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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 11 - Témoignages du 12 juin 2003


OTTAWA, le 12 juin 2003

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner l'état actuel des médias canadiens; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne et les politiques pertinentes, actuelles et futures, visant ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications au sujet des médias d'information canadiens.

[Français]

Le comité examine quel rôle l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualité à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés, dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.

[Traduction]

Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir Tim Casey et Andrea Horan. M. Casey est analyste des médias chez BMO Nesbitt Burns et Mme Horan est directrice générale chez Westwind Partners. En leur qualité d'analystes financiers dans le domaine des médias au Canada, ils nous fourniront des renseignements sur la situation financière des industries des médias au Canada.

Mme Andrea Horan, analyste des communications et des medias, Westwind Partners: On nous a demandé de faire le survol de certains paramètres financiers du secteur. Nous le ferons à deux. J'aborderai certains paramètres relatifs aux sources de revenus, je décrirai les pressions qui s'exercent sur l'industrie et je formulerai quelques commentaires sur les besoins en capital. Tim Casey parlera de la rentabilité de l'industrie, de la convergence et des effets de l'endettement. La publicité est vraiment le moteur de l'industrie des médias. Nous avons préparé un graphique sur la répartition des dollars publicitaires entre les divers types de médias et, à la page suivante, sur la proportion des revenus publicitaires et des revenus tirés des abonnements. En tant que groupe, la télévision attire environ un tiers de tous les dollars publicitaires dans les grands médias canadiens. La télévision générale représente un peu plus des trois quarts de ce tiers. Elle génère presque tous ses revenus de la publicité, tandis que la télévision spécialisée tire 60 p. 100 de ses revenus des abonnements, en fait 68 p. 100 si l'on inclut la télévision payante.

En ce qui concerne la télévision spécialisée, le rapport entre les recettes publicitaires et les recettes tirées des abonnements a été raisonnablement stable au cours des cinq dernières années, mais cela reflète l'avènement de nouvelles chaînes spécialisées ayant des revenus axés davantage sur les abonnements. À mesure qu'elles acquièrent de la maturité, les chaînes tirent une plus grande part de leurs revenus de la publicité. Il suffit de jeter un coup d'œil aux chaînes qui existent depuis quatre ou cinq ans pour constater que la part de leurs recettes publicitaires a augmenté de 500 points de base.

Quelque 40 p. 100 des dollars publicitaires des grands médias vont aux journaux, tant les quotidiens que les hebdomadaires. Selon les journaux, entre 70 et 100 p. 100 des recettes proviennent de la publicité. La moyenne se situe un peu sous les 80 p. 100, et les recettes tirées des abonnements et des imprimés publicitaires sont à égalité.

On peut encore ventiler les recettes publicitaires selon les sources locales, nationales et autres. Dans le cas des journaux, on a les petites annonces. La diapositive suivante fournit un sommaire de la ventilation. Vous constaterez que la télévision spécialisée tire presque toute sa publicité de sources nationales. Cela est attribuable à la réglementation. Parce que les chaînes spécialisées ont des signaux nationaux, elles n'ont pas accès aux dollars publicitaires locaux. La télévision générale, qui a un plus grand accès aux dollars publicitaires locaux, tire quelque 20 p. 100 de ses revenus de sources locales.

Les journaux tirent environ 44 p. 100 de leurs revenus de la publicité locale, seulement 23 p. 100 de sources nationales et le reste des petites annonces. La radio tire près des trois quarts de ses revenus de sources locales et un quart de sources nationales.

On espérait que l'assouplissement des règles en matière de propriété visant la radio donnerait lieu à la concentration des radios et élargirait l'accès au marché publicitaire national. Ce ne fut pas le cas. Le rapport est demeuré stable et la part du marché publicitaire national de la radio est demeurée constante, soit quelque 4 p. 100.

Les tendances sont demeurées raisonnablement stables sur une longue période, si bien que l'on ne voit pas de taux de croissance phénoménaux. Dans l'ensemble, au cours des dix dernières années, le taux de croissance composé annuel de la publicité dans les principaux médias a été de 3,4 p. 100 et les principaux médias sont à plus ou moins 100 points de base de cette moyenne, les chaînes spécialisées en tête. Le taux de croissance de la publicité des chaînes spécialisées a été de 20 p. 100 et celui des abonnements de 18 p. 100. Le taux de croissance de la publicité de la télévision générale a été de 2,4 p. 100 environ. Le taux de croissance de la publicité dans les journaux a été de 2,5 p. 100 environ, et les revenus de diffusion ont baissé. Des pressions doubles s'exercent ici.

Les revenus publicitaires de la radio ont augmenté rapidement, soit au taux de 3,9 p. 100 au cours des dix dernières années. Le taux de croissance des cinq dernières années a été de 5.5 p. 100 environ depuis l'assouplissement de la réglementation, mais cela est largement attribuable aux revenus émanant de sources locales.

C'est probablement la fragmentation des médias qui a eu le plus grand impact sur l'industrie. Certains fragmentent l'attention de l'auditoire, mais pas nécessairement les dollars publicitaires, alors que d'autres fragmentent à la fois l'auditoire et les dollars publicitaires.

Pour ce qui est de l'attention de l'auditoire, on réussit à attirer un jeune auditoire par le jeu. Internet a attiré une grande part de l'auditoire, mais il n'a pas attiré les dollars publicitaires. Cela est attribuable à la fragmentation au sein même du réseau Internet. La prolifération des chaînes américaines détourne l'auditoire.

La présidente: Qu'entendez-vous par «jeu»?

Mme Horan: Les consoles de jeux telles que la nouvelle Sony.

Le sénateur LaPierre: Le golf, la chasse?

La présidente: Vous voulez dire des activités de loisirs présentées à l'écran?

Mme Horan: Oui.

Le sénateur Merchant: Vous avez dit le golf. Y a-t-il une chaîne qui se spécialise dans le golf?

Mme Horan: Je ne parle pas tant de la télévision que de divertissements de rechange.

La fragmentation des dollars publicitaires revêt plusieurs formes. Il y a une prolifération des chaînes spécialisées canadiennes. Leur nombre est passé de 35 à 98 au cours des cinq dernières années, et 50 nouvelles chaînes numériques sont apparues au cours des deux dernières années. De nouveaux journaux ont aussi fait leur apparition. En fait, principalement les grands marchés tels que Toronto et Montréal ont été encore davantage fragmentés en raison de l'apparition de quotidiens gratuits. La nouvelle télévision générale et les stations de radio ont obtenu des permis. De nouveaux permis ont été octroyés à Toronto et à Vancouver. On commencera à tenir des audiences à Edmonton et à Calgary, la semaine prochaine. On continue aussi d'octroyer des permis à de nouvelles stations de radio.

