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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement


Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 26 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 12 h 14 pour examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence et la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en œuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposées au Sénat le 23 octobre 2002.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui l'honorable Herb Gray, qui est venu nous présenter son point de vue sur la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada concernant le commissaire à l'éthique ainsi que la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en œuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997.

Le très honorable Herb Gray: J'ai l'intention de vous présenter de façon informelle mes observations sur quelques- unes des grandes questions que vous débattez. Je serai ensuite très heureux de répondre à vos questions. Je vais prendre dans l'ordre les points exposés dans l'un des documents de la Bibliothèque du Parlement.

J'aborderai d'abord la question de savoir s'il devrait y avoir un seul commissaire à l'éthique pour s'occuper des personnes nommées par décret et de la conduite des députés et sénateurs. À mon avis, il devrait y avoir deux commissaires distincts.

Ce point de vue se fonde sur des questions pratiques. Je crois savoir qu'il y a plusieurs milliers de personnes nommées par décret si l'on inclut tant les nominations à temps plein que les membres à temps partiels des différentes commissions. Je crois que le fait de s'occuper à la fois des députés et sénateurs et des personnes nommées par décret irait au-delà des capacités d'un seul commissaire, même s'il est assisté par des adjoints et un personnel.

Ensuite, je crois fermement que le commissaire à l'éthique devrait être nommé d'une façon qui permette de consulter pleinement les deux chambres du Parlement. Je pense que le modèle adopté dans le cas du commissaire à la protection de la vie privée, du commissaire à l'information et du commissaire aux langues officielles conviendrait bien. À mon avis, c'est l'approche à adopter. Je note que la proposition actuelle ne prévoit pas de façon précise des consultations officielles ou l'adoption d'une résolution concernant le choix du commissaire à l'éthique. Si le commissaire est un haut fonctionnaire du Parlement, je suis d'accord avec ceux qui croient que la nomination devrait faire l'objet de consultations complètes et d'une approbation par résolution.

Quant à la question de savoir s'il devrait y avoir un comité, je pense qu'un tel comité devrait exister comme principal moyen de liaison entre le commissaire à l'éthique et le Parlement, mais son rôle devrait surtout consister à s'assurer que le commissaire dispose du soutien administratif nécessaire et d'une coopération suffisante de la part de tous les intéressés.

Je ne pense pas, par ailleurs, que le comité — qu'il s'agisse d'un comité mixte ou de deux comités distincts pour chacune des chambres — devrait participer à des recherches sur la conduite de personnes faisant l'objet d'une enquête du commissaire. En effet, il faudrait éviter le risque des interventions partisanes si l'on veut que le système fonctionne. Il y a aussi le risque qu'il y ait des divergences d'opinions entre le commissaire et le comité.

Les comités mixtes ont traditionnellement eu beaucoup de succès, mais les honorables sénateurs pourraient penser que leur rôle est important sans être directement lié dans tous les cas aux citoyens de la région qu'ils représentent. Cela milite en faveur de la création de deux comités distincts, qui seraient en outre plus pratiques du point de vue de l'organisation des réunions, et cetera.

Enfin, pour ce qui est de la divulgation des biens des conjoints et des enfants à charge, je note que la proposition actuelle ne le prévoit pas dans le cas des députés et sénateurs. Je crois que c'est une bonne décision, compte tenu du fait que les parlementaires ne sont pas habilités à prendre des décisions administratives et n'ont pas les mêmes pouvoirs de surveillance que les ministres et les personnes nommées par décret qui dirigent des organismes. Dans l'approche proposée pour les personnes nommées par décret, les biens des conjoints sont divulgués au commissaire, qui se sert de l'information comme moyen de donner des conseils à la personne en cause. Ce modèle devrait être maintenu. L'information divulguée n'est pas rendue publique. Elle ne va pas plus loin que le commissaire à l'éthique, qui s'en sert selon son jugement pour conseiller les personnes nommées par décret. Nous devons reconnaître que les conjoints ont aujourd'hui des carrières indépendantes et ne sont pas un simple reflet de leur époux ou partenaire.

J'ai une seule autre observation. Selon le projet de code de déontologie, il est prévu que les parlementaires — je crois que c'est le libellé exact — «représentent au mieux les électeurs».

Je ne crois pas que cette représentation soit définie. Si elle l'est, je n'ai pas trouvé la définition. Qu'est-ce que cette expression signifie? Quel lien a-t-elle avec le point de vue traditionnel exprimé par Edmund Burke lorsqu'il a dit à ses électeurs de Bristol: «Je vous dois non seulement mon vote, mais mon jugement?»

Que se passe-t-il alors si un électeur estime qu'il n'est pas «représenté au mieux» par le parlementaire? Peut-il s'en plaindre au commissaire à l'éthique? J'encourage les membres du comité ainsi que le comité équivalent de la Chambre des communes à essayer d'obtenir des éclaircissements. J'ai représenté mes électeurs pendant 40 ans, et je crois qu'ils en ont été satisfais si j'en juge d'après le nombre de fois que j'ai été réélu. J'ai interprété cela à ma propre façon, selon les indications d'Edmund Burke.

Je n'ai trouvé aucune explication de cette expression. Vous voudrez peut-être en chercher une dans le cadre de vos activités car beaucoup de sénateurs ont leur propre façon de rester en contact avec les gens de leur région, des façons souvent fort intéressantes et efficaces.

Cela étant dit, je sais que vous avez fait appel à moi à cause des quelque 40 ans que j'ai passés à la Chambre des communes. Pendant une partie de cette période, j'ai été titulaire de charge publique à titre de ministre, et je le suis encore comme président de la Commission mixte internationale. Je suis maintenant à votre disposition.

