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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 14 - Témoignages du 6 mai 2003 - matin


MONTRÉAL, le mardi 6 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit à 8 h 35 aujourd'hui pour étudier les questions qu'ont suscitées le dépôt de son rapport final sur le système de soins de santé au Canada en octobre 2002 et les développements subséquents. En particulier, le comité est autorisé à examiner la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Je vous souhaite la bienvenue à notre première audience à Montréal. Je remercie les témoins d'être venus malgré la pluie qui tombe sur Montréal ce matin.

J'invite chacun des témoins à faire une brève déclaration préliminaire. Nous poserons des questions après avoir entendu tous les exposés.

Nous entendrons d'abord le Dr Michel Maziade, directeur du Département de psychiatrie à la Faculté de médecine de l'Université Laval.

[Français]

Le docteur Michel Maziade, directeur, Département de psychiatrie, Faculté de Médecine de l'Université Laval: Je vous remercie, honorables sénateurs d'entendre mon opinion ce matin. Je vais la résumer en sept ou huit minutes. En plus d'être psychiatre et directeur du département, comme vous l'avez mentionné, monsieur le président, je suis aussi chercheur sur l'identification des gènes malades en ce qui a trait à la schizophrénie et la psychose maniaco-dépressive, deux maladies très répandues au Canada comme dans les autres pays occidentaux.

Je suis aussi le détenteur d'une chaire de recherche du Canada en génétique psychiatrique. Je suis membre du Conseil de notre Institut canadien de recherche en santé mentale et en neurosciences, dirigé par mon collègue, le Dr Rémi Quirion.

Je crois que nous avons dans le domaine de la santé mentale et des maladies mentales, au Canada comme dans les autres pays occidentaux, un problème de concept. Il est important pour la Commission de réaliser que la santé mentale et la maladie mentale sont deux choses différentes; ce sont deux concepts importants, mais deux concepts très différents.

Si je lis, par exemple, le document que vous m'avez fait parvenir, il illustre très bien le point que je veux soulever. Le texte dit que:

La santé mentale est la capacité de chaque personne de ressentir les choses, de réfléchir et d'agir de manière de mieux jouir de la vie et à mieux faire face aux défis.

Par contre, vous donnez comme objectif l'imputabilité, en anglais «accountability». J'y reviendrai un peu plus loin. Ensuite, on retrouve dans le document un tableau sur les coûts. Il est clair que les coûts que vous mentionnez ont trait aux maladies neuropsychiatriques et aux maladies mentales sévères, ce qui représente, à mon humble avis, au moins 70 p. 100 à 80 p. 100 des coûts.

La schizophrénie, à elle seule, touche 1 p. 100 de nos citoyennes et citoyens, qui occupe de 4 à 7 p. 100 des lits d'hôpitaux au Canada. Un concept flou et vaporeux comme la santé mentale ne peut pas nous mener à ce que nous voulons obtenir comme objectif, tant au point de vue de la recherche que du point de vue de la distribution des soins.

Je crois que la maladie mentale et la santé mentale sont deux concepts différents. Le concept de la santé mentale s'abstient de désigner par leur nom les maladies neuropsychiatriques, au nombre de sept ou huit, qui sont très répandues chez les enfants, chez les adultes et chez les personnes âgées.

Il est bien établi maintenant que les maladies neuropsychiatriques comme la schizophrénie, la psychose maniaco- dépressive, les dépressions majeures récidivantes et l'autisme sont des maladies du cerveau qui ont des indicateurs clairs. Ces indicateurs existent au pays. Ils peuvent être comparés aux chiffres des autres pays. Cela est beaucoup plus difficile pour les problèmes de santé mentale, qui vont de l'anxiété comme facteur déclencheur d'un infarctus jusqu'à la qualité de vie des malades affectés par le sida.

Le concept de santé mentale est un concept important, mais il est différent du concept de maladie mentale. Ou bien les deux concepts sont visés séparément ou bien on aura une décision à prendre pour savoir lequel des deux concepts on adoptera, compte tenu des fonds disponibles.

Comme psychiatre travaillant aussi en pratique et en recherche dans un contexte interdisciplinaire, j'insiste sur le fait que les maladies neuropsychiatriques connues sont des maladies du cerveau, mais avec de graves conséquences biopsychosociales. Mes idées ne vont nullement à l'encontre d'une approche interdisciplinaire appliquée à la recherche ou au traitement des maladies neuropsychiatriques.

D'ailleurs, c'est l'erreur d'interprétation que font souvent ceux qui veulent se soustraire à la réalité évidente et scientifiquement établie que les maladies neuropsychiatriques répandues sont des maladies du cerveau.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie. Notre deuxième témoin est le Dr Rémi Quirion, directeur scientifique à l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, qui relève des IRSC, les Instituts de recherche en santé du Canada.

[Français]

Le docteur Rémi Quirion, directeur scientifique de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies: C'est un plaisir d'être avec vous ici ce matin pour vous présenter quelques statistiques et exprimer ma position sur l'état de la recherche sur les maladies mentales et la santé mentale au Canada.

J'aimerais aussi remercier le comité pour la tenue de ces audiences. Je pense qu'elles sont très importantes. Il est grand temps de mettre la recherche sur les maladies mentales en première position et sur la place publique au Canada.

Nous louons les recommandations du comité sénatorial des affaires sociales du sénateur Kirby d'allouer aux instituts canadiens un certain pourcentage du budget de la santé pour la recherche. C'est très important et nous sommes très heureux de cette recommandation.

[Traduction]

Je tiens à souligner que la recherche sur la santé mentale et les maladies mentales est sous-financée au Canada compte tenu des coûts que ces maladies entraînent pour la société. En 1998, ces coûts étaient évalués à 14 milliards de dollars par année. Ils sont vraisemblablement plus élevés aujourd'hui étant donné les événements du 11 septembre 2001, le stress occasionné par la guerre récente, etc.

Qu'en est-il des investissements et des recherches dans le domaine de la santé mentale et des maladies mentales? Comme il est difficile de recueillir des données complètes sur ce domaine, je me limiterai aux Instituts de recherche en santé du Canada, les IRSC. Je n'ai pas de données complètes pour Santé Canada et d'autres conseils subventionnaires.

Même pour les IRSC, il n'est pas facile de distinguer la recherche en santé mentale des recherches portant sur d'autres aspects du cerveau. Cependant, même si les chiffres que j'ai obtenus sont partiels, je dirais que les sommes investies dans le domaine de la santé mentale, des maladies mentales et des toxicomanies s'élèvent à environ 40 millions de dollars.

Il faut absolument subventionner davantage ce domaine de recherche capital. À mon avis, il faut privilégier le modèle des IRSC, notamment de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies. C'est une formule unique car c'est la première fois qu'on a regroupé tous ces éléments afin de stimuler la collaboration entre les scientifiques intéressés par la recherche sur le cerveau.

Avant de vous parler plus longuement de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, qui relève des IRSC, j'aimerais souligner que nous devons nous poser une question importante: pourquoi la recherche dans le domaine de la santé mentale et des maladies mentales est-elle sous-financée comparativement à d'autres secteurs de recherche?

[Français]

Même avec les progrès de la recherche médicale, il est beaucoup plus difficile de diagnostiquer la dépression majeure qu'une hausse de tension artérielle ou un problème cardiaque, en dépit des connaissances de deux cardiologues, le sénateur Morin et le sénateur Keon. La dernière frontière, c'est vraiment le cerveau. Il y a des problèmes en termes de diagnostic précis des maladies associées au cerveau.

Il en résulte une certaine discrimination et stigmatisation des maladies mentales et des toxicomanies. On se cache encore, on a encore honte de souffrir d'une maladie mentale. Ceci fait que la famille n'est pas là pour supporter le malade. Le grand public n'est pas aussi connaissant qu'il devrait l'être. On ne met pas suffisamment de pression sur les différents niveaux de gouvernement, incluant le gouvernement fédéral, pour financer adéquatement la recherche en santé mentale et sur les maladies mentales.

Le gouvernement fédéral et l'Institut neurosciences, santé mentale et toxicomanies doivent jouer un rôle majeur afin de trouver des moyens pour diminuer la discrimination contre les personnes atteintes de maladie mentale et souffrant de toxicomanie au Canada.

Mon objectif est qu'il soit aussi facile de parler de cancer et de maladies cardiaques que de maladies mentales, sans jugement de la personne qui souffre de la maladie mentale.

À cause de cette discrimination, il n'y a pas beaucoup d'organismes bénévoles puissants qui peuvent vraiment avoir un lobby efficace au niveau du gouvernement.

L'Institution canadienne des maladies mentales et santé mentale est présente, mais très petite. On n'a pas les fonds que le National Cancer Institute, par exemple, peut avoir pour faire un certain lobby. C'est donc un autre problème.

Un autre point important qui a déjà été souligné par mon collègue, Michel Maziade, concerne la dichotomie entre la santé mentale et la maladie mentale. Personne ne peut être contre la santé mentale, tout le monde est pour la santé, évidemment. Il ne faut toutefois pas oublier les personnes qui souffrent de maladie mentale.

Il faut se mettre d'accord entre nous, spécialistes dans le domaine, mais aussi avec vous et avec les dirigeants gouvernementaux, à savoir que les maladies mentales, ce sont des maladies du cerveau. Ce sont vraiment des maladies physiques, des maladies du cerveau.

J'ai mentionné qu'environ 40 millions de dollars par an viennent des Instituts de recherche en santé du Canada, ayant comme cible les maladies mentales et les toxicomanies.

On peut imputer à cette somme environ 50 millions de dollars par an pour des recherches en neurosciences, des connaissances du fonctionnement du cerveau et des connaissances du fonctionnement des neurones. Ce n'est pas négligeable, mais il faut l'augmenter, il faut aller plus loin. Nous sommes en excellente position pour le faire.

Le Canada est une des forces en recherche en neurosciences à travers le monde. On s'est est classé deuxième ou troisième à travers le monde pour l'impact de nos découvertes en neurosciences. On a donc une bonne capacité. On est assez fort aussi en santé mentale. Il faut reconstruire du côté toxicomanies: nous avons perdu plusieurs de nos grands chercheurs dans les années 1990.

[Traduction]

En rassemblant tous ces spécialistes au sein de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, nous avons une occasion exceptionnelle d'accroître les retombées de nos recherches, non seulement pour ce qui est d'élucider les causes de la maladie mentale mais également d'améliorer le traitement des Canadiens et des Canadiennes affligés de ces maladies.

Je vous donne un exemple. Le cerveau humain contient de la dopamine. Or, un excès de dopamine peut entraîner la schizophrénie, alors qu'une quantité insuffisante de cette même substance peut causer la maladie de Parkinson. La dopamine joue également un rôle important dans la toxicomanie. Voilà pourquoi nous avons essayé de rassembler des neurologues, des psychiatres et des spécialistes du traitement de la toxicomanie qui jusque-là travaillaient de façon isolée. Grâce à cette mise en commun des compétences, leurs recherches auront sans doute des retombées beaucoup plus considérables.

J'ai préparé de l'information sur notre plan stratégique ainsi qu'un résumé de nos activités des dernières années pour vous donner une idée de ce que nous faisons. Je vais passer en revue certains des projets récents de l'Institut. Nous appuyons un centre qui contribuera à la formation de la prochaine génération de scientifiques: un de ces centres, qui porte sur le suicide, est situé à l'Université du Québec à Montréal; il y en a deux sur l'autisme, dont l'un à l'Université McGill et l'autre à l'Université Queen's. Nous contribuons également à d'autres centres de ce genre, dont deux portent sur l'usage du tabac, l'un sur la santé mentale des Premières nations et deux, sur la recherche sur les services de santé, c'est-à-dire sur les moyens d'améliorer les traitements. Ces différents projets bénéficient d'une subvention de 15 millions de dollars.

Nous avons également un nouveau programme de subventions aux équipes en voie de formation qui favorise la formation d'équipes de recherche multidisciplinaires. Nous avons également mis sur pied des programmes de recherche sur le syndrome d'alcoolisme foetal et sur l'état de stress post-traumatique, de même qu'un projet national sur les placebos. Nous avons également un programme sur la discrimination. Nous subventionnons les travaux d'une équipe de l'Université de Victoria qui cherche à trouver les meilleurs moyens de combattre la stigmatisation des personnes atteintes de troubles mentaux. Du reste, nous avons besoin de votre soutien à cet égard, car c'est un des programmes essentiels de l'Institut.

La question de l'éthique est étroitement liée à la recherche sur la santé mentale et les maladies mentales et elle revêt beaucoup d'importance. Je vous ai remis une copie de notre appel de demandes relativement à un programme de neuroéthique, afin de vous donner plus de précisions sur les facteurs différents dont il faut tenir compte lorsqu'on fait des recherches sur une maladie mentale par rapport à des recherches sur d'autres maladies.

La mise en application des connaissances est également importante. Il faut faire en sorte que les résultats des travaux de scientifiques comme Michel Maziade et Laurent Mottron soient traduits dans la pratique, au lieu d'accumuler la poussière sur les étagères.

Enfin, quelles sont nos orientations futures? Nous allons élaborer des stratégies nationales sur l'usage du tabac et la dépendance à la nicotine, le suicide, la neurogénétique, le jeu pathologique et la toxicomanie. Voilà nos domaines de travail pour les prochaines années.

J'ai deux recommandations à vous adresser. Premièrement, il faudrait accroître le financement des recherches dans le domaine des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies au Canada. Deuxièmement, il faudrait tracer un plan d'action national pour les recherches dans ce domaine. Bien entendu, l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies sera très heureux de jouer un rôle primordial à cet égard.

[Français]

Le docteur Laurent Mottron, chercheur, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal: Je vous remercie de me donner l'occasion de présenter les opinions qui viennent d'une quinzaine d'années de recherche clinique dans le domaine des neurosciences et des troubles du développement.

Je suis médecin chercheur et responsable d'une clinique spécialisée qui travaille dans un domaine intermédiaire entre la neurologie du développement et la psychiatrie: l'autisme.

Dans mon intervention, je veux insister sur deux points plutôt organisationnels et législatifs, qui me paraîtraient pouvoir augmenter de façon significative la qualité de la recherche en psychiatrie au Canada.

Mon premier point traite de la recherche clinique dans le cadre des hôpitaux. Je vais partir d'un exemple simple. Pour financer ma recherche scientifique, j'obtiens des Instituts canadiens de recherche en santé environ 130 000 $ par an, ce qui est en fin de compte assez peu.

Par ailleurs, pour avoir les sujets sur lesquels se font ma recherche, pour avoir une clinique spécialisée, il en coûte environ de 300 000 $ par an à l'hôpital. Ceci veut dire que lorsqu'on fait de la recherche clinique, le coût principal est en général défrayé par l'hôpital et n'est pas un coût de recherche.

Ce qui est beaucoup plus grave, c'est que les hôpitaux sont en général les seuls à décider s'ils investissent dans une clinique spécialisée qui servira à la recherche ou s'ils donnent libre cours aux cliniciens dans leur pratique. Dans certains cas, on retrouve des cliniciens qui n'ont aucun souci de la recherche.

Mon point est donc le suivant: deux choses semblent à modifier dans le cadre de la recherche clinique dans les hôpitaux. Premièrement, le niveau de liberté dont bénéficient les cliniciens en ce qui a trait à la recherche me semble actuellement trop important.

Les cliniciens peuvent décider de ne pas faire de recherche, et bien qu'ils soient de formation scientifique, ils peuvent décider de faire une pratique complètement déconnectée de la recherche.

Par ailleurs, les hôpitaux n'ont pas d'aide financière pour permettre à certains de leurs cliniciens de participer à des tâches de recherche. Il reste très difficile pour des médecins ou des non-médecins de consacrer une part de leur temps à la recherche sans obtenir, de façon absolue ou à mi-temps, le statut de recherche clinicien.

Une autre corrélation reliée à cette suggestion concerne le statut des Ph.D. dans les hôpitaux. Ce sont des gens dont la carrière est entièrement consacrée à la recherche, mais ils sont dans une situation hiérarchiquement inférieure à celle des médecins. Il est, par exemple, très difficile pour à un Ph.D non-médecin de diriger une clinique spécialitée dans un hôpital. Il me semble que cela devrait être changé.

Mon deuxième point est tout à fait différent. Nous parlons aujourd'hui de la recherche en santé mentale. Il existe un certain nombre de maladies du cerveau qui, traditionnellement ou par l'action des groupes de lobbying, relèvent de la maladie mentale: j'ai parlé de la déficience intellectuelle et de l'autisme.

Beaucoup de groupes de lobbying ont insisté pour ce qu'ils appellent «sortir» l'autisme de la psychiatrie. Cela a eu beaucoup d'aspects bénéfiques. Le résultat est que l'autisme — pour des raisons aussi d'intégration et de normalisation —, est complètement pris en charge par les écoles régulières et les centres de réadaptation.

Il faut maintenant voir le côté négatif et inquiétant de cet aspect. Le fait d'avoir «sorti» l'autisme de la psychiatrie et des troubles du développement en général, comme la déficience intellectuelle, se traduit, à mon avis, par une impressionnante baisse de technicités des prises en charge effectuées.

Lorsqu'un autiste est dans une école régulière, l'enseignant qui applique une méthode réadaptative n'a, en fait, aucune contrainte quant au niveau de scientificité des méthodes qu'il applique. Il peut fonctionner complètement hors science.

J'insiste sur l'effet pervers de ce qui, au départ, est une très bonne idée, soit la normalisation des personnes qui ont des problèmes de développement, et le fait de les intégrer dans un système régulier.

Le sénateur Pépin: Lorsque vous dites qu'on connaît moins ce qui se fait en maladies mentales, on est aussi effrayé, en ce sens que c'est définitivement un domaine médical qu'on ne connaît pas mais qu'on aimerait connaître. On est encore très craintif à ce sujet.

Même si j'ai passé quelques mois en tant qu'infirmière dans un hôpital psychiatrique, cela fait déjà très longtemps de cela. Je me sens tout à fait incertaine dans ce domaine.

On réalise donc l'importance d'être beaucoup plus visible et d'en parler de plus en plus. Évidemment, lorsqu'on voit le montant de recherche que vous faites, on comprend une des raisons pour lesquelles c'est très difficile de fonctionner.

J'ai lu dans des documents que vers l'année 2020, on verra un pourcentage très élevé de jeunes qui souffriront de maladie mentale. Je pense donc qu'il est grand temps qu'on s'y attarde et qu'on réclame les fonds nécessaires pour la recherche.

Je vais probablement faire des erreurs parce que je vous ai entendu prononcer les noms de toutes vos associations mais, en fait, sentez-vous bien à l'aise, parce qu'on a deux éminents docteurs qui savent tout, alors que nous, nous avons tout à apprendre.

Y a-t-il un programme national de recherche en santé mentale ou en maladies mentales? Cela existe-il en ce moment, à l'échelle nationale, où tout le monde travaille ensemble? Et par qui est-il géré et financé?

Y a-t-il un organisme national qui est au courant de tout ce qui se produit?

Dr Quirion: L'organisme national en émergence, qui existe depuis trois ans, s'appelle Les Instituts canadiens de recherche en santé. Donc, l'institut que je dirige aux Instituts canadiens, l'Institut de recherche en neurosciences, santé mentale et toxicomanies est un genre de chapeau national. Le Dr Michel Maziade fait partie du conseil d'administration.

Par contre, il n'y a pas vraiment de réseau intégré national de recherche sur la dépression, par exemple, avec un réseau pancanadien. Il n'y a que des embryons, et très peu.

Il demeure encore le chercheur et quelques collègues qui travaillent un peu en collaboration, mais pas très souvent à l'échelle nationale. Je ne pense pas qu'il soit absolument nécessaire d'avoir un réseau national dans tous les domaines des maladies mentales parce que les chercheurs doivent travailler ensemble s'ils ont des affinités personnelles, et non seulement selon les sujets traités. Par contre, on devrait promouvoir un peu plus le travail en équipe, et Michel Maziade dirige une équipe assez importante.

Le sénateur Pépin: On voit dans différents autres domaines médicaux, qu'il peut y avoir une certaine interaction. Je comprends que votre organisme ramasse les données de ce qui se fait à peu près partout.

Y a-t-il de l'interaction? Avez-vous assez de fonds pour permettre à tous les gens de travailler tous ensemble?

Dr Quirion: Il y a quand même beaucoup de collaboration. L'autre avantage que nous avons au niveau canadien comparativement à nos collègues américains, c'est qu'il y a beaucoup plus de collaboration entre les équipes au Canada. C'est plus facile de collaborer. Donc, si nous avions les moyens qui correspondent à nos intentions, je pense que l'impact de notre recherche serait beaucoup amélioré.

Dr Maziade: J'ajouterais à cela, sénateur, que ce qui nous a retardés, en plus des raisons mentionnées par le Dr Quirion, soit l'ostracisme et la culpabilité, c'est que les familles atteintes par les maladies neuropsychiatriques se cachent. Les familles riches atteintes par les maladies neuropsychiatriques...

Le sénateur Pépin: Ne veulent pas s'impliquer.

Dr Maziade: Elles vont plutôt donner des fonds pour le cancer. Il y a des luttes entre les corporations. On a vu, au début des années 1970 un mouvement antimédical dans tous les pays occidentaux. Au Canada, on l'a vu au Québec. Et cela a nuit au réseautage.

Mais cela nuit — je reviens sur mon point —, surtout au niveau des concepts. On doit parler des maladies. J'ai compris que vos objectifs étaient d'établir des priorités, de trouver les bons indicateurs, et de comparer les indicateurs aux autres pays.

Pour atteindre ces objectifs il faut absolument parler de maladies mentales. Vous devez parler de schizophrénie et de psychose maniaco-dépressive qui, à elles seules, touchent plus de un million de Canadiens, comme vous le savez sans doute. Certains tombent malades à l'âge de 20 ans. Dix pour cent se suicident en jeune âge, d'autres sont malades toute leur vie.

Un autre 2 p. 100 de la population souffre de dépression majeure récidivante, et 8 p. 100 souffre de dépression majeure toute leur vie. Et si vous tenez compte des huit ou neuf maladies neuropsychiatriques sur lesquelles nous avons des données scientifiques maintenant claires, il vous sera, à mon humble avis, plus facile d'établir des priorités et de regarder l'ensemble du Canada.

