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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 3 - Témoignages du 9 mars 2004


OTTAWA, le mardi 9 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, autorisé à entendre de temps en temps les témoignages d'individus et de représentants d'organismes sur l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada, se réunit aujourd'hui à 17 h 40.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, quelques-uns de nos collègues ne sont pas encore ici, mais ils arriveront bientôt. C'est avec plaisir que j'ouvre la quatrième séance du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts consacrée à l'ESB.

[Français]

Laissez-moi d'abord souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs, aux observateurs et, aux Canadiennes et Canadiens qui nous regardent et nous écoutent sur CPAC et Internet.

[Traduction]

Honorables sénateurs, depuis plusieurs mois, le Canada est aux prises avec les conséquences de la crise de l'ESB. Bien qu'un seul cas ait été confirmé, le 20 mai 2003, cet épisode a grandement ébranlé les communautés rurales de l'ensemble du Canada. Nous savons tous que la frontière a été fermée immédiatement à tout le bétail et à tous les produits du bœuf. Même si les États-Unis ont annoncé l'ouverture partielle de leur frontière pour permettre les importations de viande sans os provenant de bovins de moins de 30 mois et de veaux, la porte reste fermée aux bovins sur pied qui représentent 40 p. 100 de la valeur des exportations de bœuf et de produits de bœuf canadiens.

Honorables sénateurs, au cours des dernières semaines, divers témoins sont venus décrire les difficultés que connaissent les agriculteurs canadiens. Parmi ces témoins, mentionnons M. John Kolk et M. Ed Fetting, des représentants du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire du Canada et de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, ainsi que M. Jim Laws, du Conseil des viandes du Canada. Les témoins ont brossé un tableau des problèmes économiques graves et inquiétants qui frappent l'industrie du boeuf au Canada et ont soulevé plusieurs questions concernant les échanges commerciaux, les mesures prises au regard de la santé et de la sécurité, les programmes d'indemnisation et le prix du boeuf.

Honorables sénateurs, nous recevons ce soir deux tables rondes distinctes de l'ouest du Canada qui nous parleront de la situation actuelle concernant l'ESB et ses répercussions sur l'industrie du boeuf. Nous entendrons Neal Hardy, président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, M. Stuart Briese, président de l'Association of Manitoba Municipalities, et M. Jack Hayden, président de l'Alberta Association of Municipal Districts and Counties.

Nous entendrons ensuite M. Terry Hildebrandt, président de l'Agriculture Producers Association of Saskatchewan, M. Bill Newton, président de la Western Stock Growers' Association, et M. Marvin Shauf, deuxième vice-président de la Fédération canadienne de l'agriculture.

J'invite M. Hardy à nous présenter son exposé.

M. Neal Hardy, président, Saskatchewan Association of Rural Municipalities: Nous sommes heureux de venir témoigner devant le comité sénatorial ce soir. Nous savons tous que l'ESB, dont un seul cas a été détecté, a détruit notre industrie et que bon nombre de producteurs sont au bord de la catastrophe. Je vais vous présenter mon exposé, et nous pourrons passer ensuite aux questions et réponses.

Le président: Les autres témoins présenteront-ils des exposés également?

M. Hardy: Chacun pourrait se présenter brièvement et je pourrais leur laisser la parole maintenant.

Le président: Allez-y en premier, et nous entendrons les autres à leur tour.

M. Hardy: J'aimerais remercier le comité de nous avoir invités ce soir. Je suis accompagné des présidents des associations municipales de l'Alberta et du Manitoba. Nous sommes ici aujourd'hui parce que la situation est très grave dans l'Ouest rural du Canada et, en fait, dans l'ensemble du pays. Permettez-moi d'abord de vous parler de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, ou SARM. Notre organisme représente la totalité des 296 municipalités rurales de la Saskatchewan, où vivent et travaillent 188 000 résidents. Ces personnes exploitent environ 65 millions d'acres de terres agricoles et de pâturages. Notre association, qui a été établie en 1905, se penche sur les questions d'intérêt municipal et agricole, en conformité avec sa mission.

Le secteur canadien de l'élevage bovin représente une valeur de 7,7 milliards de dollars par année dans l'économie canadienne. Le succès du secteur repose sur sa capacité d'exporter des produits à l'échelle mondiale, le principal marché d'exportation étant celui des États-Unis. Lorsque l'ESB a été découvert au Canada en mai 2003, la plupart des marchés d'exportation ont fermé leurs frontières au bétail et au boeuf canadiens. Même si les États-Unis et d'autres pays ont repris, en septembre, les importations de boeuf canadien provenant d'animaux de moins de 30 mois, dans l'ensemble, les niveaux d'exportation sont bien en deçà des niveaux de 2002: les exportations de boeuf ont chuté de près de 40 p. 100 et les exportations de bovins sur pied, de 30 p. 100. Qui plus est, il faut savoir que ces chiffres incluent une période de cinq mois où les ventes ont été normales, puisque la crise de l'ESB n'a été déclenchée que le 20 mai.

Un processus était en cours à la fin de 2003 pour rouvrir la frontière des États-Unis aux bovins sur pied canadiens de moins de 30 mois, mais la découverte d'une vache atteinte de l'ESB dans l'État de Washington en décembre 2003 a rendu incertaine l'ouverture de la frontière et a nui aux marchés du Canada. Nous étions encouragés de constater que certains progrès, voire des progrès importants, étaient réalisés en vue de la réouverture de la frontière. Pour la première fois peut-être, les Américains comparent la façon dont ils traitent le Canada à la façon dont ils sont traités par le reste du monde. Il s'agit d'un pas en avant puisqu'il est temps d'établir une zone commerciale nord-américaine qui reconnaisse le recours à la science pour décider des risques ou de l'absence de risques que comportent les échanges commerciaux.

La perte des marchés d'exportation pour le boeuf et les bovins canadiens s'est répercutée sur les milieux ruraux et urbains du Canada. La Saskatchewan compte 19 p. 100 du cheptel bovin national avec 2 855 millions de têtes, se situant au deuxième rang, derrière l'Alberta. D'après le Recensement de l'agriculture de 2001, on retrouve des bovins dans 22 500 des 50 500 fermes de la Saskatchewan. Pour sa part, le Manitoba compte environ 10 p. 100 du cheptel national. Par conséquent, si l'on regroupe le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta, on constate que 69 p. 100 du cheptel bovin canadien se trouvent dans ces trois provinces. C'est pour cette raison que nous sommes si inquiets. Le secteur du porc a aussi été touché par la crise de l'ESB, mais je crois comprendre qu'il y a maintenant une reprise des activités. Les statistiques sur les revenus agricoles au Canada traduisent les pertes économiques que l'ESB a infligées aux producteurs canadiens. D'après les prévisions, le revenu national net réalisé devrait être de moins 13 millions de dollars au Canada pour 2003, le présent résultat négatif de l'histoire. Puisque la Saskatchewan, l'Alberta et le Manitoba comptent environ 68 p. 100 du cheptel canadien, ces provinces ont été particulièrement éprouvées.

En outre, en plus de devoir affronter la crise de l'ESB en 2003, ces provinces ont également été frappées par la sécheresse et les sauterelles. Elles ont connu les baisses les plus importantes au chapitre du revenu agricole net, avec la Saskatchewan en tête avec une prévision de moins 465 millions de dollars, alors que les prévisions pour l'Alberta se chiffrent à moins 229 millions de dollars. La réduction de 25 p. 100 des recettes d'élevage en 2003 contribue à ce déclin.

Dans le dossier de l'ESB, nous tenons d'abord à reconnaître les efforts du gouvernement du Canada en vue de rétablir le commerce international.

Nous aimerions également encourager le gouvernement à poursuivre ses efforts. C'est ce qu'il fait, nous le savons. Tous les segments du secteur de l'élevage bovin ont été touchés par l'ESB et par la fermeture subséquente des frontières. La reprise du commerce de la viande de boeuf sans os provenant d'animaux de moins de 30 mois a permis un modeste redressement de certains marchés. Par contre, le segment du marché où il n'y a eu aucune reprise et où aucune reprise n'est prévisible dans un avenir rapproché est celui de l'animal de réforme. Il s'agit de l'épine dorsale du secteur de l'élevage bovin et pourtant, c'est un segment qui continue d'être frappé durement. La vente des vaches et des taureaux de réforme générait des rentrées d'argent dont avaient grand besoin les producteurs, mais bon nombre d'entre eux n'ont pas été en mesure de les mettre en marché en 2003. La vente de vaches et de taureaux de réforme représente 20 p. 100 du revenu annuel total des éleveurs-naisseurs. La firme Serecon Management Consulting estime que ces derniers pourraient perdre 545 millions de dollars à cause de l'effondrement du marché des animaux de réforme. L'augmentation de 8,7 p. 100 du cheptel bovin national, avec une augmentation de 5,1 p. 100 du nombre de vaches (de boucherie et laitières) et de taureaux, est un autre indice de la réduction des mises en marché des bovins en 2003.

En outre, les éleveurs-naisseurs ont subi de lourdes pertes de capitaux dans leurs opérations à cause de la dévaluation des géniteurs. On estime que le secteur de naissage-élevage a perdu 3 milliards de dollars en capitaux à cause de la baisse de la valeur des géniteurs. À cause de cette perte, les producteurs auront plus de difficulté à obtenir du financement. Il n'est pas facile de trouver les solutions aux problèmes créés par la crise de l'ESB. Le programme de 120 millions de dollars mis en place par le gouvernement fédéral pour les animaux de réforme ainsi que certains programmes provinciaux sont certainement bienvenus, mais ils ne peuvent éliminer tous les problèmes. Les gouvernements doivent continuer de travailler avec le secteur de l'élevage bovin, particulièrement le secteur de naissage-élevage, afin de trouver des solutions qui permettront d'aider les producteurs à sortir de ce désastre, pour que l'industrie bovine du Canada puisse se renforcer et devenir plus concurrentielle que jamais lorsque le commerce reprendra.

Nous croyons que des changements doivent être apportés au Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, le PCSRA. Plusieurs caractéristiques pourraient être modifiées. Actuellement, la comptabilité de caisse est utilisée dans le cadre du programme pour calculer la marge de production et une comptabilité de caisse modifiée sert à calculer la marge annuelle du programme. Cette méthode pourrait s'avérer problématique pour les exploitations vache- veau et les parcs d'engraissement qui ont pris de l'expansion au cours des cinq dernières années. Lorsque des animaux de parcs d'engraissement ou des géniteurs supplémentaires sont achetés, une dépense admissible est encourue. Puisqu'il n'y a rien dans le système de comptabilité de caisse qui compense l'augmentation des dépenses, la marge de trésorerie n'augmente pas et rien n'indique l'expansion des opérations.

De plus, lorsqu'un éleveur-naisseur agrandit son troupeau en retenant des veaux, il se prive de revenus équivalents à la valeur des animaux retenus et, encore une fois, la marge de référence est réduite. Deuxièmement, la comptabilité de caisse fausse les marges lorsque les ventes des producteurs sont différées. De nombreux producteurs de bovins et exploitants de parcs d'engraissement reportent souvent leurs ventes à des fins fiscales. Bien que cette pratique puisse être avantageuse à des fins fiscales, elle fausse le profil de la situation financière à la ferme aux fins du PCSRA. Les avantages d'un système de comptabilité modifiée sont les suivants: la marge de référence et la marge annuelle du programme seraient basées sur les mêmes facteurs, et les marges des producteurs seraient meilleures et représenteraient de façon plus exacte leur situation financière, ce qui assurerait un meilleur soutien du PCSRA.

Un autre aspect problématique du programme PCSRA est l'utilisation d'un système à prix unique pour l'évaluation des stocks. Lorsque le cas d'ESB a été découvert au Canada en mai 2003, les prix des bovins ont chuté et ne sont pas retournés aux niveaux d'avant la crise. La découverte subséquente de l'ESB aux États-Unis a fait chuter les prix encore davantage au début de l'année suivante. Toutefois, le PCSRA ne protégera pas les producteurs de bovins dont les revenus ont chuté si le programme continue d'établir la valeur des stocks d'ouverture et de fermeture en fonction d'un prix unique, qui est basé sur le prix de la fin de l'exercice. Nous croyons qu'une évaluation des stocks basée sur deux prix améliorerait la situation. La valeur des stocks en début d'année peut être très différente de la valeur des stocks en fin d'exercice.

L'évaluation des stocks fondée sur un prix unique est particulièrement problématique dans le secteur d'embouche, parce que même si les stocks circulent toute l'année, les animaux qui se trouvent dans un parc d'engraissement au début de l'année ont la même valeur que ceux qui s'y trouvent à la fin de l'année.

La Saskatchewan Association of Rural Municipalities croit également que la méthode servant à déterminer la valeur des stocks doit être énoncée clairement par l'administration du programme. Il faut dire clairement si les producteurs pourront utiliser, pour l'évaluation des stocks, la juste valeur marchande basée sur les ventes ou les achats réalisés dans les 30 jours suivant la fin de l'année, comme ils le pourraient dans le cadre du PCRA. Il est important que les producteurs puissent garder cette option plutôt que d'être obligés d'utiliser seulement le prix établi par l'administration du PCSRA.

Ce mode de pensée ne tient pas compte de deux réalités importantes. Premièrement, les producteurs n'accepteront pas une estimation comptable si vous utilisez ce système. Deuxièmement, un grand nombre n'auront pas l'argent nécessaire pour faire le dépôt demandé. Nous espérons que le gouvernement songera sérieusement à demander plutôt une lettre de crédit.

En conclusion, avant la crise de l'ESB, le secteur bovin injectait environ 7,7 milliards de dollars dans l'économie, une contribution trop importante pour être ignorée. Il n'est pas facile de trouver des solutions aux problèmes créés par la réduction du commerce à la suite de la fermeture des frontières internationales parce que plusieurs secteurs différents sont touchés. Toutefois, l'aide doit être accordée principalement aux producteurs primaires, et plus particulièrement aux éleveurs-naisseurs, qui constituent l'épine dorsale du secteur de l'élevage bovin. Tout au long de notre exposé, nous avons suggéré des mesures qui pourraient être prises pour aider les producteurs à survivre à la crise de l'ESB.

En résumé, nos recommandations sont les suivantes: les gouvernements doivent continuer de travailler avec le secteur de l'élevage bovin à élaborer des solutions pratiques qui aideront les producteurs à traverser la crise de l'ESB. Les changements suivants doivent être apportés au PCSRA: établir des marges de référence de base pour une comptabilité de caisse modifiée, utiliser des valeurs d'ouverture et de fermeture pour l'évaluation des stocks, permettre aux producteurs d'établir une juste valeur marchande de leurs stocks fondée sur les ventes et les achats réalisés dans les 30 jours suivant la fin de l'année, permettre aux producteurs d'utiliser une lettre de crédit pour leurs dépôts au compte du PCSRA, retirer toutes les entraves non scientifiques au libre mouvement des bovins d'engraissement et des produits connexes en provenance des États-Unis. Nous parlons ici de l'anaplasmose et de la fièvre catarrhale du mouton, que le Canada a invoquées pour interdire l'importation d'animaux depuis la fin de mai jusqu'au 1er novembre. Selon les données scientifiques, ces animaux devraient être autorisés. De toute façon, notre climat règle la plupart de ces problèmes.

Le secteur de l'élevage bovin du Canada se trouve dans une situation désespérée, attribuable surtout à la perte d'avoirs et aux faibles rentrées d'argent. Les producteurs ont besoin d'aide maintenant pour pouvoir survivre. Nous nous sommes entretenus avec M. Ralph Goodale juste avant de venir ici pour lui dire à quel point il est important que des mesures soient prises dans un proche avenir. Nous croyons qu'un grand nombre de producteurs sont au bord de la catastrophe. Ils n'ont plus d'argent pour nourrir leurs animaux, et la situation est grave. Le prix des vaches est bas et nous n'avons pas réussi à obtenir une rentrée d'argent pour ces opérations.

Le président: Merci, monsieur Hardy. Je vois que vous avez capté l'attention des sénateurs parce qu'il y en a déjà cinq qui souhaitent poser des questions. Auparavant, nous donnerons la chance aux autres témoins de présenter leur exposé.

M. Jack Hayden, président, Alberta Association of Municipal Districts and Counties: Je représente une organisation de 68 membres, c'est-à-dire tous les comtés et districts municipaux de l'Alberta, ce qui couvre 93 p. 100 du territoire de la province. Dans votre allocution d'ouverture, vous avez nommé différentes personnes qui ont comparu devant votre comité, et le fait que je connaisse toutes ces personnes m'inquiète. Bien sûr, je connais M. John Kolk parce qu'il est un de nos membres. Nous sommes une organisation municipale, mais les problèmes des agriculteurs nous accaparent à tel point qu'il est devenu difficile de remplir notre mandat, qui consiste à s'occuper des questions purement municipales. Je ne suis certes pas étranger aux problèmes des agriculteurs, puisque je représente la quatrième génération d'une ferme familiale. Si je ne suis pas dans une aussi mauvaise passe que bon nombre des agriculteurs de l'ensemble du Canada, c'est que j'ai eu la chance de subir trois années de sécheresse, ce qui m'a permis de réformer mon troupeau avant la découverte du cas d'ESB. Ces exposés montrent à quel point la situation est grave. Au risque de répéter ce que M. Hardy a déclaré, cette industrie a été frappée par des crises successives, au point où 38 de nos 68 membres ont déclaré être dans une situation financière désastreuse.

