Délibérations du Comité du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 18 février 2003
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 13 h 02 pour étudier la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence et la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en œuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposées au Sénat le 23 octobre 2002.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, il s'agit de notre deuxième séance consacrée à un ensemble de documents que le gouvernement a soumis au Sénat au sujet de nouvelles règles sur l'éthique et les conflits d'intérêts pour les sénateurs. Ces documents s'inspirent d'un rapport rédigé par le sénateur Donald Oliver et son collègue de la Chambre des communes, M. Peter Milliken, maintenant Président de l'autre endroit.
Aujourd'hui, nous accueillons M. Howard Wilson, conseiller en éthique, et Mme Kathy O'Hara, sous-secrétaire du Cabinet.
Monsieur Wilson, je vous en prie.
M. Howard Wilson, conseiller en éthique, Industrie Canada: Merci, madame la présidente. J'ai préparé quelques notes qui vous ont été distribuées la semaine dernière, et je vais m'y reporter brièvement.
Je suis très heureux de comparaître devant le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour discuter de l'importante question qui est à l'étude. J'ai tenté d'adapter mes observations aux questions qui ont été abordées plutôt, lors de vos débats au Sénat ainsi que durant les délibérations récentes du comité.
J'ai toujours appuyé énergiquement l'idée d'un code de déontologie pour les parlementaires. J'ai été à la fois le premier et le dernier témoin à comparaître devant le comité Milliken-Oliver, une première fois en 1995 et une seconde fois en 1997. Mon appui repose sur la conviction que les parlementaires seraient les premiers à en tirer profit.
Je ne voyais cependant pas le code comme un moyen de prendre les gens la main dans le sac, mais plutôt comme un document utile aux parlementaires qui y trouveraient un guide dans différents domaines et qui pourraient consulter ce qu'on appelait alors un jurisconsulte et qu'on appelle maintenant le commissaire à l'éthique — sur des questions qui débordent le domaine strictement juridique. Je suis tout à fait d'accord pour dire que, pendant la législature en cours, il n'y a aucun problème majeur, dans aucune des deux Chambres, au sujet des parlementaires. Comme il n'y a pas de crise, le moment est propice pour examiner la question et voir s'il est utile de mettre en place un code de déontologie comme complément vos autres règles.
Je vous signale que, lors de la dernière réunion de 1997, au moment où le projet de code était déjà très avancé, j'ai dit que ma seule réserve à l'égard du rapport Milliken-Oliver tenait au fait que je n'étais pas convaincu que la nécessité de pouvoirs d'enquête si musclés avait été démontrée. Il n'y avait pas de problème du genre de celui qui s'était produit au Royaume-Uni, et je craignais que de tels pouvoirs n'entrent en conflit avec le rôle bien plus important que j'entrevoyais pour le jurisconsulte, aujourd'hui le commissaire à l'éthique, au sujet de la prestation de conseils confidentiels aux parlementaires. Je craignais que les parlementaires n'hésitent à demander l'avis de cette personne si elle pouvait ensuite faire enquête sur leurs activités.
D'après mon expérience des dernières années, les députés et sénateurs font souvent appel à mon bureau pour obtenir des conseils au sujet de questions qui ne sont pas forcément claires ni de nature exclusivement juridique. Il est entendu que cela ne relève pas de mes compétences, mais je me suis toujours fait un plaisir de leur donner mon point de vue. Je conçois cette fonction comme une des responsabilités importantes du commissaire à l'éthique.
Il est aujourd'hui question d'adopter un code de déontologie qui permettra aux parlementaires de s'autodiscipliner. À mon sens, c'est extrêmement important. Pour le Sénat comme pour la Chambre, c'est une question de privilège. Le code qui est proposé et dont vous êtes saisis aura pour effet de supprimer plusieurs infractions dans la Loi sur le Parlement du Canada. Ainsi, le Parlement, et non pas le système judiciaire, assumera la responsabilité de la discipline des parlementaires, si cela s'avère nécessaire. On confirme ainsi que le Parlement est maître de la conduite de ces affaires. Il convient de toujours garder à l'esprit que la séparation des pouvoirs est une question importante sur le plan constitutionnel. Je reviendrai tout à l'heure sur cette question à propos du code du premier ministre.
[Français]
Permettez-moi de vous parler brièvement de certaines questions dont le comité a été saisi.
En ce qui concerne les conjoints, je crois qu'il y a eu un malentendu quant aux informations précises qu'il convient de divulguer. Je suis persuadé que les membres jugeront utile de mettre en place un système de divulgation pour les conjoints. Les provinces en sont pourvus et j'ai connu ce système car en vertu du code de conduite préconisé par le premier ministre, les conjointes des ministres et des secrétaires parlementaires sont tenues depuis 1994 de divulguer certaines informations à mon bureau. Je dois dire que jamais durant cette période je n'ai éprouvé de difficultés avec cette exigence. En fait, les conjoints ont tous vu l'importance de cette initiative et en ont compris le pourquoi.
Je vous rappelle que ce code ne s'applique pas aux conjoints qui peuvent aussi avoir des intérêts séparés. La divulgation est très importante lorsque le conjoint est un investisseur actif ou poursuit sa propre carrière. Il peut alors survenir certaines situations nécessitant qu'un ministre prenne des mesures pour éviter l'apparence d'un conflit avec les intérêts de son conjoint. Voilà comment on a présenté les choses et l'idée a rallié un appui très marqué. Je le répète, je n'ai jamais eu de difficultés avec cette exigence depuis 1994. On avait compris que l'initiative était utile.
[Traduction]
En 1995 et 1997, j'ai expliqué combien il était important d'intégrer le code de conduite à une série de principes, ce qu'ont fait Milliken et Oliver. De ces principes découlerait alors un ensemble limité de règles et de procédures.
Une des procédures les plus importantes est celle qui traite des divulgations. L'expérience des provinces et de la Chambre des communes du Royaume-Uni montre que cette procédure s'est avérée très utile pour les parlementaires lorsqu'ils ont dû faire face à des allégations de conflits d'intérêts à propos d'une question à l'étude au Parlement. Comme vous le savez, la Chambre des lords s'est ralliée à cette position.
Dans la proposition dont vous êtes saisis, vous constaterez que la dernière question soulevée est le fait que le commissaire à l'éthique serait responsable du code de déontologie des parlementaires ainsi que du code de conduite du premier ministre. Vous vous souviendrez que la proposition déposée en juin 2002 prévoyait partager cette responsabilité entre deux personnes. On s'est demandé s'il était possible de confier l'ensemble des responsabilités à une seule personne. C'est possible, peut-être, mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés. Qu'on ne se méprenne pas là- dessus. La tâche est lourde.
Je m'explique brièvement. Les responsabilités du commissaire à l'éthique seraient doubles. D'une part, il devrait rendre des comptes à un ou deux comités parlementaires, soit un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes, soit un comité de la Chambre et un comité sénatorial. Le commissaire devrait s'occuper de 400 parlementaires.
D'autre part, le commissaire serait chargé de l'administration du code régissant les conflits d'intérêts établi par le premier ministre. Il devrait donc rendre des comptes au premier ministre. Là encore, pour des raisons constitutionnelles, j'estime que c'est absolument indispensable. Je reviendrai sur la question, mais c'est le premier ministre qui doit répondre de l'exécutif au Parlement.
Le nombre de titulaires de charge publique est très important. On compte quelque 1 300 titulaires à temps plein et environ 2000 personnes nommées à temps partiel par le gouverneur en conseil et dont le bureau du conseiller en éthique est responsable. Je crois donc que la tâche sera énorme, volumineuse, et il faudra rendre des comptes à deux niveaux: l'assemblée législative, d'une part, et le premier ministre, d'autre part.
Je voudrais revenir maintenant sur l'importance du point de vue constitutionnel de la responsabilité du premier ministre, qui doit rendre compte au Parlement des activités de son gouvernement et de ses ministres. Quand la Chambre des communes du Royaume-Uni a instauré un code pour ses parlementaires et créé le poste de Parliamentary Commissioner for Standards, il a été clairement précisé que ce commissaire n'avait aucune responsabilité à l'égard du code ministériel établi par le premier ministre. Cela est dit explicitement dans le guide des règles régissant la conduite des députés à la Chambre des communes britanniques. On retrouvera le texte dans mon exposé, mais il dit que les exigences faites au premier ministre ne sont pas appliquées par la Chambre des communes et, de ce fait, ne relèvent pas du guide.
[Français]
Dans une des provinces canadiennes, soit le Québec, la séparation constitutionnelle des pouvoirs exécutif et législatif est très bien définie. Le poste de jurisconsulte a été établi par la Loi sur l'Assemblée nationale. Le présent détenteur de ce poste est un ancien juge en chef de la Cour du Québec. Il se tient à la disposition des membres de l'assemblée pour leur prodiguer des conseils sur des situations qui pourraient aller à l'encontre des dispositions de cette loi. Ces conseils sont irrévocables devant la loi si les faits sont précis. Le mandat du jurisconsulte ne s'étend pas au député dans le rôle de ministre.
Les premiers ministres du Québec, du moins depuis Bourassa et même avant, incluant Bouchard, Landry et Parizeau, ont émis des lignes directrices qui délimitent les règles qui s'appliquent aux membres du Cabinet. C'est exclusivement le premier ministre qui est redevable de l'application de ces lignes directrices.
[Traduction]
Le dernier point dont je voulais parler ne se trouve pas dans mes observations écrites. Il s'agit de l'application de l'article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada. J'ai pu étudier la question dans ma propre perspective pendant le week-end et revoir les observations formulées par votre légiste. Il a également été proposé qu'une certaine partie du Code criminel ne s'applique plus aux sénateurs.
La proposition dont vous êtes saisis propose d'abroger les articles 14 et 15 de la Loi sur le Parlement du Canada. Je suis d'accord. La raison d'être de l'article 14, qui remonte aux années 1870, n'a plus rien à voir avec les responsabilités des sénateurs d'aujourd'hui. Son abrogation est une idée largement appuyée.
Je ne suis cependant pas convaincu que les propositions du code de conduite proposé pour les parlementaires, c'est- à-dire les paragraphes 18,19 et 20, soient nécessaires. Je les trouve fort compliquées. Sauf erreur, ils proviennent du rapport Oliver-Milliken, en 1997, à une époque où la question de l'article 14 se posait différemment. Le débat sur cet article en 1997, si ma mémoire est fidèle, concernaient les marchés des Travaux publics. Il y avait un problème de libellé.
Vous avez maintenant en main un avis juridique de votre légiste selon lequel il est à peu près impossible à un sénateur d'accepter, sans contrevenir à l'article 14, un poste d'administrateur d'une entreprise commerciale ou d'une organisation caritative qui risque d'avoir une relation quelconque avec le gouvernement du Canada.
La grande force du Sénat, à mon avis, c'est que ses membres doivent être des participants à part entière dans la vie de leur milieu. Ils doivent être capables d'exercer une profession, de siéger au conseil d'administration d'organisations commerciales et non commerciales, de participer à des activités de bienfaisance. Cela contribue à enrichir les expériences qui vous aident à remplir vos fonctions parlementaires.
L'abrogation de l'article 14 donnerait les résultats souhaités. Par contre, je ne suis pas convaincu que les règles proposées aux articles 18,19 et 20 du code ne compliqueraient pas les choses tout autant que l'actuel article 14. Les circonstances ont changé depuis 1997, et j'exhorte le comité à demander des avis sur la nécessité des dispositions compliquées qui sont proposées et, si elles sont effectivement nécessaires, sur la possibilité de les simplifier considérablement.
Une dernière question se pose à cet égard: si l'article 14 est abrogé, le Sénat doit être en mesure d'assurer une protection suffisante de l'intérêt public. Cela peut se faire en conservant l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada et l'article 119 du Code criminel, proposition appuyée par votre légiste.
La semaine dernière, vous avez entendu un témoignage selon lequel les articles 121 et 122 du Code criminel ne s'appliquent évidemment pas aux sénateurs. Au cours de ce témoignage, il n'a pas été fait allusion à la décision unanime rendue par la Cour suprême dans l'affaire Cogger, décision rendue en juillet 1997. Appelée à se prononcer sur les actes d'un sénateur, la Cour suprême n'a pas semblé s'émouvoir du fait que cette disposition s'applique dans la situation dont elle était saisie. Elle a même dit que le paragraphe 121a) du Code criminel s'applique clairement. Voici un passage de son opinion.
Le texte du sous-al. 121(1)a)(ii) est très clair. De plus, il est exhaustif. Il vise à empêcher les fonctionnaires du gouvernement de s'engager, moyennant contrepartie, à agir pour le compte d'une autre personne qui fait des affaires avec le gouvernement. Il s'agit là d'un objectif à la fois clair et noble. Le législateur a indiqué qu'il est inacceptable pour les fonctionnaires du gouvernement d'accepter une rétribution d'une personne dans le but de conclure des affaires avec le gouvernement pour le compte de cette personne.
Selon moi, madame la présidente, l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada ainsi que ces deux articles du Code criminel protègent parfaitement les intérêts du Canada et vous ne devriez pas avoir à appliquer ces autres règles lorsque des contrats sont en cause.
La présidente: Avant de passer aux questions, je rappelle à tous les sénateurs que nous allons nous en tenir aujourd'hui à un programme assez serré. Nous accueillons M. Wilson entre 13 et 14 heures. De 14 à 15 heures, ce sera le tour d'un représentant du Conseil privé. Enfin, nous discuterons avec M. Audcent à compter de 15 heures. On m'a demandé de mettre un terme à la séance avant la présentation de l'exposé budgétaire aux Communes cet après-midi. Par conséquent, je vais lever la séance à 15 h 55 pile. Réglez votre conduite en conséquence.
Le sénateur Wiebe: Deux questions rapides. Je vous remercie d'être venu cet après-midi, monsieur Wilson. Je suis un fervent partisan des règles et d'un code de déontologie qui soit applicable. Mais je suis aussi profondément convaincu que les règles et les codes doivent être clairs. Le texte doit être compréhensible pour tous. À mes yeux, c'est essentiel.
L'une de mes préoccupations concerne la façon de traiter les accusations. Au début de vos observations, vous avez dit qu'un code de déontologie pouvait être particulièrement avantageux pour les parlementaires. Je suis d'accord avec vous, mais, malheureusement, ce n'est pas toujours à leur avantage, car il est facile de porter des accusations. Il est plus difficile d'avancer des preuves. Lorsqu'une accusation est portée, elle fait la une de tous les journaux. Quelqu'un comme vous établit que l'accusation est sans fondement, et cela figure dans un petit coin au bas de la page 14. Entre- temps, l'accusation a déjà porté préjudice au parlementaire.
Est-il possible de concevoir un système dans lequel l'accusation serait communiquée à quelqu'un comme vous pour qu'on mène une enquête discrète. Après l'enquête, l'accusation et les résultats de l'enquête seraient divulgués?
M. Wilson: J'ai exprimé des doutes au sujet de la possibilité qu'un commissaire à l'éthique, compte tenu de ses responsabilités à l'égard des parlementaires, soit explicitement chargé de faire enquête. Selon moi, cela pourrait entrer en conflit avec la tâche la plus importante du commissaire, soit donner confidentiellement des conseils aux parlementaires.
Ce n'est pas là une opinion nouvelle. J'ai exprimé ces préoccupations dès 1997.
L'exécution est une chose relativement facile pour un comité sénatorial. Il peut s'en charger lui-même. Il a assurément tous les pouvoirs voulus.
Vous avez cependant soulevé la question des accusations vexatoires ou frivoles, et c'est effectivement un sujet de préoccupation. Mes fonctions ont été modifiées en juin. Si un parlementaire formulait une plainte au sujet d'un ministre, je serais tenu de me saisir de l'affaire. J'ai dû m'occuper d'un ou deux cas où la plainte était dénuée de tout fondement, et ces affaires ont été réglées rapidement.