Actuellement, lorsqu'on examine la politique de santé mentale du Canada et la politique de santé mentale du Québec, il est difficile de trouver le mot «schizophrénie». On trouve les expressions «troubles sévères et persistants», qui sont des concepts fourre-tout, qui ont une origine antimédicale, antipsychiatrique. On retrouve le terme «psychiatrisé». Dans le domaine de la cardiologie, on ne dit pas: un malade cardiologisé. On dit une personne, un patient qui souffre d'infarctus ou d'insuffisance coronarienne.

On ne dit pas, dans la politique du gouvernement canadien, la santé cellulaire; on dit: le cancer. Et on parle de chaque type de cancers. Donc, je crois que dans notre domaine, il faut parler de schizophrénie. Il existe des indicateurs clairs, internationaux, de psychose maniaco-dépressive, d'hyperactivité sévère, et cetera. Les syndromes existent.

D'ailleurs, après plusieurs années, l'OMS en est venue à dire une chose bien simple. L'OMS a travaillé pendant plusieurs décennies avant de se rendre compte qu'il fallait un bon diagnostic médical dans le domaine de la santé pour pouvoir établir et évaluer les soins, la distribution des soins et la recherche.

Dans notre domaine — et vous allez sans doute le remarquer durant votre enquête — les concepts sont flous. Et ce sera difficile d'avoir des gens qui parlent de maladies neuropsychiatriques et de maladies du cerveau, qui parlent du concept des maladies mentales plutôt que du concept de santé mentale.

Le sénateur Pépin: C'est parce que c'est un domaine où on est très craintif. On veut en savoir plus, on veut travailler, mais on sent qu'on s'en va dans un domaine inconnu. C'est la première fois que j'ouvre un dossier et en le lisant, je me rends compte que je ne le comprends pas très bien.

Dr Maziade: Sénateur Pépin, nous devons garder en mémoire que 750 000 Canadiens et Canadiennes, qui souffrent de schizophrénie et de psychose maniaco-dépressive, sont âgés entre 16 et 75 ans. Et vous allez vous poser la question: où sont-ils, puisqu'on a les désinstitutionnalisés?

Les nouveaux malades, où sont-ils? Il y a encore 20 p. 100 de patients schizophrènes qui résistent aux médicaments et qui sont admis de nouveau à l'hôpital.

Autrement dit, si vous parlez de maladie et vous pensez en termes de maladie, je crois que certaines de vos inquiétudes disparaîtront. Il faut, je pense, cesser de faire la langue de bois et appeler les choses et les maladies par leur nom. C'est un aspect conceptuel de base qui n'a pas encore été atteint au Canada.

Dr Quirion: Nous pourrions peut-être faire une analogie avec la recherche sur le cancer. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, on avait très peur du cancer. Le cancer du sein, par exemple, signifiait une mort rapide.

Même face aux problèmes cardiaques, à ce moment-là, la crainte était énorme. À l'heure actuelle, en termes de niveau de connaissance, on est peut-être en retard dans le domaine des recherches sur le cerveau. C'est un peu plus compliqué.

En anglais, on dit souvent: «The time is now.» On a vraiment beaucoup d'expertise au Canada à cause du système de santé national. Cela permet d'avoir des collectes de données et des banques de données beaucoup plus impressionnantes que ce qu'il peut y avoir aux États-Unis. Je pense, par exemple, aux nouvelles recherches sur le génome.

Je pense qu'on pourrait avoir un impact énorme et on ne devrait pas avoir peur de foncer. Si on fonce avec l'expertise qu'on a présentement, on va réussir à trouver des causes des maladies du cerveau, des maladies mentales.

[Traduction]

Le président: J'ai une question complémentaire. Je donne toujours l'exemple de la maladie d'Alzheimer; auparavant, on disait que les personnes âgées étaient «séniles» ou tout simplement «vieilles». Mais aujourd'hui, tout le monde connaît et utilise le nom de la maladie d'Alzheimer.

Vous avez tous les trois parlé de maladies qui sont évidentes: le trouble bipolaire, la schizophrénie, l'autisme. Mais qu'en est-il de la «dépression commune»? Fait-elle partie de votre programme de recherche ou s'agit-il d'une maladie comme le rhume banal, qui n'intéresse pas les chercheurs puisque personne n'en meurt, si bien qu'elle n'est jamais le sujet de recherches.

Si je pose la question, c'est parce que le Dr Quirion a déclaré, entre autres, qu'il n'y a pas de centre national de recherche sur la dépression ou les maladies causées par le stress. Et pourtant, d'après les statistiques, le pourcentage de Canadiens qui souffrent d'une affection liée à une dépression légère augmente très rapidement. Je ne sais pas si on peut parler de maladie mentale dans ce cas. On assiste donc à une augmentation de la demande de services non seulement de psychiatres, mais également de psychologues et de travailleurs sociaux. Beaucoup de médecins de famille passent désormais le tiers ou la moitié de leur temps à faire de la psychothérapie, parce que c'est la seule façon dont ces services peuvent être payés par le régime d'assurance-maladie.

Est-ce que ce domaine de recherche figure dans votre plan ou est-il délaissé par les chercheurs?

Dr Quirion: Non, bien au contraire. Dans le cadre des études génétiques comme celles qu'effectue l'équipe du Dr Maziade, on met davantage l'accent sur le trouble bipolaire, mais beaucoup de recherches se font sur la dépression et sur ce qu'on appelle communément le «burn-out» ou l'épuisement professionnel. Soit dit en passant, c'est pour des raisons de rectitude attitude politique que l'on utilise ce terme: On dira qu'un homme souffre de «burn-out», tandis qu'une femme souffre de «dépression». Et il y a des préjugés associés à ces termes. On fait un burn-out parce qu'on a travaillé très fort, alors que la dépression est associée à la faiblesse. Ces préjugés sont réels.

Le président: Il a raison.

Le sénateur Pépin: C'est tout à fait vrai.

Dr Quirion: Il se fait beaucoup de recherche fondamentale en neurosciences sur les mécanismes de ce que vous appelez la dépression commune et le burn-out. À l'Institut, nous avons commencé à nous pencher sur la santé mentale dans le monde du travail. Le bien-être psychique et les dépressions sont des questions importantes en milieu de travail. Les maladies causées par le stress le sont également. Par conséquent, elles font partie de notre programme de recherche.

Le sénateur Keon: Merci. Vos exposés étaient tous les trois très intéressants, mais je ne pouvais m'empêcher de penser, en vous écoutant, à une citation du légendaire Yogi Bera: «Voilà le déjà vu qui recommence».

Voilà 30 ans, quand on avait un peu d'argent et qu'il y avait tant de choses à faire, nous nous réunissions autour de la table du Conseil de recherches médicales pour débattre de ce que nous allions faire. Devions-nous consacrer l'argent à de solides recherches fondamentales et cesser de le gaspiller dans des recherches ou du catalogage anecdotiques et dans certaines études cliniques que nous menions?

Les choses ont évolué et maintenant, les IRSC subventionnent de bonnes recherches fondamentales, si bien que les études cliniques que nous finançons reposent sur des connaissances de base que nous avons acquises grâce aux recherches fondamentales. Les essais de médicament en sont l'exemple classique. Il faut bien sûr découvrir le médicament avant de pouvoir procéder aux essais cliniques.

En l'occurrence, nous discutons des recherches sur les maladies mentales et de leurs traitements. Ainsi, nous commençons à comprendre les aspects psychopharmacologiques de la maladie mentale. Le Dr Quirion en a donné un bon exemple, en décrivant les effets d'un excès ou d'une insuffisance de dopamine dans le cerveau. Ainsi, en modifiant légèrement la quantité de dopamine — pourvu qu'on sache le faire correctement — on peut corriger deux problèmes différents, l'un dû à la carence et l'autre à la surabondance de cette substance dans le cerveau.

Le Dr Quirion a évoqué la nécessité d'un plan d'action, mais j'aimerais entendre l'avis des deux autres témoins à ce sujet. Nous n'avons pas les ressources nécessaires pour faire des recherches sur tout, car il n'y a ni assez d'argent ni assez de personnel. Par conséquent, tout plan d'action doit avoir une orientation très nette. Devrions-nous nous orienter très clairement vers l'élucidation des mécanismes psychopharmacologiques ou plutôt continuer à saupoudrer l'argent à droite et à gauche, en finançant des recherches sur toutes les dimensions de la santé mentale que nous connaissons?

J'aimerais connaître l'avis de chacun de vous à ce sujet.

Dr Maziade: À la lumière des recherches et des pratiques relatives à chacune des maladies, je dirais que nous avons déjà des données qui nous permettront d'améliorer la situation au Canada. Par exemple, pour revenir à ce que le sénateur Kirby a dit au sujet de la dépression, il est désormais établi scientifiquement que le traitement le plus efficace de la dépression — cette maladie étant définie en fonction des critères internationaux établis — est la combinaison d'une pharmacothérapie appropriée et d'une psychothérapie d'un type particulier, appelée thérapie cognitive, qui comporte entre autres des méthodes d'amélioration de l'estime de soi. Il est prouvé que la combinaison de ces méthodes donne de meilleurs résultats que le recours uniquement au traitement médicamenteux ou à la psychothérapie. Cependant, pour ce qui est de l'ensemble des problèmes de santé mentale, on ne peut pas obtenir de données aussi concluantes en dépouillant la littérature médicale ou en discutant avec certaines personnes.

Ainsi, dans le cas des schizophrènes qui répondent bien aux nouveaux antipsychotiques, ce qui soulage le mieux les symptômes c'est la combinaison d'un traitement médicamenteux, du soutien familial et de ce que nous appelons une «thérapie de soutien social»; nous savons que cette approche est plus efficace que le traitement médicamenteux à lui seul ou la psychothérapie sans médication. C'est une tendance bien établie depuis dix ans, et pourtant elle n'est jamais abordée dans les documents de Santé Canada ni dans les politiques des gouvernements provinciaux. Il en va de même pour l'autisme, même si cette maladie a été moins étudiée que la schizophrénie ou la dépression.

Dans la pratique clinique, nous avons besoin de ces deux éléments du traitement: la psychothérapie ou le soutien psychosocial, d'une part, et un médicament agissant directement sur la physiologie du cerveau. Les recherches indiquent par ailleurs que la psychothérapie peut avoir un effet sur la connectivité et la neurobiologie du cerveau.

Ces nouvelles connaissances ont également des effets sur la recherche. Il faut faire des recherches sur ces deux aspects afin d'améliorer la psychothérapie et l'efficacité du soutien psychosocial tout en élargissant nos connaissances au sujet de modes de traitement neurobiologiques comme la pharmacologie.

Je vous parle de troubles mentaux et de maladies précises. Je ne parle pas d'aider les Canadiens et les Canadiennes à être heureux. Nous devons cibler des troubles et des catégories de troubles précises. Depuis 20 ou 30 ans, notre domaine est mal vu. Cela découle à mon avis d'un mouvement social qui rejetait la médecine, notamment l'antipsychiatrie. Cette époque cependant est révolue. Il est clair aujourd'hui que certains facteurs du milieu déclenchent des troubles particuliers chez des gens ayant une vulnérabilité génétique. C'est le cas de la schizophrénie, par exemple, qui est fortement associée à des facteurs génétiques. Nous savons qu'il y a des gènes qui prédisposent à certaines maladies et que certains facteurs du milieu jouent le rôle d'un déclencheur ou amènent le cerveau à développer une maladie. Il en va de même, dans la plupart des cas, pour la dépression, l'hyperactivité, le trouble obssesionnel- compulsif et le syndrome de Gilles de la Tourette, trouble courant caractérisé par des tics et d'autres symptômes cérébraux.

[Français]

Dr Mottron: Je voudrais répondre à la question, à savoir: est-ce qu'on doit plutôt s'orienter vers des choix de recherche fondamentale ou vers des choix de recherche clinique ou plus appliquée?

Je voudrais revenir sur les aspects organisationnels. Le but de cette rencontre devait traiter de questions de financement de recherche. Ce dont je vous parle vise l'augmentation de la rentabilité de deux systèmes existants qui ne sont pas en premier lieu des systèmes de recherche, c'est-à-dire la clinique médicale d'un côté, la pédagogie de la réadaptation de l'autre, en restreignant dans les deux cas leur liberté de fonctionner hors recherche.

Actuellement, un médecin qui travaille dans un hôpital n'est aucunement obligé d'être impliqué dans un projet de recherche. Un enseignant qui applique une méthode de réadaptation à un enfant déficient intellectuel ou à un enfant autiste n'est actuellement, en aucun cas, contraint à être transparent dans les méthodes scientifiques qu'il applique.

Au niveau des budgets, les sommes consacrées à la réadaptation et à la santé en général sont extraordinairement plus importantes que la somme qui est consacrée à la recherche.

Je veux insister sur l'ensemble du budget de recherche d'une clinique spécialisée en recherche clinique, la part de recherche pure comprend peut-être 20 p. 100 de ce qu'il en coûte pour que la recherche soit possible, c'est-à-dire l'accès aux patients, l'évaluation des patients selon des méthodes standardisées, ainsi que la retombée de la recherche fondamentale sur le diagnostic et sur le soin.

Je suggère donc que des aspects organisationnels sur la nature du lien entre la médecine et la recherche d'une part, et entre la pédagogie spécialisée et la recherche d'une autre part, doivent être soulevés.

À l'heure actuelle, l'autonomie de la profession médicale d'un côté, et de la profession pédagogique de l'autre, en ce qui a trait à la recherche, présente des aspects très salutaires, mais aussi, dans certains cas, une certaine fermeture à l'égard de la recherche.

Bien entendu, je ne souscris pas à l'antimédecine. Que ce soient des médecins ou des non-médecins qui font la recherche, cela me laisse un peu indifférent. La question est ici non pertinente.

[Traduction]

Dr Quirion: Je voudrais ajouter deux choses. Ce que vient de décrire M. Mottron est essentiel. C'est toujours un problème dans notre pays, à cause des domaines de compétence fédéraux et provinciaux. En ce qui concerne la prestation de services en milieu hospitalier, elle relève du mandat provincial. Cependant, nous sommes obligés de collaborer avec l'organisme provincial, les différents ministres ainsi que les organismes de recherche comme le FRSQ au Québec pour promouvoir la recherche en milieu clinique.

Évidemment, la demande est forte, tout le monde est surchargé de travail et certains intervenants n'ont pas la formation nécessaire pour intervenir dans un projet de recherche. Néanmoins, dans les organismes affiliés à une université, il faudrait considérer que pour qu'un médecin participe à des travaux, ceux-ci doivent comprendre un élément de recherche et comporter un objectif de progrès scientifique. Il ne s'agit pas simplement de faire une prestation de services. Et c'est vrai pour toutes les catégories de cliniciens, non seulement les médecins, mais aussi le personnel infirmier, les psychologues et les travailleurs sociaux.

Il nous faut un plan national. Évidemment, c'est un mandat considérable et certaines provinces y seront plus favorables que d'autres, mais ça, c'est une question de politique. Je pense qu'il faut nous engager dans cette direction.

Je suis toujours très optimiste et c'est sans doute pour cela que j'ai accepté le poste que j'occupe actuellement. L'un des avantages des IRSC, c'est qu'ils visent une formule intégrée. Nous ne l'avons pas encore atteinte, mais notre initiative stratégique vise de plus en plus une approche intégrée. Les spécialistes des services de santé dialoguent avec les scientifiques et les cliniciens. Ils échangent de l'information et finissent par partager le même langage. Lorsque j'ai débuté dans ce domaine il y a quelques années, on avait l'impression qu'un professionnel parlait français tandis qu'un autre parlait chinois, tant les cultures étaient différentes.

Mais de plus en plus, dans les programmes les mieux intégrés, chacun commence à voir les avantages de la collaboration. C'est ce qu'on a constaté dans le programme de prévention du suicide que nous avons commencé à financer à Montréal. Auparavant, le programme mettait l'accent sur l'élément social. Je n'avais encore jamais dialogué avec un spécialiste en neurochimie du cerveau. Maintenant, nous en avons un dans l'équipe. Dans le domaine de la recherche sur l'autisme, c'est la même chose. Toutes les spécialités sont représentées.

Au lieu de mettre les différents domaines de connaissances en concurrence, nous les amenons à collaborer. C'est parfois fastidieux; les résultats n'apparaissent pas du jour au lendemain. On remarque une certaine résistance au changement, mais j'espère que la prochaine génération de scientifiques qui entreront en contact avec ces programmes plus multidisciplinaires manifesteront une plus grande ouverture.

Supposons que nous découvrions demain un gène lié à la dépression ou à l'autisme. Que va faire l'équipe ou le responsable de ce gène? Je suppose qu'il va falloir consulter un épidémiologiste et un spécialiste de la santé de la population pour étudier les conséquences éventuelles de la découverte pour la population concernée.

Cette approche intégrée constitue plus ou moins un changement de paradigme, mais c'est ce que nous voulons faire aux IRSC. L'initiative est encore jeune — elle n'a commencé qu'il y a trois ans, et il faut lui laisser une chance d'aboutir. Évidemment, il nous faut des crédits supplémentaires, mais nous pouvons trouver des partenaires, aussi bien parmi les autorités provinciales que fédérales.

[Français]

Le sénateur Pépin: Si je comprends bien, vous seriez d'accord que le personnel médical qui travaille dans un centre universitaire, dans un hôpital universitaire, fasse la recherche clinique. Vous dites que ce n'est pas tous les cliniciens qui font de la recherche.

Donc, les médecins rattachés à un hôpital universitaire devraient faire de la recherche. Ne serait-ce pas une de vos approches? Vous dites que vous voyez plusieurs médecins, en fait des cliniciens, qui ne font pas de recherche.

Dr Mottron: Ce que je dis, c'est qu'il existe un conflit profond entre l'autonomie et la liberté de certaines professions et leur implication dans la recherche.

Le médecin qui tient une clinique, par exemple, est tout à fait libre d'entrer ses données dans une base de données compatible avec la recherche ou, au contraire, d'avoir un langage complètement à lui qui ne sera utilisé par personne.

Si on essaie d'empiéter sur cette liberté, en général, les professions poussent de hauts cris. Dans un autre domaine, tout à fait parallèle, qui est celui de la réadaptation, un enfant ayant une déficience intellectuelle va peut-être passer deux jours en tout et partout dans sa vie en contact avec une équipe spécialisée.

Il va passer plusieurs années en contact avec des enseignants. Ce qui veut dire que les enseignants en tant que transmetteurs de méthodes de pédagogie spécialisée sont, on pourrait dire, deux cents fois plus importants que l'orthophoniste spécialisé qui n'aura passé que trois heures avec l'enfant.

Ce signifie que multiplier les conséquences des acquis de recherche auprès des professions qui font partie du système de santé ou du système pédagogique est essentiel, parce que jamais la recherche n'aura les sous pour mener entièrement à bien ce qui est en fait inhérente à elle.

Par exemple, lorsqu'on a besoin de sujets pour une recherche, on ne peut pas, avec le montant des subventions du CIHR, financer une clinique qui va fournir ces sujets. Il faut demander à un clinicien.

Moi, j'ai fait un choix différent parce que, étant clinicien aussi, je les ai retrouvés moi-même. C'est toutefois un luxe que je peux me permettre parce que j'ai les deux affiliations. Dans la plupart des cas, si j'étais Ph.D non-médecin, je serais complètement à la merci d'un médecin qui voudra bien, dans son infinie bonté, remplir les dossiers de façon à ce qu'ils soient utilisables pour la recherche.

Or, dans la profession médicale, on a du meilleur au pire, comme dans n'importe quelle profession, en terme d'engagement civique des gens qui travaillent juste pour eux et des gens qui travaillent un peu ou beaucoup pour les autres.

Je pense que ce conflit entre la liberté d'une profession et son engagement civique pour la recherche devrait être adressé franchement, sans gêne, en particulier, lorsqu'on s'adresse à des enseignants pour leur demander d'être transparents dans les méthodes réadaptatives qu'ils utilisent. Pourquoi faites-vous cela? Sur quelles preuves vous basez- vous?

On nous dit: «Mais de quoi vous mêlez-vous? Qu'est-ce que l'hôpital ou la recherche vient faire dans l'école? N'entrez pas ici, et laissez vos chaussures à l'entrée.»

Cela peut être une réaction quasiment corporative; elle a probablement ses raisons d'être. Dans le domaine de l'application dans la vie courante des acquis de recherche, cela a de mauvaises conséquences. Et il faut probablement oser enfreindre un tout petit peu la liberté d'autonomie des professions médicales et enseignantes dans ce domaine.

Actuellement, le Collège des médecins dit à ses médecins que cela fait partie de notre devoir de faire de la recherche et de la favoriser. Cela ne va pas plus loin.

Le sénateur Morin: Je vais poser trois courtes questions à chacun d'entre vous. Docteur Maziade, j'aimerais vous lire un texte qui a été publié dans un des meilleurs journaux du pays, samedi dernier, il y a trois jours. J'en lis un extrait:

D'après un principe médical fondamental, on ne peut prévenir une maladie dont on ignore les causes. Par conséquent, dans le traitement des maladies mentales, orienter le gros des efforts sur la prévention ou la promotion de la santé en ce moment ne fera que détourner notre attention des maladies qui occupent le plus de coûts au Canada. Les problèmes de santé mentale sont des entités vagues qui brouillent les pistes au lieu de faciliter l'imputabilité auprès de la population et du gouvernement.

J'aimerais demander au Dr Maziade, premièrement, ce qu'il pense de l'auteur qui a écrit un tel article.

Deuxièmement, je voudrais savoir ce qu'il pense d'un texte qui semble assez radical. Je vais faire circuler le document.

Dr Maziade: En fait, sénateur, ce n'est pas un texte radical. Je crois que c'est un texte clair. Clair dans le sens que, pour revenir à plusieurs de vos commentaires ou à celui du sénateur Kirby à propos de la dépression, c'est qu'actuellement, on s'est dirigé vers une philosophie qui est effectivement louable, qu'il faut tenter de prévenir la maladie plutôt qu'attendre que la maladie ne survienne dans tous les secteurs. J'approuve cette philosophie médicale. Ce que j'ai écrit, c'est qu'on ne peut prévenir une maladie, quelle qu'elle soit, si on en ignore les causes.

Pour prévenir un phénomène atmosphérique, pour prévenir un tremblement de terre ou pour prévenir une maladie, il faut connaître les causes et agir sur les causes avant que la maladie n'apparaisse.

Dans diverses spécialités, il y a certaines maladies que nous pouvons prévenir, jusqu'à un certain point. Mais pour la schizophrénie comme pour la psychose maniaco-dépressive et les dépressions majeures récidivantes, nous ignorons les causes qui rendent le cerveau plus vulnérable. Nous ignorons les causes, dans l'environnement spécifique, qui déclenchent ces maladies.

