Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 28 mai 2003
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 19 h 14 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, les questions relatives aux stocks chevauchants et à l'habitat du poisson.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous recevons aujourd'hui plusieurs témoins originaires de la Première nation de la rivière Taku. Monsieur Ward, je vous prie de bien vouloir nous présenter vos collègues. Si j'ai bien compris, vous aimeriez faire un exposé.
M. John Ward, porte-parole, Première nation Tlingit de la Rivière Taku: Au nom des Tlingits de la rivière Taku, je tiens à remercier les membres de ce comité. Nous nous réjouissons de comparaître devant vous aujourd'hui. Je sais que notre pays traverse des moments difficiles.
Nous aimerions vous faire part de notre expérience réussie dans la recherche de l'équilibre et de la collaboration professionnelle. Notre mémoire s'intitule: «L'harmonie sur les eaux». Je suis accompagné aujourd'hui de notre biologiste, M. Richard Erhardt, qui m'a beaucoup aidé à comprendre comment articuler les deux philosophies et travailler en harmonie. Je tiens d'ailleurs à le remercier pour sa patience à mon égard. J'ai à ma droite M. Peter Kirby, vice-président directeur général de la Taku Wild Products, qui vous parlera des produits que son entreprise commercialise.
Le président: Soyez les bienvenus parmi nous. J'imagine que tout le travail que vous avez accompli vous a permis d'acquérir une vaste expérience dans le domaine. Nous avons hâte d'entendre vos témoignages respectifs.
M. Ward: Pour commencer, vous pouvez voir quelques diapositives de mon oncle Jack. À droite, il y a un masque d'ours. D'un point de vue strictement commercial, les gens diraient que c'est un produit à valeur ajoutée, mais c'est ainsi que nous préparons le poisson depuis des générations.
Cela fait bien longtemps que notre peuple assure une bonne intendance des ressources et protège les frontières de notre territoire ancestral. Nous entretenons une relation étroite avec la terre. Au fil du temps, nous avons appris à ne plus faire qu'un avec la nature. Aujourd'hui, nous nous battons pour transmettre ce sentiment d'union avec la terre à la génération actuelle.
Je parle pour moi. Parfois, je peux être très buté et les gens ont du mal à me faire admettre certains principes. Pourtant, ils ont réussi à nous transmettre une vision plus globale du monde, comme vous le verrez en lisant ce mémoire. Nos aînés nous ont donné les moyens d'aller de l'avant et de nous acquitter de cette responsabilité d'intendance des terres — et dans ce cas précis, de gestion du saumon sauvage dans le bassin hydrologique de notre territoire ancestral.
Nos terres ont une superficie d'un peu moins de 20 000 kilomètres carrés — ce n'est qu'une partie du territoire ancestral. Il s'agit d'une contrée sauvage où il n'y a ni complexe industriel ni route. Les différents écosystèmes et types de forêt ainsi que la faune et la flore sauvages sont demeurés pratiquement intacts. C'est une belle région à visiter. Je ne connais pas d'autre endroit comme celui-là. Lorsque je reviens chez moi, j'apprécie la beauté du paysage et la richesse de ces lieux.
Nous avons une chance immense et unique. Il n'y a pas beaucoup d'endroits comme le nôtre. J'ai entendu des spécialistes dire qu'ils seraient ravis de venir étudier notre territoire car il en reste peu comme lui dans le monde. Tout y est: le saumon, la vie sauvage ainsi que des écosystèmes et des forêts incroyablement bien préservés. Cela pique leur curiosité. Il y a peu d'endroits qu'ils peuvent étudier qui soient aussi riches.
Nos aînés nous ont lancé un défi. Nous avons également dû faire face à des défis constitutionnels pour exercer notre responsabilité d'intendance. Nous ne pouvions agir tout seuls. Au fil des ans, nous avons tissé des liens étroits avec la représentation régionale du ministère des Pêches et des Océans. Il existe actuellement sur la côte Ouest beaucoup de programmes reliés à la Stratégie des pêches autochtones; la nation Tlingit de la rivière Taku participe à l'un d'entre eux. C'est dans le cadre de cette initiative que nous avons commencé à nouer et à développer des liens avec le gouvernement fédéral, plus particulièrement avec le ministère des Pêches et des Océans.
Nous sommes tombés sur un guide, réalisé par le gouvernement fédéral et celui de la Colombie-Britannique, qui expliquait comment élaborer des cadres de planification. Je me suis entretenu avec le directeur régional du ministère des Pêches et des Océans et nous avons pensé que ce serait une bonne idée de nous lancer ensemble dans cette aventure. M. Erhardt s'est occupé de la gestion de tout le processus de planification et je dois dire qu'il a fait un excellent travail. La dynamique que j'ai pu observer durant les séances du groupe de travail était teintée de beaucoup d'effervescence, parfois même festive.
Je crois que ceux qui ont étudié longtemps pour se spécialiser dans un domaine se sentent parfois entravés par des questions administratives. Ils voient ce processus comme une occasion d'exercer librement leurs compétences. M. Erhardt s'est montré très ouvert et patient en voulant comprendre nos connaissances écologiques ancestrales et les intégrer au processus. Toutes les autres parties en présence étaient très enthousiasmées, notamment le ministère de la Pêche et de la Chasse de l'Alaska, qui participe également au processus et a beaucoup contribué à l'instauration de l'harmonie.
Notre objectif final est de garder les écosystèmes en bon état pour les générations futures; pas seulement pour la nation Tlingit de la rivière Taku, mais aussi pour tous ceux qui s'intéressent à notre territoire ancestral, au sein du bassin hydrologique.
M. Richard Erhardt, biologiste, Première nation Tlingit de la rivière Taku: Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui.
Cette diapositive représente un diagramme figuratif décrivant la structure de gestion des pêches dans notre région. Étant donné qu'il s'agit d'une région transfrontalière, nous travaillons en collaboration avec nos voisins américains, dont le ministère de la Pêche et de la Chasse de l'Alaska, entre autres organismes.
