Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 11 - Témoignages du 10 juin 2003
OTTAWA, le mardi 10 juin 2003
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 35 pour examiner la situation actuelle des industries canadiennes des médias, les tendances et les développements qui s'y manifestent, le rôle, les droits et les responsabilités des médias dans la société canadienne ainsi que les politiques actuelles qui s'y rattachent et les politiques qu'il conviendrait d'adopter à l'avenir.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Je souhaite la bienvenue à notre témoin ainsi qu'aux membres du public partout au Canada. Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications est réuni pour étudier la situation des médias canadiens.
[Français]
Le comité examine quel rôle l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualités à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés, dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui M. Kirk LaPointe, qui a déjà occupé les postes de premier vice-président de CTV News, d'éditeur adjoint et rédacteur en chef du Hamilton Spectator, de directeur fondateur de la rédaction au National Post, de rédacteur en chef et directeur général de Southam News, d'animateur à Newsworld du réseau CBC et de correspondant en chef au bureau d'Ottawa de la Presse Canadienne. M. LaPointe s'occupe actuellement de projets stratégiques du Toronto Star. Il serait difficile d'avoir un point de vue plus complet de l'industrie canadienne des actualités.
Je vous souhaite la bienvenue au comité, monsieur LaPointe. Nous demandons généralement à nos témoins de présenter un exposé préliminaire, après quoi nous passons aux questions et commentaires.
M. Kirk LaPointe, témoignage à titre personnel: Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui devant le comité, dans le cadre de son examen des médias. J'ai eu le privilège de travailler avec le sénateur Fraser, comme certains d'entre vous le savent. Même si nous nous arrêtions tout de suite, ce serait sans doute le plus long moment qu'elle ait jamais passé à m'écouter.
J'ai lu avec un grand intérêt la transcription de vos délibérations. J'ai aussi l'intention de me tenir au courant non seulement de ce que les autres témoins auront à dire, mais aussi de votre rapport final et de ses conclusions. Même si je m'occupe actuellement de certains projets pour le rédacteur en chef du Toronto Star ainsi que d'un livre sur les médias, mon exposé d'aujourd'hui n'est que le résultat d'observations personnelles qui représentent mon expérience, mais non le point de vue d'un employeur actuel ou passé.
Ce que j'espère vous apporter aujourd'hui, c'est une compréhension contemporaine des médias canadiens, le point de vue d'un initié sur les principaux organismes d'actualités du pays et un conseil concernant une priorité particulière de la profession de journaliste pour les années à venir. J'aurais donc une recommandation à formuler à la fin de mon exposé.
À son meilleur, le journalisme est une vocation, une forme d'enrichissement du public. C'est un précurseur de la justice et un fondement de la démocratie. Son principe de base est la loyauté envers le marché qu'il dessert. Toutes ses pratiques respectent ce principe.
Dans une perspective économique, le journalisme se fonde sur un cercle vertueux: l'engagement envers l'excellence du contenu mène à une appréciation croissante de la part du public, qui entraîne elle-même une amélioration du rendement financier. S'il fallait résumer tout cela dans un slogan, ce serait probablement: «Les bons croient que la qualité se vend bien».
Un bon journalisme dirige l'expérience des affaires publiques. Il définit ou reflète les questions de l'heure d'une collectivité sans porter atteinte à ses normes. Il y a un certain nombre de mythes que je voudrais dissiper. Les journalistes ne publient pas autant la vérité qu'ils la recherchent. Ils ne sont pas guidés par un concept peu réaliste d'objectivité ou par la précision mathématique ou l'équilibre exact de leurs comptes rendus. Ils recherchent plutôt un traitement équitable et une justice distributive dans leur travail.
Nous vivons dans un paradoxe médiatique. Nous n'avons jamais consommé autant de produits des médias et, en même temps, nous n'avons jamais trouvé les médias aussi incapables de répondre à nos besoins. Nous n'avons jamais eu autant de choix, mais n'avons jamais entendu autant de plaintes concernant l'homogénéité des perspectives. Nous n'avons jamais produit de journalistes ayant une aussi bonne formation et ne les avons jamais considérés aussi peu dignes de confiance. Nous n'avons jamais eu autant d'information et si peu de contexte. Jamais les journalistes ne se sont autant occupés de leur collectivité, ne l'ont écoutée avec autant d'attention tout en donnant l'impression d'avoir à ce point perdu le contact avec les gens qu'ils servent.
Vous avez eu et aurez l'occasion, j'en suis sûr, d'entendre beaucoup de diagnostics semblables. Mais je me distinguerai probablement en parlant des causes du problème et des remèdes possibles. Dans ce contexte, vous trouverez peut-être certaines de mes vues assez paradoxales.
Premièrement, sans vouloir faire l'apologie des grands médias, même s'ils ont souvent recouru à mes services, je crois que les grands médias font plus pour le public que les petits. Ils investissent davantage; ils prennent plus de risques que les petits médias dans leurs moments d'ambition et permettent et protègent davantage dans les moments difficiles. Dans une période de fragmentation extraordinaire des médias, marquée par une baisse correspondante des auditoires, notamment dans le cas des journaux, les grands médias ont pu préserver et persévérer bien plus que les petits.
Les grands médias ne sont pas intrinsèquement ou automatiquement mauvais, comme certains le suggèrent. Au Canada, ils sont très bons par rapport au reste du monde. Compte tenu de leur taille, ils ont de bonnes réalisations au chapitre des services rendus à la collectivité et ont créé beaucoup d'emplois et fait beaucoup d'investissements dans le journalisme par rapport aux normes mondiales du secteur. La guerre des quotidiens nationaux qui, à mon avis, a fait beaucoup de bien au journalisme canadien dans les cinquante dernières années, se poursuit parce que les grandes sociétés ont décidé de la livrer et de la maintenir.
Nous n'avons pas réuni beaucoup de données au Canada, mais une étude du Pew Center des États-Unis, qui a paru le mois dernier, a révélé qu'il n'y avait aucun lien entre la propriété de médias multiples et une baisse de la qualité du journalisme. On peut avoir de bons et de mauvais médias dans le cadre de presque n'importe quelle société. Les grands médias sont soumis à d'importantes contraintes dont certaines qu'elles se sont elle-même imposées, de leur propre aveu. Aussi imparfaits qu'ils soient, ils constituent ce que nous avons de mieux pour préserver des médias compétitifs et dynamiques dans un avenir où, à mon avis, la taille de l'organisation sera un facteur important dans la lutte qui sera livrée pour assurer des ressources suffisantes au journalisme à mesure que la fragmentation des auditoires augmentera.
Deuxièmement, bien que je ne sois pas pleinement convaincu des avantages de la convergence, je crois qu'il est beaucoup trop tôt pour annoncer son échec ou même pour en évaluer le potentiel. La convergence n'est pas morte car, à mon avis, elle n'est pas encore tout à fait née. La convergence ne sera une réalité que lorsqu'une nouvelle expérience se révélera aux médias. Elle sera peut-être alors plus importante que les images, les sons et les messages qui la composent. Elle comportera peut-être aussi une certaine interactivité donnant à l'utilisateur la possibilité d'explorer plus à fond un sujet de son choix. En outre, elle offrira peut-être une certaine forme d'accès direct aux créateurs et aux sujets du journalisme. Enfin, elle satisfera peut-être la nouvelle génération de consommateurs de médias qui, aujourd'hui, semble s'intéresser si peu aux journaux, à la télévision et à la radio.
Je dis «peut-être» parce que nous n'y sommes pas encore et que nous n'y serons pas de sitôt. Nous ne savons même pas de quoi il s'agit précisément. Il nous faut donc attendre que cette nouvelle expérience émerge et éviter de décourager les gens et les sociétés de l'essayer, de la modeler, de la créer. Quand cela se produira, nous aurons quelque chose à évaluer. Entre-temps, ce que nous avons à évaluer est quelque chose qui s'écarte un peu de la convergence. C'est davantage une forme de collaboration entre entreprises, comprenant des tentatives pour vendre de la publicité, produire du contenu et les transmettre sur les plates-formes de radiodiffusion, d'impression et de diffusion en ligne de certaines sociétés.
La collaboration journalistique dans tout cela implique le partage de l'information, des enquêtes communes et des présentations synchronisées mais distinctes d'articles, de reportages ou de séries spéciales. D'après mon expérience, particulièrement à CTV, cela s'est traduit, dans l'ensemble, par un ajout extrêmement positif au journalisme. Ce n'est pas parfait, mais c'est sûrement positif. Dans le journalisme de haute gamme où nous plaçons nos meilleurs reporters et faisons le plus d'enquêtes, cette collaboration permet de mettre le meilleur travail de la salle des nouvelles à la disposition d'un plus grand auditoire, par exemple des téléspectateurs qui ne lisent pas ordinairement le journal et vice- versa. Elle a ainsi un impact beaucoup plus important et promet, à long terme, de mettre le journalisme au service d'un plus grand public.
L'organisme fédéral de réglementation de la radiodiffusion impose déjà des structures distinctes de décision et de présentation aux médias électroniques et imprimés. Bien sûr, l'organisme n'agit directement que sur la radiodiffusion, mais il a des effets sur la presse aussi. Les radiodiffuseurs se sont engagés à assurer une surveillance indépendante des plaintes du public relatives à leur journalisme. Ces nouveaux moyens sont précieux quand il s'agit de servir l'intérêt public. Avant de prendre n'importe quelle décision qui peut avoir des conséquences sur le mode de fonctionnement du journalisme, il faudra prendre le temps d'évaluer ces mesures.
Ceux qui critiquent la convergence critiquent en réalité autre chose, je crois: soit la collaboration, soit la plus grande consolidation de l'industrie, soit la concentration de la propriété. Tous ces mots commencent par «co», mais la collaboration, la consolidation et la concentration ne sont pas la convergence.
Troisièmement, sans être un grand défenseur de ma profession, je crois que nous devons apprécier les défis que les journalistes d'aujourd'hui ont à relever et le fait qu'ils aient des réalisations malgré les pressions extraordinaires qui s'exercent sur eux. Oui, nous sommes trop souvent des sténographes et trop rarement des enquêteurs. Oui, nous n'avons pas tous les jours les compétences ou l'expérience qu'il faudrait pour nous substituer au public dans des situations et des domaines complexes. Il nous arrive d'être trompés, de recourir à des sources partiales qui défendent des intérêts particuliers ou de nous laisser influencer par des gens sophistiqués. Nous faisons des bévues, nous disons et écrivons des choses qui manquent de précision ou nous exposent à des accusations de partialité. Oui, il nous arrive de nous tromper. Nous faisons des erreurs comme tout le monde, mais nous semblons réussir à les cacher mieux que les autres. Nous n'acceptons pas de nous soumettre à des inspections, alors que nous exigeons des autres de le faire. Et plutôt que de renforcer la confiance des gens en reconnaissant que nous sommes humains, nous essayons de garder le peu de confiance qu'on nous témoigne en niant catégoriquement que nous faisons des erreurs. Bien sûr, nous en faisons. Est-ce vraiment surprenant?
