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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 10 - Témoignages du 2 avril 2003


OTTAWA, le mercredi 2 avril 2003

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit ce jour à midi pour examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (Commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence et la proposition de modification de Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en oeuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposé au Sénat le 23 octobre 2002.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, le comité poursuit son étude des propositions sur la déontologie parlementaire déposées en automne dernier par le gouvernement. Ces propositions se fondent essentiellement sur un travail réalisé par un comité mixte coprésidé par notre collègue, le sénateur Donald Oliver. Le rapport a été déposé à la Chambre des communes en 1997.

Aujourd'hui, nous accueillons le professeur Peter Mercer, professeur de droit à l'Université de Western Ontario. Mais avant d'entendre notre témoin, nous avons quelques décisions d'ordre interne à prendre.

Honorables sénateurs, nous étudions cette question depuis un certain temps déjà. Comme vous le savez tous, la Chambre des communes a terminé son rapport intérimaire il y a un mois. Elle a publié un autre rapport intérimaire la semaine dernière, et elle présentera son rapport final la semaine prochaine. Nous étudions ces propositions depuis six mois. Jusqu'ici, rien n'a été dit en dehors du comité sur notre position. Nous savons que le gouvernement va préparer un projet de loi pendant le congé de Pâques pour le présenter au début mai.

J'aimerais avoir l'accord des membres du comité pour présenter un rapport intérimaire qui fera le point sur nos délibérations. Si le Sénat ne siège pas la semaine prochaine, il me faut une motion du comité pour pouvoir préparer ce rapport.

Le sénateur Rompkey: Madame la présidente, j'en fais la proposition.

La présidente: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Le sénateur Stratton: Madame la présidente, il est important de ne pas oublier l'importance de ce que nous faisons et du sujet dont nous débattons. Nous ne voulons pas étudier cette question de façon précipitée, mais bien de manière approfondie et réfléchie, ce qui fait d'ailleurs notre réputation dans cet endroit.

Comme d'autres sénateurs dans cette salle, je suis un peu inquiet de ce qui s'est passé hier. Nous avions trois excellents témoins qui nous ont présenté une analyse détaillée et complète des propositions relatives à la déontologie. Nous aurions pu passer les deux heures de réunion à écouter les deux premiers témoins, mais nous n'avons pas eu la possibilité de poser une deuxième série de questions. En fait, certains d'entre nous n'ont même pas pu poser de questions au premier tour. Nous avions une heure pour entendre le point de vue de notre troisième témoin, mais nous avons finalement manqué de temps pour pouvoir poser des questions vraiment complètes et approfondies à ce témoin. Je n'ai pas pu assister à la deuxième réunion du matin à 10 h 45 parce que mon programme était déjà trop chargé.

Il faut que nous nous rendions compte que c'est absolument essentiel. Nous voulons arriver, dans toute la mesure du possible, à un consensus autour de cette table sur ce que nous voulons dire. Nous n'en sommes pas loin. Mais si l'on nous empêche de questionner les témoins comme il convient pour avoir toutes les précisions voulues sur les nuances de leurs exposés, ce n'est juste ni pour nous, ni pour le public. Nous lui devons cela.

Je sais que nous voulons présenter un rapport intérimaire, mais nous avons besoin de temps pour en discuter pleinement. Si j'ai bien compris, madame la présidente, nous avons une téléconférence lundi à 13 heures avec la Chambre des lords pour connaître son point de vue?

La présidente: Oui.

Le sénateur Stratton: Quelle est notre position à ce sujet? Qui va préparer le rapport? N'allons-nous pas avoir une discussion en vue de parvenir peut-être à un consensus? Nous pourrions en parler après la réunion, madame la présidente.

La présidente: Peut-être, oui, sénateur Stratton. Je dois demander aux honorables sénateurs de m'excuser d'avoir coupé court aux questions hier. Je me sens toujours très mal à l'aise lorsque je suis obligée de faire cela. Il est difficile de savoir combien de temps les exposés vont durer. Les deux exposés que nous avons entendus hier au cours de la première partie de la réunion ont été extrêmement longs.

Je vous rappelle que l'un des grands problèmes dans ce comité, c'est que nous avons une heure précise pour commencer et une heure précise pour terminer. Il nous faudrait plus de temps pour pouvoir discuter de façon prolongée comme nous souhaitons tous le faire, mais nous ne sommes pas parvenus à nous entendre pour augmenter les heures de réunion du comité.

Nous sommes saisis d'une motion selon laquelle, après une discussion la semaine prochaine, nous autoriserons le comité à présenter un rapport intérimaire faisant le point sur l'état de nos discussions.

Le sénateur Rompkey: Dans l'ensemble, je suis d'accord avec le sénateur Stratton.

De plus, madame la présidente, je crois qu'il est bon de voir exactement où se situe le comité dans ses délibérations. Par exemple, nous devons savoir si nous sommes arrivés à un consensus sur certains points. Je pense qu'il y a un consensus autour de la table sur l'idée d'un commissaire distinct pour le Sénat. Je proposerais que nous essayions simplement de voir exactement où nous en sommes; sur quels sujets nous sommes parvenus à un consensus, afin de définir ensuite quelles sont les questions pour lesquelles il nous faudrait encore du temps parce que nous n'avons pas de consensus. Je suis de votre avis, ces décisions vont avoir un impact à très long terme sur le Sénat. Nous ne devons pas agir à la va-vite. Cela dit, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas dire tout simplement aux gens ce que nous avons entendu et à quelles conclusions, aussi peu nombreuses soient-elles, nous sommes arrivés.

Le sénateur Stratton: De notre côté, nous ne sommes pas en désaccord avec cette position. Nous voulons simplement être sûrs que pendant ces travaux, si nous avons deux témoins, nous allons avoir deux heures pour les entendre comme il convient. Si nous avons un seul témoin, une heure peut suffire. C'est tout ce que je veux dire. J'espère que nous allons pouvoir nous mettre d'accord en ce qui concerne les points de consensus et les divergences. Il va nous falloir une discussion assez longue à ce propos. Voilà donc notre proposition, je ne sais pas ce qu'en pensent les autres autour de la table.

La présidente: Je reconnais que nous voulons avoir plus de temps avec les témoins. Si le Sénat ne siégeait pas la semaine prochaine, nous aurions beaucoup de temps.

Le sénateur Joyal: En ce qui concerne la rédaction du rapport intérimaire, je voudrais savoir qui va s'en occuper, c'est important pour moi.

La présidente: C'est le personnel du comité qui va s'en occuper.

Le sénateur Joyal: C'est M. Robertson qui va préparer l'ébauche?

La présidente: Oui.

Le sénateur Joyal: Quand aurons-nous cette ébauche?

La présidente: Cela va dépendre en grande partie de nos jours de réunion la semaine prochaine et du fait que le Sénat siège ou non la semaine prochaine. Nous devons avoir la vidéoconférence lundi. Cette séance-là sera plus longue parce que nous aurons d'autres témoins à entendre. Ensuite, nous aurons une réunion toute la journée mardi pour examiner ce qui va figurer dans le projet de rapport. J'espère que nous pourrons ensuite le rédiger très rapidement. Je crois que M. Robertson a déjà préparé une liste des pour et des contre. Il a résumé les arguments présentés par les deux côtés sur certaines des questions qui ont été soulevées.

Le sénateur Stratton: C'est très bien, à condition qu'il n'y ait pas de conflit d'horaire. Je sais que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles doit se réunir la semaine prochaine, et cela pourrait causer des problèmes d'horaire à certains de nos membres.

La présidente: Nous ferons de notre mieux pour satisfaire tout le monde.

Êtes-vous d'accord pour que je présente une motion cet après-midi?

Des vois: D'accord.

La présidente: Monsieur Mercer, nous vous écoutons.

M. Peter Mercer, professeur, Université de Western Ontario: Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de comparaître devant vous et d'avoir ainsi la possibilité de participer à ce très grand débat, un débat qui a déjà des centaines d'années — puisqu'il s'agit finalement des relations appropriées entre le pouvoir judiciaire et le système législatif.

Je devrais commencer par une mise en garde. Il est vrai que je suis professeur de droit à l'Université de Western Ontario, mais j'ai aussi été à une époque doyen de la Faculté de droit. Les honorables sénateurs savent peut-être que l'on définit un ancien doyen comme quelqu'un qui a perdu ses facultés. Je puis vous assurer que si vous m'écoutez pendant une heure, je pourrai vous dire tout ce que je sais pendant cette période.

