Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 16 - Témoignages du 28 octobre 2003
OTTAWA, le mardi 28 octobre 2003
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits, et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, au public ainsi qu'à nos témoins. Au cours de cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications nous allons poursuivre notre examen du rôle de l'état actuel des médias d'information canadiens et du rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualités à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés, dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années — notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration accrue de la propriété.
[Français]
Aujourd'hui, nous accueillons M. Luc Lavoie qui comparaît au nom de Quebecor où il est vice-président exécutif des affaires corporatives. Ses longues expériences dans les secteurs publics et privés ainsi qu'aux médias sont décrites dans les notes biographiques qu'ils nous a fournies.
Beaucoup de sénateurs n'ont pas besoin des notes biographiques dans le cas de M. Lavoie parce qu'il a passé de longues années sur la Colline et il est très connu. Il nous fait plaisir de vous accueillir.
M. Luc Lavoie, vice-président exécutif, Affaires corporatives, Quebecor inc.: C'est un plaisir pour moi de me retrouver parmi vous. C'est dans cet immeuble où j'ai fait mon premier pas. J'ai travaillé 21 ans à Ottawa et c'est toujours un plaisir d'y revenir.
[Traduction]
Je reconnais de bons amis comme le sénateur Graham autour de cette table. Merci de m'accueillir.
[Français]
Depuis sa création, il y a maintenant 53 ans, la petite compagnie qui possédait un hebdo de quartier dans la région de Montréal est devenue une des seules multinationales canadiennes active dans plus de 20 pays au monde, avec plus de 50 000 employés et des revenus qui dépassent maintenant 12 millions de dollars annuellement. Cette croissance phénoménale s'explique par une approche logique à laquelle la compagnie n'a jamais déviée; l'intégration verticale.
Le petit hebdo de quartier a donné naissance à de nombreux autres hebdos et, rapidement, Quebecor s'est spécialisé dans les hebdos dits artistiques. Ce faisant elle a donné une voie et un véhicule à un nouveau phénomène que l'on tient aujourd'hui pour acquis le fameux «Star System» québécois.
Après la guerre les Québécois consommaient, à quelques exceptions près, la même culture que les autres Canadiens. Ils se divertissaient en écoutant Frank Sinatra, Bing Crosby et Vera Lynn pour ne nommer que ceux-là.
Ils allaient au cinéma voir des films mettant en vedette Cary Grant, Clark Gable, Grace Kelly et Esther Williams. Comme je le mentionnais, il y avait des exceptions mais elles étaient rares.
À partir de la fin des années 50, des vedettes typiquement québécoises ont commencé à faire leur apparition. Je regardais récemment, sur les ondes de TVA, un épisode de la magnifique série Musicographie, consacrée au phénomène Michel Louvain. C'était fascinant de voir les Québécois découvrir à cette époque que les leurs pouvaient aussi être des chanteurs de charme. Je ne sais pas s'il serait historiquement exact de dire que le phénomène Michel Louvain a été le point de départ du Star System québécois, mais je crois que l'on peut dire sans se tromper, que cette réalité a commencé à véritablement prendre racine au début des années 60, avec l'essor de la télévision d'État et l'arrivée de la télévision privée, Télé-Métropole, pour ne pas la nommer, que nous sommes fiers de compter maintenant parmi nos filiales.
Pierre Péladeau, cet entrepreneur de génie qui a fondé Quebecor, a compris que ce phénomène n'était pas passager et que les fans de la culture populaire québécoise ne seraient pas différents de leurs voisins du Sud et qu'ils voudraient en savoir davantage sur leurs vedettes. C'est ainsi qu'il a créé tous ces hebdos artistiques qui ont servi de courroie de transmission à tant d'artistes québécois. Que l'on pense à Pierre Lalonde, Donald Lautrec, Michèle Richard, Renée Claude et tant d'autres, qui ont bercé notre jeunesse de leurs inoubliables mélodies, écrites par des auteurs comme Stéphane Venne, que Quebecor est fier d'avoir ramené à l'avant-scène en 2003 en donnant une seconde vie, considérablement plus flamboyante que la première, à la magnifique chanson qu'il a écrite il y a 33 ans Et c'est pas fini, laquelle a récolté le Félix de la chanson de l'année lors du Gala de L'ADISQ diffusé avant-hier sur les ondes de Radio- Canada. Il y avait de l'émotion dans l'air quand Stéphane Venne s'est avancé au micro pour parler de sa résurrection artistique.
Ces hebdos artistiques avaient besoin d'un imprimeur fiable et Pierre Péladeau était de ceux qui croyait fermement dans le vieux dicton populaire qui veut que «on est jamais si bien servi que par soi-même». Il s'est graduellement lancé dans l'imprimerie. Puis ce fut le lancement d'un nouveau quotidien, Le Journal de Montréal, un tabloïd qui s'adressait au même public cible. Du coup, ses besoins en imprimerie ont considérablement augmenté et sa filiale imprimerie a connu une croissance rapide. Cette filiale imprimerie s'appelle aujourd'hui Quebecor World et elle est le premier imprimeur commercial au monde. Elle imprime les propriétés de Quebecor, ses quotidiens, ses hebdos, ses magazines, les livres des auteurs québécois publiés par ses maisons d'édition, mais également le magazine Time, le Paris Match, le catalogue multilingue de IKÉA, l'annuaire téléphonique de la plus populeuse ville du monde, Mexico, le plus grand succès de librairie des dernières décennies, Harry Potter, et cetera.
Ces hebdos, ces quotidiens, ces magazines avaient besoin d'un distributeur. Les Messageries Dynamiques sont nées. Ces imprimeries avaient besoin de papier et Quebecor s'est lancée dans la production de papier en faisant de Donohue la plus efficace des entreprises de pâtes et papiers au monde, avant de la revendre à Abitibi Consolidated pour le plus grand bénéfice des milliers d'épargnants qui ont crû dans notre entreprise en y investissant.
Dans les années 80, alors que l'industrie de la câblodistribution était en pleine expansion, M. Péladeau avait sérieusement songé à y investir et ce n'est qu'après son décès que Quebecor, sous la gouverne de son successeur, M. Pierre Karl Péladeau, et respectant en cela la logique de développement et de croissance de l'entreprise, a profité du fait qu'une autre famille d'entrepreneurs québécois avait décidé de se départir du premier câblodistributeur au Québec et troisième au Canada, pour réaliser ce projet. Moins d'un an avant son décès, l'entreprise de Pierre Péladeau s'était portée acquéreur du troisième réseau de télévision généraliste du Québec, Télévision Quatre Saisons, poursuivant en cela la même logique de développement et de croissance qui l'avait guidé depuis le début et que l'on appelait à l'époque, l'intégration verticale. En passant, je veux souligner qu'au moment de son acquisition, Télévision Quatre Saisons, avait une part de marché ridiculement basse, n'avait jamais généré de profit et en était au dépôt de bilan. Lorsque Quebecor s'en est départie quatre ans plus tard, ce réseau, rebaptisé par Quebecor, TQS, — Le mouton noir de la télévision —, avait presque doublé ses parts de marché. Il était au seuil de la rentabilité et il avait ajouté à la diversité des voix éditoriales en faisant de son bulletin de nouvelles de fin de journée, un incontournable de l'information.
Pendant l'euphorie boursière de la fin des années 90, un nouveau «buzz word» a fais son apparition dans le jargon des financiers et des médias, la convergence. Ce concept, finalement assez flou, devait être la panacée. Il devait marier contenant et contenu et permettre une prospérité sans fin à ceux qui avaient eu le courage de s'y lancer aveuglément. Un grand groupe français multicentenaire, spécialisé dans la gestion des aqueducs, s'y est cassé les dents. Notre grand monopole canadien de la téléphonie y a investi des milliards, générés par sa mainmise sur les télécommunications canadiennes et toutes sortes d'autres groupes s'y sont lancés à diverses échelles avec des degrés de succès ou d'échecs variables.
Quebecor a bien su s'y faire: ce qu'elle avait appelé depuis sa fondation, l'intégration verticale, était devenu la convergence. Cela ne l'a pas empêché de poursuivre sa route. En 1998, elle se portait acquéreur de Sun Média. Le mariage des journaux de Quebecor avec ceux de cette chaîne nouvellement acquise, faisait de nous le deuxième plus grand éditeur de journaux au Canada.