Des représentants de trois municipalités urbaines se sont réunis à Vancouver, ont adopté une motion pour que des mesures soient prises immédiatement en regard de l'ESB et ont demandé que des délégués soient envoyés aux États- Unis pour s'entretenir avec nos homologues et tenter de trouver une solution politique à ce qui est devenu un problème politique, et non scientifique. Le gouvernement s'est engagé à nous aider dans ce sens, puisque bon nombre des personnes les plus durement touchées proviennent de municipalités qui n'ont pas les moyens de défrayer les coûts d'un tel voyage. Nous ne demandons pas une aide financière, ni des allocations quotidiennes. Les gens agiront de façon bénévole, mais même les coûts du déplacement nous empêchent d'aller parler à nos voisins. Lorsque j'ai rencontré l'ambassadeur Paul Cellucci, je lui ai dit que non seulement mes cousins se trouvent aux États-Unis, mais également les cousins de mes bovins. Ce qui se passe ici est devenu ridicule. Nous avons probablement le système de production alimentaire le plus sûr du monde et pourtant, nous nous retrouvons sur la sellette.

La qualité, tout y est.

En guise de conclusion, j'aimerais renchérir sur ce qu'a dit mon ami, M. Hardy. C'est un problème qu'il faut régler, et il faut le régler très rapidement.

En Alberta, de 35 à 40 p. 100 des veaux nés l'automne dernier sont toujours chez l'éleveur. Après la sécheresse et l'épidémie de sauterelles qui ont sévi, nous n'avons pas suffisamment de pâtures pour les nourrir, si rien n'est fait rapidement.

Certaines municipalités donnent un congé de taxe, renoncent à prélever des frais pour les paiements effectués en retard et abaissent les taux par mille. Ces mesures ont pour seule conséquence d'abaisser le niveau des services dans ces municipalités, de sorte que l'autobus scolaire de nos enfants roule sur des routes moins carrossables, que l'enlèvement de la neige ne se fait pas aussi rapidement qu'il le devrait, et ce n'est qu'une question de temps avant que les réseaux d'eau résiduaire ou les systèmes de traitement de l'eau s'avèrent dangereux pour la santé par manque d'investissement et d'entretien, parce que nous essayons de réduire les dépenses pour pouvoir soutenir le secteur agricole.

Le président: Je vous remercie beaucoup de cet exposé. Monsieur Briese, souhaitiez-vous, vous aussi, prendre la parole?

M. Stuart Briese, président, Association of Manitoba Municipalities: Je vous remercie beaucoup de prendre le temps de me rencontrer.

Mon organisme est un peu différent des deux autres. Je suis le président de l'Association of Manitoba Municipalities, c'est-à-dire de l'association des municipalités du Manitoba. L'association compte comme membres les 199 municipalités constituées en corporations du Manitoba. Sont incluses les municipalités tant urbaines que rurales, allant de la Ville de Winnipeg à la plus petite municipalité rurale de 400 âmes. Sa composition est donc très variée.

Nous sommes littéralement un organisme municipal. Nous essayons de nous tenir assez loin des problèmes agricoles, mais à cause de nos membres, nous n'avons pas vraiment le choix de nous en mêler.

Nous abordons la question de l'ESB du point de vue de l'énorme impact économique qu'elle a sur nos membres tant urbains que ruraux. Nous en constatons les effets dans nos entreprises, dans nos villes et dans nos villages. Les trois provinces des Prairies ont ceci de probablement unique qu'une très grande partie des fonds consacrés à l'éducation viennent des taxes foncières. Tant en Saskatchewan, où 60 p. 100 environ des fonds consacrés à l'éducation viennent des taxes foncières, que dans ma province, où le pourcentage est de 50 p. 100, les municipalités envisagent — la loi les oblige à prélever ces fonds — une espèce de révolte fiscale. Ces prélèvements ne nuisent pas qu'à l'industrie agricole. Ils créent d'autres problèmes.

Comme l'a dit M. Hayden, le problème est plus politique que scientifique. Je suis d'accord avec mes homologues à cet égard. Nous souhaitons que tous les efforts possibles soient déployés en vue de libéraliser au plus tôt le commerce avec d'autres pays et d'autres juridictions.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Chers collègues, vous avez 35 minutes environ pour poser des questions et entendre les réponses de ce groupe de témoins. Comme vous le savez, nous devons accueillir un second groupe qui nous fera lui aussi des exposés et répondra à des questions.

Le sénateur Fairbairn: Vous n'êtes peut-être que trois porte-parole, mais notre comité a besoin d'entendre le point de vue de vos membres, pas celui des grandes villes du Canada, mais celui des plus petites localités. Dans chacune de nos provinces — comme le sait M. Hayden, je viens de l'extrême sud-ouest de l'Alberta —, nous nous inquiétons beaucoup de l'effet qu'a la crise ou qu'elle pourrait avoir sur nos localités, nos villages et nos communautés rurales.

Monsieur Hayden, dans certaines parties de l'Alberta, le nombre de faillites a déjà fait un bond prodigieux, une situation fort malheureuse. Pourriez-vous nous parler de ce qui se passe, non seulement de ce qui arrive aux agriculteurs et aux éleveurs, mais également des changements qui secouent ceux qui les appuient, puisqu'ils soutiennent la viabilité de nos municipalités?

M. Hayden: Le phénomène est palpable en Alberta. En raison de la sécheresse et d'autres facteurs, les agriculteurs vendent leur ferme depuis quelques années. À vrai dire, l'élevage de bétail n'a plus de valeur. Il n'y a plus de rentrée d'argent, de sorte qu'il faut s'attendre à une croissance du nombre de faillites.

Je vais utiliser ma collectivité comme exemple du peu de marge de manœuvre dont disposent les petites localités rurales. La municipalité compte en tout 72 installations, y compris un centre de jour pour personnes âgées, des salles communautaires, des pistes de curling, des patinoires et ainsi de suite. Nous n'arrivons qu'à y injecter quelque 56 000 $. Tout le reste est fourni par des levées de fonds et du bénévolat. Aucune capacité n'a été prévue pour faire face au problème qui sévit actuellement.

Le départ des agriculteurs de la localité compromet tous les services que nous tentons de maintenir afin d'attirer des jeunes. Sénateur, beaucoup d'autres fermes seront vendues ce printemps-ci, et je vois beaucoup trop de jeunes partir, à bout et les poches vides.

M. Hardy: Le cas de la Saskatchewan n'est probablement pas différent de celui de l'Alberta. Il y a des ventes, étant donné que le prix des terrains a reculé depuis l'an dernier.

Phénomène encore plus important à mes yeux, c'est le fait que nous perdons beaucoup de jeunes. Le jeune agriculteur qui essaie de s'établir exploite peut-être sa ferme depuis cinq ou dix ans et tente de se constituer un cheptel. Il conserve les reproducteurs et en multiplie le nombre, puis tout à coup, il constate qu'une grande partie de son capital s'est envolée. Il n'a plus de liquidité. Il est désespéré. Il est difficile de concevoir toute l'ampleur du drame.

Vous pouvez me croire: pas un seul jour ne passe, quand je suis chez moi, que je ne reçois pas au moins trois ou quatre appels d'agriculteurs désespérés qui me demandent si nous pouvons les aider. C'est du jamais vu et, pourtant, je suis dans l'arène politique depuis longtemps.

La situation devient désespérée. Ils ont emprunté, peut-être à l'automne, pour acheter de la nourriture pour leur bétail. Ils ont emprunté pour mener leur bétail jusqu'au bout du processus. Ils avaient probablement aussi des factures d'engrais et de produits chimiques de l'an dernier à payer, s'ils font aussi un peu de céréaliculture. Ils sont incapables de payer ces factures.

Des banques vont peut-être diminuer un peu les paiements exigés, mais certaines refuseront de le faire en affirmant avoir besoin d'argent, n'avoir plus de fonds. Elles obligeront l'agriculteur à vendre.

J'ai mentionné tout à l'heure avoir assisté mardi dernier à une vente où des vaches pleines et des génisses se vendaient moins de 300 $ l'unité. On ne peut pas survivre comme ça, mais l'agriculteur auquel j'ai parlé n'avait plus rien pour les nourrir et avait des dettes à payer, sans quoi il perdait son tracteur. Voilà ce qu'il m'a dit. Ce n'était là qu'un seul parmi tant d'autres. Le nombre d'appels que reçoivent les lignes d'aide en Saskatchewan a atteint un sommet incroyable; on a dû accroître le nombre de lignes simplement pour parler à ces gens. C'est tout ce qu'ils demandent, quelqu'un à qui parler, mais ils leur faut aussi de l'aide. La situation actuelle est désespérée.

Nos petites localités et nos petites entreprises commencent à fermer. Il n'y a plus de rentrée d'argent et elles font faillite en même temps que le producteur. Le phénomène touche la Saskatchewan rurale, toute la Saskatchewan, et elle affecte indirectement le Canada entier.

M. Briese: Je vous en donne un exemple personnel. Je suis éleveur de bétail, bien que je cultive également des céréales et des oléagineux. Voilà un peu plus de 30 ans que je fais de l'agriculture. J'ai perdu, sur papier, du capital, perte qui ne figure pas jusqu'à ce que je vende le bien. Je me suis constitué un assez bon capital, mais ma situation sur le plan des liquidités est pire ce printemps-ci qu'au cours des 15 à 20 dernières années au moins, que depuis la période où les taux d'intérêt étaient de 22,75 p. 100, je ne me souviens plus quand.

Le sénateur Fairbairn: C'est à croire que Dieu lui-même en veut à ces régions, qui ont d'abord connu la sécheresse, puis les incendies et ainsi de suite. Un des faits importants que vous avez mentionnés, c'est que vous perdez les jeunes. Il y a quelques années, notre comité s'est rendu dans l'Ouest du Canada, dans le cadre d'une étude sur les changements climatiques. Une des plus grandes sources de préoccupation à ce moment-là, quand nous rencontrions des membres des collectivités, était de persuader les jeunes de faire carrière en agriculture. Après vous avoir écoutés, il semblerait plutôt difficile de le faire. Je puis vous assurer qu'ici, à Ottawa, et chez nous, dans nos régions, nous faisons et continuerons de faire de notre mieux pour changer la situation.

Le sénateur Gustafson: Messieurs, je vous remercie. Nous venons tous des Prairies et nous savons à quel point la situation est grave. Depuis l'âge de 16 ans que je fais de l'agriculture — c'est-à-dire depuis 50 ans. Je n'ai jamais vu une situation pareille. C'est terrible.

La meilleure solution, naturellement, au problème du bétail serait que la frontière soit ouverte. Je suis préoccupé par le programme canadien de stabilisation du revenu agricole, et je vais vous expliquer pourquoi. Il tient compte de la meilleure année et de la pire année sur une moyenne de cinq ans. Toutefois, s'il se trouve qu'en plus, vous avez été touché par la sécheresse pendant deux ans, que vos cultures ont été détruites par la grêle, que la saison de vêlage n'a pas été bonne, vous êtes au départ désavantagé dans ce programme. J'ai téléphoné au cabinet du ministre et je me suis entretenu avec lui à ce sujet. On me dit qu'on va examiner la situation.

Voyez-vous cela comme un élément important du programme?

M. Hardy: Il en a certes été question. Nous en avons parlé avec le bureau de M. Speller ce matin, en revenant à la charge au sujet des marges négatives. Nous avons discuté de changements au PCSRA, par exemple d'une augmentation de la marge de référence. Actuellement, la marge de référence, en particulier pour une grande partie de la Saskatchewan et de l'Alberta où il n'y a eu ni grêle, ni sécheresse ou quoi que ce soit — nous en sommes à la troisième ou quatrième année — pourrait souvent être très désavantageuse. Si vous retranchez la bonne année, il ne vous reste plus que la mauvaise, de sorte que les marges de référence sont très faibles. Il faut apporter certains rectificatifs, par exemple reconnaître les marges négatives et certains points élémentaires dont il est question.

Le sénateur Gustafson: Vous avez mentionné un rendement négatif de 465 millions de dollars. Vaut-il pour les éleveurs de vache et de veau et pour les céréaliculteurs?

M. Hardy: Oui.

Le sénateur Gustafson: Quel est le pourcentage d'agriculture mixte en Saskatchewan, c'est-à-dire de producteurs qui exploitent à la foi le bétail et les céréales?

M. Hardy: On dénombre 22 500 éleveurs de bétail environ en Saskatchewan et quelque 50 500 agriculteurs. Certains ne feraient que de l'élevage. Toutefois, en moyenne, la plupart des 22 500 éleveurs de bétail feraient de la culture mixte et le reste serait composé de céréaliculteurs.

Le sénateur Gustafson: Quelle est votre position, en ce qui concerne la céréaliculture?

M. Hardy: Je souhaitais éviter la question. Le cours du blé, du blé dur et de l'orge est sans conteste très bas. J'ai transporté par camion du blé à teneur de 60 p. 100 en protéines jusqu'à Tisdale, soit à 100 milles de chez moi, et j'en ai obtenu 2,52 $ par boisseau comme paiement initial. C'est le prix d'un pain.

Le président: Quel était le coût de vos intrants?

M. Hardy: Je préfère ne pas en parler.

C'est une des raisons pour lesquelles la situation est si grave. Dans une exploitation agricole mixte, à moins que vous n'ayez une culture spécialisée comme le canola, pour lequel les rendements sont plutôt bons cette année — tout comme les pois —, vous étiez vraiment mal en point. Toutefois, il y a une limite à ce qu'on peut cultiver, parce qu'il faut faire des rotations culturales. Il y a des limites à ce qu'on peut faire sur le plan des cultures spécialisées. Or, c'est la seule culture qui a donné un rendement décent cette année. Les autres ont affiché de piètres résultats.

Le sénateur Hubley: J'aimerais en revenir à une question qu'avait commencé à poser le sénateur Gustafson. Beaucoup de parties prenantes croient que la solution est un marché nord-américain entièrement intégré. En vue de limiter les distorsions commerciales à l'avenir, le Canada, les États-Unis et le Mexique se sont mis d'accord pour accélérer l'harmonisation et l'uniformisation des règlements concernant l'ESB en Amérique du Nord. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, dans la mesure où c'est là une des solutions que vous entrevoyez.

M. Hayden: Je suis tout à fait d'accord. L'industrie est intégrée. Il existe des raisons pour lesquelles certains tentent de se ménager la capacité de semer le désordre sur le marché, mais de pareils actes ne seraient pas posés dans l'esprit du véritable libre-échange. Je ne crois pas que les producteurs canadiens craignent le libre-échange. Au contraire, ils acceptent de relever le défi et d'ainsi pénétrer un marché où ils peuvent faire connaître leur produit.

J'ai eu l'occasion de m'entretenir pendant quelques instants avec notre vice-première ministre aujourd'hui, et il a été question de l'ESB. Cela pourrait me poser des problèmes avec certains de mes amis éleveurs, mais j'adorerais pouvoir apposer le drapeau canadien sur mon produit parce que je ne crains pas la comparaison avec celui des autres.

Ce qui me frustre, c'est qu'il peut y avoir des distorsions pour des raisons politiques, ce qui est justement le cas actuellement. Je ne crois pas que quiconque ait accepté de faire partie d'un régime de libre-échange partiel. C'est un régime de libre-échange qui nous a été présenté. Jusqu'à ce que les échanges soient véritablement libres, comment saurons-nous de quelle façon nous nous débrouillons, face à la concurrence? Je ne crains pas du tout que les producteurs d'aliments canadiens ne soient pas à la hauteur, non seulement sur le marché nord-américain mais également à l'échelle de la planète. Nous offrons d'excellents produits. L'hôtel où je séjourne se vante du boeuf de l'Alberta qui figure à ses menus. J'invite le monde entier à faire l'essai de nos produits.

Le sénateur Hubley: Êtes-vous en train de dire que le principal problème auquel vous faites face actuellement est le protectionnisme?

M. Hayden: Tout à fait. Je ne vois aucune raison scientifique de fermer la frontière comme elle l'est actuellement et, pourtant, elle demeure fermée.

Nous ne sommes pas non plus innocents. M. Hardy a mentionné que nous imposons des restrictions pour quelques maladies. Votre prochaine délégation et quelques producteurs de bovins de race contesteraient peut-être ce que je m'apprête à dire, mais il est temps de laisser tomber ces restrictions. Il faut que le libre-échange soit libre. Ouvrons nos frontières. Tout comme les personnes, les bêtes ont des liens de parenté. Consacrons-nous à leur faire dépenser leur argent.

Le sénateur St. Germain: Vous nous dites que, de votre point de vue et selon les rencontres que vous avez eues aujourd'hui, le problème est de nature politique. Vous citez le protectionnisme. Il ne fait aucun doute que certains producteurs américains aimeraient que la frontière soit fermée pour pouvoir pendant un certain temps optimaliser leurs profits. Toutefois, eux aussi font face à des difficultés pour l'exportation de leurs produits au Japon et en Corée, ce qui affecte les décisions qu'ils prennent, j'en suis sûr.

Je viens de parler au sénateur Lawson et au sénateur Fairbairn. Si le problème est d'ordre politique, nous ne devrions pas passer notre temps à nous entretenir avec vous. Nous devrions plutôt vous écouter et aller discuter du problème avec les Américains. Nous pouvons faire le voyage. Nous pourrions en réalité demander au Sénat de nous allouer des fonds pour faire le voyage. S'il y eut jamais une cause légitime, c'est bien celle-là! Si le problème est d'ordre politique, il serait seulement logique d'y chercher une solution sur le plan politique. Il ne sert à rien d'en parler entre nous. Nous connaissons déjà la nature du problème parce que nous avons tous entendu — il est inutile de venir nous en parler davantage. Je ne minimise pas votre présence. Nous pouvons prendre toutes les notes que nous voulons, nous pouvons demander à la bibliothèque de nous préparer toutes les questions et ainsi de suite, mais si nous ne faisons pas ce que nous avons à faire, nous manquons à nos devoirs. Voilà le genre de question qu'il faudrait se poser.