Le sénateur Grafstein: Je suis vraiment enchanté d'accueillir au comité un vieux collègue et ami, M. Gray. Ses conseils et sa sagesse sont toujours les bienvenus. Ce sont des qualités qui, malheureusement, manquent souvent de nos jours. Je vous souhaite la bienvenue au nom du comité et en mon nom personnel.

Je suis enchanté que M. Gray soulève quelques questions très importantes, d'abord en proposant qu'il y ait deux commissaires distincts, quelle que soit la façon de les nommer, à cause de la différence qui existe entre l'exécutif et le Parlement. Je me demande s'il est d'accord avec certains d'entre nous qui croient qu'une fois cette étape franchie, il faut aller à l'étape suivante, qui consiste à examiner soigneusement la répartition et la séparation des pouvoirs entre le Cabinet, la Chambre des communes — chambre de confiance — et le Sénat.

Vous nous avez aidés encore plus en attirant notre attention sur l'ambiguïté de l'expression «représentent au mieux les électeurs». Au Sénat, nous ne représentons pas vraiment des électeurs, mais représentons plutôt des régions et des intérêts.

Convenez-vous qu'en matière de conduite, nous devrions vraiment suivre aussi étroitement que possible le modèle de la séparation des pouvoirs prévu dans la Constitution?

M. Gray: Honorables sénateurs, ce que dit le sénateur a une grande portée. Ses paroles reflètent en partie mes observations initiales. Il y a une autre raison pour laquelle nous devrions avoir deux commissaires distincts, relevant l'un du premier ministre et l'autre d'une ou des deux chambres, directement ou par l'entremise d'un comité. C'est le fait que le premier ministre, dans notre modèle parlementaire britannique, est responsable envers la Chambre des communes et, par son entremise, envers le public pour la conduite des ministres qu'il a nommés. Cette réalité de notre modèle parlementaire devrait se refléter dans le code de déontologie des personnes nommées par décret et des parlementaires.

En ce qui concerne la séparation des pouvoirs, je ne crois pas qu'il soit possible d'établir une doctrine aussi claire que celle de la Constitution des États-Unis, car notre Constitution ne prévoit pas une séparation totale des pouvoirs. Les ministres sont des membres élus du Parlement. Ils siègent à la Chambre. Ils ne se limitent pas à répondre aux questions des parlementaires puisqu'ils participent aux débats et aux votes. Ils ne sont pas simplement appelés à témoigner devant les comités, comme dans le cas du Congrès américain. De plus, au Sénat, il y a au moins un sénateur qui est membre du Cabinet et qui remplit les fonctions de leader du gouvernement. Ce sénateur participe aux débats, présente des projets de loi et répond à des questions. Il arrive également que plus d'un sénateur siège au Cabinet.

Nous n'avons pas les mêmes pratiques que la Chambre des lords britannique, que vous avez tous visitée, où plusieurs ministres répondent pendant la période des questions.

Notre doctrine, qui ne se fonde pas seulement sur les conventions constitutionnelles, ne prévoit pas une séparation totale. Il y a lieu d'apporter des éclaircissements, surtout en ce qui concerne la publication d'un code de déontologie qui s'applique aux parlementaires et aux personnes nommées par décret. Dire que nous avons besoin d'une séparation totale nécessiterait de refaire notre système parlementaire.

Le sénateur Grafstein: Je conviens avec vous que le modèle britannique est celui que nous devrions au moins examiner attentivement. Une fois de plus, le Parlement britannique a établi une distinction soigneuse, comme vous l'avez dit. Même s'il est vrai qu'il y a séparation des pouvoirs, elle n'est pas totale.

Il y a aussi un autre élément: le système de freins et contrepoids établi entre l'exécutif, la Chambre des communes et le Sénat. L'énoncé classique de Blackstone dit clairement qu'il y a séparation et division des pouvoirs et ajoute la question des freins et contrepoids.

Comme vous le savez sans doute, certains d'entre nous, et particulièrement le sénateur Joyal, ont examiné les deux modèles britanniques: le nôtre et celui du Royaume-Uni. Le livre du sénateur doit paraître sous peu. Je recommande fortement à tous ceux qui s'intéressent à la démocratie parlementaire d'essayer d'obtenir un exemplaire du premier tirage.

Lorsque le sénateur Joyal m'a posé des questions dans le cadre de ses recherches, j'ai été obligé d'examiner notre propre modèle. En matière de conduite ou d'éthique, la Chambre des lords a réglé le problème d'une façon intéressante tout à fait compatible avec le modèle britannique, avec sa séparation et sa division des pouvoirs ainsi que ses freins et contrepoids entre les trois éléments: les Communes, le Cabinet et la Chambre des lords. Notre Constitution prévoit une séparation qui va encore plus loin que celle de la Chambre des lords.

Cela étant dit, les Britanniques ont abouti à la conclusion que la meilleure façon de procéder était de donner à chaque élément ses propres responsables et son propre code de déontologie: un pour les personnes nommées par décret, un pour les Communes et un autre pour la Chambre des lords. Est-ce que cela serait incompatible avec votre vision de notre démocratie parlementaire si nous décidons d'emprunter cette voie?

M. Gray: Je ne le crois pas, sénateur. C'est à cela que je faisais allusion dans mes observations préliminaires. Il y a de bon argument en faveur de la nomination de trois conseillers à l'éthique, un pour les Communes, un pour le Sénat et un pour les personnes nommées par décret, qu'il s'agisse de ministres, ou encore de dirigeants ou de membres à temps plein ou partiel des organismes fédéraux.