Le groupe de travail créé pour lancer ce processus a pour mission de fournir des informations aux différents comités et groupes d'experts, même si en ce moment il n'y a pas de relations formelles. Nous avons beaucoup de chance que M. Ward ait participé aux travaux d'un nouveau groupe d'experts transfrontalier de la Commission du saumon du Pacifique. Cela nous a également permis de développer des partenariats. Ces formes de partenariat et ces pratiques de cogestion existaient bien avant la mise en oeuvre du processus, surtout grâce à l'action politique qu'a menée M. Ward au nom des Premières nations.
La Planification de l'exploitation durable du poisson des bassins versants, ou PEDPBV, s'inscrit dans un processus de planification stratégique commune, un peu comme celle que l'on retrouve dans le monde des affaires et, bien sûr, dans les milieux politiques. Pour assurer la gestion coopérative des pêches, nous avons appliqué une stratégie consistant à établir l'ordre des priorités en terme de temps, de ressources et de personnel. En outre, nous avons adopté une approche surtout axée sur le poisson, afin de nous concentrer sur la viabilité des ressources à long terme. Nous avons aussi créé un «plan dynamique», une démarche continue, pour que le rapport que nous produisons ne reste pas lettre morte. Le plus gros du travail, qui consistait à définir les priorités, est maintenant terminé. Mais ce processus doit suivre son cours, c'est-à-dire servir d'instrument de contrôle et d'évaluation pour nous garder sur la voie tracée. C'est en quelque sorte une ébauche de plan de gestion: tout le monde s'est entendu sur le modèle, chacun sait exactement à quoi cela va ressembler en bout de ligne et quelles sont les mesures à prendre pour y parvenir.
La PEDPBV est également une initiative communautaire. Nous avons réussi à organiser des ateliers dans notre région, sur le territoire ancestral de la Première nation des Tlingits de la rivière Taku. L'hiver dernier, nous avons créé des ateliers à Juneau, en Alaska, afin de faire participer les différentes agences techniques et partenaires établis de l'autre côté de la frontière.
À l'origine, c'est un guide élaboré conjointement par le ministère fédéral des Pêches et des Océans et la province de Colombie-Britannique qui a servi de cadre à ce processus. Cependant, il n'était relié à aucun programme. Il n'y avait personne pour y donner suite; une situation que nous avons corrigée depuis. Il s'agit d'un processus en quatre étapes. Nous sommes maintenant à l'étape numéro trois, qui consiste à mettre au point des stratégies d'intervention. C'est la deuxième année que nous travaillons là dessus.
Le schéma qui apparaît dans la partie inférieure droite de la diapositive illustre la méthode que nous avons suivie. Au début, nous avons défini un profil et préparé un aperçu. La détermination du profil est une tâche d'envergure consistant à rassembler toutes les informations biologiques existantes en la matière — cela va des rapports déjà publiés sur le sujet aux connaissances ancestrales des aînés permettant de localiser une frayère sur une carte, par exemple. Cela permet d'obtenir des renseignements inestimables provenant de différentes sources d'information.
Pour avoir un aperçu de la situation, nous avons recueilli des renseignements sur les lois et politiques gouvernementales, les valeurs et principes des Premières nations ainsi que les intérêts communautaires. Toutes les données compilées nous ont permis d'établir nos priorités et nos stratégies.
Au départ, nous avons divisé la région en cinq unités de planification constituées de différents bassins hydrologiques. Chacun de ces bassins possède des caractéristiques écologiques uniques, et c'est sur cette base qu'ils ont été choisis car c'est plus facile pour nous ainsi.
Le profil régional correspond à une compilation des données biologiques et du savoir traditionnel local décrivant les processus écologiques et le niveau de conservation. Vous avez devant vous une carte illustrant la répartition du saumon rouge et les zones de frai; nous l'avons créée grâce à notre système d'information géographique, ou SIG. Ces données ne figuraient pas sur la carte, mais nous avons maintenant une représentation graphique de la façon dont ces espèces occupent le bassin hydrologique. Cette carte est à l'échelle 1:250 000, mais elle donne une bonne idée générale. Un peu plus tard, je vous montrerai le modèle permettant de cartographier l'habitat que nous sommes en train de mettre au point car il donne une meilleure perspective. Il contient toute l'information pertinente sur le profil régional.
Comme je l'ai dit plus tôt, l'aperçu régional renferme des données sur les lois et politiques du gouvernement, les valeurs des Premières nations et les intérêts et préoccupations du milieu. Chaque Première nation participante a exposé ses «principes» d'exploitation durable du poisson. Les membres de la communauté ont participé aux travaux des ateliers de différentes façons: comme en dessinant des cartes ou en faisant part de leurs propres expériences et observations sur la rivière, par exemple. En outre, ils ont pu voir comment on a tenu compte de leurs préoccupations dans le modèle. Sur l'écran, vous verrez un exemple de tableau que nous avons préparé pour résumer les principes ainsi que les lois et politiques actuelles visant la Planification de l'exploitation durable du poisson.
Pour définir nos priorités en matière de planification, nous avons eu recours à la même méthode que celle utilisée pour la définition du profil. Nous avons examiné tous les renseignements et utilisé un «filtre» de questions pour nous concentrer sur le plus important afin de garantir une exploitation durable du poisson et préserver l'habitat. Voici quelques-unes des questions auxquelles nous avons tenté de répondre: est-ce une priorité? en fait-on mention ou état dans les lois et politiques gouvernementales actuelles? est-ce une source de préoccupation pour les Premières nations? cela fait-il partie des résultats obtenus dans le cadre de l'approche communautaire?
Les priorités de planification choisies n'ont pas toutes la même portée ni la même importance. Par exemple, nous avons choisi de nous intéresser plus particulièrement au bas Taku car c'est une région très sauvage et diversifiée. La deuxième priorité consistait à adopter une approche en matière de gestion des stocks, en vertu de laquelle nous devions nous concentrer sur chaque stock individuellement plutôt que sur la population de la région dans son ensemble. La troisième priorité portait sur le saumon kéta sauvage, une population de poissons qui a suscité des inquiétudes et méritait d'être étudiée. Toutes ces approches sont très intégrées.
