Aller au contenu
SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 27 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, saisi du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi sur la statistique, se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd'hui pour examiner le projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi sur la statistique. Nous avons deux groupes de témoins ce matin. Nous entendrons d'abord M. Fellegi, M. Wilson et M. Leadbeater.

Nous vous demandons d'être aussi brefs que possible. Nous donnerons ensuite la parole au sénateur Murray, quand j'ouvrirai la période des questions.

Monsieur Wilson, vous avez la parole.

M. Ian E. Wilson, archiviste national, Archives nationales du Canada: Honorables sénateurs, j'ai déposé devant le comité un document dans les deux langues. Au lieu de le lire au complet, je compte plutôt vous en présenter les faits saillants.

Beaucoup de temps et d'énergie ont été consacrés à la question de l'accès aux relevés historiques du recensement. Dernièrement, cette question a suscité énormément d'activité au sein du système judiciaire et devant les tribunaux.

Il devenait clair à un moment donné que Statistique Canada et les Archives nationales devaient s'efforcer de trouver un compromis raisonnable qui permettrait de respecter le droit des gens de respecter leur vie privée, les exigences de la Loi sur les archives, et les intérêts des personnes qui font de la recherche.

Notre concertation nous a donc permis d'élaborer ce compromis. Je suis content de voir que ce compromis est maintenant incarné dans le projet de loi S-13, et qu'on donne à présent l'occasion au Parlement d'en discuter et d'en examiner les détails.

Les relevés originaux des recensements antérieurs à 1906 sont conservés aux Archives nationales; les relevés des recensements postérieurs à 1906 continuent de relever de la responsabilité de Statistique Canada, bien qu'ils soient simplement entreposés dans un de nos centres de dépôt de documents.

À la page 4, vous remarquerez, honorables sénateurs, que nous avons reproduit les directives données aux commissaires en vertu de la Loi du recensement et des statistiques de 1905. L'article 26 prévoit que les recenseurs sont tenus au secret à l'égard des renseignements recueillis. L'article 34 indique que l'intention est de faire du recensement un document historique qui sera conservé aux Archives du Dominion. En 1911, on dit bien qu'il s'agit d'un document historique qui servira à retracer l'origine et le développement des villes futures.

À la page 5, vous verrez, honorables sénateurs, que l'honorable John Manley, ministre responsable de Statistique Canada, a nommé un comité d'experts qui était chargé d'examiner toutes les questions relatives aux relevés historiques du recensement. Ce comité a recommandé que soient immédiatement versés aux Archives nationales les relevés du recensement de 1906, et que ceux des recensements de 1911 soient rendus publics en 2003. Il a noté, cependant, que pour les recensements effectués à partir de 1918, année d'adoption de la nouvelle Loi de la statistique, il était probable qu'une loi soit nécessaire pour traiter tout ce qui a été fait après 1918.

Ce compromis cherche donc à régler les problèmes entourant les recensements de 1911 et 1916, ainsi que l'ensemble des activités menées au cours du XXe siècle, en prévoyant également une formule pour l'accès à la recherche tout au cours du XXe siècle, mais dès les années 70 et 80, nous nous heurtons forcément au problème de recensements fort longs et complexes.

La question clé dans tout cela est la protection de la vie privée. Nous reconnaissons également que toute loi, nationale ou internationale, qui vise à protéger la vie privée doit tenir compte du fait que cette protection diminue au fil des ans. Par exemple, aux termes de notre législation, le droit à la protection des renseignements personnels d'une personne s'éteint à sa mort. Une explication est également fournie à ce sujet. Cela pourrait être le cas 110 ans après la naissance de l'intéressé ou, s'il s'agit de renseignements obtenus au moyen d'un recensement, 92 ans après ce recensement. Aux termes du règlement d'application, les Archives nationales ont le droit de communiquer cette information selon ces conditions-là.

Je vous fais remarquer, à la page 7, que nous communiquons l'information tirée des recensements depuis environ 50 ans. Au cours de cette période, il n'y a eu aucune plainte relative à la protection des renseignements personnels.

Depuis que nous avons diffusé sur Internet les relevés du recensement de 1906 il y a deux mois, il y a eu de nombreuses consultations de ce site. Nous n'avons reçu aucune plainte. Tout au contraire; nous avons reçu énormément de félicitations. Les gens sont ravis de pouvoir accéder à ce site et d'obtenir de l'information pour compléter leur arbre généalogique.

À la page 8, il est question de l'accès aux relevés du recensement que prévoient d'autres administrations. Avant la Confédération, Terre-Neuve effectuait ses propres recensements. Les recensements effectués jusqu'en 1945 sont diffusés et donc disponibles depuis un certain temps. De temps à autre, certaines préoccupations sont exprimées relativement à la conformité avec la législation si nous décidons de divulguer les relevés des recensements. Mais il faut noter qu'à Terre-Neuve, nos concitoyens ne sont pas plus portés que les autres Canadiens à fermer les yeux sur les exigences de la Loi sur la statistique. Bien que les relevés de tous les recensements effectués à Terre-Neuve, y compris jusqu'en 1945 aient été communiqués au public, il n'y a jamais eu de problème.

Au Royaume-Uni, on prévoit la communication de ces relevés après 100 ans, alors qu'aux États-Unis, c'est après 72 ans. Il faut que les Canadiens puissent consulter les relevés des recensements, et notamment ceux effectués au cours du XXe siècle, pour être en mesure de documenter l'histoire de leur famille, de se renseigner sur les droits, la descendance et la généalogie, pour des fins de recherche générale, et pour comprendre l'évolution de la population canadienne. Entre 1906 et 1916, la population des trois provinces des Prairies a augmenté de 400 p. 100. Il s'agit d'une progression extraordinaire dans une région particulière du Canada qui a eu un impact très important sur la démographie canadienne.

Nous avons participé à un sondage national il y a un an. Lors de ce sondage, 50 p. 100 des Canadiens ont dit qu'ils étaient soit très intéressés, soit moyennement intéressés à se renseigner sur l'histoire et la généalogie de leur famille. Cette affirmation est confirmée aux pages 10 et 11, où nous présentons les statistiques quotidiennes relatives aux consultations depuis que nous avons diffusé sur Internet les données du recensement de 1906. Le 24 janvier, plus de 600 000 pages des relevés du recensement en question ont été consultés. Il y a eu une légère baisse depuis, mais il est clair que cette information suscite un intérêt phénoménal chez les citoyens de ce pays.

Il en va de même pour les données du recensement de 1901 que nous avons diffusées sur Internet ne mai dernier. Le nombre global de consultations par mois dépasse un million dans certains cas pour les diverses pages diffusées sur notre site Web. Et j'insiste encore sur le fait que cela n'a donné lieu à aucune plainte en ce qui concerne une éventuelle violation de la vie privée. Nous avons donc réussi à établir le bon équilibre.

Nous soutenons l'objectif général du projet de loi S-13, qui est de clarifier la situation en ce qui concerne l'accès aux relevés historiques du recensement. Ce projet de loi cherche à établir l'équilibre approprié entre la protection de la vie privée, les besoins du milieu de la recherche et le désir du public de consulter cette information. C'est le propre de tout compromis, et comme pour tout compromis, chacun doit faire des concessions. Il reste que ce projet de loi permet de clarifier la situation en ce qui concerne l'accès à l'ensemble des données du XXe siècle, et c'est ce que nous souhaitons. Nous préférons que cette clarification passe par le Parlement, plutôt que par le système judiciaire, pour que ce dernier essaie d'interpréter certains aspects, parfois contradictoires, de la loi et du règlement d'application.

Nous vous encourageons à adopter ce projet de loi. Nous sommes à votre disposition, si vous avez besoin de renseignements supplémentaires.

M. Ivan P. Fellegi, statisticien en chef du Canada, Statistique Canada: Honorables sénateurs, M. Wilson et moi sommes sur la même longueur d'onde. Nous appuyons tous les deux ce projet de loi.

Je suis très heureux qu'une solution ait été trouvée concernant le problème complexe du juste équilibre entre le besoin d'accès aux relevés historiques du recensement et la protection des renseignements personnels des Canadiens. Une certaine ambiguïté juridique quant à la confidentialité des relevés historiques du recensement constituait la source du problème sous-jacent. Toutefois, en tant que statisticien en chef, ma préoccupation professionnelle a toujours été la question des répercussions sur les systèmes statistiques si Statistique Canada perdait la confiance des Canadiens en ce qui concerne sa capacité à protéger la confidentialité des questionnaires du recensement.

Je crois que le projet de loi S-13 clarifie la question, tant pour les relevés historiques du recensement que pour les relevés des futurs recensements. Et plus important encore, à mon avis, il le fait de manière à préserver la crédibilité de notre promesse de confidentialité.

[Français]

Le projet de loi S-13 permet l'accès aux dossiers historiques du recensement 92 ans après la tenue du recensement, mais conformément à des conditions particulières. Ces conditions d'accès et de diffusion visant la protection des renseignements personnels des Canadiens ne sont ni lourdes ni, je crois, indûment restrictives pour les généalogistes et les historiens, mais ils envoient un message très important. La vie privée des Canadiens est prise au sérieux.

Ces conditions seront en vigueur durant 20 ans après la diffusion des dossiers historiques du recensement. Les conditions d'accès et de diffusion seront retirées 112 ans après le recensement.

[Traduction]

La période de 112 ans constitue une condition qui procure aux Canadiens une protection supplémentaire de leurs renseignements personnels pour une durée de 20 ans. La Loi sur la protection des renseignements personnels permet la diffusion des renseignements provenant d'un recensement 92 ans après la tenue du recensement. Cette même loi permet également la diffusion de renseignements personnels 20 ans après le décès. Étant donné que très peu de personnes vivent jusqu'à l'âge de 112 ans, ou même au-delà de 92 ans, la combinaison de ces conditions a donné la période de 112 ans que prévoit le projet de loi S-13. Ces propositions ne sont pas fondées sur les principes de départ. Comme tout compromis, elles sont le résultat de négociations.

Compte tenu des ambiguïtés juridiques à propos de la confidentialité des relevés historiques du recensement, le projet de loi est un compromis raisonnable à mon avis. Étant donné l'intérêt que porte le sénateur Milne à cette question depuis fort longtemps, j'étais particulièrement heureux de voir qu'elle indiquait dans le discours qu'elle a prononcé au Sénat pour présenter le projet de loi, que ce dernier permet d'établir un juste équilibre entre toutes sortes d'intérêts contradictoires.

C'est d'ailleurs un point essentiel; il y a effectivement des intérêts contradictoires. Ce projet de loi vise à trouver l'équilibre approprié entre tous ces divers intérêts. Cependant, en tant que statisticien en chef, je pense que la disposition la plus importante concerne les futurs recensements. Le projet de loi éliminera toute éventuelle ambiguïté juridique. En fait, à compter du recensement de 2006, les particuliers pourront décider s'ils veulent que leurs renseignements personnels du recensement soient accessibles au public 92 ans après la tenue du recensement. Cette approche est décrite par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. George Radwanski, comme étant «conforme conforme aux plus hautes normes en matière de protection de la vie privée.»

