Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 5 - Témoignages du 7 avril 2003


OTTAWA, le lundi 7 avril 2003

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 08 pour étudier, afin d'en faire rapport, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi, ainsi que les rapports de la commissaire aux langues officielles, de la présidente du Conseil du Trésor et de la ministre du Patrimoine canadien; pour faire l'étude sur le rapport intitulé: «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles», révisé le 25 juillet 2002 et commandé par le ministère de la Justice du Canada.

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente: Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à tous et vous remercie d'être présents aujourd'hui. Nous devions recevoir la ministre de Patrimoine canadien, Mme Sheila Copps ainsi que la commissaire aux langues officielles, Mme Dyane Adam aujourd'hui, toutefois, elles ont dû se décommander.

En premier lieu, nous recevons des représentants de la Fédération franco-ténoise qui nous parleront de la situation des franco-ténois. En deuxième partie, nous entendrons des témoins de Justice Canada qui nous entretiendront du rapport intitulé «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles». En ce qui a trait à ce sujet particulièrement, le sénateur Gauthier nous a demandé de vous transmettre un document d'information.

Vous vous souviendrez qu'on a entendu les témoins de Justice Canada sur la question des Franco-ténois. Aujourd'hui, nous allons entendre la position des Franco-ténois dans ce dossier.

Nous apprécierions que la séance ne termine pas trop tard. Je demande donc à tous les sénateurs de poser leurs questions brièvement afin que les témoins disposent d'un peu plus de temps pour y répondre.

Notre premier témoin est M. Fernand Denault, président de la Fédération franco-ténoise. Vous avez un maximum de 30 minutes pour faire votre présentation. Vous êtes accompagné de Mme Diane Côté, agente de liaison de la Fédération des communautés francophones et acadienne. Vous avez la parole, M. Denault.

M. Fernand Denault, président, Fédération franco-ténoise: Je vous remercie de la part de la communauté franco- ténoise de l'intérêt que vous démontrez à notre égard. C'est encourageant. On fait face à un temps critique. Je ne prendrai pas tout le temps que vous m'allouez pour faire ma présentation.

Encore une fois, les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest ont fait preuve de mauvaise volonté envers notre communauté. Le rapport d'étape du Comité de révision de la Loi sur les langues officielles de l'an passé ne contenait aucune référence aux interventions de la Fédération franco-ténoise, de la Fédération des communautés francophones et acadienne et de la commissaire aux langues officielles du Canada.

Cela s'est confirmé aussi lorsque le président du comité avouait que nous avions tous été avisés trop tard pour pouvoir changer quoi que ce soit dans le rapport. Cette mauvaise volonté date depuis 1986, soit depuis que le gouvernement a demandé l'avis de Me Bastarache pour donner des conseils sur les obligations des nouvelles lois.

Me Bastarache a soumis un rapport qui, depuis, repose dans les ténèbres poussiéreux. Il faut dire que depuis ce temps, le gouvernement fédéral paie la note. Le gouvernement territorial encaisse au-delà de 37 millions de dollars depuis 1984 pour les services en français et n'obtient aucun résultat tangible. La loi n'est toujours pas appliquée et il n'existe presque pas de services en français.

Après 19 ans d'expérience, nous reconnaissons une ferme volonté politique de faire obstacle à l'actualisation de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest. On constate une opposition délibérée à l'atteinte des objectifs de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest et une prohibition de sa mise en oeuvre.

Pendant tout ce temps, nous subissons la discrimination de la part de nos gouvernements de la Couronne fédérale. Prenons, par exemple, les annonces des gouvernements qui offrent à la communauté des opportunités à participer dans des services. Les annonces du gouvernement territorial, à partir de décembre 1993, ont été faites, dans une proportion de 50 p. 100, en français. Cela démontre un préjugé contre notre communauté. La presse francophone des Territoires du Nord-Ouest subit aussi un préjudice et les citoyens francophones sont privés d'opportunités importantes. C'est le seul exemple dont je vous fais part, mais je pourrais vous en citer d'autres.

En 1999, on commence à prendre les choses en main un peu plus sérieusement. On a fait une étude suivie d'un forum où on pouvait faire le constat de la situation. Suite à des discussions futiles avec le gouvernement, on a déposé, le 25 janvier 2000, une poursuite en Cour fédérale contre les deux gouvernements de la Couronne fédérale, soit celui des Territoires du Nord-Ouest et celui du Canada. Le juge Rouleau nous a donné gain de cause en septembre 2000. Par contre, les gouvernements ont été en appel et la Cour fédérale d'appel se prononça comme non-compétente dans ce dossier en juillet 2001.

Le 9 octobre 2001, nous avons déposé notre poursuite à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest et notre poursuite a été retenue qu'en septembre 2002. Un an a été perdu. Il semble que le gouvernement territorial voulait discuter, mais rien ne bougeait. Finalement, on met tout en œuvre pour se rencontrer mais, à la dernière minute, la rencontre a été annulée parce que le gouvernement territorial ne voulait pas discuter avec nous en français. Avec une telle attitude, cela risque d'être long.

Le 26 août 2002, on a demandé à l'honorable Martin Cauchon un renvoi à la Cour suprême du Canada pour éclairer des points de droit spécifiques qui aideraient les trois parties à résoudre leurs problèmes. Le 20 novembre 2002, cette requête nous a été refusée.

Retarder la justice, c'est nier la justice. On se tourne en dernier recours vers le Comité sénatorial permanent des langues officielles. Nous vous demandons quelques actions, espérant que cela soit possible. Notre communauté est quasiment au désespoir. Nous avons entrepris une procédure qui, peut-être, ne sera pas terminée avant longtemps. Il faut essayer d'arriver à quelque chose de crédible, surtout lorsqu'on parle d'un gouvernement de la Couronne fédérale. C'est triste de voir que le gouvernement fédéral ne prend pas les mesures nécessaires pour que les droits du citoyen soient respectés en matière de langue officielle.

Est-ce possible qu'un gouvernement fédéral nie les droits à un citoyen, même s'ils sont déjà attribués par la Chambre des communes et par le Sénat? Cela n'a pas de bon sens. Ces questions ont besoin d'être éclairées et d'être tranchées par la Cour suprême du Canada. Les deux gouvernements se cachent derrière des ambiguïtés.

J'ai entendu Me Préfontaine et Me Tassé argumenter devant le juge Rouleau qu'on devrait respecter la zone grise, la zone nébuleuse — je cite les mots — relativement aux gouvernements des Territoires du Nord-Ouest. Selon nous, ce sont des créations de la Chambre des communes, du gouvernement du Canada. Cela relève d'un ministère fédéral, soit le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Je dois dire que ce ministère refuse des responsabilités selon les articles 41 et 42 de la Loi sur les langues officielles, même si ce ministère est responsable directement de trois gouvernements ayant juridiction sur la Loi sur les langues officielles.

Nous croyons que beaucoup de questions seraient éclaircies si l'on pouvait avoir le renvoi à la Cour suprême pour identifier cette création mystérieuse et complexe que sont les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest. C'est cruel de nier un droit à des citoyens en se cachant derrière des ambiguïtés.

Il n'y a pas trop longtemps, ce n'était pas seulement les langues officielles qui n'étaient pas respectées mais les droits de la personne. Il n'y avait pas de droits de la personne sur ces territoires. Encore aujourd'hui, les droits de la personne ne rencontrent pas le seuil de la loi fédérale. Pour avoir accès au bureau fédéral des droits de la personne il faut aller à Edmonton. Cela n'a pas de sens! C'est juste pour vous démontrer que cela va plus loin que la Loi sur les langues officielles. On est en train de mourir à petit feu à cause d'une cruauté injuste.

On demande que le Sénat voit à la création — parce qu'il y a une nouvelle loi qui est censée être adoptée en juin — d'un comité spécial composé des membres de comités existants au Sénat et à la Chambre des communes traitant des langues officielles qui se penchera sur le projet de loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest pour s'assurer du respect des droits linguistiques et constitutionnels. Nous demandons que ce comité étudie la question d'urgence et s'assure que cette loi n'entre pas en vigueur avant que le travail soit fait. Aussi, que ce même comité spécial demande au ministre de la Justice le renvoi de la poursuite à la Cour suprême du Canada pour éclairer les parties et définir le statut constitutionnel et légal de cette création mystérieuse du gouvernement fédéral qui est le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, puisqu'on est le vestige — on est ce qui reste des Territoires du Nord-Ouest, qui déjà partaient de l'Ontario jusqu'aux Rocheuses et comprenait tout le Nord du pays —, on perçoit, au ministère des Affaires indiennes et du Nord une influence qui n'est pas positive à notre égard. Il y avait un temps où c'était le ministère des Affaires indiennes et du Nord qui était responsable de former les gouvernements, de voir à ce que ces gouvernements agissent de façon responsable. Avec les attitudes qui persistent même aujourd'hui, on se doute de leur capacité de pouvoir former adéquatement des gouvernements dont ils sont responsables.

Quand on regarde la Loi du ministère des Affaires indiennes et du Nord, on peut voir que d'un coup de plume le ministre peut enlever les gouvernements. C'est un pouvoir extrême qu'Ottawa s'est toujours réservé. On pourrait penser que c'est pour s'assurer que les droits du citoyen soient préservés, sauvegardés. Par contre, on constate que ce n'est pas le cas. Il se passe n'importe quoi et le fédéral paie la note. Il ne pose pas de question. Je me rappelle, dans d'autres mandats, on avait fait face à des paroles discriminatoires à notre égard de la part du chef du gouvernement du temps. C'était si simple, la veille de Noël, une déclaration fut publiée dans les journaux locaux selon laquelle le gouvernement du temps faisait un cadeau au peuple en retardant la Loi sur les langues officielles de deux ans pour les Français.

On a pris les mesures nécessaires. C'était un signal que quelque chose n'était pas correct chez nous. On a demandé au gouvernement fédéral de vérifier ce qui se faisait avec les fonds donnés aux Territoires du Nord-Ouest. Le gouvernement fédéral n'a jamais voulu le faire. On a demandé à la vérificatrice générale de regarder ce qui se passait avec ces fonds. Personne ne semble vouloir vérifier. Peut-être qu'elle vérifiera ou non, mais c'est une demande que nous avons faite. Jusqu'à présent, le gouvernement fédéral paie la note et ne s'assure même pas que le travail soit fait. On peut vous dire que le travail n'est pas fait.

La présidente: Je vous remercie, de votre présentation. Je suis certaine que les membres du Comité sénatorial sur les langues officielles auront beaucoup de questions à vous poser. Avant de donner la parole au sénateur Beaudoin, j'aimerais vous poser une question.

Vous recommandez la formation d'un comité mixte. Vous savez sans doute que le comité du Sénat est un comité récent de cette année, mais pour faire votre étude spéciale, vous préféreriez que ce soit fait par un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat, pourquoi ce choix?

M. Denault: Parce que c'est une question d'urgence chez nous. Présentement, la loi n'est pas appliquée et ne l'a jamais été. Il existe une provision dans la Loi sur les langues officielles nous assurant que l'on ne nous enlèvera pas nos droits. En d'autres mots, si on passait des lois qui enlevaient des droits linguistiques aux Français, cela devrait passer par un débat à la Chambre des communes. Par contre, on n'a jamais appliqué la loi. On nous a toujours privés de nos droits, parce qu'il n'y a pas de règlement à cette loi. Il n'y a aucun mécanisme en place pour mettre en œuvre cette loi. On ne s'est jamais assuré que la loi respecte nos droits. Cela n'a jamais fait de débat à la Chambre des communes. Maintenant, ils veulent changer après dix ans, il fallait qu'ils révisent la loi. Ils la révisent et c'est là où est le pouvoir. Dans le fond, c'est la Chambre des communes et le Sénat. On recommande un comité conjoint pour essayer de gagner du temps.

Le sénateur Corbin: Pourriez-vous m'excuser, j'aimerais une précision. Le témoin a dit tantôt qu'on allait demander à la vérificatrice générale de faire enquête. Parliez-vous de la vérificateur générale du fédéral?

M. Denault: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il faut dire au départ que c'est une question très controversée. Mon impression c'est que ce sera décidé devant les cours de justice. Vous êtes devant les tribunaux, le gouvernement canadien est également devant les tribunaux. Je n'ai pas l'impression que d'un côté ou de l'autre on est prêt à changer d'idée. Ce qui veut dire que les tribunaux vont trancher. On a le droit, en tant que comité sénatorial, de discuter de ce sujet, même si c'est devant les tribunaux, parce que la théorie du sub judice ne nous lient pas jusqu'à ce point.

