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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages du 27 février 2003


OTTAWA, le mardi 27 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 10B, Loi modifiant le Code criminel (cruauté envers les animaux), se réunit à 10 h 55 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, aujourd'hui, nous avons deux sujets à l'ordre du jour: la poursuite de l'examen du projet de loi C-10 et le budget du comité. Je vous propose d'entendre notre groupe de témoins du ministère de la Justice et, compte tenu du fait que le Sénat siège à 13 h 30, nous allons essayer de terminer à 13 h 15 et, s'il nous reste un peu de temps, nous consacrerons les 10 ou 15 dernières minutes à une discussion du budget à huis clos.

Nous allons donc examiner les modifications aux dispositions du Code criminel qui traitent de la cruauté envers les animaux.

Nos témoins ont déjà comparu et présenté des observations liminaires. Je vais tout de même leur donner la possibilité de nous parler pendant cinq à dix minutes, s'ils le souhaitent, parce que je sais que le ministère de la Justice a suivi de près ces audiences. Nous allons entendre Mme Klineberg et M. Mosley. Voulez-vous présenter quelques observations ou préférez-vous que nous passions directement aux questions?

M. Richard G. Mosley, sous-ministre adjoint, Division de la politique en matière de droit pénal et de la justice communautaire, ministère de la Justice du Canada: Monsieur le président, nous allons passer directement aux questions. Nous n'avons pas préparé de commentaires pour ce matin.

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur l'apparence de droit. D'après moi, c'est une règle d'interprétation et le ministère de la Justice n'a pas proposé d'amendement. Hier, M. Sklar n'a pas proposé d'amendement mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de la possibilité de mentionner cette défense parce que cela serait avantageux. Pourquoi avez- vous traité l'apparence de droit de la façon dont vous l'avez fait? Je crois savoir qu'il y avait une autre possibilité.

M. Mosley: Comme je l'ai dit lors de notre dernière comparution, le ministère estime qu'il n'est pas nécessaire de mentionner expressément l'apparence de droit dans ces dispositions, puisque cela est prévu par la common law.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas nécessaire?

M. Mosley: Ce n'est pas nécessaire. Grâce à l'amabilité de votre personnel, nous avons reçu une transcription des débats d'hier. Je n'y ai pas assisté, mais j'ai eu la possibilité de lire la transcription et les commentaires de Mme Ruth Sullivan, qui a parlé d'une façon générale des défenses de common law. En réponse à une question que lui posait le sénateur Andreychuk, elle a déclaré: «Elles ont probablement été conservées par erreur. Je ne suis pas d'accord avec vous sur tous les points, parce qu'à l'origine, le code contenait toute une série de moyens de défense prévus par la common law. Les législateurs les ont supprimés progressivement.» Elle a déclaré ensuite qu'en 1954, les références étaient beaucoup plus nombreuses. Je ne pense pas que cela soit exact, mais je souscris à son argument général selon lequel les rédacteurs se sont efforcés de nettoyer le code en supprimant les références à ce que l'on pourrait qualifier des «dispositions d'apaisement», qui tentent de répondre aux préoccupations exprimées par divers groupes au cours des années.

Elle poursuit:

C'est sans doute une erreur. Cette défense n'a pas été supprimée au moment de la rédaction. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de mentionner les défenses de common law pour qu'elles puissent être invoquées. Je pense qu'elles figuraient là à titre indicatif, voire à titre d'apaisement. Selon les normes actuelles de rédaction législative, il n'y a pas lieu de les insérer.

Je souscris à cette observation. C'est ce qu'essaie de faire le ministère de la Justice lorsqu'il rédige des lois, en particulier avec le Code criminel. On a ajouté beaucoup de choses au cours des années. Je ne pense pas qu'il y ait eu, depuis l'adoption du code en 1892, une seule session du Parlement au cours de laquelle on ne l'ait pas modifié. Lorsqu'on examine l'historique de ce texte, il est difficile de savoir exactement pourquoi l'on a inséré autant de références. À d'autres occasions, on peut trouver des demandes émanant de groupes d'intérêt qui veulent obtenir certaines garanties pour protéger leurs activités. J'imagine que c'est ce que vous avez constaté ces dernières semaines, pour ce qui est de cet aspect particulier.

La position qu'a adoptée mon ancien collègue, M. Code, un éminent criminaliste, avec qui j'ai longtemps travaillé et pour lequel j'ai le plus grand respect, m'a beaucoup surpris. Nos opinions sur ce sujet sont diamétralement opposées et nous pourrions souscrire presque intégralement aux opinions exprimées hier par M. Sklar.

Lorsque j'ai lu le témoignage de M. Michael Code, il y a une chose qui m'a frappé. Je crois qu'il s'est fondé sur un principe erroné. Nous n'avons pas reçu son opinion et j'imagine que le comité ne transmet pas automatiquement à notre ministère les opinions qui lui sont soumises. Je n'ai donc pas lu son opinion écrite, ni celle de plusieurs autres témoins. Il est arrivé que des témoins nous remettent eux-mêmes une copie de leur opinion.

M. Code mentionne que les éléments qui font partie de la common law britannique ne font pas tous nécessairement partie de la common law canadienne. À première vue, il a tout à fait raison parce que la common law a continué à évoluer et elle a évolué différemment au Canada et dans les autres pays de tradition de common law qu'au Royaume- Uni. Il existe aujourd'hui des différences importantes dans notre droit pénal, pour ce qui est des aspects de common law.

J'ai trouvé curieux qu'un criminaliste adopte ce point de vue, en partie parce qu'il est contraire aux intérêts des criminalistes. Il est certain que l'argument selon lequel un moyen de défense qui n'est pas expressément mentionné ne peut être invoqué, va compliquer la tâche des avocats qui essaieront de soutenir devant la Cour suprême du Canada qu'il est possible d'invoquer cette défense à l'égard d'une infraction particulière et dans les circonstances où elle a été commise. Je mentionnerais que, dans l'autre endroit, les représentants de la section nationale de la justice pénale de l'Association du barreau canadien, de l'Ontario Criminal Lawyers Association et M. Ruby ont défendu le point de vue contraire.

Hier soir, le sénateur Beaudoin et moi avons parlé de Taschereau parce qu'il est utile de revenir aux sources de notre droit pénal, en particulier lorsqu'on examine une question de ce genre. Cela fait-il partie ou non de la common law? Les écrits de Taschereau qui sont antérieurs à l'adoption du code de 1892 et ceux qui sont postérieurs à l'entrée en vigueur de ce code, montrent à l'évidence que Taschereau reconnaissait que l'apparence de droit faisait partie de la common law du Canada. Il utilise pour en parler ce qu'on appelait la «notion d'intention criminelle». Il explique comment l'intention criminelle englobe la notion d'apparence de droit.

Pour beaucoup d'entre nous, le code Martin de 1955 est la bible de l'élaboration du droit pénal au Canada au cours du dernier siècle. Vous souvenez que la Commission Martin a oeuvré pendant près de quatre ans à la révision, à la mise à jour et à la rationalisation du code, tel qu'il était en 1948. La Commission a fait rapport au Parlement en 1952. Au cours des années qui ont suivi, le Parlement a adopté une série de projets de loi qui ont débouché sur le code de 1955. C'est la dernière révision générale de cette loi.

Martin remonte à Bentham pour expliquer que la règle fondamentale «Tu ne voleras pas» n'a aucun sens lorsqu'il faut l'appliquer concrètement devant les juridictions pénales. Il faut l'interpréter dans le contexte des droits, notamment de propriété, et de tout ce qui les entoure. La règle ne dit pas simplement: «Tu ne voleras pas». Elle dit: «Tu ne voleras pas si tu n'as pas un droit sur ce bien [...]».

Avec tout le respect que je dois à ceux qui entretiennent l'opinion contraire, il me paraît trop étroit de se référer uniquement au code tel qu'il se lit en février 2003, et sur la façon dont il a été rédigé au cours du siècle dernier et un peu plus.

Les rédacteurs, à commencer par ceux qui ont rédigé le projet de code anglais au cours des années 1870, essayaient d'écrire une loi qui serait utilisable par des lecteurs qui n'ont pas reçu de formation juridique. C'était également un des objectifs des rédacteurs du code de 1892 au Canada. Aucun des magistrats qui ont utilisé le code à cette époque, et même par la suite, n'avait de formation juridique. L'intention était d'exposer le droit tel qu'il était au moment de l'adoption du code. Ce code n'a toutefois pas remplacé la common law. En fait, le code déclare expressément qu'il n'a pas pour effet de supprimer les moyens de défense de common law.

Je respecte beaucoup mes collègues pénalistes qui pensent de cette façon, mais notre position, et c'est celle que nous avons adoptée depuis le début de ce débat, est que l'apparence de droit fait partie de la common law britannique. Cette notion a été adoptée au Canada avant l'entrée en vigueur du Code criminel, et elle continue de faire partie de la common law canadienne.

Voilà une réponse bien longue à votre question, mais je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de faire figurer tout cela au procès-verbal.

Le sénateur Beaudoin: Merci pour votre réponse. Je l'ai trouvée très intéressante.

Hier, M. Chipeur a parlé de la Déclaration canadienne des droits de 1960. Nous savons que la Charte des droits et libertés de 1982 ne protège pas le droit de propriété. Par contre, la Déclaration des droits de 1960, qui ne fait pas partie de la Constitution, traite du droit de propriété. Avec le projet de loi C-10, ce droit de propriété disparaît, si j'ai bien compris le sens de ce projet. Cependant, sans le projet de loi C-10, le droit de propriété existe.

Que pensez-vous de l'argument fondé sur la Déclaration des droits de 1960? M. Chipeur est contre le projet de loi, comme vous le savez.

M. Mosley: J'ai lu tout cela avec beaucoup d'intérêt. C'est un argument nouveau et je crois qu'il n'a jamais encore été soulevé. Je n'ai pas eu l'impression en lisant la transcription des débats d'hier que les autres témoins que vous avez entendus appuyaient cet argument.

La Déclaration des droits est toujours en vigueur. Le ministère de la Justice a toujours une obligation légale en vertu de la Déclaration des droits, tout comme il en a une avec la Charte. Il est tenu de certifier que tous les projets de loi sont conformes à la fois à la Déclaration des droits et à la Charte. Nous ne présenterions pas un projet de loi si nous pensions qu'il était le moindrement incompatible avec la Déclaration des droits.

Je crois que notre point de vue a été exprimé hier par plusieurs autres témoins. Ce projet de loi ne modifie pas le droit de propriété sur les animaux. Si vous êtes propriétaire d'un animal aujourd'hui, vous continuerez à en être propriétaire le lendemain de l'entrée en vigueur de ce projet de loi. Ce texte ne diminue en rien vos droits dans ce domaine. Vous ne pouvez tuer cet animal sauvagement, cruellement ou inutilement, mais vous continuez à en être propriétaire, et vous avez tous les autres droits de propriété. Cela fait longtemps qu'au Canada les personnes qui possèdent des animaux ne peuvent les traiter comme elles le veulent.

C'était l'hypothèse de base du témoignage de M. Chipeur. Il pensait que l'on pouvait faire avec un animal tout ce qu'on voulait parce que c'était un sujet ordinaire du droit de propriété. M. Sklar a également traité de ce point en disant qu'il ne s'agissait pas d'un objet de propriété habituel et que cela était reconnu par notre droit pénal depuis plus de 50 ans.

C'est pourquoi nous ne pouvons souscrire à l'affirmation selon laquelle ce projet est incompatible avec la Déclaration des droits.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez raison de dire qu'il était isolé sur ce point. M. Sklar a exposé hier une opinion exactement contraire à celle-là.

Le sénateur Baker: Monsieur Mosley, nous parlions hier du fait que la Cour suprême et nos tribunaux faisaient référence aux débats de notre comité — il faisait plus précisément référence aux déclarations contenues dans les documents officiels.

Le sénateur Beaudoin et moi avons échangé quelques mots au sujet de l'arrêt R. c. Sharpe. C'est une décision de la Cour suprême du Canada de 2001. Au paragraphe 127, le juge en chef fait référence aux délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et à une déclaration du sénateur Beaudoin. Le juge en chef, parlant au nom de la Cour, a salué la clairvoyance du sénateur Beaudoin lorsqu'il a déclaré: «Comme l'avait prédit le sénateur Beaudoin [...]» et il a ensuite poursuivi en citant la déclaration qu'a faite au comité le sénateur Beaudoin.

Lorsque j'ai examiné les déclarations que vous faites devant les comités permanents et la façon dont elles sont utilisées par les tribunaux, j'ai également retenu l'arrêt R. v. Durham, mais uniquement la déclaration que, d'après cet arrêt, vous aviez faite au nom du gouvernement et qui y est citée. Dans R. v. Durham, le juge de la Cour de justice de l'Ontario a décidé que le paragraphe 86(2) du Code criminel n'avait aucun effet à cause de la déclaration que vous avez faite devant le comité au nom du gouvernement, la Cour ayant vu là l'intention du gouvernement. La Cour d'appel de l'Ontario a infirmé cette décision, elle a fait droit à l'appel interjeté par la Couronne et a annulé le jugement.