Cette mesure est facile à expliquer aux Canadiens, notamment dans un contexte où l'on peut depuis son foyer accéder à des renseignements personnels très importants. Elle sera donc déterminante dans le maintien du niveau élevé de crédibilité que possèdent à la fois le recensement et Statistique Canada auprès du public.

M. Alan Leadbeater, sous-commissaire à l'information, Commissariat à l'information du Canada: Honorables sénateurs, j'ai tout un défi à relever ce matin. Vos distingués invités sont parvenus à une entente que traduit ce projet de loi. Pour ma part, j'espère vous convaincre aujourd'hui que ce compromis comporte de graves défauts.

Le Commissariat à l'information du Canada estime qu'en vertu de la loi actuelle, les données des recensements de 1911 et 1916 sont accessibles à tous, conformément à l'article 6 du Règlement sur la protection des renseignements personnels, 92 ans suivant la date du recensement. Il n'y a pas de raison de limiter l'accès maintenant, ni de traiter ces données différemment de celles de 1906. Rien n'indique qu'on aurait promis aux Canadiens une protection plus longue de ces données.

Dans l'avenir, rien ne justifie de permettre aux Canadiens de garder secrètes en permanence des données de recensement, simplement en refusant de consentir leur communication après la période de 92 ans.

Cette prolongation du secret serait sans précédent. Même si l'idée d'obtenir le consentement dès le départ est attrayante, d'autres renseignements personnels que détient le gouvernement — même les plus sensibles, contenus notamment dans les dossiers médicaux, psychiatriques, criminels et de libérations conditionnelles — peuvent être tenus secrets un minimum de 20 ans seulement après la mort de l'intéressé. Par conséquent, nous croyons que le paragraphe 17(7) de la Loi sur la statistique devrait s'appliquer aux données de tous les recensements ultérieurs à 1918. Cent douze ans constitue une période de protection suffisante, après quoi la loi devrait considérer que les données de recensement ne sont plus visées par le droit à la vie privée. Cela est conforme à la disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels, selon laquelle le droit à la vie privée ne dure que 20 ans après le décès de l'intéressé.

Enfin, pour les données du recensement recueillies après l'adoption de la Loi sur la statistique de 1918, on peut faire valoir qu'en raison de la disposition qu'elle comporte sur la protection des renseignements personnels, les données du recensement recueillies par la suite pourraient bénéficier d'une protection supplémentaire. Ce nouvel élément de protection de la vie privée contenu dans le projet de loi S-13 est l'engagement proposé que doivent donner les chercheurs et les généalogistes.

Cependant, le commissire à l'information n'est pas d'accord que le contenu de l'engagement devrait être réglementé. Il ne faut pas oublier que tout manquement à l'engagement constituera une infraction et qu'il est préférable que ce soit le Parlement, et non le Cabinet, qui définisse les dispositions relatives aux infractions.

Le Commissaire à l'information est d'avis que rien ne permet de penser qu'un régime d'accès limité après 92 ans, et de plein accès après 112 ans, nuirait, d'une façon ou d'une autre, au taux de participation volontaire lors de futurs recensements. Les Britanniques ont plein accès aux données après 100 ans, les Américains après 72 ans — et ces pays n'ont aucun problème de participation.

J'ai rattaché au document que j'ai déposé un texte intitulé «Option A». Le Commissaire à l'information recommande que les données des recensements passés et futurs soient accessibles sans restriction 112 ans après leur collecte. Deuxièmement, comme l'indique le paragraphe 4, les données recueillies après 1918, date d'adoption de la première Loi sur la statistique, et par la suite devraient être disponibles aux chercheurs 92 ans après la tenue du recensement, sous réserve d'une restriction sur leur communication jusqu'à ce que 112 ans soient écoulés, qui serait définie dans la loi.

Le plus important, c'est que la disposition autorisant la protection permanente des renseignements personnels lorsque les participants d'un recensement futur refusent de consentir à leur communication, n'est pas raisonnable et devrait être abandonnée. Le Commissaire à l'information insiste particulièrement sur ce point. Si cette disposition est le prix à payer pour rendre accessibles les données des recensements antérieurs aux chercheurs, le prix est alors trop élevé. Les données des recensements futurs qui serviront de base à des travaux de recherche seront inévitablement incomplètes en raison de l'exercice de l'option du consentement.

Enfin, le commissire à l'information recommande — et ceci se trouve au paragraphe 9 de l'option «A» — que les données des recensements de 1911 et de 1916 soient accessibles sans restriction après 92 ans, tout comme le sont les données de celui de 1906.

Vous trouverez dans les options jointes au texte de mes observations l'ensemble des modifications proposées par rapport à la loi originale. Les honorables sénateurs remarqueront que nous y présentons également une deuxième option, soit l'option «B». Si vous regardez le paragraphe 8, vous verrez que cette option assurerait un consentement limité dans l'avenir permettant aux particuliers d'autoriser l'accès aux données des recensements dans le but d'effectuer des recherches après 92 ans, mais sous réserve du même engagement que celui prévu pour les données des recensements antérieurs à 2006. Toutefois, dans l'option «B», les données des recensements futurs deviendraient accessibles 112 ans après la date de la collecte.

Voilà le genre d'équilibre qui respecte vraiment les droits du milieu de la recherche et des généalogistes canadiens, tout en protégeant les renseignements personnels des Canadiens.

Le président: Je vous demanderais d'essayer de vous limiter à la question de la divergence d'opinions entre les différents témoins. Le premier élément est celui de savoir ce qui arrivera aux données des recensements de 1911 et de 1916. Le deuxième élément concerne la mesure dans laquelle les particuliers devraient pouvoir protéger leurs renseignements personnels après les délais de 92 ans et de 112 ans. Le Commissaire à l'information estime que ce n'est pas nécessaire, alors que pour les deux autres témoins, il s'agit là d'un compromis raisonnable. Pourrions-nous essayer de nous en tenir à l'examen de ces deux éléments? Il me semble que ce sont les deux principaux éléments à éclaircir.

Le sénateur Murray: Monsieur Wilson, je dois dire que je trouve flatteur que l'on permette aux honorables sénateurs d'autoriser des projets de recherche historique. J'en ai justement parlé au moment de faire mon allocution sur le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. J'ai maintenant un projet de formulaire qui peut être rempli par une personne qui demande à accéder aux relevés du recensement pour les fins d'une recherche historique. Un projet de recherche peut être approuvé par le statisticien en chef, un archiviste national, un député ou un sénateur, un maire, le chef d'une Première nation ou d'un conseil de bande, le recteur d'une université ou un membre supérieur du clergé. Vous ne trouvez pas que c'est un peu n'importe quoi?

Le président: Je précise, pour les fins du compte rendu, qu'aucun d'entre nous, y compris le président, ne possède une copie du projet de règlement. C'est pour cela que nous avons tous l'air perplexe.

Le sénateur Murray: Ce sur quoi je veux insister, c'est que les personnes qui effectuent une recherche historique doivent obtenir l'approbation d'une de ces personnes, qui attestent que le projet en question est légitime, et les honorables sénateurs, entre autres, sont jugés avoir les qualités requises pour donner ce genre d'attestation. Monsieur Wilson, peut-être pourriez-vous me dire comment vous avez dressé cette liste, ou peut-être devrais-je poser la question à quelqu'un d'autre?

M. Wilson: Encore une fois, c'est une collaboration entre Statistique Canada et les Archives qui a donné lieu à cette liste. L'intention était de prévoir qu'une personne qui représente la collectivité donne son avis concernant la collectivité qui fait l'objet de la recherche. Il ne nous est pas possible de faire cela depuis Ottawa. Il est préférable de faire participer les membres de la localité. Donc, il s'agit simplement de prévoir que des personnes occupant un poste de responsabilité dans la localité atteste l'utilité et la valeur de la recherche pour la collectivité concernée.

Le sénateur Murray: Les historiens nous considèrent-ils maintenant comme leurs égaux pour les fins de l'évaluation par les pairs?

M. Wilson: Il n'est pas question ici du processus d'évaluation par les pairs, sénateur.

Le sénateur Murray: On vous a demandé de dire ça, n'est-ce pas? Je pense que je vais m'abstenir de commenter la question de l'accès illimité et sans condition après 112 ans. Je vous dis tout de suite que je n'aime pas cette disposition. Mais je n'ai pas l'intention de proposer un amendement ou de protester vigoureusement à ce sujet. J'ai bien compris que cela fait partie du compromis auquel vous êtes parvenus. Si je n'ai pas l'intention de protester ou de proposer un amendement, c'est parce que c'est lié à une question beaucoup plus générale — celle à laquelle ont fait allusion tout à l'heure M. Wilson et M. Leadbeater. C'est qu'aux termes de la Loi actuelle sur la protection des renseignements personnels, les renseignements personnels peuvent être diffusés au public 20 ans après la mort de la personne que ces renseignements concernent. Une question de principe m'amène à m'opposer vigoureusement à une telle disposition. Je ne suis pas du tout d'accord là-dessus. Dans un autre contexte, je voudrais qu'on puisse participer à un débat où les uns et les autres auraient à présenter et à défendre leurs arguments. Je ne suis pas d'accord avec une telle disposition. J'ai protesté énergiquement, mais c'était trop tard.

Il se trouve que les renseignements personnels recueillis par les entreprises pour des fins commerciales peuvent être diffusés au public 20 ans après le décès des intéressés. Là, aussi, je ne suis pas d'accord. Mais je n'ai pas l'intention de lancer maintenant un débat à ce sujet puisque cet élément s'inscrit dans un débat sur le principe général qui le sous- tend.

C'est presque un secret de polichinelle qu'en plus du projet de réglementation, des projets d'amendements circulent déjà, et je dois donc profiter de l'occasion qui m'est donnée ce matin de demander l'avis des témoins sur ces amendements, même si le comité n'en est pas encore saisi. Je suis sûr que ce règlement sera proposé par le gouvernement.

Le président: Oui, cela me paraît fort probable.

Le sénateur Murray: Je ne vais pas vous lire le texte des amendements. Je vais plutôt vous les décrire, et vous me direz ce que vous en pensez, si vous le souhaitez.

Le premier amendement aurait pour résultat de prévoir que les relevés des recensements de 1911 et 1916 soient communiqués au public sans condition 92 ans après la date des recensements concernés. Donc, pour le recensement de 1911, l'année de diffusion serait cette année, tout comme les relevés du recensement de 1906 ont été diffusés dernièrement sans condition par Statistique Canada et les Archives nationales.

Je ne vais sans doute pas chercher à faire valoir mes arguments tant que l'amendement n'aura pas été proposé, mais j'aimerais tout de même demander aux témoins de commenter ce projet d'amendement.

Le président: M. Leadbeater nous a dit qu'il est favorable à cet amendement. Peut-être que nos deux autres témoins pourraient nous dire ce qu'ils en pensent.