En 1999, elle faisait l'acquisition de l'entreprise américaine World Color Press, ce qui lui permettait de devenir le numéro 1 mondial dans l'imprimerie commerciale.
En 2000, elle se portait acquéreur de Groupe Vidéotron, ajoutant à son portefeuille d'actifs, un grand câblodistributeur, le plus important réseau privé de télévision francophone en Amérique, une société Internet, une autre de télécommunication d'affaires et quelques magazines à fort tirage.
Conformément à son cycle de croissance, Quebecor est alors entrée dans une phase de consolidation, laquelle a malheureusement coïncidé avec l'effondrement des marchés boursiers, ce qui a rendu cette phase plus douloureuse que nous l'aurions souhaité. Néanmoins, son expérience acquise au fil de cinq décennies d'existence et de croissance par acquisition, lui a permis de traverser cette période de «vents mauvais» — pour reprendre une magnifique figure de style de Stéphane Venne qui l'avait probablement lui-même emprunté à Verlaine — mieux que la plupart de ses concurrents.
Aujourd'hui, Quebecor s'appuie sur deux piliers, Quebecor World et Quebecor Média. Cette structure bicéphale offre aux investisseurs une meilleure stabilité, que les dernières années ont permis de bien illustrer. Pendant que nous procédions au redressement et au repositionnement stratégique des entreprises acquises dans la transaction Vidéotron, Quebecor World poursuivait sur sa lancée et dégageait des marges bénéficiaires exceptionnelles. Maintenant que Quebecor World traverse une période plus difficile, attribuable à un ralentissement et à un lent redémarrage de l'économie américaine, Quebecor Média a atteint sa vitesse de croisière.
Venons-en maintenant au sujet qui intéresse votre comité et que j'appellerai la gestion de l'information au sein de Quebecor Média. Chez nous, il n'y a jamais eu de tentative ou même de désir de gérer l'information de façon centralisée. Le réseau TVA compte sur une équipe éditoriale d'une exceptionnelle qualité et les auditeurs semblent du même avis que nous puisque chaque jour, c'est dans une très grande proportion qu'ils choisissent de s'informer à TVA et à LCN. La direction de l'information de TVA, dont la compétence fait l'unanimité, jouit d'une totale liberté dans ses choix éditoriaux. Les journalistes de sa salle de rédaction n'ont qu'une obligation; le professionnalisme dans le respect des plus rigoureuses règles d'éthique.
De même, Le Journal de Montréal, notre navire amiral au Québec, et le quotidien le plus lu par les francophones du pays, s'appuie sur une salle de rédaction qui fait la fierté de Quebecor. Au cours des dernières semaines, des enquêtes journalistiques percutantes ont servi à exposer l'imposture d'une secte ridicule et la réalité des minorités visibles dans une société qui se veut multiculturelle. Nos chroniqueurs, que ce soit Michel C. Auger, Bertrand Raymond ou Franco Nuovo, sont des références dans la profession. Tout comme leurs confrères ou consœurs du Journal de Québec, les journalistes du Journal de Montréal sont de grands professionnels qui exercent leur profession dans la plus totale liberté. La même approche s'applique dans tous les journaux de la chaîne Sun.
Lorsqu'en 1997, Quebecor s'est porté acquéreur de TQS, elle a pris l'engagement, auprès du CRTC, de créer une étanchéité totale entre les salles de rédaction de ses journaux et de son réseau de télévision. Un comité de surveillance, imputable au CRTC, a été créé pour garantir cette indépendance. Lors de l'acquisition de TVA, Quebecor a pris l'initiative de proposer au CRTC d'appliquer le même concept d'étanchéité entre les salles de rédaction et, encore une fois, accepter de soumettre cet engagement à la surveillance d'un comité indépendant. Jusqu'ici, il s'est avéré que Quebecor a scrupuleusement respecté ses engagements à cet égard. Ce concept d'étanchéité des salles de rédaction est unique au Canada et ne s'applique à aucun autre groupe dit de «convergence».
Quebecor est une entreprise qui croit à la liberté d'expression, à la liberté de presse, et qui n'hésite pas à s'en remettre à des professionnels de l'information pour offrir à ses lecteurs et auditeurs un produit d'une exceptionnelle qualité.
Non seulement les dirigeants de l'entreprise croient profondément qu'une société démocratique doit s'appuyer sur une presse libre, mais la direction de l'entreprise a compris il y a longtemps que c'est dans son intérêt d'agir ainsi. C'est dans son intérêt d'agir ainsi parce que cette approche hautement décentralisée permet aux différentes composantes du groupe d'offrir un produit d'une telle qualité que les chiffres démontrent, de façon éclatante, que c'est chez nous que la majorité des citoyens choissent de s'informer. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
[Traduction]
Le sénateur Graham: M. Lavoie est un vieil ami. Je suis ravi de vous revoir sur la Colline.
Nous sommes impressionnés par les avoirs et les activités de Quebecor dans le monde puisqu'il s'agit d'une entreprise dont le siège social est au Canada. Vous comparaissez aujourd'hui en tant que vice-président exécutif de Quebecor Inc. Est-ce la société-mère ou la société de portefeuille?
M. Lavoie: C'est la société de portefeuille.
Le sénateur Graham: De Quebecor World et Quebecor Média?
M. Lavoie: C'est exact, oui.
Le sénateur Graham: Notre ami, l'ancien premier ministre Brian Mulroney, est président de Quebecor Inc., de Quebecor World ou des deux?
M. Lavoie: Le très honorable Brian Mulroney est président du conseil d'administration de Quebecor World, l'imprimerie de Quebecor. Il est également membre du conseil d'administration de Quebecor Inc. et membre du conseil de Quebecor Média.
Le sénateur Graham: Vous êtes propriétaire de la chaîne Sun Media, qui publie huit quotidiens, si je ne m'abuse. Avez-vous une idée du tirage total de ces huit quotidiens?
M. Lavoie: Je devrais le savoir, mais je ne le sais pas. À Montréal, notre tirage est d'environ 300 000 par jour pendant la semaine. À Toronto, le tirage est d'environ 260 000. À Québec, c'est d'environ 140 000.
Le sénateur Graham: Et à Ottawa?
M. Lavoie: À Ottawa, je pense que c'est environ 65 000, mais je peux me tromper.
Le sénateur Graham: Récemment, vous avez essayé d'acheter des stations de radio francophones au Québec. Le CRTC vous en a empêchés en refusant d'approuver la transaction parce qu'il avait des réserves au sujet de la concentration et de la propriété multi-média.
D'autres témoins qui ont comparu devant notre comité et ailleurs ont dit que ce refus est le signe d'une lutte de pouvoir entre le CRTC et le Bureau de la concurrence pour savoir lequel de ces deux organismes devrait avoir compétence sur ces questions dans le domaine de la radiodiffusion. Qu'en pensez-vous?
M. Lavoie: Sauf votre respect, sénateur Graham, il est difficile pour moi de répondre à cette question. Le CRTC a décidé de refuser de nous octroyer des licences pour ces stations radiophoniques. Il a invoqué dans les motifs de sa décision que les avantages de notre proposition ne l'emportaient pas — je crois que c'est ce qu'il a dit — sur ce qui lui apparaissait comme les inconvénients d'une plus forte concentration.
À part cela, je suis bien au courant du débat, mais j'estime que je suis mal placé pour en parler. Je ne voudrais pas m'immiscer dans une telle guerre d'influence, à supposer qu'elle existe.
Le sénateur Graham: Puis-je vous demander si vous pensez que le CRTC ou le Bureau de la concurrence devrait avoir la compétence exclusive? Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Lavoie: Si notre demande était approuvée? C'est votre question?
Le sénateur Graham: Non. Le CRTC et le Bureau de la concurrence se chevauchent souvent. Je me demande lequel de ces deux organismes, à votre avis, devrait avoir la compétence exclusive.
M. Lavoie: Bonne question mais long débat. À dire vrai, en ce qui nous concerne, la question ne se pose pas. Il n'y a pas eu de querelle de compétence.
Rappelez-vous les événements qui ont donné lieu à cette transaction, Astral Media a acheté ces stations dans le cadre d'une acquisition plus vaste. Le Bureau de la concurrence a décidé que quelque chose était anormal, et il a demandé à Astral Media de revendre une partie des actifs qu'elle avait acquis.
