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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 12 - Témoignages du 26 mars 2003


OTTAWA, le mercredi 26 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 46 pour examiner les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique, et en faire rapport ultérieurement.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous accueillons M. Tim O'Neill, M. Bruce Campbell et M. John Wiebe. Messieurs, nous attendons de vous de brefs exposés après quoi, nous passerons aux questions des sénateurs.

M. Tim O'Neill, vice-président exécutif et économiste principal, Groupe financier BMO, à titre personnel: C'est la première fois que je suis appelé à comparaître devant votre comité au sujet des relations commerciales, plus précisément des relations canado-américaines.

Je m'attacherai surtout aux liens économiques entre le Canada et les États-Unis. Récemment, nous avons rédigé un document sur l'intégration économique en Amérique du Nord. Je promets de ne pas le reprendre intégralement, mais je vous en donnerai un résumé aussi bref que possible dans les circonstances. Je vais répondre à deux grandes questions: quels sont les éléments de maillage et d'intégration entre les deux pays, et quelles sont les conséquences?

On parle généralement de globalisation mais en fait, dans le domaine des relations commerciales, il vaudrait mieux parler de régionalisation.

Ainsi, si l'on prend les trois grands blocs régionaux qui assurent environ 80 p. 100 de la production mondiale totale — l'Amérique du Nord, la région de l'ALENA, l'Union européenne, l'Asie, le Japon et les pays asiatiques en voie de développement —, vous constaterez que les exportations à l'intérieur de la région, entre les pays de la région, dépassent 50 p. 100 des exportations totales de chacune de ces régions. Ce pourcentage a augmenté sensiblement par rapport au début des années 80, alors qu'il se situait environ à 34 p. 100. Aujourd'hui, il s'établit à 56 p. 100. Autrement dit, au cours de cette période de mondialisation croissante, le commerce a adopté une orientation plus régionale.

Cette régionalisation est en partie attribuable à une caractéristique inhérente, la proximité géographique. Les coûts associés au transport jouent également, mais leur diminue constamment. Cette régionalisation est mue par deux ensembles de facteurs. Premièrement, on note généralement une similarité et une connaissance approfondie du comportement de leurs clients chez les sociétés qui font des affaires ensemble; elles cernent bien leur clientèle. Par exemple, les entreprises canadiennes connaissent bien la clientèle américaine car elle est beaucoup plus près de la clientèle canadienne que ne serait celle des marchés européens ou asiatiques.

Deuxièmement, les structures institutionnelles, réglementaires, juridiques et autres, ainsi que les pratiques comme la «culture organisationnelle» et le comportement de la population active sont généralement plus semblables à l'intérieur des régions géographiques qu'entre elles. Par contre, les comportements d'investissement affichent habituellement une orientation moins régionale. Cela tient surtout au fait que les investissements font plus qu'élargir les marchés des sociétés commerçantes. C'est un effet du commerce. Évidemment, l'investissement étranger direct peut déboucher sur l'acquisition d'actifs stratégiques, l'accès à des intrants spécialisés, et cetera.

Si je soulève ce point particulier, c'est que la régionalisation est particulièrement pertinente à la lumière des préoccupations du Canada face à la domination américaine ou à sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et de leur économie. Elle est également pertinente dans le contexte de l'intérêt que manifeste périodiquement le Canada pour la diversification des échanges à l'extérieur de l'Amérique du Nord. En fait, la régionalisation n'est pas propre à l'Amérique du Nord; c'est un phénomène mondial.

Comme je suis sûr qu'on vous a déjà soumis énormément de données quant aux éléments spécifiques de l'intégration économique canado-américaine, j'aurai pitié de vous et je serai très bref à ce sujet. De toute évidence, depuis les 40 à 50 dernières années, tant le Canada que les États-Unis ont évolué vers des économies plus ouvertes, plus dépendantes vis- à-vis des échanges commerciaux. Au Canada, le ratio des exportations par rapport au PIB a plus que doublé depuis 40 ans. La même chose s'est produite aux États-Unis, même si ce pays dépend moins du commerce extérieur que le Canada. En fait, sa dépendance face aux échanges commerciaux s'est accrue au cours des 40 dernières années.

De toute évidence, les liens spécifiques aux deux pays se multiplient. Les États-Unis sont notre principal partenaire commercial tant sur le plan des exportations que des importations, mais l'inverse est aussi vrai. Le Canada est le principal partenaire commercial des États-Unis. Les échanges bilatéraux entre le Canada et les États-Unis excèdent les échanges bilatéraux entre les États-Unis et l'Union européenne en entier. Les échanges qui se font de part et d'autre du pont Ambassador sont plus nombreux que les échanges entre les États-Unis et le Japon.

Passons maintenant à un autre indice d'intégration dont je crois qu'il n'a pas été question ici. Je veux parler de l'ampleur de l'intégration que nous constatons dans divers secteurs d'activité. Si l'on considère les 21 secteurs de la fabrication au Canada et que l'on prend en compte deux mesures de l'intégration, soit «l'intensité des exportations» et la «pénétration des importations», vous constaterez que 10 des 21 secteurs de la fabrication affichent un pourcentage d'intensité des exportations de plus de 50 p. 100. Et dire que ce pourcentage n'était que de 2 p. 100 il y a 10 ans. L'intensité des exportations se définit simplement comme le pourcentage des expéditions totales représenté par les exportations. Quant à la pénétration des importations, elle représente le pourcentage des achats intérieurs, autrement dit les achats d'articles importés.

La pénétration des importations dépasse les 50 p. 100 dans huit secteurs, comparativement à trois il y a 10 ans. Quant aux secteurs qui affichent à la fois un fort pourcentage d'intensité des exportations et de pénétration des importations, essentiellement, ce sont des secteurs qui fonctionnent comme s'il n'y avait pas de frontière. Nous savons qu'en réalité, ce n'est pas le cas, mais au plan du fonctionnement, c'est de cette façon qu'elles se comportent. C'est le cas dans cinq secteurs clés — fabrication de machines, équipement de transport, automobiles et pièces d'automobiles, informatique et produits électroniques; produits de plastique et de caoutchouc; et équipement électrique.

Bien que l'on croit généralement qu'en matière d'intégration nord-américaine dans les divers secteurs d'activité, le secteur du montage des automobiles et des pièces d'automobiles vient au premier rang, il vient en fait au deuxième rang après celui de la fabrication des machines.

Bien des gens pensent que cette activité intra-sectorielle s'explique par les échanges qui se font à l'intérieur des entreprises, notamment à l'intérieur de multinationales présentes des deux côtés de la frontière. Or, le commerce interne a décliné en tant que pourcentage de la totalité des échanges depuis 20 ans. Il n'est pas question ici de la domination dans divers secteurs d'activité, de la domination d'entreprises dans le contexte de cette intégration croissante car en termes relatifs, ce phénomène est en déclin.

Je vais sauter la partie sur les comportements d'investissement. Le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a utilisé une métaphore, celle de la souris et de l'éléphant, pour décrire les relations entre le Canada et les États-Unis. Pourquoi l'intégration économique empêche-t-elle la souris de dormir la nuit?

L'un des enjeux les plus en vue est celui de l'exode des cerveaux. Une plus grande intégration provoquera-t-elle nécessairement le départ net de Canadiens vers le marché du travail américain?

Fait intéressant, cette crainte n'est pas vraiment fondée, si l'on en croit la preuve disponible. Et encore plus intéressant, si l'on considère la migration nette par habitant, l'émigration vers les États-Unis en provenance du Canada a accusé une baise depuis le milieu des années 70. Elle se situe au tiers du pourcentage enregistré dans les années 50 et 60.

S'il y a une chose étonnante au sujet de l'exode des cerveaux, c'est qu'il ait été aussi faible dans les années 90 compte tenu du fait que le rendement économique des États-Unis a été supérieur à celui du Canada pendant pratiquement toute cette décennie et que dans la foulée de l'accord du libre-échange, on a assoupli les mécanismes entourant la mobilité de la main-d'oeuvre.

Un deuxième enjeu concerne l'efficacité de la politique économique nationale aux niveaux industriel et macro. Au plan macro, depuis 15 ans, il va de soi qu'il y a eu des périodes où la politique monétaire du Canada et des États-Unis ont été aux antipodes. Nous traversons à l'heure actuelle une de ces périodes. Depuis huit mois, la Banque du Canada a resserré le crédit alors que la Federal Reserve Bank a abaissé ses taux.

Par ailleurs, à la fin des années 80 et au début des années 90, la politique de la Banque du Canada était beaucoup plus restrictive que celle de la Federal Reserve Bank. À la fin des années 90, c'était l'inverse, la Banque du Canada étant beaucoup plus souple que son homologue.

Nous avons connu des périodes où l'on a vu que la politique monétaire respective des deux pays peut suivre — et suit — une voie indépendante.

On peut faire valoir le même argument pour la politique fiscale. Pendant la première moitié des années 90, la politique fiscale canadienne était beaucoup plus stricte que la politique fiscale américaine. On peut certes débattre des mérites de cette politique. A mon avis, le fait est que le Canada a été obligé de s'attaquer de façon plus agressive au déficit parce qu'un problème plus sérieux avait fait surface. À l'heure actuelle, le Canada continue d'afficher des excédents modestes, du moins au niveau fédéral. Nous savons qu'aux États-Unis, le gouvernement a adopté rapidement une position déficitaire qui va vraisemblablement se creuser davantage.

Le seul domaine au Canada où on peut dire que l'aspect concurrence avec les États-Unis a joué est sans doute celui de la politique fiscale. Et même là, la preuve est mitigée. Ainsi, nous avons réduit l'impôt sur les gains en capital pour l'aligner sur celui en vigueur aux États-Unis. Nous avons aussi abaissé le taux d'imposition des sociétés au point où, si nous respectons l'échéancier prévu et que les États-Unis ne modifient pas leurs taux, le nôtre sera inférieur au leur. Quant à l'impôt sur le revenu des particuliers, il est plus élevé au Canada qu'aux États-Unis, et il le restera sans doute.

La productivité et le niveau de vie est un troisième enjeu. On craint, de façon généralisée, que le Canada ne puisse suivre le rythme américain en ce qui a trait à la croissance de la productivité et à l'augmentation du niveau de vie.

À ce sujet, j'aimerais faire une observation générale. Si l'on considère la productivité et le niveau de vie sur une longue période, ce qui est la meilleure façon de procéder puisqu'il s'agit d'enjeux structurels et non cycliques, il est vrai que le taux de croissance de la productivité et le niveau de vie ont divergé à certains moments, de part et d'autre de la frontière.

Il y a eu des périodes où l'économie canadienne a connu une croissance plus rapide que l'économie américaine. Il faut néanmoins reconnaître que sur une durée de cinq décennies, les taux de croissance de la productivité sont remarquablement similaires. Cela n'est pas étonnant compte tenu du degré d'intégration qui a caractérisé les deux économies au cours de ces années.

Depuis dix ans, nous sommes à la remorque des États-Unis pour ce qui est de la productivité du travail et du secteur de la fabrication, mais cela est presque entièrement attribuable au fait que le secteur de la haute technologie a accusé aux États-Unis une hausse de productivité supérieure à la nôtre. D'ailleurs, ce secteur avait au départ plus de poids et représentait une proportion plus considérable du secteur de la fabrication tout entier.

