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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 4 - Témoignages du 5 décembre 2002


OTTAWA, le jeudi 5 décembre 2002

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux), se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: J'agis provisoirement en qualité de président. Nous avons de nombreux points à examiner, y compris le budget, qui est urgent. Tout le monde l'a reçu?

Le sénateur Baker: Oui.

Le sénateur Bryden: J'en propose l'adoption.

Le vice-président: Le sénateur Bryden, appuyé par le sénateur Andreychuk, propose que le rapport soit adopté. D'accord?

Des voix: D'accord.

Le vice-président: Adopté.

Nous passons maintenant à l'étude du projet de loi et à nos témoins.

Le sénateur Joyal: J'ai un rappel au Règlement.

Je présente mes excuses à nos témoins, qui attendent depuis une vingtaine de minutes. Je voudrais toutefois exprimer mes préoccupations quant à l'ordre du jour d'hier après-midi et d'hier soir.

Hier après-midi, nous avons accueilli trois séries de témoins, le premier étant un représentant du ministère. Lorsque nous amorçons la discussion sur un projet de loi, nous accueillons toujours les représentants du ministère de la Justice et nous examinons le projet de loi de façon approfondie du point de vue de son incidence juridique et constitutionnelle. J'ai trouvé très regrettable que nous ayons dû annuler la comparution du troisième groupe de témoins et que nous ayons été nombreux à être incapables d'assister aux exposés du deuxième groupe, parce que nous avions d'autres engagements. Je ne sais pas combien de sénateurs étaient présents lorsque le deuxième groupe a témoigné, mais j'ai l'impression que la salle n'était pas aussi pleine qu'elle l'était au début. Je crois comprendre que ce groupe a commencé à témoigner aux alentours de 19 h 15 ou 19 h 30.

Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons confié au comité de direction le soin de préparer notre programme. Lorsque nous sommes assujettis à des contraintes de temps pour faire rapport d'un projet de loi parce que l'autre endroit l'attend ou parce que le gouvernement a des préoccupations légitimes, je veux bien que, comme nous l'avons fait la semaine dernière, nous siégions de 15 h 30 à 22 h 30, soit sept heures de file sans nous interrompre. Il y a toutefois une limite à ce qu'un cerveau humain peut absorber en sept heures lorsqu'on essaie de comprendre tous les tenants et aboutissants de ces importants projets de loi. Ce qui me préoccupe, c'est que lorsque le comité de direction prévoit à l'ordre du jour tant de témoins, il établit le cadre de notre travail professionnel. Nous sommes ici pour comprendre toutes les répercussions et les conséquences à long terme des mesures que le Parlement adopte. C'est pour cela que nous sommes des sénateurs. Nous ne sommes pas ici pour précipiter les choses. Nous sommes ici pour comprendre les répercussions et les conséquences pour l'ensemble du Canada.

Lorsque le comité de direction envisage de faire comparaître tant de témoins dans un seul groupe, je voudrais être consulté, tant en qualité de sénateur qu'en qualité de participant actif aux travaux de ce comité. Je voudrais en être informé lors de la séance précédente, afin d'organiser mon emploi du temps en conséquence. Si non, nous ne témoignons pas du respect nécessaire à notre institution ni à nos témoins. Hier, nous avions des représentants de l'Alberta. S'il y a un groupe qui devrait pouvoir bien se faire entendre pour un dossier tel que celui-ci, c'est bien celui qui représente l'Alberta. Je n'étais pas présent, et je n'en étais pas content. Certains de mes collègues se sont trouvés dans la même situation.

À l'avenir, je voudrais que le comité de direction nous informe à l'avance du nombre de témoins appelés à comparaître, et de l'horaire prévu, surtout pour la première réunion, celle où nous recevons les représentants du ministère de la Justice.

Le sénateur Bryden a soulevé une question importante du point de vue juridique. D'autres sénateurs, y compris vous-même, monsieur le vice-président, ont soulevé des questions importantes touchant la Charte. Nos amis autochtones ont eu de nombreuses questions importantes à soulever auprès des représentants du ministère de la Justice. Je ne pense pas que nous puissions agir ainsi pour des projets de loi dont les objectifs sont si importants. Il n'est jamais facile d'examiner des modifications proposées au Code criminel, parce que nous traitons là de la liberté et des droits des Canadiens.

Je suis sorti de la réunion d'hier frustré du contexte dans lequel nous travaillons. Le sénateur Bryden lui-même — et je le crois partisan de cette méthode de travail — a dit, lorsque nous avons eu notre première réunion du comité d'organisation: «Organisons ce travail de façon humaine». C'est ce que nous devrions faire avant tout. Je ne suis pas une machine intellectuelle. Je suis peut-être plus lent que les autres, mais je tiens à bien comprendre les répercussions du projet de loi et à recevoir avec respect les témoins que nous avons invités à comparaître.

Le sénateur Stratton: Je suis parfaitement d'accord avec vous, monsieur. Le problème, dans ce cas-ci, c'est qu'on a le cerveau complètement démoli au bout de quatre heures. Peu importe ce que vous dites ou ce que vous voulez faire — si une réunion commence à 16 heures, elle doit se terminer à 20 heures. On ne peut pas aller au-delà de cette limite et s'attendre à ce que nos cerveaux fonctionnent à un certain niveau, si nous voulons prêter attention et écouter les arguments relativement complexes qui nous sont présentés.

Hier soir, je suis allé voir le président et je l'ai averti, aux environs de 18 heures: «Cela dure beaucoup trop longtemps, compte tenu du nombre de témoins que nous devons voir. Vous ne pouvez pas faire cela, il faut accélérer le processus». Cela ne s'est pas produit. Je comprends que cela n'ait pas pu se faire. Toutefois, si l'on ne connaît pas ou si l'on ne peut pas évaluer la durée nécessaire de comparution du témoin du ministère de la Justice, il faut s'imposer une limite. Il a été ici près de quatre heures, cela devrait suffire. Il est inhumain de demander à d'autres témoins de venir, de rester assis pendant si longtemps, et de les renvoyer ensuite sans les avoir écoutés. C'est irresponsable, excessif et très impoli.

Nous devons tâcher d'évaluer le temps approprié pour chaque témoin et dire au groupe de témoins qu'il a tant de minutes pour faire ses exposés. Nous leur disons que nous pouvons leur consacrer une heure, trois quarts d'heure, et c'est tout. S'il s'agit d'un représentant du ministère de la Justice et que nous savons qu'il faut plus de temps, nous devrions prévoir quatre heures. Si cela finit plus tôt, quel mal y a-t-il? Je vous dis que je trouve cela tout à fait inacceptable; j'ai dû, moi aussi, m'en aller. Rien au monde ne justifie que nous ayons à supporter ce genre de situation une semaine après l'autre. Je refuse de le faire et je soulèverai la question au Sénat.

Le sénateur Bryden: Je vous l'ai dit!

Hier soir, nous en avons eu l'exemple parfait. Je crois que nous devrions pouvoir établir une durée normale des séances de comité. Si l'on examine l'horaire des comités, il y a des horaires prévus. Comme le sénateur Stratton, j'ai dû me précipiter du Comité de la régie interne, qui siégeait de 8 h 45 à 9 h 45 et qui a un peu dépassé la durée prévue, pour arriver ici à temps. On prévoit que la durée normale d'une séance de comité soit de deux heures ou de deux heures et demie. J'estime que si l'on est justifié de croire que la séance va durer plus longtemps, nous devons prévoir du temps supplémentaire et en aviser les sénateurs, parce que, s'ils ne peuvent pas jouer leur rôle pendant quatre ou cinq heures de file, ils doivent pouvoir trouver une personne compétente pour les remplacer. Cela doit se faire pour toutes les raisons qui ont été mentionnées, y compris la simple courtoisie à l'endroit des témoins invités. Ce devrait être la règle presque toujours lorsque nous recevons des témoins du gouvernement.

Le sénateur Stratton: Oui.

Le sénateur Bryden: À partir de là, nous n'avons pas à nous bousculer pour en avoir terminé avec eux, et nous n'avons pas à faire attendre les autres témoins.

Le sénateur Adams: C'est pourquoi j'ai divisé le projet de loi en présentant une motion au Sénat. J'ai parlé à notre leader et lui ai dit «Nous n'avons pas à précipiter le projet de loi C-10B. Je ne pense pas qu'il soit adopté avant que nous n'ajournions. Nous nous attendons à revenir après Noël et à y travailler encore.» Voilà ce que j'ai dit à mon leader. Je ne veux pas que cela soit adopté la semaine prochaine parce qu'il y a beaucoup de gens que le projet de loi C- 10 intéresse. En ce moment même, je ne m'attends pas à ce qu'il soit adopté avant la relâche de Noël.

Le vice-président: Je suis tout à fait d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal: Vous êtes membre du comité de direction. C'est votre comité qui a pris cette décision.

Le vice-président: Oui. Nous aurions de toute évidence dû le faire avant. Je reconnais la validité du point que vous avez soulevé. Je crois que nous partageons tous le même avis. Je prends donc bonne note de ce rappel au Règlement.

Nous entendrons maintenant nos témoins. Ils comparaîtront ensemble et la séance prendra fin pour que nous puissions nous rendre au Sénat pour 13 h 30.

Nous accueillons ce matin Mme White et M. Terrence O'Sullivan, de l'Alliance animale du Canada, et Mme Bisgould, avocate de la Société mondiale pour la protection des animaux.

Nous avons pris un peu de retard. Je vous demande de bien vouloir nous faire un résumé de votre mémoire en six ou sept minutes.

M. Terrence O'Sullivan, avocat, Alliance animale du Canada: J'appartiens à un cabinet d'avocats de Toronto qui s'appelle Lax O'Sullivan Scott. Je suis heureux de comparaître aujourd'hui devant le comité au nom de l'Alliance animale du Canada qui est d'avis que le Sénat devrait adopter le projet de loi C-10B sans y apporter des amendements supplémentaires.

L'Alliance animale du Canada est un organisme national de protection des animaux sans but lucratif qui s'emploie à promouvoir le respect de toutes les espèces animales ainsi que de l'environnement. L'Alliance compte 2 000 membres répartis dans tout le Canada. Je vous signale que je ne suis pas membre de l'Alliance. J'ai quitté aujourd'hui la rue Bay à Toronto où j'exerce normalement le droit et je suis venu ici aujourd'hui accompagné de ma fille de 10 ans, qui est assise derrière moi, parce que ma famille et moi-même croyons dans ce projet de loi. Nous croyons à la nécessité de protéger les animaux de la cruauté et de la violence inutiles. Je considère comme un honneur qu'on m'ait demandé de représenter ici l'Alliance.

Je ne suis pas seulement un avocat de la rue Bay à Toronto. Je suis aussi agriculteur amateur. Chaque fin de semaine, nous nous rendons sur notre ferme familiale située au nord de Toronto, dans la vallée Hockley, où nous élevons des chevaux et du bétail ainsi que des chiens. J'ai déjà participé à la castration de poulains et j'ai malheureusement dû tuer certains animaux à l'occasion. J'exerce le droit depuis 31 ans et j'ai lu soigneusement ce projet de loi ainsi que les nombreux mémoires qui ont été présentés par ses partisans et ses détracteurs. Je ne pense pas que le projet de loi criminalise aucune des activités auxquelles j'ai participé sur ma ferme, ni celles auxquelles je participerai à l'avenir.

Chacun sait que mon client aurait préféré que la loi soit plus musclée, mais nous reconnaissons que ce projet de loi tient compte de préoccupations exprimées par de nombreux groupes tout en précisant clairement que les souffrances inutiles et gratuites infligées aux animaux ne seront plus tolérées.

Le ministère de la Justice a présenté sa politique devant le comité hier. Il serait bon de jeter un bref coup d'oeil au projet de loi, et notamment à deux articles, soit les articles 182.2 et 182.3.

L'intention que je vise en vous parlant brièvement du projet de loi est de dissiper aussi clairement et aussi sûrement que possible tout malentendu quant à la criminalisation possible par ce projet de loi de certaines activités, que ce soit dans le domaine de l'élevage des animaux, des pratiques agricoles ou de la recherche. Ce n'est absolument pas le cas. J'essaierai brièvement de vous exposer les trois ou quatre raisons sur lesquelles je fonde mon raisonnement et je répondrai ensuite volontiers à vos questions.

L'article 182.2 du projet de loi énonce ceci:

Commet une infraction quiconque, volontairement ou sans se soucier des conséquences de son acte:

L'article poursuit ensuite en énumérant les actes qui seront considérés comme des crimes.

L'article 182.3, pour sa part, décrit les infractions qui sont commises sans avoir l'intention d'infliger de la douleur à des animaux, mais qui résultent d'une négligence criminelle. Aux fins de ce projet de loi, le paragraphe 182.3(2) définit la négligence de la façon suivante:

[...] «un comportement qui s'écarte de façon marquée du comportement normal qu'une personne prudente adopterait.»

J'y reviendrai dans un instant.

Il ne s'agit pas de la définition de négligence qui s'applique dans les affaires civiles. Comme je vous l'indiquerai dans un instant, c'est la norme qui s'applique dans les affaires criminelles.

Tout comme les personnes sont tenues criminellement responsables lorsqu'elles font preuve de négligence criminelle dans la conduite d'un véhicule à moteur ou d'un bateau, c'est la même norme qui s'applique dans ce cas-ci.

Au moins trois aspects du projet de loi ont suscité une vive controverse. Une bonne part de cette controverse n'est pas du tout fondée. Voici les trois aspects en question.

Premièrement, quel est l'élément mental nécessaire pour être reconnu coupable d'une de ces infractions?

Deuxièmement, le projet de loi élimine-t-il certains motifs de défense qui existent à l'heure actuelle?

Troisièmement, le projet de loi est-il susceptible de permettre à des partisans des droits des animaux d'intenter des poursuites privées à l'endroit de citoyens irrespectueux de la loi?

J'aborderai chacun de ces points à tour de rôle et lorsque j'aurai abordé le dernier point, mon exposé sera terminé.

Parlons d'abord de l'élément mental nécessaire pour commettre une infraction.

Voici le titre de la partie XI du Code criminel qui est celle qui s'applique à l'heure actuelle:

ACTES VOLONTAIRES ET PROHIBÉS CONCERNANT CERTAINS BIENS

Voilà où commence cet article.

Voici ce que prévoit L'article 429, l'article qui vise à l'heure actuelle les infractions de cruauté envers les animaux.

Quiconque cause la production d'un événement en accomplissant un acte, ou en omettant d'accomplir un acte qu'il est tenu d'accomplir, sachant que cet acte ou cette omission causera probablement la production de l'événement et sans se soucier que l'événement se produise ou non, est, pour l'application de la présente partie, réputé avoir causé volontairement la production de l'événement.

Pour les fins qui nous intéressent, je vous signale qu'il s'agit d'une disposition déterminative. L'article 182 du projet de loi est plus favorable à l'accusé dans la mesure où il supprime la disposition déterminative qui existe à l'heure actuelle. L'article 182 dit qu'une personne doit volontairement ou sans se soucier des conséquences de son acte causer une douleur à un animal pour être reconnue coupable d'une infraction. L'élément déterminatif a été supprimé. Une personne a plus à craindre que s'applique à son cas un paragraphe comportant de 70 à 80 mots qui considère certaines activités comme étant d'emblée criminelles. Dans cette mesure, le projet de loi est plus facile à comprendre et plus précis.

