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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 6 - Témoignages du 19 février 2003 - Réunion de l'après-midi


CALGARY, le mercredi 19 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 13 h 32 afin d'examiner, pour ensuite en faire rapport, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs et mesdames et messieurs les invités, nous accueillons cet après-midi M. Kenton Ziegler, président de l'Alberta Canola Producers Commission, M. Ward Toma, directeur général de l'Alberta Canola Producers Commission, et M. Brent McBean, des Wild Rose Agricultural Producers.

Puis-je vous demander de faire un exposé relativement bref pour que nous ayons le temps de vous poser des questions? Je dois dire que, comme le sujet est passionnant et fort important, les périodes de questions ont été plus longues que nous ne l'avions prévu.

M. Kenton Ziegler, président, Alberta Canola Producers Commission: Je tiens avant tout à vous remercier de nous avoir invités à présenter un exposé au comité. Je dois avouer que j'ai dû me préparer un peu à cette comparution. Je suis agriculteur. Je ne suis pas un spécialiste du commerce extérieur. Par conséquent, j'ai dû me renseigner un peu. L'expérience a été très éclairante. C'est toujours de la production que je me suis occupé. C'est pour moi un plaisir d'être parmi vous.

Je vais reprendre l'exposé qui a été présenté au comité, tout en insistant sur des points essentiels pour bien les faire comprendre.

C'est notre directeur général, Ward Toma, qui a préparé le rapport.

Mon exploitation agricole se trouve à Beiseker, à 45 minutes au nord-est de Calgary. Je suis un agriculteur de quatrième génération, et j'entends ne pas être le dernier représentant de la famille à travailler en agriculture.

La Alberta Canola Producers Commission, ou ACPC, est un organisme régi par les producteurs et représentant les producteurs de canola albertains. L'ACPC est financée par des prélèvements remboursables sur chaque tonne de canola vendue dans la province.

Ses activités consistent notamment à financer les recherches, les efforts de développement des marchés et d'élaboration de produits, les transferts de technologies et les programmes de diffusion externe; elle communique également les préoccupations des cultivateurs au gouvernement. C'est du reste pourquoi je suis ici aujourd'hui.

L'ACPC appuie un commerce plus ouvert et plus libre et elle est favorable à la conclusion, pour le secteur des oléagineux, d'un accord commercial zéro-zéro aboutissant à des réductions significatives et progressives des mesures protectionnistes et des aides.

L'ACPC appuie l'élimination des tarifs douaniers, des subventions intérieures et à l'exportation sur une base mondiale et réciproque s'échelonnant sur une période convenue.

Notre rapport traite de quatre grandes questions principales, dont la première est celle de l'accès au marché.

L'accès au marché peut être restreint directement par des barrières commerciales tarifaires ou non, par les subventions à l'exportation pratiquées par nos concurrents sur le marché international ou par les subventions internes des pays importateurs ou concurrents.

Pour obtenir une ouverture et une libéralisation accrues des échanges, le Canada devrait négocier en vue d'obtenir ce qui suit: l'élimination de tous les obstacles tarifaires sur une base mondiale et réciproque pendant une période convenue — entre-temps, tous les tarifs devraient faire l'objet de réductions maximales; il ne devrait pas y avoir deux taux de droit; des réductions significatives et effectives des tarifs les plus élevés; des augmentations significatives et effectives des dispositions sur l'accès minimal; l'élimination de tous les tarifs dans la limite des contingents; l'établissement de règles claires, transparentes et exécutoires portant sur l 'administration des contingents tarifaires de manière à assurer un accès significatif pour le commerce.

Il faudrait éliminer le relèvement des droits tarifaires sur les produits à valeur ajoutée; l'élimination de toutes les subventions à l'exportation. Je peux donner l'exemple de l'huile de canola. Le Canada s'est doté, sur une longue période, d'une industrie à valeur ajoutée, mais il arrive que, à cause de droits différents qui s'appliquent au canola et à son huile, certains marchés nous soient fermés.

Il faudrait éliminer toutes les subventions à l'exportation. Je crois que c'est rêver en couleurs. Je voudrais que cela se réalise, mais il y a encore un long chemin à parcourir.

Il faut s'efforcer d'éliminer les programmes de soutien nationaux qui faussent le commerce. Les autres programmes d'aide nationaux visés par un nouvel accord devraient être distincts les uns des autres.

Il faut améliorer les disciplines sur les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire et les autres mesures éventuelles afin qu'elles ne servent pas de subventions à l'exportation.

Il faudrait encore éliminer et interdire l'utilisation des taxes à l'exportation et des restrictions qui favorisent, sur le plan des coûts, les transformateurs qui fournissent un produit brut, élaborer et appliquer des définitions et des règles claires visant à intégrer complètement les pays moins développés à l'OMC.

Passons au règlement des différends et aux recours commerciaux. Les échanges commerciaux ont été perturbés par le manque de clarté des règles et des disciplines découlant des accords commerciaux existants et instaurés par l'OMC ainsi que par leur application moins que parfaite. Tous devraient observer les règles.

Le Canada devrait travailler à l'amélioration globale des mécanismes de règlement des différends, car ils devraient être plus rapides et plus efficaces; au maintien des engagements pris dans le cadre d'accords antérieurs portant sur la communication et le rendement, pour que les mécanismes de compensation découlant du règlement des différends profitent aux secteurs touchés par la violation.

Si le secteur des céréales et des oléagineux est touché, c'est lui et tous les autres secteurs touchés qui devraient recevoir les éventuelles indemnisations. Il faut instaurer des règles en matière de dumping portant sur le dumping par des tiers dans le commerce agricole et reconnaissant l'aspect cyclique de l'agroalimentaire, des mesures sanitaires et phytosanitaires fondées sur des normes scientifiques reconnues internationalement et appliquées en fonction de ces dernières.

Il faut avoir des règles et des dispositions portant sur le commerce de produits de la biotechnologie, fondées sur des principes scientifiques internationalement reconnus qui n'entravent pas le commerce international de produits agricoles et agroalimentaires.

Des questions particulières concernent le Mexique, qui est un marché en croissance et un de nos plus importants pour les produits du canola. Le gouvernement mexicain s'interroge sur la possibilité d'exiger la fumigation dans le pays d'origine des graines qu'il importe.

Au Canada, la fumigation est inopérante pendant l'hiver. Cette mesure créerait donc une barrière commerciale non tarifaire excluant de fait le Canada d'un marché important pendant de longues périodes. Les règles sanitaires et phytosanitaires actuelles régissant les infestations fournissent une assurance véritable contre la contamination sans entraver les échanges.

L'ACIA a annoncé hier qu'elle essaiera de mettre au point un protocole pour dissiper les préoccupations du Mexique. Jusqu'à un certain point, nous tâchons de prévenir les coups.

Le gouvernement mexicain envisage actuellement des mesures législatives sur la biosécurité qui pourraient constituer une barrière commerciale, car il s'agirait d'étiquetage des produits sans base scientifique. Une réglementation motivée par des considérations politiques est une entrave non tarifaire conçue pour bloquer le commerce plutôt que pour protéger les citoyens mexicains contre des produits alimentaires nocifs.

Tout comme les règlements canadiens, les règlements mexicains doivent tenir compte des mesures sanitaires et phytosanitaires qui sont fondées sur des normes scientifiques reconnues à l'échelle internationale.

Je signale au passage que le Conseil canadien du canola a ciblé le Mexique comme l'un de nos principaux marchés de croissance. Nous essayons de doubler la quantité de graines de canola exportée au Mexique.

Cette année, nous en sommes à 400 000 tonnes à cause de la sécheresse. Normalement, nous exportons environ 800 000 tonnes, et nous voudrions doubler ce volume. Il y a un segment de la population qui est très intéressé par le canola et l'huile de canola. Le Mexique est donc un des pays que nous ciblons.

Des questions particulières touchent les États-Unis. Le secteur du canola appuie depuis longtemps l'harmonisation des règles et des règlements avec les États-Unis. L'harmonisation des règlements sur les pesticides a permis de ne pas entraver le commerce des produits du canola.

Un exemple de ces efforts est un système de traitement des graines qui était en usage au Canada. Nous en avons demandé le retrait volontaire, comme mesure préventive visant à préserver notre accès au marché américain.

On ne peut en dire autant pour l'étiquetage nutritionnel. L'absence d'harmonisation sur ce plan entre le Canada et les États-Unis constituera une barrière commerciale. Des exigences différentes entre nos deux pays nuiront aux échanges et feront augmenter le prix des produits canadiens à destination des États-Unis.

Les États-Unis constituent le plus gros marché pour le canola et d'autres produits alimentaires, et il faut donc harmoniser les exigences en matière d'étiquetage pour assurer la compétitivité de nos industries sur ce marché.

Un élément relativement nouveau est la législation qu'envisagent les États-Unis en matière de bioterrorisme. Nous en avons discuté brièvement, sénateur. Elle pourrait fort bien constituer une barrière non tarifaire au commerce en raison de l'éventuel manque d'harmonisation des protocoles de sécurité dans les domaines de l'alimentation des humains et des animaux et de l'environnement.

Même si les États-Unis ont fait preuve d'une bonne dose de coopération et cherchent à harmoniser leur réglementation à ces égards, les entraves que constituent les règlements pourraient servir à empêcher l'entrée de produits agricoles et alimentaires canadiens.

Le problème des obstacles non tarifaires est que les recours sont minimes. Nous ne pouvons nous adresser à l'OMC pour obtenir un règlement, et ces obstacles peuvent causer un préjudice considérable à notre industrie. Nous devons trouver une autre méthode, car il est très difficile de surmonter les barrières non tarifaires.

Ce n'est que par un partenariat et une collaboration accrus avec nos homologues de notre plus gros client que nous pourrons continuer de croître et de prospérer.

Le Conseil du canola du Canada a également ciblé les États-Unis comme marché de croissance. En ce moment, nous y exportons environ 1,5 million de tonnes métriques. Nous voudrions en exporter 2,5 millions. Là encore, il s'agit vraiment d'un marché de croissance pour nous.

Pour conclure, monsieur le président, l'ACPC appuie les efforts que déploie actuellement le gouvernement du Canada pour négocier des ententes commerciales qui visent la libéralisation des échanges sur une base réciproque. Les accords qui se traduisent par des réductions significatives et progressives des mesures protectionnistes et des aides nous permettront d'assurer notre compétitivité sur le marché international.

M. Brent McBean, Wild Rose Agricultural Producers: Monsieur le président, je tiens à remercier le comité d'avoir permis aux Wild Rose Agricultural Producers de comparaître. Je remplace au pied levé Rod Scarlett, notre directeur général, qui est indisposé aujourd'hui. Fait intéressant, j'ai rédigé la majeure partie du mémoire, si bien que je ne devrais pas avoir trop de mal à vous le présenter.

Wild Rose est l'organisation agricole générale de l'Alberta. Dans la préparation du mémoire, j'ai essayé de tenir compte de tout ce que l'ALENA a représenté pour les producteurs albertains.

Comme vous venez de parcourir le Canada, une grande partie de ces statistiques pourront vous paraître un peu sèches et vous direz peut-être que c'est du déjà vu, mais je vais tout de même vous présenter ces renseignements, quitte à répondre à vos questions par la suite.

L'organisation Wild Rose Agricultural Producers est consciente de ce que l'ALENA a rapporté à l'Alberta depuis sa signature, en 1994. Les États-Unis et l'Alberta ont de solides relations commerciales fondées sur l'ALENA, et les États- Unis constituent notre plus important marché d'exportation.

En 2000, l'Alberta a exporté des produits agroalimentaires d'une valeur de 2,8 milliards de dollars, et, grâce à l'ALENA, moins de 5 p. 100 de l'ensemble de nos échanges donnent lieu à des différends.

Dans le cadre de l'ALENA, les exportations de l'Alberta vers les États-Unis sont passées d'une proportion de 69 à 84 p. 100 de l'ensemble de nos ventes à l'étranger. Le potentiel de croissance sur le marché mexicain est également excellent.

Les faits sont simples: entre 1998 et 2000, les exportations agricoles de l'Alberta vers le Mexique sont passées d'environ 155,2 millions de dollars à quelque 414,2 millions. Cette augmentation de 266 p. 100 montre bien que l'accord a été assez avantageux pour les producteurs albertains jusqu'à maintenant.

L'accord a relevé le niveau de vie et les revenus au Mexique, ce qui facilite l'achat de produits comme le boeuf, le porc, le canola, l'orge de brasserie et d'autres produits à valeur ajoutée qui sont transformés et vendus par l'Alberta.

Depuis la mise en œuvre de l'ALENA, en 1995, les exportations albertaines à destination des États-Unis ont augmenté de 40 p. 100. L'Alberta a également importé des États-Unis des produits agroalimentaires d'une valeur de 1 milliard de dollars en 2000, en progression sur les 890 millions de dollars de 1999.

Les gouvernements de la zone ALENA font face à des pressions internes sur les plans politique et économique pour qu'ils exploitent l'accord à leur avantage. Toutefois, la politique intérieure peut miner gravement l'ALENA dans sa nature même. On peut songer par exemple à l'application par les Américains de l'étiquetage indiquant le pays d'origine pour certains produits, mais non pour d'autres, leurs enquêtes constantes et indiscrètes en vue de l'imposition de droits compensateurs, des procédures antidumping complexes ou des protocoles arbitraires en matière de sécurité de l'alimentation qui peuvent faire obstacle à un commerce libre et équitable.

De plus, il faut observer avec soin toute évolution du climat politique au Mexique. Le président actuel n'est en poste que depuis deux ans, et il a remplacé un parti qui dirigeait le Mexique depuis 70 ans. La stabilité du climat politique est importante si nous voulons continuer à accroître nos échanges avec le Mexique.

Il ne faut jamais perdre de vue les conséquences des politiques intérieures pour un accord comme l'ALENA. La politique fiscale du gouvernement, sa politique sociale, sa réglementation, les soutiens sectoriels internes et la gestion budgétaire ont de lourdes répercussions sur la capacité des producteurs de livrer une concurrence efficace dans le cadre d'un accord commercial.

Une fiscalité trop lourde n'est guère attrayante pour les employés compétents et les investissements dont on a besoin dans le secteur des produits à valeur ajoutée, élément important si nous voulons faire progresser la valeur de l'agriculture en Alberta.

Il faut éviter d'alourdir les protocoles sur l'environnement et la biosécurité dont tous les coûts financiers de mise en œuvre retombent sur le producteur au lieu d'être partagés entre tous ceux qui en tirent profit, si nous voulons préserver la compétitivité face à des partenaires commerciaux qui n'ont pas encore adopté les mêmes mesures ou prétendent ne pas le faire.

Par ailleurs, il faut que les producteurs reconnaissent que des programmes bien conçus, bien mis en œuvre et reconnus comme les systèmes HACCP pour les initiatives de sécurité de l'alimentation à la ferme peuvent aider à renforcer notre position comme fournisseur de produits agricoles sûrs, sains et correctement gérés.

Les transports sont un autre domaine important, il va sans dire, et je m'en suis entretenu brièvement avec le président.

Si nous voulons que l'ALENA soit utilisé correctement, de façon efficace et efficiente, au Canada, aux États-Unis et au Mexique, il faut faire un examen honnête et spécifique de la question des transports.

Le réseau canadien des transports a été conçu pour acheminer les produits dans l'axe est-ouest. Comme il faut assurer l'accès aux marchés dans l'axe nord-sud, il importe de renforcer les modes et les couloirs de transport, en adoptant des politiques qui favorisent la concurrence et l'efficacité, que ce soit en reconnaissant la nécessité d'améliorer le réseau routier ou en permettant un accès plus large et plus facile à d'autres formes de transport.

Par exemple, les chemins de fer continuent de tirer de l'arrière par rapport au reste du réseau des transports en résistant à de nombreuses mesures susceptibles d'améliorer et de rationaliser le transport des produits tout en intensifiant la concurrence et en réduisant au minimum les frais de transport sur le marché, ce qui est la clé du succès à long terme de l'ALENA pour les producteurs albertains.

La poursuite du succès de l'ALENA dépendra très étroitement de notre capacité d'acheminer les produits rapidement et économiquement vers les marchés.