D'après mon expérience, il est préférable d'examiner l'accusation en public au lieu d'essayer de le faire derrière des portes closes. Je ne pense pas que, au bout du compte, ce serait dans l'intérêt de la personne visée. Je me suis fait un devoir de verser sur mon site Web les rapports que j'ai rédigés. L'affaire est discutée à fond. D'habitude, la réputation de la personne en cause reste intacte.
Le sénateur Wiebe: Nous envisageons d'établir un code de déontologie pour les députés, les sénateurs et les ministres. J'ai l'impression que nous allons nous retrouver avec trois ensembles différents de règles. Quels sont les avantages et les inconvénients d'un ensemble unique de règles qui s'appliquerait à tous?
M. Wilson: Il y aurait un problème grave. Il faudrait à tout le moins avoir une série de règles au niveau le plus élevé, celui des ministres. À mon sens, ces règles seraient trop contraignantes pour les parlementaires. On peut tenter de justifier un ensemble de règles unique pour l'ensemble des parlementaires des deux Chambres. Toutefois, je soutiens qu'aucun pays ou État n'établit pas des règles plus exigeantes pour les membres de l'exécutif, étant donné qu'ils exercent le pouvoir exécutif et prennent les décisions. Que ce soit dans les provinces, au Royaume-Uni ou en Australie, il y a toujours des règles plus rigoureuses pour les ministres. Je ne suis pas d'avis que ces règles sévères se justifient dans le cas des sénateurs ou des députés. Ils en seraient gênés dans l'exercice de leurs responsabilités générales de parlementaires.
Le sénateur Rompkey: Dans le même ordre d'idées, nous avons discuté à notre dernière séance des normes qui s'appliqueraient à chacune des deux Chambres. On a exprimé l'opinion que, étant donné que les sénateurs ne sont pas élus, ils doivent être tenus à des normes plus exigeantes. La sanction que les députés peuvent subir, c'est de ne pas être réélu. Les électeurs ont un pouvoir à l'égard d'une chambre, mais non de l'autre. Qu'en pensez-vous?
M. Wilson: Je crois comprendre que vous parlez d'écarts de conduite graves de la part d'un sénateur, pour lequel il n'y aurait aucun soutien public. Il pourrait s'agir d'actes qui sont à la limite de la criminalité.
Je crois que, lorsqu'il a étudié la question, en 1997, le comité Milliken-Oliver a conclu que le même code pourrait s'appliquer à tous les parlementaires. Je persiste à croire que les principes énoncés et les procédures simples qui ont été recommandées créent un ensemble de règles susceptibles de bien répondre à tous les besoins. Il se peut que, à l'occasion, il faille imposer des sanctions pour les activités d'un membre d'une chambre ou l'autre. Je suis cependant d'avis qu'il faut agir comme si des problèmes isolés pouvaient se présenter, mais non des difficultés constantes.
Le sénateur Rompkey: Ma deuxième question porte sur la reddition des comptes et sur la possibilité qu'un seul commissaire soit au service des deux Chambres. On dit dans la bible d'une part que nul ne peut servir deux maîtres et, d'autre part, qu'il faut rendre à César ce qui appartient à César. Un seul commissaire peut-il être au service des deux Chambres, ou chacune d'elles devrait-elle avoir son propre commissaire? Si je pose la question, c'est que j'ai siégé dans les deux Chambres. J'ai fait partie de comités mixtes et j'en ai même présidé un, et je connais les différences dans la conduite, l'attitude et les modalités de nomination dans les deux institutions. Selon vous, conviendrait-il qu'un seul commissaire soit au service des deux Chambres?
M. Wilson: Comme j'ai assisté à une autre séance du comité et lu le débat qui a eu lieu au Sénat même, je crois qu'il y a une certaine inquiétude au sujet des modalités de nomination. On craint qu'une personne nommée par un membre de l'exécutif ne soit mal placée pour répondre aux besoins du Sénat ou de la Chambre des communes.
Ce problème tient en partie au fait que, en juin, on proposait deux postes différents. L'un devait être celui du conseiller en éthique, soit le rôle que j'assume en ce moment, et le premier ministre influe alors considérablement sur la nomination. L'autre rôle était celui de commissaire du Parlement. Si ma mémoire est fidèle, on prévoyait que le titulaire serait choisi sans doute avec l'accord unanime des deux Chambres. Je suis persuadé que c'est réalisable. C'est ce qui a été prévu, lorsque le sénateur Oliver et M. Milliken ont examiné la question. Ce n'est peut-être pas réalisable non plus. Toutefois, j'estime que, si on écarte la question de l'intervention de l'exécutif, il deviendra beaucoup plus facile de trouver un titulaire qui obtient la confiance des deux Chambres.
Le sénateur Oliver: J'ai trois questions à poser. La première porte sur la Chambre des lords, dont vous avez parlé au cours de vos observations. Avez-vous étudié son régime de divulgation et, dans l'affirmative, un régime analogue serait-il efficace pour notre Chambre haute?
Deuxièmement, vous avez exprimé une opinion très ferme au sujet de l'importance de la divulgation dans le cas des conjoints. L'une des grandes inquiétudes de plusieurs parlementaires à ce sujet concerne le caractère confidentiel de ces renseignements. Pourriez-vous nous dire un mot de votre expérience à cet égard? Qui obtient les renseignements? Jusqu'à quel point restent-ils privés? Comment préserve-t-on leur caractère confidentiel?
La troisième question se rapporte à ce que vous appelez un conflit. Vous conseillez les députés, vous faites enquête et vous participez à l'application. Vous avez dit au comité qu'il y avait là un conflit. Est-ce le cas? Si oui, comment arrivez-vous à concilier ces trois fonctions?
M. Wilson: J'ai effectivement lu le débat de la Chambre des lords et j'ai étudié son code. Il y a des différences avec celui de la Chambre des communes au sujet des éléments à divulguer, et il y est question des intérêts pertinents. J'ai revu tout cela pendant le week-end, et il me semble qu'on y a abordé les questions évidentes que je considère comme importantes en ce qui concerne la divulgation.
Ce peut être un bon modèle pour le Sénat.
Quant à la question de la divulgation des intérêts du conjoint et du respect du caractère confidentiel, mon bureau a été en mesure de protéger tous les renseignements qui nous ont été communiqués. Les titulaires de charge publique sont tenus de divulguer confidentiellement tous leurs intérêts. Il n'y a pas à discuter. Cela comprend tout, mais seulement une partie des renseignements est du domaine public.
Les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels ont largement suffi à garantir aux titulaires de charge publique et à leur conjoint que cette information ne sortirait pas de mon bureau.
Les conjoints de ministre croient qu'il y a un problème, surtout ceux qui ont leur propre carrière. Un ministre ne peut prétendre tout ignorer des intérêts de son conjoint. S'il propose certaines mesures législatives, on peut l'accuser d'essayer de servir les intérêts de son conjoint. Résultat, les conjoints ont été très heureux de fournir les renseignements de façon confidentielle. J'ai dit clairement qu'ils n'étaient pas assujettis au code, mais je peux devoir demander au ministre de s'abstenir de toute mesure dans certains domaines de la politique. Cette position est bien acceptée, et je n'ai jamais éprouvé de difficulté. J'ai fréquemment reçu des appels de conjoints. Cette façon de faire a été satisfaisante, mais le plus important, c'est que, à titre de conjoints d'hommes ou de femmes politiques, ils ont compris très rapidement toute l'importance de la chose et les éléments de vulnérabilité.
Telle a été mon expérience. Mes collègues provinciaux me disent que les choses se sont passées exactement de la même manière.
Le sénateur Oliver: Lorsque, dans la déclaration d'un conjoint, vous avez remarqué un élément qui, selon vous, pouvait faire problème ou constituer un conflit, vous avez communiqué avec le ministre ou le conjoint pour leur demander de s'abstenir de dire ou de faire quelque chose.
M. Wilson: C'est exact. Ce n'est pas aux conjoints de se départir de leurs intérêts. Ils mènent leur vie comme ils l'entendent, mais le ministre peut avoir à prendre des précautions, comme il le ferait s'il s'agissait de ses intérêts propres.
Le sénateur Oliver: Dans votre bureau, combien de personnes peuvent voir la déclaration d'un conjoint?
M. Wilson: Nous avons du personnel de soutien et des agents. L'effectif total est de 22 personnes, car il y a un grand nombre de titulaires de charge publique. Toutefois, seulement trois personnes environ s'occupent des dossiers des ministres.
Vous avez demandé si j'étais moi-même en situation de conflit. Le pouvoir d'enquête que je possède a évolué sur une période de dix ans. Lorsque j'ai été nommé, j'étais à la disposition du premier ministre pour faire enquête à sa demande, sur les allégations visant des ministres. Avec le temps, les choses ont changé: si l'allégation se rapportait expressément aux règles sur les conflits d'intérêts, je faisais enquête de ma propre initiative, sans en recevoir l'ordre du premier ministre. Lui et moi sommes convenus qu'il m'incombait d'appliquer les règles sur les conflits d'intérêts, ce qui est tout à fait proactif, et, généralement, les affaires des ministres sont placées de façon qu'elles soient à l'abri de toutes les allégations possibles. Depuis moins longtemps, les parlementaires peuvent m'écrire, et plusieurs l'ont fait.
La relation établie au fil des ans ne m'a jamais porté à craindre d'être en conflit. J'ai une coopération plus que suffisante des ministres en cause. Elle est même enthousiaste.
Mon opinion sur le poste à l'étude, c'est que le commissaire doit bien établir sa réputation. Il doit convaincre les sénateurs et les députés qu'il est en mesure de leur donner de bons conseils, qu'ils seront disposés à suivre. C'est la priorité.
Si, par exemple, un sénateur refuse toute divulgation, le Sénat possède les pouvoirs voulus pour faire respecter les règles. Vous pouvez lui demander de divulguer des renseignements, mais je ne crois pas qu'on ait prouvé jusqu'à maintenant qu'il faut conférer ces pouvoirs d'enquête à une personne qui traite avec les parlementaires.
Il se peut fort bien que, dans trois ou quatre ans, vous soyez d'avis que la preuve a été faite. Vous pourriez alors agir en conséquence.
Il faut établir que ce poste a sa valeur, de façon que chacun ne demande pas mieux que de téléphoner au titulaire lorsqu'un problème le préoccupe, sachant qu'il recevra des conseils de qualité sous le sceau du secret. C'est la priorité. Pour ce qui est de la question du choix, j'ai opté pour le respect du caractère confidentiel.
Le sénateur Oliver: Vous n'estimez pas être en situation de conflit?
M. Wilson: Non.
Le sénateur Oliver: Cependant, vous estimez que votre successeur, qui ferait la même chose, serait en situation de conflit.
M. Wilson: Aucun parlementaire n'a été nommé. On peut regrouper des fonctions dans un seul poste, mais je n'ai qu'une partie de ces fonctions. Si les fonctions ne sont pas regroupées, les fonctions qui concernent les titulaires de charge publique sont celles dont je m'occupe. C'est ce que dit le texte législatif.
Mon inquiétude au sujet des pouvoirs d'enquête concerne les responsabilités à l'égard des parlementaires. Les parlementaires n'ont pas le même pouvoir exécutif que les membres de l'exécutif. Cela a des conséquences pour les questions de conflit.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur Wilson, vous avez bien expliqué pourquoi il faut faire une distinction entre les parlementaires et les ministres ou d'autres personnes qui occupent un poste où ils exercent un pouvoir délégué par le gouvernement. Pourriez-vous expliquer plus en détail pourquoi vous croyez que, dans le contexte actuel au Canada, le public n'exige pas que les sénateurs s'imposent des restrictions dans leurs intérêts commerciaux, d'autant plus que ces intérêts sont régulièrement étudiés au Sénat d'une façon ou d'une autre?
M. Wilson: Le rapport Milliken-Oliver a traité de cette question en 1997. Il cite le passage suivant:
Il est reconnu que le parlementaire qui mène, en parallèle, une vaste gamme d'activités autres que ses fonctions officielles est mieux à même de représenter sa collectivité et de tenir ses connaissances à jour dans les domaines où il a choisi de se spécialiser. En conséquence, rien dans le présent Code ne vise à empêcher un parlementaire:
a) d'occuper un emploi ou d'exercer une profession;
b) d'exploiter une entreprise;
c) d'occuper un poste d'administrateur ou d'associé, ou une charge quelconque;
C'est fondamental. Cette idée est d'ailleurs consacrée dans le préambule de la loi ontarienne sur les conflits d'intérêts des parlementaires.
Il est essentiel que les parlementaires soient des membres à part entière de leur collectivité. Si un parlementaire devient ministre, nous exigeons qu'il renonce à diriger. Il ne peut plus diriger une entreprise. Des restrictions rigoureuses sont imposées aux investissements qu'un ministre peut détenir et gérer. Un ministre ne peut exercer une profession. Nous imposons ces exigences aux ministres parce qu'ils doivent se consacrer exclusivement à leurs responsabilités ministérielles.
Ce serait une erreur d'imposer les mêmes règles aux parlementaires. L'idée de Milliken-Oliver, qui se retrouve jusqu'à un certain point dans le projet de code, est absolument essentielle.
Le sénateur Andreychuk: Je comprends que vous présentiez cette position de principe qui vous semble digne de crédit et qui est appuyée par le rapport précédent. Toutefois, je rencontre un public qui ne pense pas tout à fait la même chose. Il estime que les sénateurs et les députés ont plus ou moins l'obligation de ne pas faire partie de conseils d'administration, surtout des conseils d'administration de sociétés commerciales, pendant leur mandat de sénateurs ou de députés. Si vous croyez que c'est acceptable, comment faire évoluer la perception du public à cet égard?
M. Wilson: En acceptant un code de conduite pour les parlementaires et en y prévoyant un processus de divulgation relativement simple qui permet aux personnes intéressées de consulter un site Web pour se renseigner sur les intérêts des parlementaires. Lorsqu'un projet de loi est à l'étude dans un comité ou au Sénat, un sénateur qui a un intérêt direct à cause de son poste dans une société commerciale ou ailleurs — car la situation est la même si le sénateur fait partie du conseil d'administration de la Croix-Rouge — doit s'abstenir de participer au débat.
Selon moi, on peut faire évoluer la perception en acceptant un code et un mécanisme de divulgation. Ensuite, vous serez en excellente position pour faire valoir que vous avez quelque chose à apporter.
Il est essentiel de rappeler qu'un grand nombre d'entre vous sont ici à cause de leur travail et de leurs activités antérieures à leur nomination au Sénat. Si nous avons des règles qui vous empêchent de poursuivre les activités qui vous ont valu votre nomination — et je ne fais pas de distinctions entre les conseils d'administration de sociétés commerciales ou d'entités sans but lucratif — je crois que nous avons tous beaucoup à perdre. Le Parlement y perd. Le Canada aussi. C'est pourquoi il s'agit d'un fondement essentiel du code.
La présidente: Normalement, je n'interviens pas pendant les questions, mais comme j'ai une question qui fait suit à celle du sénateur Andreychuk, je vais la poser maintenant.
Lorsqu'on a conçu le Sénat et toutes les règles qui encadrent son fonctionnement, la plupart de ceux qui étaient nommés sénateurs étaient soit de riches hommes d'affaires, soit des agriculteurs prospères. De plus en plus, les sénateurs proviennent de sphères d'activité diverses, y compris du secteur caritatif, certains proviennent même du monde des arts. Étant donné l'état des arts au Canada, il n'y a vraiment aucun secteur artistique qui ne dépend pas dans une grande mesure du soutien de l'État.
En ce moment, un sénateur se produit sur scène à Montréal. Je ne sais si le théâtre ou l'établissement en question reçoit des subventions de l'État.
Toutefois, il semble que, en vertu du code proposé, un grand nombre des sénateurs actuels — écrivains, acteurs, musiciens — pourraient rester actifs dans leur profession, suivre leur vocation.
M. Wilson: C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai exprimé des réserves au sujet des articles 18, 19 et 20 du code proposé. Je crois qu'ils compliquent inutilement les choses sans pour autant régler les problèmes critiques de l'article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada.
Je vous exhorte à demander des conseils sur ces dispositions, pour savoir à quel point elles sont nécessaires.