Quant à définition de «négligence» qui est donnée à l'article 182.3, elle permet clairement de conclure qu'il s'agit de négligence criminelle et non pas de négligence civile. L'article 219 du Code criminel définit ce qu'on entend par négligence criminelle. Dans l'affaire R. c. Sharp qui se rapporte à l'interprétation de cet article, la Cour d'appel de l'Ontario appelée à se prononcer sur une allégation de négligence criminelle à l'égard de la conduite d'un véhicule à moteur, a statué que la négligence criminelle suppose «un écart marqué et important par rapport au comportement qu'aurait un conducteur raisonnable».

La Cour suprême du Canada a repris exactement les mêmes termes dans l'arrêt R. c. Naglik datant de 1993. Dans cette affaire, l'intimée était accusée de ne pas avoir fourni les nécessités de la vie à un enfant et d'avoir ainsi mis en danger sa vie. La cour, qui devait préciser de quelle norme l'accusée s'était écartée — il faut d'abord prouver qu'une norme existe avant d'établir qu'une personne s'en est écartée — a statué que la négligence criminelle supposait un écart marqué par rapport à une norme objective en matière de soins. Il est dans cet article question d'un écart marqué par rapport à une norme. Il s'agit clairement d'une norme criminelle et non pas d'une norme civile. Sauf le respect que je dois à ceux qui prétendent le contraire, il serait impossible de fournir des arguments juridiques à l'appui de ce raisonnement.

Existe-t-il des motifs de défense qui existent aujourd'hui et que le projet de loi supprimerait? La réponse à cette question est non. L'article 429 que je vous ai lu et qui s'applique aux actes volontaires et prohibés concernant certains biens précise ce qui suit:

Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction [...] s'il prouve qu'il a agi avec une justification ou une excuse légale et avec apparence de droit.

L'article se termine par «et avec apparence de droit», mais les tribunaux ont au fil des années interprété cet article comme s'il disait «ou avec apparence de droit».

Permettez-moi de vous expliquer ce qu'on entend par «une justification ou une excuse légale». Si une personne agit avec une justification ou une excuse légale, ce qui s'entend aussi d'une erreur de fait, elle peut invoquer cette justification ou cette excuse comme un motif de défense à l'égard de l'infraction dont elle est accusée. Permettez-moi de vous donner quelques exemples faciles à comprendre. Supposons qu'une personne entre par effraction dans votre maison et que vous avez des raisons raisonnables de croire qu'elle va s'en prendre à vous et à votre famille. Supposons que vous usiez de force à l'égard de cette personne ne sachant pas que c'est votre voisin en état d'ébriété qui est entré dans votre maison par erreur parce que les portes d'entrée de votre maison et de la sienne sont identiques. C'est ce qu'on appelle une erreur de fait. Si cette erreur repose sur des raisons raisonnables, la violence dont vous aurez usé à l'égard de cette personne ne sera pas considérée comme un crime.

Si une personne a une justification ou une excuse légale pour agir d'une certaine façon, cela signifie, en droit civil, qu'elle a agi en fonction d'une conviction raisonnable. Il est bien évident qu'il serait possible d'invoquer le motif de défense de la justification ou de l'excuse légale à l'égard de bon nombre des activités au sujet desquelles s'inquiètent les personnes qui s'intéressent à ce projet de loi.

Ce projet de loi élimine-t-il ces motifs de défense? La réponse est clairement non. Le paragraphe 8(3) du Code criminel prévoit que chaque règle et chaque principe de la common law qui font d'une circonstance une justification ou excuse d'un acte, ou un moyen de défense contre une inculpation, demeurent en vigueur, sauf dans la mesure où ils sont modifiés ou sont incompatibles avec la nouvelle loi. Non seulement est-ce le cas ici, mais le projet de loi incorpore spécifiquement le paragraphe 8(3) par renvoi.

Deux affaires le confirment. La première est R. c. Holmes dans laquelle la Cour suprême du Canada a statué en 1988 qu'un accusé peut toujours invoquer une excuse ou un moyen de défense d'ordre général ou prévu en vertu de la common law, à moins que la loi ne l'interdise spécifiquement, ce qui n'est pas le cas ici. Dans l'affaire Ruzic, la Cour d'appel de l'Ontario, se reportant à l'affaire Holmes, a précisé ce que constituait une excuse légale. La Cour a précisé que les excuses légales comprenaient tous — et je souligne le mot tous — moyens de défense que la common law considère comme étant suffisants pour ne pas reconnaître une personne coupable d'une infraction criminelle.

Par conséquent, tous les moyens de défense prévus dans la common law qui existent à l'heure actuelle continueront d'exister.

Le président: Monsieur O'Sullivan, pourriez-vous conclure votre exposé? Nous devons entendre d'autres témoins.

Mme Liz White, directrice, Alliance animale du Canada: Comme je ne prendrai pas la parole, pourriez-vous accorder un peu plus de temps à M. O'Sullivan?

Le président: Nous avons déjà fait preuve de beaucoup de souplesse. Je vous demanderais de bien vouloir conclure.

M. O'Sullivan: J'aimerais faire deux observations au sujet de l'apparence de droit et des poursuites privées.

L'apparence de droit est clairement un concept lié au droit des biens. Don Stuart, dans l'ouvrage qui est devenu une référence, Canadian Criminal Law, affirme que l'apparence de droit est un moyen de défense qui peut être invoqué à l'égard d'une infraction au droit des biens. Il s'agit d'un concept lié à ce droit. C'est un moyen de défense qui est invoqué dans le cas d'une accusation criminelle lorsqu'une personne est accusée, par exemple, d'avoir pris un bien et que cette personne l'a fait croyant honnêtement qu'elle en était le propriétaire.

L'apparence de droit peut parfois reposer sur une erreur en droit civil, mais non pas sur une erreur en droit criminel. L'apparence de droit n'a jamais été invoquée avec succès comme moyen de défense à l'égard d'une accusation de cruauté envers les animaux. Dans l'affaire Comber datant de 1975, dont il est question dans notre mémoire, une personne a tué un chien parce qu'elle croyait à tort, mais honnêtement, que le chien avait été blessé et qu'il allait mourir. On a soutenu que le motif de défense était l'apparence de droit, mais c'était plutôt l'erreur de fait. Cette loi existe depuis 110 ans, mais personne n'a jamais invoqué avec succès le motif de défense de l'apparence de droit à l'égard d'une accusation de cruauté envers les animaux.

Enfin, pour ce qui est des poursuites privées, il n'y en aura pas. J'exerce le droit depuis 31 ans, et je n'ai jamais vu des poursuites aller de l'avant lorsqu'elles portent sur une modification au Code criminel qui prévoit avant l'instruction des poursuites qu'une audience doit avoir lieu devant un juge de paix ou un juge et prévoit la participation du procureur général, le dépôt de preuves ainsi qu'une décision judiciaire. Si les preuves sont vraiment probantes, la poursuite ira de l'avant, et si le procureur général intervient, comme il doit le faire en vertu de ce projet de loi, j'estime alors qu'il est presque inévitable que la Couronne prenne en charge la poursuite. Il est donc absolument impossible que des personnes fassent l'objet de poursuites privées frivoles en vertu de ce projet de loi.

Voilà qui met fin à mon exposé.

Le président: Je vous remercie, monsieur O'Sullivan.

Avant que nous ne passions aux questions, je m'excuse auprès des témoins et de mes collègues d'être arrivé en retard. Il y a maintenant plus d'une heure, j'ai été le témoin d'un accident qui s'est produit à cinq minutes à peine de la Colline parlementaire. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà retrouvés dans cette situation et que vous ayez essayé de vous en extirper le plus rapidement possible, mais je vous assure que ce n'est pas facile. Je remercie le sénateur Beaudoin d'avoir présidé la réunion en mon absence parce que nous avons un autre groupe de témoins à entendre.

Mme Lesli Bisgould, avocate, Société mondiale pour la protection des animaux: Je vous remercie beaucoup de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui. Je témoigne aujourd'hui au nom de la Société mondiale pour la protection des animaux. Il s'agit d'un organisme de bienfaisance canadien qui appartient à un organisme international qui a des bureaux dans le monde entier. La SMPA est le seul organisme de protection des animaux qui a un statut consultatif auprès des Nations Unies et du Conseil de l'Europe.

Voilà tout ce que je dirai au sujet de la SMPA.

Dans les 14 secondes qui me restent, j'aimerais aller directement au but. Je n'ai pas beaucoup de temps pour vous raconter des anecdotes, mais je commencerai quand même par vous en raconter une.

Il y a plusieurs mois, j'ai passé trois jours entiers dans un tribunal provincial à Toronto lors de la séance de détermination de la peine de Jessie Power. Certains d'entre vous le connaissent peut-être. C'est le jeune homme qui, avec deux amis, a fait une vidéo montrant comment ils avaient pendu le chat, l'avaient battu, lui avaient donné des coups et l'avaient frappé à coups de poignard et l'avaient ensuite disséqué. Les policiers de Toronto avec lesquels j'ai parlé, et vous pouvez vous imaginer ce qu'ils voient tous les jours au centre-ville de Toronto, m'ont dit que c'était la vidéo la plus difficile qu'ils aient eu à voir. Ils ne pouvaient pas en supporter davantage.

Dans la salle de tribunal, on ne pouvait pas entendre les cris du chat qui étaient noyés par les cris des femmes et des hommes qui étaient dans la salle et par le bruit de personnes qui se mouchaient. C'est une expérience que je n'oublierai jamais.

La peine maximale qui pouvait être imposée à Jessie Power pour avoir clairement de façon intentionnelle et tout à fait gratuite torturé ce chat — et je n'ai pas pu regarder cette vidéo — était six mois d'emprisonnement et une amende de 2 000 $. C'est la peine maximale que prévoit la loi actuellement.

Depuis ce procès qui a eu lieu il y a quelques mois à peine, les journaux ont rapporté de nombreux cas semblables. Il y a une semaine et demie, dans la banlieue prospère de Toronto où j'habite, des personnes ont aspergé un chat avec de l'essence, ont mis feu au chat et l'ont jeté en dehors d'une voiture. Il y a un jour ou deux, quelqu'un a mis des chatons dans une caisse d'oranges au beau milieu d'une route quelque part à Winnipeg.

Je pourrais vous raconter beaucoup d'histoires de ce genre. Ce genre de crimes sont commis au Canada parce qu'on sait qu'ils ne sont pas pris très au sérieux. Voilà la difficulté.

Il est bien évident qu'il est nécessaire de modifier la loi. On vous a à maintes reprises répété que cette loi date de 110 ans. Je suis sûre que vous le savez maintenant.

Darwin est mort il y a 110 ans. C'est lui qui a le premier eu l'idée de l'évolution, que nous étions tous des animaux, tous reliés et capables de ressentir la douleur. Jusque-là, la société croyait que les animaux n'étaient que des machines, ce qui en fait n'est pas vrai, mais c'est ce que nos lois reflètent aujourd'hui.

Il est temps d'entrer dans le XXIe siècle. Je pense que c'est ce que ce projet de loi accomplit.

De nos jours, personne ne prétend que les animaux sont des machines. Si je peux me faire leur porte-parole, je dirais que les gens qui font de la recherche scientifique sur des animaux — les agriculteurs et les chasseurs — le savent et le reconnaîtront spontanément. Bien sûr que les animaux ne sont pas des machines. Ce sont des créatures.

Si le besoin de changement se fait ressentir de façon si évidente, pourquoi alors y a-t-il une opposition si vigoureuse de la part de certains secteurs qui utilisent les animaux dans leur travail? Je pense pouvoir répondre à cette question.

Cela s'explique parce que personne dans ces secteurs n'a eu par le passé à prêter beaucoup d'attention à ce que prévoient les dispositions du Code criminel concernant les animaux. Mon humble opinion est que toutes les inquiétudes soulevées jusqu'à présent l'ont été comme si les dispositions actuelles venaient d'être annoncées.

Ces dispositions existent depuis longtemps. Toutefois, parce que depuis 110 ans aucune accusation n'a été portée, parce que chez les opposants on ne connaît aucun cas d'inculpation, parce qu'aucune poursuite privée n'a été intentée — en effet, depuis huit ans que je suis le seul avocat qui se consacre à la protection des animaux, je n'ai jamais intenté une seule poursuite privée — les secteurs qui utilisent les animaux n'ont jamais réfléchi à la question. Ce n'est que maintenant qu'ils doivent se préoccuper de ce que les dispositions du Code criminel prévoient réellement. Ils commencent à s'inquiéter du nombre d'interprétations possibles.

Toutefois, il y a de la jurisprudence. Il existe une jurisprudence qui déjà limite considérablement la façon dont nous interprétons la loi. Cette jurisprudence s'appliquera encore en vertu des nouvelles dispositions car les dispositions qu'elle interprète demeurent. Plus particulièrement, je songe à l'affaire Ménard, dont je pourrai vous parler plus amplement au moment des questions. C'est une décision du juge Lamer quand il était juge en chef à la Cour d'appel du Québec.

Les modifications au Code criminel apportent évidemment quelques changements. Voilà pourquoi les groupes de protection des animaux, et bien d'autres gens, des particuliers, d'un bout à l'autre du pays, les défendent si âprement. Vous vous demandez peut-être pourquoi, les changements étant si mineurs, les défenseurs sont si acharnés. Un sénateur l'a dit tout à l'heure, c'est parce qu'il faut beaucoup de temps pour changer une loi, en particulier le Code criminel. Il est fondamental que nous garantissions que les droits des citoyens sont protégés. Quand on adopte des dispositions pénales, les risques sont graves.

Il y a quelques nouveaux éléments. Nous nous inquiétons notamment des nouveaux mécanismes d'exécution. Ils sont très importants. Il est capital de pouvoir empêcher quelqu'un qui a maltraité des animaux par le passé de continuer de le faire. C'est une disposition importante dans l'exécution.

Il y a une nouvelle disposition qui accorde une protection spéciale aux animaux d'assistance policière. C'est tout nouveau.

Toutefois, de façon générale, ces modifications redressent ce qui prête à confusion dans la loi actuelle. Certaines lois s'appliquent aux animaux domestiqués; d'autres s'appliquent aux animaux sauvages. Des précisions ont été apportées. On a explicité la question de la négligence et celle des souffrances causées. On dissipe un peu l'incertitude et on ajoute quelques nouveaux éléments.

La population canadienne souhaite qu'on adopte les dispositions législatives proposées. Je sais que vous en êtes conscients parce que je sais que vous avez reçu quantité de lettres à ce propos. La population souhaite qu'on adopte cette loi. Je pense que cela vous a été dit clairement. J'espère que vous n'hésiterez pas à franchir cette étape très importante pour la protection des animaux et je vous exhorte à le faire car bien des gens ont des inquiétudes non fondées concernant des risques qui n'existent pas. Les dispositions proposées comportent des protections.

J'exhorte les honorables sénateurs à se reporter à ce que dit la loi actuellement et à se rappeler qu'il existe déjà une loi. Devant les inquiétudes exprimées, il faudrait poser la question: comment ces modifications donnent-elles lieu à des risques qui n'existent pas déjà, peu importe qu'on les approuve ou qu'on les rejette entièrement?