Il faut aussi s'interroger sur les frontières internationales. Parfois, les produits sont périssables et on cherche à tirer une valeur plus élevée de marchés exigeants en assurant la livraison juste à temps et en garantissant la fraîcheur du produit. Il est donc important d'assurer et de préserver un moyen efficace et rapide de faire passer les produits aux frontières internationales.

Les retards indus et la perte de temps pendant le transport peuvent entraîner des pertes graves tant sur le plan financier que du point de vue de la réputation, aussi bien pour l'expéditeur que pour le destinataire du produit.

Il est toujours important de chercher les moyens de garantir un passage plus rapide et plus facile aux frontières tout en répondant aux besoins de chaque pays sur le plan de la sécurité, des protocoles de sécurité de l'alimentation et de toutes les autres normes réglementaires et douanières.

Aucune discussion sur l'ALENA ne saurait être complète si on laissait de côté deux autres questions. Il y a tout d'abord le U.S. Farm Bill et les conséquences qu'il peut avoir ou aura pour les secteurs de l'agriculture et de l'élevage en Alberta.

Lors d'une réunion récente de représentants de l'agriculture en Alberta, les questions qui ont dominé les échanges ont été les tendances internationales et les répercussions de cette loi américaine. Le résumé des discussions illustre le sérieux des préoccupations que cette loi inspire aux producteurs de l'Alberta.

En ce qui concerne l'agriculture, les préoccupations sont les suivantes: la loi américaine provoquera une augmentation de la production de maïs et de soya par des conditions de prêt généreuses et cela aura pour conséquence de faire baisser les prix de l'orge et du canola et d'en faire diminuer la demande.

L'implantation d'usines d'éthanol aux États-Unis fera augmenter la quantité de produits secondaires utilisés dans l'alimentation des animaux. L'avantage naturel que possède l'Alberta dans le secteur des légumineuses risque d'être menacé par les subventions américaines. Il y aura diminution de la demande intérieure d'aliments pour les animaux si une contraction du cheptel porcin et bovin s'impose.

Les producteurs de viande rouge ont souligné les points suivants: la croissance du marché du bétail et du porc est incertaine à cause d'une législation importune exigeant l'étiquetage du pays d'origine. À cause de cette incertitude, des transformateurs et des détaillants pourraient acheter les produits de l'Alberta à rabais.

L'Alberta risque de perdre l'avantage concurrentiel naturel qui est le sien comme producteur à faibles coûts de céréales, d'oléagineux et de bétail. La rentabilité de l'élevage du bétail peut dépendre des décisions d'entreprises, contrôlées par les Américains, je dois l'ajouter, comme Cargill et IBP, devenue Tyson Foods.

Nous ne pouvons que réfléchir à certaines des complications que le U.S Farm Bill occasionnera aux agriculteurs et éleveurs de l'Alberta, mais il importe de ne pas perdre de vue qu'une grande partie de la rentabilité future de notre agriculture dépend de politiques américaines mutuellement bénéfiques en matière de commerce.

Les agriculteurs et éleveurs albertains sont disposés à s'adapter et à chercher de nouveaux débouchés, de nouvelles cultures et de nouvelles méthodes de production, mais les défis que présente la nouvelle législation américaine sont redoutables.

À un moment où les gouvernements exigent que nos agriculteurs et nos éleveurs deviennent plus autonomes, l'éventualité d'une perte de débouchés chez nos plus importants partenaires commerciaux laisse ce secteur d'activité dans une situation très précaire.

Il nous faut un engagement de la part du gouvernement, de l'industrie et des différents producteurs à affecter des ressources au développement de nouveaux marchés pour réduire notre dépendance à l'égard du marché américain. Nous devons tous nous efforcer de faire en sorte que l'application de la loi sur l'étiquetage en fonction du pays d'origine demeure facultative. Nous devons contester les États-Unis et leur politique de repli sur soi et faire en sorte qu'ils pratiquent ce qu'ils prêchent.

Je suis persuadé que vous avez souvent entendu parler de la question de l'eau au cours de vos séances à Ottawa et dans le reste du Canada. La position de Wild Rose Agricultural Producers est un refus total du commerce de l'eau. On commence à prendre conscience que l'eau pourrait être ou sera à un moment donné notre produit le plus précieux, convoité par nos partenaires commerciaux de l'ALENA.

Nous n'estimons pas avoir le droit de vendre ce qui pourrait être le bien le plus précieux que nous pouvons laisser aux générations futures, c'est-à-dire nos ressources en eau.

Il y a des politiques qu'il faut examiner et améliorer, notamment les délais de passage à la frontière et les méthodes de transport. Tous les efforts visant à accroître notre compétitivité dans le cadre de l'ALENA doivent être envisagés.

Pour conclure et résumer mes réflexions, je dirai que la nature même d'un accord de ce type et ses effets sur l'agriculture sont tels qu'ils permettent d'exploiter au mieux les atouts géographiques, climatiques, politiques et sociaux des différents partenaires.

Nous devons tabler sur ces atouts afin de profiter pleinement de l'ALENA, mais en comprenant bien que tout ce qui fait disparaître ou affaiblit notre compétitivité réduit les avantages de l'accord.

C'est peut-être une comparaison d'agriculteur, mais l'Accord de libre-échange nord-américain est un élément précieux dans le coffre à outils des producteurs et transformateurs de l'agroalimentaire albertain, mais des rajustements s'imposent si nous voulons utiliser au maximum cet outil et en tirer parti.

Le président: Je suis quelque peu étonné, bien que cela soit très intéressant, que le Mexique, qui est un producteur agricole, soit devenu un important client des producteurs agricoles albertains. Je suis sûr qu'il y a une raison.

Je suis au courant de la loi que Roosevelt a fait adopter dans les années 40 et qui a fait disparaître à peu près totalement la production mexicaine de blé, parce que le blé américain était tellement bon marché pour les Mexicains.

Est-ce que cela explique en partie la perte de leur production de blé? Les Mexicains importent du blé depuis environ 1944, mais il est quelque peu étonnant qu'un pays qui possède un cheptel si important et qui est essentiellement un pays agricole devienne l'un de nos bons clients.

M. McBean: Monsieur le président, d'après mes recherches — mais je suis dans la même position que Kenton, puisque nous sommes tous deux producteurs — je peux probablement répondre à votre question.

Il y a des problèmes d'érosion. Il pourrait y avoir jusqu'au tiers des terres agricoles mexicaines qui sont dégradées. À cause de l'ALENA, et c'est une impression personnelle, beaucoup d'activités manufacturières sont passées des États- Unis au Mexique parce que la main-d'oeuvre y est bon marché.

Comme je l'ai déjà dit, les partenaires ont des avantages géographiques et climatiques différents. Nous n'exportons pas forcément de blé vers le Mexique.

Pour ma part, il y a deux semaines, j'ai livré de l'orge de brasserie en conteneurs. Le Grupo Modelo utilisera se produit pour fabriquer de la bière Corona. Nous exportons les produits dans lesquels nous excellons, non des produits dans lesquels le partenaire excelle. Nous importons des fruits et légumes du Mexique. Les échanges s'équilibrent parce que les Mexicains ont besoin de produits que nous avons. Nous pouvons fournir du boeuf engraissé.

Comme Kenton l'a dit, la demande d'huile de canola de qualité augmente constamment dans le monde. Comme l'activité manufacturière progresse au Mexique, si je comprends bien, le niveau de vie augmente légèrement et la classe moyenne prend de l'expansion. Le consommateur a donc un revenu disponible plus important pour acheter des aliments et de la viande.

Les sénateurs savent tous qu'on espère dans le monde entier que, le niveau de vie de certains pays étant à la hausse, les consommateurs passeront d'un régime composé essentiellement de céréales à un régime qui comprend un peu de viande. Je crois que le phénomène se manifeste un peu au Mexique.

Le sénateur Setlakwe: Monsieur Ziegler, votre exposé est très succinct et dit ce que nous ressentons tous, soit que le Canada est un pays libre-échangiste, et que nous n'aimons pas les obstacles au libre-échange. Or, il y en a de plus en plus de nos jours, et c'est un problème.

Vous avez parlé de problèmes de barrières non tarifaires. Lorsqu'ils se posent, nous ne pouvons les régler à l'OMC. Pourquoi pas?

Monsieur McBean, nous avons l'impression que les barrières américaines au commerce n'en sont qu'aux premières étapes. Nous venons de passer deux jours à Vancouver, et on nous a parlé de l'industrie du bois d'œuvre qui est saignée à blanc. L'attaque est plus directe. C'est un problème de droits antidumping et de droits compensateurs.

Dans votre cas, il s'agit plutôt d'entraves au commerce. D'après vous, que peut faire le gouvernement du Canada?

Nous savons que le problème existe. Nous savons que le mouvement se dessine. Nous sommes au courant des obstacles au commerce des produits agricoles que les États-Unis imposent dans le monde entier, et je voudrais savoir ce que, d'après vous, nous devrions faire dans ce dossier, puisqu'il ne s'agit pas d'une question de droits tarifaires. Il s'agit d'obstacles au commerce et il me semble que la lutte est plus difficile.

M. Ziegler: Je vais essayer de répondre à une ou deux de vos questions. L'OMC est notre recours en cas de barrières tarifaires. Il est beaucoup plus difficile d'amener l'organisation à se saisir des problèmes d'obstacles non tarifaires. Il faut donc recourir à d'autres méthodes, à d'autres moyens.

Le sénateur Setlakwe: Toutefois, ce n'est pas impossible. Cela peut se faire?

M. Ziegler: Oui, mais il faut un travail énorme pour saisir l'organisation du problème. Il devrait probablement exister un mécanisme plus transparent et plus rapide, car ces obstacles non tarifaires au commerce causent autant de tort à notre industrie et ont occasionné au producteur que je suis des coûts beaucoup plus élevés pour me conformer.

J'espère que cela répond à la première question.

Deuxièmement, que peut faire le gouvernement du Canada pour régler le problème? Pour être bien honnête, je dirais que le Canada se comporte comme un scout dans certains de ces dossiers commerciaux, et je suis parfois porté à me dire que nous ne devrions pas toujours respecter les règles. D'autres pays semblent y déroger. Entre-temps, les conséquences pour nous sont lourdes.

Quand on a un éléphant comme compagnon de lit, il n'est probablement pas prudent de trop le harceler, mais il faut être juste: nous avons tous signé un accord, respectons-en les règles.

Le gouvernement est dans une situation difficile. Je comprends qu'il doit faire des choix qui ne sont pas faciles. Je songe à l'agriculture, mais il y a toutes sortes d'autres problèmes commerciaux dont notre gouvernement doit s'occuper quotidiennement.

Les choses ne semblent pas tourner en notre faveur. N'oubliez pas que je suis un simple agriculteur. Je ne connais pas très bien l'ensemble de la dynamique. On dirait cependant que nous avons toujours le mauvais bout du bâton et qu'il n'y a jamais de fair-play. Que le commerce soit équitable, puis nous pourrons travailler à libéraliser les échanges.

Le sénateur Setlakwe: Le ministère de l'Agriculture vous écoute-t-il? Fait-il son possible pour vous aider?

M. Ziegler: Je voudrais le croire. Nous nous rencontrons souvent et nous signalons ces problèmes, surtout par l'entremise du Conseil canadien du canola. Comme je l'ai dit, l'ACIA nous aide à résoudre le problème de fumigation qui s'annonce avec le Mexique.

Je crois que nous avons certaines relations, et nous ne ratons jamais une occasion de nous entretenir avec les représentants officiels. Nous sommes ici aujourd'hui parce que nous avons l'impression qu'il est toujours important de faire valoir notre point de vue.

Pour ce qui est de manifester une opposition plus vive, comme je l'ai dit, c'est un point de vue personnel. Je ne dis pas nécessairement que la Commission canadienne du canola veut s'engager dans cette voie.

Le sénateur Setlakwe: Dans nos échanges de produits agricoles avec le Mexique, quel est le pays le plus favorisé? Est- ce le Canada ou le Mexique qui exporte le plus?

M. Ziegler: Pour ce qui est du canola et du blé, nous exportons beaucoup plus, et de loin.

M. McBean: Mes recherches se sont limitées à l'Alberta. Je ne suis pas vraiment au courant de la situation de l'ensemble du Canada.

Le sénateur Setlakwe: Dans ce cas, laissez tomber.

M. McBean: Pour ce qui est du commerce de l'ensemble du Canada, des fruits et d'autres produits sont importés dans l'Est. Je serais curieux de connaître les chiffres.

Le sénateur Setlakwe: Ils sont peut-être favorables au Mexique, ce qui peut vous être utile.

M. McBean: Du point de vue de l'Alberta, c'est très sain. C'est avantageux pour nous et, si nous sommes le fournisseur qui a les coûts les plus bas, c'est avantageux pour les consommateurs.

Le sénateur Setlakwe: Par contre, si les Mexicains commencent à imposer des obstacles au commerce du canola et d'autres produits de l'Ouest, nous pourrions agir de la même façon que dans tout le pays pour les produits que nous importons du Mexique.

M. McBean: Nous le pouvons, mais cela ne fait que nuire aux consommateurs. Ce sont des enfantillages.

Le président: Permettez-moi intervenir. Je présume que c'est notre faute, puisque nous nous sommes tellement préoccupés du commerce entre le Canada et les États-Unis que nous pouvons rapidement trouver les chiffres sur ce commerce, mais non sur celui que nous avons avec le Mexique. C'est dans l'ordre des choses, mais il est évident que nous allons devoir y veiller.

Le comité entend se rendre à Mexico, car nous avons tendance à aller seulement à Washington et à ne pas faire le travail jusqu'au bout.

Sénateur Setlakwe, je dis à nos documentalistes que nous avons tort, jusqu'à un certain point, parce que nous avons fait porter nos efforts surtout sur les États-Unis. Nous avons ici des chiffres fournis par Peter Berg, qui dirige notre équipe de recherche.

M. Peter Berg, documentaliste, Bibliothèque du Parlement: Voici les chiffres du commerce du Canada avec le Mexique pour 2001. Nos importations se sont élevées à 441 millions de dollars et nos exportations à 448 millions. Nous avons un excédent commercial.

Le sénateur Di Nino: Il ne s'agit pas que de l'agriculture, cependant?

M. Berg: Oui, seulement l'agriculture.

Le président: C'est le commerce des produits agricoles en 1999-2001.

M. Berg: Nous avons eu un excédent commercial de 500 millions de dollars.

Le sénateur Austin: Nous devrons boire plus de Corona.

M. McBean: Je suis d'accord.

Le président: J'ai toujours cru qu'on fabriquait la bière à partir d'orge. De toute évidence, je me trompais.

M. McBean: Non, vous avez raison. C'est de l'orge de brasserie. J'ai essayé de faire quelques recherches, monsieur le président, et le Grupo Modelo est le plus important brasseur du Mexique. Il fabrique la Corona, et il vient d'implanter une usine de malt en Idaho. J'ai essayé de savoir pourquoi, mais, bien entendu, on n'expliquera pas à un petit agriculteur du sud de l'Alberta la planification stratégique d'une grande société. C'est sans doute une question de transport.

Le président: De toute façon, je présume que, parce qu'ils ont besoin de l'orge, ils ont besoin de l'argent de l'orge. Nous n'avons pas l'information ici.

Il m'est arrivé de rédiger un essai sur l'agriculture au Mexique et au Guatemala. L'une des choses intéressantes que j'ai apprises, c'est que les Américains ont appliqué dans les années 40 une politique d'exportation de grain au Mexique à des prix si faibles que le secteur mexicain du grain a été à peu près totalement éliminé.

Depuis, ce pays est un grand importateur. Deuxièmement, le régime alimentaire des Mexicains est à base de maïs. Au sud du Rio Grande, le pain, par exemple, n'est pas un produit largement consommé.

Tout cela doit avoir un effet sur le choix des grains que le Mexique produit.

Je voulais également vous demander si le fait que les Mexicains sont de très grands consommateurs d'huiles comestibles est l'une des causes qui expliquent l'augmentation de nos exportations de canola.

