Délibérations du Comité du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 5 - Témoignages du 12 février 2003
OTTAWA, le mercredi 12 février 2003
Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit ce jour à 12 h 07 pour examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence, ainsi que d'une proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en oeuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposées au Sénat le 23 octobre 2002.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous entendons aujourd'hui le témoignage de M. Mark Audcent, notre légiste et conseiller parlementaire. M. Audcent m'a informé que son exposé liminaire prendra une quinzaine de minutes, et nous aurons ensuite une période de questions.
[Français]
M. Mark Audcent, légiste et conseiller parlementaire: C'est un plaisir d'être ici avec vous. Pour préparer ma rencontre d'aujourd'hui, j'ai relu les témoignages que j'ai livrés devant les précédents comités qui traitaient de ce sujet. Le 24 mars 1992, j'ai comparu devant le comité Stanbury-Blenkarn; le 26 avril 1993, devant le comité mixte spécial chargé de l'étude du projet de loi C-116; et le 28 septembre 1995, devant le comité Oliver-Milliken. Beaucoup de ce que j'ai à vous dire a déjà été dit.
[Traduction]
Je vous remercie donc tout particulièrement de m'offrir cette occasion de vous faire part de mes vues sur le sujet qui vous occupe. J'aimerais commencer par vous faire part de ce point de vue façonné au fil d'une vingtaine d'années.
Lorsque je donne aux sénateurs des avis en matière de conflit d'intérêts, j'agis comme votre conseiller juridique. Je traite chaque sénateur comme un client distinct et je lui donne des avis sur la base d'une relation entre avocat et client. L'échange est placé sous le privilège du secret professionnel, le privilège étant celui du sénateur individuel. Je ne donne de conseils qu'à ceux qui m'en demandent. Je ne le fais jamais de ma propre initiative. Selon mon expérience, les sénateurs s'adressent à moi, et prennent leurs décisions suite à mes avis, par souci de «propreté impeccable», pour reprendre le mot d'un sénateur, et non pas en vue de se soustraire à quelque désagrément.
De nombreux sénateurs, au fil des ans, ont jugé commode de divulguer les détails de leurs affaires privées à leur avocat personnel et me demandaient d'informer ce dernier de la loi, afin qu'il soit en mesure de leur donner les meilleurs conseils possibles.
Lors du débat au Sénat, d'aucuns ont mentionné l'accueil organisé le premier jour pour les nouveaux sénateurs dans le bureau du greffier. De nombreux sénateurs, de fait la majorité d'entre vous aujourd'hui, en ont fait l'expérience. La formule est invariable. Le greffier salue le nouveau sénateur, ensuite de quoi il m'invite, ainsi que le directeur des finances et celui des ressources humaines, à faire un exposé de quelques minutes.
Le greffier a mis en place cette procédure à son entrée en fonction par souci de bien souligner quelques messages particulièrement importants. Au cours des quelques minutes qui me sont imparties, je soulève toujours la question du conflit d'intérêts et la nécessité de lever immédiatement tout conflit potentiel, car la loi actuelle ne prévoit aucune période transitoire. Je souligne toujours la nécessité d'être constamment vigilant à l'avenir pour ce qui est des conflits d'intérêts, et assure les sénateurs de ma disponibilité.
[Français]
En ma qualité de fonctionnaire du Sénat, j'ai le devoir de divulguer aux médias et à la population les lois et règles qui régissent la conduite des sénateurs et qui sont d'ailleurs du domaine public. Toutefois, je ne leur fournis aucune interprétation car cela, dans ma situation, consisterait à fournir un avis juridique.
[Traduction]
Le conflit d'intérêts est un sujet à facettes multiples qui comporte des dimensions juridiques, procédurales et politiques. Conformément à la pratique actuelle, je donne des conseils juridiques. Je donne également aux sénateurs des avis sur la procédure, mais je leur rappelle que ce sont les greffiers à la procédure qui conseillent le président du Sénat et les présidents de comité.
La dimension la plus importante du conflit d'intérêts est la dimension politique et ce n'est pas mon rôle de donner des conseils politiques. Lorsque je détecte un problème d'optique, par opposition à un problème juridique ou en sus d'un tel problème, je peux en parler avec le sénateur mais je conclus alors toujours avec la recommandation que le sénateur consulte ses collègues et son leader pour obtenir un test «olfactif»ou un test «titre de presse». Il me semble que pour cette dimension du conflit d'intérêts et de l'éthique un conseiller en éthique peut apporter une valeur ajoutée aux pratiques actuelles.
Le Sénat vous a envoyé un ensemble de propositions composé d'un avant-projet de loi et d'un code de déontologie. Ensemble, ils visent à consolider, codifier et moderniser les règles qui vous régissent en matière de conflit d'intérêts et établissent une infrastructure d'appui aux sénateurs pour les aider à remplir leurs obligations en vertu du code.
[Français]
La codification est une étape normale de l'évolution des règles. La loi est d'abord une réponse à un problème posé par un cas. Les décisions qui visent à apporter des solutions à des cas précis révèlent avec le temps leurs principes sous- jacents. En fin de compte, ces principes sont traduits en règles écrites et, lorsque ces règles sont suffisamment nombreuses, et parfois dans des endroits différents, il est normal que l'on cherche à les rassembler et à les codifier. L'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés est un exemple de la tendance moderne à tendre vers une loi cohérente et écrite.
À l'avenir, la circulation et l'utilisation de documents de format électronique est un nouvel élément dont il faudra tenir compte pour déterminer le format et le contenu. Vous voudrez peut-être vous pencher sur la question de savoir si la technologie offre de nouvelles possibilités ou pose de nouvelles menaces.
[Traduction]
Le changement ouvre toujours des possibilités et présente des menaces. Je considère que le projet de réforme du régime actuel vous offre beaucoup de possibilités. Il y a la possibilité d'améliorer votre image publique et celle du Sénat. Il y a la possibilité d'établir votre droit à une vie privée et à poursuivre vos affaires personnelles. Il y a la possibilité d'avoir des règles claires que vous puissiez facilement connaître et comprendre. Il y a la possibilité d'avoir une infrastructure qui puisse mieux vous appuyer qu'à l'heure actuelle, avec en particulier la certitude d'un guichet unique et d'opinions exécutoires et aussi l'avantage d'un examen par les pairs. Enfin, il y a la possibilité de remplacer les dispositions légales actuelles qui sont obsolètes, alambiquées, indûment restrictives et même dangereuses. Pour toutes ces raisons, je pense que vous pouvez aborder cette étude avec l'espoir de créer un meilleur système.
Bien entendu, il y a également des dangers. Le premier est le plus gros que je vois serait une duplication des règles, soit l'adoption de nouvelles règles sans abroger les anciennes. Un nouveau régime doit remplacer l'ancien par du neuf, plutôt que de reproduire les obligations et d'introduire des chevauchements. Un deuxième danger serait d'avoir deux infrastructures concurrentes. Il ne faudrait pas que les sénateurs ne sachent pas s'ils doivent se tourner vers le commissaire à l'éthique ou vers le légiste pour obtenir des avis, ou pire encore, recevoir des avis contradictoires. L'application est un sujet différent. Il faudrait donc un guichet unique pour des avis professionnels en matière d'éthique, que la question relève de la loi ou des règles. D'autres dangers seraient un système de règles excessivement détaillées ou un système d'observation trop lourd.
Gardant à l'esprit ces réflexions générales, passons maintenant au texte. Il propose des règles internes au Parlement. Je trouve que c'est là un attribut excellent qui est dans l'intérêt public. Vous avez même envisagé la possibilité que les règles soient internes au Sénat. C'est une autre option. Cependant, ce qui m'inquiète, c'est que si les nouvelles règles sont internes au Parlement, une bonne partie du dispositif ancien subsiste. S'agissant des sénateurs, je vous renvoie à l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada et aux articles 119, 121 et 122 du Code criminel.