Maintenant que nous sommes arrivés à la troisième étape du processus, nous cherchons à élaborer des stratégies d'action pour chacune de ces priorités. Là encore, nous avons utilisé la même méthode — profil et aperçu —, mais de façon plus détaillée pour chaque priorité. Comme je vous l'ai fait remarquer, l'une de nos priorités était de nous concentrer sur la région du bas Taku pour la conservation de l'habitat, et l'une des stratégies mises en oeuvre pour atteindre notre objectif était de définir un modèle de cartographie pour cet habitat.
Avant l'élaboration du processus, ceci était un projet pilote de la PNTRT. Le moment était bien choisi. Permettez- moi de vous expliquer en quoi consiste ce modèle car la question de l'habitat suscite beaucoup d'intérêt. En haut à droite de l'écran, vous pouvez voir une photographie aérienne de la région du bas Taku, aussi appelée King Salmon Flats. Nous pouvons utiliser des photographies aériennes ou de l'imagerie satellite. En plus de cela, nous ajoutons dans notre programme de cartographie du SIG les différents types d'habitat du poisson.
Cela nous permet d'obtenir une description du type d'habitat, des espèces de poissons et de la qualité de l'eau dans un secteur donné. Nous faisons du travail de terrain, mais il est prématuré de croire que nous pourrons un jour recueillir des informations sur l'habitat de toute la région. L'avantage de ce modèle, c'est qu'il donne un aperçu d'une région stratégique et permet d'étendre le modèle à d'autres. Grâce aux photographies aériennes, nous pouvons prendre différents types d'habitat et étayer ce modèle.
L'autre avantage, c'est qu'on peut utiliser le produit final. Il n'est pas nécessaire d'être biologiste halieutique pour le faire. C'est un outil pouvant aussi servir à l'aménagement du territoire ou à l'évaluation des risques, par exemple, car il montre comment le poisson utilise le bassin hydrologique.
Je vais maintenant passer le flambeau à M. Kirby. Il va vous parler d'une autre initiative — la Taku Wild Products Inc. — qui permet d'assurer également la viabilité de la pêche.
M. Peter Kirby, président-directeur général de la Taku Wild Products, gestionnaire des projets d'immobilisation de la PNTRT et agent de développement économique, Première nation Tlingit de la rivière Taku: Je vous remercie de me donner la possibilité de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Je suis ici pour parler des produits de saumon fumé de Taku Wild. Il s'agit d'une société créée dans le cadre de la planification de l'exploitation durable du poisson des bassins versants que MM. Erhardt et Ward viennent de vous décrire.
Taku Wild est une société établie à Atlin, en Colombie-Britannique, qui appartient totalement à la Première nation Tlingit de la rivière Taku. Nous produisons un saumon, pêché dans la rivière Taku selon les principes d'exploitation durable du poisson, que nous emballons dans un contenant stérilisé en autoclave. Nous vendons ce produit au Canada, aux États-Unis, au Japon et en Europe.
Notre objectif est de garantir un développement économique durable pour les gens de la région et de rapatrier au Canada une partie du travail qui se fait actuellement aux États-Unis.
Le poisson pêché dans la rivière Taku est conservé dans la glace que les pêcheurs prélèvent du glacier. Il est ensuite acheminé vers une usine de transformation de Juneau, à trois heures de voyage de là, pour subir un traitement à haute température qui lui permet de se conserver pendant sept ans. D'après notre expérience de la vente, ce produit ne dure normalement pas plus de sept minutes, alors imaginez sept ans.
La transformation du poisson se fait actuellement à Juneau, en Alaska. Si nous nous fions à nos projections en matière de ventes, nous devrions bientôt pouvoir construire une usine à Atlin et créer des emplois durables qui ne seront pas à la merci des variations économiques cycliques. Nous espérons utiliser ce projet dans le cadre d'une stratégie globale durable pour la région d'Atlin Taku.
Grâce à nos efforts de commercialisation, nous payons mieux les pêcheurs qui, en raison de l'accroissement de leur revenu, peuvent espérer mener une vie meilleure dans la région d'Atlin Taku.
M. Ward: Notre mémoire renferme quelques-unes des recommandations à appliquer pour le bien des générations futures et l'exploitation durable du saumon dans notre bassin hydrologique.
Cette initiative peut ressembler à un projet pilote, mais, comme l'a dit M. Erhardt, nous voulons la rendre dynamique et permanente. Notre but est de prendre en compte ce qui est important pour les gens — la science, les connaissances traditionnelles et écologiques de notre peuple, en particulier des anciens. Chaque fois que nous faisons un exposé, les aînés veulent savoir comment nous utilisons et transmettons leurs connaissances.
Pour ce projet particulier, il règne une très grande harmonie, au niveau régional, entre le ministère des Pêches et des Océans et le ministère de la Pêche et de la Chasse de l'Alaska. Il y a aussi une place pour le gouvernement de Colombie- Britannique, mais celui-ci est trop occupé ailleurs pour s'investir. Peu importe; nous ne sommes pas ici pour blâmer qui que ce soit car notre entreprise est une vraie réussite.
Nous avons tout fait pour tenir compte de l'ensemble des préoccupations et des intérêts liés au saumon sur notre territoire ancestral. Je pense que c'est un merveilleux modèle que d'autres régions pourraient suivre dans la mesure où il permet de réunir différents points de vue, favorise une meilleure compréhension entre les gens et une plus grande structuration technique. Comme l'a fait remarquer M. Erhardt, c'est un outil très utile pour bâtir des ponts et articuler les informations glanées çà et là.
Le modèle de cartographie de l'habitat est une création de M. Erhardt. Il fait désormais partie du plan. Ceci est un exemple de l'harmonie qui peut régner grâce à l'ouverture et à la capacité de communication des gens. Actuellement, nous vivons en harmonie et nous espérons que ces recommandations seront prises en compte pour que cet équilibre se perpétue.
