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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

La santé des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral

Rapport final

Volume six : Recommandations en vue d'une réforme


PARTIE VII: FINANCER LA RÉFORME


CHAPITRE QUATORZE

Comment administrer les fonds supplémentaires que le gouvernement fédéral consacrera à la santé 

Le Comité a conclu le volume cinq de son étude en rappelant que, dans sa structure actuelle, le système public de soins de santé au Canada n’est pas financièrement viable[1]. Autrement dit, le mécanisme de financement du système de soins hospitaliers et de soins dispensés par les médecins payé par les deniers publics n’est plus conforme aux exigences du XXIe siècle. On devra par conséquent entreprendre une vaste réforme des mécanismes de financement des services hospitaliers et des services dispensés par les médecins si l’on veut préserver et améliorer le système de santé public auquel tiennent les Canadiens et qui les a si bien servis au cours des dernières décennies.

Toujours dans le volume cinq, le Comité indiquait ce qu’est pour lui un système de soins de santé financièrement viable : un système sur lequel les Canadiens peuvent compter maintenant et pourront compter dans l’avenir. S’agissant de sa viabilité, il convient de tenir compte de deux contraintes corrélées. D’une part, les contribuables doivent être disposés à payer pour l’entretenir. D’autre part, les gouvernements se doivent de favoriser l’expansion économique et donc de maintenir les taux d’imposition à un niveau ne risquant pas de nuire à la capacité du Canada de stimuler l’investissement, de créer des emplois et de demeurer compétitif par rapport aux autres membres de l’OCDE, en particulier les États-Unis[2].

Dans le volume cinq, le Comité s’est penché sur les tendances actuelles et projetées des dépenses de santé pour répondre à la question de la viabilité du système public canadien de soins de santé[3]. Il a recueilli des données sur les pressions continues qu’exercent sur les budgets de la santé la hausse rapide et marquée du coût des médicaments et des nouvelles technologies, le vieillissement de la population, les coûts déjà élevés et sans cesse croissants des ressources humaines dans le domaine de la santé et l’augmentation des attentes du public. En s’inspirant de ces données et de nombreux rapports et études sur l’augmentation des coûts de la santé au Canada, le Comité a déduit que le système public canadien de soins de santé n’est pas financièrement viable dans sa structure actuelle.

Dans le présent chapitre, nous allons examiner les répercussions d’un tel constat. La section 14.1 dresse un état des multiples facteurs qui, selon le Comité, exercent des pressions considérables sur les budgets de santé des gouvernements, à court comme à long terme. C’est d’ailleurs cette situation qui nous a amenés à conclure à la non-viabilité financière du système de santé du Canada et à la nécessité de lui consacrer davantage de fonds afin d’en assurer la survie et, en particulier, de le modifier pour en améliorer l’efficacité et l’efficience. La section 14.2 examine le rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer en matière de financement, du moins selon le Comité, afin de garantir la pérennité du régime national d’assurance-santé. À la section 14.3, enfin, nous décrivons le système d’administration que le gouvernement fédéral devrait, selon nous, appliquer à tous les nouveaux fonds destinés aux soins de santé.

 

14.1   Il faut investir davantage dans le système de soins de santé

Dans le volume cinq[4], le Comité s’était penché sur les tendances actuelles et projetées en matière de dépenses de santé. Nous les résumons à nouveau ci-après.

Selon des données provenant de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), les dépenses de santé publiques et privées au Canada ont dépassé 95 milliards de dollars en 2000, soit une progression de 6,9 % par rapport à l’année précédente. Même après correction pour tenir compte de l’inflation et de l’accroissement démographique, on observe une augmentation de 4,1 % en termes réels entre 1999 et 2000.

Les données montrent que la progression des dépenses de santé s’accélère. En fait, les dépenses réelles par habitant n’ont jamais augmenté aussi rapidement depuis les années 80. En outre, les projections témoignent de l’existence de facteurs qui tendent à faire grimper les dépenses de santé :

·        Coûts des médicaments : Les coûts des médicaments comptent actuellement pour plus de 15 % dans les dépenses totales (publiques et privées) en soins de santé. On prévoit qu’ils auront grimpé de 14,7 milliards de dollars en 2000, une hausse de 9 % par rapport à 1999. Dans le volume deux de son étude, le Comité avait fait remarquer qu’entre 1990 et 2000, les dépenses de médicaments par habitant avaient progressé de près de 93 %, soit plus du double de l’augmentation de l’ensemble des dépenses de santé (40 %)[5]. Or des médicaments nouveaux et efficaces mais extrêmement coûteux feront leur apparition sur le marché canadien dans les dix prochaines années (vaccin contre le sida, nouvelle cure immunologique contre le diabète juvénile, etc.), ce qui fera monter encore plus le coût total des médicaments.

·        Technologies nouvelles : Le Canada doit investir davantage dans les technologies de la santé et les systèmes d’information sur la santé. Dans le volume deux, le Comité précisait que chaque tranche d’un milliard de dollars d’investissement dans l’achat d’appareils neufs exige une somme supplémentaire de l’ordre de 700 millions de dollars pour couvrir les coûts connexes de fonctionnement et d’entretien des machines[6]. Il faudrait en fait augmenter les dépenses en capital de 2,5 milliards de dollars pour parvenir à un niveau d’équipement en nouvelles technologies analogue à celui des autres pays de l’OCDE (voir le chapitre dix). De même, on estime qu’il faudrait entre 6 et 10 milliards de dollars sur six à huit ans (ou 1 à 1,25 milliard de dollars annuellement) pour instituer une infostructure de la santé complète au Canada (voir le chapitre dix).

·        Vieillissement de la population : En 1998, 12 % des Canadiens avaient 65 ans ou plus, et plus de 43 % des dépenses de santé des provinces et des territoires concernaient les personnes âgées. D’après des chiffres de Statistique Canada, les personnes âgées représenteront 14,6 % de la population en 2010 et 23,6 % lorsque le gros de la génération du baby-boom aura pris sa retraite en 2031. Des interventions coûteuses qu’on ne pratiquait pas autrefois sur les personnes âgées leur sont maintenant offertes de plus en plus couramment[7]. On estime que le vieillissement de la population fera, à lui seul, augmenter de 1 % par an les dépenses totales en soins de santé. Si le pourcentage paraît faible, il équivaut tout de même à environ un milliard de dollars de plus par an pendant des dizaines d’années.

·        Coût des ressources humaines : Les coûts de main-d’œuvre représentent environ 75 % des dépenses de soins de santé. Selon le Conseil consultatif du premier ministre de l’Alberta sur la santé (dout le rapport est mieux connu sous le nom de « rapport Mazankowski »), plus de la moitié de l’accroissement du budget de la santé en 2001-2002 a été consacré aux augmentations salariales dans cette province. Cette tendance devrait se confirmer partout au Canada.

·        Recherche en santé : Un niveau sans précédent de financement de la recherche en santé va entraîner l’élaboration d’un grand nombre de technologies et de médicaments nouveaux. Cette année, les pays du G-7 consacreront l’équivalent d’une quarantaine de milliards de dollars américains à la recherche en santé, ce qui aboutira à des technologies efficaces mais chères dans des domaines comme la génomique, la protéomique et les nanotechnologies.

·        Augmentation des attentes de la population : De nombreux analystes ont affirmé que les attentes de la population en ce qui a trait aux soins hospitaliers et aux soins dispensés par les médecins vont avoir un impact considérable sur les coûts futurs. D’ailleurs, Roy Romanow le fait bien remarquer dans son rapport provisoire : « L’un des principaux facteurs d’augmentation au cours des dernières décennies a été l’évolution de nos attentes. De nos jours, nous voulons ce qu’il y a de mieux en matière de technologie, de traitements, d’installations, de recherche et de médicaments, et, par conséquent, nous dictons à nos gouvernements des impératifs qu’il leur est impossible de maintenir au fil des ans »[8]. Les Canadiens ont une attitude plus nord-américaine qu’européenne en matière d’attentes. Plus précisément, 64 % des Canadiens sont très intéressés par les nouvelles découvertes médicales, contre 66 % des Américains et 44 % des Européens.

·        Restructuration des soins médicaux : La restructuration, le renouvellement et la réforme du système de soins de santé vont coûter extrêmement cher. On estime, par exemple, que l’établissement d’équipes de soins de santé primaires au Québec coûtera en moyenne 750 000 $ par équipe (voir le chapitre quatre).

·        Lacunes du système : Comme nous l’avons signalé aux chapitres sept, huit et neuf du présent rapport, la couverture du régime d’assurance-santé comporte d’importantes lacunes, notamment pour ce qui est des médicaments, des soins à domicile et des soins palliatifs. Il va manifestement falloir que le gouvernement affecte plus d’argent au régime pour en élargir la couverture et en combler les lacunes.

Des témoins ont indiqué au Comité que, même d’après les projections les plus prudentes, les coûts des soins de santé progresseront de un point de pourcentage, voire davantage, de plus que l’augmentation du PIB et ce, pour un avenir indéfini. Étant donné le caractère public du système canadien de santé, ces tensions sur les coûts vont peser très lourd dans les budgets des administrations publiques à court et à long terme. Il en est d’ailleurs question dans le rapport (2000) des ministres provinciaux et territoriaux de la Santé sur les facteurs de coût ainsi que dans de nombreux documents remis au Comité.

Par exemple, dans un rapport rédigé pour l’Association des hôpitaux de l’Ontario, on apprend que près de 38 % des dépenses totales au titre des programmes ont été consacrées aux soins de santé en 2000-2001, soit une hausse de 33 % par rapport à 1992-1993[9]. Pour sa part, la Fédération des contribuables canadiens prévoit que la proportion atteindra 50 % dès 2007 en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick[10]. De son côté, le Conference Board du Canada estime qu’entre 2000 et 2020 les dépenses publiques en santé par habitant (corrigées en fonction de l’inflation) croîtront de 58 %, tandis que les dépenses publiques par habitant au titre de tous les autres programmes et services gouvernementaux n’augmenteront que de 17 %[11].

Cette augmentation du pourcentage des dépenses publiques consacrées à la santé est la meilleure indication des pressions financières qui s’exercent sur les gouvernements chargés de financer la santé. Une foule de témoins, notamment des administrateurs, des fournisseurs et des consommateurs de services de santé, ont exprimé de vives inquiétudes au sujet de l’augmentation des coûts des soins de santé et de ses répercussions sur les budgets des pouvoirs publics, que ce soit parce que les autres programmes gouvernementaux (comme l’éducation et les services sociaux) risquent d’être relégués au second plan ou que les finances publiques risquent d’être déstabilisées. Ces témoignages ainsi que de nombreux rapports abondant dans le même sens ont convaincu le Comité qu’en plus des autres réformes nécessaires, il est essentiel d’investir davantage dans le système canadien de soins de santé pour le renouveler et en assurer la pérennité.

Par contraste, dans un rapport récent, le professeur Gerard Boychuk de l’Université de Waterloo soutient qu’il n’existe pas de crise financière dans les soins de santé[12]. Selon lui, on ne peut parler de crise en ce sens que les dépenses canadiennes en matière de santé, exprimées en pourcentage du PIB ou en pourcentage des recettes générales de l’État, sont demeurées relativement constantes. Cependant, d’aucuns voient un certain nombre de lacunes dans cette analyse. D’abord, elle ne tient pas compte des projections relatives aux coûts de la santé, qui indiquent que les dépenses de santé vont augmenter à un rythme supérieur à la fois à la croissance du PIB et à celle des recettes de l’État. Ensuite, le professeur Boychuk reconnaît que les soins de santé occupent trop de terrain par rapport aux autres services publics, mais il dit que le problème n’est grave que du point de vue provincial et non à l’échelle nationale. Dans cet argument, il oublie que, même si deux ordres de gouvernement participent au financement de la santé, les contribuables sont seuls à assumer la totalité du fardeau de l’augmentation des coûts de la santé, où qu’ils habitent. Enfin, le professeur Boychuk soutient que le gouvernement fédéral a profité du passage du Financement des programmes établis (FPE) au TCSPS, car il a ainsi pu réduire sa part des dépenses en santé. Selon lui, le système public de soins de santé n’est plus viable du point de vue provincial à cause de la réduction des transferts fédéraux. La conclusion logique de cet argument semble par conséquent être que le gouvernement fédéral doit injecter davantage de fonds dans les soins de santé.

Le Comité n’est pas d’accord avec le professeur Boychuk pour dire que la crise touchant la viabilité du système de soins de santé est d’ordre politique plutôt que financier. Nous avons reçu un nombre écrasant de témoignages qui nous confortent dans notre conclusion que le système de santé public n’est pas financièrement viable aux niveaux de financement actuels et que, par conséquent, il faudra y investir davantage d’argent pour restructurer et renouveler l’assurance-santé, de même que pour combler les lacunes du filet de sécurité de la santé.

Certaines personnes et organisations ne sont pas du même avis. Elles pensent qu’on pourrait économiser suffisamment d’argent simplement en améliorant l’efficacité du système, de sorte qu’on n’aurait pas besoin de chercher de nouvelles sources de financement. Le Comité a toujours reconnu l’importance d’améliorer l’efficacité et l’efficience de la gestion et de la prestation des services de santé. D’ailleurs, bien des recommandations de restructuration contenues dans les chapitres deux, trois, quatre, six, dix et onze vont dans le sens de cet objectif.

Le Comité estime qu’on ne lui a pas fourni de preuves suffisantes  pour confirmer l’hypothèse que des gains d’efficacité permettraient, à eux seuls, d’éviter d’avoir à injecter des fonds supplémentaires. Dans son témoignage, Jack Davis, président-directeur général de la régie régionale de la santé de Calgary, a repris la position du Comité en déclarant ceci :

Il est naïf et irréaliste de croire qu’une mesure magique viendra améliorer les niveaux de productivité dans notre réseau de la santé, au-delà de tout ce qui existe ailleurs sur la planète[13].

Il faut restructurer le système public de soins de santé du Canada et le rendre beaucoup plus efficace et efficient. Toutefois, le Comité estime, et il l’a d’ailleurs déjà dit, que toute planification responsable des politiques publiques doit prévoir des fonds supplémentaires pour les soins de santé, notamment pour en financer la restructuration.  

Le Comité est convaincu qu’étant donné ses responsabilités en matière de financement des soins de santé, le gouvernement fédéral a un rôle capital à jouer dans tout ce qui touche au maintien et au renouvellement des soins de santé au Canada. Toutefois, vu la multiplicité des besoins concurrents en matière de dépenses fédérales (agriculture, forces armées, environnement, infrastructure urbaine, etc.), le Comité est d’avis qu’on ne pourra pas se contenter de transférer à la santé des sommes provenant d’une autre enveloppe budgétaire, mais qu’il faudra trouver des fonds additionnels.

On doit dès lors se poser la question la plus difficile à laquelle sont confrontés les décisionnaires et même tous les Canadiens : où doit-on aller chercher les fonds additionnels pour le secteur de la santé? Doivent-ils provenir d’une augmentation des impôts ou de nouveaux prélèvements fiscaux? Les particuliers et les entreprises doivent-ils les verser au gouvernement par la voie des impôts ou de cotisations au régime d’assurance-santé, ou directement au secteur de la santé? Jack Mintz, président-directeur général de l’Institut C.D. Howe, a d’ailleurs fort bien formulé la question :

(...) les gouvernements auront besoin de recettes supplémentaires parce que la part publique du coût des soins de santé augmente avec le temps. Par conséquent, nous devons réfléchir soigneusement aux moyens de financer la prestation publique des soins. Quels sont les moyens adéquats de financement? Voilà une importante question que les Canadiens devraient se poser, parce qu'il y aura un fardeau de plus en plus lourd que tous les Canadiens devront assumer[14].

De plus, en cherchant de nouvelles ressources, il ne faut pas oublier que le fardeau fiscal des particuliers canadiens est le plus élevé des pays du G-7 et qu’il est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. Le Comité croit, par conséquent, que les Canadiens doivent concilier, d’une part, leur désir de disposer de services de santé financés par les deniers publics et, d’autre part, leur volonté de payer des impôts pour que le gouvernement puisse les financer et la nécessité de fixer les impôts à des niveaux raisonnables de façon à soutenir la capacité du Canada d’investir, de créer des emplois et de continuer de faire concurrence aux autres pays de l’OCDE, surtout les États-Unis. Les recommandations du Comité sur la façon de trouver des fonds fédéraux supplémentaires pour les soins de santé sont présentées au chapitre quinze.

 

14.2   Le rôle du gouvernement fédéral en matière de financement

Beaucoup de témoins ont tenu à rappeler que le gouvernement fédéral a toujours joué un rôle important dans le financement des services de santé. De plus, les sondages d’opinion montrent que les Canadiens s’attendent à ce que le gouvernement fédéral continue de jouer un rôle de premier plan dans le système public de soins de santé.

Le Comité estime que, s’il veut préserver l’esprit du programme d’assurance-santé qu’il a lancé il y a déjà plusieurs dizaines d’années, le gouvernement fédéral doit jouer un rôle important dans la résolution des graves problèmes auquel est présentement confronté le système de santé public. Nous rappelons, à cet égard, le troisième principe énoncé dans le volume cinq de notre étude : « Le gouvernement fédéral joue un rôle de premier plan dans le maintien d’un système national d’assurance-santé »[15].  

Par le rôle qu’il joue dans le financement du secteur de la santé, le gouvernement fédéral peut encourager les provinces et les territoires à restructurer, reconfigurer et renouveler leur système de soins de santé et les aider à le faire. Le Comité est convaincu que la grande majorité des Canadiens souhaitent que le gouvernement fédéral soutienne les efforts des provinces, des territoires et des fournisseurs de soins de santé et forme des partenariats avec eux en vue d’apporter les changements voulus au système. En fait, comme nous l’avons précisé dans le volume cinq, la participation du gouvernement fédéral à ce processus est importante pour bien des raisons.[16]

Premièrement, les Canadiens tiennent à ce que des principes nationaux régissent le système de soins de santé; ils s’attendent à ce que le gouvernement fédéral veille à les établir et à les maintenir et à ce qu’il les applique d’un bout à l’autre du pays. Actuellement, la capacité du gouvernement fédéral de participer à l’élaboration et à l’application de normes nationales et de recommander des politiques aux provinces et aux territoires dépend, pour une large part, de l’importance de sa contribution financière.

