Délibérations du Comité du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 7 avril 2003
Le Comité permanent du règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui, à 13 h 17, pour examiner la proposition de modification de la Loi sur le Parlement du Canada (commissaire à l'éthique) et de certaines lois en conséquence, ainsi que la proposition de modification du Règlement du Sénat et du Règlement de la Chambre des communes visant à mettre en œuvre le rapport Milliken-Oliver de 1997, déposés au Sénat le 23 octobre 2002.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous accueillons, par vidéoconférence, Lord Williams of Mostyn, c.r., lord du Sceau privé et leader de la Chambre des lords, ainsi que M. Brendan Keith, greffier judiciaire principal et registraire des intérêts des lords à la Chambre des lords.
Nous entendrons tout d'abord les remarques préliminaires de lord Williams.
Lord Williams of Mostyn, c.r., lord du Sceau privé et leader de la Chambre des lords: Je serai bref. Pour mettre les choses en contexte, je suis devenu chef de la Chambre des lords il y a deux ans environ et, à ce moment, nous avons cerné au moins trois domaines qui méritaient notre attention: il fallait édicter un code de déontologie complet et transparent; assurer le financement adéquat des partis de l'opposition, et nous attaquer, pour ainsi dire, aux procédés de travail archaïques, sinon paléolithiques, qui sont les nôtres. Nous avons fait des progrès sur les trois fronts, mais je me concentrerai sur celui qui nous intéresse ici, le code de déontologie.
Nous voulions créer un instrument totalement transparent, limpide, capable de faire échec à tout soupçon de conduite inappropriée ou déshonorable des membres. Ce n'est pas le cas, mais je suis profondément convaincu, pour citer Felix Frankfurt, je crois, que la lumière du soleil est le meilleur désinfectant qui soit. À mon sens, il vaut beaucoup mieux pêcher par excès de transparence ou d'ouverture que de rechigner à divulguer de l'information.
Nous appliquons notre code depuis une année environ. La plupart du temps, il fonctionne de manière impeccable. Nous avons prévu un examen dans six mois environ, pour respecter la promesse que j'ai faite à la Chambre de le mettre à l'épreuve pendant une année et demie puis de faire une mise au point.
C'est avec grand plaisir que je laisserai M. Keith répondre à vos questions ou à vos observations et à celles de vos collègues.
Le sénateur Grafstein: Lord Williams, des collègues et moi avons examiné en détail votre code et l'approche que vous avez retenue, et nous avons été enchantés. Si vous le permettez, je vais faire un retour dans le temps. Votre code est appliqué depuis six mois maintenant. A-t-il suscité des critiques ou avez-vous relevé certains problèmes?
M. Williams: Non, nous n'avons reçu aucune critique et nous n'avons pas eu de problème. Nous voulions y aller en douce, en privilégiant la transparence absolue, ce qui a provoqué une certaine résistance, des hésitations, notamment quand nous avons invité nos collègues à déclarer non seulement leurs propres intérêts, mais aussi ceux de leur famille, de leurs parents, de leurs conjoints, de leurs amis. C'était primordial à nos yeux. Je n'ai relevé aucune difficulté manifeste. La plupart s'y sont faits et tout va bien.
Le sénateur Grafstein: Pour l'édification des membres du comité qui n'ont pas lu votre code, pourriez-vous donner une brève description du règlement relatif à la divulgation publique des intérêts et la justification de ce règlement?
M. Williams: Le règlement sur la divulgation publique prescrit l'inscription, dans un document accessible au public et tenu par mon collègue, M. Keith, de tous les intérêts pertinents. Dans certains cas, la pertinence des intérêts ne laisse aucun doute: par exemple, si vous êtes payé par un groupe conseil du Parlement ou si vous avez un emploi rémunéré. D'autres situations plus délicates demandent une réflexion plus poussée: par exemple, un membre peut occuper un emploi rémunéré qui n'a aucun lien particulier avec ses fonctions parlementaires mais qui peut avoir une incidence sur une question précise, sur une loi ou sur un décret.
Le critère pour en juger n'est pas l'incidence sur la conduite personnelle des membres, mais bien le risque qu'un citoyen raisonnable estime que notre conduite est en cause. C'est ce critère qui nous a amenés à exiger non seulement la déclaration des intérêts personnels, mais aussi ceux de la famille, des parents, des amis, et ainsi de suite.
Par ailleurs, certaines déclarations sont obligatoires: si une personne fait partie d'un organisme public — le tribunal d'un conseil universitaire, par exemple, comme c'est mon cas — ou si elle occupe un poste de pro-recteur, comme c'est aussi mon cas, elle est tenue de le déclarer. Il est aussi obligatoire de déclarer tout titre foncier autre que sa propre résidence. Le principe fondamental, que nous énonçons clairement dans le code dont je vous recommande chaudement la lecture, est que, en cas de doute, il faut demander l'avis du registraire. C'est un aspect primordial: même si le registraire vous donne un mauvais conseil, vous pourrez vous servir de ce conseil comme défense si jamais on vous accuse d'avoir manqué à l'obligation de déclaration.
Outre l'inscription au registre, qui ne sera pas connue de tous, bien entendu, nous demandons aux membres de déclarer leurs intérêts avant de poser une question ou de se prononcer sur une loi. De toute évidence, ils ne sont pas tenus de faire une déclaration complète. Une référence télégraphique suffit parce qu'il est ensuite facile de trouver l'information dans le registre, impérativement mis à jour toutes les semaines. Il est accessible sur Internet. Le dernier registre relié a été publié il y a presque une année. La mise à jour relève du bureau de M. Keith.
Ce sont les motivations et les fondements généraux de ce code.
Le sénateur Grafstein: Certains de mes collègues vous questionneront sur le mot «relevant», ou pertinent. Pour ma part, j'ai été plutôt surpris qu'il ne soit jamais question de la valeur des intérêts économiques. Vous insistez sur les intérêts, jamais sur les montants.
M. Williams: C'est exact.
Le sénateur Grafstein: Pourquoi?
M. Williams: Justement, j'ai feuilleté le registre aujourd'hui. Des industriels très fortunés se contentent de déclarer qu'ils contrôlent des actions; certains d'entre eux indiquent le nombre exact d'actions détenues dans une société donnée. S'il est inscrit au registre qu'un tel membre possède des actions dans une telle société, il est très facile ensuite de trouver le montant dans les livres ou les rapports annuels de cette société, selon l'information cherchée. Nous ne nous intéressons pas tant au montant qu'au fait de posséder un intérêt. En quelque sorte, la déclaration contribue à «purifier» un intérêt, parce qu'il devient connu.
M. Brendan Keith, greffier judiciaire principal et registraire des intérêts des lords à la Chambre des lords: J'aimerais compléter la réponse de lord Williams, si vous me le permettez. Vous devez comprendre qu'un registre de cette nature a deux volets: un volet politique et un volet administratif. Pour ce qui est de l'aspect politique, le registre n'a suscité aucune controverse marquée et les membres de la Chambre y ont adhéré facilement.
Il faut ajouter à cela que le registre a exigé plus de travail du registraire que prévu au moment de la rédaction du code de déontologie. J'ai rédigé la première version du code avec Lord Williams. À ce moment, je n'avais aucune idée que je deviendrais le registraire.
Il faut dire aussi que la mise à jour du registre et la publication d'une version électronique à jour tous les lundis, sans délai, relèvent de l'exploit. Je ne dis pas que la charge de travail est si énorme qu'elle dépasse nos capacités, mais elle dépasse les prévisions, c'est clair. Je vais vous donner un court exemple.
Chaque semaine, nous apportons quelques dizaines, peut-être plus, de modifications au registre et, en moyenne, cinq ou six membres viennent me voir à mon bureau. Ils peuvent rester cinq ou dix minutes, parfois beaucoup plus longtemps, pour m'exposer leurs problèmes et pour recevoir mes conseils sur les déclarations qu'ils doivent faire.
Le sénateur Joyal: Lord Williams, j'aimerais beaucoup que vous nous expliquiez un peu plus ce que vous entendez par transparence et par clarté, si je puis me permettre d'utiliser ce mot. Votre objectif était tout simplement de rendre le registre des intérêts des membres de la Chambre des lords accessible au public. Pouvez-vous nous dire au juste ce que vous entendez par «transparence»? Voulez-vous dire que, auparavant, les règles n'étaient pas suffisamment claires ou appropriées et que des plaintes du public vous ont obligés à pousser plus loin? Pouvez-vous nous en dire plus sur les origines et la nature du concept de transparence tel que vous l'entendez?
M. Williams: À mon avis, toute personne qui accède au domaine public doit se prémunir contre les pièges les plus grossiers. Une législature ne doit pas attendre pour agir qu'on l'accuse de vouloir dissimuler l'information. L'un des fléaux de la société britannique est l'obsession du secret quand il n'est pas vraiment nécessaire.
Il nous est apparu souhaitable d'instaurer un registre de notre propre chef, de prendre l'initiative. Le public voue un grand respect à la Chambre des lords. Nous avons un très faible pouvoir législatif, mais notre pouvoir d'influence est énorme. J'ai toujours cru, et je continue de croire, qu'il est plus simple de dire à un citoyen qui prétend qu'untel est là «pour faire son beurre» de consulter le registre, pour qu'il constate lui-même que ses doutes ne sont pas fondés, ou partiellement justifiés, et qu'il puisse entendre la déclaration orale des intérêts pertinents lors des délibérations autour d'un document législatif quelconque.
Nous devons être proactifs, favoriser la divulgation de tout ce qui est pertinent aux yeux du public, les gens que nous servons. Nous avons l'immense privilège de servir la population, que tous les membres d'une législature ont.
Je n'ai jamais senti de pressions du public concernant la déclaration des intérêts des lords. Voici quelques années, des allégations de pratiques frauduleuses contre des membres de la Chambre des communes ont fait passablement de vagues dans le public. À mon sens, il est clair que l'ouverture et la transparence sont nos meilleurs atouts. Au risque de paraître pompeux, je suis convaincu que quiconque exerce un métier public devrait s'assurer de n'avoir rien à cacher. Pour dormir la conscience en paix, il faut déclarer ce qui est à déclarer.