Je commencerais par remettre en contexte les questions que le comité étudie si je ne me trompe pas. Je sais que certains d'entre vous ont déjà eu l'occasion de lire mon mémoire.

Permettez-moi de revenir aux principes de base, c'est-à-dire à toute la question de savoir comment il faut agir lorsqu'il y a des allégations de conflit d'intérêts, lorsque l'on dit que quelqu'un a placé ses intérêts privés avant ses obligations publiques. Nous devons reconnaître aussi qu'il y a beaucoup de cynisme dans le public au sujet de la fonction publique en général et l'on craint beaucoup, ce qui est souvent monté en épingle, que les mécanismes de l'État soient utilisés à des fins personnelles. Néanmoins, si une personne agit dans son propre intérêt ou dans tout autre intérêt privé tout en exécutant des responsabilités publiques, on va en déduire presque inévitablement que la personne agit tout au moins avec un certain parti pris, et, au-delà, peut-être d'une façon qui pourrait être considérée comme corrompant l'administration publique.

La question devient: quel instrument faut-il choisir pour décider de la façon d'agir en cas d'allégations de conflit d'intérêts? Je sais que les membres du comité se sont demandé s'il valait mieux chercher un mécanisme approprié interne, qui pourrait prendre la forme de directives propres au Sénat, ou s'il fallait passer par la voie législative. Les directives ont certains avantages. Elles sont relativement aisées à formuler. Elles sont relativement faciles à mettre en place. C'est pour cette raison que le Parlement de Westminster s'est écarté de l'option législative dans son dernier rapport. Néanmoins, les directives n'ont pas la force des instruments législatifs et en ce sens, on considère parfois qu'elles manquent d'objectivité.

Il est certain que lorsqu'on examine l'ensemble de l'administration publique, la situation est presque aussi chaotique que si l'on se penche sur le système judiciaire. Au niveau fédéral, il semble qu'il n'y ait pas actuellement de loi sur les conflits d'intérêts s'appliquant aux parlementaires proprement dit. Nous avons le Code criminel et ses applications concernant la corruption et la vie publique, et naturellement il y a les lignes directrices auxquelles sont assujettis les ministres du Cabinet sous la supervision du Conseiller fédéral à l'éthique.

À l'échelle provinciale, il y a ce que l'on pourrait appeler un manque d'uniformité. La plupart des assemblées législatives se sont penchées sur la question de conflit d'intérêts d'une façon ou d'une autre, et c'est encore plus prononcé si l'on examine la situation au niveau municipal.

Pour ce qui est de la fonction publique et du service public, les mécanismes législatifs s'appliquent aux administrations en général, mais il y a à la fois des instruments législatifs et des lignes directrices.

Je voudrais m'attarder un moment sur la situation des commissaires responsables des conflits d'intérêts dans les provinces. Je sens, après avoir lu les débats de ce comité, que l'on est assez favorable à l'idée de créer un poste de commissaire pour le Sénat soit par un règlement interne soit par une loi. Dans les provinces, les commissaires aux conflits d'intérêts sont des fonctionnaires du Parlement, ce qui a été trouvé significatif dans plusieurs décisions judiciaires. En général, ils ont des pouvoirs d'enquête étendus et leur première fonction est de donner des conseils aux députés et aux ministres du Cabinet. Le plus souvent, ils n'ont pas de pouvoir de décision. Ils font rapport chaque année à l'assemblée législative et aussi, le cas échéant, au sujet des enquêtes individuelles qu'on leur demande d'entreprendre.

À cet égard, je voudrais parler rapidement de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Harvey c. Nouveau-Brunswick. Il a été cité à plusieurs reprises au cours des délibérations du comité, mais je voudrais faire quelques distinctions qui pourraient être utiles au comité dans son étude future.

Les honorables sénateurs se souviendront que l'affaire Harvey c. Nouveau-Brunswick concernait un député de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick qui avait été expulsé en vertu de la Loi électorale provinciale pour pratique électorale illicite. Il avait poussé une personne mineure à participer aux élections en votant. En vertu de cette loi, il a également été privé du droit d'exercer une charge pendant cinq ans, et il a allégué ensuite que cette disposition contrevenait à l'article 3 de la Charte, c'est-à-dire à la disposition qui dans la Charte canadienne des droits et libertés permet à toute personne de se présenter à des élections pour un poste et d'occuper ce poste si elle est élue.

La Section de première instance des tribunaux du Nouveau-Brunswick a estimé que l'interdiction de cinq ans enfreignait l'article 3 de la Charte et, en outre, qu'elle n'était pas justifiée par l'article 1 de la Charte qui a un effet légitimant.

À la Cour d'appel, la décision de première instance a été renversée et la disposition relative à l'interdiction de remplir une charge a été considérée comme n'étant pas inconstitutionnelle. C'est maintenant à la Cour suprême du Canada de se prononcer.

Élément important — et c'est une distinction qui peut être plus intéressante pour un professeur de droit que pour ceux d'entre vous qui doivent concrètement décider de la façon de procéder — aucun argument n'a été présenté dans l'affaire Harvey sur la question de savoir si l'expulsion et l'empêchement prévus dans la Loi électorale du Nouveau- Brunswick constituaient des privilèges de l'Assemblée législative. Aucune des deux parties n'a soulevé la question, c'est le tribunal lui-même qui a dû le faire. Sept des juges de la Cour suprême — et dans l'affaire Harvey, la Cour était au complet avec neuf juges — ont considéré dans leur décision que la Loi électorale du Nouveau-Brunswick était assujettie à la Charte. Ils ont dit qu'ils prenaient cette position parce que c'était ainsi que la question leur avait été présentée dans les argumentations. Par conséquent, ils ont estimé que le droit de se présenter à des élections dans l'article 3 était enfreint prima facie, mais que cette violation était acceptable en vertu de l'article 1 de la Charte.

Cela dit, je dirais que ce n'est pas la partie la plus importante du jugement pour vous. La partie la plus importante de la décision, et celle qui est reprise dans des affaires ultérieures comme la décision Tafler, sur laquelle on a attiré votre attention dans des documents que vous avez reçus, est la décision rendue par Mme McLachlin, qui est maintenant juge en chef, soutenue par Mme la juge L'Heureux-Dubé. Toutes deux ont adopté un point de vue différent, arguant qu'il fallait examiner la question du privilège, même si elle n'avait pas été soulevée. Elles ont fait deux observations importantes pour vos travaux. Tout d'abord, que la privation du droit de siéger à l'Assemblée législative selon les dispositions de la Loi électorale du Nouveau-Brunswick entrait dans la catégorie des privilèges historiques. Ainsi, elle était exemptée d'un examen judiciaire. Comme il s'agissait d'un privilège historique, elle ne pouvait être touchée.

Récemment, la Cour d'appel fédérale s'est écartée de cette position dans l'arrêt Vaid, dont je parlerai plus tard. Elle a estimé qu'il y avait immunité.

Ceci correspond d'ailleurs aux principes qui ont été mis en place dans le monde de la common law, pas seulement en Grande-Bretagne et au Canada, mais aussi au niveau estatal et fédéral aux États-Unis. La doctrine de l'immunité législative, par exemple, se porte bien dans les Amériques.

Il y a cependant un deuxième élément, qui me paraît tout aussi important, le fait que la privation du droit de siéger crée non seulement une immunité par rapport à une révision judiciaire mais aussi par rapport à la Charte. Il y avait immunité par rapport à la Charte parce que le privilège lui-même est une doctrine constitutionnalisée. D'après Mme la juge McLachlin — et elle a dit la même chose dans l'affaire New Brunswick Broadcasting — on ne peut prendre une partie de la Constitution, dans ce cas l'article 3 de la Charte, pour s'en servir pour renverser un autre précepte constitutionnel valable, ici, le privilège de l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick.

Ici, aussi bien Mme la juge McLachlin que Mme la juge L'Heureux-Dubé ont estimé que le droit de l'Assemblée législative à diriger ses propres affaires était à la base du privilège. En outre, et c'est peut-être important au plan conceptuel, surtout si l'affaire Vaid doit être entendue par la Cour suprême du Canada — qu'en vertu de la notion de séparation des pouvoirs qui remonte en réalité à Montesquieu, et selon laquelle le fondement même du privilège est justement que le législatif puisse diriger ses propres affaires, l'intervention du pouvoir judiciaire est tout à fait inappropriée. La séparation des pouvoirs exige qu'il y ait des sphères à l'intérieur desquelles les différentes branches du gouvernement puissent fonctionner.