On pourrait soutenir que ce modèle est coûteux et peut occasionner des difficultés administratives, mais je crois qu'elles peuvent être réglées. Par exemple, supposons qu'il y ait trois commissaires. Ils pourraient partager des locaux, des systèmes informatiques et même une partie de leur personnel. Ce que vous dites est semblable à ce que je tentais de décrire au début de cette réunion.

Le sénateur Grafstein: Si les honorables sénateurs veulent bien me pardonner, j'aurais une autre brève questions à poser. Autrement, je reporterais ma question à une autre séance. Elle porte sur un autre aspect important qui me préoccupe.

La présidente: Je comprends, sénateur Grafstein, que vous souhaitez assister à une autre réunion de comité. Je vais donc permettre une brève question tout de suite plutôt que d'attendre le prochain tour de table.

Le sénateur Grafstein: Je vous remercie de votre indulgence, honorables sénateurs.

Au sujet des conjoints, beaucoup d'entre nous connaissent les principes sur lesquels se fonde votre point de vue concernant les biens, la carrière et les activités des conjoints grâce au travail remarquable que votre épouse a fait à Ottawa. Cette question intéresse beaucoup d'entre nous. Nous croyons que les conjoints devraient être libres de toute obligation relative à la déontologie s'ils décident d'avoir leur propre carrière.

J'ai découvert, à mon grand étonnement, que même un conjoint qui s'active dans le secteur bénévole peut être pris indirectement dans la vaste portée des règles relatives aux conflits d'intérêts, alors qu'il n'y a aucune protestation ou inquiétude dans le public. Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet? Vous avez abordé cette question. Comment faire pour s'assurer qu'un conjoint ou une autre personne très proche est équitablement tenue à l'écart du titulaire de charge publique?

M. Gray: Si vous parlez d'un député ou d'un sénateur, la proposition actuelle n'aborde pas ce point, ce qui me convient. Je vais brièvement parler des titulaires de charge publique dans un instant. En dépit de leur rôle important, les parlementaires n'ont pas directement des fonctions d'une nature exécutive ou administrative. Les règles établies sont telles que vous ne pouvez pas participer à un débat ou à un vote sur une question dans laquelle vous avez un intérêt pécuniaire direct. De plus, il est actuellement admis que si l'une des deux Chambres est saisie d'une question concernant une catégorie entière d'activités ou de personnes dont vous faites partie — si vous êtes agriculteur, par exemple —, vous avez le droit de participer au débat et au vote.

Pour ce qui est des titulaires de charge publique, il est nécessaire d'établir des dispositions plus précises, les règles actuelles ne couvrant les choses que de façon élémentaire.

Quant à la carrière des conjoints, il pourrait y avoir au moins deux catégories distinctes. La première comprendrait les personnes faisant partie intégrante du secteur privé, qui n'ont pas de contacts plus fréquents avec le gouvernement que n'importe quel autre citoyen. La seconde catégorie engloberait les personnes qui peuvent avoir des activités professionnelles ou bénévoles au sein d'organismes qui conseillent le gouvernement ou s'acquittent de certaines fonctions pour son compte. Dans le second cas, nous avons besoin de dispositions fondées sur le bon sens. Par exemple, je ne pense pas qu'un ministre dont l'épouse travaille directement pour la police devrait être responsable de ce secteur. On pourrait également imaginer des précautions spéciales permettant de s'assurer que le ministre ne participe directement à aucune décision concernant l'organisme dont son conjoint fait partie. Cela est plus facile à réaliser si le ministre est assisté par des secrétaires d'État, par exemple.

Pour ce qui est de la première catégorie comprenant les personnes qui font partie intégrante du secteur privé, il convient de prendre des mesures pratiques comme celles que j'ai mentionnées. De plus, il faudrait divulguer les activités au commissaire à l'éthique qui agira alors selon son jugement dans des circonstances particulières. Je mentionnais également qu'en vertu des lois actuelles, une personne qui fait des démarches après du gouvernement au nom d'un organisme doit s'inscrire au registre des lobbyistes.

Par ailleurs, on ne considère pas qu'il y a «lobbying» si le gouvernement prend contact avec l'organisme dont la personne fait partie pour lui demander son point de vue sur certaines questions. Dans ce cas, une approche basée sur le bon sens permet à la collectivité de profiter à la fois des services de l'un des conjoints, comme ministre, et des compétences particulières de l'autre conjoint.

La présidente: Je dois signaler que la proposition initiale dont nous sommes saisis n'exige pas des conjoints ou des proches de divulguer leurs avoirs financiers. Toutefois, je crois savoir que le comité des Communes a présenté à la Chambre, pour discussion, un projet contenant de telles exigences.

M. Gray: Je demande simplement au comité d'examiner ce qui se fait actuellement. Je crois d'ailleurs que M. Wilson en a parlé dans son témoignage. Le conjoint divulgue confidentiellement ses avoirs au conseiller, qui peut alors donner des conseils au ministre.

La présidente: D'avance.

M. Gray: Les honorables sénateurs pourraient souhaiter considérer le fait que le secrétaire parlementaire, qui est nommé par décret, ne se situe pas dans la même catégorie que le ministre. Certains secrétaires parlementaires jouent un plus grand rôle que d'autres au nom de leur ministre.

Toutefois, depuis l'époque de M. Trudeau, les secrétaires parlementaires ne gardent leurs fonctions que pendant deux ans. Avant l'actuel système de rotation établi par M. Trudeau, les secrétaires parlementaires gardaient leurs fonctions jusqu'à ce qu'ils soient défaits aux élections, qu'ils décèdent ou qu'ils soient nommés au Cabinet.

