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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 4 - Témoignages du 23 mars 2004


OTTAWA, le mardi 23 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, qui est autorisé à entendre de temps en temps les témoignages d'individus et de représentants d'organismes sur l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada, se réunit aujourd'hui à 17 h 35.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, chers invités, je déclare ouverte la sixième séance du comité sur les questions relatives à l'EBS au Canada.

[Français]

Honorables sénateurs, laissez-moi d'abord vous souhaiter la bienvenue ainsi qu'à nos observateurs. J'aimerais également souhaiter la bienvenue aux Canadiens et aux Canadiennes qui nous regardent et qui nous écoutent à l'antenne des réseaux CPAC et Internet.

[Traduction]

Honorables sénateurs, depuis plusieurs mois maintenant le Canada fait face aux conséquences de l'EBS. Bien qu'il n'ait été découvert qu'un seul cas, cet événement a gravement touché la communauté agricole canadienne et, comme nous le savons tous, la frontière a immédiatement été fermée, interdisant l'entrée aux États-Unis de tout bovin et de tout produit du boeuf. Bien que ces derniers aient annoncé une réouverture partielle de sa frontière en autorisant l'importation de viande désossée provenant de bovins de moins de 30 mois, la frontière reste fermée pour l'importation de bovins sur pied, ce qui représente plus de 40 p. 100 de la valeur des exportations de boeuf et de produits du boeuf canadien.

Nous avons entendu toute une série de témoins qui nous ont décrit les difficultés des éleveurs canadiens. Nous avons entendu entre autres M. John Kolk et M. Ed Fetting, des représentants d'Agriculture et Agroalimentaire Canada et de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, le Conseil des viandes du Canada, la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, l'Association of Manitoba Municipalities, l'Alberta Association of Municipal Districts, l'Agricultural Producers Association of Saskatchewan, la Western Stock Growers Association, la Fédération canadienne de l'agriculture et le ministre canadien de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, M. Bob Speller. J'ai lu un communiqué de presse indiquant que M. Speller ira rencontrer son homologue américain, le secrétaire à l'Agriculture, pour réfléchir au moyen de rouvrir la frontière américaine aux bovins sur pied canadiens.

Honorables sénateurs, ce soir nous avons le plaisir d'entendre deux groupes. Tout d'abord, nous entendrons M. Nick Jennery et Mme Kim McKinnon qui représentent le Conseil canadien des distributeurs en alimentation. Ensuite, nous entendrons M. Garnett Altwasser, de Lakeside Packers; M. Brian Read, de Levinoff Meat Products Ltd et M. Willie Van Salkema, de Cargill Foods.

M. Nick Jennery, président et chef de la direction, Conseil canadien des distributeurs en alimentation: Pour ceux qui ne sauraient pas, notre association représente les petites, les moyennes et les grosses chaînes d'alimentation du Canada d'un océan à l'autre — des compagnies comme Loblaws et Sobeys; Thrifty Foods, sur l'île de Vancouver; Coleman Food Centres, à Terre-Neuve, et beaucoup d'autres. Nous représentons environ 80 p. 100 du volume de produits alimentaires vendus par 8 300 magasins au Canada.

Mme Kim McKinnon, qui est vice-présidente des communications, est responsable du dossier de l'EBS pour l'industrie depuis le 20 mai 2003. C'est elle qui surveille les prix et les activités promotionnelles et elle est ici aujourd'hui pour vous fournir des chiffres sur cette question et pour répondre à certaines de vos questions.

Je suis heureux de pouvoir vous faire part de notre expérience comme nous l'avons fait devant d'autres comités permanents et des commissions provinciales. Nous essayons d'être transparents, car la confiance des consommateurs nous est indispensable. Si nous perdons cette confiance, nous perdons nos clients.

Je vais vous dresser un tableau de la situation du point de vue des détaillants. En particulier je vais vous exposer leurs perspectives relatives à l'ESB, au prix du boeuf, au rôle que joue notre association et, encore plus important, à celui que jouent nos membres et qu'ils continuent à jouer parce qu'il est inhérent à notre modèle de gestion.

Permettez-moi de dresser le décor. Pour qu'un magasin d'alimentation traditionnel survive, avant même d'atteindre la réussite commerciale, il lui faut un bon rayon de denrées périssables. Dans ce rayon, la partie boucherie est d'une importance majeure. C'est ce qui fait la différence avec les autres magasins généraux comme Wal-Mart, Costco ou Zellers, c'est ce rayon de bonnes denrées périssables qui vous permet de survivre sur le marché.

À cause de son importance, la viande est une catégorie à forte promotion dans le magasin. Il y a des promotions toutes les semaines, d'un océan à l'autre, dans toutes les chaînes. Nous en avons des exemples. Quand on considère qu'un magasin d'alimentation moyen procède à 800 ou 1 000 changements de prix par semaine, c'est la démonstration que c'est une catégorie à forte promotion.

Je tenais aussi à vous rappeler que nous n'achetons que de la viande découpée, nous n'achetons pas d'animaux entiers, morts ou vivants. C'est notre partie. Les détaillants qui veulent battre leurs concurrents choisissent les morceaux qu'ils mettront en promotion des semaines à l'avance. Ils choisissent leur promotion au moins trois semaines à l'avance. Une fois cette décision prise, ils essaient de trouver le produit qu'ils veulent. Toute la planification peut prendre de quatre à six semaines. Nous achetons de la viande découpée.

La viande est un des articles importants de la vente de détail et je sais que des questions ont été posées sur la rentabilité. Vous savez tous où se trouvent les rayons dans un magasin d'alimentation. Il y a le rayon des produits frais, de l'épicerie, des fleurs, des lunettes, et cetera. Quand les magasins veulent se différencier les uns des autres, il arrive qu'ils le fassent avec leurs rayons de viande, sa qualité ou sa variété. Cela dépend aussi s'ils se trouvent en face d'un marché de fermier ou d'un super magasin Wal-Mart. Tous ces facteurs différents jouent un rôle au niveau des prix pratiqués par le détaillant, mais un facteur reste constant. La marge de bénéfice général des magasins de détail, quand on fait la moyenne à l'ensemble de la chaîne, tourne aux alentours de 1 à 2 p. 100, si ce sont de bons commerçants.

Avant de donner la parole à Mme McKinnon pour qu'elle vous cite quelques faits concernant l'incidence de l'ESB sur les prix, j'aimerais vous dire une dernière chose: nous dépendons de la confiance des consommateurs. Les consommateurs savent reconnaître un bon prix et ils supposent que les produits vendus sont sans danger. Si le moindre doute les effleure, ils n'hésitent pas à voter avec leurs pieds et à emmener leur porte-monnaie ailleurs. Nous en avons la preuve chaque fois que pour une raison ou pour une autre nous sommes frappés par une mauvaise presse. Nous le constatons aussi chaque fois que de nouveaux venus arrivent sur le marché. Nous avons aussi nos victimes, bien que leur sort n'intéresse pas toujours les médias. Nous gérons nos affaires heure par heure, jour après jour, car c'est un secteur où la concurrence et les promotions font rage.

Mme Kim McKinnon, vice-présidente, Communications, Conseil canadien des distributeurs en alimentation: Je vais vous citer quelques faits sur notre industrie et plus particulièrement sur la vente de boeuf au détail. Nous sommes ici pour la première fois et déjà, beaucoup de gens nous posent des questions sur les prix.

Permettez-moi de commencer par répondre à ce que vous avez dit tout à l'heure au sujet de tous ces gens à qui vous avez parlé: rien de ce que nous pouvons dire aujourd'hui ne peut atténuer la gravité de cette catastrophe économique qui a frappé les Canadiens et tout particulièrement les éleveurs canadiens. Quels que soient les faits que je vous cite aujourd'hui, il reste évident que cette crise fait de nombreuses victimes. Nous essayons tous de faire notre part pour aider l'industrie du boeuf à traverser cette crise afin qu'elle puisse repartir d'un bon pied quand tout sera terminé.

Ceci dit, l'industrie de l'alimentation de détail est très fière d'un certain nombre de choses que nous avons faites depuis le 20 mai pour protéger la santé de ce secteur. Pour commencer, le prix du boeuf a diminué, et les chiffres le démontrent. Nos chiffres sont ceux d'ACNielson, un cabinet de recherche qui fournit à l'industrie de l'alimentation de détail les données relevées dans les magasins. Quand je dis que le prix du boeuf a diminué de 13,8 p. 100 en moyenne au cours des huit derniers mois, c'est sur la base de ces relevés, sur la base du prix payé par le consommateur à la caisse.

Deuxièmement, notre industrie est fière que nous soyons le seul pays au monde frappé par l'ESB où les ventes de viande de boeuf ont en fait augmenté. D'après les données des 52 dernières semaines publiées par ACNielson, le tonnage vendu a augmenté de 5 p. 100. Ce sont d'excellents résultats, car comme nombre de ceux qui sont venus vous parler le reconnaîtraient, les ventes de viande de boeuf sont en fait restées stables, ou si elles ont diminué dans certains cas c'est pour des raisons ponctuelles: ville, province et année.