Il existe de nombreux autres exemples de ce genre. Est-il fréquent que les tribunaux examinent les déclarations faites par les sénateurs devant les comités lorsqu'il s'agit de déterminer l'intention du législateur? Nous avons parlé hier de l'intention reflétée dans ce projet de loi. Pensez-vous que les tribunaux font de plus en plus référence à vos déclarations ou à celles que fait le ministre en deuxième lecture ou devant un comité lorsqu'ils veulent déterminer quelle était l'intention du gouvernement lorsqu'il a adopté un projet de loi ou un règlement particulier?

M. Mosley: Il est vrai que les tribunaux admettent ce qu'ils appellent les «preuves extrinsèques», lorsqu'elles peuvent servir à dégager le sens d'une disposition. Cependant, ils ont clairement indiqué, et je mentionnerais l'exemple de l'interprétation de l'article 7 de la Charte. Lorsque l'article 7 a été rédigé et au cours des débats parlementaires qui portaient sur la Charte, les représentants du ministère de la Justice, y compris mon prédécesseur M. Eugene Ewaschuk, ont exposé quelle était, d'après eux, la portée de l'article 7. En fait, ils ont déclaré que cette disposition visait à garantir l'équité procédurale — en fait, l'application régulière de la loi. Cette disposition n'avait aucun contenu substantiel. Malgré cela, la Cour suprême du Canada a prononcé, quelques années plus tard dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), un arrêt de principe au sujet de la portée et de l'intention de l'article 7, dans lequel elle affirmait, malgré les déclarations faites par le gouvernement et ses représentants à l'époque, que ces dispositions comportaient un aspect substantiel. Les déclarations que nous faisons devant les comités ou devant d'autres instances ont une certaine utilité pour les tribunaux mais elles ne sont en aucun cas déterminantes pour ce qui est de l'intention des dispositions.

Pour le compte rendu, la référence à la décision R. v. Durham, sur laquelle le sénateur Baker a aimablement attiré mon attention, concernait un communiqué.

Le sénateur Baker: C'étaient les paroles que vous aviez prononcées d'après le communiqué.

M. Mosley: Je ne le pense pas. La plupart des communiqués mentionnent, tout en bas, le nom d'une personne du ministère de la Justice qui peut être contactée pour obtenir des renseignements supplémentaires. Dans ce cas particulier, on pouvait lire mon nom et mon numéro de téléphone.

La citation a en fait été attribuée à la ministre de la Justice de l'époque, l'honorable Kim Campbell. Il est vrai que j'ai été cité à plusieurs reprises par les tribunaux. Dans l'arrêt Sharpe, ce n'était pas une citation directe. Ils ont simplement fait référence aux éléments que j'avais fournis au comité de l'époque selon lesquels la loi de 1983 traitait de la nature et de l'ampleur du phénomène de la pornographie juvénile au Canada. C'était donc plutôt une déclaration au sujet d'un problème social que des commentaires particuliers que j'aurais pu faire à l'époque.

J'ai toutefois été cité dans certaines décisions. Là encore, cela est parfois utile pour les tribunaux, mais cela ne va pas plus loin.

Le sénateur Baker: Vous avez tout à fait raison. La Cour a déclaré dans Durham: «Le communiqué a été transmis au nom de Richard Mosley, ministère de la Justice, mais il indique clairement que le projet de loi [...] a été approuvé par la ministre de la Justice». La Cour a néanmoins fait une citation dans laquelle votre nom apparaît.

Passons à l'aspect substantiel de l'argument dont vous avez parlé avec l'intervenant précédent. Les témoins ont été très élogieux à votre endroit dans leurs témoignages. Michael Code, si je me souviens bien, vous a félicité. Il a utilisé le mot «curieux» pour qualifier la position présentée — non pas que vous ayez vous-même présenté cette position, mais il a déclaré cela en référence au contenu de cette position. Je n'ai pas senti que l'on avait critiqué vos observations. Avez- vous des commentaires à ce sujet? Il y a deux décisions devant vous, R. v. Watson, de la Cour d'appel, et R. c. Jorgensen, de la Cour suprême du Canada. Dans R. v. Watson, la Cour déclare au paragraphe 16: «même si cette question a fait l'objet d'une certaine controverse, la jurisprudence dominante et la logique indiquent que l'apparence de droit ne se limite pas aux erreurs de fait et s'applique également aux erreurs de droit». Avez-vous des commentaires à faire sur ce point ou voulez-vous que nous passions à l'arrêt de la Cour suprême?

M. Mosley: Je dirais que cette décision traite du contenu de la défense d'apparence de droit. Elle ne traite pas de la question de savoir s'il existe une telle défense en common law.

Le sénateur Baker: Dans l'arrêt Jorgensen, au paragraphe 6, le juge en chef Lamer examine la règle relative à l'ignorance de la loi:

Malgré son importance, cette règle comporte des exceptions qui sont déjà bien établies dans notre droit. Un accusé est excusé lorsqu'il était impossible de connaître la règle de droit en vertu de laquelle il a été inculpé parce qu'elle n'avait pas été rendue publique. De plus, un certain nombre des infractions issues de notre Code criminel prévoient une excuse pour l'accusé qui a agi avec apparence de droit. L'existence de ces exceptions démontre que la règle ignorantia juris ne doit pas être appliquée lorsqu'elle rendrait une déclaration de culpabilité manifestement injuste.

Avez-vous un commentaire sur ce point?

M. Mosley: Le juge en chef Lamer parlait en son propre nom, et non en celui de la Cour, et il a estimé nécessaire de mentionner l'existence d'exceptions à la règle générale selon laquelle l'ignorance de la loi n'est pas une défense — l'article 19 du code. Il ne va pas plus loin. Il ne mentionne pas si cette défense existe en common law ou non. Il ne fait pas l'historique de la question et n'aborde pas l'existence de la défense. Il ne parle pas de toutes ses applications possibles à d'autres parties du droit pénal.

Cela s'explique principalement par le fait que cette question n'a pas été débattue devant le tribunal. C'est ce qui ressort clairement du jugement de la cour prononcé par le juge Sopinka dans lequel celui-ci déclare:

La question de l'erreur de droit provoquée par une personne en autorité n'a pas été examinée parce qu'elle n'a été soulevée ni devant la Cour, ni devant les juridictions inférieures. Il serait préférable d'examiner cette question dans une affaire où elle est soulevée et débattue à bon droit.

L'arrêt Jorgensen ne contient sur ce point qu'une opinion incidente du juge en chef.

Le sénateur Baker: J'aimerais vous parler de l'arrêt Ward c. Canada, qu'a entendu la Cour suprême du Canada il y a quelques mois. Cette affaire portait sur le pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral de réglementer la vente de peaux de phoque dans une province. Dans l'arrêt Ward c. Canada, la Cour a examiné l'article 27 du règlement sur les mammifères marins adopté aux termes de la Loi sur les pêches, et qui précise la façon dont on doit tuer les phoques. Ce règlement interdit la vente des peaux de phoque à dos bleu. Il n'est pas illégal de tuer le phoque, mais il est illégal d'en vendre la fourrure.

Le règlement exempte certaines personnes de ces pénalités. Ce qu'il appelle les «bénéficiaires» ne sont pas visés par certaines dispositions. Les bénéficiaires sont les personnes qui sont visées par la Convention de la baie James et par d'autres ententes. Le règlement aménage une protection en cas de violation de la Loi sur les pêches. Si vous examinez la Loi sur les pêches, vous constaterez que nous avons modifié cette loi en 1991, modification que je vous ai remise. Cette modification était l'article 78.6. Cette disposition de la Loi sur les pêches énonce que si la personne « [...] croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l'existence de faits qui, avérés, l'innocenteraient». Cela a ajouté récemment à la Loi sur les pêches, en 1991. Certains diraient qu'il s'agit là de la notion d'apparence de droit ou d'une notion très proche.

Les chasseurs de phoque et les personnes auxquelles s'intéressent le sénateur Adams et le sénateur Joyal sont protégés par la Loi sur les pêches. Cette loi leur accorde un moyen de défense. Ils sont protégés pour ce qui est du règlement, parce que la plupart de ces gens sont des bénéficiaires.

Nous adoptons une loi nouvelle qui traite des phoques et de la chasse au phoque, mais qui ne contient pas les protections qu'offrent le règlement et la Loi sur les pêches. Le policier peut porter une accusation. Il doit décider de la loi en vertu de laquelle il va porter l'accusation. C'est la même situation que dans le cas des mandats de perquisition; le mandat émis en vertu de la loi réglementant certaines drogues attribue des pouvoirs plus étendus que le mandat de l'article 478 du Code criminel.

Le policier doit prendre une décision. Avec ce projet de loi, qui s'applique maintenant aux phoques, il n'y a pas de protection. La remarque du sénateur Adams est tout à fait justifiée. Vous pourriez dire que cela n'est pas inquiétant parce que les accusations seront portées aux termes de la Loi sur les pêches. C'est pourquoi je cite l'arrêt R. c. Ward. Cet arrêt est une décision unanime de la Cour suprême du Canada. Il y a toutefois un passage de cet arrêt qui se trouve au paragraphe 53 et qui se lit ainsi:

Deuxièmement, dans l'affirmative, la mesure législative attaquée vise-t-elle à réaliser cet objectif? Le Code criminel, L.R.C. 1985, ch C-46, contient des dispositions interdisant la cruauté envers les animaux, et je suis disposée à supposer, sans toutefois le décider, que pour des raisons de paix publique, d'ordre, de sécurité, de santé et de moralité, la compétence fédérale en matière de droit criminel pourrait s'étendre aux interdictions d'abattage et au mode d'abattage d'animaux comme les phoques.

Notre comité est donc en train d'examiner des amendements et il faut tenir compte de la remarque du sénateur Adams qui montre que ce projet de loi s'applique à un secteur tout à fait nouveau sans le bénéfice de la défense d'apparence de droit que nous avons introduite en 1991. Vous allez peut-être dire que cela ne correspond pas tout à fait à la défense d'apparence de droit. Eh bien, les termes en sont très proches. Vous êtes obligé de reconnaître que lorsque les mots se trouvent dans le projet de loi, cela est utile. Cela est peut-être prévu par la common law et peut-être pas, mais c'est une bonne chose si cette disposition se trouve dans la loi aux termes de laquelle vous êtes accusé.

Par conséquent, le règlement d'application de la Loi sur les pêches contient certaines protections, que l'on ne retrouve pas dans ce projet de loi. Voilà ce que faisait remarquer le sénateur Adams et j'aimerais que vous répondiez à ce commentaire. Je vous invite à nous dire quelles sont les intentions du gouvernement sur ce point.

M. Mosley: Permettez-moi de revenir sur l'arrêt Ward c. Canada. La section B traite de la question de savoir si le projet de loi en question peut également relever validement du pouvoir dans le domaine du droit criminel. C'est ce qui est énoncé au paragraphe 50. La cour a déjà conclu que cette disposition était valide à cause du pouvoir fédéral en matière de pêche, mais elle a décidé d'examiner, sans se prononcer, la question de savoir si le pouvoir en matière de droit pénal pourrait également s'appliquer dans ces circonstances. La cour déclare au milieu du paragraphe 53: «Je suis disposée à supposer, sans toutefois le décider [...] que la compétence fédérale en matière de droit criminel pourrait s'étendre aux interdictions d'abattage ou au mode d'abattage d'animaux comme les phoques [...]». Encore une fois, la cour n'a pas eu à se prononcer sur ce point. C'est une remarque qui a été simplement ajoutée pour faire bonne mesure.

Pour ce qui est du règlement de 1991 auquel vous faites référence, l'article 78.6 de la Loi sur les pêches, qui traite d'un côté de la diligence raisonnable, contient, à l'alinéa b), l'expression «croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l'existence de faits qui, avérés, l'innocenteraient». Vous avez raison; cela ne correspond pas tout à fait à la défense d'apparence de droit. En outre, cette disposition limite l'application de ce moyen de défense.

La défense d'apparence de droit ne pourrait s'appliquer que si l'accusé croyait en toute honnêteté en l'existence de certains faits. Les rédacteurs de cette disposition ont ajouté l'adverbe «raisonnablement» qui introduit ainsi un critère objectif. En fait, en codifiant l'application de ce moyen de défense, les rédacteurs en ont réduit la portée. Le Parlement peut affirmer que la défense de common law n'est plus applicable à ce genre de comportement. Le Parlement peut affirmer que la défense de common law est limitée ces circonstances.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a quelques années, le Parlement a décidé que la croyance erronée dans le consentement ne suffisait pas à acquitter la personne qui a commis une agression sexuelle. Il a restreint et structuré le moyen de défense, en le reliant à un certain nombre de critères précis. Le Parlement a bien sûr le pouvoir de modifier les défenses de common law. C'est ce qui a été fait en 1991, par l'adoption du règlement d'application de la Loi sur les pêches.

Le sénateur Baker: J'ai un autre commentaire. Lorsque cela a été ajouté en 1991, avez-vous remarqué ce qui a été supprimé? C'était la justification légale. À ma connaissance, c'est l'article de la Loi sur les pêches qui a été le plus utilisé au Canada comme moyen de défense. Cette disposition est très efficace. Elle est invoquée dans des circonstances extraordinaires. Elle a pour effet de renverser le fardeau de la preuve, elle s'applique au cas où une personne a violé la loi mais ignorait vraiment qu'elle ne respectait pas la loi. Je pourrais vous citer un très grand nombre de cas où cette disposition a été invoquée avec succès.