S'agissant du niveau de vie, la croissance a été plus rapide aux États-Unis au cours de la première moitié des années 90, mais plus lente qu'au Canada au cours de la deuxième moitié. Ce renversement de situation s'explique surtout par le fait qu'au cours de la première moitié des années 90, nous accusions un taux de chômage plus élevé qu'aux États- Unis. Au cours de la deuxième moitié des années 90, la performance de notre marché du travail s'est sensiblement améliorée. Par conséquent, il y a eu, en corollaire, un relèvement du niveau de vie.

Au Canada, on s'intéresse également à la sensibilité à l'économie américaine en termes de croissance et de cycles généraux. Les économies canadiennes et américaines ont adopté des trajectoires de vol analogues depuis les 40 dernières années, mais il y a eu des périodes où elles ont volé à différentes altitudes. À l'heure actuelle, notre économie vole à une plus haute altitude que l'économie américaine. De façon générale, la corrélation entre les taux de croissance des deux économies, tout en affichant une certaine volatilité, affiche une tendance à la hausse depuis 40 ans.

Nous pouvons signaler trois périodes en particulier qui illustrent l'argument voulant que nos croissances ne soient pas nécessairement en parfait synchronisme. De 1990 à 1995, la croissance du Canada a dépassé celle des États-Unis. En tant que pays exportateur d'énergie, le Canada a été nettement avantagé par la hausse du prix du pétrole.

Pendant la deuxième moitié des années 90, la croissance américaine a été supérieure à la nôtre car nous avons été assujettis à une politique fiscale et monétaire plus serrée. De 1999 à 2002, la croissance canadienne a dépassé la croissance américaine d'environ un point de pourcentage mais nous ne prévoyons pas répéter une performance analogue cette année.

J'y reviendrai à la fin de ma présentation. La divergence que nous voyons à l'heure actuelle entre le Canada et les États-Unis pourrait marquer la longue période d'écart de performance soutenu entre les deux pays depuis les années 60. Si, comme je m'y attends, l'économie canadienne devance l'économie américaine d'un demi-point de pourcentage, ce sera la cinquième année d'affilée. Cela n'aura pas été l'écart le plus prononcé entre les deux pays. Cette récente supériorité est attribuable à quatre facteurs, dont aucun, à mon avis, n'est directement rattachable aux accords de libre- échange ou à l'intégration en Amérique du Nord.

Premièrement, le Canada a bénéficié de conditions monétaires plus stimulantes depuis quatre ans, non pas surtout à cause des taux d'intérêt, mais de la combinaison de deux facteurs: des taux d'intérêt favorables et un dollar canadien faible.

Deuxièmement, lorsque l'économie a commencé à ralentir en 2000-2001, le Canada avait un marché boursier que je qualifierais de moins exubérant. Vu l'augmentation marquée de la valeur nette des ménages aux États-Unis, comparativement au Canada, la correction survenue sur les marchés financiers a été fortement baissière aux États- Unis, ce qui a ébranlé davantage la confiance des consommateurs américains que des consommateurs canadiens.

Troisièmement, au Canada, les investissements dans le secteur de la haute technologie se sont faits plus lentement et représentaient d'ailleurs une plus petite part du PIB qu'aux États-Unis. Lorsque la tourmente a frappé la haute technologie en 2000 aux États-Unis, c'est toute la maison qui a été démolie alors qu'au Canada, on a pu sauver les meubles.

À l'époque du boom de la fin des années 90, le marché du travail au surchauffé aux États-Unis, mais au Canada, nous n'avons jamais vraiment atteint le plein emploi. En conséquence, lorsque les États-Unis ont dû procéder à des ajustements dans la foulée de la récession en 2001, ils ont perdu un nombre considérable d'emplois, et cela a continué en 2002. Au Canada, nous n'avons pas accusé de pertes nettes d'emplois en 2001, et nous en avons créé l'année dernière à un rythme sans précédent depuis 15 ans.

Voilà les éléments qui expliquent la supériorité relative du Canada sur les États-Unis. Cette supériorité ne se maintiendra pas. En effet, il ne s'agit pas d'un phénomène structurel, mais cyclique. La situation ne saurait durer toujours car aucun changement structurel n'est survenu. Nous avons noté la convergence de certains facteurs clés qui ont permis au Canada de surclasser son voisin du sud de façon temporaire mais non permanente.

En conclusion, il y a peut-être lieu de se demander si l'intégration avec les États-Unis peut créer et crée des problèmes pour le Canada en termes économiques. Mais il vous faudrait conclure, comme moi, compte tenu des commentaires que j'ai faits, que l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, qui représente le point culminant du processus d'intégration sur une période beaucoup plus longue — au moins un siècle — a été, dans l'ensemble, une bonne chose pour le Canada et les Canadiens.

Le président: Monsieur Campbell, vous avez la parole.

M. Bruce Campbell, directeur général, Centre canadien de politiques alternatives: Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le comité pour discuter de questions relatives à la relation économique entre le Canada et les États- Unis dans le cadre de l'ALENA.

Le fait que vous m'ayez invité montre que vous êtes disposés à entendre l'opinion et la voix de critiques, dont je suis depuis longtemps.

Vous avez des exemplaires de mon mémoire. Je vais en faire un résumé pour respecter mon temps de parole de 15 minutes. J'ai laissé au greffier un tableau où l'on fait état des différends liés à la disposition sur le règlement des différends entre un investisseur et un État. C'est un tableau étoffé que vous voudrez sans doute consulter tout au long de vos audiences. J'ai pensé vous le laisser, même s'il n'est pas au coeur de ma présentation.

On a beaucoup parlé ces derniers temps de passer à divers niveaux d'intégration économique. Tout d'abord, je décrirai l'intégration canado-américaine comme un processus offrant toute une gamme de voies et de cheminements possibles allant des petits pas à des bonds prodigieux.

D'après le dictionnaire, «l'intégration» se définit comme un «processus où deux entités ou plus se réunissent pour n'en former qu'une seule». Implicitement, cette définition reconnaît l'égalité des deux entités distinctes, ainsi qu'une nouvelle entité qui combine les éléments égaux des entités préexistantes.

Dans un processus de fusion où une entité est dominante, la combinaison qui en résulte ressemble généralement à l'entité dominante. C'est ce qu'on appelle «l'assimilation».

Cette distinction n'est pas négligeable car nous sommes en présence d'un processus qui souvent ressemble davantage à l'assimilation qu'à l'intégration. J'utiliserai néanmoins ce dernier terme puisqu'il est d'usage courant.

L'intégration se fait graduellement par l'entremise des actions et des décisions des sociétés relevant du cadre de politique de l'ALENA. Elle survient aussi manifestement à l'intérieur d'un certain nombre d'instances créées dans la foulée de l'ALENA. La commission du libre-échange constituée à partir du chapitre 20 en compte une vingtaine ou plus sur une myriade de questions. Elle passe également par l'application de mesures d'harmonisation explicites prises en dehors de l'appareil de l'ALENA, les plus notables étant les mesures adoptées après le 11 septembre pour harmoniser la sécurité, l'immigration, la politique et les pratiques concernant les réfugiés, et cetera.

L'intégration se fait aussi implicitement par le biais de l'harmonisation des politiques sociales et fiscales. L'ALENA n'exige pas ce genre d'harmonisation et elle n'est pas inévitable. Toutefois, elle facilite l'application des programmes de réduction d'impôts des gouvernements néo-conservateurs.

Une deuxième voie est celle des négociations de l'Accord de libre-échange des Amériques, l'ALEA, qui ont cours à l'heure actuelle. Ce processus s'inspire énormément du modèle de l'ALENA. Tout comme l'ALENA était le prolongement et l'approfondissement de l'ALE bilatéral original, l'ALEA se dessine non seulement comme un prolongement mais aussi un élargissement du modèle de l'ALENA.

Tout projet d'intégration, qu'il soit caractérisé par une approche à la pièce ou graduelle, envisage une série d'avancées, certaines modestes, d'autres importantes, vers un niveau plus étroit d'intégration. Je suis sûr que vous avez entendu des témoins qui vous ont parlé de ces divers niveaux d'intégration, de l'union douanière au périmètre de sécurité commun en passant par une politique commerciale commune, la version la plus radicale étant la prétendue «monnaie commune».

Enfin, une autre voie proposée, que vous connaissez sûrement, étant donné qu'on en a beaucoup discuté, repose sur une idée maîtresse, celle de la grande braderie. Je n'entrerai pas dans le détail, si ce n'est pour dire qu'essentiellement, cela revient à négocier la sécurité économique, l'objectif du Canada, et la sécurité intérieure, l'objectif des États-Unis. Pour le Canada, cela voudrait dire mettre sur la table dans le cadre d'une méga-négociation les composantes restantes de notre souveraineté — la culture, l'énergie, les douanes, l'agriculture, et j'en passe — afin d'obtenir en retour un accès sûr et amélioré, que nous n'avons toujours pas, pour les biens et services canadiens, la mobilité pour les travailleurs du savoir ainsi que la pleine citoyenneté pour les investisseurs canadiens aux États-Unis. Voilà l'idée maîtresse.

Les partisans de cette idée sont convaincus qu'il faut profiter d'une conjoncture favorable bien qu'étant donné les événements récents, je ne suis pas certain que cette conjoncture existe toujours. Cependant, il s'agit là d'une proposition sérieuse que le lobby du milieu des affaires appuie de tout son poids. Nous en verrons peut-être la résurgence, sans doute dans un gouvernement post-Chrétien.

D'autres, comme moi, pensent que le Canada ne devrait pas chercher activement à accroître son niveau d'intégration avec les États-Unis selon les modèles mentionnés ci-dessus. Mon approche est minimaliste. J'estime qu'il faut éviter toute intégration plus poussée, la modifier si possible et carrément renverser la vapeur, là où c'est faisable.

À mon avis, l'expérience de près de 10 ans d'ALENA et de 15 ans d'ALE a été négative si on la juge en fonction du seul critère qui compte au fond. Pour évaluer la politique gouvernementale, la seule question qu'il faut se poser est la suivante: a-t-elle amélioré la vie des citoyens?

Ces accords concrétisent les politiques et les structures néo-conservatrices. Ils altèrent radicalement l'équilibre entre le marché et le gouvernement, entre les droits de l'investisseur et du citoyen et, pis encore, ils fixent ce déséquilibre dans un arrangement constitutionnel, ce qui fait qu'il est difficile ou impossible de faire marche arrière.

Lorsqu'on examine les répercussions de l'ALENA, il faut souligner qu'il est complexe d'établir une causalité, et que l'on ne saurait attribuer toutes les mauvaises choses qui sont arrivées, en totalité ou même en partie, à l'ALENA. Cependant, il existe une dynamique fondamentale qui opère entre un gouvernement appliquant des politiques néo- conservatrices et le cadre de l'ALENA, qui tend à amplifier les pressions négatives.

La complexité de la relation de cause à effet et de l'interaction entre l'ALENA et les politiques néo-conservatrices, qui s'inscrivent sur la toile de fond variée des institutions sociales et du marché du travail, se traduit par des résultats socio-économiques différents. Même si l'on voulait nier les effets négatifs de l'ALENA, il y aurait certainement lieu de se demander pourquoi l'accord n'a pas tenu ses propres promesses: la promesse d'un accès sûr aux marchés, la promesse d'une productivité accrue, la promesse d'emplois plus nombreux et mieux rémunérés, de programmes sociaux plus vigoureux et une prospérité généralisée.