Troisièmement, nous avons pratiqué une promotion beaucoup plus agressive pour le boeuf que nous ne le faisions auparavant. Quand je parle de promotion du boeuf, je parle des dépliants publicitaires que 11,5 millions de foyers canadiens reçoivent chaque semaine. Ces dépliants sont la source principale de publicité et ils attirent les consommateurs dans les magasins. Si vous n'avez pas de bons prix, de promotion deux pour un, de produits frais merveilleux et de viande dans vos dépliants, vous n'attirez pas les consommateurs. Comparativement à il y a un an, la viande de boeuf occupe une place prédominante dans ces dépliants, toutes les semaines, dans toutes les villes, depuis le mois de mai. Cela n'aurait pas été forcément comme ça il y a un an. Nous avons fait un effort conscient de promotion accru. De plus, j'ai inclus certains des encarts de publicité pleine page que les détaillants ont décidé d'acheter avec des fonds de marketing supplémentaires pour soutenir encore plus l'industrie du boeuf.

Nous avons plusieurs partenaires agricoles avec lesquels nous travaillons, et les ventes de porc et de poulet sont restées stables ou ont augmenté, selon la province. En fait, pendant ces 52 semaines, la vente de poulet a augmenté en tonnage de 5 p. 100 et la vente de porc de 9 p. 100. Ces entreprises, qui n'étaient pas forcément sur une pente ascendante, ont soutenu leur industrie pendant toute cette crise. C'est une très bonne nouvelle. Nous avons fait un effort conscient pour que cela arrive en ne faisant pas une surpromotion de la viande de boeuf au détriment de nos autres partenaires.

Voilà les faits: augmentation de 5 p. 100 du tonnage, réduction de 13,8 p. 100 du prix, augmentation de la promotion par rapport à l'année précédente, dépenses supplémentaires en marketing pour soutenir l'industrie du boeuf, les autres secteurs continuant à très bien se maintenir.

C'était en décembre. Que s'est-il passé depuis décembre? Les prix sont-ils restés les mêmes? Ont-ils diminué? Que va- t-il se passer? Nous avons constaté que jusqu'à présent, le prix est resté à ces mêmes niveaux inférieurs; il n'y a donc pas eu de poussée à la hausse ou de poussée à la baisse depuis la découverte du deuxième cas de vache folle dans l'État de Washington.

Les temps sont toujours incertains pour l'industrie du boeuf et pour les acheteurs de boeuf, car tout le monde suit la situation de très près. Jusqu'à présent, nous avons pu fournir toutes les coupes demandées. Nous avons pu continuer à les fournir au même prix réduit pour les consommateurs, et c'est le statu quo, mis à part le travail supplémentaire que nous avons dû faire avec nos partenaires, le gouvernement et l'ACIA pour veiller à écarter tout danger, à ce que les produits soient disponibles et accessibles sans problème. Mis à part ce travail en coulisse, pour le consommateur, rien n'a changé et il continue à bénéficier du meilleur prix offert depuis de nombreuses années.

J'ai aussi inclus plusieurs publicités qui montrent le type de prix offert au consommateur. Nous sommes fiers du travail que nous avons fait pour répondre aux besoins des consommateurs et pour conserver toute leur confiance au point que les ventes de viande de boeuf ont augmenté pendant cette période. Nous sommes fiers d'avoir travaillé avec les partenaires de l'industrie — les abatteurs, les transformateurs, les producteurs et le gouvernement. Nous avons volontiers participé à des campagnes de promotion avec le Centre d'information sur le boeuf, et nous continuerons à le faire. Nous faisons des bénéfices, mais pas plus qu'il y a un an, et nous avons fait bénéficier les consommateurs des réductions de prix que nous ont accordées les abatteurs.

Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions si vous en avez.

Le président: Je vous remercie tous les deux de cet exposé fort intéressant. Il y a une chose dont vous n'avez pas parlé: la raison pour laquelle les éleveurs ont si peu touché pour leurs produits et la raison pour laquelle la réduction des prix sur le marché et dans les magasins de détail a été si minime, mais je suis sûr que mes collègues voudront vous poser des questions à ce sujet et j'attendrai qu'ils le fassent.

Je suis sûr que les questions ne manqueront pas.

Le sénateur Mercer: Monsieur le président, je pensais en me rendant ici ce soir que nous aurions peut-être les gens qu'il nous faut pour avoir les réponses à nos questions. Nous devrions peut-être fermer les portes à clé et ne pas laisser repartir ni les détaillants ni les abatteurs avant d'avoir eu nos réponses.

Pourquoi les prix sont-ils élevés, et où est passé tout l'argent que le gouvernement a mis dans le programme?

J'ai devant moi la moyenne du prix de détail en dollars des produits du boeuf, ce sont les chiffres de Statistique Canada communiqués à la Direction de la recherche parlementaire. J'étais en train de regarder le prix moyen pour certains morceaux comme le bifteck de surlonge et le boeuf haché. En janvier 2000, le bifteck de surlonge était à 11,90 $ et aujourd'hui, en janvier 2004, il coûte 14,11 $. Il n'a pas diminué.

Pour le boeuf haché, en janvier 2000 il était à 4,05 $ et en janvier 2004 il est à 5,08 $. Il y a une fluctuation au milieu de l'année qui correspond à l'impact de l'ESB. Je n'accepte pas vos chiffres. Les chiffres d'ACNielson ne sont pas ceux que nous utilisons généralement pour évaluer la situation. Nous utilisons les chiffres produits par Statistique Canada et par les enquêtes de consommateurs. J'aimerais que vos membres répondent à certaines de ces questions et disent aux Canadiens, par l'intermédiaire de notre comité, qu'ils ne font pas de bénéfices.

Le président: Vous avez posé une question. J'aimerais qu'ils puissent répondre.

Le sénateur Mercer: J'ai une chose à dire. C'est moi qui fait les courses dans la famille. C'est moi qui fait l'épicerie.

Mme McKinnon: Je commencerai par répondre à votre question concernant Statistique Canada, car on me l'a déjà posée. Nous sommes en train de travailler avec votre attaché de recherche parlementaire pour comprendre la méthodologie de Statistique Canada, car ses données sur les prix semblent manquer de précision. Les chiffres d'ACNielson correspondent aux chiffres affichés dans les rayons. La méthodologie de Statistique Canada laisse à désirer. Il y a quelque chose qui ne va pas dans ses données.

Le sénateur Mercer: Tout à fait.

Mme McKinnon: Les prix ont baissé. ACNielson est un cabinet international respecté dont toute l'industrie alimentaire dépend pour les données à la consommation. En conséquence, nous n'utilisons que ces données pour les prix. Nous n'utilisons pas les données de Statistique Canada, ce qu'ont nous a reproché. Nous avons constaté que les données de Statistique Canada manquaient de justesse. C'est ce que je pense des données de Statistique Canada.

M. Jennery: Sénateur, il y a un fort pourcentage — j'aimerais pouvoir vous le donner maintenant mais je ne l'ai pas; mais si vous voulez je le trouverai — des produits vendus par le rayon de boucherie qui sont en promotion. On ne peut le savoir que lorsque les produits sont mis en rayon à cause de la concurrence que se livrent les détaillants. Il est important de relever les données de ces activités promotionnelles.

Vous avez cité des prix. Si je me réfère à ces dépliants hebdomadaires, les chiffres auxquels j'aboutis vont totalement dans l'autre sens.

Les produits en promotion ne sont jamais les mêmes d'un magasin à l'autre, d'une semaine sur l'autre. Je pourrais acheter le même produit à différents endroits avec une fourchette de différence de 2 $ la livre. Cela dépend de la stratégie individuelle de chaque magasin. Il faut donc étudier ces prix pendant un certain temps, sur un mois, sur une année, sur un trimestre pour calculer le tonnage total et le prix total payé pour ce tonnage. Vous ne pouvez pas simplement entrer dans un magasin, regarder le prix d'un bifteck d'aloyau et dire: «Le prix a vraiment baissé».

C'est pour les coupes de centre que la demande est la plus forte. C'est ce que nous aimons faire griller au barbecue. La demande pour ces morceaux a toujours été très forte. Nous achetons nos morceaux en fonction de ce que demande le consommateur. Pour revenir à votre question, monsieur le président, vous parlez du prix payé à l'éleveur pour l'animal entier. Les détaillants ne s'intéressent qu'à certaines parties de cet animal parce que ce sont elles que réclament les consommateurs.

Le sénateur Mercer: Ce n'est donc pas votre faute.

M. Jennery: Je ne parle pas de faute. Nous vendons ce que les consommateurs demandent. Nous ne vendons pas beaucoup de langues de boeuf ou de parties moins connues de l'animal, que les marchés étrangers nous achetaient avant la crise.