Permettez-moi d'indiquer d'abord que je considère que l'article 119 du Code criminel s'applique à juste titre aux parlementaires. L'article 119 sanctionne la corruption, dont il est généralement admis qu'elle est un crime. À mon avis, si un sénateur est accusé de corruption après enquête, les autres sénateurs voudront que la justice soit saisie.
Ce sont les autres articles de la loi que j'ai mentionnés dont je ne pense pas qu'ils devraient continuer à s'appliquer aux parlementaires parallèlement au code de déontologie proposé.
Prenez l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada. En substance, il est interdit à un sénateur de vendre ses services parlementaires. Le maintien de l'article 16 dans la loi reste-t-il nécessaire? Si le sénateur est corrompu, l'affaire est pénale et l'article 119 s'applique. Si le sénateur n'est pas corrompu et l'affaire non pénale, pourquoi cette interdiction subsiste-t-elle dans la Loi sur le Parlement du Canada et relève-t-elle de la compétence des tribunaux? Ne vaudrait-il pas mieux incorporer une interdiction de cette nature dans le nouveau code de conduite qui est, après tout, censé codifier les règles?
Je passe maintenant à mon plus gros sujet de préoccupation. Par «interprétation judiciaire», les sénateurs sont considérés comme des «fonctionnaires» aux fins de la Partie IV du Code criminel. À ce titre, ils sont assujettis aux articles 121 et 122 du Code. L'article 121 énonce maintes infractions, mais celle qui intéresse le plus près les sénateurs est l'interdiction inscrite a l'alinéa (1)a) pour les fonctionnaires de recevoir un avantage pour un acte ou une omission concernant la conclusion d'affaires avec le gouvernement, et l'interdiction faite à l'alinéa (1)c) aux fonctionnaires de recevoir un avantage de toute personne qui a des relations d'affaires avec le gouvernement.
Je considère que le Parlement n'avait jamais l'intention d'appliquer les articles 121 et 122 aux parlementaires. Les francophones admettront combien il est difficile de concevoir que le Parlement songeait aux parlementaires lorsqu'il a utilisé le terme «fonctionnaires». Selon les mots du juge Falardeau, qui était le juge de première instance dans la cause La Reine c. Cogger, en 1993:
[Français]
Il semble presque incongru qu'un sénateur puisse être considéré comme un fonctionnaire du gouvernement. Comment un membre du pouvoir législatif peut-il être considérer à la fois comme fonctionnaire de l'exécutif?
[Traduction]
À mon avis, l'intention du Parlement était que l'article 119 s'applique au parlementaires et aux juges, les articles 121 et 122 étant les dispositions équivalentes pour les fonctionnaires. Pour être coupables d'une infraction criminelle, les parlementaires devaient être corrompus. Les fonctionnaires, en revanche, étaient assujettis à une règle qui n'exigeait pas un esprit corrompu et qui leur permettait de faire des choses par ailleurs interdites avec le consentement écrit du chef de la division du gouvernement qui l'emploie.
J'invite les honorables sénateurs à examiner de près cette question car, à mon sens, la portée de l'article 121 est dangereusement grande. Je vous recommande de lire la décision de 1996 de la Cour suprême du Canada dans la cause R. c. Hinchey, un jugement qui a fait date sur l'application de l'alinéa 121(1)c).
S'exprimant pour la minorité,le juge Cory a estimé important de «[...] ne pas englober des conduites [...] qu'aucun membre raisonnable de la collectivité ne considérerait comme répréhensibles». Madame la juge L'Heureux-Dubé, écrivant pour la majorité, rejette cette approche. Considérant que l'article 121 a pour objet non seulement de protéger l'intégrité du gouvernement, mais aussi l'apparence d'intégrité du gouvernement, elle conclut que le Parlement a expressément stipulé qu'il peut y avoir atteinte à l'intégrité du gouvernement aussi lorsque des fonctionnaires reçoivent des avantages même sans mauvaise intention. C'est pour cette raison que le filet de l'alinéa 121(1)c) a été lancé si loin. Aucune intention de corruption n'est nécessaire.
Il est intéressant que la juge L'Heureux-Dubé ait fondé son approche sur son opinion que cet article offre une défense simple, complète et décisive à tout employé du gouvernement. Autrement dit, l'article offre une solution simple à tout fonctionnaire qui s'interroge sur la légalité d'une conduite. Il suffit à cette personne d'obtenir le consentement écrit de son supérieur pour être complètement absoute. Mais qui est le supérieur d'un sénateur? Pour reprendre les termes du juge Falardeau dans La Reine c. Cogger:
[Français]
Si le législateur avait voulu considérer un sénateur comme fonctionnaire, à quel chef de division de gouvernement qui l'emploie ou dont il est fonctionnaire, voulait-il que ce sénateur s'adresse pour demander la permission d'accepter un avantage ou une récompense de quelqu'un qui traite avec le gouvernement pour le sauvegarder d'une accusation en vertu de l'article 121.1c) du Code criminel?
[Traduction]
À mon avis, une simple modification de la définition du mot «fonctionnaire»à l'article 118, pour préciser qu'elle n'englobe pas les parlementaires ou les juges simplement parce qu'ils occupent leur siège, suffirait à apporter la rectification nécessaire à la loi.
Si le projet de réforme tel que déposé est adopté, mais que l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada ou les articles 121 et 122 du Code criminel restent applicables aux sénateurs, je vous suggère de réfléchir à l'opportunité de confier au commissaire à l'éthique la tâche de les conseiller à ce sujet. Du fait qu'il s'agit de dispositions légales, ses avis devraient non seulement être d'ordre éthique, mais aussi juridique. Sinon, un sénateur ayant consulté le commissaire pourrait facilement être amené à penser que l'avis déontologique qu'il a reçu traduit la loi, alors que la question n'a pas été examinée sous cette lumière.
Je note qu'à l'heure actuelle l'avant-projet de loi n'exige pas que le commissaire à l'éthique soit juriste et que l'article 27 du projet de code de déontologie semble limiter les fonctions du commissaire aux avis relatifs aux obligations d'un parlementaire en vertu du code. Étant donné que j'ai l'impression que tout commissaire à l'éthique préférerait se limiter à des avis d'ordre éthique, nous revenons à la solution de retirer les interdictions de la loi et de les incorporer plutôt dans le code, là où elles pourront être administrées comme il se doit et appliquées en connaissance de cause.
Honorables sénateurs, j'aimerais aborder une autre disposition encore de la loi actuelle, car elle est le sujet de nombreux avis. Je veux parler de l'article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada.
Cet article a été promulgué en 1878 comme élément d'une loi qui visait à mieux garantir l'indépendance du Parlement. Son but initial était d'empêcher l'exécutif d'acheter l'appui des parlementaires au moyen de fonds publics.
Curieusement, le projet de loi tel qu'il avait été introduit à l'époque interdisait également aux sénateurs, de même qu'aux députés, d'occuper des charges publiques incompatibles. Cependant, dans le cas des sénateurs, cette disposition a été supprimée avant la promulgation. Permettez-moi de citer un avis écrit en 1971 par mon prédécesseur, M. E. Russell Hopkins. Dans un avis qui ne divulgue pas la situation de fait considérée, il conclut:
Nulle restriction ou limitation à l'acceptation de charges publiques lucratives n'est imposée aux sénateurs, leur inadmissibilité étant déterminée par le seul article 31 de la Loi sur l'A.N.B. elle-même. Il s'ensuit qu'un sénateur ne sera pas considéré comme disqualifié ni en vertu de la Loi sur l'A.N.B. ni en vertu des dispositions sur «l'indépendance du Parlement»parce qu'il a accepté une charge publique lucrative.
Pour en revenir à l'article 14, son libellé est resté à peu près inchangé depuis sa promulgation. Il stipule:
14. Il est interdit à tout sénateur d'être volontairement — directement ou indirectement — partie à un contrat mettant en jeu des fonds publics fédéraux, ou d'y être mêlé d'aucune autre façon.
[Français]
14. Il est interdit à tout sénateur d'être volontairement — directement ou indirectement — partie à un contrat mettant en jeu des fonds publics fédéraux, ou d'y être mêlé d'aucune autre façon.