À la suite de la décision du Bureau de la concurrence, ces stations ont été mises en vente, et Quebecor a fait une offre. Nous n'avons été mêlés à aucune querelle de compétence. J'estime ne pas avoir la compétence voulue pour me prononcer dans un sens ou l'autre en réponse à la question de savoir quel organisme devrait avoir compétence en la matière.
La présidente: Permettez-moi de vous interroger sur certains faits. Si vous avez les réponses, vous pourrez nous les donner. Sinon, vous pourrez nous les faire parvenir plus tard. D'accord?
Combien de journalistes avez-vous à votre service?
M. Lavoie: J'ai vérifié hier. Sun Media a, à une vingtaine d'employés près, 1 000 journalistes ou employés.
J'ai reçu la ventilation ce matin en ce qui concerne TVA. Je suis très sérieux lorsque je dis que nous ne centralisons pas cet aspect de notre entreprise. C'est un fait. D'après les notes que j'ai reçues de TVA ce matin, nous avons 75 employés au réseau principal de Montréal. Nous avons six stations régionales avec 10 employés à Rimouski, 8 à Sherbrooke, 8 à Trois-Rivières, 9 à Chicoutimi et 19 à Québec.
Je n'ai pas la ventilation pour les périodiques.
La présidente: Sun Media?
M. Lavoie: Sun Media a 1 000 employés.
La présidente: Est-ce que cela comprend Le Journal de Montréal?
M. Lavoie: Oui.
La présidente: Cela comprend tous vos quotidiens?
M. Lavoie: Le personnel de rédaction des quotidiens urbains, des quotidiens régionaux et des hebdos chapeautés par Sun Media compte en tout 1 000 personnes, à une vingtaine près.
La présidente: Avez-vous une idée de la tendance qui s'est dessinée? Ces effectifs sont-ils en hausse ou en baisse?
M. Lavoie: Je crois qu'ils sont restés stables.
La présidente: Pouvez-vous vérifier cela sur une période de 10 ans? Choisissez une période assez longue pour éviter les cycles qui sont influencés par le cycle publicitaire. Cela serait utile.
Est-ce que Quebecor ou une section de Quebecor a pris position sur la question des restrictions relatives à la propriété étrangère?
M. Lavoie: Pas vraiment. Nous n'avons jamais pris position publiquement.
La présidente: Avez-vous une opinion à ce sujet?
M. Lavoie: Oui, mais est-ce que mon opinion vous importe?
La présidente: Oui.
M. Lavoie: La propriété étrangère est une notion qui prend un différent lorsqu'on l'applique aux télécommunications ou aux médias. Si vous l'appliquez aux télécommunications, on en conclut très rapidement que le monopole de Bell Canada s'en porte extraordinairement bien. En ce moment, le monopole de Bell Canada dans la téléphonie locale demeure à 99,5 p. 100 dans les territoires qu'elle occupe, en dépit du fait que le Parlement du Canada s'est dit d'avis que ces territoires devraient être ouverts à la concurrence. Le CRTC est du même avis. Et le CRTC a pour vocation de mettre en oeuvre les volontés des représentants que les Canadiens ont élus. Je répète que la restriction relative à la propriété étrangère — en ce qui concerne les télécommunications — est la meilleure chose qui soit jamais arrivée à Bell Canada.
Quand on l'applique aux médias, mon opinion personnelle — et je vais choisir mes mots avec la plus grande circonspection — c'est que cette notion n'a peut-être plus le même sens au XXIe siècle qu'il y a 25 ou 40 ans. Je ne sais plus qui possède quoi et quel effet cela peut avoir sur la qualité du produit, l'éthique et le reste.
Je ne saurais vous dire si le Daily Telegraph est meilleur ou pire du fait qu'il appartient à un Canadien. C'est un bon journal ou pas. Tout cela a très peu à voir avec la citoyenneté du propriétaire ou le passeport qu'il détient. C'est mon opinion personnelle.
Je répète que Quebecor n'a jamais participé à ce débat parce que nous estimons qu'il n'a rien à voir à notre entreprise.
[Français]
Le sénateur LaPierre: Est-ce que vous arriveriez aux mêmes conclusions concernant la Société de langue française du Québec.
M. Lavoie: Je m'excuse, sénateur?
Le sénateur LaPierre: Est-ce que vos opinions sont les mêmes concernant les propriétés étrangères et la Société de langue française du Québec?
M. Lavoie: Pourquoi pas?
Le sénateur LaPierre: Si des compagnies étrangères avaient investi dans Quebecor Média, croyez-vous que vous pourriez remplir la mission que M. Péladeau s'était donnée, celle de donner une voix culturelle au peuple francophone du Québec?
M. Lavoie: Pourquoi ne le pourrait-on pas? Ce qui fait le succès de Quebecor, c'est la qualité de ses produits et le fait que ses produits correspondent aux attentes du marché. Qui en est le propriétaire ultime n'a pas grand-chose à voir. Dans notre cas, la question n'est pas pertinente car il n'y a aucune espèce de doute que le contrôle effectif de la compagnie est entre les mains de Canadiens et de Québécois.
La présidente: Notons tout de suite que vous n'exposez pas la position de la compagnie. Vous l'avez clairement dit et on a bien compris.
M. Lavoie: Non, c'est mon point de vue.
La présidente: Votre position est très intéressante, compte tenu de votre expérience et de votre longue carrière dans le domaine des médias et dans les secteurs public et privé. J'ai plusieurs autres questions mais je vais patienter.
[Traduction]
Le sénateur Merchant: Étant donné que votre entreprise est tellement dominante dans le marché médiatique au Québec, et que d'autres entreprises au Canada sont dans une situation semblable, ne craignez-vous pas que peut-être tous les points de vue ne sont pas représentés dans les médias?
M. Lavoie: Non.
Le sénateur Merchant: Mais pourquoi? Ne croyez-vous pas qu'il y aurait peut-être un danger à ce que la même entreprise possède tous les divers moyens d'information?
M. Lavoie: Eh bien, je n'y vois sûrement pas de danger aujourd'hui. Je vis à Montréal. Lorsque je me réveille le matin, je peux recevoir chez moi le Journal de Montréal, La Presse, Le Devoir, la Gazette, le Globe and Mail et le National Post. Avant de partir pour le bureau, je peux faire un arrêt au bureau principal du journal et lire tout le reste sur l'Internet. Je peux allumer la télévision et regarder toutes les chaînes d'actualité de Radio-Canada et de TVA, et je peux aussi regarder Newsworld et CTV news. Je peux regarder toutes les émissions du matin.
J'ai 48 ans, et je n'ai jamais été exposé dans ma vie à autant de sources de nouvelles. Si je compare cela à la situation d'il y a 25 ans, je ne crois pas qu'on ait réduit le nombre de sources d'actualités. J'en vois plus qu'avant. Je reçois plus de nouvelles que jamais auparavant. Non, dans l'état actuel des choses, je n'éprouve pas cette crainte.
Le sénateur Tkachuk: Monsieur Lavoie, à votre avis, le CRTC est-il nécessaire?
M. Lavoie: Oui, je le crois.
Le sénateur Tkachuk: Et pourquoi?
M. Lavoie: Je crois que les ondes appartiennent à tous les Canadiens, et que lorsqu'un radiodiffuseur reçoit une licence, c'est un privilège qu'on lui accorde. Quelqu'un doit servir d'arbitre pour décider qui diffusera quoi sur quelle longeur d'ondes et ainsi de suite, au minimum.
Le sénateur Tkachuk: Les ondes pourraient-elles être vendues aux enchères?
M. Lavoie: C'est une notion à laquelle on peut réfléchir, mais je crois que nous aurons quand même besoin d'un organisme de réglementation. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où tout le monde pourrait dire n'importe quoi sur les ondes au Canada. On ne veut pas que le système de radiodiffusion public soit à la merci d'une bande de cinglés — et par le mot «public», je n'entends pas la radiotélévision d'État; je parle du système de radiodiffusion public dans son ensemble — qui diffuseraient n'importe quelles sornettes. À cet égard, le Canada ne diffère nullement des États-Unis et de la plupart des autres pays occidentaux, quant à cela.
