était le principal bénéficiaire de l'UNCLOS 3. S'il en était ainsi, c'est grâce en bonne partie aux capacités de nos plus brillants diplomates. Et nous avons maintenant l'occasion, si les responsables politiques ici à Ottawa ont la volonté politique d'y voir, de refaire du Canada un chef de file en ce qui concerne le droit de la mer en général et les pêches en particulier.

À mon sens, il faut débattre de l'opportunité de la ratification de la Convention sur le droit de la mer en tenant compte des occasions que cette ratification présenterait pour le Canada — pas seulement l'occasion d'être à la table mais de participer à l'ensemble de cette démarche mondiale, dont nous pourrons discuter en détail, et surtout de redécouvrir son rôle de chef de file. Et ce ne sont pas des mots en l'air. Je suis tout à fait sincère.

Nous présentons dans notre rapport un certain nombre d'idées sur la forme que pourrait prendre ce leadership international, si le gouvernement canadien était disposé à s'affirmer. Et là, je ne parle pas uniquement de l'OPANO. Je parle plus généralement du contexte de la révision du droit de la mer, c'est-à-dire de la Convention sur le droit de la mer, certainement, mais d'autres traités importants aussi afin d'explorer les possibilités de révision de ces instruments.

Nous pourrions discuter des moyens par lesquels le Canada pourrait recommencer à faire preuve de leadership.

La surveillance de la conformité est évidemment au coeur de l'ENUP, et notamment de la partie VI de l'Entente. Les textes de cette dernière sont assez novateurs, puisqu'ils confèrent beaucoup de responsabilités aux États du pavillon, plus que jamais auparavant, notamment en ce qui concerne les bateaux hors la loi qui ont un très mauvais bilan et ont systématiquement enfreint les règlements au fil des ans. Le Canada a évidemment intérêt à poursuivre des efforts diplomatiques coordonnés dans ce domaine. Et cet élément est étroitement lié à la volonté des signataires de l'ENUP de s'affirmer au sein de ce nouveau système.

On pourrait en dire autant de la question du règlement des différends, que nous voudrons peut-être examiner plus en profondeur tout à l'heure, et qui est également complexe. Quant à savoir ce que le Canada pourrait gagner d'une part, ou perdre, de l'autre, s'il était obligé d'aller en cour, en arbitrage ou d'invoquer un autre recours pour se défendre contre un autre État, il est évidemment difficile d'en discuter de façon abstraite, à moins de savoir de quel conflit il s'agit, qui est l'autre partie, et cetera. Bien entendu, en tant que signataire de l'ENUP, le Canada est déjà tenu aux termes de cette entente, et non pas la Convention sur le droit de la mer, de recourir à la procédure obligatoire de règlement des différends qui se trouvait autrefois dans la Convention mais est désormais inscrite dans l'ENUP.

Voilà qui m'amène à vous parler d'autres options. Je vais les passer en revue rapidement maintenant, quitte à vous fournir d'autres détails plus tard.

D'abord, nous présentons plusieurs propositions, plus ou moins réalistes, dans notre rapport sur d'éventuelles améliorations d'ordre opérationnel à apporter à l'OPANO. Il est difficile de savoir ce qui est réaliste dès lors qu'on parle d'éléments insaisissables de la diplomatie dans le domaine des pêches.

Je vous ai dit au début de mon exposé que certains problèmes de l'OPANO qui peuvent constituer un frein aux efforts diplomatiques du Canada sont d'une nature telle que nous pouvons difficilement agir là-dessus. Faire en sorte que les autres États membres aient la volonté politique de donner suite à des projets d'amélioration ne sera peut-être pas facile. L'Union européenne est évidemment très puissante et influente, au sein de l'OPANO, non seulement en son propre nom mais par l'entremise des membres individuels de l'Union européenne qui sont membres de l'OPANO.

Parlons donc de trois éléments parmi d'autres. L'OPANO a déjà essayé de dresser une liste noire. Cela n'a pas donné grand-chose, sans doute parce qu'on n'a pas déployé les efforts nécessaires pour que ce soit un succès. Donc, il est qu'il faut de la motivation et une vraie volonté politique pour faire évoluer la situation. Ce qui a été proposé, c'est que les bateaux des États membres de l'OPANO qui font systématiquement fi des mesures de conservation et de gestion des stocks chevauchants seraient inscrits sur une liste noire, de telle sorte qu'ils feraient l'objet de mesures disciplinaires, de sanctions et même de pénalités graves. Là on parle des bateaux eux-mêmes, et non pas des États dont il arbore le pavillon. Ce serait une façon d'aller au coeur du problème en s'attaquant directement aux bateaux, plutôt qu'aux États membres. C'est une façon peu orthodoxe de voir la chose, surtout pour des avocats se spécialisant dans le droit international, qui ont tendance à croire que le point de départ est toujours les États membres.

Après tout, il existe des modèles, puisque certains efforts pour inscrire des bateaux de pêche sur une liste noire ont porté leurs fruits. Le meilleur modèle est celui qu'on applique dans la Pacifique-Sud. L'agence du Pacifique-Sud chargé de surveiller les pêches étrangères a réussi à non seulement établir une liste de bateaux qui enfreignent systématiquement les règlements, mais leur faire du tort en les empêchant d'obtenir un permis ou de le faire renouveler. C'est le bateau lui-même qui est inscrit sur la liste noire, peu importe le propriétaire du bateau, affréteur, capitaine ou les membres d'équipage. L'inscription sur la liste noire est rattachée au bateau lui-même, si bien qu'il n'est pas possible d'y échapper si le système est bien structuré, comme c'est le cas dans le Pacifique-Sud.

Ce genre de système s'appliquerait à tous les bateaux, qu'ils arborent ou non le pavillon d'un État membre de l'OPANO. S'il était bien structuré et efficace, il permettrait de régler le problème des infractions commises par les États qui soit ne sont pas membres de l'OPANO, soit sont des membres délinquants. On pourrait faire en sorte que ce système de sanctions ait pour effet d'interdire les débarquements dans toutes les régions du monde. Tout dépend des ressources financières et du capital politique qu'on est prêt à consacrer à l'élaboration d'un système vraiment efficace et punitif. Il faudrait évidemment qu'on publie le nom de tous les bateaux qui seraient inscrits sur la liste noire, et surtout dans leur pays d'origine. Il pourrait même s'agir d'un système universel.

Il existe aussi d'autres tendances dans le secteur du transport maritime et le milieu de la pollution marine, où des expériences semblables donnaient d'assez bons résultats. Dans notre rapport, nous indiquons qu'il serait possible, si nous voulons vraiment faire la promotion d'une stratégie de liste noire efficace et intelligente, de s'adresser aux souscripteurs proposent des assurances maritimes pour leur proposer d'examiner de très près le bilan d'un demandeur pour savoir si ce dernier s'est conformé ou non aux mesures adoptées par les agences régionales de gestion des pêches. Encore une fois, dans quelle mesure un tel système est-il réaliste, et qui sait si le secteur des assurances serait prêt à collaborer ou non? Mais nous n'avons pas le droit de nous faire une opinion à ce sujet tant que nous n'aurons rien essayé; par conséquent, il faut faire preuve d'audace.