Deuxièmement, et certains verront là l’argument le plus important, seul le gouvernement fédéral est en mesure de veiller à ce que toutes les provinces et tous les territoires disposent des ressources financières nécessaires pour répondre aux besoins de leur population en matière de soins de santé, quelle que soit la taille de leur économie. Le rôle de redistribution du gouvernement fédéral est fondamental dans ce que beaucoup appellent « la manière canadienne » de faire. À cet égard, voici la position de Sharon Sholzberg-Gray, présidente-directrice générale de l’Association canadienne des soins de santé :

(...) nous souhaiterions ajouter aux responsabilités du gouvernement fédéral celle de jouer un rôle de chef de file. Après tout, le fédéral est le seul ordre de gouvernement qui puisse garantir à tous les Canadiens l'accès à des services comparables, quelle que soit la région qu'ils habitent. Aucune administration provinciale ou territoriale n'est en mesure de faire cela. Seul le gouvernement fédéral peut offrir cette garantie, et il devrait donc assumer un rôle de direction dans ce domaine[17].

Troisièmement, le financement fédéral est crucial pour la réforme et le renouvellement du système de soins de santé. Il est certain que les changements à apporter à la structure et au fonctionnement du système vont exiger des fonds additionnels, du moins dans un premier temps.  

Quatrièmement, un système véritablement national exige une certaine harmonisation entre les provinces pour ce qui est des services assurés et des règles relatives au champ de pratique. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer pour faciliter cette harmonisation; il peut, par exemple, employer des moyens financiers pour persuader les provinces et les territoires de se conformer aux normes nationales.

Cinquièmement, le Comité croit fermement que les sommes que le gouvernement fédéral verse aux provinces et aux territoires au titre des soins de santé doivent lui garantir voix au chapitre lorsqu’il s’agira de restructurer le système de soins de santé. Le gouvernement fédéral ne doit pas simplement accorder des fonds; il doit aussi avoir son mot à dire sur la façon dont ils sont dépensés. Les Canadiens s’attendent, avec raison, à ce que le gouvernement auquel ils paient leurs impôts soit représenté lorsque se prennent les décisions sur la façon dont cet argent sera dépensé.

Enfin, le Comité est persuadé que le financement gouvernemental doit être stable et prévisible. Aucun secteur de l’économie ne peut fonctionner efficacement si, d’une année à l’autre, ses recettes sont soumises à d’importantes fluctuations indépendantes de sa volonté. En fait, il est impossible de bien planifier – tâche essentielle dans tout secteur qui se veut efficient – si le financement n’est pas stable et prévisible. Autrement dit, un financement pluriannuel est essentiel au fonctionnement efficace et efficient du système public de soins de santé.

 

14.3   Comment gérer les nouveaux fonds que le gouvernement fédéral destinera aux soins de santé

Avant de passer aux recommandations du Comité sur la façon de trouver de nouveaux fonds fédéraux destinés à la santé (voir le chapitre quinze), parlons d’abord de leur gestion. Le Comité croit que les Canadiens ne seront disposés à contribuer davantage aux dépenses publiques en santé qu’à condition d’être convaincus que ces sommes iront effectivement au système de santé et qu’elles seront dépensées judicieusement. Cela revient à dire que l’attribution des sommes additionnelles que les Canadiens verseront au gouvernement fédéral au titre des soins de santé devra faire l’objet d’un processus transparent grâce auquel le gouvernement sera tenu de rendre des comptes aux contribuables.

Le Comité croit fermement que les nouveaux fonds fédéraux destinés à la santé devront être gérés en fonction de quatre paramètres distincts mais interdépendants.

Premièrement, les recettes fédérales supplémentaires destinées à la santé devront être versées dans un fonds réservé, distinct du Trésor public. Nous croyons que les Canadiens n’accepteront pas de verser des cotisations de santé plus élevées s’ils n’ont pas la garantie que cet argent ira effectivement aux soins de santé et qu’il viendra véritablement s’ajouter aux sommes que le gouvernement fédéral s’est déjà engagé à consacrer à la santé. Cette position est d’ailleurs confirmée par un récent sondage Pollara[18] selon lequel 75 % des Canadiens seraient disposés à payer davantage sous forme d’impôts et de taxes si cet argent allait directement aux soins de santé plutôt qu’au Trésor. Ainsi il semble que, pour les Canadiens, les soins de santé soient un cas unique et qu’ils diffèrent des autres biens et services financés par le secteur public : réserver des fonds aux soins de santé permettrait de soustraire davantage le financement public aux aléas des décisions politiques relatives à l’attribution des ressources financières du gouvernement.

Deuxièmement, il faudra cibler les dépenses additionnelles que le gouvernement fédéral consacrera à la santé. Le Comité est convaincu que les nouveaux fonds fédéraux devront effectivement servir aux fins décrites dans le présent rapport, c’est-à-dire surtout à étendre la couverture de l’assurance-santé publique (comme nous l’expliquons aux chapitres sept, huit et neuf) et à améliorer l’efficacité et l’efficience du système de prestation de soins (financement des hôpitaux fondé sur les services dispensés, réforme des soins de santé primaires, technologie de la santé, informatisation des dossiers de santé, recherche et évaluation en santé, etc.). Autrement dit, les nouvelles sommes accordées aux provinces et aux territoires doivent servir à opérer de véritables changements et une vraie réforme, et non pas à financer le système de santé public dans sa forme actuelle.

Troisièmement, et comme corollaire au deuxième point, le Comité s’oppose fermement à ce que le gouvernement fédéral verse ces fonds supplémentaires aux provinces et aux territoires dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). En effet, les fonds du TCSPS ne peuvent être réservés à des fins précises et les provinces et les territoires ne sont pas tenus d’en rendre compte. Le Comité s’oppose aussi résolument au transfert de points d’impôt additionnels aux provinces et aux territoires. D’abord, l’effet du transfert de points d’impôt varie beaucoup d’une province à l’autre. Ensuite, une fois les points d’impôt transférés, le gouvernement fédéral n’a pas son mot à dire sur la façon dont les sommes sont dépensées.

Quatrièmement, le Comité est convaincu qu’il faudrait conseiller chaque année le gouvernement fédéral sur la façon de dépenser les fonds réservés. Ces conseils devraient figurer dans le rapport annuel rédigé par le conseil national des soins de santé dont le Comité propose la création au chapitre un. Ils devraient également être rendus publics dans un souci de transparence et de reddition de comptes.

Cinquièmement, il est essentiel que tous les ordres de gouvernement rendent compte de la façon dont ils dépensent les fonds fédéraux additionnels au titre des soins de santé. Le Comité estime que les Canadiens doivent pouvoir constater que l’argent est bel et bien dépensé aux fins désignées. Par conséquent, les deux ordres de gouvernement – fédéral et provincial-territorial – doivent assumer une responsabilité commune.

À l’échelle fédérale, le Bureau du vérificateur général devrait vérifier chaque année comment les fonds réservés ont été dépensés et rendre publics les résultats de cette vérification. Les provinces et les territoires, de leur côté, devraient rendre compte de façon transparente que les fonds fédéraux réservés à des fins données ont bel et bien été dépensés à ces fins. Pour ce faire, ils devraient faire rapport annuellement au Parlement et au public canadien sur l’utilisation des fonds fédéraux réservés à la santé.

Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement fédéral crée un fonds réservé aux soins de santé, distinct du Trésor. Ce fonds contiendra les recettes supplémentaires qu’il destine aux soins de santé.

Que les sommes réservées aux soins de santé ne soient consacrées qu’à la santé. De plus, qu’elles servent à opérer de véritables changements et une vraie réforme, c’est-à-dire exclusivement à étendre la couverture de l’assurance-santé et à restructurer et renouveler le système public de soins hospitaliers et de soins fournis par les médecins.

Que le conseil national des soins de santé soit chargé de conseiller le gouvernement fédéral sur la façon de dépenser les fonds réservés aux soins de santé, et que ses conseils soient rendus publics dans un rapport annuel.

Que le gouvernement fédéral soumette le fonds réservé aux soins de santé à des vérifications annuelles confiées au Bureau du vérificateur général du Canada. Que les résultats de ces vérifications soient rendus publics.

Que le gouvernement fédéral exige que les provinces et les territoires fassent rapport annuellement à la population canadienne quant à l’utilisation des sommes fédérales provenant du fonds réservé aux soins de santé.

Si les Canadiens se montrent disposés (comme nous le croyons) à contribuer à l’effort du gouvernement fédéral visant à augmenter les investissements dans le domaine de la santé, et si le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux sont prêts à collaborer à la restructuration et à l’expansion du régime d’assurance-santé, le Comité est d’avis que non seulement le système canadien de santé pourra devenir viable, mais aussi qu’il pourra entrer dans une nouvelle ère grâce à son efficacité, à sa qualité, à sa pertinence, à sa transparence et à son imputabilité accrues.


CHAPITRE QUINZE
Comment générer des fonds additionnels pour les soins de santé[19]

Comme nous l’avons indiqué au chapitre un du volume cinq et plus haut dans le présent rapport, les témoignages qu’il a entendus et les documents qu’il a consultés ont permis au Comité de réunir suffisamment d’informations pour conclure que le système public de soins de santé du Canada n’est pas viable financièrement. Il est donc impérieux d’y consacrer davantage d’argent dans le but de le renouveler et de le soutenir.

Les sommes additionnelles nécessaires ne peuvent provenir que des Canadiens, de sources publiques ou privées. Comme on le voit au tableau 15.1, les sources publiques comprennent notamment les impôts (principale source de financement des soins de santé au Canada, en Australie et au Royaume-Uni) ou encore les charges sociales réservées, payées par les employeurs et les salariés, et fondées sur les gains des travailleurs (comme c’est le cas en Allemagne et aux Pays-Bas). On peut aussi penser à des primes d’assurance-santé publique (comme c’est le cas en Alberta et en Colombie-Britannique) ou à un impôt spécifique au titre du système de santé (comme en Australie). Enfin, le financement public des soins de santé pourrait se faire par le truchement de prestations de soins de santé imposables, c’est-à-dire que l’on considérerait comme un revenu imposable les soins publics reçus par un particulier[20].

Parmi les sources privées de financement dont il a été question au cours des audiences du Comité, on relève différentes formes de frais d’utilisation des services assurés, des cotisations à des comptes d’épargne-santé (CES) et à d’autres régimes similaires et des régimes privés d’assurance-santé. Contrairement au Canada, des frais d’utilisation des services publics sont exigés en Australie, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède et au Royaume-Uni (entre autres pays). Il existe des régimes de CES à Singapour, en Afrique du Sud et aux États-Unis.  

TABLEAU 15.1  
SOURCES DE FINANCEMENT DES SOINS DE SANTÉ  

SECTEUR

SOURCE

 

 

 

 

PUBLIC

§         Impôts généraux – Cela comprend les impôts directs (impôt sur le revenu des particuliers et impôt des sociétés) et les impôts indirects.

§         Impôt spécifique – Impôt destiné à une utilisation spécifique, par exemple des services de santé imposables (formule selon laquelle les coûts de santé engendrés au cours d’un exercice s’ajoutent au revenu imposable).

§         Charges sociales – Cotisations liées aux gains des employés et versées par les employés et (ou) les employeurs.

§         Primes d’assurance-santé publique – Montant (fixe ou lié au revenu) versé par chaque citoyen et lui donnant droit à l’assurance-santé publique.

 

 

PRIVÉ

§         Frais d’utilisation – Correspondent à une forme de paiement effectué par un patient au moment où est fourni un service assuré.

§         Comptes d’épargne-santé (CES) – Comptes d’épargne-santé constitués pour couvrir les dépenses de santé d’une personne ou de sa famille a)b).

§         Assurance-santé privée – Souscrite par des particuliers ou par le truchement de régimes parrainés par l’employeur.

a)          Certains souhaiteraient que les CES soient financés par les deniers publics ou, selon certains Canadiens, par une combinaison de fonds publics et privés.
b)         Il existe également quelques autres régimes en vertu desquels le particulier assume certains coûts, mais pas nécessairement au point de service.
Source : Division de l’économie, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement; Brown et Haynes (2002).

L’assurance-santé privée pourrait servir à compléter ou à remplacer le système public de soins de santé ou à combler ses lacunes. Si l’on décidait de ne pas investir de crédits additionnels dans le système public de soins de santé comme le recommande le Comité, ou encore si le gouvernement ne garantissait pas l’accès aux soins nécessaires en temps opportun, la pression serait sans doute grande pour que le gouvernement autorise les Canadiens qui en ont les moyens à souscrire des assurances-santé privées dans le but d’obtenir des services de santé fournis par des établissements privés et, comme nous le disons au chapitre cinq, le gouvernement serait peut-être même légalement tenu de le faire.

Toutefois, l’assurance privée forcerait à renoncer au modèle de l’assureur unique, fortement prôné par le Comité, ce qui conduirait à l’instauration d’un régime privé parallèle de prestation de soins. Nous n’aborderons pas ici les conséquences d’une éventuelle légalisation de l’assurance-santé privée au Canada sur le système public de soins de santé; cette question est analysée en profondeur au chapitre seize.

 

15.1   Ampleur du financement fédéral additionnel requis

Le Comité croit que le gouvernement fédéral a le devoir de consacrer davantage d’argent au régime public. Sur la foi de nos calculs, la réalisation des recommandations présentées aux chapitres deux à treize nécessitera que le gouvernement fédéral consacre environ cinq milliards de dollars de plus à la santé, chaque année, cette somme comprenant une provision pour éventualités importante vu la très grande difficulté de prévoir l’évolution des coûts dans le secteur de la santé (voir le tableau 15.2).

Le montant de cinq milliards de dollars indiqué dans le tableau 15.2 représente l’estimation faite par le Comité de l’augmentation annuelle des coûts de santé qui découlerait de l’élargissement du régime public de manière à combler les lacunes constatées (aux chapitres sept, huit et neuf) et d’un investissement dans des mesures destinées à rendre plus efficaces et efficients le régime hospitalier et l’utilisation des médecins (comme il est proposé aux chapitres deux, trois, quatre, cinq, six, dix, onze, douze et treize). Ce montant s’ajoute aux sommes déjà affectées par le gouvernement fédéral à la santé (par le truchement du TCSPS et d’autres programmes). Il s’additionne également à toute hausse de la contribution fédérale requise pour soutenir le système actuel de services hospitaliers et de services fournis par les médecins à titre de mesure transitoire jusqu’à ce que les changements recommandés dans le présent rapport soient pleinement mis en oeuvre.


TABLEAU 15.2  
FONDS FÉDÉRAUX ADDITIONNELS REQUIS POUR LES SOINS DE SANTÉ  

Élargissement et restructuration

Part fédérale

(M $)

Détails

Élargissement de la couverture

§         Soins à domicile post-hospitalisationb)

§         Médicaments dont le coût est exorbitanta)

§         Soins palliatifsb)

 

550

500

250

 

Chaque année

Chaque année

Chaque année

Amélioration de l’efficience et de l’efficacité

§         Technologie de la santé (CUSS)c)

§         Immobilisations (CUSS)c)

§         Inforoute (DSE)c)

§         Immobilisations (hôpitaux communautaires)b)

§         Équipement (hôpitaux communautaires)b)

§         Réforme des soins primairesc)

§         ICISc)

 

400

400

400

150

100

50

50

 

2 milliards sur 5 ans

4 milliards sur 10 ans

2 milliards sur 5 ans

1,5 milliard sur 10 ans

500 millions sur 5 ans

250 millions sur 5 ans

Chaque année

 

Promotion et prévention

§         Promotion et protection de la santéc)

§         Prévention des maladies chroniquesb)

 

 

200

125

 

Chaque année

Chaque année

Ressources humaines en santé

§         Écoles de médecine(c)

§         Écoles de sciences infirmières et professions connexesc)

§         CUSS (études supérieures)c)

 

160

130

 

70

 

Chaque année

Chaque année

 

Chaque année

Recherche, évaluation et rapports

§         Recherche financée par l’ICISc)

§         Commissaire aux soins de santéc)

§         Système national (CCASS)c)

 

 

440

15

10

 

Chaque année

Chaque année

Chaque année

Provision pour éventualités (20 %)

1 000

Chaque année

TOTAL PARTIEL

5 000

Chaque année

a)          Financement fédéral à 90 %.
b)         Programme à partage égal des coûts entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires.
c)          Financement fédéral intégral.
Source : Voir les chapitres précédents.

Le Comité estime réaliste et raisonnable que le gouvernement fédéral, et donc les Canadiens par la voie de leurs impôts, consacrent cinq milliards de dollars par année, en crédits nouveaux, aux soins de santé de manière continue.

Les montants présentés en regard des différents postes au tableau 15.2 sont des estimations. Les sommes véritablement affectées à la réalisation de différentes fins varieront sensiblement d’année en année en fonction de l’importance accordée à chaque poste, chaque année. Ces priorités et les montants qui seront affectés à chaque poste devront être établis chaque année par le gouvernement fédéral, sur avis du conseil national des soins de santé décrit aux chapitres un et quatorze.

Les fonds additionnels que le Comité recommande au gouvernement fédéral de consacrer aux soins de santé doivent impérativement servir à soutenir le changement. Il convient de souligner qu’environ 30 % des dépenses fédérales additionnelles proposées seront consacrées à l’élargissement de la couverture des services de santé, à la promotion de la santé et à la prévention des maladies. Une autre tranche de 40 % environ servira à optimiser les services des médecins et du réseau hospitalier et à stimuler l’intérêt pour les différentes professions de la santé. Quelque 10 % des dépenses proposées seront affectés à la recherche en santé, à l’évaluation des résultats et à la production de rapports sur le rendement. Pour donner de la souplesse à l’exercice d’investissement fédéral, nous avons prévu une tranche annuelle de 20 % en guise de provision pour éventualités.

Il est également utile de souligner qu’une grande partie des cinq milliards de dollars en argent neuf fédéral couvrira les coûts de transition, lesquels diminueront à mesure que seront mis en œuvre les changements visant à améliorer l’efficience et l’efficacité du régime. Après cinq ou dix ans, les sommes affectées à la transition pourront être redirigées vers d’autres priorités en soins de santé.  

