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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du 
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 18 - Témoignages du 30 octobre 2003


OTTAWA, le jeudi 30 octobre 2003

Le Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, auquel a été renvoyé le projet de loi C-34 modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l'éthique) et certaines lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 10 h 08 pour en faire l'examen.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: La séance du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement est maintenant ouverte. J'aimerais que tous comprennent bien comment nous examinerons le projet de loi C-34 au cours des 48 prochaines heures.

Ce matin, nous entendrons M. Robert Marleau, ancien greffier de la Chambre des communes, et M. Joseph Maingot, professeur à l'Université d'Ottawa. Jusqu'à présent, tous les autres ont décliné notre invitation à comparaître devant notre comité. Nous attendons la réponse de Mme Jennifer Smith, professeure à l'Université Dalhousie, et de M. Stephen Scott, professeur à l'Université McGill. Nous avons tenté désespérément de communiquer avec toutes les personnes que les sénateurs avaient proposées.

Le comité de direction nous autorise à examiner ce projet de loi article par article le vendredi 31 octobre. Une séance est prévue pour 10 heures, ou à l'ajournement des travaux du Sénat, dans la salle 160-S. Si quelqu'un pouvait amener des témoins après l'ajournement du Sénat aujourd'hui ou demain matin à 10 heures, j'en serais ravie. Je veux que notre comité siège aussi longtemps qu'il le faudra pour entendre tous les témoins, et je repousserai l'examen article par article en conséquence.

J'ai toutefois l'intention de procéder article par article demain.

Le sénateur Andreychuk: Je ne sais pas s'il s'agit ici d'un rappel au Règlement ou d'une question de privilège, mais je crois bien que ce sont les deux. À titre de vice-présidente du comité, je crois que si vous inscrivez dans le compte rendu ce que le comité de direction a accepté, tout le processus de ce comité devrait être exposé aux sénateurs présents aujourd'hui. Le comité de direction a été convoqué assez rapidement à la fin de notre avant-dernière séance, lorsqu'il a été décidé d'agir rapidement. Je ne sais pas dans quelle mesure je peux parler du comité de direction parce que j'ignore si nous sommes actuellement réunis à huis clos.

La présidente: Non, nous ne sommes pas réunis à huis clos.

Le sénateur Andreychuk: La réunion du comité de direction se déroulait-elle à huis clos?

La présidente: Oui. Le comité de direction se réunit toujours à huis clos.

Le sénateur Andreychuk: Tout ce que je peux dire alors, c'est que le comité de direction, qui comprend deux membres du parti ministériel, a voté en faveur de cette proposition. Seul représentant de l'opposition, j'ai voté contre la motion voulant que l'on appelle tous les témoins et qu'on examine le projet de loi article par article.

Je déclare, pour le compte rendu, que j'ai défendu la nécessité d'entendre des témoins et que les témoins que nous avons reçus jusqu'à présent ne nous ont parlé que des grands principes de l'éthique. On nous a dit au tout début de ce processus que nous allions examiner un code de conduite, ce que représente un tel code et toute la méthodologie qui pourrait s'y appliquer. En d'autres termes, il y a différentes façons de s'attaquer au problème de code de conduite: nous pouvons tout simplement dire que nous avons déjà étudié la question, ou bien reconnaître que nous avons besoin d'un plein pouvoir législatif.

Nous n'avons pas entrepris nos travaux à la hâte, mais bien avec la diligence raisonnable qui est habituelle au Sénat. Nous avons entendu des témoins qui s'intéressent à la question ou qui ont une certaine expertise dans ce domaine. Nous avons commencé nos travaux et, peu de temps après, la présidente du comité nous a dit qu'il fallait produire un rapport provisoire. Les membres du comité qui sont assis de ce côté-ci — ceux de l'opposition — ont dit vouloir un rapport intégral. Certains membres du parti ministériel se sont joints à nous pour dire qu'un rapport partiel pouvait être trompeur et qu'un rapport provisoire pourrait être inapproprié pour le Sénat. Habituellement, nous délibérons en profondeur pour pouvoir formuler des recommandations éclairées.

Toutefois, nous avons cédé. Nous avons écrit dans notre rapport que notre étude n'était pas terminée et qu'il fallait la poursuivre. Le gouvernement a répondu, notamment lorsque M. Boudria a comparu devant nous, qu'il acceptait toutes nos recommandations et qu'il considérait que notre rapport était final.

Encore une fois, nous avons tenté de riposter et de faire comprendre qu'il fallait approfondir cette question puisqu'elle touche l'avenir du Parlement, le statut et l'avenir du Sénat ainsi que le statut et la capacité de rendement de chaque sénateur. Ce n'est pas une mince affaire, mais bien un dossier complexe qui mérite toute la diligence raisonnable que nous nous étions engagés à lui consacrer, ce que nous n'avons pas fait.

Nous sommes maintenant pressés par le projet de loi C-34. Nous avons demandé d'entendre des témoins relativement au projet de loi C-35. Ce sont les détails qui posent problème. Que signifient les articles? Quelles sont les conséquences du projet de loi? Quelles sont les conséquences de ne pas produire un code de conduite?

Il y a de très nombreuses questions à traiter et beaucoup de témoins à appeler. On m'a dit que les membres du parti ministériel se sont fortement opposés à entendre d'autres témoins, alors que les membres de l'opposition souhaitaient vivement poursuivre leur audition.

Nous avons indiqué que nous ne faisons pas obstruction et que nous ne ferons pas obstruction, mais que nous devons faire notre travail, qui consiste à entendre des témoins, à entendre les Canadiens. Il n'est pas étonnant que les témoins refusent de comparaître lorsqu'ils reçoivent un préavis de 24 heures. Certaines personnes m'ont dit «donnez- moi une semaine et je tenterai de changer mon horaire». Ces personnes se sont engagées à enseigner selon un horaire défini. Elles ont des emplois et autre chose à faire. Avec le plus grand respect, elles ne peuvent tout laisser tomber et accourir ici. Elles doivent réfléchir et se préparer avant de nous donner leur avis.

Je demande encore une fois quelle est cette urgence. Hormis les journaux, personne ne nous a dit qu'une certaine magie allait s'opérer le 7 novembre. L'opposition a posé la question au gouvernement sur le parquet, et on lui a répondu que nous allions suivre le calendrier du Sénat. Par conséquent, nous pouvons siéger jusqu'au 18 décembre, ajourner nos travaux et revenir pour continuer notre examen. Si nous siégeons jusqu'au 18 décembre, je suis convaincue que nous pourrions entendre les témoins que nous devons entendre et faire le travail que nous devons faire.

Toutefois, cette situation est scandaleuse et révoltante. Je suis ici depuis 10 ans, et c'est la première fois que nous nous trouvons devant un projet de loi aussi important et que nous disons «Nous ne voulons pas vraiment entendre de témoins. Nous suivrons le processus. Nous obtiendrons une liste de témoins à qui nous demanderons de comparaître dans un délai de 24 heures et nous examinerons le projet de loi article par article un vendredi», alors qu'on nous dit maintenant qu'il est probable que nous ne siégerons pas demain.

Lorsque je me suis opposée à l'accélération du processus et à l'absence d'une analyse pertinente par le Sénat, la présidente ne m'a pas avisée que le comité allait poursuivre dans tous les cas. Cette décision a été prise par deux membres du comité de direction — les membres du parti ministériel se prononçant en faveur, contrairement à l'opposition — et la vie a suivi son cours. Nous avons tenu notre réunion hier, et rien n'a été mentionné.

Il existe une entente selon laquelle nous devons siéger durant les créneaux alloués. En fait, nous procédons ainsi parce qu'il est difficile de siéger à deux comités en même temps. Nous avons beaucoup de problèmes. Vous pouvez comprendre que les membres de l'opposition en ont plus que vous, bien que j'aie entendu hier à la chambre que vous avez de la difficulté à réunir les comités et à y faire siéger les membres appropriés. Nous recevons à l'occasion ceux qu'on appelle les «réchauffeurs de banc», ce qui n'est pas juste pour l'appareil législatif, ni pour la population du Canada.

Le Sénat nous demande de faire partie de certains comités. Le comité de sélection nous demande de choisir certains comités et d'assister à leurs réunions. À mon avis, il est extrêmement important de respecter cet engagement, sinon nous faisons outrage à la chambre, et c'est effectivement ce que nous faisons.

Aucun créneau ne nous a été alloué pour notre séance d'aujourd'hui. Le Comité de l'agriculture siège aujourd'hui, sous la présidence du sénateur Oliver, et doit se pencher sur des questions pressantes. Le Comité de la régie interne siège toute la journée, suivant le créneau qui lui est habituellement alloué, et les sénateurs Stratton et Robertson y sont. En fait, ils sont obligés d'y être puisque le gouvernement a demandé que les budgets de tous les comités et tous les travaux du Sénat soient examinés aujourd'hui.

Le sénateur Beaudoin et moi faisons partie du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dont la séance commence à 10 h 45. Hier, un renvoi a été donné à ce comité pour l'étude de Westray, le projet de loi C-45. Or, ce projet de loi aurait dû être étudié par le Sénat beaucoup plus tôt, puisqu'il traite du décès de certains mineurs canadiens. Cette affaire a été étudiée et a fait l'objet d'une enquête. Nous avons maintenant un projet de loi qui vise à empêcher que pareil accident se produise de nouveau, et on nous demande aujourd'hui d'examiner ce projet de loi à toute vitesse. Ce projet de loi est attendu par des familles qui souffrent, et on nous a demandé de l'étudier. Or, nous avons reçu nos cahiers d'information sur Westray ce matin. Je devrais lire ce document puisque, encore une fois, personne de l'opposition souhaite ralentir le projet de loi C-45. Toutefois, nous devons faire notre travail. Nous devons garantir que le projet de loi est constitutionnellement valable et que l'intention de chaque article est claire. Combien de sénateurs parcourent le pays en disant que le travail du Sénat consiste à examiner un projet de loi d'un point de vue administratif, légal et constitutionnel et en tenant compte des intérêts des régions et des minorités?

Le Comité du Règlement a été convoqué. Il existe une convention — sinon une règle en bonne et due forme — voulant que la tenue d'une séance en dehors des créneaux habituels d'un comité soit approuvée par les deux whips. Or, notre whip a informé le sénateur Rompkey que nous n'étions pas d'accord, pour toutes les raisons que je viens d'exposer, mais aussi, ce qui est plus important encore, parce que le projet de loi Westray allait être étudié. Malgré cela, le comité a été convoqué pour 10 heures aujourd'hui et doit entendre un premier témoin à 10 heures et, à 11 heures, M. Maingot, qu'il faut absolument entendre sur la question des privilèges parlementaires.

Dois-je choisir d'étudier le projet de loi Westray à 10 h 45, comme j'en ai reçu le mandat, ou dois-je me rendre coupable d'outrage en n'y étant pas et en continuant de siéger ici parce que le gouvernement a décidé d'adopter à toute vitesse un projet de loi qui est certes important, mais non urgent et non critique, même si nous sommes ici jusqu'au 18 décembre? Y a-t-il quelque chose de plus scandaleux? Je n'utilise habituellement pas ce vocabulaire, et je crois que personne ne m'a entendu parler de la sorte au sujet de la procédure. Je ne peux tout simplement pas accepter cette situation.

Je suis révoltée qu'on nous ait dit que nous allons siéger demain. Il est possible que non, mais il y a des témoins et nous pouvons siéger demain. Nous avons assez de créneaux pour faire notre travail correctement si nous souhaitons entendre ces témoins. Les appelle-t-on seulement pour faire partie d'une mascarade, alors que notre idée est déjà faite et que nous parcourons rapidement le projet de loi article par article, sans l'amender, sans tenir compte de ce que pense l'opposition et de ce que disent les témoins? C'est ce qu'il me semble, et je présume que c'est la réalité. Ce que nous faisons n'a pas d'importance. À quoi bon? Je demande que cette séance soit levée, à moins que quelqu'un d'autre ne souhaite prendre la parole et faire valoir son point de vue.

La présidente: Merci. D'autres personnes sont sur la liste, et je n'ai pas l'intention de lever la séance. Sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal: Merci, madame la présidente. Concernant notre présence aux réunions, j'ai toujours essayé d'y être, d'interroger les témoins, de faire part de mes opinions et de les partager avec mes collègues du mieux possible.

Je me trouve moi-même devant le même dilemme, puisque le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit ce matin. À la fin de la journée hier, nous avons reçu le projet de loi C-45, qui traite des mines de Westray, et la chambre a même exprimé le voeu qu'on se prononce article par article sur le projet de loi aujourd'hui, en raison de son importance. Il s'agit effectivement d'un projet de loi important, qui modifie le Code criminel. Je crois humblement que je peux y contribuer et apporter mes réflexions sur le sujet. De plus, il ne s'agit pas seulement d'entendre des témoins, mais bien de voter. Je suis un membre à part entière du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. La chambre donne l'ordre d'étudier ce projet de loi en une seule séance, puis de voter. Mon collègue le sénateur Beaudoin, qui se trouve de l'autre côté, a évidemment un pouvoir législatif, tout comme le sénateur Andreychuk.

Nous nous trouvons dans une situation où nous voulons tous les deux participer autant que possible aux travaux du présent comité. Nous avons montré par le passé, je crois, que nous voulons aborder ce problème de façon positive. Or, nous faisons partie d'un autre comité et nous souhaitons contribuer à l'examen d'une question qui, comme le sénateur Andreychuk l'a mentionné, est urgente. La chambre en a donné l'ordre, et nous allons donc manquer le témoignage de M. Maingot qui, comme nous le savons, a écrit sur la question des privilèges, qui constitue un des principaux enjeux de ce projet de loi. J'aimerais certainement l'entendre et lui poser des questions.

Cette situation me met très mal à l'aise, en tant que sénateur, puisqu'elle me force à agir contrairement à l'éthique. Je vais rester ici aussi longtemps que je le peux, mais je devrai me précipiter à la réunion du Comité des affaires juridiques pour la tenue d'un vote article par article, ce que je trouve tout à fait contraire à l'éthique.

Nous parlons d'éthique. En voilà un bel exemple. Il ne s'agit pas d'un conflit d'intérêts. L'éthique consiste à se comporter correctement, c'est-à-dire à porter le meilleur jugement possible sur un projet de loi qui nous est soumis.

Comment puis-je exercer mes fonctions de sénateur et exprimer mon opinion sur le projet de loi, comme mon serment professionnel l'exige? Je n'aurai entendu aucun des témoins. Je devrai me précipiter à 12 h 30 pour la tenue d'un vote article par article, ce qui est, à mon avis, tout à fait contraire à l'éthique.

Avant de parler de conflit d'intérêts, parlons d'éthique, comme le sénateur Grafstein l'a dit. Qu'est-ce qui est convenable et qu'est-ce qui ne l'est pas? On ne peut légiférer sur ce sujet, mais c'est la réalité. Je me trouve dans une situation contradictoire, puisque je réfléchis sur la question d'éthique tout en ayant un comportement contraire à l'éthique. Cela étant dit, j'aimerais parler des témoins.

J'ai soumis la liste des experts comme vous l'avez demandé au début de la semaine. J'ai réussi à n'en joindre qu'un seul, le professeur Donald Savoie, de Moncton, que la plupart d'entre nous connaissons pour son récent ouvrage sur la gouvernance, plus précisément sur la relation entre le pouvoir exécutif et le Parlement. Le livre qu'il a écrit sur ce sujet est un ouvrage sérieux qui a d'ailleurs reçu le prix du gouverneur général.

J'ai parlé au professeur Savoie. Je lui ai fait part de mes préoccupations au sujet de l'éthique, qui est au coeur de ce projet de loi. Il s'est dit intéressé à venir ici et m'a demandé de lui envoyer les documents, parce qu'il n'avait pas lu le projet de loi ni les témoignages. Je lui ai tout envoyé par télécopieur. J'ai appris par la suite qu'il n'est pas disponible.

Madame la présidente, si quelqu'un m'avait demandé de me présenter demain matin, à 10 h 30, sans quoi on n'aurait pas le temps de m'entendre, je n'aurais peut-être pas été disponible. Je fais valoir le même point que le sénateur Andreychuk.

Les professeurs ou les experts mettent de côté pour nous leur emploi du temps sans rien exiger en retour. Ce sont des experts. Ils ne s'empresseront donc pas d'exprimer une opinion s'ils n'ont pas eu le temps d'y réfléchir ou de lire nos délibérations. Ils tiennent d'abord à lire les témoignages d'experts déjà entendus, notre rapport provisoire et ainsi de suite. J'ai tenté de le joindre ce matin pour lui demander s'il pouvait venir demain ou lundi matin, au plus tard. Je lui ai laissé un message. Son adjoint m'a dit qu'il donnait un cours, mais qu'il retournerait mon appel aujourd'hui.

J'ai fait de mon mieux pour faire venir des témoins. Toutefois, si nous ne laissons pas plus de marge de manoeuvre à ces experts, c'est-à-dire qu'il faut qu'ils viennent demain matin ou jeudi après-midi, ils ne pourront peut-être pas être présents.

J'ai essayé de rejoindre Peter Aucoin. Lui aussi est en train de donner des cours. C'est lui le grand expert de l'arrêt rendu récemment par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Figueroa et rendu public en juin dernier. Nous serons appelés à nous prononcer au sujet d'un projet de loi sur la foi essentiellement du témoignage de M. Aucoin. Il vient de Dalhousie. Ce n'est pas comme s'il travaillait à l'Université d'Ottawa, de l'autre côté du pont. Il faut lui donner le temps de se rendre.

J'ai fait de mon mieux pour essayer de trouver des témoins. Si le seul moment de les entendre est maintenant ou jamais, le comité n'accueillera pas de témoins experts, surtout au sujet de questions aussi complexes.

Madame la présidente, la situation actuelle me met à l'aise. Je répète que j'ai fait de mon mieux pour ne pas retarder les travaux du comité en essayant de faire venir des experts qui aideraient mes collègues à se faire une opinion dans ces dossiers. C'est là notre rôle.