M. Ziegler: Bien sûr. Ils aiment faire frire les fajitas et d'autres types d'aliments.

Je dois cependant ajouter que, au fur et à mesure que la population mexicaine vieillit, la santé est une préoccupation qui revêt un peu plus d'importance. Elle a aussi un revenu disponible plus élevé.

Un segment du marché veut utiliser l'huile de canola pour la friture parce qu'elle est plus saine. Cela est intéressant pour nous.

Actuellement, seulement 15 p. 100 de l'huile de canola que nous exportons au Mexique ou que les Mexicains produisent à partir de notre canola est de catégorie supérieure.

La majeure partie se vend dans le commerce comme huile végétale. On peut y ajouter n'importe quoi. Nous essayons donc d'accroître la qualité.

Le sénateur Setlakwe: Une brève question. L'huile de canola qui se retrouve dans le commerce porte-t-elle une marque canadienne?

M. Ziegler: Que je sache, aucune huilerie mexicaine n'utilise cette technique de commercialisation pour l'instant. Au Japon, c'est très répandu.

Par exemple, le Conseil canadien du canola essaie d'encourager les Mexicains à indiquer sur l'étiquette qu'il s'agit d'un produit d'origine canadienne, de façon à susciter un certain élan et une certaine loyauté à la marque, puisque les consommateurs sauront qu'il s'agit d'une huile saine et nutritive dont on peut se servir au foyer et dans l'industrie.

Le président: Je voudrais également expliquer qu'il est impossible de faire des haricots frits, par exemple, sans utiliser une forte quantité d'huile pour élever la température de cuisson. Bien des guerres civiles ont été déclenchées à cause du prix de l'huile.

Des accidents terribles se sont produits avec l'huile de cuisson. Il faut utiliser de l'huile pour frire les haricots à une température assez élevée pour éviter l'évaporation.

Le sénateur Di Nino: Vous venez d'avoir une nouvelle idée de commercialisation. Vous pouvez l'offrir au Mexique de la part du Canada pour assurer la paix, pour éviter le déclenchement de guerres civiles à cause des besoins en huile. Nous pouvons leur fournir tout ce qu'il leur faut. Est-ce exact?

M. Ziegler: C'est exact. Et ils pourront vivre aussi plus longtemps.

Le sénateur Austin: Vous pouvez donc leur vendre davantage d'huile.

M. Ziegler: Exactement. Plus on vit longtemps, plus on se préoccupe de santé.

Le sénateur Di Nino: Un peu plus de sérieux. Le U.S. Farm Bill contient un certain nombre de dispositions qui nous préoccupent, nous qui exportons aux États-Unis. L'une d'elles est l'étiquetage indiquant le pays d'origine.

Monsieur McBean, vous avez fait naître une question lorsque vous avez parlé de notre malt qui se vend au Mexique, où on l'utilise pour fabriquer de la Corona et d'autres bières. Vous avez raison. Les Mexicains produisent toute une variété de bières, qui sont ensuite exportées au Canada et aussi aux États-Unis.

Est-ce que c'est une question qui peut surgir dans l'esprit des Américains, lorsqu'ils achètent de grandes quantités de Corona au Mexique? Est-ce que c'est l'une des questions d'étiquetage selon le produit d'origine qui devraient nous inquiéter?

M. McBean: Monsieur le président, je n'ai pas oublié la question de l'autre sénateur. Je brûle d'y répondre.

Le sénateur Di Nino: Répondez à celle-ci tout d'abord. Cela comptera dans son temps de parole, et non dans le mien.

M. McBean: Vous avez posé une excellente question. Je n'aurais jamais cru que je me retrouverais devant un groupe de sénateurs à parler d'histoire.

Monsieur le président, vous avez parlé des années 40. Comment les États-Unis se comportaient-ils avant la Seconde Guerre mondiale?

Le président: Ils étaient protectionnistes 98 p. 100 du temps.

M. McBean: C'est très semblable à ce qui se passe maintenant, n'est-ce pas? Ils étaient complètement repliés sur eux- mêmes, et, comme simple agriculteur, c'est la même chose que j'observe aujourd'hui aux États-Unis.

Les politiques intérieures des États-Unis sont très protectionnistes, à l'heure actuelle. Je crains les conséquences. Lorsqu'on se comporte de cette manière, on a tendance à mettre les autres dans une situation impossible, et ils réagissent, comme le Japon l'a fait. Cette guerre a été précipitée par le pétrole.

Le Japon essayait de prendre de l'expansion, et je n'ai sûrement pas besoin de vous dire ce qui a fait éclater la Seconde Guerre mondiale, mais ce n'était pas complètement la faute des Japonais comme on nous l'a enseigné. Les Américains y sont pour beaucoup dans la réaction que le Japon a eue. Ce fut l'affrontement de deux empires.

Pour répondre votre question, comme je l'ai dit dans mon exposé, la question de l'étiquetage selon le pays d'origine est intéressante. C'est une autre forme de barrière non tarifaire.

Je tiens cela d'une personne bien renseignée, et j'aborde la question de façon détournée: les Américains élèvent beaucoup de bétail. Il est dans leur intérêt supérieur de garder chez eux l'industrie d'engraissement, qui donne une valeur ajoutée.

Le programme de production d'éthanol, qui produit aussi des aliments pour animaux, crée des emplois, mais il est dans l'intérêt supérieur des Américains d'engraisser le bétail aux États-Unis.

Je ne serais pas étonné que les Américains proposent une modification disant que, si le veau à moins de six mois, il n'est pas nécessaire d'indiquer le pays d'origine. Ils pourront élever les animaux aux États-Unis s'ils ont plus de six mois, pour récupérer les secteurs de l'engraissement et de la transformation. Ces activités sont en repli aux États-Unis.

Dans le cas de l'orge, c'est une question de géographie. L'Alberta, l'ouest de la Saskatchewan, le Montana et l'Idaho ont le climat idéal sur le continent nord-américain pour produire de l'orge de brasserie de qualité. Voilà pour l'orge.

En Europe, il y a des endroits où on peut cultiver de l'orge de brasserie splendide, par exemple dans l'ancienne Union soviétique, et je présume que, à un moment donné, les producteurs de ces régions nous livreront concurrence.

Vous constatez que les obstacles non tarifaires surgissent lorsque, comme je l'ai dit, il se manifeste une volonté politique au sujet d'un produit particulier, lorsque nos concurrents font la même chose que nous. Ils veulent conserver le marché et bloquer la rentrée des importations moins coûteuses. Les Américains veulent conserver chez eux l'industrie d'engraissement du bétail. Ils feraient la même chose au Mexique pour le maïs.

Le sénateur Di Nino: Avant de passer à M. Ziegler, je signale que vous avez dit tous les deux que vous étiez de «simples agriculteurs». Il est justement très important pour nous d'entendre ce point de vue. Nous vous accueillons à titre d'agriculteurs parce que, parfois, ce qu'on entend de la bouche des premiers intéressés est plus précieux que les opinions des experts. En tout cas, si vos opinions s'ajoutent à celles des experts, cela va nous aider à prendre une meilleure décision.

Vous avez dit que Modelo construisait une usine de malt en Idaho. Bien entendu, cela doit vous inquiéter. Je ne suis pas sûr de ce que nous pouvons y faire, mais cela doit être inquiétant.

Toutefois, comme parlementaires, comme sénateurs, que pouvons-nous écrire dans notre rapport, dans nos recommandations au gouvernement du Canada, pour vous aider à protéger et à élargir votre marché? Ou bien, si vous êtes complètement satisfaits, c'est fort bien, dites-le-nous également.

M. McBean: Personne n'est jamais complètement satisfait.

Je crois m'être exprimé très clairement dans mon exposé. Tout ce que fait le gouvernement a une influence, qu'il s'agisse de la politique fiscale, de la politique sur les transports ou de la compétitivité du Canada.

Je suis persuadé que tous les sénateurs qui ont été dans les affaires, ou presque tous, s'en occupent toujours. Vous savez que, en affaires, on va là où il est plus facile de rejoindre les clients, où les circuits de transport sont solides et concurrentiels.

On ne veut pas être le client captif d'une seule compagnie ferroviaire. On ne veut pas être un expéditeur captif. On veut se trouver là où il est possible d'atteindre tous les marchés.

À titre de gouvernement et de comité, la meilleure chose que vous puissiez faire pour aider l'agriculture albertaine, c'est de prendre toutes les mesures possibles pour améliorer et préserver notre avantage concurrentiel, car l'ALENA n'est qu'un ensemble de règlements et de moyens.

C'est un peu comme en fiscalité. Une foule d'avocats cherchent des échappatoires dans l'ALENA. Tout ce qu'on fait, c'est élaborer une série de règles à enfreindre. C'est ce que font les Américains: nous allons parler d'étiquetage selon le pays d'origine parce qu'il nous faut trouver quelque chose de nouveau. L'ALENA n'a jamais traité de cette question.

Nous devons travailler continuellement sur ces accords pour nous assurer que ni les autres ni le Canada ne dressent des obstacles.

Comme Kenton l'a dit, les mesures concernant la fumigation ne sont probablement pas dirigées entièrement contre le Canada. Elles sont probablement dirigées davantage vers les pays chauds, mais cela demeure un problème dont nous devons toujours être conscients, ainsi que de toutes les autres mesures que les autres peuvent prendre.

Je le répète, l'ALENA n'est qu'un outil et si nous n'aiguisons pas cette hache, elle finira par s'émousser, et nous ne pourrons plus abattre des arbres qui valent la peine.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Ziegler, après les attentats du 11 septembre, que pensez-vous des changements prévus ou envisageables, notamment en ce qui concerne les transports? J'ignore comment vous expédiez vos marchandises, peut-être par camion ou par chemin de fer.

M. Ziegler: Nous utilisons tous les modes de transport, aussi bien pour les graines que pour l'huile.

Depuis le 11 septembre, on dirait qu'un mur se dresse autour des États-Unis, et les choses deviendront de plus en plus difficiles. Peu importe les termes employés, peu importe le discours que les avocats inventeront, l'essentiel est que les Américains deviennent plus protectionnistes. Comment allons-nous surmonter ces obstacles?

Vous avez parlé des idées que vous pourriez formuler dans votre rapport. Je ferai une mise en garde. Si vous voulez parler des mesures que les autres pays prennent en matière commerciale et de leurs conséquences, nous faisons mieux de mettre de l'ordre chez nous. Comme vous le savez, il y a des obstacles au commerce interprovincial qui entravent également nos échanges.

Nous avons nous aussi du ménage à faire chez nous. Ces obstacles ont des répercussions sur mon industrie également. La question de la margarine colorée au Québec est un très bel exemple. Le Canada est un seul pays et nous en faisons tous partie. Nous devrions pouvoir expédier nos produits d'une province à l'autre.

Le sénateur Di Nino: Vous avez soulevé un problème dont nous avons entendu parler plusieurs fois au cours des deux ou trois dernières semaines d'audiences, soit que, souvent, nous n'avons pas une approche unifiée, ce qui permet à nos opposants, les Américains par exemple, de diviser pour régner.

En ce moment, est-ce un problème majeur pour vous?

M. Ziegler: Absolument. À titre de représentants de l'industrie du canola, nous travaillons sur nos propres dossiers, mais pour ce qui est de l'agriculture de l'ensemble du Canada, il est vrai que nous ne parlons pas forcément d'une seule voix.

Je vais aborder la question de la gestion de l'offre. Il s'agit d'un secteur en bonne santé. Je ne vois rien de mal à ce qu'un secteur de notre industrie fonctionne correctement. Je voudrais bien que ce soit la même chose pour tout le monde. Toutefois, lorsque vient le moment d'exposer un point de vue, de prendre position ou de réagir, ce secteur a d'excellentes ressources financières et peut réagir beaucoup plus rapidement que le secteur céréalier, par exemple.

L'idéal serait que l'agriculture canadienne se donne cette voix unique. Il reste que vous avez raison: nous sommes une proie facile pour les autres pays.

Le président: Pour revenir sur ce que vous avez dit des avocats, je voudrais rappeler à tout le monde que, d'après ce qu'on nous a dit, le différend du bois d'œuvre a coûté 800 millions de dollars depuis les années 80. On me dit aussi que le différend avec le Dakota du Nord au sujet de la Commission canadienne du blé, qui commence tout juste, a déjà coûté 5 millions de dollars en frais juridiques.

Les frais juridiques dans l'affaire du bois d'œuvre s'élèvent à 800 millions de dollars. Voilà ce qu'a déclaré dans son témoignage le président du Maritime Lumber Council. À Genève, M. Clayton Yeutter, qui est membre du conseil de Weyerhaeuser, m'a appris que les frais s'élevaient à 200 millions de dollars seulement pour l'OMC, mais le très compétent président du Maritime Lumber Council a dit que, si on remonte aux environs de 1986 ou 1987, le total doit s'élever à 800 millions de dollars. Ces chiffres sont plutôt renversants.

M. Ziegler: La Commission canadienne du blé a dû répondre à neuf contestations déjà pour la même question. Ce sera la dixième.

Le président: Il en coûtera 5 millions de dollars cette fois-ci, j'en suis sûr.

M. Ziegler: Le total se situera probablement plus près de 10 millions. Songez à ce que nous pourrions faire d'utile avec tout cet argent, comme du développement de marché ou l'amélioration de nos propres capacités de production.

C'est une perte de temps. Les avocats doivent gagner leur vie, eux aussi, mais pourquoi passerions-nous notre temps à payer leurs factures?

Le sénateur Austin: Comme on dit souvent, on ne peut pas s'entendre avec eux, mais on ne peut pas s'en passer non plus. Nous avons besoin des services juridiques parce que l'autre partie a également des avocats. Toutefois, je n'essaie pas ici de m'en prendre à toute la profession.

Monsieur Ziegler, pourriez-nous décrire le système de commercialisation du canola?

Nous avons la Commission canadienne du blé qui s'occupe des céréales, et de l'orge dans certaines circonstances. Quel est votre mécanisme de commercialisation?

M. Ziegler: Notre commercialisation est laissée presque entièrement à l'entreprise privée, aux négociations entre acheteurs et vendeurs, sur un marché ouvert. Nous n'avons pas d'organismes qui s'occupent expressément de mettre notre canola sur le marché.

Le sénateur Austin: Les producteurs mettent leur propre canola en marché?

M. Ziegler: Absolument.

Le sénateur Austin: Ils vont à la recherche des acheteurs, des acheteurs individuellement? Par exemple, vous cherchez vos acheteurs sur le marché mexicain?

M. Ziegler: Je ne cherche pas des acheteurs, à proprement parler. Idéalement, je cherche des sociétés céréalières pour acheter mon canola et je propose ma production au moyen d'un processus d'offres non structuré, lorsque je suis prêt à vendre. Lorsque je constate que les conditions du marché sont favorables, j'enclenche le processus et je laisse cinq ou six sociétés différentes faire des offres sur mon canola. Elles en font la commercialisation au niveau international. La Commission canadienne du blé est une organisation de commercialisation.

Lorsque je cultive des céréales dont la Commission s'occupe, je peux décider de vendre par son intermédiaire ou non. Je n'y suis pas obligé, mais c'est une possibilité.

Le sénateur Austin: Pour que nous sachions à quoi nous en tenir, êtes-vous d'avis que la commercialisation par chacun des producteurs auprès de ce qu'on peut appeler des acheteurs intermédiaires est une formule raisonnablement fructueuse, du point de vue de l'industrie?

Pensez-vous réussir raisonnablement à mettre votre produit sur le marché à un bon prix?

M. Ziegler: Oui. C'est la réponse brève. Sur un marché ouvert on est soumis aux fluctuations comme pour n'importe quel produit, et il faut passablement de travail et de discipline pour s'assurer de mettre les produits sur le marché au bon moment. Nous avons également un marché à terme du canola qui nous aide à gérer le risque dans une certaine mesure.

Le sénateur Austin: Encore une ou deux questions du même ordre. Le gouvernement a soutenu le développement du canola comme produit commercial, comme industrie canadienne.

