Aller au contenu
TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 9 - Témoignages du 15 mai 2003


OTTAWA, le jeudi 15 mai 2003

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 10 h 48 pour examiner l'état actuel des médias canadiens, les tendances naissantes au sein de ce secteur d'activité; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ce secteur d'activité.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je désire souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs, à nos témoins, au public et aux téléspectateurs de tout le Canada à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui examine l'état actuel des médias d'information canadiens.

Le comité examine le rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés, dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années — notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration accrue en matière de propriété.

[Français]

Nous accueillons aujourd'hui M. Roger D. Landry. En plus d'avoir été éditeur au journal La Presse pendant de longues années, M. Landry a dirigé plusieurs associations de l'industrie, dont la Presse canadienne, l'Association canadienne des journaux, les Quotidiens du Québec et la Fondation pour le journalisme canadien. Il a reçu des décorations des gouvernements du Canada et du Québec, entre autres. Nous sommes très heureux de l'accueillir au Sénat.

M. Roger D. Landry, ancien éditeur de La Presse, à titre personnel: Je vous remercie de m'avoir invité à participer à votre commission sénatoriale. À la lecture de votre présentation, madame la présidente, j'ai compris que les questions fondamentales que vous adressiez au témoin étaient les suivantes: les Canadiens ont-ils toujours accès à une information de qualité et à la diversité des nouvelles qu'ils souhaitent? Comment assurer que les citoyens canadiens soient informés avec une perspective canadienne vue par et avec une lunette canadienne? Pourrait-il exister une forme de contrôle, de réglementation ou même un simple regard qui n'affecterait aucunement la liberté de la presse? Évidemment, mes réponses à ces questions porteront principalement sur la presse francophone puisque j'y ai passé 20 ans à titre de président et éditeur de La Presse.

À la première question, je dis oui. Les Canadiens ont les outils pour être bien informés. À la deuxième question, je dis aussi oui. Ils sont informés de mieux en mieux et par des journalistes canadiens de plus en plus présents à l'étranger. Quant à la troisième question, je dis non, parce que je crois personnellement que la liberté de la presse doit demeurer un droit constitutionnel inaliénable et incessible.

Quant à la nouvelle réalité de convergence, il est important de signaler que pour maintenir et développer une presse de qualité, il est nécessaire pour ceux qui visent cet objectif de bénéficier d'une bonne santé financière et d'un accès facile à des capitaux. À cet effet, M. Guy Crevier, président actuel et éditeur de La Presse, a déposé un mémoire important lors de la Commission de la culture qui se tenait à Québec en février 2001, et dans lequel était contenue l'une des recherches les plus intensives à ce chapitre faite aux États-Unis. Cette étude a été faite sur une période de douze ans par le professeur David Demers, directeur général du Center for Global Medias Studies, de l'Université de l'État de Washington.

Cette recherche démontre que les groupes de presse de grande taille accordent une importance plus grande à la qualité du produit et de l'information, et possèdent des structures et des mécanismes de décision complexes dont la responsabilité est assumée par des gestionnaires et par les professionnels de l'information. Ils présentent, en raison de leur solidité financière, une plus grande indépendance vis-à-vis des groupes de pression de toute nature. Ils disposent aussi de meilleurs moyens pour innover, offrir des contenus diversifiés et offrir de la qualité.

Aucune loi, aucun règlement, aucune politique ne peut mieux garantir la qualité de l'information que la volonté et la capacité financière d'un groupe de presse à promouvoir une stratégie de qualité. C'est là, à mon sens, que réside la meilleure garantie d'une presse libre et diversifiée.

La présidente: Un exposé bref et très clair!

[Traduction]

Le sénateur Phalen: Monsieur Landry, dans ses témoignages devant le comité, Christopher Dornan de l'Université Carleton nous a fait part de ses préoccupations concernant la perte, pour les journaux, des revenus tirés des petites annonces en faveur d'Internet. Selon ses témoignages, les petites annonces constituent la source la plus importante de revenu pour les journaux, et étant donné qu'Internet est mieux placé pour assurer des services de ce genre, la diminution des revenus essentiels provenant de cette source devrait nous inquiéter.

Qu'en pensez-vous?

M. Landry: Les honorables sénateurs doivent comprendre que pendant les années où j'ai été l'éditeur de La Presse, aux Journaux Trans-Canada et dans d'autres secteurs de l'industrie, Internet ne s'était pas encore imposé. Je vais donc vous répondre en me basant sur ce que j'ai lu, et non pas sur mes expériences personnelles.