Le Comité reconnaît que certaines des mesures qu’il recommande – notamment en ce qui concerne les soins post-hospitaliers à domicile, les soins palliatifs et l’investissement dans les hôpitaux communautaires – nécessitent un partage des coûts avec les provinces et les territoires. Selon nous, ces coûts additionnels ne constitueront pas un fardeau financier supplémentaire important pour les gouvernements provinciaux et territoriaux relativement à ces programmes, étant donné que la part de 50 % que représentent les nouveaux investissements fédéraux recommandés par le Comité remplacerait des sommes que certaines provinces et certains territoires dépensent actuellement à cet égard. Cependant, les ressources dont dispose le Comité ne lui permettent pas d’évaluer avec précision l’ampleur exacte des économies pour les provinces et les territoires,  ni de calculer l’augmentation des coûts que représentent, pour ceux-ci, les programmes à frais partagés qu’il propose.

Qui plus est, dans certaines des recommandations du Comité, les crédits fédéraux remplaceront directement des sommes que les provinces et les territoires seraient autrement forcés de débourser. Par exemple, les crédits neufs fédéraux proposés dans les secteurs des technologies de la santé, des immobilisations des hôpitaux, de la réforme des soins primaires et des ressources humaines – qui représentent quelque 1,5 milliard de dollars – se substitueraient en totalité à des investissements que devraient autrement consentir les provinces et les territoires pour réformer et renouveler leur système de soins de santé. Il est donc juste de dire que les recommandations du Comité généreraient au moins  1,5 milliard de dollars d’économies pour les provinces et les territoires. Cette somme s’ajoute aux économies issues des gains d’efficacité et d’efficience réalisés grâce à la réforme que nous proposons. Le Comité s’attend d’ailleurs que ces économies soient substantielles une fois que les changements qu’il recommande seront entièrement opérationnels.

 

15.2   Sources possibles de financement fédéral accru

De quelle source devraient provenir les nouveaux fonds fédéraux en santé? Le gouvernement fédéral devrait-il simplement augmenter le taux de l’un ou de plusieurs des impôts directs et indirects déjà en place (imposition générale)? Devrait-il prendre de nouvelles mesures fiscales liées spécifiquement au financement des soins de santé, par exemple créer un impôt spécifique pour les soins de santé, imposer les services reçus au même titre que le revenu, percevoir des charges sociales spéciales ou instaurer une prime nationale d’assurance-santé? Le gouvernement fédéral devrait-il également envisager une hausse du financement privé des soins de santé, par l’imposition de droits d’utilisation, la constitution de CES ou d’autres régimes chargeant le particulier d’une partie des coûts des soins qu’il reçoit?

Ces questions sont examinées en détail dans le présent chapitre. Nous y analysons les avantages et les inconvénients de tous les modes envisageables de financement public et privé d’un relèvement de la contribution du gouvernement fédéral aux soins de santé : impôt général, impôt spécifique, prestations de santé imposables, charges sociales et primes d’assurance-santé publique. Nous y abordons également les frais d’utilisation, les CES et le principe du pré-financement des soins de santé.

Pour l’analyse de chacune des sources potentielles de recettes pour le gouvernement fédéral, le Comité utilise le même ensemble de critères : équité, efficience, équité entre les générations, stabilité et visibilité.

·        L’équité porte principalement sur la redistribution du revenu et la justice sociale. On peut dire qu’il s’agit de la mesure dans laquelle les cotisations au financement de l’assurance-santé sont fondées sur la capacité de payer (redistribution du revenu) et de la mesure dans laquelle l’accès à l’assurance-santé est fondé sur le besoin (justice sociale).

·        L’efficience a trait à la répartition optimale des ressources. Est efficient un système qui fausse ou inhibe le moins possible les décisions dans le reste de l’économie (il pourrait s’agir par exemple d’une réduction des investissements commerciaux, d’une baisse de la consommation et du niveau de vie, de préjudices causés au marché du travail et à la création d’emplois, de la détérioration de la compétitivité internationale, etc.). L’efficience porte aussi sur le rapport coût-efficacité qui permet de déterminer si les revenus destinés aux soins de santé sont générés au moindre coût possible, en matière d’administration et de contrôle de la conformité.

·        L’équité entre les générations compare la distribution des coûts entre les jeunes et les personnes âgées et entre les personnes retraitées et celles qui sont sur le marché du travail.

·        La stabilité porte sur la prévisibilité du financement futur.

·        La visibilité renvoie à la capacité des citoyens de faire le lien entre leurs cotisations aux dépenses publiques en santé (pour chaque ordre de gouvernement) et les avantages qu’ils en retirent.

Ces critères ont aidé le Comité à choisir les sources de financement qui semblent le mieux convenir au but recherché, à savoir permettre au gouvernement fédéral de générer des recettes additionnelles à consacrer aux soins de santé.

Le Comité tient à préciser d’entrée de jeu que les nouvelles sources de financement doivent garantir que le système de soins de santé pourra continuer de répondre aux besoins des Canadiens sans empiéter sur le financement d’autres besoins et sans faire porter aux citoyens ou aux entreprises un fardeau fiscal intolérable. Toute nouvelle forme de ponction envisagée doit nuire le moins possible à l’économie, notamment à la création d’emplois et à la croissance des revenus. De plus, les nouvelles sources de recettes doivent rendre les Canadiens plus conscients du lien entre les soins de santé qu’ils reçoivent du régime public et les impôts et taxes qu’ils paient pour les financer.

 

15.3   Impôts généraux

Actuellement, les crédits fédéraux affectés à la santé proviennent des recettes fiscales générales, lesquelles sont issues des impôts directs et indirects. Les impôts directs, perçus auprès des particuliers, des ménages ou des sociétés, comprennent l’impôt sur le revenu des particuliers et l’impôt des sociétés. Les impôts indirects, perçus sur les transactions et les biens et services vendus, comprennent notamment les taxes de vente, les taxes sur la valeur ajoutée et les taxes d’accise.

Actuellement, aucun des impôts directs et indirects qui sont à la source des recettes fiscales générales du gouvernement fédéral ne fait ressortir le lien entre les impôts payés et les services reçus. C’est d’ailleurs en grande partie pour cette raison que tant de Canadiens considèrent leur système de soins de santé comme gratuit. Les diverses recettes fédérales engendrées par les impôts directs et indirects sont actuellement versées dans un seul fonds : le Trésor. Cela explique qu’il n’existe pas de lien direct entre les impôts payés et les dépenses en santé, malgré le fait qu’une importante part des recettes gouvernementales sert à payer les soins de santé. Ce régime diffère grandement de l’imposition spécifique (voir la section 15.4, ci-dessous), où les recettes fiscales destinées au service visé sont versées dans un fonds particulier réservé à cette fin.

Toutes les formes d’imposition directe et indirecte ont des conséquences diverses en matière d’équité et d’efficience. Les impôts directs perçus auprès des particuliers sont souvent progressifs, c’est-à-dire que le montant à verser augmente avec le revenu, de sorte que les mieux nantis paient proportionnellement plus que les petits salariés. Il en découle une redistribution des revenus des riches vers les moins fortunés.

Les impôts indirects, comme la taxe de vente, sont habituellement jugés régressifs, étant donné que les sommes versées sont liées à la consommation de biens et services taxables; ainsi, les personnes qui ont des revenus élevés paient proportionnellement moins d’impôts indirects par rapport à leur revenu (mais elles en paient plus, en termes absolus). En effet, les personnes moins fortunées consacrent une part plus grande de leurs revenus à l’achat de biens et services que les plus fortunés, de sorte que le fardeau des taxes à la consommation est plus lourd pour les moins nantis. Cependant, sur l’espace d’une vie, la consommation est à peu près proportionnelle au revenu, pour une large fourchette de revenus; par conséquent, les taxes à la consommation ne sont pas aussi régressives qu’on pourrait le croire à première vue. De plus, diverses mesures de compensation, par exemple le crédit d’impôt pour TPS, peuvent réduire le caractère régressif d’une taxe à la consommation.

Dans son mémoire au Comité, Robert Evans, professeur d’économie de la santé à l’Université de la Colombie-Britannique, donne l’explication suivante :

Un impôt est dit progressif lorsque l’obligation fiscale du contribuable augmente plus vite que son revenu, de sorte que les personnes à revenu élevé paient plus d’impôt que les autres en termes absolus et en proportion de leur revenu. Inversement, une imposition régressive fait en sorte que les personnes à faible revenu versent une part plus élevée de leurs revenus en impôts et taxes[21].

Par conséquent, les répercussions éventuelles de l’imposition générale sur le plan de l’équité dépendent, d’une part, de la structure des régimes d’imposition directe et indirecte du pays et, d’autre part, des recettes relatives perçues par chaque type de taxe[22]. Des études fondées sur des données de l’OCDE indiquent que, dans les pays où les recettes fiscales générales financent la plupart des soins de santé, la combinaison de taxes et d’impôts directs et indirects tend à rendre l’imposition générale légèrement progressive[23].

En 2000, les recettes fiscales du Canada étaient constituées pour 57 % d’impôts directs et pour 43 % d’impôts indirects. Des données montrent également que le régime fiscal canadien est devenu plus progressif au cours de la dernière décennie : en 1993, 49 % des recettes fiscales du Canada provenaient d’impôts indirects[24].

Par rapport à la moyenne dans les autres pays de l’OCDE qui financent leurs soins de santé à même les recettes fiscales, le Canada compte beaucoup sur l’impôt sur le revenu des particuliers[25]. En fait, seuls le Danemark, l’Australie et la Nouvelle-Zélande tirent une part plus grande de leurs recettes fiscales de cet impôt[26]. En ce qui concerne la part relative de l’impôt des sociétés dans les recettes fiscales, le Canada se situe encore là au-dessus de la moyenne des pays qui financent leur système de soins de santé à même les recettes fiscales générales[27]. Enfin, le Canada est légèrement sous la moyenne pour ce qui est de la part des impôts indirects dans les recettes fiscales[28]. Par conséquent, on peut dire que le Canada dispose de l’un des systèmes fiscaux les plus progressifs des pays de l’OCDE.

D’un autre point de vue, cependant, le fait que les taux de l’impôt sur le revenu des particuliers soient significativement plus élevés au Canada qu’aux États-Unis signifie que le Canada est moins intéressant pour les travailleurs qualifiés à hauts revenus. Cette situation a aussi pour effet de faire grimper le coût au Canada des capitaux d’investissement provenant de l’épargne personnelle, ce qui nuit à l’investissement, à la productivité et à la croissance. Voici ce qui a été dit au Comité :

Un certain nombre de facteurs (dette publique et dépenses sociales plus élevées) sont susceptibles de faire en sorte que le Canada continuera pendant un certain temps encore à avoir des taux d’imposition du revenu des particuliers plus élevés que les États-Unis, mais il vaudrait mieux éviter de creuser l’écart entre les taux américains et canadiens et, à terme, chercher à réduire cet écart. Par conséquent, on a de bonnes raisons de ne pas trop augmenter l’impôt sur le revenu des particuliers et d’élargir l’écart à ce chapitre entre le Canada et les États-Unis[29].

De même, on a expliqué au Comité pourquoi il serait difficile et malavisé d’augmenter l’impôt des sociétés pour financer l’augmentation des dépenses fédérales en santé. L’assiette d’imposition des sociétés est non seulement plus petite que l’assiette de l’impôt sur le revenu des particuliers ou que celle des cotisations sociales, mais aussi beaucoup moins stable. Par ailleurs, la hausse des taux d’imposition des sociétés nuirait gravement au rendement des capitaux investis au Canada, ce qui découragerait non seulement l’investissement mais aussi la création d’emplois. Même des entreprises établies pourraient être tentées de quitter le Canada devant une hausse considérable du fardeau fiscal. En général, de nombreux témoins ont fait valoir que l’impôt des sociétés est un véhicule qui ne convient pas pour générer des recettes additionnelles destinées à financer les soins de santé.

Il a été dit au Comité qu’une augmentation de l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers nuirait considérablement à l’efficience, au niveau de l’offre de main-d’œuvre, de l’épargne et de l’investissement. Des témoins ont affirmé qu’un impôt sur le revenu est une « double taxe » sur l’épargne, puisque le revenu d’où provient l’épargne est imposé et qu’ensuite l’intérêt gagné sur l’épargne est également frappé d’un impôt.

Quoi qu’il en soit, étant donné que le financement du système de soins de santé par les recettes fiscales générales tire ses revenus d’une large assiette, il contribue à réduire les inégalités créées dans l’économie. De plus, le financement des soins de santé par les recettes fiscales générales coûte peu en administration[30].

Dans le cadre d’un système de soins de santé financé à même les recettes fiscales générales, par opposition à un régime financé par des impôts spécifiques, les décisions relatives aux montants à consacrer à la santé nécessitent obligatoirement des compromis avec les autres priorités de dépenses du gouvernement, par exemple les programmes sociaux ou la réduction des impôts et de la dette. Donc, le financement des soins de santé à même les recettes fiscales engendre des négociations sur les dépenses publiques au sein même du gouvernement. Ce processus permet une certaine transparence, mais il a le défaut de lourdement politiser la prise de décisions.

Le financement de la santé à même les recettes fiscales présente l’autre inconvénient de rendre le système de santé vulnérable en période de ralentissement économique ou de compressions budgétaires. Lorsque l’économie ralentit, les recettes fiscales diminuent et les gouvernements sont incités à réduire les dépenses publiques. Cela nuit naturellement à la stabilité du financement des soins de santé. Il convient toutefois de souligner que toutes les recettes fiscales fluctuent au rythme des variations de l’économie et que les recettes générales varient moins que bien des taxes et impôts spécifiques.

Enfin, ce qui pourrait être l’argument le plus important, des témoins ont fait valoir que les impôts directs et indirects n’ont pas le même impact sur les différentes générations, d’où la question de l’équité entre générations. L’impôt sur le revenu prélève une part plus grande des recettes gouvernementales auprès des jeunes actifs que des retraités. Donc, l’augmentation prévue du rapport des retraités à la population active au Canada devrait réduire l’assiette de l’impôt et donc les recettes fiscales. Par conséquent, dans un système de santé financé par des impôts directs, et en particulier par l’impôt sur le revenu des particuliers, les besoins des personnes âgées pourraient être largement subventionnés par la population active plus jeune. À ce sujet, voici ce qu’avait à dire au Comité Jack Mintz, président-directeur-général de l’Institut C.D. Howe :

En fait, l'OCDE a estimé qu'avec le vieillissement de la population, le ratio impôts/PIB du Canada baissera de 1,5 point. C'est parce qu'une fois à la retraite, les personnes âgées tendent à gagner un revenu moindre et, par conséquent, à payer moins d'impôts que les travailleurs. Il y a peut-être de meilleures sources de financement des soins de santé parce que la majorité des dépenses qui y sont consacrées sont attribuables aux dernières années de vie des personnes âgées. Par conséquent, à mesure que la population vieillit et que les prestations versées à l'égard des aînés augmentent, les impôts frappant les travailleurs devront augmenter aussi pour financer ces prestations[31].

Inversement, d’autres intervenants ont dit au Comité que les changements démographiques ont moins d’effet sur les recettes gouvernementales issues de l’imposition indirecte, comme les taxes à la consommation. De plus, l’utilisation des taxes à la consommation pourrait être préférable, du point de vue de l’efficience économique, à l’utilisation de l’impôt sur le revenu des sociétés. David Stewart-Patterson, vice-président principal du Conseil canadien des chefs d'entreprise, a insisté sur ce point :

Quiconque examine la politique fiscale doit se rappeler que les taxes et les impôts n’ont pas tous les mêmes incidences économiques. Comme l’évalue le ministère des Finances, un dollar additionnel prélevé en impôt des sociétés peut faire neuf fois plus de dommages à la croissance économique qu’un dollar issu de la taxe de vente. Ainsi, plus le Canada choisira de consacrer d’argent au système public de soins de santé, plus il devra compter sur les taxes à la consommation afin de demeurer compétitif[32].

Jack Mintz, de l’Institut C.D. Howe, a tenu des propos similaires :

[…] les taxes à la consommation […] n'ont pas trop d'effets de distorsion sur l'économie et […] tendent à être imposées d'une façon assez efficace. Elles s'appliquent d'une façon plus progressive que l'impôt sur le revenu, par exemple, pendant le cycle de vie parce que le revenu tend à atteindre son maximum pendant la vie active, puis à diminuer progressivement après la retraite. En même temps, la consommation est généralement moindre que le revenu dans les années où les gens économisent, tandis qu'elle augmente par rapport au revenu à la retraite, lorsque les gens puisent dans leur actif pour vivre. Les taxes à la consommation tendent également à être proportionnelles à la consommation des individus pendant leur cycle de vie. On pourrait les rendre progressives au moyen d'un crédit d'impôt semblable au crédit pour TPS qui assure un certain allégement fiscal aux Canadiens à faible revenu[33].

David Kelly, un ancien sous-ministre de la Santé en Colombie-Britannique, croit également que les taxes à la consommation perturbent moins l’économie :

Si la décision a déjà été prise d'augmenter le financement en matière de santé et si la question consiste à déterminer quelle devrait être la source des recettes, j'agirais exactement comme le gouvernement de la Colombie-Britannique lorsqu'il a découvert il y a quelques mois qu'il ne disposait pas des revenus suffisants pour couvrir les coûts des soins de santé en pleine expansion — il a tout simplement augmenté la taxe à la consommation.

[…]Premièrement, elle permet d'augmenter rapidement les recettes. Deuxièmement, il faut maintenir l'impôt sur le revenu, l'impôt des sociétés, les charges sociales et ainsi de suite à distance raisonnable des impôts et taxes américains, ce qui impose des restrictions considérables à notre politique. Troisièmement, c'est une taxe visible. Elle forcerait les consommateurs à réaliser les répercussions des augmentations des coûts des soins de santé. Elle pourrait également inciter davantage les consommateurs à tenir compte du facteur coûts, ce qui à mon point de vue serait sain[34].

Pour résumer, le choix entre l’imposition directe et l’imposition indirecte, comme moyen d’accroître les recettes fédérales destinées à la santé, entraîne obligatoirement des compromis entre l’équité, la justice entre les générations et l’efficience. À la lumière des témoignages reçus, le Comité conclut que le premier objectif devrait être de faire en sorte que tout nouvel impôt soit le plus efficient possible de manière à nuire le moins possible à l’économie (notamment à la création d’emplois et à la croissance économique), puis d’assurer la progressivité du système par des mesures additionnelles comme des crédits d’impôt pour les faibles revenus et des impôts additionnels pour les revenus élevés.