En matière criminelle, on laisse ces questions aux tribunaux. Ici, ce n'est pas une matière pénale, c'est une question d'interprétation. Je suis ici depuis bon nombre d'années et nous avons toujours considéré que l'article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés place les deux langues — le français et l'anglais — sur un pied d'égalité.

L'article 16 est considérable, mais on n'en parle pas beaucoup. Les deux langues officielles du Canada sont le français et l'anglais et les deux langues ont des privilèges et des droits égaux. C'est la Constitution qui le dit et il ne peut y avoir mieux que la Constitution. On nous dit souvent que la Loi sur les langues officielles s'applique aux institutions fédérales, mais pas à celles des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut.

Lors d'un débat qui s'est tenu avec les avocats, certains ont dit que les Territoires ne sont pas des provinces, mais qu'ils sont plus que des municipalités. Jusque-là, je pense qu'on peut s'entendre; ce ne sont pas des provinces. Les Territoires tiennent leur pouvoir du Parlement canadien car c'est le Parlement canadien, dans une loi, qui crée un territoire. Cela est très clair et aucun juriste n'est en désaccord avec cette position.

Lorsqu'on crée un territoire et qu'on lui accorde des pouvoirs, doit-on le faire dans les deux langues? La réponse est oui. Il existe une Loi des Territoires du Nord-Ouest en français et en anglais puisque toute loi fédérale doit être écrite dans les deux langues.

Et voilà qu'on a créé la Loi sur les langues officielles. Personnellement, je suis partisan de la thèse qui dit que lorsqu'il légifère sur les langues officielles, le Parlement doit respecter l'article 16 de la Constitution du Canada. C'est très clair. Il faut accorder l'égalité aux deux langues.

Une autre théorie prétend que la Loi sur les langues officielles ne le mentionne pas. Si on applique la logique, on s'aperçoit que c'est la Loi sur les langues officielles qui se soumet à la Constitution et non la Constitution qui se soumet à la Loi sur les langues officielles. Dans certains milieux, on dit que les Territoires ne sont pas une institution fédérale, mais une création fédérale. J'ai vérifié le mot «institution» dans le dictionnaire et on le définit comme étant une création. Jusque là, il me semble que la logique est très logique. Voilà où on en est actuellement pour le débat.

Comme je disais, si aucune partie ne bouge, la Cour va le faire et elle va se prononcer. Et un jour cela ira à la Cour suprême du Canada et cela prendra du temps. On aura donc une décision finale. C'est comme cela que je vois le problème. Des deux côtés, les avocats plaideront, mais il y a une chose qu'on ne peut pas changer. L'article 16 dit que les deux langues officielles sont le français et l'anglais et que les deux langues ont des privilèges égaux. Cela veut donc dire que les territoires créés par une loi fédérale devraient avoir des langues officielles égales.

Je ne veux pas vous décourager. Au contraire, je suis très favorable à votre démarche. Vous dites que vous n'avez pas eu la chance d'obtenir un renvoi à la Cour suprême. Le débat se fera devant les tribunaux. Il faudra avoir beaucoup de patience. Je ne vois pas d'autres solutions. Voyez-vous une autre solution?

M. Denault: On ne voit pas de solution non plus. Avec la volonté démontrée de part et d'autre des deux gouvernements, on sait qu'une génération se fera nier justice. Cela n'est pas acceptable dans notre pays. Si la Cour suprême se prononçait sur la nature et l'identité des territoires, cela motiverait peut-être une approche plus responsable et plus juste de la part de nos gouvernements.

On pourrait peut-être en arriver, au moins, à s'asseoir à une table et discuter, et avec un peu de chance, en français. C'est ce qu'on veut, c'est ce qu'on aimerait; une poussée pour améliorer ce climat empoisonné.

Le sénateur Beaudoin: Personnellement, il est évident que je vais respecter la décision de la Cour suprême. Si nous ne sommes pas satisfaits, on peut toujours légiférer et amender la Constitution, quoique je ne l'amenderais pas de ce côté parce qu'elle nous est favorable.

Je pense qu'à un moment donné il faudra faire un compromis en ce sens, ce sera une égalité des deux langues en devenir, à défaut de l'être immédiatement. C'est tout de même mieux que de ne pas l'être du tout. Voilà comment je vois le problème. Je ne suis pas trop optimiste, sauf qu'il est possible que vous gagniez à la Cour suprême. C'est arrivé à M. Forest, il a perdu partout sauf à la Cour suprême.

Le sénateur Gauthier: Avez-vous pris connaissance du quatrième fascicule du comité?

M. Denault: Oui.

Le sénateur Gauthier: Je n'ai pas été surpris mais cela m'a fait de la peine de vous entendre dire que vous étiez désespérés, voire angoissés par la situation. C'est inquiétant parce que si vous disparaissez des territoires, le Canada y perdra beaucoup. Le fait de conserver et de défendre l'épanouissement et le développement de votre communauté est une question d'intérêt national.

Ce que vous avez dit durant votre allocution m'a intrigué. Vous avez dit que dans les territoires il y avait de la discrimination à votre égard. Vous avez dit également qu'ils étaient de mauvaise foi envers vous et qu'ils n'étaient pas intéressés à vous rencontrer. Même si des services d'interprétation sont disponibles, ils ne veulent pas parler avec les francophones.

Actuellement, un Canadien d'expression française qui vit présentement dans les territoires peut-il obtenir des services du gouvernement dans sa langue?

M. Denault: Ce serait une grande chance de les obtenir. C'est peu probable. Selon l'étude, il n'existait presque pas de services. Environ 70 p. 100 des places visées n'avaient pas de serviceset 75 p. 100 du matériel était manquant.

Le sénateur Gauthier: C'est difficile.

M. Denault: Ce serait vraiment difficile.

Le sénateur Gauthier: Pourriez-vous vous faire entendre dans votre langue par un tribunal civil ou criminel?

M. Denault: Jusqu'à présent, oui.

Le sénateur Gauthier: Si vous aviez à demander un procès dans votre langue, auriez-vous des chances de l'obtenir?

M. Denault: À ma connaissance, cela n'a jamais été refusé. Les gens qui ont eu à comparaître en cour ont pu plaider leur cause en français. Je ne fais pas de suivi sur ces choses à moins de recevoir une plainte.

Le sénateur Gauthier: Est-ce possible d'être entendu par un juge qui comprend le français dans les Territoires du Nord-Ouest actuellement?

M. Denault: Oui, ce l'est.

Le sénateur Gauthier: Sur le plan du statut des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur Beaudoin a fait allusion à savoir si vous étiez une institution du gouvernement fédéral ou autre chose. On a posé la question il y a un mois ou plus aux juristes qui témoignaient en comité et on n'a pas reçu de réponse satisfaisante. Vous avez dit que vous aimeriez aller à la Cour suprême. Vous parliez de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest?

M. Denault: À la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Gauthier: Après avoir passé aux instances territoriales, n'est-ce pas?

M. Denault: Présentement, on est à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest.

La présidente: Si vous ne gagnez pas votre cause, vous pouvez aller à la Cour suprême du Canada?

M. Denault: Ce chemin est long et dispendieux.

Le sénateur Gauthier: Ce n'est pas nécessairement vrai que vous allez à la Cour suprême du Canada si vous perdez à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest. La Cour suprême peut se prononcer et accepter ou refuser d'entendre la cause.

Vous n'avez pas de services gouvernementaux réguliers, complets, offerts d'une façon positive. Vous avez tout de même un accès acceptable correct sur le plan juridique. Devant les tribunaux civils pourriez-vous avoir gain de cause en français?

M. Denault: Jusqu'à présent, les tribunaux des Territoires du Nord-Ouest n'ont pas refusé, à notre connaissance, d'offrir le procès en français lorsque cela a été demandé. Je ne sais pas si des demandes au civil ont été refusées. C'est fort probable qu'on l'aurait.

Le sénateur Gauthier: Pourrait-on avoir une information à ce sujet? À maintes reprises, des avocats nous ont dit que la Loi sur les langues officielles dans les Territoires du Nord-Ouest semblait assez bien. Vous nous avez dit qu'à tous les dix ans, vous devez revoir la loi. Je suis d'accord avec vous.

Une nouvelle loi a été déposée à la fin du mois de mars. Êtes-vous satisfait de la nouvelle loi?

M. Denault: Non, parce que même la nouvelle loi n'a pas de règlement. Sans règlement, ce sont des mots sur papier qui ne s'appliqueront pas. Il n'y a pas de dent et rien ne force les ministères à appliquer la loi. Il n'y a rien d'autre que des directives internes.

Le sénateur Gauthier: Dans le Nord, ce ne sont pas des règlements, mais des directives. C'est administratif dans certaines régions où ils jugent la demande importante. J'imagine que vous avez le droit d'accès dans certaines municipalités des Territoires du Nord-Ouest et vous ne l'avez pas dans d'autres. Est-ce que je me trompe?

M. Denault: C'est assez juste. Hay River, Yellowknife, Fort Smith et Inuvik sont des communautés où nous avons une présence active et où nous avons plus de chance d'avoir des services. Il faut dire qu'à Hay River, même s'il y a une présence historique assez importante pour l'importance de la communauté, il faut mettre tout cela dans son contexte car la population totale des Territoires du Nord-Ouest est de 40 000 personnes. Suite à un accident de travail, il a fallu amener une personne à l'hôpital et c'était impossible de se faire comprendre en français. Il y a eu des plaintes. Cela dépend si l'interprète personne est présente, partie prendre un café ou si elle est en vacances. Cela dépend d'une personne et non d'un poste; et c'est par pure chance.

La présidente: Sénateur Gauthier, je vous mettrai sur la deuxième ronde des questions.

Le sénateur Gauthier: Est-ce que je peux finir?

La présidente: Vous avez encore une autre question?

Le sénateur Gauthier: Cela prend 30 secondes d'attente avant de connaître la réponse.

La présidente: Une autre question?

Le sénateur Gauthier: D'accord, passez à un autre sénateur.

Le sénateur Léger: Au mois de mars, nous avons reçu le Plan d'action du ministre Dion. Trouvez-vous qu'il y a une différence? Cela va-t-il amener quelque chose de différent aux Territoires du Nord-Ouest?

M. Denault: Dans certains domaines où il y a des relations directes avec des ministère spécifiques, par exemple en santé à Ottawa, il devrait y avoir des retombées positives chez nous.

Par contre, un exemple serait le développement économique qui relève du ministère des Affaires Indiennes du Nord, il n'y aura aucune retombée. Le ministère refuse de prendre ses responsabilités. C'est un refus historique et catégorique et à ce que je sache, le ministre Dion n'a pas percé là encore.

Le sénateur Léger: Lorsqu'on a créé la Loi sur les langues officielles il y a 30 ans, on avait déterminé quelles étaient les régions où il y avait des majorités, comme Fort Smith, Hay River et Yellowknife. Trente ans plus tard, le gouvernement devrait-il enlever ces désignations «majorité et français»? Cela devrait-il être automatiquement anglais et français? Peut-être faudra-t-il attendre l'Acte III? Êtes-vous d'accord?

M. Denault: On oublie souvent un détail. Toutes les lois territoriales sont des lois fédérales. C'est le dilemme que je présentais tout à l'heure lorsque je demandais s'il était logique qu'une création du gouvernement puisse nier des droits aux citoyens que le Parlement a donné?

La présidente: Avez-vous déjà porté plainte au bureau régional à Edmonton au sujet d'un service que le fédéral ne vous a pas donné et qui devait être donné? Si oui, quel a été le résultat?

M. Denault: Le Bureau de la commissaire aux langues officielles du Canada a été un bureau de grand support. On a juste des louanges à donner à la commissaire Adam.

Par contre, dans les Territoires du Nord-Ouest, on a une commissaire aux langues officielles. La commissaire se fait poursuivre aussi parce qu'elle refusait de prendre et de s'occuper des plaintes. Elle refusait même de communiquer avec notre organisme en français. Voilà notre commissaire aux langues officielles des Territoires du Nord-Ouest.

La présidente: Vous devez donc passer par le bureau des territoires et non pas par le bureau régional d'Edmonton.

M. Denault: Cela dépend des services. Si le service est offert par le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, il faut passer par la commissaire aux langues officielles des territoires. Si c'est un service offert par le gouvernement fédéral, on peut passer au bureau fédéral de la commissaire des langues officielles.