Le sénateur Kroft: Monsieur Gray, nous sommes très heureux de vous accueillir ici. D'une certaine façon, votre présence constitue la négation de tout ce que nous sommes en train de faire car nous pouvons dire, sans crainte de nous tromper, que dans vos 40 ans de service au Parlement, vous avez démontré que nous n'avons besoin d'aucun code de déontologie. Le public a toujours compris que vous aviez votre propre code, qui vous a bien servi et a bien servi le Parlement.

Si je peux profiter de vos années d'expérience, j'aimerais examiner plus à fond la notion de divulgation. Nous avons parlé de divulgation et examiné de nombreux modèles. Nous avons déjà reçu des témoignages au comité et avons une multitude de modèles dans le pays et dans le monde qui expliquent le sens de la divulgation dans le contexte parlementaire.

Il existe également une notion de divulgation qui s'applique dans le contexte des sociétés. Le Comité des banques l'examine de près par suite de ce qui s'est passé dans l'économie nord-américaine. Je veux parler des conflits d'intérêts, des avantages réciproques, et cetera.

Examinons le modèle des sociétés par opposition au modèle le plus strict, que j'appelle le «modèle comptable», dans lequel la divulgation implique un exposé détaillé. Dans le modèle des sociétés, qui est intégré au Règlement du Sénat et au modèle de la Chambre des lords, la divulgation signifie davantage. Elle décrit les situations — appartenance au conseil d'administration d'une société ou détention d'importants intérêts — qui peuvent en elles-mêmes susciter des questions au sujet de conflit d'intérêts possibles et dont les parlementaires et le public devraient être informés. Pour moi, il y a des approches très distinctes dans ce cas.

Comme le comité le sait, je ne crois pas aux avantages de l'approche comptable. Compte tenu de votre expérience, croyez-vous qu'une divulgation qui donne une idée de base des importants intérêts d'un parlementaire — appartenance à un conseil d'administration, et cetera. — suffirait? Pouvez-vous imaginer des cas dans lesquels la divulgation comptable, c'est-à-dire la valeur précise des placements ou des investissements, serait vraiment utile? Rendrait-elle vraiment les choses plus claires, plus transparentes? Est-ce que le modèle comptable ajouterait quelque chose par opposition à ce que j'appellerai l'approche des principaux intérêts?

M. Gray: Personnellement, j'aurais tendance à favoriser l'approche des principaux intérêts. Le modèle comptable imposant de divulguer la valeur totale des avoirs peut décourager les gens de se consacrer à la chose publique.

De plus, une approche dans laquelle les gens auraient à divulguer les montants allant au-delà d'un certain seuil font abstraction de certaines réalités. Pour le propriétaire d'une petite entreprise, celle-ci est aussi importante que la plus grande des sociétés. Il s'intéresse autant aux effets de certaines décisions sur son entreprise que si celle-ci avait été beaucoup plus importante.

Pour ce qui est du modèle des sociétés, je n'ai pas besoin de dire à l'honorable sénateur que les petites entreprises peuvent s'en prévaloir autant sinon plus que les grandes. L'épicerie ou le coiffeur du coin peuvent être constitués en société. Pour une entreprise privée, il y a un conseil d'administration et des règles à suivre qui sont prévues dans la loi provinciale ou fédérale.

Si vous souhaitez plus de transparence, il conviendrait de divulguer l'appartenance à des conseils d'administration et les postes de cadre supérieur. En Grande-Bretagne, par exemple, je crois qu'il y a toujours le Registre des intérêts des membres. Ceux-ci doivent y inscrire les fonctions d'administrateur ou de cadre d'un syndicat ou d'une association industrielle. Ils doivent révéler s'ils sont commandités par de tels organismes. Cette pratique est apparemment tout à fait acceptable là-bas, mais elle est inconnue ici, à ma connaissance.

Un registre des intérêts pourrait être utile. Nous avons quelque chose de ce genre pour les voyages à l'étranger. Il est proposé que cela s'étende aux voyages intérieurs organisés, et cetera.

Il y a des arguments en faveur de la divulgation des fonctions d'administrateur et autres, même si les honorables sénateurs peuvent soutenir qu'il devrait y avoir une distinction entre les organismes bénévoles, peut-être voués à la lutte contre certaines maladies, et les entreprises commerciales. Toutefois, les deux peuvent avoir des liens avec le gouvernement et être touchés par ses politiques.

J'aimerais aborder brièvement un commentaire du sénateur Kroft. Dans quelle mesure faut-il tenir compte du genre de problèmes que nous — c'est-à-dire le Canada — essayons d'affronter? S'agit-il de vrais problèmes comme ceux qu'on a découverts dans d'autres pays, ou bien sommes-nous préoccupés par des questions d'image qui nous amènent à considérer aussi bien les perceptions que la réalité? Je suppose que vous avez déjà examiné certaines de ces questions dans vos travaux et que vous devez continuer à le faire.

La présidente: Je voudrais poursuivre dans la même veine que le sénateur Kroft. Monsieur Gray, vous vous êtes prononcé en faveur d'une divulgation assez informelle, si une divulgation est exigée. Il me semble qu'il serait important de définir des termes tels que «nominal», «important» et «contrôle». Cela est lié à la taille de la société dans laquelle on a des intérêts.

M. Gray: Permettez-moi de vous dire, avec tout le respect que je vous dois, que je ne suis pas d'accord. Dans une petite localité, une entreprise familiale est aussi importante pour la personne qui la contrôle qu'une grande société.

La présidente: Précisément.

M. Gray: D'une façon ou d'une autre, c'est une chose que la personne a bâtie elle-même.

La présidente: Les définitions deviennent difficiles.