Pour ceux d'entre vous qui commencent à trouver que cette exégèse textuelle n'est pas bonne pour la digestion, je vais vous dire où je veux en venir.

L'article 3 s'appliquerait toujours, d'après Mme McLachlin, si l'on interdisait à un citoyen d'exercer une charge pour des raisons qui se trouvent en dehors des règles que suivent le Parlement et les assemblées pour mener leurs affaires. Elle cite précisément la race et le sexe. C'est important parce que l'on peut faire le lien avec une déclaration de l'ancien juge en chef, M. le juge Lamer dans l'affaire New Brunswick Broadcasting, et je pense que c'est le point de départ de la décision du juge Létorneau dans l'arrêt Vaid de la Cour d'appel fédérale.

La distinction est celle-ci: Aucune assemblée, aucune Chambre, ne peut simplement invoquer un privilège. Un tribunal aura toujours la possibilité de déterminer si cette revendication est justifiée.

Lorsque Mme la juge McLachlin déclare que les tribunaux peuvent réviser une loi ou la décision d'une assemblée législative pour déterminer s'il s'agit véritablement d'un privilège parlementaire, elle dit en fait que la décision initiale est prise. Une fois que l'on tombe dans le domaine du privilège parlementaire, il y a immunité, aussi bien par rapport à une révision judiciaire, au sens traditionnel, que par rapport à la Charte parce que le privilège est un précepte constitutionnel.

Cependant, si la loi ou la décision de l'assemblée — et je demanderais aux honorables sénateurs de se dire, «la loi ou la décision du Commissaire à l'éthique», parce que si le Commissaire à l'éthique était un fonctionnaire législatif, on pourrait utiliser ce terme comme un synonyme — ne tombe pas dans le domaine du privilège parlementaire, il pourrait y avoir révision de cet exercice de pouvoir ou de cette activité.

C'est ce que j'ai relevé dans Vaid. Je renvoie les honorables sénateurs à l'article 36 de cet arrêt.

Permettez-moi de revenir en arrière.

Dans l'affaire New Brunswick Broadcasting, dans l'arrêt de la Cour suprême, le juge en chef Lamer qui rend la décision dit qu'il y a un critère de nécessité. La décision du Parlement était-elle nécessaire pour la conduite de ses affaires internes? Il a déclaré ceci:

À mon avis, le critère de nécessité servant à définir l'ampleur du privilège vise les deux aspects des pouvoirs revendiqués, soit leur existence et leur exercice. En d'autres mots, le critère de nécessité est rempli si l'existence des pouvoirs et leur exercice sont tous deux nécessaires à la Chambre.

Cette position est justifiable.

Le problème dans Vaid, c'est que la Cour continue en disant:

... le critère de nécessité servant à définir l'ampleur du privilège parlementaire vise les deux aspects des pouvoirs revendiqués, soit leur existence et leur exercice. En d'autres mots, le critère de nécessité est rempli si l'existence des pouvoirs et leur exercice sont tous deux nécessaires à la Chambre. L'examen qu'effectue la Cour d'affaires comme celle qui nous occupe, où il est question de privilège parlementaire, doit, selon moi, compter deux étapes: la première sert à déterminer que les pouvoirs revendiqués doivent exister, et la seconde, une fois vérifiée la nécessité de l'existence, vise à déterminer que l'exercice de ces pouvoirs était nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de la Chambre et pour que celle-ci maintienne sa dignité et son intégrité.

Je pense que la difficulté de ceci pour vous, en vue de déterminer s'il faut opter pour un instrument législatif pour créer le poste, c'est que la décision Vaid de la Cour d'appel fédérale semble se baser sur la distinction faite par le juge Lamer et tenir compte de l'exercice du privilège et pas seulement de son existence.

Mme la juge McLachlin dirait que, si le privilège existe, l'activité ou le pouvoir est à l'abri d'une révision judiciaire. L'arrêt Vaid va plus loin et dit, non, on peut toujours examiner l'exercice du pouvoir.

Je crois que je vais m'en tenir là pour l'instant, madame la présidente, pour voir si les membres du comité ont des observations à faire.

La présidente: Avez-vous quelque chose à ajouter, Monsieur Mercer, ou pouvons-nous passer aux questions tout de suite?

M. Mercer: Je voudrais ajouter une chose. J'ai mal cité le juge en chef M. Lamer, je crois. Je n'ai pas lu le bon extrait, et je veux souligner ceci parce que nous ne pouvons pas y échapper. En règle générale, les tribunaux vont examiner l'existence et la portée du privilège et non son exercice. C'est ce que dit le juge dans l'affaire New Brunswick Broadcasting. C'est dans Vaid que la Cour fédérale d'appel dit qu'il faut aussi se pencher sur son exercice. Ce sont les deux composantes.

Vous pourriez demander pourquoi il existe une telle division si la Cour suprême du Canada dit que l'on n'examine pas l'exercice du privilège mais seulement son existence et sa portée. La réponse est que le juge Lamer dans New Brunswick Broadcasting a déclaré que la règle fondamentale ne constituait pas un guide clair parce que l'existence, l'étendue et l'exercice du privilège tendent à se chevaucher. Il utilise l'exemple de la liberté de parole. Il dit ceci:

Les tribunaux ont, à l'occasion, examiné la portée du privilège de la liberté de parole en déterminant si divers propos tenus à l'extérieur de l'Assemblée ont un lien tellement étroit avec les travaux de celle-ci qu'eux aussi devraient être exemptés de tout contrôle. Mais cela met-il vraiment en question la portée du privilège de la liberté de parole ou cela met-il plutôt en question son exercice?

Le sénateur Joyal: Je voudrais m'excuser auprès de vous, madame la présidente, et auprès de certains de mes collègues, parce que nous donnons peut-être l'impression de participer à un colloque sur le droit à la Faculté de droit, mais je vais essayer, avec le professeur Mercer, de présenter les choses simplement.

Nous sommes dans une situation où nous sommes saisis d'une proposition sous forme d'une ébauche de projet de loi, dans laquelle se trouve un article qui réaffirme que le Parlement exerce ses droits, ses pouvoirs, ses privilèges, et cetera. J'ai ceci sous les yeux.

M. Mercer: Est-ce dans les dispositions «Général», au paragraphe 72.9(3)?

Le sénateur Joyal: C'est ça. Le texte dit clairement que nous sommes couverts dans l'exercice de nos privilèges.

Vous avez interprété la décision dans l'affaire Donohoe avec les juges Lamer et McLachlin, l'arrêt dans Harvey — et comme vous l'avez dit, c'était obiter — ainsi que la décision de la Cour fédérale d'appel dans l'affaire Vaid avec le juge Létourneau, et il semble que la question de la détermination de l'existence des privilèges et de la portée ou de la limite de l'exercice des privilèges a été réglée par le juge Létourneau qui a maintenu qu'ils devaient être exercés pour maintenir l'intégrité et la dignité du Parlement, qui constituent des concepts assez flous. Qu'est-ce que la dignité? Qu'est-ce que l'intégrité?

En fait, nous devrions plutôt suivre la recommandation du rapport Milliken, selon lequel si nous établissons le poste de Commissaire à l'éthique ou de jurisconsulte, comme le dit Oliver, nous devrions le faire par le biais du Règlement du Sénat du Canada. En utilisant le Règlement du Sénat, nous reconnaissons qu'il y a une limite au sein de l'institution, que c'est interne au Sénat. Si nous prenons la voie législative, nous serons ouverts à toutes les incertitudes qui entourent encore la définition de «privilège» par rapport à la surveillance de la conduite des sénateurs.

Comme vous l'avez dit vous-même, les tribunaux vont déterminer s'il y a un privilège. Même si le Parlement peut affirmer que c'est un privilège, les tribunaux vont néanmoins examiner si c'est bien le cas. Le critère utilisé pour le déterminer peut varier d'un jugement à l'autre.

Ne serait-il pas préférable, compte tenu de l'incertitude qui entoure la détermination des privilèges et leur nature constitutionnelle avant l'examen des tribunaux et l'examen de la Charte, de suivre la recommandation de Milliken, c'est-à-dire de maintenir cette proposition de Commissaire à l'éthique au sein du Règlement, comme vous l'avez dit, comme on le fait à Westminster?

M. Mercer: Merci de cette question. Je vais y répondre en trois parties.

Pour commencer, je dirais qu'en général, dès qu'une fonction ou un pouvoir est créé de façon législative, les tribunaux ont une obligation constitutionnelle, lorsqu'on fait appel à eux dans les règles, de déterminer l'étendue de ce pouvoir.