La présidente: Pour les services du gouvernement fédéral, si vous avez passé par le bureau du commissaire à Edmonton, est-ce que les plaintes ont porté fruit? Est-ce qu'il y a eu des changements à ces services? Je me souviens que les francophones de la Colombie-Britannique avaient porté plusieurs plaintes. On avait essayé de remédier un petit peu à certaines situations.

M. Denault: Il faudrait regarder mais la communauté présentement s'est concentrée sur le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et non sur le gouvernement fédéral. Mais c'est une chose qui serait intéressante à regarder pour nous. On ne peut pas fouetter tous les chats en même temps. On n'a pas ces ressources. Par contre, j'aimerais souligner que les lois territoriales sont toutes des lois fédérales.

Le sénateur Léger: J'ai été très surprise de lire qu'en 1984 les Territoires du Nord-Ouest ont eu une Loi sur les langues officielles. Je croyais que c'était juste le Nouveau-Brunswick qui l'avait fait. Et cette loi reconnaît huit langues. Est-ce que cela veut dire que l'anglais, le français sont inclus, comme les six autres langues, dans la Loi sur les langues officielles du Territoires du Nord-Ouest? Au fédéral, vous avez la Loi sur les langues officielles où le français et l'anglais sont égaux?

M. Denault: Le français est égal à l'anglais et les langues autochtones sont reconnues officiellement dans les Territoires du Nord-Ouest. On est content et fier des efforts de nos soeurs et de nos frères autochtones de suivre un chemin parallèle au nôtre. Cela va être difficile pour eux comme cela l'est pour nous. Par contre, notre revendication est que l'on est égal à l'anglais. Finalement, dans les Territoires du Nord-Ouest il n'y a qu'une seule langue qui prime sur les autres langues c'est l'anglais.

Le sénateur Léger: Quand je vois que vous avez huit langues: l'anglais, le français et six langues autochtones, lorsque je lis quelque chose comme cela, c'est l'aujourd'hui et surtout le demain à cause de l'immigration. Même nous, au Comité sur les langues officielles, on devra ajouter d'autres langues avec le temps.

Le sénateur Lapointe: Lorsqu'on a reçu les avocats et un juriste en la matière, je n'ai pas très bien saisi. La naissance des Territoires du Nord-Ouest serait un cadeau du Canada?

M. Denault: Oui.

Le sénateur Lapointe: Une création du Canada.

M. Denault: Oui, une création du gouvernement.

Le sénateur Lapointe: Qui a été donné à qui?

M. Denault: Cela appartient toujours au gouvernement du Canada.

Le sénateur Lapointe: Est-ce que les Territoires du Nord-Ouest sont assujettis aux mêmes lois que l'on a dans le reste du Canada?

M. Denault: Cela devrait. On a de la difficulté à cerner ce que sont les territoires. Dans des temps où l'on se sent un peu plus frustré et qu'on se laisse porter un peu à la mélancolie, il n'y a qu'une définition qui semble bien cerner ce que sont les territoires, c'est le mot «colonie». Ce n'est pas un mot populaire, certainement pas politiquement correct mais, jusqu'à présent, je n'ai pas trouvé un autre mot.

Le sénateur Lapointe: Les Territoires du Nord-Ouest sont liés à la Constitution et à la Charte canadienne des droits et libertés?

M. Denault: Oui.

Le sénateur Lapointe: Vous représentez 2 p. 100 de la population. Il faut être fort pour essayer d'imposer ses volontés quand on est 2 p. 100 de la population. Cela va prendre beaucoup de courage. Je pense que si la situation ne se règle pas devant la Cour suprême, le dernier recours serait les droits de la personne. Parce que vous avez une bagarre qui n'est pas évidente. Je ne suis pas un expert, mais je dis ce que je pense.

M. Denault: Tantôt, j'ai fait allusion aux chiffres. En le mettant dans le contexte; on joue entre 2, 2,5 et 3 p. 100 dépendant des temps, dépendant de l'activité économique de la région. C'est au total. Par contre, si on regarde le principe que le français est égal à l'anglais et si l'on accepte le principe qu'il y a plusieurs langues officielles dans les Territoires du Nord-Ouest, on peut dire, aujourd'hui, selon les mêmes statistiques, que les Autochtones des Territoires du Nord-Ouest représentent 49 p. 100 de la population. Nos chiffres jouent de 2, 2,5 à 3 p. 100. On aime à se dire qu'on est entre 4 et 5 p. 100.

Le sénateur Lapointe: Si ma mémoire est bonne, 90 p. 100 des francophones des Territoires du Nord-Ouest sont sur le chômage, ne travaillent pas et sont sans emploi?

M. Denault: Non, pas des francophones.

Le sénateur Lapointe: Ma mémoire m'a fait défaut, je m'excuse.

M. Denault: Il y a beaucoup de chômage et tristement, surtout dans la communauté autochtone. Il y a des corrections qui s'amènent dans le système pour améliorer la situation. Beaucoup de travail reste à faire de ce côté. Le taux de chômage élevé est du côté de la communauté autochtone.

Le sénateur Chaput: Je suis une francophone du Manitoba. Madame Côté, Monsieur Denault, je sympathise et je comprends très bien votre angoisse. Je comprends très bien lorsque vous parlez de services erratiques. Au Manitoba, avec ce qu'on a vécu, on a perdu la génération et on essaie maintenant de se rattraper. Tout semble aller contre nous. Si on ne va pas en cour, on n'a pas les droits qui nous reviennent. Même les chiffres et le pourcentage sont contre nous. Je vais prendre l'exemple du Manitoba. D'après Statistique Canada, on dit qu'on est à peine 4 p. 100 de la populaiton. Il ne faut pas oublier la question formulée par Statistique Canada et qui demande la langue d'usage au foyer.

Ces chiffres, par exemple, ne reflètent pas les couples dont l'un des conjoints n'est pas francophone, soit les couples qui communiquent en français avec leurs enfants mais ne le parlent pas au foyer. Ces pourcentages ne sont donc pas en notre faveur. Cette question est d'ailleurs devant les tribunaux qui bien sûr devront trancher.

La Constitution nous est toutefois favorable. Ainsi, nous devons rester optimistes, ne pas s'avouer vaincu et vivre d'espoir. Éventuellement, il se produira quelque chose qui viendra nous appuyer.

Ma question est la suivante. Vous nous avez suggéré de former un comité spécial. Si le Sénat formait un tel comité, quelles seraient vos attentes de ce comité dans l'immédiat? Sur quels points ce comité devrait-il se pencher dans le but d'appuyer vos efforts?

M. Denault: Il y a plusieurs choses. Si la possibilité de créer un tel comité existait, le gouvernement du Canada pourrait tout d'abord s'assurer que la loi devant être adoptée dans les Territoires du Nord-Ouest en juin — et que nous souhaiterions retardée afin de vous permettre de faire votre travail — respecte bien les droits légaux et constitutionnels des citoyens francophones. Le gouvernement a déjà cette responsabilité, mais ne l'a toutefois jamais prise trop au sérieux. L'outil existe, ce n'est qu'une question de responsabilité. Comment peut-on prétendre que les francophones ont perdu des droits si on ne se tient pas à l'écoute, si on ne se penche pas sur la question, si on peut changer la loi aux Territoires du Nord-Ouest sans que personne ne se penche sur la question ici?

Les membres du Sénat et de la Chambre des communes pourraient donc formuler des recommandations, mais à condition qu'elles soient prises au sérieux. Vous pourriez ainsi vous assurer que des règlements soient mis en place avec cette loi. Une loi qu'on a demandée depuis le début et que nous n'avons toujours pas. Il serait souhaitable qu'il y ait une mise en application de cette loi et qu'il y ait des budgets adéquats.

Nous avons constaté au cours des années une diminution de la contribution fédérale versée aux langues officielles, au français dans les Territoires du Nord-Ouest. On parle actuellement de 1,6 millions de dollars par année, ce qui est dérisoire. Il s'agit d'une réduction de presque 75 p. 100 du montant auquel on avait droit auparavant. Il faudrait donc s'assurer qu'il y ait des budgets adéquats à la mise en application de la loi.

D'autre part, si le comité mixte, composé du Sénat et de la Chambre des communes, demandait le renvoi, nous croyons qu'il serait plus probable que l'on rejoigne une oreille attentive plutôt qu'une petite communauté comme la nôtre à 5 000 kilomètres d'Ottawa. L'exercice en vaudrait la peine, quitte à gagner une vingtaine d'années dans le processus juridique.

Le sénateur Corbin: Je regrette de n'avoir pu assister aux réunions précédentes, mon horaire ne me l'ayant pas permis.

En écoutant vos propos, cela me donne l'impression qu'on essaie d'attraper un taureau dans le brouillard. Je ne suis pas convaincu que la solution proposée par le sénateur Beaudoin soit la seule qui existe, soit la solution légale jusqu'à la Cour suprême. Cela me semble plutôt une cause pour enrichir les avocats.

Le sénateur Beaudoin: Il n'en existe pas d'autres.

Le sénateur Corbin: Je suis en désaccord. Il y a le pouvoir exécutif et la volonté du Parlement exprimés par des lois. Avec une certaine réserve, car je n'ai pas entendu ce qui s'est dit au cours de la séance précédente — et les propositions que vous nous avez données aujourd'hui — j'ai l'impression qu'on a tellement misé sur la difficulté actuelle qu'on ne s'est pas donné le loisir de chercher d'autres solutions. Je trouve incroyable que des ministres de la Couronne n'assument pas leur responsabilité. Il est absolument épouvantable qu'un ministre chargé de faire respecter les volontés du Parlement exprimées dans les lois ne s'attelle pas à la tâche.

Vous avez fait allusion au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien qui, à toutes fins pratiques, semble perdre intérêt pour ce genre de question. Je me demande, madame la présidente, si ce comité, tout en laissant le processus légal suivre son cours, ne devrait pas exprimer une plus grande agressivité pour demander au gouvernement fédéral, au ministre responsable, qu'il s'agisse du ministre Dion ou du ministre Cauchon, de prendre l'initiative et de présenter au Parlement une loi visant à mettre les choses en ordre.

Pour reprendre les propos du sénateur Beaudoin, malheureusement, cette affaire va traîner devant les tribunaux pendant des années. Vous allez encourir des pertes, on va continuer à se moquer de vous — «on» incluant le gouvernement fédéral. Je crois le moment venu de prendre les grands moyens, et ce comité ne devrait pas hésiter à mettre cartes sur table. C'est tout ou rien, au risque qu'on vous dise au revoir en tant que francophones. Là n'est certes pas la volonté de ce comité. Vous-même, le craignez et avez secoué le drapeau rouge plusieurs fois dans vos commentaires.

Je suis au Parlement depuis 35 ans, et il me semble qu'on revient toujours au point de départ. Je me suis battu en 1969 alors qu'on mettait sur pied la première Loi sur les langues officielles. John Turner était ministre de la Justice à l'époque. J'ai plaidé pour des tribunaux de langue française outrepassant le nombre justifié, plus particulièrement dans l'Ouest canadien. On m'a répondu par des lettres de bêtises à droite, à gauche. Et nous en sommes toujours au même point, ce qui est ridicule. Il faut que ce comité se fâche. Il faut utiliser le vocabulaire de Émile Zola et désigner les choses comme elles le sont.

La présidente: Sénateur Corbin, je suis tout à fait d'accord. Il faudrait agir avec plus d'agressivité. Pourrions-nous pousser notre agressivité au point de demander une révision de la Loi sur les langues officielles, ou préférez-vous que cette loi demeure et que les ministres responsables l'appliquent?

Le sénateur Corbin: Que l'on révise la loi s'il le faut. Il faudrait surtout s'assurer que les membres de l'exécutif chargés de l'application de la loi fassent leur travail. S'ils n'en sont pas capable, il suffit de les remplacer.

La présidente: M. Denault, désirez vous répondre à ce commentaire, soit par l'affirmative ou la négative?

M. Denault: Je ne dirai certainement pas non. C'est le genre de choses que nous recherchons. On aimerait le miracle; le miracle est toujours facile à accepter, mais on n'ose même pas l'espérer. Il est vrai que si les ministres qui se disent responsables faisaient leur travail, la situation actuelle n'existerait pas. Cela vient de loin.

Le sénateur Gauthier: On vous met sur une mauvaise piste. On parle de la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest et non pas de celle du Canada. En fait, l'argument que vous avez devant les tribunaux actuellement met cela en doute. Ce n'est pas à nous de trancher la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest. C'est à eux de le faire.