M. Gray: Les définitions sont importantes. Je ne suis cependant pas en mesure de vous donner des projets de définitions. Je suis venu, à votre demande, pour un entretien informel, que j'apprécie beaucoup d'ailleurs.

Le sénateur Kroft: M. Gray a dit avec beaucoup d'à propos que nous devrions déterminer la nature du problème que nous essayons de résoudre. Je crois, que c'est une question qu'au moins certain d'entre nous se posent constamment.

Nous savons tous qu'il y a eu des problèmes. Ils avaient tendance à se situer dans l'exécutif, peut-être à cause de la nature des responsabilités exercées. Je réponds à votre invitation d'examiner le problème que nous essayons de résoudre.

Dans vos 40 ans d'expérience, avez-vous été témoin, à la Chambre ou au Sénat, de situations qui avaient engendré des problèmes auxquels nous devons maintenant nous attaquer? J'ai eu l'impression que vous vous demandez si ce que nous faisons correspond à une chose qui se fait couramment ces temps-ci ou bien s'il s'agit d'un problème réel à régler. Je vais vous répondre par une question: dans le cas des parlementaires, y a-t-il un problème réel à régler?

M. Gray: En fait, je ne me souviens pas d'un grand nombre de situations, à la Chambre ou au Sénat, qui aient suscité de grandes inquiétudes.

Ne vous méprenez pas sur le sens de mes paroles. Les tribunaux se sont prononcés, il y a quelques années, dans une affaire impliquant un sénateur. Je ne reviendrai pas là-dessus.

En même temps, un ancien sénateur distingué, Keith Davey, avait l'habitude de dire: «La perception est la réalité». Même si je n'accepte pas toujours cet adage, il a du bon. Si un code de déontologie et un commissaire à l'éthique établis par voie législative peuvent préserver ou améliorer l'image des institutions parlementaires, alors il faudrait les établir. Ils vont servir à rehausser l'image de marque de nos institutions parlementaires.

Permettez-moi d'ajouter une observation. J'ai découvert que, dans sa propre collectivité, un député ou un sénateur de n'importe quel parti est souvent tenu en plus haute estime que l'institution elle-même. Je n'irai pas plus loin. C'est presque un autre sujet.

Le sénateur Di Nino: Comme mes collègues, je veux féliciter M. Gray pour ses services exemplaires. Il n'est que juste de dire, monsieur Gray, que les Canadiens sont bien servis par leurs parlementaires des deux chambres, quel que soit leur parti.

Il est également juste de dire qu'à de très rares exceptions, tous les parlementaires servent honnêtement et efficacement les électeurs. Je n'aurais pas voulu manquer l'occasion de faire consigner cela à notre compte rendu. J'espère que mes collègues d'en face sont d'accord.

Je veux moi aussi parler de l'application pratique de ce nouveau code pendant que nous nous efforçons de trouver un certain équilibre entre le droit du public à l'information et les droits individuels des parlementaires. Je crains qu'en créant des obstacles inutiles, nous ayons de la difficulté à attirer des gens compétents et que nous découragions un grand nombre de personnes de songer à la vie politique. Vous avez fait allusion à cela tout à l'heure.

À votre avis, qui devrait présenter une plainte ou une demande de renseignements? Beaucoup de points de vue ont été exprimés à cet égard.

Ensuite, j'espère que vous pourrez, grâce à votre expérience, nous orienter dans la bonne direction pour que l'application de la mesure législative que nous créons se fasse d'une manière adéquate. Y a-t-il des pièges auxquels nous devrions songer sur les plans de l'interprétation et de l'application?

M. Gray: Je répondrai d'abord à votre seconde question. Je crois avoir abordé cette question en réponse à vos collègues.

Vous devriez examiner de près le libellé. Je vous ai déjà donné un exemple: que veut dire l'expression «représentent au mieux les électeurs»? Vous pourriez également vous demander de quelle façon se définit l'intérêt public. Cette définition serait probablement plus facile que la précédente. Les deux expressions évoquent des notions attrayantes. Cela m'amène à votre première question: qui devrait présenter une plainte? Pourvu que le commissaire soit investi de pouvoirs suffisants pour rejeter sans appel les plaintes frivoles, je ne fermerai pas la porte aux plaintes qui viennent directement, surtout si vous maintenez l'expression «représentent au mieux les électeurs».

Je n'aimerais pas que le commissaire ou un parlementaire se battent pour des plaintes frivoles fondées sur des motifs partisans.

Sans y avoir vraiment réfléchi, je dirai qu'il devrait y avoir un moyen de faire directement parvenir des plaintes au commissaire, surtout si l'expression «représentent au mieux les électeurs» demeure.

Par ailleurs, pour faire contrepoids, je crois que le commissaire devrait pouvoir se prononcer rapidement sur la question de savoir si une plainte mérite une enquête détaillée.

Le sénateur Stratton: Certains, autour de la table, ont exprimé la crainte qu'une fois le code de déontologie adopté, les tribunaux se croient autorisés à le modifier si une question quelconque est posée. En même temps, quelques-uns estiment que les lois actuelles énoncent des principes suffisants pour couvrir n'importe quelle situation.

Si nous avons une loi régissant l'éthique, comment les tribunaux risquent-ils de la considérer?

M. Gray: Vous me corrigerez si je n'ai pas suffisamment étudié cette situation. J'ai l'impression que l'approche législative est essentiellement conçue pour créer le poste de commissaire à l'éthique et en définir les pouvoirs.

Le sénateur Oliver: C'est exact.