[Traduction]
Notez que l'interdiction vise le fait d'être partie ou mêlé à un contrat. Si des fonds publics sont versés au titre du contrat et qu'un sénateur est «mêlé» au contrat, l'interdiction est enfreinte, que le sénateur reçoive ou non un avantage personnel. En d'autres termes, recevoir un avantage personnel n'est pas un élément essentiel de l'infraction.
En 1979, la Cour suprême du Canada, dans la cause Wheeler, a décidé qu'un administrateur ou dirigeant d'une société était d'office, c'est-à-dire par le seul fait de son emploi, intéressé dans les contrats de cette société et dans ses bénéfices. Pour reprendre les termes du juge Estey:
Il n'est pas réaliste de penser, à titre de principe général de la conduite humaine, qu'un administrateur ou dirigeant d'une société contractante n'a pas au moins un intérêt indirect dans les contrats de cette société.
Il me semble que la même logique s'applique à des associés.
En acceptant la charge d'administrateur, une personne accepte les fonctions de cette charge. Je ne vois aucune raison juridique de distinguer entre les fonctions d'un administrateur d'une société commerciale et les fonctions d'un administrateur d'une organisation sans but lucratif.
Le résultat est que lorsqu'on lit ensemble l'article 14 et le jugement Wheeler, il est interdit aux sénateurs d'être administrateurs, dirigeants ou associés d'organisations ayant conclu des contrats prévoyant le versement de fonds publics. Toutefois, les sénateurs peuvent structurer leurs affaires de manière à agir comme experts-conseils auprès d'entreprises commerciales, sauf à l'égard de leurs affaires avec l'État, ou d'agir comme présidents d'honneur d'organisations caritatives et à but non lucratif qui reçoivent des subventions publiques.
Sur un autre plan, je constate que le projet de code maintient l'interdiction globale de contrats avec l'État. Les honorables sénateurs pourraient vouloir réfléchir à cela. L'interdiction de conclure des contrats avec le Sénat ou toute autre institution parlementaire est tout à fait sensée. Après tout, les sénateurs gèrent le Sénat. Cependant, dans les années 80, on dénombrait plus de 80 000 fournisseurs de l'État. J'imagine qu'il y en a plus de 100 000 aujourd'hui. L'administration publique représente une partie énorme de notre économie. Est-il nécessaire d'exclure les sénateurs de toute cette activité, toujours et dans toutes les circonstances? Il se peut, mais vous devriez vous poser la question. Je conçois que le Sénat ne puisse louer des locaux auprès d'un sénateur ou de la société de holding d'un sénateur. Il est plus difficile de comprendre pourquoi un ministère quelconque ne pourrait pas louer de tels locaux.
Honorables sénateurs, permettez-moi de conclure mon exposé avec la remarque suivante. La réforme du droit dans ce domaine a été engagée il y a déjà 30 ans sans pouvoir encore aboutir. Cela m'amène à vous suggérer d'étudier l'avant-projet de loi et le projet de code sous différents éclairages. Il pourrait être difficile de modifier la loi à l'avenir et c'est pourquoi il importe aujourd'hui adopter un texte judicieux.
En revanche, les règles, tout en étant stables, peuvent être adaptées à l'évolution des situations et des besoins nouveaux. Cette flexibilité accrue du code peut vous rassurer.
Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente: Merci, monsieur Audcent.
Le sénateur Stratton: Monsieur Audcent, vous avez soulevé un point intéressant. Je vous avais consulté au sujet de l'invitation à siéger à titre bénévole au conseil d'administration d'une nouvelle société pharmaceutique. Vous m'avez conseillé de m'abstenir car cette entreprise était susceptible de recevoir des fonds publics fédéraux, et c'est ce que j'ai fait.
J'ai besoin d'une clarification, car cela a d'énormes répercussions pour nous tous. S'agissant de siéger bénévolement au conseil d'une organisation bénévole, est-ce que la même règle s'applique, à votre avis, dès lors que celle-ci reçoit des fonds fédéraux?
M. Audcent: À mon avis, la première partie de l'interdiction concerne le fait d'être partie à un contrat avec le gouvernement comportant le versement de fonds publics. S'il s'agit d'une société, la partie ce n'est pas vous, c'est la société.
La deuxième partie de l'interdiction porte sur le fait d'être intéressé dans un contrat au titre duquel sont versés des fonds publics. La Cour suprême du Canada a statué que l'administrateur ou le dirigeant d'une société est intéressé dans les affaires de cette société. Attendrait-on moins des administrateurs d'une organisation caritative nationale que des administrateurs de sociétés commerciales? Non. Ils ont un devoir de loyauté envers leur compagnie. Ils ont le devoir de promouvoir les intérêts de leur compagnie. Ils exercent toutes les fonctions normales associées à la charge d'administrateur.
Si vous avez ces fonctions, que vous les remplissiez pour une société commerciale ou une société sans but lucratif, il me semble que vous êtes intéressé dans les contrats de la société. Si le contrat est avec le gouvernement et que des fonds publics sont versés, on peut arguer que l'article s'applique à vous.
Le sénateur Stratton: C'est une perspective plutôt inquiétante pour ceux d'entre nous qui consacrons bénévolement beaucoup de temps aux organisations sans but lucratif.
M. Audcent: Il importe de réaliser qu'il y a des façons de s'y prendre.
Le sénateur Stratton: Pourriez-vous nous indiquer quelles sont ces façons, afin que le public et les sénateurs les comprennent clairement?
M. Audcent: À mon avis, le problème est que vous ne pouvez être administrateur ou dirigeant parce que cette charge comporte des droits et obligations. C'est ce qui vous rend intéressé. Aussi longtemps que vous n'êtes ni administrateur ni dirigeant, rien ne vous empêche de travailler avec les oeuvres charitables qui vous intéressent. Si c'est utile, vous pouvez devenir président d'honneur, mais je pense qu'il y a un problème si vous occupez effectivement une charge comportant les droits et obligations juridiques habituelles.
Le sénateur Di Nino: J'ai deux questions. L'une fait suite à celle du sénateur Stratton.
Je vous ai entendu dire «qu'il y ait ou non un gain ou un avantage personnel». J'ai toujours pensé que c'était là le déclencheur de la législation relative aux conflits d'intérêts. J'aimerais que ce soit clarifié, car je siège à trois conseils qui reçoivent des fonds publics. Ce sont toutes des organisations de bénévoles et il semble maintenant que je me sois mis dans un mauvais cas. Il faut que ce soit clair. Si j'ai bien compris ce que vous dites, que la personne retire ou non un avantage personnel, cette personne tombe néanmoins sous le coup de la loi.
M. Audcent: C'est ce qu'il me semble. La notion d'avantage personnel intervient dans le Code criminel. Vous ne devez pas retirer un avantage personnel. Mais dans l'article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada, l'interdiction porte sur le fait «d'être mêlé»à un contrat. Il n'y est pas question d'avantage personnel.
Le sénateur Di Nino: Être «mêlé»signifie être soit un dirigeant soit un administrateur, mais pas les deux?
M. Audcent: Cela englobe aussi un mandant - un mandant, dirigeant ou administrateur.
Le sénateur Di Nino: Merci de cette réponse.
Mon autre question porte sur les relations, familiales et autres. Si, par exemple, le frère, conjoint, ou le fils ou la fille d'un sénateur siège au conseil d'une société à but lucratif, quelles en sont les implications par rapport à ce dont nous parlons?
M. Audcent: Je ne pense pas être en mesure de répondre. On m'a posé quelques questions à ce sujet au fil des ans et elles m'ont toujours donné beaucoup de fil à retordre. La meilleure réponse que je puisse probablement vous donner est que je ne connais pas la réponse. La dernière fois qu'une accusation en vertu de l'article 14 a été jugée était en 1942, et l'affaire portait sur une période où la personne n'occupait en fait pas de siège de sénateur, et cette affaire ne nous renseigne donc pas beaucoup. Je ne connais aucune jurisprudence à laquelle je puisse me fier et le mieux que je puisse vous dire est que c'est un problème.