Quelles ont été les principales répercussions de l'ALENA? Quels problèmes l'accord a-t-il contribué à créer ou à exacerber? Dans quels domaines n'a-t-il pas permis de résoudre les problèmes qu'il était censé résoudre? Je suppose que ce sont là des questions auxquelles le comité s'efforce de trouver une réponse.

Je propose une liste qui est loin d'être exhaustive. Je ne vais pas la lire en entier, mais je passerai brièvement en revue certains points, puisque mon temps est limité.

La période de restructuration économique et sociale a été longue et pénible. Elle a été marquée par des pertes de revenus et d'emplois, une plus grande précarité de l'emploi et, bien que le pire soit passé, cette restructuration se poursuit. Ce ne sont pas là des conséquences imprévues de l'ALENA, puisque l'ALENA et les politiques qui y sont associées étaient conçues pour transférer le pouvoir des travailleurs aux gestionnaires et aux investisseurs, des salaires aux profits et du secteur public au marché.

Quelles ont été les conséquences nettes sur le plan de l'emploi? En dépit du bilan beaucoup plus intéressant de ces dernières années en termes de création d'emplois, dont je dirais qu'il est surtout attribuable à la demande de l'économie intérieure, le chômage est aussi élevé aujourd'hui qu'il l'était lors de l'entrée en vigueur de l'ALE. Je cite une étude peu connue d'Industrie Canada qui a été publiée il y a quelques années, dans laquelle on montre que durant les huit premières années de libre-échange, les emplois déplacés ou éliminés par la croissance des importations ont été en fait plus nombreux que les nouveaux emplois créés grâce à l'accroissement des exportations. L'effet net de l'augmentation des exportations et des importations était donc en fait négatif. Ce n'est pourtant pas un résultat dont on parle beaucoup.

Le rajustement et l'harmonisation à la baisse dans le domaine social apparaissent le plus clairement dans l'assurance-emploi. Cela s'est fait sous prétexte de lutter contre le déficit; et la baisse des impôts, bénéficiant surtout aux particuliers à revenu élevé et aux sociétés, a été consentie sous prétexte de renforcer la compétitivité. Je ne pense pas que l'une ou l'autre était nécessaire ou inévitable sous le régime de l'ALENA. Des gouvernements néo- conservateurs ont appliqué un programme qui est renforcé, et non pas dicté, par l'ALENA.

Bien que ce phénomène soit beaucoup moins extrême qu'aux États-Unis, 15 années de libre-échange ont débouché sur un accroissement très marqué de l'inégalité des revenus et de l'inégalité de la richesse. Il y a eu parallèlement un approfondissement de la pauvreté et du phénomène des sans-abri, de la faim et de l'utilisation des banques d'aliments. L'ALENA à lui seul n'a pas provoqué ces conséquences; elles sont le résultat d'un ensemble de politiques néo- conservatrices dont l'ALENA est un élément clé.

L'ALENA prévoit des protections pour les services comme la santé et l'éducation, mais ces exemptions comportent de graves lacunes, comme la Commission Romanow l'a fait remarquer. Ces lacunes, conjuguées à l'AGCS, constituent une menace en limitant notre marge de manoeuvre en termes de politiques intérieures et nos options en matière de réforme des soins de santé. Jusqu'à maintenant, la pénétration étrangère dans secteur est limitée. Cela commence toutefois à changer; certains gouvernements, après avoir vu pendant des années leur système de système de soins de santé manquer cruellement d'argent, ouvrent la porte à la prestation de soins à but lucratif et au financement privé. La commercialisation des soins de santé affaiblit l'efficacité de l'exemption et accroît la possibilité d'une contestation de la part d'un investisseur étranger. Le mécanisme de règlement des conflits relativement à l'État investisseur constitue un danger immédiat puisqu'il n'est pas assujetti aux exemptions prévues par l'ALENA pour les services sociaux. Il faut déployer de sérieux efforts pour éliminer la disposition relative à l'État investisseur ou en limiter la portée.

La mise au rancart du Pacte de l'automobile, c'est-à-dire l'élimination de la possibilité d'imposer des exigences en matière de contenu minimum pour l'obtention d'investissements, a fortement intensifié la rivalité entre les nombreux gouvernements d'Amérique du Nord pour l'obtention d'usines d'assemblage d'automobiles et de pièces d'automobiles. Comme le gouvernement de l'Ontario l'a appris récemment, si l'on veut rester dans la course, il faut consentir d'énormes investissements, sous forme de subventions directes et indirectes et d'autres encouragements, pour attirer et conserver de tels investissements. Ces dépenses directes et fiscales ont de lourdes conséquences financières et réduisent les fonds que l'on peut consacrer à la santé, à l'éducation et à d'autres priorités sociales.

Il y a eu des hausses de productivité dans certains secteurs, mais pas globalement. L'écart de productivité qui était censé se refermer à la suite de ces accords ne s'est pas amoindri et il y a eu dissociation entre la hausse de la productivité et l'augmentation des salaires.

Le Canada a perdu du terrain par rapport aux autres partenaires de l'ALENA, surtout le Mexique, comme endroit de prédilection pour les investisseurs étrangers qui veulent produire pour l'ensemble du marché d'Amérique du Nord.

Il n'y a pas eu diversification notable de la structure industrielle du Canada. Le poids du secteur des ressources et de la fabrication axée sur les ressources demeure encore à peu près le même qu'avant le libre-échange. Bien qu'il y ait eu une certaine croissance dans le secteur de la technologie de pointe, le déficit au chapitre des produits de haute technologie demeure élevé et le Canada continue d'avoir un piètre bilan au chapitre de la R-D dans le secteur privé.

Enfin, comme prévu, la très forte poussée du commerce nord-sud a affaibli les liens commerciaux est-ouest, et nos structures nationales de transport et de communications se sont affaiblies. Si l'on ajoute à cela l'affaiblissement des liens sociaux dans le sillage des compressions budgétaires fédérales, et cetera, des questions se posent: dans quelle mesure tout cela a-t-il affaibli l'unité nationale? Dans quelle mesure l'intégration économique nord-américaine, qui a clairement entraîné une désintégration économique relative, a-t-elle affaibli les liens nationaux, sociaux, culturels et politiques?

En conclusion, je dirai que, compte tenu du fait que l'ALENA ne peut pas fondamentalement être renégocié, tout au moins dans un avenir prévisible, qu'est-ce qu'un gouvernement canadien progressiste devrait faire pour enrayer le déclin social qui s'est produit sous le régime du libre-échange et pour gérer ses relations économiques avec les États- Unis plus ou moins dans le cadre existant, mais de manière à ralentir, réorienter ou inverser le processus d'intégration? Encore là, j'ai une liste que je n'ai pas vraiment le temps de présenter de façon détaillée.

Le premier point est qu'il faut mettre l'accent sur le renforcement de l'économie nationale en utilisant divers outils de politiques macro-économiques, industrielles et du marché du travail. Ces politiques ont été influencées à divers degrés — certaines légèrement, d'autres en profondeur — par l'ALENA. Bien qu'il y ait des contraintes, il reste encore sous le régime de l'ALENA un espace politique national considérable. Le gouvernement devrait identifier et maximiser cet espace, en tester les limites, le cas échéant, et adopter une politique économique plus interventionniste. J'ai énuméré dans mon document un certain nombre de mesures précises dans le cadre de l'ALENA.

Deuxièmement, nous devrions régler les problèmes et irritants bilatéraux au fur et à mesure qu'ils surgissent. Par exemple, nous devons réduire au minimum les délais au passage de la frontière pour les biens, les services et les gens. Nous devrions insister auprès de nos partenaires de l'ALENA pour renforcer l'exemption relative à la sécurité sociale et limiter ou éliminer le mécanisme relatif à l'État investisseur. Nous devrions agir dans un cadre multilatéral, dans les domaines commercial et autres, pour contenir l'unilatéralisme des États-Unis par l'application du droit international, même si nous savons bien que les possibilités sont limitées de ce côté.

Le mécanisme de règlement des différends de l'OMC était l'un des objectifs de l'ALENA et, bien que nous ne l'ayons pas atteint, nous avons fini par obtenir quelque chose de mieux en matière de règlement des conflits. Nous nous sommes rapprochés davantage de ce que nous voulions pour le règlement des différends à l'OMC. Nous avons obtenu une définition des subsides; nous avons obtenu des règles communes. Nous n'avons jamais rien eu de cela à l'ALENA et c'est pourquoi la plupart des différends de ce genre aboutissent à l'OMC.

J'aimerais aussi insister sur le besoin de travailler dans un cadre multilatéral dans les domaines des droits de l'homme, de l'environnement, de la santé et de la culture.

J'ai énuméré ici un certain nombre de conventions, dont la dernière est l'instrument sur la diversité culturelle, qui est conçu pour limiter et circonscrire les ententes commerciales. Heureusement, le Canada est un chef de file dans ce dossier.

La tendance parmi ceux qui ont fait entrer le Canada dans l'ALENA est de balayer du revers de la main les incidences négatives et de foncer à toute vapeur pour poursuivre dans la même voie. Je veux citer John Ralston Saul, qui a fait observer que l'on a oblitéré de la mémoire collective les élections de 1998. Il évoque une sorte d'Alzheimer délibérément provoqué. Il dit:

On dirait que nous sommes incapables de nous accorder la dignité de nous livrer à cette sorte de simple reconsidération de nos actes. Après tout, la remise en question est le grand atout de la démocratie, la capacité de douter sans perdre la face. Au lieu de cela, nous pressons le pas en déclamant «Vive le libre-échange, vive la prospérité».

Je soutiens que l'ALENA n'a pas eu les résultats escomptés. Il faudrait tenir un débat franc et ouvert avant d'aller plus loin dans l'intégration, que ce soit par bonds gigantesques ou à coups de petites étapes. Il y a des questions qu'il faut se poser.

Le sénateur Corbin: Le témoin nous dirait-il brièvement ce qu'est le Centre canadien de politiques alternatives?

M. Campbell: Fondé en 1980, le Centre canadien de politiques alternatives est une organisation indépendante de recherche dans le domaine des politiques. Il compte environ 8 000 membres, particuliers et organisations, qui contribuent aussi l'essentiel de notre financement. Nous publions des travaux de recherche et d'analyse des politiques sur un vaste éventail de questions de politiques économiques et sociales. Nous avons des bureaux à Ottawa, en Colombie-Britannique et au Manitoba, et nous en ouvrons de nouveaux en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse.

Le président: Veuillez nous faire votre exposé, monsieur Wiebe.

M. John Wiebe, président et chef de la direction, Fondation Asie-Pacifique du Canada: Je vous remercie de m'avoir invité cet après-midi. Je ne me lancerai pas dans un débat avec mes collègues ici présents au sujet de l'ALENA. Qu'il suffise de dire que nos relations avec les États-Unis sur le plan commercial et économique sont probablement les plus importantes que nous ayons.

L'argument que je veux vous présenter est que nous devons chercher à diversifier notre commerce en nous tournant vers d'autres pays. Les exportations du Canada vers les États-Unis représentent environ 87 p. 100 de nos exportations totales. En fait, si l'on additionne le Canada, les États-Unis et le Mexique, l'ALENA représente 89 p. 100 de nos exportations totales, ce qui constitue environ 31 p. 100 de notre PIB, de sorte que nous sommes très dépendants envers les États-Unis actuellement. Peu importe que l'ALENA ait rempli ses promesses ou non, je soutiens que la raison pour laquelle nous avons un excédent commercial d'une telle ampleur, c'est les États-Unis. Nous avons en effet un déficit avec presque tous les autres pays, à part les États-Unis.