La théorie rejoint la pratique à bien des égards lorsqu'on commence à parler de privilège parlementaire parce qu'on aurait pensé que, si une Chambre du Parlement particulière invoque un privilège, ceci devrait mettre fin à la discussion sur l'intention du Parlement.

Oui, théoriquement, la réponse du tribunal est celle-ci: lorsque c'est enchâssé dans les lois, le Parlement ne peut avoir eu l'intention d'accorder un pouvoir plus grand que celui que donne la loi. Conclure le contraire signifierait que le détenteur de ce pouvoir législatif serait alors en mesure de déterminer la portée du pouvoir lui-même ou elle-même et que cela ferait en fait un mini-Parlement de la personne qui est dépositaire du pouvoir.

Par conséquent, par le passé, la loi a tenté d'être extrêmement large et discursive afin d'enlever leur compétence aux tribunaux, mais ceux-ci sont revenus à la charge en disant que malgré cela, ils étaient constitutionnellement responsables de déterminer l'étendue du pouvoir.

En ce sens, et comme je le dis au dernier paragraphe de mon rapport au comité, la seule façon de garantir qu'il n'y ait pas d'intervention judiciaire serait d'éviter tout à fait la voie législative. Je pense que c'est vrai.

Étant donné les précédents, l'autre difficulté à laquelle on se heurte lorsque l'on tente de déterminer l'effet d'une disposition législative est que les causes elles-mêmes sont disparates, et même dans certaines décisions données, particulièrement celles de la Cour suprême du Canada, on a une multitude de jugements. Il y a quatre motifs de décision dans l'affaire New Brunswick Broadcasting. Dans l'affaire Harvey, il y a sept juges qui ne traitent même pas du privilège. Du point de vue strict des précédents, il est difficile même d'écrire un mémoire disant: «Voici à quelle interprétation du libellé nous pouvons raisonnablement nous attendre».

Cela dit, je reviendrais à la remarque que j'ai faite tout à l'heure, au sujet de la question de la perception générale du public. Franchement, je pense que vous êtes mieux à même d'en juger que moi. On a généralement l'impression que le Règlement interne du Sénat, s'il portait sur les conflits d'intérêts, comporterait un certain élément de confort que la loi n'aurait pas, ou qu'il y manquerait une certaine objectivité que l'on trouverait dans la loi. Je voudrais citer brièvement l'affaire Tafler, qui est l'arrêt de la Colombie-Britannique. Je sais que vous l'avez vu mentionnée dans les documents qui vous ont été remis. L'affaire Tafler est allée devant la Cour d'appel de Colombie-Britannique. On arrive à un genre de solution intermédiaire puisque l'on voit comment, même dans un régime législatif, il serait possible de se protéger d'un examen judiciaire, suivant le libellé de la loi.

Il s'agit de la Loi de la Colombie-Britannique sur les conflits d'intérêts des députés et l'article 10 de la loi stipule qu'il y aura un commissaire qui sera fonctionnaire de l'Assemblée, ce qui donne donc au commissaire un pouvoir législatif et, finalement, par extension, une immunité législative. La Cour d'appel de Colombie-Britannique a relevé trois éléments — je pense qu'il y en avait quatre, parce que l'un d'eux est composé — qui l'ont amenée à sa conclusion selon laquelle, dans Tafler, le privilège s'étendait à l'activité que l'on cherchait à attaquer. Vous vous souvenez peut-être que Tafler était quelqu'un qui voulait rendre une enquête publique, et le commissaire s'y est opposé disant qu'il bénéficiait d'une immunité dans l'exercice de ses responsabilités en vertu de la Loi sur les conflits d'intérêts.

La Cour d'appel de Colombie-Britannique a donné raison au tribunal d'instance et estimait qu'il y avait quatre points importants. Le premier était que le commissaire était explicitement, en vertu de l'article 10, fonctionnaire de l'Assemblée. Le deuxième était que le commissaire avait pour obligation de faire part de ses opinions à l'Assemblée, mais non de prendre une décision. Il n'y avait pas d'exercice de pouvoir de décision, ce qui d'un point de vue fonctionnel est important pour le droit de l'examen judiciaire. Troisièmement, et ceci fait en fait partie du deuxième élément, s'il jugeait bon, et dans ce cas c'était il, de faire une recommandation au sujet de la discipline, il pouvait formuler une recommandation, mais encore une fois, il ne pouvait prendre aucune décision exécutoire. Quatrièmement, il existait dans la loi une disposition selon laquelle aucune action ne pouvait être recevable contre le commissaire. Autrement dit, il s'agissait non seulement du pouvoir législatif donné au commissaire en tant que fonctionnaire, mais aussi de prévoir toute éventualité en disant qu'aucune action ne pourrait être recevable contre lui ou elle pour une activité ou une mesure quelconque.

À la Cour d'appel de Colombie-Britannique, M. le juge Lambert, a déclaré au nom d'un banc unanime que les privilèges de l'Assemblée législative s'étendaient au commissaire qui est expressément nommé fonctionnaire de l'Assemblée et que les décisions prises par le commissaire dans l'exercice de ses pouvoirs en vertu de la loi sont des décisions prises dans le cadre des privilèges de l'Assemblée législative et ne sont pas révisables par les tribunaux.

Fait intéressant, la décision a été utilisée par le successeur du commissaire en 1999 en répondant à une demande de Pacific Press qui est, je crois, propriétaire du Vancouver Sun, qui voulait que l'on rende publique l'enquête sur les tractations présumées du premier ministre Clark à propos de licences de jeu. Le commissaire s'est appuyé sur l'affaire Tafler et sur la décision de Mme la juge McLachlin dans l'affaire Harvey pour dire qu'il ne se sentait pas obligé de rendre l'enquête publique et ne le ferait pas. Il semble que cette décision n'ait jamais été contestée. Il semblerait qu'il existe ainsi une certaine protection dans une situation du genre Tafler où l'assemblée législative provinciale nomme explicitement le commissaire fonctionnaire du Parlement.

En dernière analyse, bien sûr, c'est à vous et à vos collègues de décider de l'élément à privilégier. Je dois donc dire, pour abréger, ce qui m'est manifestement difficile, que, tout d'abord, oui, si l'on veut éviter l'intervention judiciaire, il faut opter pour le Règlement interne du Sénat, mais si vous estimez qu'il y a d'autres obligations qui militent en faveur d'un mécanisme législatif, il existe des possibilités de protection.

Cela étant dit — et je sais que les avocats font toujours ça — l'arrêt Vaid permet de penser que, dans la mesure où l'on donne au commissaire un pouvoir d'agir, une responsabilité de gestion, une responsabilité essentielle formelle en vertu de la loi, c'est non seulement le domaine de cette action ou de cette activité qui sera examinée par le tribunal pour voir s'il fait partie du privilège législatif, mais aussi son exercice potentiel. Vous vous souvenez peut-être que le juge Létourneau a dit que lorsqu'il examinait l'exercice du privilège invoqué, il semblait nuire à la dignité de la Chambre. Je pense que là vous avez vraiment une confrontation entre le judiciaire et le législatif.

Je n'écarterais pas Vaid, parce que c'est un jugement de la Cour d'appel fédérale, mais je ne dirais pas non plus qu'elle est nécessairement très anormale. Vous vous souvenez sans doute que cette objection préliminaire a d'abord été présentée à un comité de la Commission canadienne des droits de la personne et que celui-ci a déclaré, suivant un vote de deux contre un, que l'objection n'était pas maintenue et que par conséquent il ne pouvait entendre la demande de M. Vaid. Ensuite, suivant une requête, l'affaire a été transférée à la Section de première instance de la Cour fédérale, et le juge des requêtes a approuvé la décision du tribunal de la Commission canadienne des droits de la personne, et l'affaire est allée à la Cour d'appel fédérale. À la Cour d'appel fédérale, les trois juges ont décidé des mérites de la demande de la même façon, bien que le juge Linden, je crois, soit explicitement d'accord avec le juge Létourneau et que le juge Rothstein ait invoqué des raisons différentes pour arriver à sa conclusion.

Dans un cas comme celui-ci, on a déterminé à plusieurs niveaux qu'il était approprié de continuer. Par conséquent, je pense que l'on ne peut pas considérer que le mécanisme législatif ne pourrait faire l'objet d'un examen judiciaire et fournir, à son tour, une base potentielle d'intervention judiciaire.