En ce qui concerne les pénalités, l'un des problèmes que nous avons observés est que les pénalités sont trop variables. Si vous arrivez à traîner les propriétaires d'un bateau de société devant les tribunaux d'un État membre et de lui intenter des poursuites, il y aura forcément des sanctions. Dans certains pays, comme le Canada, les sanctions sont très graves. Par contre, chez d'autres États membres de l'OPANO, les sanctions imposées par les tribunaux de ces pays seraient beaucoup moins graves. Nous proposons par conséquent que l'OPANO mette sur pied un comité d'experts représentant les différents États membres qui serait chargé, entre autres, d'élaborer des stratégies, ainsi que les modalités d'application de ces dernières, qui conviendraient à tous les États membres.

Il est probable qu'à ce moment-là, l'une des fonctions d'un tel comité consiste à définir des sanctions compatibles, pour éviter qu'il existe un si grand écart entre les sanctions les plus graves imposées par certains tribunaux et les sanctions légères qu'en imposent d'autres. Il s'agirait de réduire l'écart entre les deux. La publicité serait nécessairement un facteur clé pour concrétiser de telles améliorations. À cette époque de transparence, il serait peut-être approprié que le Canada propose que les réunions de l'OPANO soient publiques, de sorte que les représentants d'ONG et d'autres intéressés puissent y assister. À cette époque de préoccupations environnementales, voilà une situation où deux groupes qui ne sont pas normalement d'accord ont des raisons différentes de vouloir collaborer l'un avec l'autre, puisque les ONG environnementales, si elles étaient présentes aux réunions de l'OPANO à titre d'observatrices, seraient peut-être disposées, vu leur expérience considérable dans ce domaine, à exploiter les médias pour leurs propres fins. Ce serait tout à fait dans l'intérêt du secteur canadien des pêches, qui avoue ne pas avoir vraiment réussi jusqu'à présent à bien se servir des médias internationaux. Disons que pour des raisons très différentes, ces deux groupes auraient de bonnes raisons de vouloir exploiter efficacement les médias pour exposer, en quelque sorte, les faiblesses de l'OPANO.

Quand nous parlons de «réformes», nous parlons d'idées audacieuses — d'idées qui sont suffisamment audacieuses, disons, pour nécessiter que des modifications soient apportées à la convention de l'OPANO, ou encore, si elles sont vraiment audacieuses, que cet instrument soit complètement renégocié.

La première possibilité que pourrait examiner un comité d'experts mis sur pied par l'OPANO, serait, selon notre proposition, les avantages et les inconvénients d'un système de vote pondéré. Il s'agirait d'un système de vote en vertu duquel le poids de l'opinion de tous les États ne serait pas le même au niveau du processus décisionnel. Le poids de la voix de chaque État dépendrait de la mesure dans laquelle il est intéressé par la question. Par conséquent, les membres de l'OPANO pour qui l'enjeu des pêches de l'Atlantique nord-ouest est relativement minime ou limité n'aurait pas autant d'influence, au moment de voter, qu'un pays comme le Canada. Les systèmes de vote pondéré sont bien connus dans le monde du transport maritime, et notamment à l'Organisation maritime internationale, soit l'OMI, et sont prévus dans le cadre de divers accords de pollution maritime qui relèvent de la responsabilité de l'OMI. Dans ce contexte-là, la pondération est fonction du tonnage. Dans le domaine du transport maritime, le système de vote pondéré est structuré de telle façon que la voix d'un État dont les bateaux ayant le tonnage le plus élevé arborent le pavillon bénéficie d'une plus forte pondération que d'autres membres ayant un tonnage moins élevé.

On peut donc se demander s'il serait bénéfique pour le Canada que l'OPANO applique ce même principe dans le secteur des pêches? Il faudrait songer à la sélection des critères. Le critère principal ne serait sans doute pas le tonnage des bateaux de pêche. Faudrait-il que la pondération soit fonction du tonnage, de la valeur des débarquements, ou d'une combinaison des deux? Pour le Canada, ce serait plus intéressant que le critère principal soit la valeur des débarquements, à cause de la nature des stocks canadiens, qui représentent des espèces à valeur élevée, et il faudrait peut-être, par conséquent, que nous concluions des marchés avec d'autres membres de l'OPANO à cet égard.

Voilà une idée que nous n'avons pas vraiment pu approfondir, mais qui nous semble tout de même intéressante. Et si on fait le lien entre l'idée d'un système de vote pondéré au sein de l'OPANO et le genre d'effort diplomatique qui serait requis pour obtenir une entente là-dessus nous tendons, pour notre part, à croire que le Canada pourrait avoir encore plus de mal que par le passé à s'entendre avec l'Espagne et le Portugal dans ce contexte. Étant donné qu'il s'agit d'États qui sont souvent considérés comme étant des concurrents, et qui l'ont certainement été par le passé, le Canada aurait peut-être intérêt — et ce n'est pas nouveau pour le Canada — à mettre davantage l'accent sur les efforts diplomatiques bilatéraux au sein de l'OPANO.

Je crois savoir — et M. McGuinness pourrait certainement nous renseigner à ce sujet — qu'à plusieurs reprises, les représentants de l'industrie canadienne et du gouvernement canadien ont fait l'effort de rendre visite à leurs homologues espagnols et portugais pour faire preuve de bonne volonté, si vous voulez. Ce n'est pas une idée tout à fait nouvelle, mais si nous estimons que la proposition de vote pondéré pourrait devenir l'axe des efforts diplomatiques bilatéraux entre le Canada et plusieurs membres de l'OPANO, des initiatives de ce genre pourraient peut-être porter leurs fruits.

L'argument des économistes, c'est que parmi tous les États membres, seulement l'Espagne et le Portugal peuvent vraiment se comparer au Canada, du point de vue de l'enjeu de la productivité future des stocks de l'Atlantique nord- ouest. Beaucoup de gens nous ont dit que certains et même la plupart des autres membres de l'OPANO pourraient faire preuve de beaucoup de cynisme en ce qui concerne les pêches de l'Atlantique nord-ouest, en se disant qu'ils pourraient simplement pêcher ailleurs. Certains d'entre eux sont assez opportunistes et ne sont préoccupés que par l'immédiat en ce qui concerne la préservation de la productivité de ces stocks. Selon leur raisonnement, s'ils épuisent ces stocks, ils iront simplement pêcher dans une autre région du monde, en tant que nations pratiquant la pêche lointaine, si bien qu'ils se fichent complètement de l'avenir des stocks de poisson dans l'Atlantique nord-ouest. Dans le contexte de cette vision un peu cynique du monde, logiquement ce serait dans l'intérêt du Canada d'essayer de former une coalition avec l'Espagne et le Portugal, étant donné que l'enjeu économique pour ces deux pays est le plus considérable en ce qui concerne la productivité et la durabilité future de cette pêche. Ensuite, il s'agirait d'obtenir l'appui des États-Unis, et peut-être d'un ou de deux autres États membres de l'Union européenne qui, pour des raisons écologiques, se sentiraient obligés de soutenir la position canadienne sur des questions de protection des pêches qui soulèvent en même temps des questions environnementales.