Le sénateur Mercer: Le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux ont consacré plus de 460 millions de dollars au programme de redressement de l'industrie dans le sillage de l'ESB, annoncé en juin, et d'autres mesures incitatives ont porté le total de l'aide accordée à l'industrie bovine à près de 800 millions de dollars, auquel s'ajoute l'annonce d'aujourd'hui. On s'attendait à ce que les éleveurs en obtiennent l'essentiel. Or, nous savons que ce n'est pas ce qui s'est produit. Des éleveurs perdent leur exploitation. Leurs animaux meurent dans les champs ou leur sont retirés.

Vous nous dites que vous n'avez tiré aucun avantage direct de cette aide par l'intermédiaire des abateurs et que vos prix n'ont donc pas baissé. Le prix que vous imposent les abateurs n'a-t-il pas baissé? S'il a baissé, dans quel pourcentage et sur quels produits? Il faut aller au fond des choses et jusqu'à maintenant, même s'il est toujours intéressant de contester réciproquement nos statistiques, aucun d'entre nous n'a répondu à la question des consommateurs, à savoir pourquoi on leur fait encore payer de tels prix.

M. Jennery: Les gens recherchent les aubaines. La concurrence règne sur le marché et la viande est l'un des produits qui attirent le consommateur. En toute franchise, elle ne représente pas grand chose dans les profits du magasin. Ce sont les produits à valeur ajoutée qui rapportent des profits aux détaillants, et non pas les produits frais. Le modèle commercial veut que celui qui réussit à attirer des consommateurs dans son magasin en vendant des produits d'appel, en proposant des prix spéciaux et en offrant des articles qu'on ne trouve pas ailleurs pourra, s'il est un bon détaillant, leur vendre toutes sortes d'autres produits avec une marge bénéficiaire de 1 à 2 p. 100. Voilà les chiffres que publient les sociétés cotées en bourse. Leurs états financiers sont explicites à ce sujet.

Mme McKinnon: J'aimerais parler des prix que nous imposent les abateurs. Ils nous ont effectivement accordé des prix inférieurs et dans ce cas là, en fonction des volumes vendus, nous en avons fait profiter les consommateurs.

Le président: Avez-vous un pourcentage?

Mme McKinnon: En moyenne, c'est celui que je vous ai donné, à savoir 13,8 p. 100. La baisse des prix a été de cet ordre en moyenne, avec des fluctuations, selon la coupe, la semaine ou le jour.

Le sénateur St. Germain: J'ai une question supplémentaire. Tout d'abord, je vous remercie de votre présence. Est-ce que les détaillants ont bénéficié d'un quelconque avantage financier sous forme de subvention ou de versement quelconque du gouvernement?

M. Jennery: Non.

Mme McKinnon: Non, nous n'avons rien reçu. Nous n'avons reçu aucune aide financière du gouvernement et nous n'en avons pas demandée.

Le sénateur Hubley: Soyez les bienvenus.

Il est bien difficile de s'y retrouver dans les questions d'argent, même si nous essayons de le faire depuis un certain temps. Ce soir, je regardais vos exemples de promotions proposées par les détaillants et j'ai vu toutes sortes de prix. Par exemple, on trouve de la viande à hamburger à 1 $ la livre, mais il faut en acheter deux livres et demi. Est-ce que c'est un produit d'appel? Est-ce que vous perdez de l'argent en vendant de la viande à hamburger à 0,89 $ la livre?

M. Jennery: Cela dépend de ce que vous voulez en faire. Je ne peux pas vous répondre honnêtement, parce que je ne suis pas acheteur. Je peux quand même dire que sur le marché de la viande, les acheteurs s'acharnent à faire baisser les prix.

Les magasins d'alimentation perdent des parts de marché au profit de nouveaux concurrents, si l'on s'en tient aux états financiers. Nous n'avons que 52 p. 100 du commerce d'alimentation, parce qu'il y a d'autres intervenants sur le marché. La nature même de notre modèle commercial exige que nous vendions la viande à des prix très attrayants pour conserver des consommateurs qui sont toujours prêts à traverser la rue pour acheter ailleurs. S'il reste des questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre dans l'immédiat, je m'engage à faire parvenir nos réponses ultérieurement au comité.

Le sénateur Hubley: Est-ce que vous faites le suivi de vos prix? Est-ce que vous observez le prix de vente par rapport aux coûts?

M. Jennery: Oui, nous faisons le suivi des ventes.

Le sénateur Hubley: Évidemment, il vous faut un profit, chacun le comprend, mais il doit bien y avoir des chiffres qui sont disponibles. Je ne sais pas si on vous a posé la question, mais il me semble que les ventes promotionnelles sont proposées en fin de semaine et il se pourrait que les prix changent entre le lundi et le vendredi. Est-ce bien le cas?

Mme McKinnon: Tout dépend de la stratégie du détaillant. Chaque détaillant a sa façon d'attirer le consommateur et de répondre à ses besoins. Parfois, il utilise la stratégie du «bas prix tous les jours», comme dans les magasins-entrepôts où on peut trouver du boeuf haché à 99 cents la livre. Le prix ne change pas, mais on voit de temps en temps une vente à prix spécial en première page du dépliant. Il y a aussi la stratégie des prix fluctuants, où le détaillant pratique un prix courant, puis un prix vedette pendant une semaine, deux semaines ou parfois un mois, pour proposer la viande à hamburger à 99 cents. Tout dépend de la stratégie employée.

Pour répondre à votre question sur les produits d'appel, c'est aussi une question de stratégie de commercialisation au détail. On s'en sert parfois pour attirer les clients, en l'appliquant à la viande ou à d'autres produits.

Le sénateur Hubley: Ce que j'ai un peu de mal à comprendre, c'est que les détaillants sont des gens d'affaires et qu'ils connaissent le commerce. S'il y a un problème dans l'industrie du boeuf et qu'ils peuvent obtenir de la viande à meilleur marché, ils ont tout intérêt à en faire profiter leurs clients pour favoriser leur entreprise. Je n'essaye pas de vous mettre en difficulté, mais compte tenu de la gravité de la situation dans l'agriculture, nous cherchons des solutions, et nous serions très heureux d'en trouver.

M. Jennery: Il n'y a malgré tout que 21 repas par semaine et les consommateurs n'achètent qu'une certaine quantité de viande. On l'a vu à l'époque des excédents de viande de porc et à l'occasion des autres crises. Les consommateurs aiment la variété. Dans la publicité de cette semaine, on voit que le boeuf est en spécial pendant cinq ou six jours, selon la société. Les magasins ne proposent pas tous le bifteck d'aloyau à 4,99 $ la livre. Je suis sûr qu'à certains endroits, il est deux fois plus cher, mais dans ce magasin, on le trouve à 4,99 $ la livre, de même que l'entrecôte. Nous avons des consommateurs bien informés, qui savent qu'il faut surveiller les prix. On ne trouve plus guère de consommateurs fidèles qui reviennent systématiquement tous les jours. Si vous faites vos courses une fois par semaine, je suis sûr que vous fréquentez différents magasins. Moi, c'est ce que je fais.

Le sénateur Callbeck: Je voudrais vous poser une question sur la demande. Madame McKinnon, vous dites, si j'ai bien compris, qu'avant la crise de la vache folle, les viandes de boeuf étaient stables ou en déclin et que depuis, elles ont augmenté. J'ai lu quelque part que trois mois après la crise, elles avaient augmenté de 70 p. 100. J'aimerais que vous me disiez où elles en sont actuellement par rapport à ce qu'elles étaient avant la crise de la vache folle.

Mme McKinnon: Sur les 52 dernières semaines, de mai à mai ou de mars à mars, les ventes de boeuf ont augmenté de 5 p. 100. De mai à septembre, elles ont augmenté, mais je n'ai jamais vu de chiffres indiquant une augmentation de 70 p. 100. Ce chiffre comprenait peut-être le chiffre d'affaires des restaurants, mais il ne correspond pas au commerce alimentaire de détail. Les ventes ont augmenté plus ou moins selon la province, mais en moyenne, elles avaient augmenté de 20 p. 100 à la fin de septembre.

Le président: N'ont-elles pas augmenté dans les mois de juillet et d'août, à cause des barbecues?

Mme McKinnon: D'habitude, les ventes de certaines coupes augmentent pendant l'été. En été, les gens achètent davantage de steaks, alors qu'en hiver, ils achètent davantage de rôtis. Je parle du volume mesuré en kilogrammes ou en livres, qui a augmenté en 12 mois. Il avait augmenté de 20 p. 100 à la fin de septembre. Autrement dit, il a légèrement diminué vers Noël, ce qui est normal, à cause de la tradition de la dinde.

Le sénateur Callbeck: Il y a un gros écart entre les deux chiffres. Malheureusement, je n'ai plus cet article dans lequel on parlait d'une augmentation de 70 p. 100.

Mme McKinnon: Il provenait de l'Association canadienne des éleveurs de bovins et je crois qu'il comprenait tous les débouchés du boeuf, et non pas uniquement les magasins d'alimentation.