Vous n'avez toutefois pas parlé du fait que la police aura maintenant le choix, en cas de plainte, entre porter des accusations aux termes du Code criminel, et le faire aux termes de cet article ou d'utiliser la Loi sur les pêches. Avec la Loi sur les pêches, il y a des protections. Les bénéficiaires sont protégés; il y a des exclusions qui ont été introduites et négociées progressivement. Ce projet de loi n'accorde aucune protection aux bénéficiaires. Ce projet de loi ne leur permet aucunement d'invoquer une disposition comme l'article 78.6 et de dire «Cela a été placé ici pour que je puisse m'en servir comme défense». Il n'est pas inhabituel de donner aux policiers la possibilité de porter des accusations en vertu de plusieurs dispositions. Avez-vous des commentaires au sujet du fait que cela donne maintenant un choix aux policiers?

Mme Joanne Klineberg, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada: Honorables sénateurs, la structure actuelle des infractions du Code criminel relatives à la cruauté envers les animaux n'empêche aucunement les policiers de porter des accusations en vertu de plusieurs dispositions.

Le sénateur Baker: Voulez-vous dire à l'heure actuelle? C'est une nouvelle infraction, une infraction mixte qui peut être poursuivie par voie d'acte d'accusation.

Le sénateur Joyal: C'est une infraction mixte que nous créons ici. C'est une infraction grave.

Mme Klineberg: Bien sûr, elle est grave. Nous le savons. Le fait est qu'il existe dans plusieurs domaines différentes infractions qui relèvent de la compétence fédérale. Les policiers auront la possibilité de déterminer la façon appropriée de porter des accusations. Je ne pense pas que le projet de loi C-10B crée une nouvelle possibilité qui n'existe pas encore aujourd'hui.

Le sénateur Baker: Ce n'est pas le sens de notre intervention. Il existe des protections dans l'autre texte législatif, mais il n'y en a aucune dans celui-ci.

Mme Klineberg: C'est le deuxième point sur lequel nous ne sommes pas d'accord avec vous. Les protections qu'offre actuellement le Code criminel aujourd'hui seront toujours dans le code si l'on adopte le projet de loi C-10B, notamment l'apparence de droit.

Le sénateur Baker: Est-ce que cela exclut les bénéficiaires? Non.

Mme Klineberg: Les protections qui figurent aujourd'hui dans le Code criminel existeront toujours.

Le sénateur Baker: Nous ne parlons pas seulement de cela. Toutes ces personnes qui vivent dans ces régions nordiques sont des bénéficiaires aux termes de la Loi sur les pêches, aux termes du règlement. Elles ne le sont pas aux termes du Code criminel. C'est là la difficulté. Je sais que vous ne voulez sans doute pas passer trop de temps sur ce point.

Le président: Si vous permettez, avant de donner la parole au sénateur Joyal, j'aimerais poser deux brèves questions à M. Mosley.

Elles découlent de l'intervention du sénateur Baker. Affirmez-vous que si l'on modifiait le projet de loi pour y introduire à nouveau la notion d'apparence de droit, cela ne ferait aucune différence et cette modification serait en fait redondante; est-ce bien ce que vous dites, monsieur Mosley?

M. Mosley: Au mieux, cela serait redondant. En précisant qu'une défense particulière s'applique à une disposition particulière du code, on renforce l'argument voulant que cette défense ne s'applique pas ailleurs, alors que cela serait peut-être approprié. Voilà ce qui nous inquiète. Il s'agit de savoir s'il faut décrire avec précision les moyens de défense qui s'appliquent à chacune des infractions ou s'il faut prévoir une disposition générale qui s'applique lorsqu'il est logique qu'elle s'applique. Lorsqu'il s'agit de savoir si l'apparence de droit peut être invoquée, c'est ce que font en fin de compte les tribunaux. Ils se demandent «Est-il logique d'appliquer ce moyen de défense dans ce contexte-ci?»

Pour ce qui est des bénéficiaires, je dois vous dire, sénateur Baker, que nous ne connaissons pas très bien la Loi sur les pêches. Je le regrette, parce que je suis sûr que c'est un domaine du droit qui est fort intéressant. Si vous voulez explorer cet aspect davantage, je vous suggérerais d'inviter mes collègues qui fournissent des avis juridiques au ministère des Pêches et des Océans.

Pour ce qui est de la partie du règlement qui interdit certaines choses, et là encore, excusez-moi parce que je ne connais pas très bien ce domaine, la référence aux bénéficiaires semble uniquement autoriser la vente, l'échange ou le troc de blanchons ou de jeunes à dos bleu. C'est pour cette raison qu'on a introduit cette exemption dans le règlement, pour s'assurer que ceux qui étaient liés par les termes de la Convention de la Baie James et du Nord québécois ou ceux de la convention des Inuvialuits puissent le faire. Je ne pense pas que cela touche ce que nous disions il y a un instant.

Le sénateur Baker: Le lendemain de l'arrêt R. c. Ward, la décision de la Cour suprême, 108 chasseurs de phoque ont été poursuivis. Il n'y a cependant eu aucune accusation portée contre les chasseurs qui étaient des bénéficiaires, parce que ce règlement ne s'appliquait pas aux bénéficiaires.

Cela est simple. Les bénéficiaires ne sont pas visés par le règlement qui régit la vente, l'échange et le troc de ces animaux ainsi que leur abattage. Ils sont exclus à titre de bénéficiaires, cela a été négocié avec ces personnes dans des accords distincts et introduit dans le règlement sur les mammifères. Le Code criminel n'offre pas cette protection. C'est là ce qui fait problème.

M. Mosley: Je ne vois pas d'exemption pour ce qui est de l'abattage.

Le sénateur Baker: Avez-vous examiné la définition de bénéficiaire?

M. Mosley: Oui.

Le sénateur Baker: Ce ne sont que des articles. Les bénéficiaires sont décrits de façon précise. Examinez l'exclusion.

Je peux vous garantir que les bénéficiaires sont exclus de l'application de ce règlement, et c'est la raison pour laquelle cette catégorie a été définie. Ils sont exclus des divers articles du règlement qui portent sur les méthodes. Ils ont le droit de tuer, par exemple, pour se nourrir. Ils peuvent tuer tous les phoques qu'ils veulent pour se nourrir, alors que les autres ne le peuvent pas.

M. Mosley: Je pense que cela découle plutôt de l'application de l'article 35 de la Constitution qui porte sur leurs droits ancestraux et issus de traités. Selon le texte de ce règlement, les dispositions d'interdiction de la partie IV énoncent: «Il est interdit à quiconque n'est pas un bénéficiaire de vendre, d'échanger ou de troquer un blanchon ou un jeune à dos bleu». Cela est clair. Cependant, le règlement énonce à l'article 28 «il est interdit de pêcher» sans faire référence à un bénéficiaire. Il décrit comment il faut pêcher le phoque et avec quel équipement. Cela semble comprendre ceux qui seraient autrement qualifiés de bénéficiaires.

L'article 29 énonce simplement «il est interdit de». Il ne dit pas «il est interdit pour quiconque n'est pas un bénéficiaire». Il semble donc que l'exemption accordée aux bénéficiaires ne s'applique pas aux articles 28, 29 ou 30.

Le sénateur Baker: Elle s'applique à certaines dispositions mais pas à d'autres, est-ce bien cela?

M. Mosley: Oui.

Le sénateur Baker: Le fait est que 108 chasseurs de phoque ont été inculpés. Aucun d'entre eux n'est un bénéficiaire, parce que les bénéficiaires sont exclus de ces dispositions. C'est une protection qu'accordait le règlement.

Nous disons que la loi qui régit le règlement contient une autre protection. Vous affirmez que l'article 78.6 est moins utile que s'il n'existait pas. Le sénateur Adams et moi affirmons que cette disposition a été appliquée très fréquemment par les tribunaux depuis qu'elle a été adoptée. Si elle n'était pas là, elle ne serait pas appliquée. Il est évident qu'elle est très utile. C'est pourquoi cette protection supplémentaire a été ajoutée.

Dans ce projet de loi, il n'y a rien pour les bénéficiaires, rien qui protège ces 108 chasseurs de phoque. Il n'y a rien dans ce projet pour les moyens de défense prévus par le Code criminel, à part ce que vous qualifiez de défense de common law. Vous êtes néanmoins obligé de reconnaître que l'exclusion des bénéficiaires de certains articles de la loi, et des pénalités prévues par la loi, n'existe pas lorsqu'il s'agit du Code criminel.

M. Mosley: Dans les documents que vous nous avez remis aujourd'hui, sénateur Baker, l'exclusion des bénéficiaires vise uniquement la vente, l'échange ou le troc des peaux de phoque, elle ne concerne pas la façon dont ils sont pêchés.

Le sénateur Baker: Avez-vous lu le reste du règlement?

M. Mosley: Non.

Le sénateur Baker: Il faudra nous le procurer et examiner ces dispositions.

Le président: Le deuxième aspect que j'ai mentionné, monsieur Mosley, découle de la référence qu'a faite le sénateur Baker à l'arrêt Jorgensen. L'alinéa 182.2(1)c) du projet de loi réprime le fait de tuer volontairement un animal, sans excuse légitime. Compte tenu de l'arrêt Jorgensen, j'aimerais vous demander si vous êtes convaincu qu'un régime provincial comme un permis de chasse provincial pourrait constituer une excuse légitime?

Mme Klineberg: Le fait de posséder un permis de chasse provincial ne constitue pas à lui seul une excuse légitime. Les gouvernements provinciaux ne peuvent adopter des textes législatifs ayant pour effet d'excuser la perpétration d'infractions pénales. Les provinces ne possèdent pas les compétences législatives qui leur permettraient de le faire.

Cependant, cela ne veut pas dire que le fait que l'activité ait été exercée conformément à un permis de chasse provincial ne constitue pas une excuse légitime. L'arrêt Menard, par exemple, énumère un certain nombre d'objets pour lesquels il est possible d'utiliser des animaux, même en leur causant de la douleur. L'arrêt Menard et le juge en chef Lamer énoncent dans cette affaire essentiellement la façon dont il y a lieu d'analyser cette infraction. Il faut d'abord se demander: l'utilisation de l'animal a-t-elle un objet légitime? Si c'est le cas, il faut alors examiner la question de savoir si l'on cause sans nécessité une douleur, une souffrance ou une blessure à cet animal.

Le président: Excusez-moi, madame Klineberg, mais ce n'est pas ce que dit l'alinéa 182.2(1)c).

Mme Klineberg: Si vous le permettez, je fais commencer par cet aspect et viendrai plus tard au fait de tuer sans excuse légitime.

S'il est possible d'utiliser un animal dans un but légitime et de lui causer une douleur pourvu que cette douleur soit raisonnablement nécessaire pour atteindre cet objectif, alors ce même objectif doit pouvoir justifier le fait de tuer l'animal. Par exemple, lorsque l'on fait de la recherche médicale, on cause de la douleur à des animaux pour obtenir des données scientifiques. À la fin de l'expérience, l'animal est tué; de sorte que le même objet légitime, qui permet de déterminer si la douleur causée est nécessaire ou non, peut également justifier la mort de l'animal. Cela se retrouve en common law. Le juge Lamer en énumère un grand nombre dans l'arrêt Menard. L'expression «sans excuse légitime» est très large. Les tribunaux lui ont donné une interprétation large. Cette interprétation s'effectue également en fonction du contexte. Il faut examiner cette expression dans le contexte de l'infraction précise où elle est mentionnée. Elle n'est aucunement limitée. Pour l'essentiel, n'importe quel objet reconnu par la common law, reconnu par la société comme étant un objet pour lequel il est possible de tuer des animaux, serait visé par cette définition.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que l'objet de ce projet de loi, une fois qu'il a été adopté par le Parlement, n'est pas seulement défini par l'intention que recherchait le gouvernement au moment où il a déposé ce projet. Comme vous l'avez mentionné vous-même, et je connais très bien ces affaires, puisque j'ai participé à quelques-unes d'entre elles, lorsque la Cour suprême du Canada interprète la Charte, elle examine le témoignage des représentants du ministère de la Justice et l'intention exprimée par le gouvernement à l'époque de l'adoption de la Charte. Les juges reconnaissent toutefois que la Charte a sa vie propre. Comme le tribunal l'a clairement déclaré, c'est un texte législatif qui recherche un certain but; c'est un texte qui a un objet. Cet objet est de protéger les minorités à mesure que la société évolue.

La difficulté que nous avons avec ce projet de loi est que les porte-parole du gouvernement nous ont déclaré, lorsqu'il a été déposé au Sénat après avoir été adopté dans l'autre endroit, qu'il ne changeait rien. Ce projet allait simplement restructurer les pénalités de façon à tenir compte de la perception que les Canadiens sont aujourd'hui plus sensibles à la cruauté envers les animaux. Par conséquent, les gens qui sont coupables d'avoir eu ce genre de comportement devraient pouvoir faire l'objet d'une gamme de pénalités plus étendue. Voilà ce que l'on nous a dit.