Pour l'instant, détourner les fonds vers la prévention nous fera ignorer ce que j'ai écrit dans le mémoire: «[...] les trois ou quatre maladies qui affectent plus de un million de Canadiens parce qu'il faut plutôt aller vers la prévention dite secondaire», c'est-à-dire qu'il faut agir très tôt, dès que la maladie est apparue.

Tous les médicaments actuels qui touchent la schizophrénie, la psychose maniaco-dépressive et plusieurs autres syndromes comme l'autisme, se sont améliorés récemment mais ils soulagent les symptômes, aucun ne guérit.

Il n'existe actuellement aucun traitement curatif pour les grands syndromes neuropsychiatriques. Il n'existe pas encore aucun test diagnostique biologique comme pour le diabète. Comme l'a mentionné le Dr Qurion, c'est encore difficile de diagnostiquer ces maladies. Il nous faut quelques années avant d'être certain du diagnostic.

Un certain pourcentage des dépressions majeures fait exception car, à l'heure actuelle, les traitements liés aux nouveaux antidépresseurs associés à une forme spécifique de psychothérapie démontrent une efficacité excellente pour une proportion des dépressions majeures.

On sait que la dépression majeure est hétérogène et donc, elle est formée, comme l'anémie, par exemple, de plusieurs maladies ayant des causes environnementales et biologiques différentes.

Ce n'est donc pas un texte radical, sénateur. Je pense que vous avez cité un texte qui est clair, tout simplement.

Le sénateur Morin: Vous êtes d'accord avec l'auteur?

Dr Maziade: Je suis d'accord avec l'auteur.

Le sénateur Morin: Je pense qu'on peut adopter comme principe de base que la recherche est sûrement une des solutions fondamentales au problème de maladies mentales à l'heure actuelle au pays et ceci doit se traduire par l'attribution de ressources au domaine.

Je vois ici trois problèmes auxquels, d'ailleurs, vous avez fait allusion. L'absence de groupes volontaires qui financent la recherche au Canada dans le domaine de la maladie mentale est un problème sérieux.

Le financement de la recherche par les organisations volontaires au Canada, est un «success story» canadien. Aux États-Unis, on n'a pas le financement de la recherche cardiologique par l'American Heart Association. C'est tout à fait canadien, cela. Nos Canadiens sont généreux. C'est une tradition canadienne d'être généreux envers la recherche en santé.

On parle du cancer, du Parkinson, et de toute une série de maladies dont le financement est assuré par des groupes volontaires. Je pense que c'est une chose que vous devriez envisager.

Je ne vois pourquoi les Canadiens ne financeraient pas volontairement la schizophrénie ou l'autisme. Aujourd'hui, les gens sont beaucoup plus conscients de ces maladies et ils s'impliqueraient, j'en suis sûr, s'il y avait une organisation qui serait prête à aider financièrement et, évidemment, d'une autre façon.

Ma deuxième question aussi représente une lacune, je pense. J'ai demandé à votre adjoint de me dire le montant total attribué aux recherches dans le domaine des maladies mentales et dans le domaine des toxicomanies au Canada par rapport aux autres pays. Je voulais le montant en chiffres absolus et en pourcentage des sommes qui sont attribuées à la recherche, en chiffres absolus et par population. On pourrait savoir si le Canada donne moins aux maladies mentales que d'autres pays Enfin, si le Canada donne plus, tant mieux. S'il donne moins, il faut le dire.

Ceci est une arme très puissante auprès des politiciens. Les politiciens sont très sensibles à la position que le Canada occupe par rapport aux autres pays de l'OCDE, par exemple.

Du point de vue de l'équipement médical, par exemple, on a pu démontrer que le Canada était inférieur à d'autres pays. Rapidement, il y a eu un financement à cause de la position que le Canada occupait dans l'OCDE au point de vue équipement médical.

Je pense que nous devons avoir cet argument. Il faut que vous nous donniez cet argument pour que nous vous aidions en ce qui a trait au financement de la recherche dans le domaine des maladies mentales. Je comprends que ce ne sont pas des données faciles à obtenir, mais je pense que vous devriez faire l'effort pour nous les fournir, afin que nous puissions vous aider.

Ma dernière question traite de votre part de financement à l'intérieur des instituts de recherches en santé du Canada. C'est peut-être une question difficile à répondre, comme directeur, mais est-ce que vous avez l'impression que les sommes attribuées à votre institut, à l'intérieur du budget global des instituts, en particulier du côté des maladies mentales et toxicomanies, sont adéquates?

Ou vous trouvez-vous pénalisés pour différentes raisons? Pensez-vous qu'on pourrait vous aider à ce niveau?

Dr Quirion: Ce sont trois très bonnes questions. Pour ce qui est de la première, soit de travailler très étroitement avec les organismes volontaires, c'est vrai que ceux vont vraiment chercher beaucoup de sous dans le public canadien pour l'instant ne sont pas nombreux, en comparaison au National Cancer Institute ou les Fondations des maladies du cœur, où mes collègues, les deux directeurs de ces instituts, peuvent faire des partenariats avec ces deux organismes-là. Et tous les deux contribuent entre 40 millions et 50 millions de dollars par an pour la recherche au Canada.

C'est nous qui avons le plus grand nombre d'organismes non gouvernementaux associés à notre Institut. Il y en a environ une soixantaine à l'échelle nationale, mais ils sont tous très petits, et plusieurs n'ont pas de sous pour la recherche.

On revient aux notions de «stigmate» et de discrimination. C'est vrai qu'il est maintenant un peu plus facile d'aller chercher des sous pour les maladies mentales, mais ça reste encore un peu compliqué.

Dès la création de l'Institut, on a organisé deux ateliers nationaux avec ces organismes. On les a invités. Il y en a une trentaine chaque fois qui sont venus. Ils ont participé à l'élaboration du plan stratégique de l'Institut. Il y a deux membres du grand public qui siègent au conseil d'administration de notre Institut, et nous les invitons à notre réunion annuelle. Je désire qu'ils soient de plus en plus impliqués avec nous pour développer une stratégie qui permettrait d'aller chercher plus de financement.

Je pense qu'ici aussi, vous pouvez nous aider. Il faut diminuer la stigmatisation rattachée aux maladies mentales et trouver des champions. Ça nous prend des champions qui vont promouvoir cette cause. Michael Wilson, l'ancien ministre, fait vraiment un travail admirable de ce côté.

J'aimerais pouvoir compter aussi sur quelques sénateurs qui pourraient être nos champions, quelques membres de la Chambre des communes, un peu comme ils le font aux États-Unis où certains sénateurs et des personnes du Congrès sont impliqués. On va les voir, et ils défendent la cause des maladies mentales et des recherches sur les maladies mentales au pays.

Ce serait, je pense, une façon d'augmenter les contributions des contribuables canadiens, les dons à la recherche sur les maladies mentales. Il est vrai que les Canadiens sont prêts à donner. Il faut diminuer un peu la stigmatisation.

Pour ce qui est des maladies mentales, je pense qu'on est presque là. Pour les toxicomanies, cela reste compliqué. Pour combattre l'alcoolisme, d'addiction à la cocaïne et tout ça, les gens ne sont pas prêts à donner. Mais si on commençait avec maladies mentales, ce serait déjà très bien.

Pour ce qui est du montant total qui va au financement de la recherche sur les maladies mentales et sur la santé mentale au Canada, il est vrai que nous devrions connaître ces données très importantes.

Probablement que les chiffres que je vous ai mentionnés ce matin s'avèrent assez justes pour les instituts canadiens. Il faut maintenant obtenir les chiffres au niveau des provinces et au niveau de certains organismes non gouvernementaux. Et ce serait aussi très utile pour moi d'avoir cette information. Mon adjoint à l'Institut, Richard Brière, va se concentre sur cela au cours des prochains mois.

Très souvent, la même subvention est comptée quatre, cinq fois, en neurosciences, en santé mentale, en toxicomanies, ce qui fait qu'il faut disséquer tout cela. Il faut un spécialiste, quelqu'un qui est capable de comprendre le résumé du projet de recherche pour voir où ça va et où ça ne va pas, et cetera. J'espère que nous aurons l'information d'ici quelques mois pour nous aider dans vos travaux.

Passons à la dernière question. Du côté des Instituts canadiens, les treize instituts canadiens ont le même budget pour les initiatives stratégiques des instituts. Lorsque j'ai eu mon entrevue pour prendre la direction de l'Institut, mon futur patron à l'époque, le Dr Alan Bernstein, le président des Instituts, m'avait posé cette question: «Si tous les instituts avaient le même budget, est-ce que vous pensez que ce serait juste?» J'avais répondu non. Je réponds encore non aujourd'hui.

Encore une fois, le modèle que nous avons est unique. Les neurosciences, la santé mentale et les toxicomanies, je pense que le modèle est correct. J'ai travaillé très fort pour faire la promotion, pour s'assurer qu'on ait qu'un Institut qui regroupe toutes ces thématiques.

Par contre, c'est sûr que si on en avait eu trois, on aurait eu trois budgets. C'est au niveau de l'initiative stratégique, je ne parle pas des subventions individuelles que les chercheurs obtiennent.

Donc, pour démarrer aux Instituts canadiens, le fait d'avoir tous le même budget, était probablement la bonne formule et ça nous encourage à collaborer avec nos collègues directeurs scientifiques. Nous avons beaucoup de collaboration avec tous les autres instituts.

J'ai oublié de mentionner que l'Institut a un programme de formation sur la santé des autochtones. Il faut vraiment former des gens, des spécialistes en santé mentale reliée aux Premières nations.

C'était donc très bien au point de départ. À moyen terme, si on veut vraiment développer la vision et la mission de l'Institut, je pense qu'il va falloir revoir l'attribution des portefeuilles aux initiatives stratégiques des différents instituts. Et mon patron, Alan Bernstein, est au courant de cela. J'en ai discuté avec lui hier.

Le sénateur Morin: J'aimerais poser une dernière question au Dr Mottron. Vous avez parlé des aspects organisationnels de la recherche. Je vous suis, et on va sûrement s'intéresser à cela.

J'aimerais que vous nous parliez un peu de votre domaine à vous, l'autisme. Comme vous le savez, c'est un secteur unique, non seulement au point de vue maladie mentale mais aussi dans le domaine de la santé au Canada.

Je pense ce c'est là où il y a le plus de parents qui poursuivent les gouvernements pour obtenir des soins. On a vu cela en Colombie-Britannique, au Québec et un peu partout.

Il y a là sûrement un problème quand on voit des parents qui poursuivent leur propre gouvernement pour avoir des soins, et on n'aura peut-être pas toujours des experts comme vous dans ce secteur.

J'aimerais que vous nous éclairiez un peu. Je dois vous dire qu'on a entendu, lors de notre première séance, le père d'un enfant autistique nous relater en détail les difficultés qu'il a eues à faire traiter son enfant et toutes les difficultés qu'il a eues à en prendre soin. C'était vraiment très émouvant, très touchant comme témoignage et on en garde un vif souvenir.

J'aimerais que vous nous parliez de l'aspect recherche, mais aussi des soins. Nous n'aurons peut-être pas l'occasion d'entendre le témoignage d'un clinicien. Quelle est votre perspective d'avenir dans le domaine de l'autisme concernant les poursuites qu'on voit et le coût de ces traitements?

Que voyez-vous? Est-ce que l'avenir est fermé ou est-ce qu'on a raison d'être optimisme?

Dr Mottron: Comme vous le dites, c'est un domaine où il y a beaucoup de poursuites et j'ai moi-même très peur de prendre la parole à ce sujet.

Le sénateur Morin: Vous êtes protégé ici. Vous êtes complètement protégé ici, c'est-à-dire que vous ne pouvez pas être poursuivi pour ce que vous dites ici.

Dr Mottron: Bon, bien allons-y! Tout d'abord, je voudrais scier un peu la branche sur laquelle je suis assis. L'autisme n'a absolument rien de particulier par rapport aux autres troubles neurodéveloppementaux.

La faveur dont il jouit dans les médias est une chance, parce que c'est un excellent moyen de démontrer des problèmes et faire avancer la recherche. Mais il plutôt injuste de donner plus d'importance à ce trouble neurodéveloppemental qu'à d'autres, par exemple, au Rett, au William, au Prader-Willi, au syndrome d'alcoolisme foetal, à l'X-fragile, et, en fait, à toutes les sources neurodéveloppementales de déficience intellectuelle ou d'atteinte cognitive. Ma position est donc un petit peu ambiguë parce que je travaille dans le domaine de l'autisme et donc, je bénéficie, en tant que chercheur, de cette incroyable faveur médiatique. En même temps, je fais beaucoup de travail auprès des associations de lobbying pour qu'elles incluent dans leur mouvement les autres maladies rares.

En passant, je suggère au Comité de se renseigner sur ce qui se fait dans la communauté européenne sur les maladies rares neurodéveloppementales. On y voit là une excellente initiative.

Si vous êtes un parent faisant partie d'une des soixante associations dont parlait Rémi tout à l'heure, et que trois cents personnes ont la même maladie que votre fils au Canada, vous n'avez aucun pouvoir de lobbying. Vous n'avez, évidemment, aucune formation spécialisée et aucune connaissance particulière sur la façon d'éduquer votre enfant.

Si vous êtes parent d'un enfant autistique, dans un sens vous êtes le plus heureux parmi les malheureux en termes de services, parce que l'autisme, au moins, est une maladie connue et elle est reconnue.

Cela signifie donc que ce qui est vrai pour l'autisme est vrai en général pour les autres atteintes neurodéveloppementales. Mais si on dit qu'il y a l'autisme et la déficience intellectuelle, cela ne marche plus.

En termes de nombre de cas atteints, l'autisme n'est pas plus fréquent que l'X-fragile et probablement moins fréquent que le syndrome d'alcoolisme foetal. Il faut donc voir les troubles neurodéveloppementaux comme un tout et se servir de la faveur médiatique liée à l'autisme pour faire avancer le reste.

Deuxièmement, l'affaire des poursuites est un point extrêmement délicat. Que font ces parents? Je vous disais tout à l'heure qu'un enfant autiste, surtout s'il a une déficience d'accompagnement, doit être admis dans une école spécialisée.

À quel âge commence-t-on à l'école? À 5 ou 6 ans. Qu'est-ce qui se passe avant entre deux ans, le moment du diagnostic, et le moment d'aller à l'école? À l'heure actuelle, au Québec, c'est le service de la réadaptation qui se charge de cela et il fait ce qu'on appelle de la stimulation précoce.

Toutes les poursuites que nous avons au Canada sont des poursuites de parents qui demandent un certain nombre d'heures de stimulation précoce pour leur enfant entre le moment où il est diagnostiqué vers 2 ans et le moment où, à 5 ans, la même stimulation précoce va être prise en charge gratuitement par l'école.

Je dois dire que je sers d'expert pour un recours collectif et donc, je ne peux pas dire que je suis contre les recours collectifs. Il est tout à fait normal qu'on obtienne pour les enfants le même type de services gratuits entre l'age de deux à cinq ans que les services qu'ils recevront entre l'âge de cinq ans et la majorité.

À l'heure actuelle, à cause d'une bizarrerie légale, les parents d'un enfant autiste ont droit a des services pour l'enfant âgé de 5 à 18 ans. Après 18 ans, l'enfant est considéré comme un adulte.

En passant, il y a une petite perle dans votre document: «L'autisme, c'est une maladie des enfants?» Mais ils ne meurent pas tout à 18 ans. Après 18 ans, ils sont toujours autistes. Et avant 5 ans, ils étaient aussi autistes.

Le point fort des recours collectifs, c'est évidemment de demander des services pour cette période de 2 à 5 ans, qui est extrêmement importante pour la plasticité cérébrale, parce que les choses qui peuvent s'acquérir entre deux et cinq ans ne peuvent plus s'acquérir après.

Il faut, évidemment, qu'ils aient la même qualité de services avant l'école qu'après l'école. C'est le point fort dans les recours collectifs.

Les recours collectifs sont extrêmement judiciairisés. Et ils ont pris le pire de ce qu'on voit chez nos voisins américains: une capacité de détourner l'information pour faire des procès. Pour gagner ce recours collectif, certains vont trop loin. Ils disent, par exemple, que si on traite les enfants autistes entre l'âge de 2 à 5 ans, ils seront totalement guéris.

Régulièrement dans la presse je me dresse contre cela. Et Rémi a mis sur pied un comité où le plus grand expert en diagnostics de l'autisme au monde a fait un extraordinaire rapport sur la valeur de ces méthodes thérapeutiques de réadaptation en disant qu'elles favorisent des progrès. Mais, premièrement, ces progrès ne sont pas, en général, quantifiés correctement par la recherche. Deuxièmement, les patients ne guérissent pas, contrairement à ce qu'on disait.

Cela n'a aucune importance. Est-ce qu'on va arrêter de donner des soins palliatifs parce qu'ils ne guérissent pas? Malheureusement, les recours collectifs ont eu tendance à exagérer l'impact ou plutôt à exagérer ce que l'on sait scientifiquement de l'impact des méthodes de réadaptation précoce pour gagner leur point. Je soutiens à fond ces méthodes, mais il n'est nul besoin de mentir pour qu'elles soient justifiées.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: Je suis impressionnée. Je vous remercie de vos exposés. Vous avez bien fait la distinction entre la santé mentale et la maladie mentale. Vous avez parlé de prévention dans certains domaines, et c'est un sujet qui nous passionne.

Généralement, au Canada, le patient va tout d'abord frapper à la porte du médecin de famille. Tout dépend de la province où il réside, mais généralement, le médecin de famille n'est pas très bien renseigné sur les problèmes psychiatriques.

De façon générale, combien de temps les étudiants en médecine qui veulent devenir généraliste consacrent-ils aux problèmes liés aux maladies mentales?

La situation était semblable en matière de gériatrie il y a une vingtaine d'années. Les médecins de famille voyaient des patients âgés, mais ils n'avaient suivi aucune formation en gériatrie; ils ne savaient pas quels dosages prescrire. C'était déplorable.

J'aimerais savoir comment vous évaluez la situation actuelle en ce qui concerne la santé mentale.

Dr Maziade: Il y a un problème aussi bien en aval qu'en amont. De toute évidence, il y a un problème au niveau de la formation. L'ensemble des connaissances en médecine a progressé considérablement. Les spécialités sont de plus en plus complexes. Ainsi, il existe aujourd'hui 10 ou 15 sous-spécialités en psychiatrie, dont plusieurs en pédopsychiatrie, plusieurs en psychiatrie de l'adulte et plusieurs en psychiatrie gériatrique.

Cependant, il est difficile, pour un médecin, de tout apprendre pendant ses études de médecine. C'est pourquoi nous essayons d'assurer une formation continue dans toutes les provinces. Cette formation existe, mais elle n'est pas forcément suffisante, compte tenu de l'élargissement constant des connaissances.

À l'autre extrémité, il faut aussi que le médecin ait accès à des spécialistes. Au Québec, l'âge moyen des médecins spécialistes est de l'ordre de 52 à 54 ans, notamment à cause de l'action des pouvoirs publics. Je suppose que les statistiques sont du même ordre dans le reste du Canada. Il faut que ces médecins spécialistes donnent de la formation continue. Les médecins de famille savent qu'il est difficile d'obtenir rapidement une consultation auprès d'un spécialiste, à cause de la pénurie de psychiatres.

Il y a donc des problèmes en amont aussi bien qu'en aval.

Dr Quirion: Il faut effectivement veiller à ce que le programme d'enseignement soit satisfaisant au niveau des facultés de médecine en ce qui concerne la santé mentale et les maladies mentales. Il faut couvrir l'ensemble des domaines, de la science pure à la santé de la population. Il faut aussi assurer une collaboration étroite pour faire la promotion de la formation continue en médecine.

Dans notre institut, nous avons rencontré l'Association médicale canadienne et l'Association canadienne de psychiatrie pour voir comment on pouvait faciliter l'accès à ces cours de perfectionnement. Nous savons qu'au niveau des soins de première ligne, les médecins voient de nombreux cas de santé mentale, en particulier des personnes qui souffrent de dépression.

Il faut aussi collaborer avec d'autres instances au niveau fédéral. C'est le gouvernement fédéral qui s'occupe désormais de télésanté. Pour nous, c'est une possibilité nouvelle. J'étais la semaine dernière à l'Université de Moncton. On ne peut pas vraiment espérer trouver 15 psychiatres pour desservir la communauté francophone du Nouveau- Brunswick et des Maritimes. Nous devons trouver une solution pour les mettre en rapport avec Dalhousie, Sherbrooke, Laval et Montréal par un service de type télésanté afin d'assurer la formation médicale continue à ce niveau.

Enfin, il faut atténuer la stigmatisation non seulement auprès de la population, mais aussi à l'intérieur même de la profession médicale. Les psychiatres sont toujours stigmatisés par rapport aux autres médecins. La psychiatrie est encore souvent considérée comme un art plutôt qu'une science. Il faut que cela change. Il faut veiller à inciter les étudiants à s'orienter vers la psychiatrie.

Le sénateur Robertson: Notre comité va devoir demander au gouvernement fédéral d'augmenter le financement de la recherche en santé mentale. Si nous obtenons une réponse positive, comme nous l'espérons, les organismes de recherche pourront-ils se mettre d'accord sur un programme que nous pourrons recommander au gouvernement fédéral?

En répondant, songez à tout le chemin que nous avons à faire avec le public pour éliminer la stigmatisation ou la discrimination.

Je songe à une campagne de sensibilisation. Rappelez-vous qu'il y a de nombreuses années, lorsque fumer était considéré «dans le vent», les compagnies de tabac finançaient des événements sportifs, des spectacles de danse, toutes sortes d'événements prestigieux. Grâce à une publicité appropriée, cela a vite changé. Il ne faudrait pas oublier le pouvoir de la publicité pour s'attirer la sympathie du public.

Toutefois, j'aimerais savoir quel serait, à votre avis, une liste pratique. Quel genre de recommandation faut-il commencer par faire au gouvernement?

Dr Quirion: Nous avons de la chance car il y a un organisme national appelé les IRSC. L'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies relève de lui et donc nous n'avons pas à discuter de ces questions avec 15 directeurs scientifiques comme on le fait à l'Institut national de la santé aux États-Unis.

Ce que nous devons faire — et nous pouvons le faire assez rapidement — c'est nous réunir avec d'éventuels partenaires au palier fédéral. Par exemple, il nous faut rencontrer M. Marc Renaud du Conseil de recherche en sciences humaines, le CRSH, à cause de la composante sociale. Il nous faut également travailler avec Santé Canada afin de nous assurer que la santé mentale et les maladies mentales figurent en tête de liste du programme de ce ministère. Ce n'est pas le cas actuellement. On parle de santé physique et on doit inclure la santé mentale dans cette perspective. On ne peut pas s'arrêter là.