Il y a quelques années, nous avons essayé à Hamilton de compter le nombre de décisions que la salle de rédaction devait prendre dans une journée pour produire le journal. Nous avons cessé de compter aux alentours de 500 000. Pour être honnête, je trouve qu'il est extraordinaire que nous ne fassions pas plus d'erreurs.
Le procureur général des États-Unis — je crois que c'était Schlesinger à l'époque — a écrit un jour à un rédacteur en chef pour lui dire que la partie de son journal qu'il détestait le plus était la section réservée aux errata, non à cause de ce qu'elle contenait, mais parce qu'elle portait les gens à croire que ce qui figurait dans le reste du journal était exact. Je crois que notre auditoire a un esprit plus généreux que nous ne le croyons. En refusant d'admettre nos erreurs, nous ne faisons que susciter des doutes, de l'incertitude et, en définitive, de la méfiance.
Bien sûr, ceux qui possèdent et dirigent nos médias ne sont pas parfaits, mais avant de les accabler, nous devrions nous demander où se situait exactement l'âge d'or des médias. Je suis arrivé à Ottawa au début des années 80. Lorsque j'ai commencé mon premier poste de nuit, j'ai remarqué que presque tout le monde avait une grande bouteille de bière ou un gobelet rempli d'alcool sur son bureau. Je crois que nous avions engagé quelqu'un la nuit surtout pour aller nous chercher des verres au Cercle des journalistes. La tribune de la presse, à l'édifice du Centre, avait un bar absolument merveilleux qui ouvrait extrêmement tôt et souvent. Je me souviens que c'est le premier bar qui m'a fait crédit.
Alors, où se situait l'âge d'or? Était-ce à l'époque où les femmes et les minorités visibles étaient systématiquement exclues de nos salles de rédaction? Était-ce à l'époque où les femmes et les immigrants étaient marginalisés ou présentés sous un jour défavorable dans nos médias? Était-ce à l'époque où les journalistes glissaient leur carnet dans la poche lorsque des hommes d'État racontaient des histoires salées? Ou bien quand les membres de la tribune de la presse avaient une carte qui leur permettait de prendre le train gratuitement? Ou faut-il remonter encore plus loin, à l'époque où les journaux non seulement étaient des prolongements des partis politiques, mais empêchaient l'expression de tout point de vue politique différent?
Je respecte la vocation du journalisme indépendant, mais je m'interroge sur la capacité de mémoire des gens. Je me demande si ceux qui rêvent du bon vieux temps ne sont pas animés par un certain révisionnisme tandis qu'ils se laissent aller à une certaine nostalgie. Il était plus facile de dépenser de l'argent à l'époque parce qu'avec peu ou pas de concurrence, il était aussi plus facile d'en faire. Jamais dans notre histoire, nous n'avons eu des médias aussi divers, éclairés, consciencieux, disciplinés et démocratiques, et le Canada n'a rien à envier à d'autres pays du monde au chapitre de la protection des journalistes, de la liberté d'expression et de l'intervention minimale de l'État dans les affaires des médias.
Je comprends la frustration que certains ressentent à l'égard du journalisme. J'ai ressenti la même chose dans les rares cas où quelqu'un a été assez stupide pour parler de moi. Quand je connais bien un sujet, je suis souvent surpris de constater à quel point la presse l'a maltraité, a mal compris ce qui s'est passé ou a sorti les choses de leur contexte. J'emploie le même vocabulaire que les critiques qui commentaient mes propres articles.
Si vous voulez améliorer la qualité des médias, je vous prie de ne pas recommander la création d'un nouveau média. Je serais heureux d'examiner avec vous les propositions que d'autres témoins vous ont présentées concernant le lancement d'un nouveau quotidien national, mais j'ai des doutes sérieux sur l'opportunité de créer un tel journal. Je suis absolument convaincu que tout nouveau quotidien établi pour répondre à un besoin d'accessibilité nationale défini dans la politique publique, un peu comme Radio-Canada, coûterait facilement plus cher que Radio-Canada.
À l'heure actuelle, le perfectionnement professionnel constitue le plus grand besoin de nos journalistes. D'après mon expérience, c'est un point faible de notre industrie. Au Canada, nous finissons en général par envoyer nos journalistes aux États-Unis pour leur donner plus de formation au milieu de leur carrière. Nous avons besoin à cet égard d'une solution canadienne, d'un centre d'excellence qui nous appartiendrait et qui aiderait les journalistes ayant déjà une certaine expérience à mieux comprendre le droit, l'économie, les affaires internationales, la statistique, la technologie, la diversité culturelle, la spiritualité, les arts, le gouvernement et même la politique. Les médias ont besoin d'un endroit qui puisse les aider à maîtriser de nouvelles techniques telles que le reportage et la liberté d'information assistés par ordinateur et à donner une formation de recyclage dans des domaines traditionnels tels que la recherche de base, l'interview, la diffusion et la rédaction. Un tel endroit engendrerait, beaucoup plus rapidement qu'un nouveau média national, plus d'expertise et de compétence dans la presse.
Le Canada a également besoin d'un centre de recherche indépendant pouvant aider les organismes à comprendre les changements qui surviennent dans la société et leur influence sur les médias, à mieux saisir les tendances et les pratiques exemplaires des médias locaux et étrangers au chapitre de l'éthique et dans des domaines tels que la gestion du rendement. Nous n'en avons pas aujourd'hui. Encore une fois, nous devons nous adresser aux États-Unis pour obtenir ce dont nous avons besoin. Le grand public a besoin d'un tel centre pour être en mesure de comprendre les médias et d'exiger les meilleurs reportages. Un nouveau centre national d'excellence bien conçu constituerait un actif international. D'autres pays ont de tels centres, qui sont financés grâce à une intervention gouvernementale, à des fiducies de bienfaisance ou à des organismes non partisans, qui assurent d'importants revenus permanents auxquels s'ajoutent des recettes journalistiques.
Pour la plupart, nos écoles de communications et de journalisme sont excellentes. Elles produisent beaucoup de diplômés très compétents, mais comme le roulement dans le secteur est assez faible, il faudra vingt, trente ou quarante ans pour que cette nouvelle génération remplace l'actuelle. Un centre de perfectionnement répondrait aux besoins beaucoup plus rapidement et d'une manière plus durable.
Pour terminer, je propose — plutôt que de se concentrer sur des sociétés et des organes particuliers, plutôt que de diluer encore plus notre public et notre main-d'oeuvre en créant un nouveau média, plutôt que d'essayer d'une certaine façon de remonter dans le temps, ce qui ne serait probablement pas possible — je propose donc de créer une chose qui améliorera toute la profession, qui bénéficiera de l'appui de tous ses éléments et que le public pourra utiliser à un moment où les médias prennent de plus en plus d'importance.
La présidente: Je vous ai écouté et trouvé intéressant dans le passé. C'était également intéressant aujourd'hui. Voilà, c'est dit.
Le sénateur Graham: Merci d'être venu témoigner, monsieur LaPointe. Votre bonne foi ne fait pas de doute et votre réputation vous a précédé.
Vous avez mentionné, au début de votre exposé, que les journaux ne publient pas nécessairement la vérité, mais qu'ils la recherchent. J'aurais préféré qu'ils fassent les deux. Cela me rappelle une histoire. Il y a des années, le maire très populaire de Halifax était tombé sur le directeur de l'information de la station CJCH et lui avait dit: «Je me fiche de ce que vous dites de moi, mais dites-le». En d'autres termes, il voulait surtout que son nom soit mentionné.
Je crois que les gens recherchent absolument la vérité et l'équilibre. Vous aurez peut-être des commentaires ce sujet, mais je vais vous poser une seconde question. Il y a quelques semaines, le comité a accueilli Patrick Watson, qui nous a parlé d'un journal financé par les contribuables. Or j'ai vu un article dans le Sunday Halifax Herald qui contenait une photo de M. Watson et qui avait pour titre: «Un journal financé par les contribuables» et pour sous-titre: «Une vieille idée qu'il faudrait enterrer pour de bon». Le journal mentionnait que l'idée avait été évoquée il y a une trentaine d'années au cours de discussion entre M. Watson et Peter Gzowski. Que pensez-vous de cela?
M. LaPointe: J'ai lu autant de comptes rendus que j'ai pu en trouver sur Internet. Je dirais qu'Internet pourrait en définitive constituer la solution si on tient à l'idée d'un quotidien national.
Les journaux perdent de l'argent sur l'impression et la distribution. Ils en font sur la publicité, qui représente habituellement entre 75 et 80 p. 100 des recettes, les 20 p. 100 restants venant des ventes et des abonnements. Pour un quotidien, les plus grandes dépenses sont attribuables au papier journal, à l'encre, aux presses, aux camions et aux livreurs utilisés pour distribuer les journaux.
Quand j'ai examiné l'idée et étudié attentivement la proposition initiale de M. Watson, je suis arrivé à la conclusion que le journal qu'il envisage serait aussi accessible pour les Canadiens, dans presque toutes les villes et villages du pays, que Radio-Canada, qui est capté dans la quasi-totalité du pays. Moins de 1 p. 100 de la population ne capte pas Radio- Canada sur les ondes, par câble ou par satellite. Or il serait extrêmement coûteux de réaliser la même couverture dans le cas d'un journal. Si vous envisagez un grand quotidien comme le Globe and Mail ou le National Post, vous pouvez élaborer un projet, mais que direz-vous aux gens qui voudront le lire partout où il est actuellement possible de capter Radio-Canada? N'est-ce pas le même genre de moyen de communication financé par les contribuables?
Je crois que vous allez devoir dépenser davantage pour créer et distribuer un tel journal que vous n'en dépensez actuellement pour toute la Société Radio-Canada. Autrement, vous auriez besoin d'énormes recettes publicitaires pour compenser les coûts. Je doute qu'il soit possible de réaliser de telles recettes publicitaires au Canada. Et si c'était possible, ce serait aux dépens de ceux qui publient déjà des journaux dans toutes ces localités.