M. Gray: Le code de déontologie ne serait pas inscrit dans la loi, mais figurerait plutôt dans les Règlements de la Chambre et du Sénat. Si c'est bien le cas, le privilège parlementaire ne permettrait pas aux tribunaux de jouer un rôle. Toutefois, si le code était adopté sous forme de loi ou de règlement, les tribunaux pourraient intervenir. Nous abordons là le domaine de la séparation des pouvoirs du sénateur Grafstein.

Je crois qu'il serait très important de faire adopter le code d'une manière appropriée par la Chambre des communes et le Sénat, parce que c'est alors le Parlement qui se réglemente lui-même et maintient au besoin la séparation entre les institutions parlementaires et les tribunaux.

Pour ce qui est de la loi, oui, le rôle du commissaire à l'éthique devrait être précisé dans les modalités de choix, comme dans le cas du directeur général des élections.

Sauf erreur, le Code criminel couvre le genre le genre de conduite qui pourrait indisposer le public. Je ne l'ai pas mentionné dans mes observations préliminaires, mais le Code criminel traite de certains abus. Et c'est très bien ainsi.

Le sénateur Austin: Au sujet du dernier point, monsieur Gray, je crois que la différence entre un commissaire à l'éthique prévu par la loi ou par notre Règlement dépend de la question de savoir si on veut qu'il soit nommé par décret ou choisi par le Parlement. Êtes-vous d'accord que c'est la distinction à faire?

M. Gray: C'est exact, vous avez deux possibilités. Le commissaire peut être nommé par décret sous réserve de l'approbation des deux chambres. S'il est uniquement choisi par le Parlement, vous devez alors avoir un moyen de sélection parmi les candidats possibles ou des modalités permettant aux personnes intéressées de poser leur candidature. Est-ce que les deux Présidents vont s'en occuper? Ou bien serait-ce un comité parlementaire? Il vous faudrait une procédure parce qu'en cas de nomination par décret, même avec une approbation parlementaire, il y a un processus à suivre et un point de réception des noms des candidats.

Le sénateur Austin: La question est de savoir si une personne qui aura la qualité de haut fonctionnaire du Parlement et qui s'occupera du comportement des parlementaires devrait être choisie par l'exécutif ou par le Parlement lui-même. Normalement, c'est le comité du Règlement que le Sénat chargerait de s'occuper des questions reliées au privilège et aux droits des parlementaires.

M. Gray: Je crois savoir que des personnes nommées par décret peuvent être désignées ou considérées comme de hauts fonctionnaires du Parlement. Je ne préconise pas nécessairement ce modèle. Je dis qu'il devrait y avoir un moyen de concilier les deux. Supposons que votre comité soit chargé de recommander un candidat pour le poste de commissaire à l'éthique. Vous auriez besoin d'un moyen d'annoncer le poste et d'examiner les demandes. Cela peut être organisé.

La présidente: En ce moment, même les fonctionnaires du Parlement comme le commissaire à la protection de la vie privée, qui sont choisis par le Parlement sont en fait nommés par décret. Leur budget doit être approuvé par décret pour qu'ils puissent être rémunérés.

Le sénateur Fraser: Je voudrais poser deux questions. La première porte sur le problème que nous essayons d'affronter et sur la question de la perception par opposition à la réalité. Je ne crois sûrement pas que la perception constitue la seule réalité, mais je soutiens qu'elle fait partie de la réalité. Si vous aviez utilisé un mot légèrement différent, si vous aviez parlé de la confiance des Canadiens dans les institutions parlementaires ou dans le système démocratique, vous auriez donné une meilleure idée de ce que signifie la perception dans ce contexte.

Même s'il y a eu des hauts et des bas, j'ai l'impression que la tendance générale des dernières décennies indique une baisse de la confiance du public dans l'intégrité des politiciens. De toute évidence, ce n'était pas votre cas, monsieur Gray. Les électeurs de Windsor vous faisaient sûrement confiance, et à juste titre.

Croyez-vous cependant que cette baisse de la confiance du public s'est vraiment produite? Personnellement, je ne la trouve pas justifiée, mais est-ce qu'elle existe vraiment?

M. Gray: Les sondages appuient ce que vous venez de dire. Cela dépend beaucoup de la question qui est posée. Je répète une chose que j'ai dite plus tôt et qui m'a toujours frappé: dans leur région, les parlementaires sont tenus en plus haute estime à titre individuel que l'ensemble du groupe qui siège sur la Colline parlementaire. Vous voudrez peut-être chercher à savoir pourquoi. Les gens considèrent peut-être que leur député ou leur sénateur fait du travail constructif dans la collectivité, d'une façon qui ne ressort pas toujours ici. C'est l'impression que j'ai.

Vous l'avez peut-être fait déjà, mais il serait utile d'examiner les résultats des sondages. Ils appuient probablement ce que vous venez de dire. Toutefois, je me demande parfois si les résultats seraient les mêmes avec des questions légèrement différentes.

Le sénateur Fraser: Quelqu'un a dit une fois la même chose des médecins. Chacun a confiance dans le sien, mais se méfie de la profession médicale. Je suppose que cela s'applique à beaucoup d'autres professions.

Ma seconde question porte sur la divulgation du conjoint. Vous avez établi une distinction intéressante entre la divulgation confidentielle de renseignements au commissaire et la communication de renseignements qui seraient rendus publics. Je me demande s'il convient d'exclure les parlementaires qui ne sont pas titulaires d'une charge publique.