Par conséquent, les publicitaires trouvent de plus en plus difficile d'atteindre le grand public. Étant donné la dépendance de l'industrie sur la publicité, il s'est avéré nécessaire de réagir. La réaction s'est faite sur deux fronts. D'une part, on a les concentrations, qui contribuent au regroupement des auditoires; d'autre part, des hausses de tarifs dans tous les médias qui réussissent à regrouper les auditoires. Au cours de la dernière semaine, des journaux ont publié des articles sur la hausse des prix de la programmation durant les heures de grande écoute.

L'impact des concentrations a été différent dans chaque secteur. Pour ce qui est de la télévision générale, il y a eu l'acquisition du réseau WIC et la concentration du réseau CTV en même temps que l'apparition de nouveaux joueurs nationaux comme Chum, l'octroi de licences en Colombie-Britannique et l'apparition de nouvelles chaînes numériques; le groupe Craig obtiendra probablement une licence pour une station à Toronto. On peut soutenir qu'il est impossible de lancer de nouvelles chaînes numériques sans une base solide d'entreprises médiatiques soutenant les activités non rentables.

On voit une concentration dans le secteur des journaux, mais elle n'est pas aussi phénoménale qu'on pourrait le croire. Il y a dix ans, les cinq plus grands journaux contrôlaient 88 des 108 journaux existants, soit un peu plus de 74 p. 100 de la diffusion. En 2003, les cinq plus grands journaux contrôlent 62 des 102 journaux existants, ce qui représente environ 79 p. 100 de la diffusion. La différence n'est pas énorme. Il y a eu d'importants regroupements dans le domaine de la radio depuis l'assouplissement des règles relatives à la propriété.

Il a été question de la nécessité pour l'industrie d'accéder à des capitaux étrangers. Selon certains, les primes que doivent payer les entreprises canadiennes sur les actions reflètent nos règles restrictives en matière de propriété étrangère. Cela voudrait dire que l'écart d'actualisation serait amorti du fait que les investisseurs au sud de la frontière recherchent des investissements moins onéreux. C'est ignorer la réalité car le Canada et les États-Unis ont des environnements réglementaires et fiscaux différents, que cet écart s'explique et que l'assouplissement des règles en matière de propriété n'y changerait rien. On a un peu le sentiment qu'une vague de capitaux qui attend à la frontière déferlera sur le Canada dès que l'assouplissement des règles relatives à la propriété sera chose faite.

Selon mon expérience, ce n'est pas le cas. Les entreprises médiatiques telles que les entreprises d'imprimerie et de publication d'information, qui ne sont pas soumises aux règles visant la propriété étrangère ont de la difficulté à attirer des capitaux étrangers. Ces entreprises ont un rendement élevé en gestion et de hauts revenus en dollars américains, des parts de marché de premier rang et des franchises renommées. Cela ne signifie pas que l'industrie n'a pas besoin de capitaux. En revanche, la solution ne réside peut-être pas nécessairement dans les capitaux étrangers. Le besoin de capitaux d'une industrie peut s'expliquer de deux façons. L'industrie a peut-être besoin de capitaux pour maintenir ses activités courantes. Ce n'est pas le cas avec les médias car les médias génèrent des recettes. Par ailleurs, des pressions s'exercent sur toute société cotée en bourse pour que celle-ci croisse. L'industrie est relativement bien ancrée et ces entreprises croîtront par le truchement d'acquisition, à l'échelle soit nationale soit internationale. Or, les occasions d'acquisition ne se présentent pas régulièrement. Les entreprises ont donc besoin de capitaux parce que leurs disponibilités ne leur permettent peut-être pas de saisir la prochaine occasion d'acquisition.

La croissance n'est peut-être pas une importante priorité de politique publique, mais il ne faut pas oublier que les capitaux sont mobiles. Si nous voulons que nos médias soient soutenus par des capitaux publics, nous devons créer un environnement où les entreprises médiatiques pourront croître et obtenir un bon rendement sur leurs investissements. Dès que les marchés des capitaux perçoivent qu'il est risqué d'investir dans les entreprises médiatiques en raison d'un environnement réglementaire imprévisible ou non convivial, ces entreprises deviendront moins attrayantes et le coût de leur capital augmentera.

M. Tim Casey, directeur général, Médias et divertissement, BMO Nesbitt Burns: Je parlerai des coûts et de l'endettement des entreprises ainsi que des attentes des investisseurs. J'aborderai aussi la question de la convergence.

Je ferai le survol des coûts et des tendances, à la page 4. Il ne faut pas oublier que les médias sont des entreprises à coûts fixes. Cela signifie qu'elles ont un important levier opérationnel. Nous savons que la publicité est un baromètre de l'activité économique générale. L'activité publicitaire suit le cycle économique qui monte et qui descend et l'économie qui croît et se contracte. Les entreprises médiatiques ont des coûts fixes, ce qui signifie que leur rentabilité augmente à mesure que l'économie s'améliore et qu'elle diminue à mesure que l'économie se contracte.

L'autre lapalissade au sujet de ces entreprises est qu'elles n'ont pas besoin de beaucoup de capital. Contrairement aux entreprises de distribution par câble ou aux imprimeries, elles n'ont pas à renouveler leur usine et leur matériel. Certes, l'industrie des journaux le fait tous les 30 ans, mais il ne s'agit pas de coûts permanents. Les besoins en capital seraient de 5 p. 100 des revenus.

En revanche, la fragmentation constitue un coût permanent. Autrement dit, il y a un nombre d'heures donné dans une journée, mais d'autres médias veulent avoir les mêmes heures. Les entreprises font face à un défi. Si elles ne fragmentent pas leur auditoire, leurs concurrents le feront pour elles. Elles doivent redéployer une certaine part de leurs profits dans le développement d'entreprises, ce qui signifie qu'elles encourront des pertes d'exploitation dans ces entreprises naissantes. On voit cela dans tous les secteurs d'activités. Ces entreprises en pleine maturité se font gruger marginalement par certains nouveaux concurrents. Elles doivent jouer le jeu et sortir de leurs capitaux, un levier d'exploitation important et un coût fixe élevé.

Les pages 5 et 6 indiquent certaines tendances du marché à long terme. Dans notre entreprise, nous utilisons L'EBITDA, soit le résultat opérationnel avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement. Autrement dit, l'excédent brut d'exploitation servant au paiement des impôts, au service de la dette et à la rémunération du propriétaire. La page 5 illustre la rentabilité à long terme des entreprises télévisuelles au Canada. Le CRTC fournit ces renseignements publics. Vous pouvez constater que la télévision générale souffre d'une érosion systémique des marges. Il y a des variations cycliques. On voit la phase de récession en 1990-1991 et un petit creux en 1997-1998. Les choses vont vers le sud.