Le sénateur Stratton: Je voudrais me reporter à la question dont vous avez discuté avec les sénateurs Milne et Andreychuk et revenir sur une question que j'ai déjà posée à M. Audcent, notre légiste.
Si vous faites partie à titre bénévole du conseil d'administration d'une petite entreprise qui peut recevoir ou non des fonds du gouvernement fédéral, de Diversification de l'économie de l'Ouest, par exemple, pensez-vous que la situation est acceptable parce que vous n'êtes pas rémunéré? Vous êtes bénévole, mais on veut que vous fassiez partie du conseil à cause de votre expérience, par exemple.
Si vous occupez un poste à titre de bénévole au sein d'une société sans but lucratif, comme Centraide, estimez-vous qu'il est acceptable, même si elle reçoit des subventions fédérales, de faire partie de son conseil d'administration? Il semblerait qu'il y a conflit.
M. Wilson: Le problème le plus grave qui a été discuté ces derniers jours concerne l'article 14. Cette règle a été conçue dans les années 1870, à une époque où le Canada était bien différent, et les sénateurs aussi, sans doute.
Par conséquent, au lieu d'essayer de concevoir une disposition du code pour régler le problème, je me demande quel est au juste le tort que causerait à l'intérêt public le fait qu'un sénateur siège au conseil d'une société qui reçoit une subvention du gouvernement du Canada ou encore au conseil d'une organisation caritative également subventionnée. J'ai eu beaucoup de mal à me convaincre que cela posait un problème, si le sénateur n'est pas celui qui a obtenu la subvention. Pourvu que ce soit la société ou l'organisation caritative elle-même qui agit, pourquoi empêcher un sénateur de faire profiter de son point de vue et de son expérience ces conseils d'administration? C'est pourquoi je soutiens que nous devrions abroger l'article 14, mais, en adoptant les articles 18, 19 et 20, on ne facilite pas nécessairement les choses.
J'ai dit que, selon moi, l'intérêt public en la matière serait correctement protégé par l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada et les articles 119 et 121 du Code criminel. Si tel est le cas, je ne vois pas pourquoi ces autres règles seraient nécessaires. On peut soutenir le contraire, mais cela n'a pas été démontré à ma satisfaction.
Le sénateur Stratton: En ce qui concerne les modalités de nomination, j'estime que, s'il s'agit d'un système comprenant une série de règles sur les conflits intérêts, une personne étant chargée d'examiner les conflits, les parlementaires devraient avoir un rôle important à jouer dans le choix de cette personne, car leurs intérêts sont en cause. Par exemple, je crois que, en Colombie-Britannique, les députés à l'assemblée législative choisissent leur surveillant, si on peut ainsi l'appeler.
Le sénateur Carstairs a soutenu que cette nomination ressemblait beaucoup à celle du vérificateur général et qu'elle devait être faite par le premier ministre, car c'est sa responsabilité.
Je pourrais être d'accord avec vous pour ce qui est de la nomination du vérificateur général. Toutefois, il s'agit ici des règles de fonctionnement des parlementaires et je crois donc que le processus est de leur ressort. Ils devraient avoir leur mot à dire et pouvoir communiquer leurs choix au premier ministre, parce que ce sont eux qui sont touchés. Comme vous l'avez dit, ils doivent avoir confiance. Le titulaire du poste doit jouir de la confiance des parlementaires. Quel meilleur moyen d'obtenir cette confiance que de faire participer les parlementaires au processus de sélection?
M. Wilson: Je me suis déjà exprimé à ce sujet. La proposition initiale, en juin, comprenait deux aspects distincts, et cela ne faisait pas problème. Je ne crois pas qu'on puisse honnêtement soutenir que le premier ministre n'a rien à dire dans le choix de la personne chargée d'administrer le code du premier ministre à l'intention des titulaires de charge publique. La proposition veut qu'un nom soit proposé à tous les partis officiels. C'est la démarche qui a été suivie lorsque j'ai été nommé. Le premier ministre a écrit à MM. Bouchard et Manning.
D'après ce que j'ai compris, l'autre proposition voulait que le Parlement décide alors qui serait le commissaire à l'éthique des parlementaires. C'est ainsi que les choses se passent dans les provinces. L'Alberta est sur le point de faire un choix. Elle a lancé une annonce. Un comité formé de représentants de tous les partis est chargé de la question.
Le gouvernement a bien précisé qu'il s'agissait d'un projet de code.
Je tiens à dissiper toute ambiguïté. Je ne pense pas que quiconque accepte le travail de commissaire parlementaire à moins d'être convaincu de jouir d'un soutien solide auprès des parlementaires, au moins la première semaine. Ce soutien ne durerait pas forcément pendant tout le mandat. Mes homologues provinciaux m'ont dit qu'ils ressentaient le besoin d'avoir un soutien total.
La complication a été accidentelle. Elle tient au fait qu'on a essayé de confier à une même personne ces deux fonctions importantes et compliquées.
Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir à un élément dont vous avez parlé dans vos propos liminaires au sujet de la séparation des pouvoirs. Au bas de la troisième page de votre mémoire, je lis ceci:
Il convient de toujours garder à l'esprit que la séparation des pouvoirs est une question importante sur le plan constitutionnel. Je reviendrai tout à l'heure sur cette question à propos du code du premier ministre.
Je suis tenté de me rallier à l'idée que le commissaire doit être responsable du code d'éthique du premier ministre.
Vous avez également parlé du nombre de titulaires de charge publique. À la page 5 de votre mémoire, vous écrivez:
Le nombre de titulaires de charge publique est très important. On compte quelque 1 300 titulaires à temps plein et environ 2 000 personnes nommées à temps partiel par le gouverneur en conseil et dont nous sommes responsables.
Il semble que ce sera un travail à temps plein. Le titulaire traitera avec l'exécutif. Puis, il y a le Parlement, qui est composé de deux assemblées législatives autonomes, indépendantes. Voici ma question: partagez-vous toujours l'objectif général du rapport Milliken-Oliver, selon lequel le système envisagé pour chacune des deux Chambres doit être prévu dans des règles et non dans une mesure législative, étant donné ce que vous avez écrit dans votre mémoire? Il s'agit là d'un point essentiel, et c'est le privilège du Sénat et de la Chambre des communes qui est en cause. Il est clair, à l'article 18 de la Constitution, que les deux Chambres ont leurs propres privilèges et gèrent leurs propres affaires.
Il est important pour les sénateurs et les députés d'obtenir les avis d'un conseiller en éthique indépendant, qui ne relève pas de l'exécutif, qui est totalement indépendant, pour préserver l'autonomie du législatif, mais il est tout aussi important de préserver l'autonomie de chacune des Chambres. C'est la méthode pour laquelle ont opté la Chambre des communes britanniques et la Chambre des lords. Les Britanniques ont maintenu la séparation à l'intérieur de leur système de règles. Le rapport d'évaluation britannique a été publié en novembre dernier. Je crois que vous connaissez fort bien ce rapport dans lequel on réévalue l'idée de la nomination d'un commissaire à l'éthique par voie législative. Pour l'instant, les Britanniques ont décidé de maintenir leur système actuel de règles à la Chambre des communes.
Ne devrions-nous pas en revenir aux éléments du rapport Milliken-Oliver, maintenir les règles et préserver l'autonomie de la gestion de l'éthique dans chacune des chambres du Parlement? Chacune des Chambres est responsable de ses propres membres et chacune à ses propres caractéristiques. Il y a complémentarité entre les deux institutions: élections et nominations, permanence et renouvellement par le processus électoral. Ces éléments sont importants.
Vous avez fait allusion à ces points dans votre mémoire, mais je voudrais connaître l'opinion que vous vous êtes faite en exerçant cette responsabilité ces dernières années.
M. Wilson: Nous sommes d'accord sur la différence essentielle entre l'exécutif et le législatif. Quant à savoir si chacune des Chambres doit aborder la question à la lumière de ses propres caractéristiques ou s'il doit y avoir un code commun, comme le proposait le rapport Milliken-Oliver, je ne crois pas être celui qui doit répondre à cette question. J'estime néanmoins que l'assemblée législative doit établir les règles. Doit-il y avoir une seule série de règles pour les deux Chambres ou deux séries? Il faudra en débattre. Le processus doit relever de l'assemblée législative.
Le sénateur Joyal: Quand vous parlez d'assemblée législative, cela veut-il dire que chacune des chambres doit énoncer clairement ses objectifs et les modalités d'application? Est-ce bien cela?
M. Wilson: C'est exact.
Le sénateur Joyal: Monsieur Wilson, avez-vous étudié la façon dont le Royaume-Uni nomme son commissaire à l'éthique en la personne du greffier du Parlement, et la question a-t-elle été traitée de façon satisfaisante?
M. Wilson: L'expérience britannique du commissaire parlementaire n'a pas été satisfaisante. Les Britanniques ont toujours du mal à trouver une solution. Ils ont constitué un comité chargé d'étudier les normes de la vie publique, qui est indépendant, et quelques recommandations ont été formulées. Ils ont eu un problème avec un des commissaires qui ne jouissait pas d'un soutien suffisant à l'interne. Il aurait dû normalement être reconduit dans ses fonctions, mais il ne l'a pas été. Il y a maintenant un nouveau titulaire qui semble jouir d'un solide soutien.
Toutefois, le système fonctionne. La chose importante, c'est que l'assemblée législative doit nommer le titulaire et définir ses pouvoirs.
Le sénateur Joyal: Dans ce contexte, donneriez-vous votre appui à l'approche générale préconisée dans le rapport Milliken-Oliver voulant que le Président de chaque Chambre fasse accepter la nomination après avoir consulté les différents représentants des partis présents à la Chambre? Il s'agit de la deuxième recommandation sous la rubrique «jurisconsulte»:
Après avoir consulté les chefs des partis politiques reconnus, au Sénat et à la Chambre des communes, et toute autre personne qu'ils jugent indiqué de consulter, les présidents déposent le nom du candidat au Sénat et à la Chambre...
De toute évidence, ce serait une initiative prise par les Chambres par l'entremise des Présidents, après les consultations voulues. Est-ce la proposition que vous préconisez?
M. Wilson: Cette idée permet de résoudre le problème fondamental qui a été soulevé ici même et à la Chambre des communes au sujet des modalités de nomination. On ne peut pas éluder la question du soutien dont le titulaire aura besoin, au minimum, pour s'acquitter de son travail. S'il se retrouve dans un climat d'hostilité parce qu'il est imposé à l'assemblée législative, ce ne serait pas une nomination qui augure très bien.
La proposition du sénateur Oliver et de M. Milliken m'a toujours paru censée.
Le sénateur Joyal: Un élément important du projet de loi proposé, qui étonnera mes collègues, est le droit de l'opposition. S'il n'y a pas d'opposition et aucun moyen de faire confiance au Parlement, je ne pense pas que nous ayons un vrai Parlement. Nous avons un Parlement dominé par la majorité qui établit les règles. Je ne pense pas que les intérêts des Canadiens soient bien servis lorsque la diversité des opinions ne trouve pas son expression au Parlement. Je ne pense pas que nous voulions établir un commissaire qui serait nommé par le gouvernement et qui devrait s'occuper de l'opposition, à plus forte raison au Sénat, dont tous les membres sont égaux. Nous ne faisons aucune distinction de statut, et chacun des sénateurs doit être convaincu personnellement qu'il obtiendra les conseils les plus objectifs possible lorsqu'ils veulent mettre de l'ordre dans leurs affaires pour respecter les normes du code d'éthique
M. Wilson: Je suis d'accord.
La présidente: Monsieur Wilson, vous ne semblez pas avoir d'opinion très tranchée pour ce qui est de savoir s'il doit y avoir un commissaire pour les deux Chambres du Parlement ou un commissaire pour chacune des Chambres. Que préférez-vous?
M. Wilson: S'il est possible aux deux Chambres de s'entendre sur une seule personne, je crois que cela présente des avantages. C'est le processus de nomination qui peut faire problème. Si on règle cette difficulté, il est peut-être possible de s'entendre sur une personne qui pourrait profiter de l'expérience acquise ici et à la Chambre des communes pour mieux servir tous les parlementaires.
Ce devrait être la première formule à essayer.
La présidente: Je m'attends à des problèmes s'il y a deux commissaires, notamment pour le sénateur qui est également membre du gouvernement et qui devrait répondre aux deux commissaires. Qu'arriverait-il si leur opinion divergeait?
M. Wilson: Vous voulez parler de deux commissaires pour les parlementaires?
La présidente: C'est exact.
M. Wilson: Il y a aussi la responsabilité de l'exécutif. Le rapport Milliken-Oliver disait que le code du premier ministre devait l'emporter. C'est ce qu'on lit dans le rapport et dans le code proposé. L'idée, si je comprends bien, c'est que tous les parlementaires soient soumis à ce que le Parlement accepte pour les parlementaires.
Les membres du Cabinet seraient soumis à des exigences supplémentaires, mais, en cas de divergence, le code du premier ministre l'emporterait. C'est ce qu'on dit dans le rapport, et cela figure également dans mon exposé écrit.
Le sénateur Smith: Pour ce qui est de savoir s'il doit y avoir un commissaire ou deux, je vais vous expliquer le problème que je perçois et vous demander de répondre. La première réaction, c'est que chacune des Chambres devrait avoir son commissaire pour les raisons que le sénateur Rompkey a données lorsqu'il a cité la bible, disant qu'on ne peut servir deux maîtres. C'est simple et plutôt juste.
Toutefois, nous avons envers le public la responsabilité d'être économes. Quand on lit qu'aucune plainte ne peut être examinée à moins qu'elle ne soit soulevée par un collègue de la même Chambre, on ne s'empressera pas de franchir cette ligne, et je me demande si un commissaire sera vraiment occupé, à plus forte raison deux.
D'après la connaissance que vous avez des titulaires de postes semblables, se tiennent-ils occupés à un travail valable pour un intérêt public lorsque les circonstances dans lesquelles ils peuvent rédiger un rapport sont aussi restrictives?
M. Wilson: La personne chargée du code du premier ministre aurait beaucoup à faire. Et j'estime qu'il faudrait essayer d'avoir un seul commissaire pour les deux Chambres. Avec 400 parlementaires, une seule personne aurait amplement de travail. Le Parlement du Canada est quatre fois plus important que la plus grande assemblée législative provinciale, et je sais que mon collègue de l'Ontario se tient passablement occupé.
Autre détail pratique, chacun d'entre vous, s'il a un problème, voudra qu'on le rappelle dans les 15 ou 20 minutes, et il y a 400 parlementaires. Je crois que le commissaire mériterait son salaire.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Wilson d'avoir comparu devant le comité aujourd'hui.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre le témoignage de Mme Kathy O'Hara, sous-secrétaire du Cabinet. Puisque nous ne connaissons pas les trois autres personnes qui l'accompagnent, peut-être Mme O'Hara aura- t-elle eu l'obligeance de les présenter.
Mme Kathy O'Hara, sous-secrétaire du Cabinet, Bureau du Conseil privé: Permettez-moi de vous présenter Linda Gobeil, secrétaire adjointe, Appareil gouvernemental, et M. Mitch Bloom, qui fait également partie du Secrétariat de l'appareil gouvernemental. Nous sommes aussi accompagnés de M. Ron Wall, qui travaille pour le Secrétariat de la législation et de la planification parlementaire au Bureau du Conseil privé.
La présidente: Vous pouvez présenter votre exposé.
Mme O'Hara: Madame la présidente, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant le comité pour parler de l'avant-projet de loi sur le poste de commissaire à l'éthique et le projet de code de déontologie des parlementaires.
[Français]
Comme l'a indiqué le sénateur Carstairs, ces documents vous ont été soumis par le gouvernement sous forme d'ébauche afin d'obtenir votre point de vue. Je propose d'examiner brièvement les dispositions de ces deux documents puis de répondre à vos questions.
[Traduction]
Pour ce qui concerne l'avant-projet de loi sur le poste de commissaire à l'éthique, le document propose de modifier la Loi sur le Parlement du Canada et plusieurs autres lois de façon corrélative.