Nous votons tous, parfois d'une façon moins prévisible qu'on ne le croit, surtout quand nous sommes en comité, c'est-à-dire à l'endroit où les projets de loi sont le plus souvent modifiés. Je me demande donc s'il ne serait pas utile d'opter au moins pour la divulgation confidentielle des intérêts du conjoint parce que, comme vous l'avez dit, il serait bon de le faire dans le cas des titulaires de charge publique. Croyez-vous que nos votes comptent?

M. Gray: Il n'y a pas de doute qu'ils comptent. Vous pouvez mener certaines de ces idées à leur conclusion logique: chacun possède une maison, par exemple. Chacun a une voiture. Les gens ont une profession. Ils sont comptables, avocats ou médecins. Si vous voulez être parfaitement logique, vous aboutirez à la conclusion que personne n'est à l'abri d'un «conflit d'intérêts potentiel». Par conséquent, il est nécessaire de circonscrire le concept d'une façon raisonnable.

Je vous ai demandé si vous pensez à un problème présent, passé ou possible que vous voulez affronter. L'une des raisons pour lesquelles il serait utile pour vous d'adopter un code de déontologie et de renforcer la fonction de commissaire à l'éthique est d'éviter une aggravation des problèmes d'image que vous avez mentionnés et même d'inverser la situation.

Pour ce qui est de la divulgation, vous pouvez défendre l'argument que les conjoints devraient divulguer leurs intérêts à titre confidentiel au commissaire de la Chambre des communes ou du Sénat. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'aller plus loin compte tenu du fait que les conjoints n'interviennent pas dans les décisions de l'exécutif. Encore une fois, vous ne devez pas perdre de vue un principe qui a toujours été accepté: en cas de débats ou de vote sur une activité concernant toute une catégorie de personnes dont vous êtes membre — si vous êtes agriculteur, ancien combattant ou membre du groupe de l'âge d'or, par exemple —, alors vous n'avez pas à déclarer que vous avez atteint l'âge de 65 ans, même s'il conviendrait peut-être d'éviter d'être présent au cours de la discussion.

Il faut donc envisager la question de la divulgation des biens du conjoint dans le contexte de l'appartenance à certaines catégories générales économiques ou sociales.

Le sénateur Fraser: Plusieurs membres du comité ont mentionné, à différents moments, des biens ou des intérêts n'ayant pas une nature pécuniaire. Beaucoup de gens, y compris les conjoints, ont des activités bénévoles. Même s'ils n'en retirent pas un avantage monétaire, les personnes en cause peuvent avoir très à cœur le succès de diverses organisations bénévoles, ce qui peut avoir une influence, pas nécessairement déplacée, mais une influence quand même.

Le sénateur Joyal: Monsieur Gray, je me méfie un peu des déclarations que nous devons faire à cause d'une perception. Nous avons déjà dix codes de déontologie qui sont appliqués dans les différentes provinces, et il y en a même un dans les Territoires du Nord-Ouest, comme nous l'a dit le commissaire territorial à l'éthique. Je ne crois pas que l'attitude générale des Canadiens soit très différente quand on leur demande s'ils ont plus confiance dans leur député provincial ou fédéral. D'un côté, il y a des codes de déontologie tandis que de l'autre, il n'y en a pas officiellement. Toutefois, comme vous l'avez si bien dit, nous avons des règles d'éthique. Sir John A. Macdonald a bien affirmé, il y a cent ans, qu'il avait souvent des doutes.

Par ailleurs, comme vous l'avez dit, nous n'avons pas eu, dans les 130 dernières années, de nombreux incidents qui peuvent nous amener à conclure que nous avons besoin de règles beaucoup plus strictes pour assurer l'équilibre entre l'intérêt public, d'une part, et le droit à la vie privée des députés, des sénateurs et des législateurs provinciaux, de l'autre.

Pour être efficaces, nous devons veiller à concevoir un système qui soit compatible avec la protection de la vie privée. Je pense en particulier à la situation des conjoints. Ensuite, nous devons élaborer un système conforme aux principes institutionnels du Parlement.

Nous n'avons pas à faire face à une calamité que les Canadiens pourraient attribuer en particulier au fait que des politiciens fédéraux ou provinciaux agissent d'une manière contraire à l'éthique. Comme vous l'avez si bien dit, il y a différents moyens de concevoir une proposition. Le modèle que nous devons envisager en priorité doit respecter ces deux principes fondamentaux: le droit à la vie privée et la reconnaissance de la façon dont notre système fonctionne. Vous avez très éloquemment évoqué ces deux principes. J'aimerais cependant connaître vos observations générales à ce sujet.

M. Gray: Vous nous avez présenté quelques paroles fort sages. Si les électeurs ont une certaine perception de leur député fédéral ou provincial, elle n'est très probablement pas fondée sur l'exhaustivité des codes de déontologie appliqués dans les assemblées législatives, la Chambre des communes ou le Sénat. À mon avis, il n'y a sans doute pas une personne sur 100 qui sache, en général ou en détail, si les codes sont plus étoffés au niveau provincial qu'au niveau fédéral. Les gens s'intéressent davantage à la conduite publique du député provincial ou fédéral en fonction de leur propre perception de la façon dont leur représentant élu doit agir.

Nous avons établi un certain nombre de considérations à examiner chaque fois qu'une proposition précise est envisagée, qu'il s'agisse d'une mesure législative ou d'un code pour la Chambre des communes ou le Sénat.

Le sénateur Joyal: Ma question suivante concerne le rôle du comité proposé dans la mesure législative dont vous avez parlé. Vous semblez craindre que les délibérations de ce comité ne tournent rapidement au débat partisan. Il n'y a pas de doute que nous souhaitons tenir l'éthique à l'écart de l'esprit partisan. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

M. Gray: Je crois qu'il serait utile d'avoir un comité, mais son rôle devrait surtout consister à assurer au commissaire le soutien administratif et financier dont il a besoin pour s'occuper d'une personne qui se plaint, par exemple, de ne pas avoir reçu une réponse d'un ministère ou du gouvernement. Je ne vois aucun avantage à refaire le travail dont le commissaire est chargé.