Le sénateur Beaudoin: Je suis vice-président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui commence à siéger dans vingt minutes.

J'ai appris à la dernière minute que l'affaire Westray sera confiée au Comité des affaires juridiques. J'ai reçu des appels de témoins, y compris de l'Association du Barreau canadien. Ils souhaitent témoigner parce que le projet de loi C-45 est un projet de loi extrêmement important, sur le plan juridique. Il met en jeu des éléments de droit constitutionnel.

Il semble qu'il faille terminer l'étude article par article aujourd'hui. C'est la première fois que le Barreau canadien ne serait pas invité à témoigner. Ses porte-parole ne peuvent pas se présenter à une ou deux heures de préavis. J'estime me trouver plus ou moins dans la même situation que les sénateurs Joyal et Andreychuk. Nous sommes tous du même avis à cet égard.

J'ai un premier devoir et un second. Mon premier devoir aujourd'hui est d'assister à la réunion du Comité des affaires juridiques. Mon second est de participer aux travaux du Comité sur le Règlement, qui est très important et qui a de nombreux problèmes juridiques à régler.

Je vais quitter la salle parce que je dois assister à la réunion du Comité des affaires juridiques en tant que vice- président, mais il faudrait changer le système. Nous allons trop vite. Je n'ai d'autre choix que de partir en plein milieu de la réunion.

Le sénateur Smith: Madame la présidente, je vous remercie. Je puis certes comprendre les frustrations des sénateurs Andreychuk, Beaudoin et Joyal. Je ne tiens pas à critiquer la position de quiconque. Nous sommes tous frustrés.

Il n'est pas souhaitable, quand on est membre de deux comités, et je fais partie du Comité des affaires juridiques moi aussi, que ces deux comités siègent simultanément. Ce n'est pas normal. Il ne faudrait pas qu'on en prenne l'habitude.

En réalité, nous nous trouvons dans des circonstances quelque peu inhabituelles. J'aime bien la franchise. Je ne prétends pas parler au nom du gouvernement, mais il est probable que le Parlement ne siégera pas plus tard que le 7 novembre, jusqu'à ce que nous ayons un nouveau premier ministre. C'est probable, mais la décision ne dépend pas de l'un d'entre nous. J'ignore même si elle a déjà été prise. Toutefois, je ne crains pas d'enfoncer une porte ouverte et il ne sert à rien de nier la réalité.

C'est effectivement frustrant. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il a fallu beaucoup de temps avant que ne soit renvoyé le projet de loi à l'étude au comité. C'est regrettable, mais c'est ainsi.

Je suis sûr que certains n'appuient pas le projet de loi et ne seraient pas mécontents de le voir mourir au Feuilleton. Si c'est le cas, il n'y a pas grand-chose que nous puissions faire. J'aimerais que nous nous efforcions le plus possible de le renvoyer à la Chambre. Si elle décide de le rejeter ou de le modifier, alors soit! Il faudrait au moins faire connaître notre position.

C'est une question qui occupe beaucoup de place sur la scène publique actuellement. Il est raisonnable que nous fassions de notre mieux dans des circonstances difficiles. J'avais prévu d'emmener mon épouse souper quelque part ce soir, pour son anniversaire. Je ne peux pas le faire. J'ai dû l'appeler pour lui dire que je serais ici toute la journée et que je ne serais pas de retour, ce soir. Nous allons nous voir demain. Cela ne me gêne pas.

Nous faisons de notre mieux pour que la question soit soumise à un vote. Tous pourront faire connaître leur position. Je les accepte toutes. Toutefois, il est souhaitable que nous nous prononcions et que nous retournions le projet de loi à la Chambre. Il arrivera ce qu'il doit arriver. Il faut faire de notre mieux dans des circonstances difficiles. Il faut s'adapter à ces conflits qui ne plaisent à personne.

Le sénateur Kroft: Madame la présidente, je vous remercie. Vous savez que je ne suis plus membre titulaire du comité et je vous suis donc reconnaissant de me laisser parler ce matin. J'entends depuis hier divers bruits et toutes sortes de rapports sur ce qui se passe. Je suis venu ce matin pour essayer de bien comprendre par moi-même la situation en raison du très vif intérêt que suscite chez moi le sujet.

De 8 heures ce matin à peu près jusqu'à mon arrivée ici, j'étais assis dans mon bureau. Il ne faudrait pas croire que seuls les sénateurs assis ici aujourd'hui sont préoccupés. Il n'y a pas un bureau au Sénat que le sujet à l'étude ne préoccupe pas vivement, soit à cause des calendriers et du dilemme des comités ou, encore plus, en raison des principes fondamentaux en jeu dans le projet de loi à l'étude. Le débat d'aujourd'hui est le microcosme d'un débat beaucoup plus important qui est repris partout ailleurs au moment même où nous parlons.

À cela, j'aimerais ajouter que je me réjouis d'avoir pu arriver à temps pour entendre le sénateur Andreychuk. D'une certaine façon, j'estime ne pas avoir grand-chose à ajouter parce qu'elle a fort bien fait valoir la plupart des points que j'aurais moi-même soulevés. Il y avait beaucoup de matière à réflexion dans ce qu'elle avait à dire. Ses propos m'ont semblé justes et équilibrés et venir d'un sénateur qui essaie de bien faire son travail plutôt que d'agir par intérêt quelconque. Je remercie sincèrement le sénateur Andreychuk de ses propos.

Quant au dernier point que je souhaitais aborder et qu'a soulevé le sénateur Smith, nous savons tous que nos horizons sont bloqués par une certaine date. Chers collègues, je demande seulement que nous gardions tout cela à l'esprit. J'ai la terrible impression qu'on est en train de perdre de vue ses objectifs. Il ne s'agit pas d'une question nationale ayant des conséquences pragmatiques, économiques ou sociales importantes si nous ne la réglons pas d'ici une certaine date, même si le Parlement est prorogé le 7 novembre. Nous ne parlons pas d'un grand enjeu constitutionnel qu'il faut régler parce que le pays risque d'éclater. Ce n'est pas comme le projet de loi Westray qui vise des familles dans le besoin. Il s'agit d'une question strictement institutionnelle qu'il faut régler de notre mieux, rien de plus. Cela ne changera rien au pays comme tel.

On n'a pas l'impression d'avoir vraiment le temps de bien le faire. Si la question n'est pas réglée tout de suite et si nous estimons être incapables de le faire maintenant, après un examen et des délibérations complètes, alors faisons-le à notre retour. Le Canada sera toujours là; rien n'aura changé. Tout sera encore en place. Les Canadiens continueront de se sentir en sécurité, et nous aurons l'occasion de bien réfléchir à la question à notre retour. N'oublions pas le contexte: l'avenir du pays ne dépend pas de la décision que nous allons prendre dans ce dossier. Toutefois, l'avenir du Sénat est en jeu, et il ne faudrait donc pas agir avec précipitation.

Le sénateur Fraser: Madame la présidente, je vous remercie. Le sénateur Smith a fait valoir beaucoup mieux que moi de nombreux points dont j'aurais parlé, s'il ne l'avait pas déjà fait. J'aimerais faire observer, par ailleurs, qu'il n'est malheureusement pas inhabituel que les sénateurs soient coincés par des conflits d'horaire pour ce qui est des travaux des comités. C'est extrêmement malheureux, mais c'est un fait de la vie parlementaire et cela nous arrive tous bien plus souvent que nous ne l'aimerions. Il faut alors agir en fonction de ses priorités.

Je ne crois pas que la situation soit contraire à l'éthique. Deux comités examinent des projets de loi importants. Permettez-moi d'être d'un autre avis que le sénateur Kroft, qui estime que le projet de loi est de nature purement interne et institutionnelle. Une question est purement interne et institutionnelle si elle vise, par exemple, les règles qui s'appliquent au calendrier des travaux des comités. La question à l'étude ne concerne pas seulement des faits et des pratiques, mais aussi la confiance qu'ont les Canadiens dans l'intégrité de leur Parlement. Il s'agit d'une grande question nationale d'une importance considérable dont nous sommes saisis depuis longtemps et qu'il importe de régler.

Le sénateur Rompkey: Madame la présidente, je vous remercie. En ce qui concerne le projet de loi sur l'affaire Westray, la décision de le renvoyer au comité a été prise en fin d'après-midi hier mais, avant que la décision ne soit prise, il a été convenu par les deux partis de la Chambre qu'ils appuyaient pleinement le projet de loi et qu'ils souhaitaient en traiter sans plus tarder. En fait, ils étaient disposés à lui faire franchir les trois étapes hier après-midi. Le sénateur Kinsella et des sénateurs libéraux l'ont dit. On est disposé à adopter le projet de loi Westray très rapidement, et il n'y a pas de désaccord entre les partis. Aucun parti n'y est opposé. Les deux en appuient l'adoption sans amendement.

Je n'irai pas jusqu'à dire que la réunion de ce matin a lieu simplement pour la forme, mais les deux partis se sont déjà entendus pour donner tout leur appui au projet de loi et ils seraient disposés à l'adopter sans amendement.

Pour ce qui est du vote, je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'opposition vive au projet de loi, quel que soit le nombre de personnes qui assistent à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de ce matin. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que tous les membres soient présents pour adopter le projet de loi. Au contraire!

Je tenais à m'associer aux propos du sénateur Smith. Je n'en dirai pas plus, mais je suis d'accord avec ce qu'il a dit. Je tenais également à préciser que notre réunion n'est pas de grande conséquence et que la question dont nous traitons actuellement n'est pas d'une importance cruciale pour le pays. En fait, je pense tout le contraire. J'en reviens à un point qu'a fait valoir le sénateur Andreychuk dans ses observations au sujet de la façon dont est perçu le Sénat au pays. Il est vrai que nous avons fait beaucoup de chemin depuis que je suis ici, pas du fait que je m'y trouve, mais simplement depuis mon entrée en fonction. Je suis arrivé au Parlement à l'époque de l'affaire Thompson et je me rappelle l'angoisse et la vive controverse que nous avons vécues durant ces années.

Nous avons fait beaucoup de chemin depuis lors. Il se peut qu'on croit au Canada que le Sénat tente d'une façon quelconque de se défiler ou de ne pas traiter du projet de loi à l'étude, de cette question d'éthique et de reddition de comptes, avec promptitude. La nature même de notre institution fait que nous ne sommes pas élus et, en ce sens, il est presque essentiel que nous rendions de meilleurs comptes. On écrit déjà des articles à cet effet.

Si les Canadiens et les Canadiennes estiment que notre institution qui jusqu'ici a fait du bon travail tente maintenant, d'une quelconque façon, de ne pas rendre autant de comptes que les autres chambres, cela nous nuit. Par conséquent, la question a des conséquences au pays.

Nous avons étudié le projet de loi à l'étude pendant longtemps. Les questions que nous avons posées hier et celles que nous poserons probablement aujourd'hui ont déjà été formulées. Nous avons déjà entendu certains témoins que nous accueillerons. Je ne serais certes pas d'accord pour adopter à toute vitesse un projet de loi aussi important, mais j'estime que nous en avons suffisamment débattu. Les sénateurs se sont, pour la plupart, déjà fait une opinion, et il serait peut-être préférable de retourner le projet de loi à la Chambre le plus rapidement possible pour que nos collègues puissent prendre position et adopter ou rejeter le projet de loi. Pour ma part, j'espère qu'il sera adopté parce que je le juge important pour notre institution et pour le pays.

Le sénateur Grafstein: J'ai trois points à soulever. Comme je l'ai dit tout à l'heure, lorsque nous avons commencé à discuter de ce qui est essentiellement une disposition de clôture, je maintiens que cette façon de faire est contraire à l'éthique. Nous voilà confrontés à une clôture de fait puisque l'opposition nous dit que cela l'empêche non pas de retarder les travaux, mais d'y participer. Nous sommes en train d'étudier un projet de loi sur l'éthique et nous voilà aux prises avec un problème d'éthique, comme l'a dit le sénateur Joyal, parce que l'opposition estime ne pas avoir suffisamment de temps pour étudier le projet de loi. À prime abord, elle estime ne pas en avoir le temps voulu.

Quant à ce qu'a dit le sénateur Smith selon lequel nous sommes saisis du projet de loi à l'étude depuis longtemps, il y a belle lurette que nous n'en avons pas discuté. Le Sénat n'en est saisi que depuis quatre ou cinq jours et nous voilà maintenant à l'étape d'une analyse fouillée. Quant à ce qu'a dit le sénateur Rompkey, que nous avons déjà fait l'étude article par article du projet de loi, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Rompkey: Nous avons examiné un projet de loi de nature analogue.

Le sénateur Grafstein: Nous n'avons pas examiné le projet de loi à l'étude dans sa version détaillée, article par article, en fonction des témoignages entendus. Nous avons discuté de certains principes qui ont gravité autour d'une ou deux questions, mais nous n'avons pas examiné tous les enjeux du projet de loi à l'étude qui sont complexes.

Le libellé du projet de loi comporte certaines incohérences. J'ignore comment nous pouvons y voir sans disposer de témoignages externes affirmant qu'elles sont valables ou pas. Je ne comprends pas pourquoi il faut se prononcer aussi vite. Étant donné que personne ici ne tient à tuer le projet de loi dans l'oeuf, nous voulons faire en sorte que tous les sénateurs, pas seulement ceux qui siègent au comité, le connaissent et le comprennent bien. D'où la nécessité de tenir un véritable débat au Sénat, où beaucoup de sénateurs qui ne s'étaient pas vraiment arrêtés à la question ont commencé à le faire.

Je vous en donne un exemple, un exemple tout à fait ordinaire. Le sénateur Poy a déposé il y a quelques années un projet de loi visant à changer certaines paroles de l'hymne national. Le projet de loi a suscité de vives réactions au Sénat. Après un débat d'un ou deux ans, elle a réussi à faire changer d'avis ses collègues grâce aux faits présentés et à l'évolution des attitudes des Canadiens et des Canadiennes.

Il s'agit d'un projet de loi constitutionnel, d'un projet de loi constitutionnel interne. Je viens tout juste de commencer à examiner ce projet de loi article par article, et j'ai des questions. Nous avons entendu le premier ministre dire qu'il voulait laisser une belle base et ensuite, nous avons entendu ceux qui appuient le nouveau chef dire qu'il n'est pas nécessaire de se précipiter. Les conséquences de ce projet de loi ne toucheront pas le chef actuel; c'est le nouveau chef qui en subira les conséquences — si, en fait, le projet de loi s'embourbe. Parlons de cette question comme d'une réalité également.

Le sénateur Smith a parlé de la réalité qui existe à l'extérieur de cette salle et que nous connaissons tous — le 7 novembre. Parlons de la réalité après le 14 novembre. Nous avons entendu les ardents partisans du nouveau chef — qui dit qu'il s'agit d'une question qui regarde le Sénat.

Dans les faits, personne ne veut défier l'opinion publique, que Dieu nous en garde. Je peux vous dire que l'opinion publique peut changer très rapidement. Cependant, le gouvernement s'est lui-même laissé piéger, en criant le mot «éthique» sur tous les toits, ce qui a contribué à créer des attentes irréalistes. Nous avons entendu cela clairement hier de la part de M. Audcent, qui disait que l'éthique va au-delà de la loi.

Il y a ici des attentes qui sont plus élevées que celles que nous pouvons combler. Franchement, j'ai examiné ces sondages dont nous a abondamment parlé le sénateur Fraser, combien il est important de maintenir notre cote dans l'opinion publique. Je sais que les députés provinciaux partout au pays n'ont pas meilleure cote dans l'opinion publique que les sénateurs ou les députés de la Chambre des communes. C'est la façon dont vous vous conduisez dans les questions de politique publique, et ce que vous faites avec le pays qui est important.

J'ai lu des sondages et des sondages — et le sénateur Smith n'a pas eu l'avantage d'examiner ces derniers —, mais le point que je veux valoir ici, c'est que personne, madame la présidente, ne mourra si cette étude article par article prend encore deux, trois ou quatre jours; en bout de ligne, les conséquences seront que nous traiterons ce projet de loi en suivant le processus normal. Il nous faudra au moins six ou huit mois pour élaborer et pour examiner un code de conduite. Cette obligation ne disparaîtra pas, quoi qu'il advienne.

Pourquoi essayons-nous de forcer l'adoption de ce projet de loi même si l'opposition n'est pas à l'aise, si elle n'a même pas la possibilité d'assister à la discussion? Pourquoi continuer de vouloir faire adopter ce projet de loi à la hâte, alors que nous manquons à toutes les règles d'éthique que nous avons établies? La règle d'éthique numéro 1, c'était le comité restreint: fixer un calendrier de réunions de manière que l'opposition, qui est de moins en moins nombreuse, puisse assurer une présence appropriée aux comités. Maintenant, deux de leurs membres nous disent qu'ils pensent avoir un conflit. J'ai entendu ce que le sénateur Rompkey a dit. Cependant, le sénateur Andreychuk a toujours dit, à maintes reprises, qu'il n'y a rien de gratuit dans le cas d'un projet de loi.

Je veux m'assurer que nous irons en comité et que nous allons délibérer sur ce projet de loi. Elle pourrait vouloir soulever un problème. Pourquoi voudrions-nous l'empêcher de le faire? Dans ce Sénat, nous avons fait fi de toutes les considérations éthiques pour adopter un projet de loi sur l'éthique — et je pense que c'est un manquement à l'éthique. Mon point de vue, c'est que si elle a présenté une motion d'ajournement jusqu'à demain, nous siégerons ici alors et espérons que nous aurons du temps pour convoquer certains témoins.

Sénateurs, vous ne voulez pas que cette situation tourne à la comédie. Si nous pouvons avoir des témoins qui peuvent nous aider au cours des deux ou trois prochains jours, pourquoi ne pas le faire? Pourquoi pas? Qu'est-ce que nous cachons?

La présidente: Merci, sénateur Grafstein. J'aimerais juste dire que nous ne cachons rien. J'ai essayé d'obtenir des témoins. Nous essayons toujours d'obtenir des témoins. Si nous voulons siéger demain, nous le ferons aussi longtemps qu'il le faut.