Le sénateur Tkachuk: Vous dites par conséquent que le CRTC devrait servir de véhicule pour la vente des ondes, ou pour donner à quelqu'un la permission d'utiliser les ondes, et s'assurer ainsi qu'on ne s'en serve pas pour répandre de la propagande haineuse ou des choses de ce genre.
M. Lavoie: Au minimum, oui.
Le sénateur Tkachuk: Si quelqu'un veut lancer une chaîne de nouvelles, et que le CRTC juge que ce requérant est sain de corps et d'esprit, qu'il a les moyens financiers voulus, et qu'il est entouré de gens d'affaires compétents, pourquoi ne pourrait-il pas le faire?
M. Lavoie: Jusqu'à présent, le CRTC a fait preuve d'ouverture d'esprit ce qui ne m'a jamais amené à voir ainsi les choses. Les gens qui ont des projets honorables, respectables et intéressants méritent de se voir octroyer une licence, et je crois que ces groupes les ont bel et bien obtenus.
Je m'inquiéterai du genre de situation que vous décrivez quand je m'y trouverai confronté lorsque je me trouve face- à-face avec elles, mais ça ne m'est jamais arrivé jusqu'à présent. Le CRTC a traditionnellement fait un travail superbe. Il est sûr que je pourrais critiquer certaines décisions, et il se peut que je ne sois pas d'accord avec telle ou telle décision, mais d'une manière générale, le CRTC a été un excellent organisme de réglementation si on le compare à des instances semblables dans la plupart des autres pays du monde. J'ajoute que le système de radiodiffusion canadien, et je répète que je ne parle pas de Radio-Canada, qui n'en est qu'un élément important, s'est fort bien débrouillé jusqu'à présent, compte tenu du fait que nous sommes voisins des États-Unis. Nous avons peut-être été inondés par la programmation qui nous vient de là, surtout dans les neuf provinces où l'anglais est la langue de la majorité.
Je vois que nous avons TSN, Newsworld, ESPN, CNN, des chaînes culturelles, etc. Le système canadien, avec tous ses défauts et toutes ses qualités, offre un bon service aux Canadiens.
Le sénateur Tkachuk: Si quelqu'un voulait lancer une chaîne de nouvelles à Edmonton, pourrait-il le faire?
M. Lavoie: Je le suppose.
Le sénateur Tkachuk: C'est ce que voulait faire le Dr Allard il y a déjà un certain nombre d'années. Je me souviens de l'attitude de ses concurrents. Elle n'était fondée ni sur des questions financières ni sur des questions commerciales. Le Dr Allard avait une excellente réputation à Edmonton dans le monde de la télévision.
M. Lavoie: Je me souviens du Dr Allard.
Le sénateur Tkachuk: Son auditoire était plus large que celui de CBC. Pourtant, on lui a refusé sa chaîne de nouvelles sous le prétexte du manque de qualité du format. Pourquoi? Ne serait-il pas aux téléspectateurs de décider ce qu'ils veulent regarder ou ne pas regarder en matière de nouvelles?
Je suis content qu'il y ait le français au Canada; autrement, toutes les émissions distribuées par le câble le seraient à partir de Toronto. Aujourd'hui, il y a quelques distributeurs à Montréal. Tous les autres sont à Toronto.
M. Lavoie: Ce n'est pas tout à fait exact, sauf votre respect. Sauf erreur, Shaw Communications n'est pas à Toronto.
Le sénateur Tkachuk: Shaw est un simple distributeur. Ce n'est pas un radiodiffuseur.
M. Lavoie: Il est aussi dans la radiodiffusion.
Le sénateur Tkachuk: Ils sont tous à Toronto.
M. Lavoie: Je n'en suis pas sûr.
Le sénateur Tkachuk: Pour un Canadien de l'Ouest, le responsable de la réglementation a pour rôle de veiller à la diversité des opinions, de garantir l'accès à cette industrie, de veiller à ce que les règles soient égales pour tous et de veiller à ce qu'il y ait véritable concurrence sur le marché. Je ne nie pas les avantages pour les Canadiens qui sont en concurrence avec les Américains et auxquels le système permet d'entrer dans la distribution ou dans la radiodiffusion.
Cependant, je trouve la concentration sur le marché inquiétante. Le CRTC qui était censé veiller à ce qu'il n'y ait pas concentration l'autorise.
La concentration est culturelle. Actuellement, toutes les chaînes sur le câble viennent de Toronto pour l'est du Canada. On peut regarder TSN, mais j'aimerais pouvoir regarder ESPN. TSN est une chaîne du câble de Toronto. Son contenu me concerne moins qu'il ne concerne Toronto.
Quelle solution?
M. Lavoie: C'est un débat très large. Cela me rappelle, sénateur Tkachuk, que je suis en ce moment à Ottawa. Je ne sais comment vous répondre.
Pour ce qui est du Dr Allard, il faudrait que je lise la décision. Vous savez mieux que moi la raison pour laquelle on lui a refusé une licence.
Nous pourrions passer en revue toutes les décisions du CRTC et être d'accord avec certaines et ne pas être d'accord avec d'autres. Ce que je voulais dire, en fait, c'est que d'une manière générale, les décisions du CRTC ont abouti à un assez bon équilibre.
Vous êtes un grand voyageur. Quand on est à Pittsburg ou à Seattle, on se plaint parfois que tout ce qui passe à la télé vient de New York. Je suppose que quand on est à Lyon, on se plaint que tout vient de Paris. Je pourrais citer toutes sortes d'exemples de ce genre.
Je comprends les frustrations que cela peut créer. Je comprends les racines historiques de vos frustrations, vous les exprimez très bien et avec conviction. Cependant, témoin représentant Quebecor, je ne pense pas que cela soit la tribune opportune pour débattre de ces questions avec vous. Je respecte tout à fait votre point de vue.
Pendant ma carrière à Ottawa, j'ai été chef de cabinet du ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources à l'époque où le gouvernement a décidé — vous vous en souviendrez — d'annuler le programme énergétique national. Je me rendais souvent à Calgary et à Edmonton. Lorsque j'étais consultant, j'avais comme client une compagnie qui s'appelle aujourd'hui EnCana; à l'époque c'était l'Alberta Energy Company. Je peux vous assurer que je comprends ce que vous dites. Je comprends vos arguments. Il m'est arrivé plusieurs fois de discuter de ces questions en prenant un verre avec des Albertains.
Le sénateur LaPierre: Est-ce que Quebecor a un point de vue sur les questions que vient de vous poser le sénateur Tkachuk?
M. Lavoie: Non.
[Français]
Le sénateur Corbin: Pouvez-vous me dire davantage en quoi consiste votre tâche au sein de l'organisation en tant que vice-président exécutif aux affaires corporatives?
M. Lavoie: Cela dépend des jours. Selon la structure corporative, Quebecor inc., mon employeur, est la société de portefeuille qui contrôle les deux autres bras opérationnels que sont Quebecor Média et Quebecor World. La culture d'entreprise de Quebecor est d'être fondamentalement réfractaire à la bureaucratie et au gaspillage que celle-ci entraîne. Le siège social de Quebecor inc. est un endroit qui en étonnerait plus d'un autour de cette table.
Quebecor inc. compte cinq employés. J'ai l'honneur de faire partie de ce groupe. Il y a donc Pierre Karl Péladeau, mon collègue, Jacques Mallette, l'autre vice-président exécutif et chef de la direction financière de Quebecor ainsi que le chauffeur et la secrétaire de M. Péladeau. Nous formons un groupe restreint qui doit travailler au quotidien avec nos diverses filiales pour nous assurer du respect des objectifs budgétaires et des objectifs stratégiques fixés pour chacune des diverses entreprises.
Cela fait certainement partie de ma tâche de participer à ces nombreux débats. Pour vous qui êtes des lecteurs assidus des journaux, vous avez sûrement noté que je suis le porte-parole officiel de la compagnie pour toute question touchant Quebecor, que ce soit des questions financières, réglementaires ou autres. Je suis donc responsable de la politique de communication de la compagnie dans une structure qui, en ce sens, est presque unique au Canada.
Pour une entreprise de la taille de Quebecor, avoir une conception aussi décentralisée de la gestion en fait probablement une entreprise unique. C'est ce qui explique en bonne partie son succès. Je n'ai pas de définition de tâches particulières autres que celles que je viens de vous décrire.