J'ai déjà été membre du Cabinet, il y a des années. Je sais à quel point une rencontre avec les homologues des États- Unis peut être efficace. Nous ne sommes peut-être pas élus, mais nous sommes reconnus — que cela vous plaise ou non. Notre système, tel qu'il est, nous vient de Grande-Bretagne. Nous devrions être aux États-Unis. Vous pouvez toutefois nous aider en énonçant clairement les points à l'égard desquels nous devrions inciter les Américains à ouvrir la frontière. Je le répète: nous pouvons nous asseoir ici à la table et faire venir des témoins des quatre coins du pays, mais si nous nous contentons d'absorber de l'information sans rien faire, qu'aurons-nous accompli? Il faut utiliser cette information. Je suis conscient que c'est là notre responsabilité. Je vous demande de me faire connaître votre réaction à ce que je viens de dire parce que c'est vous qui êtes sur les braises. C'est vous qui vivez la situation.

Je vais répéter mon histoire. J'ai vendu mon troupeau de vaches en avril et l'ESB a frappé en mai. J'obtenais 1 050 $ pour les génisses pleines. J'ai reçu moins d'argent pour les trois qui se sont échappées que pour l'une des 100 environ que j'ai expédiées. Pouvez-vous commenter cela? Pouvez-vous nous donner des munitions?

M. Hayden: Si je ferme la porte à toute aide, quelle qu'elle soit, battez-moi. Si vous pensez pouvoir vous rendre là- bas et discuter avec certains de vos homologues, je vous en prie, faites-le. Toute aide est appréciée. Nous sommes en crise. Si vous connaissez des gens là-bas et que vous pensez pouvoir leur parler, faites-le; je trouve que c'est une bonne idée. Je pense qu'on pourrait sans doute nous reprocher de signaler que c'est un problème politique, et non un problème scientifique.

En même temps, je crois que vous avez l'appui de certains pays asiatiques, et certainement du Mexique. Il y a là-bas différentes personnes qui leur ont dit: «Dès que vous commencerez à traiter le Canada comme vous aimeriez être traités par nous, ce sera le moment de reprendre les pourparlers». Il y a peut-être une ouverture à l'heure actuelle.

M. Briese: Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur. L'argument de poids, c'est que si la frontière entre les États-Unis et le Canada n'est pas rouverte, les autres pays n'ouvriront pas les leurs. Il faut que ce soit la première étape du processus. Si vous avez les moyens de faire du lobbying en ce sens aux États-Unis, vous devriez le faire. Quant à nous, nous devrions faire la même chose à notre niveau. Nous envisageons d'agir par l'entremise de la Fédération canadienne des municipalités.

Le sénateur Fairbairn: Certains de vos maires sont déjà allés là-bas.

M. Hayden: C'est exact.

Le sénateur St. Germain: Pour être juste, il ne faut pas y voir un reproche à l'endroit du gouvernement. Comme le sénateur Fairbairn l'a signalé, des ministres du Cabinet se sont déjà rendus là-bas. Cependant, il est évident que les choses ne progressent pas. S'il n'y a pas de règlement sous peu, il faudra faire quelque chose car on ne peut pas laisser les vaches en plan et ne rien faire. Il faut les nourrir. Si c'est impossible, il faudra en faire quelque chose. Si nous voulons que le Sénat soit efficace, si l'occasion s'offre à nous, nous devrions nous rendre là-bas. J'aimerais pouvoir consulter certaines personnes de votre organisation qui ont peut-être des informations que nous n'avons pas. Nous n'avons pas toutes les réponses. Certains pensent que toutes les réponses se trouvent ici à Ottawa, mais ce n'est pas le cas. Le Sénat devrait sérieusement envisager d'intervenir. J'espère que nous aurions votre appui.

M. Hardy: Ils ont dit ce que j'aurais dit.

Le président: Vous êtes tous les trois au courant de la situation actuelle aux États-Unis, et les attachés de recherche m'ont fourni ceci. Le 9 février 2004, les États-Unis ont annoncé qu'ils avaient complété leur enquête sur le cas d'ESB et ils ont rouvert du 8 mars au 7 avril la période de commentaires sur la décision proposée. À l'issue de cette période, conformément à la loi américaine, le ministère de l'Agriculture américain devra analyser les commentaires et y répondre officiellement avant de publier la décision finale.

Savez-vous s'il existe un obstacle qui pourrait les empêcher d'accepter d'ouvrir la frontière dans la foulée de cet exercice?

M. Hardy: Non. Nous en avons énormément parlé. Pour la première fois, leur période d'examen portait sur les animaux abattus sur 30 mois. C'est un pas en avant.

Le président: Aujourd'hui, dans vos commentaires, vous avez surtout parlé des exploitations de naissage. Vous souhaitez qu'on y apporte de nombreux changements. Vous n'avez pas tellement parlé des bovins de plus de 30 mois, que nous avons maintenant en abondance au Canada.

M. Hardy: C'est l'autre volet qui nous intéresse. Il nous faut trouver un moyen d'équarrir les vaches de réforme. On ne peut pas tout simplement les abattre et les enterrer dans un trou. Il y a des gens qui meurent de faim dans le monde. Cela n'a aucun sens. Il nous faut trouver des marchés, mettre cette viande en caisse carton et la vendre.

Nous avons évoqué la nécessité d'avoir plus d'abattoirs. Trois abattoirs au Canada peuvent accueillir un nombre considérable d'animaux. Il y a aussi plusieurs petits abattoirs, mais trois grands seulement: deux en Alberta et un en Saskatchewan. Ils contrôlent le marché. Les abattoirs de l'Alberta contrôlent 80 p. 100 du bétail acheminé à l'abattage, ainsi que les parcs d'engraissement. Nous avons besoin d'autres établissements, mais on ne bâtit pas un abattoir du soir au lendemain, pas plus qu'on ne trouve des marchés en criant lapin.

Dans l'intervalle, il faut faire en sorte que la frontière rouvre. Nous devons résoudre le problème de la langue bleue et de l'anaplasmose que nous avons créé pour eux. Dans le secteur, on nous enjoint depuis longtemps de le régler. La période d'examen est terminée; elle a pris fin le 17 février. Reste maintenant à savoir quand ils voudront agir. Nous avons communiqué avec le bureau de M. Speller aujourd'hui ainsi qu'avec celui de M. Goodale il y a une demi-heure. Je pense qu'ils reconnaissent cette nécessité.

Nous n'avons pas soulevé cette question avec vous parce que nous avons supposé que vous seriez au courant.

Le sénateur Mercer: J'apprends énormément grâce à ce processus, en fait, j'en apprends plus que j'aurais voulu en apprendre. J'ai lu quantité d'articles et de chroniques, dont l'éditorial paru aujourd'hui dans le journal Red Deer Advocate qui pose la question suivante: «Les grandes abattoirs de l'Alberta ont-ils fait des profits fortuits sur le dos des agriculteurs de la province?» J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet tout à l'heure.

J'ai également lu The Western Producer du 23 février dernier sur la vache à lait; où est passé l'argent?

Mes collègues autour de la table ne sont pas étonnés de m'entendre poser des questions comme celle-là. J'ai beaucoup d'empathie pour le producteur. J'ai aussi beaucoup d'empathie pour le consommateur, à l'autre bout du processus. En tant que consommateur de boeuf, je sais que je paie à l'heure actuelle le même prix qu'avant la crise. Les éleveurs de bétail ne reçoivent certainement pas le même prix. Le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux ont versé passablement d'argent au secteur . Je pose la même question que le Red Deer Advocate et que le The Western Producer: où est passé l'argent?

Messieurs, êtes-vous d'avis qu'aujourd'hui, le prix du boeuf à l'épicerie devrait être inférieur à ce qu'il était avant le début de la crise?

M. Hayden: Un certain nombre de facteurs sont intervenus pour créer la situation actuelle. La délégation qui nous suit dispose d'une certaine expertise dans ce domaine également. Vous pourriez les interroger à ce sujet.

Des erreurs ont été commises lorsqu'on a élaboré les premières formules de financement et les mesures de renflouement. Et ces erreurs n'ont pas été commises seulement au niveau fédéral, mais aussi au niveau provincial. C'est mon opinion personnelle.

Tout exploitant qui ne tire pas parti d'un programme au mieux de sa capacité ne demeure pas en affaires très longtemps. Bien des gens ont dénoncé la situation des abatteurs et qualifié leurs profits d'obscènes. Je serais plutôt d'accord avec cela, ne serait-ce qu'à cause de la situation dans laquelle se retrouvent les consommateurs et les producteurs primaires. Le consommateur est confronté à des prix élevés et le producteur primaire n'a pas autant bénéficié de l'effet du percolateur que nous le pensions.

Tout étant relatif, le prix du veau était bon l'automne dernier, en comparaison avec d'autres époques où la situation était bien pire. Il y a tellement d'autres difficultés qui s'ajoutent à cela.

Je vais faire ici une chose que je ne fais pas normalement, c'est-à-dire me porter à la défense des transformateurs, dans une certaine mesure. Avec la fermeture de la frontière, je sais qu'ils ont perdu des marchés où ils vendaient auparavant leurs produits à profit. Certaines coupes et certaines parties de la carcasses qui se vendaient 4 $ ou 5 $ la livre, par exemple, se sont retrouvées sous forme de hamburger. On peut donc invoquer le fait qu'étant donné qu'ils ne pouvaient vendre certains produits, leurs profits ont diminué. Je peux uniquement parler de la situation des entreprises de transformation de mon coin de pays, en Alberta. Je sais qu'elles fonctionnent à plein régime. Il existe un marché pour tout ce qui en sort et qui peut traverser la frontière. Nous avons certaines lacunes.

Au lieu de critiquer les transformateurs, il faudrait sans doute préparer avec plus de soin les plans et les programmes destinés à contribuer à la rentabilité des exploitations.

Je vais dire une dernière chose. Je sais que lorsqu'on verse de l'argent aux producteurs primaires, au bout de la chaîne, cet argent est redistribué immédiatement dans la communauté. On ne peut en dire autant lorsque l'argent va au début de la chaîne.

Le sénateur Mercer: Les consommateurs canadiens ont réagi de façon positive à la crise en augmentant leur consommation de boeuf. Je me sentirais beaucoup mieux de payer 12,95 $ pour mon steak si j'étais convaincu que cet argent va aux producteurs primaires. Voilà pourquoi les citoyens ont réagi de cette façon.

Je ne dis pas nécessairement que ce sont les abatteurs qui ont empoché l'argent. Je soupçonne que nos amis du secteur du détail tirent assez bien leur épingle du jeu aussi. J'y arrive.

Plusieurs d'entre vous avez parlé de capacité. Étant donné que la capacité de conditionnement des viandes est limitée au Manitoba et en Saskatchewan en particulier, les éleveurs de cette province n'ont pas tellement de débouchés commerciaux. Certains estiment qu'il est nécessaire de rehausser la capacité d'abattage au Canada. Dans la région atlantique, d'où je viens, je sais qu'il n'y a pas d'établissement sous régime d'inspection fédérale. Il y en a un en construction à l'Île-du-Prince-Édouard, ce qui est formidable étant donné qu'à l'heure actuelle nos éleveurs doivent expédier leur bétail à l'extérieur de la région. Au Manitoba, il y a eu des discussions en vue de transformer une porcherie en établissement de naissage.

Cette position est-elle fondée sur la conviction qu'il n'y a pas suffisamment de concurrence dans certains marchés régionaux du Canada? Êtes-vous d'accord?

Je vais également poser mes dernières questions. Si la capacité de conditionnement augmente à court terme au Canada, que va-t-il se passer lorsque la frontière sera ouverte aux bovins sur pied? Les établissements nouveaux ou agrandis seront-ils en mesure de livrer concurrence et de fonctionner à plein rendement? Je sais bien que cela n'est pas vraiment de votre ressort.

M. Hardy: Je vais laisser M. Briese répondre puisque vous parlez de son coin.

M. Briese: Ce processus est en cours au Manitoba. Le gouvernement provincial a constitué un comité chargé d'explorer toutes ces possibilités. Nous avons quatre abattoirs locaux d'une capacité restreinte. La plupart des veaux de naissage sont acheminés de l'autre côté de la frontière vers divers abattoirs du nord des États-Unis. Avant de construire un abattoir, ce qui est une solution à long terme, il faut avoir des marchés que l'on sera en mesure de desservir.

Avant l'incident de l'ESB, nous importions au Canada environ 50 p. 100 de notre viande hachée. Ce sont les vaches de réforme qui approvisionnent ce marché. Nous avons ici une partie de cette capacité, mais non la totalité. Il nous faudrait développer des marchés supplémentaires. Il y a des limites à ce que nous pouvons faire avec les vaches de réforme ici au Manitoba, et je sais que c'est la même chose en Saskatchewan. Les grands abattoirs de l'Alberta se spécialisent dans les coupes de boeuf de choix qu'ils peuvent mettre en caisse et exporter. Le ministre de l'Agriculture de l'Alberta nous a dit la semaine dernière que les exportations de boeuf en caisse carton vers le Mexique sont plus élevées à l'heure actuelle qu'avant la crise de l'ESB et légèrement inférieures à ce qu'elles étaient vers les États-Unis avant l'ESB. Notre principal problème concerne la situation des bovins sur pied et non le marché qui s'est ouvert.

Le sénateur Callbeck: Monsieur Briese, on nous a dit être en présence d'une situation grave, voire désespérée, dont les effets continueront à faire boule de neige dans vos municipalités, touchant toutes les régions de la province.

À l'Île-du-Prince-Édouard, où l'on trouve environ 2 p. 100 des bovins à viande, nous sommes en train de mettre sur pied une entreprise commune — gouvernement, producteurs et détaillants — en vue de produire du boeuf de qualité dans l'Atlantique. Je crois savoir qu'il y a eu certaines discussions préliminaires en vue de faire la même chose dans l'Ouest. Est-ce exact?

M. Hayden: À l'heure actuelle, six projets sont prévus dans la province de l'Alberta. Dans trois cas, il s'agit d'agrandissements et dans trois autres, de nouveaux établissements. Nous pensons qu'il faudra environ cinq ans pour que cela se concrétise. Certes, c'est nécessaire et c'est une bonne idée, mais c'est maintenant que sévit la crise. Si nous n'affrontons pas cette crise maintenant, il ne restera plus personne dans le secteur pour produire les bovins dont auront besoin ces établissements de conditionnement dans cinq ans. La situation est à ce point critique.

Le sénateur Callbeck: Faut-il vraiment cinq ans pour lancer un tel projet?

M. Hayden: L'établissement pourrait sans doute être construit plus rapidement, mais sans les marchés d'exportation, nous vendons à nos concitoyens. Les consommateurs canadiens ont augmenté leur consommation de boeuf de l'ordre de 60 p. 100 mais ce n'est pas ce qui s'est passé ailleurs. Partout ailleurs, la consommation a baissé dès qu'une maladie a été signalée. Il y a eu ici une augmentation de la consommation de boeuf de 60 p. 100 à partir du moment où la frontière a été fermée. Depuis, cette hausse s'est maintenue aux alentours de 50 ou 60 p. 100, d'après les derniers renseignements que j'ai. C'est un vote de confiance remarquable, mais ce n'est sans doute pas ce que vous voulez entendre si vous êtes éleveur de porcs ou de dindes.

Pour rester au niveau national, il faut que nous puissions compter sur des établissements de production et de conditionnement appartenant à des intérêts canadiens dans les Maritimes, au Québec, en Ontario et partout au pays. Nos voisins de l'Est du Canada dépendent du commerce nord-sud, et bien que nous avons parlé du volet bovin de l'industrie, il n'en demeure pas moins qu'il y a une forte sympathie de la part des personnes présentes à la table pour les producteurs laitiers. Nous reconnaissons qu'ils sont aux prises avec un grave problème.

M. Briese: J'ai mentionné tout à l'heure qu'il y avait 28 petits abattoirs sous régime provincial au Manitoba. Les autorités provinciales ont mis sur pied un programme en vue d'en accroître la capacité. Ils ont réussi à pratiquement doubler cette capacité, mais cela ne règle pas le problème à l'échelle du pays. Comme je l'ai dit tout à l'heure au sénateur Mercer, on explore constamment diverses possibilités là-bas et en Saskatchewan pour déterminer si un établissement de conditionnement serait viable et s'il pourrait demeurer viable une fois la frontière rouverte.

Le sénateur Callbeck: Votre province a lancé un programme après l'incident de l'ESB et la production a doublé dans ces abattoirs?

M. Briese: Oui, mais je devrais vous donner les chiffres. D'après mes chiffres, qui ne sont pas tout à fait exacts, on transformait environ 16 000 animaux par année auparavant et on en est maintenant à 25 000. L'augmentation est de l'ordre de 15 000 à 25 000. Compte tenu du portrait d'ensemble, cela ne représente pas grand chose.

Le sénateur Callbeck: Dans votre exposé de ce soir, vous avez formulé certaines recommandations. Vous avez évoqué le nombre de bovins sur pied acheminés toutes les semaines aux États-Unis avant l'ESB. À l'heure actuelle, ces animaux engorgent le système. Avez-vous une idée des mesures qu'il conviendrait de prendre pour que l'offre corresponde davantage à la demande?

M. Hardy: Si je ne m'abuse, environ un million de jeunes bêtes sont acheminées chaque année de l'Ouest du Canada aux États-Unis.

Le sénateur Callbeck: Il y en a plus encore. Je pense avoir vu le chiffre ici.

M. Hayden: La population bovine — le troupeau producteur — en Alberta dépasse le nombre d'habitants. Normalement, ce sont plusieurs millions d'animaux qui partent là-bas.

Le président: De janvier 2003 à janvier 2004, la population bovine au Canada a augmenté d'un million de têtes. Il y a eu une augmentation de 1 million de têtes.

Le sénateur Callbeck: Avez-vous des idées des moyens à prendre pour faire en sorte que l'offre corresponde davantage à la demande, outre l'ouverture de la frontière?