S'agissant de cette future coalition qui pourrait se former, on peut dire que deux catégories de pays seraient peut-être intéressées à en faire partie. D'abord, ceux pour qui l'enjeu économique est aussi considérable que pour le Canada, comme l'Espagne et le Portugal, et deuxièmement, les États membres de l'Union européenne et peut-être autres États membres de l'OPANO qui sont sensibles à la nécessité de protéger l'environnement. Il faudrait tout de même être très fort pour arriver à former une coalition regroupant des pays qui soient sensibles à la fois aux questions économiques et écologiques. Donc, je ne prétends pas que ce serait facile; il faudrait faire preuve d'intelligence et d'imagination pour y arriver, à mon avis. À ce moment-là, cette éventuelle coalition de membres pourrait peut-être bien donner lieu à des résultats concrets, tels que l'approbation d'un système de vote pondéré.

Quels pourraient en être les autres résultats? Eh bien, comme je vous l'expliquais tout à l'heure, il faut se concentrer sur les dispositions de l'ENUP touchant les stocks chevauchants pour moderniser l'OPANO. La convention de l'OPANO, qui est née pendant les années 70, a maintenant atteint l'âge adulte. Il est grand temps qu'elle prenne de la maturité. On ne peut plus traiter cette organisation comme un enfant. Elle doit maintenant grandir. Et elle réussira à grandir si on incorpore dans la convention de l'OPANO un certain nombre ou même la plupart des dispositions de l'ENUP. Il n'y a pas d'autre solution. Pour elle, c'est la seule façon de grandir. Si nous avons le temps, nous pourrions peut-être discuter tout à l'heure des responsabilités d'«adultes» qu'on retrouve dans l'ENUP, et qui seraient certainement avantageuses pour le Canada.

Pour ce qui est de la notion de secrétariat, nous avons examiné cette idée dans notre rapport. Ce qu'il faut reconnaître, tout d'abord, c'est que toutes les organisations internationales de nature politique, c'est-à-dire toutes celles qui font partie du système des Nations Unies, ont une caractéristique en commun. Elles sont toutes dirigées par un secrétariat très puissant. Ces secrétariats sont à ce point puissants qu'il y a constamment un conflit de pouvoirs entre les délégations représentant les États membres. À mon avis, c'est tout à fait sain. C'est ce que nous voulons.

Donc, il y a en tout temps cette bataille entre les secrétariats et les États membres. Or, ce n'est absolument pas le cas dans les organisations qui s'occupent de questions de pêche. Dans ce cas, ce sont les États membres qui décident tout. Je ne trouve aucune exception évidente à cette règle, du moins pas parmi les agences régionales de gestion des pêches, telles que l'OPANO. Là il n'y a pas de véritable secrétariat — peut-être de nom, mais en ce qui concerne leurs véritables fonctions, il n'y en a pas. Leurs secrétariats ont ni argent, ni pouvoir, ni personnel de recherche; ils n'ont rien.

Toutes les ressources dont dispose l'OPANO viennent des États membres qui sont capables d'en fournir et bien disposés à le faire. Est-ce qu'il faut accepter en se disant: «C'est comme ça» et ne pas trop s'en faire? Ou vaut-il mieux faire preuve d'imagination et faire l'effort de former une coalition au sein de l'OPANO qui serait dirigée par le Canada, afin de créer quelque chose qui n'a jamais existé jusqu'à présent — c'est-à-dire un secrétariat habilité dont l'impulsion viendrait des États membres. Qui sait si un tel scénario est réaliste ou non. Mais il faut essayer, pour voir ce que ça donne. Les États membres qui possèdent les ressources requises devraient nécessairement être disposés à en fournir au secrétariat pour que cela puisse donner quelque chose.

Le président: Excusez-moi de vous interrompre. J'avais indiqué aux membres du comité que cette réunion durerait environ une heure et demie. Je sais qu'ils ont tous très envie de vous poser des questions.

M. Johnson: Dans ce cas, je vais soulever un dernier point, soit que l'on songe à la possibilité de créer une organisation plus centralisée pour remédier à cette difficulté particulière; c'est-à-dire, une organisation dotée d'un personnel professionnel qui serait détaché de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, soit la FAO, ou d'autres organisations mondiales externes qui seraient impartiales, indépendantes et fières de leur professionnalisme. À mon avis, ce serait un modèle tout à fait nouveau. Que je sache, ça n'a jamais été prévu officiellement, mais il y aurait peut-être lieu de mettre ce modèle à l'essai.

Peut-être pourrais-je simplement vous laisser le soin de poser des questions sur les autres éléments, tels que la gestion axée sur les intérêts économiques, la politique de rachat et les possibilités à plus long terme en ce qui concerne d'éventuelles mesures unilatérales.

Le sénateur Cook: Je devrais peut-être vous dire tout de suite que je suis originaire de Terre-Neuve. Depuis un moment, je consacre toute mon énergie à mes réflexions sur la situation du secteur de pêche dans ma province, en essayant de comprendre ce qui est arrivé. Aucun d'entre nous, les membres de ce comité qui représentent tous les partis politiques, n'est d'avis que cela devait nécessairement se produire.

Je voudrais vous dire quelque chose. Quand j'entends parler de tous ces éléments et de l'organisation de toutes activités qui vont permettre de bien gérer les stocks et de nous assurer qu'ils continueront d'exister, je me dis que ce qui va surtout permettre que cela se concrétise, c'est qu'il y ait un consensus.

En ce moment, je vous écoute parler de toutes ces mesures organisationnelles qu'il faudrait prendre, et qui me semblent bien logiques, et en même temps, je suis confrontée à une réalité, à savoir qu'il n'y a pas de consensus entre ma province et le gouvernement du Canada concernant la fermeture de la pêche à la morue.

Il y en a parmi nous à Terre-Neuve qui nous disons, vu l'importance des stocks chevauchants et la nécessité de les protéger, que le gouvernement a cru bon de fermer la pêche au large des côtes de Terre-Neuve pour que le ministre des Pêches puisse se présenter devant l'OPANO en annonçant à ses collègues: «Voilà. J'ai fait ma part pour assurer la conservation et la bonne gestion des stocks.»