La première série de dispositions est de nature administrative. Elle va des articles 72.1 à 72.4 et traite du poste de commissaire à l'éthique et des éléments administratifs de sa fonction. D'après ces dispositions, le processus de nomination du commissaire serait le même que celui du vérificateur général. De plus, en vertu de l'article 111.1 du Règlement de la Chambre des communes, le nom du candidat proposé serait soumis à un comité permanent, après quoi une motion serait déposée à la Chambre pour la nomination du candidat, puis serait mise aux voix sans débat ni amendement.
Nommé pour un mandat non renouvelable de cinq ans, le commissaire ne pourrait être révoqué que par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre. Cette disposition, qui est semblable à celle qui est utilisée pour d'autres hauts fonctionnaires du Parlement, permet d'assurer l'indépendance du titulaire.
Le commissariat à l'éthique serait l'une de quatre institutions parlementaires, les trois autres étant le Sénat, la Chambre des communes et la Bibliothèque du Parlement. Le commissaire serait également responsable de la gestion du commissariat: il aurait les mêmes pouvoirs d'organisation et la même latitude que les autres hauts fonctionnaires du Parlement.
Les dispositions suivantes traitent du rôle du commissaire à l'éthique par rapport aux parlementaires. L'article 72.5 expose ce rôle. J'attire votre attention sur le fait que le commissaire, agissant sous les auspices du Parlement, serait chargé des fonctions qui lui sont conférées par les Chambres du Parlement en vue de régir la conduite des parlementaires. De plus, il s'acquitterait de ses fonctions sous la direction d'un ou plusieurs comités parlementaires. Les dispositions de cet article permettraient donc au commissaire d'administrer le code de déontologie des parlementaires.
L'avant-projet de loi traite ensuite du rôle du commissaire à l'éthique par rapport aux titulaires de charges publiques. En effet, à part son travail lié au code de déontologie des parlementaires, le commissaire assumerait à l'égard des titulaires de charges publiques les fonctions actuellement remplies par le conseiller en éthique. Cela signifie qu'en plus d'aider plus de 400 parlementaires à respecter le code, le commissaire devrait s'occuper de plus de 3 000 titulaires de charges publiques soumis au Code régissant la conduite des titulaires de charges publiques en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après-mandat, y compris les ministres, les secrétaires d'État, les secrétaires parlementaires, les sous-ministres et les personnes nommées par décret du gouverneur en Conseil.
Les principales responsabilités du commissaire à l'éthique à l'égard des titulaires de charges publiques seraient, entre autres, les suivantes: administrer le code régissant la conduite des titulaires de charges publiques en ce qui concerne les conflits d'intérêts et l'après mandat; donner au premier ministre des avis confidentiels sur toute question d'éthique, notamment sur le code et son application; et donner des avis confidentiels aux titulaires de charges publiques afin de les aider à respecter le code.
L'article 72.7 décrit le mécanisme par lequel les parlementaires peuvent porter plainte auprès du commissaire contre un ministre ou un secrétaire d'État. Le processus établit que le commissaire à l'éthique doit toujours présenter un rapport pour donner suite à la demande d'un parlementaire, même s'il décide d'en interrompre l'étude. Le rapport doit être remis en même temps au premier ministre, au parlementaire ayant formulé la demande, à la personne visée par la demande et au public. Enfin, le rapport doit décrire les faits, en faire une analyse et comprendre les conclusions du commissaire à l'éthique.
L'article 72.8 énonce les pouvoirs d'enquête du commissaire à l'éthique, qui sont exactement les mêmes que ceux du vérificateur général. Il peut donc sommer des témoins à déposer, oralement ou pas écrit, obliger quelqu'un à présenter des documents et assigner quelqu'un à comparaître et faire exécuter la comparution.
Ces pouvoirs seraient exercés de façon indépendante et pourraient être invoqués par le commissaire alors qu'il conseille le premier ministre ou qu'il examine la conduite d'un ministre suite à la demande d'un parlementaire.
Selon le paragraphe 72.9(1), le commissaire doit produire un rapport annuel trois mois après la fin de chaque année financière. Ce rapport serait remis aux Présidents qui le déposeraient directement dans leurs Chambres respectives.
Je passe maintenant au code de déontologie des parlementaires.
[Français]
J'aimerais maintenant vous entretenir d'un projet de règles constituant un code de déontologie des parlementaires. Le code traduit essentiellement le rapport Oliver-Milliken en des dispositions qui pourraient être intégrées au Règlement du Sénat ou au Règlement de la Chambre des communes.
[Traduction]
Dans les cahiers d'information qu'a remis le gouvernement au comité, vous trouverez à l'onglet E un document intitulé «Commentaires sur les modifications techniques à apporter au rapport Oliver-Milliken de 1997 sur un code de déontologie parlementaire». Ce document énumère ce qui est différent du code Oliver-Milliken. Il a fallu en effet actualiser des définitions afin de tenir compte de changements survenus depuis 1997, ou des lois comme la Loi de l'impôt sur le revenu.
De plus, comme l'a indiqué madame le leader du gouvernement au Sénat, trois modifications importantes ont été portées à l'attention des parlementaires, à savoir la nomination d'un commissaire à l'éthique responsable des questions d'éthique ministérielles et parlementaires, la divulgation des avoirs du conjoint, et le fait que le commissaire à l'éthique rend compte de ses activités à un comité du Sénat et à un comité de la Chambre plutôt qu'à un comité mixte.
J'aimerais maintenant vous expliquer brièvement les dispositions du projet de code. D'abord, l'article 3 expose les principes, qui sont tirés du code Oliver-Milliken.
L'article 5 porte que le code vise les membres du Sénat et de la Chambre des communes. Selon le rapport Oliver- Milliken, il était important d'établir des règles communes pour les deux Chambres. Évidemment, chacune pourrait adopter des règles additionnelles propres à sa situation.
L'article 6 est fondé sur l'objectif du rapport Oliver-Milliken d'assujettir à des normes de base tous les parlementaires, les ministres compris. Le code Oliver-Milliken reconnaît également que le premier ministre imposerait des normes additionnelles aux ministres, aux secrétaires d'État et aux secrétaires parlementaires, comme au Royaume- Uni.
L'article 9 reconnaît que les parlementaires peuvent vouloir participer à des activités autres que leurs fonctions officielles, la seule restriction étant que ces activités ne les empêchent pas de remplir leurs obligations prévues dans le projet de code.
L'article 10 répond aux préoccupations exprimées par certains parlementaires concernant l'intervention des tribunaux. Cet article précise que rien dans le code n'a pour effet de porter atteinte aux privilèges, immunités et pouvoirs du Parlement. Il reprend ce que dit le paragraphe 80(3) de la Loi sur le Parlement du Canada, qui avait également été jugé nécessaire.
Les règles de déontologie se retrouvent aux articles 11 à 27 du code. L'article 11 porte que pour éviter tout conflit d'intérêts, un parlementaire ne peut agir de façon à favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'un membre de sa famille.
L'article 12 établit la règle générale selon laquelle le parlementaire ne peut se servir de l'autorité que lui confère sa charge pour favoriser ses intérêts personnels.
L'article 13 interdit à un parlementaire d'utiliser les renseignements qu'il obtient en sa qualité de parlementaire pour favoriser ses intérêts personnels ou ceux d'une autre personne. Cette disposition est semblable à celle qu'on trouve dans la plupart des codes provinciaux canadiens.
L'article 14 est fondé sur les Règlements de la Chambre et du Sénat. Le parlementaire qui a des motifs de croire qu'il a un intérêt personnel dans une affaire dont est saisi un comité ou une Chambre peut le déclarer et demander au commissaire à l'éthique si, selon lui, il peut continuer de participer à l'étude de cette affaire.
Le rapport Oliver-Milliken proposait qu'une disposition comme l'article 15 remplace l'article 21 du Règlement de la Chambre des communes ainsi que le paragraphe 65(4) et l'article 94 du Règlement du Sénat qui sont tous relatifs aux votes sur des questions dans lesquelles un parlementaire à un intérêt pécuniaire.
L'article 16 précise que le parlementaire ne peut accepter de cadeaux ou d'avantages personnels sauf ceux qui sont normalement offerts et qu'on ne peut pas refuser ou qu'on n'a pas à refuser. Cette disposition assurera la transparence.
En vertu de l'article 17, les parlementaires doivent divulguer au commissaire tout déplacement payé dont le coût dépasse 250 $.
Les articles 18 à 20 font suite au rapport Oliver-Milliken, qui recommandait d'abroger les articles sur les contrats de la Loi sur le Parlement du Canada et de les remplacer par des dispositions énoncées dans un code. L'article 18 interdit à un parlementaire d'être sciemment partie à un contrat conclu avec le gouvernement du Canada. L'article 19 interdit à un parlementaire d'avoir un intérêt dans une société de personnes ou une société privée qui est partie à un contrat conclu avec le gouvernement. L'article 20 exempte les contrats conclus avant l'élection ou la nomination du parlementaire, mais non les prorogations.
Le code Oliver-Milliken recommandait que le parlementaire dépose auprès du commissaire à l'éthique une déclaration confidentielle énumérant ses intérêts personnels. L'article 21 détaille ces exigences.
Contrairement au code Oliver-Milliken, le projet de code n'oblige pas les membres de la famille à déclarer leurs intérêts personnels. L'obligation pour les conjoints de déclarer leurs intérêts ayant suscité de vives réactions en 1997 des deux côtés des deux Chambres, le gouvernement a décidé que cette obligation n'était ni nécessaire ni souhaitable en ce moment.
Cela ne veut pas dire que les conjoints et les autres membres de la famille peuvent se soustraire au code. L'article 26 défend aux parlementaires de contourner leurs obligations. De plus, les articles 11 à 14, qui portent sur les conflits d'intérêts, s'appliquent aux membres de la famille.
L'article 22 décrit le type de renseignements qu'il faut inclure dans la déclaration confidentielle. Cette disposition vise à inciter les parlementaires à prendre des mesures pour prévenir tout conflit et à déclarer au fur et à mesure ceux qui se produisent.
L'article 24 adopte le modèle utilisé dans beaucoup de provinces et précise que le commissaire à l'éthique doit préparer un sommaire des déclarations confidentielles. Comme dans la plupart des provinces, la nature, mais non la valeur, des intérêts financiers doit être rendue publique.
L'article 26 interdit à un parlementaire de céder un intérêt et, de ce fait, de le soustraire aux dispositions du code.
L'article 27 permet à un parlementaire de demander au commissaire de lui fournir un avis en ce qui a trait au code. Pourvu que les faits pertinents lui aient été divulgués, le commissaire est lié par son avis.
Les articles 28 à 30 visent l'établissement ou la constitution d'un comité du Sénat et d'un comité de la Chambre des communes ou d'un comité mixte. Cette proposition permettrait à chaque Chambre d'être responsable de l'application du code à ses propres membres, si c'est ce qu'elle souhaite. Cela s'inscrit dans la tradition voulant que chaque Chambre s'occupe de ses propres affaires.
Les articles 31 à 34 établissent un processus de plainte. Le rapport Oliver-Milliken avait proposé qu'une plainte puisse être présentée par un parlementaire ou un citoyen. Le projet de code propose que le commissaire à l'éthique reçoive seulement les plaintes des parlementaires, chaque plainte ne pouvant de surcroît provenir que d'un parlementaire appartenant à la même Chambre. Cela aussi s'inscrirait dans la tradition selon laquelle chaque Chambre est responsable de ses propres affaires.
Le code se termine par un certain nombre de dispositions générales. Les articles 35 à 39 se trouvent toutes dans les recommandations du rapport Oliver-Milliken. Le comité siégerait à huis clos afin de garantir la confidentialité des renseignements qui lui sont communiqués. Le commissaire à l'éthique établirait, avec l'approbation du comité, les règles d'application du code. On imposerait un calendrier de conservation des archives d'un parlementaire après qu'il a quitté ses fonctions. Le commissaire à l'éthique ou l'un ou l'autre comité pourrait organiser des réunions éducatives afin de renseigner les parlementaires et le public. Aux termes de la dernière disposition du code, celui-ci fait l'objet d'un renvoi permanent au comité.
Voilà qui conclut mon exposé. Je suis maintenant prête à répondre aux questions. Je vous signale que je suis accompagnée d'experts de ce domaine à qui je pourrais, à l'occasion, demander de répondre à vos questions.
La présidente: Je vous remercie, madame O'Hara, pour cet exposé clair des changements proposés. Il pourrait être particulièrement précieux pour des gens qui suivent nos délibérations à la télévision et qui n'ont pas la possibilité de voir la documentation que nous avons devant nous.
Je vais aborder la partie de votre exposé qui traite des articles 18 à 20. Vous avez dit, je crois, que ces dispositions sont beaucoup plus fermes que dans leur forme actuelle. Est-ce bien le cas? Y a-t-il eu un changement? Pourquoi semblez-vous dire que ce sera plus ferme qu'à l'heure actuelle?
Mme O'Hara: Nous avons essentiellement repris les dispositions du rapport Milliken-Oliver. Je n'ai pas voulu dire que ce serait plus ferme. Les dispositions sont exactement les mêmes.
La présidente: Quels sont les intentions du Bureau du Conseil privé au sujet de la nature changeante du Sénat et du fait que nous avons plus de sénateurs qui s'occupent des arts et de la communauté artistique et qui dépendent du soutien du gouvernement? Avez-vous l'intention d'ajouter — ou bien devrions nous le faire vous-même — des dispositions spéciales qui leur permettraient de poursuivre leurs activités artistiques?
Mme O'Hara: Comme vous le savez, ce n'est qu'un avant-projet de loi qui permet d'apporter les modifications et les mises à jour nécessaires. C'est ce que nous attendons de votre comité.
La présidente: Avez-vous des suggestions?
Mme O'Hara: Ce n'est pas une question que nous vous avons examinée de près lors de la rédaction de ces modifications. Nous avons surtout étudié le contenu du rapport Milliken-Oliver. Nous serons, je crois, très ouverts aux idées du Sénat quant aux amendements qui pourraient être nécessaires sur le fond ou sur la forme.
Le sénateur Joyal: Bienvenue au comité, madame O'Hara. Vous avez présenté les modifications envisagées en disant que le commissaire à l'éthique serait responsable de tout le monde. D'après votre exposé, près de 3 500 personnes seraient soumises à ses enquêtes. Cela voudrait dire qu'il y aurait un bureau d'archives, probablement au Conseil privé, où se trouveraient les dossiers des sénateurs, des députés, des ministres et de toutes les personnes nommées par décret du Conseil.
Personnellement, j'hésite à accepter, en qualité de législateur chargé d'exprimer un avis indépendant sur les mesures législatives du gouvernement et d'examiner de près son activité, que mon dossier se trouve au Bureau du Conseil privé. J'ai de grandes réserves à ce sujet. Je suis législateur, et il appartient à mes pairs de juger ma conduite en fonction d'une série de règles. Je ne voudrais pas que mon dossier quitte le Sénat pour être envoyé au Bureau du Conseil privé, qui est en fait le ministère du premier ministre au pouvoir. Il peut s'agir d'un premier ministre appartenant à mon parti ou à un autre parti. Je n'aime pas l'idée que mon dossier sera à la disposition de n'importe quel premier ministre. C'est mon premier point.
Les propositions que vous venez de nous présenter constituent un avant-projet de loi. Or j'y trouve une certaine confusion au sujet de la séparation des deux Chambres prévue dans la Constitution. Vous dites à la page 16 de votre mémoire que «cela s'inscrit dans la tradition voulant que chaque Chambre s'occupe des ses propres affaires».
En réalité, ce n'est pas une tradition, mais plutôt un principe constitutionnel. Ce n'est pas une façon de faire les choses qui existe tout simplement parce que nous l'avons toujours fait ainsi et que cela nous convient. Comme je l'ai dit, l'indépendance des deux Chambres est un principe constitutionnel. Si vous lisez les déclarations des Pères de la Confédération, vous y verrez très clairement que les deux Chambres doivent jouir des mêmes privilèges que possédait la Chambre des communes britannique en 1867.