M. Jennery: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, je dirais que les affaires fluctuent énormément. À la fin de janvier, je crois, on a publié un rapport faisant état de traces de biphényle polychloré, les BPC, dans le saumon, et les ventes de saumon ont diminué immédiatement de 27 ou 28 p. 100. Dès qu'on évoque un problème concernant le boeuf haché, ou un problème de salubrité des aliments, les ventes peuvent diminuer de 20 p. 100. Le marché est élastique et quand les gens n'achètent plus de boeuf ou de poisson, ils doivent quand même continuer à manger et normalement, les ventes augmentent à d'autres rayons. Il faut toujours avoir une perspective à plus long terme.

Mme McKinnon: Les ventes de boeuf ont beaucoup augmenté entre mai et septembre. Elles ont diminué entre octobre et décembre et retrouvent actuellement leur équilibre avec une augmentation d'environ 5 p. 100.

Le sénateur Callbeck: Si les ventes de boeuf ont augmenté d'environ 5 p. 100 — je prends vos chiffres et vous dites, je crois, que les ventes de porc et de poulet sont elles aussi stables ou en augmentation — le consommateur dépense davantage sur ces produits. Est-ce que cela veut dire qu'en définitive, pour le consommateur, la facture d'épicerie a augmenté, ou est-ce qu'au contraire, il achète moins de poisson et d'autres produits?

Mme McKinnon: Encore une fois, il y a sept jours et autant de repas par semaine, et les gens consomment toujours à peu près les mêmes quantités. S'ils mangent du boeuf trois fois par semaine alors qu'autrefois, ils n'en achetaient que deux fois par semaine, ils ont diminué leurs achats d'un autre produit, comme les pâtes et les légumes. Les portions n'augmentent pas. Si le boeuf représente une plus grosse partie du régime alimentaire, un autre produit a perdu un peu de sa part de marché.

M. Jennery: Sans vouloir compliquer le débat, on peut dire que la panne d'électricité en Ontario a eu des conséquences dramatiques pour notre secteur d'activité et pour les consommateurs. Ils ont été nombreux à se précipiter sur ce qu'ils avaient dans leurs congélateurs, pour ne pas prendre de risque. Nos ventes se sont effondrées au cours des trois semaines suivantes. La panne a touché de très nombreux foyers dans une grande partie du pays. Tous ces événements sont à l'origine des chiffres actuels.

Le sénateur Callbeck: Avez-vous des chiffres indiquant les produits dont les ventes ont diminué?

Mme McKinnon: Si les gens achètent plus de boeuf, qu'est-ce qui diminue? Je sais que c'est le cas des produits en conserve.

C'est peut-être le ragoût en conserve, le macaroni au fromage ou les plats préparés surgelés.

M. Jennery: Le centre du magasin a tendance à rapetisser, et c'est le secteur des plats tout préparés qui est en croissance. Les gens aiment les aliments commodes. Ils ne veulent pas passer des heures à cuisiner, ils n'en ont pas le temps; certains ne savent pas cuisiner. Ce sont les rayons périphériques du magasin qui sont en croissance. Le centre est en légère diminution.

Le président: Il se pourrait que la mode des régimes faibles en glucides et riches en protides ait une incidence sur les chiffres. C'est ce que disent les journaux.

Mme McKinnon: Je ne tiens pas à en parler, car cela nous détournerait de notre sujet, mais le mouvement n'est pas aussi sensible au Canada qu'il l'a été aux États-Unis. Néanmoins, nous surveillons la situation.

Le sénateur St. Germain: Le sénateur Sparrow, assis à ma droite, est l'un des plus anciens du Sénat. Il a bien décrit la situation en disant que ce n'était la faute de personne; c'est un véritable problème. J'écoute le débat et je suis de plus en plus convaincu du bien-fondé des préoccupations du sénateur Mercer. Dans la rue, les gens posent les mêmes questions. Néanmoins, je ne pense pas qu'on puisse contester votre organisation pour résoudre le problème, car si les abatteurs vendent à meilleur marché à Safeway ou à quelqu'un d'autre, la concurrence est si forte dans votre secteur que les prix vont chuter. Il reste que le souci principal est la réouverture de la frontière américaine. Est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour la faire rouvrir? Ce n'est pas une question partisane; c'est une question qui est en train de tuer l'élevage au Canada.

Je ne connais pas les détails du programme annoncé hier par le gouvernement, mais il faut souhaiter que l'argent se rende jusqu'aux éleveurs, parce que c'est là que le bât blesse. Ils ne peuvent pas vendre leurs vaches de réforme ni leur bétail plus âgé, et c'est donc un problème.

Pouvez-vous faire quelque chose pour convaincre les Américains de rouvrir la frontière? Je ne sais pas si votre organisme peut agir, mais s'il le peut, nous lui en serons très reconnaissants. Je sais que c'est beaucoup vous demander, mais nous avons un véritable problème.

Mme McKinnon: Nous avons fait de nombreuses propositions. Notre association jumelles aux États-Unis représente tous les fabricants de produits alimentaires. Ils tiennent à Washington des réunions semblables aux nôtres. Nous travaillons en étroite collaboration et nous sommes heureux de diffuser le message des deux côtés de la frontière pour faire bouger les choses.

Le sénateur St. Germain: Est-ce que l'association américaine est satisfaite de la qualité de la viande provenant du Canada? Est-ce qu'elle souhaite qu'on revienne au statu quo? Est-ce que vous en avez parlé avec vos homologues?

M. Jennery: Je ne dirai pas qu'ils poussent l'entraide jusque-là. Toutes les associations de commerces de détail sont les mêmes et elles considèrent que la qualité ou la salubrité des aliments est une question de preuve scientifique. Nous nous en remettons toujours à Santé Canada et à l'ACIA, sans jamais les contredire.

Pour aborder votre question différemment, si nous voulions rattraper le ralentissement des ventes résultant de la fermeture des frontières, il faudrait que les consommateurs canadiens augmentent leur consommation de boeuf de 350 p. 100. C'est impossible, compte tenu de la consommation alimentaire actuelle et de l'évolution de la situation. Il faut donc obtenir la réouverture de la frontière. Nous sommes prêts et nous avons collaboré avec toute la chaîne d'approvisionnement pour convaincre les consommateurs américains; nous avons fait notre part. Si nous avons encore un rôle à jouer, nous l'assumerons, mais à mon avis, nous ne sommes pas en mesure d'infléchir la décision concernant la réouverture de la frontière. Cependant, si nous pouvons faire quelque chose, vous n'aurez pas à me le demander deux fois.

Le sénateur Fairbairn: Après vous avoir entendu aujourd'hui, j'aimerais obtenir une précision. Depuis le début de la crise, les Canadiens y ont réagi en augmentant considérablement leur consommation de boeuf. Quelle a été l'incidence de ce facteur dans vos affaires? Est-ce que cela vous a amenés à multiplier vos commandes aux abatteurs? Cette augmentation de la consommation de boeuf dont on nous parle est-elle aussi importante qu'il y paraît?

M. Jennery: Je voudrais revenir sur la place qu'occupe la viande dans nos activités, car les commerces traditionnels d'alimentation perdent du terrain face à leurs nouveaux concurrents, qui ne vendent pas la viande de boeuf de la même façon. Si nous pouvons favoriser les commerces traditionnels, ils l'apprécient beaucoup, parce que nos produits ramènent les consommateurs dans leurs magasins et leur donnent une chance de récupérer une partie des ventes perdues. Nous sommes très heureux des volumes supplémentaires écoulés par certains de nos membres ainsi que par d'autres sociétés. Des prix attrayants favorisent indiscutablement le commerce. C'est précisément le modèle commercial que nous suivons.

Mme McKinnon: C'est un succès si cela répond aux besoins des consommateurs et que ça les incite à acheter plus puisque cela comble un fort désir de leur part. C'est excellent et c'est ce qui fait notre succès.

Le sénateur Fairbairn: Qu'ils en mangent ou que cela leur donne un sentiment de patriotisme?

Mme McKinnon: Cette augmentation des ventes qui aide l'industrie du boeuf est merveilleuse que cela soit pour des raisons patriotiques ou pour remplir le congélateur de produits très bon marché, par exemple en achetant dix livres de hamburger. Nous sommes heureux de participer à cette aide.

Le sénateur Lawson: Monsieur Jennery, vous avez parlé de concurrence féroce. Vous avez entendu parler de la guerre des marchés d'alimentation qui sévit en Californie depuis six mois?

M. Jennery: Oui.

Le sénateur Lawson: Ce sont des grèves qui se sont transformées en lock-out et selon l'industrie le motif est la peur — peur des employés, peur des demandes indécentes des syndicats et peur de la concurrence parce que Wal-Mart ouvrait des magasins à grande surface. La moyenne des salaires offerts par Wal-Mart était de 21 000 $ de moins par an. En pratiquant le lock-out, ils espéraient obliger les employés à assumer une plus grande part des coûts de pension, à assumer une plus grande part sinon le total des coûts de santé et d'aide sociale et à accepter un salaire de base pour les nouveaux employés de 7,50 $ l'heure. Jusqu'alors, ils payaient les employés 13,50 $ et 18 $ l'heure, mais pour faire face à la concurrence de Wal-Mart, il leur fallait trouver le moyen soit de briser les syndicats soit de les obliger à absorber ces coûts. Il y a eu pratiquement cessation d'activités et lock-out général pendant cinq mois. Peut-on craindre la même chose quand Wal-Mart viendra chez nous?