On nous a également dit qu'en adoptant ce projet, nous aidions également la société canadienne, parce qu'il y avait un lien entre la cruauté envers les animaux et la propension à commettre des infractions. Cela n'a pas encore été établi. Nous avons entendu de nombreux témoins mais aucun d'entre eux n'a été en mesure de prouver ce lien.

Aujourd'hui, nous vous écoutons avec beaucoup d'attention, en tant que représentants du ministère de la Justice, et vous donnez à un projet de loi qui va toucher les droits de certains Canadiens, et en particulier les Autochtones, une interprétation qui nous amène à nous demander comment ces personnes pourront se défendre. Le projet de loi crée des infractions supplémentaires, comme le projet d'alinéa 182.2(1)c). Nous leur demandons d'aller devant les tribunaux pour se défendre, alors qu'elles ne font qu'exercer leur droit constitutionnel de pêcher et de chasser. Le sénateur Baker a surtout parlé de la protection accordée à certains bénéficiaires, mais uniquement pour ce qui est de la pêche. Cela ne couvre pas la chasse ou les autres façons d'utiliser les ressources.

Nous voulons bien sûr lutter contre la cruauté envers les animaux mais nous ne voulons pas imposer aux Autochtones une responsabilité supplémentaire, pour ce qui est de leurs pratiques traditionnelles en matière de pêche et de chasse, en particulier lorsqu'ils exercent dans leur territoire des droits constitutionnels, comme vous l'avez dit très clairement. Autrement dit, nous ne voulons pas imposer aux Autochtones du Canada le fardeau supplémentaire d'avoir à se défendre devant les tribunaux. Le sénateur Adams en a parlé hier, la façon dont certains Autochtones chassent ou pêchent dans certaines régions du Canada pourrait être qualifiée de cruelle si on leur applique les normes d'autres régions.

Nous ne sommes pas convaincus que le projet de loi ait été rédigé dans le but de les protéger, pour ce qui est des définitions et des changements apportés, notamment des dispositions ayant pour effet de transférer les animaux de la catégorie des biens à une nouvelle catégorie du code.

Nous avons entendu hier M. Sklar, qui se spécialise maintenant dans le domaine des droits des animaux. J'ai, sur le plan des principes, certaines réserves à l'égard de la notion juridique de droits des animaux. Lorsqu'on examine ce genre de projet de loi, l'intention du ministère est un élément important. C'est peut-être une excellente intention. Mais le jour où ce projet de loi reçoit la sanction royale, il n'y a pas que le ministère qui explique aux tribunaux comment il faut l'interpréter. Le projet de loi prend une vie propre. Il pose la question de la protection des animaux et il la confie aux tribunaux. Le premier groupe qui sera probablement visé seront les Autochtones. Nous le savons; les chasseurs de phoque ont été les premiers visés.

Nous ne voudrions donc pas faire quoi que ce soit, sans être certains que les objectifs recherchés avec ce projet de loi, dans la mesure où nous les comprenons, sont positifs et que nous les acceptons. Nous n'avons pas toujours respecté notre responsabilité fiduciaire envers les Autochtones. Comme vous l'avez dit, à juste titre, la Loi sur les pêches reconnaît ce fait indirectement par le biais de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Cependant, il y a beaucoup d'autres Autochtones canadiens qui ne sont pas visés par cette convention et qui ont néanmoins des droits territoriaux en matière de chasse et de pêche.

Nous ne sommes pas vraiment convaincus que ce projet de loi protège les Autochtones et leurs droits traditionnels. Nous plaçons leur sort entre les mains des tribunaux qui seront appelés par la suite à interpréter la notion de cruauté. Quels sont les groupes qui, au Canada ou ailleurs, vont vouloir s'en prendre à ces personnes et les faire juger par l'opinion publique? C'est bien évidemment une chose que nous voulons éviter, en tant que membres du Parlement, et en particulier en tant que membres d'une chambre du Parlement qui est responsable des minorités au Canada.

Comment garantir que ce projet de loi protège vraiment efficacement les Autochtones? Les principes dont s'inspire ce projet ne préservent pas les droits constitutionnels des Autochtones.

M. Mosley: Dès le départ, et par «départ» je pense au mois de décembre 1999, moment auquel le projet de loi initial, le projet de loi C-17, a été déposé à la Chambre des communes, le gouvernement a déclaré que ce projet de loi avait deux objectifs. Le premier était de refondre et de simplifier le droit actuel en matière de cruauté envers les animaux en structurant les infractions de façon plus rationnelle et en supprimant les distinctions et les expressions désuètes. Le second objectif était de renforcer les pénalités, comme les peines d'emprisonnement, les amendes et les ordonnances, en créant une nouvelle ordonnance obligeant les contrevenants à rembourser certains frais, par exemple.

Dans les commentaires que nous avons préparés pour le compte du ministre de la Justice ou pour d'autres personnes qui avaient demandé notre assistance à ce sujet, nous n'avons jamais laissé entendre que ce projet de loi n'allait rien changer. Bien évidemment, l'intention est de modifier la façon dont le système pénal canadien traite la cruauté envers les animaux.

Ce faisant, nous avons toujours soutenu que ces propositions ne modifiaient pas le droit substantiel aussi profondément que certains l'ont affirmé dans les exposés présentés au comité. Il faut en outre considérer ce projet de loi en tenant compte du cadre juridique et constitutionnel canadien. Ce cadre comprend la reconnaissance constitutionnelle des droits autochtones en matière de pêche et de chasse.

Permettez-moi de vous dire, parce que je respecte votre opinion et les préoccupations qui vous animent, sénateur Joyal, mais s'il y avait des gens qui voulaient nuire à d'autres dans un but particulier, ils pourraient essayer de le faire en utilisant les dispositions actuelles du Code criminel. À ma connaissance, ils ne l'ont pas fait. Les modifications que nous apportons au Code criminel ne faciliteraient pas leur tâche.

Si, par exemple, un groupe voulait contester les pratiques d'une Première nation ou d'une collectivité autochtone en matière de chasse et de pêche, il se heurterait à un cadre juridique et constitutionnel très solide. Cela ne veut pas dire que personne ne le fera. Si ce projet de loi n'est pas adopté, il est inévitable que, compte tenu de la façon dont évoluent les réactions aux traitements que reçoivent les animaux dans notre société, un groupe décide de le faire. Le projet de loi que nous proposons ne les aidera pas dans cette tâche. Ils pourraient essayer de le faire avec les dispositions actuelles. Ils devront réfuter des arguments très solides basés sur le respect qui est accordé dans notre système aux droits ancestraux.

Je ne crois pas pouvoir vous en dire davantage pour répondre à vos préoccupations, sénateur Joyal. Ma collègue a peut-être d'autres remarques.

Mme Klineberg: Non.

Le sénateur St. Germain: Monsieur Mosley, permettez-moi de vous dire que nous examinons l'aspect autochtone comme nous l'avons fait pour le projet de loi C-68. Vous dites que leurs droits ne seront pas violés et qu'ils auront toutes les protections que leur offre l'article 35 de la Constitution. Cela n'a pas empêché tous les habitants du Nunavut de poursuivre le gouvernement.

Il est facile pour les représentants du ministère de la Justice d'affirmer que les Autochtones sont très bien protégés par l'article 35, mais cela débouche sur des scénarios judiciaires très coûteux. J'ai travaillé pendant des années sur les dossiers autochtones et je suis moi-même en partie Autochtone. Ces gens-là n'ont vraiment pas besoin de voir leurs frais juridiques augmenter. Je n'ai rien entendu au cours de toutes ces séances qui me permette de penser que nous n'allons pas nous retrouver dans la même situation. On nous avait donné toutes les garanties au monde; et pourtant, je pense qu'un tribunal a accordé une injonction à l'égard de cette demande. Que répondez-vous à cela, monsieur?

M. Mosley: L'introduction d'une poursuite ou l'octroi d'une injonction provisoire ne permet pas de juger du bien- fondé d'un argument.

Bien évidemment, les projets de loi qui touchent les intérêts d'un groupe social sont susceptibles de faire l'objet de contestations, et inévitablement, cela se produit. Nous passons beaucoup de temps devant les tribunaux à défendre les contestations basées sur la Charte et sur d'autres documents. Le fait que quelqu'un puisse déclencher une poursuite ne répond pas à la question fondamentale de savoir si ce projet de loi modifie le statu quo, à l'égard de ces droits. Permettez-moi de vous dire, et je vous rends ici la politesse, honorable sénateur, que je n'ai pas encore entendu d'argument convaincant qui explique comment cela pourrait se produire.

Les fantômes existent parce que nous ne pouvons pas les toucher. Je ne peux pas vous démontrer, par mes remarques ici, que quelque chose n'existe pas.

Le sénateur St. Germain: C'est pourquoi, si vous me le permettez, j'ai fait une analogie avec le projet de loi C-68. Je ne sais pas si vous y avez participé, mais j'ai assisté à tout le déroulement de la chose. S'il y a bien un point que nous avons mentionné, c'est la question des Autochtones. Merci pour la réponse.

Le sénateur Joyal: Permettez-moi de ne pas être d'accord avec vous. Comme vous l'avez dit, il y a des groupes qui ont des préoccupations, et nous le savons tous. Ces groupes vont utiliser les termes, les notions de ce projet de loi qui sont sujets à interprétation, à une interprétation évolutive. Permettez-moi de vous en donner un: la définition de «négligence». Selon la définition, «la négligence est le fait de s'écarter sensiblement de la norme de soins dont aurait fait preuve une personne raisonnable». Cette définition ne mentionne aucunement l'époque, ni le lieu.

Quelles sont les normes que l'on appliquera? Celles des non-Autochtones ou celles des Autochtones? Allons-nous interpréter cette notion dans le contexte des pratiques traditionnelles territoriales des Autochtones d'une région donnée du Canada ou de ceux d'une autre région? Ce mot sert un peu de «mot de passe» dans ce projet de loi. C'est un mot du code qui est sujet à interprétation, selon l'époque considérée. Le Code criminel contient un certain nombre de notions de ce genre qui permettent aux tribunaux d'adapter la réaction de la société à un comportement donné.

Vous dites qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter parce que cela est défini et que les tribunaux examineront la question. Nous plaçons en fait les Autochtones dans une situation où ils vont dépendre d'une notion évolutive qui recevra des tribunaux une interprétation différente selon l'époque et le lieu considérés. Ce projet de loi contient ce genre de notion évolutive.

Je ne suis pas contre ces notions évolutives lorsque le projet les applique à des non-Autochtones. Comme vous l'avez dit, le projet de loi reflète l'opinion actuelle de la population canadienne. Cependant, les Autochtones ont des droits ancestraux et traditionnels qui leur permettent de pêcher et de chasser comme ils l'ont toujours fait. Nous ne voulons pas soumettre leurs pratiques à une interprétation judiciaire qui s'éloignerait de la position originale. C'est pourquoi ce projet de loi nous préoccupe.

Comme vous l'avez dit, l'intention au départ était de codifier et de modifier des dispositions désuètes du Code criminel qui ne reflétaient plus la façon dont la société canadienne réagit à la cruauté envers les animaux. Il y a trop de gens qui agissent de façon cruelle à leur égard et qui, une fois poursuivis, s'en sortent avec une peine minime. Nous sommes en faveur de modifier cette situation, mais nous ne voulons pas que le sort des Autochtones dépende de notions évolutives qui seront interprétées par les tribunaux dans un contexte différent de celui des Autochtones.

Notre argument vaut également pour la Loi sur les jeunes contrevenants. Vous vous souviendrez des discussions que nous avons eues sur la question du Code criminel et des références qu'on y trouve aux Autochtones. Il a fallu que la Cour suprême du Canada annule l'interprétation qui avait été donnée à une disposition concernant une sanction, de façon à ce que soit prise en compte la situation dramatique des Autochtones pour ce qui est de la détermination de la peine.

Cela fait partie du cadre conceptuel du Code criminel. Avec ce projet de loi, nous nous préparons à introduire des changements qui vont alourdir le fardeau des personnes qui font l'objet de poursuites pénales. Il n'est pas garanti que nous pourrons protéger ces personnes, en particulier, compte tenu de ce que j'appelle «l'aspect évolutif» de ce projet de loi.

Ce projet de loi va avoir sa vie propre. Comme vous l'avez dit très justement, et je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point, lorsque le Parlement adopte une loi, nous en sommes dessaisis. Il y a dans ce projet de loi des notions évolutives que les tribunaux adapteront, tant que la société canadienne évoluera. Ces personnes ont le droit de demeurer où elles se trouvent. Nous devons agir en tenant compte de ce qu'on nous demande de faire et en trouvant la façon de les protéger.

M. Mosley: Je souscris à la plupart de vos commentaires, sénateur St. Germain. Par contre, je ne vous suis plus lorsque vous parlez de cette disposition particulière de l'alinéa 182.3(1)a). La notion de négligence criminelle est une notion pénale bien établie et la norme qui s'applique sera celle que les tribunaux ont toujours appliquée à la notion de négligence criminelle. Cette notion évolue. Il est vrai que notre conception de ce qui constitue de l'insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui évolue.