La présidente: Dans cette veine, est-ce qu'une base statutaire étroite dans cette loi permettrait de résoudre plusieurs des problèmes, si elle s'inspirait, bien sûre de la loi de Colombie-Britannique, qui apparemment a protégé le commissaire de ce genre de difficulté?

M. Mercer: Elle donne un certain niveau de protection, mais bien sûr cette protection n'est jamais complètement efficace.

Si l'on examine les propositions visant à amender la Loi sur le Parlement du Canada, elles sont certainement très larges en ce sens qu'elles donnent au Commissaire à l'éthique la responsabilité de gérer un bureau, d'exécuter différentes activités et de prendre des décisions; et à la lumière de l'arrêt Vaid, mais aussi je crois dans le cadre du thème général de l'intervention judiciaire, la possibilité d'un examen judiciaire dans ces circonstances n'est pas complètement exclue.

Elle devient moindre, comme vous le dites, dès que l'on enlève ces responsabilités de la loi, et en particulier, d'après moi, dès que l'on confie au commissaire des responsabilités de recommandation, de sorte qu'il ne prenne pas de décisions mais présente des recommandations sans doute à un comité de la Chambre ou de l'Assemblée qui peuvent ensuite être présentées à l'assemblée plénière dans les circonstances où le comité le juge bon.

La présidente: Ou si nous décidons de nommer un commissaire, ou quel que soit le nom qu'on lui donne, seulement pour le Sénat lui-même?

M. Mercer: Oui.

La présidente: Est-ce qu'un tribunal pourrait toucher quelque chose qui fait manifestement partie de la structure interne? Qui fait partie du privilège parlementaire?

M. Mercer: Le tribunal ne présenterait jamais les choses ainsi. Cependant, pour ce qui est de la question du domaine de compétence, c'est un peu comme essayer de savoir combien de moutons il faut pour faire un troupeau. Il y a des conclusions différentes selon l'expérience de chaque berger.

Je dirais que, chaque fois que la question de juridiction se rattache à la question fondamentale de privilège, si l'on peut maintenir le débat dans ce cadre, l'attitude des tribunaux a été généralement déférentielle. Vous avez des motifs explicites et élaborés donnés par Mme McLachlin dans les affaires New Brunswick Broadcasting et Harvey. Cela signifie que vous auriez peu de chance de vous retrouver avec un conflit entre le judiciaire et le législatif.

À d'autres moments, ce n'est pas explicitement une question de privilège, particulièrement si le raisonnement de Vaid l'emporte. Alors, il s'agit d'un exercice particulier. Je veux revenir aux paroles de Mme la juge McLachlin dans Harvey: Si c'est un acte ou une décision ou un comportement d'un commissaire qui, selon les allégations, ne ferait pas partie du domaine du privilège, une révision serait possible.

Naturellement, plus on donne de pouvoirs, plus on donne de possibilités à la cour de déterminer si l'exercice de ces pouvoirs cadre ou ne cadre pas.

Le sénateur Rompkey: J'aurais pensé qu'il serait plus approprié dans les circonstances de ne pas demander combien de moutons il faut pour faire un troupeau, mais plutôt comment on peut utiliser la laine pour emberlificoter quelqu'un.

M. Mercer: Je dois vous dire que je suis né à Saint-Jean de Terre-Neuve et je suis bien prêt à dire combien il faut de poissons pour faire un banc.

Le sénateur Rompkey: Mais à Saint-Jean, la question importante est de savoir sur quel banc d'école vous vous êtes assis.

Moi qui ne suis pas juriste, j'ai beaucoup de problèmes avec ça. Supposons qu'il y ait un commissaire pour le Sénat qui a un rôle clairement consultatif et aucune fonction administrative. Il conseille les sénateurs; il fait enquête sur les plaintes; il donne des conseils à un comité du Sénat et c'est ce comité qui prend les décisions. Supposons que ce soit ainsi. Si l'on établit ce poste dans une loi, quel est le pouvoir des tribunaux?

Ma deuxième question vise à savoir ce que les tribunaux vont le plus vraisemblablement faire? Nous avons entendu le témoignage de Ted Hughes et peut-être aussi d'autres témoins selon lesquels il n'y aurait pas vraiment de problème dans ce cas. Cela a déjà existé, il y a eu des commissaires comme cela. Ils ont donné des conseils aux assemblées législatives et il n'y a pas eu vraiment d'interférence. Vous pourriez dire: «Et alors? C'est du passé». Cependant, nous devons prendre des dispositions adéquates ici, et c'est ce que nous cherchons à faire. Si nous nommons un commissaire en suivant ce que je viens de dire, quels pouvoirs ont les tribunaux et que vont-ils faire?

M. Mercer: Sans vouloir être facétieux, je dirais que c'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Prévoir ce que pourraient faire les tribunaux équivaut à prévoir le genre de requête qu'on pourrait leur présenter. Si un commissaire a des pouvoirs purement consultatifs, de sorte qu'il ne prend aucune décision et que c'est l'assemblée législative concernée qui prend les décisions par le biais d'un comité et finalement par ratification, on aurait là l'exemple d'une assemblée qui s'occupe de ses propres affaires internes, particulièrement dans des cas de conflits d'intérêts.

Il s'agirait essentiellement de déterminer les sanctions à imposer à un député qui n'aurait pas respecté les règles. Les sanctions peuvent prendre différentes formes. Cela semble correspondre parfaitement à la notion de privilège énoncée par Mme McLachlin dans Harvey, par exemple. Là, l'expulsion d'un député et l'inadmissibilité subséquente ont été considérées comme des exercices disciplinaires.

Ce serait très limité — et je suppose que c'est pour cela que d'autres témoins vous diront qu'il est peu probable qu'il y ait une intervention judiciaire. Ce serait assez difficile d'envisager un ensemble de circonstances où l'on alléguerait que la question ne relève pas du privilège parce que la recommandation était viciée et que la détermination du comité de la Chambre était en quelque sorte viciée par des critères qui n'avaient rien à voir avec la réglementation des affaires internes. Je ne m'explique pas très bien, mais, encore une fois, permettez-moi de revenir à l'arrêt Harvey.

Dans Harvey, il s'agissait de savoir si le député qui avait été expulsé pouvait invoquer la protection de l'article 3 de la Charte en disant: «En me privant de mes droits pendant cinq ans en vertu de cette loi, vous abrogez en fait les droits que j'ai en vertu de l'article 3 de la Charte».

Mme la juge McLachlin a déclaré: Non; c'est une question de privilège dans ce cas, mais c'est une question de privilège parce que vous avez enfreint la Loi électorale. La Chambre doit pouvoir prendre des sanctions contre les gens qui agissent ainsi, mais l'article 3 s'appliquerait toujours si un citoyen était empêché d'exercer une charge pour des motifs qui ne font pas partie des règles suivant lesquelles le Parlement et une assemblée dirigent leurs affaires, comme la race et le sexe.

Permettez-moi de construire une hypothèse — c'est en partie pour cela que les professeurs de droit se font excorier par leurs étudiants. Ce sera en grande partie irréel, mais la vie nous réserve toujours des surprises.

Imaginez une situation où un député prétend que la sanction a été imposée non pas parce qu'il y avait eu infraction aux dispositions sur les conflits d'intérêts mais bien en raison de son ethnicité ou de son sexe. Ce député s'adresse ensuite à un tribunal extérieur pour dire: «C'est un processus proscrit par la loi». Il n'y a peut-être qu'un pouvoir de recommandation, mais cela n'a pas d'importance parce que dans l'affaire Tafler, le juge Lambert a dit: Nous n'avons pas à nous occuper de cela. Je m'appuie uniquement sur le fait qu'il s'agit de privilège. Je ne me préoccupe pas de savoir si c'est un pouvoir décisionnel.

Imaginons que cette personne s'adresse ensuite à une instance extérieure — disons, un tribunal — et dise: «Il ne s'agit pas de privilège. En apparence, on peut penser que c'est l'exercice d'un privilège parce que le Parlement m'impose ostensiblement des sanctions pour ne pas avoir respecté ses procédures ou ses règles internes, mais en fait, je suis sanctionné pour d'autres raisons cachées».