Je vous ai demandé tout à l'heure si vous étiez d'accord avec les amendements proposés. Vous le savez, le Parlement canadien c'est le plus haut tribunal auquel vous devez faire face. Le Sénat est intéressé à votre cause. On ne pourra pas accepter aucun amendement, modification ou abroger la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-ouest sans l'appui du Parlement canadien.

Un comité mixte, ne changera absolument rien. Mais si le Sénat faisait un rapport en disant fermement que la loi n'est pas acceptable telle que présentée par les Territoires du Nord-Ouest, là ce serait différent. La Loi sur les langues officielles du Canada n'a rien à faire avec cela. C'est la Loi des Territoires du Nord-Ouest qui prime. Elle devait être semblable, comparable, mais elle ne l'est pas.

M. Denault: Vous avez raison.

Le sénateur Gauthier: Ma deuxième question...

La présidente: J'aimerais avoir une réponse.

Le sénateur Corbin: Le sénateur Gauthier a coupé la parole à M. Denault.

La présidente: Monsieur Denault, pouvez-vous continuer votre réponse à la question du sénateur Corbin.

M. Denault: Si on revient sur le point des ministres responsables, cela inclus aussi les ministres responsables des Territoires du Nord-Ouest. Les premiers seraient des Territoires du Nord-Ouest. Déjà c'étaient les chefs du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, mais cela évolue avec le temps. On doit quand même accepter son rôle de façon responsable. Il ne faut jamais oublier que les lois territoriales sont des lois fédérales et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est un gouvernement créé par le gouvernement fédéral. Cela revient toujours à cela.

Le sénateur Corbin: Au Nouveau-Brunswick, on a établi des écoles de langue française dans des milieux dit minoritaires. On l'a fait à Fredericton, à Saint-Jean, à Miramichi et à l'Île-du-Prince-Édouard. Cela s'est fait parce qu'il y avait une volonté fédérale d'aider ces institutions à voir le jour. Il y avait une réceptivité de la part des premiers ministres des provinces pour assurer le bon cheminement de ces projets. Cela revient à dire ce que je disais au départ: un ministre peut faire plus qu'uniquement appliquer la lettre de la loi. Il a une responsabilité non écrite de prendre des mesures d'encouragement auprès des autorités locales pour qu'ils travaillent à l'unisson afin d'assurer l'application de la loi. C'est un travail qui se fait de bouche à oreille, de personne à personne. D'après ce que le témoin nous a dit aujourd'hui, je n'ai pas vu ce genre d'encouragement. On s'en lave les mains carrément et c'est regrettable.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais être bien compris. C'est devant les tribunaux et cela ressemble étrangement à ce qui est arrivé au Manitoba. M. Forest est venu me voir ici à Ottawa. Il m'a dit, je suis devant les tribunaux et je perds tout le temps. Je lui ai dit, c'est exact. Si vous êtes capable d'aller à la Cour suprême, vous allez gagner. Il a gagné. J'étais parmi les avocats qui ont plaidé cette cause. Je crois qu'ils peuvent gagner leur cause devant la Cour suprême. Peut-être dans une cour inférieure aussi, tant mieux. Mais à moins que cela bouge d'ici ce temps, qui peut paraître éloigné, évidemment l'idéal serait qu'on s'entende autour d'une table, qu'on fasse un compromis et qu'on se dise que cela va peut-être prendre cinq ou dix ans, mais un jour on arrivera à l'égalité des langues officielles. Si on peut le faire en comité tant mieux. Je voterai avec vous, mais tant que cela ne bouge pas, la seule chose qui peut nous aider, ce sont les tribunaux.

Le sénateur Corbin: Ils ne bougent pas non plus.

Le sénateur Beaudoin: Bien oui, cela prend du temps, mais ils bougent. Cela coûte une fortune. M. Forest a dépensé des milliers de dollars. C'est un héros, mais il a gagné. Il y a deux solutions: la deuxième solution est tellement petite et monte tellement peu dans le thermomètre qu'on ne la voit pas. Les deux clans sont chacun de leur côté. Ils ne se parlent presque pas et ils n'ont pas l'air de se parler en français non plus. Tant mieux si on réussi. Je suis d'un tempérament optimiste, mais je suis bien obligé de dire que c'est comme cela. Je suis presque certain que la Cour suprême va donner raison. Je suis prêt à attendre. Je suis un homme patient, mais à moins qu'on trouve un autre remède, se parler ou encore nous, le comité, aller voir les ministres, les gouvernements et tout le monde, et les brasser un peu, on ne perd rien à faire cela. Seulement, le débat juridique, c'est oui ou non, les deux langues sont-elles officielles et égales dans les Territoires du Nord-Ouest? Est-ce que oui ou non, les Territoires du Nord-Ouest sont des institutions fédérales? Je dis oui, d'autres disent non. La cour tranchera. Cependant, si les territoires ne sont pas fédéraux, que sont-ils? Ils ne sont rien? Cela n'a pas de sens. Ce n'est pas une loi municipale, ni provinciale, ni régionale. C'est une loi fédérale. Ce sont des territoires fédéraux. C'est une institution fédérale. Or si c'est une institution fédérale, selon l'article 16, les deux langues sont égales dans les territoires. On n'en sort pas, sauf si la cour dit, ils ne sont pas des institutions. Je pose la question. Que sont-ils? Où va-t-on dans cette direction, qui est longue et coûteuse. Je pense que cela peut réussir. Monsieur Forest a réussi et s'il n'avait pas existé, cela aurait peut-être pris 20 ans de plus au Manitoba pour avoir des lois bilingues. C'est cela ou ce sont les personnages politiques qui bougent. Faites-les bouger. Je ne demande pas mieux. Je vais embarquer dans le train. En tant que juriste, je sais bien que cela coûte cher. L'enrichissement des avocats, ce n'est pas mon problème. Une des solutions est cahin-caha et l'autre est devant les tribunaux. C'est l'un ou l'autre.

Je suis d'accord avec le sénateur Corbin lorsqu'il dit de bouger. Si on demande l'appui du ministre de la Justice et du gouvernement, cela ne nuira certainement pas. Mais je ne laisserais pas le côté juridique à part, sinon que vous restera- t-il? C'est le seul espoir, peut-être, à long terme. J'avais dit à M. Forest qu'il allait gagner en Cour suprême et il a gagné.

Les causes en Cour suprême entraînent beaucoup de frais, mais mis à part la Cour suprême, il faudrait un miracle, comme vous dites.

M. Denault: Les Territoires du Nord-Ouest, le Nunavut, le Yukon, sont des juridictions peu connues. Je ne connais pas beaucoup le cas Forest, mais cette cause devait avoir affaire avec une province souveraine, une couronne provinciale et cette cause avait besoin de se rendre à la Cour suprême du Canada. Il n'y a aucune souveraineté provinciale chez nous. C'est la différence entre le cas Forest et notre cas. C'est ce qu'on devrait regarder sérieusement à Ottawa. Notre gouvernement fédéral se dit champion des langues officielles, mais est-ce acceptable que notre gouvernement fédéral accepte, dans sa propre juridiction, le non-sens que l'on vit? Il n'y a pas d'ambiguïté de la Couronne provinciale.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas cela qui est compliqué en droit; c'est facile. Vous dites que le Nouveau-Brunswick avait gagné, mais avec une proportion de 34 p. 100. Et vous, vous n'êtes que 2 p. 100. Il faut admettre que la victoire sera plus difficile pour vous vu le pourcentage de francophones. Ce n'est pas une raison pour dire non. Comme disait Churchill: «We shall never surrender». Il faut savoir quelles sont nos armes.

Le Nouveau-Brunswick a réussi quelque chose d'incroyable. Bravo! Le fédéral a fait quelque chose de très bien avec la Loi sur les langues officielles. Mais le fédéral est obligé de faire davantage d'après la Charte. C'est cela qui n'est pas fait. C'est aussi simple que cela. C'est là où se trouve le débat. Faites-le dire par une cour de justice ou faites un règlement entre personnages politiques. Je ne vois pas d'autres solutions, mis à part le miracle.

Le sénateur Gauthier: La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest est insatisfaitante actuellement. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a déposé, à la fin du mois de mars, des amendements à la Loi sur les langues officielles. Êtes-vous satisfait de ces amendements?

M. Denault: Non, parce que sans règlement, c'est juste des mots sur papier.

Le sénateur Gauthier: Il n'y avait pas de règlement avant et il n'y a pas de règlement aujourd'hui, mais il y a des directives. Le droit de regard du fédéral dans cette nouvelle Loi sur les langues officielles est absolu. Le ministère de la Justice nous a dit que si le projet de loi bonifiait la Loi sur les langues officielles dans les Territoires du Nord-Ouest, on ne pourrait rien faire contre cela. On pourrait s'impliquer si le ministère de la Justice abrogeait, diminuait ou changeait la Loi sur les langues officielles. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Denault: Oui.

Le sénateur Gauthier: C'est à nous à prendre nos responsabilités. Si le projet de loi déposé n'est pas conforme ou n'est pas bon pour vous, je ne vois aucune difficulté pour notre comité de recommander au Sénat de changer les choses, mais ne vous faites pas trop d'illusions. Il y a cinq partis politiques et donc cinq points de vue.

Est-ce que le programme de contestation judiciaire paie vos dépenses en cour actuellement?

M. Denault: Oui.

Le sénateur Léger: Le Nouveau-Brunswick a officiellement un poids. Comme le sénateur Beaudoin le disait, le pourcentage ne fait pas de différence. C'est le principe d'égalité qui compte au Canada.

Le sénateur Beaudoin: On est d'accord là-dessus.

La présidente: Je remercie M. Denault pour toute l'information que vous nous avez donnée et pour les demandes que vous avez faites. Je veux que les membres du comité réfléchissent sérieusement à tout ce qui a été dit. Le sénateur Gauthier a déjà un plan d'action. Le comité s'engage à avoir une discussion sur ce sujet afin d'apporter une suite à vos recommandations et à ce dossier très important. Ce dossier fait partie de nos responsabilités. Merci d'avoir accepté notre invitation à venir témoigner devant nous.

Le sénateur Gauthier: Madame la présidente, permettez-moi de poser une dernière question. Vous avez mentionné plus tôt que vous demanderiez à la vérificatrice générale du Canada d'examiner les livres? Comment allez-vous vous y prendre?

M. Denault: On a fait une demande auprès de la vérificatrice générale du Canada, mais cette dernière ne rend pas public les vérifications de son ministère. Cette la réponse que nous avons reçue.

Le sénateur Gauthier: Ce n'est pas elle qui décide. Le gouvernement pourrait lui demander de faire un examen des livres si vous avez des preuves justifiant cette demande.

M. Denault: Les preuves sont simples. Le gouvernement du Canada a dépensé 37 millions de dollars depuis 1984 jusqu'à maintenant pour avoir des services et pour avoir une loi, mais rien n'a été fait. Les 37 millions de dollars devaient être consacrés pour la Francophonie, mais cet argent a servi à autre chose. Il y avait quelque 60 millions de dollars qui ont servi pour les peuples autochtones, mais 37 millions de dollars devaient servir pour les services à notre communauté. La question se justifie assez bien.

Le sénateur Chaput: C'est le point que j'ai fait ressortir avec le ministre Dion lors de sa présentation.

Lorsque le gouvernement fédéral remet des sommes d'argent pour la francophonie à des provinces ou à des territoires, il devrait y avoir un objectif commun qui vise à s'assurer que l'argent est bel et bien dépensé pour la francophonie. On a vu l'inverse se produire au Manitoba pendant des années. Je crois que c'est ce que M. Denault voulait dire.

M. Denault: La communauté reçoit des fonds du gouvernement fédéral et elle est imputable pour l'argent reçu. Il y a un travail qui doit se faire et la communauté doit émettre des rapports. Il serait logique de penser que cette même imputabilité s'applique là où le gouvernement fédéral accorde des sommes d'argent.

La présidente: Je remercie les témoins. Nous allons suspendre la séance pour une dizaine de minutes.

La séance est suspendue.

La séance reprend.

La présidente: Nous reprenons la séance. Nous recevons aujourd'hui Me Andrée Duchesne et Me Suzanne Poirier. Nous passons maintenant à l'étude du rapport intitulé «L'état des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles» que Justice Canada a publié l'été dernier. Vous avez reçu une copie de ce rapport il y a quelques semaines et j'ose croire que vous avez eu le temps d'en prendre connaissance.