Je vous remercie de votre attention et je répondrai volontiers à vos questions.

Le président: Merci beaucoup.

Le sénateur Beaudoin: Je souhaiterais avoir une précision.

Vous dites que la disposition déterminative qui existait auparavant a disparu. Première chose.

Deuxièmement, vous dites que ces dispositions concernent nettement la négligence criminelle et non pas la négligence civile. Manifestement, dans bien des affaires on a fait la distinction entre négligence criminelle et négligence civile.

Dois-je en conclure que ce qui figure dans le projet de loi, à cet égard, vous satisfait?

M. O'Sullivan: Oui, c'est cela. En fait, le libellé de l'article reprend la définition de «négligence criminelle» qui figure dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Naglik et il précise «s'écarte de façon marquée». Je ne doute nullement qu'il s'agit de négligence criminelle et non de négligence civile.

Le sénateur Beaudoin: Il y a évidemment une différence entre les deux. Toutefois, je voudrais que vous me disiez si vous estimez que l'expression qui figure dans le projet de loi est suffisante. L'est-elle?

M. O'Sullivan: Oui.

Le sénateur Joyal: Je vais vous proposer une logique et vous me direz ce que vous en pensez.

Le fait que la définition de «animal» soit retranchée des dispositions du Code criminel concernant les biens et qu'on donne désormais à ce terme une définition qui lui est propre explique, d'une certaine façon, la raison pour laquelle la défense prévue à l'article 429.3 est supprimée. En effet, la défense prévue à l'article 429 concerne des biens.

Nous constatons que l'on a retranché les animaux de la définition de propriété qui figure dans le Code criminel, c'est-à-dire que l'article 429 est supprimé. Quelle est votre réaction en tant qu'avocat en l'occurrence?

M. O'Sullivan: C'est une très bonne question et je l'aborde jusqu'à un certain point dans le document que vous voudrez sans doute lire.

La partie XI du Code criminel qui concerne les biens contient, si je ne m'abuse, 30 articles actuellement. Les animaux y figuraient pour des raisons historiques parce qu'on les traitait comme des biens.

L'article 429 s'applique à des infractions comme les méfaits ou les incendies criminels.

Par exemple, vous pouvez incendier votre propre maison mais vous ne pouvez pas incendier celle d'une autre personne. Toutefois, si vous incendiez une maison que vous estimiez être la vôtre, en vertu d'une croyance raisonnable, il se peut que vous n'ayez pas commis de crime.

Il était clair que ces articles ne pouvaient pas s'appliquer à tous les éléments mentionnés. À l'article 11, par exemple, on décrit les dégâts causés à la résidence d'une personne qui jouit de la protection internationale — par exemple, une ambassade — comme étant un crime. L'apparence de droit ne s'applique pas dans ce cas-là.

En retranchant les animaux de la partie du Code criminel qui porte sur les biens, et Mme Bisgould pourrait ajouter quelque chose à ce que je dis, pour les inclure dans l'article proposé, il s'ensuit deux conséquences. Tout d'abord, à juste titre quant à moi, on traite le comportement criminel envers les animaux comme une notion en soi, dissipant ainsi la confusion qui régnait quand les animaux étaient inclus dans un groupe de 30 articles portant sur une multitude d'infractions contre les biens.

Il y a indubitablement des raisons politiques à cela. Je suis avocat, et je vous dirai que je pense que sur le plan juridique, les choses sont plus claires, plus distinctes, plus faciles à comprendre et la conduite de chacun est facilitée. Cette mesure législative proposée est un modèle de clarté. Personne ne viendra prétendre devant vous qu'une personne qui commettrait les crimes décrits dans ce projet de loi pourrait ne pas être justiciable. Personne ne viendra prétendre devant vous que «c'est exactement ce que je fais à mes animaux aujourd'hui».

Je crois que l'on a jugé que le fait de traiter de la cruauté envers les animaux dans le contexte du droit des biens entraînait trop de confusion et qu'on a préféré l'inscrire ailleurs en langage plus clair pour faciliter la compréhension, la poursuite et la défense.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit que cela avait deux conséquences. Ce sont les deux que vous venez de décrire dans votre réponse?

M. O'Sullivan: Oui

Le sénateur Joyal: Les animaux ne seront plus considérés comme un bien. Moi, je n'ai pas de chien, mais supposons que j'en ai un. C'est un bien qui m'appartient. Je l'ai acheté. Je l'ai enregistré.

M. O'Sullivan: J'ai moi-même quatre chevaux.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, je suis le propriétaire légal de ce chien. Mon chien a 14 ans et il a vécu une belle vie. Il montre des signes de faiblesse et je juge qu'il est préférable de le tuer. Je l'étrangle. Je n'ai pas de fusil. Je n'ai pas de permis et je ne veux pas m'acheter de fusil. Je décide donc d'étrangler mon chien. Pourra-t-on m'accuser de cruauté aux termes de ce projet de loi?

M. O'Sullivan: Vous pourriez l'être pour deux motifs. On pourrait vous accuser de cruauté parce que vous n'aviez aucun motif raisonnable de croire que cet animal devait être tué.

Deuxièmement, vous avez choisi une méthode qui n'est pas appropriée. Je crois que l'on pourrait bien porter des accusations contre vous.

Que vous soyez ou non propriétaire d'un animal, que vous soyez ou non le parent d'un enfant ne vous donne pas le droit d'infliger des souffrances inutiles à cet animal ou à cet enfant. Ce concept a évolué avec le temps, d'abord en ce qui a trait aux enfants, ce qui est compréhensible, et maintenant en ce qui concerne les animaux. Rien ne justifie que l'on étrangle un chien. Nous tuons les chiens sans cruauté.

Lorsqu'on demanderait à un tribunal d'évaluer cette conduite, il se pencherait sur les options raisonnables qui s'offraient à vous et se demanderait si vos agissements ont été raisonnables dans les circonstances.

Disons que vous êtes dans la forêt. Votre chien est blessé, peut-être après s'être battu avec un ours, et vous n'avez aucune autre façon de tuer votre chien. Vous décidez donc de l'étrangler, parce que vous ne voulez pas prolonger ses souffrances. Personne ne vous blâmera pour cela.

Les faits sont différents dans chaque situation. Dans l'exemple que je vous ai donné, je ne crois pas que l'on vous accuserait de cruauté. Dans l'exemple que vous avez donné, vous risqueriez de faire l'objet d'accusations.

Mme Bisgould: Pourrais-je répondre à cette question, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal: Je vous en prie, et d'ailleurs, ma prochaine question s'adressera à vous.

Mme Bisgould: J'abonde dans le même sens que M. O'Sullivan. Il est important de comprendre que la possibilité de faire l'objet d'accusations dépend de la méthode qu'on choisit. Même si les animaux ne figureront plus dans la partie du Code criminel portant sur les biens, ils continueront d'appartenir à ces gens. Rien dans ce projet de loi ne touche le droit d'une personne d'être le propriétaire d'un animal.

Il est bien établi en droit que vous pouvez faire ce que vous voulez de vos biens. Je peux mordiller mon crayon. Je peux le casser. Tant que je ne le lance pas sur vous avec l'intention de vous blesser, ce que j'en fais ne vous regarde pas.

Le sénateur Joyal: Ça dépend: Si vous l'avalez pour vous suicider, ça relève du Code criminel.

Mme Bisgould: Nous pourrons penser à d'autres scénarios plus tard.

Les animaux continuent d'être un bien. La loi dit clairement que vous avez le droit de faire ce que vous voulez de vos biens. Plus précisément, vous avez le droit de tuer vos animaux.

Dans toutes les causes où un animal a été tué, on a examiné attentivement la méthode. Laisser tout un troupeau de vaches mourir de faim pendant qu'on part en vacances, c'est mal. La méthode compte, ainsi que ce qui pourrait justifier ce que vous avez fait.

L'affaire Comber à laquelle M. O'Sullivan a fait allusion est la seule où l'on ait invoqué l'apparence de droit comme moyen de défense contre une accusation de cruauté envers un animal. M. Comber a tué son chien. Cependant, il a fait l'erreur de croire que son chien était dans un état tel qu'il devait être tué.

Le sénateur Joyal: Si le chien avait la rage, par exemple.

Mme Bisgould: M. Comber a été acquitté parce qu'il est légitime de tuer son propre chien. Même après l'adoption de ce projet de loi, ce sera encore légitime. C'est la méthode choisie qui compte.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à votre déclaration. Ce sera ma dernière question, car je sais que nous avons peu de temps.

Vous avez dit que les Canadiens veulent ces modifications. Moi, j'estime qu'il faut être prudent lorsqu'on parle de ce que veulent les Canadiens, car tous les Canadiens ne s'entendent pas sur tout.

Il faut une infrastructure sociale pour prendre soin des animaux. Dans le temps, à Montréal, j'ai moi-même été associé à une société pour la protection des animaux, la SPCA.

Mme Bisgould: Elle y est toujours.

Le sénateur Joyal: Elle a presque fait faillite. J'ai organisé des encans au profit de cette société pour tenter de la sauver. Elle ne pouvait pas obtenir de l'argent des gouvernements ou de Centraide. Elle devait elle-même trouver des fonds.

Si nous voulons, comme vous l'avez dit, faire en sorte que les Canadiens, l'industrie et tous les autres groupes aient de meilleures relations avec les animaux, quelle sorte d'infrastructure sociale avons-nous pour ce faire? Nous ne pouvons imposer dans une loi un comportement qui ne sera pas appuyé par une infrastructure sociale.

C'est tout aussi important qu'être bon à l'égard des animaux. Et nous ne pouvons pas laisser l'infrastructure sociale telle qu'elle est actuellement. Nous savons qu'il faut de l'argent pour ramasser les chats errants.

Actuellement, si quelqu'un a cinq chatons, il les prend dans sa voiture, va à la campagne et les relâche là-bas. D'après ce projet de loi, ce serait faire preuve de négligence.

Mme Bisgould: Parlant de bonnes questions, vous venez de soulever la meilleure question qui soit sur ce sujet du point de vue de ceux qui veulent protéger les animaux.

Toutefois, il ne faut pas oublier ce qui nous limite. Ces mesures sont des mesures de droit pénal. Il y a toutes sortes de mesures juridiques et de formes d'infrastructure sociale qui s'appliquent aux animaux. Vous en avez mentionné une, les sociétés de protection des animaux. Il y a aussi des groupes comme celui que je représente aujourd'hui, ainsi que des groupes qui oeuvrent sur le terrain, dans les collectivités et qui tentent de trouver des foyers d'accueil pour les animaux. Bon nombre d'entre vous ont probablement reçu des appels de gens vous demandant d'adopter un chat ou un chien sans foyer. Ce sont des gens qui se sont regroupés pour tenter de solutionner des problèmes pour lesquels il n'y avait aucune infrastructure.

C'est un dossier aux multiples volets. Il y a des gens qui oeuvrent à tous ces chapitres. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'on pourrait apporter des améliorations à tous les niveaux. Mais tout cela se fait ensemble. C'est ainsi que la société change, n'est-ce pas? Petit à petit, un petit changement à la fois. Ici, aujourd'hui, nous nous concentrons sur ce que nous pouvons faire ou non en droit pénal.

Il est certain qu'on s'inquiète du bien-être des animaux dont se sert l'industrie, personne ne le nie. Je suis certaine que tous ici présents ont des préoccupations à cet égard. Toutefois, il ne s'agit pas là de droit pénal. Il y a une réglementation qui régit la recherche et l'élevage. C'est dans ce cadre qu'il faut aborder ces questions.

Malheureusement, la société est fragmentée; tout doit donc changer. Déjà, au sein des sociétés de protection des animaux, on tente de mieux se financer afin d'être plus efficaces. Le projet de loi les aidera un peu. Ces sociétés prennent soin d'animaux qui souffrent beaucoup et n'hésitent pas pour ce faire à dépenser des milliers de dollars en soins vétérinaires. Mais il leur faut ensuite solliciter de l'argent auprès de ceux qui les appuient.

Le projet de loi prévoit que ces coûts devront être assumés par l'auteur du crime, et les sociétés de protection des animaux pourront ainsi être défrayées. Nous leur donnons ici un peu d'aide sans pour autant les empêcher d'agir dans leur propre cercle pour que des changements soient apportés progressivement.

Le sénateur Adams: Dans le Grand Nord, les chiens étaient moins pour nous des animaux de compagnie que des animaux qui travaillaient pour nous. Il est vrai que, chaque année, il y a de moins en moins de chiens qui ne servent qu'au travail. De nos jours, les chiens servent surtout à des activités sportives telles que les courses d'attelage de chiens. Les chiennes ont parfois 10 ou 12 chiots, et nous n'avons pas toujours les moyens de nourrir tous ces chiens. Il nous faut donc en tuer, car nous ne pouvons nourrir 30 ou 40 chiens, surtout qu'un attelage de chiens n'en compte que cinq ou six. Il nous arrive parfois d'offrir ces chiots aux habitants d'autres villages.

Si des propriétaires d'attelage de chiens ou des chasseurs se faisaient prendre à tuer des chiots, seraient-ils visés par ce projet de loi?

M. O'Sullivan: Cette activité n'a pas été criminalisée à ce point, et cela ne changera pas avec l'adoption de ce projet de loi. Lorsque les gens ont plus de chiens qu'ils ne peuvent en nourrir, il est préférable de les tuer de la façon la moins douloureuse possible, ce que permet le droit pénal, plutôt que de les laisser mourir de faim, par exemple, ou de les laisser seuls dans la nature.

Vous venez de donner un bon exemple, un exemple très réel du genre de conduite qui n'est pas jugée criminelle à l'heure actuelle, si les animaux sont tués sans cruauté, et qui n'est pas criminalisée par la loi actuelle.

Le sénateur Stratton: En ce qui concerne les poursuites privées, lorsqu'il a été déterminé qu'une accusation pourra être portée, celui qui fait l'objet d'une enquête doit-il comparaître devant un procureur pour présenter sa version des faits?

M. O'Sullivan: Non.

Le sénateur Stratton: Non?

M. O'Sullivan: C'est au dénonciateur que le fardeau incombe. Si, à titre de particulier, je dépose une dénonciation, je dois m'adresser à un juge de la cour provinciale ou à un juge de paix compétent. Je dois prouver mes allégations et en informer le procureur général qui pourra alors entendre les témoignages et plaider, devant le juge ou le juge de paix, quant à l'opportunité de déposer une accusation; il pourra aussi, s'il le souhaite, contre-interroger mes témoins ou produire des preuves lui-même. Aucun fardeau n'incombe à la personne faisant l'objet de la dénonciation. Elle n'a pas à être présente et la procédure ne prévoit pas sa présence. Je suppose qu'on pourrait lui demander d'être là, et que cette personne pourrait être présente si elle le souhaite.

Ce genre de procès est tout nouveau dans l'histoire de notre pays. Comme je l'ai dit plus tôt, j'ai beaucoup de mal à imaginer une poursuite privée. Si les preuves sont telles que le juge estime qu'on doit porter une accusation, il est difficile d'imaginer que la Couronne, qui est déjà engagée dans l'affaire, ne choisira pas de porter cette accusation elle- même.