Pour prendre l'exemple qui a déjà été mentionné à propos des armes à feu, je ne veux pas me lancer dans un débat sur les permis et sur l'enregistrement des armes, qui est au coeur de cette question au Nunavut. Dans le contexte de la négligence, le Code criminel est une loi d'application générale. Elle s'applique de façon uniforme à toutes les régions du Canada et à toutes les personnes; elle a aussi des applications extraterritoriales, dans certains cas. Elle s'applique aux Autochtones. Par exemple, la personne qui est criminellement négligente dans l'utilisation d'une arme à feu est assujettie à la même règle que celle qui s'appliquerait à une personne non autochtone qui ferait preuve d'insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie et de la sécurité d'autrui. Par exemple, si, dans une communauté, une personne charge un fusil et commence à tirer partout, cela met gravement en danger les autres personnes de la collectivité et, peu importe que vous soyez Autochtone ou non, c'est la même règle qui s'applique.

Par conséquent, permettez-moi de mentionner que l'alinéa 182.3(1)a) ne porte pas atteinte aux droits de pêche et de chasse des Autochtones et ne restreint pas la façon dont ils peuvent exercer ces droits. Cette disposition énonce toutefois qu'on ne peut exercer ces droits de façon négligente et en causant à un animal de la douleur, des souffrances ou des blessures sans nécessité. C'est une norme raisonnable qui s'applique à tout le monde, quelle que soit l'origine culturelle de la personne concernée. Cela représente en fait l'essentiel de l'état du droit actuel.

J'ai un peu de mal à vous suivre lorsque vous passez de ces dispositions à la question des droits. Cette disposition ne porte pas atteinte à des droits. Elle mentionne simplement la façon dont ces droits sont exercés. Prenons le cas d'un non-Autochtone qui possède un permis de chasse valide et qui se promène dans une autre région au Canada. Si cette personne exerce ses droits de façon à causer à un animal de la douleur, des souffrances ou des blessures, alors elle est visée par cette disposition du code.

Le sénateur Joyal: J'aimerais citer vos paroles: «Les normes sont celles qui s'appliquent à tous et non pas celles qui s'appliquent à un groupe particulier». C'est ainsi que les tribunaux comprendront ces normes. C'est exactement là que je voulais en venir. Les normes de comportement des Autochtones à l'égard de la pêche, de la chasse, et de l'infliction de la douleur sont différentes de celles des autres Canadiens. Elles ont le droit constitutionnel de l'être.

Supposons que le Parlement canadien décide un jour d'interdire la chasse. Nous en arrivons à un point dans notre évolution où la chasse est une activité interdite au Canada. Je prétends qu'il faudrait faire une exception pour les Autochtones parce que leurs droits sont protégés par l'article 35, ou alors il faudrait modifier l'article 35.

«Le comportement normal qu'une personne prudente adopterait» pourrait être différent dans le contexte de la société autochtone. Nous nous entendons sur le fait que le meurtre est interdit. Ce n'est pas de cela que nous discutons. Nous sommes en train de parler du comportement qu'une personne prudente adopterait dans un contexte donné. Rien ne nous garantit qu'un juge appelé à juger un Autochtone affirmerait que le comportement normal qu'une personne prudente adopterait, dans un contexte autochtone, est le même que le comportement qui était accepté il y a des centaines d'années. Nous n'avons pas cette garantie. Comme vous le dites, ce sera le comportement habituel. Ce sera le comportement des non-Autochtones.

Cela est inquiétant. Il est vrai que les Autochtones du Canada sont assujettis au Code criminel en général, mais lorsqu'on introduit la notion de norme évolutive, il ne faudrait pas soumettre les Autochtones à des normes différentes que celles qu'ils appliquent lorsqu'ils exercent leurs pratiques traditionnelles en matière de pêche et de chasse. Cela est protégé par la Constitution.

M. Mosley: Vous ne voudriez tout de même pas que l'on ajoute une disposition au Code criminel disant que les Autochtones ne sont pas assujettis à la loi. Cela reviendrait à dire qu'il est légal de causer, par négligence, à un animal de la douleur, de la souffrance ou des blessures, sans nécessité. Voilà en fait l'effet de votre argument.

Le sénateur Joyal: Pas du tout. J'examine plutôt comment on peut obtenir ce dont parlait la Commission de réforme du droit en 1987. La Commission de réforme du droit proposait d'exempter certains types d'activités, non seulement pour les Autochtones, mais pour la recherche effectuée dans les universités et les entreprises. On nous a fourni quelques éléments sur la façon de traiter cette question. Nous ne voulons pas soustraire les Autochtones à l'application de la loi. Ce n'est pas ce à quoi nous pensons.

Si un Autochtone est volontairement cruel envers un animal, s'il agit de façon contraire à son comportement traditionnel en matière de pêche et de chasse, il est alors assujetti au Code criminel. Cela ne me pose aucun problème. Cependant, l'Autochtone qui exerce son droit constitutionnel de pêcher et de chasser, de la façon traditionnelle qui a été utilisée pendant le siècle dernier, cet Autochtone devrait être soustrait à l'application de ce projet de loi. Nous parlons d'activités légitimes de pêche et de chasse, conformes à la pratique traditionnelle des Autochtones sur leur territoire.

C'est sur cet aspect précis que nous nous penchons. La Commission de réforme du droit nous a indiqué il y a 16 ans comment l'on pouvait examiner cette question. Il faudrait nous convaincre que ce projet de loi les protège mieux que si ce projet de loi n'existait pas.

M. Mosley: Je pense que le projet de loi donne en fait le résultat que recherchait la Commission de réforme de droit. Je vais lire la recommandation. Elle décrit l'infraction générale qui énonce «commet une infraction quiconque [...] cause à un animal de la douleur, des souffrances ou des blessures, sans nécessité [...]». Cette disposition énumère ensuite les exceptions et les mesures nécessaires. Elle énonce: «Aux fins du paragraphe 27(1), une douleur physique ou une blessure n'est pas causée sans nécessité si elle constitue un moyen raisonnablement nécessaire de réaliser les fins suivantes [...]» et une liste suit. En fait, la Commission décrit ce qu'elle estimait être, à l'époque, des fins nécessaires. Une des difficultés que soulève cette méthode est que le code parle toujours pour l'avenir.

Il est impossible de dresser une liste complète. Si l'on ne prend pas la liste de la Commission de réforme du droit, quelle liste faut-il utiliser? Faut-il introduire alors une disposition tellement générale qu'elle pose la même question que celle de l'interprétation? Que viserait une telle disposition?

Nous avons tenté d'éviter ce problème en faisant référence au fait de causer à un animal de la douleur, des souffrances ou des blessures, sans nécessité. Les tribunaux devront ensuite préciser ce qui était nécessaire ou non dans les circonstances. Je ne pense pas que le Parlement puisse prévoir toutes les situations possibles. La liste de la Commission est utile et je pense qu'un tribunal l'examinerait pour déterminer ce qui constitue une douleur causée sans nécessité.

Le sénateur St. Germain: Heureusement ou malheureusement, je ne suis pas avocat. Ma question porte sur une déclaration que M. Weinstein a faite hier devant le comité.

Il a affirmé qu'en théorie, une disposition qui dirait «quiconque tue, de façon volontaire ou insouciante, un animal sans excuse légitime, commet une infraction» empêcherait quelqu'un de tuer son chat. Si vous avez un chat ou un chien qui mord les gens, et que vous décidez de vous en débarrasser, en théorie, vous pourriez faire l'objet d'accusations aux termes de ce projet de loi. Qu'en pensez-vous?

Mme Klineberg: Je peux répondre à cela. Je ne pense pas que cela constitue une formulation exacte des règles applicables. Le fait de tuer sans excuse légitime est, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, une notion large. C'est une notion extensive qui est interprétée en fonction de l'objet de la disposition législative.

Elle fait également partie de l'article 445 du droit actuel qui se lit: «Est coupable d'une infraction [...] quiconque volontairement et sans excuse légitime [...] tue, mutile, blesse, empoisonne ou estropie [...] des animaux qui ne sont pas des bestiaux et qui sont gardés pour une fin légitime [...]». Par conséquent, l'alinéa 182.2(1)c) est pour l'essentiel la même infraction que...

Le président: Ce n'est pas la même parce qu'elle crée une nouvelle infraction. C'est ce que faisait remarquer le sénateur St. Germain. Et les animaux sauvages? L'alinéa 182.2(1)c) est une nouvelle infraction. Ce n'est pas la même chose que tuer un animal gardé pour une fin légitime.

Mme Klineberg: Je répondais à la question qui portait sur le cas de la personne qui tue son propre chat, un animal qu'elle garde pour une fin légitime. Nous pouvons passer à la notion élargie.

Une fin légitime comprendrait l'euthanasie de votre propre animal ou la destruction de votre bien. Il y a une affaire qui a été souvent citée dans laquelle une personne a tiré accidentellement sur un chien, elle voulait le manquer mais elle l'a touché, et qui a ensuite achevé le chien pour mettre fin à ses souffrances. Les tribunaux ont accepté que l'euthanasie d'un animal qui souffre est un but légitime qui permet de le tuer. Les vétérinaires le font tous les jours au Canada et les sociétés protectrices des animaux le font également tous les jours.

De la même façon, la loi n'exige aucunement que vous ayez une autre fin que celle de détruire votre propre bien. Par conséquent, le fait de tuer un animal malade est une fin légitime et l'attitude consistant à dire: «c'est mon bien et je n'en veux plus» constitue également un objet légitime. La loi exige uniquement, dans ce genre de circonstances, que l'on ne cause pas de douleur sans nécessité.

Le sénateur Andreychuk: Je n'y comprends plus rien. Je vous ai suivi jusqu'à ce que vous parliez de cet aspect.

J'avais compris de votre premier exposé que vous aviez expressément supprimé la définition d'animal et ce que l'on peut faire et ne pas faire, de la section des biens de sorte qu'il importait peu que l'on soit ou non le propriétaire de l'animal. Vous dites maintenant que cela n'importe pas parce que si vous êtes le propriétaire, vous serez dans la même position avec la nouvelle disposition qu'avec l'ancienne.

Permettez-moi de vous signaler qu'il n'est guère utile de citer des affaires qui concernent davantage les anciennes règles et pas du tout le nouveau projet de loi.

Mme Klineberg: Peu importe que l'animal ait un propriétaire. Ce n'est pas ce qui détermine la règle applicable. Le fait que la personne qui est inculpée est propriétaire de l'animal en question va bien sûr introduire certaines limites et lui donner certains droits à l'égard de son animal. Je ne peux pas tuer le chien de mon voisin parce qu'il ne m'appartient pas. Cependant, le propriétaire d'un animal peut s'en débarrasser comme il l'entend. Cela se fait tous les jours au Canada.

Les gens qui ne veulent plus garder leur animal les amènent chez un vétérinaire et le font euthanasier. Cette situation ne changera pas.

Le sénateur Andreychuk: Du point de vue de la protection des animaux, je peux acheter un animal aujourd'hui, il peut être en excellente santé, mais si je décide que je n'en veux plus, je peux m'en débarrasser comme je le souhaite, est- ce bien cela?

Mme Klineberg: C'est ce que dit le droit. Vous ne pouvez pas le tuer en lui causant des douleurs sans nécessité. Il n'y a pas d'autre condition. Nous avons également ajouté les expressions tuer «sauvagement ou cruellement» un animal. Vous avez le droit de tuer votre animal, pourvu que vous le fassiez sans le faire souffrir. Aucune disposition du droit pénal ne vous empêche de le faire.

Le président: Madame Klineberg, j'ai du mal à comprendre ce que vous dites. Où voyez-vous que le projet d'alinéa 182.2(1)c) énonce que l'on peut tuer un animal si on le veut? Cette disposition dit que l'on ne peut tuer un animal qu'avec une excuse légitime. Pensez-vous que le désir de se débarrasser d'un animal soit une excuse légitime?

Mme Klineberg: Je ne dirais pas que c'est un nouvel article parce qu'avec l'article 445 actuel, il est interdit de tuer volontairement et sans excuse légitime un animal qui est gardé pour une fin légitime.

Le président: C'est un projet d'article nouveau qui contient une nouvelle définition du terme «animal». Le mot «animal» est défini dans ce projet de loi et de façon tout à fait différente. C'est un projet d'article nouveau qui énonce qu'on ne peut tuer un animal sans excuse légitime.

Mme Klineberg: Je ne suis pas sûre que cette définition soit complètement différente. Nous avons codifié la définition alors que le droit actuel n'en fournit pas.

Le président: Nous avons maintenant la définition de ce qu'est un «animal». L'article du projet de loi énonce qu'il est interdit de tuer un animal sans excuse légitime. C'est le sens de la remarque que faisait le sénateur Andreychuk. Et pourtant, vous nous dites que, d'après vous, quelqu'un qui a un animal domestique et qui veut s'en débarrasser peut le faire parce que le seul fait de vouloir s'en débarrasser est considéré comme une excuse légitime.

Mme Klineberg: Oui

Le sénateur Andreychuk: Nous introduisons toutes sortes d'oiseaux exotiques que nous achetons légalement ailleurs. Pouvons-nous tout simplement nous en débarrasser?