Le président: Je vous remercie, monsieur Ward. Votre exposé était vraiment intéressant. Étant donné que nous ne nous y connaissons pas très bien en bassins hydrologiques, l'information que vous nous avez fournie donne une toute nouvelle dimension à nos travaux.
Vous avez activement travaillé à l'établissement d'une nouvelle structure. Si j'ai bien compris, vous en êtes maintenant à l'étape numéro 2, mais vous progressez rapidement. Vous réalisez ce merveilleux projet avec beaucoup d'enthousiasme. Pour nous, c'est très enrichissant d'entendre des histoires de réussite car cela contraste avec tous les témoignages négatifs que nous avons reçus ces derniers mois et cela jette une lumière positive sur les travaux du comité.
J'ignore si vous le savez, mais notre étude sur l'habitat porte davantage sur les expériences positives que sur les échecs. Nous voulons savoir comment les gens contribuent à l'amélioration de l'habitat. Je cède maintenant la parole aux membres du comité pour qu'ils vous posent des questions.
Le sénateur Cochrane: Je suis ravie d'apprendre que l'approche que vous avez adoptée dans le domaine des pêches est une réussite totale. Ce n'est pas si courant, de nos jours, d'entendre parler de partenariats concluants et de consensus fructueux. Je vous remercie de nous l'avoir fait remarquer.
Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador. Comme vous le savez certainement, cette province cherche actuellement à partager la gestion des pêches avec le gouvernement fédéral. Le premier ministre Grimes a récemment proposé la création d'un conseil de gestion des pêches entre le gouvernement fédéral et la province de Terre-Neuve-et-Labrador pour favoriser la cogestion. Je suis certaine que ma province aurait beaucoup à apprendre de ce que vous faites dans l'Ouest.
Comment s'est amorcée cette approche en matière de cogestion? Vous avez parlé du ministère des Pêches et des Océans, mais racontez-moi toute l'histoire. Monsieur Ward, vous êtes Autochtone, j'aimerais en savoir un peu plus. Qui a participé au processus? Qu'est-ce que chaque intervenant avait à mettre sur la table? Quels conseils donneriez- vous à ceux qui veulent suivre votre voie et réussir autant que vous dans le développement d'une initiative de cogestion?
M. Ward: Tout est parti d'un document publié conjointement par le gouvernement fédéral et celui de Colombie- Britannique. Je n'ai pas le titre de cet ouvrage, mais c'est un guide permettant de développer ce type d'initiative. M. Erhardt l'a lu. Nous en avons parlé. Je lui ai demandé de m'expliquer en quoi cela consistait — et de m'aider à en décrypter le sens.
Quand nous l'avons suffisamment bien compris, nous avons trouvé qu'il s'agissait d'un outil précieux. J'ai pris contact avec le responsable régional du ministère des Pêches et des Océans de notre région et je lui ai demandé s'il était disposé à poursuivre cette initiative conjointement avec nous et à mettre en oeuvre un processus de planification. Il s'est montré très réceptif à notre proposition, et vous connaissez la suite de l'histoire.
Le sénateur Cochrane: Pourquoi avez-vous fait cela? Aviez-vous des problèmes avec le saumon, avec les stocks de jeunes poissons?
M. Ward: Je pense que M. Erhardt est mieux placé que moi pour vous expliquer l'état des stocks et du saumon.
J'ai accepté de me lancer dans cette aventure parce que nous considérions que c'était un moyen de créer de l'harmonie entre nous. J'avais ressenti de la frustration en tentant de rapprocher les deux mondes et j'avais aussi été déçu par le choc perpétuel entre les philosophies des Premières nations, les différentes visions du monde, les modes de gestion et la science. Il y a longtemps que ça dure.
J'ai eu vraiment beaucoup de chance de rencontrer M. Erhardt; il cherchait d'ailleurs un emploi à ce moment-là. Nous avons parlé de cette question puis nous avons travaillé ensemble pendant quelques années avant de tomber sur ce document et de nous rendre compte que c'était le moyen qui nous permettrait de réunir ces deux mondes et d'obtenir l'engagement du gouvernement fédéral et du gouvernement de la nation tlingit de la rivière Taku pour entreprendre cette démarche d'ouverture et apprécier les valeurs de chacun.
M. Erhardt: Le cadre fondamental du processus existait déjà, mais il a fallu travailler sur les détails.
Pour ce qui est de l'état des stocks et de l'habitat, je dirais que notre situation est tout à fait différente. En termes relatifs, notre région est un joyau de la nature et les stocks sont en bonne santé. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas certaines craintes ou difficultés, mais ce processus vise justement à prévenir les crises. Il a également pour but d'apaiser les frictions éventuelles. Voilà l'approche que nous avons adoptée.
Le cadre fondamental peut être appliqué n'importe où. Il suffit d'adapter certains petits détails en fonction des objectifs visés. Le but est-il de réintégrer une espèce? Dans notre cas, il est à notre avantage d'adopter une approche proactive pour protéger ces stocks et leur habitat car c'est beaucoup plus facile de procéder ainsi, à long terme, que d'essayer de reconstituer des stocks décimés.
Pour ce qui est des projets et des intervenants, cela fait déjà deux ans que nous planchons sur cette question. L'essentiel du travail de planification est terminé. Nous élaborons actuellement les plans et stratégies d'intervention et déterminons qui fera quoi ainsi que les responsabilités de chacun. Notre groupe de travail se composait de divers représentants d'agences et de ministères — spécialistes de l'évaluation de l'habitat et des stocks. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les experts en habitat de l'Alaska pour développer une approche intégrée et un modèle en la matière. Nous cherchons maintenant à créer des cartes sans coupure qui ne s'arrêtent pas à la frontière canado- américaine. Nous envisageons de créer un modèle de cartographie englobant les deux côtés de la frontière. Voici quelques-uns des résultats émanant de ce processus.
Le sénateur Mahovlich: Avez-vous jamais été approchés par des spécialistes de l'aquaculture ou de la pisciculture? La région que vous nous avez décrite semble être un endroit idéal pour l'élevage piscicole.