Je pense que cette préoccupation pourrait finir par être légitime. Je suis d'avis qu'à l'heure actuelle, les revenus perdus par la presse écrite en faveur d'Internet sont limités. À l'époque, j'avais des rapports suivis avec le New York Times, le Chicago Tribune et le Washington Post. Tous ont investi des millions de dollars dans Internet, mais jusqu'à présent, les retombées n'ont pas été particulièrement positives.

La présidente: Vous voulez dire par là qu'ils ne gagnent pas d'argent grâce à ça?

M. Landry: C'est exact.

À l'époque, j'avais rencontré l'éditeur du New York Times. J'estimais que nous avions certains avantages parce que, étant implantés sur un marché francophone, un tout petit marché en Amérique du Nord, je devais me demander s'il me serait possible de profiter de ses expériences et de ses connaissances. J'ai appris qu'ils avaient effectivement investi beaucoup d'argent là-dedans, mais je doute qu'ils arrivent jamais à rentrer dans leurs fonds.

[Français]

Le sénateur LaPierre: Dans la document que vous venez de lire, vous dites que les Canadiens ont les outils pour être bien informés. C'est votre réponse à la question à savoir si les Canadiens ont toujours accès à une information de qualité et à la diversité des nouvelles qu'ils souhaitent. Je n'ai aucun doute qu'un des outils soit essentiellement l'excellence de la formation des journalistes.

Cependant, je me pose la question à savoir si la concentration de l'«ownership» de la presse écrite, mais aussi de la presse parlée et télévisée, ne pourrait pas occasionner une marge de liberté limitée? Et cette marge de liberté est un outil très important.

M. Landry: Votre question a deux volets. Le premier concerne les grands groupes qui doivent être, comme je l'ai signalé, dans une bonne position financière pour ne pas influer directement sur le fonctionnement même du journal, dans un contexte que je définirais de commercial.

Pour ma part, je crois que la qualité journalistique présentement, tout en n'étant pas supérieure à ce qu'elle était avant, bénéficie d'un plus grand nombre de ressources de grande qualité. Les journalistes d'aujourd'hui — et il y en a eu des grands dont madame la présidente qui est devant moi — sont de plus en plus qualifiés. Ce sont des journalistes qui ont cette liberté de pensée et d'exécution. Je doute fort, comme ont fait foi récemment certaines actions prises dans certains journaux, à l'effet que des grands journalistes de qualité ont décidé de changer d'endroit — parce que jamais, pour ma part, durant les 20 années pendant lesquelles j'étais à la tête de La Presse, je n'ai connu d'intervention de la part des propriétaires de mon journal et je ne suis jamais intervenu auprès des journalistes qui exerçaient leur métier. Je crois que nous devons, les Canadiens et les Canadiennes, être très fiers de la qualité de nos journalistes. Peut-être devrait-on l'exprimer plus souvent.

Le sénateur LaPierre: Monsieur Landry, nous avons la liberté de la presse. En qui ou en quoi réside l'exercice de la liberté de la presse? Est-ce que c'est la liberté de la presse dans l'exercice du métier du journalisme professionnel, comme l'a souligné le président de la firme Asper...

[Traduction]

... ou est-ce que c'est le propriétaire de l'organisation qui exerce et a toujours exercé cette liberté.

M. Landry: Je ne voudrais pas créer de dilemme pour la famille Asper. C'est à elle de régler ce problème. Je voudrais simplement vous dire que selon moi, c'est le professionnalisme des journalistes qui incarne la liberté de la presse. Si les journalistes estiment que quelque chose compromet cette liberté, ils vont réagir en conséquence, parce que ...

[Français]

Il existe dans le professionnalisme des journalistes cette intégrité que j'ai toujours connue durant les années passées. Je crois que leur désir de bien informer est plus grand que leur désir de satisfaire ceux pour qui ils travaillent.

[Traduction]

Le sénateur LaPierre: Oui, mais il y a de moins en moins d'emplois.

[Français]

Ce n'est plus seulement la concentration du journalisme de la presse écrite, cela concerne également la presse parlée et de se transformer en une étoile de cinéma et en un écrivain dans les journaux. Avec cette concentration, on voit de plus en plus que le contenu éditorial et les directives éditoriales sont centralisées dans certaines compagnies. Ceci avec le résultat que la marge de liberté — et peut-être pas au Québec autant qu'au Canada de langue anglaise, mais il apparaît évident que le jour viendra où la marge de liberté des journalistes sera très affectée par le fait qu'ils n'auront pas beaucoup de travail pour gagner leur vie.

M. Landry: Je dirais que ce que vous me communiquez relève plutôt d'une exception que d'une généralité. Je crois qu'il existe des grands groupes partout. Je vois, dans votre question, certaines concentrations qui ont pris place et qui ont amené des questionnements. Toutefois, je ne crois pas qu'il faut, pour l'exception, établir une règle générale. Pour ma part, je crois encore que les journalistes ont une liberté d'expression.