 

15.4   Impôts spécifiques

Les impôts spécifiques sont des impôts affectés à un usage déterminé. Ils peuvent être directs ou indirects. Un impôt réservé aux soins de santé présente plusieurs avantages par rapport aux recettes fiscales générales. Il a des chances d’être mieux accepté que d’autres ponctions fiscales puisqu’il est clairement rattaché à une utilisation qui profite à la population. Le fait de créer un lien véritable entre la perception d’un impôt et une dépense rend le financement de la santé plus transparent et plus souple. De plus, le prélèvement d’un impôt spécifique permet aux gens de se sentir davantage interpellés par le régime fiscal, chose qui peut inciter les fournisseurs de soins et les établissements à améliorer la qualité et l’accessibilité des services. Enfin, les recettes d’impôts spécifiques pourraient être plus stables, car elles sont moins exposées aux aléas des décisions politiques relativement à l’affectation des ressources financières de l’État.

De nombreux témoins ont présenté de solides arguments pour l’instauration d’impôts spécifiques. Selon eux, c’est la solution que souhaitent les Canadiens. Par exemple, le docteur Les Vertesi, directeur du service de médecine d’urgence au Royal Columbian Hospital de Vancouver, a dit ceci au Comité :

Je crois que le public est prêt à investir plus d'argent dans son réseau public de la santé, mais pas pour des taxes qui se retrouvent dans les recettes générales. C'est une question de confiance. Le bilan des administrations gouvernementales qui imposent le revenu des gens, puis garantissent que l'argent recueilli sera consacré à certains services désignés n'est pas reluisant — tout au moins c'est la perception. Le lien de confiance a été rompu. Les gens ne veulent pas donner de l'argent aux pouvoirs publics et constater que celui-ci ne fait que disparaître. Ils sont prêts à le faire si on les rassure sur le fait que l'argent ira aux soins de santé, et surtout aux soins de santé locaux[35].

Les impôts spécifiques présentent un certain nombre d’inconvénients. En effet, tous les impôts qualifiés de spécifiques ou présentés comme tels ne sont pas nécessairement destinés à un usage concret. Cela est particulièrement vrai lorsque les recettes d’un impôt spécifique sont groupées avec d’autres recettes fiscales. Cette fusion de recettes affaiblit le lien entre les recettes et les dépenses et, par voie de conséquence, mine l’assurance qu’a la population de voir son argent servir à la fin prévue. Pour qu’un impôt soit efficacement spécifique ou affecté à une fin, il faut que les recettes qu’il génère soient versées dans un fonds spécifique et non pas au Trésor.

Le fait d’affecter des impôts à des fins particulières rigidifie le processus budgétaire du gouvernement, car les dépenses affectées au programme visé sont déterminées par les recettes réalisées et non pas par des décisions stratégiques. Un autre inconvénient tient au fait que les recettes tirées d’un seul impôt spécifique peuvent être cycliques et sujettes à des variations suivant les accélérations et les ralentissements de l’économie.

Également, le fait de séparer les soins de santé des autres postes de dépense pourrait constituer un encouragement à financer distinctement d’autres postes budgétaires au moyen d’impôts spécifiques. Si une telle tendance touchait un certain nombre de domaines, le gouvernement finirait par avoir du mal à entretenir un Trésor suffisant pour acquitter les coûts des programmes gouvernementaux nécessaires mais moins populaires, notamment l’aide à l’étranger. Il serait donc irréaliste d’instaurer un grand nombre d’impôts spécifiques.

Dans le volume quatre, le Comité présente une solution en vertu de laquelle les coûts des soins de santé reçus par un particulier au cours d’une année sont considérés comme un avantage imposable pour cet exercice. Ainsi, un particulier paierait de l’impôt sur le coût des services de santé qu’il a reçus, à concurrence d’un certain montant annuel. Ce mode d’imposition générerait des recettes additionnelles pour les soins de santé et favoriserait une responsabilisation des gens vis-à-vis de la consommation des soins de santé[36]. Selon cette solution, qui est une forme d’impôt spécifique, un particulier devrait ajouter le coût des services de santé qu’il a reçus au cours de l’exercice à son revenu imposable. Cette option est préconisée depuis quelques années, notamment par Jack Mintz et coll. (1998)[37], Tom Kent (2000)[38] et, tout dernièrement, par Mintz, Aba et Goodman (2002)[39].

Selon le plan proposé par Mintz, Aba et Goodman, les particuliers paieraient un impôt de 40 % sur les coûts des soins de santé qu’ils engendrent au cours d’un exercice, jusqu’à un plafond équivalant à 3 % de leur revenu annuel. Les familles dont les revenus sont inférieurs à 10 000 $ par année seraient exemptées de cet impôt pour les coûts des services reçus du système public de soins de santé. Dans ce type de système, un particulier cotise proportionnellement à l’utilisation qu’il fait des services de santé, jusqu’à concurrence de 3 % de son revenu.

Mintz, Aba et Goodman font valoir que, en établissant un rapport entre la cotisation du particulier et les services qu’il utilise effectivement, et en encourageant les utilisateurs à penser aux coûts, on pourrait utiliser les ressources en santé de manière plus efficiente. Les auteurs estiment également que le fait de limiter les cotisations du particulier à 3 % de son revenu annuel garantirait que les coûts demeurent abordables pour le contribuable et donc que personne ne risque d’être privé de services de santé nécessaires. En outre, ce système éviterait que les coûts de la santé ne constituent pour un contribuable donné un fardeau excessif.

En s’inspirant de données sur l’utilisation des soins de santé, Mintz, Aba et Goodman ont estimé que 62 % des Canadiens paieraient la cotisation maximale de 3 % de leur revenu annuel. Mises ensemble, ces cotisations généreraient des recettes additionnelles de 6,6 milliards de dollars (soit environ 16 % du total des dépenses publiques affectées aux médecins, aux hôpitaux et aux autres établissements de santé). Selon leurs calculs, la perception de cet impôt ferait diminuer de 13,5 % l’utilisation des services de santé, ce qui représente une économie de 6,3 milliards de dollars. Les auteurs croient que les coûts administratifs additionnels seraient minimes, car les cotisations seraient prélevées par le truchement du système de perception des impôts provinciaux et territoriaux.

Un certain nombre de témoins ont présenté de propositions semblables à celle de Mintz et coll. Par exemple, Paul Darby, directeur des prévisions économiques au Conference Board du Canada, a dit ceci :

[Cette solution] est très intéressante en ce sens qu'elle fait comprendre aux utilisateurs du système ce que coûtent les soins de santé. Elle présente aussi l'avantage de lier ces coûts à un paiement — du moins jusqu'à un certain point. Je ne suis pas sûr qu'elle règle le problème de la redistribution ou du transfert du fardeau aux membres les plus défavorisés de la société[40].

La solution consistant à prélever un impôt sur les services de santé serait garante de visibilité, sans compter qu’elle améliorerait sensiblement la stabilité du financement du système de soins de santé. Une telle solution aurait un impact semblable, d’une certaine manière, à l’imposition directe pour ce qui est de l’efficience et des distorsions économiques. Cependant, elle amènerait le Canada à dépendre davantage de l’impôt sur le revenu des particuliers, lequel est déjà bien plus lourd ici que dans les autres pays de l’OCDE.

L’argument le plus probant présenté au Comité contre les services de santé imposables veut que certaines personnes auront l’impression de payer deux fois les soins qu’elles reçoivent : une fois par l’imposition générale et une autre fois par l’impôt qu’elles doivent verser au titre des services de santé consommés durant l’année. L’argument du « double paiement » a convaincu le conseil consultatif du premier ministre de l'Alberta sur la santé de ne pas retenir cette solution[41].

On a proposé au Comité une manière relativement efficiente de générer de nouvelles recettes fédérales pour les soins de santé : réserver une partie d’une taxe à la consommation, par exemple la TPS. La TPS est la principale taxe à la consommation fédérale au Canada. Selon de nombreux témoins, il s’agit d’une taxe relativement efficiente; en raison de son champ d’application large et généralement neutre, la TPS est l’impôt à la consommation que l’on pourrait le plus facilement relever pour payer les dépenses additionnelles du gouvernement fédéral en santé.

Cependant, cette solution serait sensiblement plus régressive que l’imposition des services de santé. Quoi qu’il en soit, le projet d’affecter une hausse de la TPS au paiement des soins de santé a été accueilli favorablement par un grand nombre d’intervenants au cours des audiences du Comité. Par exemple, Paul Darby a expliqué ce qui suit :

[…] la position du Conference Board en ce qui concerne la façon d'assurer le financement du système de soins au cours des 30 prochaines années a tendance à favoriser le recours accru aux taxes de consommation, comme la TPS. À notre avis, il faut essayer d'éviter des taxes et impôts qui touchent le travail, c'est-à-dire l'impôt sur le revenu et les charges sociales. Pour nous, les taxes de consommation auraient sans doute l'effet démobilisateur le moins important de toutes les options qu'on pourrait envisager en matière de fiscalité. […] Nous souhaitons qu'il y ait une corrélation directe entre l'impôt et les dépenses engagées au titre des soins de santé, dans l'espoir que ce type d'impôt soit beaucoup plus facile, sur le plan politique, à faire accepter par la population[42].

M. Darby a dit que des remises aux Canadiens à faible revenu, comme le crédit pour la TPS, pourraient être offertes dans le cadre d’une TPS spécifique et majorée, afin d’améliorer l’équité et la progressivité du régime. De plus, si ces remises étaient structurées sur le modèle du crédit pour TPS, elles feraient peu augmenter les coûts d’administration.

 

15.5   Charges sociales

Dans beaucoup de pays de l’OCDE (notamment en Allemagne et aux Pays-Bas), le financement public des soins de santé se fait par le truchement de charges sociales spécifiques. Les cotisations sont habituellement obligatoires et concernent les salariés et les employeurs. Elles sont prélevées sur les salaires et conservées (dans une « caisse d’assurance-maladie ») par un organisme indépendant du gouvernement. Le principal intérêt des charges sociales spécifiques (ou « caisses d’assurance sociale ») qui existent dans bon nombre de pays de l’OCDE tient à l’indépendance de l’assureur vis-à-vis du gouvernement et à l’impression de souplesse qu’il donne au patient ou consommateur.

Au Canada, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux utilisent déjà des charges sociales spécifiques sous une forme ou une autre. À l’échelon fédéral, il s’agit des cotisations à l’assurance-emploi et au Régime de pensions du Canada (le RPC et la RRQ sont de responsabilité fédérale et provinciale). Les charges sociales provinciales comprennent les cotisations aux commissions de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (dans chaque province) et les impôts au titre du système de santé et de l’éducation postsecondaire (au Québec, au Manitoba, en Ontario, à Terre-Neuve et dans les Territoires du Nord-Ouest), quoi que le produit de ces derniers ne soit pas réservé à un usage spécifique.

Une charge sociale dont le produit est réservé au financement des soins de santé offre les avantages déjà cités pour les impôts spécifiques. Par exemple, elle peut être versée dans un fonds distinct. Elle est très visible et transparente, de sorte qu’elle est mieux acceptée par la population. En d’autres mots, en raison de la plus grande transparence inhérente à un régime de charges sociales, les gens résistent moins à une hausse des cotisations qu’à une hausse des impôts généraux. De plus, les recettes issues des charges sociales sont, du moins en théorie, davantage protégées de l’ingérence politique annuelle, étant donné que les décisions budgétaires et de dépenses peuvent être confiées à des organismes indépendants. Il est tout aussi important de souligner que, en n’imposant que le revenu du travail, on évite de nuire à l’épargne et à l’investissement. Enfin, les recettes issues des charges sociales semblent plus stables. À ce point de vue, voici ce qu’indique un rapport publié récemment :

En Belgique, où les soins de santé sont financés à parts presque égales par les impôts et les cotisations à l’assurance sociale, la variation de la croissance annuelle moyenne a été plus grande pour les recettes de source gouvernementale que pour les autres. […] En d’autres mots, les dépenses gouvernementales en santé ont fluctué davantage que les recettes de l’assurance sociale. […] Par conséquent, si l’on compte davantage sur l’impôt général que sur les cotisations sociales, les recettes seront moins stables[43].

Cependant, l’affectation de charges sociales à une fin précise présente un certain nombre d’inconvénients. Les employeurs sont habituellement tenus de cotiser à une partie des coûts de l’assurance-santé, ce qui fait monter les coûts de main-d’oeuvre, nuit à la création d’emplois et réduit la compétitivité internationale de l’économie nationale. De plus, les charges sociales reposent sur une assiette relativement petite (le revenu du travail des salariés). Par conséquent, il faudrait porter le taux des charges sociales à un niveau relativement élevé pour obtenir le même produit que l’impôt général sur tous les revenus. Cela explique sans doute pourquoi les recettes fiscales générales sont une importante source complémentaire de revenus dans les pays disposant d’un régime à charges sociales affectées à la santé. Dans ces pays, une partie du produit des impôts généraux est habituellement virée à des caisses d’assurance-santé pour couvrir les cotisations des inactifs. Les recettes fiscales générales peuvent également couvrir les déficits des caisses publiques d’assurance-santé constituées à même les charges fiscales.

Contrairement à l’impôt général, les charges sociales peuvent aussi nuire à la mobilité des travailleurs; en effet, les salariés peuvent hésiter à passer à un emploi non couvert (par exemple un travail autonome) par crainte d’avoir à verser des cotisations plus élevées ou de recevoir moins d’avantages (comme c’est le cas aux États-Unis).

Dans le cadre du Plan Juppé, en France, on a entre autres invoqué l’effet néfaste possible des charges sociales sur l’industrie pour justifier la diversification des sources de financement et réduire les cotisations employeur-salariés au profit d’un système reposant sur l’impôt sur le revenu. Plus précisément, le gouvernement français a considérablement abaissé le taux de cotisation des salariés (de 5,5 % en 1997, il est passé à 0,75 % en 2000) et a affecté la totalité de la contribution sociale généralisée aux soins de santé (le taux de ce prélèvement est passé de 3,4 à 7,5 % du revenu des particuliers). Les gouvernements de l’Italie et de l’Espagne sont allés encore plus loin en abandonnant complètement le financement du système de santé par les charges sociales au profit des recettes fiscales générales.

Une autre critique formulée à l’encontre des charges sociales, eu égard à l’efficience, veut que les différentes caisses maladie européennes chargées de percevoir et de gérer les cotisations des employeurs et des salariés soient peu encouragées à limiter les coûts, car elles ont la possibilité de hausser les taux de cotisation. Par ailleurs, l’existence dans certains pays de caisses multiples et le manque d’intégration à l’achat des services de santé engendrent souvent des coûts d’administration élevés.

On peut également faire valoir que le financement des soins de santé par les charges sociales est aléatoire en période de ralentissement économique du fait que les réductions de revenus associées à la baisse de l’emploi et au gel des salaires font baisser les cotisations aux caisses d’assurance-maladie. En outre, le fait que le fardeau du financement reposerait sur les employeurs et les salariés pourrait avoir des effets néfastes graves sur certains secteurs de l’économie à forte intensité de main-d’œuvre.

Enfin, en ce qui concerne l’équité, des informations provenant d’Allemagne et des Pays-Bas indiquent que le financement des soins de santé par les charges sociales tend à être régressif. Cela s’explique probablement par la nature des deux systèmes, qui permettent aux personnes qui gagnent plus et qui possèdent déjà une assurance-santé privée de ne pas cotiser au régime public.

 Les charges sociales ont aussi ceci de particulier qu’elles ont un moindre impact sur l’économie canadienne dans son ensemble que les autres types de prélèvements. Des calculs préliminaires effectués par le ministère des Finances indiquent qu’un dollar additionnel en recettes fiscales perçu par le truchement des charges sociales coûte à l’économie 0,27 $ en production perdue. Par comparaison, la perte de production est de 1,55 $ pour chaque dollar additionnel d’impôt sur les sociétés et de 0,56 $ pour chaque dollar additionnel d’impôt sur le revenu des particuliers. Il est prouvé que la taxe de vente est le véhicule qui a le moins d’effet sur la production, à savoir seulement 0,17 $ pour chaque dollar additionnel perçu[44]. Dans le contexte de la compétitivité internationale, il reste une certaine marge de manœuvre au Canada pour l’imposition d’autres charges sociales : des données de l’OCDE indiquent que cette forme d’imposition est moins exploitée au Canada que dans d’autres pays industrialisés[45].

Cependant, les charges sociales ont un impact semblable à celui causé par l’imposition des revenus sur le plan de l’équité entre générations, sauf que l’effet est encore pire, car le fardeau est porté entièrement par les jeunes travailleurs.

 

15.6   Prime nationale d’assurance-santé

Une prime d’assurance-santé est un montant forfaitaire fixe versé par une personne ou une famille afin de financer des services de santé assurés. Dans certains régimes, les primes d’assurance-santé sont des montants fixes versés indépendamment du revenu et de l’utilisation du système de soins de santé. Ce genre de cotisation est en usage en Colombie-Britannique et en Alberta; à noter qu’il existe dans ces deux provinces des exemptions pour les personnes et les familles à faible revenu.

Ce mode de financement est jugé relativement efficient pour deux raisons : le fardeau financier est réparti sur une large base (l’ensemble de la population) plutôt que parmi les personnes qui ont un emploi, comme c’est le cas de la plupart des régimes de charges sociales. Cela signifie que toutes les branches de l’économie sont traitées également; de plus, comme les primes sont les mêmes pour tous, les gens ont peu de raisons de modifier leur comportement (que ce soit de consommer plus ou moins ou de travailler plus ou moins). En outre, les primes d’assurance-santé ne font pas de distinction entre jeunes et vieux, d’où leur équité entre les générations.

[…] Que les gens travaillent ou non, tout le monde paierait la prime. Cette forme d'imposition entraînerait le moins de distorsions et tiendrait le plus compte des effets démographiques attendus à l'avenir[46].

Une prime forfaitaire d’assurance-santé n’a pas d’effet sur les taux marginaux d’imposition du revenu, comme en aurait une hausse de l’impôt sur le revenu des particuliers; elle a par conséquent moins d’effet sur l’épargne et l’investissement.

Pour ce qui est de l’équité, des primes forfaitaires d’assurance-santé publique auraient tendance à frapper plus durement les personnes à faible revenu, bien qu’il soit possible d’envisager des mesures d’atténuation des impacts. Également, les salariés moyens verseraient les mêmes primes que les riches, de sorte que les primes forfaitaires sont manifestement régressives, car elles profitent davantage aux personnes à revenu élevé. En revanche, elles profitent aux personnes qui ont de grands besoins en soins de santé, lesquelles versent les mêmes primes que les personnes qui utilisent peu le système de soins de santé.