De plus, si un particulier réussit à surmonter tous ces obstacles, le procureur général a le pouvoir de prendre la poursuite en charge et de surseoir à la procédure. Je comprends que certains soient inquiets, mais il m'apparaît impossible que l'on permette à des gens d'en harceler d'autres en intentant contre eux des poursuites civiles.

Le sénateur Stratton: Si l'on me soupçonnait, j'aurais tout intérêt à être présent et à être accompagné d'un avocat, qu'il faudrait payer. En toute logique, il me semble que, devant la menace d'une poursuite, on veuille protéger ses intérêts, non?

M. O'Sullivan: Vous pourriez demander au juge ou au juge de paix d'entendre votre témoignage, mais vous ne seriez pas tenu de le faire. C'est à la personne ou à l'entreprise faisant l'objet d'une dénonciation d'en décider.

Le sénateur Stratton: Je ne suis pas d'accord. Si vous voulez protéger vos intérêts, il faut vous présenter avec un avocat.

M. O'Sullivan: Non. Si vous étiez mon client, je pourrais vous conseiller de ne rien dire qui ne soit protégé, au cas où des accusations soient un jour portées contre vous. Vous avez le droit de garder le silence et c'est à eux de prouver que leurs accusations sont fondées. La meilleure stratégie, c'est parfois de ne pas participer. Il y a peut-être d'autres situations, où on pourrait penser autrement. Tout dépend des faits.

Le sénateur Stratton: Précisément et je crois qu'il faudrait qu'il y ait là quelqu'un qui puisse agir comme témoin de ce qui se passe.

Le sénateur Bryden: Madame Bisgould, vous avez affirmé être ici parce qu'on parle d'une question juridique se rapportant au Code criminel. La société que vous représentez joue d'autres rôles. Je crois que vous avez dit qu'il y a des groupes de revendication dont fait partie votre société?

Mme Bisgould: La Société mondiale est en effet un groupe de revendication.

Le sénateur Bryden: J'ai lu dans les journaux qu'un groupe de défense des animaux avait essayé de placer des annonces dans les journaux de Vancouver, mais que la publicité avait été rejetée par la plupart des journaux, je crois. J'ai lu que les annonces, d'une manière peu subtile, comparaient l'abattage des porcs au dépeçage et au démembrement des cadavres des femmes trouvés sur la ferme porcine, près de Vancouver.

Ce groupe est-il associé au vôtre?

Mme Bisgould: Il s'agit du People for the Ethical Treatment of Animals, un organisme américain et non canadien. Ce groupe n'est pas établi au Canada. Tous les organismes canadiens et les personnes que je connais étaient enragés à cette nouvelle. Ils étaient scandalisés.

J'ai moi-même écrit une lettre qui est maintenant diffusée sur Internet, adressée à cette organisation et dans laquelle je donne plusieurs raisons pour lesquelles c'était là une grave erreur.

D'ailleurs, ils ont dû demander les commentaires de Canadiens sur leur site Web, en raison du grand nombre de plaintes qu'ils ont reçues, où l'on disait que ce n'est pas le genre de choses qui se fait au Canada.

Le sénateur Bryden: Malheureusement, pour bien des gens, les groupes de défense des animaux sont mis dans le même sac que ce groupe-là, et étiquetés «les défenseurs des droits des animaux».

Mme Bisgould: Non, ce n'est pas vrai, vous êtes poli.

M. O'Sullivan: C'est bien pire.

Le sénateur Bryden: Certains d'entre eux sont peut-être même des Canadiens qui donnent de l'argent à ce groupe. Si j'ai bien compris, ce groupe a une autre publicité en Californie qui suscite la même controverse.

Comme le monde est de plus en plus petit, Internet et la télévision nous parlent des activités de défense des droits des animaux qui ont lieu en Grande-Bretagne, en France et parfois, au Canada. Au nom des droits des animaux, on détruit des visonnières, par exemple, ou on fait sauter des laboratoires où se font des expériences sur des animaux.

Il y a des préoccupations formulées par les représentants des secteurs de l'élevage, du piégeage, de la fourrure et, maintenant, de la pêche.

Je crois beaucoup au bon jugement de nos tribunaux, mais il y a une chose qui suscite des préoccupations: la définition du terme «animal» dans le projet de loi. Elle se lit comme suit:

«animal» s'entend de tout vertébré — à l'exception de l'être humain [...]

Ça va jusque-là.

[...] et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur.

En tant que rédacteur de loi, je conçois difficilement comment «animal» peut vouloir dire «et tout autre animal». Comment peut-on définir un mot en incluant ce mot dans la définition? Il me semble que la question doit se poser. On dit:

[...] et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur.

D'après cette définition, qui décide si un animal a la capacité de ressentir la douleur? Quand on fait bouillir un homard, par exemple, il se débat passablement dans l'eau bouillante. Il semble ressentir de la douleur, même s'il meurt rapidement. Voilà pourquoi je m'assure que l'eau est très chaude. Est-ce qu'une huître peut ressentir de la douleur? Doit-on en déduire que l'huître est un animal?

Je sais que c'est tiré par les cheveux, mais croyez-moi, pas plus que la publicité que voulait placer ce militant des droits des animaux dans des journaux de Vancouver.

Pour reprendre l'exemple du homard, on a dit que ce serait moins douloureux pour le homard, si on le tuait d'abord, en lui enfonçant un objet pointu dans la tête. Cela le ferait trépasser plus vite et il serait suffisamment frais, si on le plongeait tout de suite dans l'eau bouillante.

Pensons aux secteurs de l'élevage et de l'engraissement. Sur la ferme où j'ai été élevée, il y avait des chevaux, des porcs, et cetera. C'était notre gagne-pain et non une ferme d'agrément. Depuis, j'ai eu une ferme d'agrément et j'ai trouvé que c'était une excellente façon de gaspiller mon argent.

M. O'Sullivan: Je comprends.

Le sénateur Bryden: Vous êtes d'accord avec moi, j'en suis convaincu. Là où je veux en venir, c'est que j'ai castré des porcelets. Vous les agrippez comme ceci, et au moyen d'un couteau bien tranchant, vous les castrez. J'ai travaillé sur une chaîne d'abattage de poulets; ils ont les pieds liés. À l'époque, on les tuait en tenant leur cou comme ceci. Quand ils ouvraient la bouche, on y insérait un couteau bien tranchant et on coupait la jugulaire.

Il y a manifestement des méthodes d'abattage sans cruauté. On peut, par exemple, anesthésier les animaux, mais ces procédés sont plus coûteux. Pour les propriétaires de parcs d'engraissement ou pour les aviculteurs, il est difficile de nous refiler ce coût supplémentaire, nous les consommateurs, en imposant 50 cents de plus par livre pour le poulet, parce qu'il a fallu recourir à l'anesthésie ou à une piqûre pour endormir les poulets. Peut-être le fait-on déjà, je ne le sais pas. Il y a longtemps que je n'ai pas tué de poulet.

Certains éléments de la définition du terme «animal» suscitent des préoccupations dans l'industrie. Je n'ai même pas pu entamer de discussions sur ce qui se produira quand on décidera s'il vaut mieux de tuer un phoque ou un poisson avec une carabine ou avec un dard. Si vous prenez du poisson avec un hameçon, vous êtes un pêcheur sportif. Si vous êtes un pêcheur commercial, vous pouvez vous servir d'un filet, ou d'un dard, ou harpon. J'ai déjà pêché au harpon.

Que dois-je répondre à ceux qui m'appellent et qui disent: «John, vous avez vécu sur une ferme, vous êtes d'ici, est-ce que ce serait de l'abus»? Est-ce que des gens de Rockliffe, Forest Hill, New York et Malibu, très riches, viendront nous dire: «C'est un animal et nous sommes prêts à aller jusqu'en Cour suprême du Canada pour prouver qu'il ressent de la douleur»? Il faudra se servir de laser et de tubes pour aspirer l'huître hors de sa coquille. Il ne faudra pas la briser.

J'exagère un peu, toutes mes excuses. Avez-vous un commentaire?

Mme Bisgould: Vous avez posé bon nombre d'importantes questions. Je vais essayer de vous impressionner en vous répondant brièvement.

Vous avez parlé de ce qui se passe aux États-Unis, de groupes qu'on assimile les uns aux autres puis de la substance du projet de loi.

Au sujet des droits des animaux, il y a beaucoup de questions d'actualité, mais il faut être prudent en les abordant. Dans ce cas-ci, il s'agit de droit pénal. Cela n'a absolument rien à voir avec les droits des animaux. Secrètement, je voudrais que ce soit le cas, mais il ne s'agit pas du tout de droit des animaux. Il s'agit de droit pénal. Il s'agit d'améliorer le bien-être des animaux que la loi nous permet de posséder et d'utiliser. La loi existe déjà. Elle continuera d'exister, avec ou sans ces modifications. Il faut que cela soit bien clair.

Vous avez raison, toutefois, au sujet de ce qui froisse l'industrie. Il y a diverses causes. Les gens de ces secteurs se sentent sous pression. On critique leurs procédés. Ils n'aiment pas ça et je les comprends bien. Ils sont préoccupés et c'est la raison de leur résistance.

Ils sont confus, en plus. Ce n'est pas dans le Code criminel que les changements se verront. Les changements paraîtront dans la structure réglementaire, comme dans les forums sur la chasse au phoque, à Terre-Neuve, pour la chasse au phoque. Le ministère des Pêches et des Océans prend des règlements en vertu d'une loi donnée, comme pour la législation sur l'exploitation agricole. C'est là que les débats ont lieu.

Il ne faut pas confondre les efforts qui porteront fruits ou non avec ce qui peut être fait, en pratique, dans le cadre du Code criminel. Il s'agit de quelque chose de bien précis.

La définition du terme «animal» m'intéresse parce qu'il n'y en a pas dans la loi actuelle, qui demeurera en vigueur si nous n'acceptons pas ces modifications. Des condamnations ont été prononcées contre des personnes qui ont nui à la faune, par exemple, à des ratons laveurs et des écureuils. Des gens pourraient penser qu'il s'agit de tortues. Pour l'instant, il n'y a pas de limite. Si vous pouvez prouver au juge qu'un animal ou un oiseau est en jeu, des accusations pourront être portées.

Cette définition limite la portée de la loi. Au sujet de la capacité de l'animal de ressentir ou non de la douleur, il ne faudrait surtout pas croire que cette loi est autre chose que ce qu'elle est. Il faudrait prouver à un juge qu'un animal ressent la douleur, que ce soit un homard, un crabe, une tortue ou quoi que ce soit. Nous avons déjà constaté que les vertébrés, qui font partie de la définition, ressentent la douleur. Cela veut toutefois simplement dire que les infractions se rapportent à eux.

Cela ne signifie pas qu'on vous accusera ou qu'on vous condamnera pour avoir ébouillanter un homard. En ce moment, le homard n'est pas considéré comme un animal, contrairement à la vache ou au chien, qui sont protégés par ces lois. Le simple fait de devenir un «animal» au sens de la définition ne signifie pas que des accusations pourront être portées à son sujet. Cela signifie qu'ils font partie du régime de la loi, de sorte qu'il faut revenir à la case départ et voir quels sont les éléments et les défenses possibles.

Au sujet des pratiques comme l'ébouillantage du homard ou la castration dont vous avez parlé, je vous signale que le juge Lamer a réglé la question dans l'arrêt Ménard. C'est une affaire qui en dit très long. J'en ai une copie et je la fournirai à ceux qui s'y intéressent. Il a dit que nous avions le droit d'utiliser ces animaux pour répondre à nos besoins.

Dans cette affaire, l'employé d'un refuge tuait les animaux à l'aide d'un gaz. Certaines personnes se sont plaintes que cela prenait beaucoup de temps et que c'était une manière cruelle de les tuer. On disait qu'il y avait d'autres méthodes. C'est ce que vous disiez. Sont-elles aussi peu coûteuses et aussi faciles d'utilisation? Est-ce que le prévenu est le seul à agir de cette manière, alors que le reste du monde a adopté des méthodes moins cruelles?

C'est déjà dans la loi. Même si personne ici n'aime ces modifications, peu importe. Les préoccupations de l'industrie demeureront, parce que la loi existe toujours. Cet arrêt remonte à 1978. C'est donc attesté par la jurisprudence depuis 24 ans, et continuera d'avoir force de loi.

Les préoccupations au sujet des poursuites frivoles dont parlait le sénateur Stratton continueront d'exister, peu importe ces modifications, parce que les lois existent toujours. La loi vieille de 110 ans sera toujours là en janvier. Les craintes soulevées ne se rapportent pas uniquement à ce projet de loi, mais aussi aux lois actuelles.

Le sénateur Bryden: Je ne suis pas en désaccord avec vous mais vous ne répondez pas vraiment à la question.

Quand on pêchait le homard, on ne songeait pas à exercer une prudence quelconque, en prévision d'accusations au criminel, en vertu des lois existantes. Avec cette définition, toutefois, quelqu'un peut dire: «Le homard ressent la douleur; le homard est un animal». Par conséquent, la personne qui fait cuire le homard peut être accusée, peut-être en vain, en vertu de ce projet de loi, d'avoir traité un animal avec cruauté.

Le président: Je rappelle à mes collègues que nous avons encore quatre sénateurs qui veulent intervenir, et un autre groupe de témoins. Il faut terminer avant 13 h 30.

Le sénateur Smith: J'ai une question complémentaire.

Le président: Bien, mais je vous demande à tous de faire de brefs préambules à vos questions, pour que chacun puisse intervenir.

Le sénateur Smith: Le sénateur Bryden a piqué ma curiosité au sujet des possibilités théoriques relatives aux vertébrés et à la douleur. Pourrait-on prouver votre culpabilité, si vous vous êtes servis d'un piège à souris?

M. O'Sullivan: Non.

Le sénateur Smith: S'agit-il d'une zone grise? Je vous avoue que je m'en suis déjà servi moi-même.

M. O'Sullivan: En fait, dans votre exemple, si on parle d'une douleur causée sans nécessité, sauvagement ou cruellement, et cetera, comme le dit le libellé du projet de loi, il faut d'abord tenir compte des normes sociales. Dans la plupart des secteurs dont vous avez parlé, soit l'élevage du porc, du bétail, de la volaille, il y a des normes, ou des règlements, ou des normes sectorielles, sur l'abattage et la préparation des animaux. C'est ce qu'il y a de plus probant comme norme sociale. En tant qu'avocat, je dirais qu'il faudrait s'écarter de beaucoup de la norme sociale avant de pouvoir raisonnablement faire l'objet d'accusations.

Si vous avez des souris, on peut espérer que la souricière les tue instantanément, sans cruauté. Si le piège ne fonctionne pas bien, ce n'est pas parce que vous l'avez voulu. Vous n'avez pas agi sans nécessité, ni sauvagement, ni cruellement et personne ne pourrait dire le contraire.

Revenons au libellé et voyons ce qui se fait.

Les normes évoluent. La façon dont on tuait ou soignait les animaux il y a 30 ans a bien changé. Dans le secteur de la volaille et du porc, par exemple, on a fait évoluer les normes. Elles ne sont peut-être pas aussi bonnes que certains le voudraient, mais il y a eu du progrès.

Mme Bisgould disait que c'est à la société de faire avancer les choses, collectivement.