M. Fellegi: Merci, sénateur.

Je pense qu'on a érigé et aussitôt détruit un homme de paille en ce qui concerne la prétendue promesse du premier ministre Laurier. À ma connaissance, M. Laurier n'a jamais fait de promesse à propos de la confidentialité des données. Par contre, une vraie promesse a été faite qui était différente en 1906, 1911 et 1916, par rapport à 1901 et les recensements effectués auparavant.

Le gouvernement de l'époque a effectivement adopté une loi prévoyant que la confidentialité des données recueillies dans le cadre de ces recensements soit protégée. Cette protection était inviolable. De plus, la consigne donnée aux enquêteurs était d'expliquer aux Canadiens les différences entre les recensements de 1906, 1911 et 1916. Ils devaient aussi écrire lisiblement pour que cette information puisse être conservée aux archives.

Voilà donc la raison de l'actuelle ambiguïté légale. Les tribunaux n'ont jamais été appelés à intervenir ou prendre une décision à ce sujet. Devant cette incertitude, le gouvernement a décidé, pour le recensement de 1906, de diffuser les données avant que ce projet de loi soit adopté, étant donné que 92 ans se sont déjà écoulés, et aussi parce qu'il s'agit d'un recensement limité. Les questions soulevées à propos de ce nouveau projet de loi concernent plutôt les renseignements de base. Le gouvernement a opté pour la diffusion de l'information dans le cas du recensement de 1906. Il a également décidé, semble-t-il, de régler la question de l'ambiguïté légale, et ce pour tous les recensements — ceux de 1911, 1916, et 1921, et ainsi de suite jusqu'en 2001.

L'objet de ce projet de loi est de faire disparaître cette ambiguïté. Elle est plus grave pour les recensements de 1911 et 1916 que pour ceux qui ont suivi 1918, où le poids de la preuve nous fait pencher davantage en faveur de la protection de la confidentialité. Mais le doute plane sur tous ces recensements, du point de vue du statut juridique de cette protection de la confidentialité.

Je suis d'avis, en tant que statisticien, que la procédure a changé en 1906, 1911 et par la suite. C'est-à-dire que la loi prévoyait pour la première fois que les enquêteurs de l'époque devaient indiquer aux membres de chaque ménage que cette information était inviolable.

Le président: J'ai bien apprécié cette leçon d'histoire mais vous n'avez pas répondu à ma question. La question était celle-ci: êtes-vous ou non en faveur d'un amendement qui aurait pour résultat de faire en sorte que les recensements de 1911 et 1916 soient traités de la même manière que celui de 1906?

M. Fellegi: Je suis certainement très favorable aux dispositions actuelles du projet de loi et je vous recommanderais par conséquent de ne pas adopter un tel amendement.

Le président: Voilà qui est clair.

M. Wilson: Voilà justement l'un des points à l'origine de la divergence d'opinions qui existe entre Statistique Canada et les Archives depuis un bon moment. Nous comprenons à présent que la situation pour les recensements de 1911 et 1916 est la même que pour le recensement de l906, qui est maintenant disponible en ligne, ce qui n'a suscité aucune plainte.

Nous avons fait énormément de recherche pour essayer de retrouver une preuve de cette prétendue promesse. Quand j'ai été nommé, j'ai demandé une copie du texte de cette promesse dont on m'avait parlé. La seule référence que nous avons réussi à trouver est expliquée à la page 4 de mon texte et se trouve à l'article 26 de la loi, qui visait explicitement qui allait faire la collecte de ces données personnelles aux domiciles des Canadiens en 1906. L'article 26 précise que ce recensement doit constituer un document permanent et qu'il doit être accessible par l'entremise des Archives du Dominion. Donc, là l'équilibre entre le besoin de protéger la vie privée des Canadiens dans l'immédiat et de faciliter la recherche à long terme était clair. Voilà le principe établi par le gouvernement de Wilfrid Laurier et qui continue de s'appliquer.

J'ai constaté que les préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels étaient de deux ordres. Premièrement que les données du recensement soient utilisées par le gouvernement à des fins d'impôt ou de conscription. À mon avis, ces deux préoccupations ne sont plus valables depuis longtemps. Nous, aux Archives, nous ne serions donc pas opposés à des amendements ayant pour effet d'autoriser l'accès aux données des recensements de 1911 et de 1916, 92 ans après la collecte de ces données.

Le sénateur Murray: On a demandé au gouvernement pour quelles raisons les relevés du recensement de 1906 avaient été diffusés au public sans condition. Il a répondu que c'était à cause de la nature particulière de ce recensement. Le gouvernement indique aussi dans sa réponse que dans le cadre du recensement de 1906, seulement des renseignements de base très limités, tels que le nom, l'adresse, l'âge, le sexe, l'état matrimonial et les origines, avaient été recueillis. De plus, les données concernaient uniquement les habitants du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta.

J'aimerais donc savoir si les données recueillies dans le cadre du recensement de 1911 constituent effectivement des renseignements de base seulement ou s'il s'agit d'information plus détaillée.

Le recensement de 1916 aurait été un autre recensement régional, et j'aimerais que vous nous disiez quelle avait été l'ampleur de l'information recueillie cette année-là. Est-ce que l'un ou l'autre de vous aurait la réponse à cette question?

M. Fellegi: Oui, sénateur, le recensement de 1911 ne prévoyait pas uniquement la collecte de renseignements de base. Je ne vais pas vous donner tous les détails du questionnaire, mais il conviendrait que je vous parle de l'information qui serait à mon avis de nature confidentielle. Le renseignement le plus confidentiel, de tous ceux recueillis à l'époque, concernait ce qu'on appelait les infirmités. On demandait donc si un membre du ménage était aveugle, sourd, muet, fou, sot, idiot ou dément. Nous ne posons plus de telles questions, mais à l'époque, elles étaient considérées légitimes.

Le président: Certains sénateurs auraient moins de mal à dire si ces adjectifs s'appliquaient à leurs collègues qu'à eux-mêmes.

M. Fellegi: De plus, on posait des questions concernant le nombre de mois d'instruction de l'intéressé, et s'il savait lire et écrire. Il s'agit d'information sensible. Et ces questions étaient fort différentes de celles posées dans le cadre du recensement de 1906. En réalité, elles sont semblables aux questions posées du recensement de 1901. Mais le recensement de 1901 a été effectué sans qu'il existe une disposition législative protégeant la confidentialité des données.

Le sénateur Murray: Je ne souhaite pas entamer un débat sur la question avec M. Wilson. Pour les fins du compte rendu, j'ai lu à haute voix le texte du règlement d'application de 1905 à 1906 au moment où l'on débattait du projet de loi d'initiative parlementaire du sénateur Milne. Il me semble que l'existence de la confidentialité ne s'appliquait pas uniquement aux personnes chez eux dont le recenseur recueillait des informations; elle visait tout le monde qui avait accès à l'information, et ce à tous les paliers du gouvernement. Je ne crois pas exagérer en vous disant cela, mais vous pourrez me corriger si je me trompe ou si vous avez le texte sous les yeux.

Permettez-moi de vous interroger au sujet du deuxième projet d'amendement qui circule en ce moment. M. Fellegi y a fait allusion juste avant de conclure ses remarques liminaires. Il concerne la possibilité pour un particulier de donner son consentement à l'éventuelle diffusion de ses renseignements personnels. J'ai exprimé mon enthousiasme, comme l'a fait M. Fellegi, à propos de la disposition du projet de loi du gouvernement relative au consentement. Cependant, l'amendement actuellement en circulation prévoit une formule «d'abonnement par défaut» en quelque sorte, en ce sens qu'on ne vous demanderait pas si vous êtes d'accord ou non. Vous pourriez signer un formulaire si vous n'étiez pas d'accord et ne souhaitez pas que vos données personnelles soient diffusées au public. Qu'en pensez-vous? Est-ce la même chose, monsieur Fellegi?

M. Fellegi: Non. Voilà justement un problème qui me tient à coeur. J'ai des opinions très arrêtées sur bien des questions, mais c'est d'autant plus vrai pour celle-là en ce qui me concerne, à titre de statisticien en chef. J'aimerais donc soulever plusieurs points à cet égard qui me semblent bien importants.

D'abord, lorsqu'on demande aux Canadiens de fournir de l'information de façon positive, la très grande majorité d'entre eux acceptent de le faire lorsqu'ils font confiance à l'institution qui fait la demande. Permettez-moi de vous en donner deux exemples. Élections Canada voudrait avoir accès aux renseignements relatifs aux changements d'adresse inscrits sur les déclarations d'impôt. Sur la déclaration d'impôt, on demande aux Canadiens, de façon positive plutôt que négative, s'ils sont prêts à accepter ce genre de choses. On leur demande donc s'ils sont prêts à permettre que les renseignements concernant leur changement d'adresse inscrits sur la déclaration d'impôt soient communiqués à Élections Canada. Quatre-vingt pour cent des contribuables acceptent de le faire, même si ceux qui voient cette question pourraient se demander s'ils ont vraiment envie de communiquer leurs déclarations d'impôt à Élections Canada. Bien sûr, telle n'est pas l'intention de la question et le libellé ne reflète pas non plus une telle intention. Donc, la très grande majorité des Canadiens répondent à cette question dans l'affirmative.

Pour nos sondages sur les soins de santé, nous faisons passer des interviews à environ 130 000 Canadiens tous les deux ans. Nous leur demandons la permission d'accéder à leurs dossiers médicaux provinciaux afin que nous puissions examiner à la fois les données recueillies au moyen du sondage et les données contenues dans les dossiers médicaux de la province et obtenir ainsi une analyse plus valable. Environ 95 p. 100 des personnes interrogées nous donnent la permission de consulter des données sensibles et très récentes parce qu'ils nous font confiance et parce qu'on leur présente la chose de façon positive.

Je voudrais, deuxièmement, citer l'exemple atroce de Rogers Cable et de ce qui est arrivé lorsqu'il a essayé d'imposer l'abonnement par défaut. Cela a suscité une très forte réaction négative de la part du public. La probabilité d'une forte réaction négative dans un tel scénario est plus forte que dans un scénario où les gens peuvent décider ou non de participer. Ils n'ont pas l'impression qu'on essaie de leur jouer des tours. Il s'agit simplement de leur demander s'ils veulent ou non autoriser l'accès à certaines données.

J'ai pris vis-à-vis de l'archiviste national un engagement que je suis heureux de pouvoir communiquer au public par l'entremise du compte rendu. Je me suis engagé à travailler avec l'archiviste à l'élaboration du programme de publicité relative aux recensements futurs, parce que tout recensement exige une campagne de publicité massive. C'est l'occasion d'encourager les citoyens canadiens à donner leur consentement, et puisque la réunion d'aujourd'hui est une réunion publique, j'engage aussi mes successeurs à cet égard.

Je ne suis pas contre l'accès; je suis contre l'accès sans permission. Je suis tout à fait disposé à travailler avec l'archiviste pour faire en sorte que l'accès soit accordé.