Pour en revenir à la question de l'avantage personnel, l'article 14 a été ouvert parce qu'on le transfère de la loi dans le code, ce qui signifie que vous êtes en mesure d'insérer cet élément si vous jugez cela raisonnable.
Le sénateur Di Nino: Il serait intéressant d'avoir un avis sur la deuxième question. Évidemment, je conviens avec notre légiste qu'il faudra examiner la question de l'avantage personnel, afin de permettre à ceux d'entre nous qui souhaitent contribuer à des organisations caritatives sans but lucratif de continuer à servir si l'organisation le souhaite, sans tomber sous le coup de cette disposition. Je m'inquiète également au sujet de la deuxième question. Si notre légiste ne peut y répondre, il faudrait chercher des réponses ailleurs.
La présidente: Puis-je suggérer de peut-être nous concentrer un peu moins sur la teneur des dispositions actuelles et d'examiner plutôt ce que dit le projet de code? Si j'ai bien compris, les mots «ou y être mêlé d'aucune façon» ne figurent pas dans la disposition du projet de code sur les contrats avec l'État. La situation sera-t-elle différente si le code était en vigueur?
M. Audcent: C'est tout à fait juste, madame la présidente. Le code dit qu'un parlementaire ne doit pas être sciemment partie à un contrat avec le gouvernement du Canada qui lui procure un avantage. Il dit en outre qu'il ne peut pas avoir un intérêt dans une société de personnes ou une société privée qui est partie à un contrat avec le gouvernement du Canada.
La présidente: Les mots «ou y être mêlé»n'apparaissent pas; est-ce exact?
M. Audcent: Ils ont été supprimés. C'est juste.
Le sénateur Grafstein: J'ai eu l'occasion de parler au juge Estey de cette décision. Elle le troublait profondément. Il n'est pas juste de placer des mots dans la bouche d'un homme qui n'est pas là pour se défendre, mais permettez-moi de vous présenter l'argumentation pour voir si nous ne pourrions pas trouver une issue à une situation que tous les sénateurs, je pense, trouvent odieuse. Quelle est cette situation odieuse? Il n'existe pas un sénateur qui ne soit pas actif dans une organisation bénévole. De fait, ce genre de responsabilité nous est imposée parfois par les différentes organisations de notre collectivité.
Si vous remontez jusqu'aux Pères de la Confédération, le rôle des sénateurs était très clair. Les sénateurs n'étaient pas élus, mais nommés, afin qu'ils puissent, plus particulièrement, se consacrer très avant aux affaires de leur région et localité. C'était en pratique l'une des raisons d'être d'un Sénat nommé.
Certes, le sénateur ne devait pas faire usage de cette position particulière pour son «avantage personnel». Cela est incontesté. Il se pose quelques questions sur la façon dont cela s'applique aux fonctions de dirigeant, etc., mais laissons cela de côté pour le moment.
Nous voici à l'ère moderne, où pas un seul sénateur ou membre de sa famille n'est pas largement actif, tant comme donateur que comme bénévole, dans le secteur bénévole. Placer dans une espèce de zone grise les sénateurs qui font le travail que leur collectivité attend d'eux et auxquels ils participent volontiers va à l'encontre de la raison d'être du Sénat, à mon avis.
Je fais observer, aux fins du procès-verbal, que le témoin hoche de la tâche.
M. Audcent: J'écoute.
Le sénateur Grafstein: Même s'il n'est pas d'accord, il hoche de la tête d'un air entendu.
M. Audcent: Avec compréhension.
Le sénateur Grafstein: Je trouve personnellement odieux que les droits des membres de ma famille d'être actifs dans le secteur bénévole soient contestés de quelque manière que ce soit. Il en coûte aux bénévoles de faire du bénévolat, particulièrement s'ils sont administrateur ou ont une fonction officielle dans l'organisation.
Si les gens voulaient regarder de près la participation des sénateurs au bénévolat, ils constateraient qu'il n'en est pas un qui n'est pas hautement actif dans le secteur bénévole de sa localité. L'une des raisons pour lesquelles cette personne a été nommée au Sénat est justement qu'elle est active dans sa collectivité au plein sens du mot, et pas seulement à titre honoraire. Je trouve que cette disposition est un élargissement de la loi qui est contraire à la nature et à la raison d'être du Sénat.
Madame la présidente, si c'est possible, je demanderais que notre collègue, M. Audcent, qui est superbement compétent dans ce domaine, de rédiger pour nous un libellé qui préciserait sans équivoque possible que si les sénateurs ne reçoivent pas d'avantage direct ou indirect — même si l'organisation reçoit un avantage direct ou indirect — ils ne tombent pas sous le coup du Code criminel. Encore une fois, il y a là un conflit. À mon sens, c'est porter atteinte aux privilèges d'un sénateur qui remplit son rôle historique et constitutionnel dans sa collectivité si ce nuage doit planer sur sa tête alors même qu'il ne reçoit aucun avantage direct du moindre dollar de fonds publics. Oui, son organisation en retire des bénéfices. Oui, sa collectivité en retire bénéfice. Oui, il peut y avoir concurrence entre telle organisation et telle autre, mais c'est tout dans l'intérêt public. C'est à titre gracieux. J'espère, avec le consensus du comité, que nous pouvons mettre un texte sur la table qui précise sans équivoque possible que le travail bénévole n'est en aucune façon quasi criminel ou illicite.
Lorsque j'ai présenté cet argument à feu le juge Estey, il voyait bien qu'il y avait un conflit. La question est de savoir comment le résoudre dans l'intérêt public.
À moins avis, c'est facile à résoudre, et pas une seule personne dans le public ne nous critiquera pour cela, pas une seule. Au contraire, tout le monde dira: «Allez-y, faites-en un peu plus et n'oubliez pas votre carnet de chèques».
M. Audcent: Les sénateurs se préoccupent de l'intérêt public et ce à juste titre. Ma préoccupation à moi, c'est l'intérêt des sénateurs. Je suis votre conseiller. J'ai annoncé au début que le régime actuel est défaillant et qu'il faut le réparer. C'est dans ce contexte que s'inscrit mon propos, à savoir que si la loi est grise et vous entrave, alors, comme le sénateur Grafstein l'a dit, il est temps de réparer la loi.
La présidente: Je vous fais remarquer, sénateur Grafstein, que ceci ne relève pas du Code criminel mais de la Loi sur le Parlement du Canada.
L'article 19 du projet de code dispose que:
Le parlementaire ne peut détenir, dans une société de personnes ou une société privée qui est partie à un contrat, d'intérêt [...] sauf si le commissaire estime que l'intéressé ne risque pas de manquer aux obligations du présent Code.
C'est au moins en partie couvert dans ce projet de code. Il nous appartient d'y réfléchir.
Je crois que nous recevrons la transcription des propos de M. Audcent cet après-midi afin que nous puissions les revoir en entier. Je veillerai à ce qu'elle soit distribuée. Ce qu'il a dit est très important.
Le sénateur Joyal: J'ai deux séries de questions. La première porte sur le Code criminel actuel. Le deuxième groupe de questions intéresse le rapport Milliken-Oliver, qui énonce la philosophie qui sous-tend le code Milliken-Oliver, à savoir que les nouvelles règles seraient incorporées dans le Règlement du Sénat et le Règlement de la Chambre des communes. Il y a des raisons à cela.
Le témoin aura évidemment compris que ce que je veux souligner ici, c'est que l'incorporation du code proposé dans le Règlement du Sénat fera que les sénateurs conserveront, comme vous l'avez dit, la maîtrise du Sénat. C'est aux sénateurs qu'il incombera de surveiller le respect de l'éthique par les sénateurs.
Je pense que le rapport Milliken-Oliver avait raison de proposer l'intégration des nouvelles règles au Règlement du Sénat plutôt que dans une loi. Si l'on en fait une loi, il faudra suivre la voie judiciaire, et dans ce cas nous nous heurterons aux tribunaux au sujet de la définition des «privilèges» en rapport avec la capacité du Sénat à gérer ses propres affaires, c'est-à-dire la capacité des sénateurs à gérer le Sénat, comme vous l'avez dit.