Il est clairement dit que toute mesure législative à appliquer nécessite l'avis et le consentement de chacune des deux Chambres. C'est là un principe fondamental.
Lorsque nous rédigeons un code de déontologie pour l'une des deux Chambres du Parlement, nous ne pouvons pas confondre les deux Chambres, tout comme nous ne pouvons pas confondre l'exécutif et le législatif. Même si je crois à l'application équitable de règles déontologiques fermes pour les législateurs et, en particulier, pour les sénateurs, je ne crois pas que le fait de tout confondre — comme le fait l'avant-projet de loi — nous permette de mieux gouverner. En fait, cela conférera à l'exécutif, dont nous déplorons déjà l'influence excessive sur l'autre Chambre, un moyen de contrôle supplémentaire touchant l'éthique et la fiabilité de chacune des deux Chambres du Parlement, surtout par rapport au code d'éthique précédent que nous avions. Je ne crois pas qu'il convienne d'importer au Parlement fédéral un système appartenant aux gouvernements provinciaux. Aucune province n'a une assemblée bicamérale. Nous devons en tenir compte dans tout système que nous adoptons. Or je n'ai pas l'impression que ce soit le cas en vous écoutant ou en lisant l'avant-projet de loi. Qu'en pensez-vous?
Mme O'Hara: Pour répondre à votre premier point, permettez-moi de vous dire que les dossiers ne seraient pas conservés au Bureau du Conseil privé. En fait, le commissaire à l'éthique sera un haut fonctionnaire du Parlement. Ses dossiers seraient donc conservés au Parlement. De plus, le commissaire ne serait pas assujetti à la Loi sur l'accès à l'information. Il n'y aurait donc pas de difficultés de ce côté. Il ne s'agit pas du tout de dossiers du BCP. Ce sont des dossiers du Parlement. Ce serait d'ailleurs le cas pour tous les dossiers, y compris ceux des parlementaires et des titulaires de charges publiques.
Quant à votre second point concernant la distinction constitutionnelle et la confusion entre l'exécutif et le législatif, les propositions sont fondées sur le rapport Milliken-Oliver, qui ne fait pas de différence entre la Chambre des communes et le Sénat dans ses recommandations. Nous avons adopté cette approche.
Nous avons cependant examiné l'aspect pratique de l'administration du même code et la notion de normes communes aux deux Chambres, permettant d'éviter la constitution de deux commissariats pour la Chambre et le Sénat. Nous avons eu l'impression qu'un commissariat commun pourrait faire l'affaire si l'on pouvait, comme vous le dites, tenir compte de quelques distinctions constitutionnelles importantes. Dans l'exercice de ses fonctions, le commissaire devra reconnaître les traditions de chacune des deux Chambres.
Pour ce qui est de la confusion entre l'exécutif et le législatif, encore une fois, nous avons pensé combiner les deux fonctions dans un seul poste. Le projet de loi tente d'établir très clairement les différences qui existent. Lors de la rédaction, nous étions très conscients du fait que le commissaire aurait deux rôles distincts, et peut-être même trois.
Il est toujours possible d'améliorer le projet de loi en précisant non seulement le code qui s'applique quand le commissaire assume l'un de ses rôles, mais aussi les responsabilités dans chaque cas. L'idée de combiner les deux rôles qui vous est proposée est largement fondée sur le rapport Milliken-Oliver.
Le sénateur Joyal: Nous venons d'entendre le témoignage de M. Wilson, le conseiller en éthique. Sans le dire ouvertement, je crois qu'il était assez favorable à l'idée de séparer les deux fonctions. Je crois que nous devrions lui faire confiance à cause de l'expérience pratique qu'il a acquise ces dernières années. Il se rend compte que les pressions politiques sont attribuables davantage aux ministres et aux personnes nommées par le gouvernement qu'à la moyenne des députés et des sénateurs.
Comme le sénateur Milne l'a mentionné, le Sénat ne se compose plus uniquement de gens riches, de banquiers et de représentants d'institutions financières. Aujourd'hui, les sénateurs représentent tous les segments de la société canadienne. Le sénateur moyen est très semblable au Canadien moyen. Le Sénat n'est plus un club exclusif réservé aux riches et aux puissants.
Sur la base de ce que M. Wilson a dit, il est important qu'il y ait une distinction claire dans les fonctions du commissaire à l'éthique lorsqu'il s'occupe de la conduite des ministres et du code de déontologie. Nous sommes conscients du fait que si le gouvernement change après cinq ans, il peut remplacer la personne désignée.
Le Sénat représente cependant l'élément stable du Parlement. Il connaît un processus permanent et continu de renouvellement. Nous ne voulons pas être soumis à un commissaire à l'éthique qui changerait tous les cinq ans avec les changements de gouvernement. De son côté, un nouveau gouvernement ne voudra pas être soumis à un commissaire à l'éthique nommé par un gouvernement précédent, qui pourrait vouloir embarrasser le premier ministre. Celui-ci ne voudra pas être embarrassé par un commissaire arborant des couleurs différentes.
Les sénateurs voudront que le commissaire à l'éthique soit indépendant et rende compte de son activité au Sénat. La confiance est extrêmement importante dans ce cas. Chacun d'entre nous doit se sentir parfaitement à l'aise quand il consulte cette personne et lui divulgue ses renseignements personnels et financiers. Même nos conjoints pourraient être assujettis au code de déontologie. Les consultations ressembleront beaucoup à des confessions. Si, dans six mois, je me remariais, j'aurais l'obligation de prendre contact avec le commissaire à l'éthique pour l'en informer. Par conséquent, le commissaire doit être au-dessus de tout soupçon sur le plan politique. Mais, compte tenu de la description actuelle de ses fonctions, je n'ai pas l'impression que je pourrais vraiment lui faire confiance. Or plus nous pourrons faire confiance au commissaire, plus le système sera efficace. Si nous avons des soupçons quelconques sur son impartialité, il y aura des problèmes.
Mme O'Hara: Il y a des avantages et des inconvénients, que l'on nomme une, deux ou trois personnes. Il sera important que votre comité les examine.
La durée du mandat est clairement un inconvénient de la formule consistant à nommer une seule personne, pour les raisons que vous avez mentionnées, sénateur.
La présidente: Je voudrais poser une question qui se rattache à ce point particulier. Vous avez dit que tous ces dossiers seraient conservés au bureau du commissaire à l'éthique, qui serait un haut fonctionnaire du Parlement. Comment le dossier d'un bureaucrate de haut niveau ou d'une personne nommée par le Conseil privé peut-il devenir parlementaire? Il me semble que le Parlement n'est pas l'endroit indiqué pour conserver certains de ces dossiers. Ces gens appartiennent à l'exécutif plutôt qu'au législatif. Et les deux appareils doivent rester complètement distincts. Cela signifie-t-il que nous devrons revenir à la formule que semble préférer M. Wilson, c'est-à-dire un commissaire distinct chargé du code du premier ministre?
Mme O'Hara: Cette question est du même ordre que celle du mandat. C'est un autre des inconvénients du cumul des deux fonctions, qui impose d'avoir des dossiers distincts. Comme vous l'avez dit, les titulaires de charges publiques ne se trouveraient pas nécessairement au Parlement, mais il serait nécessaire que le commissaire qui assume deux ou trois rôles différents établisse des dépôts de dossiers différents. C'est l'un des inconvénients. Il y a des avantages administratifs au cumul, mais il y a aussi des inconvénients pratiques. Ce sont là des exemples des inconvénients de cette approche.
Le sénateur Smith: Quand vous parlez d'avantages administratifs, vous évoquez pour nous l'image d'un fanatique du contrôle qui serait responsable de tout. Or c'est exactement ce qui nous inquiète. Sans parler de l'endroit où les dossiers seraient conservés et de la nomination de commissaires distincts pour la Chambre et le Sénat, je crois que la question de la séparation à établir entre le législatif et l'exécutif est tellement fondamentale qu'elle constitue un obstacle impossible à surmonter. Les gens ne croiront pas qu'on peut assumer ces deux rôles en restant impartial.
J'aimerais revenir un instant à un point évoqué par le sénateur Milne. Étiez-vous présente quand M. Wilson a présenté son exposé?
Mme O'Hara: Je n'étais présente que pendant les quinze dernières minutes, mais j'ai lu l'exposé. Je connais donc son contenu.
Le sénateur Smith: Il a exprimé de fortes réserves au sujet des articles 18, 19 et 20. L'avez-vous entendu quand il en a parlé?
Mme O'Hara: Non.
Le sénateur Smith: Je suis sûr que vous le verrez dans le compte rendu, mais je suppose que vous étiez déjà au courant des réserves de M. Wilson au sujet de ces articles au moment de la rédaction de l'avant-projet de loi.
Mme O'Hara: Non. Comme je l'ai mentionné, nous nous sommes surtout basés sur le rapport Milliken-Oliver. Par conséquent, des réserves ont pu être exprimées depuis. Quoi qu'il en soit, je peux certainement faire un suivi à ce sujet.
Le sénateur Smith: Le sénateur Milne a parlé des artistes et des gens qui travaillent avec différents organismes de bienfaisance. Je voudrais aborder cette question sous un angle différent basé sur quelques années d'expérience. J'ai littéralement consacré un an de ma vie à voyager d'un bout à l'autre du pays lors des élections de 1965, quand Keith Davey et moi-même travaillions pour M. Pearson. Bien entendu, j'étais jeune à l'époque. Depuis, j'ai cependant participé à des campagnes nationales et j'en ai présidé un certain nombre. Il devient de plus en plus difficile de recruter les meilleurs et les plus brillants, non seulement dans la communauté culturelle, mais dans le monde des affaires, les milieux universitaires et les professions libérales pour les amener à s'occuper de politique et à poser leur candidature. Et ce sera encore plus difficile tant que nous continuerons à donner l'impression que nous avons besoin de saints qui endossent tous les matins leur chemise de crin.
Beaucoup de gens me disent qu'ils ont le sens du devoir public et qu'ils souhaitent que le système fonctionne, mais plus nous voulons placer les titulaires de charges publiques dans un carcan, moins la politique attirera ces gens. Quand je lis les propositions dont nous sommes saisis, je me demande si l'adoption de ce code signifierait qu'un professeur qui enseigne à temps partiel dans une université qui reçoit des subventions gouvernementales se trouverait dans une situation de conflit d'intérêts. Si c'est le cas, c'est une vraie plaisanterie.
Je crois que M. Wilson a soulevé un point intéressant, tout comme le sénateur Milne. J'aborde ce même point sous un angle différent. Que ce soit le monde culturel, le monde universitaire, le monde professionnel ou le monde des affaires, le point essentiel ici, c'est la transparence. Il faut que tout le monde soit au courant, que ce soit un livre ouvert. La situation est différente dans le cas des ministres. J'en sais quelque chose. Toutefois, personne ne vous menace de vous faire sauter la cervelle si vous n'acceptez pas un poste au Cabinet. Par conséquent, si vous acceptez, vous devez vous plier à certaines exigences. C'est un petit sermon — le mot est peut-être un peu trop fort, je devrais plutôt dire une confidence — auquel je vous invite à répondre si vous en avez envie. Si vous préférez ne pas répondre, je comprendrai très bien.
Mme O'Hara: Comme je l'ai déjà dit, c'est un domaine sur lequel nous espérons que le comité formulera des recommandations. Entre-temps, je pourrais peut-être prendre contact avec mon collègue, M. Wilson, pour examiner ses préoccupations au sujet de ces articles.
[Français]
Le sénateur Pépin: Ma question rejoint celle du sénateur Joyal qui faisait état de toutes les difficultés qu'un commissaire à l'éthique rencontrerait avec les membres du Sénat et de la Chambre des communes qui utilisent deux registres différents.
Le commissaire ferait tout ce travail à l'intérieur d'un mandat d'une durée de cinq ans. Avec tous ces parlementaires et deux registres indépendants, le commissaire ne serait efficace qu'après la troisième année et son mandat, au bout de cinq ans, ne serait plus renouvelable.
Ne pensez-vous pas que la durée du mandat est un peu courte?
[Traduction]
Mme O'Hara: Vous soulevez deux très bons points. Comme quelqu'un l'a déjà mentionné, l'intention était d'essayer de suivre le cycle électoral. On a déjà parlé des raisons pour lesquelles cela ne conviendrait pas au Sénat. Vous venez de mentionner un autre problème de cette durée particulière. C'est un domaine dans lequel les dispositions proposées s'écartent du rapport Milliken-Oliver qui, comme vous le dites, recommandait un mandat renouvelable de sept ans.
La présidente: C'est un argument valide, parce qu'un mandat de cinq ans est très proche de la durée d'une législature. Si le commissaire était remplacé tous les cinq ans, un nouveau commissaire commencerait à s'occuper d'un nouveau groupe de députés. Ce serait le chaos. La durée du mandat est importante.
Le sénateur Rompkey: Je veux parler de la question de la divulgation par les conjoints. Quand John Crosbie faisait partie du Cabinet, je me rappelle que cette question avait été soulevée. Jane Crosbie, son épouse, n'avait pas alors repris les paroles de Sheila Copps qui, dans un autre contexte et un autre lieu, avait déclaré qu'elle n'était le «bébé» de personne. Jane a admis qu'elle était le «bébé» de John, mais que cela ne l'empêchait pas du tout d'être parfaitement indépendante. Elle avait sa propre vie et sa propre carrière et ne voulait en aucune façon être associée à la divulgation de John.
Vous avez dit que la divulgation par les conjoints n'était ni nécessaire ni souhaitable. Vous préciserez probablement que cette affirmation se base sur le rapport Milliken-Oliver.
Mme O'Hara: Non.
Le sénateur Rompkey: Elle n'est donc pas basée sur le rapport? Le comité de la Chambre des communes a dit que tout régime applicable aux députés devrait comprendre un système de divulgation par les conjoints. M. Wilson vient de nous dire que les conjoints aiment l'idée de la divulgation, qui serait même avantageuse pour eux ou elles.
Je voudrais que vous nous parliez des avantages et des inconvénients de cette divulgation. Est-elle, oui ou non, avantageuse pour nous?
Mme O'Hara: Je ne saurais pas vous dire si elle est avantageuse ou non. Comme vous l'avez mentionné, le gouvernement propose un avant-projet de loi ne prévoyant pas de divulgation de la part des conjoints. C'est l'un des rares points sur lesquels nous nous écartons des propositions Milliken-Oliver.
M. Wilson a dit que cela n'avait pas occasionné de difficultés pour lui. Je crois savoir que ses homologues des provinces sont du même avis. Cette disposition ne semble pas causer de problèmes.
En présentant un avant-projet de loi dans sa forme actuelle, nous nous attendions à ce que ce soit l'un des aspects qui feraient l'objet d'un examen très serré de la part de la Chambre et du Sénat. C'est bien ce qui se passe, je crois.
Pour ma part, je serais très heureuse de recevoir les recommandations de la Chambre et du Sénat à ce sujet.
Le sénateur Rompkey: Pour moi, la question n'est pas de savoir si la divulgation occasionne des difficultés, est avantageuse ou est trouvée satisfaisante. C'est plutôt une question de droits. C'est d'ailleurs sur cette base que nous devrions l'aborder puisque ce code constitue des règles à suivre. Nous venons de changer le nom de notre comité afin d'y inclure le mot «droits». Nous parlons des droits des parlementaires. Peut-être devrions-nous également parler des droits des conjoints des parlementaires.
La présidente: L'avant-projet de loi dont nous sommes saisis exclut les conjoints, mais je crois savoir que le comité de l'autre endroit discute beaucoup de cette question et envisage en fait d'inclure les conjoints. La solution intermédiaire consisterait à inclure le même genre de divulgation qu'on demande aux conjoints des ministres. Je pense que ces conjoints doivent divulguer leurs avoirs au commissaire, mais que la liste n'est jamais rendue publique.
Mme O'Hara: Je pense aussi que la Chambre examine cette question et qu'elle s'interroge sur la définition de la divulgation par les conjoints. Comme vous le dites, il serait possible d'adopter l'approche qui s'applique aux conjoints des ministres.