En fin de compte, c'est à Statistique Canada que revient la responsabilité d'organiser le recensement, et son expérience devrait donc compter pour beaucoup. Le recensement représente en réalité l'opération la plus importante que doit organiser le gouvernement en temps de paix. Elle est tout à fait tributaire de la confiance et de la coopération du public. Sans vouloir contredire M. Leadbeater, nous parlons dans ce contexte d'information fort différente de celle que contiennent les dossiers médicaux, criminels et juridiques, car dans tous ces cas, l'intérêt personnel de l'intéressé est en cause et la divulgation de cette information peut donner lieu à des sanctions importantes. On ne peut refuser de donner certains renseignements à son médecin si l'on souhaite recevoir les soins appropriés. Mais on peut refuser à Statistique Canada les renseignements demandés dans le cadre du recensement. Même si le recensement est obligatoire, il n'est pas question de mettre 30 millions de Canadiens en prison même si cela était possible, et vous serez rassurés de savoir que nous n'aurions jamais envisagé une telle chose.

Par conséquent, nous avons absolument besoin de la coopération des citoyens pour mener à bien le recensement. Les sanctions actuellement prévues ne sont pas efficaces. L'intérêt du particulier n'est pas en cause de la même manière que pour une situation où l'on fournit certains renseignements à son médecin ou à son avocat. Pour être valable, le recensement doit être effectué auprès de 100 p. 100 de la population. Il n'est pas suffisant de compter 80 p. 100 ou 95 p. 100 de la population. La coopération des citoyens est donc essentielle. Nous ne pouvons nous permettre que même un infime pourcentage de la population refuse de coopérer, parce que les répercussions financières du recensement sur cinq ans sont très considérables — des centaines de milliards de dollars — et les données doivent donc être exactes. Là je fais surtout allusion aux paiements de péréquation et à tous les autres transferts fédéraux sociaux aux provinces, et aux autres paiements effectués dans le cadre d'une vaste gamme de programmes.

Il faut donc que l'information recueillie soit fiable, et pour un recensement, on n'a pas une deuxième chance. Si on fait mal les choses, et même si les erreurs sont relativement mineures, il n'y a pas de rectification possible. À cet égard, le recensement est différent de presque toute autre opération.

Tous les recenseurs du monde vous diront que la confidentialité et la confiance du public sont essentielles pour effectuer un recensement. À mon avis, ce projet de loi représente un compromis qui peut, comme tout compromis, être modifié dans un sens comme dans l'autre. S'il ne s'appuie pas sur des principes fondamentaux, s'il s'agit effectivement d'un compromis, chacune des parties qui a participé à ce compromis peut demander un peu plus. En ce qui concerne la protection de la vie privée, on pourrait soutenir que les restrictions ne devraient pas être limitées, par rapport à la possibilité d'une restriction sur 90 ou 112 ans. Pourquoi ne pas prévoir un processus complet d'évaluation par les pairs pour les relevés historiques du recensement, plutôt que le genre d'examen que propose M. Wilson? Par contre, il y a peut-être lieu de contester la restriction sur 72 ans.

Il s'agit évidemment d'un compromis, et pour moi, c'est un bon compromis. Je pense que nous pouvons l'accepter. À mon sens, la question essentielle que vous devez vous poser à propos de ce qui est proposé est celle-ci: Quel type de recherche généalogique ou historique raisonnable n'est pas autorisé dans ce projet de loi? Selon ce projet de loi, est-il possible que certains projets raisonnables de recherche généalogique ou historique ne soient pas permis? Si la réponse à cette question est non, vous conviendrez peut-être que le projet de loi, tel qu'il est actuellement formulé, est à la fois raisonnable et acceptable.

Le sénateur Murray: Si jamais ces amendements se concrétisent, nous en discuterons.

Le sénateur Cordy: Y a-t-il une différence entre les lois régissant les recensements de 1906, 1911 et 1916?

M. Fellegi: Sénateur, je ne suis pas avocat. À ma connaissance, il n'y a pas de différence entre ces trois recensements du point de vue des conditions législatives qui les visaient. Il existe cependant une ambiguïté à l'égard de ces trois recensements que ce projet de loi propose de régler. Je pense qu'il s'agit d'un des objectifs du projet de loi.

Le sénateur Cordy: À quels renseignements les historiens et généalogistes auront-ils accès 20 ans après un recensement, et lesquels resteront inaccessibles pendant 92 ans?

M. Fellegi: Tous seraient accessibles à part les renseignements personnels qui ne sont pas des renseignements de base — soit le nom, l'adresse, le métier, le pays d'origine, et cetera — donc toutes les données qui ne sont pas d'ordre personnel, qui sont du domaine public et pourraient raisonnablement faire l'objet de recherches historiques.

Le sénateur Cordy: Je comprends ce que vous dites pour ce qui est du nom, de l'adresse, et cetera. Est-ce que l'année d'immigration ou le pays d'origine d'un immigrant sont considérés comme des renseignements de base, ou ces données resteraient-elles inaccessibles?

M. Fellegi: Les renseignements de base sont définis dans le règlement d'application. Cette définition ne se trouve pas dans le projet de loi. Je peux évidemment vous dire ce que je recommanderais au gouvernement s'il me demandait mon avis, mais en ce qui me concerne, le pays d'origine et l'année d'immigration seraient considérés comme renseignements de base.

Le sénateur Cordy: Ils pourraient donc être publiés 20 ans après un recensement?

M. Fellegi: Oui.

Le sénateur Cordy: S'agissant de la possibilité de participer ou non, vous avez cité l'exemple de Rogers Cable. Je me souviens très bien que les Canadiens étaient très mécontents lorsque Rogers a essayé de leur imposer cette formule d'abonnement par défaut. Mais dans ce cas-là, on ne demandait pas aux gens de signer un papier pour participer au programme. Ils devaient faire un appel téléphonique pour faire part de leur refus de participer, et beaucoup de gens ne savaient pas très bien ce que Rogers Cable cherchait à faire. Mais dans le cas d'un recensement, si vous aviez un papier à signer, l'option de non-participation serait marquée en noir et blanc sur le papier. Vous n'auriez pas à faire un appel.

Je ne sais pas si l'exemple que vous avez cité est vraiment approprié dans le contexte des données du recensement. Êtes-vous d'accord avec moi?

M. Fellegi: Non, parce que les formulaires du recensement sont normalement remplis par un membre du ménage et cette personne pourrait ne pas demander aux autres membres ce qu'ils voudraient faire.

Le sénateur Cordy: Le chef du ménage pourrait également décider de ne pas participer sans le dire aux autres.

M. Fellegi: Que la décision soit de participer ou non, le fait est que tout le monde ne remplit pas un formulaire; normalement une seule personne remplit le formulaire du recensement dans chaque ménage.

M. Leadbeater: La question du consentement, qu'il soit positif ou négatif, et la promesse de M. Fellegi de lancer une campagne de publicité sont des indications claires que nous ne souhaitons pas que la qualité de cette base de données se détériore. Nous souhaitons qu'il soit possible à un moment donné d'accéder aux données pour faire de la recherche. Que l'on opte pour un délai de 112 ans, de 200 ans ou de 300 ans en ce qui concerne l'accès par le milieu de la recherche, on peut supposer que chacun souhaite que la totalité de la base de données soit accessible à un moment donné au milieu de la recherche. Mais selon ce projet de loi, il est inévitable que la qualité de cette base de données se détériore en raison d'un manque de consentement. La question importante n'est pas de savoir si le libellé de la question doit être positif ou négatif ou si M. Fellegi doit lancer une campagne de publicité massive pour encourager les gens à participer au recensement. L'élément important dans tout ça, c'est qu'il s'agit là d'une base de données importantes à laquelle voudra accéder à l'avenir le milieu de la recherche et il ne convient donc pas d'en diminuer l'utilité. Dans 200 ans, les sénateurs regretteront peut-être que la qualité de cette base de données ait été compromise.

Le sénateur Cordy: Et quelle serait la fiabilité des données si seulement 65 p. 100 ou 80 p. 100 des citoyens donnaient leur consentement?

M. Fellegi: Il y a deux façons d'utiliser la base de données. La totalité de la base de données sera accessible pour toute recherche, historique ou autre, 200 ans après la collecte de l'information. La question est donc de savoir si des informations nominales pourront être communiquées pour les fins de la recherche si une personne a décidé, au moment du recensement, qu'elle ne veut pas que ses renseignements soient communiqués. La prise en compte de cette information pour les fins du calcul statistique des chiffres globaux, des moyennes, des cumuls ou du profil communautaire n'est pas en cause. Toutes les données recueillies seront utilisées pour nos fins statistiques. La question est plutôt de savoir si l'on fera en sorte que des détails personnels et le nom des intéressés soient disponibles dans le cas où quelqu'un aurait décidé, au moment du recensement, qu'il ne veut en aucun cas que cette information soit accessible.

Le président: Sénateur Milne, pour que ce soit bien clair, il y a présentement trois possibilités: premièrement, pas d'article du tout, de telle sorte que tout le monde serait automatiquement inclus après 112 ans; la deuxième possibilité est l'article du projet de loi qui exige que les personnes visées par l'information consentent à la communication de cette dernière. La troisième option serait l'amendement proposant que les personnes ne souhaitant pas que cette information soit communiquée signalent leur refus de participer.

Ai-je bien résumé la situation?

M. Leadbeater: Il y a également une quatrième option qui consisterait à prévoir que les personnes visées par l'information consentent à sa communication, mais seulement entre les délais de 92 ans et de 112 ans.

Le sénateur Milne: Monsieur Fellegi, pour que ce soit bien clair et consigné au compte rendu pour l'avenir, je voudrais soulever la question des nombreux groupes qui assurent actuellement au Canada l'indexage des relevés des recensements. Ces groupes bénévoles revêtent une importance critique pour le nouveau plan des Archives nationales et de la Bibliothèque nationale relativement à leur centre généalogique. Ces dernières voudraient profiter au maximum du travail de ces groupes bénévoles. Ces deniers font l'indexage des relevés des recensements en fonction de différents éléments d'information tels que la nationalité, l'année de naturalisation, les relations, et cetera. Ils ne font pas ça pour les fins de leur propre recherche généalogique. Aux termes de ce projet de loi et du projet de réglementation, les personnes qui font l'indexage seraient-elles en mesure de poursuivre ce travail?

M. Fellegi: Oui, après 112 ans.

Le sénateur Milne: Mais pas avant?

M. Fellegi: Comme je n'ai pas vu de tels index, je dois nuancer ma réponse. Si la création de ces index a pour résultat de communiquer au public les noms, les adresses et d'autres éléments d'information, sans restriction, le projet de loi S- 13 propose que cette information ne soit disponible que 112 ans après un recensement. Par contre, quelqu'un voulant effectuer sa propre recherche généalogique, ou une personne agissant en son nom, aurait accès à cette information 92 ans après le recensement, et c'est cela que prévoit actuellement le projet de loi qui est devant le Sénat.

Le sénateur Milne: Cela va gravement compromettre les projets d'indexage bénévole actuellement en cours dans diverses régions du Canada, à moins que ce travail puisse être défini par les historiens et recevoir la sanction des Archives nationales à titre de projet historique.

Il est presque impossible de se renseigner sur ses ancêtres à partir des données du recensement, à moins qu'il existe un index.