C'est un scénario possible, tout au moins pour ce qui est de l'accueil de la requête. Il est important de comprendre que dans Vaid, il n'y a pas eu de détermination sur les mérites de la plainte. Nous nous sommes adressés à un tribunal de la Commission canadienne des droits de la personne, à un juge des requêtes à la Section de première instance de la Cour fédérale et à la Cour d'appel fédérale, uniquement pour savoir si la plainte pouvait être entendue par la Commission des droits de la personne. Après avoir entendu la requête pendant 10 minutes, le tribunal pourrait dire: «C'est ridicule», et la rejeter. Nous devons séparer les questions lorsque nous demandons ce que peuvent faire les tribunaux. Les tribunaux affirment généralement avec vigueur leur compétence pour entendre certaines questions. C'est différent de la question de savoir si, une fois l'affaire entendue, son bien-fondé va être confirmé.

Il serait possible d'imaginer une possibilité dans un régime législatif dans laquelle il pourrait y avoir prétexte à une intervention judiciaire. J'insiste pour dire «il pourrait».

Le sénateur Rompkey: Et que fait-on du passé? Comme je l'ai mentionné, Ted Hughes nous a dit, comme d'autres témoins, je crois, que la pratique montre que ce n'est pas vraiment un problème. Avez-vous des commentaires?

M. Mercer: Je suis d'accord sur ce point. Si vous me demandiez empiriquement si c'est une question significative, je dirais qu'il n'y a pas beaucoup de preuves en ce sens. Cependant, le raisonnement de Vaid peut aller au-delà de ce qu'a dit le juge en chef M. Lamer dans la cause New Brunswick Broadcasting, c'est-à-dire que les tribunaux ne cherchent pas uniquement à voir si le privilège existe et quelle est sa portée, mais se penchent aussi sur l'exercice de ce privilège. Si l'on suit l'argumentation de Vaid, il y a alors, à mon avis, plus de possibilités d'intervention judiciaire. De toute façon, il faudra voir si cette décision est maintenue pour interpréter mes paroles.

Le sénateur Rompkey: Est-ce que ce n'aurait pas été le cas, que le commissaire soit nommé de façon législative ou pas?

M. Mercer: Vous devez tenir compte de la décision de la Cour d'appel fédérale; c'est vrai. Il n'y a pas de doute à ce sujet.

Le sénateur Rompkey: Si les tribunaux voulaient intervenir sur une décision, ils interviendraient sur une décision de notre Comité de régie interne, par exemple, et pas sur la décision du commissaire. Je crois qu'il n'y aurait pas beaucoup de différence, que ce soit dans la loi ou pas. Si le Comité de régie interne prend une décision qui, pour les tribunaux, ne fait pas partie de ses privilèges, les tribunaux peuvent intervenir. Cependant, les tribunaux interviendraient au niveau du Comité de régie interne et pas du commissaire.

M. Mercer: Je crois que c'est vrai. Mais si c'est un régime législatif, il y a déjà un prétexte à l'examen judiciaire. Plus le régime législatif est généreux, plus les tribunaux auraient de raison d'exercer leur pouvoir initial de surveillance, et une fois qu'ils sont là, suivant Vaid, les tribunaux pourraient dire: «Eh bien, nous sommes là de toute façon, autant examiner l'exercice».

Il y a une différence assez claire entre la position avancée par Vaid et ce qui me semblait être le droit jusqu'à ce moment-là. Je ne veux pas dire que c'est faux, mais la Cour d'appel fédérale est appuyée au moins dans le résultat par les deux déterminants précédents, et la question se pose.

Le sénateur Bryden: Si c'est une loi qui crée le poste de commissaire, et que toutes les règles qui le régissent font partie du Règlement du Sénat, contrairement à la situation où le poste du commissaire est établi en vertu du Règlement du Sénat et où les mêmes choses s'appliquent, quelles sont les conséquences de cela? La seule différence, c'est que le poste de commissaire du Sénat serait créé par un amendement apporté par le Sénat à une loi parlementaire dans un cas, et par nomination, par motion ou un mécanisme quelconque, dans l'autre cas. Quelle est la différence en ce qui concerne la façon dont le Sénat du Canada est constitutionnellement responsable de ses propres affaires?

M. Mercer: Si la disposition législative se bornait à créer la charge, ce serait inhabituel parce que l'on se demanderait en regardant l'amendement à la loi quels sont les pouvoirs de la personne.

On peut supposer, au moins, qu'il y aurait une référence dans l'amendement législatif au Règlement du Sénat, précisant que les pouvoirs de la charge sont bien ceux qui y figurent.

Encore une fois, je vous demande de m'excuser parce que nous sommes dans le domaine de l'hypothèse et du possible. Je ne dis pas que ce serait probable, mais il serait sans doute possible de dire qu'en mentionnant le Règlement du Sénat dans un amendement législatif, vous y intégrez celui-ci par référence. Par conséquent, cela permettrait un examen non seulement du fond du Règlement du Sénat mais aussi de son exercice, suivant le raisonnement de Vaid.

Le sénateur Stratton: Comme vous le voyez, il y a une certaine inquiétude autour de la table au sujet de l'inclusion du poste de commissaire dans une loi. Ce qui me préoccupe personnellement, c'est que, comme tout le reste, le droit évolue beaucoup. Il change selon les époques et les opinions de cette époque. Dès que l'on intègre quelque chose à une loi, l'intention du moment est là, mais au fil du temps, il peut y avoir une évolution vers une autre interprétation. Appuyez-vous cette idée, ou pensez-vous que je suis tout à fait à côté de la question? J'ai peur que ceci évolue.

M. Mercer: En matière d'intention parlementaire, il est intéressant de voir que pendant la majeure partie de l'histoire canadienne, lorsque les tribunaux ont essayé de déterminer ce que le Parlement avait eu l'intention de faire, il n'était pas permis de leur présenter l'historique des débats au Parlement. On ne pouvait pas dire: «Voici ce que le Parlement avait l'intention de faire parce que nous avons ici le hansard qui nous l'explique». La réponse du tribunal était: «Non, le texte doit se suffire à lui-même et il faut déterminer l'intention de façon objective».

Cela dit, il est clair que le droit a été élaboré de façon organique. Si l'on examine le texte ouvert de la Charte, par exemple de la plupart des lois sur les droits fondamentaux, c'est voulu. Il est évident que vous n'avez absolument pas tort de dire que le droit est organique et évolue, c'est parfois fait de façon délibérée, dès le départ, au moment où l'on parle de la loi.

Je suppose que c'est un élément important lorsque l'on parle des normes sociales fondamentales dans la mesure où elles peuvent être reflétées dans les lois. Si j'entends bien les débats des honorables sénateurs, vous vous demandez comment vous pouvez gérer les affaires internes du Sénat. Je suppose, d'après ce que j'ai lu, que vous ne tenez pas particulièrement à ce que ceci devienne un processus organique devant les tribunaux. Vous préféreriez savoir à l'avance quelles sont les responsabilités et les droits du Sénat en ce qui concerne la gestion de ses propres affaires.

Par conséquent, je dois revenir à ce que je disais tout à l'heure, c'est-à-dire que, d'après moi, ce n'est pas fondamentalement un jugement juridique qui s'impose pour savoir s'il faut utiliser un mécanisme législatif ou le Règlement interne du Sénat pour créer le poste de commissaire. C'est un jugement d'une autre nature qu'il faut porter parce qu'il y a toujours la possibilité que certains se plaignent, si ce n'est pas fait dans le cadre d'une loi, que ce n'est pas aussi transparent, pas aussi ouvert ou aussi objectif. Je pense que ceci peut être contré de façon très efficace, mais il reste que c'est un point de vue que l'on pourrait entendre.

Le sénateur Rompkey: Est-ce que l'on peut invoquer la question de permanence dans la loi?

M. Mercer: Dans les limites du commentaire du sénateur Stratton sur le fait que la permanence en droit est un concept insaisissable parce que c'est organique.

Le sénateur Stratton: Ça n'existe pas.

Le sénateur Oliver: J'ai exercé le droit pendant 36 ans. J'ai donné de nombreux avis, avec et sans réserve. Si je comprends bien ce que vous dites maintenant, tout d'abord, vous pourriez donner un avis sans réserve quant à la question de savoir si les tribunaux auraient le droit et le pouvoir d'intervenir si le commissaire était créé par la loi. Vous diriez: «Par une loi, oui, les tribunaux auront le droit et le pouvoir d'intervenir».

Deuxièmement, si l'on vous demandait ce qui se passerait si le poste de commissaire n'était pas intégré dans une loi, mais créé par le Règlement du Sénat, vous ne pourriez donner un avis sans réserve quant à savoir si les tribunaux auraient le droit et le pouvoir d'intervenir parce qu'ils pourraient dire, selon les modalités du privilège, qu'ils ont le droit d'examiner la façon dont le pouvoir est exercé. Est-ce que j'ai raison là-dessus?