La télévision spécialisée, les chaînes distribuées par câble, montre un déclin dans les marges moyennes. Cela reflète toutes les nouvelles chaînes qui font leur apparition car celles-ci engendrent des pertes alors que les chaînes bien établies ont un niveau de rentabilité plus stable. Peu de ces entreprises sont des entreprises non diversifiées. Au Canada, la plupart des entreprises médiatiques, toutes les grandes, comptent diverses activités dans leurs actifs, si bien qu'elles sont à l'abri des «courants descendants», auxquels le marché individuel peut être confronté.

La page 6 montre les marges pour la radio. On constate un creux au début des années 90 en raison de la récession, creux suivi d'une belle progression. Cela reflète la déréglementation dans le secteur en 1996. Le CRTC a instauré des règles permettant aux exploitants de posséder deux fois plus de stations dans un marché individuel, si bien que les grands exploitants ont doublé leur nombre de stations. Ces nouvelles règles leur ont permis d'acheter tous les revenus d'un concurrent sur un marché visé pour seulement la moitié des coûts. On constate une reprise décente des marges. Celles-ci se sont stabilisées au cours des dernières années. Cela ne veut pas dire que la radio détourne une part de marché des autres médias, mais bien que les règles du CRTC ont permis de faire le ménage.

Les pages 7, 8, 9 et 10 présentent la ventilation des coûts des entreprises. Il importe surtout de se pencher sur l'aspect des coûts fixes, sauf pour ce qui est des journaux, à la page 9, où l'on constate que le coût du papier journal exerce une influence cyclique sur les coûts. Le papier journal et l'encre représentent environ un quart des coûts d'une entreprise. Ces coûts sont beaucoup plus changeants que certains des coûts associés à la radiotélévision. La rentabilité de la presse écrite est habituellement plus instable que celle des autres médias. Il est intéressant de noter que la presse écrite bénéficie du recul du dollar américain du fait que le prix du papier journal est établi en dollars américains. Les exploitants canadiens bénéficient de la dépréciation du dollar américain.

Permettez-moi de parler brièvement de la convergence. La fragmentation est la principale tendance dont nous devons tenir compte lorsque nous tentons d'évaluer ces entreprises. L'évaluation porte sur trois aspects: la numérisation, la déréglementation et la mondialisation. Cela signifie que la numérisation du contenu, la transmission des signaux par satellites et la diffusion de l'information par le truchement de divers journaux ont permis une explosion du contenu. Parallèlement, le secteur a fait l'objet d'une déréglementation aux quatre coins du monde. L'industrie télévisuelle européenne a été déréglementée dans les années 90, ce qui a permis aux entrepreneurs privés de pénétrer ce qui était un marché réglementé par l'État. Cela a donné lieu à une tendance mondiale. On a vu les grandes entreprises américaines, le système de studio, particulièrement, d'un point de vue contenu, mondialiser leurs activités. Au Canada, nous avons tenu ces forces à distance avec notre réglementation en matière de contenu, mais nous ne sommes pas à l'abri. Nos téléradiodiffuseurs achètent des produits dont le coût est établi mondialement. Ils concurrencent d'autres médias. Cela a donné lieu à une fragmentation et conduit l'industrie à se regrouper, ce qui a induit la convergence. Autrement dit, les exploitants réalisent des concentrations horizontales, en achetant davantage de médias, ou verticales, en achetant la distribution. AOL Time Warner est le parfait exemple du mariage du contenu et de la distribution. Selon moi, cette tendance s'accélérera.

Je suis allé à Chicago, au congrès de l'industrie du câble, le National Cable Show. Il y avait là des chaînes de câble, des exploitants et des fournisseurs de matériel. L'industrie du câble développe des modèles interactifs à un rythme inégalé. Dans l'avenir, les téléspectateurs pourront interagir avec leur appareil télé davantage que ce ne fut le cas dans le passé. Cette situation aura pour effet de rehausser la fragmentation. La tendance se maintiendra et l'industrie continuera d'évoluer en essayant de s'adapter.

La page 12 montre le cours des actions de six entreprises qui ont poursuivi une stratégie de convergence à la fin des années 90 et au début de 2000. La chose ne fut pas facile, mais cela ne veut pas dire que la convergence ne fonctionne pas; cela reflète le fait que l'industrie et le milieu des investisseurs en ont trop vanté l'idée aux actionnaires et que, essentiellement, les gens ont payé le prix fort au plus haut du cycle. Les capitaux sont mobiles. Nous avons eu une récession au cours des dernières années. L'impact du 11 septembre 2001 s'est fait sentir dans l'industrie des médias. Les entreprises de ce secteur ont connu des jours difficiles, mais elles n'ont pas ralenti pour autant leurs stratégies de concentration ou de convergence. Elles n'en parlent tout simplement plus comme d'une manière d'accélérer la rentabilité.

Aux pages 13 et 14, six diagrammes à secteurs illustrent la composition des revenus de six entreprises médiatiques canadiennes cotées en bourse. Leurs revenus représentent quelque 7 milliards de dollars. Ces entreprises sont le fer de lance du secteur. Elles ont toutes une plate-forme de médias intégrés au cœur de leur stratégie. Même la société Torstar, que vous êtes peut-être nombreux à assimiler au Toronto Star, possède plusieurs médias par l'intermédiaire desquels elle distribue son contenu et attire les investissements. La convergence est là pour rester.

Pour ce qui est de l'endettement, je dirai d'abord que nous sortons d'un formidable cycle de regroupement. Nombre d'entreprises ont recouru à l'endettement afin de financer leurs acquisitions. Il y a eu une augmentation générale du niveau d'endettement.

La page 16 présente une mesure utilisée par les investisseurs afin de comparer l'endettement à l'EBITDA. Cette mesure de l'endettement par rapport à l'excédent brut d'exploitation permet de mesurer le risque financier. J'ai surligné les entreprises de câble, qui ont un ratio de 5:1 environ. Elles ont un flux de revenus stable. Les entreprises médiatiques, à l'exception de CanWest Global, ont un ratio inférieur à celui-là. Aucune de ces entreprises n'est candidate à la faillite. Leurs activités traditionnelles génèrent des bénéfices. Aucune n'est soumise à d'importantes restrictions financières. Le risque est d'ordre économique. Si un événement macroéconomique important venait précipiter l'économie dans une récession, la plupart des entreprises sur cette liste, particulièrement les entreprises médiatiques, verraient une érosion de leurs disponibilités qui entraverait leur capacité d'assurer le service de leur dette.

Les données isolées qu'on a de certains marchés publicitaires augurent bien de la situation.