Depuis mon départ de La Presse, il y a un plus grand nombre de journalistes. Je dois féliciter mon successeur d'avoir réussi cela. Ils ont témoigné de beaucoup de confiance en ouvrant, à l'étranger, des bureaux particulièrement coûteux. Lors de la guerre en Irak, nous avions des journalistes en place qui nous faisaient voir l'actualité par la lunette canadienne. Ils ont fait un travail extraordinaire. Je comprends que vous pouvez vous interroger si, spécifiquement, on s'adresse à une situation. Mais je ne crois pas que l'on devrait généraliser dans tout le reste du pays. Il existe, parmi de grands groupes de la télévision et des journaux, une très grande division entre le journalisme écrit et le journalisme télévisé.

Le sénateur Corbin: J'ai parlé à M. Landry avant la réunion ce matin. Je suis un ancien journaliste et je lui ai dit que le journalisme m'a mené en politique.

Vous avez parlé, monsieur Landry, des conclusions d'une étude qui a été faite aux États-Unis par le Center for Global Media Studies, où il est affirmé que les groupes de presse de grande taille ont, en raison de leur solidité financière, une plus grande indépendance vis-à-vis des groupes de pression de toute nature. De quels groupes de pression s'agit-il?

M. Landry: Je n'ai pas en tête de groupes spécifiques. Ce que je veux dire par là — et c'est ce que M. Demers a écrit, et après 12 ans d'étude, je crois que c'est quelque chose d'assez approfondi —, c'est tout simplement que suite à une situation où des groupes décident, à cause d'un événement spécifique, qu'ils vont prendre des actions majeures — exemple triste de la terrible tuerie à l'Université de Montréal —, il se forme des groupes qui ont, à mon sens, une valeur réelle, qui apportent un point de vue, qui ont été écoutés, et qui ont reçu l'assentiment des journaux.

Il peut exister, dans l'hypothèse, un autre groupe qui, pour des raisons qui ne sont pas aussi valables, se soulève et fait une action communautaire, mais dans laquelle le journal ne veut pas être impliqué parce qu'il ne croit pas que la cause est bonne. Cette liberté d'un groupe solide et financièrement stable est capable de répondre à la situation. Le problème a été soulevé par le sénateur LaPierre dans son questionnement. Si vous êtes solide dans votre position financière, l'intervention ne viendra pas des patrons, elle viendra plutôt de ceux qui veulent communiquer leur affaire. Et à ce moment-là, autant les journalistes que l'éditeur du journal ont pleine liberté, sans qu'il y ait une intervention qui vienne de plus haut.

J'ai passé 20 ans avec un groupe qui s'appelle Power Corporation et qui n'est jamais intervenu dans des dossiers qui étaient particulièrement chauds. On laissait la totale liberté à l'éditeur et aux journalistes de prendre les positions qu'ils souhaitaient prendre.

Le sénateur Corbin: Maintenant, il y a l'inverse de l'affirmation. Vous parlez de solidité financière qui accorderait une plus grande indépendance. Mais les grands journaux ont aussi un pouvoir d'influer sur l'opinion publique, de faire pencher les opinions d'un côté ou de l'autre. Je pense que vous avez vécu cela à La Presse à certains moments.

Vous avez eu aussi, dans vos relations syndicales, des problèmes particuliers avec lesquels je ne suis pas intimement familier. Je veux parler d'une situation que nous avons, au Nouveau-Brunswick. Vous, vous êtes peut-être dans un milieu idéal face au patron, de l'indépendance de la salle de rédaction ainsi de suite. Vous avez aussi vos concurrents au Québec. Au Nouveau-Brunswick, ce n'est pas le cas. Nous avons maintenant une situation de mainmise par une entreprise qui contrôle des postes de radio, des quotidiens et la majorité des hebdomadaires. Cela ne se traduit pas par une solidité financière, de toute façon ils l'ont au départ. Avaient-ils besoin des journaux qui peuvent potentiellement servir de pression sur l'opinion publique? Là où on avait auparavant une multitude de voix qui réagissaient à une multitude de situations, on a maintenant, au Nouveau-Brunswick, une voix unique contrôlée par un propriétaire très puissant, qui est aussi impliquée dans toutes les autres facettes de l'activité économique et industrielle au Nouveau- Brunswick.

Croyez-vous que cette situation est saine? Ce n'est certainement pas celle de La Presse, mais j'aimerais avoir vos commentaires.

M. Landry: J'aimerais corriger un commentaire que vous avez fait dans votre présentation. Vous avez dit: «Vous avez été assujetti à des grèves».