M. Fellegi: Si ce que vous dites est vrai, je dois avouer que je n'y ai pas pensé. Vous nous mettez devant un problème nouveau. Si l'index était un document public ne faisant l'objet d'aucune restriction en matière d'accès, le projet de loi tel qu'il est actuellement libellé ne permettrait pas ce genre de choses. Mais s'il était modifié selon la proposition qui a été faite, le mandat de Statistique Canada comprendrait la facilitation de la recherche généalogique. Statistique Canada pourrait alors faire le nécessaire — éventuellement en signant un contrat avec des tiers, mais ce serait sanctionné par la Loi sur la statistique — pour préparer un tel index qui serait donc à la disposition de ceux qui font de la recherche généalogique. Nous serions dans ce cas habilités en vertu de la Loi sur la statistique à faciliter la préparation d'un tel index. L'index serait disponible pour les fins de la recherche généalogique, telle qu'elle est définie dans ce projet de loi.

Le sénateur Milne: C'est une offre très généreuse que vous nous faites là, monsieur Fellegi. Cela pourrait peut-être coûter plus cher que prévu. C'est tout de même une entreprise de grande envergure.

Monsieur Wilson, qu'en pensez-vous?

M. Wilson: À notre avis, il devrait être possible, en vertu des dispositions du projet de loi tel qu'elles sont actuellement libellées, de faire ce genre de choses à condition que cela n'ait pas pour résultat de communiquer des renseignements autres que les renseignements de base définis dans le règlement d'application. En ce qui nous concerne, ce projet de loi nous donne suffisamment de marge de manoeuvre pour permettre ce genre de choses.

Le sénateur Morin: Monsieur Fellegi, le recensement permet-il de recueillir des informations sur l'état de santé personnel des Canadiens?

M. Fellegi: Les derniers recensements nous ont permis de recueillir de l'information au sujet des incapacités.

Le sénateur Morin: Et ce projet de loi s'appliquerait-il aux enquêtes sur la santé qui sont menées tous les deux ans?

M. Fellegi: C'est exact.

Le sénateur Morin: Cette information resterait donc tout à fait confidentielle et ne serait donc pas concernée. Donc, personne ne serait en mesure d'accéder à des données découlant des enquêtes sur la santé, n'est-ce pas?

M. Fellegi: Ce projet de loi concerne uniquement les données du recensement.

Le sénateur Morin: Quand vous parlez de renseignements médicaux, de quoi parlez-vous au juste? Pourriez-vous me donner un exemple du degré de détail dont on parle? On a évoqué la possibilité d'information sur les maladies mentales. Y a-t-il d'autres maladies ou affections à propos desquelles vous avez cherché à recueillir de l'information?

M. Fellegi: Pourrais-je demander à mon collègue de vous répondre?

Le sénateur Morin: ce n'est pas une question bien importante, mais allez-y.

M. Mike Sheridan, statisticien en chef adjoint, Secteur de la statistique sociale, des institutions et du travail, Statistique Canada: Honorables sénateurs, dans le cadre du recensement, nous demandons aux Canadiens de nous indiquer s'ils souffrent d'un problème de santé à long terme qui influe sur leur capacité de vaquer à certaines tâches, qu'il s'agisse du travail, des loisirs ou des activités de tous les jours. On ne demande pas de détail concernant la cause ou la nature du problème en question; il s'agit d'une question générale de sélection.

Le sénateur Morin: Est-il possible que des recensements futurs comprennent des questions qui invitent les recensés à fournir des renseignements médicaux personnels?

M. Sheridan: C'est possible, selon nos besoins et le genre d'information que nous cherchons à recueillir.

Le sénateur Murray: J'ai l'impression que cela a déjà été le cas; est-ce que je me trompe?

M. Sheridan: Oui, les recensements antérieurs ont parfois inclus ce genre de questions.

Le sénateur Morin: Par conséquent, si l'amendement proposé était adopté, des renseignements médicaux pourraient être communiqués au public sans l'approbation précise de la personne concernée, n'est-ce pas? À l'heure actuelle, ce ne serait pas possible, à moins que l'on n'adopte l'amendement.

M. Sheridan: Si l'amendement était retenu, vous comprenez certainement que le genre de personne qui souffrirait d'un problème de santé ou affection physique ne serait peut-être pas en mesure de participer pleinement au recensement.

Le sénateur Morin: Mais il est possible que les données provenant de recensements futurs incluent des renseignements plus personnels et sensibles. Donc, si l'amendement est adopté, cette information serait communiquée au public à une date ultérieure, mais sans obtenir au préalable l'approbation de la personne concernée par cette information, n'est-ce pas?

M. Sheridan: C'est exact.

Le sénateur Morin: C'est une question d'information.

M. Sheridan: Je dirais que c'est possible.

Le sénateur Roche: Monsieur le président, je désire signaler tout de suite que j'ai beaucoup de respect pour les trois institutions qui sont représentées par nos trois témoins. Je n'aurais aucune inquiétude si les trois institutions étaient d'accord sur le projet de loi. Mais je suis un peu inquiet parce qu'il n'y a pas d'accord. Je vais donc poser ma question à M. Leadbeater. Je vais essayer d'être aussi précis que possible.

Monsieur Leadbeater, si le projet de loi ne devait pas être modifié, est-ce que vous et le commissariat pourriez accepter le projet de loi tel qu'il est actuellement libellé, étant donné qu'il traduit le compromis intervenu à la suite des discussions entre ces institutions? Pourriez-vous accepter le projet de loi tel qu'il est rédigé maintenant, c'est-à-dire sans amendement?

M. Leadbeater: À notre avis, ce compromis n'en justifie pas les conséquences. Si nous acceptons ce compromis concernant l'accès à des documents historiques, nous allons compromettre à tout jamais la qualité de la base de données que constituent les recensements avec tout ce que cela comporte comme conséquences négatives pour le travail futur du milieu de la recherche. À notre avis, nous n'avons rien à gagner à adopter cette ligne de conduite.

En ce qui nous concerne, ce serait une mauvaise politique gouvernementale. Cette proposition repose sur une formule de consentement qui n'est pas prévue pour aucun autre type de renseignements personnels détenus par le gouvernement où la période de confidentialité prend fin 20 ans après la mort de la personne concernée, et vu l'absence totale de preuves qui militeraient en faveur d'une formule de ce genre, nous affirmons qu'elle aurait simplement pour résultat de diminuer la qualité des données du recensement.

Le sénateur Roche: À votre avis, s'agit-il d'un mauvais projet de loi?

M. Leadbeater: Oui.

Le sénateur Roche: Monsieur Leadbeater, si un amendement comme celui dont on discutait ce matin devait être proposé, seriez-vous en faveur de son adoption?

M. Leadbeater: Oui.

Le sénateur Roche: De toute évidence, il n'y aura pas d'unanimité au sein du comité concernant cet amendement. Les honorables sénateurs devront donc faire un choix. Êtes-vous en mesure de proposer un amendement que les membres du comité trouveraient acceptable et qui permettrait en même temps de préserver l'intégrité du projet de loi?

M. Leadbeater: Peut-être s'agirait-il simplement de prévoir un accès intégral aux données de tout futur recensement — c'est-à-dire choisir une date plus éloignée dans le temps. On pourrait opter pour 150 ans ou un autre délai. Je pense que tout le monde est d'accord pour reconnaître qu'à un moment donné, il n'y a plus du tout lieu de protéger les renseignements personnels.

Le sénateur Roche: Ai-je bien compris que vous seriez satisfait si une date plus éloignée dans le temps était choisie et proposée par voie d'amendement?

M. Leadbeater: Disons qu'il n'y aurait plus de raison de s'opposer à la possibilité de permettre l'accès à ces données, tout comme il n'y aurait plus de raison de protéger ces données.

Le président: Je remercie les témoins pour leur présence aujourd'hui.

Nous accueillons maintenant nos prochains témoins, soit M. Watts et M. Cook. Je leur demanderais, étant donné qu'ils ont entendu toute la discussion, de s'en tenir aux deux points que nous examinons depuis tout à l'heure.

M. Gordon Watts, coprésident, Comité du recensement du Canada: Honorables sénateurs, ceci marque la deuxième fois que j'ai l'honneur de comparaître devant cette auguste assemblée; j'ai comparu la première fois en septembre 2001 quand je suis venu exprimer mon appui pour le projet de loi S-12 parrainé par le sénateur Milne.

Les raisons qui m'amènent ici aujourd'hui sont semblables, c'est-à-dire que je désire vous encourager à soutenir un projet de loi qui garantirait que les relevés historiques des recensements antérieurs continuent d'être communiqués au public à la suite d'une période de confidentialité absolue. Je désire aussi vous faire part de mon soutien pour un projet de loi qui garantirait la communication dans les mêmes conditions — c'est-à-dire, sans restriction — que pour les 240 années de relevés de recensements déjà diffusés au public.

Or le projet de loi S-13 ne garantit pas cet accès sans restriction. Il prévoit des conditions qui n'étaient pas envisagées par les législateurs du début des années 1900 ou par ceux qui examinaient le projet de loi C-43 dont émanent à la fois la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels adoptées en 1980 et 1983. À certains égards, le projet de loi S-13 correspond à la solution dite «de compromis» proposée par Statistique Canada et rejetée par les généalogistes et les historiens. J'espère que mes arguments et ceux d'autres personnes vous convaincront de la nécessité d'apporter plusieurs amendements à ce projet de loi.

Avant de comparaître, je vous ai fait parvenir un mémoire. Dans ce mémoire, j'ai exhorté le comité à éliminer toute restriction concernant les recensements de 1911 et 1916; à éliminer la période de confidentialité supplémentaire de 20 ans pour les recensements futurs, et à supprimer l'existence d'un engagement. Mon mémoire contient beaucoup plus de détails qu'il me sera possible de vous présenter ce matin, vu le peu de temps dont nous disposons. Je tiens pour acquis que les membres du comité examineront avec sérieux tous les arguments que je fais valoir dans ce texte.

Dans mon mémoire, j'ai proposé la suppression, ou du moins la modification substantielle, du paragraphe 8 qui prévoit certaines conditions pour la communication des renseignements de recensements futurs. J'ai donc l'intention de vous parler principalement du paragraphe 8.

Le paragraphe 8 représente essentiellement une disposition de consentement éclairé. Elle prévoit, à l'égard des recensements futurs, que chaque personne qui participe à un recensement consent à la conservation des données qui la concernent et à la communication de ces données après 92 ans. Or l'expérience démontre que lorsqu'on donne la possibilité aux gens de donner leur consentement, le plus souvent, ils n'en tiennent pas du tout compte et ne cochent donc pas la case appropriée. Généralement le gouvernement interprète de façon négative une case qui reste vide, si bien que toutes les données de nombreuses personnes qui ne sont pas vraiment ni pour ni contre mais n'ont tout simplement pas répondu à la question, seraient exclues et donc inaccessibles.