La semaine dernière, vous avez reçu copie du rapport que l'ancien Comité mixte des langues officielles avait déposé en juin 2002 sur la justice dans les deux langues officielles. La recommandation numéro 3 de ce rapport demandait au gouvernement fédéral d'informer les membres du comité des solutions qu'il comptait mettre en place7 pour répondre aux problèmes identifiés dans le rapport.

En novembre 2002, le gouvernement fédéral a envoyé un rapport à l'ancien comité mixte et indiquait qu'il avait créé un groupe de travail fédéral-provincial-territorial pour étudier les solutions nécessaires aux problèmes indiqués dans le rapport.

On a reçu la semaine dernière une copie du mandat de ce groupe de travail.

Me Andrée Duchesne est coprésidente de ce groupe de travail. Elle est aussi coordonnatrice du Programme national d'administration de la justice dans les deux langues officielles (PAJLO). Elle pourra nous informer sur les progrès réalisés par le groupe de travail. Me Suzanne Poirier est avocate générale au ministère de la Justice. Elle est également coordonnatrice de la Section justice en langues officielles et bijuridisme.

Je vous rappelle que cette étude fait partie d'un ordre de renvoi du Sénat afin d'étudier le rapport «L'état des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles».

Mme Suzanne Poirier, avocate générale et coordonnatrice, Bureau de la Francophonie, Justice en langues officielles et bijuridisme: Honorables sénateurs, mon groupe coordonne l'approche du ministère en matière d'accès à la justice dans les deux langues officielles. Pour sa part, Me Andrée Duchesne est coordonnatrice du PAJLO et elle assure la coordination du dossier de l'accès à la justice dans les deux langues officielles au ministère.

Je souligne que le ministère exerce trois rôles en regard de la Loi sur les langues officielles. En premier lieu, le ministre est responsable de l'application générale de la loi. Deuxièmement, le ministère est une institution fédérale assujettie à la loi et, finalement, le ministère est le conseiller juridique du gouvernement et de tous les ministères dans le domaine des langues officielles.

C'est dans notre rôle d'institution fédérale soumise à la loi que s'inscrit l'objet de notre comparution. Nous avons été convoquées pour vous entretenir des résultats de l'étude l'«État des lieux» commandée par le ministère de la Justice ainsi que des suivis à cette étude.

Le 6 février dernier, l'honorable sénateur Jean-Robert Gauthier, en s'appuyant sur le rapport «L'état des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles», a interpellé le Sénat, et je cite:

[...] sur le besoin de mettre en place une véritable politique d'offre active de services judiciaires et juridiques dans la langue officielle minoritaire et que le gouvernement fédéral prenne toutes les mesures nécessaires pour servir les communautés de langues officielles en position de fragilité.

Je vous rappelle tout d'abord en quoi consiste «L'état des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles». Il s'agit d'une étude d'envergure nationale commandée par le ministère dans le but de dresser un portrait de la situation région par région en matière d'accès à la justice en langues officielles minoritaires dans certains domaines de compétence fédérale. L'objectif était également d'y dégager des pistes de solutions adaptées à la situation particulière de chaque région.

Je réitère que cette étude a été commandée et non pas réalisée par le ministère et que les résultats ont été publiés dans l'état exact où ils ont été reçus. Quelques administrations nous ont déjà fait part de leur désaccord avec certains des résultats de l'étude. Mais au-delà des détails, l'étude permet de dégager certains constats et démontre qu'en général les Canadiennes et les Canadiens membres des communautés de langues officielles minoritaires n'ont pas accès à des services juridiques et judiciaires de qualité égale à ceux offerts à la majorité.

Plusieurs obstacles précis ont été soulignés, dont l'absence d'offres actives, le faible nombre de juges capables d'entendre une cause dans la langue officielle de l'accusé et l'absence de fonctionnaires capables de soutenir un appareil judiciaire bilingue.

Ainsi, pour assurer une mise en oeuvre complète des garanties linguistiques existantes dans le domaine de la justice, l'appui à la prise de mesures positives s'impose et ce, en fonction des situations répertoriées dans chacune des régions. Dans l'immédiat, notre action portera sur le rapprochement avec les gouvernements et les communautés parce que nous ne voulons pas et ne pouvons pas agir seul pour mener à bien ce dossier.

Comme première mesure nous avons établi un groupe de travail fédéral-provincial et territorial dont la création a été approuvée par le forum des sous-ministres de la justice en juin 2002 sur la base d'une participation volontaire des provinces et des territoires.

Inutile de vous rappeler que la collaboration des provinces et des territoires est essentielle puisque nous oeuvrons dans un champ de compétences partagées.

Suite à un appel lancé par notre sous-ministre à ses homologues pour désigner leur représentant, sept administrations ont accepté, dans un premier temps, de se joindre au groupe. En fait c'était six et un septième s'est rajouté. Soit l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba, l'Alberta, le Yukon, la Colombie-Britannique et le Nunavut. La Saskatchewan s'est rajoutée au cours du dernier mois. Il n'est pas exclu qu'au moins une autre administration y nomme un représentant au cours des prochaines semaines. Ce qui nous amènerait à neuf administrations qui seraient représentées.

Le sénateur Corbin: Les Territoires du Nord-Ouest.

Mme Poirier: Les sous-ministres ont également accepté que le réseau des responsables gouvernementaux des affaires francophones y ait un représentant. Le responsable des affaires francophones joue un rôle important pour le développement des communautés de langues officielles en situation minoritaire.

La participation de ce réseau au groupe de travail sur l'accès à la justice permettra d'établir un lien entre les considérations propres au dossier de la justice et celle des justiciables de langues officielles minoritaires.

Vous avez mentionné que la coprésidence du groupe est assurée par le fédéral en la présence de maître Duchesne et cette année par l'Ontario en la personne de M. Marcel Castonguay. La coprésidence des provinces et des territoires sera rotative.

[Traduction]

Le groupe de travail a organisé deux téléconférences. La première, tenue le 22 octobre, représentait une réunion initiale pendant laquelle il y a eu une première discussion du mandat. Lors de la deuxième téléconférence, tenue le 12 décembre, il y a eu une discussion plus approfondie du mandat, qui a été approuvé par le Forum des sous-ministres de la Justice vers la fin février 2003. Une copie du mandat vous a déjà été remise.

Toutes les administrations étaient d'accord pour que la réunion suivante ne se tienne qu'après l'annonce du Plan d'action du gouvernement pour les langues officielles. Comme vous le savez, cette annonce a été faite le 12 mars, et une autre réunion devrait donc être convoquée dans les prochaines semaines.

[Français]

Suite à la création du groupe de travail, et en marge de ce groupe, nous créerons dès cette année un mécanisme de consultation qui réunira nos deux clientèles, les juristes et les justiciables.

En étroite collaboration avec ce comité consultatif, nous assurerons un suivi à l'«État des lieux», à la fois dans les sphères d'activités du ministère, ses politiques et ses programmes, mais également avec le but de donner un visage plus bilingue à l'appareil judiciaire.

Notre habilité à générer des partenariats, non seulement avec des gouvernements provinciaux et territoriaux mais aussi avec les communautés, les associations de juristes, des organismes non gouvernementaux, sera garante de notre succès.

Nous comptons donc, avec l'aide du groupe fédéral-provincial et territorial et du comité consultatif, être en mesure de mettre en place des leviers nécessaires à l'amélioration de l'accès à la justice dans les deux langues officielles et plus particulièrement dans le but d'appuyer une mise en oeuvre complète des garanties linguistiques existantes dans le Code criminel.

Le plan d'action du gouvernement pour les langues officielles a identifié un certain montant d'argent pour la création d'un fonds d'appui à l'accès à la justice dans les deux langues officielles.

Avec cet argent, et évidemment sous réserve de l'obtention des approbations administratives requises, nous entendons agir selon les grandes lignes suivantes.

Ainsi, le ministère accordera également dès cette année un financement stable aux associations de juristes d'expression française et à leur fédération nationale. Nous savons que cette clientèle de juristes indispensable au ministère doit recevoir un financement lui permettant de s'organiser ou de mieux s'organiser pour être en mesure de jouer son rôle auprès des justiciables ainsi que des gouvernements.

En outre, au cours des cinq prochaines années, nous allons affecter des fonds pour la réalisation de projets avec les provinces, territoires et organismes non gouvernementaux. Nous favorisons les projets novateurs porteurs de résultats. Nous verrons d'un oeil favorable des projets qui feront intervenir plusieurs partenaires et qui pourront être transposés dans d'autres régions avec les adaptations qui s'imposent.

Le groupe du droit des langues officielles, dirigé par M. Marc Tremblay, s'assurera également que les conseillers juridiques du ministère et les procureurs qui oeuvrent au sein des différents ministères soient sensibilisés et formés dans le domaine des droits linguistiques pour être en mesure de bien conseiller leur ministère client.

Évidemment, lors des questions, nous reviendrons aux détails des solutions qui ont été identifiées et sur lesquelles on pense pouvoir agir. Les lacunes identifiées par l'«État des lieux» perdurent depuis des années comme en fait foi la mise en oeuvre incomplète des droits linguistiques au Code criminel. L'administration de la justice est un champ de compétences partagées et j'insiste sur le fait que la collaboration des gouvernements provinciaux est essentielle.

Nous voulons ainsi jouer un rôle de catalyseur pour donner l'impulsion requise à la création des conditions favorables à l'atteinte de notre objectif.

L'«État des lieux» est un outil qui nous servira de référence pour établir des objectifs utiles et réalistes qui entraîneront des résultats durables.

La présidente: Je vous remercie beaucoup. Madame Duchesne, avez-vous une présentation?

Mme Duchesne: Non, notre présentation est conjointe.

Le sénateur Gauthier: Certaines lois s'appliquent de façon asymétrique au Canada.

Je pense à trois ou quatre lois: la Loi sur le divorce, la Loi sur les faillites, le Code criminel. Il y en a d'autres que j'oublie.

Dans le rapport «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles», mon constat est la nécessité de mettre en place une véritable offre active de services juridiques et judiciaires dans les deux langues officielles surtout dans les communautés de langues officielles vivant en milieu minoritaire. Ce n'est pas toujours facile d'être francophone en Ontario ou dans l'Ouest. C'est plus facile au Québec et même au Nouveau-Brunswick où il y a une loi sur les langues officielles.

Il y a deux provinces, la Colombie-britannique et la Saskatchewan où il n'y a pas beaucoup de changements qui se sont faits en matière d'accès. L'accès est plus facile en Ontario, au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle- Écosse. Comme je le disais au tout début les lois sont asymétriques. C'est impossible dans certains régions de la province de l'Ontario d'avoir accès à un juge qui parle notre langue. Cela s'améliore, je l'avoue.

Allez-vous avoir un impact sur l'accès à la justice en français dans les provinces que je viens de mentionner, l'Ontario, le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta? Je ne parle pas du Québec ni du Nouveau-Brunswick.

Mme Poirier: Je devrais souligner que la philosophie derrière le Plan d'action annoncé par le gouvernement fédéral pour les langues officielles, c'est l'atteinte de résultats. Donc en ce sens, avec la création du fonds d'appui, nous allons insister — et nous avons déjà commencé à le faire, nous avons eu des appels-conférences avec les associations des juriste et autres — que nous allions être guidés par les résultats. L'«État des lieux» nous a permis de constater que la mise en oeuvre des dispositions linguistiques au Code criminel est insatisfaisante et que nous devions appuyer des mesures visant à consolider les acquis au lieu d'essayer de ratisser plus large. Nous allons prendre des mesures et nous pensons que nous aurons un impact, principalement pour l'application des droits linguistiques du Code criminel. Ce sera notre priorité. Toutefois, ce ne sera pas exclusif, mais il est certain que nos efforts iront principalement vers les droits linguistiques existants. Certaines des mesures que nous prendrons pourront déteindre sur le système de justice civile. Vous avez mentionné le divorce, je sais que nos collègues responsables du dossier du divorce au ministère, ont pris ou prendront certaines mesures pour faire en sorte que les provinces comprennent bien que le dossier des langues officielles est une priorité pour le ministère de la Justice et que cette priorité devra se concrétiser à certains niveaux. Maintenant, si vous avez des questions sur les détails de ces mesures, nous avons ici dans la salle, Me Lise Lafrenière Henrie, avocate-conseil à la section de la famille au ministère qui serait prête à entrer un peu plus dans les détails.

La présidente: Madame Lafrenière, pourriez-vous vous joindre à nous?