Je voudrais vous convaincre que nous devons nous tourner vers l'Asie-Pacifique pour diversifier notre commerce. Je vais vous parler brièvement des possibilités qui s'offrent à nous et, en conclusion, je présenterai un plan d'action, et je vais faire tout cela en dix minutes.

Pourquoi l'Asie-Pacifique? L'Asie est en train de se remettre de la crise financière de 1997. Peut-être que l'on a quelque peu exagéré à l'époque en disant que le prochain siècle serait celui du Pacifique, mais je pense que cette réalité a simplement été retardée. Les faits parlent d'eux-mêmes. L'Asie-Pacifique compte les deux tiers de la population mondiale; elle représente 40 p. 100 du commerce mondial; et l'on y trouve les économies qui ont la croissance la plus rapide au monde.

Notre commerce total avec l'Asie-Pacifique s'élève à seulement quelque 70 milliards de dollars par année, mais il vient au deuxième rang après le commerce avec les États-Unis. Nous avons cependant un déficit commercial d'environ 30 milliards de dollars. En ce sens, nous avons là une belle occasion.

En termes de volume, le nord-est de l'Asie, c'est-à-dire la Chine au sens large du terme, la Corée et le Japon, représente l'essentiel de nos interactions commerciales avec l'Asie dans le passé, le présent et l'avenir. Ajoutons à cette liste l'Inde, plutôt pour son potentiel que pour les liens commerciaux existants, et nous avons une courte liste raisonnable des points géographiques vers lesquels nous devons nous tourner.

Je vais passer brièvement en revue les faits saillants des pays dont je veux vous parler.

La Chine est probablement au beau milieu de l'une des transformations économiques les plus profondes de l'ère moderne. Ce processus provoque des changements de même ampleur dans presque tous les autres pays du nord-est asiatique. L'économie de la Chine est énorme. Exprimé en dollars, son PIB est le sixième au monde. Si l'on introduit la notion de parité du pouvoir d'achat, c'est la troisième économie après celle des États-Unis et du Japon.

Son taux de croissance est extraordinaire. Le chiffre officiel de 8 p. 100 pour l'année dernière en fait l'économie la plus dynamique au monde. Certains ont des doutes à ce sujet, mais même si l'on réduit ce chiffre de deux points de pourcentage, c'est encore un chiffre très impressionnant.

La Chine est l'atelier du monde entier. Le salaire horaire moyen dans le secteur manufacturier en Chine étant d'environ 60 cents, soit 5 p. 100 de la moyenne aux États-Unis, et le pays ayant un réservoir de main-d'oeuvre apparemment infini, il peut produire pratiquement n'importe quoi. En fait, 70 p. 100 des exportations de la Chine de nos jours se situent dans des secteurs où il est utile de pouvoir compter sur une main-d'oeuvre bon marché.

En 2001, les exportations de la Chine ont augmenté de 23 p. 100 pour atteindre 166 milliards de dollars. Cela représentait 4,4 p. 100 de toutes les exportations du monde. Son excédent commercial a augmenté pour dépasser les 30 milliards de dollars.

La Chine est également en train de devenir un consommateur. Les ventes de voitures en Chine l'année dernière ont dépassé un million de dollars pour la première fois, et ce chiffre augmente de 20 p. 100 par année. La Chine importe déjà plus que le Japon du reste de l'Asie.

La Chine a un billion de dollars en épargnes des ménages. La plus grande partie de cet argent est en jachère, si l'on peut dire, sous forme de dépôts dans de gigantesques banques d'État dysfonctionnelles. À peine 16 millions de dollars sont investis dans des fonds mutuels. La Banque de Montréal aimerait mettre la main sur une partie de cet argent. Si les Chinois introduisaient un régime de retraite financée par cotisations, leurs fonds mutuels pourraient atteindre 400 milliards de dollars d'ici 2010.

L'année dernière, la Chine a dépassé l'Amérique à titre de principal destinataire de l'investissement étranger, à hauteur de 53 milliards de dollars. C'est très loin de ce qu'étaient traditionnellement les investissements aux États-Unis, mais ceux-ci ont diminué considérablement. Néanmoins, on s'attend à ce que l'investissement étranger direct en Chine oscille autour de 50 à 60 milliards de dollars par année au cours des prochaines années.

Nous sommes donc en présence d'un pays qui connaît une croissance rapide et qui offre aux Canadiens une occasion de diversifier leur commerce. Notre commerce avec la Chine, si l'on examine la situation actuelle, et je précise que je n'ai pas de graphique sous la main, augmente chaque année de 10 à 15 p. 100.

Le Japon est notre deuxième partenaire commercial en importance. Nous avons du Japon l'image d'un pays en crise, d'un pays stagnant. Pourtant, c'est encore la deuxième économie au monde en importance, représentant 13,5 p. 100 du PIB mondial.

Son revenu par habitant est parmi les plus élevés des pays du G7. En pourcentage du PIB actuel, la valeur du commerce extérieur bilatéral du Japon était de seulement 16 p. 100. Ce n'est donc pas un pays aussi dépendant du commerce que le Canada, où ce chiffre est d'environ 60 p. 100. En Allemagne, c'est environ 57 p. 100; en Chine, environ 40 p. 100; aux États-Unis, environ 12 p. 100.

Comme vous pouvez le voir, le Japon a un potentiel énorme en tant qu'économie de consommation. Son PIB est surtout intérieur. Une restructuration est en cours, bien que le rythme et la profondeur des réformes au Japon soient moins impressionnants que ce que l'on observe en Chine. Nous estimons que ce serait une grave erreur de juger ces réformes sans conséquence.

Certains indices donnent à penser que le Japon est au seuil d'une transformation en profondeur qui sera importante pour le Canada. Il y a un afflux d'investissements étrangers. En 1981, la part de la propriété étrangère sur le marché boursier japonais était de 5 p. 100; aujourd'hui, elle est de 20 p. 100. Cela change la dynamique de l'économie japonaise.

Le rachat de Nissan par Renault et de la banque de crédit à long terme par Ripplewood change la culture de l'entreprise du Japon. Cela a également une incidence sur notre potentiel.

Le marché du travail au Japon est en évolution. Traditionnellement, nous avions le bol de riz en acier, et les gens n'étaient jamais mis à pied. Aujourd'hui, il y a du chômage. Ce n'est pas bon, mais c'est un signe de l'ouverture du marché.

Nous assistons à des changements politiques. Il y a un réalignement entre la fonction publique, la branche législative et le bureau du premier ministre, et l'émergence de la société civile.

Le Japon change, le Japon est de retour. Il présente une très belle occasion pour le Canada.

Jetons maintenant un bref coup d'oeil sur la Corée, qui a également connu une forte reprise après avoir éprouvé des difficultés économiques durant les années 90. Son revenu par habitant a dépassé l'année dernière les 10 000 $ US, ce qui montre à quel point le changement a été rapide en Corée. Il y a 20 ans, le revenu par habitant était d'environ 3 000 $. La Corée est en train de devenir une belle occasion pour le Canada.

En Inde, notre commerce actuel est de seulement deux milliards de dollars, mais il augmente rapidement. Il était de 900 millions de dollars en 1991, se situe à deux milliards de dollars aujourd'hui et est en augmentation rapide. Les services sont le secteur le plus dynamique et offrent les plus belles possibilités pour l'Inde.

C'était donc un bref survol de la région, qui est très riche de possibilités.

M. O'Neill a dit que l'une des tendances que nous discernons est l'intra-régionalisation ou le commerce intra- régional. C'est tout à fait vrai.

Les pays asiatiques commercent plus entre eux qu'ils ne le faisaient auparavant. Le Japon, par exemple, exporte moins au Canada et plus en Chine. Le commerce de la Chine avec d'autres pays d'Asie augmente. À vrai dire, cela reflète en partie le désir d'être moins dépendant envers les États-Unis. C'est aussi en partie le résultat de l'effondrement des marchés aux États-Unis. C'est en partie grâce à l'accession de la Chine à l'OMC.

Toutes ces raisons, et d'autres encore, incitent ces pays à se tourner vers l'intérieur plutôt que vers l'extérieur. Par ailleurs, ces pays assistent à la régionalisation au sein de l'UE et en Amérique du Nord. Ils réagissent à ce phénomène. Nous pensons que nous devons déployer des efforts pour s'assurer de ne pas être laissés à l'écart de cette activité.

Or nos partenaires de l'ALENA, les États-Unis et le Mexique, s'efforcent bel et bien de ne pas être tenus à l'écart. Les États-Unis se démènent assez énergiquement pour conclure des accords de libre-échange avec les pays d'Asie. Le Mexique est en négociation avec la Chine et d'autres pays asiatiques. L'une des raisons qui incitent les pays d'Asie à vouloir un accord de libre-échange avec le Mexique, c'est peut-être que cela leur donnerait accès à l'ALENA.

Le Canada a exploré une possibilité de libre-échange en Asie avec Singapour, mais nous croyons que nous devrions envisager très sérieusement d'en faire plus.

Je ne décrirai pas les possibilités secteur par secteur. Le ministère des Affaires étrangères a beaucoup plus de ressources que nous. Cependant, il importe de noter que nous avons une bonne idée de nos avantages comparatifs sur le marché asiatique et que nous consacrons du temps et des efforts à étudier ces questions en vue d'améliorer notre image de marque et de renforcer nos échanges commerciaux.

Dans le secteur des biens et services environnementaux, le Canada a une bonne image de marque et le potentiel pour s'implanter solidement sur ce marché. Nous avons l'occasion de devenir le fournisseur numéro un en Asie.

L'éducation et la formation offrent également beaucoup de potentiel. Nous avons déjà un nombre croissant d'étudiants étrangers de cette région au Canada. De plus en plus, nous allons sur place leur fournir des services d'éducation.

Il y a de belles possibilités dans les domaines du tourisme, du cinéma et du divertissement. Les technologies canadiennes ont une réputation mondiale. Nous avons récemment obtenu un Oscar pour nos travaux dans le domaine du dessin animé. C'est un secteur que nous devons développer davantage.

La biotechnologie, les sciences médicales et les ressources naturelles sont également des secteurs riches de possibilités que nous devrions explorer.

Comment faire tout cela? On peut soutenir que le Canada doit s'engager en Asie plus profondément que nous ne l'avons fait dans le passé. Nous avons là des occasions de diversifier notre commerce dans la région et d'accroître notre activité économique.

Que devons-nous faire? Il faut s'engager, s'engager et encore s'engager. Nous devons prendre l'initiative de pourparlers en vue de conclure des accords de libre-échange. Il y a deux ou trois ans, nous avons dit que le temps était venu de consacrer un effort proportionnel à la libéralisation commerciale à l'extérieur de l'Amérique du Nord, par rapport à l'effort que nous y consacrons à l'interne. À cette époque, nous proposions le Japon et la Corée, compte tenu que la Fondation Asie-Pacifique se tourne d'abord et avant tout vers l'Asie.

Nous avons également fait remarquer que beaucoup d'initiatives bilatérales devraient être conçues comme des étapes intermédiaires vers une libéralisation plus générale de notre économie. C'est un moyen plutôt qu'une fin.