M. Hayden: J'aimerais répondre brièvement. Il existe une solution plutôt déplaisante: la réduction du troupeau. En tant que représentants municipaux, ce n'est pas à nous à faire ce constat, mais si les marchés d'exportation demeurent fermés, l'industrie de l'élevage ne sera pas viable avec le nombre d'animaux sur pied qui existe maintenant. Nous avons du mal à garder les jeunes sur les fermes à l'heure actuelle, mais si nous nous retrouvons dans un contexte de surproduction qui enlève toute valeur à leur travail, ce sera la mort de l'industrie. Encore une fois, ce n'est pas à moi de faire ce constat. La réponse était de l'autre côté.

Il faut que notre marché d'exportation s'ouvre aux animaux sur pied et en caisse carton. Il faut que tout revienne à la normale puisqu'il existe un marché international pour nos produits.

Le sénateur Tkachuk: C'est une question politique. C'est différent. Nous pouvons être aux prises avec une sécheresse ou une chute des prix du grain, mais la sécheresse frappe habituellement un secteur particulier des Prairies, épargnant les autres.

Il s'agit d'un problème national qui touche l'élevage bovin, quel que soit l'endroit où vous vivez. Dans deux mois, il y aura un an que la crise aura débuté.

Vous avez rencontré le ministre des Finances et celui de l'Agriculture. Ce dernier comparaîtra devant notre comité jeudi. Nous lui poserons des questions à cet égard, mais que vous ont-ils dit?

M. Hardy: M. Speller était absent. Nous avons rencontré son chef de cabinet et certains de ses fonctionnaires. Nous avons abordé essentiellement ces questions. Nous leur avons fait part des besoins à ce chapitre. Nous avons eu l'impression qu'ils étaient sérieux dans leur intention d'envisager des solutions dans un proche avenir.

M. Goodale a tenu des propos similaires. C'est le ministre des Finances. Il a dit essentiellement qu'il fallait agir. Nous lui avons suggéré des idées de ce qui pourrait être fait, selon nous. Il n'a pris aucun engagement.

Nous avons insisté sur le fait que la situation dans notre secteur était presque désastreuse. Nous avons parlé pour le compte des trois provinces des Prairies, mais nos propos valaient également pour les autres provinces. Nous sommes sur le bord du gouffre. La crise est grave. C'est la pire qu'ont connue les agriculteurs des Prairies. Les coffres sont à sec.

Ce n'est pas uniquement le secteur des vaches et des veaux qui est touché. La crise commence à se répercuter sur tous, en raison des faibles prix du grain et des autres facteurs. C'est un élément du tableau général.

Le secteur de l'élevage des veaux et des vaches est dévasté, particulièrement le secteur de l'élevage bovin. C'était la source de liquidités de nombreux producteurs et petites entreprises. La source s'est tarie.

Nous avons essayé de faire valoir aux deux ministères que nous avions besoin de liquidités. Puis, nous leur avons indiqué qu'il faudrait apporter des changements au PCSRA pour satisfaire aux besoins.

Plusieurs propositions ont été formulées: les marges négatives et la lettre de crédit au lieu du dépôt. Il y a probablement au moins 60 p. 100 des producteurs qui manquent d'argent.

C'est la première fois que je suis témoin d'une telle situation — ce n'était jamais arrivé en Saskatchewan. J'ai toujours vécu dans cette province, et c'est la première fois que la situation est si désespérée. C'est pourquoi nous comparaissons ensemble aujourd'hui. La situation est la même en Alberta et au Manitoba.

Vous détestez devoir toujours tendre la main pour demander de l'argent. Cependant, nous avons besoin d'aide pour mettre fin à la crise dans le secteur de l'élevage bovin. Nous avons proposé la construction de nouvelles usines de transformation et l'agrandissement de celles déjà existantes. On parle d'une usine de transformation au nord de Weyburn, dans la région du sénateur Gustafson. Ces projets nécessiteront un an ou deux.

Si nous n'intervenons pas pour stabiliser notre secteur de l'élevage bovin et l'aider à traverser cette dure épreuve, nous perdrons une grande partie de cette industrie.

Le sénateur Tkachuk: S'il s'agissait de l'industrie automobile, nous obtiendrions probablement un peu plus l'attention du gouvernement. Je suis au courant de la gravité du problème. Nous en avons discuté en comité et au Sénat. La question a été aussi abordée à la Chambre.

Vous dites que vous avez parlé à deux ministres. Ils ne vous ont rien appris de nouveau. Nous voici dix mois plus tard.

Essayons de brosser un tableau de la situation. Nous pouvons le faire pour le compte des autres sénateurs et des membres de la Chambre des représentants aux États-Unis, mais nous souhaiterions expliquer la situation au ministre de l'Agriculture lorsqu'il comparaîtra.

Vous avez fait allusion à la réduction du cheptel. Il est possible que rien n'ait changé. Pourriez-vous me brosser un tableau de la situation advenant le cas où le gouvernement fédéral n'interviendrait pas, ce qui est le cas depuis les neuf ou dix derniers mois, si je peux m'exprimer ainsi? Rien n'a changé à la frontière en raison de l'élection présidentielle imminente aux États-Unis. Soudainement, tous les Américains deviennent protectionnistes. Selon vous, quelle sera la situation en décembre 2004 ou au printemps 2005? Je pose cette question à vous trois.

M. Hayden: Premièrement, cela ne peut pas se produire.

Le sénateur Tkachuk: Mais encore?

M. Hayden: C'est assez simple: nous, les Canadiens, ne pouvons pas permettre qu'une telle chose se produise. La crise a assez touché les collectivités urbaines que celles-ci ont pris conscience de la gravité de la situation.

Je suis un optimiste. Au cours des prochaines semaines, je pense que nos ministres des Finances et de l'Agriculture auront de bonnes nouvelles à nous annoncer.

Dans le cas contraire, la situation se dégradera rapidement. Le Canada n'a pas la capacité de conserver le nombre d'animaux que nous devons gérer actuellement. L'industrie nord-américaine ne peut pas se permettre les conséquences néfastes d'un abattage sélectif massif, parce que les médias en brosseront un tableau différent de la réalité. Nous n'avons pas besoin d'une telle situation, et les Américains non plus. La même chose vaut pour l'ensemble du secteur de l'élevage bovin.

Les mesures prises ne seront pas considérées comme une initiative visant à corriger le marché. On dira que ces mesures visent à enrayer une maladie, ce qui n'est pas le cas.

Je suis de la quatrième génération d'agriculteurs. Je n'envisage pas les scénarios pessimistes. Si je le faisais, ma famille aurait déménagé en ville il y a bien des décennies.

M. Hardy: En apportant certaines modifications, nous rendrons de nombreux programmes efficaces. Le tout fonctionnera pour l'élevage bovin. Nous avons besoin de mesures complémentaires.

Je suis plus optimiste. Je pense que le gouvernement fédéral présentera un plan. Ses représentants ont bien accueilli nos propos. C'est ce que je pense. Je crois sincèrement que les États-Unis ne peuvent pas fermer trop longtemps leur frontière en raison des marchés qu'ils veulent pénétrer. Ils seront traités comme ils nous traitent, ce qui joue en notre faveur.

Nous possédons un avantage que nous n'avions pas il y a quelque temps. Le délai réservé aux observations est de 30 jours. Celles-ci seront examinées, puis un autre délai de 30 jours sera fixé. J'ai bon espoir que les États-Unis ouvriront leur frontière à la fin de mai ou en juin.

S'ils ne le font pas, nous serons aux prises avec un problème. Nous devrions alors accélérer notre abattage sélectif. Nous devrions peut-être envisager de fermer notre frontière pour tous leurs produits pendant 30 mois.

Nous pouvons prendre des mesures draconiennes au Canada, mais ce n'est pas l'attitude à adopter. Il faudrait plutôt faire ouvrir la frontière et remettre en branle les échanges internationaux.

Le protectionnisme n'est guère utile également. Vous critiquez les Américains, puis vous les imitez. Nous pouvons le faire si nous voulons protéger un secteur. Ce sont des solutions illogiques. Il en existe d'autres.

M. Briese: Je suis d'accord avec eux. Nous ne pouvons pas laisser les choses suivre leur cours. Selon notre gouvernement provincial, les répercussions financières s'établissent à un million de dollars par jour au Manitoba. Notre province assez petite est déjà aux prises avec des coûts supérieurs à 300 millions de dollars.

Les répercussions nécessitent un peu plus de temps avant d'atteindre le centre de Winnipeg, mais elles touchent chaque secteur de notre population.

Nous croyons que nous avons besoin d'une certaine aide financière provisoire. La situation générale change quotidiennement. Nous pouvons très bien tenir des propos aujourd'hui, mais les scénarios pourront se modifier la prochaine semaine.

Nous avons eu des échanges très positifs. Les exportations à destination du Mexique constituent un de ces échanges très positifs. Nous parlons uniquement de viande en boîte. Ces exportations n'existaient pas le 20 juillet dernier.

Nous verrons graduellement les améliorations se produire. Nous avons besoin d'une aide financière provisoire d'ici là.

Le sénateur Sparrow: J'aborderai brièvement l'autre partie du secteur. Dans l'Ouest du Canada, nous avons mis en valeur un secteur assez important pour l'élevage du bison et du wapiti. Nous savons que ce secteur est aux prises avec de graves difficultés.

J'ai assisté à une vente de bisons vendredi dernier. Des bisonnes pleines étaient vendues 50 $ chacune. Des génisses du printemps qui seraient fécondées cette année se vendaient sept et huit cents la livre. Vous ne pouvez pas survivre très longtemps avec de tels prix. Je cite ces chiffres simplement pour que le débat ne porte pas uniquement sur le secteur de l'élevage bovin.

Monsieur Hayden a signalé que trois usines de transformation s'agrandissaient et qu'il y en avait trois nouvelles. Fonctionnaient-elles avant la crise?

M. Hayden: Je crois comprendre que celles qui ont été agrandies fonctionnaient peut-être. En ce qui concerne les trois nouvelles usines de transformation dont j'ai entendu parler, certaines comportent des aspects très innovateurs. Les producteurs investiront dans ces usines et y garantiront la livraison d'un certain nombre de têtes par année. Ainsi, le marché ne les amènera pas à fournir leurs produits à une autre installation parce qu'ils doivent garantir un certain approvisionnement. C'est un aspect auquel on travaille. Il s'agit de bonnes nouvelles, et ce sont les personnes sur place qui en sont la cause.

Pour que les affaires marchent suffisamment, vous devez de toute évidence obtenir davantage de votre clientèle pour appuyer le secteur. Vous venez de le souligner en nous citant les chiffres sur la vente de bisons. C'est bien de diversifier et d'ouvrir de nouveaux créneaux, mais vous devez disposer d'un plan d'affaires efficace. C'est ce qui est arrivé à notre secteur de l'élevage du bison et du wapiti lorsque la frontière a été fermée à l'exportation de leurs produits.

À ce que je sache, les trois nouvelles usines de transformation sont le résultat de la crise de l'ESB.

Le sénateur Sparrow: Le secteur de l'élevage du porc est encore aux prises avec des difficultés au Canada. Le cycle de la production porcine est beaucoup plus court que celui de la production bovine. Nous pouvons donc passer rapidement d'un marché florissant à un marché très faible.

Les gouvernements provinciaux de l'Ouest du Canada et les autres gouvernements ont encouragé la production porcine. Ils ont notamment accordé des prêts et favorisé l'expansion des porcheries, sans faire preuve de discernement. Ils ont dit aux éleveurs de porc que tout ce qu'ils pourraient produire serait vendu en Corée et dans d'autres pays. Cependant, ce scénario ne s'est pas concrétisé. Les marchés ne fonctionnent tout simplement pas de cette façon. Vous ne pouvez pas soudainement doubler votre production et vous attendre à pouvoir l'écouler sur le marché mondial. C'est ce qui s'est produit au sein de l'industrie du porc.

Je m'inquiète beaucoup du secteur de l'élevage bovin lorsque nous envisageons d'augmenter le nombre d'abattoirs. Il y a un an, tout allait si bien dans ce secteur. Je ne dis pas qu'il n'y avait aucun plan d'agrandissement, mais cela ne résoudra pas notre problème. Nous nous accrochons à n'importe quoi. Le problème est le suivant: nous devons faire rouvrir la frontière.

Vous avez dit avoir parlé à M. Goodale et à des représentants du ministère de l'Agriculture. Vous avez ajouté qu'ils ont bien accueilli certaines de vos propositions. Nous avez-vous fait part de ces propositions? Nous donnerez-vous des précisions sur ce que vous avez proposé aux ministres et à leurs fonctionnaires?

Le président: M. Hardy a énuméré cinq points dans la conclusion de son mémoire.

Monsieur Hardy, souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Hardy: C'était l'essentiel. Je pourrais ajouter l'aide financière provisoire jusqu'à ce que le problème soit réglé. Nous avons également mentionné la baisse de la valeur et les modifications qu'il faut apporter pour que le tout fonctionne.

M. Briese: Vous avez parlé de la croissance de l'industrie. Il existe un facteur qui restreint cette croissance. Il s'agit des terres propices à l'élevage bovin et susceptibles de fournir la pâture. Il est encore possible d'accroître nos troupeaux de bovins, mais la limite est presque atteinte actuellement.

Vous avez indiqué que les choses allaient si bien il y a un an. Ce n'était peut-être pas le cas. Le Manitoba, en particulier, envoyait pratiquement chaque animal abattu au sud de la frontière. Nous devons être plus autonomes à cet égard. Ce n'est là qu'un autre exemple de la nécessité d'avoir une certaine valeur ajoutée dans ce secteur. Nous devrions nous occuper davantage de la transformation.

Le sénateur Sparrow: Nous débordons légèrement la question qui nous intéresse. Cependant, nous avons pu lire dans les journaux des propos sur la possibilité que le marché mondial des céréales connaisse une crise au cours des deux ou trois prochaines années. Je suis perplexe, parce que le tout n'est pas étayé de statistiques précises.

Vous comparaissez aujourd'hui parce que les producteurs de céréales et les éleveurs de bovins sont aux prises avec des problèmes. Avez-vous entendu parler d'une possible pénurie mondiale de céréales fourragères qui aiderait particulièrement le secteur agricole?

M. Hardy: Compte tenu du prix que nous touchons pour notre produit actuellement, il est difficile de croire à une pénurie dans un proche avenir. C'était l'avis d'un professeur au sujet du marché mondial. J'ai déjà entendu souvent évoquer cette possibilité, et vous l'avez également entendu comme agriculteur. Je ne le sais vraiment pas. Il faudrait être beaucoup plus au fait de la situation que je ne le suis, mais je sais effectivement que, malgré l'accroissement de la population mondiale, bien des pays ne peuvent pas acheter nos aliments, même si le prix demandé équivaut à notre coût de production. Cette situation nous causera toujours un problème parce que l'Ouest du Canada est si éloigné des marchés. Je dois payer environ 60 $ la tonne uniquement pour expédier mes céréales par chemin de fer jusqu'au port. Ces frais absorbent tous les profits. De plus, il faut également assumer les frais de manutention. Les frais d'expédition et de manutention constituent la moitié des coûts du transport des céréales. Il est donc très difficile d'écouler nos produits sur le marché mondial. La plupart des pays qui veulent nos céréales sont des pays pauvres qui en ont probablement besoin, mais qui n'ont pas les moyens de les acheter, même si le prix équivaut à notre coût de production.

Le sénateur Gustafson: À titre d'information, le Conseil international des céréales de Londres a annoncé, il y a deux jours, que l'approvisionnement mondial en céréales a atteint son plus bas niveau depuis de nombreuses années. Je ne peux citer les chiffres exacts, mais le tout a été annoncé il y a quelques jours.

Le sénateur Lawson: Je souhaiterais formuler deux brèves observations. Je sais à quel point cette question est délicate. Avant de devenir député, je travaillais dans le domaine de l'élevage, de la transplantation embryonnaire, et cetera Il est essentiel de parler de l'excédent, qui se situe, selon ce que j'ai entendu, à 900 000 ou 1 million de bovins, et personne ne veut de tels niveaux. Cependant, le sénateur Sparrow a indiqué l'autre jour que le problème s'exacerbera en raison de la prochaine production de veaux.

Monsieur Hardy, vous avez parlé de l'attitude actuelle des Américains.

Ils sont aux prises avec les conséquences néfastes qu'ils nous ont fait subir, et c'est pourquoi, selon moi, ce que propose le sénateur St. Germain est très valable. Je sais par expérience qu'il y a probablement ici une demi-douzaine des sénateurs les plus compétents et les mieux informés au sujet de ce secteur. Je fais allusion notamment aux sénateurs Gustafson, Sparrow, Fairbairn et St. Germain. Ils constitueraient un groupe idéal que nous pourrions envoyer négocier directement avec certains sénateurs américains.

Avant que je sois député, ce genre de réunions se tenaient entre le Canada et les États-Unis. Elles donnaient certains résultats. Il vaut certainement la peine d'essayer. Le sénateur St. Germain a souligné que des crédits sont disponibles pour le transport. Je pense que nous devrions prendre toutes les mesures nécessaires possibles, et nous devons composer avec une échéance.

Le sénateur Mercer: Vous avez parlé de l'aide financière provisoire. Il y a plusieurs semaines, des témoins ont proposé deux mesures que le gouvernement pourrait prendre à court terme. Premièrement, il faudrait un prix minimum temporaire pour stabiliser le marché du bétail. Deuxièmement, il faudrait établir un programme de garantie de prêts pour permettre aux producteurs d'acheter les bovins et au marché de fonctionner. Appuieriez-vous la mise en oeuvre de ces deux propositions? Elles ont été formulées par des représentants de l'industrie dans l'Ouest du Canada.