Le sénateur Joyal: Ma deuxième question a trait à la structure en place. Pourquoi avoir choisi un code et un registre distincts pour la Chambre des lords? Pourquoi n'avez-vous pas repris le même registre et le même régime que ceux des Communes? Pourquoi les lords ont-ils opté pour l'autonomie et l'indépendance complètes par rapport aux Communes?
M. Williams: Historiquement, nous avons toujours été très différents des Communes. Par exemple, les membres de la Chambre des lords ne reçoivent aucun salaire, sauf les ministres. Ils reçoivent uniquement des allocations de dépenses. Les membres des Communes sont beaucoup mieux placés pour faire du lobbying auprès des ministres ou pour influencer la teneur des lois. Nous avons de l'influence, mais aucun pouvoir législatif. Nous voulions un régime allégé, accepté par les membres mais efficace compte tenu des objectifs. L'expérience de la dernière année semble concluante. Les Communes avaient besoin d'une autre structure. Les intérêts partisans y ont beaucoup plus de place, les membres défendent leur parti avec beaucoup plus d'âpreté. À notre sens, il faut faire confiance aux gens et leur donner la possibilité de prouver qu'ils sont dignes de cette confiance.
Quand nous ferons l'examen prévu après 18 mois d'application, à l'automne prochain, je suis certain qu'on se fera un plaisir de nous signaler tout excès de légèreté. Je doute fort que ce soit le cas — sans vouloir être complaisant — parce que les gens sont satisfaits jusqu'à maintenant.
M. Keith: Lord Williams a parlé des différences marquées entre le passé de nos deux Chambres. J'ajouterai que les méthodes de fonctionnement actuelles sont tout aussi différentes.
Essentiellement, la Chambre des lords est constituée de membres nommés, qui y travaillent à temps partiel. Les membres ne sont pas des politiciens professionnels, et ils ne reçoivent aucun salaire.
Cette distinction entre la Chambre des lords et la Chambre des communes est suffisante pour remettre en question toute velléité d'appliquer un code de déontologie unique aux deux Chambres telles qu'elles existent actuellement. Bien entendu, si des changements étaient apportés à la structure de la Chambre des lords, ou si la Chambre des lords devenait un autre type de corps législatif, il faudrait réfléchir sérieusement à la possibilité d'un code commun.
Il faut aussi souligner — j'insiste sur cette précision apportée par lord Williams — que notre code de déontologie n'est pas un produit de perceptions ou d'allégations d'actes répréhensibles de nos membres. On n'a jamais reproché, durant toutes ces années, aux membres de la Chambre des lords d'avoir commis quelque geste répréhensible. L'objet du code de déontologie, comme lord Williams l'a affirmé, est en partie d'anticiper toute allégation de ce genre, en partie de garantir la transparence et, dans une moindre mesure — si vous me permettez ce vocable —, de moderniser le système. Il s'agit notamment de mettre la Chambre au diapason des autres organismes publics, qu'ils soient juridiques, médicaux ou peu importe, qui ont tous un code de déontologie.
Le sénateur Joyal: Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi la voie réglementaire, d'inscrire le code de déontologie et la procédure dans le règlement de la Chambre des lords, au lieu de la voie législative?
M. Williams: Cette décision est attribuable en partie, théoriquement, à la souveraineté du Parlement. Nous visions, je le répète, une structure légère. Nous souhaitions que le remède soit adapté au diagnostic. À nos yeux — je ne suis pas certain que nous y ayons réfléchi, à vrai dire —, la voie législative aurait donné un remède de cheval. Comme si nous avions pris un marteau-pilon pour ouvrir une noisette, pour les raisons évoquées par M. Keith, notamment. Si l'avenue choisie n'est pas la bonne, rien ne nous empêche de faire marche arrière. Le grand avantage de cette formule vient de ce que l'administration est confiée au bureau de M. Keith, notre registraire. S'il y a des plaintes, elles seront examinées, si elles sont fondées, par un sous-comité. La Chambre tire une grande fierté de son statut d'organisme autoréglementé. Vous n'êtes pas sans savoir que nous n'avons pas de président. Nous nous réglementons nous-mêmes, avec grand succès.
Je le répète, si nous décelons un vice sur le plan de la rigueur, nous en reparlerons cet automne. Nous n'avons jamais vraiment envisagé la voie législative.
M. Keith: Une autre raison, je crois, nous a poussés à ignorer la voie législative. Tout code de déontologie doit tenir compte de la position constitutionnelle. Vous connaissez sûrement la doctrine du privilège parlementaire en vigueur à Westminster, que l'on appelle la doctrine de la «exclusive cognizance», ou compétence exclusive, qui confère à la Chambre la maîtrise absolue sur ses affaires internes, sans droit d'ingérence de la direction ni de l'appareil judiciaire. Or, la voie législative risque justement d'ouvrir le champ au contrôle judiciaire, au détriment de ce qui était prévu.
Si le privilège parlementaire n'a jamais été une question épineuse à la Chambre des lords, il en est tout autrement aux Communes. Je ne veux pas parler en leur nom, mais je suis convaincu que les membres ne sont pas très friands à l'idée de s'exposer à des contrôles judiciaires, ce qui serait possible notamment si le commissaire aux normes parlementaires était nommé en vertu d'une disposition législative.
Le sénateur Stratton: Messieurs, pouvez-vous nous préciser comment les plaintes sont déposées? Et une fois la plainte déposée, comment procède-t-on à l'enquête? Si vous le pouvez et le plus brièvement possible, pouvez-vous nous exposer les fondements de chaque étape du processus de traitement?
M. Williams: Ce processus est décrit au paragraphe 19 du code, qui porte sur l'application.
On y suggère que le membre visé soit le premier avisé d'une plainte qui le concerne ou, dans certaines circonstances, le premier saisi de la plainte peut être le chef du parti ou le whip en chef.
Le Sous-comité sur les intérêts des lords est ensuite saisi confidentiellement de la plainte. Il peut opter pour un examen ou pour le rejet des allégations. Nous avons précisé que les membres doivent jouir des mêmes protections et garanties que celles qui sont en vigueur dans les cours et les organismes disciplinaires professionnels. Si le sous-comité conclut à la véracité de l'allégation, il y aura droit d'appel à la commission plénière des privilèges.
Je précise que c'est ce qui est écrit dans le code. Comme nous n'avons jamais reçu de plainte, nous nageons plutôt en eaux inconnues.
La garantie, comme je l'ai déjà dit, vient de la possibilité de dire: «J'ai consulté le registraire et il m'a donné son accord.» C'est un motif de défense absolu. Je crois personnellement qu'il y aura probablement très peu de plaintes.
M. Keith: Puis-je ajouter que nous n'avons reçu aucune plainte à ce jour. Quand nous rédigions le code de déontologie, nous avons porté une grande attention à l'équité de la procédure de traitement des accusations de non- conformité au code contre un membre de la Chambre.
Il y a de cela quelques années, j'étais greffier du Comité conjoint sur le privilège parlementaire à Westminster, présidé par lord Nicholls. Le rapport fait état d'une doctrine renouvelée et moderne du privilège parlementaire et des modalités d'application dans un contexte moderne. Lord Nicholls insiste sur l'importance d'une procédure équitable pour l'accusé, et nous avons par conséquent pris soin d'inscrire dans le code comment un membre accusé peut se défendre. Les moyens prévus, bien que moins rigoureux, ressemblent à ceux d'un tribunal.
M. Williams: Nous étions particulièrement conscients que, à la Chambre des communes, les plaintes semblent souvent découler d'intérêts politiques partisans qui ne sont pas toujours justifiés. C'est un danger permanent, et c'est pourquoi nous voulions insister sur la confidentialité du processus de dépôt. Une plainte calomnieuse ou malveillante peut faire considérablement de tort.
Le sénateur Stratton: J'imagine que les plaintes viennent de la pression publique, pour ne pas dire des médias. Sans cette pression, il n'y aurait jamais de plainte, à mon avis. Il faut ensuite qu'un membre ou deux soient prêts à déposer la plainte.
Il faut être bien certain de ce qui en est avant d'entamer une procédure quelconque.
L'ennui avec un tel processus est que nos sénateurs hésiteraient beaucoup à déposer une plainte.
M. Williams: Je suis convaincu qu'il ne faut pas réserver la capacité de porter plainte aux membres de la Chambre des lords. La plupart de mes collègues pensent le contraire, mais il me semble que si un membre du public ou un député de la Chambre des communes veut déposer une plainte, il ne devrait pas en être empêché parce que des collègues hésitent à porter plainte les uns contre les autres.
Je suis parmi les rares à penser ainsi, mais je compte bien y revenir cet automne. Il faut protéger les individus. Si nous voulons que le registre soit un instrument qui sert l'intérêt du public, il faut lui donner la possibilité de porter plainte. C'est mon opinion, mais elle est minoritaire pour l'instant.
Le sénateur Smith: Messieurs, j'aimerais revenir brièvement sur un point effleuré à la fin des questions du sénateur Joyal. Le sénateur a parlé d'un mécanisme d'adoption du code qui semble avoir fait l'unanimité, la voie réglementaire, qui a été préférée à la voie législative.
Les mots «privilège» et «justiciable» nous sont très familiers. Cependant, la notion de «compétence exclusive» ne fait pas encore partie de notre vocabulaire.
Des voix: Oh! Oh!
Le sénateur Grafstein: Vous n'avez pas lu assez en détail ou assez longuement sur l'historique du Sénat.
Le sénateur Smith: Je m'incline devant la sagesse de mon aîné.
Quoi qu'il en soit, quelques affaires jugées en Grande-Bretagne mettaient en cause la question du privilège. Pourriez- vous élargir un peu et nous indiquer si le mécanisme choisi a fait l'unanimité? Pouvez-vous nous dire brièvement comment vous avez choisi cette voie plutôt que la voie législative?