En mai dernier, nous avons étoffé davantage cette suggestion. Au sujet du Japon en particulier, nous avons dit qu'au lieu de tenter de négocier un accord officiel de libre-échange avec le Japon, le Canada devrait songer à adopter une entente économique globale semblable à celle que nous avons conclu avec Singapour.

Nous croyons également que nous devons améliorer notre image de marque dans la région. Nous avons dit dans des rapports précédents que le Canada est en train de perdre des parts du marché en Asie. En fait, à mesure que notre commerce augmente avec l'Asie et que nous vendons plus en chiffres absolus, notre part du marché diminue. Cela veut dire que nous n'arrivons pas à suivre le rythme de la croissance dans la région. Sur le plan de l'image de marque, nous sommes généralement considérés comme un pays amical, bien tenu, riche en ressources naturelles et très accueillant et tolérant en terme de diversité. Cependant, nous ne sommes manifestement perçus comme des fournisseurs de haute technologie, pars plus que nous ne sommes généralement associés à la fourniture de biens et services de qualité dans de nombreux secteurs industriels. C'est une image désuète du Canada, mais c'est aussi une image vraie. Nos exportations vers la région sont dominées par les ressources naturelles et les produits non finis.

L'idée est de refaire l'image de marque du Canada comme un pays qui a plus que cela à offrir. Nous avons effectivement des avantages comparatifs dans certains secteurs, que j'ai énumérés tout à l'heure, et nous devons y travailler. Nous devons également établir une meilleure image de marque du Canada dans toute la région.

Nous devons renforcer et coordonner les liens sur le plan des contacts personnels. Nous avons l'occasion, étant donné l'immigration venue d'Asie dans notre pays, d'utiliser ce que nous avons appelé, à la Fondation Asie-Pacifique, notre «avantage caché». La communauté asiatique n'est pas encore engagée au sein de la communauté canadienne de manière à en faire bénéficier nos exportations à long terme ou le développement du commerce dans notre pays. Nous devons y travailler.

Le gouvernement doit continuer de participer aux activités multilatérales et faire beaucoup de coordination, parce que nous avons beaucoup d'activités en Asie de nos jours, par l'entremise de divers ministères et organismes, mais il y a très peu de coordination des activités secondaires. Nous trouvons que c'est important.

Enfin, nous devons promouvoir l'investissement en Asie. Les Canadiens ne reconnaissent pas généralement l'investissement à l'étranger comme un outil de développement économique, mais c'en est un. Nous devrions étudier les occasions d'affaires dans la région. Étant donné que ces pays sont en pleine reprise, nous croyons qu'il y a là de belles occasions. Manulife a saisi l'occasion et s'est solidement implantée au Japon. À notre avis, c'est un exemple à suivre.

En résumé, l'Asie-Pacifique offre au Canada un très bon potentiel pour diversifier ses échanges commerciaux. Il faudra que le gouvernement prenne l'initiative pour faciliter le commerce, réduire les droits de douanes, conclure des ententes de reconnaissance mutuelle et déployer une foule d'autres activités pour déblayer le terrain. Il faudra beaucoup de coordination et de coopération entre les gouvernements, les collectivités et les entreprises.

Le président: C'est la vingt-deuxième séance que nous consacrons à cette question. Nous avons acquis un peu d'information. La sonnerie que vous entendez à l'arrière-plan est celle de la Chambre des communes et non pas la sonnerie du Sénat.

Le sénateur Graham: J'ai trouvé que tous les témoins étaient très intéressants et que leurs opinions étaient plutôt divergentes.

Je dois avouer que M. O'Neill et moi-même avons quelque chose en commun, parce que nous venons tous les deux de la même partie du monde, là où les gens considèrent leur naissance comme une réalisation personnelle plutôt qu'un accident biologique. Je vais toutefois m'abstenir de discuter des aspects complexes des échanges commerciaux entre le Canada et le Cap-Breton.

Je vous souhaite la bienvenue ici, monsieur O'Neill. À la fois dans votre témoignage verbal et dans ce rapport sur l'intégration économique, vous faites remarquer que la part du commerce entre entreprises dans le commerce total entre le Canada et les États-Unis a diminué au cours de la période de 15 ans allant de 1983 à 1998. Aujourd'hui, vous nous avez dit que les exportations intra-entreprises des États-Unis ont diminué, passant de 51 p. 100 à 36 p. 100 des exportations totales. Que concluez-vous de ce résultat pour ce qui est de la capacité des entreprises canadiennes qui n'ont pas de grandes sociétés mères américaines d'approvisionner le marché des États-Unis?

M. O'Neill: Quand on constate une baisse du commerce intra-entreprises, et pour l'essentiel, ce type de commerce est le fait des très grandes entreprises, comme les compagnies d'automobile, on peut en tirer deux conclusions. Premièrement, ces compagnies s'approvisionnent beaucoup plus à l'extérieur, et deuxièmement, les entreprises plus petites ont clairement la capacité de faire une percée dans des marchés où les grandes entreprises ont traditionnellement été dominantes. Nous n'avons pas de preuves directes. Nous n'avons pas suffisamment de données détaillées sur les activités d'exportation de chaque entreprise et nous ne pouvons pas en obtenir parce que c'est confidentiel. Cependant, la conclusion logique est que les entreprises canadiennes ont clairement été en mesure de faire concurrence efficacement aux entreprises plus imposantes, autant sur le marché en général que pour ce qui est de commercer ou de vendre à ces grandes entreprises multinationales.

Le sénateur Graham: Nous avons entendu des préoccupations au sujet d'un affaiblissement par l'intérieur du monde des affaires au Canada, qui pourrait se produire si les sièges sociaux déménagent vers les États-Unis. Devrions-nous nous en inquiéter?

M. O'Neill: À mon avis, non. Les faits n'indiquent pas que c'est ce qui se passe. Le fait que les compagnies sont cotées à la bourse de New York ne signifie pas qu'elles sont en train de devenir des coquilles vides.

Il y a deux faits. Le premier est que l'investissement canadien aux États-Unis est maintenant presque égal au flux de capitaux dans l'autre sens. Cela pourrait soulever des inquiétudes, mais ce qu'on constate, c'est que les entreprises canadiennes s'implantent aux États-Unis, et la part de l'activité totale et de la production de ces filiales américaines est en fait beaucoup plus élevée que la part de l'emploi total. Les compagnies construisent des usines, mais elles continuent d'utiliser leurs sièges sociaux au Canada. Elles continuent de fonctionner à partir d'une administration centralisée ici dans leur pays d'origine. Jusqu'à maintenant, tout au moins, toute crainte que les compagnies deviennent des coquilles vides n'est pas fondée, du moins en se fondant sur les éléments de preuve limités dont nous disposons.

Nous avons un seul autre élément de preuve indirecte. Si ce phénomène de la coquille vide était avéré, il se manifesterait au niveau des emplois qui se situent au sommet de la pyramide. Ce sont des emplois professionnels et de gestionnaires, des emplois très techniques exigeant des compétences pointues. Au Canada, à partir de la deuxième moitié des années 90 et jusqu'à la période la plus récente pour laquelle nous avons des données, le nombre d'emplois dans ces catégories augmentait aussi rapidement, sinon même plus rapidement qu'aux États-Unis. Si vous cherchiez des preuves de ce phénomène de la coquille vide, vous ne pourriez pas en trouver dans les statistiques sur le type d'emplois que le Canada devrait perdre normalement dans un tel scénario.

Le sénateur Graham: Je sais que M. Wiebe se concentre sur le Sud-Est asiatique. Je voudrais poser une question plus générale à l'ensemble du panel. Croyez-vous que les décideurs au Canada ont accordé une attention trop étroitement ciblée sur le marché américain, au détriment des marchés émergents en Asie?

Nous avons entendu d'excellents témoins nous parler d'une union douanière avec les États-Unis. Certains nous disaient que c'était impossible, d'autres que c'était irréaliste, et d'autres encore disaient que nous devrions nous efforcer de conclure une union douanière.

L'un des premiers témoins que nous avons entendus était tout à fait en faveur de cela.

Le président: Monsieur Dunn.

Le sénateur Graham: Peut-être que les témoins pourraient nous faire part de leurs points de vue sur les mérites de conclure une union douanière avec les États-Unis.

M. Wiebe: Je vais commencer par la première question au sujet du gouvernement qui aurait accordé trop d'attention aux États-Unis. L'augmentation du commerce avec les États-Unis a eu la conséquence imprévue de détourner notre attention d'autres régions. Je crois que le gouvernement devrait encourager la conclusion d'autres accords de libre- échange. J'affirme que le gouvernement devrait prendre l'initiative dans ce dossier, non pas que nous devrions cesser de commercer avec les États-Unis, mais simplement pour faire remarquer qu'il y a d'autres pays avec lesquels nous pouvons faire du commerce.

M. Campbell: Je crois en la diversification du commerce et je pense que le gouvernement devrait en faire la promotion.

Nous en revenons aux années 70 et à la troisième option qui a fait l'objet d'une tentative qui n'a pas eu tellement de succès. Je ne pense pas que ce soit une raison de ne pas y revenir et de ne pas examiner les causes de l'échec. Nous devrions nous demander pourquoi cette tentative n'a pas été couronnée de succès et réfléchir aux mesures que nous pourrions prendre pour garantir un meilleur succès cette fois-ci. Nos relations commerciales, qui sont devenues tellement concentrées ces 15 dernières années, commencent à afficher un renversement de tendances, dans une certaine mesure. Soyons réalistes quant aux possibilités, mais il est certain qu'il y a beaucoup de place pour la diversification. Je suis absolument d'accord là-dessus.

Nous venons de commander une étude sur la proposition d'union douanière, pour en examiner la faisabilité, l'opportunité et les répercussions possibles.

La difficulté réside en partie dans la définition d'une union douanière. Voulons-nous dire qu'il y aurait un tarif douanier commun ou des positions politiques communes en matière de commerce? Cela veut-il dire que nous n'aurions plus une position indépendante à l'OMC ou dans les négociations sur les Amériques? Qu'est-ce que cela veut dire, et quelles en sont les répercussions pour notre souveraineté, notre capacité de prendre des décisions indépendantes dans le domaine économique et de poursuivre une voie économique et sociale différente. Tout cela est lié. C'est une question sérieuse. Elle a été lancée et elle mérite d'être étudiée. Si je ne me trompe, le comité des Communes, dans son rapport, s'est engagé à examiner cette question de façon plus détaillée.

Le président: Nous l'avons examinée, nous aussi, monsieur O'Neill, et nous avons élaboré certaines réflexions sur la question.

M. O'Neill: Il y a deux composantes en matière de diversification. Premièrement, est-ce pratique et réalisable? Mes observations de tout à l'heure sur la régionalisation du commerce indiquent que ce n'est pas une voie qui serait probablement couronnée de succès. Deuxièmement, serait-ce souhaitable? Je ne pense pas que l'on voudrait rechercher la diversification pour le simple plaisir de diversifier, essayer de détourner le commerce pour établir des échanges commerciaux plus diversifiés. Si l'on pense que ce serait plus avantageux pour les Canadiens, on peut supposer que l'on s'efforcerait d'y parvenir. Si nous sommes liés à ce qui a été, tout au moins au cours de la dernière décennie, et même depuis plus longtemps, l'économie qui a la plus forte croissance au monde, il me semble que nous devrions souhaiter de rester accrochés à cette locomotive. Nous en avons bénéficié, mais je ne veux pas revenir encore une fois là-dessus.