Le sénateur Grafstein: Le sénateur Joyal nous a dit que deux témoins légitimes ne pouvaient se présenter sur un préavis aussi court.

Le sénateur Smith: Avez-vous quelque chose contre l'idée d'entendre le témoin que nous avons? Il est ici.

La présidente: Il est ici, et nous aurons également M. Maingot qui arrivera dans 15 minutes.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai aucune objection. Je suis ici.

Le sénateur Cordy: Je comprends le dilemme du sénateur Andreychuk et il est certain qu'il y a moins de membres du comité de l'autre côté. Je suis de Nouvelle-Écosse. Bien que je ne sois pas membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j'ai rencontré hier des membres du syndicat des métallurgistes qui étaient à Ottawa. Rien ne m'aurait fait plus plaisir que d'être présent à ce comité ce matin. Je suis très chanceux que mon Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui se réunit habituellement à 11 heures, ne siège pas aujourd'hui.

Ceci dit, nous sommes ici pour délibérer sur le projet de loi C-34. Je fais partie du comité depuis le printemps et bien que le projet de loi n'ait pas été déposé devant nous, nous avons certainement procédé à une étude préalable. Je ne suis pas certain de la terminologie à employer — à savoir s'il s'agissait d'une étude préalable ou du tout —, mais je sais qu'à ce moment-là nous avons entendu 22 témoins. En fait, ce que j'ai compris hier, c'est que certains des témoins qui ont été appelés à comparaître une nouvelle fois devant le comité ont répondu qu'ils avaient vraiment tout dit ce qu'ils avaient à dire la dernière fois qu'ils ont comparu devant le comité.

Le Sénat a été saisi de ce projet de loi. Il est dommage que le comité n'en ait pas été saisi plus tôt, mais on n'y peut rien. Il a été difficile de le faire parvenir au comité. Il est certain que les sénateurs ont eu l'occasion de parler à la Chambre et qu'ils auront l'occasion de le faire encore une fois lorsque le projet de loi sera renvoyé au Sénat.

Je pense que nous devrions travailler aussi rapidement que possible pour que le projet de loi soit renvoyé au Sénat. Je crois, comme le sénateur Fraser l'a affirmé précédemment, qu'il s'agit d'un projet de loi d'une grande importance pour les Canadiens.

La présidente: Merci, sénateurs. Je pense que j'en ai assez entendu. Le sénateur Andreychuk voudrait présenter une motion d'ajournement, mais je vous signalerai que nous avons des témoins ici qui sont prêts à témoigner. J'estime que nous ne devrions pas les retarder dans leur témoignage. Une fois les témoignages entendus, si le sénateur Andreychuk désire toujours présenter une motion d'ajournement, je serai certainement prête à l'accueillir.

Le sénateur Andreychuk: Voulez-vous dire que vous n'accepterez pas une motion maintenant? J'ai entendu un certain nombre de points. Je ne me rends pas à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur la question de la mine Westray uniquement pour donner mon approbation sans discussion; j'ai beaucoup de respect pour ce projet de loi parce qu'il est urgent d'agir.

Toutefois, il y a deux raisons pour lesquelles je vais me rendre à ce comité. Premièrement, c'est que j'y suis obligé par la Chambre. On m'a mandaté pour être là-bas et non ici. Deuxièmement, les gens qui seront là méritent que nous apportions notre appui à ce projet de loi, et que nous en fassions l'étude. Qu'arriverait-il s'il y avait une faille dans le projet de loi? Si nous ne faisons qu'approuver sans discussion, aussi bien mettre la clé dans la porte du Sénat maintenant. Vous n'avez pas besoin de nous — si je ne fais que fournir un corps, vous n'avez pas besoin de nous. Nous sommes là pour appliquer nos connaissances légales, ayant siégé au sein de ce comité pendant longtemps, connaissant le Code criminel et nous assurer que tout est en règle. De crainte que vous pensiez qu'il s'agit là d'une observation à l'endroit de la Chambre des communes, ce n'est pas le cas. Cependant, nous avons souvent modifié et amélioré des projets de loi ici. C'est de là que vient notre bonne réputation — diligence raisonnable. Je dois être là par diligence raisonnable et respect pour les familles des victimes de la mine Westray.

Pourquoi suis-je ici?

La présidente: Vous êtes également mandaté pour être ici, sénateur Andreychuk.

Le sénateur Andreychuk: Je ne suis pas mandaté pour être ici. Le gouvernement a choisi de faire fi de la collégialité, sinon des règles qui veulent que les deux whips s'entendent si on veut nous faire siéger en dehors de notre horaire régulier, simplement pour éviter cette confusion. Notre whip a refusé, sachant très bien ce qui se passerait aujourd'hui et au cours de cette semaine.

J'offre de revenir les 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 et 19 novembre — le jour que vous désirez, pour siéger des journées entières, pour que ce projet de loi soit étudié de manière appropriée, avec diligence raisonnable. Ceci n'est pas de la diligence raisonnable.

Sauf votre respect, je peux éviter mon devoir et faillir à la tâche que la Chambre m'a confiée et siéger ici et écouter M. Marleau, mais je pense que c'est couru d'avance. Vous allez les écouter pour la forme, vous allez passer à l'étude article par article et le projet de loi sera renvoyé. Vous ne cherchez pas à obtenir mon avis. Vous ne cherchez pas à obtenir mon opinion. Je ne suis pas certaine que vous cherchez à obtenir l'avis et l'opinion des témoins. C'est gênant et peut-être même que c'est un manquement à l'éthique. Je vais proposer que nous ajournions jusqu'à la prochaine réunion régulière du comité.

La présidente: Je demande le vote par oui ou non. Tous ceux qui sont en faveur d'ajourner et de ne pas entendre notre témoin?

Le sénateur Grafstein: Puis-je poser une question avant le vote?

La présidente: J'ai demandé le vote, sénateur Grafstein.

Le sénateur Grafstein: C'est une question très courte.

La présidente: Faites qu'elle soit courte.

Le sénateur Grafstein: Est-ce que les témoins seront en mesure de comparaître demain?

La présidente: Nous ne le savons pas. La motion porte que nous ne siégions pas avant notre réunion régulière de mardi prochain. Que tous ceux qui sont en faveur de la motion d'ajournement veuillent bien dire oui.

Des voix: Oui.

La présidente: Que tous ceux qui sont contre la motion d'ajournement veuillent bien dire non.

Des voix: Non.

La présidente: Les non l'emportent. La réunion se poursuit.

Monsieur Marleau, veuillez nous excuser de vous avoir fait attendre aussi longtemps. Vous avez la parole.

M. Robert Marleau, ancien greffier de la Chambre des communes, témoignage à titre personnel: Merci, madame la présidente. Vous n'avez pas à demander des excuses.

Le sénateur Joyal: J'en appelle au Règlement, madame la présidente, je tiens à ce qu'il soit précisé dans le compte rendu qu'il n'y avait pas de membres de l'opposition présents au moment où nous avons entendu le témoin.

La présidente: Vous avez tout à fait raison. Il n'y a pas de membres de l'opposition ici. Nous pouvons toujours entendre des témoins et recevoir des témoignages lorsqu'il y a plus de quatre membres du comité présents.

Monsieur Marleau.

M. Marleau: Merci. Encore une fois, il n'est pas nécessaire de demander des excuses. Je suis un peu au courant de la dynamique des comités parlementaires et de l'énergie que ces gens doivent consacrer au processus du débat parlementaire. En fait, c'est un projet de loi qui constitue pour moi un retour en arrière.

[Français]

Comme je suis, pour le moment, dans une incarnation qui me désigne comme étant un agent du Parlement, mon temps est le vôtre.

[Traduction]

Je n'ai pas d'exposé liminaire comme tel. J'ai eu relativement peu de temps pour me concentrer sur vos délibérations, bien que j'aie eu à m'intéresser à ce projet de loi plus tôt lorsqu'il a été étudié par la Chambre des communes et que j'ai été assigné comme témoin.

Mon expertise, si je peux contribuer à vos délibérations, devrait être en quelque sorte limitée à la question du privilège parlementaire sous l'angle du processus et des droits, et peut-être à certaines observations sur le débat visant à savoir si le cadre juridique est la meilleure façon de mettre en oeuvre un tel texte législatif; peut-être que je parlerai aussi de ce qui m'apparaît comme une ambiguïté qui pourrait causer certaines difficultés dans les relations entre les deux Chambres, à savoir la Chambre des communes et le Sénat.

[Français]

Je voudrais résumer les points que je voulais faire, ayant lu les délibérations de vos deux dernières séances. Je me sens très humble lorsque je constate l'expertise qui existe déjà autour de la table. Peut-être pourrai-je contribuer un peu en répondant à vos questions.

[Traduction]

Du point de vue du privilège parlementaire, vos délibérations ont indiqué qu'il y a eu une certaine discussion sur la question de savoir si le privilège est conféré ici par le biais de ce texte législatif ou si de nouveaux privilèges pouvaient être créés par l'intermédiaire de cette législation. Vous vous êtes également demandé dans quelle mesure cela pourrait s'opposer à l'article 18 de la Constitution qui précise fondamentalement que le Parlement dispose des privilèges que le Parlement britannique possédait au moment de la Confédération et qu'il ne peut créer de nouveaux privilèges. Mon interprétation précise — non pas à titre d'expert en droit, mais à titre d'ancien fonctionnaire du Parlement —, c'est que le conseiller sénatorial en éthique ne serait qu'un autre fonctionnaire du Sénat et, par conséquent, chaque fois que cette personne exécuterait ses fonctions, elle se verrait investie des privilèges habituels qui s'appliquent à tout fonctionnaire du Sénat qui exécute un ordre de la Chambre ou du comité. C'est là que vous devez faire le lien avec les délibérations parlementaires, sans aucun doute, comme vous le dira probablement M. Maingot plus tard ce matin.

Malheureusement, il n'y a pas de véritable définition au niveau de la procédure ou de la loi, de ce qu'on entend par délibérations parlementaires, ou de définition sur laquelle s'entendent les experts ou les tribunaux, puisque que nous y sommes. Ceux qui ont écrit sur cette question — mes collègues britanniques ou le manuel de procédures des Communes — définissent les délibérations parlementaires comme toute chose qui découle d'une action de la Chambre, d'une résolution de la Chambre, d'une décision de la Chambre ou tout ce qui survient dans le cadre de ce processus et qui mène à une décision de la Chambre. Participer au débat en fait partie, au même titre qu'une résolution faisant suite à un ordre émanant d'un fonctionnaire de la Chambre.

Sur la question de savoir si nous créons un nouveau privilège, je serais d'avis que non, ce projet de loi ne crée pas un nouveau privilège. Ce ne serait pas tellement différent de la création d'un nouveau comité du Sénat, de l'embauche d'un nouveau greffier de comité et ce greffier de comité recevrait des ordres de ce comité et aurait droit à l'immunité parlementaire habituelle.

Quant à savoir si le cadre législatif est approprié et protège le privilège parlementaire tel que nous le connaissons au Canada ou s'il le met à risque peut-être en le mettant à la portée des tribunaux, je pense que le cadre est relativement bénin en ce qui a trait au privilège. Il est bien énoncé dans le texte législatif que ce projet de loi n'a pas pour but de diminuer en quoi que ce soit l'immunité ou le privilège du Sénat. Il précise en outre que le fonctionnaire agit dans le contexte du privilège et de l'immunité du Sénat, mais il y a toujours le danger, lorsque vous en faites une loi, que les tribunaux examinent la question et en fassent une interprétation dans un contexte particulier. Il est difficile de dire dans l'absolu si un tribunal ne pourrait pas avoir une opinion qui pourrait différer de celle du législateur au moment où la loi a été adoptée.

En tant que spécialiste de la procédure, je me suis toujours méfié de l'inclusion de la procédure parlementaire dans les lois parce que cela limite la souplesse de la Chambre pour traiter d'une question d'une manière différente au moment où la Chambre en est saisie. Si vous obtenez le consentement unanime, vous pouvez modifier vos règles et vous pouvez probablement modifier un éventuel code de conduite en une seule réunion de la Chambre. Toutefois, si vous devez modifier la loi, vous devez suivre le processus législatif, ce qui limite jusqu'à un certain point la souplesse de la Chambre. Toutefois, la Chambre fait un choix lorsqu'elle adopte la loi et elle devrait faire un choix en sachant pleinement que cette souplesse sera un peu moins grande.

Le débat le plus récent que j'ai pu trouver sur la question de savoir si ce genre de choses devait être présenté sous forme de loi, c'est le débat survenu au printemps dernier au Nouveau-Brunswick. En avril 2003, un comité de cette législature a été saisi d'une proposition du premier ministre Lord en vue de l'adoption d'une loi sur la responsabilité des députés; il n'y a jamais eu d'avant-projet de loi, mais plutôt un livre blanc. Le président et les leaders en Chambre de cette province avaient certaines réticences face à l'idée de régir la conduite ou le comportement des députés par la loi. Il existe déjà une loi autonome sur les conflits d'intérêts. Ils ont demandé mon avis, et j'ai accepté de le faire.

Cependant, le comité a présenté son rapport en avril. Vous allez trouver ce rapport sur leur site Web, si vous désirez le consulter. Le comité a décidé de recommander à la Chambre que cette question ne soit pas enchâssée dans la loi, qu'il devrait plutôt s'agir d'un code de responsabilité et de comportement qui découlerait du Règlement de la législature. Ainsi, le code resterait à la portée de la législature pour qu'elle puisse le modifier et se prononcer sur ce dernier.

Pour connaître les pour et les contre, vous n'avez qu'à lire le livre blanc du leader en Chambre et le rapport du comité. Ils sont très bien expliqués en termes de risque pour l'un et, encore une fois, de caractère souhaitable pour l'autre, si vous désirez recourir à la loi pour faire une déclaration ferme au sujet d'un code d'éthique.

L'autre lien que vous devez établir avec le privilège parlementaire est la question du code et de la loi, qui donne au Sénat, à l'extérieur du texte de loi, la capacité de rédiger son propre code, de l'administrer et de le laisser évoluer sous l'égide du Sénat, sans avoir à passer par le processus législatif. Je vous conseille de vous en tenir à cela.

C'est d'une importance fondamentale pour le privilège. Vous pouvez l'inscrire dans votre règlement. Cela pourrait faire l'objet d'un article du Règlement, avec une annexe renfermant le texte intégral de votre code. C'est une résolution de la Chambre. Ce code conférera le privilège dans toute son étendue, quoique la loi pourrait le préciser également. C'est important d'avoir les deux. Il faudrait probablement qu'un code administratif s'appuie sur la loi. Un code qui prend la forme d'une résolution adoptée par la Chambre aurait cette application générale en application de notre pratique parlementaire traditionnelle.

Il y a une ambiguïté sur laquelle je désire attirer votre attention. Vous avez peut-être déjà une réponse à cette question. Je l'ignore parce que je n'ai pas été en mesure de lire la totalité de vos délibérations précédentes.

[Français]

Le conflit émerge dans la désignation des titulaires de charges publiques. Je remarque qu'en anglais le terme est «officer of the Senate» et en français nous disons «conseiller du Sénat». Les deux langues ont force de droit devant la cour. Il semble y avoir une notion dans le choix du vocabulaire. Du côté de la Chambre des communes et de la responsabilité qui sera imputer au commissaire de l'éthique par le premier ministre, on utilise le mot «commissaire».

Le conflit est que le conseiller en éthique — en déontologie au Sénat, parce qu'il est nommé par le gouverneur en conseil — est un titulaire d'une charge publique selon la définition dans la loi. Le personnage qui aura autorité pour traiter des plaintes de ce titulaire de charges publiques sera le commissaire à l'éthique, qui répond au premier ministre, dans le contexte des titulaires de charges publiques et, à la fois, il a la responsabilité du code qui s'appliquera éventuellement aux députés.

Je vois une possibilité de débats de juridiction, sinon un conflit juridique devant la cour parce que la personne impliquée, la personne qui sera mise en cause, le député ou le sénateur, voudra sans doute, si le sénateur est un ministre, se verra non seulement assujetti au code du premier ministre, mais à la garde du commissaire à l'éthique qui est aussi responsable de la Chambre des communes.

À ce moment, un sénateur voudra sans doute s'en remettre aux fonctionnaires du Sénat plutôt qu'aux fonctionnaires nommés par l'autre endroit ou par le gouverneur en conseil avec l'appui de la Chambre des communes. Comme les codes auront chacun le reflet de la culture politique et parlementaire de chacune des Chambres, ils ne sont pas nécessairement identiques, il y aura des zones grises et des ambiguïtés afin de savoir où le mandat du conseiller en éthique du Sénat se termine et où commence celui du commissaire en éthique du premier ministre.

Je crois qu'il faudrait au moins tenter de faire la distinction et de poser la question pour savoir pourquoi le conseiller en éthique du Sénat est assujetti à la charge ou à la surveillance du commissaire à l'éthique du premier ministre.

Je crois que je limiterai mes commentaires à ces quatre points.

[Traduction]

Je serai ravi de répondre à toute question que les honorables sénateurs pourraient avoir.

Le sénateur Rompkey: Je voudrais des précisions sur le dernier point que vous avez abordé, au sujet du conflit de juridiction. Pourriez-vous nous réexpliquer cela, je vous prie?

M. Marleau: Le conflit de juridiction potentiel se pose à deux égards. Premièrement, parce que les deux codes de conduite, ou codes sur les conflits d'intérêt, peu importe comment vous choisirez de les appeler, seront rédigés indépendamment par chacune des deux Chambres, et ils ne seront pas nécessairement identiques, d'abord dans la formulation et, probablement, dans leur portée. Ils seront certainement différents, reflétant la culture parlementaire de chacune des deux Chambres. Le conflit potentiel surgit lorsque l'un des codes, qui s'applique strictement aux sénateurs, pourrait avoir une certaine portée, et un sénateur qui est titulaire d'une charge publique, par exemple un ministre, sera assujetti à un autre code, et il pourrait y avoir chevauchement ou solution de continuité entre les deux. Le conseiller du côté du Sénat pourrait avoir un point de vue tandis que le commissaire de l'autre endroit aurait un point de vue différent. Vous pourriez vous retrouver devant les tribunaux pour faire concilier ces vues divergentes en obtenant une interprétation.