Cette aide du gouvernement est-elle terminée pour ce qui est du développement de nouveaux marchés, par exemple, ou de l'établissement d'un meilleur accès sur les marchés asiatiques? Y a-t-il une aide gouvernementale quelconque pour la commercialisation ou essayez-vous tous de développer le marché chinois, par exemple, comme producteurs individuels ou par l'entremise d'organismes intermédiaires de commercialisation?

M. Ziegler: Un certain nombre d'initiatives de commercialisation internationale auxquelles nous participons font l'objet d'un financement conjoint. Il y a une certaine participation gouvernementale, mais elle diminue, et c'est très bien. Nous devons être prudents dans le choix de nos orientations et des initiatives que nous réalisons.

Des groupes de producteurs, dont je suis un représentant, financent certaines des initiatives de développement de marché par l'entremise de nos organisations nationales, et il y a également l'Institut international du Canada pour le grain. Il nous présente des clients possibles pour essayer de développer des marchés, et il leur fait visiter le pays.

Nous avons une sorte de partenariat. Il y a toujours un marché beaucoup plus important, et plus il y aura de gens qui se disputent nos produits, à l'intérieur ou à l'étranger, mieux ce sera pour nous.

Le sénateur Austin: Je suis d'accord. M. McBean s'oppose aux subventions à l'exportation. Dans les négociations amorcées à Doha, il est très probable que le soutien gouvernemental pourra faire l'objet de mesures compensatrices dans bien des secteurs.

Il est certain que les subventions s'ajoutent aux subventions, surtout aux États-Unis.

Si je peux me réclamer du précédent établi par la présidence, je vais vous raconter une petite histoire. À Berkeley, j'ai étudié les régimes applicables à différents produits. J'ai étudié l'industrie américaine du coton. C'est une histoire incroyable.

Il y a des subventions pour la culture, pour la transformation et pour la fabrication. Au bout du compte, au niveau du prix de détail, le vêtement est payé entièrement par le contribuable américain. Tel est le processus politique. Ce n'est pas rare, bien que ce ne soit pas toujours aussi grave.

L'industrie du canola participe-t-elle aux négociations de Doha sur l'agriculture en intervenant auprès de notre ministère du Commerce international?

M. Ziegler: Je ne crois pas que nous le fassions de façon sérieuse au niveau provincial, mais nous le faisons davantage au niveau national.

Le sénateur Austin: Votre organisation nationale participe donc?

M. Ziegler: Effectivement.

Le sénateur Austin: Connaissez-vous essentiel de la proposition qui est présentée?

M. Ziegler: Je suis désolé, je l'ignore.

Le sénateur Austin: De façon générale seulement, savez-vous ce qu'on attend des négociations de Doha sur l'agriculture?

M. Ward M. Toma, directeur général, Alberta Canola Producers Commission: Essentiellement, l'exposé que Kenton a présenté serait très proche de la position du Conseil canadien du canola et de la Canadian Canola Growers Association, organisation nationale qui représente les producteurs.

En ce qui concerne le développement des marchés, il est vrai que la participation gouvernementale sous forme de subventions à l'exportation, par exemple, sera plus sujette à l'imposition de droits compensateurs.

Le gouvernement américain dépense des dizaines de millions de dollars pour développer les marchés de ses producteurs. Le gouvernement du Canada n'a pas été aussi généreux, mais il a contribué de façon importante par des investissements de contrepartie, avec des groupes de producteurs et l'industrie.

Le Conseil canadien du canola a reçu des montants appréciables pour appliquer un programme national. Nous demandons instamment que cette participation soit maintenue et même renforcée. Les contributions gouvernementales à la recherche agricole et à la recherche industrielle en général ne peuvent faire l'objet de droits compensateurs. Les États-Unis injectent beaucoup d'argent dans ce secteur, tout comme le gouvernement du Canada.

Pour notre part, nous avons depuis longtemps une entente avec Agriculture et Agroalimentaire Canada, par l'entremise de ses établissements de recherche en Alberta. Le gouvernement a souvent égalé notre participation, et les montants en cause représentent plusieurs centaines de millions de dollars sur cinq ans. Les agriculteurs profitent de ces recherches.

Il faudrait poursuivre ce genre de dépenses. Il ne faudrait pas éliminer ces budgets.

Le sénateur Austin: Monsieur McBean, je voudrais revenir sur un point capital de votre exposé, essentiellement le U.S. Farm Bill. Selon vous, l'une de ses principales conséquences sera de stimuler une nouvelle productivité et par conséquent, une offre subventionnée sur le marché américain, ce qui aura un effet très négatif, même sur les producteurs qui s'en remettent complètement à un système de commercialisation privé.

À titre d'exportateurs d'orge sur le marché américain, croyez-vous qu'il y aura des conséquences pour les producteurs albertains d'orge.

Croyez-vous que votre position concurrentielle se dégradera à cause de la production intérieure américaine hautement subventionnée?

M. McBean: Sénateur, si je comprends bien, vous faites allusion à ce qu'on appelle le programme de report de prêts. Chaque fois qu'il y a une subvention ou un encouragement à cultiver un produit pour des raisons autres qu'économiques, les gens se tournent souvent vers des produits agricoles de substitution. Si le programme est prévu pour accroître la production de maïs plutôt que celle du soya l'an prochain, le maïs remplacera d'autres produits. Cette année, le sud de l'Alberta constitue un excellent exemple. Le maïs excédentaire des États-Unis arrive dans le sud de l'Alberta et supplante l'orge fourragère. Du jour au lendemain, il y a davantage d'orge fourragère disponible, davantage d'orge de brasserie. Le prix de l'orge de brasserie diminue fléchit donc.

Un programme comme le report de prêts aura des répercussions quelque part.

Le sénateur Austin: Le problème central du Farm Bill, pour les producteurs canadiens, c'est qu'il provoquera une surproduction, mais les États-Unis ont une subvention pour le retrait de terres de la production.

M. McBean: Vous voulez parler du programme de retrait des terres pour la conservation?

Le sénateur Austin: Exactement. On encourage les producteurs à produire, ils décident de le faire, puis ils deviennent admissibles à une subvention pour ne pas produire.

M. McBean: Le producteur choisit ce qui rapporte le plus, il choisit la subvention la plus alléchante.

Le sénateur Austin: Ou les deux sont possibles.

M. McBean: C'est ce qu'on appelle exploiter les programmes. Je suis un amateur d'Internet et je fréquente les sites agricoles et discute avec les agriculteurs américains. «Qu'avez-vous cultivé cette année, du soya ou du maïs?» «Le programme de report s'applique au soya.» Cela va donc nuire au canola.

Le sénateur Austin: Permettez-moi de parler maintenant du rôle des transformateurs, puisqu'ils finissent par prendre possession de vos produits, les transformer et les acheminer dans la chaîne d'approvisionnement.

Le Farm Bill va-t-il rendre les transformateurs américains plus rentables parce que l'offre est plus abondante? Je crois connaître la réponse, mais je voudrais que vous exprimiez votre opinion. C'est ce que font les avocats.

M. Ziegler: Si j'étais un transformateur de n'importe quoi, l'idéal serait d'acheter ma matière première le meilleur marché possible.

Le sénateur Austin: Par conséquent, tout le système de subventions du Farm Bill sert admirablement les transformateurs, n'est-ce pas?

M. Ziegler: C'est un programme si compliqué. Il se prête à tant de manipulations, et nous ne pouvons reprocher aux agriculteurs de se servir du système pour décider s'ils mettent leurs terres en friche ou s'ils surproduisent. C'est ainsi que nous essayons de gagner notre vie.

Le sénateur Austin: Toutefois, aux États-Unis, les agriculteurs orientent le processus politique, qui détermine à son tour la politique.

M. Ziegler: Effectivement, et il y a des élections tous les deux ans.

Le sénateur Austin: C'est donc hautement politique. Nous n'avons pas affaire à un système économique rationnel aux États-Unis.

M. Ziegler: Je n'arrive pas à voir de justification. On dirait que le lobbying dirige la politique. Ceux qui sont les plus efficaces dans leurs démarches, qu'il s'agisse du bois d'œuvre ou d'autres choses, déterminent la politique. Cela n'a aucun sens.

Si je peux pousser le raisonnement un peu plus loin, ce problème de surproduction présente également des aspects humanitaires, à cause des conséquences pour le tiers monde et les pays en développement. Je commence tout juste à me renseigner là-dessus. Ce système cause un gâchis dans le monde entier. C'est un bourbier intégral et il faut y mettre bon ordre.

J'en reviens aux observations de Brent sur le carré de sable et les gens qui se disputent. Simplifions les choses et éliminons certains de ces éléments, car les conséquences sont énormes pour nous, les producteurs, notre pays, l'industrie et d'autres pays de par le monde.

Le sénateur Austin: Si vous êtes un optimiste, vous croyez que cela aboutira, mais il nous faut un système de normes mondiales pour l'agriculture.

M. Toma: Pour répondre à votre question, on a souvent dit que le U.S. Farm Bill visait à subventionner l'agriculture américaine. Pourtant, l'une des plus grandes huileries du monde a fermé dix usines aux États-Unis et en a ouvert en Chine, à cause des différences de droits tarifaires.

C'est plus rentable pour l'entreprise. Elle fait plus d'argent à presser ces huiles en Chine qu'aux États-Unis. Elle préfère donc y exporter la matière première.

Les effets à long terme de cette législation américaine sur des agriculteurs comme MM. Ziegler et McBean, sur le plan du soutien du gouvernement canadien, dépendent de ce qui est arrivé par le passé.

Le problème à long terme est une pression à la baisse sur les prix et les revenus de l'agriculteur, qui doit payer les programmes canadiens de soutien et de protection du revenu.

Par conséquent, l'agriculteur canadien est toujours forcé de trouver un autre moyen de compenser ce qui est généralement un préjudice causé par le commerce, étant donné que le gouvernement du Canada ne l'indemnise pas. Récemment, le gouvernement de l'Alberta a essayé de s'attaquer au problème pour l'avenir.

Peut-être le Cadre stratégique pour l'agriculture permettra-t-il d'essayer de s'attaquer au problème, mais, malheureusement, je n'ai pas trop d'espoir.

Le président: Je tiens à remercier nos témoins. Je ne peux m'empêcher de me demander combien coûtent les subventions américaines à l'agriculture. C'est le Trésor qui paie.

Dans l'Union européenne, les pressions tiennent au fait qu'il s'agit du coût le plus important. Je me suis laissé dire que la subvention agricole la plus importante était versée aux producteurs grecs de tabac, mais ce qui pèse sur l'Union européenne, c'est le coût de tout le système.

Il faut trouver cet argent quelque part. Il ne pousse pas dans les arbres. Combien coûtent les subventions les plus récentes aux États-Unis? Quels sont les coûts pour le Trésor?

M. McBean: Je crois que cela revient à 108 milliards de dollars canadiens.

Tous autant que nous sommes, nous sommes conscients que les questions commerciales dans le domaine alimentaire sont beaucoup plus compliquées que dans le domaine pétrolier ou quelque autre domaine, car on peut se passer de tout, sauf de nourriture, et la plupart des pays le savent bien.

C'est pourquoi le problème est si complexe est si difficile à résoudre. Je tiens aussi à préciser que je n'ai absolument pas voulu dénigrer les avocats. J'aurais dû plutôt parler des comptables fiscalistes.

Le président: Je crois qu'il faudrait arrêter de dire que vous êtes de simples agriculteurs, car vous avez été deux excellents témoins qui connaissent fort bien les problèmes agricoles.

Vous avez été d'excellents témoins. Au nom du comité, je vous remercie d'être venus vous entretenir avec nous. Nous allons prendre vos observations très au sérieux lorsque nous allons étudier la documentation à la fin de la tournée de cette semaine.

Honorables sénateurs, nos prochains témoins sont M. Pierre Alvarez, président de l'Association canadienne des producteurs pétroliers, et MM. Phil Prince et Peter Miles, du Canadian Energy Research Institute.

Je sais que vous avez beaucoup d'expérience des témoignages devant les comités. Peut-être pourriez-vous nous résumer votre opinion pour laisser plus de temps aux questions, car elles ont été très nombreuses depuis le début de nos audiences à Vancouver, lundi.

[Français]

Le sénateur De Bané: Puis-je suggérer que chacun de nos trois distingués invités nous disent quelques mots sur l'organisme qu'ils représentent.

[Traduction]

Le président: Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous donner une brève description de l'organisation que vous représentez.

M. Pierre Alvarez, président, Association canadienne des producteurs pétroliers: Monsieur le président, l'Association canadienne des producteurs pétroliers représente 98 p. 100 de la production au Canada. Nos membres comprennent les entreprises qui font de la prospection dans l'Arctique, les exploitants des sables bitumineux, les producteurs de la côte Est ainsi que l'industrie conventionnelle. Même si nous faisons beaucoup du travail habituel d'une association industrielle classique, comme les relations avec le gouvernement et les affaires publiques, je crois que nous avons une connaissance très particulière de certaines des questions qui intéressent le comité parce que nous nous chargeons aussi de l'essentiel des fonctions réglementaires, aussi bien au Canada qu'aux États-Unis.

Nous avons des relations très suivies avec l'Office national de l'énergie, la Commission fédérale de réglementation de l'énergie des États-Unis, la Commission des services publics de la Californie, et cetera et avons été très actifs dans le domaine de la formulation des politiques dans les deux pays depuis l'ouverture des frontières dans les années 80 et la déréglementation qui s'est produite à peu près dans la même période, après 1984.

La thèse que je vais vous exposer aujourd'hui, sénateurs, est la suivante: je crois qu'il serait très difficile sinon impossible de trouver un secteur qui a connu une croissance aussi considérable sous l'effet de la politique publique.

En fait, je pense que la signature de l'Accord de libre-échange et la déréglementation des marchés de l'énergie vers la fin des années 80 ont probablement constitué les éléments de la politique publique qui ont eu le plus de succès dans l'histoire du Canada. Leur effet a été au moins égal à celui de la signature du Pacte de l'automobile au début des années 60 et de la croissance qu'il a engendrée.

Je vais vous présenter quelques diapositives pour vous donner une idée de la taille et de la portée de l'industrie, puis j'aborderai quelques-unes des questions qui nous intéressent.

Comme vous avez déjà les diapositives, je vais les passer en revue assez rapidement.

Sur la première diapositive concernant la balance commerciale, vous pouvez constater que les ventes de pétrole et de gaz naturel contribuent d'une façon remarquable au commerce du Canada avec les États-Unis. Bien entendu, l'évolution dépend en partie du prix, mais vous pouvez constater que, d'une année à l'autre, notre secteur représente constamment une part très importante de la balance commerciale avec les États-Unis.

Si l'on inclut les ventes d'électricité, les chiffres seront sensiblement plus élevés. Vous pouvez comprendre, par exemple, que dans une industrie dont les recettes devraient être de l'ordre de 60 milliards de dollars cette année, plus de 30 milliards du chiffre d'affaires contribuent directement à l'économie canadienne, avec les effets qu'on peut imaginer sur la balance commerciale et la valeur du dollar canadien.

Vous pouvez voir que la croissance a réellement commencé au début des années 90. C'est partiellement parce que la technologie nous a permis de mettre en valeur de nouvelles ressources et de toucher des marchés nouveaux et différents.

La diapositive sur la productivité des employés montre que l'introduction des nouvelles technologies nous a permis de continuer à faire monter la productivité par employé presque sans interruption.

Le président: Pouvez-vous me dire quelle est la différence entre «Total Canada» et «Amont»?

M. Alvarez: «Total Canada» comprend tous les secteurs de l'économie, comme l'automobile, les forêts et les biens manufacturés. «Amont» désigne l'industrie du pétrole et du gaz d'amont. Il s'agit de nos ventes de pétrole brut, de gaz naturel et de soufre au marché américain.

Le sénateur Di Nino: Nous parlons ici de la balance commerciale.

M. Alvarez: C'est exact, sénateur, c'est bien la balance commerciale.

Si l'on considère les choses d'une manière légèrement différente, on constate sur la diapositive 3 concernant la productivité de la main-d'oeuvre en 1999 — je crois qu'Industrie Canada est en train de faire une mise à jour, mais les chiffres n'ont pas changé — que le secteur canadien du pétrole et du gaz a une productivité plus élevée que les autres industries.