Dans l’ensemble, les caractéristiques équitables d’un système financé par des primes forfaitaires semblent plutôt limitées. On a dit au Comité que, pour plus d’équité, il faudrait que les primes soient liées aux revenus d’une manière ou d’une autre et que certaines tranches de la population en soient exemptées. Il a été proposé récemment dans le rapport Mazankowski (2001), A Framework for Reform, produit pour le premier ministre de l’Alberta, d’utiliser des primes variables adaptées aux niveaux de revenus.

Dans son mémoire au Comité, David Kelly présente un long exposé sur les avantages d’un régime de cotisations nationales d’assurance-santé.

Il se pourrait que le gouvernement fédéral doive générer des recettes additionnelles pour soutenir le système des soins de santé, et un régime fédéral de primes d’assurance-santé constituerait un moyen de percevoir de l’argent d’une manière qui rende visible la contribution financière du gouvernement fédéral.

(…) Les régimes provinciaux en vigueur en Alberta et en Colombie-Britannique génèrent d’importantes recettes pour ces gouvernements. Les primes sont fixes et leur paiement est obligatoire et universel; elles sont réduites ou éliminées pour les petits revenus, mais n’ont pas de lien avec l’admissibilité à un programme (un paiement omis ou en retard n’entraîne pas la cessation des services à la personne ou à la famille). Les primes sont perçues dans la mesure du possible par retenues à la source, le solde étant entièrement facturé aux résidents de la province. Les coûts administratifs de la perception des primes par un mécanisme distinct du régime de l’impôt sur le revenu ne sont pas négligeables.

(…) Dans l’éventualité d’un régime fédéral de primes d’assurance-santé, il serait certainement judicieux de percevoir les primes par le truchement du système de l’impôt sur le revenu, plutôt qu’au moyen d’une procédure administrative distincte. Autrement dit, la perception se ferait à la source, au moyen de paiements trimestriels et un rapprochement annuel pourrait être fait dans le cadre de la structure existante de perception des impôts; cela vaudrait mieux que d’envoyer à toutes les familles une facture mensuelle ou trimestrielle. Cette prime peut prendre différentes formes; il peut s’agir d’un montant forfaitaire identique pour tout le monde ou encore d’un montant forfaitaire avec mesures d’atténuation pour les petits revenus, comme c’est le cas dans les deux provinces qui disposent d’un tel régime; il peut également s’agir d’un impôt additionnel imposé proportionnellement ou autrement, après l’impôt sur le revenu. Ces différentes formules ont chacune leurs conséquences en matière d’équité. Il convient de se rappeler que le financement du programme universel des soins de santé au Canada comporte un important élément de redistribution du revenu. Toute mesure destinée à financer le système en partie au moyen d’une prime moins progressive que les sources actuelles de financement affecterait la nature de cette répartition des revenus et allongerait de ce fait la liste des critères dont le Comité doit tenir compte[47].

En conclusion, les primes pourraient constituer un moyen visible et équitable de générer des recettes pour les fins du financement des soins de santé, à condition qu’elles soient structurées de manière à assurer leur progressivité (c’est-à-dire, qu’elles varient en fonction du revenu).

 

15.7   Frais d’utilisation

Les frais d’utilisation sont habituellement définis comme une forme de paiement (couvrant une portion du coût du service) effectué par le consommateur d’un service de santé au moment où le service est fourni. Il s’agit donc d’un coût initial imposé au patient. Dans le volume quatre de son étude sur les soins de santé, le Comité a décrit les différentes formes de frais d’utilisation :

·        La coassurance, la façon la plus simple d’imposer des frais d’utilisation, consiste pour le patient à payer un pourcentage fixe (disons 5 %) du coût des services reçus. Plus le coût du service est élevé, plus le montant à débourser est élevé. De nombreux régimes privés d’assurance-médicaments optent pour cette formule.

·        La quote-part est une autre option. Au lieu de payer une partie des coûts, le patient doit payer pour chaque service un montant fixe (par exemple 5 $) qui n’a pas nécessairement de rapport avec le coût du service. Le montant perçu demeure uniforme quel que soit le coût du service fourni. Cette formule existe dans bien des pays, dont la Suède.

·        Dans un régime de franchises, le patient doit payer le coût total des services reçus pendant une période donnée jusqu’à concurrence d’un plafond, la franchise. Au-delà de ce plafond, les coûts des services fournis sont couverts par le régime d’assurance. Tous les utilisateurs doivent payer une franchise minimale uniforme qui ne dépend pas de la quantité de services reçus. Cette forme de frais d’utilisation est utilisée dans certains pays[48].

Certains commentateurs ont indiqué que des frais d’utilisation d’un montant relativement modeste pourraient être un moyen utile de dissuader la consommation excessive de services de santé et de responsabiliser des gens à l’égard de l’utilisation du système. Toutefois, la plupart des auteurs de documents sur le sujet concluent que les frais d’utilisation dissuadent certaines personnes de se procurer des soins même nécessaires, phénomène qui s’observe surtout chez les pauvres. Le professeur Robert Evans a déclaré au Comité que les frais d’utilisation soulèvent d’importantes questions d’accessibilité et d’équité :

Un fait est bien connu et amplement recensé : une proportion relativement faible de la population consomme une forte proportion des services de santé, observation qui vaut tant pour les périodes ponctuelles que pour les longues périodes. Une étude récente menée en Colombie-Britannique qui paraîtra bientôt montre que la tranche de cinq pour cent de la population adulte qui fait le plus grand usage des services des médecins (mesuré en termes de facturation en dollars) non seulement était à la source de 33,7 % de la facturation totale, mais faisait aussi l’objet de 43,5 % des admissions dans les hôpitaux et se voyait attribuer 69,3 % des journées d’hospitalisation. Ces personnes étaient en général assez malades, le plus souvent atteintes d’affections graves et multiples. Elles étaient aussi en moyenne plus vieilles – près de la moitié avaient plus de 60 ans –, provenaient des quartiers les plus pauvres et affichaient un taux de mortalité neuf fois plus élevé que celui de la population en général. Pour la plupart d’entre elles, il ne semblait pas y avoir de possibilité réaliste qu’elles puissent payer plus de la moitié des coûts dont elles étaient à l’origine, en supposant qu’une distribution aussi asymétrique du fardeau financier soit acceptable pour le reste de la population[49].

Il importe de souligner que le Canada est le seul pays industrialisé qui interdit l’imposition de frais d’utilisation relativement à des services de santé couverts par l’assurance-santé publique. Bien que cette forme de financement soit utilisée ailleurs, après étude de la situation au Canada, le Comité a conclu, dans le volume cinq de son étude, que l’accès aux services hospitaliers et aux services fournis par les médecins ne devrait pas dépendre du revenu ou de la richesse de chacun[50]. Nous avons expliqué que la plupart des dépenses et des pertes imputables au système de soins de santé n’étaient pas le fait des patients, car les décisions qui donnent lieu à ces dépenses sont prises par les prestataires de soins de santé pour le compte de leurs patients; elles ne sont pas prises par les patients eux-mêmes. De plus, le Comité a été informé du fait que l’adoption de frais d’utilisation minimes pourrait donner lieu à des coûts administratifs qui seraient quasi égaux aux revenus générés par ces frais.

Pour toutes ces raisons, le Comité a énoncé dans le volume cinq le Principe dix-huit, selon lequel s’il faut certes instituer des mécanismes pour encourager les patients à faire un usage aussi efficace que possible des services hospitaliers et des services des médecins, ces mécanismes excluent l’imposition de frais d’utilisation.

Certaines formes de paiement pourraient toutefois être imposées aux patients dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme des soins de santé primaires proposée par le Comité au chapitre quatre. Elles ne seraient pas étiquetées comme des frais d’utilisation mais plutôt comme des « frais d’orientation ». Lorsque les médecins de soins primaires renvoient des patients à des spécialistes, les patients n’ont aucun frais à payer. Si un patient décide de lui-même de prendre rendez-vous avec un médecin spécialiste sans lui avoir été renvoyé, il devrait être responsable d’une partie ou de la totalité des frais associés à cette consultation. Cette formule de paiement par le patient est en vigueur au Danemark.

 

15.8   Comptes d’épargne-santé

Comme l’explique le Comité dans le volume trois de son étude, les comptes d’épargne-santé (CES) sont des comptes analogues à un compte en banque, mais ils servent à payer les dépenses de soins de santé d’une personne ou d’une famille[51]. Ils sont souvent établis conjointement à une assurance-santé servant à couvrir des coûts exorbitants (avec franchise élevée). Les sommes investies dans un CES appartiennent au titulaire du compte, qui en dispose comme il l’entend, s’accumulent en franchise d’impôt et ne sont pas imposées si elles sont utilisées pour fins de soins de santé. Le titulaire du compte peut employer à d’autres fins les sommes inutilisées.

Les CES nécessitent trois niveaux de paiement. Tout d’abord, l’argent contenu dans le compte est utilisé pour couvrir des dépenses de santé normales. Par la suite, si le compte est épuisé mais que la franchise n’est pas atteinte, l’intéressé paie ses dépenses lui-même. Enfin, le régime public d’assurance-santé couvre les dépenses qui excèdent la franchise.

Quelques pays, notamment Singapour, l’Afrique du Sud et certaines parties des États-Unis, ont recours à ce système. La théorie générale qui sous-tend les CES veut que les consommateurs prennent des décisions plus judicieuses et rentables s’ils ont à dépenser leur propre argent, plutôt que de se fier aux services « gratuits » financés par l’État. Par conséquent, les CES limiteraient (ou élimineraient) l’utilisation inutile des services de santé, freineraient l’augmentation des dépenses publiques au chapitre de la santé et encourageraient l’efficacité.

Ces dernières années, plusieurs formules de comptes d’épargne-santé (CES) ont été proposées au Canada[52]. Vu l’intérêt d’un grand nombre de Canadiens pour les CES, le Comité a examiné la documentation à ce sujet et s’est entretenu avec un certain nombre de personnes et de spécialistes. Selon l’information recueillie, nous sommes d’avis qu’un tel mécanisme ne conviendrait pas à notre système public de soins de santé dispensés par les hôpitaux et les médecins.

D’abord, les spécialistes ne s’entendent pas sur l’incidence des CES sur l’état de santé de la population et sur les coûts des soins. Certains soutiennent que les CES augmentent le choix offert aux consommateurs, encouragent les patients à faire un usage plus prudent des services et réduisent les dépenses de santé. D’autres avancent que les CES ne procurent au mieux que de petites économies, segmentent le risque sur le marché de l’assurance, font augmenter les coûts et ont une incidence négative sur la santé, puisque les gens, en particulier les pauvres et les malades, se priveront de soins de santé nécessaires. De plus, les études les plus récentes révèlent que les connaissances actuelles sur les CES sont trop limitées pour qu’on puisse recommander leur adoption dans le système canadien de soins de santé[53].

Toutefois, c’est la question de l’incidence sur l’équité qui préoccupe le plus le Comité. Tout comme les frais d’utilisation, les CES transfèrent directement du gouvernement aux patients une partie de la responsabilité des dépenses de santé et ce, d’une manière qui impose un fardeau disproportionné aux pauvres et aux personnes malades, qu’elles soient riches ou pauvres. En fait, les CES réduisent le subventionnement actuel des démunis par les nantis. Une étude récente montre que si les CES étaient mis en oeuvre au Manitoba, 20 % des résidents les plus malades de cette province devraient assumer personnellement des coûts de plus de 60 millions de dollars en soins de santé[54].

Dans le volume quatre, le Comité a indiqué qu’on pourrait d’abord envisager l’application des CES dans une sphère limitée, par exemple pour le paiement des services dans des établissements de soins de longue durée, où les bénéficiaires assument déjà eux-mêmes une large part des frais. Toutefois, les CES ne doivent pas être mis en application dans le champ plus large des soins de santé actuellement couverts par l’assurance-santé.

Par conséquent, le Comité croit fermement que le financement des services hospitaliers et des services fournis par les médecins qui sont nécessaires d’un point de vue médical doit continuer de relever d’un programme d’assurance-santé financé et géré par l’État, ce qui est conforme au Principe quatre énoncé dans le volume cinq : « Les services de santé couverts par la Loi canadienne sur la santé sont assurés par l’État. Les autres services de santé continuent d’être financés à partir de sources publiques et privées, comme c’est déjà le cas[55]. »

 

15.9   Financement anticipé des soins de santé

Dans le contexte du vieillissement de la population, l’option du financement anticipé des soins de santé gagne en popularité. Le financement anticipé consiste à mettre dès aujourd’hui des fonds de côté pour couvrir en totalité ou en partie l’augmentation prévue des coûts de santé, afin de maintenir le rapport des dépenses de santé au PIB à un niveau relativement stable. Le surplus des recettes accumulées maintenant grâce à ce financement anticipé serait placé dans un compte spécial, auquel on aurait accès plus tard à des fins de stabilisation.

Malheureusement, le financement intégral du régime par anticipation coûte très cher, même lorsque la stabilisation est étalée sur une période de 30 à 40 ans. En outre, comme la population du Canada est en plein processus de vieillissement, il pourrait être difficile dans l’immédiat de faire accepter la mise en oeuvre d’un plan de financement anticipé à long terme à l’heure où l’on sent l’urgence de faire face à l’augmentation imminente des coûts du régime. Par ailleurs, comme dans le cas des prélèvements fiscaux à affectation déterminée, on pourrait aussi se demander pourquoi seuls les coûts des soins de santé devraient faire l’objet d’un financement anticipé, puisque d’autres coûts aussi sont affectés par le vieillissement de la population.

Certains pensent qu’il vaudrait peut-être mieux envisager un financement anticipé partiel, limité par exemple aux coûts des services de santé destinés aux personnes âgées, comme les soins à domicile et les soins en établissement qui ne sont pas assumés par l’État actuellement. On pourrait pour ce faire instituer un régime public financé à même les recettes fiscales courantes ou confier le tout à des régimes privés d’assurance-santé. Un tel mécanisme (comparable aux CES) aiderait les gens à économiser en vue de leurs dépenses de santé futures en maximisant leurs avantages fiscaux, surtout si les cotisations sont déductibles et si les revenus tirés des fonds accumulés demeurent à l’abri de l’impôt. En bout de ligne, le financement anticipé économiserait de l’argent au système public de soins de santé du fait que celui-ci n’aurait plus à subventionner une partie des consommateurs de ces services.

Au Québec, une variante de cette approche a été proposée par la commission Clair, qui recommandait qu’un fond à gestion distincte soit créé en vue du financement anticipé des coûts liés aux soins à domicile et en établissement fournis aux personnes en perte d’autonomie. La commission a recommandé que ce fonds soit financé par un prélèvement fiscal obligatoire sur les revenus de toutes sources des particuliers et soit mis à la disposition des personnes (en l’occurrence, surtout des personnes âgées) frappées de perte d’autonomie de longue durée (plus de six mois). Ce régime faciliterait l’amélioration et l’intégration des services actuels consacrés à l’invalidité de longue durée et éviterait une hausse rapide des coûts liés aux soins de santé dans le contexte du vieillissement de la population.

Cette approche offre de nombreux avantages : sa structure de financement est très visible et les fonds générés sont entièrement consacrés aux fins prévues. Le degré d’équité de cette méthode de financement ainsi que son incidence sur l’efficacité et sur l’équité entre les générations dépendraient de la source de revenu servant à recueillir les fonds – impôt sur le revenu des particuliers, cotisations à un régime public ou assurance-santé privée.

Vu l’urgence de générer des recettes additionnelles pour financer les soins de santé, le Comité ne cautionne pas le financement anticipé. À notre avis, il serait très difficile de justifier la mise de côté de fonds en vue de besoins futurs alors qu’on a besoin d’injecter dès maintenant des sommes substantielles dans le système public de soins de santé pour en assurer la restructuration, le renouvellement et l’expansion.

 

15.10  Commentaires du Comité[56]

Nous avons présenté, aux sections 15.3 à 15.9 ci-dessus, plusieurs solutions possibles pour générer cinq milliards de dollars de plus par an en recettes fédérales, avec les avantages et les inconvénients de chacune en regard de critères précis, soit l’équité, l’efficacité, l’équité entre les générations, la stabilité et la visibilité. À la lumière de cette information, le Comité a tiré ses conclusions quant aux approches qu’il privilégie.

Nous soulignons, tout d’abord, qu’il n’existe pas en soi de « bonne » taxe. Il existe, par contre, des objectifs précis auxquels doit répondre  toute nouvelle taxe ou mesure génératrice de recettes conçue pour financer un service public précis :

·        la taxe doit être répartie équitablement et raisonnablement entre les groupes auxquels on fait appel pour la payer;

·        la taxe doit avoir le moins d’effets négatifs possibles sur l’activité et la croissance économique relativement aux recettes générées;

·        la taxe ne doit entraîner que de modestes coûts administratifs pour les contribuables et peu de frais de recouvrement pour le gouvernement;

·        la justification de la taxe doit être évidente pour la population et de préférence établie par un rapport direct entre les recettes générées et les services qu’elles permettent de financer;

·        la taxe doit générer des recettes stables et robustes (en se sens qu’elles croîtront au rythme du PIB ou à peu près), de manière que son produit permette de faire face aux augmentations futures des coûts;

·        pour en justifier la perception, la taxe doit être perçue comme donnant lieu à des améliorations tangibles du régime et de la couverture de l’assurance-santé.

Tout bien considéré, le principe de l’équité est mieux servi quand les soins de santé sont financés par ponction fiscale sur le revenu des particuliers ou par la voie de taxes à la consommation plutôt que par des charges sociales ou des primes forfaitaires. En outre, du point de vue de l’efficacité, l’expérience internationale indique que les charges sociales peuvent nuire au marché du travail encore plus que l’imposition générale, puisque les contributions ne sont perçues que sur les salaires et que les employeurs sont responsables d’une partie de celles-ci. Finalement, les recherches montrent que, quelle que soit la méthode de génération des recettes retenue, le niveau d’activité économique influence grandement la capacité d’un pays à amasser les fonds nécessaires au financement des soins de santé (ou à d’autres fins) et ce, n’importe quand dans le temps. De plus, les dépenses de santé ont un coût d’option, et d’autres secteurs peuvent devenir prioritaires en période de récession ou de conflit armé.