M. Williams: Ce code, sous maints aspects, représente un changement important pour la Chambre des lords. Et, comme toujours au sein des organismes vénérés, le changement est plutôt suspect. J'ai réuni un groupe de travail composé de six membres, que je présidais, et nous avons produit un rapport minoritaire. Une fois déposées devant la Chambre, les recommandations de mon comité ont été acceptées avec une majorité de trois voix, ce qui nous a obligés à faire preuve d'une certaine prudence.
Deux choses sont à souligner. Tout d'abord, nous étions convaincus de la validité des solutions proposées. Ensuite, s'il y avait eu quelque doute que ce soit relativement au risque d'ingérence des tribunaux ou à la compétence des tribunaux sur la question, je ne crois pas que la motion aurait passé.
Nous voulons proposer des solutions efficaces à des problèmes anticipés. Nous savons que notre pays entend modifier les lois sur la corruption, ce qui rendrait les parlementaires accusés de corruption passibles de poursuite au criminel. Bien entendu, ce n'est pas notre propos aujourd'hui.
Ce code m'apparaît, pour l'instant du moins, réalisable et pratique, et je crois que nous pouvons nous arrêter là. Cependant, nous devons aller avec doigté pour convaincre nos collègues habitués à un autre régime ou à pas de régime du tout des avantages du progrès.
M. Keith: Je ne suis pas surpris le moins du monde que vous n'ayez pas l'expression «compétence exclusive» constamment à la bouche. C'est une expression rarement utilisée, même à Westminster. En termes plus modernes, nous parlerions d'«autoréglementation». Je suis certain que vous êtes plus familiers avec ce concept. À la base, il faut se rappeler le caractère particulier d'une institution comme le Parlement, dont les membres, pour bien faire leur travail, doivent jouir de privilèges spéciaux. Nous n'avons pas encore trouvé de meilleur mot que «privilège», même si pour certains il évoque une inégalité qui ne devrait pas être, des avantages qui ne sont pas mérités.
Le privilège parlementaire est un outil qui habilite les membres du Parlement à bien faire leur travail. L'autoréglementation est un concept que nous connaissons bien à la Chambre des lords parce que, comme l'a souligné lord Williams, nous n'avons pas de président pour nous dire quoi faire. La Chambre décide elle-même de sa procédure. Si elle veut la modifier, rien ne l'en empêche.
L'autoréglementation est importante pour maintes raisons. Notamment, à moins de disposition expresse, les lois ne s'appliquent pas au Parlement. Par exemple, les lois sur la délivrance des permis ne s'appliquent pas au Palais de Westminster, sauf si la Chambre choisit elle-même de s'y soumettre. La Chambre a choisi de traiter les plaintes concernant la conduite de ses membres par un mécanisme autoréglementé.
Maintenant, si nous plaçons l'autoréglementation à une extrémité du spectre et la législation à l'autre, ou la réglementation imposée de l'extérieur, il se trouve entre les deux extrémités diverses possibilités qui pourront convenir à votre législature, selon la conjoncture. La Chambre des lords penche plus vers l'autoréglementation que la Chambre des communes à Westminster, qui est elle-même beaucoup plus proche d'un régime autoréglementé que les assemblées en régime de dévolution que le Royaume-Uni a mises sur pied au cours des quatre ou cinq dernières années.
La décision vous appartient. Vous devrez tenir compte des circonstances qui vous sont propres et évaluer dans quelle mesure vous êtes prêts à sacrifier l'autoréglementation pour convaincre la population du comportement irréprochable des membres de votre Chambre.
M. Williams: Je vous prie de m'excuser, messieurs et mesdames, mais je dois aller voter. Je vous laisse M. Keith comme agneau du sacrifice.
Le sénateur Smith: J'allais poser cette question au lord Williams, mais vous connaissez peut-être la réponse, monsieur Keith.
Je vous ai entendu dire que la motion avait été adoptée avec une majorité de trois voix. Avez-vous discuté du mode d'adoption, par résolution, par loi ou par tout autre moyen?
M. Keith: La réponse courte est non. Je vais vous ramener à notre passé récent. Au milieu des années 90, des membres de la Chambre des communes à Westminster ont fait l'objet de graves allégations. L'affaire a été surnommée «payez pour des questions».
Sans entrer dans les détails, l'affaire a notamment conduit le premier ministre en poste à créer un comité sur les normes dans la vie publique.
Le premier mandat du comité consistait à étudier la conduite des membres de la Chambre des communes et de recommander des moyens pour accroître la confiance du public à cet égard.
À ce moment, le Comité sur les normes dans la vie publique avait l'intention d'en faire autant pour la Chambre des lords, une autre constituante du Parlement. Il n'a pas eu à le faire parce que la Chambre des lords avait déjà entrepris un exercice semblable sous la direction de lord Griffiths. Le Comité Griffiths a établi un régime qui est resté de 1995 à 2002, avant d'être remplacé par le régime et le code de déontologie actuels.
Comme je l'ai déjà dit, nous n'avons pas rédigé notre code de déontologie en réaction à des allégations d'actes répréhensibles. Le groupe présidé par lord Williams ne s'est pas vraiment interrogé sur la nécessité d'un code de déontologie — tous avaient reconnu cette nécessité énoncée par le Comité sur les normes dans la vie publique. Le mandat du groupe Williams était plutôt de trouver des moyens de mise en œuvre des recommandations du comité.
Il n'y a pas eu de débat sur la pertinence d'un code de déontologie. La controverse et le vote de la Chambre ont porté essentiellement sur la nature du code. Quel niveau de détail devait-il contenir? Quels intérêts le code devait-il désigner comme étant réglementés et déclarés? Les dissensions séparaient les tenants de la position de lord Williams, qui penchaient en faveur d'un code plus exigeant, et ceux qui étaient d'avis que le code devait être moins complet et moins exigeant. La première formule ayant été préférée par trois personnes de plus, c'est celle qui est en application actuellement. Autrement, nous aurions eu un code qui, sous certains aspects, aurait été moins exigeant pour les membres de la Chambre.
Le sénateur Smith: Est-il juste de dire que la voie législative n'a jamais été sérieusement envisagée?
M. Keith: Oui. Il n'y a pas eu de réflexion sérieuse à cet effet, pour les raisons que j'ai données. Notre Chambre a une longue tradition d'autoréglementation, et la voie législative n'est pas celle qui nous vient à l'esprit d'emblée. Par ailleurs, comme j'ai déjà été greffier du Comité conjoint sur le privilège parlementaire, j'avais une conscience aiguë de notre position constitutionnelle et de la nécessité de protéger les membres de la Chambre contre toute possibilité d'ingérence des tribunaux.
Le sénateur Smith: Merci.
Le sénateur Fraser: Ma question s'adresse à vous, monsieur Keith. La description de votre fonction m'intéresse beaucoup. Vous ne vous limitez pas à consigner des événements. Vous donnez des conseils et, s'ils sont suivis, ces conseils représentent un motif de défense.
M. Keith: Oui.
Le sénateur Fraser: Vous jouez un important rôle à l'intérieur du système. Un facteur essentiel pour bâtir la confiance du public à l'endroit d'un régime réglementaire est de garantir l'autonomie de ceux qui l'administrent. Toutefois, si j'ai bien compris, votre fonction a été créée par la Chambre des lords elle-même. Vous êtes son employé.
M. Keith: Oui.
Le sénateur Fraser: Ce lien donne-t-il lieu à des conflits perçus ou réels? Je ne remets pas en cause votre crédibilité personnelle. Je parle de la structure. S'agit-il d'une difficulté potentielle?
Quand vous avez devant vous une question difficile et que vous donnez des conseils à quelqu'un qui pourrait avoir une influence sur votre avenir professionnel, comment vous en sortez-vous?
M. Keith: Le Comité sur les normes dans la vie publique, quand il a examiné la structure de la Chambre des lords et qu'il a recommandé l'adoption d'un code de déontologie, a établi qu'il n'était pas nécessaire que la Chambre des lords nomme un commissaire aux normes parlementaires, selon le modèle de la Chambre des communes.
Nous n'avons pas vraiment examiné la question du commissaire aux normes parlementaires de la Chambre des lords parce que le Comité Neill — le Comité sur les normes dans la vie publique — avait conclu que nous n'en avions pas besoin.
Mon rôle se trouve à mi-chemin entre celui du registraire des intérêts des membres de la Chambre des communes à Westminster et celui du commissaire aux normes parlementaires. Je prodigue des conseils et, selon le souhait de lord Williams, le code de déontologie reconnaît des pouvoirs significatifs au registraire des intérêts des lords, pour favoriser l'ouverture des membres.
Aux yeux du groupe présidé par lord Williams, l'une des façons de favoriser l'ouverture des membres était de les convaincre que, s'ils mettaient à exécution les conseils du registraire, ils seraient entièrement protégés en cas d'allégations d'acte déloyal, de dissimulation ou de fraude.
Je tiens à souligner qu'au moment de la rédaction du code, j'étais greffier aux journaux, une fonction qui n'a aucun lien avec celle de registraire. Une autre personne occupait ce poste. Je suis maintenant registraire simplement parce que l'ancien titulaire du poste a pris sa retraite en juillet dernier, et j'ai été nommé pour lui succéder. Par conséquent, au moment où le poste a été créé, je ne savais pas que j'allais l'occuper.
Nous voulions donner au registraire des pouvoirs suffisants pour favoriser l'ouverture des membres et accomplir l'objectif du code de déontologie. J'admets que le fardeau est peut-être un peu trop lourd.
Lord Nolan est le président sortant du Sous-comité sur les intérêts des lords. Peut-être son nom vous est-il familier puisqu'il a été le premier président du Comité sur les normes dans la vie publique. Il était là aux débuts du débat sur les normes au Royaume-Uni. Lord Nolan était d'avis que la tâche imposée au registraire par le code de déontologie était sans doute un peu trop lourde.
Il faut voir. Ce sera sans doute l'une des nombreuses questions à examiner quand nous réviserons le code, dans six mois d'ici.