On nous a demandé d'évaluer les attentes des investisseurs. La réponse est simple: le rendement. Les capitaux sont mobiles. Si les actionnaires ont l'impression qu'ils n'obtiennent pas un bon rendement sur leurs investissements dans le secteur des médias, ils se tourneront vers d'autres secteurs. Ils ne sont pas obligés de détenir des actions d'entreprises médiatiques. Les gens qui ont des actions de fonds mutuels veulent que le fonds s'accroisse. S'ils sentent qu'un règlement entrave la capacité des entreprises médiatiques de générer un rendement qui soit concurrentiel par rapport à d'autres industries, ils investiront ailleurs. Si vous voulez un chiffre, je dirais que l'industrie affiche depuis fort longtemps un rendement supérieur à la croissance du PIB et à l'inflation dans le contexte des variations cycliques. L'industrie dégage des disponibilités brutes lui permettant de rembourser sa dette ou d'augmenter les dividendes. À l'heure actuelle, le marché boursier escompte probablement une croissance de quelque 5 p. 100 pour tous les titres de l'indice TSE. Les investisseurs s'attendent à une croissance supérieure à cela.

Mme Horan: Au chapitre de l'endettement, j'aimerais ajouter que, souvent, les gens pensent que les sociétés à levier financier agissent parce qu'elles doivent s'acquitter du service de leur dette. Il ne faut pas oublier que l'endettement est la forme la moins chère de capital. Il coûte moins cher que les capitaux propres. Une entreprise qui se finance au moyen de l'endettement ne subit pas davantage de pressions au titre des rentrées de fonds; il est permis de croire que ces pressions sont plus grandes pour une entreprise qui recourt au financement sous forme d'actions. Dans ce cas, des pressions s'exercent pour une croissance plus rapide en raison de la dilution de l'avoir des actionnaires.

La présidente: Pouvez-vous expliquer l'expression «publicité nationale»?

Mme Horan: La publicité nationale est dictée par la force de vente nationale. Je vais prendre un exemple dans l'industrie automobile. General Motors fera une publicité nationale pour lancer un nouveau véhicule alors qu'un détaillant fera une publicité locale.

La présidente: Les publicités qu'on peut voir d'un bout à l'autre du pays?

Mme Horan: Oui.

Le sénateur Gustafson: J'ai des questions au sujet de la «fragmentation de l'auditoire», page 7. J'observe mes petits- enfants et d'autres jeunes, et je constate qu'ils naviguent sur Internet. Je les vois rarement lire le journal ou même regarder les informations. Que veut dire cette tendance pour l'industrie? Est-ce que les choses ont toujours été comme ça?

Mme Horan: Vous avez raison de dire que le marché des jeunes est difficile à atteindre. Les directeurs des médias au sein des entreprises de publicité s'en préoccupent vivement. Les jeunes ne lisent pas les journaux et l'auditoire télévisuel a rétréci. C'est une tendance significative. C'est pour cela que j'ai mentionné le jeu comme un moyen de capter l'attention des jeunes.

Le sénateur Gustafson: C'est une tendance universelle. On ne voit pas de jeunes qui lisent les journaux, même ceux qui en sont à leur quatrième année d'études universitaires. Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

M. Casey: On peut se pencher sur le cas de l'industrie de la musique. Lorsque Napster est apparu et a modifié le modèle de rentabilité, les exploitants de médias ont tremblé dans leurs bottes, particulièrement au chapitre du contenu. Les entreprises médiatiques en sont là. Elles savent que la fragmentation est impossible à arrêter. Il y a des médias qui visent les enfants et les jeunes universitaires. Il n'existe pas de solution simple.

Le sénateur Gustafson: Il me semble que le public canadien opte pour la BBC lorsqu'il en a assez de CNN. Quel impact la mondialisation a-t-elle sur nos médias; a-t-elle un impact?

M. Casey: La plupart des Canadiens optent pour des chaînes qui sont réglementées par le CRTC. Celui-ci donne ou refuse les autorisations. De plus en plus de gens ont davantage d'options du fait qu'ils se procurent une antenne parabolique ou une boîte de connexion numérique, mais il y a tout de même un contrôle. Les gens sont libres de naviguer sur Internet et de lire ce qui leur plaît.

Le sénateur Gustafson: La soucoupe est-elle plus utilisée dans les régions rurales que dans les villes?

Mme Horan: La télévision par satellite pénètre de plus en plus les marchés urbains et le câble numérique est un outil de distribution essentiellement urbain. La plupart des Canadiens écoutent les informations à partir de chaînes canadiennes et recherchent un point de vue canadien, bien qu'ils aient d'autres choix.

Le sénateur Ringuette: À la page 3, votre diagramme sur la répartition des dollars publicitaires ne comprend pas les dollars publicitaires visant Internet. Avez-vous ce renseignement?

Mme Horan: C'est peu, moins de 5 p. 100. Je crois qu'il s'agit de 50 millions de dollars.

Le sénateur Ringuette: De l'ensemble de la publicité au Canada?

Mme Horan: On parle de quelque 50 ou 60 millions de dollars, quelque chose comme ça, par rapport à quelque deux milliards et demi pour la télévision.

M. Casey: Une des difficultés est que les entreprises médiatiques intégrées possèdent la plupart des sites Internet. On peut se rendre sur le site web du Globe and Mail et trouver une publicité. Il est difficile de connaître la source de cette publicité. Provient-elle du Globe and Mail, de CTV ou de quelqu'un qui cherche à se faire connaître sur Internet? C'est une zone grise.

Le sénateur Ringuette: Selon moi, l'ajout d'un autre médium dans le milieu publicitaire est partie de la stratégie de recettes dans le cadre de la convergence.

Mme Horan: Je dirai qu'Internet est un marché très fragmenté. Bien qu'il y ait des téléspectateurs sur ce réseau, le marché est tellement fragmenté qu'un publicitaire n'a pas grand intérêt à lancer une offensive sur Internet. C'est un problème.

Le sénateur Ringuette: Au détriment de qui ces 50 ou 60 millions de dollars publicitaires ont été détournés vers Internet? Savez-vous qui perd au change?

Mme Horan: C'est difficile à dire parce que c'est tellement peu. Internet accapare un peu plus la publicité par petites annonces et la tendance à long terme pour ce type de publicité est franchement à la baisse. Il est difficile de dire précisément où sont les dollars.

M. Casey: À long terme, les quotidiens croissent plus lentement que les autres médias, ce qui signifie qu'ils perdent une part de marché. Ils ne perdent peut-être pas de publicité aux mains d'un autre média, mais les nouvelles publicités leur échappent.

Le sénateur Ringuette: Je suppose que l'industrie de la commercialisation associe l'effectif-lecteurs tant aux journaux qu'à Internet, si bien que je suis porté à être d'accord avec vous.