[Français]
Le sénateur Pépin: Si une épouse ou une conjointe fait une déclaration au commissaire qui juge qu'elle est en conflit d'intérêts. Est-ce elle ou le parlementaire qui va venir défendre ses propres intérêts?
[Traduction]
Mme O'Hara: Non, ce serait le parlementaire. M. Wilson est probablement le mieux placé pour parler de ce qui s'est fait dans le passé, mais le code s'applique aux parlementaires.
[Français]
Le sénateur Pépin: Si c'est elle qui est prise en défaut, elle devrait au moins accompagner le parlementaire et venir s'expliquer car cela la concerne. Si j'ai un mari ou un conjoint, j'aimerais bien être capable de m'exprimer surtout si c'est moi qui est en conflit.
[Traduction]
La présidente: Le conjoint ne serait pas en situation de conflit d'intérêts parce qu'il n'a aucun rapport avec le Parlement. C'est la personne élue ou nommée qui aurait le conflit d'intérêts. Je crois que les provinces contournent cet obstacle en chargeant le député provincial de s'occuper de la divulgation au nom de son conjoint.
Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Stratton: Je vois une difficulté quand nous parlons d'un seul commissaire qui aurait à s'occuper de quelque 300 députés et d'une centaine de sénateurs. Il me semble évident que la domination de la Chambre serait telle que les observations du Sénat n'auraient aucun poids. Cet aspect me préoccupe car nous abordons les différents sujets sous des angles différents et avec des philosophies différentes.
Que feriez-vous pour surmonter ce problème? J'ai posé la même question à M. Wilson en privé, mais il n'a pas pu répondre. Il ne savait pas comment régler ce problème de domination de la Chambre dans un rapport de trois à un. Avez-vous une opinion à ce sujet?
Mme O'Hara: En fait de domination, la situation serait pire en réalité puisque la même personne aurait également à s'occuper de plus de 3 000 titulaires de charges publiques. Le Sénat serait effectivement le plus petit des trois groupes dont le commissaire serait responsable. Je crois que cette discussion a démontré qu'il serait difficile pour le commissaire à l'éthique de trouver un équilibre satisfaisant.
Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à la question de la divulgation par les conjoints qui suscite d'importantes questions reliées à la Charte. Nous avons modifié notre approche. Sur le plan des avoirs, le mari ne domine plus sa femme. Comme vous le savez, cette notion était présente dans le Code civil du Québec pendant des siècles. La situation est maintenant très différente: les deux partenaires sont égaux devant la loi, tant qu'ils sont légalement mariés.
Toutefois, la Cour suprême a rendu en janvier une décision dont vous devriez prendre connaissance pour en discuter avec nous plus tard. Dans une affaire concernant la Nouvelle-Écosse, je crois, la Cour a statué que les couples vivant en union de fait ne peuvent pas prétendre aux mêmes droits que les couples légalement mariés. Je trouve cela sensé.
Quand, en qualité de citoyen, je décide de me marier légalement, je proclame que la personne que j'épouse est la personne à qui je veux unir ma vie. Cet engagement est pleinement sanctionné par la loi. Par ailleurs, quand je décide de vivre en concubinage, la situation est différente. La Cour suprême l'a reconnu. Je n'ai alors ni les mêmes droits ni les mêmes obligations qu'en cas de mariage légal. Cela est assez clair.
Il y a un corollaire à cela: si l'on vit avec un partenaire du même sexe, on ne peut pas, pour le moment, être légalement marié avec ce partenaire.
Pour moi, cela est important car, dans la vie d'un parlementaire, les choses changent. Quelqu'un qui est marié peut divorcer et vivre en concubinage, ou encore quelqu'un qui vit en concubinage peut se marier. Les parlementaires ne sont pas différents des autres citoyens. Ils reflètent parfaitement la société canadienne à tous les égards.
Je crois que la question de la divulgation par les conjoints devrait tenir compte de ce fait. On s'attend à ce que les législateurs demeurent au-dessus de tout soupçon. S'ils tentent de cacher quelque chose, je crois que les articles 26 et 11 à 14 du projet de code abordent le problème d'une façon contemporaine, en établissant qu'on ne peut pas faire indirectement ce qu'on n'est pas censé faire directement.
Il n'y a aucun doute que si un député, un sénateur ou un ministre tente de cacher quelque chose ou de faire profiter son partenaire de quelque chose, il commet un acte répréhensible, indépendamment d'éventuelles obligations relatives à la déclaration des avoirs du conjoint.
Je crois qu'il existe un moyen de rassurer le public tout en reconnaissant le contexte particulier dans lequel nous vivons. Comme le sénateur Pépin l'a dit, les relations entre conjoints se caractérisent aujourd'hui par l'égalité. La Charte consacre l'égalité des sexes, qui doit se refléter adéquatement dans la façon dont les Canadiens décident de s'unir et la forme qu'ils veulent donner à leur union avec une autre personne.
La présidente: Il serait utile que Mme O'Hara fournisse au comité, par écrit, des suggestions sur cette question précise. Elle est très importante. Vous avez parfaitement raison, sénateur Joyal, de dire que cette décision sera difficile à modifier. Elle était d'ailleurs fort bien rédigée.
Le sénateur Joyal: Il serait également utile de définir le terme «conjoint».
La présidente: Comment pourrions-nous élargir la définition du conjoint? Il n'y a pas de doute que, dans une union de fait, le partenaire peut avoir la même influence que dans ce qu'on appelle aujourd'hui un mariage.
Mme O'Hara: Nous serons heureux de le faire. Comme le sénateur l'a mentionné, c'est clairement un sujet que nous devrons approfondir dans le projet de loi.
La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions, je vais céder la parole à notre légiste et conseiller parlementaire, M. Audcent.
M. Mark Audcent, légiste et conseiller parlementaire, Sénat du Canada: Honorables sénateurs, je vais commencer par vous rappeler les éléments essentiels de notre dernière discussion. Dans cette affaire, mon rôle fondamental consiste à vous expliquer le régime actuel. C'est dans ce domaine que j'ai des connaissances spécialisées.
Je vous ai dit que j'étais en faveur d'une réforme du régime actuel, qui ne vous sert plus d'une façon adéquate. Je vous ai également dit que, si vous adoptez un nouveau régime, vous devez vous débarrasser de l'ancien. J'ai été heureux d'entendre M. Wilson convenir avec moi que vous devriez vous débarrasser des articles 14 et 15 qui vous sont proposés. J'ai en outre été heureux qu'il donne suite à l'invitation que je vous avais faite de reproduire l'article 14 dans le code de déontologie interne, cette disposition étant reprise dans différentes règles dans des termes différents. Je vous ai dit que c'était peut-être trop. De mon côté, je vous avais invité à étudier cette question. Je suis donc heureux de son appui.
M. Wilson n'a pas proposé comme moi la suppression de l'article 16 de la Loi sur le Parlement du Canada. Il n'a pas préconisé non plus que les parlementaires soient soustraits à l'application des articles 121 et 122 du Code criminel. Cela ne modifie en rien la recommandation que je vous ai faite. Il a dit que l'intérêt public impose la présence de ces dispositions. Je ne m'oppose pas du tout à ces interdictions; c'est l'endroit où elles figurent qui me dérange. Pourquoi auriez-vous besoin de cette interdiction dans la Loi sur le Parlement du Canada? Si vous avez un nouveau code, pourquoi ne pas y faire figurer l'interdiction et ne pas recourir aux mécanismes de ce code pour l'appliquer? Je ne crois pas que M. Wilson et moi soyons en désaccord. Je n'avais peut-être pas expliqué clairement que je m'opposais non à l'interdiction, mais à l'endroit où elle se trouve. Vous aurez deux régimes aux termes desquels vous devrez rendre des comptes à un commissaire à l'éthique pour l'un et aux tribunaux, pour l'autre. Je ne vois pas pourquoi cela est nécessaire.
Mon opposition aux articles 121 et 122 du Code criminel est due au fait qu'à mon avis, la loi a été dénaturée dans le sens que vous n'avez jamais été considérés comme des fonctionnaires. M. Wilson a affirmé que, dans la dernière décision rendue dans l'affaire Cogger, la cour a conclu que vous êtes des fonctionnaires. Cela avait été suggéré dans Giguère. Je vous exhorte à examiner la politique et son historique, puis à vous demander: «Était-ce là l'intention de nos prédécesseurs parlementaires?» Si vous convenez avec moi que telle n'était pas l'intention de vos prédécesseurs et que cela ne sert pas l'intérêt public, pourquoi permettriez-vous que ces dispositions continuent à s'appliquer à vous? Cela occasionne toutes sortes de difficultés.
C'était un rappel de mon exposé initial.
Au cours de la période de questions qui a suivi cet exposé, nous avons parlé de l'application du régime existant aux conjoints. J'ai essayé de rafraîchir ma mémoire à ce sujet. Je voudrais donc attirer votre attention sur l'arrêt Angrignon c. Bonnier rendu par la Cour suprême du Canada en 1934. Les règles régissant la Ville de Montréal étaient semblables à notre article 14 actuel. M. Angrignon était conseiller municipal à Montréal. Ayant fait le projet de louer une propriété qu'il possédait au chef de la police, il a cédé son bien à sa fille après l'avoir hypothéqué pour le plein prix d'achat. Ensuite, la fille a signé un bail avec la ville, puis s'est servi des chèques de loyer pour rembourser le prêt hypothécaire.
D'après les règles applicables, le conseiller municipal n'avait pas le droit d'être directement ou indirectement partie à un contrat ou d'avoir directement ou indirectement un intérêt dans un contrat avec la ville. Comme vous pouvez le voir, l'interdiction était très semblable à la nôtre.
La Cour a donné tort au conseiller municipal parce qu'il était directement ou indirectement intéressé au bail entre sa fille et la ville. La Cour a statué que ces mots n'avaient pas un sens technique. Dans votre cas, l'interdiction dit «mêlé» tandis que dans l'autre, c'était «intéressé», mais, en gros, cela revient au même.
La Cour a conclu que la vente à la fille était réelle et non simulée, mais que le conseiller municipal avait un intérêt car, de concert avec sa fille, il était entendu que les chèques de loyer serviraient à payer les versements du prêt hypothécaire représentant la dette qui lui était due et qui représentait donc son intérêt.
Il y a plusieurs enseignements à tirer de cette décision. Vous pouvez avoir un intérêt dans un contrat par l'intermédiaire d'une fille ou d'un membre de la famille — comme un conjoint B, mais il est probable qu'il faut quelque chose de plus que le lien de parenté. Dans le cas du conseiller municipal, on lui reprochait non la participation de sa fille, mais le fait qu'il avait une entente avec sa fille. Il faut donc un peu plus que le lien de parenté.
Cela soulève la question de l'intérêt du conjoint. Les lois sur la propriété varient d'une province à l'autre, mais il semble exister un principe général selon lequel on a un intérêt virtuel dans les biens du conjoint, sans avoir un intérêt réel, pendant la durée du mariage. Cela soulève la question de savoir jusqu'où va cet intérêt.
Enfin, il y a la question du double lien indirect. Si vous êtes intéressé à quelque chose par l'entremise de votre conjoint et que votre conjoint est intéressé aux contrats d'une société, peut-on dire que vous avez un intérêt dans les contrats de cette société?
Comme vous le voyez, j'ai plus de questions que de réponses. Je ne saurais pas vous indiquer où trouver ces réponses. Je peux simplement vous signaler la jurisprudence et mettre en évidence les points sur lesquels les sénateurs doivent user de leur jugement dans le régime actuel.
Vous avez également soulevé la question du privilège parlementaire. Je peux vous citer quelques précédents à ce sujet. Il y a d'abord un cas britannique qui remonte à 1990, l'affaire Rost c. Edwards and Others, de la Division du banc de la Reine. Dans ce cas particulier, un député poursuivait un journal, alléguant qu'il avait perdu une occasion de devenir membre et président d'un comité par suite d'un article du journal. Le tribunal a statué que les nominations faisaient partie de la procédure interne du Parlement et qu'il n'était pas habilité à les examiner. Nous savons donc que cet aspect fait partie des privilèges. Le tribunal a également soutenu que les listes mentionnant les intérêts des députés ne s'inscrivaient pas dans la définition des «délibérations du Parlement». Quand elles ne sont pas utilisées à une fin particulière, les listes en soi ne sont pas couvertes par le privilège.
Dans l'avant-projet de loi qui vous a été présenté, il y a une disposition qui dit que le côté parlementaire des fonctions du commissaire à l'éthique «s'effectue dans le cadre de l'institution du Parlement». Vous devrez vous demander si ce libellé vous convient. Ne perdez pas de vue que les privilèges, immunités et pouvoirs appartiennent non au Parlement, mais aux deux Chambres. Par conséquent, est-ce que l'expression «dans le cadre de l'institution du Parlement» s'applique dans le cadre de la Chambre qui s'appelle le Sénat? C'est une question à se poser.
Dans l'affaire Lane, second précédent sur lequel je veux attirer votre attention, la Cour d'appel fédérale révisait la décision d'un tribunal des droits de la personne concernant des électeurs handicapés. Le tribunal avait affirmé que le directeur général des élections du Canada était un employé du Parlement et que ses actions étaient protégées par le privilège de la Chambre des communes. Pour sa part, la cour d'appel a soutenu que le directeur général des élections était issu d'une loi et non d'un privilège: elle a établi en particulier un parallèle avec le Président de la Chambre et le sergent d'armes, qui sont associés aux rouages internes de la Chambre des communes. Par conséquent, vous avez une liste de hauts fonctionnaires du Parlement qui comprendrait le vérificateur général et le directeur général des élections. Toutefois, ces deux derniers font-ils partie de la même catégorie que le greffier, le légiste et conseiller parlementaire ou le sergent d'armes, qui sont eux aussi de hauts fonctionnaires des Chambres? La réponse dépend de la différence qui existe entre «Parlement» et «Chambre». C'est donc une autre décision que le comité voudra peut-être examiner.
Le cas Tafler est également porté à votre attention dans la documentation. C'est une affaire de la Colombie- Britannique, dans laquelle des particuliers ont demandé à la cour de leur accorder l'accès à une enquête sur le premier ministre provincial menée par le commissaire aux conflits d'intérêts. D'après la loi applicable, le commissaire est un haut fonctionnaire de l'assemblée législative provinciale. Il y a lieu de noter la différence entre un haut fonctionnaire d'une assemblée dans un système monocaméral et le même fonctionnaire dans un système bicaméral. En effet, si vous êtes haut fonctionnaire de l'assemblée, vous êtes directement associé à ses privilèges. Selon la loi applicable, le commissaire relevait de l'assemblée législative. De ce fait, la décision relative à la question de savoir s'il convenait de soumettre un membre de l'assemblée à des sanctions disciplinaires était assujettie au privilège et n'était donc pas susceptible de révision judiciaire.
Deux derniers cas sont également portés à votre attention. Les deux viennent des Territoires du Nord-Ouest et, assez curieusement, les deux ont été examinés par le même juge. Il s'agit des affaires Morin et Roberts.
Dans la première, M. Morin demandait un contrôle judiciaire, contestant les mesures prises par la commissaire aux conflits d'intérêts pour manquement à la justice naturelle. La commissaire a soutenu que la cour n'avait pas juridiction parce que les mesures en question étaient protégées dans le cadre du privilège conféré à l'assemblée législative. La cour a accepté l'argument, jugeant que le rôle de la commissaire était un prolongement du droit de l'assemblée législative d'imposer des sanctions disciplinaires à ses membres et échappait donc à la compétence des tribunaux. Toutefois, dans l'affaire Roberts, c'est la nomination de la commissaire qui était en cause. Dans ce cas, la cour a jugé que la nomination, prévue dans la loi, pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire et que la commissaire avait droit à la justice naturelle.
Je n'ai fait qu'effleurer ces affaires. De toute évidence, il faut lire les décisions et en analyser tous les détails. Je voulais cependant attirer l'attention du comité sur tous ces précédents pour que vous puissiez les examiner selon les besoins.