Le sénateur Gauthier: Dans le rapport «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles», il y a ce qu'on appelle une justice réparatrice. Vous avez dit tantôt que vous aviez des balises, des points de repère avec ce rapport et que vous alliez changer les choses. Je l'accepte. Je vais prendre un cas un peu plus pointu, celui des contraventions. Cela a été réglé récemment en Ontario. Cela a pris du temps avant que les tribunaux se fassent entendre. Justice Canada a traîné de la patte pendant deux ans et il y a eu une extension d'une année du jugement du juge Blais. Dans le Plan d'action Dion, 18,5 millions de dollars sont alloués pour la justice si ma mémoire est bonne.

Dans le jugement des contraventions, on nous a dit que cela coûterait entre 13 et 13,5 millions de dollars pour cinq ans. Est-ce que je me trompe?

Mme Poirier: Dans le dossier des contraventions, suite aux ententes avec toutes les provinces pour faire ce qu'on a fait en Ontario, c'est un peu plus. On parle d'une somme d'environ 25 millions de dollars accordée au dossier des contraventions.

Le sénateur Gauthier: C'est combien de plus? 18 millions de dollars? En d'autres mots, allez-vous piger dans le 18 millions de dollars du Plan d'action du ministre Dion pour régler le dossier des contraventions?

Mme Poirier: Pas du tout. Ils ont leur montant à part qui est de 25 millions de dollars.

Le sénateur Gauthier: C'est un non catégorique. Vous allez avoir des crédits ailleurs. C'est de l'argent nouveau?

Mme Poirier: Absolument, c'est toujours dans le cadre du Plan d'action, en tout pour le ministère, c'est un somme de 45,5 millions de dollars.

Le sénateur Gauthier: J'aimerais avoir une copie de l'entente signée avec l'Ontario. Je l'ai demandé au ministre, mais pourriez-vous m'en envoyer une copie?

Mme Poirier: Nous allons référer cela au groupe responsable du dossier des contraventions. Je ne vois aucun problème. L'entente est signée effectivement.

Le sénateur Gauthier: Il y a des sujets en négociation. Il y a des contraventions qui justifient de poser une amende au sénateur Lapointe lorsqu'il stationne son véhicule à la mauvaise place à l'aéroport. Ce sont des revenus. J'aimerais savoir combien vous estimez les revenus suite à cette nouvelle Loi sur les contraventions.

Mme Poirier: On va s'assurer que votre demande pour recevoir copie de l'accord soit transmise aux gens responsables du dossier des contraventions. Et vous avez une question en ce qui concerne les revenus générés.

Le sénateur Gauthier: Je veux que vous nous donniez une évaluation des revenus que vous allez administrer avec les provinces. Il y a des frais d'administration j'imagine?

Mme Poirier: Je sais que les montants accordés dans le Plan d'action sont pour des coûts récurrents dans les provinces pour payer, par exemple, du personnel bilingue et des choses comme cela. Effectivement, on passera votre commentaire et questions aux gens responsables du dossier.

Le sénateur Gauthier: Vous avez parlé de formation juridique, de formation des avocats en matière de langues officielles. C'est une bonne chose, mais il faudrait aussi leur donner des cours afin qu'ils sachent s'exprimer en français devant les tribunaux. Plusieurs ce sentent mal à l'aise de parler en français devant les tribunaux. Avez-vous un programme pour les sensibiliser à être plus soucieux de leur langue?

Madame Andrée Duchesne, coordonnatrice nationale, Justice Canada, Bureau de la Francophonie, Justice en langues officielles et bijuridisme: Dans le 18,5 millions de dollars prévu dans le Plan d'action du ministre Dion pour l'accès à la justice dans les deux langues officielles, on a développé une stratégie qui s'appelle les partenariats. Dans ce contexte, nous entendons travailler avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, mais également avec les associations de juristes d'expression française et leur fédération nationale pour répondre à une préoccupation très importante de ces groupes. Comme vous le mentionnez, les procureurs ne sont pas nécessairement bilingues ou sont peu à l'aise de s'exprimer en français quand vient le moment de le faire. C'est une préoccupation exprimée à plusieurs reprises dans le rapport «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles» et c'est certainement une priorité dans ce contexte. Nous sommes conscients que l'appareil judiciaire n'est pas suffisamment bilingue et c'est certainement dans le cadre des volets partenariats une initiative qui sera très importante pour nous. Il y a d'ailleurs certains projets qui nous sont déjà soumis dans ce contexte.

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur le droit criminel. Un arrêt de la Cour suprême dit que tout accusé au Canada a droit à un avocat et a droit à un procès dans sa langue maternelle. Comment cela se passe-t-il en pratique? Avez-vous du mal à trouver un certain nombre d'avocats ou avez-vous du mal à trouver des juges bilingues ou francophones ou anglophones? C'est très facile de donner suite à l'arrêt Beaulac. Premièrement, c'est un arrêt de la Cour suprême. C'est un arrêt où le juge Bastarache a joué un grand rôle. Ils n'ont qu'à nommer des francophones ou des juges bilingues. C'est très facile. Comment cela se passe-t-il en pratique?

Mme Poirier: La nomination des juges, c'est la prérogative du ministre.

Le sénateur Beaudoin: On peut faire des suggestions au ministre.

Mme Poirier: Le ministre est au courant des constats du rapport «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles». En ce qui concerne la situation de province en province, je vais demander à Mme Duchesne de vous répondre.

Mme Duchesne: Vous avez raison de le mentionner, c'est effectivement une des lacunes de notre système à l'heure actuelle. Elle n'est pas de même nature partout et pas de la même importance non plus. Il est évident que dans les provinces comme l'Ontario ou le Nouveau-Brunswick, et dans une certaine mesure peut-être le Manitoba, mais encore là, avec certaines réserves, l'appareil judiciaire est certainement plus en mesure d'offrir la possibilité à un accusé d'avoir un procès entièrement dans sa langue. Par ailleurs, plus on va vers l'Ouest, plus la réalité est différente.

Je travaille dans ce dossier depuis au-delà de 20 ans. Et évidemment, l'arrivée sur le marché de nombreux diplômés de common law francophones, diplômés à la fois des universités d'Ottawa, de Moncton — et dans certains cas de McGill — fait en sorte qu'on dispose maintenant d'un bassin de candidats à la magistrature qui sont bilingues. Ils sont issus des communautés minoritaires de langues officielles et devraient dès maintenant nous permettre d'arriver à un résultat autre que celui de se retrouver dans des situations difficiles où il faut parfois emprunter du personnel d'ailleurs pour satisfaire à une demande. Cela se voit dans l'Ouest.

C'est bien sûr une question d'offre et de demande. Et à ce niveau, je pense qu'une mesure qu'on envisage, la formation des procureurs de la Couronne, est certainement quelque chose qui existe et qui sera mis de l'avant de façon encore plus organisée et concertée. On entend travailler de près avec les gouvernements provinciaux sur cette question.

Quant à la nomination des juges, je crois qu'au-delà de la prérogative du ministre, il faut reconnaître qu'auparavant le bassin de candidats bilingues n'y était pas auparavant. Je pense qu'il est maintenant de plus en plus présent et qu'il croîtra. C'est effectivement l'une des lacunes.

Le sénateur Beaudoin: Dans l'arrêt Beaulac, il est écrit noir sur blanc que c'est un droit constitutionnel. C'est donc une obligation. Le Canada dispose d'excellentes facultés de droit qui préparent les avocats dans les deux langues. On enseigne la common law et en français et en anglais et maintenant on a le droit civil en français et en anglais. À l'époque où j'étais doyen, il y avait 22 facultés de droit.

Je suis le premier à me réjouir de ce qui arrive dans ce domaine parce qu'on y croit. En fait, tout le monde y croit. On va certainement finir par réussir. Vous me dites que dans l'Ouest c'est peut-être un problème, mais il peut se résoudre très facilement. Il y a des juges francophones au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique. La juge en chef du Canada parle un français excellent et elle est originaire de l'Alberta ou de la Colombie-Britannique. Tout a changé.

Je suggère que vous continuiez car vous êtes sur une voie formidable. Je vous félicite. Disposez-vous des fonds nécessaires pour aller aussi loin?

Mme Poirier: En ce qui concerne l'arrêt Beaulac, j'ai dit à plusieurs reprises que nos efforts porteraient principalement sur l'application des droits linguistiques du Code criminel, il va sans dire que c'est justement en fonction de l'arrêt Beaulac.

On voudrait toujours avoir plus de fonds, mais on sait qu'il vaut mieux cibler dans le but d'obtenir des résultats plutôt que de saupoudrer partout et de faire plaisir à tout le monde en surface. On a vraiment à cœur de dire que nous voulons des résultats. Il faut d'abord cibler les droits linguistiques au Code criminel et, avec les fonds que nous avons reçus, nous pensons pouvoir faire une différence.

Le sénateur Beaudoin: Bravo!

Le sénateur Léger: Madame Poirier, vous avez vraiment attiré mon attention lorsque vous avez dit que le rôle premier de votre groupe était l'application de la loi. Depuis qu'on entend des témoins c'est toujours l'opposé, on n'applique pas la loi. Félicitations à vous si c'est votre premier rôle.

Vous avez mentionné qu'il manquait d'avocats et de juges bilingues et le sénateur Gauthier l'a mentionné également. Il y a toutefois beaucoup de progrès qui se fait. Dans l'Acte II du Plan d'action du ministre Dion, on indique que 90 p. 100 des avocats et des juges ne demandent pas mieux que d'être bilingues. C'est l'application qui est difficile. Dans un milieu totalement anglophone, il faut se demander si les fonds alloués à la formation vont au-delà des livres de grammaire car il existe tellement d'autres bon moyens d'apprendre une langue. De plus en plus de gens sont bilingues et je crois que pour obtenir de bons résultats, il faut d'abord diriger les fonds alloués à la formation au bon endroit.

Mme Poirier: Effectivement, il y a des fonds qui vont aller à la formation à la fois des juges de nomination provinciale qui sont souvent sur la ligne de feu, et du personnel judiciaire, que ce soit la formation linguistique ou la formation en terminologie juridique. Je trouve très intéressant le fait que vous souleviez le fait qu'il faudrait peut-être utiliser des moyens autres que ceux pris jusqu'à maintenant. En ce qui concerne la formation linguistique, Andrée Duchesne pourra vous donner des détails. Comme elle vous l'a mentionné, elle est dans le domaine depuis 20 ans.

Mais dans le domaine de la formation linguistique des juges, nous allons tenter de travailler avec des centres de jurilinguistique et d'aller donner de la formation dans les régions. Il faut décentraliser la formation, l'adapter aux besoins des régions, ce qui ne se fait pas actuellement. Des gens se plaignent que cela ne répond pas nécessairement à leurs besoins. J'aimerais maître Duchesne prenne le temps de vous donner un peu plus de détails car c'est un élément très important de nos moyens d'action.

Mme Duchesne: Les juges sont nommés de plus en plus jeunes, ils ont des responsabilités familiales. À l'heure actuelle, la formule veut que des juges quittent leur foyer, leur milieu de travail et leur communauté pendant trois semaines à la fois pour aller suivre des cours d'immersion à des degrés divers. Cela fait en sorte que plusieurs juges ne se sentent pas à l'aise étant donné leur charge de travail et les coûts que cela suppose, surtout pour les juges de nomination provinciale.

On a constaté qu'il fallait trouver des formules mieux adaptées à leur réalité professionnelle et aux communautés qu'ils sont appelés à desservir. Cela suppose nécessairement de la formation ponctuelle sur le terrain. Dans certaines provinces, l'Association des juristes d'expression française en place — en particulier au Manitoba — offre des procès simulés. L'Association offre aussi la possibilité pour les juges et les membres du personnel judiciaire d'assister une ou deux fois par année à des minicolloques où l'on traitera de sujets précis. Il y a également dans ces colloques des ateliers de formation juridiques et linguistiques avec des mises en situation où les participants sont appelés à vivre des situations réelles de médiation ou d'audition en matière criminelle.

Beaucoup de moyens sont pris à l'heure actuelle. Plusieurs de ces groupes ont survécu avec très peu de ressources financières à leur disposition. À l'aide des fonds convenus dans le plan Dion, il s'agit d'aider les gens qui ont énormément d'idées à les mettre en œuvre car ils ont accompli énormément de travail. Il faut travailler en partenariat avec les communautés. On parle souvent des gouvernements mais il faut penser aux gens qui sont sur le terrain car ils savent ce dont ils ont besoin. Il faut aller chercher l'appui chez les gens qui connaissent bien le milieu.