Le sénateur LaPierre: On nous a dit que la convergence était la solution aux pertes de revenus et aux difficultés des médias traditionnels. Est-ce que le regroupement de la propriété de divers moyens de communication — radio, télévision et journaux — réglera tous les problèmes?

Mme Horan: Cela évitera au moins un certain effondrement.

M. Casey: Cela est moins qu'utopique pour les actionnaires.

Le sénateur LaPierre: Cela ne s'est pas produit? On nous a vendu un panier vide?

Mme Horan: On peut voir ça comme une stratégie défensive plutôt que comme une stratégie offensive. Si on n'avait pas bougé, la situation aurait pu se détériorer encore davantage.

M. Casey: Selon moi, on a trop vanté l'idée de la convergence. Si on n'avait pas fait autant de tapage avec cette idée, je ne crois pas que le mot «convergence» aurait aussi mauvaise presse. C'est une réaction naturelle au sein d'une industrie confrontée à ces tendances.

Le sénateur LaPierre: La convergence est-elle un argument pour le regroupement de la propriété des médias ou est- ce un résultat?

M. Casey: Selon moi, c'est un résultat.

Le sénateur LaPierre: C'est un résultat. Autrement dit, ce n'est pas en vue de la convergence que les entreprises ont commencé à acquérir d'autres entreprises. Elles ont fait des acquisitions parce qu'elles le voulaient, et cela leur a donné un sentiment de supériorité. Je reviens de Banff, où s'est tenue une discussion quant à savoir si le désir de regroupement et de profits avait précédé l'idée de la convergence ou le contraire.

M. Casey: Je crois que les entreprises canadiennes ont vu un important regroupement du côté américain. Leurs fournisseurs de contenu sont devenus plus gros. Elles ont vu les acheteurs de leur temps d'utilisation du satellite devenir plus gros. Elles ont dû se regrouper pour pouvoir suivre la cadence.

Mme Horan: La croissance devient nécessaire dans un marché qui a presque atteint son plein développement. On est toujours poussés à vouloir faire davantage de profits et il est plus facile de faire des acquisitions et de réussir sur un marché dont on connaît les forces que de tenter sa chance sur la scène internationale.

Le sénateur LaPierre: Toutefois, ne peut-on pas dire que les regroupements ont créé un endettement énorme? Ces regroupements ont été financés au moyen de la dette accumulée. Qu'on pense aux sociétés CanWest Global et Québecor qui ont accumulé une dette pour pouvoir plus aisément faire des acquisitions, dans l'espoir que le gouvernement canadien modifierait ses règles en matière de propriété étrangère et qu'elles pourraient vendre sur le marché américain. Il s'ensuit que les entreprises aussi endettées ne satisfont pas aux exigences du CRTC en matière de contenu canadien. Elles achètent des émissions de Los Angeles qui valent des milliards de dollars, émissions qu'elles présentent aux heures de grande écoute, et ce sont les Canadiens qui font les frais de cette pratique aberrante qui se poursuit et qui ne semble pas avoir de fondement économique rationnel.

M. Casey: Je ne suis pas de cet avis.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi?

Mme Horan: En fait, les Canadiens ne paient pas les radiodiffuseurs pour qu'ils aillent acheter des émissions à Los Angeles, ce sont plutôt les profits tirés de la présentation de ces émissions qui permettent aux Canadiens de voir des émissions à contenu canadien.

L'acquisition d'entreprises nécessite une accumulation de la dette. Il y a eu d'importants regroupements lorsque le marché a atteint un sommet. Cela a créé deux problèmes: ces entreprises ont eu de la difficulté à remplacer leur endettement par des capitaux propres parce qu'elles n'avaient pas les capitaux propres et que les marchés des capitaux n'étaient pas là pour remplacer l'endettement par des capitaux propres.

Dans le cas de la société Québecor, les plans étaient de vendre des éléments d'actif pour financer certaines acquisitions, et ces marchés se sont effondrés. Elle n'a pas pu vendre Abitibi au prix souhaité. Ses activités de télécommunications n'ont pu être vendues au prix souhaité et Microcell a fait faillite. En même temps, il y avait un repli de l'environnement économique. Pour une entreprise qui a des coûts fixes élevés, une légère diminution de l'encaisse a un effet catastrophique sur les résultats nets, ce qui réduit la capacité de consacrer les disponibilités brutes, touchées elles aussi, au service de la dette. La prise en charge de la dette a été davantage le résultat des mauvais marchés, et les entreprises en subissent toujours les contrecoups.

Même si l'endettement est élevé, il coûte encore moins cher que les capitaux propres. Je ne sais pas si les interventions des entreprises ont été très différentes de ce qu'elles auraient été si elles avaient été financées au moyen de capitaux propres.

M. Casey: Le commentaire du sénateur à l'effet que des entreprises accumulent des dettes sans raison économique et donnent de l'argent à Hollywood n'a pas de sens. CanWest Global poursuit la même stratégie de programmation depuis 25 ans. Cette société n'a pas modifié sa stratégie parce qu'elle possède des journaux. La seule chose qui ait changé depuis qu'elle a acquis des journaux est qu'elle a des produits d'information de bien meilleure qualité. Son auditoire des informations de fin de soirée a augmenté.

Je ne vois pas comment on peut dire que les Canadiens sont desservis parce que cette entreprise a financé son acquisition en contractant une dette et qu'elle continue d'avoir une programmation qui génère des profits et qui plaît aux Canadiens. Ces derniers continuent d'être attirés par les émissions américaines. C'est un fait. La société Québecor achète une quantité minime d'émissions américaines par rapport aux autres émissions qu'elle achète.

Mme Horan: Il est intéressant de voir que Québecor a utilisé toutes ses propriétés, en convergence, pour produire une émission canadienne clé, Star Académie, émission classée en tête qui a attiré une part de marché de 72 p. 100 lors de sa diffusion. Cette émission a fait l'objet de publicité dans les journaux et les clubs vidéo de Québecor. Voilà un exemple parfait de convergence.

Le sénateur Eyton: Cette conversation est intéressante parce que notre comité s'attache à la question du contenu et des moyens de l'améliorer. Or, vous représentez une industrie axée sur la hausse des profits et le cours des actions. C'est une énigme.

J'aimerais entendre vos commentaires sur le régime réglementaire en vigueur touchant les médias et la radiodiffusion au Canada. Estimez-vous que ce régime est utile ou dommageable?