M. Ward: Je ne m'y connais pas beaucoup en la matière. C'est peut-être un bon endroit pour ces gens-là, mais les aînés de ma communauté refuseraient de les accueillir, et si moi j'acceptais, ils me fustigeraient.
Le sénateur Mahovlich: Il y a de l'élevage piscicole partout autour de Vancouver et dans de nombreux havres sur la côte Est. Les Norvégiens se sont lancés dans la pisciculture et sont allés s'établir au Chili. Ils ont aménagé des rivières pour y faire de l'élevage piscicole, mais ils connaissent quelques difficultés.
Est-ce que quelqu'un vous a déjà approchés pour faire de l'élevage piscicole?
M. Ward: Pas vraiment étant donné qu'il n'y a pas de besoin réel.
Le sénateur Mahovlich: Il n'y en avait pas?
M. Ward: Non.
Le sénateur Mahovlich: Ce n'était pas nécessaire. Il y a assez de poisson comme cela. C'est intéressant.
Dans votre plan intitulé «l'harmonie sur les eaux», dites-vous que le bassin hydrologique s'étend jusqu'au Yukon?
M. Ward: Pas ce bassin hydrologique en particulier. Au début du document contenant une série de diapositives, il y a une carte. Je suis désolé de ne pas vous avoir donné plus de détails sur cette région. Nous sommes situés pratiquement à l'extrême nord-ouest de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce au nord de Prince Rupert?
M. Ward: Prince Rupert se situe à peu près à mi-chemin. Nous sommes la communauté vivant le plus au nord-ouest de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce que le bassin hydrologique s'étend jusqu'en Arctique?
M. Ward: Atlin se situe dans la région du cours supérieur de la rivière Yukon qui débouche sur le détroit de Bering, à quelques kilomètres au sud du lac Atlin. Ce lac est la plus grande réserve d'eau douce de Colombie-Britannique. Le partage se fait à quelques kilomètres entre les deux et les eaux se jettent dans la rivière Taku, qui s'étend jusqu'à environ 20 milles au sud de Juneau, en Alaska.
Le sénateur Mahovlich: C'est très intéressant et ça a l'air de fonctionner. Je m'en réjouis pour vous. J'espère que vous pourrez préserver l'harmonie qui règne chez vous. La plupart des zones de pêche un peu partout au pays connaissent de graves problèmes et il est bon de vous entendre dire que tout va bien chez vous. J'espère que vous continuerez d'écouter vos aînés.
M. Ward: Oui; je l'espère moi aussi.
Le sénateur Phalen: Quelle est la longueur de la rivière Taku?
M. Erhardt: Le bras principal mesure environ 75 kilomètres, mais les affluents sont beaucoup plus longs. Cette rivière compte d'ailleurs de nombreux grands affluents.
Le sénateur Phalen: Les avez-vous tous cartographiés?
M. Erhardt: Nous avons utilisé différentes cartes de base, mais l'ensemble de la cartographie que je vous ai présentée a été réalisé par les Tlingits de la rivière Taku.
Le sénateur Phalen: Est-ce une ressource que vous partagez avec les Américains?
M. Erhardt: Oui.
Le sénateur Phalen: Où sont les frayères et sont-elles nombreuses?
M. Erhardt: Oui, il y en a beaucoup.
Le sénateur Phalen: Combien environ, en avez-vous une idée? Vous ne les avez pas encore cartographiées.
M. Erhardt: C'est la raison pour laquelle nous travaillons sur l'élaboration d'un modèle. C'est une région très diversifiée et très riche. Actuellement, le système est une aire de croissance pour les saumons sauvages.
Le sénateur Phalen: Nous savons qu'on fait toujours des vérifications sur les rivières; cela permet de connaître le nombre de poissons qui reviennent par rapport au chiffre de départ.
Vous ne semblez pas effectuer ces vérifications, n'est-ce pas?
M. Erhardt: Si, nous en faisons aussi. Nous appliquons, conjointement avec le ministère canadien des Pêches et des Océans et le ministère de la Pêche et de la Chasse de l'Alaska un solide programme d'évaluation périodique des stocks. Nous procédons à des marquages et à des reprises. Nous utilisons des tourniquets et des fascines. De plus, nous prenons des relevés aériens pour évaluer la quantité de poissons. Conformément au Traité sur le saumon du Pacifique, nous appliquons un régime de gestion fondé sur l'abondance, ce qui est une très bonne approche car cela permet de gérer la pêche en fonction de l'importance relative de la montaison chaque année.
Le sénateur Phalen: Déterminez-vous le nombre de poissons qui reviennent?
M. Erhardt: En haute saison, en fonction de l'importance de la montaison.
Le sénateur Phalen: Est-ce qu'on peut pratiquer la pêche sportive sur la rivière Taku?
M. Erhardt: Oui, mais ce n'est pas très répandu étant donné que nous vivons dans une région éloignée, accessible uniquement par hélicoptère. Mais c'est un site unique.
Le sénateur Phalen: Je trouve cela incroyable.
Le président: Pourriez-vous nous expliquer une fois encore en quoi consiste le régime de gestion fondé sur l'abondance?
M. Erhardt: Ce régime fait partie du traité actuel. Il est appliqué depuis de nombreuses années par les techniciens des deux côtés de la frontière ainsi que ceux du ministère des Pêches et des Océans.
Le total autorisé des captures est converti en pourcentage. Malheureusement, il n'est que de 18 p. 100 du côté canadien, alors qu'il est de 82 p. 100 du côté américain.
Le sénateur Phalen: Pourquoi?
M. Erhardt: C'est ce que stipule le traité en vigueur jusqu'en 2009.
Le sénateur Phalen: Ce n'est pas normal. Je ne comprends pas pourquoi.
M. Erhardt: Nous non plus.
Le sénateur Phalen: Y a-t-il des protections sur les rivières? Y fait-on du braconnage ou ce n'est pas un problème?