Quiconque s'est jamais penché sur la déontologie des sénateurs ou des députés saura que c'est une affaire de privilège, autrement dit qu'il est de leur responsabilité de régler leurs propres affaires.
La question que je vous pose est la suivante: suite au jugement de la Cour d'appel fédérale du 29 novembre qui a attribué un rôle spécifique à la Cour lorsqu'il s'agit d'interpréter les privilèges, c'est-à-dire de définir ce qu'est un privilège et, deuxièmement, de la façon dont ce privilège est appliqué par l'assemblée parlementaire, quel conseil pouvez-vous nous donner par rapport au fait que, dès lors que nous aurons adopté le texte figurant dans l'avant-projet de loi, nous serons placés sous la juridiction des cours de justice de ce pays?
M. Audcent: Honorable sénateur, ai-je raison de penser que vous faites référence à la cause Vaid?
Le sénateur Joyal: Oui.
M. Audcent: La première chose à signaler est que le Bureau de la régie interne de la Chambre des communes a publiquement fait part de son intention d'interjeter appel du jugement Vaid et que les documents d'appel ont été déposés. La cause est donc en appel et nous ne pouvons qu'espérer que la Cour suprême du Canada acceptera d'entendre cet appel.
J'ai indiqué dans ma réponse au projet gouvernemental que je suis ravi que le code ne prenne pas la forme d'une loi. Le code ne devrait pas être une loi et il ne l'est pas. C'est une victoire majeure pour les parlementaires.
Il vous incombe maintenant de décider où exactement, à l'intérieur du Parlement, vous voulez situer le code. Je ne suis pas sûr qu'il soit totalement clair où il sera situé. Il y a des références au Sénat et à la Chambre des communes, mais le Sénat et la Chambre des communes s'expriment soit par le biais de lois, et ceci ne sera pas une loi, soit de résolutions conjointes, qui ont pour effet de placer le code dans chaque règlement. Si c'est une résolution conjointe, chacune des chambres pourra modifier cette résolution conjointe à volonté. Dans ce cas, il n'y aura pas de permanence.
Je n'ai pas très bien saisi comment tout cela fonctionnera. C'est une tellement grande victoire d'extraire tout cela du système judiciaire et des tribunaux — et je souscris à votre objectif — et de le confier au Parlement, là où les parlementaires, qui comprennent la politique et la manière dont un parlementaire conduit ses affaires, pourront dialoguer avec leurs pairs et établir une culture commune en matière d'éthique. Voilà ce qu'il convient de faire.
Le sénateur Joyal: Cependant, le rapport Milliken-Oliver disait très clairement que la nomination d'un jurisconsulte, ou commissaire à l'éthique, et je cite la page 11 du rapport:
Après avoir consulté les chefs des partis politiques reconnus, au Sénat et à la Chambre des communes, et toute autre personne qu'ils jugent indiquée, les présidents déposent le nom du candidat au Sénat et à la Chambre, et la nomination prend effet sur adoption d'une résolution par les deux chambres.
Autrement dit, il appartient à la Chambre et au Sénat, par voie de résolution, de nommer le commissaire à l'éthique. Par cette résolution, nous pourrons décider de le nommer à une majorité des deux tiers ou des trois quarts, ou tout ce que l'on voudra, pour éviter qu'il puisse être démis au hasard d'un changement de majorité à la Chambre.
À l'évidence, le rapport Milliken-Oliver optait pour le principe de laisser le Parlement gérer les affaires du Parlement en matière d'éthique. Ce qui m'inquiète dans ce projet de loi est qu'il légifère sur le statut du commissaire. Je prie Dieu que la Cour suprême du Canada acceptera d'entendre l'appel et reverra le jugement Létourneau. Dans le cas contraire, si nous sommes coincés avec le jugement Létourneau, nous aurons un problème majeur. Nous ne pouvons légiférer aujourd'hui en ignorant ce qui nous attend.
Cette question m'inquiète beaucoup. J'ai lu le rapport de la Chambre des communes de Westminster. C'est un rapport daté de novembre 2002, intitulé «Comité sur les normes dans la vie publique: Normes de conduite à la Chambre des communes». La recommandation R27 dit ceci:
Toutefois, tout compte fait, nous avons conclu que dans la mesure où le Règlement de la Chambre peut donner effet à nos recommandations sur la nomination et les pouvoirs, une loi est inutile à ce stade. Dans la pratique, une loi est rarement un instrument de mise en oeuvre rapide ou particulièrement flexible. Le Règlement présente l'avantage d'être les deux. Cependant, selon la difficulté pratique du recours au Règlement, il ne faut pas exclure une loi à long terme. Nous recommandons par conséquent que les recommandations 1 (a) et (b), 20, 23 et 26 soient mises en pratique par Règlement.
Ils ont là-bas des normes de conduite dans la vie publique depuis 1995. Autrement dit, ils ont quelque expérience. Sur la foi de cette expérience, ils ont conclu qu'il faut laisser le code dans le Règlement.
Il me semble que la philosophie de notre système, que nous avons hérité de Westminster, est conforme au maintien du code dans notre Règlement.
Il importe que le Sénat soit géré par les sénateurs. Autrement, soit nous serons soumis, comme vous l'avez dit vous- même, aux lubies de la Chambre des communes, qui fonctionne dans une culture politique totalement différente, soit nous ouvrirons la porte à un contrôle judiciaire.
J'espère que le jugement sera cassé, mais il se pourrait qu'il ne le soit pas. Peut-être sera-t-il cassé pour des raisons autres que celles que nous avançons et des questions subsisteront-elles. Cependant, si ce code reste de notre ressort et si nous le rendons aussi strict que nous le voulons, nous préserverons la faculté du Sénat de gérer ses propres affaires.
Voilà la décision fondamentale que ce comité doit prendre. Quel périmètre allons-nous tracer autour de cette question?
M. Audcent: La ministre Carstairs a situé hier le point de nomination du commissaire à l'éthique, en précisant que celui-ci serait également au service du premier ministre. Il me semble que c'est ce qu'elle a dit.
Le sénateur Joyal a tout à fait raison, nous devons réfléchir au processus de nomination et au rôle que le Sénat ou la Chambre des communes pourrait y jouer, et décider si l'on veut inscrire ce rôle dans la loi ou s'en remettre à la convention. Mais n'oubliez pas qu'il faut un texte de loi judicieux. Le projet l'inscrit dans la loi, et je souscris à l'opinion du sénateur Joyal.
Le mécanisme de révocation est un élément auquel vous devez également réfléchir et que le sénateur Joyal n'a pas mentionné. Le mécanisme proposé prévoit une résolution du Sénat et de la Chambre des communes. Faudrait-il écrire «et/ou»? C'est un autre aspect à examiner.
Le sénateur Joyal: J'ai peut-être épuisé tout mon temps de parole et d'autres sénateurs veulent intervenir. Peut-être pourrais-je parler du Code criminel lors du deuxième tour?
Le sénateur Smith: Ma question fait suite à celle du sénateur Grafstein sur les organisations sans but lucratif. C'est un point mineur mais qui m'intrigue.
Les oeuvres de charité, qui sont des sociétés sans but lucratif, ont souvent un conseil consultatif. Ce dernier se prononce sur les orientations, mais ne constitue pas l'entité juridique requise par la loi. Ce type de structure ne serait pas un problème, n'est-ce pas?
M. Audcent: Sénateur, de la manière dont vous l'avez décrit, l'appartenance à un tel conseil ne me paraît pas être un problème. Vous n'assumez pas les droits et obligations d'un administrateur ou dirigeant. J'ai l'impression qu'un conseil consultatif serait un peu une assemblée de mécènes qui offrent des conseils. Cela relève probablement plus de la notion de mécénat, soit des gens qui donnent un coup de main, plutôt que de celle d'administrateur et dirigeant possédant les droits et responsabilités juridiques de gérer l'organisation et de défendre ses intérêts.