Si cela est vrai, je dois simplement vous dire que le coût de la bonne gestion et tout ce que vous venez de proposer me semble bien élevé pour le peuple de Terre-Neuve. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Johnson: Je tiens à vous rappeler que nous trois qui avons rédigé ce rapport ne suivons pas de très près l'évolution de la situation au fil des ans. C'est peut-être d'ailleurs pour cette raison qu'on nous a confié ce travail; peut- être se disait-on que notre innocence et nos idées nouvelles contribueraient à faire avancer ce dossier. Nous savons fort bien, en tant qu'avocats spécialisés en droit international, que l'OPANO n'est qu'une organisation parmi de nombreuses autres. Je sais que l'OPANO est unique dans un sens, surtout du point de vue du Canada. Mais le Canada aussi est unique en tant que nation pratiquant la pêche.

Beaucoup de problèmes ne seront pas pris en compte pour ce qui est d'obtenir l'appui du fédéral ou de plusieurs organismes du gouvernement fédéral sur la façon de s'attaquer à ces difficultés, et il en va de même pour obtenir l'accord du gouvernement de Terre-Neuve, du fédéral et des représentants de l'industrie.

L'objet de la démarche qui a donné lieu à ce rapport était de rassembler toutes les personnes et de leur permettre d'apporter une contribution un peu différente. Ainsi nous avons tenu à St. John's il y a environ un mois une table ronde à huis clos où toutes ces personnes étaient rassemblées dans la même salle. À mon avis, il serait utile d'organiser de telles tables rondes plus régulièrement. Je pense que le Canada pourrait ainsi faire davantage front commun avec ces personnes sur la scène internationale — en tout cas plus que si nous devions nous contenter d'examiner toujours nos difficultés dans une optique nationale. Pour moi, la ratification de la Convention sur le droit de la mer présente au Canada l'occasion de faire preuve de leadership sur la scène internationale, le genre de leadership qui pourrait être dans notre intérêt, puisque nous présenterions de nouvelles idées sur les droits des États riverains, par opposition aux nations pratiquant la pêche lointaine.

Il est possible, comme on l'a observé dans d'autres contextes, que les succès réalisés à l'extérieur du pays permettent de réduire les difficultés qui se posent lorsqu'un État essaie d'en arriver à une position nationale cohérente. Il est parfois futile de voir le problème uniquement dans l'optique canadienne, c'est-à-dire en se disant que tout le monde doit être d'accord. Mais je sais que ce que vous décrivez correspond à la réalité. J'ai peut-être un parti pris en tant qu'avocat se spécialisant en droit international.

Un exemple que je connais bien depuis 40 ans est celui de l'ACDI qui, en faisant participer des Canadiens au règlement de problèmes de développement économique qui relèvent de son mandat, apporte à la population canadienne de nouveaux éclairages et de nouvelles perceptions sur des problèmes que connaissent tous les États. À ce moment-là, on peut proposer de nouveaux moyens de régler des problèmes semblables au Canada. Ça vous paraît peut-être un peu vague, mais telle a été mon expérience dans la vie. Nous pouvons apprendre bien des choses de par nos contacts avec d'autres pays. Je ne suis pas favorable à l'idée d'abandonner complètement l'OPANO. Je comprends très bien les frustrations des uns et des autres. Tout cela aura coûté très cher à Terre-Neuve. Par conséquent, je comprends très bien que les Terre-Neuviens doivent être extrêmement frustrés.

C'est peut-être un parti pris personnel, mais à mon avis, pour trouver une solution, il faut se dire que ce problème est d'ordre national et international, et donc rester membre de l'OPANO. Abandonner l'OPANO, comme le proposent certains à Terre-Neuve, n'est pas une solution à mon avis.

Le système, tel qu'il existe actuellement, est inacceptable. Nous n'avons donc pas le choix: il faut réfléchir en profondeur aux divers moyens d'améliorer ce système, peut-être selon ce que nous avons proposé, ou en trouvant d'autres solutions.

Si la délégation canadienne auprès de l'OPANO réussit à former une coalition au sein de l'OPANO en prenant certaines des mesures que nous avons proposées, cela créera des liens très solides au sein de la délégation, de même qu'entre le gouvernement fédéral, le gouvernement de Terre-Neuve et l'industrie de la pêche, et ce plus que n'importe quelle autre initiative. Le Canada est un pays qui semble toujours être sur le point de voler en éclats, du moins si l'on en croit le discours de certains, mais cela reflète aussi la réalité de la vie politique au Canada. Nous avons tendance à donner la priorité à nos allégeances régionales dès lors qu'on fait face à une difficulté — d'ailleurs, beaucoup plus que ne le font les Américains. Les États-Unis sont un pays plus grand que le Canada, mais ils ont ce don un peu agaçant de réussir à faire appel au patriotisme des Américains lorsqu'ils font face à de graves difficultés. Nous avons tendance à nous en moquer, du moins certains d'entre nous, mais je pense qu'il serait bon que le Canada retrouve la raison, en passant par le patriotisme, si vous voulez. Le patriotisme n'est pas particulièrement utile tant qu'on ne sort pas dans le monde extérieur. Le patriotisme ne signifie rien dans un contexte où on considère tout ce qui se passe chez soi comme un problème purement national. Le patriotisme ne devient un sentiment utile que lorsqu'on se trouve confronté au reste du monde. Pour moi, le problème de l'amélioration du système de l'OPANO doit être examiné dans le contexte international. Si l'OPANO n'existait pas, il faudrait réinventer une organisation du même genre tôt ou tard. Je peux difficilement imaginer qu'on puisse améliorer la conservation et la gestion des ressources en l'absence d'une organisation comme l'OPANO. Voilà le contexte international dans lequel le Canada doit adopter une position cohérente et consacrer ses énergies collectives à d'ingénieuses initiatives diplomatiques, de concert avec d'autres États animés des mêmes sentiments.

Le sénateur Cook: Vous m'excuserez si je fais preuve d'impatience et de frustration, mais le fait est qu'une multiplicité d'études ont été menées sur la question. Seulement ce soir, M. McGuinness nous a déjà montré deux rapports. J'ai assisté à la table ronde qui s'est tenue à Terre-Neuve, dont il ne s'est dégagé aucun consensus, et où il n'a même pas été question d'essayer de s'entendre. Je me demande pourquoi.

J'aime votre idée d'un secrétariat investi de certains pouvoirs, parce que vous nous parlez d'une organisation qui ne se réunit qu'une fois par an. À ce rythme-là, je me demande vraiment quand nous réussirons à régler nos problèmes de bureaucratie et à voir plus loin que notre idéalisme pour prendre des mesures concrètes?

À présent nous faisons face à une crise, parce qu'il ne reste plus grand-chose. S'il faut croire les scientifiques et si je dois accepter qu'il ne sera plus possible de pêcher dans les eaux au large de ma province, s'il n'y a plus rien à exploiter pour l'instant, pourriez-vous au moins nous dire combien de temps nous devrons attendre avant que des mesures concrètes puissent être prises? Bien sûr, c'est mon pays. Que doit faire le Canada? Que peut faire ce comité pour faire comprendre aux pouvoirs publics qu'il faut s'y mettre tout de suite?