M. Erhardt: Ce n'est pas vraiment un problème parce que l'accès est très limité. C'est une zone de pêche sauvage qui n'est accessible que par la voie des airs et où l'on utilise des filets maillants dérivants.
Le sénateur Phalen: Les braconniers ne viennent pas en avion prendre tout le poisson qu'ils veulent, n'est-ce pas?
M. Erhardt: Non. Il n'y a pas beaucoup de moyens pour les en empêcher, mais les pêcheurs se surveillent entre eux.
Le sénateur Phalen: Quelles espèces de poissons retrouve-t-on dans la rivière Taku?
M. Erhardt: Il y en a cinq. Pour la pêche commerciale, les principales sont le saumon rouge et le saumon coho.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce vrai qu'il n'y a pas de saumon de l'Atlantique dans la rivière Taku?
M. Erhardt: Pas encore.
Le sénateur Mahovlich: Il y a donc les espèces naturelles que l'on retrouve dans cette région?
M. Erhardt: Oui.
Le président: Quelles sont les espèces de saumon du Pacifique qui remontent la rivière Taku?
M. Erhardt: Il y a le saumon rouge, le saumon coho, le saumon quinnat, le saumon kéta et le saumon rose.
Le président: Toutes ces espèces utilisent-elles le bassin hydrologique?
M. Erhardt: Oui. Actuellement, il y a 27 espèces connues. Le bassin hydrologique regorge de poissons venant du Pacifique ainsi que d'espèces provenant de l'intérieur du Yukon.
Le président: Les stocks de la rivière Taku sont-ils en assez bon état actuellement?
M. Erhardt: Comparé à ceux d'autres régions, oui, ils le sont. Il y a des différences dans le niveau de risque. Avec le temps, les Premières nations et leurs aînés ont observé un changement dans le niveau d'abondance du poisson.
Le président: Est-ce qu'ils se rendent encore jusqu'à la mer?
M. Erhardt: On a des doutes à ce sujet et on travaille justement là dessus.
Le président: C'est une grande région par rapport à ce que nous avons l'habitude de voir. Y a-t-il d'autres bassins hydrologiques que celui de la rivière Taku dans la région?
M. Erhardt: Oui, il y a aussi le bassin hydrologique de Stikine. Il entre dans le cadre de la gestion des eaux transfrontalières. Nous avons rencontré ceux qui s'en occupent.
Le président: Il n'y a pas tant de rivières transfrontalières que ça en Colombie-Britannique. On compte la Stikine et la rivière Taku. Est-ce que l'Alsek en fait partie?
M. Erhardt: Oui.
Le président: Ce sont les trois uniques rivières transfrontalières de la côte britanno-colombienne — et au Canada. Elles coulent toutes sur le territoire des Tlingits. C'est assez intéressant. Quelle est la population de la Première Nation Tlingit de la rivière Taku?
M. Kirby: Elle représente environ 400 personnes. La majorité des gens sont âgés de moins de 25 ans et beaucoup ont des enfants. Nous avons connu une sorte de boom démographique.
Le président: À combien s'élève la population de non-Tlingits dans la région? En avez-vous une idée?
M. Kirby: Quelque 350 non-Tlingits vivent sur notre territoire ancestral.
Le président: Sont-ils Autochtones ou non?
M. Kirby: Ce sont des Blancs.
Le président: Parmi vos proches voisins, il y a la nation Nisga'a, établie dans la région située au sud de votre territoire. Ce peuple a conclu une entente qui a récemment été entérinée. Avez-vous pensé négocier quelque chose de semblable pour votre région ou estimez-vous que ce n'est pas nécessaire étant donné que votre territoire actuel est très défini?
M. Ward: Nous sommes aussi en train de négocier un traité. Nous devrons également franchir cette étape, comme l'ont fait les Nisga'as. Ce que nous faisons maintenant ne peut que nous aider et nous préparer pour ce moment.
Le président: Il me semble que pour l'instant vous n'avez aucun problème de limites territoriales, n'est-ce pas?
M. Ward: Non, nous n'en avons pas, mais c'est grâce à nos aînés qui surveillent la situation de près.
Le président: Ils veillent au grain.
Le territoire, que vous reconnaissez comme étant celui des Tlingits de la rivière Taku, serait assez bien défini. Est-ce que des Premières nations revendiqueraient une partie du territoire que vous possédez actuellement?
M. Ward: Il y aura certains chevauchements. Nous les examinerons avec nos nations voisines.
Le président: Le fait que vous soyez situés dans une région transfrontalière me préoccupe un peu. Cela doit être difficile, parfois, de traiter avec un autre pays, comme les États-Unis.
Le poisson remonte la partie américaine de la rivière et vous espérez qu'il ne soit pas pris avant d'arriver chez vous. L'avantage, c'est que les zones de frai se trouvent de ce côté-ci de la frontière. La plus grande valeur de la rivière Taku, c'est-à-dire les frayères, se trouve chez vous. Est-ce que vous pouvez utiliser cet avantage pour freiner les Américains quand ils en veulent trop?
M. Ward: Nous sommes tenus de respecter le traité actuel. Toutefois, nous savons que dans quelques années il ne sera plus valable et qu'il faudra en négocier un autre. Nous espérons que ce que nous faisons actuellement aboutira à une meilleure cohésion du côté canadien; cela nous permettra de négocier un traité plus avantageux la prochaine fois.
Le président: En quelle année ce traité a-t-il été signé?
M. Erhardt: Il expirera en 2009.
Le président: Quand a-t-il été signé?
M. Erhardt: Je crois que c'était en 1997.
Le président: C'est donc un traité valable pour 10 ans. À en juger par les chiffres, il n'a pas l'air d'être à votre avantage. Néanmoins, nous vous souhaitons le meilleur pour 2009.
M. Erhardt: C'est aussi une question de perspective. Les Premières nations sont établies là depuis des générations. Du côté canadien, la pêche commerciale n'a commencé qu'en 1979. Avant cette date, c'est une agence du gouvernement de l'Alaska qui s'occupait de la pêche et de la gestion dans cette zone. Cela a bien fonctionné.