Si vous abattez des animaux ou si vous les tuez d'une manière qui respecte les normes sectorielles et de la façon dont on le fait en général, vous n'avez rien à craindre. Si vous les battez à mort avec une chaussure, alors, vous pouvez vous inquiéter.

Le sénateur Bryden: À moins que vous convainquiez tout le monde de faire comme vous.

Mme Bisgould: Les gens savent que les souris et les homards sont déjà protégés par les lois actuelles. La loi en traite déjà. La nouvelle loi limite la définition. On peut déjà accuser quelqu'un d'ébouillanter des homards, pourtant, personne ne l'a fait. Ce n'est pas illégal.

Le sénateur Bryden: Peut-être faudrait-il se contenter de la loi actuelle.

Le sénateur Baker: Madame Bisgould, dites-vous que la façon dont on tue les phoques n'est pas assujettie à cet article du Code criminel? Vous dites que cela relève de la Loi sur les pêches?

Mme Bisgould: Ce n'est pas ce que je voulais dire. Il ne peut y avoir d'accusations dans ce contexte. Les infractions se produisent sur les lieux de travail et à la maison. Mais la chasse au phoque et ses pratiques sont régies par le Règlement sur les mammifères marins de la Loi sur les pêches.

Le sénateur Baker: Bien entendu.

Mme Bisgould: C'est de ce régime qu'il faut parler, si on veut revoir la pratique de la chasse au phoque. Bien entendu, des accusations au criminel peuvent être portées dans n'importe quel contexte et dans celui de la chasse au phoque, je présume que vous savez qu'il y en a eu.

Le sénateur Baker: En vertu du Code criminel.

Mme Bisgould: Oui.

Le sénateur Baker: En vertu des dispositions du Code criminel.

Mme Bisgould: Les dispositions déjà existantes, oui.

Le sénateur Baker: Oui, mais aussi en vertu de celles-ci, qui remplaceront les dispositions actuelles.

Mme Bisgould: Eh bien, nous ne savons pas. Personne n'a encore été accusé, comme je le disais.

M. O'Sullivan: Si ce qui inquiète monsieur le sénateur c'est que quelqu'un agissant conformément à la loi décrite par Mme Bisgould pourrait faire l'objet d'accusations en vertu de ce projet de loi, je lui répondrai alors que ses agissements sont justifiés aux yeux de la loi étant donné que celle-ci le permet.

Le sénateur Baker: J'aimerais vous signaler que le 22 février de cette année, la juge en chef de la Cour suprême du Canada a déclaré dans l'arrêt unanime R. c. Ward:

Le Code criminel contient des dispositions interdisant la cruauté envers les animaux, et je suis disposée à supposer, sans toutefois le décider, que pour des raisons de paix publique, d'ordre, de sécurité, de santé et de moralité, la compétence fédérale en matière de droit criminel pourrait s'étendre aux interdictions d'abattage et au mode d'abattage comme les phoques.

C'est ce qui inquiète le sénateur Adams et d'autres Autochtones. Permettez-moi de vous poser la question suivante: Seriez-vous d'accord pour dire que les dispositions de cet article du Code criminel devrait exempter les chasseurs innus?

Un témoin nous a donné un exemple hier soir. Ainsi, il nous a dit que lorsqu'il harponne un phoque et qu'il le tire pour le sortir d'un trou avec un crochet, il est évident qu'il enfreint la loi. Devrait-il être exempté? Devrait-on également exempter des dispositions de cette loi le fait de prendre au piège des lapins ou de les étrangler?

Mme Bisgould: J'ose espérer que les membres des Premières nations qui s'adonnent à des activités traditionnelles ne feraient pas l'objet d'accusations criminelles au Canada.

Cela étant, ni eux, ni qui que ce soit d'ailleurs ne devraient jouir d'une exemption. C'est qu'en droit criminel, cela créerait un précédent extrêmement dangereux. En matière criminelle, on ne peut pas faire des lois, puis dire qu'elles s'appliquent à une personne, mais pas à une autre. Le droit criminel s'applique à tous au pays. Toutefois, nous prévoyons dans notre législation des défenses pour donner l'occasion aux gens de dire «J'avais une justification. J'avais une excuse légale».

Le sénateur Baker: Ou apparence de droit!

Mme Bisgould: «J'ai commis une erreur de fait», ce qui revient à la même chose.

Le sénateur Baker: Ou encore une erreur de droit!

Mme Bisgould: Il n'existe pas d'erreur de droit dans le contexte canadien, et je vais vous en parler.

Le sénateur Baker: Dans ce cas, seriez-vous d'accord pour que l'on inscrive ce qui est déjà disposé au paragraphe 429(2) pour couvrir ces cas?

Mme Bisgould: Est-ce que vous faites allusion à ce qui existe déjà au paragraphe 429(2) et aux répercussions que cela pourrait avoir, même si, comme chacun le sait, cette disposition n'a pas servi en 110 ans d'existence?

Le sénateur Baker: Cette disposition n'a jamais été utilisée?

Mme Bisgould: Elle n'a jamais été évoquée comme défense dans un procès criminel relativement aux dispositions touchant la cruauté envers les animaux, à l'exception de l'exemple évoqué par M. O'Sullivan, dans lequel il n'y avait pas d'apparence de droit.

Le sénateur Baker: Un autre exemple nous a été fourni hier soir. Selon le ministère de la Justice, le seul exemple connu est celui d'un agriculteur qui était endormi quand deux chiens sont arrivés sur sa propriété et ont fait fuir ses vaches. Sa femme l'aurait alors réveillé, puis il serait descendu avec son fusil de chasse et il aurait abattu un des deux chiens. Il aurait invoqué la défense d'apparence de droit, indiquant qu'il pensait avoir le droit d'abattre le chien. C'est la défense qu'il a invoquée. Or, vous êtes en train de nous dire que cette disposition a été utilisée dans un autre cas unique.

Mme Bisgould: Non, il s'agit du même cas.

M. O'Sullivan: Effectivement, c'est le même cas, soit l'affaire Comber. D'ailleurs, j'ai les minutes ici si vous souhaitez les lire.

Le sénateur Baker: Je vous pose une autre question: Est-ce que vous vous servez des systèmes Quicklaw ou eCARSWELL quand vous faites des recherches pour savoir s'il existe d'autres cas?

Mme Bisgould: Je suis incapable de déchiffrer le système eCARSWELL, et c'est pourquoi j'utilise Quicklaw. En outre, j'ai des contacts avec de nombreuses sociétés protectrices des animaux et je reçois copie des décisions non médiatisées.

Le sénateur Baker: Si vous vous servez des systèmes Quicklaw ou eCARSWELL, que la plupart des sénateurs ont dans leur bureau, et que vous consultiez cet article, vous trouverez de nombreux cas.

Un des cas les plus récents est celui d'un homme qui a abattu un taureau dans sa cour dans l'Ouest canadien, parce que celui-ci s'accouplait avec ses vaches alors que l'agriculteur faisait un certain type d'élevage. Le taureau, qui appartenait à un voisin, s'accouplait avec les vaches de l'homme en question, et c'est pourquoi il l'a tué. L'accusé a invoqué la défense d'apparence de droit. Au bout du compte, le juge a décidé qu'étant donné que l'agriculteur en question avait téléphoné à son voisin et qu'il l'avait prévenu de ce que faisait son taureau, il avait pris des précautions. Ainsi, le juge a déclaré que l'accusé avait fait le nécessaire et, par conséquent, il était innocent. Toutefois, l'accusé avait bel et bien invoqué le paragraphe 429(2), soit la défense d'apparence de droit.

Il existe de nombreux précédents à Terre-Neuve. Il y a, par exemple, le cas d'une fillette qui avait été mordue au visage par un chien. Le père de la fillette est allé voir le propriétaire du chien chez lui, l'animal est sorti de la maison en grognant, et le père de la fillette l'a étranglé. Celui-ci a été trouvé coupable. Il avait invoqué la défense d'apparence de droit, parce qu'il croyait sincèrement qu'il avait une justification légale d'agir comme il l'a fait et que ses actions étaient innocentes. Voilà la définition normale d'apparence de droit. Or, le juge l'a déclaré coupable, estimant qu'il n'aurait pas dû tuer le chien, même si celui-ci grognait et allait l'attaquer. Je pourrais passer la prochaine demi-heure à vous citer les différents cas où cette défense a été invoquée, mais en vain.

Mme White: Oui, c'est tout à fait exact.

Le sénateur Baker: La disposition a peut-être été invoquée à plusieurs reprises, mais toujours en vain.

Maintenant que nous avons tiré cela au clair, où est le mal à l'inscrire dans la loi? Après tout, nous sommes saisis d'un projet de loi. Vous avez été consultés à ce sujet. La peine prévue est plus sévère que celle pour des voies de fait simples.

M. O'Sullivan: La peine maximale, oui.

Le sénateur Baker: Vous avez approuvé ce projet de loi, parce que vous avez été consultés. Pour ma part, je n'ai pas réussi à comprendre, après l'avoir lu, ceux qui justifient que l'on considère qu'une blessure infligée à un chien d'assistance policière est plus grave qu'une blessure infligée à un chien quelconque. D'où émane cette conception, et pourquoi l'approuver? Comment est-ce qu'on en est arrivé là?

M. O'Sullivan: Je demanderai à Mme White de répondre à cette question, après quoi, je reviendrai sur la question de l'apparence de droit.

Mme White: Il est intéressant que vous posiez la question, parce qu'elle a déjà été posée par un des membres d'un comité parlementaire qui avait demandé expressément à ce que l'on inclue cette disposition étant donné que les chiens d'assistance policière sont exposés à de plus grands risques que les autres chiens et, par conséquent, on devrait leur assurer une plus grande protection.

Je ne pense pas qu'il y ait de distinction, mais il reste que le comité a jugé nécessaire de suivre cette voie, et c'est ainsi qu'est née cette disposition. C'était une décision de dernière minute, sur laquelle nous n'avons pas eu le temps de nous prononcer.

Le sénateur Baker: Est-ce que vous l'approuvez?

Mme White: En toute franchise, je ne vois pas la différence. Je partage votre avis, mais je ne pense pas que cela fasse une différence dans ce projet de loi en particulier. Pour ma part, je ne vois pas la différence entre un type de chien et un autre.

Il est vrai que des animaux comme les chevaux dont on se sert pour déplacer des gens et des chiens dont on se sert dans des situations particulières sont exposés à des risques plus élevés. N'étant pas juriste moi-même, je me contente simplement de vous indiquer quelle est la source de ce changement en particulier. L'idée n'a pas émané de nous.

Le sénateur Baker: Ne voyez-vous pas ce qui pourrait justifier cette distinction de la part du gouvernement? Cette distinction fait qu'on est passible d'une peine plus lourde, mais en plus, on va remplacer le chien d'assistance policière.

Le seul cas qui me vient à l'esprit à ce sujet est celui où la police avait porté des accusations contre un jeune homme. Je crois que l'affaire s'était retrouvée devant la Cour suprême du Canada. Deux jeunes hommes s'étaient introduits par effraction dans une école, et un chien d'assistance policière avait pris en chasse l'un d'entre eux. Celui-ci s'est retourné et a frappé le chien avec un levier. Il a donc été inculpé en vertu de cet article du Code criminel, et le juge, s'inspirant de divers précédents, a déclaré que le chien d'assistance policière faisait partie des forces policières. Le juge a décidé que le levier en question était une arme. Autrement dit, on peut être poursuivi en vertu de cet article du Code criminel.

Pour ces raisons, je présume qu'il a fallu faire une distinction spéciale entre un chien d'assistance policière et un chien quelconque. Cependant, je trouve plutôt étrange que tout le monde convienne non seulement de ce que la peine soit plus lourde, mais aussi de ce qu'il faille remplacer le chien d'assistance policière, parce que celui-ci était devenu craintif depuis qu'il a été frappé.

Mme White: Il faudrait faire attention quand vous dites «tout le monde», parce qu'il s'agit d'un amendement de dernière minute qui a été proposé par un membre du comité.

Le sénateur Baker: Un comité de la Chambre des communes, n'est-ce pas?

Mme White: Oui, c'était un comité de la Chambre des communes. En fait, c'était à la toute fin, après que tous les témoins eurent fait leurs exposés. Je ne pense pas que l'un d'entre eux ait eu l'occasion de donner son avis concernant cet amendement particulier. C'est plutôt une décision interne du comité. Ce n'est pas une position pour laquelle je serais prête à monter au créneau. Je ne me battrai pas pour cette décision à mon corps défendant.

En revanche, il y a bien des éléments de ce projet de loi que nous aimerions voir retenus, comme vous le savez déjà pour avoir entendu M. O'Sullivan à ce sujet.

Nous sommes satisfaits du projet de loi tel quel.

Le sénateur Baker: Auriez-vous objection à ce que l'on réintroduise dans la protection cette phrase, ou peu importe la formulation exacte, que ce soit une justification légale ou une excuse légale, comme l'a signalé M. O'Sullivan, c'est-à- dire que l'on réintroduise les trois défenses? De plus, on a remplacé le mot «et» par «ou» conformément à l'interprétation du tribunal. Avez-vous objection à ce que l'on réintroduise ces trois défenses dans le projet de loi?

M. O'Sullivan: Je pourrais peut-être vous aider sur ce point, si vous le permettez.

Le sénateur Baker: Nous comprenons votre raisonnement. Vous l'avez très bien expliqué. Cependant, j'aimerais savoir si vous avez objection à ce que ces trois défenses soient réintroduites, bien que vous souteniez que c'est déjà prévu dans la common law?

M. O'Sullivan: Vous avez raison sur le premier point, à savoir que c'est déjà prévu. C'est compris dans l'utilisation du terme «illicitement». Maintenant, quel est le contraire de quelque chose d'illicite? C'est la justification légale, n'est- ce pas?

En fait, l'utilisation du terme «illicitement» fait porter à la partie publique le fardeau de prouver que l'acte dont on se plaint est illicite, au lieu de laisser le soin à l'accusé de prouver le contraire dans sa défense.

Le sénateur Baker: C'est ce que dispose un article et un seul, n'est-ce pas? Cela ne couvre pas tous les autres articles.

M. O'Sullivan: Oui, c'est ce qui est disposé dans un article.

À mon avis, pour avoir lu le projet de loi, «apparence de droit» n'éveille aucune résonance, en raison du concept de l'erreur en droit civil, comme vous l'avez dit.

Le sénateur Baker: Vous avez raison sur ce point.

M. O'Sullivan: Comment quelqu'un peut-il tuer un chien avec brutalité et malice tout en pensant que son acte est justifié par une erreur de droit civil? On ne peut pas concilier les deux. Le principe a trait à la possession ou au droit concernant les biens.

Don Stuart a vécu dans le Nord pour l'essentiel de sa vie. Je l'ai connu quand il a enseigné à Osgoode et à Queen's. Il est l'auteur du meilleur manuel de droit criminel au Canada. Dans son livre, il parle du concept d'apparence de droit, et j'y ai fait allusion dans mon mémoire, comme ayant trait à des cas de possession de biens.

Il est donc déroutant d'inscrire ce concept dans ce projet de loi, parce que je n'en vois pas la pertinence. Si vous me demandez «Est-ce que cela cause un préjudice quelconque?», je vous répondrai que rien ne me vient à l'esprit. En revanche, c'est un peu comme ajouter à une voiture un accessoire qui n'a aucune utilité. Pourquoi l'ajouter alors, à moins que l'on pense que cela protégera quelque chose qui a besoin d'être protégé? Les gens se sont saisis de ce concept d'«apparence de droit». J'ai lu de nombreux mémoires, même que j'en ai tout un sac ici.