Le sénateur Corbin: Je n'ai pas parlé des grèves comme telles. J'ai parlé des problèmes syndicaux.

M. Landry: Je voudrais répondre à cela en premier. Durant les 20 dernières années à La Presse, et même depuis mon départ, nous n'avons jamais eu de problèmes syndicaux.

Le sénateur Corbin: Jamais?

M. Landry: Nous n'avons pas connu d'arrêt de travail, pas connu de jours où La Presse n'a pas été publiée pendant ces 20 années.

Le sénateur Corbin: N'est-il pas vrai que ce sont les syndicats qui déterminent le contenu du journal?

M. Landry: Non, je ne dirais pas cela. C'est une fusion. Je reviens toujours à mon argument massue. J'ai un grand respect pour les journalistes. J'ai vécu avec eux très longtemps. Je dois vous dire que, au journal que j'ai dirigé pendant ces années, j'ai pu reconnaître leurs qualités. Ce sont des professionnels et ce sont des gens qui ont beaucoup d'honneur. Et si parmi eux, comme dans toutes les sphères de notre société, il se glisse de mauvais éléments, ils sont toujours en minorité. Pour ma part, je pense qu'il est important de vous le dire. Si je me trompe, vous me corrigerez, mais le conglomérat auquel vous faites allusion c'est Irving, n'est-ce pas?

Le sénateur Corbin: C'est évident.

M. Landry: Lorsque vous me demandez de commenter là-dessus, je peux vous parler non pas en tant que président et éditeur de La Presse, mais je peux vous parler en tant que président de la presse canadienne pendant deux ans.

Cela ne touche pas du tout à ce que j'accomplissais en tant que président et éditeur de La Presse. Cela touche la participation du groupe auquel vous faites allusion qui ont été de bons citoyens corporatifs, en ce qui concerne la presse canadienne.

Ils ont toujours participé activement à nos activités; ils avaient des gens de qualité qui bénéficiaient d'une forme de liberté. Je n'ai pas travaillé au Nouveau-Brunswick. Je connaissais ces journaux parce que j'étais président de la presse canadienne et que je les lisais.

Le sénateur Corbin: Ma question portait plutôt sur un contrôle.

La présidente: Sénateur Corbin, on ne peut pas demander à M. Landry de parler pour la compagnie Irving.

Le sénateur Corbin: Je parle d'une question de principe en général et c'est la raison pour laquelle je n'ai pas mentionné Irving.

M. Landry: J'aurais été assez mal informé si je n'avais pas su ce dont vous parliez.

Le sénateur Corbin: Je vous ai parlé du principe d'un important contrôle de groupes.

Le sénateur Day: D'une grande famille.

M. Landry: S'il y a une chose que je n'ai jamais faite, c'est de me dérober d'une question.

Les journaux qui participaient à la presse canadienne, même ceux d'ailleurs, étaient toujours de bons participants et de bon joueurs dans les objectifs visés. Ces objectifs ont toujours été — que ce soit à la presse canadienne, au Canadian Daily Newspaper Association ou à la Fondation du journalisme — d'assurer une qualité supérieure de journalisme tant au Canada anglais qu'au Canada français. Je ne sais pas si cela est suffisant comme réponse, mais c'est ce que je crois.

La présidente: Vous avez le choix de vos réponses, monsieur.

Le sénateur Day: Pouvez-vous élaborer sur les développements survenus durant vos 20 années à La Presse? Quelle est la différence entre la presse canadienne anglaise et la presse canadienne française?

M. Landry: Durant les années où j'ai dirigé La Presse, le Québec a connu une évolution constante de la qualité du produit et des informations en essayant d'établir une forme d'échange de communication, ce qu'on a réussi avec le temps. Il y a aussi eu un partenariat très important entre les syndicats professionnels de l'information et les patrons de presse. Il a été convenu, pour bien servir tout le monde, qu'il était important d'avoir cette participation, cette collaboration. Quant au produit lui-même, évidemment, il y a eu tellement de changements. Lorsqu'on prend un quotidien, on lui donne sa forme, sa manière d'être et tout cela provient à la base de ceux qui font le journal.

J'ai eu l'honneur de servir avec des éditeurs adjoints de grande qualité. J'ai eu le bonheur de travailler avec Jean Sisto, Claude Masson, Michel Roy et Marcel Desjardins. Ce sont tous des professionnels de l'information qui ont apporté leur vision au journal. Cette évolution a été profonde et marquante. Depuis que j'ai quitté, il y a eu d'autres innovations. Le président actuel de La Presse a une vision très journalistique puisqu'il était lui-même journaliste. Ses adjoints principaux, dont Phillipe Cantin, qui a été amené à travailler avec tous ceux mentionnés précédemment, font que nécessairement, ils apportent cette nouvelle vision et une nouvelle façon de faire. Je crois répondre à cette partie de votre question de façon générale.