Le sénateur Rompkey: Certains d'entre nous connaissent mieux que d'autres la Loi sur le Parlement du Canada et le Code criminel. Est-ce que M. Audcent pourrait passer en revue les articles pertinents de la Loi sur le Parlement du Canada et du Code criminel qui devraient être conservés ou supprimés, et nous donner une brève description de chacun? Est-ce que ce serait utile pour le comité? Il pourrait le faire verbalement, d'une façon très brève, puis nous présenter un document à ce sujet.
M. Audcent: L'article 14 de la Loi sur le Parlement du Canada interdit à tout sénateur d'être partie à un contrat avec le gouvernement ou d'y être mêlé d'aucune autre façon. L'article 15 est une mesure corrélative. Les deux articles doivent être abrogés, et je suis d'accord qu'ils le soient. Toutefois, ils sont repris en termes légèrement différents dans le code de déontologie.
Il y a une décision de politique à prendre ici. J'essaie de ne pas déborder ce cadre mais, dans mon dernier exposé, je vous avais invité à vous demander s'il convenait de vous interdire toute participation à un contrat avec le gouvernement. Après tout, au XXIe siècle, le gouvernement étend partout ses tentacules. J'ai souligné que tout contrat avec le Sénat devrait vous être interdit, mais que vous devriez pouvoir envisager de traiter avec le gouvernement dans certaines circonstances. M. Wilson a dit aussi que vous pourriez souhaiter le faire. Voilà pour les articles 14 et 15 de la Loi sur le Parlement du Canada.
L'article 16 de la même loi vous interdit en substance de vendre vos services en qualité de parlementaires. Il est clair que vous ne devez pas le faire. Toutefois, j'étais d'avis que cet article devait être abrogé. Si vous essayez de vendre vos services, à titre de parlementaires, dans une intention de corruption, un tel agissement tomberait sous le coup de l'article 119 du Code criminel. S'il n'y avait pas intention de corruption, alors une disposition du code de déontologie devrait suffire. Ce qu'il faut éviter, c'est que cette interdiction figure dans le Code criminel, la Loi sur le Parlement du Canada et le code de déontologie, vous exposant à être jugés en fonction de valeurs et de critères différents par trois catégories différentes de personnes qui connaîtraient ou ne connaîtraient pas le Parlement. À mon avis, il faudrait abroger l'article 16 et inscrire l'interdiction dans votre nouveau code de déontologie.
Je suis d'accord que l'article 119 du Code criminel devrait être maintenu. L'article interdit la corruption dans l'exercice des fonctions officielles. Tout le monde serait d'accord. L'article 119 est parfaitement raisonnable.
Les articles 121 et 122 du Code criminel s'appliquent aux fonctionnaires. Il n'y a rien de mal à cela tant qu'ils s'appliquent aux fonctionnaires. Le problème, c'est que les tribunaux ont tranché un certain nombre de cas en aboutissant à la conclusion que les sénateurs sont des fonctionnaires. Or vous ne l'êtes pas, comme l'a affirmé le juge de première instance dans l'affaire Cogger. Comme résultat, vous êtes assujettis à une série de dispositions d'interdiction qui s'adaptent mal à vos fonctions et encore moins au code de déontologie envisagé. Je crains fort que les tribunaux n'aillent dans une certaine direction dans leur interprétation de l'article 121 du Code criminel et que le commissaire à l'éthique n'aille dans une toute autre direction dans l'interprétation de votre conduite en fonction du code. Les résultats ne seraient donc pas les mêmes.
Le sénateur Rompkey: Proposez-vous de modifier le Code criminel? Si c'est le cas, devons-nous en prendre l'initiative?
M. Audcent: Vous êtes saisis d'un avant-projet de loi. Par conséquent, vous n'êtes pas limités par le principe. J'aimerais voir une modification de la définition de «fonctionnaire» à l'article 118 du Code criminel qui exclurait les parlementaires et les juges, que le législateur n'a jamais eu l'intention d'inclure.
La présidente: Je rappelle aux sénateurs que c'est un avant-projet de loi. Nous pouvons donc proposer tout ce que nous voulons.
Le sénateur Joyal: Comme M. Audcent l'a dit, il pourrait y avoir conflit d'interprétation qui assujettirait les sénateurs à deux ensembles différents de règles.
Si nous voulons que le public accepte un tel amendement, nous devons expliquer clairement que l'intérêt public sera protégé adéquatement si nous modifions les articles 121 et 122 du Code criminel pour exclure les parlementaires, c'est- à-dire les sénateurs et les députés. Autrement, nous aurions l'air de nous donner nous-mêmes des tapes dans le dos en faisant une bonne chose d'un côté, puis en essayant d'obtenir une position privilégiée de l'autre. Nous devons être très prudents dans la façon de présenter cela au public.
La présidente: Nous pouvons proposer n'importe quoi. Nous devons cependant nous montrer très persuasifs pour que le gouvernement nous écoute et accepte d'envisager la modification de ces articles.
M. Audcent: Voici un exemple des préoccupations que j'ai. L'alinéa 121(1)c) vous interdit, à titre de fonctionnaires, de recevoir un avantage de quiconque a des relations d'affaires avec le gouvernement. La disposition précise ensuite qu'elle s'applique à moins que vous n'ayez obtenu par écrit le consentement du chef de la division du gouvernement qui vous emploie. Je vous ai demandé, tout comme le juge de première instance dans l'affaire Cogger, qui est le chef de la division du gouvernement qui emploie les sénateurs? Vous ne pouvez pas obtenir un tel consentement. L'article vous interdit de recevoir un avantage de quiconque a des relations d'affaires avec le gouvernement. Tant les juges majoritaires que les juges dissidents ont convenu que vous pouviez accepter une tasse de café. Certains ont dit que vous pouviez aller jusqu'à accepter un déjeuner à l'occasion, mais pas plusieurs déjeuners de suite.
Je passe au projet de code de déontologie qui précise que les cadeaux d'une valeur de plus de 250 $ doivent être déclarés, ce qui implique qu'on peut les accepter. Il précise que les voyages doivent être déclarés, ce qui implique que vous pouvez prendre un vol avec le billet de quelqu'un d'autre. Si les gens en cause ont des relations d'affaires avec le gouvernement et que le code vous impose de déclarer ces avantages, tout le monde le saura. En même temps, le fait de recevoir un avantage constitue automatiquement une infraction criminelle en vertu du Code criminel.
J'aurais de la difficulté à accepter deux systèmes parallèles. J'aimerais bien que vous ayez un nouveau système, avec de nouvelles règles qui maintiendront l'honorabilité et la réputation de votre institution, mais vous devez vous débarrasser des vieilles règles.
Le sénateur Joyal: Ma question porte sur un autre aspect soulevé par notre légiste. Toutefois, si mes collègues veulent poser des questions sur les articles 121 et 122 du Code criminel ou sur les articles 14 et 15 de la Loi sur le Parlement du Canada, ils feraient peut-être mieux de les poser d'abord.
La présidente: M. Audcent a dit que c'était déjà prévu dans le Code criminel et qu'il faudrait donc supprimer ces dispositions ailleurs.
Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir à cette question de privilège.
Je crois que vous avez dit clairement que le commissaire à l'éthique ne serait pas un haut fonctionnaire du Parlement. À mon avis, il ne devrait pas l'être, du moins pas dans le sens classique, parce qu'il ne serait pas un agent de la Couronne et ne conseillerait pas la Couronne. L'article 17 de la Loi constitutionnelle est ainsi libellé:
Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d'une chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes.
Par conséquent, le Parlement du Canada comprend trois éléments.
Dans le contexte de l'avant-projet de loi, le commissaire à l'éthique ne devrait pas être assimilé à la définition traditionnelle d'un agent de la Couronne. À mon avis, par rapport au Sénat, il devrait être un haut fonctionnaire du Sénat, au même titre que le greffier du Sénat. Il est essentiel qu'il soit strictement responsable envers le Sénat, et non envers l'ensemble du Parlement. Je crois que la distinction est très importante.
Si nous voulons que les sénateurs continuent de ne relever que d'autres sénateurs, le statut du commissaire à l'éthique doit être clair. Il serait facile de dire qu'il doit s'agir d'un haut fonctionnaire du Parlement comme le vérificateur général, qui est au-dessus de tout soupçon, est neutre et objectif, est investi de pouvoirs d'enquête et rend compte au Parlement. À mon avis, cependant, le commissaire à l'éthique que nous devrions envisager devrait rendre compte de son activité au Sénat, mais non à l'autre endroit. Je n'ai pas à connaître le rapport du commissaire à l'éthique concernant la Chambre des communes. Je crois que les sénateurs devraient contrôler l'éthique du Sénat, tout comme les députés devraient contrôler leur propre éthique. Cette distinction est très importante. Ce n'est pas du tout un jeu de mots. Les conséquences juridiques sont considérables.
M. Audcent: Je ne crois pas avoir dit que, dans l'avant-projet de loi, le commissaire à l'éthique ne serait pas un haut fonctionnaire du Sénat. Le ministre vous a dit que ce serait le cas.
Je me souviens d'avoir fait pour un comité une recherche dans la base de données électroniques des lois, il y a quelques années, et de ne pas avoir trouvé l'expression «haut fonctionnaire du Parlement». C'est une expression que nous utilisons, mais qui ne figure pas dans les lois. Elle a peut-être été inscrite une ou deux fois depuis que j'ai fait cette recherche, mais, d'une façon générale, elle est absente. Tout dépend de la façon d'envisager la question. Le ministre vous a dit que le commissaire serait considéré comme un haut fonctionnaire du Parlement.
La question est la suivante: que voulez-vous obtenir par rapport à ce qui est proposé? Le gouvernement a présenté une proposition. Le sénateur Joyal est d'avis que le commissaire à l'éthique ne devrait être responsable qu'envers le Sénat.
De toute évidence, le rapport du commissaire serait présenté aux deux Chambres. Par conséquent, le commissaire servirait l'exécutif, le Sénat et la Chambre des communes. Vous devez décider si vous voulez qu'il serve à la fois l'exécutif et les deux Chambres. C'est la première étape.
Ensuite vient la seconde. Voulez-vous que le même commissaire serve les deux Chambres? C'est un choix à faire.
Le rôle éducatif du commissaire à l'éthique est un aspect du code proposé que nous n'avons pas examiné. Cela me fait penser au projet de loi du sénateur Kinsella sur la dénonciation des actes répréhensibles, parce qu'on avait alors insisté sur le rôle éducatif du fonctionnaire envisagé dans ce cas. Si nous avons un commissaire à l'éthique dont la principale fonction est de parler aux Canadiens de l'éthique du Parlement, de promouvoir l'éthique et de faire des recherches, et dont la fonction de contrôle des deux Chambres serait déléguée à deux commissaires adjoints, responsables l'un du Sénat et l'autre, de la Chambre, nous aurions un système qui pourrait fonctionner sur le plan administratif.
Toutefois, à titre de haut fonctionnaire du Sénat, j'ai clairement un préjugé en ce qui concerne le fonctionnement interne de cette institution. La proposition du sénateur Joyal — qui préconise que chacune des deux Chambres ait son propre commissaire interne à l'éthique — représente une option que vous devriez envisager. Si la nomination est faite de façon interne et que le rôle du commissaire se limite au Sénat, cette option présente l'avantage que le commissaire travaillerait pour vous et uniquement pour vous. Il travaillerait dans votre intérêt, veillant à la protection de votre Chambre. Vous saurez en même temps que le commissaire travaille dans un environnement protégé par le privilège parlementaire, et que vous contrôlez vous-même, de la même façon que vous contrôlez mon poste.
Le sénateur Joyal: J'ai une autre question.
La présidente: J'ai moi aussi une question supplémentaire. Y a-t-il une raison quelconque pour laquelle nous ne pourrions pas proposer que le projet de loi désigne expressément le commissaire à l'éthique comme haut fonctionnaire du Parlement? Ainsi, on augmenterait les chances que le commissaire, ses activités et ses décisions soient protégés par le privilège parlementaire, ce qui assurerait la protection des sénateurs. Êtes-vous d'accord?
M. Audcent: Je sais que l'avant-projet de loi tente de régler ce problème en disant que, dans l'exercice de ses fonctions relatives aux parlementaires, le commissaire agit dans le cadre de l'institution du Parlement. J'interprète cette disposition comme voulant dire que, lorsqu'il s'acquitte de ses fonctions au Parlement, le commissaire est réputé exercer des fonctions parlementaires.
La présidente: Toutefois, au sujet des fonctions exercées dans le cadre de l'institution du Parlement, vous venez de nous dire que cette institution n'existe pas vraiment, contrairement à chacune des deux Chambres du Parlement.
M. Audcent: C'est exact. La question qui se pose, madame la présidente, est donc de savoir ce que signifie l'expression «dans le cadre de l'institution du Parlement». L'expression est ambiguë. Quand un événement se produit dans le cadre du Sénat, on pourra sûrement dire qu'il est survenu dans le cadre de l'institution du Parlement. Pourtant, une chose peut se produire dans le cadre de l'institution du Parlement sans nécessairement se situer dans le cadre du Sénat. Il serait préférable de dire qu'une chose s'est produite dans le cadre de l'institution du Sénat pour le Sénat et dans le cadre de l'institution de la Chambre des communes pour la Chambre des communes.
Le sénateur Joyal: En parlant de privilège parlementaire, vous avez mentionné deux cas des Territoires du Nord- Ouest, les affaires Morin et Roberts, dans lesquelles les décisions ont été rendues par le même juge. Vous avez dit que dans l'affaire Morin, le juge a abouti à la conclusion que le rôle du commissaire à l'éthique, tel que défini dans les règles, n'était pas susceptible de contrôle judiciaire. Le même juge a statué que la nomination du commissaire, ayant été inscrite dans une loi, pouvait être contrôlée par un tribunal.
La distinction est importante. L'une des principales décisions que nous devons prendre, comme Chambre du Parlement, est de déterminer où tirer la ligne pour ce qui est du rôle des tribunaux dans le contrôle de l'éthique des sénateurs.
Comme l'a proposé le rapport Oliver-Milliken, la nomination du commissaire à l'éthique ou du jurisconsulte devrait se situer dans le cadre des deux Chambres, de façon que la responsabilité demeure au Sénat et à la Chambre des communes.
Dès que nous aurons légiféré au sujet de la nomination du commissaire, l'interprétation faite dans l'affaire Roberts prévaudra. Par contre, si nous l'inscrivons dans nos statuts internes, c'est-à-dire dans le Règlement du Sénat, nous demeurons maîtres de la situation. À quelle date a été rendue la décision Roberts qui appuie cette position?
M. Audcent: La décision Roberts a été rendue en 2002. L'affaire se basait sur une disposition établissant que la nomination du commissaire pouvait être révoquée pour incapacité ou pour un autre motif déterminé. L'avant-projet de loi dont vous êtes saisis prévoit que le commissaire exerce ses fonctions à titre inamovible. Les deux dispositions semblent proches. Il est probable que les tribunaux s'intéresseront à la décision Roberts s'ils ont des doutes au sujet de la nomination du commissaire.
La présidente: J'ai cru comprendre que le point essentiel dans Roberts n'était pas de savoir s'il y avait ou non une disposition législative, mais de déterminer si une disposition législative avait été respectée. N'est-ce pas le cas?
M. Audcent: Si j'ai bien compris, il s'agissait dans l'affaire Roberts d'une personne qui a été renvoyée, puis qui s'est adressée aux tribunaux. Le juge a décidé qu'il était habilité à examiner l'affaire parce que la nomination de la personne en cause était prévue dans une disposition législative. La décision n'aurait pas été la même si la nomination avait été régie par un règlement interne de l'assemblée.
La présidente: J'ai ici une opinion venant de notre attaché de recherche de la Bibliothèque du Parlement, selon laquelle cela n'est pas tout à fait exact.