Cependant, la responsabilité qui incombe au registraire n'est pas fortuite: elle lui a été conférée délibérément, pour que les membres soient convaincus de leur intérêt à se conformer au code de déontologie.
Le sénateur Fraser: Pourriez-vous nous dire comment le Comité Neill a conclu qu'un commissaire indépendant ne convenait pas pour la Chambre des lords?
M. Keith: Tout code de déontologie doit tenir compte des dommages qu'il tente de redresser. À la Chambre des lords, les dommages n'étaient pas assez graves — en fait, il n'y a jamais eu de dommages perçus — pour justifier la nomination d'un fonctionnaire tel qu'un commissaire aux normes parlementaires.
Le sénateur Fairbairn: Ma question pourra vous sembler un peu «hors sujet», mais elle n'est pas moins pertinente dans le contexte global de notre discussion.
La procédure de déclaration des intérêts s'applique-t-elle aussi à vos journalistes parlementaires, qui jouent un peu le rôle de notre tribune de la presse canadienne? Sont-ils visés de quelque façon par la procédure en vigueur?
M. Keith: Non. La Chambre des communes tient plusieurs registres d'intérêts. Il y a le registre des intérêts des députés, celui des attachés de recherche, et d'autres. Cependant, la Chambre des lords tient seulement le registre de ses membres.
Le sénateur Fairbairn: Ceux qui ne sont pas membres de la Chambre n'ont aucune obligation?
M. Keith: Aucune.
Le sénateur Fairbairn: Alors seuls les membres de la Chambre ont des obligations?
M. Keith: Oui. Je crois que l'on pourrait dire, dans la mesure où on peut le garantir, que ces obligations s'appliquent exclusivement à l'exécution de leurs fonctions parlementaires. Le code de déontologie ne s'applique aucunement aux affaires ou à la vie privées des gens. J'ai parfois de la difficulté à tracer la frontière entre les deux domaines mais, en général, le code vise uniquement les intérêts liés à l'exécution des fonctions parlementaires des membres, dans le domaine public.
La présidente: J'ai oublié de vous dire que si vous souhaitez parler ou poser des questions en français, l'interprétation sera transmise directement à Londres.
Le sénateur Beaudoin: J'ai envie d'essayer.
Le sénateur Grafstein: Allez-y. Nous verrons si tout va bien.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: C'est un grand plaisir de pouvoir vous adresser la parole.
[Traduction]
Ma question porte sur la lex parliamenti et sur le contrôle de la constitutionnalité des lois. Dans notre pays, ce contrôle est très fort parce que nous sommes une fédération. Il arrive cependant que les tribunaux établissent une distinction entre la lex dans le régime que vous nous avez laissé en legs — le régime parlementaire — et le régime législatif en vigueur au Royaume-Uni et au Canada.
[Français]
Est-ce que vous faites une distinction entre la lex parliamenti, qui nous vient de très loin dans l'histoire, et le contrôle de la constitutionnalité des droits? Si nous inscrivons un code de conduite dans une loi vous avez un contrôle ipso facto de la constitutionnalité et de l'interprétation par les cours de justice.
Si, d'un autre côté, vous inscrivez votre code de conduite dans vos règles ou vos droits purement parlementaires, à ce moment je pense que les cours de justice ne n'interprèteront pas la signification du code de conduite.
Pour moi, c'est quelque chose de fondamental. Si nous suivons la procédure des lois, le contrôle judiciaire est absolu parce que l'article 52 dit bien «law», et «law», c'est n'importe lequel statut et même n'importe quel principe de droit mêmes si cela fait partie de la lex parliamenti. Chez nous, les tribunaux ont distingué entre les deux, la lex parliamenti et le «statute». Est-ce que vous faites la même distinction à la Chambre des Lords?
[Traduction]
M. Williams: De façon générale, je souscris à votre analyse. Comme vous l'avez souligné, notre régime n'est pas fédéral. Par conséquent, nous avons adopté un code sur lequel les tribunaux n'ont aucun droit de regard.
Il reste deux aspects liés, de moindre importance: comme il y a eu un Parlement en régime de dévolution en Écosse et une assemblée en régime de dévolution en Irlande du Nord et au pays de Galles, quelques différences subsistent sur le plan de la compétence législative, qui pourraient relever de la compétence des tribunaux. Leur système et le vôtre sont comparables, mais de façon très limitée. De plus, la Human Rights Act établit un nouveau recours judiciaire, la déclaration d'incompatibilité. C'est un amalgame très subtil des différentes avenues que vous avez évoquées.
Je vais vous rappeler ce qu'Oscar Wilde a dit sur la tentation: selon lui, la meilleure chose à faire est d'y succomber.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Nous sommes différents, il est aussi vrai que vous avez des lois en Angleterre à Westminster qui ont délégué des pouvoirs à l'Écosse, au Pays de Galle et à l'Irlande du Nord. En ce sens vous avez un contrôle de la constitutionnalité des lois. Ma question va un peu plus loin. Si l'on adopte des lois pour la conduite des sénateurs, des députés, ainsi de suite, l'interprétation sera toujours judiciaire. Cela sera toujours à être interprété par les cours. Nous nous posons la question: on ne sait pas si la Charte des droits réglemente la lex parliamenti, c'est controversé chez nous. Toutefois, nous sommes certains que les lois et les statuts sont sujets à l'interprétation des tribunaux. C'est pour cette raison que ma réaction à un code de conduite est de l'inscrire au sein de nos règlements purement parlementaires et non pas dans nos lois canadiennes.
[Traduction]
M. Williams: J'abonde dans le même sens. En termes neutres, je dirais que la Cour suprême du Canada a adopté une attitude plutôt activiste par rapport à votre Charte. Pour des raisons historiques, j'irais même jusqu'à dire psychologiques, nos tribunaux préfèrent rester loin de ces questions de nature essentiellement parlementaires. Si nous arrivons à trouver des modalités de fonctionnement qui satisfont les participants et le public que nous espérons servir, je ne vois aucun avantage réel à mettre les tribunaux de la partie. Je me permets d'être aussi catégorique parce que mon vieil ami, le juge Binnie, siège à la Cour suprême. Je suis moi-même avocat, mais les avocats n'ont pas la réputation d'être rapides, n'est-ce pas?
Le sénateur Beaudoin: Et vous avez affirmé que les tribunaux, de toute façon, ne sont pas préparés à intervenir dans ce domaine, même si le code passait par une loi. C'est peut-être le cas chez vous, mais c'est tout le contraire au Canada.
Le sénateur Cools: Oui, les tribunaux sont prêts.
Le sénateur Beaudoin: Ils sont prêts. Incidemment, je suis d'accord avec la Cour suprême, dont je suis un très grand admirateur. Les juges interviendraient, sans aucun doute. Comme la Cour a établi une distinction entre la lex parliamenti et les lois ordinaires, j'aimerais mieux que nous adoptions le régime de la lex parliamenti. C'est une expression latine, bien sûr. Peut-être cette distinction n'a-t-elle pas beaucoup d'importance au Royaume-Uni, mais je crois que nous devons régler cette question tout de suite ici.
M. Williams: Oui. Nous privilégions une démarche plus modérée, minimaliste, qui ralliera tous les intéressés dans une mesure raisonnable.
M. Keith: Puis-je ajouter que, dans une certaine mesure, nous avons résolu ce dilemme au Royaume-Uni, au sujet d'une disposition inscrite au code depuis 1688. Certains d'entre vous savent peut-être à quoi je fais allusion. Je parle de l'article 9 de notre Bill of Rights.
L'article 9 du Bill of Rights fait partie des lois et coutumes fondatrices de notre Parlement. La souveraineté du Parlement est attribuable en partie à l'article 9 — c'est un organisme souverain, une législature souveraine. C'est ce qui explique les privilèges spéciaux du Parlement, dont j'ai déjà parlés.
Un organisme souverain n'est pas enclin, du moins d'emblée, à faire quoi que ce soit qui risque d'empiéter sur son autonomie, sur sa compétence exclusive concernant ses affaires internes, ce qui serait le cas s'il demandait aux tribunaux de trancher sur l'équité, la justesse, la rigueur ou sur quelque caractéristique de son code de déontologie. Comme lord Williams l'a souligné, nous avons choisi cette avenue en partie parce que l'autoréglementation est notre seconde nature, mais aussi parce que les tribunaux se sont montrés très peu intéressés, à une modeste exception près, à empiéter sur la compétence du Parlement sur ses propres affaires. C'est un système fonctionnel au Royaume-Uni parce que, en général, les trois secteurs, soit la direction, la législature et le judiciaire, s'efforcent de ne pas entraver le travail des autres.
Le sénateur Beaudoin: Je dois avouer que j'aime beaucoup votre Bill of Rights de 1688.
Le sénateur Rompkey: Lord Williams, j'aimerais que vous commentiez la proposition que nous avons formulée. La proposition vise l'établissement de la fonction de commissaire par voie législative. Nous en avons discuté, et je crois que tous les membres du comité souhaiteraient qu'il y ait plus d'un commissaire, dont un pour le Sénat.
Personne ici, je crois, n'a jamais envisagé que le code soit inscrit dans une loi. Nous penchons tous en faveur d'un code qui soit la création du Sénat.
J'aimerais que vous compreniez bien notre proposition et que vous la commentiez. Je crois pouvoir anticiper votre réponse, si je me fie à ce que vous avez dit plus tôt, mais c'est mon travail de poser des questions.
M. Williams: Très honnêtement, nous n'avons jamais pensé à nommer un commissaire. Cependant, il m'apparaît très clair que si le commissaire ou les commissaires sont nommés en vertu d'une loi, alors leurs décisions seront assujetties à un contrôle judiciaire, ne serait-ce que pour en apprécier la rationalité.
S'il arrivait un jour, pour paraphraser M. Keith, que la Chambre des lords subisse une réforme — ce ne sera certainement pas de notre vivant — et que tous ses membres soient élus, il faudrait peut-être envisager la création d'une fonction de commissaire pour régler d'éventuelles critiques ou plaintes sérieuses à l'endroit des lords. Le système actuel est en place depuis une année, et il n'y a pas eu de plaintes jusqu'à maintenant.