Le sénateur Léger: La profession juridique exige le mot juste, c'est l'opposé pour les langues. Vous avez parlé de jeunes avocats. Ils ont peut-être déjà de jeunes enfants à l'immersion. C'est déjà une ouverture, une autre façon de faire les choses. Le travail ne se fera pas au petit mot ou à la découpure.

Mme Duchesne: Cela doit se faire, au départ, dans le respect de la langue. Il faut réaliser que la plupart de ces gens, il y a 20 ans, n'avaient pas accès dans leur langue à une formation juridique en régime de common law. Il a fallu bâtir la common law en français. Il faut aussi la maintenir, et c'est un défi de tous les jours. Nous avons maintenant un bassin de candidats à la magistrature intéressants. Ces gens ont étudié en français à la faculté de droit. Pour les informer, nous avons dû développer des outils. Il a fallu traduire et concevoir tout un vocabulaire pour former des juristes de common law en français. Ces efforts doivent être poursuivis. Il faut maintenir les acquis mais également aller plus loin.

Le sénateur Léger: Au Nouveau-Brunswick, les candidats bilingues sont souvent transférés en régions. Vous devez retrouver la même situation dans les autres provinces?

Mme Duchesne: Le phénomène auquel font face les facultés de droit, et les diplômés en particulier, phénomène qui se répercute chez les associations de juristes d'expression française, c'est que les diplômés de ces facultés où la common law est enseignée en français sont prisés par les grands bureaux d'avocats. Comme ils viennent de partout pour étudier à Moncton ou à Ottawa, ils ne souhaitent pas nécessairement retourner dans leur province d'origine. Je parle, en particulier, des diplômés venus des provinces de l'Ouest. C'est un problème d'essoufflement pour les associations de juristes d'expression française.

Le sénateur Chaput: Je traiterai de la question des juges bilingues, des juges nommés par le ministère de la Justice. Lorsque le ministre fédéral de la Justice nomme un juge, il choisit la personne d'après une liste de noms soumise par un comité provincial. Chaque province a, comme vous le savez, son comité provincial sur lequel siègent des représentants d'associations, y inclus des représentants nommés par le ministre de la Justice.

Chacun de ces comités reçoit la liste des candidatures et a la responsabilité d'évaluer ces personnes. Je parle en connaissance de cause, parce que j'ai fait partie de ce comité, au Manitoba, pendant trois ans. Le fait qu'un avocat ou qu'une avocate soit complètement bilingue et qu'elle puisse très bien traduire un procès en anglais ou en français n'est pas considéré comme un atout dans l'évaluation des candidats. Chaque comité provincial décide lui-même de certains critères. Si le comité du Manitoba, par exemple, ne considère pas le bilinguisme comme un atout, même après cinq heures de discussions, je n'arriverai pas nécessairement à faire changer d'idée les six autres représentants. Voilà la situation que j'ai vécue au Manitoba, pendant trois ans. C'est très confidentiel, on n'est pas censé parler de ce qui se passe sur ce comité, mais je peux vous dire qu'on a eu des candidats compétents, bilingues et que je n'ai pas réussie à faire passer un nom de ces candidatures par le comité pour qu'ils soient sur la liste qui a été recommandée au ministère de la Justice.

Je vous fais part de ceci, parce que je crois que votre fédération doit être au courant. Votre fédération devrait voir s'il n'y a pas lieu d'avoir des critères qui seraient remis à tous les comités à travers le Canada qui auraient à considérer le bilinguisme comme un atout.

La présidente: Ces critères existent-ils ailleurs?

Mme Poirier: J'aimerais répéter ce que je pense que le ministre a dit à plusieurs reprises. Il considère plusieurs critères lui-même — et ce n'est pas une réponse qui va vous faire plaisir — lorsqu'il procède aux nominations. Toutefois, même si le bilinguisme est un critière, il procède en dernier lieu à une nomination au mérite.

Maintenant, en ce qui concerne les critères pour les comités, je ne suis pas au courant.

Mme Duchesne: C'est un domaine dans lequel je n'ai pas beaucoup de connaissances. Les associations de juristes et la fédération nationale qui les regroupent ont fait nombre de représentations auprès des différents ministres de la Justice au niveau fédéral au cours des années. Ils ont eu des rencontres récemment avec le ministre actuel, M. Cauchon. Monsieur Cauchon est sensibilisé à la question, mais il n'y a pas à l'heure actuelle, dans le processus de sélection des juges de nomination fédérale, de critères nommés pour le bilinguisme.

Le sénateur Chaput: Le ministre doit choisir selon la liste qui lui est remise par le comité provincial. Si on se retrouve dans un milieu majoritairement anglophone, avec des personnes qui ne sont parfois pas ouvertes au bilinguisme, ni prêtes à considérer que, toutes choses étant égales, la personne qui est bilingue possède un atout supplémentaire, on ne peut pas recommander un candidat. Le nom de cette personne ne se retrouve jamais sur la liste remise au ministère de la Justice.

Mme Poirier: Nous allons faire part de votre commentaire aux gens responsables du dossier.

Le sénateur Corbin: Six provinces et deux territoires font donc partie de votre groupe?

Mme Poirier: Exact.

Le sénateur Corbin: Vous dites que quelqu'un d'autre possiblement se joindra à vous. Est-ce une province ou un territoire?

Mme Poirier: La décision n'a pas été prise.

Le sénateur Corbin: Vous avez bel et bien insisté et bien choisi vos mots quand vous avez dit que l'«État des lieux» était une commande, que ce document n'avait pas été fait par vous. Si vous aviez eu à le faire, l'auriez-vous fait différemment?

Mme Poirier: Nous avons certainement participé. Nous avons établi le plan de match. Nous avons établi comment aller chercher les données. Quand les données sont entrées, nous n'avons pas décidé d'éditer le tout pour que cela nous fasse plus plaisir dans un domaine ou l'autre. Nous avons recueilli les données dans l'état où elles nous étaient transmises.

Le sénateur Corbin: Il y a eu un bureau éditorial.

Mme Poirier: C'est une firme de consultants qui a procédé aux entrevues, avec un questionnaire élaboré en collaboration avec nous, cela va de soi. Une fois les données recueillies, ils les ont colligées et ils nous ont présenté le tout.

Le sénateur Corbin: À ce niveau, vous n'avez pas exercé d'influence, c'est la firme qui a tiré les conclusions?

Mme Poirier: Oui.

Le sénateur Corbin: Vous avez, si j'ai bien compris, eu égard au rapport lui-même, exprimé des réserves en certains lieux. C'était peut-être des rouspétances, je ne le sais pas. Pourriez-vous élaborer sur ce point?

Le comité aime bien obtenir des informations cliniques sévères de la part des fonctionnaires, que je respecte d'ailleurs. Je sais que vous êtes limités dans ce que vous pouvez nous dire, mais on comprendrait peut-être mieux le fond de la question et on aurait peut-être un portrait plus complet si vous nous disiez pourquoi et de quel milieu proviennent les réserves exprimées. Peut-être que, sous forme anonyme, vous pourriez nous dire de quoi il s'agit.

Mme Poirier: On pourrait peut-être vous parler de la nature des réserves, parce que cela a été exprimé lors des deux appels conférence.

Mme Duchesne: La nature des réserves est de deux ordres, à l'heure actuelle. Elle vient autant des gouvernements ou des administrations faisant partie du groupe de travail.

Le sénateur Corbin: Des administrations provinciales.

Mme Duchesne: Des administrations provinciales, territoriales ou de la clientèle des juristes. Autrement dit, dans certains cas, de la part des administrations provinciales et territoriales, le commentaire qui revient le plus souvent est que dans la plupart des cas les chercheurs ont constaté qu'il n'y avait que très rarement de véritables politiques d'offre active de services.

Le commentaire le plus fréquent de la part des administrations est à l'effet que certaines d'entre elles considèrent qu'il y a effectivement une véritable offre active de leur part. Alors la question de la définition de ce qu'est une véritable offre active de services est véritablement quelque chose qui fera l'objet de discussions au sein du groupe de travail. Cela va de soi.

L'autre sujet qui revient, de la part des juristes en particulier, c'est que la présentation de certaines données statistiques — évidemment, les statistiques cela vaut ce que cela vaut — laissait croire que dans certaines régions du pays tout était assez bien enclenché et qu'il n'y avait que peu de problèmes ou, s'il en subsistait, ils étaient relativement aisés à solutionner.

Ce sont à peu près les deux grandes sortes de commentaires qu'on a eu en ce qui a trait à l'«État des lieux», sans aller de façon très précise dans certaines juridictions. Effectivement, au niveau de la politique d'offre active, cela a été fréquent. Et au niveau du portrait quantitatif que cela représente dans certaines juridictions, on nous a dit que cela allait supposer que tout va assez bien et que, par ailleurs, il y a encore des problèmes importants.

Le sénateur Corbin: D'accord. J'ai l'impression qu'on ne verra jamais le nom du Québec dans la liste de votre groupe?

Mme Duchesne: C'est une participation volontaire comme on l'a déjà mentionnée. Présentement ils n'y sont pas, mais d'autres juridictions n'y sont pas non plus.

Le sénateur Corbin: Je dois conclure qu'il doit sûrement y avoir de l'intérêt de la part de la province de l'Île-du- Prince-Édouard puisque vous les tenez au courant.

Mme Poirier: Effectivement, l'on mentionne sur le mandat que la province de l'Île-du-Prince-Édouard a spécifiquement demandé à être tenue au courant des progrès, sans vouloir pour le moment nommer un représentant.

La présidente: Je vais continuer. Probablement que si le sénateur Comeau était là, membre du comité et sénateur de la Nouvelle-Écosse, il demanderait une question se rapportant à sa préoccupation de pouvoir divorcer en français en Nouvelle-Écosse. Pas pour lui, mais pour les autres. Il nous dit toujours que c'est très difficile. Est-ce que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse prend des mesures pour l'accès aux services, et je pense, par exemple, à la Loi sur le divorce?

Mme Duchesne: Ils ne sont pas membres du groupe de travail à l'heure actuelle. Certaines démarches se font de la part de l'Association des juristes de la Nouvelle-Écosse pour travailler avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse pour qu'ils soient membres du groupe de travail. Je répète, c'est une participation entièrement volontaire de la part des provinces. Quel serait le rôle du gouvernement de la Nouvelle-Écosse, je ne pourrais m'avancer sur cette question présentement.

Le sénateur Gauthier: Il ne reste pas beaucoup de monde si on élimine Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse, puis les territoire. C'est nouveau, les territoires? C'est récent? Ils n'étaient pas sur la liste.

Mme Poirier: Le Nunavut s'est rajouté un petit peu après. On a fait la liste pour la réponse du gouvernement et, effectivement, je ne pense pas que le Nunavut était là.

Mme Duchesne: Le Nunavut s'est rajouté au début de l'automne.

Mme Poirier: La Saskatchewan, c'est au cours du dernier mois.

Le sénateur Gauthier: Je veux faire une petite déclaration. Je pense que le document préparé par la recherchiste est excellent. Les six questions posées sont excellentes et on devrait les donner à nos témoins et leur demander d'y répondre.

Je vais vous en poser une, par exemple. On parle de la justice et des communautés de langues officielles. À votre avis, ce cadre d'imputabilité auquel vous avez fait référence tantôt sera-t-il suffisant pour assurer la mise en œuvre de l'engagement du gouvernement vis-à-vis des communautés minoritaires de langues officielles? Ne faudrait-il pas, plutôt, adopter un cadre réglementaire comme le recommande le Comité mixte permanent des langues officielles? Vous vous souvenez, on a recommandé cela l'année passée. Vous n'avez pas accepté la recommandation et vous arrivez avec un cadre d'imputabilité. Pourquoi? Vous pouvez répondre par écrit, si vous vous voulez.

Le sénateur Corbin: Le comité veut le savoir.

Mme Poirier: Est-ce que je pourrais demander à Marc Tremblay de répondre à cette question? Il est du groupe du droit des langues officielles.