Le sénateur Smith: Passant à l'avant-projet de loi, pourriez-vous nous préciser qui prend effectivement la décision concernant la conduite des sénateurs? Est-ce le commissaire, ou bien est-ce la comité sénatorial auquel le commissaire formulera des avis?
M. Audcent: Mon impression est que si une plainte déposée, le commissaire a le droit de faire enquête de sa propre initiative, mais il est tenu de la faire si le comité lui en donne l'instruction. L'article 32 prévoit:
Le commissaire a toute latitude pour décider, sauf sur demande expresse du comité, de procéder ou non à l'instruction de la plainte.
Le sénateur Smith: Cela implique-t-il que c'est le comité qui prend ensuite la décision concernant la conduite d'un sénateur?
M. Audcent: Je vous renvoie à l'article 33, qui stipule:
Le commissaire remet un rapport d'instruction au comité:
a) portant rejet de la plainte;
b) établissant que la plainte semble fondée et mentionnant les mesures correctives proposées à l'intéressé et que celui-ci a acceptées;
c) établissant que la plainte semble fondée et, en l'absence de mesures à prendre ou d'accord avec l'intéressé sur celles-ci, recommandant au comité de s'en saisir.
Le sénateur Smith: On dirait presque que le rôle du commissaire consiste à déterminer prima facie si la plainte mérite seulement que le comité l'examine. Mais si c'est le comité qui prend la décision ultime, indépendamment de l'avis donné par le commissaire, quelle possibilité de recours y a-t-il?
La présidente: Je crois qu'il n'y a pas de recours contre une décision du comité.
Le sénateur Smith: Je parlais d'un appel devant les tribunaux.
M. Audcent: Devant les tribunaux?
Le sénateur Smith: Oui.
M. Audcent: Je n'imagine pas que ce processus puisse aboutir devant les tribunaux. À mon sens, le comité fait rapport au Sénat et renvoie la question au commissaire à l'éthique pour plus amples avis, le cas échéant. À mon avis, le processus s'arrête là.
Le sénateur Smith: C'est ce que je pensais. Je voulais l'entendre de votre bouche.
M. Audcent: C'est une procédure interne au Parlement, oui.
Le sénateur Grafstein: J'ai une question complémentaire à ce sujet. Le problème soulevé par le sénateur Joyal est qu'aussitôt que vous avez un processus judiciaire, rien n'empêche les tribunaux d'intervenir, même si vous avez une clause de dérogation. Nous avons tous vécu cela, et le sénateur Smith aussi, j'en suis sûr. Même si vous avez une clause dérogatoire, les tribunaux se sont toujours déclarés compétents, sur la base des principes de la common law. Les clauses d'exclusion n'ont jamais été sacro-saintes. On pensait pouvoir exclure les tribunaux des mécanismes administratifs, c'était le souhait initial, mais cela n'a jamais été possible dans l'histoire.
Vous aurez beau dire que cela ne peut faire l'objet d'une poursuite en justice, mais il se trouvera toujours un avocat pour intenter une action et un juge pour l'accepter. La Chambre des communes est parvenue à la conclusion que si votre intention est de rendre la dérogation sacro-sainte et de maintenir la séparation des pouvoirs, laquelle, lex parliamenti, est la loi suprême régissant les parlementaires des deux Chambres, c'est par ce biais qu'il faut procéder.
Je peux vous trouver autant d'avis juridiques que vous voudrez indiquant qu'il y aura possibilité de contestation en justice à sept titres différents.
Le sénateur Smith: C'est juste. On ne peut jamais empêcher personne d'intenter une action en justice, c'est certain. Je conviens que c'est toujours possible. J'essaie simplement de clarifier le mieux possible, et d'une manière qui figure au procès-verbal, votre interprétation de l'intention.
M. Audcent: À mon sens, le code, tout comme le Règlement du Sénat, sera interne au Parlement. De la manière dont le projet de loi est rédigé, les tribunaux ne devraient pas intervenir dans ce processus.
Le sénateur Joyal, tout comme le sénateur Grafstein, a soulevé un problème accessoire. Ils ont évoqué le jugement Vaid, dans lequel les tribunaux ont dit que, même si les parlementaires ont un privilège, ils ont le droit d'examiner chaque exercice de ce privilège. Cela revient à dire que le privilège n'existe pas.
Le sénateur Grafstein: Absolument.
M. Audcent: Dans ce cas, le privilège disparaît non seulement à l'égard du code, mais aussi à l'égard du Règlement du Sénat et de tout le reste. Il ne reste plus rien qui échappe aux tribunaux.
Je pense que la cause Vaid est une question tout à fait distincte qui pourrait bien semer la confusion dans toute cette question. À mon sens, la proposition veut que le code de conduite soit interne au Parlement et ne fasse pas l'objet d'une loi. Il est interne au Parlement, et j'approuve cela.
Le sénateur Joyal: Même si le code est intégré au Règlement du Sénat, le statut de la personne chargée d'appliquer les règles du code fait l'objet d'une loi. Les tribunaux se sont saisis de la Loi sur les relations de travail au Parlement. Vous connaissez très bien la cause Vaid. Cette loi contient une disposition qui la soustrait à la compétence des tribunaux en indiquant que la loi n'a rien à voir avec le contrôle des privilèges du Parlement, que le Parlement aura autorité exclusive. En dépit de cette disposition, la Cour s'est saisie de l'affaire.
Lorsque nous légiférons, nous ne pouvons ignorer les décisions de justice rendues en dépit de notre argumentation contraire. C'est ce que la Chambre des communes essaie de faire. Nous-mêmes devrons décider sous peu si nous allons intervenir à la Cour suprême pour défendre les privilèges du Parlement. Vous pourriez nous aider à préparer notre argumentation pour la Cour suprême.
Nous ne pouvons ignorer ce problème, madame la présidente.
La présidente: Vous avez tout à fait raison, sénateur Joyal.
Le sénateur Kroft: J'aimerais revenir à l'article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada et à diverses questions que vous avez soulevées dans votre exposé. Vous avez signalé que c'est là une disposition très ancienne, s'agissant de l'interdiction de passer des contrats. Elle est assez claire.
Un point sur lequel j'aimerais attirer votre attention est qu'il y a une exception dans le cas de la personne qui agit simplement à titre d'actionnaire d'une société. Cet écran, en quelque sorte, existe. Il y a une dérogation à cette dérogation, soit la construction d'un bâtiment ou d'un pont, je suppose, selon la définition du terme «travaux publics».
Ce libellé et cette idée se retrouvent à peu près intacts dans le texte de l'avant-projet de loi. Cependant, j'ai tellement de versions différentes sur des bouts de papier épars que j'aimerais m'en assurer. Je n'ai pas sous les yeux le texte de l'avant-projet de loi, simplement les explications.
M. Audcent: Honorables sénateurs, je pense qu'il y a une certaine évolution en ce qui concerne cette dérogation. Le paragraphe 14(4) stipule:
Le présent article ne s'applique pas au sénateur qui, selon le cas
a) est actionnaire d'une personne morale [...]
Aucune distinction n'est établie ici entre une société publique et une société privée. Je pense qu'il faut veiller à ne pas qualifier le nouveau code de projet de loi, car cela ne figure pas dans la partie projet de loi, mais dans la partie code, la partie interne. Le nouveau code de déontologie établirait une distinction entre les sociétés publiques, visées par le paragraphe 18(2), et les sociétés privées, visées par l'article 19.
Le sénateur Kroft: Est-ce que la dérogation relative à un ouvrage public n'est pas reprise?
La notion de société privée et d'ouvrage public semble avoir été remplacée par le jugement rendu par le commissaire à l'éthique à l'effet que le contrat est peu susceptible de retentir sur les obligations du parlementaire en vertu du code.
M. Audcent: Cependant, dans le cas des sociétés publiques, la dérogation à la dérogation disparaît, c'est-à-dire que l'exemption est complète. Dans le cas des sociétés de personnes et des sociétés privées, le commissaire à l'éthique émet un avis.