La situation ne serait pas la même qu'au moment du lancement de Radio-Canada. Dans le cas d'un journal, vous auriez à tailler votre place dans un marché qui existe depuis plus de 150 ans au Canada. Ce serait vraiment très difficile.
Il est possible que, dans quelques années, les communications à large bande et les autres technologies d'accès aient suffisamment évolué pour nous permettre de surmonter les obstacles matériels de la publication et de la distribution. Vous pourriez dans ce cas élaborer un projet plus réaliste, dans lequel les dépenses serviraient à produire du contenu plutôt qu'à le transporter jusqu'au point de destination. Toutefois, il faudra un certain temps pour en arriver là car l'obstacle est de taille. Ce n'est pas une chose qu'il vaut la peine d'envisager tout de suite parce que nous ne savons pas vraiment dans quel sens la technologie évoluera, comment elle deviendra disponible, si nous aurons un fossé technologique et si la politique publique tendra à assurer à tout le monde l'accès à Internet. Tant que nous n'aurons pas la certitude de recevoir l'information aussi facilement que nous recevons aujourd'hui les signaux de télévision ou de radio, je pense que nous devrions nous abstenir. Le fardeau financier est vraiment considérable.
Le sénateur Graham: Vous avez parlé d'un centre de journalisme, d'un institut de calibre mondial chargé de perfectionner les journalistes, qu'ils appartiennent aux médias imprimés ou électroniques. Nous avons déjà des écoles de journalisme à Carleton, à Ryerson, à King's à Halifax et ailleurs. Quelle différence voyez-vous entre l'établissement auquel vous pensez et ces écoles? Vous dites qu'il y en a dans d'autres pays. Pouvez-vous nous dire lesquels et de quelles écoles il s'agit?
M. LaPointe: Je connais surtout les établissements des États-Unis, par exemple l'American Press Institute, le Poynter Institute et le Pew Centre for the People and the Press. Chacun fonctionne d'une façon différente. Le Pointer Institute, par exemple, travaille de concert avec les universités de la Floride. Ces organismes se distinguent des écoles de communications et de journalisme par le fait qu'ils estiment avoir pour mandat de s'occuper du perfectionnement professionnel des gens du métier, par opposition aux écoles qui forment des gens qui ne connaissent pas encore le journalisme. Au lieu de préparer des étudiants au monde du travail, ils essaient d'inciter des journalistes à étudier davantage. Ils sont surtout utiles pour des gens qui veulent acquérir des compétences spéciales après avoir passé quelques années à faire des reportages, à écrire ou à diriger. Ils font des recherches un peu plus axées sur le marché que les établissements canadiens, qui ont tendance à mener des études un peu plus théoriques.
Dans l'industrie, la norme est de consacrer entre 1 et 2 p. 100 des recettes totales au perfectionnement professionnel et au recyclage des employés. Je ne crois pas qu'il y ait une seule société canadienne du secteur des médias qui fasse cela. Le plus souvent, c'est extrêmement difficile. On engage des gens, on les aime bien et on essaie, dans toute la mesure du possible, de les garder dans leur emploi, sans leur laisser du temps pour le perfectionnement professionnel parce qu'il arrive souvent qu'on n'ait pas les moyens de les remplacer. Le problème est particulièrement aigu dans le cas des petites organisations qui manquent de souplesse. Un centre de perfectionnement professionnel bénéficierait de l'appui du secteur probablement dans une plus grande mesure que les écoles. Je crois que ce serait une contribution positive au métier. Son rôle, à mon avis, devrait aller au-delà de l'enseignement de nouvelles compétences et de la gestion des médias canadiens. Le public s'intéresse de plus en plus aux études et aux affaires relatives aux médias. Nos écoles offrent maintenant une multitude de cours sur les médias dès le primaire. Les médias servent beaucoup plus qu'auparavant. Le public y consacre plus de temps et les examine de plus près. Un centre de perfectionnement professionnel aurait également un rôle public considérable en facilitant les échanges et le dialogue entre le public et les médias sur les processus et les techniques et mènerait probablement à une meilleure compréhension, peut-être pas une plus grande appréciation, mais certainement une meilleure compréhension.
Le sénateur Graham: Comment un tel centre serait-il financé?
M. LaPointe: Les modèles varient. Aux États-Unis, le gouvernement encourage énormément les gens à contribuer au financement d'une fondation qui s'occupe de construire de tels centres. Dans certains cas, diverses formes de financement postsecondaire peuvent être utilisées. Les gens ont plus tendance à contribuer au financement des fondations aux États-Unis. Les centres comptent également sur le monde des médias pour leur financement. Il est coûteux d'envoyer un journaliste à l'un de ces endroits suivre un cours d'une semaine. Ils ont des installations extraordinaires, de grandes compétences et une connaissance intime des pratiques exemplaires. L'industrie des médias leur accorde donc un grand appui parce qu'elle les juge crédibles et pratiques. Elle ne considère pas qu'ils ont des desseins secrets parce qu'ils n'ont, par nature, aucun esprit partisan. Ils raniment l'enthousiasme du personnel, ce qui peut avoir une valeur inestimable. Chacun d'entre nous a probablement ressenti l'impression de mieux faire son travail après avoir passé deux ou trois jours à réfléchir et à suivre un nouveau cours. Je n'aime pas beaucoup l'idée que tout cela se fasse aux États-Unis. Je préférerais que ce soit au Canada, mais il est difficile de l'envisager si les incitatifs nécessaires sont absents.
Le sénateur Phalen: Je serais curieux de savoir qui, à votre avis, devrait établir un centre national d'excellence? Qui devrait donner le coup d'envoi?
M. LaPointe: Il faudrait que le gouvernement fasse preuve de leadership en établissant les incitatifs nécessaires. Ils peuvent prendre la forme de mesures fiscales qui encouragent les sociétés à donner plus de formation à leur personnel. On peut également inciter les sociétés à contribuer de façon ponctuelle à un centre de perfectionnement ou à lui verser des subventions régulières pour assurer son maintien. Je ne favorise aucune approche particulière. Je n'ai pas de recette magique. C'est un concept qu'il faut explorer. Un tel centre ferait beaucoup pour le journalisme. Je crois d'ailleurs qu'il serait appuyé par les dirigeants et les gestionnaires des médias qui n'auraient plus à envoyer leurs journalistes à l'étranger pour obtenir de la formation. Nous pourrions en fait inverser le mouvement et accueillir au Canada des journalistes d'autres pays qui viendraient acquérir de nouvelles compétences. Nous avons de grandes réalisations dans le domaine de la formation internationale, surtout par l'intermédiaire de la Société Radio-Canada. La Société envoie constamment des membres de son personnel à l'étranger pour suivre des cours. Le Canada a une excellente réputation internationale pour le calibre de la formation que nous avons et la conduite au travail, qui répond à des normes très élevées. Nous pouvons exporter beaucoup de nos compétences à plusieurs pays, mais nous avons de la difficulté à donner de la formation à nos propres journalistes et à leur assurer un bon perfectionnement professionnel.
Le sénateur Eyton: Il y a plus de vingt ans, un groupe de Canadiens représentant les universités, le monde des affaires et le journalisme s'est réuni et a créé la Fondation pour le journalisme canadien. À titre de participant, j'ai observé à l'époque que l'organisation était gérée de haut en bas, le principe étant que tous ces dirigeants fort habiles pourraient établir une fondation capable d'inspirer les journalistes canadiens sur les plans de l'attitude, de la recherche et du travail professionnel. Cela n'a pas très bien marché.
Il y a environ dix ans, quelqu'un a fait une brillante suggestion: il s'agissait de demander aux journalistes ce qu'ils voulaient voir, apprendre et faire. Depuis, la fondation a eu un succès remarquable malgré son budget limité.
Êtes-vous au courant des activités de la fondation? Peut-elle faire partie de la solution que vous appelez un centre national du journalisme? Je songe ici à une fondation renforcée, agrandie, et cetera.
M. LaPointe: Je suis très heureux de faire l'éloge de la fondation parce que l'organisation que je dirige l'année dernière a remporté son prix d'excellence. J'ai assisté à beaucoup des séances organisées de façon informelle, au cours desquelles 20, 30 ou 40 personnes se réunissent pour discuter d'un sujet comme les questions judiciaires, les questions autochtones, et cetera. Les journalistes passent plusieurs heures à échanger des idées avec des experts du domaine, ce qui leur permet de se familiariser avec le sujet.
La fondation a eu des hauts et des bas. Ces dernières années, elle a tantôt bénéficié de l'appui tantôt perdu l'appui de beaucoup d'organismes de médias. Toutefois, pour ce qui est du perfectionnement professionnel et de l'acquisition de nouvelles compétences, elle joue son rôle extrêmement bien. S'il est question de développer considérablement les activités de la fondation, je crois que les médias en seraient très heureux.
L'inconvénient, c'est que la fondation organise le plus souvent ses activités à Toronto et parfois à Ottawa. Or il y a de grands besoins ailleurs au Canada. De son côté, la fondation a des restrictions budgétaires qui ne lui permettent pas d'organiser des activités partout dans le pays.
Les initiatives de ce genre doivent avoir une portée nationale et se manifester dans les régions. Elles doivent faire intervenir le journaliste local, qui ne fonctionne pas à l'échelle nationale, qui n'a pas accès aux ressources dont disposent les membres de la tribune de la presse au Parlement ou dans les assemblées législatives provinciales. C'est au niveau local qu'on peut agir le plus efficacement à court terme avec un peu de perfectionnement professionnel. On peut apprendre aux journalistes locaux à trouver de meilleurs sujets d'articles, à mieux servir leur collectivité et à mieux comprendre ses besoins. Ce serait là un ajout positif et une contribution réelle.
La présidente: Je veux être sûre de bien comprendre ce que vous dites.
Pendant que je travaillais dans ce secteur, je suis allée plusieurs fois à l'American Press Institute, dans la banlieue de Washington, pour suivre différents cours. Ces cours étaient extrêmement bons, mais ils étaient d'un tout autre ordre que la formation donnée par la Fondation pour le journalisme canadien. Ils avaient une durée d'une semaine à dix jours, étaient extrêmement intensifs et les animateurs venaient de tous les coins des États-Unis et faisaient une critique très détaillée de notre travail.
Si vous suiviez un cours de gestion supérieure, il y avait un programme informatique perfectionné qui vous permettait de produire des modèles de journaux, et toute votre semaine dépendait des résultats.