Quant à la différence qui existe entre le Canada anglais et le Canada français sur la publication d'un quotidien ou de journaux, pour ma part j'en vois peu. Cela revient toujours à ceux qui le font. Pour moi, être journaliste c'est communiquer le mieux possible ce que l'on perçoit, ce que l'on voit et rapporter les faits avec le plus de probité possible. Il est évident que lorsqu'il y a une monopolisation de tous les centres — ce à quoi se référait le sénateur Corbin tout à l'heure — il y a de fortes chances qu'il y aura une pensée qui dirigera vers une orientation générale. Sincèrement, je n'ai jamais vu durant mes 20 ans dans ce milieu une influence majeure au point où les journalistes n'écrivent plus ce qu'ils veulent écrire et que les commentateurs à la radio ne disent plus ce qu'ils veulent dire, parce qu'il n'y a qu'une pensée unique. J'ai un respect immense pour des journaux comme le Toronto Star, The Globe and Mail et le National Post qui a été, lors de son arrivée sur le marché, une révélation. Il nous faisait voir la liberté journalistique autrement. Les temps changent. Autres temps, autres mœurs. Il demeure que l'arrivée du National Post a été un réveil très important dans le monde journalistique canadien.

Le sénateur Day: Qu'est-ce qui a contribué à la formation et à l'augmentation de formation pour les journalistes? Qu'est-ce qui a changé?

M. Landry: Le sénateur Fraser pourrait répondre à cette question puisqu'elle a exercé cette profession longuement et avec beaucoup d'éclat. Les gens ont une meilleure formation. Il y a à La Presse un jeune journaliste qui possède une formation d'avocat et qui, en peu de temps, est devenu un des journalistes les plus respectés dans la société québécoise. Sa formation de base, sa qualité d'écriture et son savoir lui ont permis de faire cela.

Chaque été, nous avons embauché des jeunes. Jusqu'à 1 000 personnes faisaient une demande de stage de huit semaines à La Presse. Elles possédaient toutes sortes de diplômes et avaient un grand désir. Je ne m'attribue pas tout le crédit, mais quelle meilleure source de recrutement pour un éditeur que d'avoir tout ce monde qualifié devant vous et d'en choisir trois! C'était toute une source. Je suis content de retrouver ces personnes dans d'autres quotidiens.

Vous me demandez pourquoi ils sont meilleurs. Parce qu'ils ont été exposés aux meilleurs. Si nous regardions le plan canadien d'un bout à l'autre, nous pourrions vous donner un tas de noms de gens qui ont été des exemples à suivre pour tous les jeunes journalistes qui débutent dans cette profession.

[Traduction]

Le sénateur Merchant: Un journaliste bien respecté qui a comparu devant le comité, M. Patrick Watson, a proposé la création d'un journal public national. L'idée, je suppose, c'est qu'il s'agirait d'un journal impartial qui ne serait pas influencé ni par les annonceurs, ni par les politiciens.

À part certains pays du monde, tels que la Corée, la Libye et l'ancienne Union soviétique, pourriez-vous me nommer un pays où il existe un tel journal? Une entreprise de ce genre risquerait-elle de coûter cher aux Canadiens? Et comment serait-elle accueillie par le public, étant donné l'attitude que peut avoir ce dernier par moments vis-à-vis du radiodiffuseur public?

M. Landry: D'abord, je respecte beaucoup M. Patrick Watson, qui est un bon ami à moi. Il nous arrive souvent d'être d'accord, mais là je dois vous dire que je ne suis pas d'accord avec sa recommandation à cet égard.

À mon sens, il n'est pas possible qu'un journal public soit plus timide qu'un journal indépendant. Vu la question que m'a posée le sénateur Corbin il y a quelques minutes, je dois vous dire que cela ne me semble pas être une bonne idée. Nous avons besoin de la Société Radio-Canada pour fournir du contenu canadien. J'ai entendu les arguments avancés dans le contexte de la discussion, mais je persiste à croire qu'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Donc, sur ce point, je ne suis pas d'accord avec mon cher ami, Patrick Watson.

Le sénateur Merchant: À votre connaissance, existe-t-il un pays qui soit semblable au Canada?

M. Landry: Je suis sûr que la Chine et l'ex-Union soviétique font ce genre de choses, mais le Canada est un pays libre, et Dieu merci. Le Canada est suffisamment vaste, fort et intelligent pour ne pas opter pour une telle solution.