Par comparaison aux États-Unis — c'est la ligne marquée «U.S.» sur le graphique —, nous sommes très sensiblement plus productifs. Cela a permis à notre secteur de continuer à croître chaque année depuis le milieu des années 80. Le graphique du bas de la deuxième page concernant l'économie de l'énergie entre 2003 et 2005 présente une vue ponctuelle de la situation.

Cette année, nous nous attendons à des recettes d'environ 65 milliards de dollars dans le secteur. Sur ce montant, 3 milliards vont aux dépenses administratives générales, 18 milliards vont directement aux gouvernements — je donnerai un peu plus de détails à ce sujet dans un instant — et 6 milliards sont versés aux actionnaires ou vont à l'étranger sous forme d'investissements de nos membres dans d'autres régions du monde. Toutefois, la plus grande partie du montant, 90 p. 100, est réinvestie au Canada.

Vous pouvez voir qu'il y a également 24 milliards d'immobilisations et 14 milliards pour la prospection et les dépenses d'exploitation. Ces montants sont réinvestis dans le pays à plus de 90 p. 100. Autrement dit, l'argent est constamment recyclé.

La carte suivante portant sur les immobilisations de l'industrie montre la répartition générale des immobilisations au Canada.

Dans le bassin sédimentaire de l'Ouest canadien, où l'on trouve les tours de forage et les usines à gaz classiques, nous aurons cette année des dépenses de 16 à 18 milliards de dollars.

Il y aura en outre 5 milliards dans les sables bitumineux de la région de Fort McMurray et près de 1,5 milliard dans les installations extracôtières de l'Est. Comme vous en avez sans doute entendu parler, il y a un grand point d'interrogation dans cette dernière région parce que l'un des projets qui devait faire l'objet d'un examen réglementaire cette année a été reporté. Nous nous attendons cependant à des activités record de prospection dans les zones extracôtières de la Nouvelle-Écosse.

Nous avons une croissance annuelle régulière dans le Nord. De plus, si ce qu'on dit est vrai et que le pipeline de la vallée du Mackenzie se rapproche de l'étape de l'approbation du projet, il est probable que ce nombre augmentera sensiblement.

Enfin, comme vous pouvez le voir, les dépenses internationales ont augmenté chaque année. La plus grande partie de ces dépenses est faite sur la côte du golfe du Mexique, en Alaska et dans un ou deux pays du Moyen-Orient.

Pour examiner la croissance du secteur, on peut également considérer les paiements au gouvernement. On peut en effet constater que les impôts et les redevances actuelles du secteur canadien du pétrole et du gaz augmentent régulièrement avec les hausses de prix des dernières années.

Il importe également de noter sur le graphique les bandes foncées du milieu qui représentent les impôts que les sociétés ont versés au gouvernement fédéral. Les importantes augmentations qu'on voit sont dues au fait que l'industrie est devenue beaucoup plus importante et beaucoup plus rentable et que les dépenses capitalisées ne permettent plus de soustraire le revenu à l'impôt.

Nous nous attendons à verser au gouvernement fédéral quelque 5 milliards de dollars en impôts et 13 milliards de plus iront aux gouvernements provinciaux sous forme d'impôts et de redevances et pour payer des achats de terrains.

Vous pouvez voir à la page suivante que la raison de la croissance est très simple. Grâce à l'accès au marché des États-Unis et aux nouvelles technologies, nous avons pu augmenter sensiblement nos ventes.

La production de gaz naturel a augmenté chaque année depuis le début des années 80 et, dans certaines années, la hausse a été assez remarquable. Cette situation est attribuable dans une grande mesure à l'industrie américaine de l'électricité qui convertit ses centrales thermiques du charbon aux combustibles canadiens beaucoup plus propres.

Vous pouvez voir, au bas de cette page, que la production canadienne de brut continue aussi à augmenter chaque année. La principale raison est que la technologie permet d'exploiter les sables bitumineux.

Beaucoup d'entre vont se souviendront des prédictions selon lesquelles l'exploitation des sables bitumineux serait trop coûteuse pour être rentable. Les réserves de pétrole que recèlent ces sables sont comparables à celles de l'Arabie Saoudite. La production s'y fait maintenant à plein rendement. De plus, nous nous attendons à la réalisation d'un certain nombre de nouveaux projets dans les prochaines années.

Sénateurs, la conclusion à laquelle je voulais aboutir est la suivante: tout cela ne serait pas arrivé sans déréglementation et sans l'élimination du contrôle des prix aussi bien au Canada qu'aux États-Unis. J'aborde ce point en particulier dans notre mémoire. Ce n'est d'ailleurs pas une critique qui vise surtout le Canada. Dans beaucoup de pays du monde occidental — et Phil pourra probablement vous en parler mieux comme moi —, nous avons constaté une très forte présence du gouvernement dans le marché. Les prix sont soumis à des plafonds et l'activité subit des contraintes artificielles.

Grâce à l'Accord de libre-échange, à l'Accord de libre-échange nord-américain et à la déréglementation, les entreprises sont maintenant beaucoup plus disposées à agir d'une manière très dynamique sur le marché nord- américain.

La présence des États-Unis a assuré l'accès à des marchés qu'on n'aurait tout simplement pas pu envisager dans un contexte strictement canadien. En effet, le marché canadien est trop petit par rapport aux projets envisagés.

Dans le secteur pétrolier, les meilleurs exemples sont les sables bitumineux et le projet de l'île de Sable sur la côte Est. La population et l'économie de ces régions ne sont tout simplement pas suffisantes pour des projets de cette envergure et pour le niveau de production nécessaire afin d'atteindre le seuil de rentabilité. Les activités en question ont permis un développement économique extrêmement important des collectivités en cause et ont offert à l'industrie canadienne de grandes occasions de croissance.

Où en sommes-nous aujourd'hui? Je crois qu'on nous en sommes au point où les deux gouvernements reconnaissent l'importance de frontières ouvertes. À notre avis, nous avons assisté à une interaction très positive entre les responsables de la réglementation du Canada et des États-Unis en vue de la création de nouveaux éléments d'infrastructure.

Il a été possible de coordonner les exigences relatives aux pipelines et les organismes réglementation des deux pays ont fait leur travail. Ils se sont efforcés de simplifier les démarches et de coordonner leurs délais, ce que nous a permis d'établir rapidement la nouvelle infrastructure, avec un minimum de retard dû aux exigences de réglementation.

À mesure que nous avançons, il est clair que les questions de sécurité énergétique revêtent une très grande importance en Amérique du Nord. Il n'y a pas de doute que le gouvernement américain considère le Canada comme un élément important de sa propre sécurité énergétique.

On peut facilement comprendre l'intérêt des Américains si l'on compare le brut canadien livré par pipeline à du pétrole du Moyen-Orient transporté à bord de pétroliers.

À notre avis, nous possédons des ressources que nous ne pouvons tout simplement pas consommer nous-mêmes dans l'avenir prévisible et qui nous offrent donc des possibilités extraordinaires.

Je crois que nos débouchés resteront très solides dans les années à venir. Le secteur des pipelines continue à s'intéresser fortement à une expansion vers le Nord. Nous assistons à la naissance de nouvelles industries, comme l'exploitation du méthane des gisements houillers. La Colombie-Britannique connaît une croissance remarquable.

Le sénateur Austin sait probablement que le secteur pétrolier rapporte maintenant plus de recettes au gouvernement de la Colombie-Britannique que l'industrie forestière: 1,7 milliard de dollars l'année dernière, soit plus du triple des 500 millions que l'industrie versait auparavant.

Pour nous, le défi consistera, à mon avis, à maintenir un bon environnement commercial tout en nous attaquant aux problèmes qu'il faut régler sur le plan intérieur.

Il y a des préoccupations au sujet des niveaux d'imposition au Canada et de la façon dont le protocole de Kyoto sera appliqué. L'industrie canadienne doit concurrencer la production du Moyen-Orient: avec des coûts de prospection et de mise en valeur de 2 $ au Yémen et de 12 $ ou 13 $ dans le nord de l'Alberta, il est clair que nous devons rester compétitifs sur le plan des politiques.

En conclusion, je reviens à ma thèse. Nous avons un secteur qui a maintenant des activités dans 11 des 13 provinces et territoires du Canada, qui fait des investissements record et qui applique des technologies de pointe.

Je crois que nous sommes vraiment l'un des meilleurs exemples de réussite du libre-échange et de la déréglementation. Comme je le dis dans notre mémoire, ce n'est pas seulement le point de vue du producteur. Il y a de plus en plus d'études qui établissent que ce régime avantage aussi le consommateur.

Le président: Merci beaucoup.

M. J. Philip Prince, président, Canadian Energy Research Institute: Monsieur le président, je représente le Canadian Energy Research Institute. Je suis accompagné de M. Peter Miles, premier vice-président de l'Institut chargé de la recherche.

L'Institut a été créé en 1975 pour constituer une source indépendante d'analyse dans le domaine de l'énergie, pouvant travailler dans l'intérêt des gouvernements, de l'industrie et du public du Canada. Depuis, nous avons produit des centaines d'études, de documents de recherche, et cetera au sujet du secteur énergétique.

M. Miles présentera notre exposé liminaire. Je voulais moi-même présenter M. Miles et souligner que nous sommes un organisme objectif et indépendant de recherche économique et d'éducation.

Nous ne nous occupons pas normalement de questions de politique. Notre rôle consiste plutôt à aider ceux qui formulent les politiques en mettant à leur disposition de bons renseignements de base. C'est ce que nous espérons faire pour vous aujourd'hui, à part répondre à toute question que vous pourriez avoir.

M. Peter L. Miles, premier vice-président, Recherche, Canadian Energy Research Institute: Monsieur le président, nous avons réussi à produire nos images en couleurs. La technologie ne nous a pas trahis aujourd'hui. J'ai fait distribuer ces observations ainsi qu'un certain nombre de graphiques.

Bien sûr, comme Phil l'a dit, je serai heureux de répondre à vos questions, mais, comme lui, je tiens à dire que nous ne prétendons pas être des experts en droit commercial.

Cela étant dit, je voudrais présenter quelques observations sur l'évolution des échanges commerciaux Canada-États- Unis dans le domaine énergétique ces dernières années. En fait je vais confirmer ce qu'a dit Pierre au sujet de l'énorme croissance qui s'est produite depuis le milieu des années 80 et de la déréglementation de l'industrie des hydrocarbures.

Comme vous le savez sans doute, le commerce du pétrole et du gaz était étroitement réglementé, de même que les prix intérieurs, vers la fin des années 70 et le début des années 80. Cela était le cas des deux côtés de la frontière, même si c'était à des degrés différents et de différentes façons, mais cette réglementation avait pour effet d'entraver considérablement le commerce transfrontalier.

Aujourd'hui, les exportations de pétrole et de gaz sont déréglementées. Il est vrai qu'un exportateur a encore besoin d'une autorisation de l'Office national de l'énergie, mais je crois qu'il est clair que cette autorisation n'implique aucune exigence onéreuse et qu'en pratique, le commerce des hydrocarbures est déréglementé, de même que le commerce de l'électricité.

Les principes sur lesquels reposent les échanges sans entraves figurent essentiellement dans l'Accord de libre-échange nord-américain. Ce sont les mêmes que ceux qui se trouvaient à l'origine dans l'Accord de libre-échange Canada-États- Unis de 1988.

Les exportations de gaz canadien aux États-Unis sont passées d'environ un billion de pieds cubes (BPC) en 1987 à 3,7 BPC en 2002. Près de 60 p. 100 de notre production de gaz est exportée et, fait remarquable, je crois que le gaz naturel canadien représente maintenant quelque 17 p. 100 de la consommation des États-Unis.

Au cours de la même période, les exportations de pétrole ont plus que doublé, atteignant environ 529 millions de barils en 2002.

La situation est un peu différente dans le cas de l'électricité, qui a ses propres particularités. Bien sûr, la restructuration des marchés de l'électricité vient à peine de commencer, et ce n'est pas partout en Amérique du Nord. Il est admis, je crois, qu'il reste encore beaucoup à faire pour harmoniser la réglementation et intégrer les réseaux d'électricité des deux côtés de la frontière.

Je ne crois pas que cela relève autant de la politique commerciale que de la réglementation et, si je comprends bien, la question fait l'objet d'importantes discussions intergouvernementales. Il est d'ailleurs probable que des négociations ont lieu à l'heure actuelle.

La question du commerce, qui ne suscitait plus de préoccupations depuis la déréglementation du milieu des années 80, a été soulevée à nouveau il y a un an par le gouvernement américain, après la publication du rapport du Groupe chargé de l'élaboration de la politique énergétique nationale.

Ce rapport signale que le secteur énergétique déréglementé du Canada est devenu le plus important partenaire des États-Unis pour ce qui est de l'ensemble du commerce de produits énergétiques. Il est intéressant de noter que l'énergie reste encore un sujet délicat quand on parle de commerce.

Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'examiner ce rapport, mais j'ai trouvé intéressant le fait que les sept premiers chapitres parlent de l'opportunité de réduire la dépendance des États-Unis par rapport aux importations et d'augmenter le degré d'autonomie énergétique.

Ce n'est qu'au chapitre 8 qu'est abordée la question de l'intégration du marché énergétique nord-américain et que les auteurs expriment l'avis que l'intégration devrait être favorisée et développée encore plus.

À mon avis, sauf pour ce qui est de l'électricité, il est difficile d'imaginer comment l'intégration pourrait être plus étroite ou le commerce plus libre que cela n'est le cas actuellement.

Je crois que c'est un domaine où il est important de toujours rester vigilant. Bien sûr, dans notre pays, nous nous soucions non pas tant des importations d'énergie, mais plutôt, compte tenu de notre taille par rapport à celle des États- Unis, de la possibilité que les exportations d'énergie puissent, d'une façon ou d'une autre, être préjudiciables à l'intérêt national. Comme nous le savons tous, l'histoire du Canada est remplie de tentatives visant à concevoir des politiques qui favorisent la communication et le commerce est-ouest au détriment des relations économiques nord-sud, souvent plus naturelles.

Ce n'est cependant plus la politique du gouvernement aujourd'hui et, comme je l'ai mentionné, les gouvernements des deux pays doivent tenir compte, dans la formulation de leur politique commerciale, des contraintes que leur imposent les dispositions de l'ALENA.

Il me semble, à titre de profane éclairé et non pas du tout comme expert et sans vouloir être entraîné dans une discussion de ce que les dispositions de l'ALENA permettent ou ne permettent pas, que les dispositions de l'Accord relatives à l'énergie sont, dans l'ensemble, assez mal comprises du public.

Les journaux rapportent à l'occasion que ces dispositions imposent au Canada de permettre aux États-Unis d'obtenir un pourcentage donné de notre production d'énergie. De toute évidence, cela est faux. Les dispositions de l'ALENA limitent l'ingérence des gouvernements dans le commerce de l'énergie, ce qui est très différent du fait d'accorder aux États-Unis le droit de prendre tel ou tel pourcentage de notre pétrole ou de notre gaz.

Je voudrais également noter que le manque de compréhension peut compromettre l'acceptation par le public de nos accords commerciaux. Je crois que, pour le moins, il empêche un débat public objectif sur les questions relatives au commerce de l'énergie.

Après ces observations générales, je voudrais maintenant passer aux graphiques que j'ai établis et qui concernent tous les marchés du gaz naturel. J'ai l'impression que si les avantages d'un commerce sans restrictions des produits énergétiques étaient remis en question, on parlerait surtout du gaz naturel. Je veux donc conclure cet exposé en présentant quelques observations sur les développements récents survenus sur les marchés du gaz naturel.

Les graphiques 1 et 2 donnent une idée de l'évolution récente des prix. On peut noter, sur le graphique 1, la tendance des prix du gaz à monter dans les quelques dernières années. Les prix au Canada et aux États-Unis se suivent d'assez près, sauf dans le milieu des années 90 lorsqu'il y a eu des contraintes sur la capacité des gazoducs partant du bassin sédimentaire de l'Ouest canadien.