M. Jennery: La compagnie Wal-Mart est quatre fois plus grosse que toute l'industrie de l'alimentation canadienne. Mis à part cette taille qui lui donne un poids considérable, son modèle de gestion est également beaucoup plus économique. La menace pour les magasins d'alimentation traditionnels est réelle.

L'industrie canadienne est différente de l'industrie américaine dans la mesure où cela fait des années que nous avons des magasins qui pratiquent l'escompte maximum. C'est le type de magasin qui connaît la plus forte croissance au Canada. Malgré les problèmes constatés, c'est ce que veulent les clients. C'est une réalité que nous maîtrisons parfaitement, puisque c'est ce que veulent les consommateurs canadiens. Il y a aussi un certain nombre de compagnies qui négocient âprement avec les syndicats le renouvellement des conventions collectives. Le modèle des magasins à très grande surface n'est pas encore vraiment implanté au Canada.

Personnellement, je pense que les détaillants sont confiants parce que les modèles de magasins à prix réduits existent déjà, qu'ils connaissent très bien le consommateur canadien et qu'ils ont diversifié leurs opérations.

Ils sont aussi prêts qu'ils le peuvent à affronter un gros concurrent comme Wal-Mart si celui-ci décidait de se lancer au Canada.

Le sénateur Lawson: Ils espèrent qu'avec le temps, par érosion naturelle, et cetera, ils finiront par se débarrasser des employés les mieux rémunérés. Ils se retrouveront avec un nouveau groupe d'employés payés 7,50 $ l'heure et ils pourront rivaliser avec Wal-Mart. C'est le plan, en tout cas.

Wal-Mart, systématiquement, attend de ses fournisseurs qu'ils réduisent automatiquement leurs prix de 5 p. 100 s'ils veulent que leurs contrats soient renouvelés. C'est la norme qu'ils imposent. Si le pauvre fournisseur leur dit: «Je ne peux pas», ils lui conseillent d'externaliser sa production, en Chine par exemple, et de trouver une solution.

M. Jennery: Oui, mais d'un autre côté, cela incite notre industrie à être plus concurrentielle. Tous les deux ans, nous faisons une étude en collaboration avec le Bureau de la concurrence. Nous faisons une étude comparative des prix que paient les Canadiens et de ceux que paient les Américains dans huit villes différentes, ce genre de choses. Les consommateurs constatent que le même panier d'épicerie leur coûte moins cher ici.

Cela nous a coûté bien des sacrifices depuis 10 ou 15 ans, mais nous sommes prêts. Aujourd'hui, les marges d'exploitation sont loin d'être ce qu'elles étaient pendant les années 1980. Quand les conseils d'administration planifient leurs stratégies, ils n'ont qu'un mot à la bouche: l'efficacité de la chaîne d'approvisionnement. En d'autres termes, la distribution continue est une nécessité absolue et les compagnies sont intransigeantes sur ce point.

Le sénateur Lawson: J'ai négocié ce type de contrats pendant des années aux États-Unis, où je continue à vivre à temps partiel. Je constate aujourd'hui que pour tout le monde, la solution, c'est l'externalisation: aller en Chine. Aller en Inde. Remplacer tous les travailleurs américains. Or, pour la première fois, j'entends John Kerry dire: «C'est intéressant, mais si nous le faisons, qui gagnera suffisamment d'argent ici pour payer des impôts et financer l'aide sociale, les retraites, et cetera?»

M. Jennery: Je dirais que le mot «canadien» a excellente réputation à la caisse. Dans les principales chaînes américaines, vous trouverez toujours du boeuf canadien. Ici, et mis à part un certain sentiment de loyauté et de fidélité, le mot «canadien» est fort apprécié par les consommateurs. Les consommateurs aiment acheter canadien.

Le président: C'est parce que c'est de la bonne qualité.

M. Jennery: Absolument. La confiance est immense et il y a de bonnes raisons à cela. C'est ce que nous voulons vendre, mais aussi c'est ce que réclament les consommateurs. Notre modèle de gestion s'en porte très bien.

Le sénateur Lawson: Il y a des tomates et des poivrons de Colombie-Britannique dans tous les supermarchés et vous avez raison, ce sont des produits de grande qualité. Nous avons les mêmes problèmes ici. Votre industrie et les Canadiens ont les mêmes graves problèmes économiques.

Le sénateur Gustafson: J'ai toujours été agriculteur, et le prix du boeuf a toujours été assez bon. Le commerce du boeuf était un secteur très dynamique quand la frontière était ouverte. Personnellement, je crois que c'est un problème à court terme. Les producteurs de céréales ont connu des temps beaucoup plus difficiles. On nous a dit que sur le prix d'une miche de pain, 8 cents — certains parlent même de 4 cents — vont aux producteurs de céréales. Ils touchent la même chose aujourd'hui qu'en 1970. Les temps sont très difficiles pour eux. Comme c'est le cas aussi, bien sûr, pour certains éleveurs de bovins.

On dirait que c'est un problème mondial. D'après moi, les Canadiens peuvent très bien manger en consacrant 9 p. 100 de leur budget à l'alimentation. Il y a probablement peu de pays au monde où c'est comme cela. Nous parlons beaucoup des consommateurs, mais en même temps, le sénateur Sparrow, ou quiconque vient des Prairies, peut vous dire que les temps sont très difficiles pour nos agriculteurs. Vous avez peut-être des suggestions à nous faire.

Mme McKinnon: Vous nous avez demandé tout à l'heure des suggestions de collaboration. Il y a des tables rondes pour l'industrie du boeuf, pour le blé — je ne sais pas si cela a déjà commencé — mais aussi pour le poulet, pour les céréales et pour le poisson. C'est Agriculture Canada qui a lancé ces discussions multisectorielles pour résoudre certains de ces problèmes dont vous venez de parler. Ce sont d'excellentes initiatives permettant de réunir des représentants des différents secteurs et du gouvernement pour étudier des possibilités de solutions. Nous devrions nous servir de ce qui existe déjà — et non pas essayer de créer quelque chose de nouveau — pour promouvoir ce genre de discussions.

M. Jennery: Monsieur le sénateur, je comprends quand vous parlez de recherche de solutions; il ne s'agit pas de chercher des coupables. J'ai eu une conversation hier avec Mark Eyking. C'est le secrétaire parlementaire. J'ai emmené avec moi le sous-ministre de l'Agriculture, Sammy Watson, et une ou deux autres personnes dans des magasins et des centres de distribution. J'ai nettement l'impression qu'il nous faut faire un meilleur travail collectif pour comprendre les attentes des consommateurs. Pour déterminer quels produits seront en demande, pas seulement demain mais l'année prochaine, au moment où l'agriculteur commence à semer, pour utiliser votre exemple. Quels sont les produits à valeur ajoutée qui se vendront bien chez les détaillants?

Soixante-quinze pour cent des nouveaux produits qui sont mis en rayons ne survivent pas plus de 90 jours. C'est très mauvais. Cela me dit que nous ne faisons pas ce qu'il faut pour comprendre les attentes des consommateurs. Nous vieillissons tous et nous changeons nos habitudes alimentaires et d'achat. Nous connaissons bien l'évolution démographique. Je serais tout à fait prêt à jouer un rôle d'informateur sur l'évolution de la demande des consommateurs pour que les producteurs s'adaptent en conséquence. Ce ne sera peut-être pas facile, mais c'est une nécessité pour notre industrie.

Le sénateur Lawson: Il y a une option évidente, mais personne ne veut y toucher. Il y a de plus en plus de fumeurs de marijuana. C'est une industrie qui pèse 5 milliards de dollars par an et en plus, ils ne paient pas un centime d'impôt.

M. Jennery: Nous ne vendons que des produits licites dans nos magasins.

Le sénateur Lawson: Peut-être faudrait-il la légaliser.

M. Jennery: Si elle est légalisée, nous en vendrons.

Le sénateur Tkachuk: Le prix importera peu.

Le sénateur Sparrow: Vous venez de dire que ce n'était pas une question de recherche de coupable. Dans ses discussions, notre comité a dit qu'il devait y avoir un coupable quelque part pour ces prix élevés, au niveau de la vente au détail ou ailleurs. Pensez-vous qu'il y a quelque part dans le système quelqu'un qui exploite les consommateurs ou les éleveurs? C'est ce que vous pensez? Vous êtes au milieu de la chaîne, entre les abatteurs, les éleveurs et les consommateurs. Pouvez-vous nous dire s'il y a un coupable quelque part?

Le président: Sénateur Sparrow, les abatteurs sont nos témoins suivants.

Le sénateur Sparrow: Répondez, s'il vous plaît.