Le sénateur Kroft: Donc, la distinction entre ouvrages publics et autres activités disparaît. En ce sens, la dérogation est plus large, sous réserve du jugement du commissaire à l'éthique ou du comité auquel il fait rapport; et c'est maintenant un point intéressant, car un jugement devra être formulé à un moment donné, qu'il s'agisse d'un ouvrage public ou d'une autre sorte de contrat, en vertu de l'article 19 du code proposé?
M. Audcent: Je me suis peut-être mal exprimé. Et au paragraphe 18(2) intéressant les sociétés publiques et à l'article 19 relatif aux sociétés de personnes et sociétés privées, il y a une référence à l'opinion du commissaire à l'éthique.
Le sénateur Kroft: J'en reviens alors à ce que vous avez dit dans votre exposé, à savoir que l'interdiction se justifiait jadis car on voulait éviter que le gouvernement octroie des contrats lucratifs aux parlementaires, et cela explique la mention des ouvrages publics. Mais vous avez justement fait remarquer que dans le monde d'aujourd'hui des dizaines de milliers de personnes passent des contrats avec le gouvernement du Canada dans une incroyable variété de domaines. Vous nous invitez donc à réfléchir au bien-fondé de cette interdiction dans le contexte d'aujourd'hui.
M. Audcent: Je vous invitais à y réfléchir, à titre de politique, et je n'ai pas d'avis personnel; je vous rappelais simplement qu'en 1878 le Canada était peu développé. Le voyage en train jusqu'à Ottawa prenait très longtemps et les parlementaires n'y séjournaient pas très longtemps. L'administration fédérale était très restreinte. Tous les ministères étaient logés dans les bâtiments que vous voyez ici, l'exécutif aussi bien que le législatif. Quel était l'impact sur la vie des parlementaires? Dans quelle mesure l'interdiction limitait-elle leur liberté?
Aujourd'hui, au XXIe siècle, dans une démocratie sociale moderne, les pouvoirs publics sont partout. Dans ces conditions vous devez vous demander si vous souhaitez que cette interdiction reste aussi large, empêchant de passer contrat avec l'administration publique, ou bien pourrait-on avoir une interdiction moins générale, qui empiète moins sur vos droits, mais qui préserve néanmoins la perception publique de votre intégrité?
Le sénateur Kroft: Une méthode pour tracer cette ligne consiste sans doute à faire ce qui est recommandé ici, à savoir laisser le commissaire ou, par son intermédiaire, le comité déterminer les faits de la situation. Il pourra ainsi déterminer que la personne est un agent d'assurance en ville qui se trouve avoir émis une police couvrant une filiale d'une société d'État ou quelque chose du genre. Cependant, cela n'a aucun effet pratique sur l'exécution de ses fonctions. Cette détermination sera également faite dans toute une série d'autres conditions, notamment l'obligation, qui existe déjà dans nos règles, de déclarer tout conflit d'intérêts manifeste.
J'aimerais donc savoir si vous considérez que les dispositions du projet d'article 19, qui fait référence au fait que l'activité ne doit pas se répercuter sur l'exercice de nos fonctions, est bien adapté au monde moderne; ou bien rechercheriez-vous plutôt une approche fondée sur des règles de ce problème?
M. Audcent: Ni l'un ni l'autre, sénateur. Mon rôle est de vous informer du régime actuel. Une fois que vous savez d'où vous partez, vous pouvez décider où vous voulez aller.
La présidente: Avez-vous une question complémentaire, sénateur Stratton?
Le sénateur Stratton: Non. J'aimerais faire ressortir une chose, afin que tout le monde me comprenne bien, car nous avons déjà eu cette difficulté auparavant.
Marc, rectifiez si je me trompe. On brandit sans cesse ici le mot «privilège». Pour nous, c'est une notion normale, mais le public l'entend comme un véritable privilège et non pas comme une autre notion. Lorsque nous disons «privilège», nous parlons des droits du Parlement. Je pense que tout le monde ici, et en particulier le public, devrait être bien conscient de la définition de «privilège» dans ce contexte. Ai-je raison, Marc?
M. Audcent: Oui, je suis d'accord.
La présidente: Merci, sénateur Stratton, d'avoir clarifié cela.
Monsieur Audcent, avez-vous quelque chose à ajouter au sujet de la définition du mot «privilège»?
M. Audcent: Je pourrais peut-être rappeler que le nom de ce comité a été modifié récemment par l'ajout de l'expression «droits du Parlement». C'est la tournure moderne. «Privilège»est un mot du XIXe siècle. Les gens aujourd'hui comprennent la notion de droits humains, et nous parlons ici de droits du Parlement.
Le sénateur Fraser: Monsieur Audcent, tous les avocats ici connaissent sans doute déjà la réponse à cette question, mais ce n'est pas mon cas. Comment l'article 19 du code s'applique-t-il aux structures plutôt complexes que les sociétés tendent à établir aujourd'hui? Supposons, par exemple, que j'aie un intérêt dans une société de holding familiale laquelle possède, en tout ou en partie, une filiale qui passe un marché important avec le gouvernement — je ne parle pas ici de la situation que le sénateur Di Nino évoquait, où il n'y a pas d'avantage personnel, mais une situation où cette filiale va faire un gros bénéfice — cela sera-t-il couvert par l'article 19 ou bien pourrais-je faire valoir que non, je ne détiens pas réellement d'actions dans cette filiale?
M. Audcent: Parlez-vous là de l'article 19 du code de déontologie proposé?
Le sénateur Fraser: Oui.
M. Audcent: La meilleure façon de situer cela est de rappeler que la Loi sur le Parlement du Canada utilise des termes tels que «directement», «indirectement», «sciemment»et «volontairement». Du fait qu'il s'agit d'une loi, la jurisprudence relative à la définition de ces termes, à des dates antérieures et dans d'autres contextes, est déterminante. Mais dans la mesure où il s'agit du code de conduite, l'interprétation sera donnée par le commissaire à l'éthique soit à un comité mixte soit à deux comités distincts des Chambres.
Le libellé dit «ne peut pas détenir d'intérêt». Les mots «directement» ou «indirectement» n'y figurent pas. Cela pourrait donc signifier que vous devez avoir l'intérêt, et que si c'est indirectement cela ne compte pas, ou bien quelqu'un pourrait arriver avec une optique différente et dire: «Faisons preuve de bon sens. Cet intérêt est-il réellement significatif?»
La réponse est que c'est une question d'interprétation, et l'interprétation sera donnée par le commissaire, qui travaillera en consultation étroite avec les comités parlementaires constitués à cette fin.
Le sénateur Fraser: J'ai donc raison de penser que le texte actuel se prête à diverses interprétations.
M. Audcent: Oui.
Le sénateur Di Nino: Je pense qu'il est important de bien réfléchir à cela car nombre de sénateurs pourraient être visés et il s'agit de bien voir comment. La question m'a été inspirée par les interventions du sénateur Kroft et du sénateur Fraser. On sait que plusieurs sénateurs siègent au conseil d'administration de grandes sociétés dans le secteur des services, par exemple des banques, des sociétés d'assurance et des entreprises de télécommunications. La plupart de ces dernières font affaires avec le gouvernement fédéral, soit directement soit indirectement par le biais d'une filiale ou d'une société d'État.
Madame la présidente, je pense que nous devons veiller à pleinement comprendre ce texte. Nous devrions demander un avis très clair sur la mesure dans laquelle ce nouveau projet de loi va — je ne veux pas utiliser le mot «piéger» — englober ces sénateurs, ou bien voir si ce nouveau projet de loi pourrait être amendé de façon à exclure certaines activités et que l'avantage serait défini de telle manière à ce que ces sénateurs puissent continuer à siéger à ces conseils.
Franchement, nous avons un certain nombre de personnes très compétentes — tous les sénateurs sont très compétents — dans certains domaines, en ce sens qu'ils peuvent apporter une contribution majeure au Canada et à ses valeurs. Les connaissances que l'on peut apporter à une société à but lucratif, privée ou publique, sont bénéfiques. Il ne s'agirait pas que l'un de nos collègues ait des ennuis parce que ce code dont nous débattons l'empêcherait le cas échéant de faire ce genre de choses ou établirait une situation telle qu'il aurait des ennuis. Je pense qu'il faut se pencher là- dessus.