Toutefois, les charges sociales et les primes ont un avantage important sur l’impôt sur le revenu et les autres formes d’imposition générale en ce qu’elles constituent une source de financement plus visible, transparente et prévisible. Les impôts spécifiques, pour leur part, contribuent certainement à une meilleure visibilité, voire à une stabilité accrue, dans un système de soins de santé financé à partir du régime fiscal.

Le Comité est d’avis que les recettes fédérales accrues destinées au financement des services hospitaliers et des services fournis par les médecins ne doivent pas provenir de manière disproportionnée des personnes malades. Les services de santé sont actuellement perçus comme étant « gratuits ». La méthode de perception ne doit pas être perçue comme une « taxe sur les malades ». Pour cette raison, le Comité a rejeté toutes les formes de financement qui font appel à une participation financière proportionnelle à la consommation de services hospitaliers et des médecins.

En outre, le Comité croit que l’accroissement des recettes fédérales doit reposer sur la capacité de payer des contribuables, c’est-à-dire que, pour garantir l’équité, les hauts salariés doivent payer proportionnellement plus que les petits salariés. Pour cette raison, le Comité rejette l’option d’une prime nationale d’assurance-santé uniforme mais, comme nous l’indiquons plus loin, nous ne sommes pas contre la possibilité d’une structure progressive de prime d’assurance-santé.

En ce qui a trait à l’imposition directe, les calculs effectués au nom du Comité par Brown et Haynes indiquent qu’il faudrait relever de 1,1 point de pourcentage le taux d’imposition de chaque fourchette de revenu imposable des particuliers pour générer cinq milliards de dollars de recettes fédérales additionnelles. On obtiendrait le même résultat au moyen d’une surtaxe de 5,7 % sur la totalité de l’impôt fédéral. Il a été signalé au Comité que ces deux solutions auraient comme conséquence d’amputer du tiers environ les réductions de l’impôt sur le revenu des particuliers annoncées en 2000 dans le plan fiscal quinquennal et de hausser considérablement les taux marginaux d’imposition.

Les calculs effectués par Brown et Haynes indiquent par ailleurs qu’il faudrait augmenter de 7 % le taux d’imposition des revenus des sociétés pour générer cinq milliards de dollars de plus en recettes fédérales. Cette mesure annulerait toutes les réductions actuelles et annoncées de l’impôt des sociétés et porterait le fardeau fiscal des sociétés établies au Canada à un niveau bien supérieur à celui qu’on observe chez nos concurrents étrangers. L’entreprise, l’emploi et, en fait, toute l’économie canadienne, en souffriraient grandement.

Le Comité est convaincu que, si l’on modifie la structure du régime fiscal canadien pour générer un surcroît de recettes, il faut se garder de porter les taux d’imposition des revenus des particuliers et de ceux des sociétés à un niveau indûment supérieur à ceux qui se practiquent dans les autres pays de l’OCDE, et en particulier aux États-Unis. De plus, dans un souci d’équité entre les générations, nous croyons que la population active ne doit pas assumer un fardeau fiscal disproportionné par comparaison avec celui des retraités. Pour ces raisons, et compte tenu des estimations mentionnées plus haut, le Comité rejette l’idée d’une augmentation de l’impôt sur le revenu des particuliers et de l’impôt des sociétés.

Si l’alourdissement des charges sociales ne nuit pas indûment à la compétitivité internationale des entreprises canadiennes, cette solution pèche contre l’équité entre les générations. Il serait en effet injuste d’exiger qu’un segment de la population – les travailleurs – assume les coûts d’un investissement accru dans le système public de soins de santé, d’autant plus que, en l’occurrence, le vieillissement démographique amenuise la part relative des travailleurs dans la population.

Par conséquent, le Comité conclut qu’il n’existe que deux solutions possibles pour aller chercher cinq milliards de dollars par an de plus auprès des Canadiens en respectant les conditions et objectifs précités. La première consiste à créer une taxe de vente nationale au titre des soins de santé. Selon les témoignages présentés au Comité, bien que cette option puisse être considérée comme quelque peu régressive, les avantages qui en découlent du point de vue de l’efficacité compensent largement son incidence sur l’équité. En outre, une augmentation des crédits d’impôt en atténuerait grandement l’impact sur les personnes à faible revenu. Cette taxe serait perçue au moyen du même mécanisme que la taxe sur les produits et services (TPS), donc simplement. Les calculs effectués pour le compte du Comité indiquent que le taux à fixer pour générer cinq milliards de dollars par année se situerait autour de 1,5 % (plus précisément à 1,3 %). Ainsi, si l’on adoptait la solution d’une taxe de vente nationale au titre des soins de santé, les Canadiens paieraient une taxe de vente nationale de 8,5 %, formée d’une TPS de 7 % et d’une taxe de vente au titre des soins de santé de 1,5 %. Le crédit pour TPS serait accru proportionnellement à la hausse de la taxe de vente.

La deuxième solution réside dans la perception d’une prime nationale variable d’assurance-santé. Dans ce cas, les Canadiens paieraient, par le truchement du régime fiscal, une prime nationale d’assurance-santé dont le montant varierait selon le revenu imposable de chacun, comme on peut le voir au tableau 15.3. En fait, le montant de la prime doublerait à chacune des tranches de revenu utilisées pour les fins du calcul de l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers.

TABLEAU 15.3  
RECETTES FÉDÉRALES ANNUELLES ENGENDRÉES PAR UNE PRIME NATIONALE VARIABLE D’ASSURANCE-SANTÉ

Fourchette de revenus

(taux fédéral d’imposition du revenu des particuliers)

Millions de déclarants qui paient une prime

Montant de la prime

 

Recettes fédérales annuelles estimatives

(en milliards de dollars)

Jusqu’à 31 677 $

(16 %)

7,9

0,50 $/jour

(ou 185 $/année)

1,341

De 31 678 à 63 354 $

(22 %)

5,8

1 $/jour

(ou 370 $/année)

2,096

De 63 355 à 103 000 $

(26 %)

1,4

2 $/jour

(ou 740 $/année)

0,968

Plus de 103 000 $

(29 %)

0,5

4 $/jour

(ou 1 400 $/année)

0,622

RECETTES FÉDÉRALES TOTALES (ESTIMATION)

5,027

Notes

1.        Les déclarants de la première fourchette de revenu imposable (jusqu’à 31 677 $) qui n’ont pas d’impôt fédéral net à payer (compte tenu des crédits d’impôt non remboursables) ne seront pas tenus de payer la prime.

2.        Les déclarants de la première fourchette de revenu imposable qui ont un impôt fédéral net à payer devront régler le moindre des deux montants suivants : 185 $ ou 10 % du revenu imposable au-delà du montant de leur revenu imposable leur donnant droit à des crédits d’impôt non remboursables. Cette disposition évite qu’un contribuable de cette tranche d’imposition assujetti à un impôt fédéral net modeste ne paie une prime d’un montant disproportionné par rapport à son impôt sur le revenu. Prenons l’exemple d’un contribuable dont le revenu imposable s’élève à 9 934 $. Le taux d’imposition associé à la première tranche d’imposition est de 16 %, ce qui donne 1 590 $. Cependant, le contribuable peut réclamer des crédits d’impôt non remboursables de 16 % à l’égard de 9 000 $, soit 1 440 $. Le contribuable a donc un impôt fédéral net à payer de 150 $ (1 590 $ moins 1 440 $). Pour les contribuables de cette tranche d’imposition, la prime correspond à 10 % de la différence entre le revenu imposable (9 934 $) et le montant à l’égard duquel le contribuable réclame des crédits d’impôt non remboursables  (9 000 $). Le contribuable de notre exemple a un impôt fédéral net à payer de 150 $ sur un revenu imposable qui dépasse de 934 $ le montant servant de base au calcul des crédits d’impôt non remboursables; il paierait donc une prime de  93,40 $ (c’est-à-dire 10 % de 934 $) au lieu de la prime normale de 185 $ associée à cette tranche d’imposition.

3.        En tout, 15,4 millions de Canadiens déclarent un revenu inférieur à 31 677 $; parmi eux, seulement 7,9 millions ont un impôt fédéral net à payer. La prime moyenne de tous les contribuables de cette fourchette serait de 71 $; pour les 7,9 millions qui ont un impôt fédéral net à payer, la prime moyenne serait de 170 $.

4.        Les déclarants visés par les fourchettes d’imposition de 22 %, 26 % et 29 % bénéficient d’une disposition limitative en vertu de laquelle la prime qu’ils auront à verser ne sera pas supérieure à la prime prévue pour la fourchette qui précède la leur, plus 10 % du revenu qui dépasse le seuil de leur tranche d’imposition. Cette disposition est conçue pour éviter qu’un contribuable dont le revenu imposable dépasse de très peu le seuil d’une tranche d’imposition n’ait à payer la totalité de la prime normalement prévue pour cette tranche de revenu imposable. Par exemple, un contribuable dont le revenu imposable s’établit à 33 177 $ (1 500 $ au-delà du seuil de 31 677 $ de la tranche de revenu frappée d’un impôt de 22 %) paierait 185 $ (la prime de la fourchette qui précède la sienne), plus 150 $ (1 500 x 10 %), soit 335 $ au total au lieu de la prime de 370 $ qui serait normalement payable à l’égard de cette tranche de revenu.

5.        Les calculs sont fondés sur les données de l’exercice 2001-2002.

Source : Robert D. Brown et Michanne Haynes, sur la base de données provenant du ministère des Finances.


Cependant, pour éviter que les personnes dont le revenu imposable dépasse à peine le seuil de leur tranche d’imposition ne voient leur prime doubler d’un coup, une disposition spéciale de limitation a été intégrée au calcul : ainsi, la prime d’un contribuable ne peut pas dépasser le montant de la prime associée à la tranche d’imposition immédiatement inférieure, plus 10 % du revenu imposable qui dépasse le seuil de la tranche d’imposition du contribuable. La prime nationale variable d’assurance-santé est donc progressive sur l’ensemble de l’éventail des revenus, mais presque fixe à l’intérieur de chaque fourchette de revenu imposable[57].

La prime nationale variable d’assurance-santé serait calculée à partir du régime de l’impôt sur le revenu, mais il ne faut pas y voir une augmentation de l’impôt sur le revenu des particuliers. Certes, la prime présente certains aspects d’un impôt sur le revenu (du fait qu’elle varie avec le revenu), mais en fait elle varie selon la tranche d’imposition et non avec le revenu. En outre, la prime aurait un impact très modeste seulement sur les taux d’imposition marginaux, qui n’augmenteraient qu’aux points d’application progressive de la cotisation supérieure de la tranche d’imposition suivante. En conséquence, les taux marginaux d’imposition demeureraient relativement inchangés et auraient donc peu d’impact sur l’incitation à gagner, à économiser et à investir, par comparaison avec une augmentation de l’impôt sur le revenu des particuliers.

C’est bien sûr au gouvernement fédéral qu’il appartiendra de décider laquelle des deux solutions – soit une taxe de vente nationale au titre des soins de santé, soit une prime nationale variable d’assurance-santé – est la meilleure. Les deux solutions envisagées pour permettre au gouvernement fédéral de générer les cinq milliards de dollars de plus par an nécessaires au secteur de la santé ont leurs avantages et leurs inconvénients.

D’une part, la taxe de vente nationale au titre des soins de santé serait facile à administrer, car son application bénéficierait du système en place de la TPS. De plus, cette solution comporte un facteur de croissance, car les revenus des taxes de vente augmentent avec l’économie. Comme il est prévu que les dépenses en santé augmenteront plus rapidement que le PIB, il est important de disposer d’un tel facteur de croissance. De plus, la taxe de vente nationale au titre des soins de santé ne serait pas substantiellement régressive, d’autant plus que le crédit pour TPS s’appliquerait à la nouvelle taxe. Il reste cependant que l’opposition du public aux taxes de vente en général et à la TPS en particulier constitue un important obstacle à l’augmentation de ce type de taxe.

En revanche, la prime variable nationale d’assurance-santé a l’avantage d’être progressive puisqu’elle augmente par paliers en fonction du revenu. Une telle prime nationale correspondrait en plus à la manière dont les particuliers achètent normalement de l’assurance, c’est-à-dire en versant une prime annuelle. Cependant, plus on trouve de paliers dans la structure de la prime, plus elle risque d’être assimilée à une surtaxe sur le revenu; or, pour les raisons déjà énoncées, le Comité réprouve toute augmentation de l’impôt sur le revenu. Enfin, moins la structure de la prime comporte de paliers (moins elle ressemble à un impôt sur le revenu), plus elle devient régressive.

L’important, pour le Comité, c’est que les Canadiens consentent à fournir au gouvernement fédéral cinq milliards de dollars additionnels pour les soins de santé. C’est l’enjeu sur lequel les Canadiens devront se pencher sérieusement afin d’en débattre et de prendre une décision.

En bout de ligne, la décision de consentir un effort supplémentaire de cinq milliards de dollars est plus importante que la manière dont on s’y prendra. Néanmoins, des deux solutions, le Comité préfère celle de la prime nationale variable au titre des soins de santé. Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement fédéral institue une prime nationale variable au titre de la santé pour générer les recettes nécessaires au financement de la mise en œuvre des recommandations du Comité.

 

15.11  Financement fédéral actuel des soins de santé

Le Comité admet que la somme de cinq milliards ne correspond pas à l’augmentation totale des dépenses fédérales en soins de santé qui sera nécessaire au cours des années à venir. Le coût du système de services hospitaliers et des services fournis par les médecins auquel le gouvernement fédéral contribue déjà ne cessera de s’accroître. Les sommes additionnelles requises pour couvrir ces dépenses accrues devront provenir des économies d'efficience résultant de la mise en oeuvre des recommandations énoncées dans le présent rapport en matière de restructuration ainsi que de la croissance générale des recettes fédérales tirées de l’assiette fiscale actuelle.

Cela soulève la question suivante : afin d’améliorer substantiellement la transparence et la reddition des comptes en matière de dépenses de santé fédérales, les 62 % des transferts pécuniaires au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) actuellement destinés aux soins de santé (selon l’évaluation de Finances Canada), devraient-ils être financés par la voie d’une source de recettes fiscales réservées (comme nous l’expliquons à la section 15.4)? En effet, cela aiderait beaucoup le public à bien comprendre comment les deniers fédéraux sont dépensés en ce qui a trait aux soins de santé. Les Canadiens verraient ainsi un lien plus direct entre ce qu’ils versent au fisc et les services de santé qu’ils reçoivent. Cela contribuerait largement à réfuter la perception largement répandue selon laquelle les soins de santé sont « gratuits ».

Une manière d’y arriver consisterait à affecter quelques-uns des 7 points de pourcentage de la TPS aux soins de santé. Les calculs effectués pour le Comité indiquent qu’il serait nécessaire de réserver 3,1 des 7 points de pourcentage de la TPS (soit près de 45 % des recettes issues de cette taxe) pour obtenir un montant équivalant aux 62 % des transferts pécuniaires fédéraux au titre du TCSPS actuellement consacrés à la santé.

Cependant, vu la nécessité de relever le niveau actuel du TCSPS (à tout le moins jusqu’à ce que le plein effet des recommandations du Comité en matière de restructuration se fasse sentir), il vaudrait sans doute mieux, si l’on décide de recourir à une source de recettes réservées et si l’on choisit la TPS, réserver à la santé 3,5 (au lieu des 3,1 points actuels calculés) des 7 points de la TPS (soit la moitié du produit de la TPS), ce qui permettrait d’allonger de 1,5 milliard de dollars le financement de base de la santé par le gouvernement fédéral. Si l’on réservait la moitié des recettes tirées de la TPS au paiement de l’apport pécuniaire du gouvernement fédéral au financement du système de soins de santé, en plus des fonds supplémentaires qu’exigera la mise en œuvre des réformes recommandées dans le présent rapport, on bénéficierait par ailleurs de l’avantage d’une transparence considérablement accrue.

Un des avantages important du recours à la TPS comme source de recettes réservées est qu’elle comporte un facteur de progression intégré : si l’économie se porte bien, il en va de même des revenus générés par la TPS. Donc, l’affectation de 3,5 des 7 points de pourcentage de la TPS (au lieu des 3,1 points actuels calculés) au financement de la contribution fédérale pécuniaire aux services hospitaliers et aux services fournis par les médecins permettrait à la fois de disposer d’une source stable et prévisible de fonds publics, comme le recommande le Comité dans le Principe deux énoncé dans le volume cinq[58], et de faire augmenter cette contribution.

Par conséquent, le Comité recommande :

Que le gouvernement fédéral procède au choix d’une source de recettes réservées qu’il affectera au financement de sa contribution annuelle au programme national canadien d’assurance-santé, laquelle est actuellement évaluée à environ 62 % du TCSPS.

Si le gouvernement fédéral choisit la TPS comme source de recettes réservées pour sa contribution annuelle pécuniaire au régime national d’assurance des soins hospitaliers et des soins dispensés par les médecins, il faudrait 3,1 des 7 points actuels pour générer des recettes équivalant au niveau de financement actuel. En conséquence, le Comité recommande :

Que, si l’on retient la TPS comme source de recettes réservées au financement de la contribution pécuniaire actuelle du gouvernement fédéral au régime national d’assurance des soins hospitaliers et des soins dispensés par les médecins, la moitié du produit de la TPS (3,5 des 7 points de la taxe) soit réservé au secteur de la santé, de manière à permettre au gouvernement fédéral de faire une contribution additionnelle au financement du système actuel de soins hospitaliers et de soins dispensés par les médecins. (Cela viendrait s’ajouter aux crédits fédéraux nécessaires à la mise en œuvre des recommandations énoncées dans le présent rapport.)

Si les deux recommandations ci-dessus sont acceptées, le gouvernement fédéral injectera indirectement au moins 3,0 milliards de dollars de plus par année dans le régime public d’assurance-santé courant, soit 1,5 milliard de dollars obtenus en portant à 3,5 les points de la TPS dont le produit est réservé à la santé et 1,5 milliard de dollars d’économies pour les provinces résultant de la mise en œuvre des recommandations du présent rapport (voir la section 15.1) qui seront réinvestis ailleurs dans le système actuel de soins de santé.