La présidente: Pour être juste envers M. Watson, je précise qu'à mon avis, il ne songeait pas à un journal qui deviendrait le porte-parole du gouvernement, mais qui serait tout à fait indépendant.

Combien coûterait-il de publier un quotidien national dans les deux langues, supposons?

M. Landry: Il me faudrait prendre une semaine pour faire des calculs avant de pouvoir vous donner un chiffre approximatif. D'abord, il vous faudrait trois éléments de base: d'abord un journal, du papier journal, et un système de distribution. Deuxièmement, il vous faudrait un effectif de journalistes de grande qualité qui aurait les compétences voulues pour bien communiquer au public ce qu'il faut lui communiquer. Troisièmement, il faut des annonceurs. Certains diraient qu'il faudrait que ce soit des annonces du gouvernement, mais cette approche me semble illogique. Nous élisons un gouvernement et nous espérons qu'il réalisera de grandes choses, mais si c'était moi, je ne sais pas si j'aurais envie de passer les annonces du gouvernement.

Donc, en réponse à votre question, je dirais que cela coûterait au moins 25 p. 100 des dépenses globales de CBC et de Radio-Canada.

La présidente: C'est-à-dire, environ 200 millions de dollars.

[Français]

La présidente: Vous avez dit tout à l'heure, à deux reprises je pense, que pendant vos années au journal La Presse et à Gesca, les propriétaires, c'est-à-dire Power Corporation, ne s'étaient jamais ingérés dans le processus. Je m'intéresse à la dynamique qui doit exister dans la salle de nouvelles quand on sait que celui qui possède le journal, c'est-à-dire celui qui est ultimement notre employeur, possède aussi beaucoup d'autres intérêts.

C'est moins le cas maintenant, mais il y a 20 ans ou plus, la société Power Corporation possédait aussi beaucoup d'industries qui avaient un impact direct sur la vie des Montréalais, tels des navires, des autobus, des intérêts financiers, des usines de pâtes et papier, donc énormément de domaines qui avaient un impact direct sur la vie de vos lecteurs. Est- ce qu'il y avait un code ou des instructions pour les journalistes concernant la façon de traiter de ces sujets? Comment est-ce que cela fonctionnait?

M. Landry: Moi, j'ai pris la responsabilité du journal La Presse, en 1980. Le journal La Presse venait de vivre des moments passablement terribles, et nous étions en arrêt constant de travail.

Un jour, mon patron, M. Paul Desmarais père, m'a dit que pour lui le journal La Presse était peut-être 1 p. 100 de ses affaires et 99 p. 100 de ses problèmes. Alors il m'a demandé de régler cela. Il m'a dit qu'il n'avait pas l'intention d'intervenir, qu'il souhaitait que je réussisse et m'a assuré de leur appui. Il m'a donc donné les clés et demandé d'essayer de faire quelque chose avec cela.

Je peux vous dire que, 20 ans plus tard, je lui ai remis les clés en le remerciant de m'avoir offert cette opportunité merveilleuse parce que ces 20 ans ont été les plus belles années de ma vie.

J'ai bénéficié de cette liberté et je souhaite à tous les autres éditeurs au Canada la chance d'avoir quelqu'un comme la famille Desmarais qui, lorsqu'elle vous confie une responsabilité, elle vous laisse l'exercer.

La présidente: Je vous crois, monsieur Landry, parce que j'ai travaillé pour la famille Southam et c'était la même chose. Jamais la moindre ombre d'une directive. Je parle plutôt des journalistes qui eux n'étaient pas dans la pièce quand M. Desmarais vous a demandé de vous occuper du journal. Vous savez comme moi que les journalistes ont une tendance très naturelle à se méfier du pouvoir. Mais quand ce pouvoir est représenté par leur employeur, comment est- ce qu'un journaliste qui travaillait au journal La Presse pouvait être sûr qu'il était libre, aussi libre quand il s'agissait des intérêts de Power Corporation que lorsqu'il s'agissait des intérêts d'on ne sait qui?

M. Landry: Il faut penser qu'à cette époque le syndicalisme au Québec était d'une puissance énorme. Si vous vous souvenez bien, c'était la montée absolue et il n'y avait aucune intervention possible. On avait même brûlé M. Desmarais en effigie devant la porte, lors de la grève de 1978. En 1984, lorsqu'on a célébré le centenaire, on lui a rendu un hommage sur la rue Saint-Jacques en le félicitant.

Cette évolution s'est faite naturellement. Si vous recevez des journalistes de ce temps, ils vous diront probablement la même chose. Je ne pourrais pas inventer cela. Lorsque vous étiez avec Southam, à l'époque où il y avait Fisher et d'autres, ces personnes n'intervenaient pas.