Dans le cadre du recensement moderne, c'est le chef du ménage qui remplit normalement le formulaire du recensement, fournissant les renseignements demandés à propos des enfants mineurs. Le chef d'un ménage a-t-il le droit de prendre une décision à propos de la non-participation de ses enfants mineurs? Qu'arrive-t-il si un chef de ménage décide, au nom de ses enfants mineurs, de refuser l'accès alors que si on leur donnait le choix, ils préféreraient que leurs données soient conservées et accessibles à l'avenir? Si un enfant, au moment d'atteindre l'âge de la majorité, décide de modifier le choix exercé par un parent, il lui serait impossible de le faire. Le droit de cet enfant aurait été exercé par un autre. Le chef du ménage a-t-il le droit de prendre une décision sur la non-participation au nom de membres de la famille qui lui rendent visite ou d'autres personnes, y compris des domestiques et des employés? Le directeur d'un établissement correctionnel qui remplit un formulaire de recensement au nom d'un détenu a-t-il le droit de décider pour lui de refuser le consentement ou encore de conserver ses dossiers pour qu'ils soient accessibles à l'avenir? On peut supposer que les dossiers de ceux qui ont refusé de donner leur consentement seraient détruits, si bien qu'une personne qui avait refusé au départ ne pourrait pas changer d'avis. L'autre solution consisterait à conserver deux séries de dossiers, une première série contenant des données complètes, et une autre dont on aurait supprimé les renseignements non approuvés.

Le comité d'experts nommé par le ministre de l'Industrie, John Manley, en novembre 1999 n'a pas recommandé qu'on demande aux citoyens de consentir à la communication future des relevés des recensements. Il estimait qu'il serait suffisant de prévenir les répondants que l'information les concernant serait communiquée au public dans un avenir éloigné. Les résultats de sondages d'opinion publique menés au nom du groupe d'experts indiquaient que cette perspective ne dérange absolument pas la grande majorité des Canadiens et que ces derniers n'y verraient pas un obstacle à la participation. Le groupe d'experts n'était pas convaincu que le fait d'exiger le consentement des intéressés, comme c'était le cas pour le recensement de 2001 en Australie, donnerait de bons résultats au Canada. La notion de consentement de groupe — c'est-à-dire que la personne qui remplit le formulaire du recensement pour le ménage consent ou non à la communication des renseignements au nom de tous les membres du ménage — est inconnue des Canadiens et n'a aucun fondement dans les lois canadiennes en matière de protection des renseignements personnels ni dans les pratiques y afférentes.

Le recensement de 2001 en Australie comprenait pour la première fois une question qui permettait aux répondants de faire mettre leurs données sur microfilm et de les communiquer au public 99 ans plus tard; 52,7 p. 100 des recensés ont dit «oui», 31,9 p. 100 ont dit «non», et 15,4 p. 100 n'ont pas répondu à la question. Les questions sans réponse étaient considérées comme étant négatives. Or un résultat de ce genre, c'est-à-dire seulement 52,7 p. 100 de réponses affirmatives, annulerait complètement l'utilité de ces dossiers pour les fins de la recherche scientifique, universitaire ou historique. De plus, un grand nombre de généalogistes futurs seraient privés d'information concernant leurs ancêtres.

Dans la plupart des pays où les relevés des recensements sont communiqués au public après une période de confidentialité, la norme ne consiste pas à demander aux répondants de consentir à leur communication future. À notre sens, il n'est ni nécessaire ni souhaitable de prévoir une case que les recensés pourraient cocher à cette fin. Notre histoire finirait par être fragmentée, à un point tel que les dossiers soient inutilisables pour les fins de la recherche scientifique et démographique de l'avenir.

Si nous sommes obligés d'opter pour une case sur le questionnaire que les recensés pourront cocher, il faut que ce soit pour un refus de consentement. Les données de tous ceux qui ne répondent pas à la question ou ne précisent pas spécifiquement qu'ils refusent de consentir à la communication de leurs renseignements doivent absolument être conservées et accessibles à l'avenir. De cette façon, seulement les personnes qui ont fait le choix explicite de ne pas autoriser l'accès à leurs données seraient exclues.

M. Terry Cook, professeur, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, je suis très heureux de comparaître aujourd'hui à titre du représentant officiel de la Société historique du Canada (SHC) et l'Association of Canadian Archivists (ACA) et de vous résumer le mémoire bilingue qui vous a été distribué.

Les archivistes professionnels et les historiens du Canada consacrent leurs efforts à la conservation de relevés originaux et exacts concernant le Canada, ainsi qu'à leur utilisation, dans le but de permettre la découverte de ce que nous sommes comme nation et comme peuple, mais aussi comme membres de groupes et de familles, ainsi qu'en tant qu'individus.

Nos deux associations désirent souligner et reconnaître de façon particulière le leadership engagé du sénateur Milne, ainsi que l'appui que lui ont apporté ses collègues de tous les partis, qui ont travaillé à promouvoir la diffusion à l'ensemble de la population canadienne, sans restriction, des relevés des recensements historiques. Bien que les responsables de nos deux associations auraient voulu être présents aujourd'hui pour exprimer leur appui vis-à-vis de la finalité du projet de loi S-13, nous nous présentons également devant vous aujourd'hui parce que nous croyons possible d'améliorer ce projet de loi, ou du moins de vous donner quelques idées sur la façon de définir le prochain règlement d'application.

Par conséquent, nous proposons trois amendements, et un quatrième à titre d'amendement de repli — c'est-à-dire un amendement pour chacune des trois catégories de recensements visés par le projet de loi.

D'abord, nous croyons fermement que les recensements de 1911 et 1916 devraient être traités de la même façon que les recensements de 1871, 1881, 1891, 1901 et 1906. Il n'existe pas à notre avis d'ambiguïté juridique pour les recensements effectués avant la Loi sur la statistique de 1918. Comme tous les recensements précédents, ceux de 1911 et 1916 ne sont soumis qu'à la seule disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui prévoit la diffusion au public des relevés des recensements 92 ans après la tenue du recensement visé.

À notre avis, il n'existe pas non plus d'ambiguïté morale en ce domaine. Le groupe d'experts mis en place pour étudier la question des recensements historiques n'a trouvé aucune preuve d'une supposée promesse de confidentialité qui aurait été faite par le gouvernement Laurier au sujet des données du recensement. Comme on vous l'a déjà fait remarquer, depuis des décennies, des millions de Canadiens consultent et utilisent les données des différents recensements sans qu'une seule plainte ait été déposée auprès du Commissaire à la vie privée. Cela est également vrai pour les recensements beaucoup plus récents de Terre-Neuve, de 1940 et de 1945, qui sont déjà du domaine public.

En conséquence, notre premier amendement est le suivant:

que les recensements de 1911 et 1916 soient soustraits au régime prévu par le projet de loi S-13 pour les recensements ultérieurs de 1921 à 2001, et que ces deux recensements soient rendus publics sans restriction après une période de 92 ans, selon le libellé de l'amendement présenté à l'annexe de notre mémoire.

Nous proposons un libellé à l'annexe A de notre mémoire en anglais et en français.

En ce qui concerne les recensements de 1921 à 2001 inclusivement, nous reconnaissons qu'il existe une ambiguïté juridique entre le texte de la Loi de la statistique de 1918 et l'intention et le texte de la Loi sur les Archives nationales du Canada et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous approuvons sans restriction l'intention du projet de loi S-13 de lever cette ambiguïté. De notre point de vue, la seule façon de réaliser cet objectif est de considérer juridiquement les recensements, depuis 1921, de la même façon que les recensements de 1871 à 1916 et d'en prévoir la consultation sans restriction après 92 ans. Cette mesure rétablirait l'équilibre entre protection de la vie privée et liberté d'accès à l'information atteint par les parlementaires dans les années 80.

En conséquence, nous croyons qu'il n'y a aucune raison de repousser à 112 ans après un recensement le moment où les relevés en deviendraient accessibles à tous, pas plus qu'il n'est nécessaire d'exiger des chercheurs consultant les recensements un engagement réglementaire durant cette période de 20 ans.

Nous proposons aussi un second amendement qui se lirait ainsi:

que le projet de loi S-13 abandonne toute référence à une période de 20 ans d'accès limité et restreint aux relevés des recensements, de même que toute exigence d'engagement réglementaire de la part des chercheurs ou d'approbation réglementaire des projets de recherche.

Troisièmement, et il s'agit là de notre plus grave préoccupation — nos deux associations s'opposent à la disposition de consentement qui permettrait de transférer aux Archives nationales les relevés individuels des recensements effectués après 2001. Cette disposition constitue un précédent extrêmement dangereux, comme vous l'a déjà dit M. Leadbeater, en ce sens qu'elle pourrait compromettre l'histoire du Canada et les droits des citoyens. Le lien établi ici entre le consentement individuel et le transfert des données des recensements dans les archives est explicitement exclu dans la législation très restrictive de l'Union européenne sur la protection des renseignements personnels, et contredit les pratiques et les précédents canadiens au niveau fédéral. Dans ce contexte, un de ces premiers grands principes est nécessairement en cause.

Le principe de base de la législation sur la protection des renseignements personnels veut que toute information personnelle et délicate recueillie pour telle fin administrative bien définie ne puisse être utilisée pour une autre fin administrative, sans le consentement de la personne concernée. Nous sommes entièrement d'accord sur ce point.

Cependant, nous ne croyons pas que le transfert d'une partie des relevés des recensements aux Archives nationales du Canada pour des fins de consultation historique constitue un changement de finalité. Cette activité est au contraire étroitement liée à cette même finalité. C'est ce que prévoit l'Union européenne, et telle a également été la pratique canadienne.

Prenons l'exemple de l'utilisation des dossiers personnels, constitués pour une fin donnée, par un vérificateur enquêtant sur la probité financière de cette personne. Nous estimons que cela constitue une utilisation correcte de ces dossiers, et non une utilisation à des fins différentes. De même, le transfert aux archives d'une portion des dossiers constitués pour la finalité première, c'est-à-dire le recensement, est tout a fait justifié vu les raisons pour lesquelles les données du recensement ont été recueillies au départ.

Aux termes de la Loi canadienne sur la protection des renseignements personnels, les précédents établis jusqu'ici ont eu pour effet de prévoir que les citoyens soient informés du fait qu'une partie des renseignements personnels recueillis par le gouvernement au moyen d'un formulaire peuvent être transférés aux Archives nationales du Canada; par contre, le consentement des personnes concernées n'a jamais encore été requis. Ni la Grande-Bretagne ni les États-Unis, sur qui les pratiques canadiennes de prélèvement des données des recensements ont été fondées par le passé, n'ont de disposition de consentement.

Nous vous exhortons donc à examiner les conséquences, certainement non désirées, d'une telle disposition de consentement, qui est d'ailleurs sans précédent. Les données et dossiers déposés dans les archives ne servent pas uniquement à documenter et à mettre en valeur notre histoire et notre héritage ou à faciliter la recherche généalogique. Ils sont également nécessaires pour protéger les droits des citoyens et pour garantir la responsabilisation permanente des gouvernements.

Une fois établie, cette disposition de consentement que renferme le projet de loi S-13 constituera un précédent, si bien que les défenseurs de la protection des renseignements personnels contenus dans d'autres dossiers, beaucoup plus délicats encore que les relevés des recensements, insisteront pour que cette norme s'applique à tout type d'information. Or il s'agit de dossiers historiques qui constituent l'armature des archives de la nation.