Le sénateur Rompkey: La seule possibilité de conflit serait dans le cas d'un sénateur qui serait également titulaire d'une fonction?

M. Marleau: Oui. Il y a une autre ambiguïté que j'ai signalée, sénateurs. Si j'ai bien lu le projet de loi, le conseiller en éthique du Sénat serait assujetti, dans son rôle à titre de titulaire d'une charge publique, à un contrôle par le commissaire à l'éthique mandaté par le premier ministre.

Une autre petite ambiguïté, mais qui est associée à cet aspect, est que selon la version française, les fonctionnaires du Sénat sont exemptés en tant que titulaires d'une charge publique, alors cela pourrait s'appliquer au conseiller en éthique du Sénat. Si vous lisez la version française...

[Français]

Nous parlons des cadres et du personnel. Ce n'est pas exactement le même statut de ce que j'appellerais un agent ou un officier parlementaire tel que le greffier ou l'huissier ou le sergent d'armes aux Communes. Je vous recommande de clarifier cette distinction.

[Traduction]

Le sénateur Rompkey: Je veux revenir au cadre juridique du projet de loi. Bien sûr, notre code sera institué non pas par la loi, mais par un ordre du Sénat. Cependant, le conseiller en éthique ou quel que soit le nom qu'on lui donnera figurera dans la loi.

Je voudrais que vous commentiez cela, dans le contexte des deux Chambres, la Chambre des communes et le Sénat. Le fonctionnaire de la Chambre des communes sera établi dans la loi. Je crois savoir que la plupart des autres postes semblables au Canada, dans les assemblées législatives, sont créés par la loi.

J'ai entendu le débat et les témoignages de part et d'autre sur la question de savoir si l'on peut s'adresser aux tribunaux, et aussi sur le danger que cela comporte. Vous avez fait allusion aux risques dans votre allocution.

Cependant, avec votre connaissance de cette institution du Parlement et de ses deux Chambres, je vous invite à commenter l'opportunité d'inscrire dans la loi le poste de conseiller en éthique du Sénat tout comme le responsable de l'éthique de la Chambre des communes est un poste créé par la loi. Les deux Chambres travaillent ensemble et sont perçues par le grand public comme «le Parlement». Je vous invite à commenter cela.

M. Marleau: Nous avons une pratique établie de longue date selon laquelle les fonctionnaires de la Chambre sont dans la loi. J'en suis un exemple, à titre de commissaire à la vie privée par intérim; la loi précise que c'est un poste nommé par le gouverneur en conseil et ratifié par le Parlement. Le greffier de la Chambre des communes et, sauf erreur, le greffier du Sénat tirent leur origine de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Ils sont nommés par le gouverneur en conseil. Dans le cas des communes, cela n'a pas nécessairement été ratifié, bien qu'il y ait un nouvel article du Règlement qui n'a pas encore été appliqué et par lequel cette disposition serait ratifiée. Il y a des consultations poussées avant la nomination du greffier du Sénat. C'est énoncé dans une loi, qui n'est pas la Loi sur le Parlement du Canada. C'est une pratique établie de longue date.

Je ne vois pas de grand risque pour ce qui est du statut d'agent de la Chambre de la personne qui sera nommée. La loi le précise clairement. Le Sénat et la Chambre des communes l'ont adoptée et, en conséquence, les titulaires auront le statut d'agent de la Chambre et jouiront des immunités qui sont expressément indiquées. Dans le cas du conseiller en éthique du Sénat, c'est plus clairement indiqué dans la loi que dans le cas du greffier du Sénat; dans ce dernier cas, c'est la pratique qui établit que ses activités d'agent de la Chambre sont visées par le privilège et les immunités dès qu'il ou elle agit au nom du Sénat ou d'un comité.

Je ne suis nullement mal à l'aise avec ce cadre juridique. Je ne suis pas avocat et je m'en remets assurément aux experts constitutionnels autour de cette table, mais l'article 18 de la loi fondamentale, c'est-à-dire la Constitution, et l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, qui traitent des privilèges et immunités, sont constamment invoqués devant les tribunaux. À chaque fois que le Parlement l'invoque, quelqu'un peut s'adresser aux tribunaux et demander une interprétation quant à sa nécessité ou aux abus potentiels.

Telle était la situation dans l'affaire Radio-Canada c. Donahoe. La cour a dit que la Charte ne s'appliquait à l'accès à la Chambre par les médias. Cependant, la cour s'est réservée le droit de revoir ultérieurement l'utilisation du privilège parlementaire dans des situations où il pourrait aller à l'encontre de la Charte. Les tribunaux peuvent toujours être saisis de la question.

Le sénateur Rompkey: Est-il juste de dire que les tribunaux pourraient en être saisis peu importe que ce soit dans la loi ou dans le Règlement?

M. Marleau: Si ce n'est pas dans la Loi sur le Parlement du Canada ou dans la Constitution, les tribunaux ne peuvent pas exercer de contrôle judiciaire sur une disposition du Règlement de la Chambre. Quand on inscrit dans la loi le Règlement de la Chambre, on le met clairement à la portée du tribunal et, à ce moment-là, vous ne pouvez pas, en tant qu'institution parlementaire, invoquer le privilège. Vous renoncez à votre privilège dès l'instant où vous l'inscrivez dans une loi.

Le sénateur Grafstein: Je suis content que M. Marleau ait terminé son témoignage en disant exactement ce que certains d'entre nous avons déjà dit: si nous voulons avoir la séparation des pouvoirs et rendre les privilèges sacro- saints, tout en étant assujettis à l'examen public, le meilleur moyen de le faire est de procéder par le Règlement du Sénat. Cela nous donnerait la souplesse voulue pour améliorer ou modifier ce Règlement dans la mesure où il s'applique à cet agent en particulier et à l'étendue de ses activités.

Si nous décidions, par principe, de procéder de cette manière, serait-il par ailleurs préférable d'apporter aussi une modification à la loi disant que toute procédure engagée en application de la résolution ferait partie des travaux du Parlement? Il y a eu un grand débat à la Chambre des lords à ce sujet, et la conclusion a été de recommander fermement d'inscrire une modification dans la loi pour indiquer qu'il s'agit bel et bien d'une procédure du Parlement. Cela ajoute encore une zone de confort en garantissant que cela relève de la Chambre qui assume la responsabilité de ses activités envers le public. Connaissez-vous cette affaire?

M. Marleau: Oui, je la connais. Cela avait à voir avec le registre des intérêts en Grande-Bretagne.

C'est une modification que vous pourriez apporter au projet de loi pour dissiper toute incertitude en vue d'influencer l'interprétation des tribunaux. Ce ne sera pas la première fois que des parlementaires rédigent un texte de loi de manière à influer sur la décision éventuelle d'un tribunal sur une question donnée. Un grand nombre de nos lois sont conçues pour énoncer l'intention du législateur sous une forme juridique, de manière que les juges qui se pencheront éventuellement sur la question puissent discerner clairement le raisonnement qui a mené le Parlement à agir de cette manière.

Le projet de loi stipule que le conseiller sénatorial en éthique «exerce les fonctions que le Sénat lui confère en vue de régir la conduite des sénateurs». J'interpréterais cela comme voulant dire que tout ce qui en découlera fera partie des débats et travaux parlementaires, mais c'est peut-être une distinction trop subtile.

La présidente: Je signale que le paragraphe 20.5(2) dit:

Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.

Le sénateur Grafstein: Je n'en disconviens pas. Je ne pense pas que vous compreniez le point central de ma conversation avec le témoin. Je dis que pour dissiper toute équivoque, comme la Chambre des lords l'a fait remarquer, ce serait une meilleure manière de procéder. Cela permet de relever le tout à un niveau plus élevé en termes de clarté et de compréhension. Il y a des conséquences, mais un meilleur libellé, pour une plus grande clarté, serait de dire «lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, celles-ci sont réputées faire partie des travaux et débats parlementaires». Voilà l'argument du témoin.

La présidente: Sénateur Grafstein, je vais faire la sourde oreille à votre insinuation selon laquelle je ne comprends où vous voulez en venir.

Le sénateur Grafstein: Je connais bien cette disposition. Je pose la question au témoin. Je ne veux nullement dénigrer votre propre opinion.

Permettez que je revienne aux autres ambiguïtés que je décèle. Vous en avez évoqué plusieurs entre les deux Chambres. Je constate qu'il y a encore une autre ambiguïté. À un moment donné durant la rédaction, on a changé d'orientation pour passer à deux régimes distincts. Le reste de la mesure législative ne semble pas en tenir compte.

Je vais vous donner un exemple. Vous avez signalé la possibilité de conflit entre le code du Sénat et celui du premier ministre, parce qu'il est étiqueté comme tel, comme représentant les principes, obligations du premier ministre et... je ne me rappelle plus du reste. De la manière dont la mesure est rédigée actuellement, les sénateurs ont le droit d'envoyer une lettre au commissaire à l'éthique dont on propose la création au sujet de n'importe quel titulaire de charge publique, mais en particulier des membres du cabinet, des secrétaires parlementaires, et cetera. Cependant, cette lettre parvient au commissaire à l'éthique et, essentiellement, elle échappe entièrement à l'emprise du Sénat.

Ne serait-il pas préférable de dire d'une manière absolument claire que, bien que tout sénateur puisse soulever au moyen d'une lettre une question relativement à un titulaire de charge publique à l'intérieur de sa propre Chambre... je n'ai aucune objection à cela. Cependant, que nous ayons le pouvoir de soulever une question relativement à un titulaire de charge publique qui peut donner lieu à une question de confiance à l'autre endroit, il me semble que c'est aller un peu trop loin relativement à la séparation des pouvoirs entre les deux Chambres. Avez-vous une opinion là-dessus?

M. Marleau: J'ai une opinion, sénateur. J'ignore si je peux la qualifier de meilleure ou de pire. Il est important de maintenir l'autonomie et l'intégrité des deux entités constitutionnelles du Parlement, sans avoir ce que j'appellerais le risque qu'un agent nommé par une entité ait une certaine compétence sur la conduite ou le comportement d'un membre de l'autre endroit. Je conviens qu'une plus grande clarté devrait être inscrite dans la loi au sujet de cette relation, et c'est probablement faisable au moyen d'un petit amendement. Cela n'arrivera peut-être jamais pendant un siècle, mais quand cela arrivera, et il est probable que cela arrivera un jour, il en résultera une crise constitutionnelle entre les deux Chambres.

La difficulté est que s'il y a une crise constitutionnelle entre les deux Chambres, vous avez le moyen d'entamer un dialogue avec l'autre Chambre au moyen d'une adresse ou d'un message et de faire connaître vos vues et de tenter de résoudre la question. Dans le cas qui nous occupe, vous aurez un agent nommé par l'autre Chambre agissant au nom du gouvernement relativement à la conduite potentielle des membres du Sénat, et vous n'avez pas avec le gouvernement les mêmes liens que vous avez l'autre Chambre. Vous pourrez seulement élever la voix en tant qu'assemblée législative confrontée au gouvernement relativement à ce qui pourrait constituer un conflit sur les compétences entre les deux Chambres.

Le sénateur Grafstein: Encore une fois, sur le plan de la séparation intégrale des deux agents, nous avons cette anomalie que seul le gouverneur en conseil peut révoquer le conseiller.

M. Marleau: Sur adresse du Sénat.

Le sénateur Grafstein: Sur adresse, mais il n'en demeure pas moins que le gouverneur en conseil a le pouvoir de révocation. Le gouverneur en conseil nomme ensuite un conseiller par intérim et la rémunération est fixée exclusivement par le gouverneur en conseil.

Cela n'est-il pas incompatible avec le processus qui est énoncé dans le projet de loi lui-même, et qui vise en fait à séparer les deux fonctions? En fin de compte, le conseiller est nommé, mais s'il faut le renvoyer, on s'adresse à l'autre endroit et un seul homme prend la décision dans les trois catégories, c'est-à-dire le renvoi, la nomination d'un remplaçant intérimaire pour une durée indéterminée, et son pain quotidien. C'est celui qui tient les cordons de la bourse qui décide.

M. Marleau: C'est peut-être incompatible dans l'esprit de l'effort visant à réaliser dans cette mesure législative cette sorte d'autonomie pour les deux Chambres. Ce n'est pas incompatible avec bien des choses qui se font actuellement dans la loi, puisque c'est le gouverneur en conseil qui nomme le greffier et le sergent d'armes. Le greffier de la Chambre des communes est nommé à vie et ne peut même pas être révoqué sur adresse. Il pourrait être révoqué unilatéralement par le gouvernement.

Le sénateur Grafstein: Je comprends cela. Cependant, nous sommes en train de créer quelque chose d'entièrement neuf. Je sais ce qu'il en est du greffier et je connais la tradition du président de la Chambre, et cetera, et il y a d'ailleurs un mouvement en vue de changer cela. Quant à savoir si ce sera acceptable, c'est une autre histoire.

Mon argument est que nous avons affaire à une situation toute nouvelle. En fait, nous disons d'une part que nous tentons d'accomplir la séparation des deux Chambres, ce qui est louable et accepté dans le projet de loi actuel, du moins en partie, mais c'est une demi-mesure. On ne va pas vraiment jusqu'au bout. Voilà ce que je dis. On brandit le spectre de l'indépendance, mais en vérité, celle-ci n'existe pas.

M. Marleau: Je ne peux pas être en désaccord avec l'honorable sénateur sur sa position à l'égard du projet de loi. Libre à vous de percevoir cette contradiction. L'autre petite contradiction est que, au sujet de la révocation, le projet de loi dit que le gouverneur en conseil peut révoquer sur résolution du Sénat, ce qui vous laisse avec la possibilité que, pour une raison ou une autre, le Sénat puisse exprimer son désir de faire renvoyer le conseiller en éthique et que le gouverneur en conseil refuse de le faire.

Le sénateur Grafstein: Exactement.

La présidente: Je signale que la Chambre vient tout juste de déposer la version définitive de son code de conduite, dont on est en train de faire des copies qui nous parviendrons et que nous vous distribuerons très bientôt.

Le sénateur Joyal: Je devrais peut-être déclarer mon conflit d'intérêts avec M. Marleau. Dans nos vies antérieures, nous avons travaillé ensemble à l'autre endroit.

Je suis heureux que vous ayez soulevé cette difficulté créée par l'article 72.06. J'en ai parlé dans mon discours en deuxième lecture. Je trouve que c'est un élément important, parce que nous devrions maintenir la plus grande étanchéité possible de manière à ne pas nuire aux fonctions du conseiller en éthique. Cela devrait être le critère. Nous devons avoir un conseiller en éthique, mais en créant ce poste, nous devons éviter de faire quoi que ce soit qui mettrait en péril le fonctionnement très différent des deux Chambres, sans pour autant lui compliquer la tâche au point de le rendre inefficace. C'est un point important.

Dans le projet de loi, comme vous l'avez signalé, il y a quelques incohérences dans le libellé. Je suis heureux que vous soyez d'accord. Je les ai soulignées. Par exemple, il y a une incohérence entre les mots «officers» et «cadre» en français. On retrouve le même type d'incohérence entre «officer» et «conseiller.»

[Français]

Un conseiller n'a pas la même fonction qu'un officier. Ce ne sont pas deux synonymes sur le plan courant pas plus que sur le plan juridique. N'y aurait-il pas lieu, si l'on clarifie les éléments dans le projet de loi, d'égaliser les deux notions pour les rendre équivalentes. Si nous voulons donner au conseiller à l'éthique le statut d'un officier, on devrait avoir une clause spécifique à ce sujet.

Alors qu'à présent, nous jouons sur les deux termes, sur les deux concepts à la fois. En français, nous parlons seulement d'un conseiller et nous déduisons le rôle d'un conseiller alors qu'en anglais nous disons que c'est un officier.

[Traduction]

C'est aussi un fonctionnaire du Parlement.

[Français]

Il y a une confusion des deux notions, à mon avis, dans le terme dans le projet de loi tel que rédigé. Avez-vous une opinion à formuler à ce sujet?

M. Marleau: Je me suis posé la question, sénateur Joyal. Je n'ai pas eu le temps de lire tous les rapports de ce comité, surtout la première version du projet de loi, je n'ai pas voulu présumer que c'était nécessairement une confusion.

J'ai pensé aussi que le Sénat souhaitait un titre différent, puisque les fonctions de ce conseiller ou officier émaneront spécifiquement du code. Le code délimitera la portée de ses responsabilités et de ses pouvoirs, jusqu'à un certain point, que lui confèrera le Sénat.

On pourrait avoir un conseiller avec ce titre qui, de par le code, aurait les mêmes pouvoirs ou moins de pouvoir si le Sénat le choisissait. Le plus important est l'article 72.06 qui, en voulant créer une liste d'exemption, essaie d'en arriver à une définition de l'officier du Parlement. C'est moins clair. Si vous voulez que cet individu ait, tel qu'il est prescrit dans la loi mais en vertu de la pratique parlementaire, les mêmes immunités que le greffier du Sénat, je pense que ce serait mieux de le dire expressément dans la loi.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Pouvons-nous revenir à la question des délibérations du Parlement? Je crois comprendre que cela se trouve sous le titre des privilèges inhérents de la Chambre du Parlement, les privilèges dont dispose le commissaire à l'éthique dans l'exercice de ses fonctions sont réduites. Si je peux me reporter à la page 74 de votre livre, et vous la connaissez peut-être par coeur, il est écrit «les tribunaux ont, à quelques exceptions près, restreint l'application de cette immunité au rôle traditionnel des députés comme législateurs et participants au débat parlementaire.»

M. Marleau: Absolument en agissant dans ce contexte. Donner avis d'une motion, participer aux débats, proposer un amendement, voter et approuver ou non une résolution, toutes ces activités constituent des délibérations du Parlement.