La présidente: Il y avait une déclaration publique.

M. Landry: On avait une philosophie chez nous.

La présidente: C'était publique aussi?

M. Landry: Oui. Nous avions une philosophie écrite depuis 1976 par mon prédécesseur, Roger Lemelin. Il était dit clairement que La Presse allait informer et donner la liberté aux journalistes, mais qu'elle serait toujours canadienne. C'était en 1976, à l'époque où il y avait la montée des souverainistes, de la séparation.

La présidente: Pourriez-vous nous envoyer un exemplaire de cela?

M. Landry: Cela existe sûrement. Je vais demander à M. Crevier de vous en faire parvenir une copie.

La présidente: Merci.

Le sénateur LaPierre: S'il y avait une intervention de la part des propriétaires ou des forces associées avec les propriétaires qui interviendraient dans l'ensemble de l'exercice de la liberté professionnelle du journalisme, à part du syndicat auquel ils appartiennent, et à part la furie des lecteurs de ce journal, n'y a-t-il pas une responsabilité de la part de l'État de voir à ce que les droits inscrits dans la Charte soient protégés? Cela demanderait alors une possibilité de l'intervention de l'État pour que l'exercice complet de cette liberté dont vous parlez existe.

M. Landry: Je crois beaucoup à la liberté et à une société de droit. Je crois que tout cela donne une protection. J'en suis convaincu. Dans votre cheminement entre ce groupe et les journalistes et les lecteurs, vous avez oublié qu'il y a le groupe des éditeurs et de leur équipe. Ils ont une loyauté vis-à-vis leur employeur. Ils ont aussi leur liberté et leur sens des responsabilités.

Parfois, le propriétaire qui fait face à une telle situation n'est pas heureux de ce qui se passe. On peut être en désaccord et continuer de travailler ensemble. La liberté de l'éditeur d'un journal est aussi essentielle que la liberté des journalistes avec qui ils travaillent. C'est pourquoi je parle de la qualité des propriétaires.

Je n'aime pas le principe de mettre tout le monde dans le même bateau. Lorsqu'on a des problèmes dans certains secteurs, dans certains coins de notre pays, reliés à la publication de journaux, je pense qu'il faut cibler ce problème et non pas en faire un problème général.

Le sénateur Corbin a dit tout à l'heure qu'il était bon d'avoir de la compétition dans un marché. Je suis totalement d'accord avec cela. Mais le marché est-il assez large pour connaître ce genre de compétition? On a de grandes et de petites provinces dans notre pays et on ne peut pas toutes les mettre sur le même plateau.

Pour répondre spécifiquement à votre question, je ne crois pas qu'il y aura et qu'il faudrait une intervention de l'État.

Le sénateur LaPierre: Selon vous, devrait-on augmenter le pourcentage de propriétaires ou d'actionnaires étrangers dans les médias de notre pays?

M. Landry: C'est une excellente question. Prenons la France, par exemple. On sait que personne ne peut détenir une propriété au-delà de 10 p. 100. Si le besoin n'existe pas — ce n'est pas une recommandation que je fais ici — je pense que l'on a suffisamment, dans les domaines du média parlé et du média télédiffusé, une pénétration déjà très large vers l'accessibilité des satellites. On ne peut pas forcer les gens à limiter cela.

Lors de mes premières années à la télévision, j'étais un grand fan de Radio-Canada et de CBC parce que c'étaient les seuls postes que je pouvais regarder. C'était merveilleux. On nous a donné un choix et une façon de faire lorsqu'on a élargi la panoplie d'émissions. Je ne crois pas que ce serait avantageux pour notre pays de l'élargir, à moins qu'il y ait un besoin de survie.

Le sénateur Corbin: Je ne voudrais pas que M. Landry pense que je lui ai donné un coup de Jarnac avec mes questions. Nous partageons les mêmes préoccupations. Je suis d'accord que le gouvernement ne s'immisce pas dans le contrôle de la presse au pays. C'est fondamental. C'est une question constitutionnelle.

Un autre aspect demeure. Le journalisme, c'est une opération commerciale. Ce n'est pas une oeuvre de bienfaisance. Soyons réalistes. Même les annales de la bonne Sainte-Anne étaient des opérations commerciales. Ce n'était pas du journalisme. Il me semble qu'un consortium, qu'un pouvoir financier devrait être restreint dans le degré de pouvoir de contrôle de l'opinion. Si les gens du Nouveau-Brunswick — parce que nous parlions du Nouveau-Brunswick — veulent tolérer une situation qui, d'après moi, me paraît tout à fait inacceptable à plusieurs points de vue, c'est leur affaire.