M. Johnston: Il conviendrait peut-être mieux que M. McGuinness réponde à cette question. Il a une bien meilleure idée que moi de l'usage qu'on pourrait faire de ce rapport dans les mois et les années qui viennent, et de la mesure dans laquelle le fait d'y donner suite permettrait peut-être d'obtenir un résultat différent.

M. McGuinness: Vous posez une excellente question. La conclusion que nous avons tirée de ce rapport est que l'UNCLOS est comme un livre dont il manque le dernier chapitre. Il faut absolument terminer ce chapitre. À l'époque, on voulait surtout mettre l'accent sur l'élaboration d'une entente des Nations Unies sur les stocks chevauchants. C'était ça le tremplin. Jusqu'à un certain point, nous étions tous convaincus que cette entente réglerait le problème des stocks chevauchants. Donc, nous l'avons conclue. L'ENUP confiait la responsabilité des stocks chevauchants à des organisations comme l'OPANO.

En nous fondant sur le rapport du professeur Johnston, nous devons maintenant développer cette troisième génération d'agences régionales de gestion des pêches. Nous nous sommes fondés là-dessus pour élaborer l'ENUP et nous en avons confié la responsabilité à des organisations comme l'OPANO. Vous venez de décrire parfaitement la nature du problème auquel nous sommes confrontés. L'OPANO et les agences régionales de gestion des pêches sont des créations d'une autre génération. Elles se réunissent une fois par an pour examiner les questions administratives.

Ce que ce nouveau rapport me permet de conclure, c'est qu'il faut consacrer cette même énergie dont le Canada a fait preuve quand il s'agissait de conclure une entente sur les stocks chevauchants à la définition des caractéristiques, pouvoirs et responsabilités essentiels qu'il faut absolument confier à une agence régionale de gestion des pêches pour assurer la protection des stocks chevauchants.

Le professeur Johnston a soulevé plusieurs points à cet égard. L'OPANO est une organisation qui regroupe 15 ou 16 pays différents. Au sein de cette organisation, la délégation canadienne, qui représente les collectivités où vous vivez, y compris les localités de Nouvelle-Écosse qui ont une dépendance économique et sociale vis-à-vis de ces stocks chevauchants, a exactement le même poids, lorsqu'il s'agit de voter, que celle d'un pays comme la Lettonie, qui n'a pas les mêmes antécédents que nous en ce qui concerne la pratique de la pêche et qui ne dépend pas non plus de cette activité économique, du moins pas dans l'immédiat. C'est tout à fait anormal. Il faut faire en sorte que les gens comprennent cette injustice et acceptent de changer le système.

En ce qui concerne l'histoire des pêches internationales, jusqu'à présent, les flottilles pratiquant la pêche lointaine et hauturière ont toujours accepté de sacrifier une partie de leur souveraineté en faveur d'agences de ce genre. Il faut donc continuer à insister là-dessus. Il faut faire comprendre aux pays membres qu'il s'agit maintenant de passer à l'étape suivante et d'abandonner une partie de leur souveraineté en faveur d'organisations comme l'OPANO. Nous devons nous assurer que des organisations comme l'OPANO ont les outils qui leur faut pour mettre en oeuvre de bons régimes de conservation des stocks et répondre aux aspirations et aux espoirs qu'incarne l'ENUP. Nous nous rendons compte maintenant, en l'an 2003, que nous nous sommes contentés de créer le cadre juridique en nous disant que les agences régionales de gestion des pêches se chargeraient du reste. Mais nous ne leur avons jamais confié le pouvoir, pour employer l'image du hockey, de jouer le jeu et de marquer des points. Elles n'ont pas d'ailiers, elles n'ont pas de centres. Elles n'ont ni arrières ni gardien de but. Elles ont la glace et la place pour jouer, mais elles ne disposent pas des outils qui leur permettraient de passer du point A au point B.

Le président: Cela vous intéressera peut-être de savoir qu'un de nos grands joueurs de hockey assistera à la prochaine réunion de l'OPANO en septembre prochain à titre d'observateur. Frank pourra peut-être leur donner quelques conseils à ce sujet.

M. McGuinness: Très bien. Nous l'espérons bien.

Le sénateur Cochrane: Monsieur Johnston, vous nous avez beaucoup donné à réfléchir en présentant vos idées de façon concise et bien organisée.

Je voudrais vous poser une question concernant votre section «B», où il est question de la tradition de l'État du pavillon. Vous avez fait allusion au fait que cette tradition continue d'exister. Je voulais connaître votre réaction à ce qui s'est récemment produit à Terre-Neuve concernant un bateau du nom d'Olga. Ce bateau est arrivé à Terre-Neuve avec une cale pleine de morue pêchée illégalement. L'État du pavillon avait interdit à ce bateau de pratiquer la pêche dans les eaux relevant de la responsabilité de l'OPANO en lui retirant son permis. Qui sait si de tels avertissements sont efficaces? Est-ce qu'il l'a été dans le cas de ce bateau?

Pourriez-vous donc nous parler de solutions modernes qui pourraient remplacer cette notion de primauté d'État du pavillon en ce qui concerne l'application des règlements? Commençons-nous maintenant à laisser de côté cette tradition? D'après ce qu'on semble dire en Europe, ce n'est pas le cas. Est-ce que je me trompe?

M. Johnston: La situation est un peu compliquée, parce que ce n'est pas juste une question de logique; il y a aussi l'attitude. Et l'attitude de la communauté internationale continue d'être que c'est l'État du pavillon qui a préséance. Par contre, la communauté du droit international, par opposition aux industries du transport maritime ou des pêches, commence à penser, du moins, disons plutôt les avocats internationaux se spécialisant dans le droit de la mer pensent que l'époque de la liberté totale en ce qui concerne la pêche hauturière est révolue. Bien que le texte de la Convention du droit de la mer prévoie toujours, dans la section qui concerne la haute mer, que les États sont libres de pratiquer la pêche, il faut se rappeler que ce texte remonte à une vingtaine d'années. La Convention sur le droit de la mer, comme l'OPANO, a vu le jour dans les années 70, et nous voulons donc 30 ou 25 ans après, à la fin de ces négociations. C'est un changement d'attitude assez extraordinaire qui est le fait de plusieurs facteurs: l'environnement, l'exploitation des pêches et la surpêche, et dans le contexte actuel, les menaces pour la sécurité que présente la violence en mer et le terrorisme. Nous entamons à présent une nouvelle époque, qui n'est reflétée dans aucune convention internationale, mais qui ne saurait tarder, où nous reconnaîtrons que pour des raisons liées à la pêche, à l'environnement, à la pollution et à la sécurité, il n'est plus question d'avoir autant foi dans l'ancien principe de la liberté de la mer.