M. Briese: J'aborderai la question du programme de garantie de prêts. Notre province vient de mettre en oeuvre un programme analogue, qui est assez restreint. Il vise les parcs d'engraissement et comporte l'octroi d'un prêt maximal de 175 000 $. Initialement, je ne pense pas qu'il y a eu beaucoup d'intéressés pour la simple raison que les gens n'ont encore aucune idée de leur situation à la fin de cette période. Leur endettement ne ferait que s'accroître. Essentiellement, bon nombre de nos parcs d'engraissement sont à la merci de la banque actuellement. Ils sont sans le sou, mais n'ont pas encore jeté la serviette.

M. Hardy: Une garantie de prêt pour les parcs d'engraissement pourrait être utile, car ces parcs sont d'une importance vitale pour nous. Il est vraiment crucial d'avoir de l'argent liquide, surtout pour l'élevage du veau. Si l'élevage du veau ne se poursuit pas et si la frontière reste fermée, vous entendrez le contraire l'automne prochain. Dans un an, nous dirons que nous ne pouvons pas répondre à la demande. C'est très important. Je sais que c'est toujours un pari que prennent les gouvernements quand ils versent des fonds et que cela ne marche pas toujours. Le moment est peut-être venu, et probablement c'est le moment le plus important, pour que l'industrie du bétail de l'Ouest canadien ait des rentrées d'argent et c'est la seule façon de faire que je connaisse. Ces producteurs ont envisagé toutes les autres solutions, qu'il s'agisse du CSRN ou de la vente de ce qu'ils possèdent. C'est terminé. Lorsque vous vendez une vache, vous n'en retirez rien. Si vous pouviez la garder jusqu'à l'ouverture des frontières, vous auriez de nouveau des rentrées d'argent; il est donc important d'agir dans ce sens.

M. Hayden: Je suis complètement d'accord, il faut que les producteurs aient accès à des fonds. À la fin de ce processus, il faut que ce secteur soit viable. Il faut avoir conscience de certains risques cachés. La viabilité du secteur est assortie de quatre piliers; le pilier économique est étroitement lié au pilier environnemental et M. Briese a abordé ce sujet sans toutefois aller dans les détails. Le risque que nous courons ici, c'est que si l'industrie du bétail se retrouve dévastée, jusqu'au point où les terres marginales seront de nouveau cultivées et utilisées pour la production de céréales pour la soi-disant future pénurie de céréales, nous serons confrontés à de vrais problèmes environnementaux. Les quatre piliers, y compris le pilier social et le pilier culturel, dépendent des bonnes pratiques environnementales adoptées par l'industrie du bétail et par le secteur agricole. On ne peut se permettre d'abandonner notre pays si précieux et c'est pourquoi il faut soutenir cette industrie.

Le président: C'est une magnifique conclusion, monsieur Hayden.

Au nom du comité, je vous remercie tous les trois pour un exposé des plus excellent; vous nous avez transmis beaucoup d'information, de statistiques et de données. Je peux vous assurer que nous compatissons à vos difficultés et vous comprenons tant et si bien que nous souhaitons agir pour régler les problèmes que vous nous avez si bien décrits aujourd'hui. Merci beaucoup.

M. Hardy: Merci, monsieur le président, et honorables sénateurs, de nous avoir écouté parler de nos préoccupations au sujet du Canada et de l'Ouest canadien en particulier. Nous vous remercions de nous avoir consacré le temps nécessaire.

Le président: Honorables sénateurs, le prochain groupe de témoins comprend M. Terry Hildebrandt, président de l'Agricultural Producers Association of Saskatchewan; M. Bill Newton, président de la Western Stock Growers' Association, et M. Marvin Shauf, deuxième vice-président de la Fédération canadienne de l'agriculture.

M. Terry Hildebrandt, président, Agricultural Producers Association of Saskatchewan: Honorables sénateurs, merci de nous recevoir aujourd'hui.

J'aimerais vous dire comment s'est formée cette table ronde. L'Agricultural Producers Association of Saskatchewan a préparé au cours de l'été dernier un plan d'urgence à quatre volets suite à la crise de l'ESB. Au cours de ce processus, nous avons rencontré Bill Newton, président de la Western Stock Growers' Association. Cette association s'intéressait également à la situation des animaux de réforme et nos deux organisations ont compris que ce problème devait être réglé en priorité.

Notre collaboration a donné lieu à un document conjoint que nous avons présenté à la Fédération canadienne de l'agriculture, laquelle a approuvé notre plan à quatre volets, qui est imprimé dans le document que nous vous avons remis. Nous avons ensuite présenté notre plan au comité consultatif national ministériel sur la protection du revenu, qui l'a également approuvé. C'est ainsi que se résume la façon dont notre groupe s'est constitué.

M. Marvin Shauf, deuxième vice-président, Fédération canadienne de l'agriculture: Honorables sénateurs, la Fédération canadienne de l'agriculture — la FCA — est un organisme qui représente plus de 200 000 familles agricoles canadiennes d'un océan à l'autre. Elle a été fondée pour servir de porte-parole aux agriculteurs canadiens. À cet égard, la FCA s'engage à promouvoir les intérêts de l'agriculture canadienne, tout en assurant le développement durable d'une industrie agricole viable et dynamique.

L'agriculture canadienne est caractérisée par l'interdépendance des secteurs individuels les uns par rapport aux autres, qui est nécessaire pour assurer sa viabilité. Nous souhaitons parler aujourd'hui de la nécessité de redonner une viabilité à un secteur essentiel de l'agriculture — notre secteur du bétail, y compris les autres espèces de ruminants.

Qu'avons-nous appris en ce qui concerne l'ESB? Nous disposons actuellement de 300 000 animaux de réforme ayant perdu la moitié ou plus de la valeur qu'ils avaient avant la crise de l'ESB. Selon les estimations, ce nombre devrait monter à 700 000 d'ici la fin de l'année. Pourtant, les prix de la viande provenant de ces animaux qui ont été fixés pour les consommateurs demeurent similaires aux prix en place avant la crise de l'ESB.

Les transformateurs de second cycle demandent de renouveler leur permis d'importation supplémentaire. Il est clair qu'en tant que producteurs, nous devons répondre à la demande; en fait, nous disposons d'une offre excédentaire. Le produit est en demande, autrement les transformateurs ne demanderaient pas de permis supplémentaire.

Qu'est-ce qui ne tourne pas rond? Les exploitants d'abattoirs dans notre pays détiennent actuellement un monopole naturel, puisqu'il n'existe pas d'alternative pour transformer les animaux en viande. On dissuade les exploitants d'abattoirs de transformer le boeuf provenant d'animaux âgés de plus de 30 mois. En vertu des règles commerciales en vigueur avec les États-Unis, les exploitants d'abattoirs doivent posséder des capacités de chaînes de production et de ségrégation distinctes pour gérer à la fois la viande bovine provenant d'animaux de plus de 30 mois et la viande des animaux de moins de 30 mois. En raison des coûts d'assainissement et de permutation et comme il n'existe aucun autre débouché commercial pour les exploitants d'abattoirs, ceux-ci hésitent à transformer des animaux de réforme.

Par ailleurs, la production d'animaux de réforme réduirait le potentiel qu'ont les exploitants d'abattoirs de maximiser leurs marges de profit quant au boeuf provenant d'animaux de moins de 30 mois, pour lequel il est plus facile de trouver des marchés que pour les animaux de réforme. Cela a mené à un écart entre l'offre et la demande.

Il s'agit désormais d'un problème à la fois pour les producteurs et pour les transformateurs de second cycle. Il est essentiel de régler ce problème à l'interne pour s'assurer de ne pas aggraver la situation au Canada. Si nous importons davantage de boeuf de cette qualité en vertu des règles commerciales en vigueur, le niveau des prix du bétail canadien continuera à baisser et le problème s'étendra à toute l'industrie agricole canadienne, ce qui le rendra d'autant plus coûteux à régler.

Nous devons augmenter la capacité des abattoirs au Canada afin de répondre à la demande sur le marché intérieur et les marchés d'exportation qui nous sont encore ouverts. Le Canada peut se permettre de dépenser de grosses sommes d'argent pour régler le problème, plutôt que de délivrer des permis supplémentaires. Il s'agit de la seule façon d'extraire de la valeur du bétail de plus de 30 mois.

Le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole — le PCSRA — doit viser à combler la perte de valeur des marges de profit des producteurs si cette valeur ne provient pas du marché. Il faut trouver une solution proactive à cet égard.

L'ensemble du marché des animaux de boucherie est dysfonctionnel depuis environ le 20 mai. La situation a été aggravée par la mise en place du programme fédéral relatif aux animaux de réforme, qui exige un certificat d'abattage pour participer au programme. En effet, ce programme indiquait aux exploitants d'abattoirs qu'ils n'avaient plus à payer les animaux de réforme et que ceux-ci viendraient à eux, car il s'agissait de la seule façon pour les producteurs d'en tirer de la valeur. Tout cela s'explique par le fait que pour participer au programme fédéral, le producteur devait avoir un certificat d'abattage.

Le ministre Speller a changé cette exigence en février — première étape essentielle. La prochaine étape consiste à créer un marché concurrentiel. De plus, une capacité d'abattage supplémentaire permettrait de créer de la valeur pour ces animaux. La troisième étape pourrait être l'abattage structuré et stratégique de tous les animaux de réforme. Cette viande doit être retirée des marchés viables.

L'abattage intégral des animaux de réforme doit être examiné dans le contexte de la perte d'accès de longue durée au marché américain et à d'autres marchés, auxquels le Canada accède par l'intermédiaire des États-Unis. Environ 700 000 animaux représentent un très grand nombre d'animaux, même pour un marché ordinaire. Dans la situation actuelle, il s'agit d'un nombre très important et d'une offre excédentaire qui dépasse largement la demande actuelle. Plus précisément, l'offre est excédentaire par rapport à la capacité d'abattage de ces animaux. Il n'existe aucun marché d'exportation pour ces animaux et la capacité d'abattage est trop limitée pour répondre à la demande intérieure.

La limite imposée aux exploitants d'abattoirs qui ne peuvent pas accepter d'animaux de plus de 30 mois, s'ils exportent à destination des États-Unis, diminue encore davantage la valeur de ces animaux. Leur existence coûte tous les jours de l'argent au gouvernement et aux producteurs. Par ailleurs, même si les marchés d'exportation s'ouvrent à la viande provenant d'animaux de plus de 30 mois, notre capacité d'abattre ces animaux demeure limitée. Nous devons adopter une approche proactive pour régler ce problème.

Il y a déjà plusieurs mois que nous aurions dû élaborer une stratégie à cet égard. C'est ce que nous proposons dans notre programme à quatre volets. De nombreuses vaches de réforme vont mettre bas le mois prochain. Si la frontière ne s'ouvre pas dans un avenir proche, le problème s'aggravera en raison de l'augmentation de la production provenant des animaux de réforme.

Le nombre d'animaux de réforme constitue un autre problème croissant. À mesure que décroît la valeur du boeuf pour le producteur, elle tend à avoir un effet prédatoire sur les autres viandes du marché. La viande bovine continue à être la source de problèmes financiers dans tous les secteurs de l'agriculture, car la valeur réduite sape le bilan financier des producteurs, et il devient de plus en plus coûteux pour tout le monde de financer l'industrie.

Il est essentiel de régler le problème lié aux animaux de réforme afin d'apporter des solutions à l'industrie du boeuf et d'aider l'agriculture dans son ensemble. Cependant, la situation des animaux de moins de 30 mois est également précaire, puisque l'accès au marché américain est limité pour le boeuf en carton.

Le goulet d'étranglement se situe au niveau de la capacité de l'abattage. Si les producteurs sont forcés d'augmenter le volume des ventes, les prix chuteront, car il n'y a aucune souplesse de la demande du marché en ce qui a trait aux bovins sur pied.

Les producteurs peuvent être forcés de vendre pour plusieurs raisons, même lorsque la demande est faible et que les prix ne sont pas bons. Les producteurs auront besoin d'argent s'ils manquent de céréales fourragères. De plus, si les banquiers interviennent, ils exigeront des liquidations. Les problèmes de tous augmentent lorsque les prix tombent. À mesure que les prix chutent, les bilans sont sapés, entraînant d'autres liquidations et le problème devient vite impossible à gérer.

Il est donc impératif que le gouvernement agisse rapidement pour aider les producteurs en finançant stratégiquement les animaux âgés de moins de 30 mois. Il faut empêcher les producteurs d'être contraints de vendre, et ne pas encourager l'accélération des ventes. Il s'agit de mettre en place les conditions nécessaires pour que les producteurs puissent faire leurs propres choix en matière de commercialisation. Il s'agit uniquement de permettre aux producteurs de nourrir leurs animaux plus longtemps. Il ne faut ni l'encourager ni le décourager, mais plutôt se soumettre aux forces du marché.

Il s'agit d'un investissement judicieux pour le gouvernement. Non seulement cela va-t-il stabiliser l'industrie, mais cela va aussi permettre au gouvernement de faire des économies. Si nous n'agissons pas, les revenus des producteurs seront gravement touchés et le PCSRA devra supporter de plus gros frais, puisqu'il doit combler une insuffisance de marge après les faits. Toutefois, le PCSRA ne vise absolument pas à maximiser les revenus du marché et pareille situation fait donc appel à une stratégie proactive.

Nous devons tirer une leçon à long terme de cette situation applicable à l'ensemble du secteur agricole. Nous avons bâti une industrie qui dépend de l'infrastructure d'un autre pays pour transformer les matières premières en biens de consommation. Nous savons que nous risquons de manquer de capacité d'abattage et que celle-ci s'ajustera au niveau de rentabilité de notre pays par rapport à celui d'autres pays.

Si nous ne parvenons pas à fournir une demande suffisante pour le secteur de l'abattage afin que ce dernier puisse réaliser des profits, il diminuera sa capacité au Canada.

Au fur et à mesure que les opérations d'engraissage continueront de se déplacer vers les États-Unis, en raison notamment du maïs subventionné, la demande pour les exploitants d'abattoirs suivra le bétail et les services de commercialisation se déplaceront également vers les États-Unis.

Au Canada, notre économie perd cette valeur et nous dépendons de plus en plus d'autres pays pour transformer nos aliments et répondre à la demande intérieure.

C'est aussi le cas en ce qui concerne la commercialisation de notre production; nos producteurs, l'industrie canadienne et les consommateurs sont par conséquent plus à la merci des entreprises internationales de commercialisation, si bien que, par ricochet, l'approvisionnement alimentaire de nos consommateurs est également vulnérable.

La politique actuelle de la FCA quant à la mise en place d'un programme d'indemnisation ESB approprié pour les producteurs de ruminants s'appuie sur une reconnaissance de la complexité du problème.

Les questions qui concernent les exploitants de vaches et de veaux, les producteurs laitiers, les exploitants de parcs d'engraissement et les producteurs d'autres espèces de ruminants sont liées, mais peuvent différer en matière de pertinence, de portée et d'ampleur. Pour cette raison, la FCA conseille de mettre sur pied un programme d'indemnisation à quatre volets, composé d'un programme d'avances de fonds, d'un programme de compensation de l'insuffisance des revenus, tous deux visant les animaux de moins de 30 mois, d'un programme lié aux animaux de réforme et d'un programme de refinancement de la dette à un taux d'intérêt préférentiel.

Au fur et à mesure qu'évolue la situation et qu'il devient clair que la frontière risque d'être fermée aux animaux sur pied pendant un certain temps, les membres de la FCA reconnaissent que bien que les principes de l'approche à quatre volets demeurent valables, il va falloir peut-être adapter celle-ci à la nouvelle situation.

Soulignons également que les programmes doivent être offerts à tous les producteurs de ruminants.

L'agriculture est actuellement confrontée à deux crises: une crise agricole générale et la crise de la vache folle. La principale priorité consiste à obtenir des crédits de transition et à offrir un financement de compensation pour l'ESB à l'industrie. Une fois ce financement octroyé, nous examinerons la possibilité de mettre en place des garanties de prêt pour stimuler davantage les rentrées d'argent des producteurs de ruminants. Toutefois, une garantie de prêt ne remplacera pas le besoin urgent du financement de transition et du financement direct de compensation pour l'ESB.

Deux préoccupations au sujet des garanties de prêts doivent toutefois être évaluées: le temps nécessaire pour que les agriculteurs obtiennent ces prêts et l'impact sur le marché une fois ces prêts récupérés.

Le seul moyen de faire parvenir des fonds assez vite aux producteurs consiste à les financer directement. L'inquiétude, c'est que de nouveaux emprunts alourdiront le fardeau des producteurs à moyen terme. Toutefois, il se peut qu'un programme comprenant un volet de garantie de prêts pourrait constituer une manière efficace de verser des fonds supplémentaires aux producteurs, dans la mesure où cela ne réduirait pas le niveau de financement direct.

Ce type de programme permettrait aux producteurs de prendre des décisions judicieuses en matière de commercialisation. Il est à noter que les nouveaux crédits versés directement aux producteurs feront éventuellement contrepartie au Programme canadien de stabilisation du revenu agricole, mais ils permettront de donner de l'argent aux agriculteurs plus rapidement, sans attendre que le PCSRA n'intervienne. Comme je l'ai dit plus tôt, ces fonds doivent être remis de manière stratégique pour éviter l'effondrement du marché et alléger la responsabilité du PCSRA.

Par ailleurs, un programme de garantie de prêts augmenterait la dette des agriculteurs. Étant donné le besoin financier important des producteurs et les grosses pertes de valeur nette, le quatrième volet suggéré par la FCA, la mise en place d'un contrat de prêt à taux d'intérêt préférentiel mis en oeuvre à moyen terme, est toujours nécessaire.

Il faut verser des paiements directs aux producteurs. L'objectif, c'est d'éviter l'effondrement du marché. Pour ce faire, ces fonds doivent être effectués de façon opportune, stratégique et représenter un montant suffisant pour permettre aux producteurs de faire leurs propres choix en matière de commercialisation.