Mme McKinnon: Sénateur Sparrow, le coupable pour moi c'est l'ESB et cette unique vache. J'ai une connaissance limitée des activités de mes collègues, les abatteurs, et des augmentations de coût pour eux qui sont la conséquence de cette maladie. Je sais que l'acheteur de détail a pour rôle d'obtenir le meilleur prix possible et de bien comprendre la chaîne d'approvisionnement afin de pouvoir négocier pour les consommateurs. Notre travail ne serait pas très bon si nous n'arrivions pas à obtenir le meilleur prix possible pour les consommateurs. D'après ce que je peux constater, c'est ce que nous arrivons quand même à faire.

Le sénateur Sparrow: Il y a quelqu'un qui profite des autres, d'après vous?

Mme McKinnon: Non.

Le sénateur Sparrow: Merci. Vous avez dit représenter 70 p. 100 des produits d'alimentation vendus.

M. Jennery: Nous représentons 80 p. 100 du volume de produits vendus dans les magasins d'alimentation.

Le sénateur Sparrow: Combien de magasins représentez-vous, alors?

M. Jennery: Nous représentons 8 300 magasins pour un total de 24 membres. Loblaws compte pour un membre. Ce chiffre inclut les Great Atlantic Superstores et les Real Canadian Superstores — toutes les différentes filiales — et si vous comptez ces compagnies pour une, nous représentons 24 membres.

Le sénateur Sparrow: Incluez-vous les coopératives?

M. Jennery: Oui.

Le sénateur Sparrow: La Federated Co-op représente-t-elle son groupe de détaillants?

M. Jennery: Oui, elle inclut Calgary Co-op et ses compagnies.

Le sénateur Sparrow: Est-ce que ce chiffre de 80 p. 100 a chuté de manière spectaculaire au cours des 10 dernières années? Y a-t-il une telle tendance à la baisse que vous finirez peut-être par ne représenter que 60 p. 100?

M. Jennery: La filière alimentation — Loblaws, Sobeys, A&P, Federated Co-op, ce genre de compagnies — compte pour environ 72 p. 100 des ventes de produits d'alimentation au Canada. Le reste est vendu par des chaînes de pharmacie et de magasins généraux comme Wal-Mart ou Costco, ce genre de compagnie. Ce chiffre a diminué de 1 p. 100 par rapport à l'année dernière. Cela signifie que la taille de la tarte n'a pas changé. Simplement il y a plus de participants, donc les parts de la tarte sont un peu plus petites qu'avant.

C'est, pour les détaillants d'alimentation traditionnels, l'avertissement que la stratégie d'hier ne marche plus et que certaines compagnies ont décidé de se diversifier. Aujourd'hui, on peut acheter des postes de télévision, des lunettes, suivre des cours de cuisine ou trouver des centres médicaux ou des centres de conditionnement, ce genre de choses, dans les magasins d'alimentation. D'autres ont décidé d'offrir une plus grande variété de produits d'alimentation et se présentent comme des magasins qui vendent tous les produits d'alimentation de A jusqu'à Z. Il y a différentes stratégies pour essayer de contrer la menace de cette concurrence, mais elle est déjà là. Les pharmacies et les magasins généraux grignotent un peu plus notre part de marché.

Le sénateur Sparrow: Les compagnies comme Wal-Mart achètent leurs produits beaucoup moins cher.

M. Jennery: C'est une question de volume.

Le sénateur Sparrow: Notre part de marché diminuant et leur pénétration du marché augmentant, le risque qu'ils finissent par dominer le marché est grand. Est-ce que vous avez cette crainte?

M. Jennery: Notre industrie ne parle pas de «crainte». Elle reconnaît l'existence de ce Goliath qui est très bon dans ce qu'il fait. Il faut être un peu différent et non pas une version miniature de ce qu'ils sont. Il faut que nous offrions des produits et des services qu'ils n'offrent pas. Il nous faut pouvoir appeler nos clients par leur nom mieux qu'ils ne le peuvent. Ce sont ce genre de choses qui plaisent aux clients. Mis à part l'emplacement, ils accordent de l'importance à la propreté, à la gentillesse du personnel, au temps d'attente aux caisses. Plus de capitaux sont investis que jamais dans les magasins d'alimentation, car ils savent qu'ils doivent se moderniser — offrir quelque chose de nouveau, avoir de nouvelles idées. Certaines de nos compagnies d'alimentation se lancent dans l'assurance automobile. C'est nouveau. Elles se lancent dans les services bancaires, les fleurs, le développement-photos, l'optométrie — tout ce qui peut attirer le consommateur.

Ce n'est pas par crainte, c'est la reconnaissance qu'il faut être différent et meilleur. C'est l'évolution naturelle de notre industrie.

Le sénateur Sparrow: Quand vous avez un conglomérat, et je me réfère à l'industrie alimentaire, qui vend pratiquement tout — on y trouve tout. On trouve pratiquement tout chez Wal-Mart et même si le service n'est pas toujours très bon, il y a l'avantage des prix.

M. Jennery: Ce sont de très grands magasins. Dans la même chaîne, il peut y avoir des magasins qui peuvent aussi bien avoir une surface marchande de 40 000 pieds carrés que de 140 000 pieds carrés. Beaucoup de gens n'aiment pas les très grands magasins. Beaucoup de gens n'aiment pas parcourir cinq rayons avant de trouver leurs oeufs. Ils veulent pouvoir faire leurs courses en deux minutes. C'est ça, la science du consommateur. D'autres adorent passer tout leur temps dans des magasins à la recherche du meilleur prix. C'est ça qu'il faut savoir.

Le sénateur Sparrow: Donc vous n'êtes pas inquiets.

M. Jennery: Nous ne sommes pas inquiets — faites venir la concurrence. Nous sommes prêts.

Le président: Monsieur Jennery et madame McKinnon, nous tenons à vous remercier de cet excellent témoignage. Vous avez probablement deviné que cela faisait longtemps que nous voulions vous entendre. Vous êtes la culmination logique des témoins que nous voulions voir après avoir entendu les agriculteurs et les gens touchés par l'industrie du boeuf, tout particulièrement dans l'Ouest. Nous vous remercions de vos commentaires.

M. Jennery: Si, par la suite, vous avez des questions précises auxquelles vous voulez que nous répondions, nous nous ferons un plaisir de vous communiquer une réponse; et si vous voulez visiter un magasin dans votre région, je me ferai un plaisir d'organiser une telle visite, de vous expliquer comment cela fonctionne, ce qui se passe. Tout ce que vous voudrez, nous nous ferons un plaisir de vous aider.

Le président: Merci beaucoup.

Honorables sénateurs nous aurons maintenant l'occasion d'entendre des témoins très intéressants, les abatteurs. Nous entendrons des représentants de Lakeside Packers Ltd., de Levinoff Meat Products Ltd. et de Cargill Foods.

M. Willie Van Solkema, directeur des affaires canadiennes, Cargill Foods: Monsieur le président, je voudrais vous remercier de m'avoir invité aujourd'hui.

Je suis directeur commercial pour le Canada de Cargill Foods à High River, en Alberta. Cargill est une usine de transformation du boeuf à la fine pointe de la technologie qui a un effectif de 2 000 employés et une capacité d'abattage de 4 200 têtes de bétail par jour. Cargill mène des activités de transformation du boeuf à l'échelle nord-américaine. Jusqu'à récemment, nos marchés étaient totalement intégrés: les éleveurs et les transformateurs pouvaient faire circuler sans encombre les animaux sur pied ainsi que les produits du boeuf de part et d'autre de la frontière.

Comme c'est le cas pour les éleveurs de bovin, les activités de transformation des entreprises canadiennes dépendent de notre accès aux marchés américains et étrangers. La fermeture de ces marchés a eu un impact sur l'offre et la demande au pays.

J'espère toujours que nous allons rapidement trouver une solution au problème d'excédent de bêtes au Canada et je suis encouragé par la réouverture de la période de commentaires relative à la règle proposée qui modifiera les règlements régissant l'importation d'animaux et de produits d'animaux du Canada, annoncée récemment par les États- Unis. Il est important de signaler que c'est grâce aux efforts de collaboration entre le gouvernement canadien et notre industrie qu'on a pu atteindre ces résultats.

Ceux qui ont été le plus durement frappés sont les exploitants de parcs d'engraissement. Comme il leur est impossible d'exporter leurs animaux sur pied aux États-Unis, le Canada, depuis quelques mois, a un gros excédent de bétail.

Pour être rentables, les exploitants de parcs d'engraissement, tout comme les transformateurs, doivent accès au marché américain. Nous espérons que la décision américaine remettra d'aplomb l'industrie bovine en rétablissant les marchés d'exportation, mais il ne faut pas oublier que le Canada connaît depuis quelque temps déjà une surproduction.

L'offre trop importante de bétail au Canada a provoqué un recul marqué sur les bénéfices nets des éleveurs. Ce n'est pas compliqué: l'offre de bétail a augmenté sans que la demande en fasse autant et par conséquent les prix ont chuté.