Nous sommes à une époque où prime la répression. Diverses raisons sont maintenant invoquées, sans pour autant être inscrites dans les traités, pour permettre aux bateaux chargés de faire respecter les règlements d'intervenir davantage et d'intercepter les bateaux commerciaux étrangers en haute mer soupçonnés soit d'enfreindre le droit international, soit de présenter une menace intolérable. Si vous parlez à des gens qui sont au courant des mouvements militaires dont il est question dans le manuel de San Remo — c'est ainsi qu'il s'appelle — comme nous l'avons fait récemment, vous verrez que pour toutes ces raisons, on estime à présent qu'il devrait être possible à l'avenir d'arraisonner des bateaux en haute mer et de procéder à des inspections, alors que même il y a 10 ou 20 ans, aucun avocat international n'aurait jamais proposé une telle chose. Et à la menace d'actes terroristes en haute mer ou de catastrophes causées par la pollution, on peut maintenant ajouter la possibilité d'écocrise. Après tout, le poisson fait partie des systèmes de production alimentaire de la planète, et on peut donc dire qu'au fur et à mesure que l'activité des systèmes de production alimentaire océaniques diminue, la situation devient intolérable.

Peut-être réussirons-nous, dans un avenir pas trop lointain, à faire accepter en droit international que dans certaines circonstances, l'interception de bateaux commerciaux pourrait être justifiée et autorisée par une convention internationale pour l'une ou l'autre de ces trois raisons, et peut-être pour d'autres encore — telles que la piraterie, l'esclavage en mer, et cetera. Il existe maintenant une liste grandissante de raisons de prévoir l'interception des bateaux en haute mer. Dans le contexte des pêches, le danger qui se présente pour le moment est qu'un État riverain frustré comme le Canada serait peut-être trop désireux d'agir unilatéralement, alors que dans des forums mondiaux et régionaux, l'idée selon laquelle ce genre de choses seraient autorisées par une organisation internationale dans des circonstances convenues d'avance est de plus en plus acceptée. Il faut tout de même être prudent en cherchant à s'attaquer au problème de la tradition de l'État du pavillon. En tant qu'avocat spécialisé en droit international, je me dis qu'au lieu d'opter pour des mesures unilatérales qui doivent constituer un tout dernier recours, les spécialistes, du moins dans les milieux universitaires — et on peut espérer qu'il en sera de même bientôt dans les organisations inter- étatiques — reconnaissent de plus en plus qu'il faut repenser le principe de la liberté de la mer.

Quelles que soient les modalités d'une telle initiative, c'est-à-dire qu'elles soient unilatérales ou multilatérales, c'est ce genre d'action qui compromettrait le plus directement la tradition de la primauté de l'État du pavillon. À mon avis, d'ici quelques années, dans un de ces trois domaines — l'environnement, la pêche ou la sécurité — nous assisterons à la conclusion d'un nouveau genre d'entente qui précisera les conditions dans lesquelles on peut aller au-delà de l'ancienne idée de la poursuite, qui est visée par certaines limites. Ce genre de mesure n'est peut-être plus suffisante, si bien qu'il faudrait que la communauté internationale reconnaisse qu'il ne convient plus de confier l'entière responsabilité à l'État du pavillon. À cet égard, il faut un changement d'attitude assez radical dans les milieux diplomatiques.

Le sénateur Watt: Je comprends en partie la situation à laquelle nous sommes confrontés sur la scène internationale, mais la question que vous posez est celle de savoir ce que nous devrions faire maintenant, sachant que nous sommes en pleine crise en ce moment, étant donné l'état de nos stocks de poisson. La politique et l'économie mondiales semblent prendre cette orientation-là. Vous nous dites donc qu'il faut profiter de cet élan pour officialiser la restructuration qui doit se faire dans les forums internationaux. Autrement dit, il faut prendre les États membres en flagrant délit et les obliger à se conformer aux règlements qu'eux-mêmes établissent.

La question est donc de savoir comment on peut faire comprendre l'importance de cet enjeu. C'est maintenant qu'il faut prendre les décisions. Dans ce contexte, nous avons tout un défi à relever, car à mon avis, aucun pays ne s'est encore heurté au problème d'avoir à dégager un consensus sur un mécanisme permettant de régler les différends entre États membres d'une organisation.

Vous nous dites qu'il faut donner du muscle à cette organisation. Il faut qu'elle ait le pouvoir non seulement de faire des recommandations, mais d'agir. Donc, comment faire?

Voilà le problème auquel nous sommes confrontés maintenant, et votre réflexion à cet égard est excellente. Avec mes collègues, nous pourrons peut-être apporter une contribution dans ce processus, mais il faut que quelqu'un se mette à rédiger une série de règlements et de procédures. À partir de là, il faudrait traiter avec le gouvernement canadien, et le mettre au courant de la situation. S'il est déjà au courant, quelles mesures a-t-il prises? Eh bien, le gouvernement a simplement annoncé la clôture de la pêche à la morue à Terre-Neuve, privant ainsi bien des gens de leur gagne-pain.

D'autres États membres de l'OPANO rencontrent-ils un problème semblable? Leurs stocks de poisson sont-ils à ce point réduits qu'ils n'ont pas d'autres sources de ressources halieutiques, si ce n'est les zones avoisinant le Canada?

M. Johnston: Je vais commencer par répondre à votre deuxième question et revenir ensuite à la première. Le Canada souffre plus que n'importe quel autre pays en ce qui concerne les problèmes de pêche. En tout cas, j'en suis fermement convaincu. C'est en partie à cause de notre dépendance traditionnelle, surtout dans l'est du Canada, à l'égard de la pratique de la pêche. La structure de notre économie, la taille du pays, la distance qui sépare certaines régions du gouvernement central, et d'autres facteurs ont fait que le Canada est un pays unique. Et le Canada est la principale victime de problèmes fort complexes qui n'ont jamais été réglés — en partie pour des raisons liées à la nature, et en partie à cause de la sottise humaine, de perceptions erronées de la réalité et de mauvais jugement. C'est très compliqué.

Les prochaines victimes qui seraient aussi motivées que le Canada à changer les choses de façon assez radicale seraient l'Espagne et le Portugal. Ces deux pays pratiquent la pêche depuis des centaines d'années et connaissent à fond la pêche. Ce sont des pays sophistiqués et j'aurais pensé que la stratégie canadienne aurait consisté en partie à déployer de grands efforts pour obtenir l'appui de ces deux pays parce que pour eux, l'enjeu à long terme de l'avenir de l'OPANO est considérable. On pourrait appeler cela la «diplomatie bilatérale». Des visites effectuées en Galice, en Espagne, ont permis de constater que cette région-là de l'Espagne a des affinités avec Terre-Neuve, en particulier. Je ne sais pas si on peut vraiment établir un parallèle exact entre les deux, mais il ne fait aucun doute qu'il existe entre ces deux régions du monde une sorte d'affinité interculturelle. Voilà ce qui a motivé les visites. Mais malheureusement, ces visites ne s'appuyaient pas sur un objectif clair. Il s'agissait simplement de visites d'amitié dans le cadre desquelles, d'après ce que j'ai pu comprendre, on n'a pas voulu aborder les questions difficiles. M. McGuinness est peut-être en mesure de confirmer ou non ce que je viens de vous dire.