Si l'effondrement du marché ne peut être évité, le PCSRA ne disposera pas de suffisamment le fonds pour combler le manque à gagner.

Nous sommes prêts maintenant à répondre à vos questions.

M. Bill Newton, président, Western Stock Grower's Association: Merci de nous inviter ce soir. La Western Stock Grower's Association est une organisation à adhésion volontaire qui se trouve dans l'Ouest du Canada, en Alberta essentiellement. Nous représentons avant tout les utilisateurs de plantes fourragères, même si nous sommes aussi le porte-parole de tous les secteurs de l'industrie du bétail comme les exploitants de parcs d'engraissement et même certains des transformateurs.

Selon notre devise, nous voulons représenter les environnementalistes du marché libre or, cette crise ESB n'a rien à voir avec un marché libre. Je suis maintenant prêt à entendre vos questions, monsieur le président.

Le président: Merci, messieurs.

Le sénateur Fairbain: Je suis convaincue que les propositions du présent document que vous nous avez obligeamment remis ce soir ont été transmises au gouvernement comme il le fallait, n'est-ce pas?

M. Shauf: Oui. Ces propositions sont communiquées au gouvernement depuis plusieurs mois.

Le sénateur Fairbairn: On peut affirmer sans se tromper que l'on aura droit sous peu à une solution globale à ce problème aussi pénible que tragique. J'ose espérer que c'est là une source de réconfort pour les producteurs comme pour vous-mêmes.

À la lumière de vos témoignages et de ceux des intervenants précédents, j'aurais une question au sujet d'un point qui a été soulevé avec beaucoup d'insistance par d'autres témoins que nous avons entendus. Je parle de notre difficulté à nous donner les moyens de régler notre problème. Nous connaissons la situation: un des groupes auxquels j'ai parlé aujourd'hui me disait que plus de 80 p. 100 de la capacité de transformation au Canada se trouve dans deux usines appartenant à des intérêts américains dans le sud de l'Alberta — et nous savons tous de qui il s'agit.

Je suis persuadé que vous êtes au courant de la proposition lancée par un groupe mis sur pied à Calgary qui travaille actuellement à la création d'un mécanisme plus favorable aux producteurs. Ce groupe, Ranchers Beef Limited, est encouragé dans ses efforts par le groupe agricole Centara en Alberta. Il s'emploie à élaborer un plan en vue de la mise en place rapide d'une nouvelle installation au nord-est de Calgary afin d'accomplir, avec la contribution des producteurs, le travail de transformation jusqu'à maintenant effectué par les entreprises américaines, Cargill et Tyson. J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.

À peine ce projet était-il annoncé qu'on le disait déjà voué à l'échec — les fonds ne seraient pas suffisants et l'ouverture éventuelle de la frontière serait fatale. Ce n'est pas l'opinion des membres de ce groupe: ils croient qu'ils disposent d'une base suffisante pour améliorer et ce, très rapidement, le sort des agriculteurs canadiens. Quelles sont vos impressions à ce sujet?

M. Hildebrandt: Il faut comprendre à quel point la situation du marché est délicate. Si vous produisez du boeuf de marque, vous pourrez peut-être trouver un créneau sur le marché. Il demeure toutefois essentiel pour nous d'avoir des débouchés. Partout en Saskatchewan et en Alberta, des collectivités souhaitent voir une prise en charge par les producteurs, mais lorsque la situation reviendra à la normale, si jamais cela se produit, il sera difficile de soutenir la concurrence de ces deux organisations. Michael McCain de Maple Leaf Foods a pris la parole lors du congrès de la FCA il y a deux semaines. Comme vous le savez sans doute, cette entreprise transforme de la volaille et du porc et nous avons demandé à M. McCain pourquoi son entreprise ne se mettrait pas au boeuf. Il nous a répondu qu'il n'en était absolument pas question.

Il y a quelques années, Mitchell's Foods a connu beaucoup de succès, mais ne pouvait pas soutenir la concurrence dans un marché commun de l'abattage. L'entreprise s'est concentrée sur le bacon et les produits de viande spécialisés et s'est bien tirée d'affaire dans ce créneau. Cet exemple illustre toutefois bien la complexité de la situation. Il faut absolument avoir un marché en bout de ligne. Si vous optez pour le boeuf de marque, il y a certains créneaux possibles. Il y a de la place pour certains produits, mais la situation se complique lorsqu'un producteur devient propriétaire et investit dans ses installations pour voir le marché s'effondrer l'année suivante. Peut-être M. Newton pourra-t-il nous en dire davantage à ce sujet.

Le sénateur Fairbairn: C'est la situation tragique dans laquelle nous nous retrouvons qui m'incite à poser la question. On semble sentir une certaine frustration découlant du fait que nous sommes sous l'emprise d'organisations très importantes dont les agissements sont, de toute évidence, liés à la situation frontalière.

M. Hildebrandt: Lorsqu'on veut vendre un produit, on se heurte aux mêmes propriétaires. On peut abattre nous- mêmes le bétail, mais ils possèdent également...

M. Newton: Il s'agit certes d'un problème de concurrence et de capacité, de capacité de transformation s'entend. Permettez-moi un bref survol de la situation. Le Canada compte environ six millions de femelles d'élevage: un million pour l'industrie laitière et quelque cinq millions pour l'industrie bovine. La plupart de ces femelles donnent naissance à un veau chaque année. Certains de ces veaux ne survivent pas, mais même avec un taux de réussite de 80 à 85 p. 100, on se retrouve avec un contingent de 4,8 millions à 5,2 millions de bêtes par année qu'il faut écouler d'une façon ou d'une autre si l'on veut maintenir un cheptel stable — éviter qu'il ne croisse. Le problème, c'est que le Canada a une capacité de traitement d'environ 3 à 3,35 millions de têtes. En forçant un peu, on peut atteindre quatre millions, mais c'est encore insuffisant.

J'ai pris connaissance de quelques-unes des propositions faites en Alberta. Vous avez mentionné l'une d'elles, sénateur Fairbairn. M. Hildebrandt a souligné que de telles mesures fonctionnent bien dans certaines situations — un programme de boeuf de marque, du genre «du pâturage à votre assiette», permettant de suivre la bête ou le produit tout au long du processus. Je rêve du jour où le consommateur pourra choisir d'acheter des produits comme ceux-là, en connaissant chacune des étapes franchies par ce produit, cette viande, avant d'atteindre son assiette. Cependant, c'est seulement dans la situation actuelle, où il existe un marché d'exportation pour le boeuf, mais pas pour les bovins vivants, que notre capacité d'abattage nous fait défaut.

Si nous nous en tenions uniquement au marché intérieur pour le boeuf, notre capacité d'abattage serait amplement suffisante. Si la frontière s'ouvre pour les bovins vivants, alors les Américains ont suffisamment de capacité d'abattage excédentaire pour combler l'écart. Ainsi donc, comme M. Hildebrandt l'a souligné, toute tentative d'implantation dans l'industrie de l'abattage serait très risquée au Canada actuellement, compte tenu de l'incertitude quant à l'ouverture de la frontière pour les bovins vivants, si jamais elle est effectivement ouverte.

Chose intéressante, l'American Meat Institute se prononce actuellement en faveur d'une ouverture de la frontière pour les bovins vivants, en partie en raison du fait que les règles du jeu ne sont pas non plus équitables pour leurs principaux exploitants. Deux d'entre eux ont en effet accès aux bovins canadiens alors que ce n'est pas le cas pour les autres. Cette iniquité est simplement due au fait que ces exploitants ont des usines au Canada et que les autres n'en ont pas. Je m'inquiète un peu des répercussions à long terme d'une telle situation sur leur industrie. Assisterons-nous également à une consolidation forcée de l'industrie de transformation de la viande aux États-Unis?

Le sénateur Fairbairn: Les échanges avec les témoins qui vous ont précédé ont fait clairement ressortir le sentiment de frustration qui règne dans ce pays et qui amène mon collègue ici présent à vouloir prendre le prochain avion en direction des États-Unis, ce qui n'est pas une si mauvaise idée. Je sais pertinemment que les délégations canadiennes ont déjà été nombreuses; non seulement à partir d'ici à Ottawa, avec le premier ministre notamment, mais en provenance d'autres sphères des collectivités concernées. Ainsi, dans ma région du sud-ouest de l'Alberta, les maires de Medicine Hat, Brooks et Lethbridge se sont rendus passer une semaine dans l'État de Washington. Alors que l'on nous disait que les pressions politiques étaient très fortes pour que la frontière demeure fermée dans beaucoup de ces régions, nos maires ont pu constater qu'il y régnait une grande agitation et un très fort désir de voir la frontière s'ouvrir, une volonté que les Américains ne manqueront pas de transmettre à leurs instances politiques. Il me semble qu'il y a trois mois à peine, les échos en provenance du sud de la frontière allaient beaucoup moins dans ce sens-là.

Peut-être peut-on y voir un signe d'espoir.

M. Hildebrandt: Je ne saurais trop insister sur l'importance d'intervenir sur deux tableaux. Premièrement, il faut ouvrir la frontière; deuxièmement, le soutien des instances locales est absolument nécessaire. Depuis maintenant deux décennies, tous les ordres de gouvernement et l'ensemble des organisations agricoles ont prôné un recours plus intensif à l'élevage, une approche pleinement justifiée. Certains des intervenants précédents ont mentionné les raisons invoquées à cet égard, y compris l'environnement. En Saskatchewan, nous comptons 10 millions d'hectares de terres où l'on fait pousser des céréales qui n'auraient jamais dû être utilisées à cette fin. C'est l'endettement des jeunes qui nous a incités à agir ainsi. Dans ce contexte, il faut que la frontière soit rouverte, mais il faut aussi voir à assurer le soutien nécessaire à nos agriculteurs. Nous devons déterminer la façon d'utiliser les fonds disponibles de façon stratégique, parce que les versements gouvernementaux ne sont pas là pour remplacer les revenus du marché, mais bien pour les compléter. Je me réjouis de vos démarches auprès du Sénat américain, mais je crois également que vous pouvez exercer une grande influence ici même au Canada. Il est parfois difficile de savoir où se trouve l'œuf et où se trouve la poule mais, chose certaine, nous avons besoin d'argent rapidement.

Le sénateur Fairbairn: Nous allons continuer à faire toutes les démarches nécessaires.

Le président: Le ministre sera notre prochain témoin; vous êtes maintenant tous bien préparés à entendre sa présentation.

Le sénateur Gustafson: Je suis persuadé que l'intervention de la Fédération de l'agriculture saura influer sur le gouvernement compte tenu de l'étude que vous avez faite de la question et de la force de votre argumentation concertée.

Ma question porte sur le programme canadien de stabilisation du revenu, sur les marges en fait. Il y a un problème que vous comprenez sans doute mieux que moi. La période de cinq ans est maintenant terminée, avec ses hauts et ses bas. Certains ont connu des sécheresses ou ont été victimes de la grêle, comme ce fut le cas de notre ferme. Nous avons connu une année de sécheresse, une année perdue à cause de la grêle, une bonne année et une année médiocre. Dans un tel cas, il y a un problème avec les marges. Ce problème a-t-il été réglé? Est-ce que vous travaillez là-dessus.

Le second problème vient du fait que les jeunes agriculteurs, qui ne participent pas au programme de Compte de stabilisation du revenu net (CSRN), ne peuvent rien accumuler. Comment vont-ils effectuer le paiement nécessaire pour participer au programme qui a été prolongé jusqu'au 1er avril si je ne m'abuse?

M. Shauf: Il a été prolongé jusqu'au 31 décembre en fait.

Le sénateur Gustafson: Quelle est la date limite pour la présentation d'une demande?

M. Shauf: C'est le 30 avril.

Le sénateur Gustafson: C'était le 30 mars, il y a donc prolongation.

Il faut aussi penser que la situation du bétail est particulière. Dès que la frontière s'ouvrira, le problème se réglera rapidement à mon avis, parce que l'on trouvera un marché aux États-Unis et que les usines de transformation américaines manquent de boeuf. Les Américains ont besoin de notre boeuf.

La situation est différente dans l'industrie céréalière. Pendant 20 ans, nous avons mordu à ce que j'appellerais un leurre: nous allions amener les Européens et les Américains à arrêter les subventions et tous nos problèmes seraient alors réglés. Eh bien, il n'en est rien. Pas plus tard que l'an dernier, les Américains ont injecté 93 milliards de dollars additionnels en subventions. Le problème des céréales est plus grave que celui du bétail. Ce dernier sera réglé dès que la frontière rouvrira, mais si les céréales se vendent moins de 3 $ le boisseau, nous ne pourrons même plus récupérer les coûts de production.

M. Shauf: On pourrait difficilement prétendre le contraire. La question des marges de production pose effectivement des problèmes. Certains producteurs n'en ont pas du tout. Des propositions d'accords ou de modifications ont été soumises aux provinces. L'une d'entre elles vise à régler la question des marges négatives. L'adoption d'une telle modification permettrait de corriger quelque peu la situation. Dans le dossier de l'ESB, le problème avec le PCSRA vient toutefois du fait que ce programme ne s'applique qu'après coup. Si les producteurs ne disposent pas des fonds nécessaires pour faire les choix de mise en marché qui s'imposent, c'est la catastrophe, et le CSRA ne sert qu'à réparer les pots cassés. C'est ce que nous avons essayé de faire valoir dans notre exposé. Une approche proactive à ce chapitre est absolument essentielle pour l'ensemble de l'industrie agricole canadienne, parce qu'elle ne dispose d'aucune marge de manœuvre, d'aucune possibilité d'étendre la chaîne d'approvisionnement; si des pressions commencent à s'exercer sur le marché, les prix partent en chute libre. Lorsque cela se produit, les difficultés ne cessent de s'accumuler. Les institutions prêteuses se retrouvent dans une position délicate et le reste de l'industrie en ressent les contrecoups. Il est très important que notre proposition proactive soit mise en oeuvre si on ne veut pas se retrouver dans une telle situation.

Nous avons eu quelques entretiens très positifs avec le ministre fédéral de l'Agriculture. Il dit vouloir faire quelque chose pour faire progresser ce dossier. Nous ne pouvons pas, bien évidemment, parler de volumes ou de stratégies particulières, mais il vous en glissera fort probablement un mot sous peu. Pour ce qui est du CSRN, les jeunes agriculteurs ont accès à très peu d'aide financière. Nous nous sommes efforcés de faire valoir que les producteurs devraient pouvoir participer à ce programme sans avoir à engager des sommes importantes. Il n'est pas logique qu'ils aient à y injecter tous les fonds dont ils disposent pour pouvoir y participer. Ce sont les gens les plus nécessiteux qui sont les moins aptes à effectuer les paiements exigés. C'est plutôt paradoxal lorsqu'on pense que le Programme de stabilisation du revenu devrait exister pour protéger les plus vulnérables et pas nécessairement ceux qui n'ont pas de problèmes financiers au départ.

M. Hildebrandt: Je suis de l'est de la province où nous avons la chance d'avoir du temps humide. L'un de nos représentants élus de l'ouest de la province a connu trois années de sécheresse sur des terres trois fois plus grandes que les miennes. Sa marge de production est de 15 000 dollars inférieure à la mienne. Il est possible que ceux qui ont davantage besoin d'aide connaissent une bonne année sur trois, mais il doivent quand même subir deux sécheresses pendant ces trois années. En Saskatchewan, nos pertes économiques au titre des céréales au cours de la dernière année seulement ont surpassé celles subies pour le bétail jusqu'à maintenant; à cela, il faut ajouter cinq ou six années médiocres subventionnées. On peut parler des subventions; nous avons fait valoir aux bureaucrates responsables de la conception de ce programme que c'était comme si on réparait une fissure dans la fondation pour décider ensuite de construire une nouvelle maison. Si vous cultivez des céréales et des oléagineux, j'estime que votre marge de production est maintenue artificiellement inférieure de 25 p. 100 à son niveau normal en raison des répercussions, tels qu'établies par Agriculture et Agroalimentaire Canada, des subventions étrangères sur nos prix. Lorsque la frontière rouvrira, différents types de marchés deviendront accessibles. Je ne suis pas certain que nous puissions nous attendre à ce que les prix atteignent alors leur niveau d'avant le 20 mai. J'en resterai là pour l'instant.

M. Newton: J'aimerais formuler quelques brèves observations. Il ne faut absolument pas perdre de vue le lien étroit qui unit l'industrie céréalière et le secteur de l'élevage bovin. Bien entendu, c'est tout particulièrement le cas pour les céréales fourragères. Il ne fait aucun doute que j'espère une ouverture prochaine de la frontière et que je me réjouirais de voir nos problèmes disparaître aussi rapidement, mais tout dépend de la façon dont on procédera et des produits qu'on laissera passer. Certaines indications laissent entrevoir une ouverture progressive, soit pour les bovins vivants de moins de 30 mois destinés à l'abattage dans un premier temps, puis pour les bovins sur pied de moins de 30 mois devant être engraissés dans un parc terminal et, enfin, pour les bovins de plus de 30 mois. Le problème c'est que, avant la crise de l'ESB, nous exportions au moins la moitié de nos bovins sur pied de plus de 30 mois vers les États-Unis pour l'abattage, et que, depuis la crise, nous n'avons même pas atteint le niveau normal d'abattage de ces bêtes au Canada — environ 700 000 à 800 000 têtes par année.

En comptant une année pour commencer à trouver des solutions, il faut prévoir qu'au moins la moitié des 800 000 bêtes auront été refoulées. Il faudra du temps pour en revenir à un niveau adéquat. Si on essaie de faire des prévisions pour la prochaine année, il faut ajouter 800 000 têtes aux 400 000 restantes et l'on se retrouve avec 1,2 million de bêtes à abattre ou à peu près. Cela exigera un abattage très intensif de bêtes matures à chaque semaine, même si le marché est ouvert pour les produits. Je présume ici que les frontières ne seront pas ouvertes pour les bovins vivants de plus de 30 mois.