Le régime de gestion fondé sur l'abondance auquel nous avons adhéré conjointement est pour nous une réussite, et c'est aussi une réussite pour le maintien des stocks de poissons car il faut savoir qu'auparavant, rien de tout cela n'existait. Avant la signature de ce traité, il n'y avait rien, du côté canadien, permettant de garantir une pêche efficace.
Le président: Y a-t-il des Premières nations, dans la région transfrontalière du bassin hydrologique située en Alaska, qui ont maintenant accès au poisson remontant la rivière?
M. Erhardt: Oui, il y en a. La situation est un peu différente dans la mesure où nous sommes toujours en processus de négociation d'un traité, alors qu'elles en ont déjà signé un. Elles ont le droit de pratiquer une pêche commerciale, mais pas vraiment dans le cadre du régime de gestion transfrontalière. Néanmoins, elles ont participé aux travaux de planification de notre groupe de travail.
Le président: Monsieur Kirby, vous envisagez de développer un marché pour l'un des produits les plus vendables, s'il est bien contrôlé. Le poisson est naturel, il vient des eaux pures d'une région perçue comme étant l'une des contrées sauvages les mieux préservées au monde. Je sais qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Ce doit être intéressant de travailler avec un tel produit.
Quel est le principal secteur de votre marché?
M. Kirby: Nous avons commencé nos activités il y a un peu plus d'un an et demi. Nous nous sommes concentrés d'abord sur le saumon coho parce qu'il est très abondant. Nous avons pêché et commercialisé le poisson durant la période de montaison — c'est-à-dire en automne.
Le coho a été bien reçu au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et ailleurs. Toutefois, il n'a pas eu autant de succès sur le marché américain ni dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique parce que c'est une espèce qui se fait rare dans beaucoup de ces rivières et qui est même menacée.
Il y a des gens très au courant de la situation. Les commerçants nous ont dit qu'ils étaient prêts à nous acheter immédiatement du saumon rouge car il est magnifique et délicieux. Néanmoins, à cause des messages négatifs qui circulent sur le marché à propos du coho, ils ne veulent pas de ce poisson dans leur magasin.
Nous avons continué de vendre du saumon coho sur les marchés où il est bien accepté, mais nous nous sommes concentrés sur le saumon rouge pour les marchés américains ainsi que ceux du sud de la Colombie-Britannique et d'autres régions du Canada.
Nous avons signé une entente de courtage avec une société canadienne et nous développons des relations avec une coopérative internationale de l'ouest du pays appelée: «Mountain Peoples Co-op».
Au Japon, quelques petits distributeurs sont devenus de fidèles acheteurs de nos produits. L'une des choses que j'ai remarquées en travaillant avec les Japonais, c'est qu'ils s'intéressent beaucoup à notre saumon en raison de la situation de notre rivière — elle se trouve à proximité du détroit de Bering, dans des eaux froides, ce qui est très important. J'ai beaucoup appris d'une conversation avec un acheteur japonais qui, parce qu'il m'avait posé beaucoup de questions détaillées, m'avait forcé à faire d'innombrables recherches pour répondre à ses demandes. Cela ne faisait que confirmer notre responsabilité de conservation des ressources, pour nous et pour le reste du monde.
L'une des raisons pour lesquelles nous avons la chance de ne pas avoir de pisciculture près de l'embouchure de notre rivière tient au fait que l'Alaska n'autorise pas ce type d'activité. Il y a donc un avantage à avoir une rivière transfrontalière.
Le sénateur Cochrane: J'ai lu que le gouvernement de Colombie-Britannique avait approuvé, en décembre de l'année dernière, le projet routier et minier de Tulsequah Chief. Je sais que cette approbation va à l'encontre des directives du plus haut tribunal de Colombie-Britannique et de la Cour d'appel et qu'elle va aussi à l'encontre des souhaits du groupe représentant cette Première nation, entre autres.
Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous préoccupe, dans le cadre de ce projet, et nous informer des derniers développements, s'il y en a eu, en 2003?
M. Ward: L'autre comité nous a aussi posé cette question. J'espère que le fait de vous exprimer notre point de vue sur ce problème particulier ne jettera pas une ombre sur les bonnes nouvelles en matière de coopération que nous avons apportées à Ottawa.
Ce projet préoccupe mon peuple. Nous ne sommes pas contre l'industrie ni le secteur minier. Nous contestons la façon dont le gouvernement de Colombie-Britannique a géré cette situation — en s'imposant sur nos terres, en décidant ce qui est bon pour nous et en déterminant ce que nous devions faire sur notre territoire ancestral en matière de gestion durable des ressources. Cela ne cadre pas avec ce que nous ont appris nos aînés.
Ils ne veulent pas nous suivre. Ils refusent de hausser le niveau des normes et d'être plus responsables dans leur approche consistant à ouvrir différentes régions et à exploiter des mines ou à réaliser des activités industrielles. Nous voyons bien qu'ils ne cherchent qu'à s'enrichir, mais ce ne sera pas aux dépens des générations futures. Il n'y a pas beaucoup d'autres territoires comme celui-là dans le monde aujourd'hui. C'est vraiment très difficile de leur faire comprendre cela. Les décideurs qui travaillent pour le gouvernement de Colombie-Britannique veulent éviter ce genre de discussion. Ils considèrent que c'est trop axé sur l'environnement. Nous leur disons qu'il est nécessaire de faire des changements positifs, sinon, tout le monde sera à la rue sans avoir rien à manger.
Les gens de ma communauté dépendent du saumon depuis très longtemps. Nous voulons protéger cette ressource pour les générations futures. Nous voulons parler de cela de manière détendue en sachant que nous serons respectés. Je trouve agaçant que nos aînés se fassent leurrer par de belles paroles quand ils tiennent tête à ces gens et leur disent ce qu'ils ont sur le coeur au sujet de leur rapport à la terre et leur façon de gérer les ressources.