Le sénateur Corbin: Serait-il exact de dire que vous vous occupez surtout des relations publiques?
M. Lavoie: Il ne serait pas faux de dire ce que j'y consacre beaucoup de mon temps.
Le sénateur Corbin: Monsieur Lavoie, vous avez insisté sur l'étanchéité totale des salles de rédaction des journaux et de celles du réseau de télévision. Je ne conçois pas qu'il puisse y avoir étanchéité totale.
Théoriquement et idéalement, cela doit exister mais puisqu'on parle d'une « culture Péladeau », il doit sûrement y avoir un dénominateur commun quant à l'approche que les salles de rédaction indépendantes adoptent, en pratique.
Je regarde rapidement en diagonale l'un ou l'autre de vos journaux et j'ai l'impression d'y détecter un dénominateur commun. En d'autres mots, j'y vois un cachet Péladeau.
M. Lavoie: C'est la clé de notre succès.
Le sénateur Corbin: Oui, mais le succès est une notion relative. Il y a le succès du nombre d'abonnements ou du revenu généré. Je n'entrevois pas nécessairement le succès en ces termes. Vous insistez réellement sur une étanchéité totale?
M. Lavoie: De par les conditions de licence du CRTC, nous sommes soumis à l'étanchéité totale des salles de rédaction de nos journaux et de celles du réseau de télévision TVA. Un comité de surveillance indépendant a été formé pour étudier les plaintes. Il dispose des moyens nécessaires pour nous forcer à répondre à toutes les questions qu'il juge appropriées et il fait rapport au CRTC.
Ce comité a été créé, je le répète, en 1997, lors de l'acquisition de Télévision Quatre Saisons, maintenant TQS, c'est- à-dire de l'automne 97, moment où la licence a été transférée à Quebecor à octobre 2001, moment où on a vendu Télévision Quatre Saisons à un consortium formé de Cogeco et BCE.
Il n'y a eu aucun cas où une plainte a été retenue. Depuis que nous avons obtenu la licence de TVA, à ma connaissance, il y a eu deux ou trois plaintes et aucune n'a été retenue. Nous appliquons de façon extrêmement rigoureuse cette condition de licence parce que, d'une part, c'est nous qui avons pris l'initiative de le proposer — et j'insiste sur le fait que c'est unique au Canada, c'est-à-dire que les autres groupes dits de convergence ne sont pas soumis à cette rigueur de l'étanchéité de la salle des nouvelles. C'est vraiment unique au Canada. Ce sont les conditions de licence et il y va de notre intérêt de faire en sorte qu'elles seront respectées et elles le seront.
Le sénateur Corbin: Vous dites que cette étanchéité n'existe pas ailleurs parce que vous êtes les seuls à vous être engagés au CRTC à cet effet. Mais comment savez-vous, dans la conduite ordinaire des choses, que l'étanchéité n'existe pas ailleurs? En le disant, ciblez-vous un groupe en particulier? Avez-vous quelqu'un en tête? Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons qu'il y a eu des tentatives du groupe Asper pour imposer une espèce d'univocité chez ses affiliés.
Êtes-vous absolument certain que l'étanchéité ne se pratique pas ailleurs? Laissez-moi poursuivre un peu plus loin. Un ancien journaliste du Telegraph Journal, un des journaux publiés par Brunswick News au Nouveau-Brunswick, a dit un jour, suite à la critique que les intérêts Irving contrôlaient l'opinion publique au Nouveau-Brunswick qu'en fait, Irving n'avait pas de voix et que ses salles de rédaction étaient menées sur une base strictement d'affaires. Ils sont aussi propriétaires de postes de télévision.
M. Lavoie: Et d'un camp de pêche.
Le sénateur Corbin: Pardon?
M. Lavoie: J'ai dit: d'un camp de pêche. C'était une blague. C'est un peu facile, j'en conviens, mais je suis certain que le sénateur Corbin a le sens de l'humour.
Le sénateur Corbin: Dans le cas de certaines compagnies, il faut aller à la pêche pour obtenir de l'information. On m'a laissé sous l'impression qu'il y a une certaine étanchéité dans les journaux et les médias qui sont la propriété de l'empire Irving. Comment pouvez-vous dire que vous êtes les seuls? Avez-vous fait un examen systématique?
M. Lavoie: Pas du tout. Je vous dis simplement que sur le plan structurel, juridique et réglementaire, nous sommes la seule compagnie à qui de telles conditions de licence ont été imposées. Je dois faire la parenthèse suivante. On a proposé que le CRTC nous impose ces conditions, ce qu'il a fait. Je ne fais aucun commentaire sur le fonctionnement de l'un ou de l'autre des groupes de presse canadiens.
Le sénateur Corbin: Pour autant, je ne crois pas en une étanchéité absolue.
Le sénateur LaPierre: J'aimerais vous parler des communautés de langue française hors Québec. Détenez-vous des postes de télévision ou de radio hors Québec?
M. Lavoie: Non.
Le sénateur LaPierre: Cependant, vous collaborez avec les câblodiffuseurs hors Québec?
M. Lavoie: D'un océan à l'autre, oui.
Le sénateur LaPierre: Les communautés de langue française hors Québec peuvent donc vous capter s'ils ont le câble?
M. Lavoie: Oui.
Le sénateur LaPierre: Avez-vous des projets qui visent à servir les communautés de langue française hors Québec grâce à des stations-relais?
M. Lavoie: Nous n'avons pas de projets comme tels, mais au-delà du câble qui peut livrer le signal de TVA, il y a aussi des zones hertziennes. Par exemple, l'Acadie reçoit les ondes de TVA sans le câble. Dans l'Est ontarien, où il existe une communauté francophone très vivante, les gens reçoivent les ondes de TVA. Je ne peux pas dire qu'il y a d'autres projets, mais je sais que notre lien avec les communautés francophones hors Québec est très fort.
L'émission Salut Bonjour est de loin la plus écoutée par la communauté française. Il y a un certain temps, elle a été produite en direct d'Acadie pendant une semaine.
Comment ne pas mentionner le phénomène Wilfred Lebouthillier, le grand gagnant de Star Académie, qui est de Tracadie-Sheila. Il a créé en soi un rapprochement assez extraordinaire entre les propriétés de Quebecor et l'Acadie.
[Traduction]
Le sénateur LaPierre: J'aimerais vous interroger à propos de l'Internet. Pensez-vous qu'un jour, en vous levant, au lieu d'ouvrir votre porte et de ramasser sept ou huit journaux sur le perron, vous irez sur Internet pour lire toutes les nouvelles du jour à l'écran sans tenir un journal dans vos mains?
M. Lavoie: Non, je ne pense pas.
Le sénateur LaPierre: Pourquoi?
M. Lavoie: Pourquoi? Eh bien, j'aime les livres. Je crois que vous êtes vous-même un grand amateur de livres, sénateur LaPierre. Il y a quelques années, tout le monde parlait de cette idée folle de la fin des années 90, à savoir les livres électroniques. On allait pouvoir télécharger des livres et les lire sur un écran de poche. Évidemment, cela ne s'est pas réalisé. Il existe une relation physique entre le lecteur et l'objet qu'on lit. Je ne sais pas comment la décrire, mais moi, j'ai besoin d'avoir quelque chose en main. Je veux tenir quelque chose.
L'Internet existera toujours et sera toujours une source d'information. Comme vous, j'ouvre souvent l'Internet pendant la journée pour lire les dernières manchettes, etc. Cependant, lorsque je veux lire une analyse en profondeur de l'actualité mondiale, j'ouvre le Globe and Mail, le Journal de Montréal ou le New York Times. Je ne sais pas pourquoi. C'est peut-être parce que je prends de l'âge et mes enfants seront peut-être d'un avis différent, mais je ne peux pas concevoir qu'un jour, on abandonne totalement les journaux pour passer à une source strictement électronique d'information.
Le sénateur LaPierre: Le problème, pour lire sur Internet, c'est qu'il est difficile de s'allonger avec un ordinateur portatif. Ça complique un peu la vie.
À votre avis, quel sera l'effet de l'Internet sur les médias dits traditionnels comme la télévision, la radio et les journaux? Est-ce que l'Internet va avoir un effet?