Par ailleurs, nos entreprises de transformation nord-américaines ont également subi des pertes considérables. En Amérique du Nord, nous avons mis à pied 1 000 travailleurs, toute usine confondue. Comme notre propre cheptel était devenu trop important, nous avons fait don de viande d'une valeur d'un million de dollars à des banques alimentaires et organismes de bienfaisance partout au Canada.

Nous devons maintenant assumer le coût du prélèvement de certains produits en vue de leur équarrissage alors qu'il y a un an à peine nous vendions ces mêmes produits sur le marché.

Les abats et viandes minces ainsi que d'autres coupes de boeuf peu prisées que l'on vendait sur les marchés asiatiques ne valent presque plus rien et sont utilisés pour faire du boeuf haché, ce qui représente une perte d'environ 200 $ par tête de bétail. De plus, l'augmentation de la valeur du dollar canadien s'est traduite par une perte supplémentaire de 150 $ par tête.

Nous avons augmenté notre capacité d'abattage en Alberta pour permettre aux éleveurs d'écouler leurs animaux, mais jusqu'à récemment, cela n'a pas permis de régler le problème de la surproduction d'animaux sur pied. Par contre, depuis un mois, les prix versés aux éleveurs ont augmenté car le nombre de bêtes a diminué.

La réouverture immédiate et complète du marché américain du bétail sur pied et des produits du boeuf est la seule solution qui pourra apporter une aide durable aux éleveurs.

Depuis la découverte du premier cas d'ESB en mai, nous avons fait tout notre possible pour que le commerce du bétail sur pied et des produits du boeuf soit rétabli en Amérique du Nord et à l'étranger. Plus précisément, Cargill Inc. est intervenu directement dans le processus d'enregistrement fédéral américain, exhortant les autorités à rouvrir la frontière aux animaux et aux produits du boeuf. Nous avons travaillé étroitement avec les grandes associations commerciales comme le Conseil des viandes du Canada, la Canadian Cattlemen's Association, la National Cattlemen's Beef Association et le American Meat Institute dans le but d'assurer la réouverture de la frontière.

De plus, Cargill a prôné l'adoption de mesures de contrôle des aliments destinés au bétail au Canada et aux États- Unis, ce qui se traduirait par des économies de millions de dollars par an pour l'industrie toute entière, et plus particulièrement pour les éleveurs, dans le but de maintenir notre position concurrentielle sur les marchés internationaux.

On ne saurait sous-estimer le préjudice subi par notre industrie, et en particulier par les éleveurs. Ce sont nos fournisseurs, ce sont nos clients et si ce secteur tellement important ne reste pas rentable, nous risquons de voir l'industrie bovine canadienne subir des dommages considérables et irréversibles. C'est pour cette raison que nous prenons entièrement acte des préoccupations soulevées au sujet du conditionnement et du détail.

Nous exportions 70 p. 100 des bovins que nous élevions au Canada avant la crise de la vache folle. Ce n'est plus le cas. Nous sommes maintenant contraints de réduire de plusieurs centaines de dollars la valeur d'un animal sur pied depuis la fermeture des marchés d'exportation pour des raisons indépendantes de notre volonté.

Je voudrais insister ici sur le fait que le secteur nord-américain de la viande de boeuf n'a absolument aucun intérêt à ce que les éleveurs de bovins travaillent à perte ou n'aient plus accès au marché nord-américain ou à d'autres marchés étrangers. Notre souci est le même que le leur. Rouvrir la frontière pour les animaux sur pied et les produits du boeuf, et cela dans les meilleurs délais possible. Un marché nord-américain ouvert est la clé de voûte de notre secteur.

Nous sommes arrivés à un tournant critique de notre histoire, et nous devons axer tous les efforts sur le rétablissement de débouchés à l'étranger pour nos animaux sur pied et les produits du boeuf que nous produisons. Faute de travailler dans ce but commun, ce sont nos éleveurs, notre industrie de transformation et toute notre industrie qui en souffriront.

À titre d'exemple, je voudrais attirer votre attention sur le communiqué de presse publié il y a une semaine et demie par la Canadian Cattlemen's Association comme quoi notre industrie doit faire front commun et ne pas commencer à lancer des accusations alors que la véritable solution est l'ouverture des marchés étrangers.

Voici ce qu'on y dit:

Il est simpliste de prétendre qu'un seul secteur de l'industrie bovine profite au détriment des autres secteurs, et ce genre d'affirmation exige une analyse plus fine. Même si les marges bénéficiaires brutes des conditionneurs ont peut-être augmenté, cela ne reflète pas pour autant d'autres facteurs comme la diminution de la valeur d'une carcasse attribuable à la disparition des marchés d'exportation pour les abats, les frais supplémentaires occasionnés par le transport et la destruction des matériels à risque spécifié et ainsi de suite. Les milieux intéressés s'emploient actuellement à brosser un tableau plus complet et plus précis de la situation.

L'aide gouvernementale a été utile à de nombreux producteurs agricoles et éleveurs dans cette période difficile. L'appui des consommateurs qui ont acheté davantage de viande de boeuf a également été essentiel pour que le bétail puisse continuer à être écoulé sur le marché. En faisant croire à tort aux consommateurs que lorsqu'ils achètent de la viande de boeuf, ils ne viennent pas en aide aux producteurs agricoles et aux éleveurs, on porte préjudice à l'industrie tout entière.

Permettez-moi de citer également un autre document publié il y a deux semaines à la suite d'une réunion de l'Alberta Cattle Feeders. On y dit:

Les conditionneurs internationaux pourraient manifester leur opposition à la réouverture de la frontière puisqu'ils seront ainsi privés des avantages qu'ils ont actuellement sur le marché.

La Canadian Cattlemen's Association et le Conseil des viandes du Canada ont également commenté dans un document la règle proposée et ces deux organisations réclament des marchés ouverts pour tous les bovins sur pied et les produits du boeuf. Nous sommes fiers de collaborer avec les éleveurs canadiens à la réalisation de cette mesure.

Je porte également à votre attention une lettre de l'American Meat Institute (AMI), qui est l'homologue américain du Conseil des viandes du Canada. L'AMI est la seule organisation nationale américaine à avoir constamment demandé la réouverture des frontières. Permettez-moi de vous lire un extrait de cette lettre. Elle a été envoyée par J. Patrick Boyle, président de l'AMI, à la secrétaire Vennamen:

Nous vous écrivons pour vous exhorter à invoquer immédiatement tous vos pouvoirs pour rouvrir le commerce du bétail, de la viande de boeuf et des produits du boeuf originaires de pays comme le Canada qui présentent un risque minimum de contamination par le virus de l'ESB. À notre avis, la réouverture complète du marché américain au boeuf canadien est un préalable indispensable pour que l'industrie américaine du bétail et de la viande de boeuf jouisse à nouveau de la réciproque en Amérique du Nord, en particulier au Mexique, et en bout de ligne sur les autres grands marchés étrangers.

L'AMI a exercé de fortes pressions pour que les marchés soient de nouveau ouverts aux bovins canadiens.

Voici une autre lettre de l'AMI en réponse à la décision de l'USDA de rouvrir la période de commentaires sur la proposition visant à établir la liste de régions qui présentent un risque minime d'ESB.

Le président de l'AMI, J. Patrick Boyle, dit ce qui suit:

L'industrie de la viande des États-Unis appuie la proposition de l'USDA de permettre l'importation de certains bovins et produits du boeuf provenant de pays où le risque d'ESB est minime. Toutefois, nous croyons qu'il faudrait aller encore plus loin en permettant l'importation aux États-Unis de tous les animaux de boucherie à la condition que des mesures appropriées d'atténuation du risque soient prises. Il est contradictoire de permettre l'importation de viande provenant d'animaux plus âgés, mais pas les animaux eux-mêmes, étant donné les mesures de contrôle misent en place aux États-Unis pour éliminer le matériel à risque certifié qui peut servir de vecteur à l'ESB.

Le dernier article dont je souhaite vous lire un extrait a été rédigé par Kevin Grier, analyste principal des marchés du George Morris Centre. Cet article a été publié dans le Canadian Cattle Buyer du 7 février 2004. Je cite:

Le George Morris Centre a été la cible de critiques tant de la part des éleveurs que des acheteurs de boeufs parce qu'il a dit que les transformateurs n'ont exploité personne dans la chaîne d'approvisionnement. Nous maintenons fermement cette affirmation... En outre, il est important de se rappeler que l'offre excédentaire de bovins est le résultat de la fermeture de la frontière. Ce n'est pas un problème créé par les transformateurs. Ce n'est pas un problème qu'on réglera en lançant des accusations.

Il importe également que vous sachiez que, d'après nos discussions continues avec les détaillants et les fournisseurs de services alimentaires, les consommateurs ne se plaignent pas des prix du boeuf. Les consommateurs ne posent aucune question et ne s'abstiennent pas d'acheter du boeuf sous prétexte que les prix devraient être moins élevés.