Je vous questionnais auparavant sur une situation réelle pour avoir votre approche philosophique sur ce genre de problème. Si vous aviez travaillé pour les intérêts qui contrôlent la majorité des médias du Nouveau-Brunswick au lieu d'avoir travaillé pour Power Corporation, M. Desmarais, votre attitude aurait-elle été différente en tant que professionnel?

M. Landry: C'est une question hypothétique. Je doute fort que j'aurais travaillé au Nouveau-Brunswick — et ce n'est pas parce que je n'aime pas le Nouveau-Brunswick, au contraire.

Le sénateur Corbin: Je ne posais pas ma question d'un point de vue géographique. Auriez-vous travaillé pour des intérêts de ce genre?

M. Landry: On ne me l'a jamais proposé. On avait accepté ma philosophie de liberté de l'éditeur lors de l'emploi. Sinon, j'aurais refusé. Un des bonheurs que j'ai eus, dans ma vie professionnelle en tant qu'éditeur d'un journal, c'est cette liberté qui m'était confiée, liberté que j'ai toujours respectée. Vous savez, on a tous une responsabilité, et ce n'est pas seulement l'intégrité journalistique. La vie d'un journal dépend de la qualité de son information.

Je vais vous donner un exemple: Vous, vous êtes du Nouveau-Brunswick. Vous avez connu le journal L'Évangéline.

Le sénateur Corbin: Le défunt journal L'Évangéline. J'y étais journaliste.

M. Landry: C'était un journal d'une excellente qualité. Sauf que les acheteurs ne suivaient pas. Vous avez vécu cette expérience, c'étaient les coûts, les choses inhérentes.

Le sénateur Corbin: Le problème de L'Évangéline, c'était le problème de la réclame commerciale.

M. Landry: C'est la liberté de notre société. C'est vrai que c'est difficile. Je vous pose une question: est-ce que le gouvernement du Nouveau-Brunswick aurait dû subventionner L'Évangéline pour qu'il continue à être publié?

Le sénateur Corbin: On peut remercier bien des personnes du Québec qui ont maintenu L'Évangéline un peu plus longtemps avant son décès éventuel. Le Québec a été généreux envers L'Évangéline.

M. Landry: Je peux vous dire que le groupe de M. Desmarais a été un de ceux-là

Le sénateur Day: Au sujet de L'Évangéline, y aurait-il eu une possibilité pour le gouvernement de subventionner ce journal?

M. Landry: Je pense que ce serait un geste aussi mauvais qu'une intervention gouvernementale dans quoi que ce soit. Je pense qu'un journal doit avoir cette indépendance de pensée, cette indépendance philosophique. En effet, vous allez constater des défaillances dès lors que l'intérêt probant de la population à vouloir s'informer à cette source ne sera plus là.

Mme Fraser et moi avons connu, à l'époque, le lancement du journal Le Jour. C'était un journal qui n'était pas de libre expression. Il représentait un parti politique. Il n'a pas survécu parce que le public veut avoir une plus grande et une meilleure information, et il est libre. La richesse de notre pays, c'est cette liberté que nous avons de pouvoir penser comme on le veut. J'ose croire que vous allez maintenir cela

Le sénateur Day: Ma dernière question concerne l'Internet. D'après moi, la diversité des sources d'information, la diversité d'opinions est quelque chose de très important. Pour une démocratie, cette diversité est très importante.

Pensez-vous que Internet apportera la diversité recherchée, ou est-ce que Internet causera plutôt des fusions entre les autres médias?

M. Landry: Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Je ne suis malheureusement pas un Internaute. Je crois que ceux qui, actuellement, sont en train de développer cette approche ont sûrement des connaissances que je n'ai pas développées.

Vous savez, je me souviens d'un président du Los Angeles Times, qui un jour, alors que j'assistais à une conférence, m'a répondu ceci:

[Traduction]

Vous savez, Roger, nous allons attendre très longtemps avant que les gens partent travailler le matin avec une télévision sous le bras.

[Français]

Je suis donc de cette génération, et j'aimerais mieux que les gens qui croient en cette vision qui répondent à votre question. Honnêtement, je ne peux pas commenter là-dessus parce que je suis ignare dans cette approche.

[Traduction]

La présidente: Sénateurs, nous venons d'avoir un échange de vues tout à fait intéressant et stimulant avec M. Landry, mais notre temps est maintenant écoulé.

[Français]

On vous remercie beaucoup. C'était vraiment très intéressant.

M. Landry: C'est moi qui vous remercie de m'avoir invité, honorables sénateurs.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous allons suspendre nos travaux pendant cinq minutes avant de reprendre à huis clos pour discuter des travaux futurs du comité.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


Haut de page