M. Lavoie: Il en a déjà un.
Le sénateur LaPierre: Déjà?
M. Lavoie: Oui, et un effet important. L'Internet a fortement accéléré la circulation des nouvelles, ce qui a des avantages et des inconvénients. L'un des avantages, c'est qu'on peut découvrir instantanément ce qui se passe. On peut avoir une mise à jour à chaque minute à condition de savoir naviguer sur Internet et de passer d'un site à un autre. La vitesse à laquelle les nouvelles parcourent la planète est étonnante.
L'inconvénient — et vous vous adressez actuellement à un ancien journaliste — c'est qu'on est tellement pris par la vitesse qu'on ne prête plus attention aux détails, car on n'a plus le temps de le faire.
Les chaînes de nouvelles traitent un peu les nouvelles comme le fait l'Internet. Nous avons vu de grands événements se dérouler sous nos yeux à la télévision, certaines choses annoncées puis démenties toutes les cinq minutes, certaines sources affirmant une chose et la démentant ensuite. Tout est acceptable, car c'est la télévision en direct. Je ne la condamne même pas. C'est tout simplement la réalité.
Mais lorsque j'étais journaliste de télévision au début des années 80, une émission en direct à partir d'une zone dévastée constituait une opération très complexe sur les plans du matériel, des transmissions et de la technologie. Aujourd'hui, c'est un jeu d'enfant. C'est très simple, c'est étonnant. C'est fascinant. Les journalistes se rendent sur place avec un équipement très léger et se retrouvent instantanément à l'antenne.
L'inconvénient, c'est qu'ils sont prêts à faire n'importe quoi pour passer à l'antenne et une station de télévision est toujours prête à faire passer un journaliste en direct à l'antenne, à cause de la concurrence. Encore une fois, j'ai le point de vue d'un ancien journaliste; parfois, il est comique de voir comment la télévision fonctionne. Un journaliste fait une déclaration d'un ton péremptoire et dix minutes plus tard, il se contredit complètement sans la moindre excuse, pour recommencer aussitôt après. J'ai beaucoup de sympathie pour les journalistes; il n'est pas facile de travailler avec un écouteur dans l'oreille, en recevant en permanence plusieurs sources d'information.
L'Internet a un peu le même effet. Il nous pousse constamment. Il pousse non seulement le monde des nouvelles, mais il pousse aussi nos vies. Nous sommes obligés de vivre plus vite que jamais. Tout va plus vite. Tout fonctionne au courrier électronique. On ne veut plus attendre deux jours pour recevoir une lettre; on exige d'être informé immédiatement par courrier électronique. Ça ne va jamais assez vite.
Par contre, il est bon que l'information circule plus vite et que les gens puissent communiquer plus facilement entre eux.
Le sénateur LaPierre: L'Internet ne remplacera pas tous les médias d'information?
M. Lavoie: Non, je ne pense pas.
Le sénateur Merchant: Il est ici question de la façon de s'informer et du support de l'information.
Que pensez-vous de l'engagement des jeunes? Sont-ils engagés? Est-ce qu'ils s'intéressent aux nouvelles et à l'information? Dans l'affirmative, comment s'informent-ils? Est-ce qu'ils aiment lire les journaux? D'après les abonnements, vos lecteurs sont-ils plus vieux ou plus jeunes?
Je pense ici aux journaux. Je ne pense pas que les jeunes aient le même plaisir tactile. Nous aimons bien tenir un journal ou un livre en main. Comment voyez-vous l'avenir lorsque vous dites que les journaux seront toujours là pour assurer la communication des nouvelles? De quelle époque future parlez-vous?
M. Lavoie: Nous appartenons à une génération pour laquelle les chaînes de nouvelles ont toujours quelque chose de merveilleux. Mon fils de 16 ans est né deux ans avant la création de News World et six ans après celle de CNN. Pour cette génération-là, les chaînes de nouvelles font partie de l'ordinaire. C'est ainsi que les nouvelles circulent; c'est ainsi que les gens s'informent.
Je ne sais pas si je peux vraiment répondre à votre question. J'espère simplement — et c'est ce que je m'efforce d'apprendre à mes enfants — que l'imprimé restera quelque chose d'important dans leur vie. Peu importe ce qu'ils lisent. L'important, c'est qu'ils lisent. Ils peuvent choisir n'importe quel livre; ce qui m'intéresse, c'est de savoir qu'ils lisent des livres. Et ce que je dis vaut également pour les journaux.
Je ne sais pas si la statistique est toujours valide, mais il y a quelques années, une étude a montré que 34 p. 100 seulement des Québécois lisaient au moins un quotidien par jour. Au Canada anglais, c'était plutôt de l'ordre de 40 p. 100. Ce sont des chiffres très bas. Et il s'agissait d'un quotidien par jour. Je dois avouer que comme vous, sans doute, je me drogue un peu aux nouvelles. Je lis de cinq à sept quotidiens tous les jours. J'avoue également que c'est une manie un peu folle, qui confine à la toxicomanie. J'essaie parfois de m'en débarrasser, mais j'en suis incapable. J'ai bien du mal à comprendre comment on peut évoluer dans une société complexe comme la nôtre et se tenir informé si on ne lit pas un journal par jour, quel qu'il soit. J'estime que chacun doit savoir ce qui se passe dans le monde. Je ne peux pas vraiment répondre à votre question, car je n'ai pas les chiffres en main.
Le lectorat du Journal de Montréal est très vaste. Nos équipes de vendeurs fondent les arguments qu'ils présentent aux annonceurs sur le fait que notre journal englobe à peu près toutes les couches de la société. Il a été créé initialement à l'intention des cols bleus. On peut dire qu'un journal de cols bleus est destiné à la classe moyenne inférieure et aux travailleurs syndiqués. Or, ce n'est plus vrai aujourd'hui. Le Journal de Montréal a les mêmes caractéristiques démographiques que La Presse. Il vise même un lectorat plus large, parce qu'il rejoint davantage la classe moyenne inférieure. Nous couvrons toute la société, des jeunes aux moins jeunes, et nous en sommes fiers.
Je travaille à plein temps pour Quebecor depuis trois ans. Auparavant, j'étais expert-conseil auprès de Quebecor. L'extraordinaire, à Quebecor, c'est que certains des dirigeants ont véritablement le sens de ce qui se passe dans la société. Ils ont le sens de ce que les gens attendent.
Le président de Sun Media, Pierre Francoeur, est quelqu'un de très réservé, tout à fait terre à terre. Il n'est pas du genre à se vanter ou à se montrer condescendant. Mais si vous lui dites: «Pensez-vous que ça va marcher?» il vous répondra oui ou non, et il a généralement raison. À Quebecor, les gens savent fondamentalement où en est la société et c'est ce qui explique notre succès, dont nous sommes si fiers.
Le sénateur Graham: J'aimerais poser une question complémentaire. Monsieur Lavoie, vous avez fait référence à la nécessité de lire des journaux et des livres, de se tenir informé, et c'est là un témoignage remarquable des valeurs que vous pratiquez. Je vous en félicite.
Nous avons reçu de l'information provenant du site Web de Quebecor. Dans une conversation privée, vous avez dit, je crois, que le revenu total de Quebecor World était d'environ 8 milliards de dollars. Votre site Web affirme qu'il était de 9,8 milliards de dollars en 2002 et que vous aviez 39 000 employés. Quebecor Média, avec ses 14 000 employés, a eu un revenu total de 2,3 milliards de dollars. En fait, le total des revenus est de 12,1 milliards de dollars.
M. Lavoie: C'est exact. J'ai dit 8 ou 9 milliards, sénateur Graham. J'étais assez près de la réalité.
Le président: Pour en revenir au profil de votre lectorat, dont vous avez parlé avec le sénateur Marchand, est-ce que vous pourriez nous faire parvenir des données à ce sujet?
M. Lavoie: Oui.
Le président: Comme vous l'avez dit, ce ne sont pas là des chiffres secrets. Ce sont des chiffres que les journaux essaient de montrer. Il nous serait très utile d'avoir toutes les données sur la diffusion des journaux en français et en anglais, sur leurs lecteurs, avec les niveaux de revenu, l'âge, la langue, les professions, la fréquence de lecture — si ces données sont disponibles. Je ne sais pas si vous avez ces chiffres, mais ils nous seraient utiles.