M. Campbell a tout à fait raison au sujet d'une union douanière. Cela dépend de la définition qu'on en donne. Une union douanière, dans le jargon technique des économistes et des spécialistes du commerce, c'est une structure tarifaire commune avec le reste du monde; cela ne veut pas dire beaucoup plus que cela. Cela ne veut pas dire un marché commun de la main-d'oeuvre, ou encore ce que la communauté économique européenne a mis en place.

Cela pourrait bien être défini comme «l'idée maîtresse». Le gros problème, c'est l'aspect pratique. Je soupçonne que nous ne sommes peut-être pas prêts à franchir cette étape. Quant à savoir si c'est souhaitable ou non, cela dépend de l'analyse qu'on fait des conséquences.

J'ai dit qu'avec l'intégration, nous n'avons assurément pas vu de problèmes appréciables: ni le phénomène de la coquille vide, ni l'exode des cerveaux. Nous avons continué de gérer des macro-politiques efficaces et séparées. Nous avons des politiques industrielles distinctes, dans la mesure où nous en avons encore une, qu'il s'agisse des offices de commercialisation ou de la politique intérieure en matière de compagnies aériennes, et cetera. Nous avons conservé tout cela dans le contexte d'une entente de libre-échange avec les États-Unis.

Pour ce qui est de la politique sociale, le Canada se situe tout près du sommet du classement quant à la part des ressources qu'il consacre aux deux principaux dossiers sociaux que sont la santé et l'éducation. Si l'on examine la structure de ces deux secteurs, on aurait du mal à discerner le moindre changement manifeste au cours des 15 dernières années dans leur structure, la façon dont les services sont administrés et dispensés. Il est certain qu'il y a eu des changements au niveau des ressources, mais on ne peut pas dire que c'est là une conséquence de l'Accord de libre- échange. C'est plutôt parce que les gouvernements fédéral et provinciaux ont été confrontés à des problèmes financiers.

Si l'on se tourne vers l'avenir, il vaut la peine de discuter d'une union douanière. Je ne suis pas certain qu'au niveau marginal, l'accroissement des avantages serait tellement appréciable. Après tout, l'Accord de libre-échange a été l'aboutissement d'un mouvement de libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis qui se poursuivait depuis plusieurs décennies. Si l'on s'attarde à la réduction effective des droits de douanes qui en est résultée, c'était plutôt minime. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'accord n'a pas eu une incidence très marquée sur l'emploi, parce que nous avions déjà libéralisé et rajusté considérablement au cours des 40 années précédentes.

Si la question est de savoir si l'on constate un changement en profondeur, cela dépend de la définition qu'on en donne et des composantes examinées. Si l'on circonscrit cela en disant qu'il s'agit seulement d'une structure tarifaire commune, je ne suis pas sûr que l'impact, bon ou mauvais, selon la position que l'on défend dans ce débat, serait tellement considérable.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur O'Neill, vous avez dit qu'à votre avis, il n'y a pas d'exode de cerveaux. Pouvez- vous nous parler de la compétitivité? Dans quelle mesure sommes-nous compétitifs dans nos relations avec les États- Unis et le reste du monde? Pensez-vous que nous avons, comme l'ont dit les fabricants et exportateurs canadiens, un «fossé d'excellence», en ce sens que nous avons d'excellentes compagnies, d'excellents créneaux et des gens très compétents qui y travaillent, tandis que pour le reste, nous sommes moins productifs et compétitifs? Qu'avez-vous à dire là-dessus?

M. O'Neill: Les seules données directes que nous ayons pour nous prononcer là-dessus, ce sont les données sur la productivité. Quand on examine les données sur la productivité par secteur, on a environ 70 p. 100 à 75 p. 100 de l'économie que l'on ne peut pas mesurer directement; c'est-à-dire le secteur des services. Si l'on examine le secteur manufacturier, auquel on s'est surtout attardé, dans le cas de l'organisation que vous avez nommée, les données indiquent que la croissance de la productivité, dans la grande majorité des secteurs manufacturiers, a été approximativement, dans certains cas, égale, meilleure ou pire que celle des États-Unis.

L'écart dans la croissance de la productivité dans le secteur manufacturier que nous avons constaté durant les années 90 était directement attribuable à un ou deux secteurs qui fabriquaient des produits de haute technologie. Leur croissance était plus rapide qu'au Canada et il représentait une plus grande proportion de l'activité totale pour commencer, de sorte que ces secteurs étaient, en un sens, «plus compétitifs et productifs» que leur équivalent canadien, selon ce seul critère.

Les faits démontrent que les autres secteurs étaient aussi compétitifs qu'il le fallait pour vendre efficacement et de manière concurrentielle aux États-Unis et ailleurs. Voyez la croissance des échanges commerciaux. Elle indique que nous sommes très compétitifs. Voilà les données dont nous pouvons tirer des conclusions. S'il y avait déclin du commerce, cela indiquerait que nous avons un problème sur le front de la compétitivité.

Y a-t-il des entreprises particulières qui ont des problèmes? Bien sûr qu'il y en a. Cependant, dans le secteur particulier de la haute technologie, le problème clé auquel nous avons été confrontés est que nous avions un environnement économique tellement médiocre au cours de la première moitié des années 90 que nous n'avons pas investi dans ces secteurs autant qu'on l'a fait aux États-Unis. Nous avons commencé à faire du rattrapage à la fin des années 90. La croissance de l'investissement dans le secteur de la haute technologie a été plus rapide au cours des dernières années qui ont précédé la dégringolade. Je suppose que si nous nous tordions alors les mains de désespoir, nous pouvons aujourd'hui nous féliciter de ne pas avoir connu une croissance aussi rapide qu'aux États-Unis durant les années 90, parce que nous aurions alors subi des pertes beaucoup plus lourdes que ce ne fut le cas.

Je ne vois aucun secteur de l'économie canadienne qui soit fondamentalement déficient du point de vue de la compétitivité, ou bien, s'il est moins compétitif que nous le voudrions, qui soit empêché par un obstacle quelconque d'engager les investissements nécessaires pour faire le rattrapage voulu.

Si je peux me permettre de le dire, je discerne ici aucun rôle pour la politique gouvernementale pour ce qui est «d'aider» ces secteurs à faire du rattrapage sur le plan de la compétitivité. Les gens qui possèdent ces entreprises et qui y travaillent savent comment devenir plus compétitifs et ils s'y efforcent.

Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Setlakwe et moi-même revenons tout juste d'une autre partie du monde. Nous avons essayé de dresser un portrait de nos échanges commerciaux à l'extérieur des États-Unis, et nous avons constaté que les représentants des ambassades n'hésitaient pas à nous communiquer leurs statistiques sur leurs échanges commerciaux avec d'autres pays. Ils nous ont dit cependant que ces chiffres sous-estiment la valeur des échanges commerciaux parce que les exportations n'entrent pas directement dans ces pays-là.

Prenons par exemple la Pologne. Le commerce résulte en grande partie d'entreprises canadiennes qui sont implantées ailleurs dans le monde et qui acheminent ensuite des biens et services vers la Pologne. Dans un cas, on nous a dit qu'il fallait ajouter environ 50 p. 100 aux statistiques qu'on nous a montrées pour obtenir une estimation du commerce avec les secteurs et les pays en question.

Faut-il trouver une manière différente de recueillir nos statistiques et de faire notre commerce? Nous avons vu des exemples de compagnies qui s'établissent dans un pays et qui envoient ensuite des biens dans un autre pays en passant par un pays tiers.

M. Wiebe: Nous n'avons pas de chiffres précis pour la plupart des pays avec lesquels nous commerçons. Nous estimons que notre commerce avec l'Asie est probablement sous-estimé de 20 à 30 p. 100. Nous n'avons pas de chiffres précis sur les services. Notre commerce des marchandises passe en partie par les États-Unis pour aboutir dans ces pays. C'est un problème de mesures et Statistique Canada en est conscient. Nous en sommes tous conscients. Je ne sais pas trop bien comment le régler. Nous devons accepter au départ que nous sous-estimons notre commerce.

Nous constatons par ailleurs que les pays avec lesquels nous commerçons ont des chiffres différents des nôtres. Le Japon dit qu'il importe plus du Canada que ce que nous affirmons exporter vers le Japon. Si nous utilisons leurs chiffres, nous aurons une meilleure idée de la situation.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Campbell, vous ne semblez pas aimer le libre-échange. Il semble que vous préfériez la troisième option. Je suis assez vieille pour me rappeler cette troisième option. Le monde était bien différent à cette époque.

Si nous devons faire du commerce ailleurs, il faudra quand même avoir des accords commerciaux quelconques, qu'ils soient régionaux ou autres. Je ne vois pas la distinction entre le commerce avec les États-Unis et le commerce avec un autre pays. Nous continuerons de commercer dans le cadre du système de l'Organisation mondiale du commerce, avec les accords et concessions que cela comporte. Je vous invite à commenter cela.

Le sénateur Kelleher n'est pas ici pour nous rappeler que nous n'avons pas réussi à réduire les coûts et alléger la structure. Avez-vous fait des travaux dans ce dossier?

M. Campbell: Non, je n'ai pas travaillé à ce dossier en particulier.

Il n'y a aucun doute que l'adoption d'une approche centrée sur le marché dans le cadre de la structure de l'ALENA a provoqué certains changements qui sont tout à fait profonds. La décision de conclure l'ALE et de l'étendre ensuite à l'ALENA a constitué un changement de politique radical. Il en est résulté un changement spectaculaire qui se manifeste dans les flux commerciaux et la proportion de notre PIB que représentent les exportations, la proportion de notre production manufacturière qui est exportée et importée. Tout cela a été très spectaculaire. Nous avons assisté parallèlement à la désintégration relative du commerce est-ouest.

Je ne peux pas imaginer une libéralisation plus poussée du commerce est-ouest, parce qu'il est déjà plus libéralisé que le commerce nord-sud. Il y a eu une réorientation relative de nos échanges commerciaux. Abattre les quelques rares barrières qui subsistent entraînera la continuation de cette réorientation, jusqu'à l'inversion complète de nos échanges commerciaux. Jusqu'où pouvons-nous aller avant que cela n'ébranle nos liens nationaux, sociaux, culturels et politiques? C'est une question qui mérite d'être posée.

Je souscris à l'argument de la diversification du commerce, mais je ne mettrais pas trop d'oeufs dans ce panier. La politique industrielle a changé dans les années 80 et ce changement a été officialisé par l'ALENA par l'adoption d'une approche centrée sur le marché. Le marché américain était censé être très bénéfique pour notre économie, en modernisant et diversifiant le secteur industriel et en refermant l'écart, et cetera. Cette promesse n'a pas été remplie.

Je propose d'envisager une politique industrielle plus interventionniste, et de revenir aux options qui étaient utilisées à l'époque de Trudeau. Il y a eu de magnifiques succès pendant les années Trudeau. L'un de mes arguments serait de réexaminer l'espace, et il subsiste beaucoup d'espace dans la structure de l'ALENA, même si celle-ci n'est pas favorable à une politique industrielle interventionniste. Étudier ce que vous avez, tirez-en le maximum, mettez-le à l'épreuve pour voir jusqu'où le système peut aller, et mettez-le à l'oeuvre pour mettre l'accent sur le marché national.