M. Marc Tremblay, avocat général, Groupe du droit des langues officielles, Justice Canada: Je suis le conseiller juridique du gouvernement sur les questions de langues officielles. Le cadre d'imputabilité auquel le sénateur Gauthier se réfère vient d'être annoncé le 12 mars. Les ambitions du gouvernement face à ce cadre sont évidemment qu'il atteigne tous les objectifs énoncés dans le plan d'action. Le gouvernement mise beaucoup sur ce cadre d'imputabilité pour sensibiliser ses propres fonctionnaires à l'égard de la nature de l'engagement des communautés visées par cet engagement. Ceci en misant sur cette sensibilisation pour que l'on fasse rayonner l'engagement dans l'élaboration des orientations des programmes, des politiques du gouvernement, à la largeur du gouvernement. Le cadre d'imputabilité a cette ambition de faire en sorte que l'on ait, dans le langage des économistes, intériorisé la valeur que représente cet engagement à travers l'appareil gouvernemental.

Est-ce que ce cadre va atteindre tous les objectifs qu'on pourrait lui prêter? Il faudra voir dans cinq ans lorsque viendra le temps. On prévoit, dans le jargon gouvernemental actuel, des évaluations formatives. Cela veut dire qu'au bout de deux ans on regarde ce que l'on a fait pour le mettre en œuvre, pour voir si on est sur la bonne piste et rajuster au besoin. Ensuite au bout de cinq ans, ce qui sera le terme de ce plan d'action, il faudra faire une évaluation. On va éviter de dire une évaluation finale parce qu'on espère que tout aura fonctionné à ce moment et qu'on pourra soit continuer le programme ou encore qu'on n'en aura plus besoin. Ce serait idéal.

Toujours est-il qu'il y aura des évaluations faites et on verra combien efficace il aura été. Pour l'instant, l'option réglementaire n'est pas étudiée par le gouvernement. Le ministre Dion a répondu à certaines questions à ce niveau en indiquant que le gouvernement n'a pas jugé que la nature même de l'engagement se prêtait à une mesure réglementaire.

Le sénateur Gauthier: Je vous remercie, monsieur Tremblay. Comme d'habitude vous êtes, comment dirais-je, à point. J'ai une question d'ordre général à poser. Un des problèmes auxquels font face les Canadiens et les Canadiennes porte sur la difficulté qu'ont les provinces de fournir des documents, comme par exemple les dénonciations en français.

Je ne parle pas du problème des anglophones, mais d'une personne qui habite une province où les francophones sont en minorité. La difficulté d'avoir certains documents avant le procès. On est accusé et on est judiciable, mais les documents sont toujours en anglais.

Les provinces disent que cela va coûter cher de traduire les documents. Je veux que ce soit fait en français. Est-ce possible ou est-ce que je rêve en couleur de demander aux provinces d'être un peu plus disciplinées et de donner les documents dans les deux langues officielles du pays?

Mme Poirier: Après discussion avec Marc Tremblay, j'étais prête à répondre à une question sur la langue des dénonciations, mais évidemment étant donné que Marc est présent, je vais lui céder la parole.

M. Tremblay: La réponse à la question n'est pas simple. Je ne veux surtout pas vous ennuyer avec un cours de droit constitutionnel alors que nous sommes ici pour parler du programme du ministère de la Justice en matière des langues officielles. Pour être aussi bref que possible, il y a certaines contraintes constitutionnelles dans certaines provinces. On parle du Québec, du Nouveau-Brunswick et du Manitoba où la Constitution, dans ses diverses manifestations, octroit à chacun le droit d'utiliser sa langue pour les actes de dénonciation, enfin tous les processus judiciaires.

Cela veut dire qu'on ne peut pas leur enlever ce droit d'utiliser soit le français ou l'anglais pour remplir les détails de l'acte d'accusation ou de la dénonciation ou encore pour témoigner de vive voix ou par écrit dans des procédures entamées dans ces juridictions. De par le fait que dans certaines provinces ces droits constitutionnels existent, cela vient limiter ou encadrer l'action législative qu'on peut prendre pour l'ensemble des provinces quand on légifère, par exemple, au niveau du Code criminel ce à quoi vous faites référence. Le Code criminel ne prévoit rien concernant l'acte de dénonciation parce qu'il relève du droit constitutionnel des avocats, des policiers, des juges et du défendeur, de l'accusé d'utiliser leur langue.

Toutefois, il est possible d'aller au-delà de ce minimum constitutionnel. Au niveau fédéral, lorsque nos procureurs agissent, nous avons comme politique de fournir une traduction des actes introductifs d'instance dans tous les cas, sur demande. On n'a pas inventé cela et on s'est fié à une jurisprudence applicable uniquement en Ontario dans l'affaire Simard rendu par la Cour d'appel en 1995, qui avait accordé ce droit en Ontario sur demande; une traduction de la dénonciation. Au niveau fédéral, nous avons entériné sur le plan de la politique juridique le bien-fondé de cela.

Le sénateur Gauthier: Je ne veux pas une traduction. Je veux cela dans ma langue à moi. C'est de réduire la langue officielle du pays à un deuxième niveau. Vous me comprenez? Si je proposais un amendement au Code criminel affirmant que tous les documents qui doivent être donnés aux accusés soient dans les deux langues officielles, non pas des traductions, mais bien dans les deux langues officielles. Pensez-vous que cela aurait une chance de passer? C'est frustrant. Je connais un petit peu le dossier. Vous avez très bien répondu à ma question, mais il reste que cela prendrait peut-être un amendement au Code criminel pour clore le débat?

M. Tremblay: Je ne peux pas donner d'avis juridique au comité. Je peux relater ce que la jurisprudence nous dit à l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et ces questions de la langue de la dénonciation. On peut vouloir changer ces aspects, mais la Cour suprême les a examinés en 1986, et nous dit que chacun, chaque témoin, chaque policier, chaque juge était libre d'utiliser sa langue. Donc, nous allons faire face à cette situation de fond, mis à part la possibilité, disons-le, lointaine de modifier la constitution. Ce ne serait pas par voie de modification au Code criminel comme par voie de modification à l'article 133 et maintenant à la Charte canadienne des droits et libertés qui a repris ces mêmes droits en 1982.

La question est fort complexe et en matière de droit criminel et ailleurs sous le cadre de la partie III de la Loi sur les langues officielles aussi, on tente de trouver l'équilibre entre le droit constitutionnel de chacun d'utiliser sa langue et les bénéfices ainsi du récipiendaire. Il y a un équilibre qui permet d'aller aussi loin que l'on peut et pas, par exemple, d'avoir un acte de dénonciation dans les deux langues partout au Canada.

Le sénateur Gauthier: C'est difficile pour un francophone de comprendre un juge au Nouveau-Brunswick, qui dit à une municipalité que nous ne sommes pas obligés d'avoir la dénonciation dans les deux langues officielles. Vous êtes au courant de cette cause?

M. Tremblay: Oui.

Le sénateur Gauthier: M. Charlebois conteste le fait d'avoir reçu des documents dans une langue seulement. Le juge lui a dit qu'ils n'étaient obligés de donner les documents dans les deux langues officielles. Je regrette, j'espère que vous allez être du bon bord, cette fois?

M. Tremblay: Puisque la cause est devant les tribunaux, vous comprendrez ma réticence à m'aventurer dans les détails.

La présidente: En ce qui a trait aux ententes avec les provinces, le projet de guichet unique fait avec l'aide du gouvernement fédéral en Saskatchewan, les cours itinérantes, ces projets pilotes pourraient-ils aider d'autres provinces? En faites-vous la suggestion? Comment rendre d'autres provinces plus réceptives à ces projets?

Mme Duchesne: Dans le rapport «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles», l'on avait pour objectif de faire un inventaire des mesures novatrices prises un peu partout: les projets pilotes au Manitoba, le guichet unique, les cours itinérantes, — il y a certains projets en Saskatchewan — et également d'autres provinces peut-être se tourneraient vers cette possibilité. C'est une des choses qu'on veut étudier avec les membres du groupe de travail FPT sur l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Me Poirier l'a dit dans sa présentation, on cherche à appuyer des projets novateurs mais qui auront des effets durables et qui pourront être utiles non seulement à une province, mais qui pourront servir ailleurs comme modèle. Cela rejoint notre approche asymétrique pour le rapport «État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles». On ne prétend pas qu'il y a une solution qui s'applique à travers le pays. Il y a plutôt des situations différentes dans chaque province et elles doivent être respectées et prises en compte. Les mesures devront s'adapter à ces situations. Ce sont certainement des projets intéressants dans le contexte dans lequel on entend travailler.

La présidente: Quelle est la durée du mandat du comité de travail?

Mme Duchesne: D'après son mandat, il est illimité. On est tout à fait conscient. On n'a pas voulu le restreindre dans le temps à l'heure actuelle. On a parlé un peu plus tôt d'un mécanisme de consultation. Le groupe de travail est un mécanisme de consultation avec les provinces et les territoires. Vous aurez constaté qu'en plus de la Saskatchewan se joint aussi à ce groupe maintenant un représentant des responsables gouvernementaux des affaires francophones dans les différentes provinces de façon à nous permettre de faire le lien avec les préoccupations propres aux communautés. La justice est une chose, mais le service aux justiciables, c'est autre chose. Parallèlement à cela, il y a des mécanismes de consultation avec les communautés et avec les juristes d'expression française.

Le sénateur Corbin: Je suis encore intrigué par l'absence de certaines provinces et/ou de territoires. Pensez-vous que le temps approche où tout le monde participera?

Mme Poirier: Comme Me Duchesne nous le disait, en Nouvelle-Écosse nous savons que des pressions sont faites par l'Association des juristes et d'autres membres influents qui oeuvrent dans ce domaine. Nous avons indiqué depuis le début aux provinces et territoires qu'ils pouvaient en tout temps se joindre au groupe. S'il y a une manifestation d'intérêt, que ce soit aujourd'hui ou dans trois mois, on acceptera les gens.

Jusqu'à maintenant, nous avons une autre manifestation d'intérêt et c'est tout. Je ne peux pas me prononcer pour les autres.

Le sénateur Corbin: Est-ce que c'est de leur part une question d'argent?

Mme Poirier: Voulez-vous dire les provinces?

Le sénateur Corbin: Est-ce des considérations monétaires qui les empêchent de se joindre à vous sur une base volontaire?

Mme Poirier: Je ne peux pas me prononcer. En terme de logistique, se joindre au groupe n'implique aucun frais.

Le sénateur Corbin: D'autant plus que vos réunions jusqu'à présent se sont faites par téléphone et c'est le ministère de la Justice qui paie pour ces frais. Quel est l'empêchement? Je ne comprends pas.

Mme Duchesne: Le sous-ministre Rosenberg a écrit aux provinces et territoires pour réitérer son invitation de participer au groupe de travail. L'invitation a été envoyée à l'été et on nous a dit que dans certains cas la lettre était passée inaperçue. Voilà une explication.

Le sénateur Corbin: Cela s'est fait au niveau politique?

Mme Duchesne: Au niveau des sous-ministres, fédéral, provinciaux et territoriaux.

Le sénateur Corbin: Les ministres ne sont pas impliqués?

Mme Poirier: Une fois que l'invitation est arrivée, est-ce que les ministres ont été impliqués ou pas? Je ne peux pas vous répondre. Effectivement, je suis au courant d'une administration où le ministre a été impliqué.

Mme Duchesne: Le groupe de travail est une création du forum des sous-ministres de la justice du fédéral, des provinces et des territoires. Il a été créé par ce forum. Nécessairement, il doit rendre des comptes à ce groupe de sous- ministres.

Le sénateur Corbin: On peut présumer que les ministres concernés sont d'accord? Il n'y a pas d'opposition?

Mme Duchesne: Absolument.

Le sénateur Corbin: Je vous félicite pour votre travail. Mais ce que je disais plus tôt: s'il n'y a pas une volonté politique, le dossier n'aboutira pas. Le mot politique pour vous, c'est comme la lèpre, je comprends cela. Mais si on est là pour desservir les Canadiens dans les deux langues officielles, il faut que le politique s'implique, madame la présidente. C'est ce que je veux dire.

La présidente: Me Poirier et maître Duchesne, je vous remercie, pour votre présentation.

Je rappelle aux membres que la prochaine réunion aura lieu le lundi 5 mai. À cette réunion, nous accueillerons le ministre du Conseil du Trésor, Mme Robillard, ainsi que la commissaire aux langues officielles, Mme Dyane Adam. Nous ferons aussi une étude de l'ébauche de rapport sur l'«État des lieux» que vous recevrez.

Le sénateur Corbin: Quel est le sujet spécifique pour chacune de ces personnes?

La présidente: Mme Robillard parlera de sa réforme de la fonction publique et Mme Adam nous parlera des budgets.

La séance est levée.


Haut de page