Je ne mettrais donc pas trop d'espoir dans un règlement rapide des problèmes après l'ouverture de la frontière.

M. Shauf: Je note également que vous avez indiqué que les Américains avaient besoin de notre boeuf. Ils ont perdu une destination pour environ 10 p. 100 de leurs exportations lorsque les marchés leur ont été fermés immédiatement après la découverte de la deuxième vache infectée. Cette proportion de leur production qu'ils ne peuvent pas actuellement exporter illustre bien l'importance économique de la situation. Tout le monde parle d'un problème politique, mais c'est également une question économique.

Le sénateur Mercer: Dans la situation actuelle de notre agriculture, il est probablement moins productif pour vous de passer du temps ici que d'être à la maison. Au moins, nous devrions, grâce à vous, être mieux au fait de votre situation. J'étais impressionné par votre exposé parce que vous y avez répondu à bon nombre de mes questions, mais d'autres interrogations ont émergé au fil de nos échanges. Je viens de la Nouvelle-Écosse. J'ai beaucoup d'empathie pour les agriculteurs, mais j'en ai également énormément pour d'autres personnes qui sont concernées par la situation. Je veux parler ici des consommateurs. Je suis moi-même un consommateur. Je paie 12,99 dollars pour une entrecôte chez mon boucher en sachant pertinemment que l'éleveur d'où provient l'animal touche 50 p. 100 de moins qu'auparavant. Je suis prêt à payer le gros prix. Les consommateurs canadiens ont bien réagi et ont démontré qu'ils étaient disposés à payer pour un produit sain et à appuyer l'industrie de l'élevage bovin. Je crois qu'ils préféreraient que leur argent aille à l'éleveur, plutôt qu'à un intermédiaire.

Le Red Deer Advocate se demande, dans un éditorial, si les principaux conditionneurs de viande en Alberta réalisent des profits mirobolants, les éleveurs de l'Alberta étant ceux qui devraient avoir l'argent. Le journal The Western Producer annonce en manchette, dans son édition du 22 février, «Cash cow: Where did the money go?», titre que l'on peut traduire par «La maladie de la vache folle: où est allé l'argent»? Ce qui m'amène à ma question. On estime qu'environ 45 millions des 500 millions de dollars du Programme de redressement relatif à l'ESB sont allés aux établissements d'emballage afin de les inciter à traiter davantage de bœufs et à payer des prix plus élevés aux producteurs. L'industrie soutient que cette partie du programme n'a pas fonctionné et que les abatteurs ont empoché l'argent.

Je vais siéger à ce comité pendant un bon moment et je vais continuer de poser les mêmes questions. Vous n'êtes pas, à mon avis, la source du problème. Toutefois, je vais continuer de poser les mêmes questions parce que je veux que les personnes à la source du problème finissent par se retrouver de ce côté-là de la table. Êtes-vous d'accord pour dire que l'argent que dépense le gouvernement pour régler ce problème, que l'argent que dépensent les consommateurs pour acheter du boeuf, n'aboutit pas dans les poches de l'éleveur et de l'exploitant de ranch? Que c'est le détaillant, le transformateur ou le conditionneur qui l'empoche?

M. Shauf: Voilà pourquoi nous avons parlé de financement stratégique. En encourageant les producteurs à vendre, nous exerçons des pressions sur le marché et nous incitons ceux-ci à dire: «Je n'ai plus à payer pour cela.» Lorsqu'une banque exerce des pressions sur un éleveur pour qu'il vende, la même chose se produit. Voilà pourquoi il est essentiel que le programme ne contraigne pas le producteur à vendre, ou à ne pas vendre, car lorsqu'il y a une demande sur le marché, tout le monde en profite.

Or, nous devons accroître la demande sur le marché afin d'augmenter la capacité de transformation, de favoriser la concurrence. J'ai parlé de l'abattage intégral des animaux de réforme parce que cette opération a pour but de retirer ces animaux des marchés viables. Ce n'est pas quelque chose que l'on fait inutilement. Nous devons trouver de nouveaux débouchés en dehors des marchés traditionnels. Nous pouvons y arriver — si nous concentrons nos efforts là-dessus et que nous prenons conscience des avantages économiques importants qu'une telle démarche présente. Nous devrions explorer cette idée plus à fond.

M. Newton: C'est ce qu'ont dit les autres témoins. Rétrospectivement, les choses sont toujours plus claires. Nous aurions peut-être pu faire mieux. L'Alberta en est à son cinquième ou sixième programme de redressement relatif à l'ESB. Nous en savons plus aujourd'hui, et nous nous débrouillons mieux. Toutefois, les objectifs du programme changent au fil du temps. Il y avait, au début, une multitude de problèmes. Les bovins n'étaient même pas abattus pour approvisionner le marché intérieur, et c'était tout ce que nous avions à l'époque. Le premier programme fédéral- provincial a permis, à tout le moins, de régler ce problème, d'assurer l'abattage des bovins pour approvisionner le marché canadien. Nous avons, pendant un certain temps, importé du boeuf des États-Unis en raison de la crise de l'ESB.

Le sénateur Mercier: Personne n'a répondu à ma question ou ne m'a dit où est allé l'argent. Or, l'argent a bel et bien été investi dans le système. Le Red Deer Advocate a parlé des 400 millions de dollars. L'éditorial, reprenant un commentaire formulé par un politicien de l'Alberta, a indiqué que cela démontre que quelque chose ne tourne pas rond.

C'est l'impression que j'ai depuis déjà un bon moment. Savez-où est allé l'argent?

M. Newton: Bien sûr. L'argent est d'abord allé aux producteurs. Ont-ils été en mesure de le garder? Pas complètement. Comme je l'ai mentionné, ils ont empoché de plus en plus d'argent au fur et à mesure que divers programmes étaient mis sur pied.

Le président: Ce ne sont pas les producteurs qui ont empoché l'argent s'ils n'ont eu droit qu'à 50 p. 100 de la valeur en raison de la baisse des prix.

M. Newton: Les producteurs touchent 50 p. 100 de la valeur du bétail de plus de 30 mois, et 90 p. 100 de la valeur du bétail de moins de 30 mois. Les marges brutes des conditionneurs ont augmenté, mais les règlements auxquels ils sont assujettis ont également été modifiés. Ils vont vous dire qu'ils doivent assumer des frais additionnels. Or, si ces frais sont à ce point élevés qu'ils absorbent leurs marges brutes, alors l'industrie est en sérieuse difficulté, car il ne reste pas grand-chose pour les autres intervenants.

Le sénateur Mercer: On se rapproche de la source du problème. Merci de votre aide.

M. Hildebrandt: Quand le gouvernement a exigé que les participants au programme fédéral relatif aux animaux de réforme fournissent un certificat d'abattage, nous avons encouragé les producteurs à communiquer avec nous. Nous avons rencontré les acheteurs de bétail. Quand ils ont su qu'ils auraient droit à X dollars, ils ont immédiatement réduit le prix demandé pour les animaux de réforme. Voilà pour les établissements d'abattage.

En ce qui a trait aux détaillants, ils ont eu l'occasion de discuter avec la FCA, l'autre jour. Nous leur avons posé la même question. Ils ont répondu — et j'espère que je ne me trompe pas — qu'ils vendent environ 600 produits par jour. Certains sont vendus à perte. Ils gagnent de l'argent avec certains produits, ils en perdent avec d'autres.

Ils ne décideront pas d'écouler leur boeuf, telle semaine, parce qu'ils l'ont peut-être payé moins cher. Ce n'est qu'un produit sur 660. Ils ne font que un ou deux pour cent de profit après impôt.

Le sénateur Mercer: Il y a peut-être deux sources de problème.

Le sénateur St. Germain: Vous pouvez peut-être répondre à ma question. Le marché américain va s'adapter et se passer du boeuf canadien, ce qui est inquiétant. Ils sont capables, du jour au lendemain, de décider de ne plus faire affaire avec la France, par exemple. Avons-nous songé à ce que nous allons faire? S'ils se passent de notre boeuf, nous devrons limiter notre production au marché national si la crise se prolonge et qu'aucune solution politique n'est trouvée.

Je voudrais que M. Shauf nous dise ce qu'il entend par «effondrement.» Pouvez-vous nous le dire? Vous avez utilisé cette expression dans votre exposé.

M. Shauf: Merci de la question. Il y a effondrement lorsqu'il y a baisse inexorable des prix. C'est ce qui s'est produit lorsque les participants ont été tenus, en vertu du programme relatif aux animaux de réforme, de fournir un certificat d'abattage. C'était la seule façon que les producteurs pouvaient avoir accès à l'argent. Les conditionneurs ont réagi en réduisant leurs prix, parce que c'était la seule façon que les animaux pouvaient être transformés en viande.

Si nous laissons aller les choses, si nous ne réagissons pas, nous allons assister à l'effondrement de l'industrie.

Le sénateur St. Germain: Est-ce que, à défaut de solution politique, l'industrie risque de s'effondrer? Voilà ce que je veux savoir. Le gouvernement peut injecter des fonds et régler temporairement le problème, mais il y a une limite. À un moment donné, il devra se rendre à l'évidence que la frontière va rester fermée. Que va-t-il se passer alors? Allons-nous devoir nous adapter en conséquence et nous contenter d'approvisionner le marché intérieur? Que va-t-il se passer?

M. Shauf: C'est ce qui se produirait, sans doute, si les États-Unis étaient le seul marché au monde. Or, il y a d'autres marchés et le Canada peut y avoir accès s'il les exploite, s'il met en place les ressources qui lui permettent de répondre à la demande intérieure.

Le sénateur St. Germain: Combien de temps cela va-t-il prendre?

M. Shauf: C'est pour cette raison qu'il faut accroître la stabilité de l'industrie bovine, refinancer la dette, limiter le cheptel. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous retrouver avec un million de têtes de plus, vu les capacités de reproduction de ces animaux. Voilà pourquoi une approche globale, une solution stratégique, s'impose.

Je vais revenir à la question qui a été posée plus tôt: où est allé l'argent? Nous ne pouvons pas nous croiser les bras en raison des erreurs commises dans le passé. Nos efforts doivent être stratégiques, tournés vers l'avenir.

Le sénateur St. Germain: Il y a deux choses. Vous avez la possibilité d'appliquer une solution temporaire sans savoir combien de temps va durer la situation. Est-ce que vous tenez compte aussi de l'inévitable, soit que la frontière reste fermée?

M. Shauf: Nous devons commencer à faire des ajustements, de façon réfléchie, et non pas continuer à faire fi d'un problème qui ne cesse de prendre de l'ampleur.

M. Newton pourrait vous donner plus de précisions à ce sujet.

M. Newton: Je ne suis pas encore prêt à accepter le fait que la frontière américaine va rester fermée. Elle doit réouvrir, pour plusieurs raisons. Les Américains peuvent très bien vivre sans nos produits. Il n'y a aucun doute là- dessus. Toutefois, ils ont besoin de leurs marchés d'exportation pour maximiser la valeur de l'animal, de la carcasse. Les Nord-américains ne sont pas prêts à manger certaines parties de ces animaux, chose que l'on fait volontiers ailleurs dans le monde. Si vous arrivez à assurer à ces produits un accès total et planétaire, vous obtiendrez alors un meilleur rendement que si vous essayez de vendre toutes les parties de l'animal aux consommateurs de votre propre pays, ou même de l'Amérique du Nord. Voilà pourquoi ils devront finir par s'ouvrir aux marchés mondiaux.

Cela me rassure, car, tout comme l'ont mentionné les autres témoins, nous détenons un avantage: il sera difficile pour eux de s'ouvrir aux marchés internationaux et, en même temps, d'exclure le Canada.

Si la frontière américaine reste fermée en permanence, nous allons être obligés de réduire de façon considérable le cheptel canadien, ce qui me préoccupe beaucoup, car l'économie rurale risque d'en souffrir. Nous allons dépeupler les régions rurales du Canada si nous supprimons la moitié de notre industrie.

M. Hildebrandt: J'aimerais revenir au plan d'urgence que nous avons commencé à promouvoir, le plan conjoint que nous avons mis en place en août ou septembre. Il prévoyait le versement d'avances de fonds, et la compensation de l'insuffisance de revenus pour toutes les catégories de bovins. Lors de la première crise de l'ESB, ils ont proposé d'absorber 90 p. 100 de la valeur des animaux abattus. Nous savons qu'il y a eu des problèmes par la suite, et c'est pour cette raison qu'il faut un plan d'urgence. Le programme comportait aussi un volet sur les animaux de réforme, et enfin un mécanisme de refinancement de la dette.

Nous demeurons convaincus que la frontière va être réouverte. Toutefois, je ne crois pas, comme d'autres le pensent, que nous allons toucher les mêmes prix quand les exportations vont reprendre au sud de la frontière et ailleurs.

Pour revenir à la dernière question, à l'heure actuelle, ils paient la coupe de choix 70 cents $CAN, et ils la vendent 1,05 $US sur le marché. On se demande qui empoche l'argent.

Le président: Est-ce que votre programme d'indemnisation à quatre volets est rétroactif? Prenons le cas de l'éleveur qui doit vendre 100 ou 200 têtes à très bas prix. Est-ce qu'il serait traité sur le même pied que les autres en vertu de ce programme, s'il avait droit à une aide?

M. Hildebrandt: Il fallait travailler avec six mois de recul, soit au moment où les veaux quittaient le parc d'engraissement. Nous avions peut-être évité l'abattage des animaux de réforme, mais nous savions que le bétail de plus de 30 mois poserait problème. Le prix du veau est resté relativement élevé durant l'automne, si l'on fait abstraction du taux de change du dollar. Ce n'est que lorsque les prix ont commencé à chuter, au cours de la nouvelle année, que le plan d'urgence pour les veaux ou les bovins semi-finis a été jugé nécessaire.

Nous sommes en train de faire la promotion du programme. Je crois comprendre qu'il sera rétroactif au 1er janvier de cette année.

Le sénateur St. Germain: Pour ce qui est des éleveurs enregistrés, est-ce que les taureaux d'élevage l'an dernier ont été vendus avant que la crise de l'ESB n'éclate?

Le sénateur Sparrow: Oui.

Le sénateur St. Germain: Voilà un autre secteur de l'industrie qui a dû souffrir. Je suis certain que les exportations aux États-Unis ont été touchées.

M. Newton: C'est exact. L'impact a été double. Il y avait un marché américain pour les animaux d'élevage, mais aucun marché de récupération pour les taureaux d'ici. La plupart d'entre nous avons des taureaux que nous préférerions ne pas avoir, que nous remplacerions par d'autres cette année. Toutefois, comme ne pouvons les faire abattre, et compte tenu de la faible valeur qu'on obtiendrait pour ceux-ci si nous le faisions, nous devons les garder. Nous n'avons pas besoin d'en acheter autant.

Dans l'ensemble, du moins dans l'Ouest canadien, les ventes de taureaux sont presque terminées le 20 mai.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais poser une question au sujet des exigences de déclaration obligatoire en vigueur aux États-Unis. Je crois comprendre que les usines de transformation doivent déclarer au gouvernement leur volume d'achats et le prix payé. Est-ce qu'un tel système pourrait être utile au Canada?

M. Newton: Le mécanisme de détermination des prix au Canada doit faire l'objet d'une plus grande transparence. Je ne sais pas si la déclaration obligatoire constitue le meilleur moyen d'y parvenir. Nous avons besoin de mécanismes efficaces de détermination des prix, chose que nous n'avons pas à l'heure actuelle.

Le sénateur Callbeck: Est-ce que le système fonctionne aux États-Unis?

M. Newton: Je ne saurais vous le dire, puisque je ne le connais pas très bien. Il y a des problèmes, mais je ne suis pas un expert en la matière.

Le sénateur Callbeck: En ce qui a trait aux exportations, le Japon exige que tout le boeuf importé soit testé aux fins de l'ESB. On a laissé entendre qu'il devrait y avoir une usine de transformation qui se charge de tester le boeuf exporté au Japon — ou que diverses usines s'occupent de tâches précises. J'ai entendu parler d'un nouveau test, l'ELISA, qui permet de déceler l'ESB. Est-ce quelque chose qu'on envisage de faire? Est-ce que l'on encourage les usines de transformation à adopter une telle approche?

M. Newton: Les usines de transformation ne font l'objet d'aucune pression en ce sens, parce qu'elles ont accès à tous les bovins et à tous les marchés dont elles ont besoin.

Le sénateur Callbeck: Il n'y a aucun marché au Japon à l'heure actuelle?

M. Newton: Il n'y a aucun marché pour le boeuf canadien au Japon, à l'heure actuelle. Toutefois, le dossier suit son cours. Le Canada et le Japon sont en train de discuter des tests d'équivalence. Nous essayons de déterminer si tous les animaux qui entrent dans la chaîne alimentaire humaine doivent être testés, comme cela se fait au Japon, ou s'il convient uniquement de tester les animaux qui présentent plus de risques, comme la population cible pour déterminer la prévalence de la maladie, et combien d'entre eux doivent être testés et remplir les conditions d'équivalence exigées par le Japon. Les discussions sur la question se poursuivent.

Mais vous avez raison: à long terme, nous allons devoir répondre aux besoins des consommateurs. S'ils veulent que des tests soient effectués sur tous les animaux et que ce marché mérite d'être exploité, nous allons peut-être devoir le faire.

Le sénateur Callbeck: Si on remplissait les conditions d'équivalence, y aurait-il un marché?

M. Newton: Il y a définitivement un marché pour le boeuf au Japon.

Le sénateur Callbeck: Est-ce un marché important?