Le président: Des membres de notre comité ont étudié le premier Accord de libre-échange. Je rappelle à tous que Donald Macdonald était en faveur du premier Accord de libre-échange, parce que les conflits juridiques avec les États- Unis étaient de plus en plus nombreux. Les États-Unis devenaient plus protectionnistes à l'époque. Ce n'était pas tellement un projet de promotion du commerce, mais plutôt un projet de protection du commerce, à cause des frais juridiques de plus en plus lourds.

Le professeur John Helliwell, de l'Université de la Colombie-Britannique, nous a dit que l'Accord de libre-échange a eu très peu d'effet sur notre commerce avec les États-Unis; ce chiffre est de 85 p. 100. Il a dit que c'est le taux de change qui a été de très loin le principal facteur de l'augmentation de notre commerce avec les États-Unis. Le professeur Harris, de l'Université Simon Fraser, a dit que l'Accord de libre-échange est allé à peu près aussi loin qu'il le pouvait. Il n'ira pas plus loin. Il a également abordé le taux de change.

Je voudrais vos observations là-dessus.

M. O'Neill: L'Accord de libre-échange était l'étape ultime d'un processus de libéralisation du commerce.

Le président: Vous avez dit que les droits de douanes n'étaient pas importants, et c'est exact.

M. O'Neill: Si vous vouliez pointer du doigt une année à partir de laquelle vous voulez examiner l'effet de la libéralisation commerciale, vous ne pointeriez pas 1988, mais plutôt l'année 1948. En effet, le commerce mondial a eu une croissance plus rapide que la production mondiale. C'est un phénomène universel. L'intégration s'est faite sans relâche, avec ou sans accord de libre-échange.

Nous pouvons débattre de la question de savoir si le niveau des échanges commerciaux depuis 1988 a été influencé sensiblement par l'Accord de libre-échange. Chose certaine, quand on a au départ un taux de change élevé, comme c'était le cas au début des années 90, et qu'on abaisse ensuite ce taux, cela ne peut manquer de se répercuter fortement sur le volume du commerce. À certains égards, c'est presque non pertinent.

La conséquence clé de l'Accord de libre-échange se fait sentir sur la composition des échanges commerciaux, pas sur leur niveau. C'est là que le véritable impact se fait sentir. Nous avons vu que les secteurs qui ont été les plus touchés étaient les secteurs qui étaient les plus protégés au départ, ce qui n'a rien d'étonnant. En fait, si vous examinez les chiffres sur la productivité, les industries du secteur manufacturier qui ont ressenti l'impact le plus considérable ont réalisé une croissance de presque 3,5 p. 100 de la productivité de la main-d'oeuvre.

Le président: De quels secteurs parlez-vous?

M. O'Neill: Le textile et le meuble.

Le président: Ce ne sont pas des secteurs majeurs.

M. O'Neill: Mon argument est que si vous examinez les industries qui se situent au niveau inférieur du secteur manufacturier, où la valeur ajoutée est faible, elles ont grandement profité de l'Accord de libre-échange. C'est exactement ce à quoi l'on peut s'attendre et c'est exactement ce que l'on escomptait. Dans l'ensemble, la productivité du secteur manufacturier a connu une croissance sur une base annuelle d'environ 0,5 p. 100. Ce n'est pas rien quand on accumule cela année après année pendant 15 ans. C'est une conséquence qui n'est pas négligeable.

Si vous examinez les secteurs qui ont connu la plus forte croissance de leurs échanges commerciaux, ce ne sont pas les secteurs des denrées. La croissance la plus forte a été enregistrée dans les secteurs qui se situent au niveau supérieur de l'économie: l'électronique, les appareils électriques et les ordinateurs. Ce sont des secteurs qui étaient limités au départ et qui ont connu une croissance assez rapide, et c'est exactement ce que l'on peut attendre d'un accord qui élimine la distorsion favorisant les produits à faible valeur ajoutée.

Le président: Ma question porte sur l'effet du taux de change.

M. O'Neill: Le taux de change n'a pas influencé la composition du commerce. C'est ce que l'Accord de libre-échange a fait. Le taux de change, conjugué à l'Accord de libre-échange, a accru le niveau des échanges commerciaux avec les États-Unis. Les deux effets sont simultanés. Je suis d'accord avec John Helliwell et M. Harris pour dire que si l'on établit une courbe du changement dans le volume du commerce durant les années 90, l'effet dominant est la chute spectaculaire du dollar canadien, qui est passé de près de 90 cents à 65 cents. Bien sûr que cela a eu un effet très puissant; comment aurait-il pu en être autrement?

Le sénateur Austin: Le professeur Helliwell a invoqué l'argument que le Canada n'avait rien à gagner, aucun nouvel avantage économique net, en créant une union douanière. Je vous demanderais de commenter cette observation.

M. O'Neill: John Helliwell a été l'un de mes professeurs et je m'en remets à son jugement à cet égard. Je n'ai pas fait une étude aussi poussée que lui de ce dossier. Je ne sais pas exactement comment il a défini une union douanière dans son témoignage, mais s'il a dit que c'était la création d'une structure tarifaire commune partout en Amérique du Nord, alors je dois dire que je suis d'accord avec lui. Le détournement du commerce de pays tiers vers les États-Unis a déjà eu lieu pour l'essentiel, dans la mesure où une telle réorientation commerciale a bel et bien eu lieu. Il n'y a pas grand-chose à gagner à cet égard. On peut discuter de la question de savoir si c'est un gain ou une perte, mais il n'y a pas beaucoup de marge pour un changement plus prononcé.

On pourrait par contre avoir une définition différente englobant la politique de la main-d'oeuvre, avec libre- circulation des travailleurs de part et d'autre des frontières, une frontière où il n'y aurait plus aucune douane ni agent d'immigration. Ce système existe en Europe et le résultat est l'abaissement des coûts du transport des biens et des gens de part et d'autre des frontières.

Le fait est que nous avons libéralisé la politique relative au marché du travail dans le cadre de l'Accord de libre- échange canado-américain. Je dirais que l'impact serait relativement faible si l'on allait plus loin, pour adopter une politique commune de la main-d'oeuvre et l'élimination des postes frontaliers.

On peut se demander s'il serait possible, dans un tel processus, de renforcer davantage le mécanisme de règlement des différends. Si l'on élimine la frontière, on se trouve du même coup à éliminer la plupart des conflits. Soyons bien clairs. Depuis le milieu des années 90, le nombre de différends entre le Canada et les États-Unis a diminué.

Les différends qui existent se situent essentiellement dans les secteurs où l'on peut généralement s'attendre à ce qu'ils existent, c'est-à-dire les secteurs industriels dont l'importance relative a décliné depuis 50 ou 100 ans. Quels sont ces secteurs? L'agriculture, les forêts et l'acier, et c'est précisément là que se situe l'essentiel des conflits. C'est un simple fait que ces secteurs ont vu décliner leur apport relatif à l'activité économique dans notre pays et dans presque tous les pays du monde. Il n'est guère étonnant qu'ils aient essayé de se protéger. C'est à ce moment-là que les différends surgissent. Il n'y en a pas dans les secteurs des ordinateurs et des logiciels, ni dans la production de matériel électrique.

M. Campbell a fait allusion au Pacte de l'automobile. S'il a été éliminé, c'est parce qu'il n'était plus nécessaire; les seuils minimums avaient depuis longtemps été dépassés en termes de production canadienne pour le marché nord- américain. Nous avons plus que doublé ce qui avait été établi comme minimum dans le Pacte de l'automobile. Nous n'en avons plus besoin. On ne voit pas de conflits dans ce secteur.

Là où les conflits surgissent, c'est dans une poignée de secteurs dont l'importance est moindre qu'elle ne l'était autrefois. Je ne dirais pas que ce sont des «industries où le soleil se couche», parce que ce serait une description imagée, mais injuste.

Le sénateur Austin: Si vous les appeliez comme cela, nous vous interdirions à tout jamais de remettre les pieds en Colombie-Britannique.

Ma propre conclusion, au sein de ce comité, c'est que les États-Unis n'ont nullement l'intention de concéder la moindre parcelle de souveraineté dans le domaine des droits compensateurs et des droits antidumping. Si c'était sur la table pour des raisons essentiellement non économiques, nous serions peut-être intéressés à aller de l'avant.

Monsieur Wiebe, je reconnais la valeur de la présentation qui nous a été faite, au sujet de l'investissement direct intra-régional et de l'activité intra-régionale, mais il y a quelque chose d'autre qui me préoccupe.

La Chine est la plus importante économie au monde après celle des États-Unis, et peut-être que dans 10 ou 20 ans, elle sera presque aussi importante. Même si le phénomène intra-régional est peut-être réel, il ne règle pas le problème que nous ne sommes pas présents sur le marché chinois dans la mesure où nous le permettraient nos capacités, nos talents, notre éducation et nos produits.

Comment franchir le pas? De tous les pays du G7, nous sommes celui dont la croissance commerciale est la plus lente en pourcentage. Notre commerce bilatéral avec la Chine est d'environ 11 milliards de dollars, à l'avantage des Chinois dans une proportion de deux contre un. Nous avons beaucoup de difficulté à amener les Canadiens à investir en Chine. Cependant, l'investissement étranger direct en Chine se situe aux alentours de 50 milliards de dollars par année, ce qui montre que le monde n'a pas peur d'investir. Est-ce un phénomène purement canadien? Est-ce un problème particulier au Canada, parce que la Chine est la locomotive du commerce mondial par sa performance commerciale bilatérale, alors que nous ne sommes même pas des passagers à bord de ce train?

M. Wiebe: Je m'inscris en faux contre les propos de M. O'Neill, quand il dit que nous n'avons pas besoin de diversification du commerce. Je vais utiliser une analogie écologique: une monoculture est extrêmement vulnérable aux influences extérieures. Dans la mesure où nous dépendons à 90 p. 100 des États-Unis pour nos exportations, nous sommes extrêmement vulnérables à tout ce qui peut arriver aux États-Unis. S'il y a un ralentissement à nos frontières à cause de ce qui se passe, de la guerre en Irak et d'autres dossiers qui nous rendent très vulnérables, alors oui, une union douanière pourrait être avantageuse pour nous, simplement parce qu'elle nous permettrait de continuer à commercer sans ralentir.

Quoi qu'il en soit, le fait que nous soyons dans cette situation aujourd'hui m'amène à penser que nous devrions absolument chercher à diversifier notre commerce, non pas à détourner du commerce, comme M. O'Neill l'a dit, mais à diversifier nos échanges commerciaux de manière à grossir le total, au lieu de le subdiviser.

Pour répondre à votre question sur la Chine, commençons par l'investissement. Une grande partie de l'investissement en Chine à l'heure actuelle vient du Japon, de Taïwan, de Hong Kong et des pays environnants, et en partie des États-Unis.

Traditionnellement, le Canada n'a pas investi à l'extérieur du Canada. J'ignore si l'argument est qu'en investissant à l'étranger, nous nous trouvons à exporter des emplois. Nous n'avons pas été très dynamiques en matière d'investissements internationaux.

Nous pensons que l'Asie nous présente une extraordinaire occasion d'investissement, à cause des actifs que l'on peut acheter à rabais à cause du contrecoup de 1997. Cette situation représente une occasion en or pour nous. Si nous en profitons, nous ferons croître du même coup nos échanges commerciaux.