Si le gouvernement fédéral décidait aussi d’investir la provision pour éventualités de un milliard de dollars (dont nous parlons à la section 15.1) dans le système de soins hospitaliers et de soins dispensés par des médecins à titre de paiement de transition en attendant que l’on commence à cueillir les fruits, en gains d’efficience, des mesures proposées dans le présent rapport, l’apport additionnel total du gouvernement fédéral au système actuel s’élèverait à au moins quatre milliards de dollars.

Enfin, les transferts au titre du TCSPS versés aux provinces et aux territoires sont établis au prorata de la population. Si la part du TCSPS visant les soins de santé est financée à même une source de recettes réservées, comme nous le recommandons plus haut, le Comité est d’avis qu’il faudrait modifier légèrement le mode de calcul de la part de chaque province.     Plus précisément, nous croyons important de reconnaître que les personnes âgées coûtent bien plus cher au système de soins de santé que les jeunes, et que certaines provinces affichent une bien plus forte proportion de personnes de plus de 70 ans que les autres. Par conséquent, le Comité recommande :

Que la part de chaque province et territoire de la contribution annuelle du gouvernement fédéral au financement du régime courant de soins hospitaliers et de soins dispensés par les médecins soit calculée au prorata de la population, mais  corrigée pour tenir compte, d’une manière ou d’une autre, du poids démographique de la population âgée de 70 ans et plus.

Plusieurs formules de pondération sont possibles et doivent être envisagées pour rendre plus équitable la distribution entre les provinces et les territoires de la contribution actuelle du gouvernement fédéral au titre des soins de santé. Une solution simple consisterait à tripler le poids des personnes de 70 ans et plus. Cette solution aiderait grandement les provinces peu populeuses sans vraiment nuire aux provinces riches.


CHAPITRE SEIZE
Viabilité financière du système de soins de santé: les conséquences de l’inaction 

Au chapitre précédent, le Comité a exposé son point de vue sur la façon dont il conviendra de réunir et d’administrer des fonds supplémentaires au niveau fédéral afin de mettre en œuvre ses recommandations. Le Comité croit fermement que la mise en œuvre de ces recommandations est essentielle pour entreprendre une réforme et un renouvellement efficaces, transparents et responsables du système de soins de santé. Il est convaincu que le gouvernement fédéral doit absolument investir cinq milliards de dollars de plus par an dans le secteur de la santé pour financer les changements qui permettront d’assurer la qualité et la viabilité du système.

Le Comité se rend compte cependant que, dans une société libre et démocratique, les Canadiens pourraient ne pas vouloir payer plus d’impôts au gouvernement fédéral (dans le cadre de la prime nationale d’assurance-santé que nous recommandons dans le présent rapport) pour le financement de l’assurance-santé. Pour sa part, le gouvernement fédéral pourrait refuser d’imposer une augmentation de taxe à une population réticente à accepter cette surcharge, même si les sommes recueillies étaient consacrées au secteur de la santé. Il convient donc de déterminer quelles seraient les conséquences d’une telle décision. Le Comité croit que ces conséquences comprendraient ce qui suit :

·        Il deviendrait impossible d’étendre l’assurance-santé publique aux frais exorbitants de médicaments de prescription, à certains soins à domicile après l’hospitalisation et aux soins palliatifs hors-hôpital.

·        La réforme et le renouvellement du système de soins hospitaliers et de soins dispensés par un médecin n’auraient pas lieu et des pressions financières considérables continueraient à affaiblir le système.

·        Il serait également impossible de procéder aux investissements nécessaires dans l’infrastructure, notamment au niveau de la gestion de l’information sur la santé et des technologies de la santé, et d’augmenter le nombre d’inscriptions dans les écoles de médecine et de sciences infirmières.

·        Il deviendrait en outre impossible de mettre en place une garantie de soins de santé par suite du manque d’équipement médical et de fournisseurs de soins nécessaires pour réduire les files d’attente. Les gouvernements provinciaux refuseraient à juste titre de légiférer pour établir une telle garantie si cela devait les forcer à assumer le prix du traitement aux États-Unis ou ailleurs d’un nombre toujours croissant de patients.

·        Il faudrait renoncer à une infostructure canadienne de la santé ainsi qu’à un plein déploiement de systèmes de dossiers de santé électroniques et d’un régime de financement des hôpitaux fondé sur les services dispensés, ce qui limiterait la possibilité pour le Canada d’évaluer le coût, l’efficacité, la qualité, le rendement et les résultats du système de soins de santé ou d’élaborer des stratégies propres à en améliorer la productivité.

Bref, si les investissements additionnels que le Comité recommande ne sont pas consentis, le système canadien de soins de santé continuera à se détériorer. Le « contrat d’assurance-santé[59] » entre les Canadiens et leurs gouvernements sera rompu si les Canadiens refusent de payer cinq milliards de dollars de plus en impôts (obligation contractuelle des citoyens) pour permettre au gouvernement de financer adéquatement les changements nécessaires afin d’assurer la pérennité de notre système public, universel, complet, accessible et transférable d’assurance des soins hospitaliers et des soins dispensés par un médecin, élargi pour couvrir aussi en partie, comme nous le recommandons, les coûts des médicaments de prescription, des soins à domicile et des soins palliatifs dispensés en dehors des hôpitaux.

Dans ces circonstances, il est très probable, pour les raisons indiquées au chapitre cinq, que les tribunaux décideraient, en application de la Charte canadienne des droits et libertés, que le gouvernement ne peut plus nier aux Canadiens le droit d’acheter de l’assurance-santé privée pour obtenir au Canada, contre rémunération, des services de santé faisant partie du groupe des services assurés par le régime public. Un système parallèle de soins de santé privés ferait ainsi probablement son apparition.

Ce n’est pas là le résultat privilégié par le Comité. Nous avons déclaré à maintes reprises – et nous le répétons ici – que nous préférons une source publique unique de financement et d’assurance des services hospitaliers et des services dispensés par un médecin couverts par la Loi canadienne sur la santé. Le modèle axé sur un assureur public unique constituait en fait le premier des principes énoncés dans le volume cinq[60]. En corollaire, l’assurance privée des services de santé assurés par le régime public doit continuer d’être interdite, pourvu que ces services puissent être dispensés en temps opportun.

Le Comité croit néanmoins important de savoir ce qui se passerait si l’assurance-santé privée était autorisée à se développer, avec son système parallèle de services hospitaliers et de services dispensés par un médecin financés par des fonds privés. C’est ce que nous nous proposons de faire dans ce chapitre. La section 16.1 décrit brièvement le rôle de l’assurance-santé privée au Canada et dans certains autres pays de l’OCDE. À la section 16.2, nous présentons un résumé des conclusions d’études récentes concernant les incidences d’un système privé d’assurance-santé sur les coûts, l’accessibilité et la qualité du régime public de soins de santé. Enfin, le Comité présente, à la section 16.3, son point de vue sur l’apparition possible d’un système parallèle privé de soins de santé au Canada.

 

16.1   L’assurance-santé privée au Canada et dans certains pays de l’OCDE

Conformément à la Loi canadienne sur la santé, les régimes publics d’assurance-santé doivent rendre compte de leurs activités à leur gouvernement provincial et fonctionner comme organismes à but non lucratif. De plus, la majorité des provinces (Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Ontario, Île-du-Prince-Édouard et Québec) interdisent aux compagnies privées d’assurer des services déjà couverts par un régime public d’assurance-santé[61]. Dans ces provinces, les assureurs privés ne peuvent couvrir que des services de santé complémentaires, comme la chambre privée ou à deux lits durant un séjour à l’hôpital, les médicaments de prescription, les soins dentaires et les lunettes, c'est-à-dire des services non couverts par le régime provincial d’assurance-santé.

Quatre provinces (Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve, Nouvelle-Écosse et Saskatchewan) permettent à des compagnies d’assurance privées de couvrir des services assurés par le régime public. Dans ces provinces, les patients des médecins déconventionnés[62] peuvent substituer une assurance privée à leur assurance-santé publique. Toutefois, comme les lois provinciales interdisent à ces médecins de pratiquer à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé, en définitive, il y a peu de médecins déconventionnés et peu de gens achètent de l’assurance-santé privée.

En Nouvelle-Écosse, par exemple, les médecins déconventionnés ne sont pas autorisés à facturer à leurs clients plus que les taux prévus dans les barèmes du régime public. Cela constitue un facteur de désincitation, puisque les médecins ne peuvent pas gagner davantage, dans des cas équivalents, en travaillant pour un régime privé que pour un régime public. Ainsi, il n’y a finalement que très peu de médecins déconventionnés, ce qui fait que le besoin d’assurance-santé privée n’est pas grand.

À Terre-Neuve, les patients des médecins déconventionnés ont droit à l’assurance-santé publique jusqu’à concurrence du montant fixé dans les barèmes du régime public (autrement dit, ils peuvent obtenir des fonds publics pour subventionner le coût des services de santé du secteur privé à but lucratif). Leurs déboursés sont ainsi limités à la différence entre les honoraires facturés par les médecins déconventionnés et les honoraires prévus dans les barèmes publics. Comme il y a peu de médecins déconventionnés à Terre-Neuve, la demande d’assurance-santé privée est faible.

Au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan, les patients des médecins déconventionnés ne reçoivent pas de subventions publiques comme à Terre-Neuve. Le secteur de l’assurance-santé privée n’a cependant pas connu un développement sensible dans ces deux provinces.

Dans l’ensemble, la Loi canadienne sur la santé a permis, de concert avec la législation provinciale et territoriale correspondante, d’empêcher le développement au Canada d’un secteur d’assurance-santé privée pouvant directement concurrencer le régime public. Il n’est tout simplement pas rentable pour les patients, les médecins et les établissements de soins de faire partie d’un régime privé parallèle.

La situation est très différente dans d’autres pays de l’OCDE, où l’assurance-santé privée peut faire concurrence au régime public et où les médecins peuvent être rémunérés par les deux secteurs[63]. Il existe en fait deux modèles distincts d’assurance-santé privée dans ces pays. Le premier, qu’on retrouve principalement en Allemagne et aux Pays-Bas, comporte un système privé d’assurance et de prestation de services qui est complètement distinct du régime public. Le second, établi dans des pays tels que l’Australie, la Suède et le Royaume-Uni, fait jouer la concurrence entre les assureurs et les fournisseurs de soins des secteurs public et privé.

En Allemagne et aux Pays-Bas, l’accès à l’assurance privée est facultative pour les gens qui disposent d’un revenu relativement élevé (l’assurance-santé publique étant obligatoire pour les personnes à revenu moyen ou à faible revenu). Les assureurs privés ont l’obligation d’accepter tous ceux qui demandent à être couverts et d’offrir des prestations au moins égales à celles du régime public. Ainsi, ils ne peuvent pas « écrémer le marché », c'est-à-dire se réserver exclusivement les patients les plus riches et les mieux portants en laissant le régime public financer les patients les moins aisés et les plus malades. Les primes facturées pour l’assurance privée sont liées au risque (mais sont soumises à une réglementation stricte) et ne varient pas sensiblement pour une couverture équivalente.

Au Royaume-Uni, les résidents peuvent acheter de l’assurance-santé privée couvrant des soins dispensés par des hôpitaux privés même si les mêmes soins sont offerts par les hôpitaux publics. Les patients ayant une assurance privée obtiennent ordinairement des services en dehors du système national de soins de santé (NHS), mais ils peuvent aussi recevoir des traitements dans des établissements publics ayant des « lits payants ». Les médecins britanniques sont autorisés à tirer au plus 10 % de leur revenu annuel brut de clients privés.

En Australie, l’assurance-santé privée peut concurrencer le régime public, comme au Royaume-Uni. De plus, le gouvernement encourage les résidents à acheter de l’assurance privée en en subventionnant le coût à 30 %. Les primes de l’assurance-santé privée sont soumises à des règles de tarification strictes qui ne permettent aucune distinction (ce qui revient à dire que le taux des primes est le même pour tout le monde, indépendamment de l’état de santé). Les patients qui ont une assurance privée peuvent obtenir des soins dans un hôpital public ou privé : dans les deux cas, le régime public finance 75 % des coûts d’hospitalisation, le reste étant couvert par l’assurance privée. Les spécialistes travaillant dans les hôpitaux publics peuvent donc avoir une clientèle privée et recevoir des paiements de source aussi bien publique que privée.

L’assurance-santé privée est autorisée même en Suède, pays généralement reconnu comme étant parmi les plus socialisés d’Europe. En Suède, comme en Australie, la loi impose aux assureurs privés de fixer des primes uniformes indépendantes de l’état de santé. Les hôpitaux privés ne reçoivent ordinairement pas de paiements du régime public, à moins de dispenser des services dans le cadre de contrats signés avec les conseils de comté[64]. Les médecins suédois sont autorisés à travailler pour les secteurs public et privé.

Les renseignements présentés dans le volume trois de l’étude du Comité et les conclusions d’une étude canadienne[65] montrent qu’en grande majorité, les soins dispensés par les établissements privés à but lucratif de pays tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, la Suède et le Royaume-Uni sont financés par de l’assurance-santé privée. De plus, dans ces pays, les médecins travaillent habituellement pour le secteur public et gagnent un revenu supplémentaire en dispensant à une clientèle privée des services facturés à l’acte. Il y a lieu de noter cependant que, dans tous ces pays, le secteur privé à but lucratif est assez petit.

Les restrictions imposées au Canada sur le rôle de l’assurance-santé privée et sur le déconventionnement des médecins n’ont pas d’équivalent dans les autres pays de l’OCDE. Toutefois, des pressions croissantes s’exerceront en faveur du relâchement de ces restrictions et de la création d’un système privé parallèle d’assurance-santé et de prestation de soins si le régime public ne peut pas offrir les services nécessaires en temps opportun. Glouberman et Vining avaient déjà fait cette observation en 1996 lorsqu’ils ont dit ceci :

Il est évident que toute initiative importante (qu’elle soit implicite ou explicite) pour rationner encore plus les soins de santé dispensés par le régime public augmentera la demande de soins financés par des sources privées[66].

Jeffrey Lozon, président-directeur général de l’Hôpital St. Michael’s de Toronto et ancien sous-ministre de la Santé de l’Ontario, a posé la question suivante au Comité :

S’il n’est plus question d’une assurance privée [...], inévitablement, il reste la question des augmentations d’impôt, que ce soit un impôt spécialement affecté ou non. Je soulèverais la question suivante : pourquoi ne pas permettre aux gens qui le veulent de contracter une assurance-santé qui leur accorderait un niveau de soins autre [...]? Pourquoi ne pas permettre aux personnes qui ont ce qu’il faut pour dire: «Je ne veux pas attendre pendant six mois pour un remplacement de la hanche» d’acheter le service en question[67]?

 

16.2   Examen de la documentation récente sur les effets d’un système privé d’assurance-santé et de prestation de soins à but lucratif

D’après les partisans d’un système privé parallèle, un tel système peut favoriser la viabilité du système public (en réduisant les pressions causées par la hausse des coûts publics), améliorer l’accès au système public (en réduisant les délais d’attente) et en augmenter la qualité (grâce à la concurrence). De plus, l’assurance-santé privée donnerait aux patients un plus grand choix et une meilleure qualité de services sans compromettre le système public.

Par contre, les adversaires d’un système privé parallèle soutiennent que ce système créerait « deux niveaux » de soins, compromettrait l’équité, ferait monter les coûts et réduirait la qualité et l’accessibilité du système public au fur et à mesure que les gens qui ont les moyens de payer une assurance privée quitteraient le système public pour s’adresser à des établissements privés. Ils estiment par ailleurs que la rémunération supérieure obtenue pour un travail équivalent dans le système privé attirera probablement beaucoup de membres du personnel du système public, ce qui allongera les délais d’attente du régime public tant que le pays ne disposera pas d’un nombre suffisant de médecins et d’infirmières. En outre, ils affirment que le secteur privé à but lucratif se livre à un « écrémage », c’est-à-dire qu’il choisit les cas simples (et donc moins coûteux à traiter) – les interventions chirurgicales non urgentes et les autres cas du genre – en laissant au régime public les cas urgents, complexes et coûteux, ce qui a pour effet de relever substantiellement les coûts unitaires du régime public.

La réalité se situe quelque part entre ces deux points de vue extrêmes. Que révèlent les données internationales? Voici les résultats d’un examen de la documentation récente relative aux systèmes privés d’assurance-santé et de prestation de soins[68] :

·        Au Royaume-Uni (comme en Nouvelle-Zélande), l’assurance-santé privée a favorisé le développement d’un système privé de prestation de soins. Dans les deux pays, les médecins sont autorisés à travailler pour les secteurs public et privé. Ils travaillent habituellement pour le secteur public et gagnent un revenu supplémentaire en dispensant à une clientèle privée des services facturés à l’acte.

·        Au Royaume-Uni (comme en Allemagne et aux Pays-Bas), les assureurs privés paient beaucoup plus cher que le régime public pour les mêmes services de santé. Ainsi, les médecins gagnent trois à quatre fois plus dans le secteur privé que dans le cadre du Système national de soins de santé (NHS) en dispensant le même service.

·        Les hôpitaux privés sont bien établis au Royaume-Uni, au point où le NHS fait appel à eux lorsque les temps d’attente du secteur public deviennent trop longs (tout comme certains gouvernements provinciaux du Canada font appel à des services de santé privés des États-Unis pour réduire les files d’attente).

·        En Australie, les patients ayant une assurance privée peuvent choisir leur médecin lorsqu’ils sont hospitalisés. D’après les données recueillies, ces patients accèdent plus rapidement aux traitements que les patients du régime public, qui doivent attendre leur tour. C’est la même chose en Suède et au Royaume-Uni dans le cas des patients aisés qui ont une assurance privée.

·        En Australie, les délais d’attente du régime public n’ont pas changé après l’adoption de la politique subventionnant l’achat de polices privées d’assurance-santé. De même, les données recueillies en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni permettent de croire que, même si les longues périodes d’attente font monter la demande d’assurance-santé privée, l’existence d’une telle assurance ne réduit pas les délais d’attente du régime public.

·        D’après les données recueillies en Australie et au Royaume-Uni, les systèmes privés parallèles de prestation de soins tendent à offrir une gamme de services limitée dans des créneaux particuliers axés le plus souvent sur des interventions relativement simples, peu complexes et sans urgence, ce qui laisse au régime public les cas les plus coûteux et ceux qui nécessitent des soins polyvalents.

·        Aux Pays-Bas, le gouvernement fixe le plafond des honoraires que les médecins peuvent facturer aux patients ayant une assurance privée, ce qui réduit la tentation d’accorder un traitement privilégié à ces derniers par rapport aux patients du régime public.