Nous pourrions créer un programme national de recherche qui inclurait une campagne de publicité et de lutte contre la discrimination. Nous pourrions le faire assez rapidement et vous en faire part afin que cela vous aide dans vos délibérations.

Le sénateur LeBreton: Les exposés et les témoignages étaient excellents et convaincants.

Docteur Quirion, vous avez parlé de la «dernière frontière». Je pense que c'est très important. En réponse à une question, vous avez dit: «Le temps est venu». Ensuite nous sommes passés à cette discussion de la stigmatisation.

Dans votre exposé, vous avez utilisé le terme «neuroéthique». Pourriez-vous en dire un peu plus long là-dessus pour une simple profane comme moi?

Dr Quirion: Voilà une excellente question.

Il y a des aspects de l'éthique dans le contexte des maladies mentales qui sont un peu différents de ceux pour d'autres maladies telles que les maladies cardio-vasculaires ou le cancer. Par exemple, il y a la question du consentement éclairé pour participer à des essais cliniques de médicaments. Si un patient est déprimé, il y a toujours une discussion pour déterminer s'il comprend tout ce qui découle du formulaire de consentement. Il y a d'autres questions d'éthique relativement à la vie privée et au placebo qui peuvent être très différentes de celles liées à d'autres types de maladies.

Le terme «neuroéthique» est assez récent et n'est pas nécessairement accepté par tous. Toutefois, pour nous, c'est une façon de souligner le fait qu'il y a quelque chose de spécial dans le cas de la santé mentale, des maladies mentales ou des maladies du cerveau. Il nous faut accorder une attention toute particulière à ces questions, investir dans la recherche sur ces questions.

Il y a également l'aspect moral. Nous savons de plus en plus comment fonctionne le cerveau. Par exemple, maintenant, grâce à une imagerie cérébrale, il est possible de démontrer qu'une personne pourrait peut-être être plus sensible, plus réceptive en état élevé de stress. On s'inquiète que ce genre d'information pourrait servir à empêcher des gens de travailler dans la profession de leur choix à cause d'une faiblesse particulière dans cette région de leur cerveau.

Plus nous en apprenons sur le fonctionnement du cerveau, plus nous devons nous assurer que la société n'utilisera pas cette information à des fins discriminatoires. L'automne dernier, j'ai donné une conférence à l'UNESCO sur l'éthique. J'ai inclus des copies des diapositives dans la trousse.

Le sénateur LeBreton: En passant, j'ai beaucoup aimé votre exemple de deux poids deux mesures quand vous avez comparé le burn-out chez les hommes et la dépression chez les femmes.

Le président: Je pense que l'on peut vous promettre que cela figurera quelque part dans notre rapport final.

Le sénateur LeBreton: Vous avez parlé de la perte de chercheurs dans les années 90. Où sont-ils allés et la situation s'est-elle améliorée depuis lors?

Dr Quirion: Oui. La situation s'est considérablement améliorée. C'est toujours un milieu très concurrentiel. La recherche ne connaît aucune frontière, c'est un domaine international. Les meilleurs chercheurs reçoivent toujours des offres pour aller ailleurs. Toutefois, des programmes tels que ceux de la Fondation canadienne pour l'innovation nous ont aidés à attirer à nouveau ces jeunes chercheurs au Canada. Il y a beaucoup de concurrence dans ce secteur.

Les recherches en toxicomanie étaient très solides au Canada dans les années 70, 80 et au début des années 90. Toutefois, suite à une crise au niveau du financement, la petite communauté de chercheurs dans ce domaine a été réduite de façon marquée. Nous avons perdu du personnel essentiel à la National Institute on Drug Abuse aux États- Unis.

Maintenant, il nous faut trouver des façons d'attirer des chercheurs au Canada. L'Université de Toronto a récemment recruté un spécialiste en toxicomanie de premier plan de l'Allemagne et il a obtenu une chaire de recherche au Canada. Il y a des possibilités. Nous allons toujours perdre des chercheurs, nous allons toujours en attirer d'autres.

La plupart de mes étudiants ne travaillent pas au Canada; ils travaillent aux États-Unis et en Europe. J'espère pouvoir les faire revenir au Canada. Les meilleurs auront toujours toutes sortes de possibilités, et donc nous devons leur offrir de bonnes conditions dans notre centre à l'université pour nous assurer qu'ils restent au Canada.

Le sénateur LeBreton: Nous faisons face à la même situation dans de nombreux autres domaines.

Est-ce qu'il y a une façon de s'attaquer à la stigmatisation au sein de votre propre profession? Il est difficile de trouver des gens qui pratiquent dans certains domaines. Il y a eu une époque où on qualifiait les médecins en psychiatrie de «shrinks». Or j'ai l'impression que c'est un domaine extrêmement spécialisé et si j'étais des vôtres, je ne voudrais pas que la population en général me considère différent à cause de la profession que j'ai choisie.

Comment faites-vous face à cela dans votre propre profession?

Dr Maziade: Je pense que la discrimination provenant de nos collègues dans d'autres disciplines existe en plus grande mesure dans les secteurs plus anciens de notre profession. Ça se comprend. Toutefois, c'est beaucoup moins commun chez les jeunes à cause de la nouvelle image de la psychiatrie où le cerveau et le milieu ont tous deux leur place; c'est de la pharmacothérapie et de la psychothérapie. C'est un domaine reconnu par les écoles de médecine et par les résidents dans d'autres disciplines.

Nous avons été et demeurons l'objet de discrimination comme psychiatres et c'est notre faute. Il ne faut pas en tenir nos patients responsables; c'est notre propre histoire. Dans les années 50 et jusqu'à la fin des années 60, on utilisait beaucoup la psychoanalyse et tout dépendait du milieu. C'était comme si le cerveau n'existait pas du tout. Si vous regardez les documents publiés à l'époque, tous ces désordres — la schizophrénie, l'autisme, la psychose maniacodépressive — étaient la faute de la mère. C'était toujours parce que la mère n'avait pas l'éducation voulue. Vous rappelez-vous de toutes ces tendances en éducation et des livres?

Le sénateur LeBreton: Oui, malheureusement.

Dr Maziade: Ça se voit encore jusqu'à un certain point en psychiatrie en France. Il y a quelques années, un journal français respecté a publié un article dans lequel on affirmait que l'autisme était un désordre causé par le manque de relation entre l'enfant et sa mère. Il y a donc encore quelques relents.

À l'époque, on accusait les gens. Je suis un psychiatre spécialisé dans l'enfance et l'adolescence et je l'ai fait moi- même comme résident au début des années 70. Je transmettais le diagnostic de cette maladie terrible aux parents et au lieu de les soutenir, comme je l'aurais fait si l'enfant avait eu une maladie cardiaque, je les accusais parce que je leur recommandais de faire de la psychothérapie pour aider leur enfant, parce qu'il manquait quelque chose dans leur relation avec cet enfant.

C'était terrible.

Le président: Tout cela il y a à peine 30 ans?

Dr Maziade: En effet. C'était la pratique en 1972.

Le président: On a l'impression d'être au XIXe siècle.

Dr Maziade: Comme l'ont dit le Dr Quirion et le Dr Mottron, cela explique pourquoi il y a eu une évolution considérable dans le domaine. Nous avons besoin de votre comité pour qu'il fasse connaître cette évolution en termes de recherche et de pratique. Les choses changent. Toutefois, mes collègues qui ont plus de 55 ans ont déjà connu les pratiques de psychiatrie dont j'ai parlé et beaucoup de gens croient toujours que cette pratique perdure. Non, car la pratique est aujourd'hui plus équilibrée.

Il existe toujours ce que j'appelle personnellement les pressions contre la médecine. Je suis moi-même de formation multidisciplinaire, mais il est très difficile au Canada et au Québec pour un médecin d'avoir une attitude pro-médicale. J'entends par là si un médecin affirme qu'à titre de médecin, il préconise des notions médicales, il risque de se voir accuser d'être unidisciplinaire. Les autres professionnels de la santé ont eu davantage de comportements discriminatoires à mon égard dans mon rôle de médecin que dans mon rôle de psychiatre.

[Français]

Dr Mottron: Je voudrais répondre au sujet des marques de discrimination à l'égard de la psychiatrie que j'observe dans ma pratique. La discrimination que je vois le plus ne vise pas directement la psychiatrie mais plutôt l'hôpital psychiatrique considéré comme une entité.

Je crois que les gouvernements, surtout au niveau provincial, ont eu une oreille trop tendre à l'égard de groupes de lobbying qui ont fait un tout avec l'hôpital en disant: il faut rejeter les hôpitaux. J'ai entendu des directeurs de groupes de lobbying dire à propos d'un hôpital: «Cet hôpital, on ne le transforme pas, on le détruit.»

C'était évidemment des positions staliniennes tout à fait dangereuses. On voit ce qui a été fait à l'Hôpital Douglas, un hôpital psychiatrique qui a son lot de poursuites comme tous les hôpitaux, et qui est maintenant un centre de recherche. C'est un hôpital, mais c'est aussi un centre de recherche.

La discrimination à l'égard des hôpitaux psychiatriques serait, à mon avis, beaucoup modifiée si on améliorait les hôpitaux d'une façon positive pour en faire des lieux qui peuvent servir de base à des centres de recherche.

À l'heure actuelle, et c'est malheureusement très vrai au Québec, il existe un mouvement qui dit de façon non discriminante: il faut sortir les patients des hôpitaux, un point c'est tout. Et souvent, on fait rentrer les patients par la porte de dernière, parce que quand on a des patients extrêmement violents et extrêmement difficiles qui ne sont pas à l'hôpital, ils seront placés dans des prisons hôpital.

De plus, on a un discours en faveur de l'intervention précoce qui dit: si on fait l'intervention précoce, on guérit ces patients, ce qui est faux. Un autre discours dit: si on applique des méthodes de réadaptation, la violence est supprimée, il n'y a pas besoin d'envoyer le patient à l'hôpital.

Je vous dirais que ce sont des demi-vérités. Il y a quelque chose de très intelligent et de très profond dans ces méthodes. Mais, malheureusement, ce n'est pas vrai à 100 p. 100 et on aura toujours besoin de lits d'hôpital et d'hospitalisation pour des patients extrêmement difficiles.

Au Québec, on a eu une situation extraordinaire où des groupes de parents ont milité, manu militari, d'une façon violente, pour la sortie des patients des hôpitaux. Et un autre groupe de parents, des parents qui sont dans les hôpitaux, milite avec un peu moins de véhémence — parce qu'ils sont moins nombreux —pour qu'on les laisse les patients dans les hôpitaux.

Il ne faut pas stigmatiser l'hôpital psychiatrique. Il faut aider à en supprimer les pratiques rétrogrades, et Dieu sait s'il y en avait. Il faut l'améliorer pour qu'il serve à la recherche, et pour ça il faut le garder.

Je suis très content de ce qui est fait au Douglas et aussi à l'Université de Montréal. Il faut que la recherche reste dans le milieu hospitalier, parce que le seul moyen de réformer un hôpital psychiatrique, c'est de l'intérieur. Si on fait sortir les gens qui y travaillent, il va rester comme il était.

[Traduction]

Le sénateur Cook: Je suis originaire de Terre-Neuve et j'ai écouté ce qui me semble être un défi très complexe dans ce domaine. Du point de vue des Terre-Neuviens, il me semble impératif de proposer un plan d'action national. Comment pourrions-nous faire sans plan de ce genre? Et je compare ici ce que vous dites à la façon dont on traite dans ma propre province les maladies mentales et le bien-être mental.

Il nous faut à la fois de la recherche ciblée et de la recherche intégrée, puisque, comme le disait le sénateur Robertson, c'est le médecin de famille qui est la porte d'entrée dans le système. Dans ma propre province, il faut attendre de 12 à 18 mois avant de voir un spécialiste. Entre-temps, les patients qui exigent des soins frappent sans cesse à la porte de leur médecin de famille qui leur donne des médicaments sur ordonnance pour les garder tranquilles. Selon l'endroit où vous habitez, vous pouvez parfois faire affaire à une infirmière praticienne ou peut-être à une ONG. Mais entre-temps, le patient doit attendre et gérer son problème, et c'est là où le bât blesse.

Il nous faut un plan d'action national, qui énonce les règles de l'art pour les provinces, puisque la santé est de compétence provinciale, même si les fonds sont fédéraux. Je serais heureux de se savoir si vous avez une autre solution à proposer.

Vous dites que vous manquez d'argent. C'est un problème éternel. Si nous gérons convenablement les fonds qui se trouvent à l'ICIS et au Conseil de recherches en science humaine, estimez-vous obtenir votre part? Peut-on agir sur ce front-là? Peut-on distribuer les fonds différemment pour que l'on puisse obtenir un plan d'action national qui intègre tous les éléments?

Monsieur le président, dans ma province, on appelait ceux qui souffrent de maladie mentale et de l'Alzheimer des simples d'esprit. Ceux qui souffraient d'épilepsie avaient leurs «crises». Ce sont des expressions lourdes de sens et je m'arrêterai là.

En ce qui concerne la stigmatisation, demandez-vous comment a réagi votre propre profession et ce que vous avez fait de la maladie. Vos traitements comprenaient l'incarcération, les traitements de choc et l'institutionnalisation. Aujourd'hui, nous sommes passés à l'autre extrême et essayons de faire le contraire. Ce n'est pas la faute aux gens si cette maladie est stigmatisée, et c'est votre profession qui doit en assumer la responsabilité.

Dr Quirion: Je pense que vous avez tout à fait raison.

Pour ce qui est du plan d'action, nous convenons tous que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer, tout comme dans les autres secteurs de la santé. La santé mentale et la maladie mentale sont de la plus haute importance, et le programme national devrait inclure la recherche de pointe.

Pour ce qui est d'avoir accès aux services dans les diverses provinces, je répète que je suis toujours optimiste. Je sais que c'est parfois difficile et que les listes d'attente sont longues. Les listes d'attente sont tout aussi longues à Montréal.

J'ai été très impressionné par ma visite de Terre-Neuve. J'ai visité aussi l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau- Brunswick. Si nous pouvions capturer l'énergie qui se dégage de ces provinces, ce serait fabuleux. Ce ne sera sans doute pas possible du jour au lendemain. Toutefois, nous devrions faire en sorte de pouvoir offrir à ces collectivités des téléservices de santé convenables. Il semble plus facile de convaincre les populations des petits villages de la nécessité d'aller en ce sens. Ce qu'on a fait au Nouveau-Brunswick pour aider à contrer le suicide, c'est fabuleux: tous les cas sont aujourd'hui renvoyés à Montréal. C'est ce qui a été décidé par l'Assemblée législative qui en a fait une politique pour la province.

Lorsque j'ai visité l'Île-du-Prince-Édouard dans le cadre d'une étude sur les démences comme celles qui surviennent avec l'Alzheimer, j'ai été surpris de voir à quel point dans tous ces petits villages tous les habitants mettaient la main à la pâte pour aider à déstigmatiser la maladie et pour offrir de meilleurs services tels que les maisons de transition, notamment. La ruralité présente un défi en soi. Les IRSC ont aujourd'hui une stratégie de recherche qui s'intéresse à la santé dans les régions rurales, ce qui est un pas dans la bonne direction.

Bien sûr, j'aurais toujours besoin d'avoir plus de subventions de recherche. Nous n'en avons jamais assez. Et ce n'est pas tant qu'il nous faut plus d'argent, mais il faudrait plutôt faire les choses différemment pour pouvoir intégrer au tableau tous les éléments. C'est ce que nous essayons de promouvoir à notre institut. Si nous pouvions collaborer là- dessus, nous pourrions avoir de bien meilleurs résultats en bout de piste.

Le sénateur Cordy: J'ai beaucoup appris ce matin à vous écouter tous. J'ai bien aimé la distinction que vous avez faite entre la santé mentale et la maladie mentale. J'ai aussi trouvé vos propos fort intéressants lorsque vous avez dit qu'aux yeux de la population, certaines maladies telles que la maladie mentale infantile, l'autisme et le syndrome de l'alcoolisme foetal, sont considérées comme étant des maladies d'enfance, alors que ce n'est nullement le cas: les enfants peuvent bien en souffrir au cours de leur enfance, mais ils finissent par grandir.

Je voudrais revenir à ce que disait le sénateur LeBreton au sujet de la neuroéthique. Votre définition s'applique-t-elle lorsqu'il s'agit de faire la part entre les droits du patient, d'une part, et ce que la profession médicale juge être l'intérêt du patient? Vous avez dit plus tôt que les schizophrènes constituent collectivement un des groupes de malades qui prend le moins ses médicaments d'ordonnance. Vous avez également mentionné certains groupes de pression pour qui les patients ne devraient pas être hospitalisés, contrairement à ce que demandent les familles.

La conciliation des intérêts des deux parties, est-ce cela la neuroéthique?

Dr Quirion: Oui, c'est bien cela. Phil Upshall est un des représentants profanes qui siègent au conseil. Il est actuellement à Montréal, parce qu'il siège à un groupe de travail qui se penche sur le recours au placebo pour traiter les maladies mentales et les questions de protection de la vie privée. Pour M. Upshall, il est primordial que le patient soit présent à toutes les étapes de la prise de décision. Il ne convient pas qu'un psychiatre décide pour le patient ce qu'il doit suivre ou non comme traitement; le patient doit avoir voix au chapitre. M. Upshall pourrait vous en dire plus long sur la neuroéthique.

Le sénateur Morin: Je crois que le sénateur Cordy avait en tête un cas qui est actuellement à l'étude à la Cour suprême du Canada et qui concerne les droits du patient. Dans l'affaire en question, un patient refuse d'être traité même si son médecin et toute sa famille — y compris sa propre mère — sont d'avis qu'il devrait l'être. Je suis sûr que c'est une question de la plus haute importance pour votre profession.

Dr Maziade: Il s'agit d'un cas extrême, comme il y en aura toujours. Mais en termes de déontologie, il existe une nouvelle profession qui voit le jour au Canada et dans d'autres pays. Les universités sont même en train de préparer un nouveau programme. La véritable bioéthique consiste souvent à équilibrer les risques de la recherche et les avantages. Nous ne pouvons pas uniquement nous permettre d'énumérer les risques, car cela entraînerait une diminution de la recherche, plutôt qu'une augmentation, et c'est pourquoi il faut néanmoins continuer à superviser convenablement la recherche.

C'est un aspect qu'il faut tirer au clair. La recherche est empreinte d'incertitude et elle est incompatible avec le statu quo. Et qui dit incertitude dit risques. Le but de la véritable recherche en bioéthique est de concilier les risques et les avantages pour chaque patient psychiatrique.

Je voudrais également vous rappeler que s'il y a pénurie de psychiatres dans plusieurs provinces, ce n'est pas tant que les jeunes médecins choisissent de ne pas étudier la psychiatrie. C'est que les politiques gouvernementales visent à limiter le nombre de spécialistes en psychiatrie.

En dernier lieu, j'aimerais reprendre à mon compte ce que disait plus tôt le Dr Mottron. Dans plusieurs provinces, et pour des raisons déjà mentionnées, très fortes pressions sont exercées par d'autres professionnels et des groupes de parents pour empêcher les instituts de psychiatrie d'agir. Dans la plupart des villes universitaires d'Amérique du Nord, les instituts de neuropsychiatrie mettent au point d'excellents traitements novateurs et approfondissent leurs recherches. Au Canada, il nous faut garder des instituts de neuropsychiatrie forts et modernes pour qu'ils favorisent la recherche et les traitements novateurs. Nos instituts doivent mettre l'accent sur l'ouverture et le réseautage avec les collectivités plutôt que de consacrer leurs énergies à combattre ceux qui veulent les détruire.

Le sénateur Cordy: Docteur Mottron, vous avez parlé de l'entrée des enfants autistiques dans le système scolaire. Depuis le début des années 80 en Nouvelle-Écosse, on a assisté à un mouvement en vue d'intégrer les jeunes autistes dans les salles de classe régulières, qui comptent une trentaine d'enfants. J'aimerais quelques précisions. Pensez-vous que ces enfants devraient être intégrés dans de grandes classes comme celles-là?

[Français]

Dr Mottron: Dans le Handbook of Autism and Developemental Disorders qui est consensuel autant qu'on puisse l'être en sciences sur ces questions, l'article sur l'intégration est pour le moins très tiède et très modéré.

Beaucoup d'autistes adultes disent que le pire moment de leur vie a été lié aux persécutions par les autres enfants dans le cadre des écoles régulières. L'intégration peut, elle aussi, être vue sous deux aspects: d'abord, un aspect de rectitude politique dans lequel on donne à une personne le même droit qu'aux autres — il est évidemment souhaitable d'aller dans ce sens — et ensuite, l'aspect pratique de la réalisation de cette bonne idée. C'est ce qui se passe lorsqu'on met quelqu'un qui a un problème profond neurogénétique de compréhension des mécanismes sociaux et que vous le jetez au milieu de l'arène aux lions, c'est-à-dire des adolescents normaux de treize ans qui cherchent une proie à victimiser. L'intégration peut avoir des résultats exactement opposés à ceux qu'on souhaitait obtenir.

Pour des enfants très jeunes, les groupes de lobbying sont tout à fait justifiés de demander, dans une classe ou dans un groupe, un intervenant pour chaque enfant ou un intervenant pour deux enfants. C'est l'avis final contenu dans le rapport produit par le Comité dont je parlais tout à l'heure: un intervenant pour deux personnes. Ce n'est pas exactement une école régulière.

On ne peut pas mettre ces enfants en école régulière et avoir un intervenant pour deux enfants. On voit au Québec des enfants qui sont intégrés dans une école régulière et ils ont à côté d'eux un intervenant à temps plein. Cela ne fait pas beaucoup de sens.

Je crois qu'ici, je rejoins vraiment ce qu'a dit le Dr Maziade: commençons avec les maladies, c'est-à-dire essayons de bien discerner et d'appliquer de façon intelligente les grandes questions politiques et d'égalité antidiscriminatives, et cetera, et aussi les questions très techniques reliées à une maladie particulière.

Les personnes autistes n'utilisent pas la partie du cerveau que nous utilisons pour reconnaître les visages et les émotions. Vous pouvez les intégrer aussi longtemps que vous voudrez dans une école régulière, ils en retireront aucun avantage. Ils ont besoin de soins spécialisés.