Mme Klineberg: Oui, vous le pouvez, pourvu que cela ne soit pas fait cruellement.

Le sénateur St. Germain: Monsieur Mosley, lorsque vous avez parlé de négligence, vous avez parlé de gens qui tirent des coups de feu dans tous les sens. Cela serait qualifié de négligence. Personne ne le conteste.

Néanmoins, la notion de «négligence» dans nos collectivités autochtones est bien différente. Par exemple, si vous placez un fusil devant votre porte au centre-ville d'Ottawa et qu'il est chargé, cela serait de la négligence. Et pourtant, dans certaines régions, il n'est pas inhabituel d'avoir des fusils chargés sur le pas de la porte. À Shingle Point, les fusils étaient chargés et devant la porte, il y avait des enfants qui jouaient autour. Les fusils étaient chargés et placés à l'extérieur pour se défendre contre les ours grizzlis qui venaient jusqu'à l'intérieur du camp.

Je pense que le sénateur Joyal et le sénateur Baker ainsi que d'autres craignent que ce projet de loi ne tienne pas compte de la situation dans laquelle vivent les Autochtones. Je sais que cela semble être un argument spécieux, mais je dois mentionner cet aspect parce que cela explique en partie pourquoi il y a des gens aujourd'hui qui ont saisi les tribunaux pour contester la Loi sur les armes à feu. Ils vont très probablement se retrouver également devant les tribunaux avec quelque chose de ce genre.

Ne pensez-vous pas que cela va inciter les groupes d'intérêt à essayer de faire avancer leur cause dès qu'ils verront quelqu'un faire autre chose que regarder des animaux?

M. Mosley: Je dois vous avouer qu'il n'y a pas grand-chose qui me surprenne. Cependant, je suis surpris que l'État de la Floride ait adopté un amendement constitutionnel pour protéger les cochons. Il semble qu'il était plus facile dans cet État de modifier la Constitution que de modifier les lois qui traitent de l'entretien et de la garde des animaux.

Votre exemple est intéressant parce qu'il fait ressortir la différence qui existe entre ce que l'on appelle couramment la négligence et la négligence criminelle. Il est vrai que le fait de laisser une arme chargée ou avec des munitions à côté dans une collectivité pourrait être considéré comme de la négligence criminelle dans certaines circonstances. Cela a déjà causé des tragédies. Il y en a eu quelques-unes récemment, en Alberta; des enfants ont été tués dans ce genre de circonstances. Néanmoins, il est possible que cela ne soit pas de la négligence criminelle, et que les tribunaux ne l'interprètent pas de cette façon, par exemple, si la personne se trouvait dans un camp de chasse ou devait faire face à un animal sauvage dangereux dans les environs.

La négligence criminelle est une autre norme. Ce n'est pas ce que l'on appelle couramment la négligence. C'est une norme rigoureuse qui découle d'une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui. C'est une norme que le sénateur Andreychuk a certainement été appelée à appliquer lorsqu'elle était juge. Ce n'est pas la même norme que celle de l'imprudence. Notre droit fait une différence entre la «conduite dangereuse» du Code criminel et la «conduite imprudente» des codes de la route provinciaux.

Au cours des années, les tribunaux ont signalé les différences entre ces comportements. L'un est une forme de négligence, mais d'un degré beaucoup plus faible; l'autre est de nature criminelle parce que le risque de préjudice était prévisible. Cela fait quelque temps que je n'ai pas examiné la jurisprudence à ce sujet, mais voilà ce que me dit ma mémoire sur ce point.

Dans ce contexte, nous ne parlons pas de négligence ordinaire, nous parlons de négligence criminelle. Il y a une grande différence. Cela se trouve dans le Code criminel; ce n'est pas une loi qui régit les soins à donner aux animaux, domestiques ou non.

Je dois vous avouer que je possède une terre dans le comté de Lanark et je me suis débarrassé d'un certain nombre de souris et même parfois de castors qui détruisaient ma propriété. Mais je ne vois vraiment pas comment ce projet de loi pourrait me faire courir le moindre risque supplémentaire à l'avenir.

Le président: Pour être juste envers Mme Klineberg, il faut dire que c'est l'argument que vous aviez présenté lorsque nous avons parlé de la décision de se débarrasser d'un animal domestique, pourvu que cela soit fait sans le faire souffrir et sans lui causer de douleur inutile. Tous les membres du comité ne sont peut-être pas d'accord là-dessus, mais je crois que c'était le sens de la remarque, pas seulement tuer un animal mais le faire sans qu'il souffre.

Mme Klineberg: L'infraction qui réprime le fait de causer une douleur sans nécessité s'applique aux animaux domestiques. Tous les propriétaires d'animaux, et tous les autres, ont l'obligation de ne pas causer de douleur inutile à leurs animaux ou à d'autres animaux. Cependant, le propriétaire a le droit de disposer de son bien. C'est un droit qu'ont les citoyens et le droit pénal ne l'interdit pas.

Le sénateur Bryden: Il y a un certain nombre de choses qui me gênent. L'une découle de ce qui vient d'être dit, c'est- à-dire que ce projet de loi ne modifie aucunement les droits que l'on pouvait exercer antérieurement à l'égard des animaux.

Je me rangerais dans la catégorie des minimalistes lorsqu'il s'agit de créer de nouvelles infractions ou de nouveaux droits. Si nous avons été bien informés, ce projet de loi reflète le souci d'aggraver les peines qui sanctionnent la cruauté envers les animaux. Ce projet n'a pas pour but de créer de nouveaux droits pour les animaux. J'ai toutefois noté avec beaucoup d'intérêt qu'il semble que les droits des animaux aient donné naissance à toute une industrie. En fait, il y a maintenant un cours de droit enseigné à l'Université McGill qui porte sur les droits des animaux, d'après ce que nous a dit hier M. Sklar.

Je me demande pourquoi nous n'avons pas simplement laissé cet article où il se trouvait, tout en faisant ce qui a été proposé, à savoir, augmenter les pénalités. Pourquoi était-il nécessaire de réécrire une nouvelle disposition? Il doit bien y avoir une raison pour tout cela. Je pense que les tribunaux poseront cette question.

Deuxièmement, M. Mosley a parlé de Mme Sullivan, je crois, en approuvant les observations qu'elle avait présentées. Elle a toutefois dit un certain nombre d'autres choses, en plus de celles que vous avez citées. L'une de ces choses concerne la réponse qu'elle a donnée à la question de savoir pourquoi cet article avait été déplacé de l'endroit où il se trouvait et placé là où il se trouve maintenant dans le Code criminel, et les répercussions de ce déplacement pour les tribunaux. En tant que rédactrice législative, je pense qu'elle a dit que cela risquerait d'amener le tribunal à se poser des questions au sujet de la nature de l'amélioration qu'on voulait apporter au droit qui exigeait le déplacement et la création d'une nouvelle partie du Code criminel.

Elle a également fait le même commentaire au sujet du fameux paragraphe 429(2). Elle a dit exactement ce que vous avez cité, à savoir, qu'ils ont essayé de supprimer ces dispositions et qu'ils pensaient avoir bien fait leur travail. Ce n'est toutefois pas ce qui s'est passé, bien sûr, parce qu'il reste au moins deux dispositions redondantes qui viennent d'une mauvaise rédaction à laquelle ils ont essayé de remédier. Elle a poursuivi en disant que cela pourrait amener un tribunal à se poser la question suivante: «Pourquoi agir maintenant et pourquoi n'a-t-on pas agi avant? Si l'on a supprimé cette disposition pour la placer ailleurs, pourquoi a-t-on alors supprimé le paragraphe 429(2)? Cela a-t-il eu pour effet de supprimer quelque chose qui devait être là? Est-ce bien là la raison pour laquelle cette disposition était là auparavant?

Cela me paraît une question légitime parce que c'est une chose que de corriger ce genre de disposition redondante lorsqu'on adopte un projet de loi d'ordre administratif pour supprimer des erreurs de rédaction. Cependant, si cela se fait avec un projet de loi qui touche le fond du droit, cela soulève une autre question.

Lorsqu'il s'agit de déterminer l'intention du législateur, j'ai toujours cru que cette intention devait se dégager en premier lieu du sens normal des termes utilisés. C'est là le point de départ. C'est uniquement dans le cas où le sens courant ne permet pas d'en arriver à une décision raisonnable ou donne un résultat manifestement ridicule que l'on s'en remet à la valeur probante de l'opinion qu'a fournie quelqu'un au moment de la rédaction de la disposition.

Si ce projet de loi est adopté, ce sont les mots qui s'y trouvent qui détermineront la façon dont il sera appliqué. C'est là un des aspects qui nous inquiète. Un des points précis qui nous intéresse est la définition du terme «animal». Notre comité a entendu de nombreux témoignages au sujet de la définition d'animal. Je pense qu'il n'y a pas un seul membre du comité qui ne se sente pas concerné, ne serait-ce que du point de vue de la langue anglaise. Dans la présente partie, «animal» s'entend de tout vertébré — à l'exception de l'être humain... et de tout autre animal. J'ai beaucoup de difficulté à utiliser le terme que vous définissez dans cet article. Si l'on met de côté la première partie, cette disposition dit qu'un «animal» est un animal qui peut ressentir la douleur. Je fais référence au projet d'article 182.1.

Des scientifiques nous ont expliqué que cette définition n'était pas très fiable, notamment la dernière partie. La première partie est très claire — animal s'entend de tout vertébré à l'exception de l'être humain. Si la définition s'arrêtait là, il serait assez facile de savoir ce qu'est un animal. Nous n'aimons peut-être pas que cette définition englobe les poissons, les grenouilles ou d'autres encore, mais au moins cette définition est claire. Lorsque nous arrivons au passage où l'on peut lire «et de tout autre animal pouvant ressentir la douleur», se pose alors le problème du foetus. Un foetus répond à cette définition, parce que les tribunaux ont déclaré qu'un foetus n'était pas un être humain. Par conséquent, si vous dites, «animal s'entend de tout vertébré», il faut savoir qu'un foetus est un vertébré à une certaine étape de son développement et qu'il a la capacité de ressentir la douleur. Ce n'est toutefois pas un être humain.

Est-ce bien la situation? Ils ont été très francs avec nous et ils nous ont dit qu'il serait possible d'intenter une poursuite parce que nous ne protégeons pas le foetus dans le cas d'avortement ou d'infliction de douleur ou d'une chose de ce genre, parce que ce n'est pas un être humain. D'après cette définition, c'est un animal. Il est donc possible d'utiliser cette définition. Comme je l'ai indiqué, d'après le témoignage des scientifiques qui ont comparu devant nous, la définition d'un animal comme étant «un vertébré autre qu'un être humain» est satisfaisante, de leur point de vue. Au-delà de cette définition, on se retrouve dans un domaine très délicat puisqu'il faut déterminer si un animal a la capacité de ressentir la douleur.

J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus parce que nous allons devoir en arriver à certaines conclusions, à un moment donné.

M. Mosley: Je vais laisser ma collègue parler de la question de la définition d'animal. Je pourrais peut-être répondre à vos premières questions, sénateur Bryden.

Pourquoi une refonte aussi considérable? Un des objectifs était d'essayer de rationaliser et de moderniser la terminologie du code. Il n'a pas été reformulé depuis 1955. Ce code de 1955 a changé une loi qui remontait à 1892. Comme je l'ai déjà mentionné, le code de 1892 adoptait la notion de préjudice causé aux animaux, qui était presque uniquement relié au droit de propriété sur ces animaux. Les rédacteurs se sont inspirés des modèles législatifs britannique et canadien et ils les ont incorporés dans le code. Le code de 1955 a élargi cette notion pour qu'elle englobe celle de cruauté injustifiée envers les animaux.

La raison pour laquelle cette infraction s'est retrouvée dans la partie du code qui traite des biens est historique. La Commission de réforme du droit, à laquelle nous avons déjà fait référence, a déclaré, dans une description qui figure au début du chapitre traitant des infractions contre les animaux, qu'un de ses buts était d'éviter de placer ensemble la cruauté envers les animaux et les infractions relatives aux biens. Nous reconnaissons que c'est là un objectif valide. Cela explique en grande partie la nouvelle rédaction ainsi que l'extraction de ces infractions de cette partie du code. La véritable question ne touche pas vraiment les droits de propriété mais plutôt la façon dont l'on traite les animaux.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, sénateur Bryden, mais le gouvernement a choisi une orientation délibérée en se fondant sur des précédents qui remontent à plus de 50 ans, dans le but d'abandonner le point de vue du XIXe siècle sur la façon dont les animaux doivent être traités selon le droit pénal, savoir uniquement en fonction du droit de propriété.

Mme Klineberg: L'objectif sur ce point était de clarifier la portée de ces dispositions, et non pas d'introduire une incertitude. Les infractions du code actuel concernant la cruauté envers les animaux utilisent le mot «animal», mais ce mot n'est pas défini. Avec les dispositions actuelles, on peut très bien se demander quels sont les animaux qui sont visés et ceux qui ne le ne sont pas, et si un homard ou une pieuvre est un animal. Nous avons tenté de répondre à ces questions à l'aide d'une définition.