Si vous aviez une orientation journalistique, l'institut vous donnait, plus que n'importe quelle autre expérience que j'ai connue, un mélange concentré de critiques cinglantes, d'encouragements et d'introduction aux pratiques exemplaires.
Il n'y a rien de semblable au Canada. Parlez-vous de ce genre de formation?
M. LaPointe: Oui, dans une grande mesure. Toutefois, je dirais que certaines des discussions organisées par la fondation et d'autres organismes comptent parmi les rencontres que nous devrions avoir plus souvent au Canada. Il y a aussi l'approche de type militaire de l'American Press Institute, qui finit toujours bien d'ailleurs. L'institut essaie toujours de susciter beaucoup d'enthousiasme pour que les stagiaires ne partent pas de là déprimés en espérant trouver un nouvel emploi en relations publiques. Je crois que ce que j'envisage est un mélange de toutes ces choses.
Qu'arrive-t-il aux journalistes en début de carrière? Les écoles sont excellentes et très compétitives. Elles portent un jugement critique sur votre travail et ne vous laissent pas réussir sans un travail sérieux. Les entrevues d'entrée sont parfois extrêmement sévères parce qu'on veut s'assurer que vous avez assez de courage pour tenir le coup dans la salle de rédaction.
Une fois engagé, le journaliste peut passer des mois et des années sans recevoir autre chose qu'une formation sur le tas. Ce n'est pas de la mauvaise volonté de la part de l'employeur. Le perfectionnement professionnel, la gestion du rendement et les choses du même genre se produisent dans les industries qui ont atteint un certain degré de maturité. Ce n'est pas le cas du journalisme. Nous sommes encore organisés dans une grande mesure comme un corps de métier. Nous sommes très réticents face aux normes professionnelles. Nous semblons nous féliciter du fait que nous n'en avons pas. En même temps, nous savons que nous avons de très lourdes responsabilités. Nous savons que nous avons l'obligation de travailler très fort sur certaines des questions les plus complexes du monde.
Il est difficile d'aller d'un endroit à l'autre. On doit souvent agir de sa propre initiative ou avec l'aide d'un mentor au journal. Je crois donc qu'il est temps de penser sérieusement au perfectionnement professionnel.
Le sénateur Gustafson: Monsieur LaPointe, vous avez été un témoin très intéressant, surtout en ce qui concerne les grands et les petits médias.
Je vais vous donner un exemple basé sur mon expérience de 24 ans en politique. Les grands médias ne se sont jamais souciés de mon existence dans le Canada rural. Quant aux petits médias, il y a quinze journaux du Canada rural qui ont couvert chacun de mes pas. Si les grands médias s'étaient occupés de moi, je n'aurais peut-être pas survécu. Qui sait?
Quoi qu'il en soit, il y a quelque chose qui se passe au Canada. C'est l'effondrement des régions rurales. L'aliénation de l'Ouest est une réalité concrète, dans laquelle j'ai l'impression que les médias ont joué un rôle. Qu'en pensez-vous? Que peut-on faire à ce sujet?
M. LaPointe: Voilà une question particulièrement étendue et difficile que j'ai dû affronter à plusieurs reprises dans les organisations que j'ai dirigées. À CTV, nous avons en fait créé un poste spécialisé essentiellement dans les questions rurales. Nous avions décidé qu'il y avait dans les petites localités et dans le secteur agricole des éléments vitaux sur lesquels nous devions être renseignés. On trouvait là tout un monde différent qui ne se manifestait pas sur les ondes. Nous avons pris sur nous de créer ce poste et de le situer en Saskatchewan. Nous avons aussi déplacé d'autres activités. Nous avons créé un poste responsable de la sécurité alimentaire, encore une fois pour essayer de saisir l'affrontement qui se produit dans des domaines tels que la chaîne alimentaire et le génie génétique. Ce sont des secteurs dans lesquels les journalistes sont susceptibles d'entendre de grands cris, d'aller à des conférences de presse et d'accepter les protestations bruyantes sans trop se poser de questions. Nous avons essayé de mieux comprendre ce qui se passait, de connaître le point de vue des experts sur ce qui se résumait souvent à des échanges bruyants.
Pour ce qui est de l'aliénation de l'Ouest, j'ai travaillé ici pendant une quinzaine d'années. J'ai régulièrement entendu dire dans les deux chambres, aux comités et parmi les députés et les sénateurs de l'Ouest que les médias nationaux ne se souciaient pas beaucoup de cette région du pays. Souvent, ces observations étaient exactes.
La dernière fois que j'ai travaillé pour la Presse Canadienne, nous avions encore un secteur agricole. Nous pensions qu'il avait encore un rôle important à jouer parce qu'il y avait dans l'Ouest tant de journaux membres qui attendaient des nouvelles de la capitale. Quand on omet de couvrir un événement, quand on ne renvoie pas chez soi un message d'Ottawa, on contribue à l'aliénation. Cela devient semblable à la chute de l'arbre dans la forêt dont personne ne s'aperçoit. Il y a de nombreuses activités qui se produisent tous les jours dans ce secteur dont nous ne donnons aucun compte rendu. Ces activités peuvent avoir une grande importante pour certaines localités, mais on n'y consacre pas les ressources nécessaires. Je sais que, pour un gestionnaire, il était extrêmement difficile de réaliser l'équilibre compte tenu des ressources et des compétences disponibles.
Les bonnes organisations continuent à le faire. Elles considèrent la couverture régionale tout aussi importante que la couverture nationale. La couverture locale est très présente et très importante pour tous les médias que je connais. Nous courons le risque de créer un faux dialogue national si nous ne continuons pas à attribuer une importance suffisante à nos régions et au travail que se fait pour elles dans la capitale nationale. J'admets volontiers que vous avez soulevé un argument important.
Le sénateur Gustafson: Vous avez parlé à plusieurs reprises des médias américains. Je vis à une trentaine de kilomètres de la frontière et je dirais que l'influence américaine est très forte dans une bande d'environ 150 kilomètres au sud de la frontière, même dans les médias. Si je veux connaître les chiffres du marché du bétail ou des céréales, j'écoute le poste de radio de Williston parce qu'il me serait presque impossible d'obtenir ces renseignements au Canada.
Vous pouvez les trouver en écoutant une émission agricole le samedi matin, mais si vous avez besoin des chiffres quotidiens du marché, vous avez recours à la radio américaine.
Les Américains aussi ont eu des problèmes ruraux. Il suffit de conduire dans le Dakota du Nord ou dans le Montana pour constater que, dans certains cas, la situation y est pire qu'en Saskatchewan. Les médias sont là. On entend dire la même chose dans la publicité et tout le monde en convient. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Le Canada devient très rapidement une société sous contrôle urbain. À la campagne, où la terre est tellement importante, il me semble que nous sommes en train de passer à côté de quelque chose de très important.
M. LaPointe: Le plus important est de ne pas perdre cela de vue, tout en veillant à documenter et à enregistrer au jour le jour les changements extraordinaires qui se produisent dans nos collectivités urbaines en ce moment.
On a également critiqué les médias, à juste titre, je crois, parce qu'ils ne se sont pas tenus au courant de ce qui se passait dans nos villes, particulièrement en ce qui concerne l'évolution de la composition démographique à mesure que se développaient le multiculturalisme et l'ethnicité dans des centres tels que Toronto, Vancouver, Montréal et Ottawa.
Le tissu urbain s'est profondément modifié, mais les médias n'ont pas suivi l'évolution. Nous n'avons ni donné une représentation exacte de la situation ni engagé des gens assez proches des changements pour en informer le public. Je crois que la diversité culturelle constitue encore un grand défi pour les médias.
Toutefois, votre argument demeure très pertinent. Il faut veiller à ce que la diversité comprenne bien d'autres facteurs, qu'elle soit pluridimensionnelle et qu'elle tienne compte de la diversité rurale du pays.
Le sénateur Merchant: Je suis de Regina. Je voudrais aborder la même question que le sénateur Gustafson. Il nous arrive, dans les régions, de nous rendre compte que nous avons de bons journalistes, mais ils ne restent pas longtemps. Ils semblent tous subir être irrésistiblement attirés par Toronto ou un autre grand centre. Dès que nous avons de bons journalistes, Radio-Canada nous les enlève pour les envoyer à Toronto. C'est vraiment un problème. Je ne sais pas pourquoi nous n'arrivons pas à les garder. C'est probablement le fait que les grandes sociétés veulent avoir leur siège à un endroit central et garder là les bons journalistes.
M. LaPointe: C'est un phénomène intéressant, mais il y en a un autre qui se manifeste depuis une douzaine d'années: Ottawa n'est plus considéré comme la destination d'une brillante carrière. Quand j'ai commencé, j'aurai fait n'importe quoi pour aller là. J'ai eu la chance d'être nommé à Ottawa dans l'année qui a suivi mon engagement à la Presse Canadienne. À ce moment, j'avais l'impression d'être arrivé au paradis. Peu d'entre nous avaient alors 25 à 30 ans. Aujourd'hui, il est difficile de persuader les jeunes journalistes de venir à Ottawa. Les différents organismes font un peu de «débauchage» pour obtenir les meilleurs.
Je trouve le phénomène intéressant. J'ai même pensé à écrire quelque chose à ce sujet. Je crois que cela est lié dans une certaine mesure à la façon dont le gouvernement a traité l'information dans les dix dernières années. Cela est également lié à la division qui règne dans les partis d'opposition, division qui les a empêchés d'influencer efficacement l'action du gouvernement, particulièrement aux Communes. Par conséquent, Ottawa n'est plus aussi intéressant qu'il l'a déjà été.
Toronto demeure fascinant pour beaucoup de gens jusqu'à ce qu'ils se rendent compte du prix qu'il faut payer pour acheter une maison.
Ottawa est encore intéressant à cause de la diversité de ses médias et de l'occasion qu'on y a d'acquérir de nouvelles compétences à mi-carrière. Fait curieux, ce n'est pas un endroit où il est facile de recruter pour les bureaux nationaux. Il y a déjà eu une grande concurrence entre organisations pour recruter ici. Aujourd'hui, cependant, les organisations écartent souvent les membres de leur personnel parce qu'elles n'ont pas l'impression qu'ils sont les plus forts. Elles préfèrent donc recruter localement.
Le sénateur Gustafson: Je n'ai pas l'impression que Montréal a le même attrait que Toronto. Par ailleurs, Vancouver est plus ou moins isolé, étant de l'autre côté des Rocheuses; on a tendance, là, à fonctionner d'une façon différente comme s'il s'agissait d'un autre pays.