On peut bien garder les grands principes intégrateurs, par exemple, l'accès au travail, l'accès à des logements, tout en épargnant l'intégration à ces gens-là.

L'aberration actuelle vient du fait que la plupart des groupes de lobbying ont insisté pour l'intégration précoce, qui consiste à mettre un enfant dans une école régulière. Ceci fait que tous les crédits passent à l'intervention précoce et qu'en termes de logement et d'aide au travail, il n'y a pratiquement plus d'argent pour aider les adultes qui sont profondément atteints d'autisme.

Je connais un autiste qui est en train de refaire le site Web d'un ex-ministre du gouvernement québécois. Ce gars-là fait un travail aussi beau que quelqu'un qui n'aurait pas ce handicap. Il a fallu que nous organisions cela nous-mêmes. Il n'y avait aucune aide pour cet individu.

Tout cela pour dire que l'intégration comme telle doit devenir un aspect technique. Il faut d'abord prendre en considération les contraintes liées à la maladie et intégrer de façon intelligente les contraintes idéologiques. Mais qu'on ne fasse pas bêtement, comme cela a été fait, une espèce d'immersion non réfléchie.

[Traduction]

Le sénateur Cordy: Ce n'est pas parce qu'ils se trouvent physiquement dans une salle de classe qu'ils sont véritablement intégrés.

[Français]

Dr Mottron: Bien entendu, non, c'est factice.

[Traduction]

Le président: Sachez que le sénateur Cordy a enseigné pendant de nombreuses années à l'école primaire, et qu'elle a donc beaucoup d'expérience avec ce problème.

Merci à tous nos témoins d'avoir comparu. Je sais que nous avons débordé du temps alloué, mais vos commentaires nous semblaient très utiles et nous vous remercions d'avoir pris le temps de nous les communiquer.

Nous accueillons maintenant de l'Université de Montréal, le Dr Richard Tremblay, qui est titulaire de la chaire de recherche du Canada sur le développement de l'enfant, professeur de pédiatrie, de psychologie et de psychiatrie et directeur du Centre d'excellence pour le développement des jeunes enfants. C'est bien le plus long titre que j'aie jamais eu à annoncer.

Merci beaucoup de vous joindre à nous, professeur Tremblay.

[Français]

Le docteur Richard Tremblay, titulaire, chaire de recherche du Canada sur le développement de l'enfant, professeur de pédiatrie, psychiatrie et psychologie, directeur du Centre d'excellence pour le développement des jeunes enfants, Université de Montréal: D'abord, j'aimerais vous remercier de l'invitation à cette rencontre. Je fais de la recherche sur le développement des enfants. J'ai commencé ma carrière comme chercheur et clinicien auprès des adultes dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons.

J'ai réalisé comment il était difficile d'avoir un impact important sur le développement des adultes. J'ai donc décidé, après quelques années, d'aller travailler avec des adolescents et, particulièrement, des adolescents délinquants, pour tenter de prévenir le fait que la majorité de ces adolescents délinquants se retrouvent soit en prison soit dans des services de psychiatrie.

Après avoir travaillé quelques années auprès des délinquants, je me suis rendu compte de l'effet minime de nos interventions. J'ai décidé de travailler avec des enfants de maternelle en me disant qu'il faut bien commencer au début si on veut avoir des effets préventifs.

Après avoir travaillé un bon nombre d'années avec des enfants de maternelle, je travaille maintenant avec des femmes enceintes. En travaillant avec des adultes qui attendent un bébé, je me rends compte qu'un certain nombre de ces adultes ressemble beaucoup aux adultes avec lesquels je travaillais dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons.

Je suis donc revenu au point de départ. Il semble bien que si l'on veut prévenir le développement des problèmes de santé mentale, il faut commencer tôt, mais il faut avoir plusieurs cibles, autant les enfants que leurs parents.

Je fais des études longitudinales depuis plus de vingt ans. Nous suivons des individus à partir de la grossesse jusqu'à l'âge adulte et nous essayons de comprendre le développement des problèmes de santé mentale tout en faisant des interventions, pour voir dans quelles mesures des interventions très tôt dans la vie peuvent prévenir le développement des problèmes de santé mentale.

Je me suis spécialisé dans les problèmes de violence. On parle beaucoup de violence dans la société: violence des adultes et des adolescents, mais on oublie souvent — et c'est ce que nos travaux nous ont amené à réaliser — que les problèmes de violence, particulièrement de violence physique, commencent très tôt dans la vie.

C'est à l'âge de 24 mois que les humains sont le plus fréquemment violents. C'est à 24 mois qu'on utilise le plus souvent l'agression physique. Il semble que nous n'apprenons pas à devenir agressif, nous apprenons à ne pas devenir agressif.

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau disait: «L'enfant naît bon et la société le rend mauvais», mais il semble bien que l'inverse est vrai. L'enfant naît avec toutes ses pulsions que l'on finit par juger antisociales, et la société apprend aux enfants à contrôler leurs actes, qui sont des actes utiles, à certains moments, mais qui sont souvent nuisibles dans les relations sociales.

M. Henri Dorvil, professeur, École de travail social, Université du Québec à Montréal: Merci beaucoup de l'invitation. Cela fait 38 ans que je suis au Québec. Je suis arrivé au Québec à l'époque de la révolution tranquille et aussi de la révolution en psychiatrie.

À cette époque-là, le rapport Bédard venait de paraître. Ce rapport avait un parti pris pour la désinstitutionnalisation, pour la psychiatrie communautaire, autrement dit pour l'intégration sociale des patients psychiatriques. Ils nous ont demandé de préparer l'arrivée des patients psychiatriques dans la communauté. Je n'avais même pas étudié le service social, j'étais un travailleur social non diplômé, donc je faisais mes premières armes dans ce domaine.

On a commencé par rencontrer les curés, les notables de la communauté pour dire que le patient psychiatrique n'est pas une personne dangereuse, du moins pas plus dangereuse que les autres, et qu'il fallait donc lui laisser sa chance.

On ne pouvait pas faire sortir les patients de l'hôpital psychiatrique et les intégrer dans la communauté sans qu'ils aient acquis des habilités sociales. C'est à ce moment-là que les travailleurs sociaux, les psycho-éducateurs, ont commencé à apprendre des habilités aux patients psychiatriques pour qu'ils puissent fonctionner dans la société.

Par la suite, j'ai terminé mon cours de travailleur social. J'ai travaillé une dizaine d'années et je suis ensuite retourné à l'université faire un doctorat en sociologie, mais toujours avec la même obsession concernant les attitudes de la population à l'égard des patients psychiatriques.

On appelle les travailleurs sociaux qui travaillent dans le milieu hospitalier des «placeux», c'est-à-dire des agents qui placent les patients psychiatriques dans la communauté.

Il est donc tout à fait naturel que mon aire de recherche, actuellement, c'est le logement comme facteur d'intégration sociale pour les personnes qui sont classées comme ayant une maladie mentale.

Que fait-on dans ce domaine? Le patient psychiatrique a un diagnostic. Et selon les données de la littérature scientifique, le patient psychiatrique passe par plusieurs phases dans son rétablissement, dans sa guérison.

En accord avec ce que la littérature scientifique nous dit, nous croyons que certains types de logement, certains types d'hébergement conviennent mieux à la première phase, je dirais, du rétablissement du patient psychiatrique.

Au cours de cette première phase du rétablissement, le patient psychiatrique est plongé dans une certaine léthargie. Le patient psychiatrique se demande ce qu'il lui arrive. Nous croyons, d'après les études que nous avons faites, qu'à ce stade-là, le patient psychiatrique serait mieux servi dans ce qu'on appelle une résidence d'accueil ou un foyer de groupe, par exemple.

Après un certain temps, le patient psychiatrique commence à reprendre ses forces, il commence à se connecter avec les forces saines de sa personnalité, et le reste. À ce moment, il peut aller plus loin, il peut aller vivre dans un appartement supervisé, par exemple, parce qu'il a quand même fait du chemin.

Dans la troisième phase du rétablissement, le patient psychiatrique commence à se sentir plus solide. Il commence à penser qualité de vie. Il a appris plusieurs habilités sociales dans les phases précédentes, dans les expériences d'hébergement et de logement qu'il a eues. Quand il commence à parler de qualité de vie, le patient peut penser à ce qu'on appelle une habitation autonome.

En psychiatrie et dans le service de santé mentale, il y a beaucoup de courants idéologiques. Certains courants idéologiques prônent même que la maladie mentale serait une idéologie et que le patient, dès sa sortie d'hôpital, peut aller dans une habitation autonome. C'est une situation extrême.

D'autres disent qu'il n'est pas question qu'un patient psychiatrique aille un peu plus loin dans la société. Il faut qu'il reste dans ce qu'on appelle le «modèle de gardiennage». Il ne peut pas aller plus loin, il ne peut pas se réhabiliter. Ce sont donc deux pôles opposés.

Après avoir fait trois ou quatre études sur l'hébergement/logement comme facteur de réintégration sociale et après avoir fait ce qu'on appelle une typologie, une classification, du modèle de gardiennage, du logement avec support professionnel, du support de l'hôpital psychiatrique et ensuite de l'habitation autonome, des maisons de chambre, et le reste, nous nous sommes rendus compte qu'il n'y a pas d'habitat parfait. Par exemple, il existe des résidences d'accueil, des foyers de groupe qui apportent la sécurité mais pas d'autonomie.

À l'autre l'extrême, l'habitation autonome donne beaucoup de liberté et d'autonomie. Et certains patients psychiatriques se demandent ce qu'ils vont faire de cette autonomie. Souvent, le patient psychiatrique se sent isolé alors que lorsqu'il était en résidence d'accueil, il était entouré.

En dernier lieu, je dirais que nous étudions les préjugés de la société qui entourent l'accès au logement. Quand des personnes handicapées physiquement ou des personnes de minorités ethniques veulent avoir un logement, ils peuvent buter sur certaines résistances dans la société, des obstacles. C'est la même chose pour le patient psychiatrique. Parfois, il est qualifié pour prendre possession d'un logement dans un immeuble et assez souvent à cause de son diagnostic psychiatrique qui le poursuit durant toute sa vie, il a de la difficulté à être considéré comme un citoyen, comme n'importe quel citoyen du Québec ou du Canada.

C'est donc ce que nous examinons actuellement, parce que les patients psychiatriques sont comme emprisonnés dans ce qu'on appelle les hébergements/logements mis sur pied par le réseau de la santé. Nous voulons sortir de ce réseau de la santé.

Nous voulons travailler avec la Société d'habitation du Québec, nous voulons travailler avec la Société canadienne d'hypothèque et de logement. On dit que les patients psychiatriques sont des citoyens, eh! bien il faut prendre cela au mot. Le logement de qualité rend heureux les gens que l'on dit normaux. À plus forte raison, c'est d'une importance capitale pour les personnes dont la santé mise en péril par des troubles mentaux.

M. Michel Tousignant, professeur et chercheur, Centre de recherche et intervention sur le suicide et l'euthanasie: Ce témoin n'était pas à la liste. J'ai traduit son titre qui est donné par le Président en anglais, mais l'organisme n'est pas mentionné. Ça doit donc être vérifié dans les documents que vous possédez. Merci! Monique Merci de m'accueillir à votre Comité ce matin. Je me présente brièvement. Je fais des recherches surtout en sciences sociales. J'ai une formation en psychologie et en antropologie et je fais des recherches principalement sur l'histoire de vie depuis le foetus jusqu'au décès des gens qui sont décédés par suicide. Je travaille surtout avec des adultes mais je collabore aussi à des projets qui touchent des adolescents et même des personnes âgées.

Ma présentation portera surtout sur les difficultés au quotidien auxquelles ont à faire face les chercheurs dans le domaine des sciences sociales et de la santé mentale. Je vais aborder quelques-uns des thèmes proposés dans la lettre que m'a envoyée M. Charbonneau en fin de semaine. Mon premier point se situe au niveau du financement et de l'équilibre entre les divers secteurs de la recherche.

Au Canada, il s'est produit une nette amélioration depuis trois ans suite à la fondation des Instituts de recherche en santé du Canada et du financement de la recherche, particulièrement concernant la santé mentale. Cependant, il y a encore beaucoup d'améliorations à apporter dans le domaine de la recherche et surtout dans le domaine des recherches santé mentale et des sciences sociales.

Tout d'abord, que ce soit au niveau des fonds publics gouvernementaux, du programme des chaires universitaire ou des fonds des fondations privées en santé, la santé mentale n'est souvent pas suffisamment financée par rapport aux coûts et au poids de ce type de maladies dans la société.

En ce qui concerne le suicide, qui est la principale cause de mortalité chez les hommes de moins de 40 ans au Canada, c'est un domaine qui est manque de financement comparativement à d'autres causes de mortalité comme les maladies coronariennes ou le cancer.

Les tentatives de suicide représentent également un coût très lourd au niveau des soins hospitaliers. Il y a 500 000 cas hospitalisés aux États-Unis et il doit y en avoir 50 000 au Canada. Ceci représente 10 000 $ par personne.

Or, il y a actuellement une poignée de chercheurs et chercheuses dans ce domaine au Canada. Ils sont principalement concentrés au Québec, heureusement. Il y en a peut-être une cinquantaine en tout et partout. Il y a énormément de recherches à faire concernant certains problèmes de santé mentale.

En ce qui a trait aux recherches en santé mentale, une grande part des budgets est affectée à la psychopharmacologie, aux facteurs génétiques et aux neurotransmetteurs, qui sont des facteurs importants dans l'étiologie et la guérison. En même temps, on voit un sous-financement de l'étude des aspects sociaux qui sont tout aussi importants et peut-être davantage dans beaucoup de troubles psychiques.

La fascination de notre société pour la technologie et l'aura du monde médical, les solutions rapides et peu coûteuses en termes d'efforts humains, l'occultation des facteurs sociaux et politiques dans nombre de problèmes qui ont augmenté très rapidement au cours des dernières décennies, tous ces facteurs relèguent au second rang la place des sciences sociales dans les recherches sur des troubles mentaux.

Pour ne donner qu'un exemple, on investit des sommes énormes pour la recherche de nouveaux médicaments psychotropes, ce qui est très bien, mais on étudie peu les facteurs personnels et sociaux dans la prise du médicament.

Qu'est-ce qui fait qu'en fin de compte un patient va prendre ou non son médicament? D'ailleurs, c'est un problème qui a été soulevé par le Dr Rémi Quirion à la fin de la dernière séance.

On peut avoir un médicament très efficace, mais si les patients ne le prennent pas ou si les médecins ne donnent pas des posologies qui sont indiquées, où sera l'efficacité en fin de compte?

Mon deuxième sujet sera le domaine des communications et de l'application des résultats. On sait que la dernière étape d'un projet de recherche est celle de la communication des résultats, non seulement dans les revues scientifiques mais également auprès du grand public.

Or, cette étape est souvent esquivée pour plusieurs raisons. La vulgarisation des résultats n'est pas sanctionnée par les universités, les organismes de recherche. Elle tient une part négligeable dans le curriculum vitae.

Il devrait y avoir, dans les budgets de recherche, une part réservée à la vulgarisation scientifique. D'autre part, les chercheurs sont peu formés à la diffusion de leurs résultats auprès du grand public.

Bien que ce soit un nouvel objectif des instituts de santé, il reste qu'il faudra former des gens pour concrétiser ces objectifs. Il y a donc besoin de créer des infrastructures en relation publique pour soutenir les efforts des chercheurs.

Nous avons peut-être aussi besoin d'encourager des modèles de carrière académique davantage orientée vers l'utilisation et la communication des résultats plutôt que vers la production de résultats originaux. De même, certains programmes de recherche devraient avoir une mission exclusive de communication.

Enfin, mon troisième point est celui de l'éthique, qui est devenue une question extrêmement importante en recherche médicale suite aux abus qui ont été faits auprès de certaines populations.

On impose cependant des restrictions parfois très lourdes et des embûches de taille qui nuisent à la validité et la qualité des recherches, tout en grevant les responsables de recherche d'un temps significatif. C'est devenu une grosse structure bureaucratique, à tort ou à raison, qui sert davantage bien souvent plus à protéger d'abord les institutions universitaires et hospitalières contre des poursuites éventuelles plutôt que les patients eux-mêmes.

Le chercheur doit maintenant passer de plus en plus de temps, parfois des mois, et même jusqu'à une année pour satisfaire à tous les critères avant de commencer un projet de recherche. Il y a d'abord des comités d'éthiques universitaires, ensuite ceux des centres de recherche affiliés aux hôpitaux, puis chacun des hôpitaux en particulier. Enfin, il peut y avoir un autre protocole à remettre à la Commission d'accès à l'information pour obtenir des listes de personnes. Les délais dans ce dernier cas pourraient être entre trois mois et un an. Ceci représente une bureaucratie extrêmement lourde pour les chercheurs.

Avec les années, j'ai trouvé que les démarches se font de plus en plus onéreuses et les résultats de plus en plus restreints. Par exemple, pour avoir accès aux familles de personnes qui ont perdu un membre à cause du suicide, on ne peut plus aller directement dans ces familles. Il faut envoyer une lettre par le biais du coroner en chef du Québec. Si les familles répondent à cette lettre, on pourra faire la recherche. Ce qui fait qu'on a souvent de 30 p. 100, 40 p. 100 de réponses, ce qui rend problématique ou invalide, jusqu'à un certain point, la représentativité de ces populations.

On a fait une recherche avec Eric Latimer pour avoir la liste d'accès aux gens qui sont sur l'aide sociale. Ces listes nous ont été refusées par un Comité d'éthique des hôpitaux. Mais il est impossible de faire de la recherche sur la pauvreté si on n'a pas accès à ces listes. Il faudra donc repenser toutes ces questions dans une optique non seulement de protection des institutions mais aussi de bien-être général des populations affectées par des problèmes de santé mentale afin de voir ce qu'il faut faire.

Les comités d'éthique sont devenus des chiens de garde pour protéger les intérêts de chacun. On alloue très peu de temps à la consultation auprès des chercheurs. Souvent, c'est en cours de recherche que surviennent des problèmes d'éthique très complexes et c'est à ce moment-là que les gens qui s'occupent de l'éthique devraient venir aider les chercheurs dans leurs problèmes quotidiens.

[Traduction]

Le président: Merci.

Nous accueillons maintenant en quatrième lieu M. Eric Latimer, économiste de la santé à l'Hôpital Douglas.

M. Eric Latimer, économiste de la santé, Hôpital Douglas: L'Hôpital Douglas est un hôpital psychiatrique pour les patients qui parlent plus aisément l'anglais et qui ont besoin de soins de longue durée. C'est également l'établissement qui fournit des services psychiatriques à une partie de la ville de Montréal qui inclut Saint-Henri, Verdun, Lasalle et Lachine, c'est-à-dire qui s'adresse à quelque 260 000 personnes.

Le président: L'Institut Verdun que je connaissais a-t-il été fermé?

M. Latimer: L'Hôpital Verdun qui a été fondé au XIXe siècle existe encore. On lui a bien ajouté quelques annexes, mais il compte moins de lits.

Le président: Est-ce toujours un établissement psychiatrique?

M. Latimer: C'est toujours, en effet, un établissement psychiatrique.

Le président: Pardon de vous avoir interrompu, mais c'était pour ma propre gouverne.

M. Latimer: Je vous en prie.

Merci de me donner l'occasion de comparaître ce matin. Je suis particulièrement ravi de constater que dans la foulée de votre rapport sur une réforme générale de la santé, votre sous-comité se penche maintenant sur la question plus particulière de la santé mentale et de la maladie mentale. Comme on vous l'a sans doute déjà dit, le secteur de la santé mentale et de la maladie mentale est perçu par les spécialistes comme l'orphelin de la recherche en santé.

J'ai eu grand plaisir à entendre mon collègue Michel Tousignant répondre aux questions qui lui ont été posées et je souscris sans réserve à ce qu'il a dit.

Le comité voudra peut-être savoir un peu plus qui je suis. J'ai un doctorat en économie et je me suis spécialisé dans l'économie de la santé mentale, ce qui est rare. Je suis le directeur des services, des politiques et du programme de la recherche en santé de la population au Centre de recherche de l'Hôpital Douglas, centre de recherche dont le Dr Quirion est le directeur scientifique.

Ma recherche a porté principalement sur le secteur des services offerts aux adultes souffrant de graves maladies mentales. J'ai également pris une part active à des activités de diffusion traitant d'une pratique fondée sur les résultats appelée ACT, ou traitements intensifs dans la collectivité, à titre de rédacteur, d'organisateur et d'orateur dans des conférences provinciales.

Mesdames et messieurs, votre dernier rapport sur la réforme des soins de santé insistait sur le fait que le gouvernement fédéral devait réaffirmer son engagement à l'égard de la recherche en santé en général — un engagement qui irait bien au-delà des augmentations substantielles déjà accordées depuis la création des IRSC. D'une façon plus particulière, votre rapport recommandait également que le gouvernement fédéral s'engage plus à fond dans une évaluation de la technologie de la santé et dans une évaluation de rendement du système de soins de santé. À mon avis, si ces conclusions valent pour la santé et pour le système de santé en général, elles valent tout autant — et peut-être encore plus — pour la recherche en santé mentale.

La maladie mentale impose des fardeaux à plusieurs niveaux. Songeons d'abord au stigmate associé à la maladie et à cause duquel on l'a passée sous silence; ensuite, songeons à l'efficacité de nombre de traitements existants mais sous- utilisés destinés aux maladies mentales communes; et notons enfin la nécessité de trouver des traitements plus efficaces dans le cas de maladies dévastatrices telle que la schizophrénie et la maladie d'Alzheimer. Tous ont été bien documentés et je ne reprendrai pas ce qui a déjà été dit. Tous ces facteurs combinés exigent que l'on investisse plus dans les services biomédicaux, cliniques, et de santé ainsi que dans la recherche en santé de la population, et que l'on investisse aussi plus à fond dans des activités de transfert des connaissances.

J'aimerais m'attarder enfin sur les services de santé et, dans une moindre mesure, sur la recherche en santé de la population, domaine que je connais relativement bien. J'aimerais également faire porter mes commentaires sur les services destinés aux malades mentaux graves — qui représentent quelque 2 à 3 p. 100 de la population et qui sont ceux parmi les plus handicapés. Il arrive souvent également que cette population soit celle qui consomme le plus de services. C'est dans ce secteur que résident mes compétences.