Les prix du gaz ont été particulièrement élevés en 2000 et en 2001, reflétant ce que certains ont appelé la «tempête parfaite» qui s'est abattue sur les marchés du gaz naturel: un hiver très froid, de faibles réserves et une forte demande, attribuable dans une certaine mesure à l'entrée en service de nouvelles centrales thermiques alimentées au gaz.

Je crois qu'il est également intéressant de noter, sur le graphique 2, qu'en termes réels, les prix du gaz naturel sont aujourd'hui à peu près au même niveau qu'au début des années 80. Il est donc difficile de dire que les prix actuels sont plus élevés qu'ils l'ont jamais été.

Je ne tiens pas à tirer des conclusions de ce facteur car, comme nous le savons tous, les prix étaient hautement réglementés au début des années 80. Cela a fortement incité les producteurs à trouver plus de gaz et les consommateurs, à réduire au maximum leur consommation. C'est ainsi que nous avons créé un important excédent de capacité productive.

Les hausses de prix des deux dernières années reflètent une forte demande et une stabilisation de l'offre. Le graphique 3 présente la tendance de l'offre de gaz au Canada par rapport au nombre de puits de gaz forés. Les forages ont eu tendance à augmenter, tandis que la production se stabilisait. C'est là un important sujet de discussion ces derniers temps.

Le graphique 4 est un peu plus compliqué, mais je trouve que c'est un moyen assez intéressant de résumer ce qui s'est récemment produit et qui, selon certains, pourrait probablement se reproduire à l'avenir.

Le graphique présente en abscisse le prix du gaz et, en ordonnée, la production gazière au Canada. Je ne vais pas reprendre toute l'histoire, mais vous remarquerez que, pendant quelques années après la déréglementation, les prix ont eu tendance à rester stables, tandis que la production augmentait assez considérablement. Ces dernières années, les prix ont eu tendance à grimper, tandis que la production n'augmentait plus très sensiblement.

Ceux qui font de la prévision — j'ai inclus ici les deux ensembles les plus récents de projections de l'Office national de l'énergie — pensent que la croissance de la production sera plus petite que dans les dernières années et que les prix monteront plus rapidement.

Mon dernier point, c'est que si je vous montrais un graphique concernant les États-Unis, les variations seraient essentiellement semblables. Compte tenu des projections de la demande de gaz dans les deux pays, il est intéressant de noter qu'il y a un écart très marqué entre ce que les analystes canadiens disent de la capacité d'exportation de l'industrie canadienne du gaz et ce que leurs homologues américains affirment. J'examine maintenant le graphique 5.

L'ONE, par exemple, parle de la possibilité d'une baisse des exportations de gaz naturel, tandis que l'Agence d'information sur l'énergie des États-Unis prévoit des hausses constantes dans ses dernières projections.

Je ne tire pas de conclusions particulières de ces chiffres. Sans avoir de certitude, je soupçonne que l'un ou l'autre des deux organismes ne tient pas compte de l'ensemble du tableau nord-américain. De toute évidence, les résultats différents dépendent soit de méthodes différentes de projection soit d'hypothèses de départ différentes. Je dois dire que nous n'avons nous-mêmes procédé à aucune analyse pour trouver la raison de cet écart.

En conclusion, je voudrais dire qu'il est essentiel de comprendre que, dans un marché intégré comme celui du gaz naturel en Amérique du Nord, les trois éléments — production, demande et prix du gaz — doivent être conjointement déterminés, comme nous autres économistes avons l'habitude de le dire. Il faut considérer toute la demande nord- américaine et toute la production. Ensuite, ces facteurs de production et de demande détermineront en commun le prix.

Je soupçonne que beaucoup des gens qui examinent les marchés ne procèdent pas de cette façon. Il faut dire que la méthode est difficile et compliquée. Il est probable que la plupart des gens ne le font pas, ce qui explique les évaluations différentes que nous voyons.

Ces facteurs sont déterminés conjointement. Il est inexact de dire, comme certains l'ont fait, que les exportations de gaz naturel sont en quelque sorte déterminée par les besoins américains. Cela est partiellement vrai, mais il y a aussi beaucoup d'autres facteurs en jeu.

Le sénateur Setlakwe: J'adresse ma question à M. Alvarez et à M. Miles. Les choses semblent aller extrêmement bien pour l'industrie du pétrole et du gaz au Canada. Nous n'avons pas de différends ou de conflits importants avec les États-Unis.

Monsieur Miles, vous avez dit dans votre exposé que les stratégies énergétiques fondées sur le développement durable du Canada contribuent à la vigueur de l'économie, dans le cadre de l'ALENA, et à la santé de notre environnement commun. Vous avez ajouté qu'un groupe récemment établi par l'ALENA avait travaillé à une intégration énergétique plus étroite entre le Canada, le Mexique et les États-Unis.

Cela semble marcher très bien parce que la demande est forte aux États-Unis. Les Américains ont besoin des exportations d'énergie canadiennes, qu'il s'agisse de pétrole, de gaz ou d'électricité.

Toutefois, nous avons des problèmes dans d'autres secteurs de notre commerce avec les États-Unis et le Mexique, et surtout avec les États-Unis. Je me demande dans quelle mesure l'industrie canadienne du pétrole et du gaz est non seulement consciente de cette situation — je suis sûr qu'elle l'est —, mais cherche à user de son influence auprès des Américains pour contribuer au règlement de ces problèmes.

M. Alvarez: Soit dit en passant, sénateur, le seul secteur où nous aimerions voir une plus grande coopération est probablement celui de la R-D dans le domaine énergétique.

Pour continuer à faire des progrès dans le domaine environnemental, qu'il s'agisse d'une technologie propre du charbon ou de nouveaux moyens de transmission, il nous faudrait probablement travailler en vue d'une intégration plus serrée des efforts de R-D des deux côtés de la frontière.

Je voulais juste ajouter cet élément à votre liste.

Bien entendu, nous sommes au courant des difficultés que connaissent d'autres secteurs. J'ai souvent dit que l'expérience de notre secteur montre clairement les avantages de frontières vraiment ouvertes. Nous avons essayé d'expliquer aux décideurs des deux parties que s'il y a une étude de cas à faire pour déterminer comment agir au mieux, c'est dans l'industrie du pétrole et du gaz qu'il faudrait la réaliser.

Par ailleurs, certains disent que nous devrions commencer à établir des liens entre les différents secteurs. Ce n'est pas une chose que nous sommes prêts à appuyer d'une façon quelconque. Relier des domaines différents aboutit rarement à des résultats positifs. En fait, on ne fait souvent qu'envenimer davantage la situation.

Nous partageons les préoccupations, surtout de secteurs comme celui des forêts avec lequel nous collaborons à beaucoup d'endroits de l'ouest du Canada. Nous partageons des routes et des installations. De plus en plus d'ailleurs, nous essayons d'embaucher des travailleurs forestiers parce qu'ils sont malheureusement en chômage à l'heure actuelle.

Nous sommes bien conscients de la situation, mais nous craignons tout lien direct parce que, d'abord, nous ne croyons pas que ce serait efficace; ensuite, nous ne voulons pas donner l'un en contrepartie de l'autre parce que Dieu seul sait où cela peut finir si nous nous engageons dans cette voie.

M. Miles: Monsieur le président, la seule observation que je puisse faire, c'est que contrairement à certains autres secteurs auxquels le sénateur Setlakwe peut penser, le secteur de l'énergie se caractérise par un marché libre et compétitif. Il y a probablement moins d'intervention gouvernementale dans le pétrole et le gaz que dans d'autres domaines.

Or chaque fois qu'il y a intervention, on soupçonne que les marchés ne fonctionnent pas sans restrictions.

Le président: N'est-il pas vrai que les choses vont bien dans le secteur de l'énergie parce que les Américains souffrent d'une pénurie? Ils ont épuisé leurs propres réserves énergétiques et sont totalement tributaires de nouvelles sources d'approvisionnement, notamment du Venezuela — qui doit leur causer actuellement beaucoup de soucis —, du Mexique et du Canada.

D'une certaine façon, nous pouvons en profiter parce qu'ils ont besoin de nos ressources. N'êtes-vous pas d'accord?

M. Miles: Partiellement, mais pensez par exemple au projet de loi sur l'énergie. Le dernier Congrès ne l'a pas adopté, bien qu'il puisse être ressuscité. Il contenait des dispositions qui auraient permis de subventionner la construction d'un pipeline destiné à transporter le gaz de l'Alaska vers les États-Unis.

Le président: Mais ce pipeline n'aurait-il pas dû traverser le Canada?

M. Miles: Oui, cela aurait pu influencer l'adoption d'une décision sans souci de rentabilité.

M. Prince: J'aimerais présenter une observation sur la notion d'établissement de liens entre ces secteurs. D'un point de vue analytique objectif, ma principale préoccupation est que chacune des entreprises en cause est en soi très complexe et qu'il est très difficile de comprendre parfaitement les nuances et les questions que les Américains soulèvent, par exemple, dans l'affaire du bois d'œuvre résineux, afin d'établir des comparaisons avec ce qui pourrait se passer dans le secteur du pétrole et du gaz.

Il me semble qu'il serait très difficile d'établir des liens logiques entre une situation et l'autre. Il vaut probablement mieux laisser les responsables de chaque industrie, qui sont ceux qui s'y connaissent le mieux, s'occuper de leurs problèmes propres.

Le sénateur Setlakwe: Je comprends ce que vous voulez dire, mais nous avons là une situation où les Américains ont désespérément besoin de nos produits, tandis qu'ils estiment qu'ils peuvent s'en passer à titre provisoire ou permanent dans d'autres secteurs.

Même si l'on exclut les liens et les compromis, il reste que vous avez des contacts chez les Américains, que vous leur parlez et que vous êtes au courant de nos problèmes. Mentionnez-vous nos autres problèmes dans vos entretiens avec eux? Vous arrive-t-il d'aborder ces problèmes?

M. Prince: En ce qui me concerne personnellement, j'ai parfois des conversations informelles avec des Américains. Toutefois, les exposés officiels que nous présentons portent normalement sur un sujet précis, sans digressions. La question des autres secteurs n'est donc pas soulevée.

M. Alvarez: Sénateur, il est intéressant de noter que nous avons comparu, il y a seulement cinq ans, devant le sénateur Max Baucus au Capitole, à Washington, au moment où il s'opposait très énergiquement aux importations de gaz naturel canadien subventionné.

Au début des années 90, nous avons eu d'importantes campagnes en vue de régler certains des problèmes que nous avions avec les États-Unis.

Nous sommes de chauds partisans des marchés ouverts dont nous avons profité. Nous disions régulièrement que c'était là des exemples de la façon dont les organismes de réglementation peuvent résoudre des problèmes techniques des deux côtés de la frontière à l'avantage mutuel des deux parties.

Nous rappelons aux Américains qu'il n'y a pas si longtemps, nous étions en butte à des enquêtes relatives aux droits compensateurs.

Nous connaissons bien le sujet et nous en discutons, mais nous craignons la façon dont les gouvernements engagent des batailles commerciales parce que les préjudices touchent non seulement les pays, mais aussi des sociétés particulières.

Le sénateur Austin: Comme vous l'avez dit, l'industrie a évolué d'une façon remarquable avec les années. Nous avons l'impression, du moins à Ottawa, que nous accordons actuellement aux États-Unis le «traitement national» prévu par l'ALENA dans le secteur du pétrole et du gaz.

Autrement dit, leurs acheteurs et leurs vendeurs sont traités comme s'ils étaient canadiens et comme si nous avions un marché continental de l'énergie.

Je ne crois pas qu'il y ait de fausses idées parmi les décideurs. Je ne peux pas assumer la responsabilité de ce qu'écrivent les journalistes et d'autres.

J'aimerais examiner deux questions avec vous. La première porte sur Kyoto et sur l'idée lancée par les Canadiens selon laquelle nous avons droit à une prime aux termes du protocole de Kyoto quand nous fournissons aux États-Unis des produits énergétiques relativement peu polluants, comme du pétrole à faible teneur en souffre et du gaz naturel. Comme vous le savez, nous n'obtenons aucun crédit aux termes de Kyoto pour la production de ces formes d'énergie.

En fait, ils nous sont comptés comme polluants, surtout pour ce qui est des sables bitumineux. Aux termes de Kyoto, ces produits servent à nous pénaliser même si nous en transférons les avantages environnementaux aux consommateurs américains.

Qu'en pensez-vous?

M. Alvarez: Vous avez parfaitement raison, sénateur. Permettez-moi d'ajouter cependant que nos contributions à l'énergie propre ont également joué un rôle important dans l'amélioration de la qualité de l'air le long de la frontière canado-américaine par suite du remplacement du charbon par du gaz naturel. Beaucoup des centrales thermiques et des installations industrielles propres ont profité non seulement aux Américains, mais aussi aux Canadiens puisque l'air ne reconnaît pas les frontières. Je sais que vous êtes très conscient de cela.

Ce que vous dites des crédits à l'exportation soulève deux questions. J'en ai parlé à des responsables américains, qui m'ont plus ou moins dit: «Eh bien, nous garderons les crédits tant que nous n'aurons pas les emplois et les redevances qui les accompagnent.» C'est un peu désinvolte, mais je crois que cette déclaration met en perspective le fait qu'il y a une charge correspondante de CO2. L'opération a aussi des avantages extraordinaires sur les plans de l'activité économique, de la productivité, des emplois et de l'investissement au Canada, puisqu'un demi-million de Canadiens travaillent dans le secteur du pétrole et du gaz.

Ces avantages ne se limitent pas à nous. Entre un tiers et 50 p. 100 de l'activité économique associée à une usine d'extraction du pétrole des sables bitumineux vient de l'Ontario et du Québec sous forme d'acier, de voitures, de camions, et cetera.

Toutefois, votre observation soulève une question très importante. Le protocole de Kyoto souffre d'une lacune fondamentale à cause du déséquilibre découlant de l'absence d'une application universelle, certains pays étant inclus et d'autres pas.

Le déséquilibre le plus prononcé se situe indubitablement entre le Canada et les États-Unis. Nous en avons parlé tout le long du débat sur Kyoto. Le problème est aggravé par le fait que l'industrie canadienne du pétrole et du gaz est la seule du monde qui doit viser à réduire ses émissions.

Aucun de nos concurrents n'a à le faire. Pour reprendre les observations d'un autre sénateur, le Venezuela n'a pas à le faire, pas plus que le Mexique ou l'OPEP. Aucun de ces pays n'a des obligations, mais nous devons leur faire la concurrence dans un marché où nous ne fixons pas les prix.

Votre observation est très bonne. Vous avez mis le doigt sur l'un des défauts de Kyoto attribuable au fait que ce n'est pas un accord vraiment universel, mais un accord très sélectif, dont la couverture est très sélective.

Le sénateur Austin: C'est une question conceptuelle, que je mets de côté et que je traite, comme vous le dites, avec beaucoup de désinvolture. C'est l'argument des avantages économiques qui ne se rattachent pas aux questions environnementales.

Sans notre énergie, il y aurait moins d'emplois aux États-Unis. Notre énergie engendre une activité économique d'une valeur élevée chez les Américains. Il y a donc des arguments des deux cotés.

Nous nous trouvons encore dans cette drôle de situation que vous avez mentionnée, monsieur Alvarez, puisque nous conférons un avantage économique aux États-Unis, souvent loin de la frontière, et sommes en même temps pénalisés aux termes de Kyoto. Je ne sais pas s'il existe une solution à notre problème, mais le problème existe bel et bien.

Le secteur du pétrole et du gaz n'occasionne pas actuellement de difficultés dans le cadre de l'ALENA. J'espère que cette situation durera. Il y a cependant un aspect de la demande des États-Unis qui se rapporte au Mexique. Nous nous attendons à ce que l'économie mexicaine connaisse de sérieuses difficultés en 2005, 2006 et 2007 à cause de la pénurie de capacités énergétiques.

Le réseau électrique du Mexique est déjà en mauvais état aujourd'hui. Son industrie du pétrole et du gaz est soumise à des contraintes, malgré les énormes réserves de gaz inutilisées que le pays possède dans le bassin de Bergus et dans le golfe du Mexique.