Le risque, avec la fonction de commissaire, est que ses décisions soient contestées, ce qui tendrait à dévier ou à occulter l'objectif de la Chambre du Parlement, qui est précisément de régler les litiges ou les plaintes en toute équité, comme M. Keith l'a souligné, pour le membre et le plaignant. Si on ouvre la voie aux contrôles judiciaires et aux appels, toute la nature du processus de plainte, que l'on veut juste et raisonnablement expéditif, s'en trouve bouleversée. Ce pourrait être pour le mieux, peut-être y aurait-il des avantages, mais je n'en suis pas certain.
Je dois vous demander de m'excuser de nouveau, sénateur. La cloche m'appelle encore. Je vous jure que ce n'est pas que votre question était trop difficile, même si c'est le cas.
Le sénateur Hubley: J'aimerais que vous nous parliez de la partie du travail du registraire qui consiste à déclarer tous les intérêts pertinents des conjoints, des parents, des amis. Pouvez-vous nous indiquer quel domaine exige le plus de travail du registraire pour l'instant? Avez-vous été obligés d'engager du personnel supplémentaire? Si oui, avez-vous reçu des critiques des membres ou du public concernant l'augmentation des coûts?
M. Keith: Les coûts n'ont pas beaucoup augmenté parce que la fonction de registraire s'ajoute à mon poste actuel de greffier judiciaire.
Je dois préciser, pour votre édification, que le poste de registraire existe depuis 1995 seulement. Lord Griffiths, dont j'ai déjà parlé, avait recommandé la création d'une espèce de registre des intérêts des membres, optionnel. Ce registre n'était pas complet et il n'était certes pas adapté à l'existence d'un code de déontologie tel que celui que nous connaissons aujourd'hui. En 1995, la fonction de registraire a été confiée au titulaire du poste de greffier judiciaire.
Je ne vous donnerai pas de cours sur la Constitution du Royaume-Uni, mais vous savez probablement que la Chambre des lords exerce une fonction judiciaire, qui en fait la cour suprême du Royaume-Uni. De toute évidence, ces tâches incombent à des juges professionnels, non pas à des parlementaires ou à d'autres membres de la Chambre. Quoi qu'il en soit, la Chambre exerce cette fonction judiciaire et je suis greffier judiciaire parce que je suis greffier de la Chambre des lords, qui pour l'instant exerce des fonctions judiciaires. Cependant, les lords juristes, ou les juges de la Chambre des lords, exercent des fonctions un peu plus élevées que les autres tâches courantes de la Chambre. Ils participent, parce qu'ils y ont droit, mais avec beaucoup de prudence. Cela signifie que le greffier judiciaire entretient une relation un peu différente avec la Chambre que, disons, le greffier aux journaux ou le commis aux lois.
J'imagine qu'en 1995, l'idée de confier le travail de registraire au greffier judiciaire était pleine de sens parce qu'il partageait l'aura des lords juristes et des juges, ce qui mettait une certaine distance entre lui et les politiciens. Pour cette raison, il est moins vulnérable à l'influence ou moins inquiet de son avenir professionnel que les greffiers au bureau ou que quiconque est en relation quotidienne avec les membres politiques de la Chambre.
Nous n'avons pas engagé d'autre personnel. Nous sommes deux: moi et la secrétaire. Nous faisons ce travail en plus de nos fonctions judiciaires. Actuellement, la répartition de notre travail est 60 ou 70 p. 100 de tâches judiciaires et 30 p. 100 de tâches de registraire. C'est beaucoup plus que prévu. Au départ, on avait estimé que les fonctions de registraire occuperaient tout au plus 20 p. 100 de la tâche. C'était un peu en deçà de la réalité.
Vous m'avez demandé de parler de ce qui occupe mon temps. C'est très général. Les membres veulent tout faire pour se montrer ouverts et respectueux des règles. Ils peuvent venir me voir aussi bien pour que je les rassure sur la conformité de leurs actes, que je leur dise qu'ils sont en règle et à l'abri des critiques. Bien entendu, une fois qu'ils ont accepté mon conseil, ils sont blindés contre toute allégation d'infraction.
La déclaration des intérêts des conjoints, des membres de la famille et des amis ne me demande pas beaucoup de travail. C'est intéressant parce que c'est l'un des aspects parmi les plus controversés lors des débats et du vote dont je vous ai parlés. En pratique, cette question prend peu de place.
Les difficultés viennent surtout du lien entre la conduite exigée au Parlement et les intérêts financiers des membres. Je vais vous donner un exemple. Voilà quelques semaines, nous avons eu des discussions au sujet de la crise dans l'industrie des régimes de retraite. Un membre de la Chambre, qui est aussi président d'une compagnie de régimes de retraite, voulait savoir s'il pouvait initier un débat sur l'industrie dont sa compagnie est un chef de file.
Dans les deux Chambres de Westminster, une règle établit une distinction entre l'initiation d'une procédure et la participation à une procédure. Les membres ont des droits différents selon qu'ils participent ou qu'ils initient une procédure. Par exemple, s'ils ne peuvent pas présenter une motion, ils peuvent quand même parler en faveur d'une motion présentée par un autre. C'est un exemple de l'incidence pratique du code sur le comportement d'un membre à la Chambre. C'est aussi le genre de questions qui me demandent énormément de temps.
La présidente: Monsieur Keith, j'aimerais poursuivre sur ce thème.
J'aimerais que vous m'expliquiez comment vous en êtes arrivés à exiger la déclaration des intérêts des amis, des parents et de la famille dans le registre. Est-ce que c'est très fréquent? Ces intérêts sont-ils déclarés dans le registre public? Sont-ils affichés sur votre site Web?
Quand vous donnez des conseils, faut-il qu'ils soient écrits pour que les lords puissent s'en servir comme exonération d'un geste, qu'ils l'aient commis ou non?
M. Keith: Non, ce n'est pas nécessaire. Cependant, pour étayer la jurisprudence et assurer l'uniformité, au cas où j'oublierais ce que j'ai dit quatre ou cinq semaines auparavant, j'écris tout ce qui a été dit dès la fin de mes entretiens avec les membres. J'ai donc dans mes dossiers un registre de toutes les conversations que j'ai eues, peu importe sur quoi, au sujet du code de déontologie.
Je vais faire un petit aparté, si vous me le permettez. Il y a de cela quelques semaines, les choses en étaient au point où je ne pouvais déambuler dans le corridor de la Chambre sans me faire happer par qui voulait me dire un petit mot, qui voulait avoir un petit entretien au sujet ses intérêts ou du code de déontologie. C'était plutôt ennuyeux parce que je n'avais jamais de carnet pour consigner ce que nous nous étions dit. Par contre, j'ai dans mes dossiers un compte rendu de toutes mes conversations avec les membres de la Chambre, parce que je veux augmenter la jurisprudence et être uniforme.
Nous n'avons pas inventé la catégorie «épouse, époux, ami». Quand je dis «nous», c'est un raccourci pour lord Williams et moi-même. C'était déjà dans le code de déontologie précédent, auquel nous avons tout simplement fait un emprunt. Je ne sais pas quel raisonnement a conduit à la création de cette catégorie en 1995. Je me contenterai d'affirmer que c'était probablement très fondé, surtout compte tenu de la structure de l'ancienne Chambre des lords, jusqu'à 1999. La majorité des membres étaient de grands propriétaires fonciers héréditaires, de sorte qu'il n'était pas impossible que la femme d'untel possède la moitié de l'Écosse ou une grande partie du pays de Galles ou du Yorkshire.
La présidente: Monsieur Keith, avant de passer à la deuxième série de questions, j'aimerais vous rappeler que huit femmes siègent à ce comité canadien, et que c'est dû entièrement à une décision de la Chambre des lords, des lords juristes de l'Angleterre. Nous avons été reconnues comme personnes et, de ce fait, admissibles au Sénat du Canada. Nous en sommes très conscientes.
Le sénateur Grafstein: L'article 9 de 1688, auquel lord Williams a fait allusion, fait partie de la Constitution canadienne — il est inscrit à l'article 18 de la Loi constitutionnelle. À simple titre de rappel, l'article 18 stipule que le Sénat jouit des mêmes privilèges que la Chambre des communes en 1867. Par conséquent, par référence directe, l'article 9 s'applique au Canada.
J'aimerais souligner que le principe de la compétence exclusive est enchâssé dans notre Constitution écrite, tout comme il l'est dans votre Constitution implicite.
Cela étant dit, j'aimerais revenir sur une distinction subtile concernant les «relevant interests that must be registered», soit les intérêts pertinents qui doivent être déclarés et ceux, notamment les intérêts financiers et les titres fonciers des conjoints, qui peuvent ou non être déclarés. Ici, le mot clé semble être «pertinents».
Pourriez-vous nous éclairer sur ce qui est réputé pertinent? Les articles 12 et 13 se distinguent par la présence des mots «must» et «may». Certains intérêts doivent être déclarés, d'autres peuvent être déclarés ou non. Il m'apparaît évident que la discrimination entre les types d'intérêts est subtile et extrêmement délicate. Quels sont les critères appliqués pour déterminer ce qui «doit» et ce qui «peut» être déclaré, suivant la définition donnée à «pertinent»? Autrement dit, les intérêts financiers sont toujours pertinents et doivent être déclarés. Au paragraphe 13, il est stipulé que la liste n'est pas complète, et vous énoncez les intérêts qui «peuvent» être déclarés.
Pouvez-vous nous donner des exemples, de titres fonciers ou autres, qu'il n'est pas pertinent de déclarer?
M. Williams: Je suis propriétaire d'un petit terrain broussailleux dans l'ouest du pays de Galles. J'avais oublié son existence jusqu'à ce que M. Keith m'envoie le questionnaire. Il s'agit de 10 acres de broussailles sans grande valeur. J'ai quand même inscrit ce terrain parce qu'il peut être pertinent.