Le président: Je me rends compte que vous lisez intégralement le texte de votre mémoire. Pourrais-je donc vous demander de nous le résumer? Sinon, il ne restera plus de temps pour des questions.

M. Cook: Des Canadiens, tels que les peuples autochtones, les immigrants et des personnes visées par l'expropriation, ont eu recours à l'information contenue dans les banques de données personnelles des Archives nationales du Canada pour défendre leurs droits. S'ils devaient consentir au transfert de ces dossiers — si on acceptait de créer un tel précédent — ces dossiers ne seraient plus accessibles aux Archives nationales. Ainsi ces citoyens et leurs descendants ne pourraient plus consulter ces dossiers.

Le Canada a une réputation de justice et d'équité et il est connu pour sa capacité de régler les griefs du passé. Il faut par conséquent des archives complètes et fiables, conservées par des archivistes professionnels, et non des dossiers incomplets du fait du refus des citoyens de transférer les données des recensements les concernant. Si les citoyens décident de ne pas faire transférer leurs données aux archives, ils auront essayé de prédire l'avenir alors que personne ne peut prévoir à l'avance les futures utilisations potentielles de ces dossiers.

C'est la sensibilité statistique du recensement qui nous préoccupe. M. Fellegi est préoccupé par le recensement actuel alors que nous sommes préoccupés par les recensements historiques.

Nous proposons donc un troisième amendement, à savoir:

que le paragraphe 8 s'arrête sur les mots «être examinés par quiconque.», et que le bout de phrase du paragraphe 8 qui suit soit retranché.

Si toutefois le Sénat rejetait cette requête, nous recommandons instamment, comme mesure de repli, que le Sénat modifie le paragraphe 8 de façon à modifier la demande qui sera faite aux citoyens répondant aux recensements. Au lieu de requérir que les répondants acceptent le transfert des renseignements les concernant aux archives, les citoyens n'ayant pas répondu étant alors réputés avoir refusé, le formulaire devrait faire en sorte que les répondants refusent explicitement, si tel est leur désir, un tel transfert, le défaut à répondre ayant alors valeur d'acceptation du transfert. Les raisons justifiant ce changement ont déjà été évoquées, et je n'ai donc pas l'intention de les répéter.

Vous verrez également à l'annexe «B» de mon mémoire que nous proposons un libellé précis à cette fin.

Au nom des archivistes et historiens, je vous remercie de prendre en considération nos propositions. J'espère aussi que vous jugerez bon d'accepter nos trois amendements.

Le sénateur Murray: Je voudrais tout d'abord remercier les témoins pour leurs exposés. Je connais bien la position de M. Watts. Il a beaucoup écrit au sujet de projets de loi précédents, etc. Nous en sommes pour l'instant aux principes de base, et nous sommes fondamentalement en désaccord sur la valeur qu'il faut attacher à la protection des renseignements personnels et la durée de cette protection.

Il faut que le Canada apporte une modification à la Charte des droits et libertés pour y inscrire le droit à la protection de la vie privée. Notre président sait fort bien que M. Trudeau et M. Chrétien, qui était à l'époque ministre de la Justice, ont envisagé cette possibilité mais ne l'ont pas retenue. En fait, ils l'ont promis sur le moment mais se sont ravisés par la suite. À mon avis, il conviendrait de réexaminer la question.

Le sénateur Milne: Monsieur Cook, vous avez parlé de la possibilité que cette mesure législative porte préjudice aux personnes qui pourraient être dans l'impossibilité de prouver ou non leurs antécédents autochtones. Pourriez-vous nous donner un exemple précis des répercussions négatives que cela pourrait avoir?

M. Cook: J'explique cela en détail dans mon mémoire. Si vous étiez le parent d'un enfant autochtone qu'on vous a enlevé pour le mettre en pensionnat, vous auriez un formulaire à remplir. S'il y avait une case à cocher au bout du formulaire pour consentir ou non à l'inclusion de cette information dans les dossiers stricts du Canada, vous, comme la plupart des gens, refuseriez avec colère de cocher cette case. Dans une telle situation, les intéressés ne voudraient surtout pas aider le gouvernement. Par contre, cet enfant autochtone aurait besoin de ces dossiers par la suite pour prouver le bien-fondé de sa demande du statut d'Autochtone.

De plus, il y a des centaines d'autres exemples, tels que les Canadiens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale et les enfants inuits, de situations où l'on a dû avoir recours à de tels documents. Personne ne peut prévoir à l'avance à quoi ils serviront. Disons que la plupart des gens à qui l'État impose quelque chose ne seraient pas enclins à aider l'État et diraient donc «non» à la demande de participation. C'est pour cela qu'à nos yeux, il ne convient pas de créer un mauvais précédent en prévoyant que les recensés consentent à la communication des renseignements les concernant.

Le sénateur Morin: Monsieur Watts, que dites-vous des droits et opinions du tiers de la population canadienne environ qui ne souhaitent pas que cette information soit disponible à l'avenir, et ce d'après vos propres chiffres? Vous dites qu'il y a récemment eu un sondage d'opinion publique à ce sujet.

M. Watts: Désolé, sénateur; le sondage en question ne concernait pas le Canada. Il concernait le recensement de 2001 effectué en Australie.

Le sénateur Morin: Supposons que ce soit la même chose au Canada.

M. Watts: Rien ne nous permet de tirer une telle conclusion.

Le sénateur Morin: Supposons que ce soit 10 ou 15 p. 100 des Canadiens. Le chiffre lui-même n'est pas si important. Je voulais simplement donner un exemple. Qu'en est-il donc des Canadiens qui, pour toutes sortes de raisons, veulent que cette information reste confidentielle? Que faut-il faire pour les Canadiens qui ne veulent pas que l'information soit disponible, ni dans deux ans, ni après 100 ans?

M. Watts: Depuis que j'ai commencé à m'intéresser à la question il y a cinq ans, je n'ai réussi à trouver aucune preuve que quiconque se serait opposé à la communication de ses renseignements après la période de confidentialité. En 1999, il y avait, selon les estimations, environ 620 millions de recensés au Canada, aux États-Unis et en Grande- Bretagne alors qu'aucune plainte n'avait jamais été déposée au sujet de la communication des dossiers après une certaine période.

Le sénateur Morin: Pourquoi la situation est-elle si différente en Australie?

M. Watts: Par le passé, l'Australie détruisait ses dossiers aussitôt après la collecte et l'analyse des données statistiques, surtout en raison de sa forte population de repris de justice.

Le président: Le sénateur Milne croit savoir pourquoi les Australiens sont différents.

Le sénateur Milne: L'Australie a été fondée au départ comme colonie pénitentiaire. Pendant au moins une centaine d'années, personne ne voulait avoir à dire que ses ancêtres étaient venus en Australie en tant que repris de justice. Maintenant les gens se rendent compte qu'ils ont détruit l'histoire des citoyens ordinaires de l'Australie, et ces derniers souhaitent tous prouver que leurs descendants étaient les premiers colons.

M. Watts: En 1999, environ 620 millions de personnes ont été recensées sans que la moindre plainte ne soit déposée. À mon avis, cette estimation est bien en deçà de la réalité.

Depuis cette époque, 382 millions de personnes de plus ont été recensées dans ces pays. Donc, pour plus d'un milliard de recensés, il n'y a eu aucune plainte.

Le sénateur Morin: Ils n'ont pas la possibilité de donner leur consentement.

M. Watts: Il reste qu'il n'y a pas eu une seule plainte.

Le sénateur Morin: Oui, mais sans possibilité de donner son consentement.

M. Watts: Oui, mais le fait qu'ils ne se soient pas plaints alors qu'ils n'avaient pas le droit de donner leur consentement ne veut pas nécessairement dire qu'ils n'auraient pas pu se plaindre. Si les gens sont contre ce que nous essayons de faire depuis cinq ans, pourquoi n'y a-t-il pas eu un tollé général?

J'aimerais que ceux qui déclarent que certaines questions constituent une atteinte à la vie privée — et c'est sans doute vrai dans le contexte des préoccupations de notre époque — me citent un seul renseignement pouvant découler de la réponse à une telle question qui pourrait porter préjudice à une personne 92 ans plus tard. Ces dossiers ne contiennent aucune information qui ne pourrait être obtenue d'une autre façon.

Le sénateur Léger: Monsieur Watts, selon ce que vous disiez à propos du questionnaire, j'avais compris que lorsqu'une question restait sans réponse, on considérait que c'était une réponse négative.

M. Watts: C'est exact. En Australie — et c'est généralement de cette façon qu'on interprète les questions qui restent sans réponse dans tout sondage du gouvernement — une case qui n'est pas cochée est considérée comme une réponse négative.

Le sénateur Léger: Et on ne remet jamais en question cette interprétation?

M. Watts: Pas dans le contexte du recensement, non.

Le sénateur Léger: Il est possible que les gens ne remplissent pas certaines cases, non pas parce qu'ils sont contre ce qu'on leur demande faire, mais parce qu'ils n'ont pas bien compris la question. Donc, si nous laissons la case vide, c'est automatiquement considéré comme une réponse négative.

M. Watts: Les gouvernements estiment généralement qu'une case vide correspond à une réponse négative. Je suis d'accord avec vous pour dire que beaucoup de gens ne cochent pas la case parce qu'ils n'ont pas bien compris la question. Et d'après le libellé du projet de loi S-13, les données de quiconque n'aurait pas coché la case de consentement seraient exclues et ne pourraient donc pas être communiquées à l'avenir au public.

M. Cook: Par rapport à cette dernière question, c'est pour cette raison que notre quatrième amendement propose d'inverser cette interprétation, pour qu'une case vide soit considérée comme une réponse affirmative.

Le président: Je veux être sûr d'avoir bien compris. Nous sommes confrontés à trois questions distinctes: d'abord, qu'arrive-t-il aux recensements de 1911 et 1916? Nous avons reçu cinq témoins, et quatre d'entre eux voudraient que les recensements de 1911 et 1916 soient traités de la même manière que celui de 1906. Le seul témoin qui souhaite qu'on ne les traite pas de la même façon est M. Fellegi, statisticien en chef. Deuxièmement, la période de 92 ans devrait-elle être portée à 112 ans? Autrement dit, convient-il de la prolonger de 20 ans? Personne ne nous a fourni une justification raisonnable à l'égard de cet ajout de 20 ans. Je ne sais pas pourquoi on a cru bon de prévoir cela, mais cette question a tout de même été soulevée. C'est un point mineur, à certains égards. Troisièmement, et c'est sur ce point que le désaccord est le plus profond, faut-il, comme le propose le projet de loi, prévoir une formule de participation ou faut-il plutôt une formule de refus de participation? Selon ce qui est actuellement proposé, les recensés devront décider consciemment de consentir la communication des données les concernant et on se demande donc s'il ne vaudrait pas mieux prévoir plutôt que les recensés aient à signaler leur refus. On peut supposer que plus de gens préféreront refuser que de participer. J'avoue que j'ai du mal à accepter que l'on change à dessein la question pour obtenir la réponse qu'on recherche.