Bien connaître les services destinés aux malades mentaux gravement atteints, c'est savoir une chose: au cours des deux dernière décennies, des études expérimentales menées principalement aux États-Unis ont révélé qu'il existe une demi-douzaine de modèles et de visions organisationnels de prestation qui sont beaucoup plus efficaces que les visions traditionnelles pour aider les gens souffrant de troubles mentaux graves à s'intégrer avec succès dans la collectivité. Ces modèles et visions incluent le traitement intensif dans la collectivité, le soutien en milieu de travail, le traitement intégré de la maladie mentale et des troubles dus à la toxicomanie, la psychoéducation familiale, l'intervention précoce en cas de psychose, pour ne nommer que ceux-là.

Ces modèles sont malheureusement rarement utilisés, ce qui est regrettable, non seulement parce que cela implique qu'on ne traite pas comme il le faudrait ceux qui souffrent de graves maladies mentales, mais aussi parce que cela implique que les ressources sont dilapidées sur des services coûteux mais inefficaces tels que des hospitalisations inutiles ou inutilement longues, toute une gamme de services de réadaptation à l'hôpital et des programmes de désintoxication avec hospitalisation.

Il faut que nos investissements soient plus rentables.

Dans un même temps, et d'une façon générale, la recherche en services de santé, et particulièrement la recherche en services de santé mentale, tend à être contextualisée. Voilà pourquoi elle diffère de la recherche biomédicale et clinique.

Prenons le cas du soutien en milieu de travail. Le taux de chômage chez ceux qui souffrent de graves maladies mentales est traditionnellement de l'ordre de 75 à 90 p. 100. Toutefois, lorsque l'on sonde ces individus, on constate que la plupart d'entre eux aimeraient travailler et seraient d'accord pour travailler dans des milieux normaux où ils feraient face à la concurrence. Traditionnellement, on leur a toujours proposé des méthodes de transition destinées à les mener jusqu'au point où ils peuvent entrer sur le marché du travail. Toutefois, ce qui arrive couramment, c'est que ces individus finissent par rester indéfiniment dans ces milieux protégés, où ils sont délibérément maintenus s'il est accepté au départ qu'ils n'auront jamais la capacité voulue pour travailler dans un milieu traditionnel.

Au cours des années 80, une méthode appelée «soutien en milieu de travail» s'est développée dans le secteur du traitement des déficiences développementales. En gros, on a remplacé le paradigme «former, puis placer» par le paradigme «placer, puis former».

Au cours des années qui ont suivi, les chercheurs en services de santé qui oeuvraient dans les services de santé mentale se sont penchés sur la question pour déterminer si cette vision pouvait être adaptée à ceux qui souffraient de graves troubles mentaux. Il en est ressorti un modèle appelé modèle IPS, soit placement et soutien individuels. On parle aujourd'hui plus communément de l'emploi assisté fondé sur les résultats. En gros, cette méthode implique d'aider celui qui souffre d'une grave maladie mentale à cibler le type de travail qui lui plairait et qu'il est en mesure d'accomplir, de l'aider à trouver cet emploi et de le soutenir en milieu de travail une fois l'emploi acquis.

Je peux vous donner un exemple précis, puisque nous sommes à l'heure actuelle en train d'étudier l'un des premiers programmes d'emploi assisté fondé sur des preuves au Canada ici même à l'Hôpital Douglas. Il y avait une femme qui voulait travailler comme surveillante à l'heure du déjeuner dans des écoles élémentaires. Elle voulait travailler dans son quartier de Verdun. Son spécialiste en emploi — un employé de l'Hôpital Douglas — l'a aidée à trouver un tel emploi en allant frapper à la porte de différentes écoles élémentaires de Verdun. Il a fini par en trouver une qui était prête à lui donner une chance et tout va très bien. Elle n'aurait pas pu trouver cet emploi elle-même.

Il y a eu un certain nombre d'études expérimentales aux États-Unis qui ont indiqué qu'il s'agit d'une approche efficace. Nous avons voulu déterminer si elle était tout aussi efficace chez nous. Nous avons constaté que l'efficacité du modèle semble quelque peu réduite en raison d'un certain nombre de différences institutionnelles entre notre établissement et ceux qui se trouvent aux États-Unis. Les incitations à travailler ne sont pas aussi grandes et il y a chez nous un certain nombre d'autres possibilités d'emploi pour les personnes atteintes de maladies mentales qui n'existent pas aux États-Unis. Il y a un certain nombre d'autres facteurs. Toutes ces différences soulèvent des questions auxquelles nous devons répondre afin d'optimiser ce genre de programme dans nos établissements.

Ces observations nous mènent à conclure qu'il nous faut plus de chercheurs dans le domaine des services de santé. Plus il y aura de chercheurs dans ce domaine, plus il sera facile de transférer des connaissances et de mener davantage de recherches sur les adaptations et les améliorations locales. En outre, ils stimulent le développement d'une culture de l'innovation, de l'amélioration constante de la qualité.

Je vous prie de remarquer que j'ai dit «plus de chercheurs dans le domaine des services de santé et non pas «plus d'argent pour la recherche dans le domaine des services de santé». Dans notre collectivité, on croit en général que ce dont nous avons le plus besoin maintenant c'est une plus grande capacité, et non pas nécessairement de plus grosses subventions. Les personnes qui mènent à l'heure actuelle des recherches dans le domaine des services de santé mentale sont très occupées.

Dans quelle mesure devons-nous accroître la capacité? C'est très difficile de le dire. Nous n'avons pas les données qu'il nous faudrait pour pouvoir répondre à cette question. Toutefois, d'après les observations que j'ai pu faire au sujet des possibilités de recherche évaluative utile et du nombre de chercheurs qui en font, je pense qu'il faudrait à tout le moins doubler notre capacité. Il y a déjà certaines initiatives en cours, que je ne vous énumérerai pas faute de temps, mais il serait bon qu'il y en ait encore davantage.

En même temps, il faudrait rendre le secteur des services de santé plus réceptif à l'innovation. Cela exige rien de moins qu'un changement culturel. Certains hôpitaux, comme l'Hôpital Douglas, font des efforts, par exemple en organisant des réunions mensuelles entre les cliniciens et les chercheurs. Cependant, de tels hôpitaux sont l'exception.

Enfin, en ce qui concerne l'éthique, je suis entièrement d'accord avec les opinions que vous avez exprimées dans votre dernier rapport sur la santé. Je tiens à vous confirmer que d'après mon expérience personnelle les normes établies par les comités d'éthique de la recherche des différents hôpitaux universitaires sont loin d'être uniformes et mériteraient une certaine surveillance. Or, je pense qu'il serait utile d'avoir un processus centralisé afin d'éclaircir davantage les normes d'éthique qui s'appliqueraient à un grand nombre de situations différentes. Dans la pratique, les lignes directrices des Trois conseils permettent trop d'interprétations différentes. C'est un obstacle à la recherche.

Outre les points que vient de soulever mon collègue, j'ai constaté que les comités de l'éthique passent énormément de temps à délibérer au sujet des protocoles et qu'ils pourraient être indûment influencés par certaines personnes, si j'en juge par la diversité des décisions qu'ils rendent sur la même question d'éthique. Les chercheurs passent parfois beaucoup trop de temps à essayer de faire approuver leurs protocoles par de multiples établissements. J'ai souvent eu l'impression que les comités de l'éthique accordent énormément d'attention à certains points qui semblent relativement mineurs alors que les décisions qui touchent aux soins des patients et qui sont d'une grande importance sur le plan de l'éthique et qui sont prises par des administrateurs cliniciens ou des décideurs ne font pas l'objet d'un examen aussi approfondi.

Le président: Conclusion très stimulante. Je suis sûr que nous y reviendrons.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Tousignant, deux points m'ont frappée dans votre exposé. Le premier concerne la sensibilisation du public et l'affectation des crédits et l'autre l'accès aux données.

Quand les fonds pour la recherche sont limités, sur la base de quels critères peut-on en soustraire une partie pour informer le public de la sévérité de cette maladie particulière?

M. Tousignant: Il faut faire preuve de beaucoup de créativité car tout ce que font les chercheurs c'est chercher et réclamer des fonds supplémentaires pour faire aboutir leur recherche.

De plus en plus nous demandons aux chercheurs de communiquer le résultat de leur dur labeur. Ils ne sont pas forcément les plus doués pour le faire. Il faut qu'il y ait en place une structure. Si, par exemple, un institut de recherche leur demande de faire de la recherche appliquée, il faut les aider car ils ne sont pas forcément outillés pour faire cela. Certains ont un talent naturel pour le faire alors que d'autres vivent comme des moines dans leur laboratoire et ne sont pas forcément de bons communicateurs. Certains ont choisi ce métier pour éviter le contact avec le public. Il faudrait que certaines choses changent. Avoir fait oeuvre de vulgarisation dans des revues destinées au grand public n'est pas un atout dans votre curriculum vitae. D'aucuns considèrent que c'est une perte de temps. Les choses évoluent, mais il fut un temps quand on faisait des demandes de bourses de recherche, où ces initiatives n'étaient pas prises en considération. Il faudrait donc, en conséquence, à mon avis, faire un peu évoluer la tradition associée à ces carrières universitaires.

De plus, nous produisons de plus en plus de connaissances mais il n'y a personne pour intégrer les résultats. Cela devrait être inclut dans la recherche même. Il faudrait que quelqu'un compile toutes ces recherches et en tire des conclusions. Parfois nous sommes complètement ignorants; nous n'avons même pas le temps de lire le résultat des recherches de nos voisins — même dans la même institution. Il faut que quelqu'un fasse la synthèse des résultats de toutes ces recherches et les communique.

Le sénateur LeBreton: En d'autres termes, il faut informer autant à l'interne qu'à l'externe. Il faut que les chercheurs eux-mêmes soient partie prenante à cet exercice d'information. C'est bien ce que vous dites?

M. Tousignant: Oui.

Le sénateur LeBreton: Vous avez dit connaître des difficultés d'accès aux données sur les assistés sociaux. Qu'est-ce que vous faites pour que cela change? Est-ce qu'il y a une solution? Est-ce que vous avez trouvé un moyen d'accéder à ces données importantes? Y a-t-il une chance ou un espoir de succès?

M. Tousignant: Oui. Nous avons trouvé une solution. Je n'entrerai pas dans les détails. Parfois il faut tricher un peu pour arriver à ses fins.

Le sénateur LeBreton: Comme le sénateur Morin l'a rappelé, nous sommes un comité parlementaire, ce qui nous confère et vous confère une certaine immunité. Pouvez-vous nous donner un exemple de façon d'obtenir ces données? Quelles recommandations pourrait faire notre comité pour vous aider à accéder à toutes ces données? Quelqu'un d'autre veut peut-être répondre?

M. Latimer: J'aimerais répéter ce que j'ai dit vers la fin de mon exposé. Il y a certains types de situations qui ne peuvent échapper à l'intérêt des comités d'éthique. Ils pourraient être étudiés pour fixer les règles à suivre dans de tels cas.

En d'autres termes, il serait bon que les directives des Trois conseils contiennent les règles à suivre dans un certain nombre de situations. Cela permettrait d'éviter le genre de problèmes auxquels vous avez fait allusion quand nous avons affaire à des instances d'éthique différentes qui ont des interprétations différentes.

Le sénateur LeBreton: Monsieur Dorvil, vous avez abordé les questions d'intégration communautaire et sociale. Vous avez abordé l'imbroglio — puisqu'il s'agit véritablement d'un sac d'embrouilles partout au pays — entourant l'accessibilité des logements et vous avez d'ailleurs mentionné les préjugés qui limitent l'accès aux logements sociaux. Peut-être devrais-je plutôt parler d'obstacles.

Pourriez-vous nous expliquer, dans votre cas, quel processus vous suivez pour avoir accès à ces logements? Quel est votre taux de réussite? Quelle est l'ampleur de la pénurie dans ce domaine? Nous pourrions mettre ces renseignements à profit lors de notre tournée du pays.

[Français]

M. Dorvil: Oui. Dans le domaine du logement, et vous avez parfaitement raison de le dire, il faut parler d'obstacles qui empêchent certains patients psychiatriques d'avoir soit un logement subventionné ou à un logement à prix abordable, et cetera.

Si le pouvoir public ne met pas un peu d'argent dans la construction des logements subventionnés, nous allons assister au niveau de la désinstitutionnalisation à une transformation en ghettos des logements habités par des patients psychiatriques. Pour prévenir ce phénomène de ghetto, pour prévenir l'effet de la stigmatisation du diagnostic psychiatrique, les sociétés nord-américaines doivent élargir l'éventail des logements.

Je suis en communication avec des collègues en Ontario, par exemple, qui travaillent à l'Institut Clarke, et ils nous font les mêmes observations, à savoir que quand le patient psychiatrique est qualifié pour habiter un logement dit normal, la liste d'attente est quatre ou cinq fois plus longue que la liste d'attente pour les résidences d'accueil, les centres d'hébergement administrés par les hôpitaux psychiatriques.

Grosso modo, il faut augmenter le nombre de logements subventionnés pour donner une chance aux patients psychiatriques qualifiés d'avoir un logement normal.

[Traduction]

Le sénateur LeBreton: Que font ces personnes entre temps? Leurs problèmes d'accès sont bien réels. Où vivent-elles? Vivent-elles dans des institutions, dans la rue, leur famille essaye-t-elle de les aider? Où sont ces personnes en attente d'un logement subventionné?

[Français]

M. Dorvil: Oui. Vous avez parfaitement raison de souligner cela. Par exemple, 57 p. 100 des patients psychiatriques dans la communauté vivent dans leur famille naturelle. Aux États-Unis, dans l'État de New York, par exemple, ça va jusqu'à 69 p. 100, donc c'était vrai.

Certaines familles ne peuvent plus accueillir le membre malade parce que, tout simplement, les parents sont rendus trop âgés. C'est la raison pour laquelle c'est presque une nécessité d'avoir d'autres types de logements subventionnés afin de ne pas augmenter la population des personnes itinérantes.

Vous avez raison d'attirer l'attention sur l'apport des familles. Ce sont les familles qui hébergent le plus les patients psychiatriques, plus que l'État. Et c'est leur rôle, c'est leur devoir.

Il ne faut pas oublier que la société a changé. Il y a quand même les femmes qui travaillent à l'extérieur du foyer, donc il ne faudra pas que l'État fasse une prescription aux familles, donc aux femmes, pour qu'elles soient obligées de garder les patients chez elles.

L'État a une certaine responsabilité et elle se doit, en même temps, d'offrir ce qu'on appelle du répit, du dépannage et des mesures de soutien aux familles qui gardent encore à la maison, contre vents et marées, le patient psychiatrique.

[Traduction]

Le président: Ce serait effectivement fort utile — même si vous n'êtes pas en mesure de répondre aujourd'hui — de connaître vos hypothèses sur ce qui explique que 69 p. 100 des patients psychiatriques vivent dans leur famille dans l'État de New-York alors que ce n'est que 57 p. 100 d'entre eux qui sont dans cette situation au Canada. Cet écart de 12 p. 100 est considérable et une augmentation équivalente du côté canadien serait sans doute profitable aux patients.

Pourquoi y a-t-il une telle différence? Un changement de politique — peut être d'ordre fiscal, que sais-je — nous permettrait-il de passer de 57 à 70 p. 100?

[Français]

M. Dorvil: Oui, il y a moyen d'améliorer la situation. Je crois que si le pourcentage s'élève à 57 p. 100 dans l'Est de Montréal, dans les Laurentides, par exemple, le pourcentage monte à 66, 67, ou 68 p. 100. Il y a même certaines régions du Québec où cela dépasse le taux américain, au Saguenay/Lac Saint-Jean, par exemple.

En l'Ontario, dans la région de Kitchener, il y a beaucoup plus de familles qui gardent les patients psychiatriques chez eux que dans la région de London. Pourquoi? On ne le sait pas. Peut-être que c'est parce que l'hôpital psychiatrique met beaucoup de logements de substitution à la disposition des familles. Les gens prennent donc la solution de facilité.

Dans la région de Kitchener, où il n'y a pas d'hôpitaux psychiatriques, les gens ont été entraînés à se débrouiller. C'est la raison pour laquelle les familles en font un peu plus.

Ce sont des réflexions que nous avons eues avec nos collègues de l'Ontario John Trainor et John Sylvestre, et ce sont des hypothèses que nous allons continuer d'étudier.

[Traduction]

Le président: Merci. Puis-je vous demander, à vous et à vos collègues, de faire les recherches nécessaires pour répondre à notre question? Si les chiffres varient autant entre London et Kitchener, il y a sans doute une raison. Il serait utile pour nous de la connaître.

M. Latimer: Je ne crois pas que l'augmentation de ce pourcentage soit nécessairement positive. Ce n'est pas toujours le cas. En définitive, nous voulons que les familles dont un des membres est atteint d'une maladie mentale grave aient une gamme de possibilités à leur disposition qui leur permette de choisir celle qui convient le mieux à leur famille et au patient.

Le président: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Toutefois, je trouve étrange que dans une région qui n'est quand même pas très grande, il y ait des différences aussi marquées. Indépendamment du fait que ce soit préférable ou non pour les patients, nous voulons comprendre quels sont les facteurs sociétaux sous-jacents qui causent cette divergence. Il serait particulièrement utile de comprendre ces facteurs si l'on souhaitait créer un programme qui encouragerait les patients à qui il conviendrait mieux de rester à la maison de pouvoir le faire.

Le sénateur Robertson: Je voudrais vous dire quelques mots sur un programme auquel je participe.

L'année dernière, un petit groupe de personnes auquel j'appartiens à mis sur pied un programme concernant les logements de substitution et la réhabilitation des malades psychiatriques intitulé «Alternative Residences and Rehabilitation for the Mentally Ill». Le Dr Gilbert Finn, autrefois lieutenant-gouverneur de la province, en a parlé sur les ondes de la radio française toute l'année. J'en ai moi-même parlé sur les ondes des radios anglophones toute l'année pour sensibiliser la population aux besoins de logements de substitution.

Nous n'avons pas réuni de sommes importantes, mais nous avons tout de même obtenu 750 000 $ jusqu'à présent sans aucune contribution gouvernementale.

Chaque résidence est composée de quatre appartements. Elles sont de petite taille afin d'éviter la création de ghettos. Le programme est d'un grand secours. Il a montré que lorsque l'on se sert des tribunes médiatiques et que l'on commence à parler de ces problèmes, la population réagit. La population a réagi en grand nombre à notre initiative.

Le président: Je vous remercie. À titre de renseignement à l'intention de nos témoins, je précise que le sénateur Robertson a été ministre de la Santé du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Robertson: Notre collectivité est de taille modeste.

[Français]

M. Dorvil: Oui. Mais, j'ajouterais que c'est quand même une situation très compliquée. Nous encourageons les familles à garder le patient chez eux. Et avec des formules comme le répit, le dépannage, plus on va donner de soutien à ces familles, plus les familles vont continuer à le faire.

Même en tenant compte de ceci, nous disons qu'il faut tout de même que l'État contribue à subventionner d'autres types de logements. Le logement idéal pour les patients psychiatriques, nous ne l'avons pas encore trouvé. Donc, on veut découvrir d'autres types de logements.

Le sénateur Morin: J'aimerais poursuivre, docteur Dorvil, sur cette question du logement, parce qu'il me semble qu'il y a une certaine ambiguïté.

Je pense qu'on doit tout ramener aux malades et non pas à la famille ou à l'État. Si on se place du côté du patient, n'y a-t-il pas des malades pour qui il serait mieux d'être en logement?

Une personne âgée de 50 ans ne peut pas demeurer indéfiniment chez ses parents qui ont 80 ans. Je ne parle pas des parents, je pense aux patients. Je pense qu'il y a un moment dans la vie où on veut quitter la famille puis avoir son propre logement, qu'on soit malade ou non.

Je crois pense que le haut pourcentage de patients qui sont dans leur famille, comme l'a dit M. Latimer, n'est pas nécessairement une bonne chose. Je pense qu'il y a des avantages à ce que les gens aient leur propre logement.

Vous n'en avez pas parlé, mais y a-t-il, en effet, pour reprendre la question que sénateur LeBreton a posée, des malades qui sont dans la rue parce qu'il n'y a pas de logements disponibles?

M. Dorvil: Je vais d'abord répondre à la dernière partie de votre question. C'est vrai qu'il y a des patients psychiatriques qui habitent, par exemple, en résidence d'accueil ou en appartement supervisé dans des foyers de groupe. Le responsable du foyer peut déclarer à neuf ou dix heures du matin: «Il faut aller prendre de l'air. Allez vous promener.»

Il y a aussi des patients psychiatriques qui ont de la difficulté à s'adapter à une résidence d'accueil. On a beau les placer dans différents types de logement, ils préfèrent vagabonder. Je ne dirai pas que cela fait partie de leur pathologie, mais on peut dire qu'il y a un certain nombre de personnes itinérantes qui ont des diagnostics psychiatriques. On ne peut pas s'en sortir.

Pour revenir à ce que vous avez dit tantôt, je trouve que tout être humain rêve d'une certaine autonomie. Tout dépendra de ses moyens. Tout le monde sait qu'à 20, 22 ou 25 ans, la première fois qu'on a signé un bail, on en était fier.

Le patient psychiatrique âgé de 40 ou 50 ans veut, lui aussi, avoir cette fierté. Il veut se libérer de la tutelle de ses parents. Je trouve que c'est tout à fait normal.

Plusieurs patients retrouvent ce que j'appellerais des blocages à l'intérieur même du système de l'hébergement/ logement. Dans mes recherches, j'ai rencontré des patients psychiatriques vivant dans les résidences d'accueil qui auraient pu vivre en habitation autonome. Et j'ai rencontré, dans des habitations autonomes, des patients psychiatriques qui auraient mieux fait d'apprendre des habiletés sociales dans des résidences d'accueil.

Il arrive que nous nous retrouvions devant deux groupes: un groupe qui est sous l'obédience hospitalière médicale et un autre qui est sous l'obédience soit des groupes communautaires ou des sociétés à but non lucratif, et ainsi de suite. Ces deux groupes ne se parlent pas. Il y a réellement un blocage. Il faudrait faire des interventions pour que ces deux groupes se parlent, pour le bien du patient psychiatrique, comme le sénateur Morin vient de dire. Il faut toujours tenir compte du patient psychiatrique. Selon le stade où le patient psychiatrique se trouve dans sa guérison, dans son processus de rétablissement, certains types de logement s'harmonisent avec des patients psychiatriques qui sont dans la première phase du rétablissement, d'autres dans la deuxième phase du rétablissement et puis d'autres dans la troisième phase.