Je me demande si, dans le contexte de l'ALENA, l'industrie canadienne du pétrole et du gaz a un avis sur ce qu'on peut attendre du Mexique pour ce qui est de ses propres besoins et de sa dépendance des États-Unis dans le domaine du gaz naturel.

Croyez-vous que les Américains toléreront cette dépendance compte tenu des pénuries qui se manifestent de plus en plus dans le Sud et du fait que les frais de transport nécessaires pour obtenir du gaz d'autres régions des États-Unis vont accroître le prix de l'énergie dans le Sud?

M. Prince: Je ne suis pas sûr de pouvoir de pouvoir donner une réponse complète à votre question, mais la situation au Mexique est difficile parce que sa constitution interdit aux sociétés étrangères de mettre en valeur les réserves nationales de gaz.

Je crois que la situation que vous décrivez soumettra les Mexicains à des pressions qui les inciteront à envisager des changements. Au cours des derniers mois, ils ont essayé une approche basée sur les contrats de services pour permettre à des sociétés étrangères d'exploiter leurs réserves de gaz.

Je suis assez sceptique sur les chances globales de succès de ces tentatives. Je crois que les Mexicains vont devoir réexaminer les conditions historiques difficiles qui interdisent l'intervention du capital étranger pour mettre en valeur leurs réserves.

Ce sont des arrangements privés entre sociétés mexicaines et américaines. Je ne suis pas sûr de ce que les États-Unis peuvent faire, à part inciter les Mexicains à ouvrir leur marché au capital étranger.

Après tout, c'est ainsi, d'une certaine façon, que les ressources canadiennes ont été mises en valeur aux premiers stades. Nous avons réussi parce que nous avions des systèmes de marché compatibles à l'époque. Nous en avons beaucoup bénéficié.

C'est une question qui suscite beaucoup d'émotion au Mexique et qui ne sera donc pas facile à régler. Je ne crois pas qu'une solution sera trouvée d'ici 2006. Des pressions de plus en plus intenses vont s'exercer.

Le sénateur Austin: Le rapport Cheney, si je peux l'appeler ainsi, n'a pas avancé aussi rapidement que le gouvernement le pensait.

Pouvez-vous nous dire où il en est aujourd'hui dans la structure américaine, surtout en ce qui concerne le Canada?

M. Alvarez: Il se trouve que j'étais présent au Capitole le jour où le rapport a paru.

Je crois, sénateur, qu'il faut le découper en plusieurs tranches. L'une concerne, comme vous le savez, l'ouverture de la Réserve faunique nationale de l'Arctique.

Il est notoire, je crois, que cette question est en suspens et qu'on tente de trouver un compromis, mais qu'il y a un certain nombre de sénateurs, y compris des républicains, qui n'appuient pas cette initiative. Par conséquent, elle est en attente.

Le projet du gaz de l'Alaska est le deuxième élément important du rapport. Comme vous le savez, il aurait fallu verser d'énormes subventions. Le projet a été renvoyé aux entreprises pour qu'elles déterminent comment procéder sans une intervention aussi directe dans le marché.

Le problème est qu'un mécanisme de soutien des prix était intégré dans l'aide. Il ne s'agissait pas simplement de garanties de prêts ou d'un amortissement accéléré du capital. Il était question d'une intervention réelle dans le marché.

Le sénateur Austin: C'était un système de maintien des prix...

M. Alvarez: Exactement.

Le sénateur Austin: — destiné à amortir les investissements dans le pipeline. Quels en auraient été les effets sur les producteurs canadiens de gaz?

M. Alvarez: C'est une question intéressante. Si vous pouvez fournir au marché 5, 6 ou 7 milliards de pieds cubes de gaz par jour simplement en appuyant sur un bouton, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il y aura des incidences à court terme. Je laisserai les autres répondre à cette question.

Deux ou trois autres éléments du projet de loi sur l'énergie sont dignes de mention. Il y a eu de grands efforts pour ouvrir une plus grande zone des Rocheuses et quelques régions extracôtières, mais ces efforts n'ont eu aucun succès.

La plus grande réussite a probablement été enregistrée sur le plan de la R-D. Le rapport Cheney faisait grand cas des combustibles de remplacement et des nouvelles sources d'énergie, comme l'éthanol et l'hydrogène. C'est dans ce domaine qu'il y a eu le plus d'intérêt de la part d'une importante coalition de législateurs et le plus de progrès, notamment grâce au récent discours sur l'état de l'Union qui annonçait de très gros investissements dans le domaine de l'hydrogène.

Le reste, sénateur, n'est pas allé très loin.

Le sénateur Di Nino: Il n'y a pas de doute que le secteur que vous représentez, monsieur Alvarez, a eu probablement au moins autant de succès que le Pacte de l'automobile dans les relations commerciales entre le Canada et les États- Unis. Je crois que vous avez parlé d'«intégration» de l'industrie.

Nous avons entendu des témoins parler d'une plus grande intégration, d'une intégration tacite ou d'un processus continu d'intégration potentielle. Certains se sont posé des questions au sujet des effets possibles sur notre souveraineté. Auriez-vous, l'un ou l'autre, des observations à ce sujet?

M. Alvarez: Sénateur, au nombre des grands projets récents, les deux meilleurs exemples sont le projet de pipeline d'Alliance, qui va de Fort St. John à Chicago, et le projet de pipeline de l'île de Sable reliant la plate-forme de l'île de Sable, qui se trouve à environ 200 km de la côte de la Nouvelle-Écosse, au marché de Boston.

Les deux doivent desservir des clients canadiens et américains. Les deux ont fait l'objet d'examens environnementaux complètement distincts et ont été approuvés par les organismes de réglementation nationaux. Ces organismes ont fait un effort concerté pour organiser leurs audiences, leurs demandes de renseignements, et cetera de façon à permettre aux demandeurs de procéder d'une façon logique. Tout s'est déroulé extrêmement bien.

Nous n'avons pas eu l'impression que le Canada perdait une partie de sa souveraineté. Le rôle des législateurs et des responsables de la réglementation a été respecté des deux côtés. Je crois d'ailleurs que nous avons eu de meilleurs examens et de meilleures approbations.

On craint toujours, dans tout accord commercial, d'être obligé de céder quelque chose ou d'avoir peut-être manqué l'occasion d'en obtenir davantage de quelqu'un d'autre. C'est effectivement un risque, mais il s'agit plus d'une considération économique que d'une question de souveraineté.

Ce n'est pas un aspect que nous craignons. Les sociétés canadiennes ont maintenant un grand succès sur la scène internationale. Nous ne voulons pas qu'on fasse du tort à nos sociétés; par conséquent, nous ne cherchons pas à faire du tort aux autres.

À mon avis, il n'y a pas lieu de s'inquiéter, surtout si l'on considère les avantages que l'économie américaine retire de sa collaboration avec le Canada et, réciproquement, des avantages que le Canada retire d'une forte économie américaine.

M. Prince: Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je suis d'accord en général. Il y a cependant un point que je voudrais mentionner. Il est intéressant d'examiner la situation inverse. Supposons que le Canada limite l'utilisation de ses ressources à son propre marché, gardant donc pour les Canadiens des réserves pouvant durer un très grand nombre d'années. Nous pourrions nous rendre compte plus tard que nous avons compromis la valeur future de ces ressources car il est possible que d'autres sources d'énergie moins coûteuses soient mises au point entre-temps.

Ce n'est pas une question facile. Quand on commence à intervenir dans la capacité future du marché, on a intérêt à disposer d'une bonne boule de cristal. Autrement, on risque fort de choisir la mauvaise solution.

Si nous limitons l'utilisation de l'énergie, puis qu'il nous soit possible dans quelques années d'utiliser l'hydrogène, le pétrole et le gaz risquent d'avoir moins de valeur, et nous aurons perdu la capacité que nous aurons développée jusque- là.

Il n'y a pas de solutions faciles.

Le sénateur Di Nino: Au cours des dernières semaines, nous avons entendu plusieurs témoins dire que nous ne comprenons peut-être pas assez, ou que les Canadiens ou l'industrie canadienne ne comprennent pas pleinement les ramifications du système politique et les alliances qui se forment dans cette sphère d'influence.

Comme vous l'avez mentionné, l'industrie du gaz était accusée, il n'y a pas si longtemps, d'être subventionnée, mais vous avez réussi à surmonter cette difficulté. Puis-je demander à tous les témoins de nous dire si, à leur avis, il est exact que nous ne comprenons pas tout à fait la situation parce que la politique se fait à l'échelle locale et qu'au lieu de concentrer nos efforts sur Washington, nous devrions peut-être les disperser un peu plus?

J'ai l'impression que c'est une critique qu'on nous vous adresse souvent. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez.

M. Alvarez: À part le gaz, sénateur, nous avons été mêlés à un autre différend commercial consistant en une enquête 333 du département américain du Commerce portant sur l'ensemble des ventes étrangères aux États-Unis.

Nous avions alors eu l'honneur douteux d'être mis dans le même sac que la Libye, l'Iran, l'Irak, l'Indonésie et quelques autres pays.

Le sénateur Di Nino: Charmante compagnie!

M. Alvarez: Exactement. Il y a des moments, sénateur, où le traitement national est très avantageux, mais nous n'étions pas fiers d'être mêlés à ces pays.

Chaque secteur subit des influences différentes, est régi par des organismes de réglementation différents et des paliers de gouvernement différents. Il est donc difficile de parler d'une façon générale des grands enseignements à tirer.

Je voudrais souligner que, tout le long de nos moments difficiles, nous avons bénéficié d'une aide extraordinaire de la part de l'ambassade du Canada à Washington. Nous aurions eu beaucoup plus de difficultés sans cette ambassade et sans le personnel fort compétent des bureaux satellites. Nous avons beaucoup d'activités en Californie. Nous avons un groupe extraordinaire qui nous représente aux États-Unis, y compris le consul général en Californie, le consul général à Houston et d'autres.

Nous n'aurions pas pu faire ce que nous avons fait sans leur aide, mais je ne sais pas s'il en est de même pour les autres secteurs. Je peux tout simplement dire que le concours, l'appui et le soutien de l'ambassadeur, des membres de son personnel et des consuls généraux canadiens ont été inestimables.

Cette aide a joué un rôle très important pour nous.

M. Prince: Je crois que nous sommes d'accord. Nous ne comprenons pas très bien la politique aux États-Unis.

Le sénateur Di Nino: Vous ne comprenez pas ou nous ne comprenons pas?

M. Prince: Nous ne comprenons pas.

Le sénateur Di Nino: Vous n'êtes sûrement pas les seuls.

Le président: Je voudrais poser une question que je destinais à un témoin qui a eu un empêchement cet après-midi.

Dans le secteur du pétrole et, je suppose, dans celui de l'électricité aussi, nous avons en fait un marché captif parce que les Américains ne produisent pas suffisamment. Ils ont besoin de notre énergie. Je sais qu'ils ont d'énormes réserves de gaz naturel, ce qui n'était pas le cas en 1988.

Si je m'en souviens, leur production de pétrole leur suffisait encore, mais la situation évoluait.

Le renseignement que je veux obtenir nous aurait probablement été fourni par un témoin qui devait comparaître aujourd'hui, mais qui s'est excusé. Je vais citer ce livre écrit pour le Conseil des Canadiens par Murray Dobbin.

L'ALENA interdit les instruments de la politique énergétique que les gouvernements canadiens avaient utilisé dans le passé: prix différents au Canada et à l'exportation, taxes d'exportation, restrictions sur les ressources énergétiques exportées et incitatifs favorisant la canadianisation.

Si nos gouvernements prenaient aujourd'hui de telles initiatives, ils s'exposeraient à de coûteuses poursuites de la part d'investisseurs étrangers qui invoqueraient l'infâme chapitre 11 de l'ALENA.

Comme l'avait dit un ancien président de l'Office national de l'énergie: «Nous avons un marché continental de l'énergie, mais nous n'avons pas une politique continentale de l'énergie.» Je crois que ce sont les paroles de Larry Pratt.

Que pensez-vous de cela? J'ai examiné des renseignements sur les problèmes énergétiques des États-Unis, et en particulier les problèmes relatifs au pétrole. Il est difficile d'imaginer en ce moment que les États-Unis puissent devenir autonomes en matière de production pétrolière et compter moins sur le Canada, le Mexique et surtout le Venezuela.

Avons-nous renoncé en vain à beaucoup d'instruments? Monsieur Alvarez, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Alvarez: Je n'ai jamais trouvé un microphone qui me déplaise, monsieur le président.

Avons-nous renoncé à des instruments? Nous n'y avons pas renoncé. Cela faisait partie d'un accord commercial global d'abord entre deux, puis entre trois pays. Chacune des parties a dû céder des prérogatives en échange de certains avantages.

Avons-nous trop cédé? Non, je ne dirais pas cela.

Ensuite, est-ce que je crois qu'il était bon pour nous d'éliminer ces choses dans un marché de plus en plus ouvert et de plus en plus mondialisé? Oui, je le crois. Il a été utile de le faire, surtout si on pense à la rancoeur qui existait au début des années 80, lorsque beaucoup des instruments mentionnés par M. Pratt étaient considérés comme une intervention du gouvernement fédéral qui limitait le prix d'une ressource appartenant aux provinces, les empêchant ainsi d'obtenir les prix du marché. À notre sens, beaucoup de ces instruments ne convenaient pas du tout.

Avons-nous une politique continentale de l'énergie? Non, nous n'en avons pas. Il n'y a pas d'autorité continentale ayant un pouvoir décisionnel. Nous avons trois pays, quoique le Mexique compte moins, qui se sont engagés à ouvrir leurs frontières et à garantir la libre circulation des marchandises.

Toutefois, il s'agit d'un choix conscient de gouvernements successifs du Canada et des États-Unis. Je ne crois pas que nous ayons la capacité d'établir une politique continentale.

Je souhaiterais voir une plus grande coopération à l'échelle du continent. J'ai mentionné la R-D comme l'un des domaines possibles. Je crois qu'il y en a d'autres dans le secteur des nouveaux développements. M. Pratt a certes posé le problème, mais je n'accepte pas sa conclusion.

Le président: Je regarde la carte des oléoducs, qui me rappelle la politique de la ligne d'Ottawa. Si je m'en souviens, il n'existait pas de politique provinciale du pétrole au Canada. Nous avions une politique nationale. Je vois sur cette carte le pipeline Portland-Montréal, et je me demande s'il s'agit du même pipeline qui faisait partie du réseau de la vallée de l'Outaouais et qui permettait aux provinces de l'Est d'importer le pétrole peu coûteux du Moyen-Orient, tandis que nous, en Ontario, devions subventionner le pétrole de l'Alberta et encourager la prospection dans la province. Cela ne pourrait pas se faire aujourd'hui, n'est-ce pas?

M. Alvarez: Deux ou trois points, monsieur le président. Premièrement, je ne sais pas comment l'Ontario subventionnait la prospection en Alberta.

Le président: Nous achetions le pétrole albertain au moment où l'Alberta n'avait pas de clients. Voilà la réponse.

M. Alvarez: C'est une partie de la réponse.

Le président: C'est la réponse.

M. Alvarez: Non, il y avait d'autres débouchés.

Le président: Mais l'Alberta n'y a pas eu recours. Elle nous vendait son pétrole.

Le sénateur Austin: Les autres débouchés étaient plutôt rares.

M. Alvarez: Souvenons-nous de ce qui s'est produit. Les pipelines de Portland et de Québec sont maintenant inversés.

Le président: Toutefois, je ne vois aucun pipeline entre l'Ontario et Montréal.

M. Alvarez: Parlez-vous d'un oléoduc?

Le président: Pas sur cette carte.

M. Alvarez: Le pipeline fonctionne en sens inverse maintenant. Il est là. Les consommateurs de l'est du Canada pouvaient obtenir du brut peu coûteux venant du Moyen-Orient au lieu d'acheter le pétrole de l'Ouest. Il leur revenait moins cher de le faire venir par barge. Par conséquent, le pipeline est resté pratiquement inutilisé pendant dix ou douze ans. Il a fallu attendre un certain temps avant que son fonctionnement ne soit inversé.