Le sénateur Joyal: Vous ne croyez donc pas qu'un tel comité devrait avoir des fonctions d'enquête?

M. Gray: Non, je ne le crois pas.

[Français]

Le sénateur Ringuette: Un député doit représenter les concitoyens de sa circonscription et serait régi par un code d'éthique. Cette responsabilité est primordiale et prioritaire dans l'esprit des électeurs de ce député. Si, par coïncidence, ce député est appelé à remplir un rôle auprès de l'exécutif du gouvernement, il doit y avoir, selon ce que l'on nous propose, un code additionnel.

J'ai un peu de difficulté avec le fait qu'une personne doit en premier lieu remplir son rôle de «lobbyiste» envers ses concitoyens et dans tous les dossiers dont elle s'occupe pour jouer son rôle et remplir ses obligations. Au conseil exécutif, cette personne devient tout à coup privée de cette première responsabilité. Comment concilier ce dilemme?

M. Gray: De temps en temps, cela est un problème sérieux, mais en général ce n'est pas le cas. La plupart des problèmes dont le ministre ou le député doivent s'occuper sont des problèmes mineurs, soient des problèmes reliés à la sécurité sociale, à l'assurance-emploi et à des problèmes locaux. Ces problèmes ne relèvent pas du ministre ou du député, mais plutôt de leurs cadres.

Si l'on se réfère aux dossiers plus sérieux, on doit travailler d'une façon soucieuse. Le ministre ou le député doit être soucieux que leurs représentations reflètent bien la réalité. Pour un dossier local, parfois, il est plus utile de faire des représentations par l'intermédiaire d'un de ses cadres seniors, mais il est possible de concilier les deux rôles.

[Traduction]

Le sénateur Ringuette: C'est là que réside le problème. Dans le code envisagé, il y a une disposition d'interdiction touchant les employés d'un ministre.

M. Gray: Cela ne signifie pas, à mon avis, que le ministre ne peut pas, à titre de député, examiner une affaire ou faire valoir le point de vue d'un électeur, ainsi que ses intérêts commerciaux, sociaux, et cetera.

Je vais peut-être me faire inviter une autre fois pour discuter de cette question en détail parce que je trouve vos questions très stimulantes. Il y a des moyens d'agir qui sont considérés comme éthiques par toutes les parties, tant dans une structure officiellement établie qu'en fonction de règles qu'on s'est soi-même fixé.

Le sénateur Sparrow: Monsieur Gray, vous avez dit qu'en 40 ans, vous n'avez été témoin que d'un très petit nombre de cas qui auraient exigé la présence d'un commissaire à l'éthique. Je crois que vous avez mentionné un seul incident au Sénat pendant cette période.

Avez-vous jamais été mis au courant d'une affaire touchant l'éthique d'un député ou d'un sénateur, en faisant abstraction des ministres, que les dispositions existantes ne permettaient pas de régler? Beaucoup de gens semblent penser qu'il y a quelque part un traître qu'il faut démasquer et détruire. Bien sûr, je n'y crois pas. Vous avez parlé de réalité ou de perception. Allons-nous établir toute une hiérarchie, avec les coûts que cela implique, qui va empiéter sur les droits des députés et des sénateurs à cause de simples perceptions?

M. Gray: Mes souvenirs ne sont pas assez sûrs pour me permettre de répondre catégoriquement oui ou non au sujet d'un incident qui se serait produit dans les 40 dernières années. Toutefois, il y a des arguments en faveur de l'adoption d'un code de déontologie plus détaillé et de la création de la fonction de conseiller à l'éthique. On dit, en droit, ex abundanti cautela, qui signifie par souci de prudence.

Le sénateur Oliver: Vous vouliez savoir à quels méfaits nous essayons de remédier au moyen de la mesure législative envisagée. Je ne crois pas qu'il s'agisse de méfaits car, vous l'avez dit vous-même, le Code criminel suffit pour régler les cas graves.

M. Gray: Je n'ai pas parlé de «méfaits». J'ai dit «problèmes».

Le sénateur Oliver: Il y a une foule d'autres raisons pour lesquelles on peut souhaiter avoir un commissaire à l'éthique et un code de déontologie, et notamment la consultation et la prévention. De temps en temps, les députés et les sénateurs veulent pouvoir demander à une personne haut placée s'il est convenable pour eux de faire partie d'un conseil d'administration, par exemple. Ils pourraient sans doute s'adresser pour cela à un avocat ou un comptable, mais ils préféreraient consulter une personne qui connaisse le Parlement.

Êtes-vous d'accord que c'est un autre rôle possible?

M. Gray: Tout à fait d'accord. Je m'excuse de ne pas l'avoir mentionné moi-même. Je sais que le sénateur Oliver a fait du très bon travail dans ce domaine. Il a établi, de concert avec des collègues de la Chambre des communes, une base très utile pour les discussions que vous avez entreprises.

Je suis très heureux qu'il ait soulevé cette question. Il arrive qu'un député ou un sénateur veuille demander l'avis d'une personne qui connaît le contexte parlementaire.

La présidente: Monsieur Gray, au nom de tous les membres du comité, je voudrais vous remercier d'être venu aujourd'hui. Votre quarantaine d'années d'expérience en politique et votre expérience actuelle, en qualité de personne nommée par décret, nous a beaucoup éclairés.

La séance est levée.


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