Les scientifiques qui vous ont apporté leur témoignage concernant les vertébrés croient généralement que ces animaux ont la capacité de ressentir la douleur. À première vue, ils sont donc visés par ce texte. Le gouvernement a également adopté une politique consistant à introduire une plus grande souplesse dans cette définition au lieu d'en limiter arbitrairement la portée. À l'avenir, si la science peut démontrer que d'autres catégories ont peut-être la capacité de ressentir la douleur et si la Couronne souhaite assumer le fardeau d'établir ce fait au-delà de tout doute raisonnable dans une affaire donnée, le droit en vigueur permettra ce genre d'évolution.

Cette définition est plus précise que les règles actuelles. Elle n'est pas illimitée. Pour ce qui est des invertébrés, ces dispositions imposent à la Couronne un fardeau qui n'existe pas selon les règles actuelles. C'est pourquoi nous estimons que cette définition réduit la portée des règles actuelles au lieu de les étendre.

Il est également bon de noter que certains États ont adopté des définitions larges et extensives dans leurs lois relatives à la cruauté envers les animaux. Il y a donc des précédents pour ce type de définition. Le Code criminel de l'Arkansas définit animal comme étant «toute créature vivante». Le Vermont, qui a reformulé récemment ses lois relatives à la cruauté envers les animaux, définit le mot animal comme désignant «toutes les créatures vivantes et sensibles», à l'exception des êtres humains. Au Minnesota, animal veut dire «toute créature vivante, à l'exception des membres de la race humaine».

On retrouve également des définitions assez large du mot animal dans les lois provinciales relatives à la protection des animaux. Par exemple, on trouve dans la définition de l'Alberta l'expression «mais ne comprend pas un être humain». Les lois du Manitoba et du Nouveau-Brunswick qui sont relativement récentes, je crois qu'elles ont été revues au cours des années 90, définissent un animal comme étant «un être vivant non humain ayant un système nerveux développé».

Il y a des précédents dans les lois relatives à la protection des animaux et dans les lois pénales relatives à la cruauté envers les animaux qui montrent que l'on adopte des définitions plus larges afin d'introduire une plus grande souplesse. C'est cette politique qu'a choisie le gouvernement.

Le sénateur Beaudoin: Les savants qui ont témoigné devant nous m'ont convaincu que nous allions être obligés de modifier la définition de «animal», telle qu'elle figure dans ce projet de loi, et que la dernière ligne n'était peut-être pas nécessaire.

J'ai été impressionné par le témoignage des représentantes de REAL Women qui sont venues ici récemment. Je crois qu'elles ont conclu que le foetus peut être qualifié d'animal. Je ne le pense pas. Juridiquement parlant, le problème est réglé; nous savons ce que dit le droit. Du point de vue de la science, je ne pense pas que l'on puisse conclure qu'un foetus soit un animal. Ce n'est certainement pas le cas.

Cependant, j'en suis arrivé à la conclusion que nous serons peut-être obligés de définir le mot «animal» différemment. Je suis plus prêt de l'opinion des scientifiques que de la définition qui figure dans ce projet de loi.

Le président: Souhaitez-vous intervenir, madame Klineberg?

Mme Klineberg: La seule chose que j'ajouterais concerne ce que j'ai compris du témoignage de ces scientifiques. Ils ont reconnu que les céphalopodes étaient des invertébrés et qu'ils n'étaient pas des animaux visés par l'expression «vertébrés». Ce groupe comprend les pieuvres, les seiches et les calmars. Les savants ne savent pas très bien si ces animaux ont la capacité de ressentir la douleur. La communauté scientifique semble penser de plus en plus que c'est peut-être le cas. C'est une des raisons pour laquelle le Conseil canadien de protection des animaux a préparé, en plus de ses lignes directrices sur la recherche sur les animaux, un ensemble de lignes directrices spéciales pour les céphalopodes.

En limitant strictement cette définition aux vertébrés, nous excluons la catégorie des animaux que les scientifiques estiment avoir la capacité de ressentir la douleur, compte tenu de la taille de leur cerveau et de la présence d'un système nerveux développé.

La définition actuelle permet d'intégrer au droit les découvertes scientifiques, alors que si nous réduisons la définition d'animal à tous les vertébrés autres que les êtres humains, nous nous interdisons d'inclure ce groupe d'animaux qui a peut-être fort bien la capacité de ressentir la douleur.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais avoir leur opinion sur cette question de définition.

Le sénateur Bryden: Vous nous avez donné les définitions adoptées en Arkansas, notamment. Ce n'est pas dans leur constitution, c'est simplement dans leurs lois?

Mme Klineberg: C'est exact. J'ai également la loi de la Floride ici, si vous voulez.

Le sénateur Cools: Cela se trouvait-il dans leurs codes criminels? Il ne s'agit pas ici d'un projet de loi qui traite de l'environnement. C'est le Code criminel. Lorsque Mme Klineberg nous a lu ces définitions, je ne savais pas très bien si elles provenaient d'un code criminel.

Mme Klineberg: Oui. En Floride, le mot «animal» est défini au code criminel comme étant «toute créature vivante dépourvue d'intelligence», mais je pense que c'est une définition un peu ancienne.

Le sénateur Bryden: Je ne sais pas si le Canada a vraiment raison de suivre aveuglément ce qui se passe au sud de notre frontière. Vous dites que la définition élargie du mot «animal», qui comprend l'expression «a la capacité de ressentir la douleur», permet d'étendre cette définition. Je dirais même qu'elle encourage un tel élargissement. Si nous constatons à un moment donné qu'un être non vertébré ressent de la douleur, nous pourrons toujours examiner la question de modifier ce critère. Le Parlement siège assez régulièrement. Nous ne sommes pas obligés de confier cet aspect aux groupes d'intérêts qui vont en saisir les tribunaux et demander aux juges d'entendre une série interminable d'experts pour savoir si un homard ressent la douleur ou non.

C'est un point de vue. Si l'intention n'était pas de créer de nouveaux droits pour les animaux, mais principalement d'aggraver les peines à cause de l'importance que nous voulons accorder à la cruauté envers les animaux, il ne faudrait pas encourager une industrie. Je viens d'apprendre qu'il existe au moins 700 avocats aux États-Unis qui sont uniquement spécialisés dans les droits des animaux. C'est un commerce important dans ce pays. Nous avons également commencé à former des avocats ici.

Le sénateur Sparrow: Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que font les témoins des ministères qui comparaissent devant les comités. Nous avons entendu un certain nombre de témoins qui ont affirmé qu'il fallait modifier ce projet de loi. Affirmez-vous dans votre témoignage aujourd'hui et dans vos témoignages antérieurs que ce projet de loi est en fait très bien comme il est, qu'il n'est pas nécessaire de le modifier, même si nous avons eu tous ces témoins et tous ces membres du comité qui pensent qu'il faudrait lui apporter des changements? Êtes-vous vraiment en train de nous dire que c'est un bon projet de loi et que rien ne justifie de le modifier?

M. Mosley: Il serait présomptueux de notre part de faire des commentaires à ce sujet, sénateur Sparrow. Nous sommes ici pour répondre aux questions concernant l'interprétation du projet de loi qui vous est soumis. Il s'agit de politique gouvernementale. Je ne pense pas pouvoir ajouter quoi que ce soit. Ce n'est pas à nous de vous dire s'il faut modifier ce projet de loi.

Le sénateur Sparrow: Vous n'avez aucune recommandation à faire sur la façon dont notre comité devrait traiter ce projet de loi?

Je me pose des questions à propos de l'alinéa 182.2(1)c) «tue un animal sans excuse légitime». Nous avons également entendu d'autres témoins qui semblent également se poser des questions au sujet de cette disposition. La difficulté est de définir ce qu'est une excuse légitime. Cela veut-il dire que l'on peut tuer un animal parce qu'il est nuisible ou parce qu'il est indésirable? Est-ce bien là l'objet? Est-ce une excuse légitime de tuer pour le plaisir? Est-ce une excuse légitime de chasser et de tuer un animal pour le simple plaisir, si l'on peut dire, de chasser? Les agriculteurs qui tuent des géomys ou la collectivité qui décide de noyer ces animaux ont-ils une excuse légitime pour le faire? Comment peut-on affirmer que c'est là une excuse légitime? Ces personnes pourraient-elles faire l'objet d'accusations aux termes du projet de loi parce qu'elles n'ont pas d'excuse légitime? Si quelqu'un tuait un coyote qui traverse la terre d'un agriculteur, ce qui est en fait légitime, est-ce que cela constitue une excuse légitime pour la simple raison que cette personne se trouvait là et qu'elle a tué l'animal?

Je n'arrive pas à savoir ce que sont ces excuses légitimes. Je pense que les policiers ne sont pas meilleurs juges que moi lorsqu'il s'agit de porter des accusations dans ce genre de situation.

M. Mosley: Je crois que l'exemple des géomys est assez simple parce qu'ils abîment les terres agricoles. Ce sont des animaux nuisibles. À cause d'eux, il y a des animaux qui pourraient se casser une jambe, par exemple. Quand j'étais jeune, j'ai tué beaucoup de géomys et c'était à l'invitation de fermiers qui voulaient s'en débarrasser. Ils sont une nuisance. Voilà une réponse simple à votre question.

Les choses sont plus compliquées avec la chasse. Je suis assez sûr que les associations qui représentent les chasseurs au Canada ne diraient jamais que les chasseurs chassent pour le plaisir de tuer. Les gens chassent pour toute une série de raisons. Oui, nous pensons que c'est une excuse légitime, pour ce qui est de l'article auquel vous avez fait référence, sénateur Sparrow. Le fait que vous n'avez pas besoin de chasser pour subvenir à vos besoins n'importe pas dans ce cas. Si vous avez le droit de chasser, alors oui, c'est une excuse légitime.

Mme Klineberg: Je peux ajouter que l'expression «sans excuse légitime» n'est pas une expression qui est étrangère au Code criminel. On la retrouve dans plusieurs infractions. Les tribunaux ont été amenés à en préciser le sens dans un certain nombre de décisions. Par exemple, en 1980, la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que l'expression «sans excuse légitime» existe depuis longtemps dans certaines dispositions créant une infraction. Il est impossible de lui attribuer un sens général ou uniforme. En l'absence de définition spéciale, il faut déterminer le sens de cette expression en se fondant sur l'objet de la disposition législative dans laquelle il se trouve et sur le domaine sur lequel portent les dispositions voisines. Dans une autre affaire, soumise à la Cour suprême en fait, la Cour a déclaré qu'il ne serait pas sage d'essayer de donner une définition générale de ce qui constitue une excuse légitime au sens de l'article 205 de la Loi sur les douanes. Le fait d'acheter des marchandises de bonne foi sans avoir connaissance du fait qu'elles ont été importées illégalement a été jugé constituer une excuse légitime. D'après nous, cette expression comprend également la croyance raisonnable et sincère dans un état de fait qui, s'il était avéré, innocenterait l'auteur de l'acte, ce qui est intéressant.

Nous pourrions dire également qu'il serait possible d'établir une liste complète, mais il pourrait se produire une situation dans laquelle il serait difficile de savoir s'il y a excuse ou non et la liste pourrait être incomplète. L'expression «sans excuse légitime» a été interprétée par les tribunaux dans le contexte d'un certain nombre d'infractions depuis un certain temps et c'est une expression très large, non limitée et qui dépend de son contexte. Certaines dispositions relatives à la cruauté envers les animaux qui contiennent cette expression ont déjà été interprétées et les tribunaux n'ont eu aucune difficulté à déterminer ce qu'étaient ces excuses légitimes. Dans l'affaire Ménard, le juge Lamer a mentionné un certain nombre de ces objets légitimes et il a déclaré qu'il est parfois dans l'intérêt de l'homme de tuer et de mutiler des animaux domestiques ou sauvages, de les maîtriser, et, à cette fin, de les dompter avec toutes les conséquences douloureuses que cela peut entraîner, et de les tuer s'ils sont trop vieux, trop nombreux ou abandonnés.

Il existe de la jurisprudence au sujet des différentes excuses légitimes qui permettent de tuer des animaux. La lutte contre les ravageurs est une autre excuse qui a été reconnue par la common law.

Le sénateur Adams: J'aimerais revenir sur les aspects qu'a mentionnés le sénateur St. Germain dans ses commentaires, en particulier parce que nous avons déjà eu l'expérience du projet de loi C-68. À l'époque où nous examinions ce projet de loi, nous avons essayé de dire à Allan Rock que le projet de loi C-68 devrait tenir compte d'un certain nombre de choses. On nous a dit que tous les propriétaires d'une arme à feu devaient conserver cette arme dans un étui fermant à clé. Nous avons expliqué au ministre que nos fusils se trouvent dans nos maisons. Si je veux aller chasser, je ne laisse pas mon fusil dans la maison. Il fait 70 degrés environ dans la maison mais si je prends mon fusil et que je m'en vais en traîneau dans un secteur où il y a des ours polaires et des grizzlis, la température pourrait bien être de moins 41, un jour comme celui-ci, à Rankin. Ce fusil est inutilisable; il serait gelé. Il est arrivé qu'on porte des accusations contre des personnes qui avaient laissé leur fusil dans leur traîneau au lieu de le rentrer dans la maison. Lorsque l'on chasse le caribou, il faut trouver un réchaud Coleman pour chauffer le fusil pour qu'il puisse être utilisé. Cela est parfois très difficile.