M. LaPointe: La langue est un facteur important s'il faut aller à Montréal. C'est une ville à éviter si on n'est pas parfaitement bilingue. À Ottawa, le bilinguisme est un atout, mais il n'est pas indispensable. Il est relativement facile de s'en passer à cause de la présence de services de traduction et parce que tant de nos représentants sont bilingues, de même que les services au public. On peut être unilingue et travailler sans difficulté dans cette ville. Ce n'est pas le cas à Montréal.
La présidente: Je noterai cependant que Montréal est encore plus important pour les journalistes de langue française que Toronto ne l'est pour les journalistes anglophones du Canada.
Le sénateur Oliver: Je vous souhaite la bienvenue au comité, monsieur LaPointe. Je tiens à vous féliciter pour votre exposé préliminaire. Permettez-moi de vous dire que je suis un partisan de longue date de la convergence qui, pour moi, représente un moyen d'obtenir plus d'information à un moindre prix.
Le sénateur Graham: Nous en avons discuté dans le projet de loi C-62.
Le sénateur Oliver: Oui, entre autres choses. C'est un moyen d'avoir accès à plus d'information d'une façon plus rapide et plus commode. J'ai quatre questions précises à vous poser, compte tenu de votre expérience. La convergence consiste à obtenir de l'information des journaux, de la radio, des satellites, de la télévision, et cetera. À mon avis, il reste encore de la place pour ce que j'appelle les hebdomadaires et les journaux indépendants. Est-ce dans l'intérêt du Canada de trouver des moyens de renforcer les journaux indépendants?
Par exemple, il ne reste plus au Canada qu'un seul journal provincial indépendant, le Halifax Chronicle Herald. Il me semble, sous réserve de ce que vous aurez à dire, que nous avons vraiment besoin de trouver un moyen de le renforcer pour éviter le problème des grands conglomérats. Que pouvons-nous faire pour renforcer les journaux indépendants? Que pouvons-nous faire pour encourager les hebdomadaires? Ils sont incroyablement importants. Je vis, moi aussi, dans une région rurale. Je lis les journaux locaux qui parlent des questions qui nous intéressent et qui sont totalement absentes des quotidiens nationaux.
La plupart des gens n'ont rien contre le journalisme d'investigation dans la presse écrite, mais je crois qu'ils n'aiment pas les reportages présentés aux actualités télévisées ainsi que les commentaires hautement subjectifs, qui sont parfois trompeurs et qui ne visent quelquefois qu'à épater. Ma troisième question est la suivante: Qu'est-ce que vous nous recommandez de faire au sujet de l'inconvenance, de la subjectivité, du manque d'objectivité de tant des reportages présentés dans le cadre des actualités? Vous avez dit dans votre introduction que vous étiez en train d'écrire un livre. Y a-t-il quelque chose à ce sujet dans ce livre dont vous puissiez nous parler?
M. LaPointe: Non, je ne peux pas parler de mon livre.
Quant à votre troisième question concernant les commentaires, il n'y a pas de doute que notre profession a souffert dans les dernières années du fait que des commentaires sont glissés dans les nouvelles sans être identifiés comme tels. Il est nécessaire et sain d'inclure des textes d'opinion dans les journaux. Souvent, les points de vue présentés sont ce que les gens retiennent le plus lorsqu'ils lisent le journal. Toutefois, ces textes doivent être clairement identifiés. À l'occasion, on peut dire d'un article qu'il s'agit d'une «analyse», mais j'hésiterais à le faire moi-même.
Les ennuis commencent quand le commentaire n'est pas identifié et qu'il est simplement inclus dans une nouvelle parce qu'un reporter ou un rédacteur a décidé de donner son point de vue sur une question. Ce faisant, il présente une opinion au lieu de donner un contexte, une synthèse des points de vue exprimés par les intervenants ou des éléments importants de l'environnement. À mon avis, c'est du mauvais journalisme, qu'il faudrait éliminer. Dans ces cas, le public devrait téléphoner ou écrire pour montrer au journal en cause qu'il demeure vigilant.
Le sénateur Oliver: Est-ce bien la responsabilité du public? C'est un aspect qui discrédite toute votre profession.
M. LaPointe: Qu'y a-t-il d'autre qu'un public qui exprime sa volonté avec son portefeuille et qui cesse d'accorder sa clientèle s'il s'estime mal servi par un média? Il incombe au public de réclamer ce qu'il y a de mieux. Je sais bien que c'est pénible et un peu ennuyeux pour tout le monde parce qu'on est occupé pendant la journée, mais je ne vois pas d'autre moyen. La profession sait qu'elle a des normes à respecter à cet égard. Chaque journaliste sait qu'il ne doit pas le faire. Parfois, il le fait quand même. Cela peut passer inaperçu dans une salle de nouvelles ou de rédaction, puis on le retrouve dans le journal ou sur les ondes.
La seule façon de s'attaquer au problème est d'utiliser les bons recours qui existent. Les lettres à la rédaction attirent l'attention du rédacteur en chef. Ayant déjà occupé ce poste, je sais que le rédacteur en chef accorde beaucoup d'attention aux plaintes concertées du public au sujet de notre conduite. Il est utile de faire des appels et d'envoyer des messages électroniques, de réunir vos amis et vos voisins et de dire bien fort que ce genre de conduite est inacceptable. Les campagnes publiques de ce type ont des effets quand il s'agit de corriger un mauvais comportement. Si tout cela n'a pas de résultats, il reste encore les conseils de la presse qui ont une certaine influence sur un grand nombre de journaux. Les journaux n'appartiennent pas tous à ses conseils, mais ceux qui sont membres font très attention à leurs délibérations.
Pour le meilleur ou pour le pire, la situation dépend souvent du public. Pour revenir encore une fois à la question du perfectionnement professionnel, il serait possible dans ce cas d'organiser des discussions sur les qualités recherchées dans la profession pour qu'il soit possible aux journalistes participants de comprendre la distinction à faire entre les commentaires légitimes, les renseignements qui permettent de situer le contexte, le travail analytique et les opinions pures et simples.
La presse indépendante et les hebdomadaires sont effectivement sur le déclin, notamment pour ce qui est des quotidiens indépendants. Toutefois, les hebdomadaires canadiens se portent très bien parce qu'ils ont compris qu'au- dessous des quotidiens locaux et nationaux, ils ont une excellente occasion de couvrir les localités régionales. Je lis le mien à Port Perry, en Ontario, où nous avons deux quotidiens locaux. Bien sûr, ce sont d'excellents moyens très abordables de faire de la publicité dans les petites localités, où le recours aux quotidiens peut être beaucoup trop coûteux. Ces journaux font de bonnes affaires. Les hebdomadaires représentent l'un des rares secteurs de croissance de l'industrie en ce moment.
Encore une fois, si vous voulez profiter de la marée pour renflouer tous les bateaux, la formation et le perfectionnement auraient autant d'impact dans un petit endroit que dans une grande organisation. Ils assureraient également le genre d'égalité d'accès aux compétences qui est souvent hors de portée pour beaucoup de petites organisations.
Ce sont mes principales préoccupations. Puis-je vous demander de me rappeler votre première question, sénateur?
Le sénateur Oliver: Mes trois questions portaient sur les journaux indépendants, les hebdomadaires et le journalisme d'investigation.
Vous avez plus ou moins répondu à toutes, mais vous n'avez pas parlé de votre livre.
M. LaPointe: J'en parlerai peut-être un autre jour. Je voudrais revenir de nouveau sur la question de la convergence. Nous en sommes actuellement à un stade qui correspond à peu près à la situation dans laquelle la télévision se trouvait dans ses cinq à dix premières années lorsque presque tous ceux qui écoutaient des émissions radiophoniques ont commencé à regarder des émissions télévisées. Ils ont alors découvert que certains animateurs transpiraient et que d'autres avaient de la difficulté à regarder les caméras en face ou avaient des tics bizarres. La télévision avait besoin de ses propres talents pour arriver à se définir.
Nous sommes encore assez loin de la définition d'un média convergent. Je ne sais pas s'il s'agira d'une tablette translucide qu'on pourra apporter avec soi et sur laquelle on pourra voir des images, écouter des sons, lire du texte ou faire des recherches un peu partout dans le monde. Je ne sais pas si ce média ressemblera au journal qu'on lit dans le train de banlieue, dans le film Minority Report, s'il sera fait de mylar ou s'il sera grand ou petit. Seul l'avenir nous le dira.
Entre-temps, nous n'avons rien à juger ou à évaluer, mais nous devrions encourager les gens à expérimenter et à créer. Nous devrions au moins nous assurer que nous ne prenons pas de retard par rapport aux autres pays dans le développement de cette technologie.
Le sénateur Phalen: J'ai une question qui fait suite à celle du sénateur Oliver.
Que pensez-vous de l'idée d'un ombudsman national des médias? Certains témoins en ont parlé au comité. L'idée semble découler de votre première question. Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet?
M. LaPointe: J'ai déjà été pour et contre les ombudsmans selon l'endroit où je travaillais. À certaines occasions, il a fallu que je mette de côté mes intérêts personnels.
Je suis arrivé à la conclusion que les ombudsmans ont un grand rôle à jouer, mais qu'ils ne devraient pas se substituer au rédacteur en chef, au chef de production ou au directeur des nouvelles. Quand j'étais rédacteur en chef à Hamilton, je trouvais qu'il était important de faire figurer dans l'annuaire un numéro où les lecteurs pouvaient me joindre pour se plaindre directement à moi et m'amener à repenser certaines choses.
Dans tous nos médias, les gestionnaires, les cadres et les dirigeants ont également un rôle très important à jouer en parlant aux gens de ce que nous faisons et des décisions prises. Les gens apportent le journal chez eux six ou sept jours par semaine. Ils écoutent les actualités télévisées chez eux six ou sept fois par semaine ou plus souvent. Pourtant, notre profession leur donne bien peu d'explications sur sa façon de prendre des décisions, sur les raisons pour lesquelles nous avons choisi d'aller à droite plutôt qu'à gauche et sur ce que nous avons appris après avoir pris notre décision.
Ce n'est pas de la complaisance envers soi-même. C'est un grand service à rendre à la collectivité. Davantage de médias devraient s'expliquer parce qu'il y a énormément de loyauté, de confiance et d'équité dans nos collectivités. Il y a une grande générosité d'esprit parmi ceux qui achètent le journal ou qui écoutent les actualités, mais que nous ne prenons pas la peine de consulter.