Le président: Monsieur O'Sullivan, je vous arrêterai là-dessus.

M. O'Sullivan: J'arrête; j'ai fini ce que j'avais à dire.

Le président: Monsieur le sénateur Baker, nous allons passer à autre chose. Nous avons un autre groupe de témoins à entendre.

Le sénateur Andreychuk: Comme d'après moi il serait injuste envers le panel suivant que nous continuions — et c'est bien dommage — il faudrait organiser notre temps de parole d'une manière plus juste.

Vous avez dit qu'il n'y avait pas de cas d'apparence de droit à l'exception de celui que vous nous avez mentionné. La majorité de ces affaires ont été entendues par des tribunaux provinciaux. La majorité du temps, ces affaires sont enregistrées sur magnétophone et la bande est gardée pendant un certain temps. Chaque province a une règle différente. Ensuite la bande est effacée. Les seules affaires dont nous entendons parler sont celles qui sont enregistrées ou celles qui ont fait l'objet d'un appel devant une cour supérieure.

Le sénateur Baker a des cas à citer, j'en ai quelques-uns. En fait, j'ai été mêlée à certaines de ces affaires en Saskatchewan. Cependant, elles n'ont pas été enregistrées. Pensez-vous comme moi que c'est possible? Je veux dire qu'il est possible qu'il y ait des affaires de ce genre, peut-être des affaires importantes, mais il n'y a pas eu appel ou les preuves n'ont pas été conservées car dans les tribunaux provinciaux la procédure est rudimentaire.

M. O'Sullivan: Je suis d'accord avec vous, des affaires de ce genre ont été jugées mais il n'y en a pas de trace matérielle que nous puissions consulter. Je n'irais pas jusqu'à dire comme vous qu'il y en a beaucoup.

Le bouche à oreille chez les avocats de la défense est tel qu'en cas de jugement de ce genre pouvant être utile cela se sait très vite. Je suis d'accord avec la première moitié de votre proposition. Par contre, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y en a beaucoup.

Le sénateur Andreychuk: Conviendrez-vous avec moi que le bouche à oreille marche tout aussi bien chez les trappeurs, les Inuits et les agriculteurs?

M. O'Sullivan: Oui.

Le sénateur Andreychuk: J'en resterai là même si c'est important.

Au début, vous m'avez troublée lorsque vous avez dit qu'il était définitivement impossible de l'utiliser contre les industries et les agriculteurs. C'est ce que vous avez semblé dire tous les deux. Cependant, ce que vous dites en réalité, c'est qu'il y a certaines normes communautaires et que ces normes évoluent. Ne conviendriez-vous pas que notre société est beaucoup plus complexe aujourd'hui et que nos opinions varient beaucoup plus qu'elles ne le faisaient auparavant parce que nous avons des méthodes de communication qui auparavant n'existaient pas ni à l'échelle nationale ni à l'échelle internationale? En conséquence, il est plus difficile de trouver une norme communautaire comme il y en a une pour le droit familial. Quand vous viviez dans une petite communauté où les gens élevaient leurs familles de la même manière, il était relativement facile d'arriver à une norme communautaire. Cependant, nos immigrants ayant de plus en plus des origines religieuses, raciales ou géographiques différentes, nous avons élargi la norme communautaire pour inclure un bien plus grand éventail d'opinions.

N'avons-nous pas fait la même chose pour les animaux? Ce qui ne nous dérangeait pas il y a vingt ans, nous dérange aujourd'hui, dans certains cas. Les nouvelles technologies nous ont fait faire des bonds en avant et nos perspectives sont différentes. J'espère que vous en convenez avec moi.

Est-ce que vous dites qu'il n'y a pas de différence au niveau de ce problème entre l'ancienne loi et le nouveau projet de loi? L'industrie continue toujours à courir ce risque? C'est le cas dans la loi actuelle et ce sera probablement le cas dans la nouvelle?

M. O'Sullivan: Oui. Je ne suis qu'un simple avocat, je ne suis pas sociologue. Cependant, je suis d'accord avec vos observations sur la complexité de notre société et l'évolution des normes. Pour revenir à ce que disait tout à l'heure le sénateur Bryden, il y a plusieurs communautés. Il y a la communauté de l'industrie du porc et il y a la communauté de l'industrie de la volaille. Leurs normes de traitement des animaux ont évolué.

Comme vous l'avez dit, les normes évoluent constamment. Cette question sera toujours avec nous; elle l'est dans la loi actuelle et elle le sera dans la nouvelle, exactement comme vous l'avez dit. C'est une constante à laquelle il faudra nous adapter, que la loi soit modifiée ou non.

Le sénateur Andreychuk: Convenez-vous avec moi que même si des avocats comme vous et moi disons que cela n'aura aucune incidence sur vous, le changement rend les gens nerveux?

M. O'Sullivan: C'est un excellent exemple.

Le sénateur Adams: Monsieur O'Sullivan, vous dites dans votre mémoire que cela n'aura pas d'incidence sur les chasseurs et les agriculteurs.

J'ai du mal à comprendre. Vous dites que la définition de «animal» devrait figurer dans le Code criminel. Je suis chasseur. Nous n'avons pas de homards comme le sénateur Bryden. Nous devons chasser et nous devons tuer.

Tous les ans maintenant, le gouvernement, les responsables de la Direction de la gestion de la faune, tout particulièrement, compte les animaux que nous mangeons. Nous avons droit à de moins en moins chaque année. Nos quotas ont été réduits. Les habitants du Nord du Québec ont besoin de 5 000 livres de graisse de baleine du Nunavut pour aller jusqu'à l'automne. Le projet de loi C-10, le projet de loi sur la cruauté envers les animaux, est tellement strict que les chasseurs hésiteront à tuer ces mammifères. Les responsables de la Direction de la gestion de la faune comptent combien de caribous se déplacent d'une région à une autre et le nombre de hardes. Ils savent combien il y a de hardes à tel moment pendant tel mois, ou des choses de ce genre. À tel moment du mois, il peut y en avoir 500. En avril, il peut ne plus y en avoir que 10.

Généralement, nous interrompons nos travaux pendant une ou deux semaines. J'en ai profité pour couvrir 800 milles en motoneige. J'ai vu des caribous tout le long du chemin. Les responsables de la faune se rendent parfois là-bas pour compter les baleines, les phoques, les ours polaires et les caribous.

Ils disent qu'il y a tellement de gens qui vivent dans ces régions qu'il faudra réduire les quotas. Dans les villages, les gens et les chasseurs disent qu'il y avait beaucoup plus de caribous et d'ours polaires autrefois. Pour moi, cela devient de plus en plus difficile chaque année. Une disposition de cette loi sur la cruauté envers les animaux devrait en tenir compte. La loi devrait en tenir compte.

M. O'Sullivan: Si je comprends vos inquiétudes, les quotas ne sont pas liés à ce projet de loi, soit directement soit indirectement. Cependant, je crois que ce que vous voulez nous rappeler c'est que les Inuits et les Indiens des Premières nations de ce pays ont la réputation de n'avoir jamais au cours de leur longue et honorable histoire infligé de peines inutiles aux animaux ou de les avoir traités avec cruauté. C'est un modèle que nous devrions tous imiter.

Je ne vois en aucune manière ce projet de loi avoir une incidence sur les pratiques de chasse culturelle des Inuits ou des peuples des Premières nations. Je crois que mes collègues seront d'accord avec moi.

Le président: J'aimerais remercier nos témoins d'avoir pris le temps de venir nous voir.

M. O'Sullivan: Merci, mesdames et messieurs, de nous avoir accordé votre attention et de nous avoir posé des questions judicieuses.

Le président: Nous aimerions maintenant souhaiter la bienvenue aux membres de notre deuxième panel: M. Robert Gardiner, président de la Canadian Association for Humane Trapping, et M. John Lavers, directeur de la Canadian Farm Animal Care Trust et vice-président de la Société protectrice des animaux de Terre-Neuve et du Labrador.

Messieurs, je crois que vous avez chacun un petit exposé que vous voulez nous faire.

M. John Lavers, directeur, Canadian Farm Animal Care Trust, et vice-président, Société protectrice des animaux de Terre-Neuve et du Labrador: Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs. Je suis très heureux de pouvoir vous parler aujourd'hui. Je ferai une petite déclaration et ensuite je répondrai à vos questions, si vous le souhaitez.

Pour commencer, je suis bénévole. Je viens témoigner en ma qualité de directeur de la Canadian Farm Animals Care Trust. J'y reviendrai dans un instant. Je suis également vice-président, à titre bénévole, de la Société protectrice des animaux de Terre-Neuve et du Labrador. Je vis et je travaille à Montréal.

À titre d'information, mesdames et messieurs, je suis ancien gendarme spécial de la Société canadienne pour la prévention de la cruauté envers les animaux. À ce titre, j'ai fait des enquêtes sur des plaintes d'abus, de négligence et de cruauté envers des animaux de cirque, de ferme et de compagnie.

J'ai une formation universitaire correspondante ainsi qu'une longue formation pratique. J'ai également élaboré des cours de formation avec les corps policiers, les forces de l'ordre, le milieu de la justice pénale et de la sécurité, ainsi que pour les inspecteurs vétérinaires.

J'ai une maîtrise en études policières et en droit pénal de l'Université d'Exeter au Royaume-Uni.

Pour ceux d'entre vous, honorables sénateurs, qui ne connaissent pas le Canadian Farm Animal Care Trust, il s'agit d'un organisme national sans but lucratif qui a pour mandat de favoriser l'élaboration et l'utilisation de systèmes destinés à aider les animaux de ferme. Nous avons pour objectif de minimiser le stress, les souffrances psychologiques et les blessures que subissent les animaux pendant l'élevage, le transport et l'abattage.

La Société protectrice des animaux de Terre-Neuve et du Labrador est un organisme caritatif qui a pour mandat de sensibiliser les gens aux problèmes concernant les animaux, de faire de la vulgarisation humanitaire et de prendre directement en charge le soin des animaux en cas de besoin.

Monsieur le président, honorables sénateurs, les nouveaux amendements ne contiennent rien qui soit susceptible de porter préjudice ou de poser des obstacles aux gens qui souhaitent chasser, pêcher ou utiliser des animaux en milieu agricole.

Certains mouvements ou organisations vous ont déclaré que les nouveaux amendements donneront lieu à des poursuites frivoles, mais la loi actuelle, qui est en vigueur depuis de nombreuses années, l'aurait déjà de toute manière permis. La principale justification donnée aux nouveaux amendements montre que le gouvernement du Canada est prêt à admettre que la cruauté, la négligence et les sévices infligés aux animaux sont inacceptables et que la législation actuelle a grandement besoin d'être modernisée.

Il s'agit maintenant de la question des sanctions. Les amendements au Code criminel prescriront des sanctions plus sévères en cas de condamnation. C'est la chose nécessaire pour que les juges soient mieux à même, étant donné que notre société est de plus en plus consciente des sévices faits aux animaux, de prononcer avec plus de latitude des peines correspondant exclusivement aux preuves qui leur auront été soumises.

Les juges des cours provinciales ont déclaré à plusieurs reprises que la loi ne leur permettait pas d'infliger une peine correspondante à la gravité du crime. Un peu plus tard, si les honorables sénateurs le souhaitent, je pourrais leur citer quelques exemples.

Les nouveaux amendements concernant les sanctions permettront au ministère public de demander au juge des condamnations à des peines appropriées. Par ailleurs, le projet de loi donnerait au juge le loisir d'accepter les recommandations du ministère public en prononçant des peines plus ou moins sévères selon le cas.

Je voudrais maintenant dire quelques mots du rôle que la législation actuelle joue au niveau de l'application du droit humanitaire ainsi que de l'évolution future du système de justice pénale.

La Société protectrice des animaux et les inspecteurs, enquêteurs et agents spéciaux ou autres resteront les premiers à intervenir pour faire enquête en cas de cruauté, négligence ou sévices envers un animal comme le prescrivent les lois provinciales. En vertu de la loi, ils sont placés sous l'autorité du ministre compétent.

Au Canada, ce sont les inspecteurs de la Société protectrice des animaux qui déposeront le dossier et les chefs d'accusation par l'entremise du ministère public ou à titre privé, selon les dispositions de la loi provinciale en vigueur.

Encore une fois, je dois insister sur ce point. Si les poursuites frivoles étaient la norme, il y en aurait déjà eu sous le régime actuel. Mais jusqu'à présent, que je sache, il n'y a jamais eu de poursuite à caractère malveillant tentée par un inspecteur, un enquêteur ou un agent, spécial ou autre.

Plus important encore, la nouvelle loi signalera au ministère public que les législateurs fédéraux veulent vraiment intervenir contre les cas de sévices, de négligence et de cruauté à l'endroit des animaux sous le régime du droit pénal. De cette façon, le processus sera plus transparent étant donné que le ministère public interviendra davantage au niveau des poursuites intentées dont il aura connaissance.

Dans l'espoir que les peines seront plus lourdes, le ministère public sera davantage disposé à se saisir de dossiers concernant les cas de cruauté envers les animaux. Malheureusement, cela n'a pas toujours été le cas.

Au bout du compte, les enquêteurs continueront à constituer les dossiers, après quoi le ministère public assumera son rôle, le tout débouchant sur le verdict prononcé par un juge. Le prononcé de la peine restera néanmoins du ressort du juge.

Je recommande donc que les amendements en question soient acceptés sous leur forme actuelle en ce qui concerne les peines. Je dois également insister sur le fait que ces amendements ont pour principal objectif d'assurer l'adéquation entre la loi, les normes et les comportements qui sont ceux de la société moderne. Nous avons tous pu voir ce processus à l'oeuvre dans le cas des nouvelles lois qui punissent les crimes économiques, de l'alourdissement des peines frappant la conduite avec facultés affaiblies, dans le domaine de la sécurité publique ainsi qu'au niveau du resserrement des peines dans le cas des crimes contre la personne.

Le projet de loi fera désormais relever les animaux, non plus de la partie du Code criminel consacrée aux biens, mais plutôt d'une partie distincte, ce qui permettra de donner plus d'importance aux animaux et de mieux les protéger tous. Après tout, il s'agit là du résultat de l'évolution permanente du droit en parallèle avec celle de notre société.

Enfin, la nouvelle loi répondra aux voeux et aux volontés de la société canadienne. Comme jadis, lorsque les sociétés protectrices des animaux et les sociétés humanitaires s'occupaient à la fois de protéger les enfants et les animaux, je vous exhorte à permettre l'adoption de ces amendements et faire ainsi en sorte que la loi parle au nom de ceux qui ne peuvent pas le faire eux-mêmes. Voilà qui conclut mon exposé.

Le président: Merci, monsieur Lavers.

M. J. Robert Gardiner, président, Canadian Association for Humane Trapping: Je vous remercie. Je suis le président de la Canadian Association for Humane Trapping et j'ai été administrateur, président et membre de nombreux organismes et comités s'occupant du bien-être des animaux, du commerce de la fourrure et de la faune.