Pour ce qui est du projet de loi C-10B, il ne précise aucunement le type d'animal visé. Je pense à la situation que j'ai mentionnée hier dans laquelle Green Peace a fait du lobbying, au cours des années 70, contre les pièges à mâchoires et cela a touché tous ceux qui vivent dans les collectivités du Nord. Le prix des fourrures amenées à la Coop de la Baie d'Hudson ont chuté de 60 $ à 5 $. Les gens qui avaient acheté des motoneiges, qui coûtent près de 10 000 $ et dont le carburant coûte 1 $ le litre, ont dû y renoncer. La Compagnie de la Baie d'Hudson a finalement refusé d'acheter des fourrures et s'est retirée de la collectivité. Il n'y a plus de poste de la Baie d'Hudson au Nunavut.

Il y a eu des défenseurs des droits des animaux qui sont venus étudier les jubartes sur la Clyde River ces trois dernières années. Nous avons le droit de tuer une jubarte par année et maintenant ces défenseurs des droits des animaux proposent d'interdire aux Inuits de tuer les jubartes. D'après le gouvernement du Canada, nous avons droit d'en tuer une par an. Il n'y a pas encore très longtemps, nous pouvions tuer pas mal de bélugas, d'ours polaires et de petits rennes arctiques mais, à cause du risque que cela représente pour ces animaux, on a diminué nos contingents chaque année depuis cette époque.

Si ce projet de loi concernant la cruauté envers les animaux est adopté, je me demande si nous pourrons encore chasser les animaux à l'avenir. Vous dites que nous sommes protégés par l'article 35 de la Constitution. Je ne sais pas combien coûterait une contestation judiciaire à l'endroit de ce projet de loi, en particulier lorsque l'on vit dans le Nord où le billet pour rentrer à la maison me coûte plus de 3 000 $. Ce projet de loi devrait tenir compte des gens qui vivent de la terre, qui pêchent et qui chassent.

M. Mosley: Si j'ai bien compris la question, vous me demandez si nous accepterions de soustraire les Autochtones à l'application de cette loi. Oui, comme je l'ai expliqué plus tôt dans un échange avec le sénateur Joyal, ces dispositions ne concernent pas les droits de chasse et de pêche mais la façon dont l'on traite les animaux et c'est une question qui intéresse l'ensemble de la société canadienne. Cela figure dans le Code criminel à l'heure actuelle. Les modifications visent le Code criminel et elles s'appliqueraient à tout le monde au Canada. Par contre, je ne pense pas que ce projet de loi puisse nuire à vos pratiques traditionnelles de chasse et de pêche.

Le sénateur Adams: Si je possédais une carte de bénéficiaire conformément au règlement sur les revendications foncières du Nunavut, si je tuais un animal, et si j'étais poursuivi, est-ce que je serais protégé si je pouvais exhiber ma carte de bénéficiaire parce que nous avons réglé des revendications foncières?

M. Mosley: Vous êtes protégé contre toute restriction de votre droit de pêcher et de chasser en raison de votre statut d'Autochtone et des droits qui l'accompagnent. Cela ne touche pas directement la question de savoir comment l'on traite les animaux lorsque l'on pêche et l'on chasse. Je pense que vous continuerez à bénéficier d'une protection à l'égard de, par exemple, les lois concernant les différentes saisons, la protection de certaines espèces et les limites apportées au droit de chasser ces espèces. Ce n'est pas ce dont traite ce projet de loi. Ce projet ne réglemente pas la chasse.

Le sénateur Adams: Le projet de loi parle de n'importe quel animal qui peut ressentir la douleur. Tous les animaux sur lesquels nous tirons ressentent de la douleur.

M. Mosley: J'imagine pratiquement que tous les animaux que vous chassez sont visés par la définition qu'en donne ce projet de loi. Mais cela ne veut pas dire que vous ne pourrez pas continuer à chasser à cause de ce projet de loi.

Le sénateur Adams: J'ai expliqué la même chose hier. Nous allons parfois à la chasse au phoque ou à la baleine. Il faut utiliser le harpon avant de tuer le phoque ou la baleine. Est-ce de la cruauté envers un animal?

M. Mosley: C'est ce qu'il faut faire pour chasser le phoque. Comme vous l'avez expliqué la dernière fois, en utilisant uniquement un fusil, le phoque pourrait couler et vous ne pourriez pas le récupérer. En lui lançant un harpon au départ, vous pouvez maîtriser le phoque, ce qui fait partie de votre façon traditionnelle de chasser le phoque. Je ne vois là aucun problème.

Le sénateur Adams: Si je ne lève pas mes filets pendant quelques jours et que le poisson se noie, est-ce de la cruauté envers les animaux?

M. Mosley: Non, c'est la façon dont vous pêchez.

Le sénateur Smith: Y a-t-il certains aspects de la formulation actuelle qui vous font problème, compte tenu des témoignages ou des arguments que vous avez entendus devant le comité?

M. Mosley: Non. J'ai consulté ma collègue et elle a suivi de près les témoignages. Je ne le pense pas, sénateur Smith.

Le sénateur Smith: Pour ce qui est de la question de l'apparence de droit, vous dites, je crois que cette défense de common law peut être invoquée et qu'il n'est pas nécessaire de la mentionner. Certains membres du comité se demandent s'il ne serait pas plus prudent de la mentionner pour être sûr qu'elle puisse être invoquée. Si nous procédons ainsi, y aurait-il des inconvénients? Je crois que vous avez dit que nous risquons, sans le vouloir, de compromettre les situations dans lesquelles la défense d'apparence de droit devrait s'appliquer parce que cela peut inciter les tribunaux à ne reconnaître cette défense que lorsqu'elle est mentionnée dans une disposition. Est-ce bien cela que vous dites? Pensez-vous que nous serions sur une pente dangereuse?

M. Mosley: Cela serait une conséquence non souhaitée de l'insertion d'une disposition d'apaisement dans le projet de loi, une disposition qui ne nous paraît pas nécessaire. Je comprends pourquoi vous souhaitez le faire, compte tenu des témoignages que vous avez entendus. Je trouve curieux qu'un représentant du procureur général préconise d'attribuer une interprétation plus large à une disposition qui accorde un moyen de défense à l'accusé.

Il est également tout aussi curieux d'entendre des représentants du barreau criminel affirmer: «Non, si cela n'est pas mentionné expressément, cette défense n'existe pas». Je pense qu'ils se trompent. Leur argument pourrait avoir des conséquences malheureuses à l'avenir; l'avocat qui soutiendrait que la défense de common law s'applique à une autre disposition du Code criminel, où cette défense n'est pas mentionnée expressément comme elle l'est actuellement à l'article 429, verrait son argument affaibli.

Le sénateur Smith: Nous avons déjà entendu cela, mais ils ont quand même poursuivi les chasseurs de phoque. Que diriez-vous que nous adoptions une telle disposition pour être certain que cela ne se reproduise plus?

M. Mosley: Je dois avouer que je ne connais pas suffisamment les règles applicables à la chasse au phoque ni l'exemple particulier auquel le sénateur Baker faisait référence.

Le règlement précise effectivement la méthode à utiliser pour chasser le phoque. Il contient une disposition qui prévoit expressément la défense de diligence raisonnable. Cette disposition énonce: «Nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à la présente loi s'il établit qu'il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l'existence de faits qui, avérés, l'innocenteraient».

Ils doivent se conformer à la façon de chasser le phoque que décrit le règlement relatif aux mammifères marins. La personne qui chasse le phoque différemment peut soutenir qu'elle pensait qu'elle avait le droit de chasser de cette façon. Si cette opinion n'est pas raisonnable et sincère, cette personne ne peut utilement invoquer cette disposition.

Le sénateur Smith: Vous voudrez peut-être examiner cette question et nous donner une réponse par écrit.

Le sénateur Andreychuk: Il est intéressant de noter que M. Mosley a affirmé qu'en adoptant une disposition d'apaisement, cela pourrait nuire à la défense de common law. Permettez-moi de dire qu'il n'est pas possible de se fier uniquement aux défenses de common law. Il faut examiner l'état du droit, il faut savoir si les moyens de défense ont été supprimés ou non et s'ils ont été appliqués récemment.

Certaines défenses ont été mentionnées expressément dans cet article et ailleurs dans le Code criminel. Pouvez-vous me citer un cas où en mentionnant cette défense, nous avons limité une défense de common law dans une autre partie du Code criminel? Comment le fait de mentionner cette défense dans cet article du Code criminel peut-il restreindre une défense de common law? Ou alors, affirmez-vous que, pour une raison ou une autre, ce projet d'article aurait cet effet alors que les autres ne l'ont pas. Pouvez-vous me répondre là-dessus?

J'aimerais que vous précisiez vos commentaires selon lesquels ce projet de loi a pour unique but de réorganiser les dispositions actuelles en aggravant les pénalités, de façon à ce que ce projet ait un but éducatif en plus de toucher le fond du droit. Grâce à lui, la personne qui commet des actes de cruauté envers les animaux est sanctionnée plus sévèrement.

Si c'est le seul effet de ce projet de loi, nous avons tout simplement réarrangé ce qui se trouvait dans la loi actuelle. Les gens se sentent menacés. Il y a une tension entre les défenseurs des droits des animaux, qui appuient ce projet, et ceux qui veulent préserver leur mode de vie. Les dispositions actuelles du Code criminel sont suffisamment inquiétantes pour que les agriculteurs et les Autochtones se demandent si ce qu'ils faisaient hier est encore acceptable aujourd'hui. La société évolue et elle leur dit qu'ils sont dépassés.

Eh bien, ils ne sont pas dépassés. Il faut tenir compte du fait que le Code criminel ne sera pas respecté s'il n'existe pas un large consensus en sa faveur, en particulier un consensus qui englobe les personnes qui sont directement touchées par lui. C'est ce que nous a appris le projet de loi C-68.

M. Mosley: J'aimerais parler du moyen de défense. Si le principe selon lequel l'apparence de droit ne fait pas partie de la common law est reconnu, cela affaiblirait l'argument de l'avocat qui essaie de soutenir qu'il ne peut être invoqué dans une autre partie du Code où il est mentionné expressément. Cela serait difficile pour lui. Je pense que cela n'est pas bon. Je pense que cette défense fait partie de la common law.

Pour ce qui est de vos remarques au sujet des dispositions d'apaisement, je pense que nous comprenons pourquoi les gens se sentent menacés par le changement. Je dirais cependant que la plupart de ces changements n'ont rien à voir avec le droit pénal mais plutôt avec l'évolution des attitudes de la population. Nous ne pensons pas que les changements proposés soient à l'origine de ces toutes ces préoccupations. Je précise en passant qu'il ne s'agit pas simplement de restructurer le code existant; ce ne sont pas les termes que j'ai utilisés. J'ai dit que l'objectif était de moderniser et de rationaliser les dispositions relatives à la cruauté envers les animaux.

Nous n'aurions pas eu un débat d'une telle ampleur s'il s'agissait simplement de restructurer ces articles.

Mme Klineberg: J'ai l'impression que certains pensent que si l'apparence de droit n'est pas conservée, les activités qui sont légales à l'heure actuelle vont devenir illégales. J'ai l'impression que certaines personnes aimeraient voir ajouter ces mots pour qu'elles soient sûres qu'elles ne seront pas obligées d'invoquer l'article 8.

Il y a un aspect qui n'a pas été abordé, c'est le fait que l'apparence de droit est une défense basée sur l'erreur. Ce n'est pas une défense d'objet légitime, ni une défense de protection, comme dans le cas de la personne qui exerce des activités lucratives et qui a droit à des protections. C'est une défense fondée sur l'erreur de fait ou sur l'erreur de droit.

L'apparence de droit ne concerne aucunement l'agriculteur, le chasseur ou la personne qui fait de la recherche sur les animaux, qui comprend le droit et qui connaît très bien tous les aspects de ses activités. Il serait trompeur d'insérer une telle clause et d'en faire une disposition d'apaisement parce que cela laisserait entendre que ce moyen de défense est un élément dont a besoin la personne qui exerce des activités légales concernant des animaux ou qui l'utilise de façon quotidienne, ce qui est juridiquement inexact. Ce moyen de défense est d'application très limitée. Il est vrai que même avec les défenses d'application très limitées, il est toujours réconfortant de les voir mentionner expressément. Ce n'est pas une défense d'application très large mais plutôt restreinte — elle est fondée sur l'erreur.

Par conséquent, que cette défense figure ici ou non ne fait aucune différence pour ce qui est de savoir ce qui est légal et illégal.

Le président: Je remercie les témoins pour leur patience et pour le temps qu'ils nous ont consacré. Il y a là des questions troublantes, comme l'ont montré les questions que vous ont posées les sénateurs.

Le sénateur Baker: Pour le compte rendu, je n'ai pas voulu dire que M. Mosley s'était trompé. Il s'était simplement trompé dans l'hypothèse qu'il avait envisagée.

La séance est levée.


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