Le sénateur Joyal: Madame la présidente, je voudrais revenir à notre discussion de la semaine dernière sur ce point. Au sujet du privilège parlementaire, je crois que c'est le sénateur Stratton qui a mentionné la confusion qui existe chez les gens quand on parle de privilège. Les gens ont l'impression, quand nous parlons de privilège, que les parlementaires ont des droits que les autres n'ont pas, ce qui les place en fait au-dessus des lois.
Il est donc important de dire clairement ce que nous entendons par «privilège parlementaire». Il est également important que notre Chambre garde le contrôle de ses propres affaires. Cela est essentiel pour comprendre le problème. Notre légiste devait examiner l'affaire et nous présenter des observations. Peut-il nous donner son point de vue sur le sujet?
M. Audcent: J'ai devant moi un extrait de la décision Roberts. Le juge a dit:
Je crois qu'il est commode d'aborder ce sujet en posant les questions suivantes:
La deuxième question que le juge pose est:
La décision de l'Assemblée législative est-elle protégée par le privilège parlementaire?
Ma réponse est que la décision de l'Assemblée n'est pas protégée par le privilège. L'Assemblée législative a choisi de circonscrire le champ de son privilège par voie législative et, plus précisément, en prévoyant que le commissaire aux conflits d'intérêts est nommé pour un mandat de quatre ans révocable uniquement pour un motif déterminé ou pour cause d'incapacité.
J'interromps cette citation pour mentionner que l'avant-projet de loi dit, à cet égard, «à titre inamovible», expression qui, à mon avis, est équivalente.
Le sénateur Joyal: Voilà qui illustre ce point. Que devons-nous comprendre, à titre de Sénat, de Chambre du Parlement ou de Chambre autonome? L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 est ainsi libellé:
Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.
Pouvez-vous, pour les besoins de notre étude, nous expliquer en quoi consistent ces privilèges? Qu'entendons-nous par privilèges du Sénat dans le contexte de l'avant-projet de loi et dans le contexte de la Constitution?
M. Audcent: La Loi constitutionnelle définit vos privilèges, immunités et pouvoirs. Il y en a deux catégories: d'abord, les privilèges, immunités et pouvoirs de la Chambre, c'est-à-dire la Chambre des communes et le Sénat; ensuite, ceux de chacun des membres.
Il est intéressant de noter qu'au Canada, chacune des deux Chambres possède les privilèges, immunités et pouvoirs de la Chambre des communes du Royaume-Uni. Autrement dit, le Sénat n'a pas à se reporter à la Chambre des lords pour la définition de ses privilèges, immunités et pouvoirs, qui sont plutôt ceux de la Chambre des communes.
Comme ils figurent dans la Loi constitutionnelle, ces privilèges, immunités et pouvoirs sont de nature constitutionnelle, ce qui a été confirmé par les tribunaux dans l'affaire Donohoe. La Constitution dit que ces privilèges, immunités et pouvoirs sont prescrits par loi du Parlement du Canada. Les textes législatifs en question reprennent essentiellement le texte de la Constitution. La Loi sur le Parlement du Canada prévoit que les privilèges, immunités et pouvoirs seront ceux de la Chambre des communes du Royaume-Uni.
Le choix des mots n'est pas toujours très heureux. Souvent, lorsque les lois sont remaniées, nous en actualisons la langue parce que la langue évolue. Ce que nous entendons en réalité par «privilèges», ce sont les droits du Parlement. C'est le mot que nous aurions utilisé si le texte avait été écrit au XXIe siècle. Nous parlons aujourd'hui des droits des personnes handicapées, des droits de la personne, de nos droits démocratiques, etc.
Quand on dit «les droits du Parlement», tout le monde comprend immédiatement qu'il s'agit des droits et des pouvoirs dont les parlementaires ont besoin pour s'acquitter adéquatement de leurs fonctions. Il est parfaitement raisonnable qu'ils en jouissent. Le caractère raisonnable des privilèges est déterminé au moyen de ce qu'on appelle le critère de nécessité. Les privilèges évoluent par comparaison à ce critère.
Ce sont donc les droits dont vous avez besoin pour faire votre travail de parlementaires. Si vous n'en jouissiez pas, vous trouveriez difficile de vous acquitter de vos fonctions. L'absence de ces droits aurait sûrement des répercussions sur votre rendement et votre façon de travailler.
L'exemple qui me vient à l'esprit est votre droit à la liberté de parole, qui vous permet, à la Chambre, de dire ce que vous voulez sans craindre d'être poursuivis, car ce vous dites ne peut pas être contesté devant un tribunal ou à un autre endroit extérieur au Parlement. Le fait que vous puissiez parler sans crainte assure la qualité de votre débat.
Vous voyez donc que ce que désigne un terme désuet comme «privilèges» est en fait essentiel à l'exercice de vos fonctions, en qualité de sénateurs.
Le sénateur Stratton: L'affaire Cogger représente un problème pour moi parce que Cogger a été pris dans la définition de «fonctionnaire», puis a été par la suite exonéré. Les tribunaux sont très activistes, modifiant constamment l'interprétation des lois. Dans le cas présent, nous voulons définir nos droits et notre code de déontologie le plus soigneusement possible. Je trouve cependant odieux qu'après tout ce travail, quand nous aurons réussi à trouver une solution satisfaisante à notre avis, les tribunaux viendront tout changer, comme ils l'ont fait pour la définition de «fonctionnaire». Au fur et à mesure que l'interprétation de la langue change, les tribunaux pourraient modifier l'interprétation de notre code de déontologie. Je sais qu'il n'existe aucune garantie absolue à cet égard.
Comment surmonter ce malaise qui existera toujours tant que les tribunaux peuvent décider d'intervenir à leur guise en affirmant qu'ils ont le droit de le faire?
M. Audcent: Il nous arrive de nous attarder aux détails et de perdre de vue le tableau d'ensemble. En réalité, nous avons une excellente tradition de courtoisie institutionnelle dans notre système, aussi bien au Canada qu'au Royaume- Uni dont nous avons emprunté les usages. Notre système judiciaire manifeste un respect considérable pour l'indépendance du législatif et, réciproquement, l'appareil législatif montre un respect considérable pour l'indépendance du judiciaire. C'est dans ce contexte que nous devons placer la situation actuelle.
L'exemple des parlementaires qui sont assimilés à des «fonctionnaires» constitue l'exception qui confirme la règle. Cela s'est produit, et c'est très malheureux. Cet exemple remonte à une décision plus ancienne, dans l'affaire Martineau, qui mettait en cause un membre du Conseil législatif de la province de Québec. Plus tard, nous avons eu l'affaire Giguère. Même s'il n'a pas été condamné, le sénateur Giguère a été assimilé à un fonctionnaire. Ensuite, nous avons eu Cogger qui, lui, a été condamné.
Toutefois, c'est vraiment l'exception qui confirme la règle. Nous devons nous rendre compte que, d'une façon générale, les tribunaux respectent l'indépendance du Parlement et le Parlement respecte l'indépendance des tribunaux.
Le sénateur Stratton: Je ne suis toujours pas à l'aise quand je pense à Cogger.
Le sénateur Joyal: Partagez-vous l'avis des juges Létourneau et Rothstein sur la définition des privilèges et acceptez- vous la façon dont la cour est intervenue dans ce cas?
M. Audcent: Il n'y a pas de doute que l'affaire Vaid représente un autre défi pour le Parlement. Soutenir qu'il est loisible à un tribunal de contrôler l'exercice du privilège pour en vérifier le bien-fondé est contraire aux principes établis dans 15 ou 20 décisions judiciaires. Il faudra que je les compte et que je vois combien je peux vous en procurer. Une fois de plus, cependant, c'est l'exception qui confirme la règle. La courtoisie institutionnelle existe bel et bien, en dépit de la décision Vaid. Nous avons donc deux exceptions.
Le sénateur Joyal: La prise de sanctions disciplinaires est le privilège et la responsabilité du Sénat depuis 1867. Les tribunaux doivent être maintenus à l'écart. Voilà la vraie définition.
Nous examinons actuellement un avant-projet de loi qui placerait certains aspects de cette responsabilité dans le champ de compétence des tribunaux. En inscrivant des dispositions dans une loi, nous ouvrons la porte aux tribunaux. Nous devons décider d'abord, si nous voulons vraiment agir ainsi et ensuite, si cela est essentiel pour établir un code de déontologie destiné aux membres du Sénat. Je crois que cette décision est très importante car, sur la base du jugement Létourneau de novembre dernier, comme vous l'avez dit, les tribunaux auront le champ libre à l'avenir s'ils veulent contrôler une décision du Sénat relative aux privilèges. Dans le jugement du juge Létourneau, ce n'était même pas une loi qui était en cause, c'était une décision administrative du Président.
Par conséquent, dans le contexte d'une loi, la cour ne limitera pas son rôle, même si nous savons que, traditionnellement, l'appareil judiciaire préfère rester à l'écart des affaires parlementaires. Dans l'affaire Harvey c. le Procureur général du Canada, la cour a dit très clairement qu'elle est habilitée à examiner les privilèges parlementaires dans le contexte de la Charte. Les juges ont ajouté qu'ils peuvent non seulement déterminer s'il y a privilège, mais aussi examiner la façon dont le privilège a été exercé. Ils sont donc allés plus loin.
Ce jugement est officiel. Il a été prononcé par la Cour d'appel fédérale après le dépôt de l'avant-projet de loi. Nous ne pouvons pas en faire abstraction. Il ne s'agit pas de la décision d'un petit tribunal provincial. Nous devons donc en tenir compte. Voilà pourquoi je crois que l'opinion que vous nous donnez sur le régime à adopter et sur l'opportunité d'ouvrir la porte aux tribunaux est très importante.
Le sénateur Andreychuk: La tendance des tribunaux — qu'elle soit interventionniste, si mes collègues ont raison, ou qu'elle représente une évaluation adéquate du processus parlementaire — se manifeste déjà avec la mise en place des principes de la Charte et bien d'autres facteurs. Si nous décidons d'adopter un projet de loi, est-ce que cette tendance va s'aggraver? Autrement dit, sommes-nous en présence d'une tendance que le projet de loi va aggraver ou bien est-ce que la tendance n'a rien à avoir avec cela, tout le problème résidant dans le projet de loi lui-même?
M. Audcent: J'aime bien votre façon d'envisager les choses, sénateur.
Il y a une tendance naturelle: les tribunaux voient les choses dans leur propre perspective, qui revient à demander: de quelle façon pouvons-nous prêter notre concours?
La Cour suprême du Canada ne s'est pas encore prononcée dans l'affaire Vaid. Nous allons devoir attendre pour déterminer si elle respectera la séparation des pouvoirs.
En définitive, c'est, comme je l'ai dit, une affaire de courtoisie institutionnelle. Si les tribunaux veulent interpréter, je suppose qu'ils le feront. S'ils souhaitent faire des déclarations, encore une fois, ils peuvent le faire. Par contre, si les tribunaux veulent commencer à donner des ordres, les Chambres pourront commencer à ne pas en tenir compte. Nous aurions alors un vrai problème constitutionnel car je ne vois vraiment pas où la Cour suprême irait chercher les pouvoirs nécessaires pour imposer sa volonté au Sénat.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons tenu une table ronde avec l'ancien juge en chef au comité des droits de la personne. Bien sûr, nous avons parlé de la Charte des droits et libertés. Dans l'une de mes questions, j'ai dit au juge qu'à mon avis, les parlementaires commentaient à mon avis un peu trop souvent les jugements et se prononçaient sur leur bien-fondé. J'ai ajouté qu'à certaines occasions, ces commentaires n'arrivaient pas au bon moment et que le Parlement semblait plus enclin à critiquer la Cour suprême qu'à appuyer son indépendance. Il a convenu qu'il y avait actuellement beaucoup trop de commentaires des deux côtés.
Quand j'ai utilisé le mot «tendance», je voulais dire qu'en qualité de parlementaires — non pas comme institution, mais comme membres individuels —, nous n'avons pas toujours été assez prudents pour appuyer l'indépendance du judiciaire. Cela a pu inciter les juges à agir de la même façon à notre égard.
M. Audcent: Je trouve que les parlementaires sont très respectueux du processus judiciaire, surtout en ce qui concerne la convention sub judice relative aux affaires en instance. Quand des procédures sont en cours, les parlementaires prennent garde à ne rien dire en public. Une fois la décision rendue, elle représente la nouvelle interprétation de la loi. Le rôle des parlementaires consiste à examiner cette interprétation pour déterminer s'il est nécessaire de la modifier.
Les parlementaires sont très respectueux des tribunaux quand il y a des affaires en cours
Le sénateur Andreychuk: Est-ce que cet avis concerne les sénateurs ou s'étend à l'ensemble du Parlement?
M. Audcent: C'est mon avis au sujet du Parlement général, avis qui se base sur la lecture des journaux. Bien entendu, je connais le Sénat bien mieux que l'autre Chambre. Toutefois, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de cas où nous sommes intervenus dans le processus judiciaire.
La présidente: Monsieur Audcent, je suis un peu inquiète quand vous dites que nos privilèges se basent sur ceux des Communes britanniques. Même avant la Confédération, les privilèges de la Chambre des communes du Royaume-Uni étaient contestés devant les tribunaux. Je crois que cela est arrivé pour la première fois en 1834, dans l'affaire Stockdale c. Hansard. Les tribunaux ont refusé d'accepter que l'une ou l'autre des deux Chambres puisse, par résolution, déterminer les effets juridiques de ses privilèges. Depuis cette décision, la Chambre des communes n'a jamais refusé d'admettre la compétence des tribunaux quand des questions de privilèges sont soulevées devant eux.
J'ai ici une citation provenant d'un rapport de comité du Royaume-Uni. Je vais en faire des copies que j'enverrai aux membres du comité. Je crois que cela est très important si nous devons baser notre définition des droits et privilèges sur celle des Communes britanniques.
M. Audcent: Oui, madame la présidente, c'est bien le cas. D'après la Constitution et la Loi sur le Parlement du Canada, les privilèges du Sénat sont définis par rapport à ceux des Communes britanniques. Au XIXe siècle, il y a eu un débat entre les tribunaux et les Chambres sur les rôles respectifs des uns et des autres. Il est clair que les tribunaux tiennent compte du privilège parlementaire, mais ils considèrent que les Chambres ne peuvent pas, de leur propre initiative, étendre ce privilège, estimant qu'ils ont le droit d'en définir les limites.
Toutefois, dans les limites du privilège parlementaire, la tradition veut que les Chambres agissent sans être soumises à un contrôle quelconque, qu'elles soient maîtres de leurs propres affaires et qu'elles puissent se prononcer, sans être susceptibles de contrôle judiciaire, sur toute question soumise au privilège parlementaire.
Selon la décision prise dans l'affaire Vaid, l'exercice du privilège est maintenant susceptible de contrôle judiciaire. C'est le danger que comporte cette décision.
Le sénateur Joyal: Dites-vous que nous devrions interjeter appel de la décision rendue dans l'affaire Vaid?
M. Audcent: Honorables sénateurs, je préfère laisser aux autorités compétentes de cette Chambre le soin de prendre cette décision.
Le sénateur Joyal: Oui, mais vous êtes notre conseiller juridique. Vous êtes fonctionnaire du Sénat, et je suis sénateur. Si je vous demande votre avis sur l'opportunité de faire appel de la décision Vaid, qu'allez-vous me conseiller de faire? Je connais bien le processus, mais vous êtes notre conseiller.
M. Audcent: Sénateur, si vous le voulez bien, j'aimerais avoir la possibilité de conseiller les parties chargées de prendre la décision à cet égard.
La présidente: Avant de lever la séance, je voudrais signaler que certains sénateurs pourraient avoir une fausse impression parce que M. Audcent a laissé entendre que les sénateurs peuvent accepter des cadeaux, mais qu'ils doivent les déclarer s'ils ont une valeur de plus de 250 $. Je crois que le code dit clairement que les sénateurs ne peuvent accepter aucun cadeau relié à l'exercice de leurs fonctions officielles. Ils ne peuvent accepter que des cadeaux protocolaires, mais quand ceux-ci ont une valeur supérieure à 250 $, ils doivent les déclarer.
La séance est levée.