Au bout du compte, rien ne change. Ils agissent comme s'ils n'avaient rien entendu. Nos aînés se montrent très respectueux envers ces gens. Cela m'irrite au plus haut point. Il faut que cela change. Nous avons élaboré ce processus de planification de l'exploitation durable du poisson dans les bassins hydrologiques dans l'espoir d'amorcer ce changement et de prouver qu'il y a des façons positives d'y arriver.
Oui, nous contestons la décision du gouvernement britanno-colombien. Elle jette une ombre au tableau.
Le sénateur Cochrane: Avez-vous des problèmes économiques dans votre région? Les gens travaillent-ils, sont-ils autosuffisants?
M. Ward: Tout le monde ne travaille pas, sénateur Cochrane. Certaines personnes voudraient que ce projet échoue, elles ne partagent pas notre vision des choses à long terme.
Il y a plusieurs façons d'instaurer une économie durable. Ce n'est pas seulement l'affaire des Tlingits de la rivière Taku, mais aussi celle des non-Autochtones vivant sur notre territoire ancestral. Tout le monde peut mettre ses idées en commun et proposer des solutions créatives comme l'initiative de la Taku Wild — qui est le commencement d'une telle économie — et travailler un peu plus près de la terre, au lieu de prendre sans jamais rien donner en retour.
Ce ne sont pas les occasions qui manquent, mais il ne faut pas pour autant opter pour la solution de facilité en cherchant à tout prix la prospérité et l'argent facile. Nous ne mourons pas de faim; nous vivons même plutôt bien.
Le sénateur Cochrane: J'ai lu un article paru en avril 1998 qui disait que la rivière Taku est l'une des vingt rivières les plus menacées aux États-Unis. C'est le constat qu'avait fait le River Conservation Group of American Rivers. Dans cet article, un représentant du groupe exprimait ses préoccupations au sujet des retombées négatives potentielles de la mine de Tulsequah Chief.
Est-ce vrai que la rivière Taku est encore en danger?
M. Ward: Je crois que oui. Tant que ce gros nuage noir pèsera au-dessus de nos têtes, elle le demeurera.
Le sénateur Cochrane: Combien de temps pensez-vous que durera cette situation?
M. Ward: Nous n'en savons rien. Ce n'est un secret pour personne que l'affaire de la mine Tulsequah Chief sera examinée par la Cour suprême du Canada en décembre. C'est officiel. Le tribunal entendra la cause et prendra une décision après le mois de décembre de cette année. Nous avons dénoncé l'attitude du gouvernement car il n'a pas suivi ses propres procédures. Jusqu'à présent, les tribunaux sont de notre côté.
Le sénateur Cochrane: Nous verrons bien comment tout cela finira.
Le sénateur Mahovlich: Je siège sur plusieurs autres comités et j'ai entendu parler de la construction d'un pipeline qui partirait du détroit de Bering et se rendrait jusqu'aux États-Unis. Est-ce que cela affecterait votre région?
M. Ward: Il existe deux itinéraires proposés. Dans l'un d'entre eux, le gazoduc longerait la route de l'Alaska et empiéterait sur la périphérie de nos frontières. Cela pourrait donc affecter notre région dans la mesure où l'intérêt suscité par ce gazoduc provoquerait un accroissement de la population sur le territoire.
Le sénateur Mahovlich: Cela pourrait être une autre ombre au tableau, n'est-ce pas?
M. Ward: Effectivement, de manière déguisée, car il pourrait y avoir un impact indirect.
Le sénateur Mahovlich: Combien d'argent consacre-t-on à la recherche scientifique sur la rivière Taku?
M. Erhardt: Je n'ai pas le budget pour la région transfrontalière et les autres agences. Je ne peux parler que pour notre Première nation.
Conformément à la Stratégie des pêches autochtones, depuis 1992, la Première nation obtient un financement de base de 375 000 $ par année. Nous ne sommes que l'un des trois partenaires à nous occuper de l'évaluation des stocks dans cette région, conjointement avec le ministère canadien des Pêches et des Océans et le ministère de la Pêche et de la Chasse de l'Alaska.
L'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés, c'est que l'accès à la région coûte très cher. Nous faisons de la surveillance aérienne, le marquage et l'étiquetage des poissons dans la partie inférieure de la rivière puis nous capturons les poissons marqués à l'aide de fascines — ce qui se fait d'ailleurs dans d'autres régions, sauf que nous devons prendre l'avion pour aller dans ces contrées et y installer un campement. Voilà donc le montant de base que nous recevons. Je ne pourrais pas vous dire combien reçoivent les autres agences.
Le sénateur Mahovlich: Le gouvernement dépense beaucoup plus dans le domaine de l'agriculture que pour des études sur les pêches. Nous espérons que cela changera bientôt.
Le président: Merci. Au nom des membres du comité, j'aimerais vous dire que ce fut pour nous un véritable plaisir et un grand honneur que de vous avoir reçus ce soir. Nous avons été ravis de voir que votre initiative a été couronnée de succès. Nous espérons que vous réussirez à améliorer vos systèmes hydrologiques pour le bien des générations futures. Nous vous souhaitons vraiment beaucoup de succès. Puissiez-vous servir de modèle à d'autres régions du Canada, pas seulement sur la côte Ouest, mais ailleurs dans le pays. Y a-t-il d'autres commentaires avant que nous partions?
M. Ward: Au nom de mon peuple, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux membres de ce comité pour avoir pris le temps de nous écouter malgré leur emploi du temps très chargé.
Nous, Autochtones, ne sommes pas une bande de provocateurs qui cherchent à créer des problèmes. Nous prenons le temps d'apprendre et nous essayons de comprendre. Tant que nous écouterons nos aînés, nous saurons rester à l'écoute des autres, les respecter et être patients, jusqu'à ce que nous soyons compris et pris en compte dans la recherche de solutions.
Si vous avez un jour l'occasion de passer dans la région, venez visiter notre territoire ancestral, nous nous ferons un plaisir de vous le montrer. Au nom de mes collègues et amis, je vous remercie.
Le président: Merci pour l'invitation. J'espère que nous aurons un jour l'occasion d'y répondre.
La séance est levée.