Ma femme est avocate. Elle dirige le service juridique d'une compagnie qui fait le commerce des diamants. Il est très peu probable que ce soit pertinent, que cet emploi ait quelque incidence sur mon travail, mais j'ai préféré le déclarer.
C'est souvent une question de proportion. Si vous détenez 1 p. 100 des actions d'une petite entreprise familiale qui fait un profit de 100 000 dollars canadiens par année, c'est une toute autre histoire que si vous détenez 1 p. 100 du capital émis de BP. Tout est question de proportion. Un intérêt peut s'avérer pertinent, et nous avons exhorté les membres, qui ont suivi nos conseils, à déclarer les intérêts qui leur apparaissent plus pertinents que non pertinents, parce que c'est plus facile.
Nous voulions cependant éviter de rendre le système inutilement rigide. Nous ne voulions pas de chasses aux sorcières, d'excès de puritanisme. Nous laissons ces méthodes à nos frères et sœurs de la Nouvelle-Angleterre.
Le sénateur Grafstein: Nous avons connu dernièrement une énorme controverse après la divulgation publique d'un conseil donné par un fonctionnaire à un ministre du Cabinet. Nous ne savons pas trop comment l'affaire a été ébruitée, mais elle a provoqué un tollé au pays.
Si je comprends bien, quand les membres demandent conseil à M. Keith, ils le font sous le sceau de la relation d'avocat à client et, bien qu'il tienne un registre, le registraire divulgue le conseil donné seulement s'il peut servir de motif de défense ou d'alibi. Cette hypothèse est-elle juste?
M. Williams: Le principe général est juste, je crois. Si je parle de telle ou telle chose à M. Keith, et que son bureau m'informe que je ne dois pas faire de déclaration, je peux décider de le déclarer de mon propre chef, même si aucune plainte n'a été déposée. C'est mon privilège. Lors d'un débat, je peux choisir de dire: «Je possède tel intérêt. Le registraire m'a informé que je n'étais pas tenu de le déclarer, mais j'ai décidé de le faire.» C'est ce que j'en comprends, mais M. Keith a une vision de l'intérieur.
M. Keith: L'application pratique du registre pose certains problèmes. Nous allons certainement nous pencher là- dessus lors de l'examen. Les membres tiennent absolument à se montrer ouverts, ils veulent que le public perçoive qu'ils sont ouverts et qu'ils se conforment au code de déontologie. Parfois, malgré mes conseils, ils tiennent à déclarer un intérêt qu'ils ne sont pas tenus de déclarer. Il arrive que je les laisse faire.
Le sous-comité s'est dit préoccupé de cette aura de «terreur» autour du registre. Le registre risque en effet d'être encombré par toutes sortes d'intérêts qui, selon une interprétation stricte du code, ne devraient pas y figurer. Or, si le registre est truffé d'inscriptions inutiles, il arrivera tôt ou tard que les arbres nous cachent la forêt. Une telle situation irait à l'encontre de l'objet fondamental du registre.
C'est un problème actuellement parce que les membres tiennent beaucoup à mettre les choses au clair. J'ajoute que je ne me suis pas donné de règle de base. Cependant, en cas de doute, je préfère parfois conseiller la déclaration. C'est une approche qui n'est pas sans risque.
Je sais qu'il y a un risque parce que le Comité sur les normes dans la vie publique a publié, il y a deux ou trois mois, un autre rapport sur la Chambre des communes. Le rapport met en cause le mode de fonctionnement des Communes; il reproche notamment une trop grande prudence au commissaire, qui conseille aux membres de déclarer beaucoup plus d'intérêts que ce qui est prévu dans le code. Cette critique d'un membre du gouvernement au sujet du registre figure dans le rapport du comité, publié récemment.
Le sénateur Grafstein: Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Peut-être n'ai-je pas été clair.
Quand les membres vous demandent conseil, ils peuvent choisir de divulguer ce que vous avez dit, tout comme le client peut divulguer ce qui a été dit en privé à son avocat. Mais l'information vous est-elle confiée sous le sceau du secret professionnel, ou pouvez-vous être tenu de la divulguer en cas de litige?
M. Keith: Non. Je ne divulgue à personne les renseignements qui me sont confiés en ma qualité de registraire. Je scelle ces renseignements versés dans mes dossiers, comme je l'ai dit, pour étoffer la jurisprudence et par souci d'uniformité. On n'a m'a jamais demandé de divulguer un renseignement sur lequel un membre de la Chambre est venu me demander conseil, et jamais je ne consentirais à divulguer un tel renseignement.
Le sénateur Grafstein: J'en déduis que la vie privée des membres est protégée par un mécanisme assimilable au secret professionnel, et qu'il appartient au client de lever ou non le sceau de la confidentialité?
M. Keith: Oui.
La présidente: Sauf pour ce qui est inscrit dans le registre public et dans Internet.
M. Keith: L'information qui figure dans le registre et dans Internet est celle que le membre choisit de divulguer, et qu'il est tenu de divulguer à mon sens pour se conformer au code de déontologie.
Le sénateur Stratton: J'aimerais revenir sur le thème du commissaire, sur le processus en usage à la Chambre des lords, pour le comparer au nôtre. Nous examinons actuellement la possibilité de créer une fonction de commissaire, qui serait nommé ou non en vertu d'une loi et chargé d'enquêter et de faire rapport à un comité du Sénat, le Comité du Règlement, qui prendrait une décision. Je suis préoccupé par les risques d'ingérence politique. Si le commissaire est nommé en vertu d'une loi, donc par le gouvernement au pouvoir, tout ira bien si une majorité des sénateurs sont de la même allégeance.
Cependant, qu'adviendra-t-il s'il y a un changement de gouvernement et que le commissaire est nommé par un premier ministre d'une autre allégeance que la majorité? Le potentiel de conflits politiques serait alors extrême. C'est un risque réel.
J'aimerais aussi que l'on discute d'une autre difficulté potentielle. Actuellement, le Comité du Règlement compte dix membres du parti au pouvoir et de cinq membres de l'opposition. C'est une autre source de conflits possibles. Je ne dis pas que des conflits vont éclater, mais il y a un potentiel.
Pourriez-vous nous donner votre avis sur ces points? J'en serais ravi.
M. Williams: Ces problèmes sont réels, sénateur. Il y a deux façons d'envisager la question, à mon humble avis. La première serait de confier la nomination non pas au premier ministre, mais à un comité ou à une commission des nominations, qui pourrait s'apparenter à une commission de nomination de la magistrature. Ainsi, le premier ministre n'a rien à voir avec les nominations. Bien entendu, mon opinion n'engage en rien le premier ministre.
La deuxième solution pratique à laquelle je pense me semble la mieux adaptée à la situation actuelle de notre Chambre des Communes, composée d'une écrasante majorité travailliste. Si la répartition est de dix contre cinq, ou peu importe, on pourrait nommer un président du comité qui représente la minorité. Les temps changent et le pendule n'arrête jamais son mouvement. Si le groupe minoritaire emploie des méthodes oppressives, un jour il pourrait très bien se retrouver majoritaire.
C'est une solution pratique au problème. Elle ne serait pas idéale dans un pays où les décideurs jouissent d'un pouvoir démesuré — je ne parle pas d'un pays en particulier —, mais c'est une piste possible.
La présidente: On pourrait aussi procéder par recommandation interne prise par l'ensemble des partis dans chacune des Chambres.
M. Williams: Oui, mais si on tient compte, comme l'a évoqué le sénateur, de la possibilité d'un gouvernement fortement majoritaire, je ne suis pas sûr de l'efficacité d'une approche multipartite.
Il m'apparaît essentiel de parvenir à des solutions, très subtiles j'en conviens, qui tiendront compte de notre objectif réel de servir la population et non nos intérêts partisans à court terme. Il n'est jamais dans l'intérêt d'un parti politique de donner l'impression au public qu'il a trafiqué les règles.
La présidente: Très juste.
Le sénateur Joyal: J'ai deux questions. La première fait suite aux réponses de M. Keith concernant la protection des renseignements sur les lords que vous versez dans vos dossiers. Si je comprends bien, aucune protection n'est prévue dans le règlement actuel. Aucun article, aucune stipulation du règlement n'interdit l'accès à ces renseignements, ni à un commissaire à la vie privée, ni en cas de poursuite ou d'une procédure quelconque. Si le registraire était appelé à témoigner devant le sous-comité ou le comité, sur quoi pourrait-il se fonder pour refuser de répondre aux questions mettant en cause des renseignements qu'il détient au sujet d'un membre de la Chambre des lords?
M. Williams: En effet, le règlement ne prévoit aucune garantie du genre. Je ne sais pas quelle position adopterait M. Keith s'il était appelé à témoigner devant le comité ou le sous-comité.
Je crois que dans sa réponse, il parlait — il me corrigera si je me trompe — de requêtes émanant de l'extérieur du Parlement. Il pourra mieux que moi vous expliquer sa position.
M. Keith: Lord Williams a raison. Il n'existe aucune protection formelle. Cependant, le président du sous-comité est un lord juriste récemment retraité. Je jouis par conséquent de la protection, si vous voulez, de l'un des juges les plus haut placés du pays. Il est hautement improbable qu'il ne demande de divulguer de l'information que j'ai promis de garder confidentielle.
Parallèlement, on crée une fausse opposition entre le registraire et le sous-comité: essentiellement, le travail du sous- comité consiste à me conseiller en cas de difficulté ou si nous nous apprêtons à créer un précédent. De fait, mon intérêt et celui du sous-comité et de son président sont les mêmes. Nous sommes du même côté.
Avant que vous en parliez, il ne m'était jamais venu à l'idée que le rôle du registraire pouvait entrer en conflit avec celui des membres du sous-comité.
M. Williams: Sénateur, votre question ne concernait pas la première étape, à laquelle M. Keith faisait référence, mais plutôt l'étape qui suit le dépôt d'une plainte, n'est-ce pas?
Le sénateur Joyal: Oui, exactement.