À la page 72, je cite un éminent collègue britannique qui essaie d'expliquer la portée des délibérations du Parlement sur les hauts fonctionnaires «les fonctionnaires de la Chambre participent à ses délibérations principalement en donnant suite aux ordres de la Chambre, qu'ils soient généraux ou particuliers». Par conséquent, les fonctionnaires de la Chambre ne participent pas aux délibérations comme le ferait un législateur, mais ils le font à la demande du législateur dans le cadre des devoirs législatifs.

Le sénateur Joyal: Ils sont protégés par les privilèges, principalement lorsqu'ils donnent suite aux ordres émanant de la Chambre dans l'exercice de sa compétence collective. Je ne vous apprendrai rien en vous citant Erskine May «en termes de délibérations parlementaires, le sens du mot «délibérations» est un acte officiel, habituellement une décision prise par la Chambre dans l'exercice de sa compétence collective». Par conséquent, c'est lorsqu'elle légifère. Durant les délibérations.

L'interprétation donnée par le tribunal est restrictive parce que ces deux fonctionnaires disposent de privilèges inhérents de toute éternité et ils appartiennent à une catégorie particulière de personnes. Autrement dit, je ne pense pas que l'on puisse élargir les privilèges simplement en se fondant sur un statut car il en résulterait un autre fonctionnaire. Supposons qu'il en résulte un fonctionnaire pour l'embellissement du Parlement, par exemple, et qu'il agisse directement sous les ordres de la Chambre. Je crois que le rôle et les fonctions de ce fonctionnaire doivent être essentiellement liés à l'action de la Chambre dans l'exercice de sa compétence collective. Lorsque nous demandons à quelqu'un de devenir conseiller et de donner des conseils aux députés sur la façon de se conduire, il ne s'agit pas d'une action de la Chambre dans l'exercice de sa compétence collective, c'est un rapport de personne à personne. Ce n'est pas vraiment une action de la Chambre dans l'exercice de sa compétence collective.

Je pense que cette question est discutable. À mon avis, elle n'est pas aussi simple qu'on ne le souhaiterait car nous nous efforçons essentiellement d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.

M. Marleau: Je suis entièrement d'accord avec vous, sénateur Joyal, en ce qui concerne l'action de la Chambre dans l'exercice de sa compétence collective et le rôle d'un individu lié à une délibération. Il y a des fonctionnaires administratifs du Sénat qui ne relèvent pas du tout des Ressources humaines qui recrutent du personnel en votre nom et n'en relèveraient pas nécessairement.

En ce qui concerne le lien, l'important serait le code. S'il est adopté en vertu du Règlement, ce sont des délibérations et la protection — je n'en ai aucun doute, c'est le cas — d'une délibération parlementaire et les privilèges restreints, tels qu'ils s'appliquaient en 1867, s'étendraient à ce fonctionnaire.

Le sénateur Joyal: Une fois de plus, dans la définition des délibérations — et je cite le rapport mixte du Royaume- Uni sur les privilèges du Parlement, article 101 du deuxième chapitre: «Une simple conversation entre des membres de l'une ou l'autre Chambre, même durant un débat, n'est pas protégée.» Deux sénateurs sont dans la Chambre, ils discutent d'un projet de loi — en fait, ils pourraient parler du projet de loi, nous n'en savons rien. Cette conversation n'est pas protégée par les privilèges, même si elle a eu lieu dans la Chambre.

Le conseiller à l'éthique n'intervient pas dans la Chambre. Le projet de loi prévoit qu'il aura un bureau, du personnel, et cetera — une administration distincte de la Chambre. Cependant, il ne participera pas aux activités législatives de la Chambre; il est hors de ce contexte. En se fondant sur la décision d'un tribunal britannique, il devient très difficile d'affirmer que la conversation que le fonctionnaire à l'éthique et le sénateur ont eue à l'extérieur de la Chambre est protégée par le privilège alors que celle des deux sénateurs dans la Chambre et pendant que celle-ci siégeait n'est pas protégée par les privilèges.

M. Marleau: Pour que les privilèges s'appliquent, l'activité doit se faire lors d'une délibération de la Chambre. Ils peuvent s'appliquer suite aux délibérations de la Chambre, tel qu'un ordre émanant de la Chambre — pour envoyer quelqu'un les arrêter, les convoquer et les amener. Le sergent d'armes des communes ne peut être poursuivi au civil s'il arrête quelqu'un sur ordre de la Chambre. Il ne se trouve pas dans la Chambre quand il s'acquitte de ses fonctions.

Si l'autorité du conseiller sénatorial en éthique pour agir, en particulier et en général, est issue du Règlement ou d'un ordre émanant d'un comité — car un comité peut mener une enquête et charger le conseiller sénatorial à l'éthique d'une mission — à mon avis, les privilèges devraient certainement s'appliquer. Devant un tribunal, c'est une autre histoire.

Le sénateur Joyal: Il y a une autre incohérence qu'il nous faut régler. Il est tout à fait clair que les privilèges sont créés par une loi; ils ne sont pas créés par une résolution de l'une des deux Chambres. Même s'il y a une résolution similaire adoptée par la Chambre des communes et le Sénat donnant un ordre quelconque, cela n'est pas un privilège. Ce n'est pas ainsi que l'on crée un privilège. Il y a une longue jurisprudence pour cela. Un privilège doit être créé par une mesure législative. Si le rôle et les fonctions du commissaire ne sont pas définis par une loi mais par une résolution de la Chambre, de la même manière que le Règlement, est-ce que leur nature même ne les prive pas de la protection des privilèges?

M. Marleau: Je n'ai aucunement l'intention d'en débattre avec quelqu'un de votre expérience, votre expertise et vos antécédents dans le domaine juridique. Cependant, je crois que dans le contexte que vous venez de décrire, le tribunal devra lire la loi, le code et les ordres émanant de la Chambre afin de déterminer si les privilèges s'appliquaient à ce cas particulier.

Dans certains cas, les parlementaires — sénateurs et députés de la Chambre — doivent invoquer leur privilège devant des tribunaux à cause de certaines délibérations de la Chambre et les tribunaux doivent venir sur place pour s'en rendre compte. Par conséquent, j'imagine que les tribunaux chercheraient à savoir quelle tâche la Chambre a confiée à cet individu, même si la loi n'en dit rien. Cependant, la loi proposée mentionne qu'il exercerait ses fonctions sous la direction du Sénat et de ses comités.

Le sénateur Joyal: Je ne voudrais pas accaparer tout le temps, madame la présidente, aussi vais-je en terminer avec cette question. Prenons les deux récentes affaires Telezone et Ainsworth Lumber pour lesquelles la Chambre a interjeté appel. Nous ne parlons pas dans l'abstrait, ce sont de vraies affaires. Dans les affaires Telezone et Ainsworth Lumber, il était évident que le ministre avait laissé entendre qu'il était protégé par les privilèges en vertu des règles de la Chambre. Le tribunal en a pris connaissance et a répondu «non». Il a étudié les règles qui s'appliquent quand le Parlement siège — car il y avait une sorte d'immunité de 40 jours. Le tribunal a étudié les règles qui s'appliquent quand la Chambre siège et qu'elle reprend ses travaux, car la Chambre des communes fonctionne selon un calendrier fixe — et il a décidé que c'est une résolution de la Chambre et que cela ne protège nullement le ministre.

Selon moi, les règles n'offrent pas une protection à toute épreuve comme le laisserait penser l'article 20.5 du projet de loi. Il serait de loin préférable de faire expressément état que cela entre dans le cadre des délibérations du Parlement.

M. Marleau: L'affaire Telezone est toujours devant les tribunaux. Le tribunal de dernière instance du pays n'a pas encore rendu de décision à ce sujet. Je connais un peu cette affaire parce que j'ai lu la première décision. En toute logique, j'ai du mal à comprendre comment en se conformant aux règles, la cour a pu prendre une telle décision.

Dans ce contexte et celui du cas que vous avez mentionné, en se conformant aux règles, on pourrait arriver à la conclusion que le juge aurait pu avoir. Cependant, la question ne concernait pas les règles mais les droits collectifs de la Chambre visant à contrôler ses députés en tout temps et leur assiduité si besoin est. Je ne crois pas que nous avons entièrement compris les différences entre l'ajournement d'une séance, la prorogation du Parlement et la dissolution durant la durée d'une législature. Les droits collectifs de la Chambre sont assez progressifs et comparables aux mesures disciplinaires progressives, si je puis m'exprimer ainsi.

Il serait trop tôt d'utiliser ce cas particulier comme point de référence. La Cour suprême du Canada examinera la question plus large soit les droits collectifs de la Chambre comparativement au statut d'un député le 2 juillet par rapport au 30 juin.

Le sénateur Joyal: La cour a suivi les règles pour décider du statut au 2 juillet par rapport au 4 juillet.

M. Marleau: Précisément ce que je dis, sénateur Joyal, que vous l'enchâssiez dans une loi ou non, il est possible de soumettre ces questions à des tribunaux qui les examineront. En fin de compte, vous espérez que les tribunaux respecteront ce que j'appelle la «séparation constitutionnelle» entre le Parlement et les tribunaux en matière de privilège.

Le sénateur Joyal: Nous l'espérons tous.

M. Marleau: Nous l'espérons.

Le sénateur Smith: Je veux parler du conflit que vous avez mentionné. Lorsqu'il y a deux codes, ne devrait-on pas simplement les respecter? Il n'y aurait pas nécessairement de conflit dans ce cas. Autrement dit, la barre aurait peut-être été fixée un peu trop haut.

N'est-ce pas pareil lorsqu'un ministre de la Chambre des communes doit respecter le code du premier ministre et aussi son propre code de ministre? N'y aurait-il pas de barre plus haute? Je suppose que ce serait le cas pour les sénateurs, à l'exception, peut-être, du leader du gouvernement au Sénat. Il pourrait y avoir deux codes à respecter et si l'on ne respecte pas les deux à la fois, alors on a un problème.

M. Marleau: Oui. Cela me rappelle une anecdote concernant l'ancien président Grant qui songeait à écrire ses mémoires. Il demanda à Mark Twain comment écrire sans trop en dire. Mark Twain répondit que le président devrait simplement rapporter la vérité car ceux qui le connaissent le croiront et ceux qui ne le connaissent pas en seraient surpris.

La barre la plus haute à laquelle on pourrait s'attendre pour un parlementaire, s'il est titulaire d'une charge publique, serait la barre autour de laquelle il graviterait. Toutefois, c'est un problème de dynamique du comportement humain. Un individu en difficulté, accusé par erreur, s'appuierait sur n'importe quel recours pour se défendre. Si le conseiller sénatorial en éthique et le commissaire à l'éthique avaient des points de vue différents, auquel des deux un sénateur devrait-il avoir recours? Il est fort probable que le sénateur recherche un avis juridique et même demande à un tribunal de trancher sur la question de compétence afin de se disculper, ayant été, à juste titre ou non, accusé d'avoir enfreint un code ou l'autre ou même les deux.

Quand vous avez deux codes qui sont administrés séparément, un juge n'a pas à lire deux lois pour trancher une affaire. Nous avons un commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire à l'information qui pourraient remplir les deux rôles. Nous nous sommes demandés, récemment, si le commissaire à l'information ne devait pas assumer ces deux responsabilités. Je suis contre l'idée, parce que la protection des renseignements personnels et l'accès à l'information, même si elles peuvent être considérées conjointement, sont deux choses différentes. Nous ne pouvons pas demander à une personne de choisir entre les deux. Nous allons inévitablement avoir un problème de compétence si deux commissaires utilisent deux codes différents pour trancher une affaire.

Le sénateur Smith: Je suppose que cela fait partie des risques du métier. L'ancien ministre de la Défense demeure convaincu que la décision prise par M. Wilson à son égard est injuste et erronée. Même si cela présente des avantages, il n'y a personne qui vous oblige à accepter de siéger au sein du cabinet. Si vous décidez d'en faire partie, vous devez alors vous conformer à certaines règles. Respecter les décisions qui sont rendues en est une. Cette idée, à mon avis, est loin d'être novatrice.

M. Marleau: L'idée d'avoir un commissaire à l'éthique pour la Chambre n'est peut-être pas novatrice, mais celle d'avoir un conseiller sénatorial en éthique l'est. Il y a deux Chambres, deux assemblées législatives qui, en vertu des règles sur le privilège parlementaire, exercent un contrôle sur leurs membres. La conduite de ceux-ci risque maintenant d'être analysée par une personne nommée par l'autre chambre. C'est à ce niveau-là qu'il pourrait y avoir un problème. Ajoutons à cela le fait qu'un sénateur pourrait obtenir des conseils différents, ou ne pas en obtenir du tout, des commissaires, ce qui, à la longue être, pourrait s'avérer problématique.

Encore une fois, adopter un comportement exemplaire, comme vous le proposez, est probablement la chose honorable à faire.

Le sénateur Smith: Vous soulevez un autre point. Si j'étais député, je ne me sentirais pas tout à fait à l'aise avec la façon dont la Chambre a choisi de régler cette affaire. Toutefois, les sénateurs ont eu raison de dire qu'ils vont nommer leur propre commissaire et qu'ils ne le partageront pas avec la Chambre, l'administration et le gouvernement — ils ne veulent pas d'un autre Howard Wilson.

Cela dit, nous ne chercherions pas, délibérément, à remettre en question une décision prise par les représentants élus, avec l'accord de l'opposition. Nous avons indiqué au comité chargé d'examiner le projet de loi qu'il pourrait y avoir un problème, mais il n'a pas semblé en tenir compte. Il pourrait y avoir un problème de ce côté-là, mais c'est la voie qu'ils ont choisie de suivre, et je ne remettrai pas leur décision en question.

Compte tenu de votre expérience en la matière, avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

M. Marleau: Je n'ai pas à remettre en question les désirs ou les volontés de la Chambre des communes ou du Sénat.

Les rapports entre le commissaire à l'éthique et la Chambre des communes sont plus faciles à gérer, parce que c'est elle qui le nomme. Ils sont plus difficiles à gérer du côté des sénateurs, puisque ce sont des titulaires de charge publique et qu'ils doivent rendre des comptes à un commissaire à l'éthique qui est nommé par l'autre endroit, même s'il relève du premier ministre et qu'il est assujetti au code établi par ce dernier. C'est là la seule question de compétence qui, en tant de haut fonctionnaire du Parlement, me préoccupe.

Le sénateur Smith: C'est comme le perchiste qui doit franchir deux barres, sauf qu'il y en a une qui est peut-être un peu plus haute que l'autre.

M. Marleau: Le juge n'est nommé que par une seule personne, celle qui tient la barre qui est la plus haute. Voilà la distinction que j'essaie de faire.

Le sénateur Fraser: Le partage des compétences fait partie de la tradition canadienne. Vos propos me font penser aux démarches que ma famille a été obligée d'entreprendre à quelques reprises, quand elle a voulu faire venir des étrangers au Canada. Nous habitions au Québec, mais nous devions nous soumettre à deux séries de critères d'immigration, remplir deux séries de formulaires, subir deux séries d'entrevues, nous conformer à des règles qui n'étaient pas identiques.

Je vois mal comment un commissaire peut ordonner à un parlementaire de faire quelque chose que l'autre commissaire lui déconseille de faire. Il existe peut-être, comme vous le laissez entendre, à ce chapitre. Il faut, dans les circonstances, chercher à respecter la norme la plus élevée qui soit.

Cela dit, quand nous avons rédigé notre rapport provisoire, ce printemps, nous avons longuement discuté de la question de savoir qui se chargerait de nommer le conseiller sénatorial en éthique, en vertu de quels critères, ainsi de suite. À l'époque, je me disais, et j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, qu'il serait très difficile d'avoir un conseiller en éthique qui serait uniquement nommé par le Sénat, sans l'avis de qui que ce soit, dans ce cas-ci, le gouverneur en conseil, surtout si son mandat est renouvelable. Cette personne serait appelée à porter un jugement sur son employeur. Or, il est très difficile de demander à quelqu'un de faire une telle chose, surtout quand la situation n'est pas tellement claire et nette.

Je me suis dit qu'il serait bon de confier à quelqu'un d'autre, au gouverneur en conseil, par exemple, la responsabilité de nommer ou de renommer le commissaire, car c'est un fardeau très lourd que celui d'examiner la conduite de ceux qui sont responsables de votre chèque de paye. Est-ce que vous comprenez ce que j'essaie de dire?

M. Marleau: Absolument.

D'abord, pour ce qui est du partage des compétences, il m'est déjà arrivé, en tant que haut fonctionnaire du Parlement, d'examiner les nombreux domaines d'activité où les deux Chambres pourraient unir leurs efforts, la sécurité par exemple, pour améliorer l'efficience et l'efficacité de nos opérations. Je ne proposerais jamais que l'on nomme un greffier qui représenterait conjointement les deux Chambres. Or, c'est ce que vous faites quand vous parlez de nommer un conseiller en éthique pour le Sénat et pour la Chambre.

Mon collègue, Paul Bélisle, et moi, avons eu quelques divergences de vues sur la question de savoir si un amendement peut être jugé recevable dans une Chambre et non dans l'autre. Ce sont des choses qui arrivent. Je ne prétends pas que j'ai raison et qu'il a tort. Nous n'étions pas d'accord, mais nous avons essayé de leur fournir les meilleurs conseils possibles sur la pratique parlementaire qui a cours dans chacune des deux Chambres.

Si je vous ai donné l'impression que je suis contre le principe du partage des compétences, je m'en excuse. Chaque chambre a besoin de quelqu'un qui est en mesure de comprendre la culture parlementaire qui lui est propre, et de lui fournir les conseils qui s'imposent.

Le sénateur Fraser: Je ne veux pas, moi non plus, vous donner de fausses impressions.

M. Marleau: Je ne voulais pas induire les membres du comité en erreur.

Je peux vous dire, en tant que greffier de la Chambre, que j'ai été nommé par le gouverneur en conseil, à titre inamovible. On a consulté l'opposition, mais il n'y a pas eu de résolution de la Chambre. Quand il y a entente, le leader du gouvernement à la Chambre ou le Président en fait tout simplement l'annonce. Le fait de savoir que la Chambre ne pouvait révoquer mon mandat constituait pour moi un grand soulagement. Il m'est arrivé de donner à la Chambre des conseils qu'elle ne voulait pas entendre. Il est déjà arrivé aussi que la Chambre interprète la décision particulière du Président comme étant celle du greffier. J'ai souvent eu à composer avec son mécontentement.