Le sénateur Morin: Docteur Tremblay, vous avez abordé la question de la violence, qui me paraît un domaine très important. Beaucoup de discrimination et de stigmatisation à l'égard des patients psychiatriques vient de la crainte que le citoyen normal ressent; il a peur que le patient devienne subitement violent.

Vous avez dit que dès l'âge de 24 mois, on commence à être violent. Évidemment, il y a des degrés. Est-ce un signe d'une maladie mentale sous-jacente?

Peut-on faire quelque chose pour le traitement précoce des maladies mentales ou si c'est plutôt une situation qui n'a pas de rapport avec ces différentes maladies mentales?

Je voudrais aussi parler de l'environnement. Et je voudrais surtout parler de la télévision.

Récemment, une équipe a fait état de la violence à la télévision et elle a soumis un document assez étoffé au CRTC lui demandant de limiter la diffusion de violence à la télévision et exprimant l'opinion qu'il y avait une relation étroite entre la violence des jeunes et de la société et ce qu'on voyait à la télévision. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.

M. Tremblay: Vous avez raison de dire qu'il y a une partie de la population psychiatrique qui produit une quantité importante de violence. Les travaux qui ont été faits sur le développement des comportements violents montrent, en effet, que la fréquence de l'agression physique, puisqu'on parle de violence physique, est à son maximum au début de la vie, autour de l'âge de 24 mois.

Plus les enfants vieillissent, moins ils utilisent l'agression physique. Ce qu'on voit, c'est que les enfants apprennent, quand ils sont très jeunes, à maîtriser leurs comportements violents. À peu près tous les enfants manifestent tôt ces comportements d'agression physique. Mais il y a des différences importantes en termes de fréquence.

Très tôt déjà, on voit cet écart entre des enfants qui, à l'occasion, vont frapper, mordre et des enfants qui vont fréquemment utiliser ces modes de relations avec les autres.

On a découvert, dans la recherche récente, qu'une partie de cette composante est génétique et que l'autre partie est environnementale. La fréquence de l'usage de la violence à l'âge de 17 mois semble en partie déterminée par des effets génétiques. Le fait que cela diminue avec le temps semble fortement relié à l'environnement.

Un enfant qui, appelons-le un «turbomoteur», naît avec le besoin de tout avoir, de tout prendre et qui se retrouve dans un environnement désorganisé, n'apprendra jamais à mettre le frein. À l'âge de 2 ans, il ne fait pas mal à beaucoup de monde, sauf aux petits enfants, mais à mesure qu'il vieillit, il devient de plus en plus une menace pour son environnement.

Je dis aux gens qui travaillent avec des petits enfants de 2 ans: imaginez-vous qu'il se couche ce soir et que quand il se lèvera demain matin, il mesurera six pieds trois pouces et pèsera 250 livres. Vous voulez continuer à vivre avec lui? L'enfant de 2 ans qui pleure, qui crie, qui fait des crises, on ne veut pas qu'il mesure six pieds et trois pouces et qu'il pèse 250 livres.

Ces enfants, il est évident qu'il faut les aider en bas âge. Les problèmes liés à l'agression physique, à l'hyperactivité, à la dépression, bref, à peu près tous les problèmes de santé mentale, apparaissent tôt.

Les signes apparaissent tôt, mais ils vont en augmentant, et une fois rendue dans la société, la personne agressive devient une menace. On attend trop. Les enfants arrivent en maternelle, on voit bien qu'ils ont des problèmes, mais on attend parce qu'ils ne sont considérés comme étant dangereux.

On se centre plutôt sur les adolescents. Nos ressources se situent au niveau de l'adolescence et de l'âge adulte. On attend que les enfants vieillissent et, évidement, comme on n'a pas fait les interventions qu'il faut, on se retrouve avec des adolescents et des adultes extrêmement difficiles à contrôler, et donc, on les place.

On place certains enfants à la fin de l'école primaire, à l'adolescence. En fait, même dans les milieux de garde, les enfants trop agressifs sont retirés de leur environnement.

Déjà à l'âge de 2, 3 et 4 ans, on marginalise ceux qu'on va appeler plus tard les malades mentaux. Ils sont marginalisés très tôt. L'approche que l'on pense adéquate en termes d'investissement chez ces enfants, c'est une approche de prévention qui doit être faite le plus tôt possible.

Une chose que la recherche en santé mentale en neurosciences nous a apprise, c'est que le cerveau humain est comme un fonds de pension: plus on investit tôt, plus cela aura des effets à long terme. Le cerveau humain démontre sa plus grande capacité d'apprendre tôt dans la vie. Si vous voulez que quelqu'un apprenne le français ou l'anglais, enseignez- le tôt. Si vous attendez plus tard, ce sera beaucoup plus difficile.

C'est vrai pour l'agression, pour l'hyperactivité, pour l'anxiété, pour tous les problèmes de santé mentale. Nous pouvons intervenir tôt. Et nous pouvons faire du dépistage. Les études longitudinales montrent que nous sommes capables d'identifier les enfants qui vont devenir les malades mentaux plus tard. Il y donc avantage à faire des interventions très tôt.

Le sénateur Morin: Et la télévision?

M. Tremblay: Ah! La télévision. Vous comprendrez, suite à ce que je viens de dire, que l'agression physique est à son maximum en termes de fréquence à l'âge de deux ans et qu'elle diminue avec l'âge. Même chez les cas les plus graves, la fréquence de l'agression physique diminue avec l'âge, mais pas la gravité.

On mélange fréquence et gravité. C'est sûr qu'en vieillissant, l'agression du patient devient plus grave. Mais, la fréquence de l'agression diminue avec l'âge. C'est difficile de comprendre qu'avec l'âge, l'agressivité diminue même si les gens consomment plus de télévision à contenu agressif.

Dire qu'en soi la télévision est le facteur qui fait que les gens deviennent agressifs ne fait pas de sens, compte tenu de ce que l'on connaît.

Il semble bien que la télévision ait une influence plus grande sur ceux qui sont déjà agressifs. Si on montre toutes sortes de modèles de façons différentes d'agresser les autres à ceux qui sont déjà agressifs, ils n'apprendront pas à être agressifs. Ils vont apprendre à utiliser différents moyens.

C'est un fait que la majorité des Nord-Américains, consomment de la télévision à contenu agressif. Ce n'est pas vrai que la télévision rend tout le monde agressif. C'est comme l'alcool, l'alcool ne rend pas tout le monde alcoolique. Et la télévision ne rend pas tout le monde violent.

[Traduction]

Le sénateur Cordy: Merci à tous des exposés que vous nous avez faits ce matin.

Docteur Tremblay, vous avez parlé d'intervention précoce et de votre travail auprès de femmes enceintes. Il y a quelques années, une cause a beaucoup retenu l'attention au Canada; elle portait sur une femme enceinte qui consommait des drogues et abusait de l'alcool. En 2003, que pouvons-nous faire dans un cas semblable, où une femme commet de tels abus qui nuisent à son corps mais aussi à son enfant en gestation?

Dr Tremblay: Bien que je ne sois pas avocat, la question me paraît évidente. J'ai d'ailleurs fourni des documents expliquant le travail du Centre d'excellence pour le développement des jeunes enfants. L'automne dernier, on y a justement traité de la consommation d'alcool et du tabagisme pendant la grossesse. Il ne fait aucun doute que pendant la grossesse, ces deux habitudes ont des conséquences graves pour le cerveau des bébés, et qui se manifesteront plus tard par la difficulté pour l'enfant de contrôler son comportement.

Au Canada, 25 p. 100 des femmes enceintes fument pendant leur grossesse. À mon avis, nous pourrions intervenir pour contrer cela et ainsi prévenir bon nombre de problèmes de santé mentale. Nous savons en effet qu'une femme enceinte qui fume aura des enfants plus petits et dont le cerveau sera déjà atteint par les effets de la toxicomanie. Cette situation crée aussi de l'hypertension. Par conséquent, lorsqu'une femme enceinte fume, nous nous demandons ce que nous pouvons faire.

Si une mère donnait une cigarette à son enfant après sa naissance, nous interviendrions. Si elle lui faisait boire de l'alcool, nous le ferions aussi. Or la nicotine est transmise dans le lait maternel, tout comme l'alcool. Nous encourageons les mères à allaiter, mais les enfants ont déjà commencé à fumer et à boire durant la grossesse. Cela représente d'énormes problèmes de maladie mentale.

Le sénateur Cordy: Que pouvons-nous faire? Nous pouvons bien éduquer la population et produire des messages d'intérêt public, nos campagnes anti-tabac et anti-alcool au volant ont d'ailleurs donné de bons résultats.

Toutefois, que pouvons-nous faire lorsque les gens refusent d'écouter?

Dr Tremblay: Je pense qu'il faut en faire beaucoup plus. Cela ne fait pas très longtemps que nous savons ces choses. Nous devons donc lancer des campagnes intensives et systématiques afin de les faire connaître à la population. Cela dit, la plupart des infirmières visiteuses qui se rendent chez les femmes enceintes nous disent qu'il est insensé de tenter cela car on ne réussira jamais à obtenir que ces femmes renoncent à la cigarette; elle leur sert de béquille psychologique indispensable face au stress.

On insiste sur le bien-être de l'adulte. Au sujet des maladies mentales, nous avons surtout parlé des problèmes des adultes. Il faut cependant que nous pensions aussi à la génération suivante. À chaque fois que nous intervenons pour cause de maladie mentale, il faudrait qu'on accorde la priorité à la génération de ceux qui nous suivent.

Dans la plupart des établissements psychiatriques d'Amérique du Nord, les professionnels de la santé qui traitent les adultes malades ne se préoccupent pas de la prochaine génération. Dans l'un des plus grands hôpitaux de notre continent, l'Hôpital Louis Hyppolyte-Lafontaine situé ici même à Montréal, j'ai demandé des renseignements sur l'âge des enfants des adultes malades, et on m'a répondu qu'on ne gardait pas de données là-dessus.

C'était il y a cinq ans, et je pense que la situation est demeurée la même dans la plupart des établissements. Nous savons que la maladie mentale est dans une grande mesure un phénomène transgénérationnel, mais nous ne nous occupons que très peu de la prochaine génération.

[Français]

Le sénateur Morin: Docteur Tremblay, vous avez soulevé un point important. Pouvez-vous nous faire parvenir des références en rapport avec le lien entre l'usage du tabac de la mère enceinte et les enfants?

M. Tremblay: Certainement. Il y a un site Web qui contient une encyclopédie. Je vais vous envoyer la référence.

[Traduction]

Le sénateur Keon: Il y a moyen d'influer sur le comportement des fumeurs. Il faut simplement y consacrer les ressources nécessaires. Dans mon autre vie, je vois les excellents résultats qu'ont obtenus les programmes antitabagisme.

Le président: Dans son autre vie, le sénateur Keon est le P.D.G. de l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa.

Le sénateur Cordy: Au sujet de l'intervention précoce, vous avez dit que plus on intervient tôt, plus les résultats sont positifs. Cela me paraît excellent. Il faudra que je m'en souvienne.

La semaine dernière, nous avons entendu des témoins nous dire que beaucoup de gens hésitent à admettre qu'il peut arriver que des enfants souffrent de maladie mentale et que cela nuit au dépistage et à l'intervention précoce. Si vous voyez un enfant qui manifeste des signes de maladie mentale — vous avez parlé d'agressivité plus grande que la normale — comment amenez-vous les parents à mieux s'occuper de leurs enfants?

J'ai déjà enseigné au primaire. J'ai vu des parents qui pensaient que leur enfant était mignon ou précoce ou — une expression que je détestais —«un vrai p'tit gars». Comment faites-vous pour faire prendre conscience aux parents qu'ils ne savent peut-être pas élever leur enfant?

Dr Tremblay: Plusieurs programmes de formation des parents ont été conçus. Nous en avons testé un auprès d'enfants de la maternelle qui manifestaient ces problèmes. Ils venaient de milieux socioéconomiques défavorisés et leurs parents avaient peu d'instruction. Le programme a eu des effets à long terme. Ces enfants sont aujourd'hui au début de la vingtaine et nous avons réussi à réduire de moitié le taux de décrochage et réduit considérablement la délinquance, la toxicomanie et l'alcoolisme. Une des raisons du succès du programme, c'est que nous sommes allés les voir chez eux; nous ne leur avons pas demandé de venir à une clinique ou à l'école.

La majorité des programmes sont organisés de telle sorte que ceux qui en ont le plus besoin y ont le plus difficilement accès. C'est ainsi pour la plupart des services. Il est beaucoup plus facile pour le professionnel de dire «Venez me voir entre 9 heures et 17 heures» que d'aller voir les gens chez eux le samedi ou le dimanche ou en soirée. Il nous faut trouver des professionnels qui accepteront de travailler lorsque les gens seront libres.

Ce n'est pas normal pour le professionnel de demander au malade de s'adapter à son emploi du temps. Par contre, cela peut se faire si l'on investit beaucoup, si on pratique la formule de la main tendue pour offrir le service. Même si certains diront que cela ne marchera pas, nous avons constaté que ceux qui ont le plus besoin des services sont aussi des plus accueillants. Ils réalisent qu'ils ont des problèmes et s'ils voient que vous êtes là pour les aider, ils vous ouvrent leur foyer.

Le sénateur Cordy: Si un enfant a des difficultés à 5 ans, il est certain qu'il en aura à 15 ans, multipliées plusieurs fois.

Dr Tremblay: Oh, oui. Les études l'ont montré. Les éducateurs de la maternelle arrivent très bien à discerner ceux qui auront de gros problèmes plus tard.

Mais les moyens sont inexistants. Le directeur d'école affectera les ressources aux enfants de 11 et 12 ans parce que leurs problèmes sont plus graves. Mais si leurs problèmes sont plus graves, c'est que l'on n'ait pas intervenu plus tôt.

Le sénateur Morin: Et aussi parce que ce sont des enfants plus grands.

Le sénateur Cordy: Docteur Tousignant, je regarde les statistiques que vous nous avez données sur le pourcentage élevé de gens qui font une tentative de suicide et le nombre de décès par suicide. Je me demande si la population en est consciente. Je sais que l'information existe; on nous l'a dit en comité et tous ceux qui s'occupent d'enfants le savent.

La population refuse-t-elle d'accepter que le pourcentage soit si élevé, d'en discuter, ou est-ce que l'information ne lui parvient pas?

M. Tousignant: Il est difficile de dire dans quelle mesure la population est au courant. Les gens sont de plus en plus informés, au Québec en tout cas, où les taux sont un peu plus élevés que dans les autres provinces. Ils ne connaissent peut-être pas le nombre de tentatives de suicide parce que la plupart des chiffres donnés dans les journaux portent sur les suicides. Il y a beaucoup moins d'information sur les tentatives de suicide. Pour chaque suicide, il y a 10 cas d'hospitalisation pour tentative de suicide. Beaucoup d'autres tentatives ne font jamais l'objet d'une attention médicale. Les chiffres sont élevés.

Il faut aussi sensibiliser davantage — pas seulement la population mais aussi les équipes médicales. Il n'y a pas si longtemps, les personnes admises pour tentative de suicide étaient stigmatisées par les professionnels de la santé. Les médecins disaient: Je suis surchargé de travail, pourquoi venez-vous m'en rajouter.

Ce que les gens ne voient pas c'est l'ampleur de la souffrance morale. Ce n'est pas évident pour les médecins et encore moins pour la population en général. Celui qui saigne se fait soigner en dix minutes. Celui dont l'âme saigne peu passer deux jours à l'hôpital. La souffrance morale peut être un danger de mort tout aussi grave que de mourir au bout de son sang, mais ce n'est jamais prioritaire.

Pour faire de la prévention, nous avons besoin du grand public parce que nous n'avons pas suffisamment d'aide psychiatrique et psychologique, surtout psychiatrique. Il y a très peu de psychiatres pour tous ceux qui souffrent de maladies mentales de toutes sortes. Ceux qui peuvent aider sont ceux qui sont là: les voisins, les membres de la famille.

Il faut que les gens reconnaissent l'ampleur de la souffrance mentale, parce que ceux qui souffrent ont tendance à le cacher de peur d'être stigmatisés. Ils doivent apprendre à le montrer pour que les autres puissent les aider. Dans les pays du tiers monde les gens sont beaucoup plus sensibles; on aide beaucoup plus ceux qui souffrent de maladie mentale que ce n'est le cas dans nos sociétés occidentales.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question.

Le sénateur Cordy: Oui, c'est bien. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Pépin: Comment expliquer le taux de suicide chez les garçons comparativement à celui des jeunes filles?

M. Tousignant: Je vous rappelle qu'il y a chez les hommes, en général, quatre fois plus de suicide que chez les femmes. Pour ce qui est des tentatives de suicide, le taux est à peu près égal.

C'est vraiment particulier. C'est vrai pour les homicides aussi. On oublie souvent que le suicide est une catégorie d'homicides. Pour les conduites dangereuses, les accidents de la route, enfin toutes les morts violentes, les hommes sont surreprésentés, du moins dans la culture occidentale, mais plus particulièrement avec en ce qui a trait au suicide.

Il y a quand même des écarts. En Chine ou en Indes, en termes de suicides, on voit un rapport de un/un, une femme pour un homme. Et on sait que la moitié des suicides chez les femmes surviennent en Chine.

Il y a un problème particulier. Je ne l'ai pas observé de façon très approfondie en Chine, mais en Indes, quand il y a un problème familial, c'est la femme qui est exclue du foyer. C'est elle qui se retrouve seule, stigmatisée. Dans la société occidentale, c'est plus souvent l'homme qui est stigmatisé, dans 90 p. 100 des cas. Cest l'homme qui est seul.

Je ne veux pas dire que la situation des femmes est très drôle, mais pour ce qui est des femmes, on voit plus de continuité et un ancrage familial plus grand. Depuis qu'il y a un haut taux de séparations et de divorces dans notre société, c'est l'homme qui est le plus isolé. C'est plus difficile pour lui de se réancrer, d'avoir l'accès aux enfants, et tout le reste. C'est une hypothèque qui pourrait expliquer les différences très fortes entre les sociétés occidentale et orientale.

M. Tremblay: Il y a le même nombre de tentatives de suicide chez les hommes que chez les femmes, mais c'est un fait que les hommes utilisent des moyens plus sûrs d'entraîner la mort. Les femmes avalent des médicaments alors que les hommes vont prendre un pistolet.

[Traduction]

Le sénateur Cook: Plus j'en apprends, plus je suis convaincue qu'il nous faut un plan d'action national contre la maladie mentale et pour le bien-être. Si l'on pouvait concevoir une démarche intégrée fondée sur des faits et sur des pratiques exemplaires, nous pourrions toucher la personne dont on se soucie vraiment: le consommateur de services de santé mentale. Plus j'en apprends, plus je suis convaincue que ce serait la meilleure façon de faire.

J'aimerais que vous nous parliez des gens de la sous-culture: des gens dans la misère qui n'ont accès qu'aux banques d'aliments, qu'aux refuges et qu'à un chèque d'aide sociale insuffisant — et même si ce chèque était suffisant, ils ne pourraient pas vraiment le dépenser comme il faut. Cette population marginalisée a aussi un lien avec le logement abordable. Cela fait intervenir la nutrition, les médicaments puis la possibilité d'y avoir accès. Cela fait aussi intervenir les autorités — la police qui ramasse quelqu'un et l'envoie automatiquement en unité psychiatrique. La personne doit rester deux ou trois heures avec le policier et la voilà enfermée à l'hôpital psychiatrique pendant trente jours alors que son seul crime est d'avoir été ivre ou d'avoir fait une surdose. La police n'est pas formée pour reconnaître les symptômes de la maladie mentale; elle n'a pas les méthodes pour y faire face. Il y a aussi tout le problème de l'analphabétisme.

Vu toutes ces autres difficultés, j'aimerais savoir ce que vous penseriez d'un plan national d'action intégré. Il y a le gouvernement fédéral mais ce sont les gouvernements provinciaux qui assurent les soins ou les programmes. Je viens de Terre-Neuve et je veux que vous sachiez que nous avons bien peu de personnel spécialisé pour les consommateurs de soins de santé mentale.

J'aurais aimé avoir le temps de vous parler des magnifiques projets de logements abordables réalisés en partenariat par les gouvernements fédéral et provincial ainsi que les ONG et qui arrivent à donner une bonne qualité de vie à ceux qui s'adressent à eux.

Cela m'inquiète de vous entendre dire que les données n'existent pas vraiment. Il y a, je crois, dans le système, des obstacles qu'un plan national d'action pourrait contribuer à éliminer.

Dr Tremblay: Le mot clé c'est «l'intervention fondée sur l'expérience clinique». Ce ne serait pas une bonne idée d'adopter un plan d'action par lequel nous continuons d'investir des sommes énormes dans des mesures dont les résultats sont incertains. Nous ne savons pas encore suffisamment ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Des sommes énormes ont été investies, mais dans bien des cas — et j'en ai moi-même l'expérience dans le cas de la prévention chez les enfants et les adolescents — la plupart des interventions ne se fondent pas sur des résultats cliniques et scientifiques.

Par conséquent, j'inclurais dans le plan d'action l'exigence d'évaluer les interventions qui sont faites afin que nous puissions en tirer des enseignements sur ce qui est efficace. La majeure partie de la recherche en santé mentale porte soit sur les mécanismes, soit sur les médicaments. Toutefois, les interventions d'ordre «psychosocial», c'est-à-dire celles pour lesquelles il n'y a pas de traitement pharmaceutique, ne se fondent pas sur des résultats cliniques.

Il faut que nous réunissions les ressources investies dans les services et que, parallèlement, nous faisions des évaluations afin de découvrir quelles pratiques sont les plus efficaces et les plus rentables.

Le sénateur Cook: Au début de mes notes, j'ai écrit «recherche spécialisée», avant d'écrire «plan d'action national».

Dr Tremblay: Oui.

Le sénateur Cook: Cela devrait également s'appliquer à tout le programme — un apprentissage complet à la grandeur du système. Cela toucherait les médecins, les infirmiers et infirmières, les travailleurs sociaux, les enseignants, les éducateurs, etc.

D'après mon expérience de bénévole, j'ai remarqué que ceux qui travaillent dans des ONG, des organismes qui rencontrent régulièrement les gens dans des refuges ou dans le cadre de services sociaux, ont très peu de formation, si même ils en ont. Ils apprennent sur le tas.

Il en va de même dans le domaine du logement abordable. Nous avons un programme de logement abordable qui fait suite à un apprentissage de trois mois de l'autonomie fonctionnelle. Un comité de consommateurs vit dans le logement — c'est un groupe assez important qui compte 30 ou 40 personnes. Ces gens sont en relation avec un comité d'administration, et cela fonctionne très bien. Cela permet l'autonomisation de ces gens. Si quelqu'un commet un écart dans le second programme, il retourne au premier.