Ce sont des gens qui se soucient vraiment de leur journal local, de leur quotidien national et de leurs nouvelles locales. Ils aimeraient en savoir davantage. Ils ne tiennent pas particulièrement à connaître le salaire du présentateur des nouvelles, mais ils veulent savoir pourquoi une nouvelle est passée ou pourquoi nous avons choisi de donner plus d'importance à un événement qu'à un autre. Certains des bons journaux du pays commencent à se rendre compte de l'importance de ces explications, non seulement à cause de l'intérêt manifesté par les consommateurs, mais aussi parce que c'est leur droit de savoir.
Je dirais qu'un ombudsman représente un mécanisme d'appel quand une intervention auprès de la salle de rédaction ou du chef de production ne donne pas de résultats. C'est aussi un bon enquêteur indépendant, qui étudie ce qui est produit tous les jours. Il cherche les incohérences et les domaines susceptibles d'amélioration. C'est une voix indépendante qui peut donner des conseils pratiques et comprendre le fonctionnement d'une salle de nouvelles. Il ne faut cependant pas trop s'écarter de la salle des nouvelles car on court le risque de ne pas tenir compte du milieu.
Ma seule crainte, si nous avons un bureau national de ce genre, c'est qu'il y a des situations locales très particulières qui influent sur tous nos médias, Je ne sais pas comment vous pourriez trouver des gens qui connaissent suffisamment le milieu pour s'occuper des situations et des décisions les plus délicates. Il faudrait passer beaucoup de temps à se familiariser avec le milieu, ce qui ne laisserait pas assez de temps pour se prononcer.
L'intérêt d'un bon ombudsman local réside dans la rapidité possible de sa réaction. Il ne faudrait pas avoir à attendre pendant des semaines. Le public ne devrait pas avoir oublié une affaire avant qu'elle ne fasse l'objet d'un rapport.
J'aimais bien ma rubrique du dimanche dans laquelle j'expliquais les événements de la semaine, parce qu'ils étaient encore frais dans la mémoire de mes lecteurs. Si trop de temps passe entre l'événement initial et la réaction, on perd beaucoup de l'impact.
Le sénateur Gustafson: En réponse à la question du sénateur Oliver, diriez-vous qu'il y a des rapports entre les grands et les petits médias? J'utiliserai un exemple de la semaine dernière.
Pendant que je conduisais mon tracteur, j'ai appris en écoutant la radio que Paul Martin était à Regina. Il avait déclaré que si, après avoir terminé un mandat, il n'avait pas changé la triste situation de l'agriculture dans l'ouest du Canada, il considérerait que son mandat avait été un échec. Mon plus jeune fils est venu et m'a dit: «Papa, as-tu entendu ce qu'a dit Paul Martin?» J'ai répondu: «Oui, je sais, ce sont de bonnes nouvelles».
À titre de conservateur, je n'essaie pas de favoriser Paul Martin, mais vous n'en avez sûrement pas entendu parler ici. C'était quelque chose de très important pour tous les agriculteurs jeunes et moins jeunes. Quelqu'un s'était soucié d'une grave situation. Pourtant, je n'ai rien vu à ce sujet dans le National Post ou le Globe and Mail.
Y a-t-il quelqu'un qui suit ce qui se passe là-bas?
M. LaPointe: Oui. J'ai travaillé pendant près de 15 ans pour la Presse Canadienne, qui est l'agence de presse nationale. Presque tous les quotidiens, la plupart des radiodiffuseurs privés et un certain nombre de périodiques en sont membres. L'agence produit en temps réel des nouvelles qui sont largement diffusées dans tout le pays. Dans certains cas, la distribution est régionale, mais elle surtout nationale.
L'agence existe depuis près de 85 ans. C'est le rapport le plus critique qui existe entre les grands et les petits médias. L'un des avantages d'une coopérative de ce genre, c'est qu'elle permet aux petites organisations de profiter de la couverture des grandes.
Certains se plaignent, disant que cela entraîne une sorte d'homogénéité de l'information puisque tout le monde peut diffuser les mêmes nouvelles. C'est un petit compromis si l'on considère tous les avantages.
La PC a été fondée au cours de la Première Guerre mondiale pour permettre aux correspondants canadiens de se rendre sur le front et d'envoyer des reportages à tous les journaux. Ce genre de mise en commun des ressources est essentiel compte tenu du nombre de modèles économiques représentés dans nos médias. En effet, les petites organisations peuvent bien avoir des recettes totales inférieures à un million de dollars par an, tandis que les grandes gagnent des centaines de millions. C'est un bon moyen d'égaliser et de partager. Toutefois, on ne peut pas garantir qu'une information distribuée va finalement être publiée.
Le sénateur Gustafson: J'aimerais signaler un point positif des médias, Dans le milieu des années 80, je dirigeais un comité qui s'occupait de la sécheresse dans l'Ouest. Le Toronto Star m'avait alors contacté pour dire que s'il pouvait aider d'une façon quelconque, nous n'avions qu'à le demander. Il y a des éléments positifs entre grands et petits, mais c'est difficile.
M. LaPointe: C'est une aventure aujourd'hui de s'asseoir dans une salle de rédaction. Je n'exagérais pas tout à l'heure quand j'ai parlé d'un demi-million de décisions à prendre tous les jours pour produire un quotidien. Le télécopieur, le courrier électronique, les appels téléphoniques... La plupart des salles de rédaction obtiennent la plupart de leurs informations du public. Les gens appellent, disent qu'il y a un développement sérieux à tel endroit, et nous voilà partis.
L'information qui arrive dans une salle de rédaction est intimidante. Il est presque impossible d'être au courant ne serait-ce que d'une partie de cette information. Le danger, quand on dirige une salle de rédaction, c'est de ne pas trouver le temps d'aller au bout de ses propres idées. On peut aller d'un événement organisé à un autre pendant toute la journée et passer ainsi toute sa carrière sans jamais rien faire de sa propre initiative, comme de découvrir ce qui se passe vraiment dans le pays, par opposition à aller à différents endroits parce qu'on vous a dit de le faire.
Le sénateur Oliver: Je dois noter que la convergence l'a retrouvé même pendant qu'il conduisait son tracteur. C'est là qu'il a reçu les nouvelles. Son tracteur a tout: la radio, la télé et tout le reste.
Le sénateur Eyton: Comme d'habitude, j'en ai trop entendu au sujet de l'Ouest. J'ai tant de questions à poser que je vais en demander une grande en espérant que j'obtiendrai quelque chose en retour.
Il y a actuellement un nombre sans précédent d'opérations de concentration et de convergence qui se produisent même temps. Tout cela semble être mené par des sociétés ou par des considérations d'affaires, qui sont logiques, mais il faudrait qu'il y ait des aspects positifs. Certains éléments ou même tous les éléments de ces opérations devraient viser le bien public.
Je parle surtout de ce qui se passe à l'endroit où je vis. À Toronto, j'ai la chance d'avoir accès à toutes sortes de médias et de choix, aussi bien sur le plan de la variété que sur ceux du nombre et de la qualité. J'ai l'impression que nous sommes dans une position particulièrement bonne.
Je voyage beaucoup, mais je n'ai pas trouvé de médias comparables ailleurs. Peut-être à Londres et à New York, bien que j'aie des réserves à ce sujet, surtout ces derniers temps. Il m'est difficile par exemple de trouver ce que cherche en matière d'informations internationales quand je suis dans une ville des États-Unis. Ce n'est qu'un exemple. Je crois que nous sommes bien servis et que cela découle en partie de la concentration et de la convergence dont j'ai parlé. Qu'est-ce que ces tendances ont de bon?
M. LaPointe: J'ai dit, dans mes observations préliminaires, que les grands médias en font encore plus que les petits sur beaucoup de fronts. Je vais essayer de vous donner quelques exemples.
Les médias ont beaucoup changé au Canada et dans d'autres pays depuis que nous avons commencé à accorder des licences à un grand nombre de stations de télévision. Ce faisant, nous avons considérablement fragmenté les auditoires. Nous avons ouvert les ondes et avons permis aux stations de radio de changer leur mode de présentation, ce qui a encore contribué à une fragmentation profonde du marché.
Là où le quotidien ou la station de télévision locale contrôlait largement le marché et avec un grand auditoire qui lui permettait de dominer le secteur publicitaire, voilà soudain qu'il faut affronter de nouveaux concurrents. Nous avions des hebdomadaires et des journaux locaux. À Toronto, par exemple, il y a des journaux de banlieue qui sont presque aussi importants que les autres quotidiens du pays.
Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est la seule caractéristique des médias dans la dernière décennie, mais les dix dernières années ont surtout servi à préserver les ressources. Très peu d'endroits se sont vraiment développés parce que les auditoires baissaient rapidement partout.
Nous avons des données très inquiétantes selon lesquelles il serait possible que la prochaine génération s'écarte complètement des grands médias. La chute des cotes d'écoute est tellement remarquable qu'elle en est terrifiante pour ceux qui s'occupent actuellement de la gestion des médias. Comment ferons-nous pour attirer cette première génération qui dispose de l'outil pouvant vraiment lui permettre de se passer des grands médias?
Il y a quelque temps, les consommateurs n'avaient pas vraiment le choix. Ils achetaient le journal local, regardaient la station de télévision locale et écoutaient le poste de radio local. Parfois, ils achetaient un quotidien national. Aujourd'hui, les choix sont tellement plus nombreux. De plus, le consommateur peut délibérément choisir de se passer complètement de tout ce qui est local. Il peut obtenir son information de n'importe où dans le monde et il n'est presque jamais obligé d'en apprendre beaucoup sur ce qui se passe dans sa propre collectivité. Ainsi, il n'atteint jamais la maturité à titre de consommateur d'information.
C'est à cause des grands médias que nous avons pu préserver ce que nous avons. Je ne dis pas que la situation est parfaite. Je sais qu'il y a eu des coupures à certains endroits. En même temps, de grandes initiatives ont été lancées. Le journal que j'ai aidé à démarrer, le National Post, est l'une de ces initiatives ambitieuses. Une petite entreprise qui n'aurait pas été propriétaire d'autres sociétés de médias n'aurait sûrement pas pu tenir le coup aussi longtemps. Elle aurait sûrement fait faillite.