Or, j'ai toujours cherché à éviter de provoquer le mécontentement des deux côtés, en même temps, mais je ne pense pas qu'un haut fonctionnaire, qu'il soit nommé par résolution ou par le gouverneur en conseil, puisse servir la Chambre s'il n'a pas la confiance de celle-ci. C'est l'objectif que vise ce projet de loi. Oui, le commissaire sera nommé par le gouverneur en conseil, mais seulement après approbation par résolution. Son mandat sera révoqué par voie de résolution, malgré qu'on utilise, dans la version anglaise, le verbe «may». Je ne vois pas comment le gouverneur en conseil peut refuser de révoquer le mandat d'un haut fonctionnaire du Parlement, si le Sénat l'exige par voie de résolution.

Cette façon de faire présente des avantages et des inconvénients. Le commissaire qui est nommé par le gouverneur en conseil bénéficie peut-être d'une plus grande sécurité d'emploi. Il jouit aussi d'une certaine autonomie en ce sens qu'il doit prendre des décisions difficiles et les transmettre au Sénat. Toute personne qui sert à ce niveau sait qu'elle marche sur des oeufs. La Chambre ne tarderait pas se prononcer si un problème se posait.

Le sénateur Fraser: Si l'article 20.5 et le sous-alinéa 72.06c)(ii) étaient combinés, le commissaire à l'éthique ne serait pas assujetti aux règles qui régissent les titulaires de charge publique.

M. Marleau: Je ne suis pas d'accord, sénateur. J'ai lu les deux articles ensemble. Le premier accorde au commissaire des privilèges et des immunités, et le deuxième l'exempte de la définition de titulaire de charge publique. Or, le commissaire est un titulaire de charge publique parce qu'il est nommé par le gouverneur en conseil.

Le sénateur Fraser: Mais en l'exemptant de la définition, est-ce qu'on ne réglerait pas le problème que vous soulevez?

M. Marleau: Oui, sauf que le libellé de la disposition d'exemption ne le définit pas comme un haut fonctionnaire, mais plutôt comme un employé de la Chambre ou du Sénat. Je me fonde ici sur la version française.

Le sénateur Fraser: Je comprends ce que vous dites. Pouvons-nous examiner, un instant, la version anglaise?

M. Marleau: Encore une fois, le mot «officer» est utilisé de diverses façons en anglais, et cela me met un peu mal à l'aise. Si on utilisait les mots «officer of the House or of either House», ce serait plus clair. Or, le mot «officer» peut aussi s'appliquer à un sergent, par exemple. Le mot «officer» est un terme générique. Toutefois, le concept «officer of the House», dans la pratique parlementaire, est clair.

Le sénateur Grafstein: Passons à un autre sujet. Si vous vous souvenez bien, madame la présidente, le comité a dit, dans son rapport, qu'il avait l'intention d'examiner plus à fond la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur les Cours fédérales, afin de voir si elles s'appliquent aux activités du commissaire à l'éthique.

Comme nous avons devant nous un commissaire à la protection de la vie privée qui occupe le poste à titre provisoire, je ne lui poserai pas de questions sur la protection des renseignements personnels, mais plutôt sur la Loi sur l'accès à l'information. Je veux savoir si cette loi s'applique ou non aux activités du commissaire à l'éthique ou, dans le cas qui nous concerne, au commissaire qui nommé par le gouverneur en conseil, mais qui est confirmé dans son poste par la majorité des membres du Sénat?

M. Marleau: Je connais bien les dispositions de la Loi sur l'accès à l'information. Toutefois, je pense que l'objectif du projet de loi est de soustraire le commissaire à l'éthique à l'application de ces deux lois.

Le sénateur Grafstein: Et comment compte-t-on s'y prendre?

M. Marleau: En supprimant son nom de l'annexe de la loi.

Nous nous sommes penchés sur la question, comme nous le faisons chaque fois qu'un projet de loi visant le commissariat à la vie privée est présenté au Parlement, et nous n'avons rien à redire dans ce cas-ci. Si le Parlement choisit de soustraire un organisme ou un fonctionnaire à l'application de la loi, c'est son choix et nous respectons sa décision.

Nous voulons nous assurer que la confidentialité des échanges sera respectée, qu'on ne pourra y avoir accès en invoquant la Loi sur l'accès à l'information. Vous pourriez peut-être soulever la question avec le commissaire Reid.

Le sénateur Grafstein: Le projet de loi contient une disposition intéressante qui s'applique aux titulaires de charge publique, mais non aux simples députés. Je ne sais toujours pas si le commissaire, et celui qui nous désignerons, sera un conseiller ou un juge.

Commençons par la Chambre. À mon avis, le commissaire à l'éthique a trois rôles à remplir. Il doit d'abord donner des avis aux titulaires de charge publique et, à cet égard, la confidentialité des échanges est assurée. Il doit ensuite donner des conseils aux députés qui ne sont pas des titulaires de charge publique. Il n'est aucunement question de confidentialité dans ce cas-ci. Par ailleurs, il n'existe aucune disposition qui précise que les avis donnés au Sénat, aux sénateurs, sont confidentiels.

Lorsque cette personne, qui semble jouer un rôle hybride, a un doute, elle est obligée d'interrompre son enquête et de faire quelque chose. Je ne sais pas bien ce qu'elle est censée faire. J'essaie de comprendre si cette personne — le commissaire ou le conseiller proposé pour le Sénat — est un conseiller dans le sens traditionnel du terme, une personne qui nous conseille sur la façon de respecter les règles, ou si en fait elle ne prodigue pas vraiment de conseils, mais acquiert une autre fonction, de sorte que lorsqu'un parlementaire s'entretient avec elle, leur conversation n'est pas jugée confidentielle.

J'essaie de comprendre le sens de ce projet de loi. Quelqu'un a peut-être une meilleure façon que moi de l'analyser, mais j'ai de la difficulté à accepter cette fonction hybride, dans les deux catégories. Pouvez-vous m'aider?

M. Marleau: Je vais essayer. Pour le conseiller sénatorial en éthique, le projet de loi comporte une disposition de confidentialité: «20.7(2) Il ne peut inclure dans le rapport des renseignements dont il est tenu d'assurer la confidentialité.» On prévoit qu'il y aura beaucoup de renseignements confidentiels, donc il reviendra au Sénat d'adopter un code et des règlements en conséquence. Qu'il s'agisse d'un conseiller, d'un juge, d'un arbitre ou d'un médiateur, quelles que soient les fonctions que vous voudrez lui donner, elles devront, je l'espère, faire l'objet d'articles du Règlement et de consignes d'un comité. Le code pourra énoncer les règles qui s'y appliqueront, de même que l'obligation du bureau du conseiller de rendre compte au Sénat.

Par contre, lorsque le commissaire à l'éthique donne des conseils aux députés de la Chambre, je crois qu'il n'est pas directement tenu d'en assurer la confidentialité aux termes de cet article. Je pense que vous avez raison. Cependant, aux termes du paragraphe 72.08(6), il doit assurer la confidentialité dans le cadre de ses fonctions à l'égard des titulaires de charge publique. Je ne suis pas avocat. Il vous reviendra de décider si cela s'applique aux deux fonctions, puisqu'il s'agit de la même personne. Ce paragraphe dicte qu'il «ne peut inclure dans le rapport des renseignements dont il est tenu d'assurer la confidentialité».

Les rédacteurs ont peut-être eu l'impression qu'en inscrivant cette disposition à la fin de la liste des responsabilités, ils englobaient les deux rôles.

Je le répète, le premier ministre nous donnera de plus amples détails à cet égard et le reste viendra du code adopté par la Chambre des communes et des consignes de ses dirigeants politiques.

Le sénateur Grafstein: Je suppose que vous seriez d'accord avec moi pour dire qu'il semble y avoir un manque d'uniformité dans la rédaction puisque la confidentialité est clairement garantie aux titulaires de charge publique, mais pas aux députés et qu'on recommande vivement de la garantir aux sénateurs, mais qu'elle s'applique de façon légèrement différente si le sénateur est aussi titulaire de charge publique.

M. Marleau: Oui, je suis d'accord. Je pense que c'est un peu plus clair pour le Sénat. Si j'étais député, je voudrais plus de clarté.

Le sénateur Grafstein: Je n'ai pas eu la chance d'examiner la Loi sur le Parlement du Canada. Cependant, cela m'intéresse, parce que je me rappelle d'un ancien sénateur qui a dû subir des conséquences très difficiles avant que j'arrive en poste. On m'en a parlé lorsque je suis arrivé. Cela avait beaucoup nui à sa réputation à long terme. Cela l'avait pratiquement détruit.

Avant que j'entre en fonction, la Loi sur le Parlement du Canada posait problème. En effet, il y avait divergence d'opinion d'un tribunal à l'autre à savoir si un sénateur était un titulaire de charge publique ou un «fonctionnaire». Les tribunaux avaient pratiquement décrit le sénateur comme un titulaire de charge publique plutôt que comme un fonctionnaire, ce qui avait eu de graves conséquences.

À mon avis, les mots qu'on choisit dans ce domaine peuvent être lourds de conséquences. Lorsque je suis arrivé au Sénat, on m'en a bien averti, puis je l'ai constaté de mes yeux lorsqu'un autre sénateur a été touché.

Prenez la disposition qui exempte la Loi sur le Parlement du Canada d'application lorsqu'il y a marché public. Nous n'avons toujours pas vu le nouveau code, mais il laisse un vide. Actuellement, un parlementaire ne peut tirer directement ou indirectement profit d'un marché public. Qui se charge de vérifier que cette règle s'applique en ce moment?

M. Marleau: Je vais m'inspirer de mon expérience de la Chambre des communes pour vous répondre. Pour ce qui est des dispositions de la loi, lorsqu'un député se trouve dans une cette situation par rapport au gouvernement, son siège est déclaré vacant dès que la chose est mise au jour, si je me rappelle bien. Peut-être voudrez-vous vérifier auprès de votre juriste. La Chambre veille à l'application de la loi et peut utiliser ses propres pouvoirs disciplinaires lorsque les faits éclatent au grand jour grâce au processus disciplinaire normal.

Je suppose qu'on essaie ici de supprimer les dispositions de la loi qui s'appliquent et que les codes en cours de rédaction régiront clairement les marchés publics ou les marchés en général.

Le sénateur Grafstein: Les choses sont différentes dans le cas des marchés. Il y a une différence entre un marché pour de l'argent et un marché, si vous me suivez bien. Je vous parle du marché pour de l'argent en ce moment. La question du marché en tant que tel est plus floue. Je ne l'ai pas étudié en profondeur, mais lorsque je suis arrivé au Sénat, on m'a appris à éviter ce genre de situation.

M. Marleau: Oui, vous devriez l'éviter, parce des gens se trouvent parfois, presque par accident, impliqués dans des rapports de marchés et certains sont même poursuivis à ce titre.

Votre première observation sur la définition d'un titulaire de charge publique, telle qu'elle s'applique aux sénateurs ou aux députés, découle vraiment d'une interprétation du Code criminel. Vous vous trouvez en fait à interpréter l'article 119.

Le sénateur Grafstein: Il semble y avoir des incohérences entre les deux. Je le souligne, parce que si parfois on peut tolérer des incohérences, il arrive qu'elles aient de graves conséquences.

Examinons-les, s'il vous plaît.

M. Marleau: La prochaine étape consiste à s'y attaquer expressément dans le code des deux Chambres — il doit y avoir un code séparé pour chaque Chambre. Vous devrez établir des règles à ce sujet, puisque la Loi sur le Parlement du Canada n'en disposera plus.

Le sénateur Grafstein: Vous faites la même lecture que moi de cette loi: nos règles vont la remplacer. Expliquez-nous comment les choses vont fonctionner à la Chambre, parce que la Chambre est plus axée sur les lois que nous. Autrement dit, à moins d'avis contraire, il semble que nous ayons l'intention de nous doter d'un code axé exclusivement sur un règlement et non une loi.

M. Marleau: En effet.

Le sénateur Grafstein: Par contre, l'incohérence demeure. Si l'on conserve un modèle hybride dans l'autre chambre et qu'il est lié à la Loi sur le Parlement du Canada, y aura-t-il des conséquences pour les sénateurs?

M. Marleau: Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que vous voulez dire par «conserver un modèle hybride dans l'autre chambre». Je n'ai pas lu le nouveau code qui vient d'être déposé. Je suppose qu'il contient des dispositions à ce sujet et qu'elles feront partie du code administré par le commissaire à l'éthique, qui sera placé sous l'autorité du comité que la Chambre choisira.

Vous avez raison de dire qu'il y a plus de lois à la Chambre des communes, parce que le Bureau de régie interne est autorisé à prendre des règlements administratifs. Il prend des règlements administratifs sur les fonds et les services mis à la disposition des députés, ainsi que les usages qu'ils peuvent en faire et les modalités pertinentes, mais si les députés en abusaient, leur comportement pourrait être interprété à la lumière du Code criminel. C'est déjà arrivé.

Cependant, je ne crois pas que cela ait des conséquences hybrides ou juridiques sur le code. Je crois que c'est l'essence de votre question.

Le sénateur Grafstein: D'une certaine façon. J'essaie de comprendre. Pardonnez-moi, madame la présidente. Je lis tout cela et je suis confus. En bout de ligne, le Code criminel restera intact. Nous ne touchons pas du tout au Code criminel. Nous ne faisons qu'enrober la Loi sur le Parlement du Canada en répétant les dispositions du Code criminel sur les marchés publics.

Pouvez-vous nous rappeler ce que le Code criminel dit sur les marchés publics?

M. Marleau: C'est au-delà de mes compétences. Cependant, à la fin de la révision de la Loi sur le Parlement du Canada, dans les années 90, cette question était au coeur du débat. Je ne crois pas que le Code criminel contienne de dispositions précises sur les députés et les sénateurs en situation de conflit. La définition de titulaire de charge publique...

[Français]

En français, le débat est très poussé. La version française du Code criminel utilise le mot «fonctionnaire».

[Traduction]

La plupart des députés ne se voient pas comme des «fonctionnaires». C'était l'objet du débat. Dans une affaire en particulier, le tribunal avait dit qu'ils pouvaient faire l'objet d'accusations parce qu'il s'agissait de fonctionnaires publics selon son interprétation du Code criminel. À ma connaissance, aucune précision n'a été apportée depuis.

Le sénateur Grafstein: Le faisons-nous ici?

M. Marleau: Non, c'est le silence total.

La présidente: Comme j'ai l'avantage d'avoir en main le code qui a été déposé, je vais en citer une partie aux sénateurs. Il y a plusieurs mentions de la confidentialité. Il en est question au paragraphe 20(3) proposé, qui dicte que le commissaire à l'éthique garde la déclaration confidentielle. Il s'agit d'une déclaration qu'un député lui aurait faite. Il en est aussi question au paragraphe 26(2). Je suis en train d'en faire faire des copies pour tous.

Le sénateur Joyal: Monsieur Marleau, voulez-vous jeter un coup d'oeil au paragraphe 19(2) proposé et me dire comment vous interprétez les troisième et quatrième lignes de l'anglais? Je suis au milieu de la page 14.

La présidente: Il s'agit d'amendements consécutifs.

M. Marleau: Il s'agit des modes de signification autorisés. Il me semble plutôt clair qu'il faut utiliser le courrier recommandé.

Le sénateur Joyal: L'anglais se lit comme suit:

In addition to any method of service permitted by the law of a province, service of documents on the Senate, House of Commons, Library of Parliament, office of the Ethics Commissioner or office of the ethics commissioner under subsection (1) [...]

Le sénateur Joyal: Je ne comprends pas en quoi consiste le commissariat à l'éthique (office of the Ethics Commissioner), qui est rattaché à la Chambre des communes, parce qu'il n'y a pas de commissaire à l'éthique au Sénat selon la première partie du projet de loi et le paragraphe (1) mentionne un «Office of the Ethics Commissioner». Au paragraphe (1), je lis «office of the Senate Ethics Officer or Office of the Ethics Commissioner». Je suis confus, je crois qu'il y a une incohérence entre les paragraphes (1) et (2) en anglais.

[Français]

M. Marleau: La beauté de tous les pays bilingues est que le français semble beaucoup plus clair.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Que dit le français?

[Français]

M. Marleau: Le français ne fait pas de distinction entre les deux. Il semble couvrir les deux agents des deux paragraphes. Il y a des mots qui sont redondants en anglais.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Quoi qu'il en soit, l'autre n'est pas inclus.

[Français]

M. Marleau: Je pense que si vous enlevez dans le texte anglais la référence au «ethics commissionner», vous couvrez les deux.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Oui et non, parce que le mot «commissioner» est réservé à la Chambre.

[Français]

M. Marleau: Oui, mais si vous l'enlevez entièrement comme ils l'ont fait en français.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Je ne suis pas certain, parce que dans un cas, il y a un «commissaire». Au Sénat, nous avons un conseiller en éthique. C'est l'un ou l'autre ou les deux, mais il n'y a pas deux commissaires.

M. Marleau: Je crois que c'est complètement au-delà de mes compétences. C'est une question de rédaction juridique, et vous devriez parler à quelqu'un de qualifié dans ce domaine. D'après ma lecture, le français semble tout englober par sa disposition générale. Peut-être a-t-on voulu faire une distinction dans le texte anglais, mais je crois que c'est un problème de rédaction.

Le sénateur Joyal: Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Marleau, d'être si patient avec nous. Nous apprécions beaucoup le témoignage que vous nous avez présenté aujourd'hui.

Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant M. Joseph Maingot.