M. Mercer: Permettez-moi de réfléchir une seconde à la question. Je ne crois pas que je donnerais d'avis sans réserve, tout simplement parce que la réponse dépendrait en grande partie du libellé utilisé, même dans la loi.

Le sénateur Oliver: Est-ce que c'est le cas même si le poste de commissaire a été créé par une loi?

M. Mercer: Je dis cela parce qu'il y a deux façons de parler d'intervention judiciaire. Les tribunaux ont la responsabilité constitutionnelle de déterminer le champ d'application approprié de la législation. Dans la mesure où des pouvoirs ou des activités sont fixés par une loi, les tribunaux ont le pouvoir et la responsabilité de déterminer s'ils ont été dépassés, compte tenu bien sûr des dispositions prohibitives s'appliquant, et cetera, mais c'est vrai du point de vue du principe général.

S'il s'agit de créer simplement une charge par une loi, et que les responsabilités de cette charge se limitent à des recommandations, et qu'il n'y a aucune responsabilité de gestion ou aucun pouvoir de décision, je dirais que les chances d'une intervention d'un tribunal qui vienne dire: «Vous avez outrepassé votre pouvoir», sont minimes, mais pas nécessairement nulles.

Si l'on passe à la question du Règlement interne du Sénat, selon ce règlement, comme il n'aurait pas de force législative, les chances d'une intervention judiciaire sont vraiment très minces. Cela étant dit, la question de la teneur du privilège au cours des 350 dernières années a beaucoup fluctué. Je n'essaie pas de me cacher derrière l'histoire, mais vous pouvez voir dans les arrêts de Harvey et de l'affaire New Brunswick Broadcasting que les juges se sont gratté la tête au sujet de la teneur proprement dite du privilège législatif au Canada, étant donné l'intégration dans le préambule de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, maintenant la Loi constitutionnelle de 1867, et la référence aux privilèges héritée du Royaume-Uni. Et ceci ensuite, a été complété par les lois des deux assemblées législatives et du Parlement lui-même.

Dans ces conditions — et le sénateur Stratton a souligné que le droit était organique — il serait difficile de dire qu'il n'y aurait aucun prétexte à une intervention judiciaire, même si l'on parlait d'un système purement interne, si ce n'est pour dire, je crois, que dans ces circonstances, le seul cas où l'on pourrait imaginer une intervention judiciaire serait celui où le comportement de la Chambre a été tellement saugrenu que l'on pourrait dire qu'elle est sortie des limites du domaine du privilège. Je ne pense pas que ça puisse jamais être possible. Prima facie, si cela relève du Règlement interne et qu'il est question des sanctions à imposer, ceci doit faire partie des affaires internes du Parlement. C'est justement ce que le privilège du Parlement est censé accorder.

Le sénateur Gauthier: Je me préoccupe de cette définition du privilège parlementaire, que l'on utilise dans Vaid et Quigley et dans de nombreuses autres causes. J'ai examiné les documents que j'ai, et j'en ai trouvé un du Comité parlementaire mixte, de la Chambre des Lords britannique, daté du 30 mars 1999. On dit dans un des paragraphes que le droit de chaque Chambre à administrer ses affaires internes dans son enceinte devrait être limité aux activités directement et étroitement liées aux travaux du Parlement. Il y est dit que le Parlement ne devrait plus être une zone de non-droit en ce qui concerne les actes du Parlement touchant des questions comme la santé et la sécurité, et la protection des données. À l'avenir, quand le Parlement doit être exempté, il faudrait établir un dossier réfléchi et en débattre dans le cadre de l'étude de la loi au Parlement. Êtes-vous d'accord?

M. Mercer: Certainement, cette vision de la notion de privilège parlementaire serait appuyée par l'arrêt Vaid, ou par les arguments que nous avons vu présenter dans les autres causes que j'ai citées. Cela montre que la question de traiter des affaires internes de la Chambre et de préserver la dignité de la Chambre est un passage étroit. Toute personne prétendument fonctionnaire législatif mais qui exerce d'autres pouvoirs qui pourraient être jugés accessoires, peut perdre le droit au privilège. Je pense que c'est ce que nous dirait l'arrêt Vaid, par exemple. Même le jugement de Mme la juge McLachlin dans la cause Harvey, dit qu'en fin de compte c'est une question: Est-on dans le domaine des privilèges ou pas? Vous avez tout à fait raison, sénateur, il pourrait y avoir différents niveaux.

Le sénateur Smith: Le terrain que j'allais aborder a été assez bien piétiné. Je vais essayer de voir dans quelle direction le comité se dirige d'après moi. Si les membres ne sont pas d'accord, je suis sûr qu'ils n'hésiteront pas à le dire.

J'ai l'impression qu'un consensus se forme en faveur d'un code de conduite. Je dis cela bien que de nombreux membres du comité pensent que nous avons déjà tous les instruments dont nous avons besoin. Cependant, nous allons en arriver là pour toutes sortes de raisons qui peuvent être liées à une question de perception.

La Chambre des communes, à présent, semble avoir accepté l'idée de partager un commissaire à l'éthique avec l'administration. Notre comité n'est pas favorable à l'idée d'avoir le même commissaire à l'éthique pour le côté administratif et pour le côté parlementaire. Sans même parler de la question des deux Chambres et de savoir s'il faudrait deux commissaires. En supposant qu'ils en restent là, ils agiront de façon législative, par une loi.

Pour ce qui est du Sénat, l'idée est d'éviter l'intervention judiciaire dans toute la mesure du possible.

Lorsque nous avons entendu M. Ted Hughes, qui est un expert reconnu dans ce domaine — et je n'ai pas regardé son témoignage au cours des derniers jours pour voir s'il a dit ceci au cours du contre-interrogatoire, mais je le sais pour avoir bavardé avec lui — il a dit qu'il nous recommandait fortement de choisir la voie législative.

Le sénateur Joyal: Il n'a pas dit ça.

Le sénateur Smith: Eh bien, il me l'a dit à moi. Je ne dis pas qu'il l'a dit ici.

Le sénateur Joyal: C'est n'est pas au compte rendu.

Le sénateur Smith: Sous serment, je vous affirme qu'il me l'a dit. Il s'appuyait beaucoup sur la cause Tafler et l'affaire Morin. Il me semble que c'est sur ce point que nous achoppons. S'il nous reste un seul point, cela signifie que nous avons fait d'énormes progrès — et je ne prétends pas parler pour le sénateur Murray — quant à savoir si l'on procède par résolution ou par une loi. Si nous optons pour la loi, celle-ci se bornerait à créer la fonction. Il nous reste à décider si en prenant cette voie, plutôt que de passer par un changement du Règlement, nous risquons de compromettre nos privilèges de façon concrète et pas seulement théorique. Je pense que nous en sommes presque arrivés là.

Quelle est votre réaction à cela?

M. Mercer: Je vous conseillerais certainement de prendre très au sérieux les opinions de M. Hughes. Si elles diffèrent des miennes, je suppose que vous leur donnerez le poids approprié. Je pense que la différence, c'est qu'il a traité de l'expérience véritable d'après la jurisprudence jusqu'à maintenant. On m'a demandé d'essayer de prévoir les possibilités, selon les mécanismes choisis.

Bien sûr, parler de possibilité est beaucoup plus diffus que parler d'expérience. En général, les relations entre le judiciaire et le législatif pour ce qui est du droit du privilège ont été respectueuses. Nous ne sommes pas revenus au XVIIIe siècle.

Par ailleurs, si l'on me demande quelle est la meilleure protection pour éviter une révision judiciaire des affaires internes du Sénat, je pense que je pourrais donner une réponse qui satisferait à la fois aux critères empiriques et théoriques. Si l'on décide finalement d'opter pour le mécanisme législatif parce qu'il sera vu comme meilleur — et c'est important — ce n'est pas une question juridique du tout.

Le sénateur Hubley: Il y a beaucoup de juristes ici et je précise tout de suite que la question ne sera sans doute pas présentée de cette façon.

Je voudrais parler de la cause Vaid. Le sénateur Rompkey nous a présenté un modèle où le poste de commissaire à l'éthique était créé par une loi, mais il y a l'aspect de la tierce partie dans l'affaire Vaid. Devrions-nous en tenir compte? Le conseiller à l'éthique en est arrivé à cette conclusion, et il a été question des droits de la personne. Qu'advient-il de notre privilège à ce moment-là? Est-il diminué en quelque façon que ce soit?