Aujourd'hui, les consommateurs disent: «Nous ne voulons pas être les otages des Canadiens de l'Ouest. Nous voulons avoir accès au marché mondial.» Ils ont fait ce choix, mais le résultat, c'est que nous importons maintenant de plus grandes quantités de pétrole du Moyen-Orient et nous vendons plus de pétrole américain dans l'est du Canada que nous ne le faisions auparavant.

Je crois que c'est bien, parce qu'il faut permettre au consommateur de choisir.

Le président: Je comprends. Le but de mon interrogation, que je ne pousserai d'ailleurs pas plus loin, était d'établir que notre politique nationale ne serait pas admise aujourd'hui aux termes de l'ALENA.

Dans mon coin de Toronto, les gens parlent encore du fait que, pendant des années, nous avons acheté le pétrole de l'Alberta en Ontario grâce à la politique de la ligne d'Ottawa, qui n'était certes pas une politique provinciale. C'était la politique nationale de l'énergie de l'époque.

M. Pratt a voulu dire, je suppose, que nous n'aurions pas la possibilité aujourd'hui d'avoir une politique nationale canadienne de l'énergie.

Comme je l'ai dit, je regarde la carte et je vois que le pipeline est encore là. Y a-t-il quelqu'un d'autre qui veuille ajouter quelque chose à ce sujet. Monsieur Miles?

M. Miles: Monsieur le président, je sais qu'il vous appartient de nous interroger et pas l'inverse. Mais je ne peux pas y résister: dites-vous que la ligne de Borden était une bonne ou une mauvaise chose?

Le président: À l'époque, je crois que c'était une bonne chose. Je ne dis pas que ce serait le cas aujourd'hui, car nous avons des circonstances différentes qui nous imposent d'agir autrement. Je ne préconise pas le retour à...

M. Miles: Non, je comprends bien. Je ne suis pas historien, mais je peux dire qu'il y avait beaucoup d'interventionnisme de l'autre côté de la frontière. Les importations de pétrole faisaient l'objet de restrictions aux États-Unis. Les producteurs canadiens ne pouvaient pas exporter. Je suppose que cela avait quelque chose à voir avec la ligne Borden.

Le président: Je voulais juste établir que c'était non pas une politique provinciale, mais une politique nationale.

M. Miles: J'ai bien compris. Sans vouloir attribuer de déclarations à personne, je noterai que ceux qui préconisent la préservation de ce genre de libertés ont tendance à en surestimer considérablement les avantages.

Le sénateur Austin: Je suis bien d'accord avec M. Prince. La valeur actuelle de ces ressources et les bénéfices réalisés aujourd'hui ont des incidences extraordinaires par opposition aux bénéfices différés. La Commission royale Borden avait essentiellement recommandé de réserver le marché ontarien aux producteurs de l'Alberta car, autrement, nous n'aurions pas eu une industrie pétrolière.

Je dois dire que le gouvernement fédéral a offert d'énormes encouragements fiscaux pour créer une industrie en Alberta, qu'il a ensuite paralysée au moyen du critère de l'entreprise principale. Les bureaucrates sont les bureaucrates. Je l'ai été moi-même à un certain moment.

Nous avons en fait institué la politique concernant les réserves de gaz naturel, que l'Office national de l'énergie devait administrer, mais les États-Unis ont traité le Canada comme un réservoir tampon. Je crois que M. Miles a parlé des quotas de 1971 imposés par Washington sur les importations de pétrole.

Nous étions donc le réservoir tampon. L'industrie pétrolière a subi dans les années 70 ce que l'industrie du bois d'œuvre résineux est en train de subir aujourd'hui. Les producteurs américains, la Commission des chemins de fer du Texas et les gens de la Louisiane se sont servis du régime politique pour limiter nos exportations à destination du marché de Chicago.

Tout cela, c'est de l'histoire ancienne. Franchement, je crois que nous avons atteint notre but en ce qui concerne la valeur de nos ressources pétrolières et gazières pour l'économie canadienne. Cela ne signifie pas que je sois en faveur de tout ce qui se passe. Toutefois, au niveau des macro-stratégies, je crois que nous sommes là où nous devons être.

Dans ces premiers temps, les secteurs de la production et du raffinage appartenaient presque intégralement à des intérêts étrangers.

Il n'y avait pratiquement pas de Canadiens dans l'industrie. Si on avait besoin d'un ingénieur pour une raffinerie, il fallait aller le chercher aux États-Unis. Si on voulait construire une raffinerie, il fallait aller en Floride ou chez Bechtel. Il n'y avait presque pas de Canadiens.

Nous avons donc institué une politique, à ces premiers stades, pour imposer la présence de Canadiens dans l'industrie. Le gouvernement Trudeau — j'étais alors sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources — avait deux politiques. Comme vous le savez, la première concernait l'achat de Petro-Canada.

Ce n'était qu'une politique mineure. La plus importante a consisté à supprimer le critère de l'entreprise principale et à attirer des investissements canadiens dans le secteur du pétrole et du gaz. C'est l'une des raisons pour lesquelles le secteur occupe aujourd'hui la place qu'il a.

En rétrospective, aujourd'hui, la politique générale adoptée à l'époque était la bonne, à mon avis.

[Français]

Le sénateur De Bané: Ma question s'adresse à M. Alvarez. Le ministre des Ressources naturelles a annoncé en début décembre que l'on va limiter le fardeau financier pour les compagnies pétrolières dans la mise en oeuvre de l'accord de Kyoto. Convient-il de dire que cette offre de la part du gouvernement canadien satisfait votre industrie? Peut-on prévoir qu'il y aura entente entre votre industrie et le gouvernement?

M. Alvarez: C'est un pas très important. Comme je l'ai mentionné dans ma présentation, le manque d'information est pour nous un problème énorme. Plusieurs investisseurs, tels les frères Lehman de New York, se sont toujours basés sur des scénarios de pire éventualité. Sachant bien sûr ces hypothèses peu réalistes, faute d'information, nous demeurons impuissants.

La lettre du ministre Dhaliwal a donc une grande importance. C'est pour nous une marque de confiance et un signe que l'on saisi bien le sens des impacts économiques.

Par ailleurs, certaines questions importantes sur le plan de la mise en oeuvre demeurent. Ces questions n'affectent pas tellement le secteur conventionnel, mais visent plutôt les projets touchant le Grand Nord canadien, le nord de l'Alberta et les sables bitumineux. Ces projets représentent des coûts énormes de l'ordre de deux à six milliards de dollars par an. On ne peut encore prévoir l'impact de tels projets après l'an 2012. Il s'agit de projets de longue haleine qui peuvent s'échelonner sur 10 ans. On parle donc des années 2010 ou 2011, alors qu'il restera un an à l'accord de Kyoto. Dans le cas d'une autre période d'engagement, quels seront les impacts?

En ce qui a trait aux investissements d'importance, plusieurs questions demeurent. Le ministre connaît d'emblée l'importance des discussions sur la recherche et le développement. Ces discussions en cours sont, du moins à ce stade, très favorables. C'est pour nous très bon signe.

On a constaté dans le Budget déposé hier, des investissements assez importants pour le secteur de la recherche et du développement. C'est, à notre avis, un pas essentiel. En effet, la réduction des émissions à l'échelle globale devra se faire par le biais de découvertes scientifiques, lesquelles contribueront, souhaitons-le, à l'avancement au Canada. Par conséquent, cette annonce revêt pour nous une grande importance.

[Traduction]

Le sénateur De Bané: Compte tenu de ce que vous venez de dire et de la politique annoncée par le ministre Dhaliwal, est-ce que l'industrie que vous représentez a des attentes réalistes? Espérez-vous que l'industrie signera un accord avec le ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources, ou bien est-ce difficile à envisager à l'heure actuelle?

M. Alvarez: Il reste des problèmes, sénateur, concernant surtout le traitement qui sera réservé aux différents secteurs. Sans vouloir m'en prendre à personne, je dirai que si le secteur du pétrole et du gaz pouvait être certain qu'en signant un accord, il n'assumerait pas un fardeau plus lourd, relativement parlant, que n'importe quel autre secteur de l'économie, nous pourrons réaliser d'énormes progrès.

Le ministre a nommé un nouveau sous-ministre adjoint responsable de ce dossier. Il est ironique qu'on lui ait choisi pour titre SMA, Émissions industrielles. À sa place, je n'aurais probablement pas voulu de ce titre.

Il y a eu de bonnes discussions. Je crois qu'il est en train de constater, comme nous, que dans les cinq dernières années, le vrai travail et les vraies analyses qu'il aurait fallu faire en prévision de Kyoto n'ont pas été faits.

Aujourd'hui, c'est une bataille tendant à déterminer qui paiera pour Kyoto, alors que nous aurions dû chercher les moyens, comme pays, de nous engager à réduire les émissions. Je crois que nous commençons à prendra la bonne direction. J'espère donc que nous pourrons parvenir à des résultats dans nos discussions avec le ministère.

Le dossier est très complexe, plus complexe que beaucoup d'autres car il touche des questions constitutionnelles liées aux accords internationaux, aux activités intérieures, à la santé, et cetera. C'est un dossier d'une énorme portée.

Certains disent qu'il nous sera possible d'aboutir à un accord dans les 18 mois. C'est un objectif ambitieux, mais je peux vous assurer, sénateur, que nous n'épargnerons aucun effort, de notre côté.

Le sénateur De Bané: Monsieur le président, je voudrais maintenant poser une question sur le même sujet à MM. Prince et Miles. Compte tenu de ce que M. Dhaliwal a annoncé et du fardeau que notre industrie de l'énergie doit déjà assumer, croyez-vous qu'elle pourra soutenir la concurrence? Comme vous l'avez dit, il n'y a pas d'autre secteur où le libre-échange soit soumis à moins de restrictions.

Avez-vous déterminé si la politique annoncée début décembre nous aidera à maintenir la compétitivité de notre industrie de l'énergie?

M. Prince: La réponse sera très courte. En fait, sénateur, nous n'avons pas eu le temps de l'examiner d'assez près. Toutes mes excuses, mais nous n'avons rien à dire pour le moment.

Le sénateur Austin: Oui, je crois que les questions concernant Kyoto sont très importantes et qu'il existe des réponses quelque part. Il est probable qu'il y a aussi des réponses à la question que je m'apprête à poser.

Venant de la Colombie-Britannique, je me demande si vous avez mené des études ou si vous avez un point de vue au sujet de la mise en valeur et de la commercialisation des réserves de pétrole et de gaz de la côte du Pacifique.

Si vous pensez à des politiques précises qui pourraient contribuer au développement de ce secteur, je serai enchanté de les connaître.

Le président: Monsieur Alvarez?

M. Alvarez: Je vous remercie de ne pas me décevoir, sénateur. Je m'attendais à cette question quand je vous ai vu dans la salle. Je ne peux donc pas dire que je ne suis pas préparé.

Il faudrait garder trois choses à l'esprit. La première est d'examiner les estimations géologiques avec beaucoup de prudence. Beaucoup de chiffres un peu fantasques ont circulé au sujet des volumes, des emplacements, et cetera.

Le niveau de compréhension de la géologie des bassins côtiers est très limité. Le dernier puits d'exploration a été foré au début des années 70. Comme vous le savez, il est indispensable de connaître les caractéristiques de base.

Du côté de l'industrie, nous sommes persuadés de pouvoir travailler en toute sécurité dans cet environnement. Nous fonctionnons dans toutes sortes d'environnements partout dans le monde, de l'Arctique jusqu'aux forages en mer profonde. Je crois cependant que l'industrie se montre très prudente sur le choix du moment pour trois raisons. Tout d'abord, des moratoires fédéraux et provinciaux sont en vigueur, ne permettant aucune activité. Ensuite, nous ne savons pas de quelle façon l'industrie serait réglementée. Selon les mêmes critères que dans les accords de la côte Est? Y aurait-il un autre genre d'accord fédéral? Nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre.

La troisième raison est l'existence d'importantes revendications territoriales autochtones qui pourraient ou non toucher les régions en cause.

Compte tenu de ces facteurs, notre réaction est la suivante: une fois que les gouvernements auront pris les dispositions nécessaires dans le bassin pour que l'industrie puisse y travailler, il faudrait probablement deux ans pour conclure les ventes de terrains et deux autres années pour les essais sismiques. Ensuite, il faudra voir s'il y a lieu de faire autre chose.

Par conséquent, si vous pouvez nous dire à quel moment une politique cadre sera en place, je pourrais vous indiquer quand nous serons prêts à agir.

Le sénateur Austin: Je crois que je vais m'en tenir à cela.

Le président: Je veux vous remercier d'être venus. J'ai cependant une question à poser. Je crois que c'est le bon moment.

Le comité doit examiner le problème de la frontière. Comme vous le savez, les camions doivent pouvoir passer au rythme d'un toutes les deux secondes et demie pour assurer le maintien de nos échanges avec les États-Unis.

Je suppose que ce n'est pas un problème pour l'industrie du pétrole et du gaz qui se sert de pipelines pour le transport. Je ne vois pas de quelle façon l'industrie peut être touchée. Je me suis occupé de sécurité frontalière et d'autres questions du même genre, mais je ne vois pas de difficultés, ce qui est bien sûr un grand avantage pour le secteur du pétrole et du gaz dans la situation actuelle.

Avez-vous des pronostics quelconques quant à l'itinéraire qu'emprunterait le gazoduc ou l'oléoduc de l'Arctique, soit le long de la route de l'Alaska soit le long de la vallée du Mackenzie? L'industrie a-t-elle un point de vue à cet égard?

M. Alvarez: Monsieur le président, je vais peut-être aborder le premier point. Je serais extrêmement prudent parce que le sujet est délicat, mais je peux vous dire que l'industrie du pétrole et du gaz ne prend pas les questions de sécurité à la légère. Nous sommes très actifs dans ce domaine.

Même s'il n'y a pas de camions qui vont et viennent, je peux vous assurer que les événements de 11 septembre ont suscité des problèmes de sécurité pour notre secteur. Si vous êtes disposés à organiser une séance à huis clos, nous pourrions vous en parler en détail. Toutefois, vous comprendrez, j'en suis sûr, que nous devons être très discrets. Cela n'empêche pas que nous avons consacré énormément d'énergie et d'attention à ce sujet. Il n'y a pas de doute que la sécurité constitue un problème.

Pour ce qui est de votre dernière question, notre position est très simple: nous restons neutres. Il y a cependant quelques facteurs à considérer. Le premier est la taille du projet de l'Alaska, qui serait de 5, 6 ou 7 fois celle du projet du delta pour ce qui est du volume, de l'acier, de la distance et des immobilisations. C'est un projet gigantesque, qui aurait sur le marché des effets autrement plus importants que ceux du projet du delta du Mackenzie.

Toutes autres choses étant égales, et si l'on suit ce qui a paru dans la presse, je crois que la plupart des experts, y compris certains des partisans de l'Alaska, conviendraient que le pipeline du Mackenzie devrait être réalisé en premier, tout simplement parce qu'il est d'une taille plus facile à gérer. Il pourrait être branché assez rapidement sur l'infrastructure existante et n'aurait pas les mêmes incidences sur le marché que le projet de l'Alaska.

On s'attend ensuite à ce que le pipeline de l'Alaska soit réalisé peu de temps après, à moins d'un virage radical d'un côté ou de l'autre de la frontière.

M. Prince: Nous sommes d'accord. D'une façon générale, nous sommes du même avis que M. Alvarez. Les considérations économiques imposent que le pipeline du Mackenzie soit réalisé en premier, pour être suivi plus tard par le pipeline plus gros et plus complexe de l'Alaska.

Le président: Pour ce qui est de la sécurité des pipelines, je viens de rentrer de Colombie. J'y suis allé une vingtaine de fois, et j'ai vu arriver les soldats américains. J'ai observé l'arrivée de l'avion qui avait à bord les 60 soldats qui sont censés protéger le pipeline.

Je sais combien il est facile de faire sauter un pipeline, mais le problème n'est pas du même ordre que celui du transport. J'ai suffisamment d'imagination pour le comprendre et pour me rendre compte de la difficulté qu'il y a à protéger les installations.

Je veux vous remercier au nom de mes collègues pour votre témoignage extrêmement intéressant.

La séance est levée.


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