L'autre possibilité consisterait à ne prévoir qu'aucun consentement ne serait requis. C'est ce que demandent les deux témoins actuellement devant nous de même que le commissire à l'information. Pour nous aider à déterminer s'il faut essayer de régler la question aujourd'hui ou continuer notre examen, peut-être pourriez-vous me dire si j'ai bien résumé les trois grandes questions que soulève ce projet de loi? Pourrais-je aussi vous demander de me dire si vous êtes ou non en faveur de ce qui est proposé à l'égard de ces trois éléments? Nous allons faire un petit sondage d'opinion.

Par rapport à la question des recensements de 1911 et de 1916 et la possibilité de les traiter de la même manière que le recensement de 1906, qui a l'appui de tout le monde sauf M. Fellegi, pourriez-vous me dire s'il y en a parmi vous qui sont contre?

Le sénateur Morin: Je suis tout à fait d'accord avec les responsables de Statistique Canada à cet égard. Me permettez-vous de vous dire pourquoi?

Dans ce projet de loi, plusieurs intérêts ou biens publics sont en cause, notamment pour ceux qui sont en faveur de la recherche historique. Le bien public le plus important, de loin, est l'intégrité de notre recensement. Peu de choses, si ce n'est le bien-être social, le développement économique et les soins de santé, sont plus importantes au Canada que le recensement. Statistique Canada a connu énormément de succès au Canada et toutes les sociétés historiques attachent une grande valeur à cette information. L'intégrité de notre recensement est donc extrêmement importante, et même plus importante que d'autres préoccupations. C'est pour cela que j'appuie 100 p. 100 la position de Statistique Canada à cet égard.

Le sénateur Murray: La plupart d'entre nous avons une idée des grandes difficultés associées à ce projet de loi. À l'étape de la deuxième lecture, j'ai dit que je voterai en faveur de ce projet de loi, et je ne retire aucunement cet engagement; je vais soutenir ce projet de loi. Je comprends à quel point il a été difficile pour les parties intéressées au gouvernement de parvenir au compromis que constitue ce projet de loi. Mais comme dans toute entreprise de ce genre, elles ont atteint leur objectif. Il y a certains éléments du projet de loi que je voudrais modifier et c'est justement ce que j'ai indiqué au moment de la deuxième lecture et encore aujourd'hui. Toutefois, je n'ai pas l'intention d'essayer de le faire parce que je comprends à quel point il a été difficile d'en arriver jusque-là. Je félicite ceux qui ont réussi cet exploit et je suis disposé à soutenir le projet de loi tel qu'il est actuellement libellé.

Cela m'amène à la question précise des recensements de 1911 et 1916. Quand le gouvernement a diffusé au public les données du recensement de 1906, il nous a dit que s'il avait décidé d'agir ainsi, c'était en raison de la nature particulière de ce recensement; selon lui, il s'agissait d'un recensement régional dans le cadre duquel on n'avait recueilli que des renseignements de base. Le recensement de 1911 était de plus grande envergure. Je ne sais pas si le recensement de 1916 était identique à celui de 1906. Quoi qu'il en soit, l'objet de ce projet de loi est de viser tous les renseignements effectués après 1906.

Le président: C'est exact.

Le sénateur Murray: J'ai toutefois du mal à rassembler tous les éléments pour que cela cadre avec ce qui est proposé ici.

En ce qui concerne le deuxième point, je suis d'accord avec vous. Et cela soulève la question des vues d'un autre témoin que nous n'avons pas encore reçu, soit le Commissaire à la vie privée du Canada, George Radwanski.

Le président: Quand vous parlez du deuxième point, faites-vous référence à la question de la participation, du refus de participation ou de la suppression de la disposition de consentement?

Le sénateur Murray: C'est exact. Encore une fois, cela soulève la question des vues du témoin que nous n'avons pas encore entendu, soit le Commissaire à la protection de la vie privée. On l'a invité à comparaître, mais il a refusé notre invitation.

Le président: M. Radwanski nous a dit qu'il ne serait pas à Ottawa mais qu'il n'avait aucune objection à ce que nous tenions nos audiences en son absence.

Le sénateur Murray: Il n'a donc ni proposé quelqu'un d'autre à sa place ni envoyé une lettre au comité?

Étant donné la position très ferme qu'a adoptée le Commissaire à la protection de la vie privée à propos du projet de loi d'initiative parlementaire parrainée par le sénateur Milne, j'aimerais bien savoir s'il a des raisons sérieuses de s'opposer à l'un ou l'autre article du projet de loi. S'il n'est pas opposé au projet de loi, j'aimerais qu'il écrive au comité pour nous faire part de sa position au sujet du projet de loi.

Étant donné ce second amendement concernant la disposition de participation ou de refus de participation ou encore pas de disposition de consentement du tout, je me rappelle qu'il avait des opinions assez arrêtées sur une disposition semblable du projet de loi d'initiative parlement du sénateur Milne qui prévoyait que chacun serait considéré avoir donné un consentement irrévocable.

M. Radwanski nous a fait un long discours éloquent à ce sujet.

Le président: Son discours était certainement long.

Le sénateur Murray: Quoi qu'il en soit, j'aimerais connaître ses vues sur la question, qu'il vienne en personne nous les présenter ou qu'il nous les transmette par écrit, si jamais cet amendement est vraiment proposé.

Le sénateur Roche: S'il est question de déposer des amendements, il nous faut plus de temps pour les examiner. Cette question est plus compliquée qu'elle n'en a l'air à première vue. Si vous étiez d'accord avec ma suggestion de prévoir plus de temps pour examiner les amendements, monsieur le président, je recommanderais que nous invitions notre personnel de recherche à nous préparer un document présentant l'ensemble des amendements et l'interprétation qu'il convient de leur donner. Je ne demande pas nécessairement qu'on nous fasse des recommandations à ce sujet, mais il conviendrait que nos attachés de recherche nous indiquent clairement l'impact des amendements sur le projet de loi tel qu'il est actuellement formulé, pour que nous puissions tirer profit d'une telle analyse. Je serais alors beaucoup plus disposé à prendre une décision à propos de ce projet de loi. Vu le désaccord entre les témoins, l'idée d'avoir à prendre une décision me met mal à l'aise, et j'estime que si nous avions le temps d'y réfléchir un peu plus, il serait sans doute possible de concilier les divers intérêts qui sont en cause.

Le président: Y a-t-il d'autres interventions?

Le sénateur LeBreton: Je suis d'accord avec lui parce que ces témoignages à propos du projet de loi S-12 étaient tout de même assez convaincants.

Je veux être sûre de prendre la bonne décision, parce qu'à cette époque où il semble normal de ne pas respecter la vie privée des gens, j'ai tout de même l'impression que les Canadiens considèrent le recensement comme étant sacro-saint. J'aimerais pouvoir examiner les amendements et analyser leurs répercussions, car la plupart d'entre nous souhaitons que le projet de loi soit adopté. Mais à mon avis, il nous faut plus de temps.

Le sénateur Milne: J'allais insister pour que nous procédions dès aujourd'hui à l'examen article par article, mais étant donné les vues exprimées par les membres du comité, je me dis que ce ne serait peut-être pas une bonne idée. Peut- être vaudrait-il mieux que les amendements soient officiellement déposés avant de passer à l'étape suivante.

Le sénateur Morin: Qui va proposer les amendements?

Le sénateur Cordy: J'ai l'intention d'en proposer deux.

Le président: Je suis tout à fait prêt à accepter ce qui a été proposé. Comme je suis toujours à cheval sur la procédure, j'aurais été tenté de vous dire que nous en étions déjà saisis, mais je suis tout à fait prêt à permettre au sénateur Cordy de proposer ses amendements. Je suis aussi tout à fait d'accord avec le sénateur Roche et le sénateur LeBreton pour dire qu'il ne convient pas de prendre une décision dès aujourd'hui.

Le sénateur Cordy: Le premier amendement concerne le fait que les recensements de 1911 et 1916 devraient être traités de la même manière que le recensement de 1906, dont les données ont été récemment communiquées au public. Il y a pas mal de changements à faire, c'est-à-dire que dès lors qu'on change la date à la première phrase, cela suppose énormément de changements.

Le deuxième amendement remplace l'article 1 au haut de la page 2.

Le président: Pourriez-vous nous expliquer l'intention de cet amendement?

Le sénateur Cordy: L'amendement a pour objet de modifier la formule de participation ou de refus de participation.

Le sénateur Morin: S'agirait-il donc de prévoir le consentement des recensés dans certaines conditions? Autrement dit, aucun amendement ne proposera de supprimer toute forme de consentement du projet de loi, n'est-ce pas?

Le président: C'est exact. Deux amendements ont été déposés; le premier propose que l'on traite les recensements de 1911 et 1916 de la même manière que celui de 1906, plutôt qu'à partir de celui de 1918. Le second amendement remplace la disposition de consentement que renferme actuellement le projet de loi par une disposition de refus de consentement. Le sénateur Morin a raison; aucun amendement n'a été déposé qui aurait pour résultat de supprimer complètement la nécessité de consentement.

Le sénateur Cordy: Il y est également question de 92 ans.

Le président: Ça concerne la question des 20 ans.

Voilà donc ce que je vous propose: D'abord, que nous travaillions avec le personnel et qu'on rattache en annexe le libellé des amendements. Nous vous donnerons une description simple de l'intention de ces amendements. Deuxièmement, pour que nous ayons quelque chose par écrit, j'écrirai au Commissaire à la protection de la vie privée pour lui demander une réponse écrite dans les plus brefs délais, et si je n'en reçois pas, je l'appellerai pour lui en parler directement. Vu les amendements qui ont été déposés, il me semble important de connaître la position du Commissaire à la protection de la vie privée à ce sujet. Je n'ai pas d'objection à ce qu'il ne se présente pas en personne, mais j'aimerais tout de même qu'il nous écrive pour nous faire part de sa position.

Si vous êtes tous d'accord, nous allons laisser de côté cette question et nous y reviendrons un peu après l'intercession. Nous donnerons au comité le temps d'examiner le document préparé par le personnel. Je l'examinerai moi-même avant qu'on vous l'envoie et je m'assurerai d'avoir reçu la réponse du Commissaire à la protection de la vie privée avant que nous nous penchions de nouveau sur la question.

Merci infiniment de votre présence. Je voudrais également remercier tous ceux qui ont été présents hier soir pour une expérience tout à fait bouleversante. Hier soir, nous avons lancé notre étude de la santé mentale. Nous avons reçu quatre témoins qui ont raconté leurs propres histoires de maladie mentale ou qui nous ont décrit la situation d'un membre de leur famille immédiate atteint d'une maladie mentale. C'était très émouvant. D'ailleurs, avec l'approbation des témoins, il a été décidé de les désigner uniquement par leur prénom.

Nous reprendrons donc nos travaux après les vacances parlementaires et nous aurons l'occasion de réexaminer cette question pendant les deux dernières semaines de mars.

La séance est levée.


Haut de page