M. Lavoie: Je vous donnerai tout ce qui est public.
Le président: Il est toujours utile de comprendre ce qui se passe.
À titre de question supplémentaire, je crois savoir que Quebecor, comme d'autres médias, pratique beaucoup les suppléments gratuits et les encarts destinés à attirer les jeunes lecteurs, ce qui indique bien une prise de conscience de sa part.
M. Lavoie: C'est exact.
Le président: Il faut faire un geste en direction des jeunes. On ne peut pas supposer qu'ils vont venir d'eux-mêmes chercher le même produit, comme ils l'ont toujours fait. Êtes-vous d'accord?
M. Lavoie: Nos suppléments gratuits, comme vous dites...
Le président: Façon de parler.
M. Lavoie: C'est cela. Nous les appelons différemment, mais ce sont bien des suppléments gratuits. Ce sont des journaux gratuits distribués le matin dans le métro. Ils sont distribués à tout le monde, y compris aux jeunes qui vont au CEGEP ou au collège. Si on réussit à les convaincre qu'il est bon de s'informer en lisant, eh bien tant mieux.
[Français]
La présidente: Ce n'était pas une question de ma part. Je réserve mon droit de questionner. Le sénateur Corbin attend patiemment.
Le sénateur Corbin: Ma question peut sembler naïve: pourquoi n'y a-t-il pas d'accents à «Quebecor»?
M. Lavoie: Je ne connais pas la réponse, mais je dirais que Pierre Karl Péladeau lui-même met un accent. Je sais qu'officiellement, il n'y a pas d'accent. Je pense que le même débat s'applique à Céline Dion qui, sur ses disques en anglais ne met pas d'accent, mais en met en français. J'imagine que c'est notre saveur internationale qui a dû prédominer au moment où une décision comme celle-là a été prise. Mais je vous avoue que je n'étais pas impliqué. Je constate, comme vous, qu'il n'y a pas d'accents. Mais à «Quebecor Média», il y a un accent sur le «E» de Média.
Le sénateur Corbin: Vous n'avez jamais été harcelé par l'Office de la langue française du Québec?
M. Lavoie: Non.
Le sénateur Corbin: J'étais curieux, c'est tout.
La présidente: Voici ma question: qui sont les membres des comités de surveillance? Combien de fois par année ces gens se réunissent-ils? Et quelles sont les mesures qui ont été adoptées pour publiciser l'existence de ce comité? Est-ce que le public sait que ce comité existe?
Forte de ma propre expérience comme ex-journaliste, je ne peux croire qu'il n'y a eu que trois plaintes. Les plaintes arrivent à flots dans n'importe quel média.
M. Lavoie: Il ne faut pas confondre le comité de surveillance et le rôle d'un ombudsman à Radio-Canada. Ce n'est pas un comité pour se plaindre de la qualité ou du contenu de l'information. Il s'agit d'un comité dont la tâche est de veiller à l'étanchéité du travail de cueillette de l'information.
Des plaintes venant du public m'étonneraient grandement; si plaintes il doit y avoir, elles viendront des salles de rédaction. Les journalistes et les syndicats de journalistes impliqués sont très jaloux de cette indépendance, ils y tiennent mordicus. Je m'attends à ce que les plaintes viennent de l'intérieur. Rien, conceptuellement, n'empêcherait le public de se plaindre, mais l'idée même des comités était d'assurer aux salles de rédaction de jouir de l'indépendance de continuer à faire leur travail comme elles le faisaient avant qu'elles ne se retrouvent dans un groupe intégré comme le nôtre.
Les membres du comité sont Michel Héroux, ex-journaliste de Radio-Canada, autrefois, Denis Tremblay, ex-vice- président de la Presse canadienne; le troisième nom m'échappe, mais je vous le fournirai. Ce comité ne se rencontre que de façon ad hoc, c'est-à-dire que ce comité n'a des discussions que lorsqu'il y a une plainte. Il n'y a pas de réunion régulière de ce comité, il faut d'abord qu'il y ait une plainte.
La présidente: Puisque dans votre conception, c'est seulement dirigé vers les journalistes, y a-t-il un rappel périodique aux journalistes pour leur dire que ce comité existe?
M. Lavoie: Le rappel n'est pas nécessaire car ils en sont parfaitement conscients.
La présidente: L'étanchéité des salles de rédaction entre quand même en conflit avec le principe de la convergence. Il me semble que ce pourrait être le cas. Je vous cite un cas qu'on a déjà soulevé à plusieurs reprises à ce comité, Star Académie, où cet événement à TVA a été abondamment couvert. Cela prenait une importance extraordinaire dans les pages, même à la une, du Journal de Montréal et du Journal de Québec.
M. Lavoie: Et de La Presse et de La Tribune de Sherbrooke.
La présidente: Mais je parle de vos salles de rédactions. Si je ne m'abuse, Quebecor s'en est même vanté. Elle a bien voulu dire aux gens: Voilà, nous avons un forfait. Pouvons-nous avoir un forfait en même temps que des salles de rédaction étanches.
M. Lavoie: La preuve en a été faite avec Star Académie. Il n'y a eu aucune interférence dans le concept de l'étanchéité des salles de rédaction. Vous avez raison, cela a fait la première page du Journal de Montréal mais cela a fait aussi la première page du journal concurrent La Tribune de Sherbrooke et aussi la première page de toutes sortes d'autres journaux dont certains appartiennent à Gesca, dont celui de Chicoutimi. Star Académie a été fondamentalement un phénomène exceptionnel. Lorsque vous vous retrouvez un dimanche de Pâques avec trois millions de personnes qui regardent en même temps la même émission de télévision, qui se veut une célébration de la chanson francophone, vous devez convenir avec moi qu'il s'agit d'un phénomène assez exceptionnel.
La présidente: Vous êtes sûr qu'il n'y a eu aucune coordination entre les salles de rédaction? Aucun contact, aucune réunion pour planifier, rien?
M. Lavoie: Entre les salles de rédaction? Aucunement.
La présidente: Entre les gérants?
C'est évident qu'il y a un comité de direction de Quebecor Média sur lequel siège les PDG des différentes filiales du groupe. Vous pouvez me croire que nous en avons discuté beaucoup parce que, sur le plan économique, Star Académie est le plus grand investissement dans un projet de l'histoire de la télévision au Québec. Je vous prie de me croire qu'on en a discuté et abondamment. L'étanchéité des salles de rédaction n'a rien à voir avec l'espace publicitaire utilisé d'un média à l'autre. Pour nous, la convergence est un mot qui nous a été en quelque sorte imposé. Nous parlions d'intégration. Quebecor fonctionne ainsi depuis 1950. Nous avons toujours considéré l'intégration comme de la «cross promotion». Essentiellement, l'espace publicitaire du Journal de Montréal a été abondamment utilisé pour pousser le concept de Star Académie. L'espace publicitaire du Journal de Montréal a été abondamment utilisé pour pousser les vedettes montantes de Star Académie. Nous nous en réjouissons parce que c'est pour le plus grand bien de la chanson francophone. Star Académie était une célébration de la chanson de langue française. Nos médias poussent avec leur capacité énorme, nous sommes fiers de cette capacité. Quand nos médias poussent des artistes et que ces artistes vendent 565 000 disques.
Je m'excuse si je m'exprime de façon un peu décousue. Nous avons abondamment parlé du piratage de la musique par Internet. Quebecor souffre au premier chef de ce problème. Pourquoi? Parce que nous sommes le numéro un en distribution musicale, c'est-à-dire, le grossiste au Québec avec une part de marché de plus de 70 p. 100. Nous sommes le détaillant numéro un avec le groupe Archambault avec une part de marché qui avoisine 30 p. 100. Nous sommes également dans la production.