M. Williams: Si je suis votre raisonnement, la question deviendrait beaucoup plus complexe si un «défendeur» livrait un témoignage qui contredirait de façon importante les renseignements qu'il a donnés au registraire, à M. Keith. N'est- ce pas ce à quoi vous faites référence dans votre question?
Le sénateur Joyal: Exactement, et elle nous mène à ma deuxième question, sur le paragraphe 19d) de votre règlement, qui stipule expressément — vous y avez fait allusion — que les processus d'enquête et de règlement des plaintes contre les membres de la Chambre doivent prévoir des mécanismes de protection aussi efficaces que ceux qui sont appliqués devant les tribunaux et par les organismes disciplinaires professionnels.
Il me semble que votre règlement intègre les principes de la justice fondamentale, pour éviter que les lords ne projettent une impression de complaisance ou d'abus de la majorité contre un autre lord, surtout si la pression publique est de plus en plus forte contre lui — et nous connaissons tous la grande efficacité des médias dans cette arène.
Votre sous-comité compte cinq membres. Vous avez mentionné le nom d'un lord juriste à la retraite. Pourriez-vous nous donner les noms ou les titres des autres membres? Pourquoi avez-vous inscrit expressément les mécanismes de protection de la justice fondamentale dans le règlement?
M. Williams: Nous l'avons fait parce que nous voulions éliminer tout risque d'allégations partisanes dont le seul but est de détruire une réputation, alimentées par le principe voulant qu'il n'y ait jamais de fumée sans feu. J'ai été président du Comité de discipline du barreau pendant quelques années. Nous voulions que les convenances ordinaires soient observées, que le mis en cause puisse connaître le détail de la plainte dont il fait l'objet. Si un report est demandé, dans certaines circonstances, il doit être accordé. Si le mis en cause demande d'être représenté par un avocat, sa demande doit être acceptée. C'est le genre de choses que nous voulions.
Je ne sais pas qui sont les membres du sous-comité.
M. Keith: Je le sais, mais je ne crois pas que les noms vous disent quoi que ce soit. Il s'agit tous de très distingués membres, représentant un parti ou un groupe de la Chambre des lords. Tous ont été membres de la Chambre pendant plus de 30 ans, au moins.
Le sénateur Joyal: Je ne m'intéresse pas tant aux noms qu'à leurs antécédents professionnels. Vous avez parlé d'un lord juriste à la retraite.
M. Keith: Le président est un lord juriste retraité, un autre membre est un ancien ministre du gouvernement, un autre est un juge à la retraite. Un autre a été membre du gouvernement à l'échelon local et un autre a été ministre du Cabinet avant d'être un brillant homme d'affaires.
M. Williams: L'essentiel est que la composition est multipartite, non?
M. Keith: Les membres représentent tous les partis, et tous ont été membres de la Chambre pendant très longtemps.
Le sénateur Joyal: Pourriez-vous élaborer sur les raisons qui vous ont menés à prévoir des mécanismes de protection aussi rigoureux que ceux qui sont appliqués dans les tribunaux? Vouliez-vous laisser entendre aux tribunaux qu'ils n'avaient pas à s'en faire pour ce qui est des modalités d'exercice du pouvoir ou de la fonction, en leur démontrant votre intention manifeste d'appliquer les principes de la justice naturelle? Autrement dit, quand les tribunaux auront compris que la procédure du Parlement s'apparente à la leur, ils seront moins tentés de s'ingérer. Ils seront contents d'apprendre que ces principes sont appliqués.
M. Williams: Ce n'était ni notre intention ni notre motivation. Cependant, je conviens avec vous, sénateur, que ce serait une conséquence heureuse.
Nous voulions surtout éviter que la procédure ne soit pas suffisamment transparente ou fidèle à la justice naturelle, telle que nous l'entendons. Une atteinte à la réputation est toujours dévastatrice et la victime doit jouir de toutes les protections attendues aux yeux de la justice naturelle, ce qui comprend la représentation, la connaissance des accusations portées et la possibilité de préparer sa défense. Quiconque a subi une atteinte à sa réputation doit être protégé de la même façon qu'une personne accusée d'avoir roulé à 40 milles à l'heure alors que la limite était de 30. À nos yeux, le dépôt d'une plainte contre un membre de la législature est un geste grave, qui appelle un traitement juste, mais aussi un traitement perçu et approuvé comme étant juste.
Nous n'avons jamais discuté de la nécessité de tenir les tribunaux à l'écart.
M. Keith: Selon moi, la procédure doit être aussi efficace et aussi équitable que celles qui sont appliquées aux professions à l'extérieur du Parlement. Lord Williams a parlé du Comité du barreau. Nous pourrions ajouter l'exemple du conseil médical général. Nous voulons prévoir dans le code des mesures aussi justes pour l'accusé que celles des codes de déontologie de ces professions.
M. Williams: Nous étions aussi motivés par notre désir de convaincre nos collègues de la Chambre et ces protections, outre leur caractère intrinsèquement vertueux, peuvent persuader les plus sceptiques de la légitimité, de la justesse et de l'équité du régime.
Le sénateur Joyal: J'ai posé cette question en pensant à une affaire récente au pays qui a obligé la cour à évaluer les facteurs du maintien de l'intégrité et de la dignité du Parlement. L'un des facteurs essentiels de cette dignité et de cette intégrité est l'application des règles de la justice naturelle au sein du Parlement lui-même. Comme vous l'avez mentionné dans votre déclaration préliminaire, les privilèges n'ont pas été créés pour donner un statut supérieur aux parlementaires. Les privilèges sont nécessaires à l'exécution de fonctions précises. Toutefois, ils doivent aussi contribuer au maintien des principes de la justice naturelle. L'intégrité et la dignité du Parlement doivent aussi sous- tendre l'exercice de la fonction disciplinaire.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir au Bill of Rights de 1688. Il fait partie intégrante de notre Constitution, comme l'a souligné le sénateur Grafstein, et il en est de même au Royaume-Uni, bien évidemment. Malgré cela, j'ai quand même l'impression que nos tribunaux sont beaucoup plus enclins à intervenir dans l'interprétation des statuts que ceux du Royaume-Uni. Peut-être respectent-ils plus la distinction entre la législature et la magistrature. Il me semble que les juges britanniques interviennent moins souvent dans les affaires courantes du Parlement.
M. Williams: Les juges ont, à juste titre, beaucoup de scrupules à s'immiscer dans les affaires courantes du Parlement. Mon commentaire au sujet de la Cour suprême du Canada pourrait s'appliquer — c'est l'avocat qui parle et non le politicien — tout aussi bien à la Cour suprême de l'Inde. Au cours des dix dernières années, les deux ont été extrêmement proactives, à cause de votre Charte au Canada et pour d'autres raisons en Inde.
Ces cours sont probablement plus proactives que la Chambre des lords, à titre de cour supérieure d'appel, ne souhaite l'être ici.
Tous les juges font très attention de ne pas transgresser les frontières, à ne pas empiéter sur le territoire de l'appareil parlementaire.
Dernièrement, on a tenté de faire prononcer l'illégalité de la guerre en Iraq par les tribunaux. Le jugement a été laconique: «Cette question relève du Parlement et des dirigeants. Elle ne relève pas de la compétence des tribunaux.»
Le sénateur Beaudoin: C'est exactement ce que les juges ont répondu?
M. Williams: Oui.
Le sénateur Fairbairn: Lord Williams, le sujet à l'honneur aujourd'hui, sur lequel vous avez une bonne longueur d'avance, revêt un intérêt capital au sein de notre cité parlementaire, de nos deux Chambres.
Vous avez affirmé que l'objectif ultime était de servir le public. Vous en êtes aux débuts de la mise en œuvre du régime adopté. Avez-vous pu jauger l'intérêt du public par rapport à cette question et aux changements que vous avez apportés, dont certains pourraient être qualifiés de révolutionnaires?
Quel intérêt ce public que nous tentons tous de servir a-t-il montré à l'égard des activités du Parlement à Westminster? Quelles ont été les réactions? Faudra-t-il attendre qu'un incident important se produise pour que cet intérêt se manifeste enfin?
M. Williams: Madame, j'imagine que je peux comprendre le mot «révolutionnaire» comme un signe d'approbation.
À vrai dire, je n'ai perçu aucun signe d'intérêt. Vous avez tout à fait raison. Pour intéresser le public, il faudra qu'un scandale de l'ampleur que vous évoquez éclate. Pour l'instant, les signes d'intérêt restent encore subtils.
La taille de notre Chambre dépasse de loin la vôtre. Elle compte presque 700 membres. Elle fonctionne à temps plein avec du personnel à temps partiel. Les 700 membres ne se présentent pas tous les jours. Il n'y a pas de place pour tous. Et je ne vous parle pas de toutes les autres composantes.
J'ai remarqué que les membres ont plus de scrupules quand ils posent une question. Quand le temps est limité, ils déclarent leurs intérêts, pas toujours en détail, mais ils sont inscrits. Ils sont beaucoup plus vigilants à cet égard. Notre mode de fonctionnement en a bénéficié, c'est évident.
Cependant, je n'ai pas constaté d'effet marqué sur le grand public. Pour susciter son intérêt, comme vous l'avez tristement suggéré, il faudra probablement attendre une catastrophe.
Le sénateur Fairbairn: Ce n'était pas nécessairement tristement suggéré, mais dans nos deux pays, c'est le genre de choses qui arrivent. Ce sera un test.
Les activités importantes et positives que nous exerçons dans ce Parlement sont les plus difficiles à faire connaître, à rendre intéressantes et à faire comprendre.
M. Williams: M. Keith et moi-même espérons sincèrement que nous pourrons remettre en mai la visite que nous avons dû annuler. Nous pourrions alors vous apporter des exemplaires du code original et la mise à jour produite chaque semaine par le bureau de M. Keith. Ces documents vous seront fort utiles parce qu'ils font état des genres de problèmes rencontrés et des solutions que nous avons trouvées.