Pour notre part, nous sommes d'avis que des efforts visant à établir des relations privilégiées avec l'Espagne et le Portugal, ce qui serait tout à fait dans l'intérêt du Canada, pourraient finir par porter leurs fruits. Il ne suffit pas d'effectuer des visites d'amitié; il faut s'attaquer à la question de savoir comment on pourrait former une coalition regroupant ces trois pays — l'Espagne, le Portugal et le Canada. Eux, aussi, souffrent en ce moment — peut-être moins que nous — mais ils souffrent quand même. Il faut aussi invoquer l'argument écologique.

Le sénateur Watt: Est-ce que les bateaux commerciaux canadiens pratiquent la pêche dans leurs eaux territoriales?

M. McGuinness: Non.

Le sénateur Watt: Mais eux le font dans nos eaux?

M. Johnston: Il s'agit essentiellement d'États pratiquant la pêche lointaine. Ils ont des pêches riveraines mais ces dernières ont été pas mal touchées par les déversements de pétrole au large de la côte de la Galice. Je ne sais pas dans quelle mesure ce problème est grave ou s'il risque d'avoir des répercussions à long terme, mais disons simplement que cela ne leur facilite pas les choses. Par conséquent, ils dépendent beaucoup plus des pêches lointaines de la zone des Grands Bancs et de l'Atlantique nord-ouest qui n'ont pas été touchées par ce déversement de pétrole. Je pense que le Canada pourrait vraiment tirer profit du sentiment de vulnérabilité qu'il partage avec ces autres États membres.

J'ai aussi certaines opinions personnelles qui ne figurent pas dans ce rapport, étant donné qu'on ne nous a pas demandé de faire des recommandations.

Le sénateur Watt: Je vous invite donc à nous en faire part.

M. Johnston: J'ai quelques idées sur ce que le Canada pourrait faire pour faciliter l'élaboration d'une nouvelle stratégie. Le 30 novembre, qui est, si je me souviens bien, la Saint-André, il y aura une conférence d'une semaine en Nouvelle-Zélande, dont les hôtes sont les gouvernements de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie, mais qui est présentée sous l'égide de la FAO. À cette conférence, il sera exclusivement question de l'avenir des pêches hauturières dans les diverses régions du monde. Le fédéral, l'industrie canadienne des pêches et la province de Terre-Neuve n'ont jamais eu autant de raisons de vouloir accorder leurs violons. Il s'agit de la première fois qu'une conférence de cette importance porte exclusivement sur la question des pêches hauturières dans le but d'examiner l'avenir et de régler les problèmes du présent. C'est l'occasion rêvée de réorienter de façon radicale la réflexion et les attitudes des pays.

Nous mentionnons cette conférence dans notre rapport, mais quelles propositions le Canada devrait-il faire lors de cette conférence qui se tiendra à Queenstown, South Island, en Nouvelle-Zélande, pendant la première semaine de décembre? C'est ça la question. C'est un forum intéressant, mais quelles propositions devrait-on faire? À mon avis, il conviendrait de proposer, par exemple, lorsqu'il s'agit de stocks chevauchants, que l'État riverain le plus proche ait un rôle accru à jouer pour garantir l'efficacité des agences régionales de gestion des pêches. Cet argument laisse supposer des possibilités précises dont nous n'avons pas le temps de discuter ce soir. Ce serait peut-être l'occasion — c'est-à-dire à Queenstown, en décembre — de lancer plusieurs autres ballons d'essai.

Par exemple, les Canadiens pourraient dire que le moment est venu de rassembler l'OPANO et les autres agences régionales de gestion des pêches pour qu'elles élaborent une stratégie commune d'importance mondiale. Si l'on se contente de parler constamment de l'OPANO, qui se heurte à un problème régional, je doute que ce genre de discours enthousiasme beaucoup les participants à Queenstown. Par contre, si vous dites que d'autres régions du monde connaissent les mêmes difficultés, le problème devient mondial et tout le monde comprend qu'il faut s'y intéresser.

S'agissant de modalités d'application, que pourrait-on proposer? Pour notre part, nous proposons la création d'un comité d'experts. Le Canada devrait à notre avis proposer la mise sur pied d'un comité d'experts au sein de l'OPANO qui serait chargé d'examiner différentes possibilités d'amélioration et de réforme du système de l'OPANO. C'est dans ce forum que les idées nouvelles seraient étudiées. Si vous ajoutez à cela l'initiative consistant à former une coalition avec d'autres États membres que nous avons recommandés, à ce moment-là, ce ne serait pas juste le Canada qui taperait sur la table comme M. Khrouchtchev il y a tant d'années, surtout que les Canadiens n'ont pas l'habitude de se comporter de cette façon. Un comportement davantage canadien consisterait pour le Canada à annoncer devant un comité d'experts de l'OPANO qui cherche à améliorer et à réformer le système de cette organisation qu'il existe une coalition d'États membres animés des mêmes sentiments qui sont d'accord sur une série de propositions, quelles qu'elles soient.

On pourrait donc faire un premier essai sur la scène internationale lors de la conférence de la Nouvelle-Zélande et regarder ensuite le calendrier des conférences internationales. Les plus évidentes sont, entre autres, celles qui se tiendront à l'automne de 2005, où l'on pourrait proposer pour la première fois des modifications à la Convention sur le droit de la mer. Un an plus tard, on pourrait proposer des modifications à la Convention de l'OPANO. On pourrait donc établir un calendrier international — il s'agirait d'établir la bonne séquence — en commençant par la conférence à Queenstown, en Nouvelle-Zélande, et en prévoyant la participation à ces autres conférences internationales en vue de faire modifier le droit international. Mais tout cela devra être bien orchestré et il faudra prévoir un rôle approprié pour les flûtes les hautbois, tout comme pour les premiers violons qui jouent la mélodie. Il faudrait que tout cela soit coordonné de concert avec d'autres États membres animés des mêmes sentiments que nous.

Ce ne serait pas très difficile à mettre par écrit. En fait, il est toujours relativement facile d'écrire quelque chose sur un papier, mais faire en sorte que les mots aient un sens et que les mesures prises influencent la situation politique, ça c'est évidemment autre chose. Mais il est clair qu'en l'absence d'un document, cela ne débouchera jamais sur rien.

Dans un premier temps, il faudrait que le gouvernement fédéral — c'est-à-dire pas seulement le MPO mais le MAECI, Environnement Canada et peut-être d'autres organismes fédéraux — reconnaisse qu'il doit y avoir une bonne coordination au niveau fédéral et entre le fédéral, les administrations provinciales — notamment Terre-Neuve — et l'industrie. D'autres institutions devraient peut-être aussi participer à cet effort de coordination. Cette concertation est nécessaire non seulement pour résoudre nos difficultés nationales, mais aussi pour élaborer une stratégie diplomatique cohérente pour les fins de nos relations extérieures.