M. Mercer: Voulez-vous dire pendant le processus de détermination du tribunal?

Le sénateur Hubley: Oui, et dans le résultat final.

M. Mercer: Dans le résultat final, si les tribunaux déterminent qu'une activité particulière ou l'exercice d'un pouvoir législatif ne fait pas partie du domaine du privilège parlementaire, vous en restez là. Vous pouvez supposer que tous ceux qui feraient l'objet d'un tel exercice de pouvoir, qui chercheraient un redressement judiciaire, l'obtiendraient, à moins que les circonstances ne permettent à un tribunal ultérieur de créer une exception. Ça c'est déjà vu. Les tribunaux sont capables de faire des distinctions très subtiles parfois.

Dans l'affaire Vaid, il est vrai que le fait qu'il existait une loi sur la fonction publique, qui semblait aborder certaines des questions présentées dans Vaid, a influencé la Cour d'appel fédérale. Cependant, ceci ne s'applique pas, par exemple, à la déclaration faite par la Cour d'appel fédérale à l'article 36, tout au moins pas à première vue.

On peut se demander, effectivement, si d'après Vaid, maintenant, le privilège parlementaire tel qu'on l'a connu dans ce pays, n'est pas pratiquement suspendu. On ne sait pas tant que les tribunaux ne se sont pas réellement prononcés, même pour quelque chose qui normalement relève du privilège parlementaire.

La présidente: Cela s'applique même si l'affaire Vaid concerne une tierce partie, et pas seulement les parlementaires au Parlement. C'est juste?

M. Mercer: Le problème avec Vaid, de mon point de vue, c'est qu'il est difficile de juger de son importance. C'est une situation dans laquelle nous parlons d'un rapport d'emploi où le Président et la Chambre ont tous deux déclaré: «Nous bénéficions d'un privilège et par conséquent, vous ne pouvez pas nous examiner».

On pourrait dire: «Ces circonstances sont telles qu'il y a fort peu de chance qu'elles s'appliquent aux opérations du Sénat et, par conséquent, nous n'avons pas à nous inquiéter». Je serais d'accord si l'on examinait uniquement les faits. Mais je me demande dans quelle mesure les termes de Vaid ne peuvent pas être employés dans d'autres circonstances parce que ce n'est pas très défini. C'est un libellé assez large.

Le sénateur Joyal: Je ne veux certainement pas de discussion avec notre collègue, le sénateur Smith.

La présidente: Le mot suivant est «cependant».

Le sénateur Joyal: J'ai ici la retranscription du témoignage de M. Hughes. Je suis à la page 30. Je peux vous la lire. Je pense que ce serait utile.

Le sénateur Smith: Nous n'allons pas discuter.

Le sénateur Joyal: Je vais lire la partie pertinente.

Je sais aussi que dans les documents qui vous ont été communiqués, et le conseiller législatif a discuté de cette question avec vous, il y avait l'affaire Roberts dans les Territoires du Nord-Ouest, Roberts étant mon prédécesseur ici. Il y avait deux jugements. Il y avait l'affaire Morin, où l'on trouve en fait la même chose que dans l'affaire Tafler. En outre, l'affaire Roberts 2002 est arrivée, avec une décision au sujet du juge Vertes qui permettait ou ordonnait au Parlement d'examiner les modalités de cessation d'emploi, si vous voulez, du commissaire sortant.

Je pense que le légiste a touché juste pour ce qui est de l'explication et des particularités de cela dans l'audience que vous avez eue le 18 février. M. Audcent aurait dit ceci:

D'après ce que crois comprendre de l'affaire Roberts, la personne a été renvoyée, s'est adressée au tribunal, et celui-ci a dit: «Oui, nous pouvons examiner ceci, parce qu'il y a une loi vous donnant un mandat». Le tribunal n'aurait pas examiné la situation s'il s'était agi d'une question interne à la Chambre.

Cette dernière déclaration correspond à ce que dit la Cour d'appel dans l'affaire Tafler. J'espère que ceci peut vous être utile, sénateur.

Autrement dit, M. Hughes a dit que lorsqu'il existe une loi qui détermine le mandat, le tribunal peut déterminer si celui-ci a été respecté ou pas. C'est cela qui est en jeu. Il n'a pas dit qu'une loi ne causerait pas de problème. Il pense qu'une loi ne serait pas un problème. Cependant, il a reconnu que lorsqu'il y a une loi, on invite le tribunal à l'examiner — ni plus ni moins.

La présidente: Dans ce cas, une loi créait un mandat. Il a aussi recommandé très fermement que le poste soit créé par une loi.

Le sénateur Joyal: Cela, madame la présidente, n'est pas au compte rendu.

La présidente: Oui.

Le sénateur Joyal: Donnez-moi le compte rendu.

La présidente: C'est ce que je l'ai entendu dire.

Le sénateur Joyal: Nous discutons d'une interprétation des propos des témoins. Je vous l'ai dit poliment. J'ai lu le témoignage. Si nous devons parler de ce qu'ont dit les témoins, montrez-moi le texte.

La présidente: Je vous le montrerai.

Le sénateur Joyal: Merci.

Le sénateur Murray: Monsieur Mercer, votre analyse est claire et intéressante. J'aimerais savoir ce que vous pensez de tout cela en tant que citoyen. Que se passerait-il si nous nous entêtions pour décider que nous ne voulons pas intégrer le poste de commissaire à une loi mais que nous préférons le créer dans le cadre du Règlement du Sénat? D'après la tranche d'opinion publique représentée au sein des professeurs de l'Université de Western Ontario, par exemple, pensez-vous que le public dirait: «Bravo aux sénateurs d'avoir défendu les anciennes prérogatives du Parlement», ou plutôt: «Ça recommence, ils se mettent encore au-dessus de la loi»? Quel serait votre point de vue?

M. Mercer: C'est une question très juste. Si je peux improviser pendant quatre minutes, je pourrais éviter d'y répondre.

À mon avis, toute cette question est exagérée. Dire que les gens cherchent ou acceptent une nomination au Sénat pour pouvoir faire avancer leurs intérêts privés, c'est, pour toute personne connaissant un peu la question, presque risible.

Si vous me demandez dans quelle mesure l'opinion publique considérera ces choix comme acceptables ou non, je devrais dire qu'il y a un élément de voyeurisme dans l'opinion publique assez irréel pour tout ce qui concerne la question du conflit d'intérêt.

Cela dit, il est toujours possible qu'un commentateur dise que la décision du Sénat de créer un mécanisme dans son Règlement interne, le cas échéant, afin d'éviter la révision judiciaire, est l'exemple d'une tentative subjective et relativement opaque d'empêcher l'examen de véritables conflits d'intérêts. Il est très difficile d'expliquer publiquement qu'étant donné les déterminations qui ont été faites au sujet de la portée du privilège parlementaire, ou simplement pour des raisons d'efficacité et de nécessité invoquées par les tribunaux, c'est le mécanisme le plus approprié. Je ne pense pas que vous allez vendre beaucoup de journaux avec cette argumentation.

Cela dit, pour moi, le véritable leadership n'est pas là. Les honorables sénateurs devraient choisir le mécanisme le plus efficace pour le Sénat.

Je ne me crois pas très représentatif de l'opinion publique, pas plus que la majorité de mes collègues enseignant dans les universités. Ce n'est pas notre travail.

Ce sont des craintes légitimes basées sur les cas d'intervention judiciaire survenus jusqu'à présent. Même les jugements de la Cour suprême du Canada qui précisent l'ampleur et la dimension du privilège parlementaire ne sont pas des jugements majoritaires dans les affaires concernées. Ils n'ont pas l'imprimatur de toute la Cour suprême. Je serais peut-être d'un avis différent si l'affaire Vaid va en Cour suprême du Canada et que nous avons, dans ce contexte, une description complète des dimensions du privilège parlementaire.

Pour l'instant, le Sénat peut tout à fait se demander, dans le cadre des critères déterminants: «Quel est le mécanisme efficace pour réglementer nos affaires internes, et comment inclure dans la rubrique «efficacité» les mécanismes qui nous évitent d'être soumis à des procédures interminables qui ne font rien d'autre que de créer beaucoup d'incertitude et beaucoup de complexité alors que ce n'est nullement nécessaire».

La présidente: Il est bientôt 13 h 30. Je remercie vivement notre témoin de nous avoir présenté son mémoire et d'avoir comparu devant nous aujourd'hui.

La séance est levée.


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