M. Joseph Maingot, témoignage à titre personnel: Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres de cet auguste comité, j'ai reçu un appel hier d'un monsieur distingué qui m'a fait part de vos préoccupations sur le projet de loi C-34, qui vise à doter le Sénat d'un commissaire à l'éthique. Puisque la future loi, comme toutes les lois, sera assujettie à un examen judiciaire, il voulait connaître mon point de vue sur la façon dont les tribunaux traiteront ce sujet. Est-ce bien cela? Est-ce ce que vous aviez en tête, en gros? Si ce n'est pas le cas, vous pouvez m'orienter.

La présidente: Vous pouvez commencer par cela.

M. Maingot: Je m'en remets à vous.

La présidente: C'est une préoccupation pour une bonne partie des membres du comité. Peut-être les sénateurs pourront-ils ensuite vous poser des questions, pour que vous puissiez leur répondre directement. Cela inquiète certaines personnes.

M. Maingot: C'est un sujet vaste. En un mot, si je comprends bien, le projet de loi dicte que le Sénat va établir des règles sur l'éthique des sénateurs. Dans ce cas, il s'agit de la régie interne du Sénat, et les tribunaux ont toujours dit que la régie interne de la Chambre ou du Sénat découlait d'un pouvoir constitutionnel. Les tribunaux se sont toujours montrés plein de déférence devant les activités des chambres du Parlement et évitent d'intervenir, sauf pour confirmer ou infirmer les privilèges du Parlement, parce que les tribunaux sont là pour interpréter les textes juridiques. À moins que les tribunaux ne le jugent contraire à la Charte, je crois que les sénateurs seront autorisés à se donner les règles d'éthique qu'ils estiment acceptables. Bien entendu, dès qu'ils sont nommés, la Constitution tranche. Vous l'avez vu dans le cas du sénateur vivant au Mexique.

Comme je l'ai dit, en un mot, les tribunaux n'interviennent pas en matière de régie interne du Sénat.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à ce que nous considérons comme la base. Il y a d'abord l'article 18 de la Constitution, comme vous le savez bien et l'avez écrit dans votre livre, qui dicte très clairement que le Parlement canadien peut promulguer des lois prescrivant ses propres privilèges, dans la mesure où ils sont conformes à ceux que possède la Chambre des communes britannique.

Vous avez expliqué dans votre livre que l'article 18 de la Constitution était l'article habilitant, qui permet au Parlement de promulguer des lois dictant ses propres privilèges. Comme vous le dites, c'est le juge en chef Lamer lui- même qui l'a reconnu, et vous le citez à la page 349. C'est lui qui a confirmé que l'article 18 était l'article habilitant, celui consacrant ce pouvoir au Parlement.

Le Parlement canadien exerce ce pouvoir, comme vous le soulignez. Dès le premier mois de son existence, en avril 1868, il s'en est prévalu pour promulguer une loi prescrivant des privilèges. Aujourd'hui, l'ensemble de la loi de 1868 se trouve à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Dans cette loi, les alinéas 4a) et b) prescrivent très clairement que nous avons hérité des privilèges inhérents à la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni, tels qu'ils étaient en 1867, et qu'en plus de ces privilèges, le Parlement canadien peut s'accorder d'autres privilèges par loi. Cependant, on précise que ces privilèges ne peuvent excéder ceux de la Chambre des communes britannique. Vous le savez, c'est exactement ce que dit l'alinéa b) de l'article 4.

Autrement dit, il y a une limite aux privilèges que le Parlement canadien peut se donner par loi.

Le deuxième élément de l'alinéa 4a) de la Loi sur le Parlement du Canada, en fait sa toute dernière phrase, qui vous est sans doute bien familière, indique que le Parlement canadien peut se doter de privilèges «dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi», soit avec la Loi constitutionnelle.

Ma question est la suivante: lorsque nous définissons un nouveau privilège dans une loi, nous devons en évaluer la nécessité, comme vous l'expliquez bien et comme en a jugé la Cour suprême du Canada dans l'affaire de la New Brunswick Broadcasting Corporation, qu'on appelle l'affaire Donahoe. Il faut d'abord évaluer au regard de l'affaire Stockdale, comme vous le dites très bien dans votre ouvrage.

Ainsi, il faut d'abord se demander s'il est nécessaire que le Parlement, pour s'acquitter de ses devoirs, légifère, exerce ses pouvoirs législatifs et tienne un débat afin de se doter de ce privilège? Ensuite, il convient de répondre à cette question: existait-il un privilège comparable à la Chambre des communes britannique au moment où la loi a été promulguée? C'est la deuxième question. La troisième question est la suivante: Ce privilège respecte-t-il la Constitution canadienne et la Charte, bien sûr?

Selon la doctrine et la jurisprudence, comment définiriez-vous les activités du Parlement s'il se dote d'une loi lui conférant un privilège qui ne semble pas aussi clairement acceptable qu'on le voudrait, parce que la Chambre des communes britannique s'est dotée d'un commissaire public pour l'application de normes, mais elle l'a fait par l'article 150 de son Règlement?

Comme elle n'a pas promulgué de loi véritable pour instituer le commissaire aux normes publiques — qui est l'équivalent du conseiller en éthique que nous proposons — échouons-nous le test de la deuxième question, parce qu'il est clair que la Chambre des communes britannique n'a pas légiféré sur le statut de son propre commissaire, même si elle aurait pu le faire en application de ses pouvoirs législatifs?

M. Maingot: Je m'attendais à une question particulièrement érudite de votre part, sénateur.

D'abord, pardonnez-moi de ne pas vous répondre point par point.

Au Royaume-Uni, aucun tribunal ne s'interroge sur la compétence du Parlement à promulguer une loi comme c'est le cas ici, au Canada. La règle de la nécessité s'applique ici, comme l'atteste l'arrêt Stockdale que vous avez mentionné, une affaire très célèbre. Jusqu'à cette décision, bien sûr, la Chambre se réclamait de l'exclusivité dans tout ce qu'elle faisait. Au fil des siècles, les tribunaux ont légèrement remis cette exclusivité en question. Bien sûr, ils étaient sous l'influence d'Edward Coke et se fondaient beaucoup sur le fait que la Chambre des communes, avant d'être séparée du conseil du roi, était à la fois tribunal et parlement, de sorte qu'elle pouvait faire absolument tout.

Ce qui a beaucoup changé la donne dans l'affaire Stockdale c. Hansard, ce n'est pas qu'on voulait protéger les délibérations — comme je l'ai lu dans l'arrêt — mais que la situation brimait les droits d'un tiers parti de la Chambre. C'était ce que nous faisions et voilà pourquoi les tribunaux s'en sont mêlés. La Cour a statué que dans les circonstances, elle avait le droit judiciaire de juger de façon indépendante de l'objet du privilège. La Chambre des communes avait conclu qu'il était nécessaire à son bon fonctionnement de publier un document — le rapport de police —, qui n'avait en fait rien à voir avec les activités du Parlement, mais celui-ci a affirmé avoir le droit de le publier puisqu'il le jugeait approprié et qu'il avait le pouvoir exclusif de déterminer l'étendue de ces privilèges.

La cour a rejeté cet argument et d'une certaine façon, elle est toujours de cet avis. Elle a dit qu'il y avait une distinction entre une interférence des tribunaux visant à déterminer si un sujet donné relève de la compétence exclusive de la Chambre et l'interférence d'un tribunal dans une décision de la Chambre, dans un domaine dont elle a la compétence exclusive.

À ce moment, le tribunal a fait remarquer que le Parlement n'avait jamais rien fait de tel auparavant; ce qu'il avait publié par le passé n'avait été distribué qu'aux députés. Le tribunal a mentionné qu'un droit judiciaire avait été enfreint — un droit dont jugent les tribunaux — et qu'il désapprouvait ce comportement. La Chambre des communes n'était pas d'accord, mais s'est rendu compte que d'autres avocats allaient être emprisonnés pour outrage, donc elle a adopté la Parliamentary Papers Act, qui est en vigueur au Canada.

Vous nous demandez s'il y a une limite au Canada à adopter des lois prescrivant des privilèges — selon l'article 18 de la Loi constitutionnelle et l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. La Loi sur le Parlement du Canada n'est pas enchâssée, donc si vous voulez la modifier, à ce que je sache, vous le pouvez.

Le Parlement du Canada n'est pas restreint aux privilèges qui existent au Royaume-Uni, même aux termes de l'article 18. Il y a différentes façons de faire, selon les articles qu'on modifie, mais je crois que le Parlement du Canada peut modifier la législation par loi, bien sûr. Il l'a fait en 1868, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, pour régir la prestation de serment. Je ne suis pas certain que le Royaume-Uni avait de telles règles à ce moment.

Le sénateur Joyal: Non.

M. Maingot: C'est un exemple.

Le sénateur Joyal: Seulement, ces dispositions ont été déclarées non constitutionnelles.

M. Maingot: Elles ont fini par acquérir force de loi plus tard.

Le sénateur Joyal: Oui, parce qu'une loi semblable a été adoptée au Royaume-Uni.

M. Maingot: C'est juste.

Le sénateur Joyal: Il a promulgué une loi semblable en 1871. Puis le Parlement canadien a proclamé sa propre loi.

M. Maingot: Ensuite, en 1982, lorsque nous avons rapatrié la Constitution du Canada, il me semble que nous avons ouvert la porte à des changements illimités aux privilèges prescrits au Canada.

Le sénateur Joyal: Il ne fait aucun doute que nous pouvons modifier l'article 18 de la Loi constitutionnelle. La question ne se pose pas. Comme vous l'avez dit à juste titre, depuis 1982 — et je vais utiliser un mot bien populaire à ce moment-là — nous avons «rapatrié» notre pouvoir de modifier la Constitution canadienne dans son ensemble, ce qui comprend l'article 18. Cependant, l'article 18 est plutôt clair. Il dicte que nos privilèges ne peuvent excéder les privilèges qui existaient à la Chambre des communes au moment de l'adoption de la loi. Ainsi, il faut évidemment vérifier ce qui existe là-bas. Nous pouvons modifier cet article, je suis d'accord avec vous. Nous pourrions facilement modifier l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada par une simple loi. Cependant, si nous modifions l'article 18, nous devons suivre tout le mode de révision, appliquer l'article 44 et tout le reste. Quoi qu'il en soit, nous devons aujourd'hui vivre avec la loi actuelle, parce que nos actes sont régis par le cadre législatif en vigueur.

M. Maingot: L'article 18 fait-il partie de ceux pour lesquels vous devez suivre tout le mode de révision?

Le sénateur Joyal: Bien sûr, l'article 18 fait partie de la Loi constitutionnelle du Canada, donc le Parlement du Canada a le pouvoir d'administrer sa propre Constitution, la loi le dicte clairement. Il y avait des dispositions précises à cet égard: l'ancien paragraphe 91(1) est devenu l'article 44 de la Loi constitutionnelle. Nous avons enlevé les dispositions du paragraphe 91(1) sur les compétences générales du Parlement fédéral pour créer une catégorie à part, parce qu'il ne s'agit pas des sphères de compétence en tant que telles, mais de la nature du pays.

Ainsi, nous pouvons modifier l'article 18. Je n'en ai aucun doute. Ce n'est pas la question. La question, c'est que nous ne pouvons pas adopter de lois nous dotant de privilèges excédant ceux qui existent au Parlement britannique. C'est ce que prescrit l'article 18.

M. Maingot: Si nous pouvons modifier l'article 18, nous pouvons modifier tout ce qu'il dicte.

Le sénateur Joyal: Bien sûr que nous le pouvons. Nous pouvons simplement abolir le renvoi au Parlement britannique. Nous pouvons simplement dire que les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes, et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par la loi du Parlement du Canada, point, et laisser tomber le reste. Nous serions alors souverains de nos propres privilèges.

Le problème, c'est qu'il y a un autre bout de phrase dans la même loi, selon lequel aucune loi du Parlement du Canada définissant de tels privilèges, immunités et pouvoirs ne peut légiférer au-delà d'une certaine limite. Il y a une limite dans la Constitution.

M. Maingot: Cela fait toujours partie de l'article 18. Si l'on peut modifier l'article 18, on peut le modifier au complet.

Le sénateur Joyal: Nous pouvons même l'abolir si nous le voulons, mais pour l'instant il s'applique. C'est la Constitution. Nous pouvons la modifier, je suis d'accord avec vous. Nous pouvons même créer un projet de loi connexe à celui-ci pour modifier l'article 18 afin de n'en conserver que la première partie que je viens de lire, qui limite notre compétence.

Cependant, le problème est que cette partie de la Constitution et l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada sont interreliés, parce que l'un est le produit de l'autre, et nous devons composer avec cela. C'est ce que je veux dire essentiellement. Je n'en suis pas très heureux, parce que j'estime que le Parlement canadien devrait être maître de ses propres privilèges.

Nous vivons avec la Constitution telle qu'elle existe actuellement. Comment pouvons-nous indiquer que nous voulons donner des privilèges à ce conseiller en éthique tout en respectant nos limites constitutionnelles, puisque nous savons qu'à l'heure actuelle, en Grande-Bretagne, le rôle du commissaire public à l'éthique est prescrit par règlement et non par loi. Son statut est défini dans un règlement et non dans une loi.

Comme vous l'expliquez très clairement dans votre livre, lorsqu'on crée de nouveaux privilèges, on doit le faire par adoption d'une loi et non d'une résolution ou autrement. Il faut l'établir clairement dans une loi. C'est ce qu'exige l'alinéa 4b) de la Loi sur le Parlement du Canada et que vous répétez dans votre livre.

Je ne suis pas contre l'idée centrale du projet de loi de désigner un commissaire à l'éthique ou un conseiller en éthique, mais je me demande si ses privilèges seront protégés par la Constitution, compte tenu qu'aucune disposition semblable n'existe dans les lois britanniques et que nous avons une obligation en ce sens.

La présidente: Monsieur Maingot, dans votre réponse au sénateur Joyal, vous pourrez aussi me confirmer que le Royaume-Uni a bel et bien toujours eu le pouvoir de réprimander ses députés, donc même si le sénateur Joyal a raison, et je suis certaine qu'il a raison — je crois que ce privilège a toujours existé là-bas.

M. Maingot: Le privilège de régir la conduite des députés de la Chambre a-t-il toujours existé?

La présidente: De les réprimander.

M. Maingot: De les réprimander, oui. À la Chambre des communes. May le mentionne dans son livre. Cela fait partie de leur Constitution de pouvoir réprimander les députés si la Chambre le juge approprié, ce qui n'est pas le cas ici, parce que la Charte comprend certaines restrictions. C'est mon interprétation. Je n'ai pas l'ouvrage de May sous les yeux, le texte parlementaire.

Sénateur Joyal, je n'ai pas vraiment réfléchi à la question. Je n'ai pas vu le projet de loi. Je me rappelle m'être dit, en songeant à l'article 18, qu'il y avait des restrictions. Jusqu'en 1982, je crois que c'était exact. Je crois que depuis 1982, l'article 18 serait l'un de ceux que l'on peut modifier. Il y a quelques articles de la Constitution qu'on peut modifier sans passer par les provinces. Je croyais que c'était l'un d'eux. Si c'est bien le cas, on pourrait modifier la Constitution par une loi du Parlement.

Je ne crois tout simplement pas, dans l'état actuel des choses, que le Parlement du Canada est dans l'impossibilité d'accroître ses privilèges s'il le juge approprié. Je ne peux pas vous citer de référence ou de décision précise, mais c'est mon point de vue. C'était mon point de vue lorsque je me suis penché sur ces questions. Je n'ai pas eu à les étudier vraiment et je ne sentais pas l'obligation d'en traiter dans le texte. C'est mon point de vue. Nous avons acquis notre souveraineté en 1982, et c'est une souveraineté complète.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous. Selon l'article 44 du projet de loi sur le rapatriement, sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a le pouvoir exclusif de prendre des lois pour modifier la Loi constitutionnelle du Canada sur les pouvoirs exécutifs du gouvernement du Canada, du Sénat et de la Chambre des communes.

Autrement dit, le Parlement peut modifier sa Constitution. Cependant, nous sommes obligés de procéder de cette façon si nous voulons modifier l'article 18. Nous pouvons modifier l'article 18, mais à mon avis c'est une erreur de ne pas l'avoir fait en 1982. Il ne fait aucun doute que nous avons le pouvoir de le modifier.

M. Maingot: Oui, je vous prie de m'excuser.

Le sénateur Joyal: Il ne fait aucun doute que nous en avons le pouvoir, conformément à l'article 44. Cependant, comme nous ne l'avons toujours pas fait, nous y sommes toujours liés.

M. Maingot: J'ai lu dans la jurisprudence qu'une simple loi pouvait modifier cette partie de la Constitution et que le Parlement pouvait le faire lui-même sans passer par toutes les provinces, est-ce exact?

Le sénateur Joyal: Vous avez raison. Les provinces n'ont rien à voir avec cela, parce qu'il s'agit de la constitution du Sénat. L'alinéa 4b) de la Loi sur le Parlement du Canada prévoit que nous pouvons nous doter de privilèges, tant qu'ils existent au Royaume-Uni.

M. Maingot: Supposons un instant que le Parlement du Canada adopte une loi pour modifier ses privilèges. Lorsqu'on la soumettra aux tribunaux, ils examineront l'article 18 et diront que vous avez le pouvoir de le faire et ce sera fait.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous, mais le problème, c'est que nous ne l'avons pas encore fait.

M. Maingot: On peut toujours le faire.

Le sénateur Joyal: J'espère qu'on le fera un jour.

La présidente: Sénateur Joyal, je dois peut-être vous rappeler que notre chambre n'est pas une de débats; c'est une chambre de questions et de réponses, d'accords et de désaccords.

Le sénateur Joyal: Lorsque nous adoptons des privilèges par loi, il ne fait aucun doute que nous en avons le pouvoir constitutionnel. Nous ne le remettons pas en question. Nous devons respecter certains critères. Si nous voulons que ces privilèges soient reconnus par les tribunaux, si nous voulons que les tribunaux admettent que nous jouissons de ces privilèges, nous devons d'abord adopter une loi du Parlement. Il faut en établir la nécessité. Cela est apparu clairement dans l'affaire Donahoe; le tribunal a reconnu qu'il fallait en établir la nécessité. Nous devons prouver la nécessité de ces privilèges par la jurisprudence en la matière, puis nous devons vérifier si la Chambre des communes britannique jouissait des mêmes privilèges à l'époque. Cela fait partie des lois du Canada: de l'alinéa 4b) et de l'article 18.