Encore une fois, je n'essaie pas de brosser un tableau parfaitement positif. Je sais qu'il y a des plaintes. Vous aurez sûrement, dans le cadre de vos audiences, d'autres témoins qui vous parleront de ces préoccupations. Personnellement, je n'en ai jamais souffert. Pour moi, les grands médias ont toujours représenté une occasion de croissance ou une entreprise qui a suffisamment d'ambition pour essayer de mieux faire les choses ou de mieux servir la collectivité. J'ai eu la chance de me trouver au bon endroit au bon moment.
Le plus curieux dans tout cela, c'est que nous avons une couverture locale extraordinaire dans nos collectivités, mais nous vivons trop près des États-Unis. Je trouve vraiment incroyable — face aux nombreuses organisations qui parlent de la nécessité absolue de regarder le monde avec des yeux canadiens, de couvrir nous-mêmes les conflits en Irak, au Moyen-Orient, en Asie et ailleurs dans le monde — que nous permettions aux Américains de couvrir l'Amérique pour le Canada. Nos quatre grandes organisations d'information n'ont presque pas de ressources aux États-Unis. Tout est concentré à Washington où, très franchement, les nouvelles sont une marchandise produite en série, sans grandes différences entre les diverses sources. Entre-temps, nos journaux et nos médias électroniques passent constamment des émissions et des articles américains sur l'Amérique. Ce sera l'un de nos grands défis d'aller nous-mêmes là-bas couvrir le pays qui nous fascine le plus et avec lequel nous avons le plus en commun. Je trouve vraiment étrange que le Canada ne consacre pas de ressources à cette fin.
La présidente: Vous nous avez présenté de bons arguments en faveur des grands médias, de la convergence et de la concentration et, à part tout cela, en faveur d'une entreprise financièrement saine. En fait, il y a un élément sur lequel il vaut la peine d'attirer l'attention des gens, à part la capacité de survie. Même sur le plan des vieux principes journalistiques, une grande société est parfois mieux placée qu'une petite. Je me souviens une fois d'avoir été extrêmement heureuse de travailler pour une entreprise assez puissante pour résister aux pressions intenses exercées par un important annonceur local qui n'aimait pas ce que nous écrivions au sujet de son industrie. Il avait menacé de retirer toutes ses annonces si nous ne changions pas d'attitude. Comme le journal appartenait à une grande société nationale, nous avons pu lui répondre que nous allions continuer à faire du bon journalisme. S'il avait quelque chose à dire à nos lecteurs, il pouvait acheter des annonces dans le journal. Autrement, nous serions au regret de rompre nos relations avec lui. Un journal local qui n'aurait pas pu compter sur des appuis nationaux aurait été incapable de supporter une telle perte. Par conséquent, sur beaucoup de plans, la taille, la concentration et la convergence ont certes des avantages. Toutefois, dans un monde imparfait, aucune situation n'est idéale.
Vous dites que vous n'avez jamais eu à subir d'inconvénients de ce fait et que vous réfléchissez beaucoup à la situation des médias. À votre avis, quels sont les risques ou les faiblesses réels ou possibles de la concentration, de la propriété de médias multiples et de la convergence? Bien sûr, comme vous l'avez mentionné à juste titre, nous n'en sommes pas encore là.
M. LaPointe: En l'absence de tout contrôle, une société ou une organisation qui contrôle des médias peut faire beaucoup de tort. J'affirme cependant que nous avons dans notre système plus de moyens de contrôle que nous ne le croyons. J'aurais été beaucoup plus inquiet si certaines médias n'avaient pas de comptes à rendre au public, n'étaient pas soumis aux lois canadiennes concernant par exemple la diffamation, n'étaient pas assujettis à une supervision ou n'avaient pas prévu des moyens pour permettre au public de se plaindre, de se faire entendre et de savoir qu'il a la possibilité de le faire.
Par exemple, nous savions à CTV que, faisant partie du groupe des Entreprises Bell Canada, nous pourrions facilement donner aux gens l'impression que nous allions garder le silence sur toute affaire mettant en cause la société. Nous étions responsables de Report on Business Television et avions un certain nombre d'émissions locales. Toutefois, nous étions proactifs. Nous avions décidé qu'au moment du renouvellement de notre licence auprès du CRTC, nous établirions un comité de surveillance indépendant chargé de recevoir les plaintes du public et d'en faire directement rapport au conseil d'administration. Ce n'était pas l'équivalent de placer un ombudsman dans la salle des nouvelles, mais le comité devait être placé au-dessus des gestionnaires responsables des nouvelles. Nous voulions ainsi persuader le public et le conseil d'administration que les journalistes faisaient bien leur travail.
Le comité de surveillance est en place depuis environ un an. Comme j'ai quitté CTV depuis sept ou huit mois, je ne sais pas grand-chose de ce qu'il a fait récemment. À ce moment, il était critique d'affronter la crainte que les médias ont tendance à s'occuper d'eux-mêmes quand ils grandissent. Je ne souscris pas à ce point de vue, mais je le comprends. Je comprends que des gens puissent attribuer des motifs. Je considère que des moyens de contrôle tel que ce comité de surveillance peuvent beaucoup rassurer les gens.
D'autres radiodiffuseurs ont pris le même engagement lorsqu'ils ont demandé au CRTC le renouvellement de leur licence, pour que le Conseil se rende compte de l'effort déployé par les organismes qu'il réglemente. Indirectement, cela a des effets sur l'ensemble des opérations journalistiques d'une entreprise qui contrôle de multiples médias.
J'ai deux autres petites choses à mentionner à cet égard. En présence d'une fragmentation croissante, nous devrons trouver des moyens de préserver nos ressources dans toute la mesure du possible. Le coût de la collecte des nouvelles pour la télévision et, dans une moindre mesure, pour la presse écrite augmente beaucoup plus rapidement que l'inflation, et les recettes publicitaires n'ont pas suivi. Par conséquent, les pressions qui s'exercent sur les radiodiffuseurs vont s'intensifier, surtout dans le cas des radiodiffuseurs conventionnels. Cela n'est peut-être pas évident tout de suite, mais les effets vont se manifester sous peu. Le fait d'appartenir à une grande société assurera une meilleure protection à cet égard.
Je suis peut-être un peu incohérent, mais, même si nous aimons tous le travail d'investigation, les basses tâches du journalisme, souvent très fastidieuses, occupent beaucoup de gens intelligents, qui doivent faire beaucoup de travail insignifiant pendant la journée. Il faut aller assister à des événements organisés marginaux, je devrais plutôt dire des pseudo-événements qui visent à créer des nouvelles, mais qui servent uniquement à des fins de relations publiques et à des intérêts spéciaux, sans avoir une importance réelle. Pendant que j'étais à CTV, j'ai beaucoup apprécié le fait d'avoir des rapports avec un journal et un département en ligne. À l'occasion, nous disions: «Cet événement n'est pas du tout important pour nous, mais nous devons savoir ce qui s'est passé. Est-ce important pour vous? Si oui, pourriez-vous envoyer quelqu'un et nous dire ce qui est arrivé? Si c'est important, nous l'utiliserons, mais nous aimerions envoyer une seule personne au lieu de deux».
Je ne peux pas vous dire quels effets cela peut avoir sur le moral général de charger les gens brillants de s'occuper de questions importantes ou pertinentes. Vous pouvez leur permettre d'appliquer certaines de leurs idées au lieu de jouer le rôle de sténographes pendant une heure ou deux. Ce genre d'événements organisés est une véritable plaie pour notre profession. Certaines salles de rédaction se sentent prises au piège à tel point qu'elles sont incapables de consacrer des ressources à leurs propres idées. Les gestionnaires les plus brillants arrivent quand même à garder une certaine initiative, mais c'est de plus en plus difficile.
Cette collaboration a également d'autres effets. Elle permet aux éléments les plus brillants de ne pas avoir à s'occuper tout le temps de tâches fastidieuses et assure certaines économies qu'il est ensuite possible de consacrer à nos propres initiatives, même s'il est impossible de le prévoir d'avance.
C'est comme si on trouvait de l'argent dans la rue un jour: on a alors une occasion ponctuelle de voir le monde.
La présidente: Y a-t-il des limites? Est-ce que le besoin de préserver nos ressources ou peut-être de les améliorer va nous imposer d'aller toujours plus loin sur la voie de la concentration et de la propriété de médias multiples? Cela occasionne un énorme problème aux États-Unis depuis un certain temps. Y a-t-il donc des limites, et quelles sont-elles?
M. LaPointe: Nous avons eu beaucoup de cessions dans les deux dernières années. Nous ne sommes plus aussi concentrés que nous l'étions il y a trois ans. Nous en arrivons à un certain équilibre.
Qu'est-ce que les sociétés peuvent supporter? Quels biens veulent-elles conserver à des fins stratégiques? Quel genre de présence régionale veulent-elles avoir? Quel genre de travail en ligne souhaitent-elles créer?
En définitive, le journalisme en ligne créera peut-être une excellente occasion de régler de nombreux problèmes relatifs aux modèles les plus traditionnels de concentration que les gens ont examinés au fil des ans.
Vous l'avez vu dans votre propre journal à ce moment-là. Vous avez constaté ailleurs aussi que les journaux connaissent une certaine renaissance au Canada depuis quelques années, surtout à cause du réinvestissement. Certains risques ont été pris.
Est-ce que les tirages ont augmenté de ce fait? Pas dans tous les cas. Quand j'examine la performance des journaux dans les vingt-cinq dernières années et la baisse systématique des tirages, je m'étonne toujours de constater que nos grands journaux emploient encore tant de journalistes. La baisse du nombre de lecteurs est probablement plus importante que les restrictions imposées dans les services de nouvelles.
J'ai vu beaucoup de propriétaires essayer de réduire les coûts en baissant dans toute la mesure du possible les frais des opérations sans rapport avec les nouvelles. Tous les propriétaires aiment avoir un journal ou une émission dont tout le monde parle un jour donné. Ils adorent les exclusivités. Ils essaient de battre les concurrents. Tous les gens du milieu que je connais ont cherché, une fois qu'ils ont décidé de faire des coupures, à épargner le côté professionnel, tout en sachant qu'ils ont eu d'importantes baisses dans le nombre de lecteurs ou de téléspectateurs.
La présidente: Beaucoup d'entre nous ont d'importantes réunions à 11 h 30. Je sais en même temps qu'il y a des sénateurs qui souhaitent avoir un second tour. Je vais être obligée d'interrompre ce témoignage dans dix minutes parce que nous devons discuter à huis clos de nos travaux futurs pendant environ trois minutes. Cela devrait nous permettre d'arriver à l'heure à nos réunions. Je vous prie donc d'être brefs.