Comment ce régime peut-il aider nos médias? Que je sache, on ne peut qu'exiger de plus grands investissements et de meilleures informations, y compris les émissions d'affaires publiques, si on a le financement voulu. Cela semble indissociable. Les chiffres EBITDA m'ont rassuré. Le cours des actions est moins glorieux, mais EBITDA semble fiable et capable d'assurer le service des niveaux d'endettement existants. Que pensez-vous du régime actuel; est-il utile ou dommageable, et comment peut-il être amélioré?

M. Casey: Ces gens sont dans l'industrie du spectacle et il n'y a pas de spectacle s'il n'y a pas d'industrie et il n'y a pas d'industrie s'il n'y a pas de spectacle. Ce sont des entreprises axées sur le profit qui ont besoin d'attirer des lecteurs et des téléspectateurs. Il en sera toujours ainsi. On peut dire gentiment que ce sont des gens d'affaires pragmatiques. De façon plus directe, on pourrait dire qu'ils sont illogiques: les règles du CRTC qui protègent leurs entreprises leur plaisent alors que celles qui restreignent leur capacité de croissance leur déplaisent. Je ne suis pas un expert dans le domaine de la politique publique. Je ne sais pas comment le fait de déréglementer le CRTC aidera ces entreprises, mais du point de vue des investissements, il se trouve que l'assouplissement de la réglementation fera ressortir la valeur. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de victimes. Certaines entreprises bénéficient davantage de la réglementation que d'autres, mais en règle générale, une diminution de la réglementation améliorera la valeur économique. Je ne peux pas dire quels effets cela aura sur la politique publique.

Mme Horan: Dans une large mesure — mes propos visent surtout la télévision parce que c'est là qu'il y a le plus de règlements — le contenu canadien est le coût à payer pour faire des affaires. On le voit dans les marges, plus étroites au Canada qu'aux États-Unis. Il y a une protection réglementaire permettant de compenser ce phénomène, et il est difficile de dire quel est le bon équilibre. Je crois que l'optique du marché des capitaux est important étant donné que des particuliers soutiennent financièrement ces entreprises et que la disparition de cette source de financement n'aiderait pas l'industrie. Les investisseurs détestent l'incertitude et ils veulent compter sur un environnement réglementaire prévisible. Lorsque qu'ils peuvent compter sur un environnement stable, les gens d'affaires peuvent prendre des décisions à l'avenant pour le bien-être de leur entreprise, et les investisseurs peuvent en apprécier la valeur.

Un environnement réglementaire changeant augmente le profil de risque, décourage les investissements et accroît le coût du capital.

Le sénateur Eyton: En gros, quelles sont vos recommandations relativement à l'acquisition, à la vente et à la conservation relativement aux entreprises dont il est question ici?

M. Casey: Nous croyons que le secteur a bénéficié de la récente reprise. Compte tenu de ce qui semble être une reprise à demi-vitesse, nous croyons que certaines actions vont prendre de la valeur.

Mme Horan: Posez-vous cette question pour voir si nos commentaires sont partiaux ou pour un investissement personnel?

Le sénateur Eyton: Non, je voulais savoir ce que vous pensiez de l'industrie dans une optique financière. On parle de conservation ou d'acquisition dans certains cas, est-ce exact?

Mme Horan: Il s'agit de savoir où se situe l'industrie et ce que pense l'investisseur de l'industrie, c'est ce qui peut créer une occasion d'investissement. Dans son ensemble, l'industrie semble fermement engagée dans la voie de la reprise. On observe une croissance raisonnable de la publicité et la gestion continue de s'attacher aux coûts. Dans certains cas, cela se reflète avec précision dans le prix des actions et dans d'autres, il y a des occasions à saisir. Certaines sont surévaluées et on cherche à les vendre, mais il ne s'agit pas tant d'un commentaire sur une industrie en difficulté qu'un commentaire sur la valeur.

Le sénateur Day: Vous avez dit que les capitaux propres coûtent plus cher que l'endettement. Pouvez-vous donner des explications?

Mme Horan: On peut regarder la chose sous différents angles, mais prenons par exemple le rendement requis. Habituellement, les entreprises empruntent au taux préférentiel, majoré quelque peu. Disons que ces entreprises obtiennent un taux entre 7 et 9 p. 100. Du point de vue des capitaux propres, le rendement requis est plus élevé que cela. On peut regarder l'effet sur les gains. Le financement par emprunt a souvent un impact moins négatif sur les gains par action que le financement par capitaux propres de manière à avoir un plus grand nombre d'actions en circulation.

Le sénateur Day: Vous avez dit aussi que le financement par les capitaux propres multipliait les pressions pour l'obtention d'un rendement plus élevé en raison de la dilution de l'avoir des actionnaires?

M. Casey: L'endettement met d'une certaine façon à l'abri des impôts étant donné que les intérêts sont déductibles. Le risque de l'endettement est qu'il constitue un coût fixe et que le secteur est cyclique. Ainsi, lors d'un ralentissement, la capacité relative au service de la dette rétrécit étant donné que l'encaisse subit directement les contrecoups de cette capacité de produire un excédent.

Le sénateur Day: Vous avez dit aussi que les investisseurs pouvaient facilement décider d'investir ailleurs. Les investissements fluctuent. Je crois vous avoir entendu dire que les règlements pouvaient rendre les investisseurs difficiles s'ils estiment que ces règlements peuvent altérer la capacité des entreprises de réaliser les profits escomptés. Ayant en tête les commentaires du sénateur Eyton au sujet du CRTC et de sa décision de ne pas intervenir dans le réseau Internet, nous tentons de voir si cette décision est bonne, à savoir s'il devrait y avoir une intervention réglementaire et si oui, à quel égard. Êtes-vous en train de nous dire que nous devrions être très prudents du fait que toute réglementation pourrait inciter les investisseurs à investir ailleurs?

Mme Horan: Ce n'est pas que tous les règlements sont mauvais. Toutefois, si les investisseurs ont l'impression qu'une décision réglementaire est prise sans égard aux profits, ils ne voudront pas intervenir parce que cela ne va pas dans le sens de leurs intérêts.

Le sénateur Day: Pour revenir au commentaire du sénateur Gustafson au sujet de la fragmentation de l'auditoire, dites-vous que cela, dans une certaine mesure, suscite la convergence de divers médias?

Mme Horan: Le regroupement.

Le sénateur Day: Le regroupement de manière à atteindre l'auditoire et obtenir les dollars publicitaires qui génèrent les profits?

Mme Horan: Oui.

Le sénateur Day: Vous avez mentionné le jeu comme un des aspects de la fragmentation. Je suis d'accord avec mon collègue qui dit que le jeu est extrêmement populaire auprès des jeunes. Voyez-vous les médias se tourner vers le jeu ou en venir là dans l'avenir?

M. Casey: Les entreprises canadiennes n'ont pas les capitaux nécessaires pour aller dans cette direction. On parle de Sony et de Microsoft. Les Canadiens ne peuvent pas jouer dans cette ligue.