M. Maingot: Je ne vois pas les choses de cette façon, sénateur. Je crois que l'évaluation de la nécessité est celle que la Chambre des communes effectue. Nous parlons ici du Parlement. Le Parlement peut décider de ce qu'il juge approprié concernant ses privilèges. Il doit simplement respecter la Charte.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous. Le Parlement peut décider d'adopter un privilège. Nous pouvons le décider par promulgation d'une loi. Cela ne me pose pas problème. Cependant, il y a deux affaires devant les tribunaux à l'heure actuelle, celle de Telezone et celle de Ainsworth Lumber.

Deux ministres des Finances — le ministre actuel et l'ancien — font actuellement l'objet de poursuites judiciaires, en théorie — du moins leur nom — parce qu'ils affirment avoir le privilège de ne pas comparaître comme témoins parce que le Parlement siège. Ils affirment que pour une période de 40 jours, ils sont exempts de l'obligation de comparaître devant un tribunal. Ils se réclament de ce privilège, mais il ne suffit pas de se réclamer d'un privilège pour en jouir vraiment. Le tribunal étudiera l'étendue de ce privilège et ce faisant, il en évaluera la nécessité. Ainsi, nous sommes astreints au critère de la nécessité lorsque nous adoptons une loi nous dotant d'un privilège. C'est ce que la Cour nous a dit au printemps dernier et à la fin du mois de juin. Ces deux affaires sont actuellement devant les tribunaux.

Dans la fameuse affaire Vaid, la Section de la première instance de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont tranché que, même si nous invoquons le privilège parlementaire, le tribunal peut rendre une décision défavorable, ce qu'ont fait les deux tribunaux, et la Cour suprême sera saisie de l'affaire.

À mon avis, il ne suffit pas de préciser qu'il s'agit d'un privilège dans le projet de loi. Le tribunal peut en décider autrement. C'est un texte législatif fédéral qui est encore valide, mais le privilège n'est pas garanti. C'est là où s'établit la distinction entre le privilège énoncé dans le projet de loi, comme nous le faisons dans le cas présent, et le critère de vraisemblance de la jurisprudence sur le degré de protection. C'est ce que nous essayons de comprendre.

M. Maingot: Vous avez cité l'affaire Vaid et celles des deux ministres. Il est intéressant de remarquer que, dans l'affaire Vaid, la décision a été rédigée par deux anciens présidents de la Commission de réforme du droit du Canada, ce qui rime donc avec réforme.

Il n'y a aucun doute concernant les affaires des ministres convoqués comme témoins. Il y a 200 ans, le Parlement britannique a précisé que ses membres ne pouvaient pas être exemptés de recours civils. Ils ne pouvaient pas être protégés contre des poursuites criminelles parce que, à l'extérieur de la Chambre, ils sont des citoyens ordinaires. Le privilège parlementaire vise à protéger les membres des deux Chambres dans l'exercice de leurs fonctions ou dans les activités s'y rapportant.

L'exemption de l'obligation de comparaître comme témoin remonte à fort longtemps. C'est parce que le Parlement jouit du droit prioritaire à bénéficier de la présence de ses membres. Ce privilège remonte à l'époque de la Chambre des lords. Il est en vigueur depuis des centaines d'années. Vous pouvez être convoqué si vous êtes accusé. Jusqu'en 1770, vous ne pouviez pas comparaître si vous étiez partie à un litige.

Selon la loi, vous pouvez maintenant être poursuivi, mais s'il est accusé et est convoqué à un interrogatoire préalable, le député ou le sénateur ne peut être déclaré coupable d'outrage civil s'il ne comparaît pas. Toutefois, si moi je refusais de me présenter à un interrogatoire préalable, je pourrais être déclaré coupable d'outrage et serais pénalisé. Je pense que le Sénat s'est penché sur cette question en 1995 ou 1996.

Vous craignez que les tribunaux examinent s'il est nécessaire que la Chambre des communes jouisse de ce privilège. Vous avez tout à fait raison: un juge astucieux pourrait et devrait le faire. Il sera possible de faire valoir que, constituant l'institution séculaire la plus importante du Canada, le Sénat et la Chambre des communes doivent pouvoir compter sur la présence de leurs membres. C'est une doctrine séculaire. Selon moi, les tribunaux décideront que, pour être efficaces et intègres, la Chambre des communes et le Sénat doivent jouir du droit prioritaire à bénéficier de la présence de leurs membres, et l'exemption de l'obligation de comparaître comme témoin sera maintenue.

Le sénateur Cordy: C'est un débat intéressant sur les privilèges. Ma question est beaucoup plus précise. M. Marleau était d'avis que le projet de loi C-34 n'élargit pas nos privilèges. Qu'en pensez-vous?

M. Maingot: Je crois comprendre que le projet de loi vise à vous permettre d'établir votre code de déontologie pour régir la conduite de vos membres. Cette question relève de votre privilège constitutionnel de régir vos affaires internes. Je suis d'avis que les tribunaux adopteront cette position.

Le sénateur Fraser: M. Marleau a ajouté que nous avions le droit bien établi de nommer des conseillers et que nous n'élargissons pas nos privilèges en désignant un conseiller en éthique et en lui accordant l'immunité parlementaire, parce que le Parlement l'a déjà fait pour d'autres conseillers. Nous ne sortons pas des sentiers battus en créant un tel poste.

Selon le parallèle qu'il a cité, nous pourrions créer un nouveau comité et y nommer un nouveau greffier sans élargir nos privilèges, même si le comité devait se pencher sur des questions que le Sénat n'avait pas choisies préalablement d'examiner. Il soutenait que ce n'était ni élargir un privilège ni en établir un nouveau; on créait simplement le poste de conseiller sénatorial en éthique. Abondez-vous dans ce sens?

M. Maingot: L'une ou l'autre des deux Chambres peut nommer les agents supérieurs à sa guise. C'est le gouvernement qui nomme votre greffier au Sénat. À la Chambre des communes, le gouverneur en conseil nomme les cinq principaux agents supérieurs. Pour le reste, les tribunaux reconnaissent la compétence des deux Chambres en matière de personnel.

Le sénateur Fraser: Revenons à la question du sénateur Cordy: le Règlement du Sénat, qui régit nos activités internes, contient déjà des dispositions sur les intérêts pécuniaires dont il serait beaucoup question dans tout code de déontologie que nous adopterions. A-t-on déjà fait valoir que cette question ne relevait pas du privilège parlementaire?

M. Maingot: Non. En fait, c'est l'application constitutionnelle de l'indépendance des trois ordres de gouvernement. C'est pourquoi les députés, mais non les ministres et les secrétaires parlementaires par voie législative, peuvent demander des fonds à la Chambre. Cependant, le député ne peut pas le faire à titre indépendant. Il ne peut pas agir ainsi sans s'exposer à des ennuis.

Le sénateur Grafstein: Je veux revenir à une idée que j'ai développée avec M. Marleau, en l'occurrence les responsabilités du commissaire à l'éthique, parce qu'il y est question du Sénat. Prenons les articles 72.07, 72.08 et 72.09 aux pages 8 et 9 du projet de loi.

La lecture des articles nous apprend que le commissaire à l'éthique peut donner, à titre confidentiel, des avis au titulaire de charge publique sur les principes, règles et obligations du premier ministre qui lui sont applicables. C'est vraiment différent et distinct du code de déontologie dont il est question ici. Il s'agit des règles établies par le premier ministre. Le titulaire de charge publique reçoit des avis à titre confidentiel, dans le sens classique de la relation professionnelle entre un avocat et son client.

Mais la situation change si une plainte émanant de ce côté-ci ou de l'autre côté est transmise au sujet du non-respect de ces règles, le commissaire doit alors remettre au premier ministre un rapport énonçant les faits en cause et son analyse de la question. J'ignore s'il s'agit d'une recommandation, mais un rapport et une analyse doivent être remis.

Par la suite, le projet de loi précise que le commissaire à l'éthique ne peut inclure dans le rapport des renseignements dont il est tenu d'assurer la confidentialité. Aux termes de l'article 72.07, seuls les avis sont confidentiels; il n'est nullement question de la confidentialité des renseignements sur lesquels sont fondés ces avis.

Mon interprétation est-elle exacte? Nous avons l'impression que la confidentialité est assurée à l'égard du titulaire de la charge publique, mais qu'elle ne l'est vraiment pas en ce qui concerne les documents ou les renseignements sur lesquels sont fondés les avis. Mon interprétation est peut-être erronée. Ce n'est qu'aujourd'hui que nous avons vraiment commencé à examiner cette question, madame la présidente, en vue de l'imminent examen article par article.

Il semble y avoir une dichotomie entre l'impression que les renseignements transmis au commissaire à l'éthique seront confidentiels et l'idée que seuls les avis qu'il donnera le seront. Par la suite, le projet de loi précise que le commissaire doit rendre son rapport accessible au public, non pas en fonction des avis qu'il a donnés à titre confidentiel, mais en fonction de Dieu sait quoi. Il s'agit peut-être des renseignements qui lui ont été fournis par une tierce partie ou par le titulaire d'une charge publique. Une telle ambiguïté met le commissaire dans la situation déplaisante d'être assujetti aux règles de la relation entre un avocat et son client, puis de devoir communiquer ses recommandations en cas de contestation. Il est assujetti aux règles classiques de la relation entre un avocat et son client, puis il assume des pouvoirs quasi judiciaires en présentant un rapport. Ce rapport est par la suite déposé publiquement au Parlement, même si j'ignore les modalités à l'égard de l'autre endroit.

En raison de cette ambiguïté, chaque titulaire de charge publique a la désagréable impression que la confidentialité est assurée alors qu'elle ne l'est pas vraiment. Je souligne ce point parce qu'il s'applique également aux titulaires de charge publique de notre chambre.

Le problème découle-t-il du libellé? S'agit-il d'un problème de rédaction? Est-ce l'intention visée? Le rôle du commissaire à l'éthique est ambigu. Cela rejoint le point qu'a fait valoir le sénateur Smith lorsqu'il a demandé où se situait la barre. Celle-ci semble être invisible.

M. Maingot: Quel est l'objectif du projet de loi? Je n'en suis pas tout à fait certain, sauf que le public perçoit un changement entre une nomination par l'intermédiaire d'une mesure législative, par opposition à une nomination par le truchement d'une résolution du premier ministre, comme c'est le cas actuellement.

Cependant, il existe une certaine jurisprudence dans le cas du vérificateur général. Il voulait obtenir certains documents du Conseil privé. Je suis peut-être dans l'erreur, mais à mon avis, aucune loi ne précise que les documents du Cabinet sont confidentiels. La Cour suprême du Canada a maintenu la position adoptée par le gouvernement sur la divulgation des documents du Cabinet. J'ignore si la décision portait sur toutes les questions ou uniquement sur celle de la sécurité nationale.

En ce qui concerne les paragraphes 72.08(5), (6) et (7), nous ignorons ce dont le commissaire est tenu d'assurer la confidentialité. Beaucoup de facteurs entrent en jeu.

Le sénateur Grafstein: C'est aussi mon point de vue.

M. Maingot: Précisera-t-on les règles de la confidentialité qui porteront sur les intérêts familiaux et commerciaux? C'est une question importante. Il faudra beaucoup de bon sens.

Le sénateur Grafstein: J'ai toujours cru au bon sens, mais le projet de loi porte sur les avis donnés à titre confidentiel, mais non sur les renseignements. Il va encore plus loin en attribuant au commissaire à l'éthique les pouvoirs de convoquer des témoins pour examiner certaines questions.

Je le souligne parce que je suis d'avis qu'il est très pernicieux qu'un ministre donne des renseignements qu'il croit être confidentiels et reçoive un avis donné à titre confidentiel, pour que le tout soit divulgué ultérieurement sur la place publique à son détriment.

Je répète que ce commissaire est à la fois un conseiller, un administrateur et un arbitre. Il doit rendre des décisions quasi judiciaires, c'est-à-dire des décisions administratives, mais non judiciaires. Par la suite, il est tenu de communiquer ses conclusions. Au lieu de savoir où se situe la barre, le titulaire de la charge publique ignore d'emblée à quoi s'en tenir parce qu'il se dit: «Je dois communiquer mes renseignements, et je veux le faire pour m'assurer de respecter la loi.» Mais, il se trouve dans une position où les renseignements peuvent être divulgués publiquement parce que le public s'attend sans raison à cette divulgation parce que le commissaire est tenu de communiquer son rapport.

Que divulgue-t-il? Aborde-t-il les avis qu'il a donnés à titre confidentiel? Dévoile-t-il les faits sur lesquels sont basés ces avis? Sénateurs, où se situe la barre? De plus, les renseignements donnés pourraient faire l'objet d'une accusation de parjure au criminel alors que le titulaire d'une charge publique pose des questions et donne des réponses en toute bonne foi pour ensuite obtenir des avis.

J'ai signalé ce point au comité. Nous avons l'impression que nous examinerons à toute vapeur le projet de loi article par article, et on nous a signalé que nous avions étudié ces questions attentivement, ce que je conteste. Ces problèmes de libellé me préoccupent. Il semble régner une certaine confusion. Je n'ai abordé qu'une seule disposition. Je pourrais en examiner d'autres qui me préoccupent tout autant, essentiellement parce que nous ne précisons pas d'une part que le commissaire à l'éthique est un conseiller, ce que certains d'entre nous auraient préféré, par opposition à un conseiller, à un administrateur et à un agent quasi judiciaire. C'est particulier et différent. Nous n'avons jamais été témoins d'une telle situation au Parlement auparavant.

Tout ce qui précède est tiré de ce que nous a transmis lord Williams qui, comme son greffier, a pris bien soin de préciser que tous les renseignements — et non pas uniquement les avis — étaient confidentiels, à l'exception de ce qu'il a été convenu de divulguer, ce qui figurait dans le registre des intérêts.

Qu'en pensez-vous, monsieur Maingot? Vous êtes l'un de nos spécialistes chevronnés qui comprend bien le rôle du Parlement, ses obligations envers le public et les activités dont nous devons nous acquitter dans les régions, et je parle ici des sénateurs.

M. Maingot: Je pense que nous acceptons l'idée que cette question ne relève pas du privilège parlementaire. C'est à mon corps défendant que je m'aventure en terrain dangereux, mais je dirai que la position adoptée au Royaume-Uni et précisée par le greffier me semble sensée. Je vous réponds en quelque sorte de but en blanc, et je ne pense pas que vous vous attendiez à une opinion solennelle à cet égard.

Certaines dispositions autorisent une personne à ne rien divulguer et assurent une immunité. Naturellement, si vous intervenez à la Chambre des communes ou au Sénat, votre liberté de parole est protégée et vous ne pouvez être poursuivi devant les tribunaux pour vos propos. Cependant, vous pouvez faire l'objet de mesures prises par la Chambre des communes ou le Sénat. J'essaie de réfléchir à haute voix sur l'aide que je pourrais apporter dans le cas présent.

Aux termes de la Loi sur la preuve au Canada, vous pouvez parler sans risque. Naturellement, vous avez déjà traité de cette question parce que le projet de loi précise que c'est confidentiel.

Cependant, ce qui vous préoccupe, c'est ce qui est confidentiel et ce qui ne l'est pas. C'est une question que doit trancher Solomon, en l'occurrence le commissaire à l'éthique.

La présidente: Monsieur Maingot, je devrais vous faciliter la tâche en vous précisant que ces questions se rapportent aux principes qui doivent être établis par le premier ministre, et aucun d'entre nous ne s'attend à ce que vous les connaissiez à fond.

Le sénateur Grafstein: Pour l'instant, j'attendrai avant de me prononcer. Je voulais soulever cette question. Elle me pose apparemment un problème, et je présume que M. Maingot se trouve dans la même situation que moi.

Le sénateur Joyal: Monsieur Maingot, connaissez-vous la décision rendue dans l'affaire Roberts c. les Territoires du Nord-Ouest? Dans une décision rendue en octobre de l'an dernier sur le congédiement du commissaire des Territoires du Nord-Ouest par l'Assemblée législative et les poursuites qu'il avait intentées contre elle pour congédiement injustifié. Le tribunal a conclu que l'assemblée législative n'était pas protégée en vertu du privilège parlementaire lorsqu'elle a décidé de congédier le commissaire. Connaissez-vous ce jugement?

M. Maingot: Je ne le connais pas. Parlez-vous de l'automne dernier? Quelles fonctions ce commissaire occupait-il?

Le sénateur Joyal: Il était commissaire aux conflits d'intérêts.

M. Maingot: De quelle façon avait-il été nommé?

Le sénateur Joyal: Il avait été nommé en vertu d'une loi qui précisait que, pour un motif valable, il pouvait être congédié par l'adoption d'une résolution de la Chambre. La Chambre l'a congédié parce qu'il avait parlé à la presse ou avait formulé des commentaires à propos du comportement d'un député. Elle jugeait qu'il s'agissait d'une conduite inappropriée. Le commissaire des Territoires du Nord-Ouest, qui est l'équivalent d'un lieutenant-gouverneur, a signé la résolution de la Chambre.

Le commissaire aux conflits d'intérêts a saisi les tribunaux de cette affaire. Ceux-ci ont conclu que la Chambre, dans l'exercice de ses responsabilités légales, avait congédié injustement le commissaire et ne pouvait donc faire valoir le privilège parlementaire à l'égard de ses compétences sur son personnel, c'est-à-dire sur le commissaire. Êtes-vous au courant de cette affaire?

M. Maingot: Je n'en suis pas au courant.

La présidente: Monsieur Maingot, je m'excuse, mais il est 13 h 30. Nous devons suspendre la séance parce que le Sénat siège. Comme vous n'êtes pas au courant de l'affaire, nous pourrions peut-être en rester là.

La séance est levée.


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