Les ONG contribuent beaucoup à l'autonomisation des personnes qui souffrent de maladies mentales grâce à leurs programmes d'aide à la vie autonome. Bon nombre des patients n'ont pas de famille. Leur seule famille, ce sont les personnes qu'ils rencontrent dans ces programmes.

Par conséquent, je suis un chaud partisan d'une approche fondée sur un programme à partir de toute cette information. Nous avons l'ICIS, le CRSH, et bien d'autres choses. Nous pouvons peut-être faire les choses un peu différemment sans qu'il soit nécessaire pour cela d'avoir beaucoup d'argent.

Le président: J'ai remarqué que M. Dorvil réagissait. Je ne sais pas si cela signifie qu'il est d'accord ou non, mais il souhaite peut-être intervenir. Je sais que M. Latimer veut faire une observation.

[Français]

M. Dorvil: Oui. Un commentaire au sujet de la mise en commun de toutes ces données. Nous avons l'avantage d'avoir une équipe de recherche Québec/Ontario. Nous faisons de la recherche dans certaines régions de l'Ontario et du Québec.

D'autres groupes font de la recherche dans l'ensemble du Canada, c'est encore mieux. Je trouve tout de même qu'à l'heure actuelle, nous bénéficions de données autant quantitatives que qualitatives pour nourrir un plan d'action. C'est ce que je crois.

[Traduction]

M. Latimer: La question que vous soulevez touche tout le domaine des champs de compétences fédéraux et provinciaux.

Le président: Oui. Notre comité a tendance à ne pas tenir compte de cette distinction. Si vous lisez notre premier rapport, vous y trouverez un certain nombre de recommandations qui, je le signale, visaient strictement les champs de compétences provinciaux. Il est intéressant de noter qu'aucun gouvernement provincial ne nous a critiqués pour cela.

En outre, un certain nombre de nos recommandations, entre autres celles sur les soins garantis, font maintenant partie du programme du gouvernement en matière de santé — même si c'est une question qui relève strictement de la compétence des provinces. Cela fait partie du programme du gouvernement au Québec, on l'a mentionné dans le discours du Trône en Ontario, et cela sera également adopté en Alberta.

Par conséquent, nous avons tendance à dire ce qui devrait être fait sans nous attacher aux questions de compétences. Je tenais simplement à vous le signaler. Mon but n'était pas de vous critiquer.

M. Latimer: Merci beaucoup. L'éducation du public est l'un des domaines dans lequel il faudrait investir davantage. Si la santé mentale est considérée un peu comme un parent pauvre, c'est à cause des préjugés et du manque de renseignements sur ce qui peut être fait et ce qui devrait être fait. C'est la population qui en fin de compte peut exercer des pressions pour que l'argent soit dépensé conformément à ces priorités. Par conséquent, il faut mieux informer la population. On fait beaucoup de publicité contre le tabagisme; je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas faire plus de publicité pour renseigner la population au sujet de la santé mentale.

Également, il faudrait décrire et expliquer clairement quelles sont les méthodes exemplaires et faciliter leur diffusion. Aux États-Unis, la Fondation Robert Wood Johnson a financé la mise au point de modules sur les pratiques fondées sur des résultats cliniques en santé mentale. Un de ces modules porte sur l'affirmation de soi dans le cadre du traitement communautaire; il y en a un autre sur le soutien à l'emploi, etc.

Ces modules sont conçus de façon à faciliter l'adoption de ces pratiques par les cliniciens et par les gouvernements des États. Ils sont divisés en trois éléments. Le premier élément vise les milieux où la pratique n'a pas encore été adoptée. Il permet aux gens de l'examiner. Il y a une bande vidéo et des documents à l'intention des décideurs, des documents pour les parents, d'autres pour les consommateurs, et cetera. Le deuxième élément permet de donner de l'information sur l'application — c'est-à-dire qu'il explique comment mettre un programme sur pied. Les documents sont rédigés en fonction de la clientèle pertinente. Enfin, une fois que le programme est mis sur pied, le troisième élément permet de fournir des documents sur la façon de garantir que la pratique continue d'être fondée sur des résultats cliniques car on s'écarte souvent des normes cliniques.

À mon avis, le gouvernement fédéral pourrait adapter ces documents, voir à leur traduction et, peut-être, financer des programmes de formation afin que les cliniciens connaissent mieux ce genre de pratiques.

Le sénateur Cook: Merci d'avoir renforcé mon idée à ce sujet. Je parle en tant que profane, mais je constate qu'il faut mettre en place au Canada des normes nationales en raison de notre structure de gouvernance. Et l'évaluation en fait bien sûr partie. Je n'oserais jamais rédiger les critères d'un plan d'action national. Merci.

Le sénateur Keon: Eh bien, pour revenir à l'hypothèse du sénateur Cook, je crois qu'il y aura un plan d'action national, que ce soit à dessein ou qu'il soit le fruit du hasard. Enfin, le rapport que nous produirons en sera probablement le point de départ.

Vous avez tous abordé un thème extrêmement intéressant. Le Dr Tremblay a insisté sur le fait que les être humains naissent non conformistes et qu'ils sont ensuite formés pour ensuite devenir conformistes. Le Dr Dorvil a ensuite parlé des questions d'éthique relatives au fait d'imposer un logement à des sans-abri lorsque ceux-ci n'en souhaitent pas, et du fait qu'on met ainsi fin à leur liberté. M. Tousignant a parlé du problème terrible que pose le Comité d'éthique pour les scientifiques. Je dois avouer que le problème de l'éthique est très bien traité car les IRSC et le CRM fournissent d'excellentes directives au sujet de la conduite éthique en recherche. Toutefois, il n'existe à peu près aucun document valable quant à la conduite éthique dans la gestion des soins aux patients, et M. Latimer a abordé cette question.

La question la plus intéressante qui se pose, plus particulièrement dans le cas de la maladie mentale, est dans quelle mesure la société a le droit d'intervenir et de définir la vie d'une personne. Voilà un dilemme éthique très pointu qui devra être réglé en tout et en partie au cours de l'évolution de notre dossier.

Monsieur Dorvil, vous pourriez peut-être commencer. Je suis extrêmement intéressé par la relation entre les sans- abri et la santé mentale. Bon nombre de sans-abri ne souhaitent tout simplement pas être placés quelque part. Ils veulent continuer leur itinérance. Heureusement, il y a généralement quelqu'un pour les recueillir afin d'éviter qu'ils meurent de froid. J'aimerais savoir ce que vous pensez au sujet de cette question d'éthique, c'est-à-dire jusqu'où peut- on aller dans la gestion totale de tels cas. M. Tousignant et M. Latimer souhaiteront peut-être également en discuter.

[Français]

M. Dorvil: Vous avez soulevé un problème important en ce qui a trait au respect de la dignité humaine. J'ai déjà été travailleur social dans l'est de Montréal et à certaines personnes itinérantes je disais: «Vous avez droit à un chèque du gouvernement.»

Il répondait: «Non, je ne veux pas de chèque. Je veux ma liberté. Donnez-moi 50¢.» Je lui disais: «Mais vous avez droit à 600 $.» Mais il ne voulait pas collaborer aux recherches du gouvernement. Il ne voulait pas paraître dans le fichier du gouvernement pour qui recevaient de l'Aide sociale. Il ne voulait pas être un assisté social . Il y avait une question de dignité. Il préférait me demander 50 ¢ ou 1,00 $ alors qu'il aurait pu avoir, à cette époque, 600 $.

Par la suite, on s'est entendu avec le gouvernement pour que les personnes itinérantes qui, par définition, n'ont pas d'adresse, puissent aller chercher leur chèque dans des cliniques de psychiatrie, des cliniques de santé mentale, à la Maison du Père, et cetera. Même là, certains n'en voulaient pas.

Jusqu'où peut-on aller dans la liberté qui est tellement chère à l'être humain? Par exemple, le patient psychiatrique qui est dans la résidence d'accueil veut souvent aller dans une habitation autonome. Mais il n'a pas les moyens. Il n'a pas les moyens puisqu'il démontre encore des caractéristiques — il est peut-être parfois un peu violent — qui ne sont pas acceptables dans la société. On lui dit qu'on va d'abord lui enseigner des habiletés sociales, parce que la société exige qu'il se comporte normalement avant d'aller en habitation autonome.

Dans le cas de l'Hôpital Douglas, c'est cela. Nous sommes obligés de dire à certains patients qu'ils ne peuvent pas aller en habitation autonome parce qu'ils ne sont pas encore qualifiés. Nous portons atteinte à leur liberté.

La société aussi a des règles que nous ne pouvons pas outrepasser. Il n'y a pas seulement un poids sur l'individu, mais sur la société aussi. Il faut donc retrouver un certain équilibre qui respecte les désirs de la société, la sécurité de la société, tout en sauvegardant également cette dignité humaine.

Le problème d'éthique imprègne la recherche et les interventions auprès des patients psychiatriques qui sont fragilisés par des troubles mentaux diagnostiqués. Cela est certain.

En même temps, il faut respecter la liberté du patient. Il faut lui expliquer qu'il faudra attendre qu'il ait fini d'apprendre ses habilités sociales avant de passer à un autre stade. Il faut qu'il passe à une autre phase de son rétablissement avant d'aller vivre dans l'habitation autonome qu'il convoite.

[Traduction]

M. Tousignant: Si vous êtes témoin d'un accident de la route dans lequel une personne est blessée et saigne, la loi vous oblige à lui venir en aide. Cependant, si la personne est déprimée et veut se suicider, vous vous sentez en droit de respecter sa liberté. On se comporte différemment envers une personne selon qu'elle a besoin de soins médicaux ou qu'elle souffre d'une maladie mentale. Les gens ont souvent une attitude de retrait parce qu'ils sont agressifs, parce qu'ils ont peur d'être stigmatisés et ils refusent leur aide. Ils veulent rester autonomes.

C'est un défi considérable. Cependant, certaines personnes sont en danger de mort si on ne les aide pas. Le problème est très complexe. Parfois, il faut faire preuve d'un peu plus d'autorité pour aider ceux qui en ont besoin, ou du moins pour leur proposer une aide véritable. Il faut agir plus énergiquement pour que cette aide soit disponible à ceux qui souffrent moralement. Mais comme la culture a évolué, ils essaient de cacher leur souffrance. Ils vivent en marginaux, parce qu'ils savent qu'ils seront stigmatisés s'ils révèlent leur situation au grand jour.

C'est un problème considérable, qu'on ne peut pas résoudre par magie. Cependant, on ne peut pas laisser ces malheureux dans la rue sous prétexte de liberté individuelle. Il faut faire preuve de créativité pour apporter des solutions à leurs problèmes quotidiens.

M. Latimer: J'aimerais préciser ce que j'ai dit tout à l'heure en réponse à une question du sénateur Cook. J'ai parlé des programmes fondés sur des preuves, comme la programme Assertive Community Treatment, qui est assez largement répandu en Ontario grâce à l'initiative du gouvernement ontarien, et je ne vois ce qui empêcherait le gouvernement fédéral de dire: «Nous aimerions que les pratiques X, Y et Z soient généralisées et nous allons financer leur développement».

Le sénateur Keon a parlé de la difficulté de soumettre ces personnes à un traitement. J'ai une anecdote qui illustre bien ce principe. Je la tiens d'un psychiatre. Il s'agit d'une patiente enceinte qui, à cause de son délire, ne voulait plus manger. C'était évidemment une menace pour son bébé. Le personnel clinique a envisagé de l'alimenter de force. Le psychiatre en question a été consulté sur ce cas, et il a proposé une idée différente. Il a fait croire à la patiente qu'il parlait au bébé. Il a fabriqué un tube qu'il a placé sur l'abdomen de la mère et il a commencé à parler au bébé, prétendant que celui-ci lui répondait pour dire qu'il avait faim. De cette façon, il a aidé la patiente à dissocier sa propre volonté d'éviter la nourriture et les besoins du bébé. Elle a commencé à s'alimenter et le bébé a pu naître normalement.

C'est une belle histoire qui montre bien que dans une situation clinique, les connaissances cliniques, la créativité et l'imagination débouchent souvent sur de meilleures solutions. À mon avis, il faudrait améliorer la qualité de la formation du personnel clinique.

[Français]

Le sénateur Pépin: Lorsqu'il est question de logements adaptés, de centre d'accueil ou d'appartement, j'aimerais savoir qui décide? Est-ce que c'est le médecin? Je présume que ce doit être le médecin qui décide si un malade est prêt à passer d'une étape à une autre. Quels sont les critères sur lesquels le médecin se base pour décider si le patient est prêt à passer d'un logement à un centre d'accueil ou bien à un appartement? Quel suivi offre-t-on à ces personnes?

Également, en ce qui a trait à l'approche communautaire qui est favorisée maintenant pour la charge des personnes atteintes de maladie mentale depuis les années 1970, est-ce un succès?

Puis, monsieur Latimer, je présume que l'Hôpital Douglas s'occupe encore des personnes qui sont atteintes de maladies mentales sévères. Lorsque vous parlez de remettre ces gens sur le marché du travail, je suis d'accord. Mais si ce sont des malades atteints sévèrement, à quelle étape de leur maladie pourraient-ils retourner sur le marché du travail? Comment cela se ferait-il? Et à quelle étape cela se ferait-il?

M. Dorvil: Les patients psychiatriques qui sont, par exemple, dans des résidences d'accueil ou des appartements supervisés ont un certain nombre de caractéristiques qui ne sont pas acceptables dans la vie sociale.

Si une personne veut aller en habitation autonome, il faut qu'elle apprenne cuisiner. Il faut qu'elle apprenne à faire son épicerie. Ce sont les psycho-éducateurs qui les aident à faire ces apprentissages.

Il se peut qu'ils démontrent des traits comportementaux désagréables. Dans le plan d'intervention, on indique au responsable du foyer de groupe que ces traits doivent disparaître, disons, après dix-huit mois ou après trois ans, et ainsi de suite.

Le psychiatre, en général, fonctionne en équipe thérapeutique. Dans son équipe thérapeutique, il peut demander à tel travailleur social ou à telle infirmière qui est responsable de tel patient à quel stade il est rendu dans son apprentissage des normes de la société.

Quand l'intervenant dit au psychiatre que le patient est prêt, que ce n'est pas tout à fait final, mais qu'il est sur la bonne voie, le patient peut passer à une autre étape. À ce moment, on autorise que la personne laisse la résidence d'accueil, aille en appartement supervisé et ou même dans ce qu'on appelle les habitations autonomes.

Cela se fait progressivement jusqu'à ce qu'on en arrive aux habitations autonomes. Là, il faut discuter avec le groupe qui s'occupe des habitations autonomes pour que le patient puisse passer à une autre étape. En général, dans les étapes qui relèvent de l'hôpital psychiatrique, cela se passe très bien.

Pour ce qui est de la désinstitutionnalisation, je dirais qu''il n'y a aucun groupe dans la société qui détient un pouvoir et qui accepte de le donner à un autre groupe. Le monde hospitalier, le monde des gestionnaires d'hôpitaux, des psychiatres, des travailleurs sociaux, c'est un monde qui se tient ensemble. Il est tout à fait normal qu'ils aient la main haute sur les institutions psychiatriques, et sur la désinstitutionnalisation aussi. Qu'on ne se fasse pas d'illusions.

Je ne vois pas pourquoi le pouvoir aurait changé de main puisque, en psychiatrie, jusqu'à présent, vous savez très bien qu'on n'a pas eu de traitements miracles. Les psychiatres et les infirmières travaillent beaucoup, mais en réalité, on n'est pas arrivé encore à faire disparaître les maladies.

On fait disparaître les symptômes aigus, mais certains patients ne peuvent pas communiquer, ils n'ont pas les habilités requises. En même temps que les médicaments faisaient presque des miracles, il aurait fallu investir pour améliorer la communication et les habilités sociales des patients.

C'est l'histoire, et on ne peut pas la réécrire. Malgré toutes les contraintes budgétaires que nos gouvernements ont subies, malgré la réticence de la société à accueillir le patient psychiatrique non seulement dans la famille, mais dans le quartier, dans les centres d'achats, et tout le reste, je crois que le mouvement a été pourtant très positif. En fin de compte, les gens ont appris à avoir de l'empathie, à donner un coup de main.

Les responsables des résidences d'accueil en font plus que ce que nous leur demandons. Je connais des femmes qui sont responsables de résidences d'accueil, qui ont monté des équipes de baseball et des équipes de soccer pour les patients alors qu'elles ne connaissaient rien du baseball ou du soccer.

Les premiers pas de la désinstitutionnalisation ont été catastrophiques. D'ailleurs, le Dr Murphy, un psychiatre de l'Hôpital Douglas, disait: «On a sorti les patients, mais on ne leur a pas donné beaucoup de choses. Il n'y a pas de suivi professionnel.»

Le suivi professionnel s'est ensuite ajouté parce que le Dr Murphy a critiqué le système en disant que le patient menait une vie végétative. Qu'est-ce que le patient a acquis? Il se berçait dans les hôpitaux psychiatriques, il se berce dans les résidences d'accueil.

Si la même chose se produit, pourquoi les avoir fait sortir? La société a réagi en améliorant le système. Et on continue de l'améliorer. Mon collègue M. Latimer a parlé de la réinsertion du patient psychiatrique par le travail. Il y a quand même beaucoup de patients psychiatriques qui travaillent. Ils travaillent en informatique, dans des fermes, dans des usines. Et, ils contribuent à ce qu'on appelle le produit intérieur brut.

Au niveau du logement, plusieurs patients psychiatriques sont membres du conseil d'administration de logements subventionnés qui relèvent de l'OSBL alors qu'autrefois, ils étaient mis en quarantaine dans un asile. À l'heure actuelle, ils peuvent être responsables de la propreté de leur logement, ils peuvent être membres du conseil d'administration, ils peuvent voter, et ainsi de suite.

Je trouve que c'est quand même un acquis de la société. Les gens qui ont des troubles mentaux ont aussi des qualités. Si on regarde les 45 dernières années, je crois que la situation du patient psychiatrique s'est très largement améliorée avec l'apport aussi bien du niveau institutionnel, de la médicopsychiatrie et des groupes communautaires.

Il faudrait que les deux groupes acceptent de travailler ensemble. Il y a parfois des les réflexes de cartel qui animent aussi bien un groupe que l'autre, mais je suis quand même très optimiste.

[Traduction]

M. Latimer: En réponse à votre question concernant l'évaluation globale de la situation et les résultats de la désinstitutionnalisation, je pense qu'ils sont globalement positifs. Cependant, il faut accorder davantage de soutien aux patients dans la communauté.

Du point de vue de l'économiste, on peut prétendre qu'il est plus efficace d'assurer la prestation de services en milieu communautaire. Je pense en particulier à un type de traitement communautaire actif qui fait appel à une équipe multidisciplinaire pour venir en aide à des personnes non institutionnalisées qui souffrent de maladie mentale grave.

Comparons ce qui se passe lorsqu'un patient est hospitalisé par rapport à la situation où il bénéficie de services de soutien dans la communauté. D'un point de vue économique, on voit que lorsqu'il est hospitalisé, tout un ensemble de ressources sont déployées automatiquement jour après jour pour lui assurer un soutien, quelle que soit l'évolution de son état. Souvent, on constate que des patients restent à l'hôpital plus longtemps que nécessaire parce qu'ils n'ont nulle part où aller. C'est donc un gaspillage de ressources.

En revanche, si on disposait d'une équipe multidisciplinaire qui puisse rencontrer chaque jour toute une liste de patients et que l'on établissait un plan pour chacun d'entre eux, les ressources consacrées à chaque patient pourraient être rajustées de façon plus souple, en temps réel et dans une perspective pratique quotidienne. On pourrait donc consacrer plus efficacement les ressources en fonction des besoins et au moment opportun. C'est une méthode beaucoup plus rentable.

Cela étant dit, les personnes souffrant de maladies mentales graves n'ont pas suffisamment accès à des services de réadaptation axés sur l'expérience clinique. C'est ce qui m'amène à la deuxième partie de votre question concernant l'emploi assisté et l'intégration dans le monde du travail.

Les médecins considèrent depuis longtemps que les personnes souffrant de maladie mentale grave ne peuvent pas travailler et que si on les incite à travailler, on risque de provoquer chez elles des épisodes psychotiques. Il va falloir les réhospitaliser, car elles sont incapables de supporter ce genre de stress.

L'expérience montre que la réalité est un peu plus complexe. Ceux qui ont organisé des programmes d'emploi assisté aux États-Unis signalent que les médecins ne peuvent pas dire à l'avance si un patient pourra ou non s'adapter au travail. Certains d'entre eux donnent au départ l'impression qu'ils ne réussiront jamais à conserver un emploi même à temps partiel, et grâce à un soutien approprié, ils se révèlent capables non seulement de le conserver, mais de l'apprécier.

Je réalise actuellement à l'Hôpital Douglas une étude dont sont exclus tous ceux qui ne souffrent pas au moins de schizophrénie, de maniaco-dépression avec épisodes psychotiques ou d'une dépression assimilée à une invalidité et donnant droit au maximum du bien-être social. Nous ne travaillons qu'avec des patients de ce niveau-là. Plusieurs d'entre eux réussissent à trouver du travail.

Enfin, il y a toute la question de la socialisation de ces malades, qui constitue à bien des égards un défi considérable. Dans la conception traditionnelle, ces personnes sont considérées comme des patients et sont socialisées en tant que tels. On les incite à rester ensemble, à vivre dans leur petit monde, à l'écart du reste de la société.

Actuellement, la tendance va plutôt dans le sens de l'émancipation et du rétablissement. Ce sont là des mots à la mode que vous avez certainement entendus. L'émancipation signifie une socialisation qui éloigne le malade de son rôle de patient pour le rapprocher de son rôle de citoyen. L'expérience nous enseigne que si on parvient à aider le malade pour l'amener progressivement à fonctionner au travail et à répondre à des sollicitations conformes à ses aptitudes, s'il doit se forcer à répondre aux sollicitations sans qu'on tienne particulièrement compte de sa maladie, il ne s'en portera que mieux. Il sera plus heureux parce qu'il se considérera comme un citoyen, et c'est précisément ce que nous visons.

Le président: Merci à vous tous de vous être joints à nous. Je sais que nous vous avons retenus bien au-delà de l'heure convenue, mais vos commentaires nous ont été très utiles.

La séance est levée.


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