La Canadian Association for Humane Trapping a été à l'origine d'un grand nombre de règlements concernant le piégeage sans douleur. Nous avons conduit des recherches sur différents types de pièges et avons joué un rôle directeur dans l'élaboration de normes concernant les pièges ainsi que dans la formation des trappeurs. Nous travaillons de concert avec les pouvoirs publics et l'industrie.

En ma qualité d'avocat et d'administrateur sortant de la Fédération des sociétés canadiennes d'assistance aux animaux, j'ai été le coauteur et le correcteur du manuel intitulé «Faire enquête sur les crimes contre les animaux» destiné aux inspecteurs de la SPCA. J'ai rédigé et présenté plus de 24 mémoires concernant la cruauté à l'endroit des animaux à des ministres de la Justice, à des commissions de réforme du droit ainsi qu'à la Chambre des communes.

J'ai approuvé plus de 1 4000 expériences menées sur plus de 100 000 animaux en qualité de membre d'un comité des bons soins aux animaux, et j'ai participé à l'élaboration de plusieurs codes de pratique agricole.

La Canadian Association for Humane Trapping est entièrement favorable au projet de loi C-10, tout comme tous les autres organismes canadiens qui s'occupent du bien-être des animaux. Il s'agit en l'occurrence de la troisième version de ce texte législatif depuis trois ans, et nous ne voulons plus d'autres changements.

Il s'agit d'améliorer le bien-être des animaux, et non pas leurs droits. Cela n'a absolument rien à avoir avec les droits des animaux, contrairement aux accusations portées par les représentants de l'industrie.

Le président et le directeur exécutif de la Canadian Association of Humane Societies sont avec moi-même à l'origine de ces propositions qui remontent à 1981. Nous avons eu environ 35 colloques sur ce sujet. Nous avons organisé ces colloques destinés aux inspecteurs de formation professionnelle qui travaillent pour la SPCA afin de les aider à s'acquitter de leurs fonctions d'exécution de la loi. Les lois provinciales donnent en effet aux diverses sociétés pour la prévention de la cruauté envers les animaux le pouvoir de faire ce genre de travail.

Les inspecteurs ont des pouvoirs semblables à ceux des agents de police qui leur permettent de fouiller des locaux, de saisir des animaux et de faire fonction d'agents de la paix selon la définition figurant à l'article 2 du Code criminel. Les SPCA s'acquittent de leurs responsabilités avec sérieux en ne poursuivant que les sévices graves. Moins d'un tiers de 1 p. 100 de toutes les plaintes concernant des sévices envers des animaux se traduisent par des inculpations. L'utilisation du Code criminel comme simple outil de vulgarisation permet de régler plus de 99 p. 100 de tous les cas de maltraitance criminelle.

Dans une ville qui connaît peut-être 10 000 dossiers de ce genre par an, moins de 26 de ces dossiers se retrouvent sans doute devant les tribunaux. Les concepts propres au droit des biens et le fait que le système judiciaire ne traite pas sérieusement les délits pourtant sanctionnés par le Code criminel ont eu pour résultat que de 33 à 46 p. 100 des inculpations ont conduit à des condamnations entre 1996 et 1998, et cela malgré le fait que ce sont des agents de la paix dûment qualifiés qui avaient procédé à des enquêtes minutieuses.

Les liens qui existent entre la cruauté envers les animaux et les cas de violence familiale et de meurtre sont désormais bien connus. Plusieurs ouvrages pourraient vous montrer, preuves à l'appui, tout comme d'ailleurs les feuillets d'information publiés par la Fédération des sociétés canadiennes d'assistance aux animaux qui établissent un lien très net entre la cruauté envers les animaux, la violence envers autrui, les assassinats en série et les tueries en milieu scolaire. La cruauté envers les animaux a un lien direct avec les cas de violence familiale, la chose est bien connue.

La prévention de la cruauté est le principe moral inébranlable qui sous-tend toutes les activités des SPCA, et c'est également un concept fondamental du Code criminel. Les animaux ont le droit d'être protégés contre tout acte de violence étant donné qu'ils connaissent la douleur.

Chaque année, des centaines et des centaines de reportages et des centaines de milliers de pétitions soumises au Parlement corroborent le fait que la population abhorre la cruauté envers les animaux et appuie ces amendements. Depuis quelques années, 27 États américains considèrent désormais qu'un acte de cruauté envers un animal est un crime et non plus un délit.

S'agissant du volet des biens, nous vous exhortons à faire en sorte que ces dispositions passent de la partie XI du Code criminel à la partie V.1. Jadis, le ministère public ainsi que les juges avaient tendance à minimiser les actes de cruauté lorsque le propriétaire d'un animal leur rappelait que le paragraphe 429(3) de la partie XI du Code criminel lui permettait de détériorer ou de détruire son propre bien.

Si je possède un bien, ce crayon par exemple, je peux le casser. Dois-je aussi pouvoir le faire comme bon me semble avec un animal? Non. L'animal connaît la douleur. Il faut certes que nous puissions porter préjudice aux animaux, mais il faut que nous le fassions de la bonne façon et avec tout le soin voulu.

Les gens continueront à être propriétaires de leurs animaux selon la loi et à tous les égards possibles, selon la jurisprudence, qui est abondante, ou les lois provinciales. Le droit des biens est de compétence provinciale et non fédérale. Par ailleurs, toutes les dispositions actuelles du Code criminel qui protègent les animaux en tant que bien demeureront.

Quiconque perpètre un acte de violence inutile ne saurait échapper à sa responsabilité pénale en invoquant son droit de propriété. Une partie distincte du Code criminel soulignera la véritable justification du délit de cruauté et enverra ainsi un message au système judiciaire ainsi qu'au grand public. Par contre, elle ne créera nullement de droits pour les animaux.

Le Code criminel s'occupe des obligations humaines et non pas des droits des animaux. Il est essentiel que les dispositions concernant la cruauté fassent la distinction entre les animaux et les biens personnels en insistant sur le fait que les animaux connaissent la douleur et que les êtres humains ont l'obligation morale de ne pas infliger de souffrances inutiles, même à un animal qui leur appartient.

Les poursuites frivoles ne poseront pas problème, et je serais heureux d'aborder cette question plus en détail. Vous connaissez tous l'incidence de l'article 507.1 qui exige une analyse indépendante effectuée par un juge et un procureur de la Couronne, ce qui interdira les recours de ce genre. Je crois que vous êtes parfaitement conscients que le ministère public joue ici le rôle de filtre.

J'espère que vous aurez quelques questions à me poser à propos de l'excuse légitime parce que cette question est manifestement déjà bien couverte par le paragraphe 8(3) du Code criminel et par la jurisprudence découlant de la cause R. c. Holmes. Toutes les industries qui utilisent les animaux sont déjà régies par les lois existantes ou par des normes particulières.

Il faut également que vous relisiez l'arrêt Ménard. Il est impossible de juger de ce projet de loi sans avoir parfaitement compris les tenants et aboutissants de cet arrêt.

Nous sommes formellement opposés à l'idée que certaines personnes ou que certaines industries puissent être exemptées. Le Code criminel doit s'appliquer à tous sans exception.

Le président: Merci, monsieur Gardiner.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que les droits civils et les droits de propriété étaient du ressort provincial. Par contre, dans le cas de certaines espèces, il y a également une loi fédérale.

M. Gardiner: En effet.

Le sénateur Beaudoin: Ces lois considèrent-elles également ces animaux comme des biens?

M. Gardiner: Pas les lois dont j'ai eu connaissance. Les lois fédérales, par exemple, concernent des questions de santé et non pas la question de la propriété. Les codes maritimes fédéraux s'occupent de pêche mais n'ont rien à voir avec le droit des biens. Seules les provinces pourraient légiférer dans ce domaine.

Le sénateur Beaudoin: C'est exact. Le droit des biens est de compétence provinciale, mais il y a néanmoins des lois fédérales concernant l'importation d'animaux. Nous devons suivre cette législation fédérale qui, pourtant, n'a aucune autorité en matière de bien.

M. Gardiner: Il est ainsi interdit d'importer au Canada un spécimen d'une espèce en voie de disparition. À peu près tous les pays du monde l'interdisent d'ailleurs aussi. Nous avons signé avec les États-Unis un traité concernant les oiseaux migrateurs. Il y a énormément d'exemples du même genre. Les lois comme celles-là ont pour simple objet des questions qui sont sans rapport avec le droit des biens. Il y a toutes sortes d'autres questions comme la conservation et la protection des espèces en voie de disparition. En fait, l'article 322 du Code criminel protège quand même d'une certaine mesure des biens dès lors qu'il interdit le vol du bien d'autrui, y compris les animaux. On interdit ainsi le vol mais il s'agit de l'aspect pénal de la chose. L'article 368 punit d'une peine de 10 ans la contrefaçon d'une marque apposée sur une bête d'élevage. Voilà le genre de protection que le Code criminel prévoit dans le cas d'un bien. La bestialité est également un délit punissable d'une peine de 10 ans. Mais là encore, il s'agit non pas d'une atteinte à un bien mais d'un attentat aux moeurs.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que la question de la propriété relève toujours des provinces dans ce cas.

M. Gardiner: Oui. Il devrait s'agir essentiellement d'une question de propriété si les provinces prennent des règlements à ce sujet. Si la réglementation est fédérale, il y aura alors empiétement sur les droits de propriété s'il existe un droit pénal légitime en application du Code criminel ou d'une autre loi.

Le sénateur Beaudoin: Cela ne m'inquiète pas. Les autorités fédérales en matière de droit pénal légifèrent l'importation et l'exportation d'animaux au Canada. Le fait n'en demeure pas moins que les questions de propriété relèvent de la compétence des provinces.

M. Gardiner: En effet, pour le but et la portée.

Le président: Pour donner suite à la question du sénateur Beaudoin, les articles 444 et 445, dans lesquels on fait la distinction entre le bétail et les animaux domestiques, sont maintenant remplacés par l'article 182.2, qui porte sur tous les animaux. Si cette mesure est adoptée, le fait de tuer un animal sans excuse légitime sera une infraction fédérale.

À votre avis, les lois provinciales pourraient-elles être invoquées comme excuse légitime pour tuer un animal lorsqu'un tel acte est contraire à une loi fédérale?

M. Gardiner: Oui. Lorsque l'affaire sera devant les tribunaux, le juge examinera la nature de l'infraction pour déterminer s'il y a eu souffrance sans nécessité, comme par exemple dans l'affaire Ménard.

Le président: Connaissez-vous la décision du juge Sopinka dans l'affaire Jorgenson? Il s'agissait d'une affaire d'obscénité, et le juge a déclaré que même si la Commission d'examen de l'Ontario déclarait que la distribution était acceptable, elle n'en demeurait pas moins une infraction à une loi fédérale.

M. Gardiner: Dans ce cas-ci, un juge doit évaluer les effets sur l'animal, les normes qui existent dans la collectivité et celles de l'industrie. Il doit, par exemple, tenir compte des normes du Conseil canadien de protection des animaux.

Le président: Je ne vais pas m'étendre sur le sujet, mais permettez-moi de vous donner un exemple précis. Supposons qu'un chasseur obtienne à Terre-Neuve un permis provincial pour abattre un animal. Considère-t-on qu'il s'agit d'une excuse légitime, dans la loi fédérale, puisqu'il n'y a aucun indice dans la loi de ce que cela est permis par la province?

M. Gardiner: Dans ce cas, il s'agirait d'une activité légitime, puisque la province l'a approuvée. Il ne saurait y avoir de meilleures preuves de la légitimité de l'activité, puisque la loi provinciale dit que toute personne titulaire d'un permis peut le faire.

Le président: La loi fédérale peut-elle déléguer cette responsabilité aux provinces sans l'inscrire dans la loi ou est-ce automatique, à votre avis?

M. Gardiner: Cela se fait dans tant de cas et de tant de façons différentes que le juge doit examiner comment cela se fait dans une industrie. Il serait ridicule pour un juge d'imposer des sanctions graves à quelqu'un qui ne fait qu'appliquer les normes habituelles en vigueur dans l'ensemble de la société. La Couronne ne pourrait même pas déposer d'accusations dans un tel cas.

Le sénateur Beaudoin: En droit pénal, cela pourrait avoir une incidence purement fortuite sur le bien, alors qu'il s'agit ici d'une question constitutionnelle.

Vous avez raison — la propriété relève des provinces. Il existe peut-être des lois fédérales qui touchent la propriété, mais c'est tout.

M. Gardiner: L'élément le plus important, par exemple, c'est que je suis propriétaire de mon chien; je peux le vendre, le louer, ou faire toutes sortes de choses parce que mon chien m'appartient, c'est ma propriété. Il n'y a aucune disposition à ce sujet dans le Code criminel. Toutefois, si je blesse mon chien et que je le torture, les tribunaux peuvent être saisis de l'affaire, et je peux mentionner de nombreux cas de ce genre. Lorsqu'un tel acte est posé sciemment et sans nécessité, il s'agit d'un crime, que la personne soit propriétaire ou non de l'animal.

Le sénateur Andreychuk: J'ai une question qui se fonde sur une hypothèse: Les abattoirs sont régis par des lois provinciales. Supposons qu'une loi permette d'abattre les animaux d'une façon différente de ce qui se fait dans les provinces et territoires. Supposons également que d'après les normes de la collectivité, cette méthode soit jugée cruelle et inhabituelle. La loi provinciale suffirait-elle dans un tel cas à éviter des accusations? Si la province le permet, pourrait-on néanmoins déposer des accusations sous le régime de la loi fédérale?

M. Gardiner: Le juge examinerait un tel cas en fonction de ce qu'une province permet. Si la méthode était cruelle et que les autres provinces la reconnaissaient pour telle, un juge pourrait bien décider de ne pas autoriser ce motif de défense. Il pourrait par contre estimer que c'est la norme applicable dans la collectivité. Le juge devrait statuer sur cette question.

Le sénateur Jaffer: J'ai une question à poser à M. Lavers au sujet de la définition du mot «animal». Vous avez précédemment fait des observations au sujet des homards, des souris, et cetera.

M. Lavers: La définition du mot «animal» dans l'amendement proposé n'est en rien différente de ce qui existe déjà dans diverses provinces depuis au moins 20 ans, à ma connaissance.

Dans certaines provinces et sous le régime de diverses lois sur la protection des animaux, il peut y avoir des différences dans l'utilisation du mot «vertébré» et les mots peuvent être dans une position différente dans les définitions. Toutefois, le fond est identique. La nouvelle définition qui est proposée ne diffère en rien de ce qui est appliqué dans d'autres provinces du pays.

Le sénateur Jaffer: J'ai entendu certains sénateurs parler des homards. Qu'en pensez-vous? Déposera-t-on des accusations sous le régime de cette loi proposée?

M. Lavers: D'après mon expérience, je n'ai jamais reçu de plainte ou fait d'enquête au sujet des homards.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Gardiner, pourquoi ne pas conserver les défenses de justification légale et d'apparence de droit?

M. Gardiner: Vous savez sans doute que cela se trouve déjà au paragraphe 8(3). Je suis sûr que vous avez déjà examiné cette disposition et les affaires qui y sont associées. Il existe toute une gamme d'excuses et de justifications en common law qui dépassent la simple excuse légitime et qui vont plus loin en tout cas que le concept de l'apparence de droit, qui est un concept peu important. Généralement, l'apparence de droit s'applique au droit des biens. Il a été mal utilisé dans la jurisprudence. Les accusations relatives aux animaux en droit pénal n'ont rien à voir avec l'apparence de droit, qui est un concept de bien. Il est important de retirer ce concept dans la partie XI, tel qu'il existe actuellement. À mon avis, il y a deux éléments de la partie XI que je juge «néfastes».