La présidente: Vous avez tout à fait raison. Je crois qu'il existe une théorie en droit des sociétés qui permet aux juges de percer le voile, de couper à travers les couches intermédiaires, et de déclarer que l'on ne peut faire indirectement ce qui n'est pas permis directement.
Le sénateur Kroft: En guise de remarque complémentaire, et ce n'est pas en rapport directement avec ce qui vient d'être dit mais je ne voudrais pas qu'on le perde de vue, si cela se situait dans le contexte d'une société privée, vous et moi voterions «non». Il y a deux solutions. L'une consiste à exclure toute situation où il y a une connexion ou activité. L'autre solution, couramment utilisée dans le contexte de la gouvernance des entreprises et notamment des opérations boursières, etc., consiste à dire que ces choses peuvent exister, mais que la façon correcte de procéder — et cela est également inhérent dans nos règles — consiste à les divulguer. Je ne parle pas d'une divulgation du type comptable dont j'ai déjà parlé ici, mais d'une déclaration de conflit d'intérêts tel que quiconque est en situation de juger la conduite de la personne soit informée. Ce ne sont pas forcément des approches contradictoires, elles peuvent être complémentaires. Il ne faut pas nécessairement autoriser ou interdire tout. En réalité, la divulgation ou la clarté peuvent être une solution.
Le sénateur Di Nino: Je suis d'accord.
Le sénateur Joyal: J'aimerais demander à notre conseiller juridique de nous revenir avec une présentation sur le statut des privilèges du Sénat à la lumière des interprétations données par les tribunaux et de la doctrine en la matière. Je sais qu'il travaille déjà sur d'autres questions abordées dans notre discussion ce matin. Je pense que ce serait utile. Vous êtes notre conseiller juridique. Vous n'êtes pas au service du gouvernement. Vous êtes le conseiller juridique du Sénat. Je pense qu'il serait bon que nous comprenions clairement la situation. Je sais que votre exposé d'aujourd'hui ne portait pas là-dessus mais sur deux autres aspects du Code criminel. Il serait bon que notre juriste nous renseigne là- dessus. Peut-être pourriez-vous rédiger quelque chose pour une séance future.
La présidente: Il pourrait nous remettre quelque chose par écrit.
Le sénateur Joyal: Voilà ma première demande, madame la présidente. Deuxièmement, j'aimerais revenir au Code criminel. Lorsque le gouvernement a annoncé son intention de proposer un avant-projet de loi, j'aurais pensé qu'il aurait réglé de manière très précise le problème du Code criminel, sachant que le rapport Milliken-Olliver le recommandait et que, avant eux, le comité Blenkarn-Standbury avait déjà recommandé la même chose en 1992. Il disait que la définition de «fonctionnaire» devait être modifiée de façon à ne pas englober les parlementaires. La Commission de réforme du droit avait elle aussi recommandé la même chose en 1987. Il y a eu toute une série de recommandations, dans divers documents publics — dont certains émanant directement des sénateurs — visant à modifier cet article.
Ma préoccupation à l'égard des articles 119 à 121 du Code criminel tient au fait que normalement les tribunaux interprètent le code et appliquent cette interprétation à toutes les autres dispositions du code et à toutes les lois connexes, telles que la Loi sur la preuve au Canada. Si nous maintenons le statu quo à cet égard, nous nous exposons à d'autres risques sous le régime de la Loi sur la preuve au Canada. Le mot «fonctionnaire» figure dans les modifications apportées il y a deux ans à la Loi sur la preuve au Canada. Cela signifie que lorsque le tribunal applique l'interprétation à un «fonctionnaire», c'est-à-dire un employé de l'administration, cela s'appliquerait également à un député ou un sénateur. C'est un autre problème qui amplifie les difficultés présentées par l'article 119 du Code criminel.
Quelle est votre explication à ce sujet; ai-je tort ou raison?
M. Audcent: Premièrement, j'aimerais réagir à votre référence au rapport Stanbury-Blenkarn. Ils ont effectivement recommandé que la définition de «fonctionnaire»soit modifiée. Cependant, ils ont également recommandé que plusieurs modifications corrélatives, telles que les articles 121 et 122 du Code criminel, continuent à s'appliquer aux sénateurs. Ce n'est pas selon cette philosophie que j'aborderais la question.
J'en reviens à la philosophie que je soumets aux sénateurs, à savoir que vous devriez savoir où sont situées les règles, et donc ne pas les placer dans les articles 121 et 122. L'article 119 proscrit la corruption; le reste ne devrait pas être dans le Code criminel.
Je ne suis pas totalement d'accord avec Stanbury-Blenkarn. Ils ont ajouté quelques réserves ou avenants que je n'aime guère.
Le sénateur Joyal: Mais cela ne change rien. Ils ont recommandé que nous nous penchions sur cette question, comme vous nous le recommandez aujourd'hui. Vous êtes fondamentalement en accord avec ce que Milliken-Oliver disait au point 4(c), comme vous êtes d'accord avec ce que Blenkarn-Stanbury ont dit en principe, à savoir qu'il faut régler spécifiquement ce problème.
M. Audcent: Oui.
La présidente: J'ai quelque chose à ajouter qui intéresse tous les sénateurs. Les articles 118 à 122 du Code criminel ont été laissés à l'écart de ce code de conduite. Ils ne sont pas mis en jeu. Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas en parler. L'une des raisons pour lesquelles Oliver-Milliken les ont laissés de côté, tout comme le fait le projet de code qui nous est proposé, c'est qu'il serait très complexe de vouloir les modifier. Cela supposerait des négociations avec les gouvernements provinciaux, car ces dispositions couvrent également les députés provinciaux, mais elles mettent en jeu également certaines de nos obligations internationales. C'est extrêmement complexe et je crois savoir que c'est la principale raison pour laquelle ces articles ne sont pas englobés dans le projet de code.
Le sénateur Joyal: Le rapport Milliken-Oliver recommandait expressément que le gouvernement se penche là-dessus. Si j'ai bien entendu, vous dites qu'il ne le recommandait pas. Si, ils l'ont recommandé. Cela se retrouve plus particulièrement dans la recommandation 4(c) du rapport, que je lis:
Le gouvernement devrait examiner les modifications que le Comité spécial mixte relatif aux conflits d'intérêt a recommandé d'apporter, en 1992, aux dispositions du Code criminel portant sur les infractions de corruption, de trafic d'influence et d'abus de confiance en vue de préciser le sens du terme «officiel» dans le contexte parlementaire.
La présidente: Je crois savoir que le ministère de la Justice examine actuellement les dispositions du Code criminel relatives à la corruption et au trafic d'influence, mais cela n'est pas de notre ressort.
Le sénateur Joyal: Il n'y a pas lieu de s'emballer. Notre légiste a bien dit que nous pouvons nous pencher sur la définition de «fonctionnaire»dans le Code criminel, au sens strict du Code criminel, de façon à l'adapter à la manière dont le code a été interprété et à la manière dont nous interprétons nos propres obligations et responsabilités au sein du Sénat.
Est-ce que je me trompe, monsieur Audcent?
M. Audcent: Je n'ai pas connaissance des négociations avec les provinces et des obligations internationales. Ce que je sais, c'est que les articles 121 et 122 n'ont jamais été censés s'appliquer aux parlementaires. Si vous avez une décision de justice qui les englobe dans la définition, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas dire que ce tribunal s'est trompé et que nous allons rectifier avec une petite modification.
Le sénateur Joyal: C'est exactement mon argument.
La présidente: Je rappelle aux sénateurs que nous devons lever la séance à 13 h 30 précises car le Sénat siège à cette heure-là.
Le sénateur Stratton: Pouvons-nous demander au témoin de revenir mardi pour continuer cette discussion au lieu d'attendre jusqu'à la dernière minute?
La présidente: C'est certainement possible.
Monsieur Audcent, vous êtes invité à revenir mardi prochain.
La séance est levée.