·        Également aux Pays-Bas, deux facteurs empêchent la transition vers un système « à deux niveaux ». D’abord, ceux qui décident de souscrire une assurance-santé privée ne peuvent pas s’en remettre au régime public pour certains de leurs besoins de santé. Les assureurs privés doivent assumer tous les besoins. Ils ne peuvent pas limiter leurs services à certains soins, par exemple les interventions chirurgicales non urgentes (comme c’est le cas au Royaume-Uni). Ensuite, le fait d’avoir une assurance privée ne permet pas aux Néerlandais d’accéder plus rapidement aux traitements : il est jugé contraire au code d’éthique médical d’accorder la préférence à des patients ayant une assurance privée. Les clients privés et publics sont traités en même temps dans les mêmes hôpitaux.

·        En Allemagne, une assurance-santé privée assure en général des soins plus complets et plus rapides que l’assurance-santé publique.

·        En Allemagne et aux Pays-Bas, le gouvernement contrôle de très près l’assurance-santé privée pour que les primes soient abordables et pour empêcher les assureurs de limiter à leur gré les risques à couvrir.

·        En Australie, en Suède et au Royaume-Uni, les gens qui souscrivent une assurance-santé privée ne peuvent pas déduire les primes de leur revenu dans le calcul de leurs impôts et sont soumis aux mêmes taux d’imposition que les autres. Ainsi, ils doivent payer double, en finançant l’assurance-santé publique à titre de contribuables et en versant des primes privées. Ce n’est pas le cas en Allemagne et aux Pays-Bas, où les personnes ayant une assurance privée ne sont pas tenues de cotiser aux fonds publics d’assurance-santé.

·        Les données recueillies dans 22 pays de l’OCDE montrent que l’augmentation des dépenses privées consacrées aux soins de santé se traduit avec le temps par des baisses du financement des services publics de santé. Cela tend à confirmer, dans une certaine mesure, la crainte que le financement privé ne se substitue au financement public et le réduise au lieu de s’y ajouter.

Compte tenu des données recueillies dans d’autres pays présentées ci-dessus, le Comité est d’avis qu’aucun pays doté de systèmes parallèles public et privé d’assu­rance-santé et de prestation de soins ne peut offrir au Canada un modèle à adopter tel quel.

Les pays dans lesquels un système privé parallèle fait concurrence à un régime public d’assurance-santé connaissent un certain nombre de problèmes : choix des risques à assumer et « écrémage », listes d’attente aussi longues dans le secteur public, traitement préférentiel des personnes ayant une assurance privée. Ces préoccupations devront être prises en compte si les gouvernements ne réussissent pas, pour une raison ou une autre, à fournir un financement suffisant pour assurer des soins en temps opportun dans le contexte de notre système de soins de santé public.

 

16.3   Commentaires du Comité

Si les gouvernements n’assurent pas un financement suffisant qui permette la prestation de services de santé efficaces et opportuns, le Comité est d’avis que, pour paraphraser l’article 1er de la Charte canadienne des droits et libertés, il ne serait ni juste ni raisonnable, dans une société libre et démocratique, de nier aux Canadiens le droit de souscrire de l’assurance-santé privée. Les citoyens doivent pouvoir acheter une assurance complémentaire privée couvrant les services que le financement public ne permet pas de leur fournir dans des délais raisonnables.

Tout en considérant qu’une telle évolution serait très regrettable et en reconnaissant que beaucoup de Canadiens s’y opposeraient fermement, le Comité estime important de noter deux faits :

·        d’abord, comme l’indique la section 16.2, le Canada est le seul grand pays industrialisé qui n’ait pas au moins quelques éléments d’un système privé  parallèle de services hospitaliers et de services fournis par les médecins;

·        ensuite, le système canadien actuel n’est pas aussi uniforme et équitable que certains l’affirment.

En réalité, les gens qui en ont les moyens vont déjà à l’étranger (habituellement aux États-Unis) pour obtenir les soins qu’ils jugent nécessaires s’ils trouvent les files d’attente trop longues au Canada.

De plus, d’après des données anecdotiques dignes de foi, la situation au Canada est assez semblable à celle qui existe en Australie où, selon l’un des témoins australiens qui a déposé devant le Comité, « l’accès aux services publics [de santé] est ordinairement plus facile pour les gens riches et puissants qui connaissent les rouages du système et ont les contacts voulus dans les services opérationnels et administratifs des hôpitaux ».

De plus, dans la plupart des provinces, les Commissions des accidents du travail obtiennent un accès préférentiel aux soins pour leurs clients en affirmant que ceux-ci doivent pouvoir reprendre leurs fonctions le plus rapidement possible (ce qui, bien entendu, permet aux Commissions de réaliser des économies). Certaines commissions provinciales ont d’ailleurs passé avec des hôpitaux des contrats leur assurant un nombre prescrit de lits et d’interventions diagnostiques, ce qui accélère l’accès de leurs patients aux services de santé. Les Commissions versent aussi directement à des médecins, pour les services qu’elles obtiennent, des paiements qui ne font pas partie du plafond de revenu que pourrait imposer la province.

Les Canadiens doivent tenir compte de tous ces faits avant de décider s’ils veulent que le gouvernement fédéral appuie ou rejette la recommandation du Comité relative à un investissement annuel supplémentaire de cinq milliards de dollars dans le système de soins de santé.

Le Comité se rend compte qu’il risque de vexer des gens en soulevant l’éventualité de la création d’un système privé parallèle de soins de santé. Ces personnes affirmeront probablement qu’il est possible pour les Canadiens de garder le régime public actuel d’assurance-santé sans avoir à y injecter d’importantes sommes (comme les cinq milliards de dollars que le Comité propose). Ces gens diront, par exemple, ce qui suit :

·        Le système actuel étant inefficace, la restructuration permettra d’économiser suffisamment de fonds pour compenser la hausse des coûts. Le Comité est souvent revenu sur l’importance d’augmenter l’efficacité et l’efficience de la gestion et de la prestation de soins de santé (voir volume cinq, chapitre 2, et les chapitres 2, 3 et 4 du présent volume). En même temps, il a soutenu à maintes reprises que les renseignements réunis ne permettent pas de croire que les gains d’efficacité seront suffisants à eux seuls pour éviter d’avoir à injecter d’importantes sommes supplémentaires dans le système, surtout s’il faut combler les fossés de plus en plus nombreux qui s’y creusent. En même temps, il est très couramment sinon universellement reconnu qu’il faut d’importants fonds additionnels afin de réaliser les changements massifs et fondamentaux nécessaires pour que le système de soins de santé puisse vraiment répondre à des normes acceptables d’efficacité et d’efficience et parvenir aux résultats auxquels les Canadiens sont en droit de s’attendre.

·        De plus, ceux qui affirment que seules des mesures d’amélioration de l’efficacité sont nécessaires pour rétablir le système de soins de santé font abstraction de deux faits importants. D’abord, la restructuration coûte de l’argent dans n’importe quel secteur, de l’argent qu’il faut dépenser avant de pouvoir réaliser des économies grâce aux gains d’efficacité obtenus. Ensuite, il est probable qu’il faudra une dizaine d’années pour terminer la restructuration. De toute évidence, on ne pourra pas attendre aussi longtemps sans trouver de nouveaux fonds.

·        On soutiendra aussi que les cinq milliards de dollars additionnels peuvent être prélevés dans l’excédent budgétaire fédéral. Cet argument fait cependant abstraction du fait qu’il existe d’autres secteurs qui ont un besoin urgent de fonds, comme l’agriculture, les Forces canadiennes, l’infrastructure des grandes villes du Canada, etc. Le Comité ne croit pas qu’il conviendrait de consacrer la majorité d’un excédent budgétaire fédéral exclusivement ou même principalement aux soins de santé. De plus, comme les excédents augmentent et diminuent (comme maintenant) selon la conjoncture économique, il ne serait pas sage que le gouvernement fonde l’avenir du système canadien de soins de santé sur les fluctuations du cycle économique.

Par conséquent, le Comité rejette catégoriquement le point de vue selon lequel les problèmes du système canadien de soins de santé peuvent être résolus sans qu’il en coûte rien aux Canadiens. Nous croyons que les Canadiens, par l’entremise de leur gouvernement fédéral, doivent absolument faire le choix entre consacrer beaucoup plus d’argent au système de soins de santé ou laisser les tribunaux trancher en faveur de la création d’un système privé parallèle.

[1] Volume cinq, p. 7.

[2] Ibid.

[3] Volume cinq, p. 7-9.

[4] Volume cinq, p. 6-13.

[5] Volume deux, p. 20.

[6] Volume deux, p. 43 et 118.

[7] Certaines interventions cardiaques (comme l’ACTP) progressent de 12 % par an chez les personnes âgées, les chirurgies des articulations (comme le remplacement du genou) augmentent à un rythme de 8 % par an et la dialyse rénale est en hausse de 14 % par an dans ce groupe d’âge (à un coût de 50 000 $ par an par patient).

[8] Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada (Roy Romanow, président), Préparer l’avenir des soins de santé, rapport provisoire, février 2002, p. 25.

[9] TEAQ Associates, Getting the Right Balance : A Review of Federal-Provincial Fiscal Relations and the Funding of Public Services, document rédigé pour l’Association des hôpitaux de l’Ontario, décembre 2001, p. 21.

[10] Walter Robinson, The Patient, The Condition, The Treatment – A CTF Research and Position Paper on Health Care, Fédération des contribuables canadiens, septembre 2001, p. 59.

[11] Glenn G. Brimacombe, Pedro Antunes et Jane McIntyre, The Future Cost of Health Care in Canada, 2000 to 2020 – Balancing Affordability and Sustainability, Conference Board du Canada, 2001, p. 21.

 

[12] Gerard Boychuk, The Changing Political and Economic Environment of Health Care in Canada, document de travail, Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada, juillet 2002.

[13] Jack Davis (53:59).

[14] Jack Mintz (62.5).

[15] Volume cinq, p. 31.

[16] Volume cinq, p. 13-15.

[17] Sharon Sholzberg-Gray (49:11)

[18] Pollara, Health Care in Canada Survey 2002, juin 2002.

[19] Le présent chapitre est fondé sur les témoignages reçus par le Comité et sur une analyse approfondie de la documentation disponible sur ce sujet. De plus, un document signé par Robert D. Brown et Michanne Haynes (juillet 2002), préparé à la demande du Comité, intitulé Financing Options for Funding and Incremental Increase in Federal Spending on the Health Sector, a fourni de précieuses balises pour la rédaction du présent chapitre.

[20] Nous ne connaissons aucun pays qui exige un impôt sur les services de santé assurés; toutefois, un certain nombre de propositions en ce sens ont été formulées au Canada.

[21] Robert Evans, mémoire présenté au Comité le 3 juin 2002, p. 2.

[22] Derek Wanless, Securing our Future Health: Taking a Long-Term View, Interim Report, novembre 2001, p. 51. (http://www.hm-treasury.gov.uk/Consultations_and_Legislation/wanless/consult_wanless_interimrep.cfm)

[23] Elias Mossialos et Anna Dixon, « Funding Health Care in Europe: Weighing up the Options », chapitre douze de Funding Health Care: Options for Europe, 2002, p. 272-300.

[24] Selon les données de Statistique Canada provenant du CANSIM II, tableau 380-0022.

[25] Caroline Chapain et François Vaillancourt, « Le financement des services de santé au Québec », dans Le système de santé québécois: Un modèle en transformation, C. Bégin édit., 1999, p. 101-121.

[26] OCDE (2000), Revenue Statistics 1965–1999, tableau 11.

[27] OCDE (2000), tableau 13.

[28] OCDE (2000), tableau 27.

[29] Brown et Haynes (2002), p. 13.

[30] Derek Wanless (2001), p. 50.

[31] Jack Mintz (62:6).

[32] David Stewart-Patterson, mémoire présenté au Comité le 17 juin 2002, p. 4.

[33] Jack Mintz (62:7).

[34] David Kelly (59:40-41).

[35] Dr Les Vertesi (53:62).

[36] Volume quatre, p. 63-64.

[37] Jack Mintz, Michael Gordon et Duanjie Chen, « Funding Canada’s Health Care System: A Tax-Based Alternative to Privatization », dans le Journal de l’Association médicale canadienne, 8 septembre 1998, p. 493-496.

[38] Tom Kent, What Should Be Done About Medicare, The Caledon Institute of Social Policy, août 2000.

[39] Jack Mintz, S. Aba et W.D. Goodman (2002), « Funding Public Provision of Private Health: The Case for a Copayment Contribution through the Tax System », C.D. Howe Institute Commentary – The Health Papers, no. 163.

[40] Paul Darby (59:17).

[41] Rapport Mazankowski, p. 55.

[42] Ibid., (59:5).

[43] Mossialos et Dixon (2002), chapitre douze, p. 285.

[44] Ministère des Finances, données présentées par l’OCDE (OECD Economic Surveys – Canada 1997), novembre 1997.

[45] OCDE, Revenue Statistics 1965-2000, 2001.

[46] Jack Mintz (62:7).

[47] David Kelly, mémoire présenté au Comité, p. 2-3.

[48] Volume quatre, p. 65.

[49] Robert Evans, mémoire présenté au Comité le 3 juin 2002, p. 6.

[50] Volume cinq, p. 57.

[51] Volume trois, chapitre sept, p. 62.

[52] Voir les documents suivants : 1) William McArthur, Cynthia Ramsay et Michael Walker, éd., Healthy Incentives: Canadian Health Reform in a Canadian Context, The Fraser Institute, 1996; 2) Cynthia Ramsay, « Medical Savings Accounts », Critical Issues Bulletin, The Fraser Institute, 1998; 3) David Gratzer, Code Blue – Reviving Canada’s Health Care System, ECW Press, 1999; 4) Dennis Owens et Peter Holle, Universal Medical Savings Accounts, Frontier Centre for Public Policy, Policy Series No. 5, juillet 2000.

[53] Samuel E.D. Shortt, « Medical Savings Accounts in Publicly Funded Health Care Systems: Enthusiasm versus Evidence », Journal de l’Association médicale canadienne, vol. 167, no 2, 23 juillet 2002, p. 159-162.

[54] Evelyn L. Forget, Raisa Deber et Leslie L. Roos, « Medical Savings Accounts: Will They Reduce Costs? », Journal de l’Association médicale canadienne, vol. 167, n2, 23 juillet 2002, p. 143-147.

[55] Volume cinq, p. 21.

[56] Le Comité tient à exprimer ses remerciements à Robert D. Brown, ancien président de Price Waterhouse, et à son adjointe de recherche, Michanne Haynes, pour bon nombre des calculs et des estimations de recettes contenus dans le présent chapitre. Il est par ailleurs reconnaissant au ministère des Finances pour les données statistiques qu’il lui a fournies.

[57] Comme il est indiqué à la section 15.4, le Comité écarte la solution d’une cotisation annuelle uniforme en raison de son caractère régressif évident. Par exemple, les calculs indiquent qu’il faudrait imposer une cotisation annuelle fixe de 425 $ à chaque Canadien déclarant un revenu supérieur à 20 000 $ pour générer cinq milliards de recettes additionnelles. À noter que plus de 136 000 Canadiens déclarent des revenus de plus de 20 000 $ et ne paient pas d’impôt sur le revenu en raison de crédits comme le crédit d’impôt pour enfants, le crédit pour dons de bienfaisance, etc. Pour ce groupe, l’imposition d’une cotisation uniforme constituerait vraisemblablement un fardeau additionnel lourd à porter. Si la cotisation uniforme était modifiée de manière à la faire plafonner à 5 % du revenu imposable dépassant 20 000 $, la cotisation annuelle à payer passerait à 500 $ et certains déclarants n’ayant pas d’impôt à payer seraient quand même tenus d’en verser une partie.

[58] Volume cinq, p. 28-31.

[59] Volume cinq, p. 61.

[60] Volume cinq, p. 25-27.

[61] Colleen M. Flood et Tom Archibald, « The Illegality of Private Health Care in Canada », dans le Journal de l’Association médicale canadienne, vol. 164, no 6, 20 mars 2001, p. 825-830.

[62] Un médecin est déconventionné lorsqu'il décide de renoncer à son droit de facturer le régime public d'assurance-santé et s'établit dans le secteur privé. Tous les régimes provinciaux d'assurance-santé permettent aux médecins de se déconventionner.

[63] Pour de plus amples renseignements sur les systèmes de santé d’autres pays, voir le volume trois de l’étude du Comité.

[64] Le cas est en fait de plus en plus fréquent dans les pays scandinaves du fait de leur nouvelle garantie de soins de santé.

[65] Cam Donaldson et Gillian Currie, The Public Purchase of Private Surgical Services: A Systematic Review of the Evidence on Efficiency and Equity, Institute of Health Economics (Alberta), document de travail 00-9, 2000.

[66]Steven Glouberman et Aidan Vining, Cure or Disease? Private Health Insurance in Canada, Université de Toronto, 1996, p. 61.

[67] Jeffrey Lozon (53:64).

[68] Voir les documents suivants :

Brian Lee Crowley, Private Financing, Private Delivery. Two Tier Health Care?, communication présentée à la Conférence nationale sur le leadership dans les soins de santé, Halifax, 27 mai 2002.

Stefan Greb et coll., Private Health Insurance in Social Health Insurance Countries – Market Outcomes and Policy Implications, document de travail, février 2002.

Jeremiah Hurley et coll., Parallel Private Health Insurance in Australia: A Cautionary Tale and Lessons for Canada, Centre for Health Economics and Policy Research Analysis, Université McMaster, document de travail 01-12, décembre 2001.

Colleen M. Flood, Mark Stabile et Carolyn Hughes Tuohy, Lessons From Away: What Canada Can Learn From Other Health Care Systems, document produit pour le Comité, 30 avril 2001.

Colleen M. Flood et Tom Archibald (mars 2001), op. cit.

Raisa Deber et coll., « Why not Private Health Insurance? 1. Insurance Made Easy », Journal de l’Association médicale canadienne, vol. 161, no 5, 7 septembre 1999, p. 539-542.

Carolyn H. Tuohy, Colleen M. Flood et Mark Stabile, How Does Private Finance Affect Public Health Care Systems? Marshalling the Evidence From OECD Countries, document présenté au Journal of Health Politics, Policy and Law, Université de Toronto.


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