La chute du marché de la musique à l'échelle mondiale est d'environ 30 p. 100. C'est dramatique ce qui se passe dans le monde de la musique. Vous regardez au Québec, la chute au cours de l'année 2003 a été inférieure de 25 à 30 p. 100 à la moyenne mondiale cette année, pourquoi? Parce que Star Académie a vendu 565 000 disques. C'est autant de disques, autant d'argent dépensé pour des produits du Canada, du Québec. Sur les disques achetés, nous trouvions des chansons écrites par Stéphane Venne, par Jacques Michel, par Pierre Létourneau, par Nanette Workman, par Angelo Finaldi, des gens de chez nous. Les gens qui faisaient la musique de ce disque étaient des musiciens de chez nous, c'était Scott Price, le chef d'orchestre attitré de Charles Aznavour lors de sa dernière tournée mondiale, un gars de Montréal. C'était lui qui faisait la musique de Star Académie. Des photographes de chez nous faisaient le design, la préparation du livret. Nous sommes culturellement extraordinairement fiers d'avoir apporté une telle contribution au dynamisme de la culture québécoise. La culture, au-delà de la création dans l'angoisse et les tourments la nuit en y songeant, c'est aussi des sous. Des créateurs pondent des produits, mais il faut les mettre en ondes. Nous, avec Star Académie, nous avons aidé la chanson francophone qui est fondamentalement un produit d'exportation très important du Québec.
Nous avons seulement à voir le succès des chanteurs québécois en France et dans le monde francophone. Nous avons fourni à la chanson francophone une vitrine comme personne ne l'a fait depuis au moins une décennie. Chaque dimanche durant toute la durée du projet Star Académie, il y avait entre 2,5 et trois millions de personnes qui étaient devant leur télévision pour voir des chanteurs d'ici chanter des chansons d'ici. Cela faisait vendre des disques.
Dany Bédard est en train de devenir quelqu'un de connu. C'est un auteur-compositeur extrêmement intéressant qui fait de très jolies mélodies et de très jolis textes. M. Bédard était presque inconnu. Un soir, il est apparu à Star Académie et le lendemain, ses ventes de disque ont augmenté. Lorsque les ventes de disque augmentent, fondamentalement, toute l'industrie du Québec se dynamise.
Quand les journaux du groupe Quebecor parlaient abondamment de Star Académie, c'était extraordinaire qu'ils en parlent. Ce dont ils parlaient, c'était de la musique d'ici, des artistes d'ici, de tout ce travail qui se faisait. J'ai amené des coupures de presse. Je me suis amusé à regarder la revue de presse, sachant que c'était une question qui vous préoccupait, madame la présidente.
J'avais eu la bonne idée d'aller lire quelques transcriptions de vos séances précédentes. Je regarde la couverture de Star Académie dans La Presse, elle était abondante aussi. La Presse, ce n'est pas nous. Elle était abondante dans le Globe and Mail aussi. Je le répète pour la troisième fois, c'est un phénomène dont nous parlons avec une extraordinaire fierté. C'est également une couverture qui a été très critique dans le Journal de Montréal. Il y a eu des articles très méchants dans le Journal de Montréal, je les lisais hier en me préparant. Il y en avait qui ne nous aimait pas au Journal de Montréal.
La présidente: Vous pourriez peut-être laisser ce dossier au comité.
M. Lavoie: Avec plaisir et en vous disant que c'est une sélection biaisée. Je les ai choisis pour répondre à vos questions.
La présidente: Je ne vous ai pas demandé de nous donner une encyclopédie, seulement un échantillon.
M. Lavoie: Cela me fait plaisir. Cet article provient La Tribune de Sherbrooke qui appartient à Gesca. En première page, vous avez: Vive Wilfred premier». C'était la une du journal. Ce journal de Chicoutimi qui appartient à Gesca mentionne: Le délire. Pourquoi en parlions-nous tellement dans le Journal de Montréal? C'est parce que c'est un phénomène de société extraordinaire!
La présidente: On essaie de comprendre la dynamique institutionnelle qui existe dans divers cas et Star Académie a été un événement, comme vous le dites; c'est pour cela qu'on le cite.
Je vous pose une autre question, monsieur Lavoie: est-ce que Quebecor a jamais fait ou songé à faire une déclaration de principes pour guider ses journalistes, par exemple: vous devez faire votre travail sans vous préoccuper des autres intérêts de votre propriétaire. Je vous pose la question comme je l'ai posée à d'autres, parce qu'on a déjà entendu des témoignages de deux anciens éditeurs de journaux, de différentes compagnies, qui nous ont expliqué que, lorsqu'ils travaillaient au sein de grandes compagnies, une telle déclaration de principes les avait aidés car tout le monde comprenait les règles du jeu. Il y en a d'autres qui, certainement, n'ont pas choisi de le faire. Est-ce que Quebecor n'a jamais considéré une telle démarche?
M. Lavoie: Non.
La présidente: Pourquoi?
M. Lavoie: Parce que c'est la première fois que j'entends parler d'une telle suggestion. Nous n'en voyons certainement pas le besoin. Nos journalistes, dans nos grands quotidiens au Québec en tous cas, sont syndiqués, ils ont des conventions collectives très sérieuses et jouissent d'une protection quant à leur indépendance exceptionnelle par rapport à tout ce que vous pourrez trouver en Occident. Madame la présidente, vous avez été active longtemps dans le monde des médias à Montréal, vous savez qu'il était connu dans le monde des médias que les journalistes du Journal de Montréal avaient probablement la meilleure convention collective de toute la profession; et cela inclut l'indépendance.
Je ne vois pas ce qu'une déclaration de principes, telle que vous me la décrivez, viendrait ajouter. Je ne vois pas en quoi les journalistes en auraient besoin et je ne les ai jamais entendus exprimer le souhait qu'une telle chose se fasse.
La présidente: Est-ce que Quebecor participe au conseil de presse du Québec?
M. Lavoie: Oui.
La présidente: Ma dernière question:
[Traduction]
Quebecor est une société fermée. La famille en contrôle les deux tiers.
M. Lavoie: Oui, la famille détient 67 p. 100 des actions avec droit de vote.
Le président: En quoi cela fait-il de Quebecor une société différente?
M. Lavoie: Dans quel sens?
Le président: Cette caractéristique a-t-elle une incidence sur le coût des capitaux que vous obtenez ou sur vos priorités? Est-ce qu'elle vous expose à des pressions ou est-ce qu'elle vous met à l'abri des pressions? J'essaie de voir ce que signifie concrètement la structure de propriété de Quebecor.
M. Lavoie: En ce qui concerne la gouvernance de la société, on voit très bien qui est aux commandes. On peut comparer notre situation à celle d'une société ouverte sans actionnaire contrôlant, et je suis convaincu que la meilleure formule est celle de l'actionnaire contrôlant, car il a intérêt à assurer le succès de la société, où il a tout investi.
J'ai fait plusieurs fois référence ici à la culture d'entreprise de Quebecor. J'ai dit que nous sommes allergiques à la bureaucratie, aux superstructures et aux comités de toutes sortes. Chez Quebecor, on ne supporte pas cette façon de faire des affaires. Nous disons à nos actionnaires que leur argent est investi intelligemment. Nous ne gaspillons pas l'argent dans des choses de ce genre.
Nous réussissons à préserver cette culture d'entreprise grâce à notre actionnaire contrôlant, et nous en sommes fiers. Sans actionnaire contrôlant, elle disparaîtrait sans doute. Quand on se retrouve dans un poste comme le mien au sein d'une société de portefeuille, on est toujours tenté d'engager un autre expert-conseil et de constituer toutes sortes de comités consultatifs.
Ce n'est pas ce qu'on fait chez Quebecor, car l'actionnaire contrôlant ne l'accepterait pas. Il est à la racine même de la culture de l'entreprise.
Qu'est-ce qui fait le succès de nos quotidiens? C'est que quelqu'un, quelque part, comprend ce qu'attend le marché. Et c'est précisément l'actionnaire contrôlant. Le fondateur de l'entreprise, Pierre Péladeau, a légué quelque chose à ses fils. Ce sont les deux actionnaires contrôlants, et Pierre Karl est le PDG de la société. Celle-ci devrait se transmettre de génération en génération. C'est du moins ce que j'espère, car Quebecor constitue un milieu de travail tout à fait enthousiasmant. C'est une société dont les Canadiens ont tout lieu d'être fiers.
[Français]
La présidente: Merci beaucoup, c'était très intéressant. J'espère que vous allez nous envoyer les quelques renseignements supplémentaires que nous avons demandés. Je dois vous dire que vous êtes courageux de venir seul. Rares sont les personnes qui se présentent seules à un comité parlementaire, c'est toujours impressionnant.
M. Lavoie: Je savais que nous serions entre amis.
La séance est levée.