Le sénateur Day: Qu'advient-il des médias canadiens à cet égard?

Mme Horan: À l'heure actuelle, le publicitaire ne peut pas dépenser de façon efficace dans ce domaine. Il sera difficile de diriger des dollars publicitaires canadiens vers le jeu parce qu'il s'agit d'un produit plus mondial.

La bonne nouvelle est que les publicitaires canadiens ont encore besoin d'atteindre les gens et que ces dollars sont toujours là. Les publicitaires doivent se contenter d'atteindre un moins grand nombre de gens.

Le sénateur Day: De gros dollars publicitaires attendent d'être investis. Vous avez mentionné Napster, et cela a fonctionné parce qu'ils n'avaient pas de droits d'auteur à payer. Ce modèle évolue sur Internet et il y aura probablement des modèles dans le domaine du jeu qui auront diverses sources de revenus. Êtes-vous d'accord avec cela? Dans ce monde numérisé, des modèles d'entreprise ayant des sources de revenus auxquelles nous ne pensons pas actuellement ne manqueront pas de surgir.

M. Casey: Absolument, mais là encore, ce secteur a des besoins de capitaux pour la construction de plates-formes, l'élaboration de jeux et de contenu qui dépassent de loin les ressources en capital des entreprises médiatiques intérieures. Cela n'exclut toutefois pas une réussite individuelle.

Le sénateur Merchant: Je ne peux pas cacher ma frustration. Je suis originaire de la Saskatchewan, marché très restreint, et j'estime que ce modèle axé sur les profits dont nous discutons ce matin ne sert pas très bien le public. Selon moi, les grandes sociétés médiatiques sont axées sur le profit à court terme et non pas sur la valeur à long terme. Elles tuent la programmation locale, qui coûte cher, et favorisent la programmation nationale, bon marché, même si cela va à l'encontre des intérêts locaux et des valeurs communautaires. Elles tuent les petites entreprises. Je crois que les petites entreprises ont parfois de bonnes idées et ne recherchent pas le profit. Elles n'ont pas à réaliser d'énormes profits ou à satisfaire leurs actionnaires. Les grandes sociétés desservent les intérêts des petites communautés et des petits radiodiffuseurs qui, eux, servent les intérêts de leurs propres communautés et en reflètent les valeurs. Que pensez-vous de cela?

Mme Horan: C'est une énigme. Dans une certaine mesure, il y a un besoin pour une programmation locale minimale telle que les informations locales, par exemple, et dans certains cas, surtout dans le cas des plus grands marchés, pour la production d'interviews-variétés de type magazine.

Vous avez dit que le modèle d'entreprise axée sur le profit ne sert pas très bien les intérêts communautaires. D'abord, c'est le modèle du marché libre, c'est-à-dire que des personnes investissent leur argent pour créer une entreprise et qu'ils veulent réaliser des profits plutôt que d'essuyer des pertes. C'est un peu ce que vise la CBC: être moins axée sur le résultat. Le gouvernement la subventionne. Si on ne peut vivre avec le modèle d'entreprise axée sur le profit, il faut créer un modèle non axé sur le profit et c'est ce modèle communautaire qui ne justifie pas une programmation axée sur la rentabilité.

Le sénateur Merchant: En raison d'un resserrement des fonds, la CBC ne peut plus desservir certains marchés. On a des gens qui ne sont pas familiers avec certains domaines. Cela est impersonnel même à ce niveau.

M. Casey: Selon moi, les entreprises médiatiques locales ont le droit d'occuper ce créneau. Les radios locales devraient pouvoir intervenir dans ces domaines. Un des domaines où l'on investit des capitaux est celui de la publication dans des communautés où l'on publie un journal trois ou quatre fois par semaine. Il s'agit d'une publication axée sur la publicité. Ces entreprises croissent beaucoup plus rapidement que les quotidiens, mais on ne peut imposer une solution à un marché mal desservi en raison d'inefficacités structurelles. Les publicitaires n'ont tout simplement pas intérêt à financer une station de télévision locale dans certains marchés. Les médias locaux canadiens survivront et prospéreront en diffusant des histoires canadiennes que les Canadiens veulent entendre, que ce soit dans un journal, à la radio ou à la télévision. Je ne vois pas comment on peut réglementer cela.

Mme Horan: Dans une certaine mesure on peut créer des subventions ou encourager les investissements dans la programmation locale en donnant des crédits d'impôt au publicitaire qui soutient davantage la programmation communautaire ou créer des incitatifs à l'intention des radiodiffuseurs, mais au bout du compte, on a toujours un modèle axé sur le profit. On ne peut réglementer ce marché de façon efficace, mais un gouvernement peut offrir des incitatifs.

Le sénateur Merchant: Nous avons un journal local à Regina, mais il a deux pages. Les gens l'achètent pour la nécrologie.

Le sénateur Day: Vous avez dit que la production de journaux communautaires est un segment à croissance rapide. Avez-vous effectué ou lu une analyse à l'effet que les grandes entreprises médiatiques s'installent dans ce créneau ou est-ce plutôt le fait de petits entrepreneurs?

Mme Horan: Oui, c'est le cas. Cela alimente partiellement la croissance. Lorsqu'il s'agit de petits entrepreneurs, il est très difficile pour les publicitaires en tant que groupe d'injecter des fonds importants. Les gros joueurs sont Torstar, Transcontinental et Osprey. Il y en d'autres comme Black Press, en Colombie-Britannique. On assiste à un regroupement de cette propriété, si bien que quelqu'un qui souhaite couvrir le sud de l'Ontario appelle Torstar. Pour couvrir les provinces de l'Atlantique ou le Québec, on appelle Transcontinental. Osprey est de plus en plus présent dans le paysage publicitaire ontarien. Cela rend plus efficace le transfert de dollars dans les journaux communautaires.

Le sénateur LaPierre: Je trouve déconcertant que l'on nous dise que les radiodiffuseurs privés ne reçoivent pas de subventions. Les Canadiens fournissent une grande partie des fonds consacrés au contenu par des radiodiffuseurs privés. On parle de millions de dollars. Les radiodiffuseurs paient les droits de licence les moins élevés dans le monde occidental pour les émissions qu'ils produisent. Ils ne dépensent pas l'argent pour la seule raison que le CRTC les oblige à avoir un nombre d'heures donné. Le CRTC devrait leur dire qu'une marge de leur profit devrait être consacrée à cela, et le problème serait réglé.

La présidente: Ce sont de belles théories, mais elles ne concernent pas le domaine d'expertise de nos témoins aujourd'hui.