M. Newton: C'est un marché assez important. Le Canada avait accès raisonnable au marché japonais avant la crise de l'ESB, tandis que les États-Unis, eux, avaient un accès important. Or, ces deux marchés sont maintenant fermés. Je pense que le Japon a de la difficulté à trouver suffisamment de boeuf pour répondre à la demande des consommateurs. Ce n'est pas un petit marché. Le Japon constitue le troisième client d'importance du Canada.

M. Hildebrandt: Il faut agir avec prudence, surtout si l'on compte rejeter les données scientifiques et fonder nos décisions sur des considérations politiques, sans paramètres ou normes. On s'était entendu, à l'échelle mondiale, sur une norme scientifique qui prévoyait que les bovins de moins de 30 mois devaient être libres de toute ESB. Quel message enverrait-on si on commençait à tester tous les animaux? On établirait un précédent si on testait tous les animaux et que les autres pays d'exportation ne faisaient pas de même. Quelle norme appliquerait-on aux pays qui échangent des biens sur le marché mondial? On peut sûrement établir une norme scientifique et l'atteindre. Il faut prendre garde de ne pas établir un précédent.

Il y a aussi lieu de s'inquiéter de l'optique entourant l'abattage intégral. Nous croyons qu'il ne devrait pas y avoir abattage intégral, mais simplement mise à la réforme, comme c'est la norme. Il ne devrait pas y avoir d'abattage intégral pour l'instant. La même logique vaut pour l'idée de tester toutes les bêtes. Les gens vont se demander pourquoi le Canada teste toutes les bêtes de 30 mois et moins si la science dit qu'il n'y a pas de risque à cet âge. En bout de ligne, le consommateur a toujours raison. On pourrait même décider de tester tous les animaux sur pied, y compris les poulets, mais je ne sais pas.

Cette situation est tellement nouvelle. Nous en avons discuté avec M. Speller, et ses réflexions vont exactement dans le même sens que les nôtres. Nul besoin de mettre inutilement de l'huile sur le feu.

Le sénateur Callbeck: Le test ELISA est-il coûteux en termes de temps et d'argent?

M. Newton: Je ne suis pas certain qu'on utilise le test ELISA, mais le test rapide est d'une vitesse raisonnable. Si je ne m'abuse, il se fait en quatre heures en laboratoire. Il faut toutefois ajouter à cela le temps de transmission des échantillons de l'abattoir au laboratoire et vice versa, ainsi que la diffusion des résultats et tout le reste. J'ai entendu hier soir qu'en Alberta, les tests coûtaient 150 $ par échantillon. Cela comprend le coût du test, qui se situe autour de 30 $, et celui du personnel qui le fait, de l'infrastructure, du transport des échantillons et tout et tout.

Le président: Où sont prélevés les échantillons: dans la colonne vertébrale ou dans le cerveau?

M. Newton: Dans le cerveau seulement.

Le sénateur Hubley: Ma question porte sur l'augmentation de notre capacité d'abattage. Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. On nous dit qu'avant l'apparition de l'ESB, le marché nord-américain était intégré en sens que les produits allaient et venaient à la frontière. Si nous augmentons notre capacité d'abattage — et on prévoit que certaines usines vont grossir et qu'il y en aura de nouvelles — cela réglera-t-il le problème de la réforme? Croyez-vous que cela risquerait de perturber le marché si la frontière venait à rouvrir? Croyez-vous que si nous augmentons notre capacité d'abattage toute l'industrie s'en trouvera déséquilibrée?

M. Shauf: Le renforcement de notre capacité d'abattage ne devrait pas perturber le marché. La capacité excédentaire ne serait pas utilisée, mais il ne devrait pas y avoir perturbation du marché si l'on investit pour renforcer notre capacité d'abattage. Si c'était le gouvernement qui investissait les fonds nécessaires, les choses seraient probablement perçues différemment. Cependant, si cet investissement n'était pas viable ou s'il cessait de l'être, il serait retiré du marché pour des raisons économiques évidentes.

Ce n'est pas nécessairement la capacité d'abattage qui crée une concurrence sur le marché. Si on trouvait un autre moyen d'utiliser ce bétail, on créerait alors une concurrence aux abattoirs. Lorsqu'on parle d'abattage intégral, on pense à d'autres formes d'utilisation de ces animaux. Je veux que ce soit bien clair.

Le sénateur Hubley: Ce serait un avantage à long terme pour l'industrie canadienne. Tout n'irait pas à un établissement jugé sûr aux États-Unis. Nous nous occuperions toujours nous-même de nos animaux à ce stade. Vous nous dites que nous devons accroître notre capacité dès maintenant, n'est-ce pas?

M. Newton: Il ne faut aucun doute que nous devons accroître notre capacité. Si la frontière rouvrait aux exportations de bovins sur pied, nous n'aurions probablement plus besoin de cette capacité accrue, parce que celle des Américains suffirait.

Nous serions bien bêtes de continuer comme avant sans nous poser de questions. Nous avons certainement appris la leçon que nous dépendons de l'infrastructure de quelqu'un d'autre. À long terme, nous devons renforcer la capacité d'abattage du Canada et tirer profit de la valeur ajoutée qui en découle.

Le sénateur Hubley: Croyez-vous en une frontière harmonisée entre le Canada, les États-Unis et le Mexique dans l'avenir?

M. Newton: J'y crois sincèrement. C'est l'orientation que prennent les trois pays en ce moment.

Si nous nous contentons d'harmoniser nos réglementations respectives sur la santé, sans harmoniser le reste de nos lois ayant des incidences sur les décisions d'affaires, comme les lois fiscales et environnementales, les règles du jeu risquent de ne pas être tout à fait équitables.

Le président: Vous pensez aussi aux subventions?

M. Newton: Évidemment.

M. Hildebrandt: La clé, c'est le marché. Comme M. Shauf l'a dit, il peut y avoir de nouveaux marchés. Par exemple, devant la situation des vaches de réforme, nous avons naturellement pensé à la famine dans le monde.

Dans les parties du monde où il n'y a pas de congélateurs, on ne peut conserver de produits périssables. Il y a des gens qui envisagent de dépecer la viande, de la déshydrater et de la mettre en boîtes pour pouvoir l'envoyer partout dans le monde. Nous pouvons apprendre de ces exemples et être moins centrés sur nous-mêmes.

Cependant, la clé est de se lier à un marché déterminé à investir dans l'abattage, sinon nous pourrions nous retrouver dans le pétrin.

Le président: Cela me fait penser à l'étude que nous avons commencée sur la valeur ajoutée. Nous cherchons des moyens d'ajouter de la valeur à divers produits, dont le boeuf, afin d'ouvrir de nouveaux marchés et d'accroître le profit à la ferme.

Votre proposition est fascinante. Si vous avez d'autres informations ou de la documentation sur ce genre de choses, nous serions très intéressés à y jeter un coup d'œil, monsieur Newton. L'ajout de valeur aux produits est une façon d'accroître le profit à la ferme, et c'est là un de nos champs d'intérêt.

M. Newton: Il ne fait aucun doute que nous devrons réfléchir à cela à long terme. Comme je l'ai déjà mentionné, nous devons diversifier nos produits pour que les consommateurs aient le choix. Nous devons créer de nouveaux produits pour favoriser la consommation. Nous devons créer et produire de nouveaux produits au Canada.

À ce que je sache, jusqu'au 23 décembre, nous exportions de la viande canadienne aux États-Unis. Cette viande était transformée en steaks, en pizzas et en divers autres produits avant d'être renvoyée au Canada. Tout ce que nous faisions, c'était d'exporter des emplois aux États-Unis. Nous devons remédier à cela.

Le sénateur Sparrow: L'automne dernier, le veau se vendait à prix raisonnable. Je ne sais pas exactement quand son prix a commencé à chuter. C'était peut-être le premier jour de cette année. Les éleveurs recevaient autant pour leurs veaux qu'au cours des années précédentes, ou presque autant.

Ces animaux ont été envoyés dans les parcs d'engraissement au prix d'il y a deux ou trois ans. Mais ils n'ont pas été exportés aux États-Unis, donc les prix ont chuté.

Jusqu'au premier janvier, les abattoirs payaient encore un prix supérieur aux exploitants des parcs d'engraissement. Est-ce juste? J'essaie de déterminer s'il y a eu arnaque dans la commercialisation originale de ces veaux à l'automne.

Je crois qu'environ 50 p. 100 des veaux ont été vendus au gros prix à l'automne. Est-ce exact?

M. Newton: Je ne peux vous parler de la situation nationale. En Alberta, le prix du veau s'est maintenu assez bien en octobre-novembre. Il a commencé à chuter en décembre. D'une façon, cela démontre l'effet de retombée des programmes d'aide gouvernementale à l'industrie déployés l'été dernier. Les exploitants des parcs d'engraissement ont reçu de l'aide, et cela s'est répercuté sur les éleveurs-naisseurs.

Cependant, les ventes de veau ont été inférieures à l'habitude. En Alberta, les éleveurs-naisseurs conservent habituellement environ 40 p. 100 des veaux. L'an dernier, sur les 60 p. 100 qui restent, seulement 60 p. 100 ont été vendus.

Environ 50 ou 60 p. 100 des veaux de l'an dernier sont demeurés à la ferme. Les prix sont demeurés au même niveau, en partie en raison de l'approvisionnement limité en veau sur le marché d'origine.

L'écart entre les prix canadiens et américains pour les bovins gras s'est creusé depuis la détection d'un premier cas d'ESB. Il y a des périodes où les prix se sont rapprochés de leur niveau normal, mais ils n'ont l'ont jamais vraiment atteint. Même aujourd'hui, l'écart est beaucoup plus grand qu'avant, même si l'industrie de l'abattage des États-Unis suit la même règle que nous: celle de prélever les MRS.

Le sénateur Sparrow: Je ne veux pas entendre de mauvaises nouvelles en réponse à ma prochaine question. Si la frontière devait rester fermée pendant un certain temps, à quel moment perdrons-nous notre industrie en tant que telle? Nous perdons du terrain rapidement.

Il y a deux ans, je disais que la province perdrait 30 p. 100 de ses agriculteurs, et c'est ce qui est arrivé. Nous les avons perdus. En perdrons-nous encore autant, voire même plus, bientôt dans l'industrie bovine? Combien de temps pouvons-nous continuer ainsi?

C'est plutôt crucial, compte tenu de tout l'argent que le gouvernement fédéral investit. À quel point risquons-nous de perdre notre industrie?

M. Hildebrandt: Il y a une chose qui s'aggrave rapidement, et c'est l'alimentation des bêtes. Notre industrie n'a pas de réserves alimentaires pouvant suffire à la demande pendant deux ans.

Je ne vous apprendrai pas, sénateur Sparrow, que 80 p. 100 de nos éleveurs-naisseurs sont établis au nord de la limite de Moosomin à North Battleford, et que 60 p. 100 d'entre eux ont été touchés par la sécheresse au cours des trois dernières années. Non seulement manquons-nous de nourriture, mais nous prions pour qu'il pleuve normalement sur les pâturages surexploités depuis trois ou quatre ans. Nous aurons besoin de temps pour nous rétablir.

La situation sera grave dans un mois. Je ne sais pas ce qui arrivera des animaux périssables. On peut entreposer un stock de céréales ou réserver des terrains, mais pas des animaux.

Quel est l'excédent en ce moment? Y a-t-il 30 ou 40 p. 100 plus de bovins sur le terrain? On ne peut mettre tous ces animaux en pâturage.

Vous n'êtes pas sans savoir que 80 p. 100 des éleveurs-naisseurs sont dans le domaine des céréales mélangées et du bétail. La vente de veaux leur procurait le revenu nécessaire pour financer leurs cultures, dont la moitié servait à nourrir les bêtes et l'autre, à l'exportation.

La marge de crédit a été limitée. Nous avons parlé avec des représentants des banques et des caisses d'épargne à diverses reprises depuis le mois d'août. Qu'arrivera-t-il de la valeur nette? Une bonne partie des projets d'expansion se fondaient sur une valeur de 1 000 $ par vache, mais elles en valent maintenant 200.

En août dernier, nous disions ne pas vouloir être alarmistes. Je croyais que c'était dans l'ordre des choses, parce que les veaux n'étaient pas touchés et que les choses pouvaient encore reprendre.

En règle générale, on accorde plus d'importance à la capacité de rembourser, mais soudainement, la valeur nette est devenue très importante.

John Ryan nous a dit, l'autre jour, à la FCA, que même si leur boeuf était excellent, beaucoup de membres du secteur étaient contraints de prendre une entente.

Comme M. Shauf l'a souligné, dès qu'il y a une rupture avec les institutions financières, il est très difficile pour l'industrie dans son ensemble de se maintenir, peu importe ce que chacun cultive ou élève. Tous sont liés.

Le sénateur Sparrow: Vous avez parlé du délai de 30 jours. Vous parlez du désespoir actuel.

Le désespoir sera si grand que nous allons perdre notre industrie bovine. Êtes-vous d'accord avec moi?

M. Hildebrandt: Lorsqu'on doit absorber une facture de vétérinaire de 200 $ pour une vache qui en vaut 150, l'argent devient un facteur important. La situation est critique.

Je connais un couple de ma région qui a passé 40 ans de sa vie sur la ferme; ce sont de bons éleveurs. Ils ont dû puiser jusqu'au dernier sou de leurs économies au cours des dernières années pour acheter à grands frais des aliments du Manitoba. Leur fils est revenu et il s'apprêtait à prendre la relève. Il est revenu en Alberta où il s'échine à essayer de survivre. La famille s'apprêtait à vendre leur ferme en avril dernier. Cette situation est encore plus difficile que celle du jeune homme qui s'est endetté, qui n'a rien risqué, rien gagné, et qui vit en Alberta. Ce couple a travaillé pendant 40 ans, a épuisé toutes ses économies et n'a plus rien. C'est très difficile.

Le sénateur Fairbairn: Prenez ce qui est arrivé au troupeau de New Dayton, près de Lethbridge. Les éleveurs n'avaient pas assez de foin pour nourrir leurs animaux. La SPA est allée inspecter, elle a trouvé 100 animaux morts et d'autres qui vacillaient autour. Le troupeau a été éliminé, et une poursuite a été intentée.

Le sénateur Gustafson: Lorsque le veau est tombé de 1,10 $ au début de l'automne à 90 sous, les gens qui achetaient des bovins et qui commençaient à les nourrir ont-ils cru qu'ils pourraient faire de l'argent rapidement? Il y a un troupeau de 500 têtes tout près de la frontière dans notre région, que quelqu'un a acheté à raison de 80 ou 90 sous en pensant que les prix remonteraient.

M. Newton: Il y a toujours de la spéculation dans l'industrie bovine. C'est ce qui la rend excitante; les gens y risquent du capital. Je ne suis pas certain qu'on ait cru faire de l'argent rapidement, mais on espérait que la frontière rouvre aux bovins d'abattage sur pied. Puis tout s'est écroulé le 23 décembre.

Vous nous demandez quand nous allons perdre notre industrie. Il y aura toujours une quelconque industrie au Canada. Dans les circonstances actuelles, nous pouvons limiter le nombre de joueurs, mais nous ne pouvons pas limiter l'ampleur de l'industrie. Il n'y a aucun moyen de nous débarrasser des vaches, à moins de les euthanasier, si elles ne font pas l'objet d'un billet du vétérinaire. Nous n'avons pas les moyens de nous débarrasser de tout cela, compte tenu de notre capacité d'abattage.

À moins d'abattre une certaine partie des troupeaux, et ce n'est certainement pas mon premier choix, ou de nous débarrasser du bétail sur pied d'une façon ou d'une autre— et il y a des options à envisager avant de penser à un abattage massif — nous ne pouvons pas réduire la taille de notre industrie. Nous ne pouvons réduire que le nombre de joueurs dans l'industrie.

Le sénateur Lawson: En réponse au sénateur Sparrow, M. Hildebrandt a dit qu'un vétérinaire pouvait charger 200 $ pour une vache qui en vaut 150. La seule option serait de suivre le plan vétérinaire de Ralph Klein, dont il nous parle.

M. Newton a parlé de nos idéaux de commerce entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. Cependant, comme vous l'avez dit, tout ne se résume pas au commerce, il y a également des enjeux fiscaux et environnementaux. Je ne veux pas dramatiser exagérément, mais reportons-nous dix ou quinze ans en arrière, lorsqu'au Mexique, on a vu des enfants naître avec un cerveau incomplet. Il y a eu une émission de 60 Minutes à ce sujet. Quel était le problème? Il s'agissait d'une entreprise de fabrication de piles de copropriété japonaise et mexicaine. Les deux sociétés ont dépensé des millions de dollars pour construire une nouvelle usine de piles au sommet d'une montagne.

M. Newton nous parle des problèmes environnementaux. Nous devons en tenir compte aussi. Ces gens ne se sont pas souciés de l'environnement. Le poison déversé par l'usine de piles a pénétré dans les champs des agriculteurs et dans les cours d'eau pour se retrouver dans le lait. C'est ce qui est arrivé à ces enfants.

Imaginons qu'un cas de vache folle fasse en sorte qu'au bout de six mois, il y ait une demi-douzaine ou une douzaine d'enfants nés avec un cerveau incomplet. La réaction serait claire: nous ne devons pas sous-estimer le problème. C'est de ce genre d'incidence dont il est question, donc il doit y avoir des normes environnementales sévères semblables aux nôtres partout.

Le président: Je souhaite vous remercier tous les trois. Vos observations nous sont très utiles et très instructives.

Notre prochain témoin sera le ministre. Une bonne partie des renseignements, des données et des statistiques que vous nous avez donnés et des impressions dont vous nous avez fait part constitueront la base des questions que nous lui poserons. Ce sera une rencontre intéressante. Je vous remercie de nous aider à nous préparer.

La séance est levée.


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