La présidente: Je prends bonne note de l'offre de lord Williams de venir nous voir en personne. Il pourra nous donner ses conseils au sujet du code, quand nous serons plus avancés. Nous le prendrons certainement au mot.
Le sénateur Grafstein: J'espère, lord Williams, que je n'ai pas abusé de votre patience ni de celle de M. Keith. Votre règlement m'intéresse au plus haut point, tout autant que cet exercice de comparaison entre notre réglementation actuelle et les propositions de renouvellement.
Selon notre règlement, notre organisme est déjà autoréglementé. Il est important de mettre en lumière la tangente qui se dégage de la comparaison entre votre régime et le nôtre. Je parle plus particulièrement des marchés publics.
Une de nos lois stipule que les parlementaires ne peuvent pas être parties directes à un marché. Ce n'est pas une question de déclaration, c'est interdit par la loi. Est-ce le cas au Royaume-Uni? Quelles sont les dispositions du règlement à cet égard?
M. Williams: Non, ce n'est pas le cas au Royaume-Uni. Il n'existe aucune interdiction législative à cet égard. Il existe cependant des dispositions sur les pratiques frauduleuses qui seront étendues à la Chambre des communes.
Personnellement, et j'insiste sur la nature personnelle de cette opinion, j'y vois beaucoup d'avantages. Je ne sais pas si M. Keith veut commenter ce point.
M. Keith: Non, je n'ai rien à ajouter, si ce n'est que ce problème précis n'a pas encore atterri sur mon bureau.
Le sénateur Grafstein: C'est un problème qui touche non seulement les parlementaires, mais aussi leurs conjoints et leurs proches. C'est une loi canadienne. C'est une question dont il faudra débattre, sans faute.
Si je comprends bien votre règlement, rien n'empêche un membre d'avoir un intérêt dans un marché public, direct ou indirect, s'il déclare cet intérêt en temps opportun.
M. Williams: C'est exact sur le plan conceptuel. Je n'ai jamais rien vu de tel, mais si quelqu'un a un proche qui travaille dans le domaine commercial, ce serait certainement possible. Nous n'avons jamais eu vent d'un tel problème, mais les risques sont encore plus grands.
Le sénateur Grafstein: La question du bénévolat est aussi en cause. Une personne qui fait partie d'un conseil d'administration pourrait être visée par cette disposition, même si ce n'était probablement pas l'intention.
M. Williams: La croyance voulant que tous ceux qui sont associés de près ou de loin à la vie publique agissent uniquement par cupidité et intérêt personnel risque d'être élevée au rang d'obsession. Pourtant, ce n'est pas le cas.
Le sénateur Cools: J'aimerais faire écho à certaines remarques formulées au sujet du Bill of Rights de 1688 et de la Constitution canadienne, notamment en ce qui a trait à la lex parliamenti, aux privilèges parlementaires, en répétant tout simplement que tout ce que vous avez, nous l'avons aussi. Notre Constitution est une réplique de la vôtre.
Certains de vos commentaires m'ont particulièrement intéressée. J'aimerais connaître l'origine des démarches qui vous ont conduit à l'élaboration et à l'application de votre code déontologique.
Tous les deux, vous avez affirmé que les lords eux-mêmes ont pris l'initiative de se donner un code. Ils ont pris cette attitude proactive pour anticiper des problèmes possibles. D'une certaine façon, vous avez pris le taureau par les cornes. Est-ce exact?
M. Williams: Absolument.
Le sénateur Cools: Vous avez tous deux parlé de trois principes bien établis, tant ici qu'au Royaume-Uni. Vous avez énoncé le principe de la compétence exclusive du Parlement sur ses travaux, le principe de l'autoréglementation.
Un autre principe sous-tend celui de la compétence exclusive, mais vous n'en avez pas parlé explicitement. Selon ce principe, le Parlement doit assurer la régie de ses membres pour ce qui est de ses travaux. Notamment, l'expulsion de parlementaires a toujours été considérée comme un acte sérieux, depuis des siècles.
J'ai compris que le succès de ce code déontologique et que son efficacité — il semble être efficace — sont attribuables en partie au fait qu'il découle d'une initiative de la Chambre en réponse à un besoin croissant de transparence et de modernisation.
La conjoncture est différente chez nous. Aucune des deux Chambres n'a initié la démarche. L'initiative, les activités d'élaboration et d'articulation qu'elle a inspirées, émanent en fait du Cabinet du premier ministre.
Ma conclusion est-elle juste? Je me demande par ailleurs si vous et vos collègues auriez eu le même succès si l'initiative n'avait pas été prise par la Chambre des lords mais par le Cabinet du premier ministre?
M. Keith: L'instigation de la démarche est le fruit de plusieurs courants convergents. Tout d'abord, il y a eu le Comité sur les normes dans la vie publique, formé essentiellement en réponse aux scandales qui éclaboussaient la Chambre des communes. Il a circonscrit les principes à appliquer à la vie publique, qui figurent au paragraphe 5. Notre grande chance a été, comme vous le dites, de commencer sur une base consensuelle. Nous avons agi de notre propre chef. Personne ne nous a forcé la main. J'oserais dire que je préfère l'ère pré-Enron à l'ère post-Enron, et que la Chambre des lords a eu l'immense fortune d'entreprendre ce travail avant le scandale Enron.
Le sénateur Cools: Votre réponse est très éloquente. Beaucoup de sénateurs estiment qu'il est essentiel et plus pertinent que le Sénat développe son propre instrument pour régler ces questions, plutôt que de se plier à une instruction du premier ministre.
M. Williams: Je suis d'accord. Je sais que plusieurs de vos collègues partagent avec moi l'opprobre et le déshonneur qui sont le lot des avocats. Quand j'étais à la barre et que je cherchais à régler une affaire, j'offrais toujours à mes adversaires un peu plus que ce qu'ils attendaient. Le résultat est toujours meilleur si vous réussissez à persuader quelqu'un à faire preuve d'audace au lieu de le contraindre.
Le sénateur Cools: Je souscris tout à fait à votre philosophie comme avocat — et comme membre de la Chambre des lords. C'est sans doute la plus ancienne Chambre de ce type. Cette réalité pousse notre Sénat à aller de l'avant, à faire honneur à son histoire et aux principes qui lui ont donné sa force tout au long du dernier siècle. Je continuerai à défendre la position comme quoi le processus d'authentification et de certification du sens éthique des sénateurs devrait émaner du Sénat lui-même. Ce processus devrait être étayé et lié par les principes de la compétence exclusive, de la loyauté, de la justice naturelle et tous les autres que nous considérons comme nos principes fondateurs.
Merci à tous les deux de votre clairvoyance et de votre humour. Ce fut un grand bonheur de vous écouter. Nous devons nous rendre à l'évidence que, sur le plan politique, nous vivons des temps étranges et périlleux.
Je vais vous donner un exemple. Voilà quelques jours, un membre — dont je ne souscris aucunement aux idées politiques — a proposé d'intenter une poursuite contre M. Bush pour la guerre en Iraq. Nous vivons une époque où les membres s'expriment à coups de «déclarations», pour m'exprimer ainsi. Nous arpentons des territoires inconnus. Je suis très troublée de constater que des parlementaires puissent proférer de tels propos — je suis plus que troublée, je suis renversée.
En même temps, je suis consciente que cette démarche vers ce qui semble un nouveau processus de plainte pose un danger particulier qui n'est pas lié à l'application du système. Il faudra constamment se méfier des plaintes abusives, malveillantes et vexatoires, qui seront suggérées plutôt que clairement énoncées, uniquement à des fins partisanes — ou, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, des atteintes à la réputation dans un intérêt publicitaire ou médiatique. Voilà pourquoi ces démarches doivent se faire avec beaucoup de circonspection, parce que nous entrons dans un tout nouveau domaine des relations parlementaires. Je voulais vous dire à quel point j'avais apprécié votre clairvoyance et votre esprit.
Profitez-en par la même occasion pour informer votre premier ministre que nous sommes très nombreux ici à nous inquiéter de la situation mondiale, et que nous prions chaque soir pour les soldats. Merci.
La présidente: Je vous rappelle que ce projet de loi, ou que la proposition que vous avez devant les yeux s'appuie sur les travaux d'un comité parlementaire des deux Chambres du Canada, ainsi que sur le Rapport Milliken-Oliver, publié en 1997. Elle n'est pas sortie de nulle part.
Si je comprends bien, quand un intérêt est déclaré au registraire de la Chambre des lords, il est en quelque sorte «purifié». C'est ce que vous avez dit, je crois, monsieur Keith. Une fois qu'ils ont déclaré un intérêt en lien avec une question donnée, les lords conservent-ils leur droit de vote sur cette question ou, comme c'est le cas au Canada, leur est-il interdit de voter s'il s'agit d'un intérêt financier direct?
M. Keith: Ils peuvent presque toujours voter, sauf rares exceptions. Cependant, ce n'est pas assez important pour en parler — vaut mieux mettre l'accent sur ce qui se passe normalement et sur la règle générale.
Dans la grande majorité des cas, un intérêt dûment déclaré et inscrit n'empêche pas un membre de voter. Le code de déontologie permet même aux membres qui souhaitent participer à un scrutin mais qui ont omis de déclarer un intérêt de le faire dans les 24 heures qui suivent, pour régulariser la situation.
Il existe probablement dans le registre des intérêts pertinents qui, selon moi, devraient justifier une interdiction de vote — c'est ce que je répondrais si un membre me le demandait. Je fais référence à des intérêts très directs et très liés à une situation précise. Si nous revenons à l'exemple du président de la compagnie de régimes de retraite, je ne lui déconseillerais pas de participer à un vote concernant une loi sur l'ensemble de l'industrie, mais je lui conseillerais de ne pas voter si le vote concernait directement et uniquement sa propre société.
La présidente: Cette question a-t-elle déjà été discutée?
M. Keith: Non.
La présidente: Nous serons fort heureux de vous accueillir de nouveau au Canada pour discuter avec vous du contenu de notre code de déontologie.
Merci du temps que vous nous avez consacré aujourd'hui.
La séance est levée.