Le sénateur Graham: Merci, monsieur LaPointe. Votre témoignage a été très intéressant. J'aurais voulu pouvoir rester ici pendant le déjeuner parce que je suis sûr que notre discussion est plus intéressante que ce que nous pourrions avoir à faire ailleurs.
Vous nous avez dit que les journalistes passent trop de temps à couvrir des événements plutôt qu'à en découvrir. Je suppose que vous voulez parler du journalisme d'investigation et de la découverte des derniers scandales.
Vous êtes tous trop jeunes pour vous souvenir de Robert Fulford. Il y a quarante ans, il a réalisé, pour le Toronto Star, une enquête pour déterminer comment on pouvait vivre pendant un mois sur un chèque de sécurité sociale. L'enquête a eu un énorme succès partout au Canada. Voulez-vous parler de ce genre d'enquête?
Je dépasserai peut-être mon temps de parole, mais je vais quand même poser une seconde question. Vous avez mentionné l'Irak et avez dit que nous vivons trop près des États-Unis et qu'il nous faut voir de nos propres yeux ce qui se passe en Irak. Nous avons eu récemment un témoin, M. Maule, qui était d'avis que les reportages de Radio-Canada et de la BBC n'étaient pas équilibrés, mais que le McNeil-Lehrer Report du réseau américain PBS l'était. À la question de savoir ce qu'il pensait des réseaux CBS, ABC, CNN, NBC et d'autres, M. Maule a dit qu'il ne regardait pas leurs émissions.
Il y a ensuite la question du «pistolet fumant». Où sont les armes de destruction massive? Faisons-nous suffisamment de journalisme d'investigation pour trouver la réponse? Avons-nous été trompés par les médias américains?
M. LaPointe: Nous ne le saurons que si nous avons des journalistes là-bas et si nous continuons à étudier le pays. Malheureusement, peut-être à cause de ce que les médias eux-mêmes ont fait pour conditionner les auditoires, les gens ont la mémoire courte.
Les médias ne font pas beaucoup d'efforts, dans l'ensemble, pour maintenir l'attention des gens sur les sujets importants. Les gens peuvent être encore en train de se débattre avec ces sujets, mais les médias passent à autre chose. Plus de temps les journalistes passent à découvrir, mieux cela vaut car les gens peuvent ainsi réfléchir avec les journalistes tandis qu'ils vont de l'avant.
La critique que j'entends souvent est que les groupes d'intérêts spéciaux réussissent maintenant à concevoir des messages très perfectionnés qui retiennent l'attention des médias. Ils créent à cette fin des effets visuels spéciaux. Ils produisent aussi du texte qui retient l'attention. Il s'agit maintenant d'une industrie colossale qui peut priver les salles de nouvelles ordinaires de toute initiative un jour donné.
Le temps passé à développer une idée qu'on a eue en allant au bureau pour la transformer en article à faire paraître dans le journal du lendemain ou en nouvelle à passer aux actualités de ce soir est en train de diminuer d'une façon radicale. J'ai fait une fois une analyse portant sur un journal que je ne nommerai pas. J'ai découvert que 50 à 55 p. 100 de l'information publiée avait été préparée d'avance pour le journal. Ensuite, 42 à 43 p. 100 représentait une réaction de l'organisation à un crime, un incendie ou une catastrophe. Moins de 2 ou 3 p. 100 de l'information dépendait de l'initiative des journalistes eux-mêmes, c'est-à-dire d'une idée conçue par un ou plusieurs journalistes.
Il est triste de faire ce genre de constatation. Je suis sûr que j'obtiendrai le même résultat si je faisais la même analyse aujourd'hui. Chaque fois que j'ai essayé, c'était la même chose. Voilà où réside notre problème.
Notre temps nous est volé par des organismes et des particuliers qui cherchent à faire mousser leur propre information. Nous avons les journalistes les mieux formés, mais ce ne sont en fait que les sténographes les mieux rémunérés du pays.
Le sénateur Oliver: Lorsque je pense aux questions de propriété de médias multiples, de concentration et de formation d'énormes conglomérats, je me souviens que notre Constitution attribue une partie des pouvoirs au gouvernement fédéral et une autre partie aux autorités provinciales. Vous savez, en tant que journaliste, que la division des pouvoirs entre le fédéral et le provincial fait tous les jours l'objet de nombreux débats. Beaucoup de décisions sont prises sur cette base. En gardant cela à l'esprit, serait-il utile, sur le plan de la politique publique, de chercher des moyens de renforcer le rôle des journaux provinciaux indépendants au Canada? Avons-nous besoin de ces journaux, ou bien est-il suffisant d'avoir ces conglomérats qui ont une politique nationale de rédaction, de sorte que les opinions exprimées en Colombie-Britannique sont les mêmes qu'à Terre-Neuve? Le maintien de ces conglomérats est-il plus important que de faire du travail indépendant au niveau provincial? Je ne vous laisse malheureusement pas la possibilité de répondre à cette question d'une façon aussi détaillée que je l'aurais voulu.
M. LaPointe: Je n'ai pas de point de vue particulier sur la question du contenu commun et des éditoriaux communs. Je n'ai pas vraiment d'expérience dans ce domaine, dans lequel je me sens un peu perdu. Tous les propriétaires avec qui j'ai travaillé avaient tendance à croire qu'ils étaient investis d'une mission, qui était de servir leur collectivité locale et de la refléter du mieux qu'ils pouvaient, de l'orienter dans une certaine mesure et d'agir sur la situation locale. Voilà ce qui les intéressait vraiment.
Même s'il est vrai que certains journaux indépendants, hebdomadaires et éléments de quelques autres formes de presse écrite ont des difficultés financières, je crois que ce secteur connaît un grand essor, qui dépasse en importance — relativement du moins — tout ce qui se passe parmi les grands médias. Je crois vraiment que ces journaux vont finir par trouver leur place. Dans certains cas, ce sera un créneau assez solide parce que les journaux locaux, les quotidiens des grandes villes auront probablement tendance à se concentrer davantage sur un plus petit public urbain ou sur un segment particulier de ce public.
Je ne m'inquiète pas autant que d'autres du sort de certains éléments de la presse régionale. En fait, j'ai l'impression que la situation de la presse régionale est de plus en plus saine. Elle semble attirer de bons éléments, qui souhaitent y travailler pour des raisons de qualité de vie. Dans beaucoup de petites localités, il y a donc un excellent journalisme fait par des gens qui aiment mieux vivre dans leur coin du pays qu'à Vancouver, Montréal ou Toronto. Les écoles produisent beaucoup de diplômés qui vont débuter à ces endroits et y assureront une qualité durable et même de la nouveauté.
Sénateur, j'aurais bien voulu pouvoir vous dire que j'y ai beaucoup réfléchi, mais, tout bien considéré, je n'ai pas l'impression que ce secteur soit actuellement en crise dans le pays. Je crois plutôt que c'est l'un des secteurs où il semble y avoir de la croissance.
Le sénateur Eyton: Monsieur LaPointe, je commencerai par une gentille petite question. Je passerai ensuite au contexte.
Qui a la bonne formule? Nous sommes réunis ici, réalisant une étude canadienne dans laquelle des Canadiens parlent à d'autres Canadiens de problèmes que nous affrontons au Canada. Je suppose que d'autres ont connu les mêmes problèmes. Dans le monde des affaires, par exemple, on observe toujours ce qui se passe autour de soi pour savoir qui a de meilleurs résultats, pour essayer d'adopter les mêmes méthodes et pour tenter de faire mieux. Dans ce contexte, y a-t-il, à votre connaissance, un endroit ou un pays qui ait la bonne formule?
M. LaPointe: Tous ont à la fois de grands avantages et de grands inconvénients. Quelques-uns des meilleurs médias américains dépassent presque n'importe quoi d'autre dans le monde. Cela est également vrai de quelques-uns des meilleurs médias de la Grande-Bretagne, de la France et même du Canada. Certaines entreprises canadiennes sont vraiment excellentes et ont des pratiques qui font l'envie de beaucoup d'autres pays.
Je sais que nous critiquons beaucoup la qualité des quotidiens canadiens, mais il suffit d'aller aux États-Unis examiner ce que des quotidiens de la même taille arrivent à faire. Parfois, c'est vraiment pitoyable. Je ne dis pas que nous pouvons nous reposer sur nos lauriers, mais il nous arrive souvent de ne pas nous rendre compte qu'en définitive, nous ne sommes pas si mauvais.
Y en a-t-il qui soient vraiment parfaits? Je ne le crois pas. Chacun a deux ou trois réalisations intéressantes qui, si elles étaient toutes regroupées dans une même organisation, seraient sans doute extraordinaires. Toutefois, chacun fait ses propres choix quant à la nature de l'entreprise, à l'approche à adopter et à la stratégie à appliquer. Chacun définit son public cible et parfois même le public qui n'est pas visé. Chacun a une politique de rédaction d'une portée plus ou moins importante. On ne peut pas vraiment dire que l'un est meilleur que l'autre. Ils sont simplement différents.
Toutefois, je suis d'accord avec ce que vous avez dit tout à l'heure, sénateur Eyton. Je travaille à Toronto, qui est un marché très particulier du Canada. Je ne crois même pas que Montréal ait autant de diversité. Nous avons cinq quotidiens, deux hebdomadaires importants, une multitude de journaux en langue seconde, trois stations de télévision et trois ou quatre stations de radio qui diffusent exclusivement des nouvelles et toute une flopée de sites Internet. Si vous ne pouvez pas trouver ce que vous voulez, c'est certainement parce que vous n'avez pas assez cherché. Toutes les nuances politiques sont représentées. Cette diversité est l'une des meilleures caractéristiques de ce marché, où vous ne trouverez pas d'approche à l'emporte-pièce. Nous suivons chacun un chemin différent pour aboutir à notre destination.
Il serait intéressant — j'ai travaillé un peu dans ce domaine — d'examiner les meilleures pratiques des différents médias pour essayer de construire un modèle exemplaire. Malheureusement, cela revient à charger un comité de concevoir un cheval. On se retrouve en général avec un éléphant.
La présidente: Après tout, nous sommes aussi un comité. Merci beaucoup, monsieur LaPointe. La réunion a été fort intéressante, et nous vous en sommes reconnaissants. Vous avez répondu à toutes nos questions d'une façon tellement stimulante que, comme vous avez pu le constater, vos réponses suscitaient aussitôt de nouvelles questions. C'est un excellent exercice.
La séance se poursuit à huis clos.