Le sénateur Mahovlich: D'après ce que vous semblez dire, le défi est de taille. Vous parlez de musiciens et d'orchestre. À mon avis, vous avez besoin d'un bon chef d'orchestre ou d'un arbitre.

M. Johnston: Oui, un arbitre qui porte une chemise rayée.

Le sénateur Mahovlich: Exactement. L'OPANO a-t-elle influencé notre décision de supprimer la pratique de la pêche au large de notre côte? Ou avons-nous décidé nous-mêmes de nous punir?

M. Johnston: L'OPANO prend des décisions qui peuvent consister à frapper d'un moratoire la pêche de certaines espèces qu'il ne faut plus exploiter pour leur permettre de se reconstituer. Ces décisions s'appliquent uniformément à l'ensemble des membres de l'OPANO.

Mais votre allusion à la nécessité d'un chef d'orchestre ou d'un arbitre soulève l'importante question de savoir s'il serait bon de faire intervenir une tierce partie neutre, qui jouerait un peu le rôle d'un arbitre. Ça, c'est une question très difficile. La Cour internationale de justice à La Haye pourrait-elle nous être utile? Serait-il possible de lui soumettre certains différends?

Je pense que ce serait extrêmement difficile. D'abord, il faut un différend justifiable. Quant au genre de différend dont il pourrait s'agir, on pourrait laisser le soin aux avocats de s'entendre là-dessus. De quel genre de différend pourrait-il s'agir? Qui pourrait en être les parties? Il faut d'abord qu'au moins deux États qui sont en conflit reconnaissent qu'il existe un différend entre eux. À ce moment-là, il est possible qu'on puisse soumettre la question à un tribunal international.

Certains avocats vous diraient qu'il ne serait pas possible de tirer au clair d'importantes questions internationales à moins de soumettre le différend à une tierce partie, comme un tribunal. Mais dans le contexte des pêches, j'avoue que mes opinions diffèrent de celles d'autres avocats internationaux puisque je mets davantage l'accent sur la diplomatie coopérative. J'avoue que c'est une stratégie dont il est plus difficile d'obtenir des résultats concrets.

Mais depuis le début de cette séance, j'essaie de vous convaincre qu'il existe peut-être d'autres États membres de l'OPANO, et peut-être d'autres pays en dehors de l'OPANO, dans d'autres régions du monde, qui ont la même optique que nous et que le Canada pourrait donc pressentir. Le Canada pourrait former une coalition au sein de l'OPANO en vue d'exercer des pressions sur la communauté diplomatique internationale et d'essayer de lui faire comprendre que ces problèmes s'aggravent. Des changements mineurs ne suffiront pas pour résoudre les difficultés actuelles.

Donc, je suis convaincu qu'il ne suffira pas d'apporter progressivement certaines modifications à la structure de l'OPANO. Nous sommes à une époque de notre histoire où nous devons faire le nécessaire pour élaborer des stratégies bien réfléchies qui s'attaquent aux conventions internationales en vue de les changer. Mais il ne faudrait pas que l'attaque soit trop énergique, car nos efforts pourraient alors s'avérer improductifs.

Il faudrait beaucoup réfléchir à la question et cet effort de réflexion suppose la participation du gouvernement fédéral, du gouvernement de Terre-Neuve et de l'industrie des pêches. Tous ces acteurs ont de bonnes raisons de vouloir participer à l'élaboration d'une stratégie politique canadienne à la fois ingénieuse et intelligente qu'on pourrait ensuite convaincre d'autres États clés, au sein de l'OPANO et à l'extérieur de cette organisation, de soutenir.

Ce ne serait pas facile, mais ce serait faisable, à mon avis.

Le président: J'ai deux très brèves questions à vous poser, et je vous demande de me faire des réponses aussi brèves, si possible.

Savez-vous si le Canada a toujours donné suite aux recommandations de l'OPANO sur les mesures de conservation? Le Canada a-t-il déjà déposé un avis d'opposition en recourant à la procédure que prévoit la convention de l'OPANO?

M. Johnston: Je vais demander à M. McGuinness de vous répondre.

M. McGuinness: Autant que je sache, le Canada a toujours respecté les décisions de l'OPANO en ce qui concerne son régime de conservation et de gestion des stocks. Nous n'avons jamais eu recours à la procédure d'opposition afin d'éviter de respecter de telles décisions.

Le président: J'ai une dernière question: Il y a plusieurs semaines, j'ai proposé l'idée de créer un récif artificiel qui serait constitué de vieilles carrosseries de voitures et de choses de ce genre à différents emplacements stratégiques le long du nez et de la queue des Grands Bancs. Voilà ce qui se fait actuellement sur la côte de l'Afrique. Certains pays africains ont pris cette mesure pour empêcher les bateaux de certains pays européens de pratiquer la pêche dans des zones où ils ne devraient pas le faire. Ces récifs artificiels obstruent le passage des chalutiers. Votre groupe a-t-il examiné cette possibilité?

M. McGuinness: Comme vous le dites, nous nous sommes surtout concentrés jusqu'à présent sur les aspects internationaux du problème. Si des options se révèlent peu pratiques ou réalistes, il faudra peut-être examiner toute la gamme d'outils qui s'offrent à nous.

Nous n'avons pas vraiment examiné cette possibilité jusqu'à présent, parce que nous voulons surtout faire étudier ce document par l'entremise de nos experts juridiques. Nous voulons nous asseoir avec les représentants du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et de l'industrie pour voir si cette proposition est pratique et réalisable. Nous voulons élargir le dialogue pour être à même d'examiner d'autres idées ou options.

Toutes les solutions ne sont pas nécessairement des solutions juridiques. Voilà essentiellement ce que nous ferions dans le contexte d'une table ronde. Notre document serait un document parmi d'autres, et d'autres idées seraient également présentées, y compris celle du récif artificiel.

Le président: Merci beaucoup. Je crois savoir que votre rapport sera publié en mai

M. McGuinness: Oui.

Le président: Sera-t-il public?

M. McGuinness: Oui.

Le président: Mais vous ne ferez pas de recommandations. Il s'agira d'un rapport...

M. McGuinness: Nous allons présenter en détail une série d'options qui seront bien expliquées, y compris divers moyens et stratégies possibles. À partir de là, tous les intéressés pourront, nous l'espérons, se pencher là-dessus et déterminer quelle démarche est la plus susceptible de réussir.

Le président: Je voudrais vous remercier tous les deux de votre présence ce soir. C'était un vrai privilège de pouvoir entendre votre exposé sur le travail que vous avez accompli.

Nous attendons avec impatience de recevoir le rapport, et nous vous remercions encore une fois et nous vous remercions pour les excellentes idées dont vous nous avez fait part ce soir. Nous espérons vous revoir à l'avenir.

M. Johnston: Je suis très heureux d'avoir pu rencontrer les membres du comité. Je suis désolé d'avoir parlé aussi longtemps.

Le président: Il existe ce qu'on appelle dans le monde du hockey la «mort subite».

La séance est levée.


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