M. Casey: Nous savons que les émissions à contenu canadien, à l'exception des informations et des sports, font perdre de l'argent aux radiodiffuseurs canadiens car elles ne sont regardées par personne.

La présidente: Je voudrais que nous jetions un coup d'œil à la diapositive de Mme Horan, à la page 6. Il y est question des revenus publicitaires. Sauf pour ce qui est de la télévision spécialisée, pour laquelle les chiffres semblent élevés car la croissance commence pour ainsi dire à zéro, il n'y a rien d'extraordinaire. Diriez-vous que cette croissance des revenus est basée sur le volume ou les taux?

Mme Horan: C'est une combinaison des deux, en dollars non indexés, non pas en dollars réels. On a des hausses de taux. Les hausses de taux visant la télévision aux heures de grande écoute sont beaucoup plus élevées que cela, mais elles sont contrebalancées par les pressions qui s'exercent sur les émissions présentées le jour. C'est une combinaison des deux. Pour la télévision, on parle de taux étant donné que la quantité de publicité est limitée. Pour les journaux, on a une croissance du volume au fil du temps.

M. Casey: Ces entreprises existent depuis pas mal d'années. Elles sont bien établies et elles dépassent encore la croissance économique moyenne avec un modèle qui n'est pas capitalistique. Ce sont des entreprises encore attrayantes.

Le président: Nous avons entendu des témoignages contradictoires. L'ancien éditeur du Ottawa Citizen nous a dit que les journaux locaux sont rentables — et il parlait de journaux comme le Ottawa Citizen ou le Winnipeg Free Press par opposition à des journaux nationaux.

Un professeur nous a dit par contre que l'industrie de la presse n'était pas rentable et je voudrais savoir ce qu'il en est. J'ai une préoccupation constante relativement aux journaux en ce qui concerne la notion de diffusion, le fait que le nombre d'électeurs a diminué au cours des dernières années et les annonceurs essaient de convaincre des électeurs. À quel moment cette stratégie ne fonctionne-t-elle plus — ou y a-t-il un moment où cela se produit — et les annonceurs disent qu'on leur fait payer trop cher alors que le nombre de lecteurs diminue et il serait préférable pour eux d'acheter plus de publicité sur des chaînes spécialisées? Est-ce là un problème que vous prévoyez à l'avenir?

M. Casey: Je suis d'accord avec le chef d'entreprise plutôt qu'avec l'universitaire. Les preuves sont là. Un journal urbain grand format, ce dont nous parlons en l'occurrence, a un concurrent sur le marché — généralement un journal de petit format — et ces deux journaux attirent des lecteurs différents et des annonceurs différents. Ces entreprises sont extrêmement rentables si elles sont bien administrées.

Le président: Qu'entendez-vous par «extrêmement rentables»?

Mme Horan: Un journal de grande ville aura une marge bénéficiaire de plus de 20 p. 100 durant une année moyenne.

M. Casey: Cela représente 20 p. 100 de dizaines ou de centaines de millions de dollars de revenus peut-être et là encore, l'entreprise n'a pas besoin de réinvestir beaucoup d'argent dans l'impression de son journal.

Le président: Est-il question d'un excédent brut d'exploitation de plus de 20 p. 100?

Mme Horan: Oui, le Toronto Star a une énorme infrastructure; il crée du contenu. Lorsque vous dépensez moins pour le contenu et faites davantage appel aux sources de nouvelles, vos profits peuvent augmenter et des marges de 30 p. 100 sont raisonnables pour les petits journaux locaux.

M. Casey: Vous risquez de vous couper de vos lecteurs fidèles si vous poursuivez cette stratégie avec trop de vigueur.

Mme Horan: Il y a un équilibre. Étant donné la concurrence qu'on retrouve sur le marché torontois, beaucoup d'investissements sont faits dans le Toronto Star et il serait difficile de porter ces marges au niveau de celles qu'on retrouve sur d'autres marchés, où un journal fait face à beaucoup moins de concurrence. Les journaux communautaires — pas tous — peuvent obtenir des marges de plus de 40 p. 100. Je trouve difficile à croire qu'une personne puisse affirmer que les journaux en général ne sont pas rentables.

M. Casey: Je suis sûr qu'il y en a qui perdent de l'argent, comme dans tout autre secteur, mais il est clair qu'il s'agit d'une industrie rentable.

Mme Horan: Certains journaux se sont placés dans une situation difficile en laissant leurs coûts augmenter de façon très marquée. PacPress, à Vancouver, qui possède le Vancouver Sun et le Province, est un exemple clair de cela. Les intéressés n'ont pas tenu compte de la concurrence à laquelle ils étaient confrontés et ils ont laissé leurs coûts monter. On peut se demander comment ils ont pu perdre de l'argent avec le monopole que leur confèrent leurs deux journaux dans une ville. Ils n'ont pas su contrôler leurs coûts et leur nombre de lecteurs a diminué.

En ce qui concerne l'auditoire de masse, les annonceurs paient bel et bien plus pour moins. Ce n'est pas simplement dans le secteur des journaux, mais également dans le monde de la télévision. On a signalé à de multiples reprises que la télévision conventionnelle, qui a déjà été regardée par plus de 80 p. 100 des gens, se situe maintenant en dessous des 50 p. 100, mais elle continue d'attirer une partie importante des sommes consacrées à la publicité. Vous vous demandez si les annonceurs ne vont pas à un moment donné se tourner vers les médias moins coûteux et dans une certaine mesure, cela se produit. Il y a une correction sur le marché. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles les annonceurs paient davantage pour rejoindre un auditoire de masse. Si vous lancez une campagne et que vous voulez qu'elle ait un impact, vous avez besoin d'un auditoire de masse. Je vais utiliser la télévision comme exemple. Vous pouvez rejoindre un million de personnes avec une annonce ou 100 000 personnes chaque fois avec dix annonces, mais il y a certaines choses que vous devez garder à l'esprit. Tout d'abord, vos dix annonces ne pourraient bien rejoindre qu'un auditoire unique de 100 000 personnes chaque fois. Vous pouvez rejoindre une personne dix fois. Vous avez peut-être agacé cette personne à la fin de la campagne parce que vous n'avez pas contrôlé la fréquence. De plus, il faut un peu plus de temps pour que ces dix annonces sortent. Dans le cadre de toute promotion où le facteur temps est important, comme un lancement, une campagne politique ou une vente, il n'est pas efficient de procéder de cette façon.

Le président: Même si l'auditoire de masse diminue, c'est encore la chose la plus importante sur le marché et c'est ce que vous achetez en fin de compte?

M. Casey: Lorsqu'on essaie d'analyser la viabilité de l'industrie de la presse selon moi, on peut supposer qu'elle survivra encore longtemps.

Le président: Merci. Cela a été fascinant.

La séance est levée.


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