Voici ce que dit le paragraphe 429(3) du Code criminel:

Lorsque la destruction ou la détérioration d'une chose constitue une infraction [...]

b) Le fait qu'une personne possède un intérêt entier dans ce qui est détruit ou détérioré ne l'empêche pas d'être coupable de l'infraction si elle a causé la destruction ou la détérioration dans le dessein de frauder.

Le principe, dans ce cas-ci, c'est que vous avez le droit d'endommager votre bien si vous la possédez entièrement et vous n'avez aucun dessein de frauder qui que ce soit. Il s'agit de la conjugaison de cette apparence de droit et de l'idée que vous pouvez détruire votre propre bien. Enfin, des gens ont invoqué cette défense et cela fait partie de la façon dont les procureurs de la Couronne envisagent les infractions de cruauté envers les animaux. Pourtant, cela n'a rien à voir avec de telles infractions, puisque les crimes commis contre les animaux n'ont rien à voir avec le droit des biens. Ces dispositions se trouvent tout simplement incluses dans les articles sur les biens. Il est important de créer une partie distincte qui met l'accent sur l'infraction réelle, c'est-à-dire le fait de causer une douleur ou une souffrance sans nécessité à un animal.

Le sénateur Jaffer: Outre l'affaire Comber, y en a-t-il eu d'autres au sujet de l'apparence de droit?

M. Gardiner: L'affaire Comber est la mieux connue. Je sais que l'apparence de droit a été invoquée dans d'autres affaires non signalées. Je n'ai jamais entendu dire qu'on avait fait droit à cette défense, et pourquoi l'aurait-on fait? Cela n'a aucun rapport avec la réalité. C'est par erreur que cela a été inscrit dans la loi en 1892, en tout cas en ce qui a trait aux animaux. L'apparence de droit s'applique tout à fait aux infractions relatives aux biens visés par la partie XI.

Le sénateur Joyal: J'ai également une question à poser à M. Lavers au sujet de la définition. La définition du mot «animal» s'applique-t-elle aux animaux au stade prénatal, encore dans l'oeuf, avant leur naissance?

M. Lavers: Je dirais que compte tenu de la législation dans diverses provinces — et je suppose que vous pensez précisément à la question des vertébrés — ces arguments ont déjà été examinés. Je ne suis certainement pas en mesure d'en discuter parce que je n'ai pas participé à ces discussions, mais je dirais en contrepartie: «Avons-nous une définition de «douleur»?»

Le sénateur Joyal: C'est la deuxième partie de ma question. Pouvez-vous me donner un exemple de lois provinciales où l'on définit les «animaux» en fonction de ceux qui peuvent éprouver de la douleur? Citez-moi une loi provinciale qui inclurait cette définition.

M. Lavers: Je vais vous donner l'exemple d'une loi de Terre-Neuve et du Labrador. Un animal s'entend d'un vertébré non humain. On décrit ce qu'est la détresse, et le mot «douleur» est employé dans la définition de «détresse». Si vous voulez, je peux vous le lire.

Le sénateur Joyal: S'il vous plaît.

M. Lavers: L'alinéa 2b) de la loi portant sur la protection des animaux dispose que la détresse s'entend de (traduction) «le fait d'avoir besoin de soins appropriés, de nourriture ou d'un abri ou d'être blessé, malade ou souffrant, ou d'être l'objet de difficultés, de privations ou de négligence indues ou inutiles».

Le sénateur Joyal: Oui, mais ce n'est pas inclus dans la définition même de la loi?

M. Lavers: La définition de?

Le sénateur Joyal: Des animaux.

M. Lavers: C'est l'alinéa b).

Le sénateur Joyal: Lisez le premier article

M. Lavers: L'alinéa 2a) dispose que «animal» s'entend d'un vertébré non humain.

Le sénateur Joyal: Voulez-vous poursuivre?

M. Lavers: Cela continue à l'alinéa b) où l'on donne la définition de détresse.

Le sénateur Joyal: Oui, je comprends qu'on peut définir le mot «détresse» en incluant la douleur, entre autres choses, mais cela ne fait pas partie de la définition de l'objet de la loi.

M. Lavers: L'objet de la loi c'est l'animal.

Le sénateur Joyal: Exactement. C'est-à-dire, l'animal de la façon dont on le définit.

M. Lavers: C'est juste.

Le sénateur Joyal: Je pose cette question parce que j'ai essayé de voir si dans d'autres provinces ou pays de common law on aurait inclus cet aspect dans la définition. Je ne suis pas parvenu à en trouver où on l'a inclus comme c'est proposé dans ce projet de loi. C'est pourquoi j'estime qu'on introduit dans la définition un élément qui nécessite une preuve additionnelle qui n'existe pas objectivement dans la première partie. Dans une partie, il y a un critère objectif, soit que l'animal doit être invertébré. On peut scientifiquement établir que c'est un vertébré. On le sait déjà. Il y a déjà des classifications à cet effet. Tout dictionnaire biologique énumère les vertébrés. C'est facile à comprendre. Cependant, pour ce qui est de la deuxième partie, on dispose qu'il y a d'autres critères, notamment le fait de faire partie des êtres vivants qui ont la capacité d'éprouver de la douleur. Cela veut dire qu'il faut appliquer le critère scientifique.

Je ne refuse pas par principe d'inclure cela dans le projet de loi, mais je me demande si cela s'est déjà fait ailleurs afin que nous puissions savoir exactement ce que recouvre ce projet de loi.

M. Lavers: Ce débat même a déjà eu lieu dans divers tribunaux au Canada où l'on a tenté de définir ce que sont la douleur et la détresse eu égard à l'objet en question, soit l'animal.

Le sénateur Joyal: Vous introduisez ici d'autres éléments. Vous introduisez la capacité de réagir à quelque chose dans la définition de l'être. Et c'est pourquoi la formulation de cette définition me pose un problème. Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas trouvé d'autres critères similaires dans d'autres lois provinciales ni dans d'autres pays de common law, que ce soit la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie. Je veux savoir exactement pourquoi, subitement, nous introduisons dans la définition un élément qui n'est pas lié à l'être en soi mais à une réaction à quelque chose d'extérieur. C'est là qu'on introduit quelque chose de nouveau.

Vous étiez présent ce matin quand nous avons entendu d'autres témoins. J'emploie l'expression «les normes évoluent».

Le sénateur Andreychuk: Les normes de la communauté.

Le sénateur Joyal: Nous l'avons entendu dire à maintes reprises autour de cette table ce matin. Notre réaction à certains comportements évolue parce que nous les normes évoluent. Comme l'a dit le sénateur Andreychuk, une méthode d'abattage peut être acceptée dans une province et refusée dans les neuf autres, et vous avez vous-même dit que le juge examinerait ce qu'il en était dans les autres provinces. On procède par comparaison.

Je me préoccupe des peuples autochtones. Par principe, je n'aime pas l'idée que les normes qui évoluent dans la société de la partie sud du pays pour le bien du Canada — et je ne m'oppose pas à l'évolution des normes — soient imposées aux peuples autochtones et à leurs modes de subsistance traditionnels, soit la chasse et la pêche.

Cela me gêne parce que les peuples autochtones sont protégés. Leurs droits de chasse et pêche sont protégés par la Constitution depuis 1763.

Comment pouvons-nous formuler le projet de loi pour nous assurer de reconnaître que les normes évoluent sans entraver les droits ancestraux des peuples autochtones en matière de chasse et pêche?

Le code contient des conditions et des dispositions particulières sur les peuples autochtones. Le Parlement, de même que le comité, a accepté l'année dernière d'apporter une modification à la Loi sur les jeunes contrevenants pour reconnaître, en matière de détermination des peines auxquelles on condamne de jeunes Autochtones, qui constituent la majorité de la population carcérale, leur statut d'Autochtones et les conditions dans lesquelles ils vivent. Je me demande si, en ce qui concerne les éléments de défense énoncés dans ce projet de loi, nous ne pourrions pas en formuler un où il serait tenu compte, notamment, des pratiques traditionnelles de chasse et pêche des peuples autochtones sur leurs territoires afin de les protéger d'accusations d'avoir agi illégalement ou d'avoir causé des douleurs.

Je peux vous donner un exemple de pratique de chasse traditionnelle qui, selon ce projet de loi, serait probablement jugée cruelle.

M. Gardiner: D'abord, le Code criminel s'applique à tout le monde, mais il comporte aussi des éléments de défense pour tous. Par exemple, les préoccupations que vous exprimez seraient la plupart du temps couvertes par l'expression «On ne peut pas causer de souffrances inutiles». L'arrêt Ménard montre clairement que les humains ont le droit de faire un usage légitime des animaux dans la société pour diverses raisons, dont un bon nombre peuvent ne pas être énumérées. La seule chose, c'est qu'on ne doit pas sciemment causer de souffrances inutiles et qui peuvent être évitées. On peut recourir à des moyens raisonnables pour tuer un animal en le faisant souffrir le moins possible.

Il peut souffrir de façon évidente. Il m'arrive à l'occasion de causer manifestement des souffrances à des animaux quand je les tue pendant des travaux de recherche médicale ou en les prenant au piège, dans le cadre de mon travail, car des animaux peuvent être pris dans un piège avec une patte cassée pendant 72 ou 96 heures, par exemple. Si je le fais dans un but légitime et conformément à la loi, je sais que je suis protégé. En outre, je sais qu'on ne pourrait pas porter d'accusations contre moi parce qu'existe cet élément de défense dans la loi, qui est inhérente à la protection dans le cas de tous les délits prévus au Code criminel.

Les peuples autochtones sont réputés pour leur respect des animaux. Leurs modes traditionnels de chasse, de piégeage, de pêche et d'autres activités semblables se perpétuent depuis toujours. Ils sont protégés par leurs droits issus de traités. Si un avocat de la Couronne voulait porter une accusation dans un cas donné, ce qui est l'étape la plus difficile à franchir, et que le juge en fin de compte devait rendre une décision, le juge tiendrait compte des normes en vigueur dans la communauté et de la façon dont on y agit.

Le président: Je regrette, mais je dois interrompre le sénateur Joyal. Il nous reste cinq minutes. Si nous en avons le temps, nous y reviendrons. Cependant, il y a d'autres sénateurs qui souhaitent prendre la parole. J'aimerais leur donner l'occasion de le faire.

Le sénateur Stratton: Je dois me rendre au Sénat sous peu à titre de whip.

J'ai demandé la liste des témoins que nous pourrions entendre, et je sais que d'autres aimeraient aussi la voir. Pourrait-on nous la distribuer? Nous n'ajouterons pas nécessairement de nouveaux noms. Nous voulons nous assurer que ceux que nous avons proposés sont bien invités à comparaître. Êtes-vous d'accord?

Le président: Allez-y.

Le sénateur Baker: J'aimerais poser une question à nos témoins qui soutiennent que l'expression «avec apparence de droit» et même toute la phrase ne devrait pas figurer dans le projet de loi. C'est du moins ce que je crois que M. Gardiner disait.

L'expression «avec apparence de droit» figure à plusieurs endroits dans le Code criminel. Je pense qu'on la retrouve pour la première fois à l'article 72, et elle apparaît régulièrement dans le Code criminel jusqu'aux articles 300. Plus récemment, l'expression a été ajoutée aux articles portant sur la fraude informatique. Des lois récentes ont repris cette phrase. Je vais vous donner un exemple que M. Lavers connaît bien. La Loi sur les pêches a été modifiée récemment et on y a ajouté l'article 78.6 qui énonce que nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à la présente loi s'il établit: soit qu'il a pris les mesures nécessaires pour l'empêcher; soit qu'il croyait raisonnablement et en toute honnêteté que l'existence de faits, avérés, l'innocenterait. Il s'agit donc d'une justification ou d'une excuse légale pour leurs actes, ce qui est la définition qu'on donne normalement à l'expression «avec apparence de droit».

La Loi sur les pêches ne comporte pas l'expression «avec apparence de droit», mais elle comporte cette notion. Cette expression se retrouve d'ailleurs dans de nombreuses lois fédérales. Voilà pourquoi, à ma connaissance, les personnes qui sont accusées d'avoir pêché illégalement ou d'avoir tué illégalement des phoques, en particulier lorsqu'il s'agit de quotas de pêche, invoquent le moyen de défense prévu à l'article 78.6. Ils soutiennent soit avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir l'infraction, soit le motif prévu à l'alinéa b), qui est en fait le motif de défense de l'apparence de droit.

Nous pourrions débattre la question toute la journée, mais faut-il en conclure que toutes les modifications récentes apportées à la Loi sur les pêches et à d'autres lois n'auraient pas dû être adoptées parce que ce motif existe déjà de toute façon? Est-ce bien ce que vous dites?

M. Gardiner: L'«apparence de droit» est un type d'excuse légitime. Les termes «excuse» et «justification» sont deux termes de portée générale. L'expression «excuse légitime» est plus précise. L'expression «apparence de droit» est très précise. Si vous êtes accusé de cruauté envers un animal, vous serez innocenté si vous invoquez le motif de défense de l'excuse ou de la justification. L'un ou l'autre pourrait être une excuse légitime. Il ne vous servira à rien d'invoquer le motif de défense de l'apparence de droit.

Le sénateur Adams: Monsieur Gardiner, je vous ai peut-être mal compris, mais je pense vous avoir entendu dire que les animaux avaient des droits de propriété. Peut-être songiez-vous seulement aux animaux de compagnie. Le Nunavut, par exemple, possède maintenant un parc national qui s'étend sur plus de 40 000 km2. Des caribous habitent ce parc. Faut-il y conclure que lorsque le projet de loi aura été adopté, ces animaux posséderont des droits de propriété?

M. Gardiner: Ces animaux jouiront des mêmes droits que ceux dont ils jouissaient auparavant. Toutes les protections qui s'appliquaient à eux continueront de s'appliquer. Qu'il s'agisse d'animaux appartenant à la Couronne, d'animaux appartenant à un particulier ou d'animaux sauvages, les droits de ces animaux demeureront les mêmes. Le nouveau projet de loi ne change rien à cet égard.

Le sénateur Adams: Ainsi, si je tue un animal dans un parc, est-ce que je serais accusé de cruauté envers les animaux?

M. Gardiner: Seulement si vous tuez un animal de façon très cruelle. Des animaux sont souvent tués de façon cruelle sans que des accusations criminelles ne soient portées. Ce n'est que lorsqu'il est possible de prouver que cette cruauté était volontaire que des accusations peuvent être portées.

Le président: Je dois vous interrompre, sénateur Adams.

Le sénateur Adams: Je n'ai pas tout à fait terminé. Je crois que le droit autochtone reconnaît aux Autochtones le droit de chasser où bon leur semble et même dans un parc.

Le président: La sonnerie retentit toujours, mais je pense qu'elle est sur le point de s'arrêter. Nous devons quitter la salle d'ici 13 h 30. Nous allons lever la séance. Je remercie nos témoins de leurs exposés.

La séance est levée.


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