La Chine a encore des problèmes, mais le fait qu'elle ait adhéré à l'OMC m'indique que la solution à ses problèmes va s'accélérer. Autrement dit, nous aurons plus de transparence et de meilleures occasions pour les compagnies canadiennes de participer à cette économie et d'en retirer des profits.

Comment faire cela? Je pense que nous devons nous engager davantage. Il nous faut plus qu'une visite d'Équipe Canada une fois par année ou à tous les deux ans. Nous devons nous engager sur tous les plans: le milieu des affaires, le gouvernement et nos institutions privées. Cela exigera du temps et des efforts.

Comme M. O'Neill l'a dit, nos relations commerciales avec les États-Unis sont l'aboutissement d'un processus s'étendant sur de très longues années. Il faudra un certain nombre d'années pour renforcer nos relations avec la Chine, mais nous ne pouvons, nous ne devons pas rester en touche, parce que c'est l'économie qui fera notre envie à tous dans 20 ans. Si nous la dédaignons, ce sera à notre propre péril.

Le sénateur Setlakwe: M. O'Neill et M. Wiebe ont tous les deux parlé de l'augmentation du commerce intra- régional. Dans quelle mesure craignez-vous les conséquences économiques d'éventuelles guerres commerciales causées par les accords commerciaux régionaux?

Monsieur Campbell, vous qui avez tellement de réserve sur l'Accord de libre-échange nord-américain, pourquoi voudriez-vous que nous cherchions à accroître nos échanges commerciaux avec l'Europe?

M. Campbell: Ce qui m'inquiète dans l'ALENA et dans l'éventuelle ZLEA qui lui succédera, ce sont en fait les modalités d'intégration que l'accord établit.

Si l'on pouvait imaginer un accord avec l'Europe structuré de telle manière qu'il ne comporterait pas les effets que je qualifierais de négatifs de l'ALENA ou de la prochaine ZLEA, je dirais que ce serait un élément positif.

Pour ce qui est de nos relations avec les États-Unis, j'incline à mettre l'accent sur l'aspect multilatéral, sur l'OMC. J'ai des réserves quant à l'orientation de l'OMC, mais je pense que ces problèmes doivent être abordés dans le cadre de l'OMC. Des éléments positifs sont ressortis de l'OMC, et j'ai fait allusion aux différends dont nous avons parlé tout à l'heure. Pour ce qui est du règlement des différends, l'accord négocié dans le cadre de l'ALE et de l'ALENA était inférieur en comparaison avec ce qui a été négocié à l'OMC.

Le président: L'OMC n'existait pas quand l'ALENA a été conclu.

M. Campbell: Les deux étaient pas mal simultanés.

Le président: L'OMC est arrivée après l'ALENA.

M. Campbell: C'est vrai. Nous avons renoncé à une grande marge de manoeuvre économique en négociant l'ALE et l'ALENA.

Le sénateur Grafstein: Compte tenu de notre actuelle dépendance mutuelle envers les États-Unis pour le commerce, avez-vous des préoccupations quelconques relativement aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, à la lumière des commentaires de l'ambassadeur sur les perturbations commerciales? Devrions-nous y voir un simple passage cahoteux, comme quelqu'un l'a dit? Y voyez-vous un problème grave à moyen terme?

Je vous demanderais d'être bref, car je voudrais aborder d'autres questions qui sont plus pertinentes à votre témoignage.

M. Wiebe: Je pense que l'on fait des affaires avec des gens que l'on connaît et en qui l'on a confiance. Je pense aussi que cette confiance a été quelque peu ébranlée et que cela nous touchera à moyen terme.

M. O'Neill: À court terme, il est très improbable que cela ait le moindre impact immédiat, et il est impossible de dire quel pourrait en être l'impact à plus long terme.

Tout au long de notre histoire, le Canada et les États-Unis ont connu des frictions et des désaccords sur des questions géopolitiques. Pourtant, le commerce a toujours continué de grossir et l'intégration s'est poursuivie sans relâche.

Je suis optimiste et je pense que l'égoïsme va l'emporter, que chacun va défendre ses propres intérêts et que des relations commerciales mutuellement positives l'emporteront, dans l'intérêt supérieur des deux pays.

M. Campbell: M. Thomas d'Aquino et compagnie s'en vont à Washington parce qu'ils sont inquiets et ils emporteront probablement dans leurs cartons certaines propositions visant à solidifier nos relations. M. d'Aquino est partisan de «l'idée maîtresse». Quant à savoir si cela influera sur le commerce à long terme, c'est difficile à dire. Beaucoup de compagnies américaines dépendent également de notre commerce bilatéral. C'est une question complexe. Quant à savoir si cela aurait pu influer sur l'aboutissement des négociations dans le conflit du bois d'oeuvre, je l'ignore, mais j'en doute. Cette question est complètement séparée.

Le sénateur Grafstein: Je vais maintenant aborder la question de la diversification du commerce et des occasions qui se présentent. J'ai exprimé l'avis que nous aurions dû, comme M. Wiebe l'a laissé entendre, travailler énergiquement à conclure un accord de libre-échange avec le Japon, l'Europe et avec le Mercosur. Nous aurions dû en conclure un aussi avec des pays d'Europe qui ne sont pas membres de l'Union européenne, comme la Pologne. Nous aurions dû conclure un accord avec les pays du sous-continent indien, tout comme nous l'avons fait avec le Chili. Cependant, le Japon et l'Europe ont repoussé nos avances et les bureaucrates de Bruxelles sont contre un accord de libre-échange. Nous avons également essuyé une rebuffade du Mercosur. Le Mexique a élaboré un accord de libre-échange avec l'Europe et négocie actuellement avec le Japon et entretient des relations constantes, probablement libre-échangistes, avec le Mercosur. C'est un sérieux problème et nous avons entendu des témoignages en ce sens.

Je suis d'accord avec M. d'Aquino qui veut amener les grandes entreprises canadiennes à prendre partie dans ce débat. Que faire, alors que nous essuyons des revers et des échecs sur tous les fronts? Quelles erreurs avons-nous commises?

M. Wiebe: Je ne connais pas bien les détails exacts de nos approches dans ces dossiers. Je ne pense pas que le Japon ait repoussé nos avances. J'en ai parlé à un certain nombre de représentants et, bien qu'ils ne soient pas intéressés à conclure ce que nous appelons traditionnellement un accord de libre-échange, ils sont par contre intéressés à conclure un accord commercial qui permettrait de renforcer nos échanges, et nous devrions être très souples sur ce que nous cherchons à obtenir.

D'autre part, pour moi, c'est la fin qui est importante. Nous voulons en arriver à une entente qui renforce les échanges commerciaux avec les pays en question et peu nous importe, ou peu devrait nous importer que l'accord en question ne ressemble pas à un accord de libre-échange traditionnel ou qu'il ne soit pas la copie conforme de l'ALENA. Il faut que ce soit un accord qui donne à nos entreprises le signal que nous sommes intéressés, et qui signale à leurs entreprises que nous sommes intéressés à faire affaire avec elles; cela va dans les deux sens.

Je soutiens que nous devrions le faire; nous devrions poursuivre nos discussions avec eux. Si nos avances ont été repoussées, alors je crains que c'était peut-être une tactique traditionnelle de négociation. Beaucoup d'entre eux ne s'intéressent pas à cela parce qu'ils ont des dossiers agricoles qu'ils ne veulent pas mettre sur la table et que nous ne voulons pas non plus mettre sur la table. Voyons cela plutôt comme un accord visant à renforcer les échanges commerciaux.

M. O'Neill: Je n'ai aucune objection à essayer d'obtenir une plus grande libéralisation du commerce, que ce soit par une entente multilatérale ou bien par des accords bilatéraux. Si les conséquences sont que nous pourrons avoir accès à d'autres marchés à un coût plus bas qu'actuellement, alors c'est avantageux, reconnaissant bien sûr que c'est une entente réciproque. D'autres pays auront un meilleur accès aux marchés canadiens et je suis en faveur de cela. Je n'aurais pas des attentes très élevées et je ne pense pas que l'on avancerait beaucoup si vous mesurez le succès selon la part des échanges commerciaux avec divers pays.

Le Mexique a peut-être un accord de libre-échange avec d'autres pays d'Amérique latine, mais cela n'a nullement réduit la part de leurs échanges commerciaux avec les États-Unis. Au contraire, cette proportion augmente. Nous avons un accord de libre-échange avec le Chili, mais je ne crois pas que les données indiquent que nous avons eu une augmentation sensible des échanges bilatéraux entre les deux pays directement en conséquence de cet accord.

Je suis un fervent partisan de la libéralisation du commerce, dans toute la mesure du possible. Je propose d'envisager des ententes multilatérales plutôt que des accords bilatéraux et, dans un cas comme dans l'autre, je ne m'attendrais pas à ce que cela entraîne un changement dans la répartition de nos échanges commerciaux par rapport à notre situation actuelle.

M. Campbell: Dans quelle mesure avons-nous besoin d'accords bilatéraux de ce genre pour diversifier notre commerce? Si ce sont des outils, et si l'objectif est la prospérité économique, avons-nous besoin d'accroître notre ouverture commerciale, la part que représente le commerce dans notre économie? Nous sommes, à l'heure actuelle, l'une des économies les plus ouvertes au monde, l'une de celles qui repose le plus sur le commerce. Est-ce que cela va nous aider?

Le commerce peut-être un outil de développement économique. La libéralisation du commerce l'est peut-être, mais pas nécessairement. Voilà l'approche que j'adopterais. J'incline à croire qu'il faut réexaminer l'économie nationale. Comment pouvons-nous utiliser nos marchés nationaux et nos ressources nationales pour renforcer cette composante de notre développement économique?

Le sénateur Grafstein: Deux d'entre vous ont dit que le multilatéralisme est la voie à suivre. Pourtant, on nous a dit que les négociations de Doha vont échouer. En fait, elles arrivent trop tard et ne seront pas efficaces. M. Roy MacLaren, qui est notre haut-commissaire en Angleterre, dit que si nous voulons vraiment accélérer la diversification, même si nous choisissons la voie minimaliste, le bilatéralisme est le meilleur choix.

Je fais cette observation. Est-ce que quelqu'un est en désaccord avec M. MacLaren?

M. Wiebe: Il y a actuellement aux alentours de 20 à 30 tables de discussion bilatérale, y compris celle entre les États- Unis et d'autres pays et le Mexique. J'estime que nous ne devons pas rester à l'écart de ces discussions.

Le président: J'ai un avertisseur ici. On me dit que c'est un message du sénateur Graham, qui veut poser une question sur les Philippines.

Le sénateur Graham: Docteur Wiebe, auriez-vous l'obligeance de nous faire quelques brèves observations sur l'état de l'économie des Philippines.

M. Wiebe: Les temps sont durs pour les Philippines. J'ai tendance à dire que c'est un pays qui vient tout juste de se remettre sur pied, qui se fait frapper par quelque chose d'autre et qui se retrouve de nouveau au tapis. Leur économie est en difficulté. Ils ne créent pas les emplois qu'ils pensaient pouvoir créer, et en conséquence, le président est en difficulté et ne sera peut-être pas en poste encore bien longtemps. Je n'ai pas de détails à vous communiquer, mais je peux en obtenir. En général, je dirais toutefois que les Philippines sont en mauvaise posture.

Le président: Je voudrais remercier nos témoins. Il nous reste seulement environ trois autres réunions sur cette question. Notre étude tire à sa fin et aboutira peut-être bientôt à une conclusion.

La séance est levée.


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