En fait, l'industrie toute entière devrait se féliciter que les consommateurs ne s'inquiètent pas du prix du boeuf. Si les consommateurs avaient l'impression d'être exploités, ils achèteraient tout simplement moins de boeuf, ce qui nuirait considérablement aux éleveurs de bovins du Canada. En outre, plus les médias choisiront de parler des prix du boeuf, plus on discutera de la véritable cause du problème qui est, bien entendu, les deux cas d'ESB. Il me semble qu'il serait dans l'intérêt de l'industrie bovine qu'on parle le moins possible de l'ESB et du boeuf.

Ceux qui continuent à attirer l'intérêt des médias et de la classe politique sur les prix du boeuf réussiront finalement à attirer l'attention des consommateurs. Lorsque les consommateurs seront avertis, c'est toute la chaîne de production du boeuf qui sera perdante.

Une dernière note:

En ce qui concerne les marges bénéficiaires des transformateurs, notre intuition nous dit que les rendements ont dû être très bons cet automne et cet hiver. Cependant, au début de l'été, lorsqu'ils perdaient des dizaines de millions de dollars par semaine, les médias ne s'intéressaient pas du tout à leur sort. En outre, s'il est vrai que leurs marges brutes sont considérables, leurs frais d'exploitation le sont aussi.

Il est également intéressant de savoir qu'au cours des cinq dernières semaines, les marges brutes des transformateurs ont diminué rapidement et leurs marges nettes semblent très étroites. C'est un fait dont on parlera peu.

M. Brian A. Read, Levinoff Meat Products Ltd.: Avant de commencer, il est important de signaler que depuis le 20 mai, bon nombre de gens ont travaillé sans relâche. Je tiens à féliciter sans égard à la politique le ministre Vanclief, le ministre Speller, l'ACIA et Santé Canada de leurs efforts. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le MAECI depuis le 20 mai, qui a déployé des efforts incomparables, tout comme Agriculture Canada. Nous venons de terminer notre dixième tour de négociation au sujet des stratégies relatives à l'avenir, en conjonction avec les éleveurs de bétails et les transformateurs.

Je suis directeur général de Colbex-Levinoff, une entreprise familiale qui emploi environ 350 personnes. Nous sommes une entreprise qui utilise pour ses produits des bovins de plus de 30 mois. Après le 20 mai, nous nous sommes retrouvés avec des stocks d'une valeur d'un million et demi de dollars. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une entreprise familiale canadienne qui ne valait plus un sous le 22 mai. Nous avons dû mettre à pied une bonne partie de notre personnel. Nous avons réduit les heures de travail à 4 par jour — même si dès la mi-juillet nous avons pu retomber sur nos pieds et utiliser des veaux — en raison de l'incertitude politique résultant d'un seul cas d'ESB en Alberta.

Les systèmes de récupération de la viande et les produits venant d'animaux âgés de plus de 30 mois ne sont plus utilisables. Nous ne pouvons plus récupérer la viande et nous nous trouvons en possession d'équipement dont le seul usage pourrait être de servir d'ancre au Queen Mary. Cet équipement vaut de 800 000 $ à un million de dollars installé. Il est très coûteux et nous ne pouvons pas l'utiliser à l'heure actuelle.

Le 24 juillet, on a jugé que parmi nos produits venant d'animaux de plus de 30 mois, nous devions retirer 22 parties de la chaîne alimentaire, ainsi que de nombreuses autres parties destinées au marché d'exportation. Il faut reconnaître que les consommateurs canadiens nous ont bien appuyés et qu'il ne faut pas nuire à cet appui; nous ne voudrions pas non plus mettre en péril la salubrité des aliments que nous produisons. Nous avons donc été obligés d'appliquer le programme des MRS pour protéger les consommateurs canadiens. C'est une priorité.

M. Van Solkema a parlé de nombreuses questions et je ne vais donc pas m'étendre sur le sujet. Il vous faudra du temps pour nous poser des questions.

Le président: Où votre entreprise est-elle située?

M. Read: Nos usines sont dans la province de Québec. Notre abattoir est à St-Cyrville et notre usine de désossage est à Montréal.

Garnett Altwasser, président, Lakeside Packers Ltd: Je viens de la ville de Brooks, dans le sud de l'Alberta. Nous sommes situés au coeur de l'industrie de l'élevage. Dans les 38 dernières années de ma carrière, j'ai mis sur pied une société portant le nom de Lakeside. Lakeside a commencé par être une provenderie avant d'être un parc d'engraissement de bovins. En 1974, j'ai construit un petit abattoir. Au fil des ans, notre société a pris de l'expansion et, en 1994, nous l'avons vendue à IBP, qui appartient à la société Tyson des États-Unis. Notre société appartient maintenant à des intérêts américains. Nous exploitons le parc d'engraissement, les pâturages nécessaires à l'engraissement, les installations de traitement des eaux usées de l'abattoir ainsi que l'abattoir.

Notre entreprise est internationale. Nous vendons nos produits partout au monde, ou plutôt nous le faisions. Nous vendons des produits et comme toutes les autres entreprises de ce genre, nous avons une marge bénéficiaire. Dans notre usine de conditionnement, la matière brute, ce sont les bovins. Nous vendons environ 150 produits du boeuf dans diverses régions du monde.

La matière brute du parc d'engraissement, ce sont les bovins d'engraissement, des bovins âgés de huit à neuf semaines qui sont produits par les éleveurs et les agriculteurs. Nous les engraissons pendant 150 jours avant de les abattre.

Les exportations représentent de 60 à 70 p. 100 de notre chiffre d'affaires. Au fil des ans, nous sommes devenus une société de commerce international qui vend des produits et fonctionne avec une marge bénéficiaire.

Pour revenir à ce qu'a dit M. Read, le Canada devrait être fier des résultats de l'enquête effectuée cette année et du fait que grâce aux nombreux efforts déployés, entre autres par l'ACIA, la frontière américaine a été rouverte très rapidement. Cela nous a néanmoins semblé être une éternité. Mais à vrai dire, si l'on fait la comparaison avec d'autres, un délai de quatre mois semble remarquable. En comparant l'enquête faite ici et celle faite par les Américains après la découverte d'une vache atteinte de l'ESB en décembre, on constate que les organismes de réglementation et les gens de notre secteur ont fait du bon travail.

On a posé de nombreuses questions au sujet du comportement du marché et des effets sur le marché. Le marché fonctionne et continuera de fonctionner en dépit de ces entraves, même si certains de ses éléments ne sont pas aussi efficaces qu'ils ont pu l'être par le passé dans des circonstances différentes. Par exemple, il y a eu impasse pendant cinq à six semaines après la fermeture de la frontière. Les producteurs n'ont pas vendu de bêtes, les conditionneurs n'en n'ont pas achetées et notre entreprise a cessé de fonctionner. Nous avons abattu environ 20 000 bêtes par semaine alors que nous aurions dû en abattre 45 000. Nous étions dans cette impasse lorsqu'on a annoncé le programme de redressement suite à l'ESB. Les producteurs ont retrouvé suffisamment confiance pour vendre leur bétail, nous avons commencé à produire davantage, nous avons réduit le prix de la viande et nous avons commencé à traiter de nouveau le bétail dans tout le système. Nous n'étions pas très contents des prix, mais au moins la chaîne de production s'était remise en marche. Il en coûte bien plus de 2 $ par jour pour chaque animal conservé dans le parc d'engraissement.

En août, le prix des bovins a chuté à 35 cents, mais dès la fin octobre, il est remonté en Alberta à 93 cents. Même si la frontière demeurait fermée pour les bêtes sur pied, le marché fonctionnait toujours. À l'heure actuelle, le prix du marché est d'environ 87 $, ce qui correspond aux paramètres et aux limites imposés par la fermeture de la frontière. Les producteurs n'ont plus le pouvoir de négociation qu'ils avaient auparavant, en ce qui a trait à l'exportation de bétail vivant, mais ils sont capables, grâce à la discipline du marché et en vendant moins de bovins gras, d'exercer une pression à la hausse sur les prix.

L'an dernier, le prix des veaux dans le sud de l'Alberta était de 10 cents à 15 cents près de ce qu'il était une année auparavant. Tout ne s'est pas effondré. C'est tout un exploit pour un pays qui a traversé une crise de l'ESB. À l'heure actuelle, on parle beaucoup des vaches et du fardeau qu'elles représentent pour le marché. Toutefois, en réaction à la crise de l'ESB, les producteurs ont fait saillir un grand nombre de vaches au lieu de les vendre et de les réformer. Par le passé, le taux de réforme était de 8 à 10 p. 100. Il y a maintenant d'autres possibilités. L'option de vendre la vache à un faible prix n'était pas très intéressante et on a donc prolongé le cycle de reproduction jusqu'au printemps et à l'été dernier. Les éleveurs n'amènent pas leurs vaches à l'abattoir. À l'heure actuelle, nous manquons même de vaches à abattre. Le marché porte fruit et les producteurs prennent des décisions différentes pour survivre.

Nous abattons davantage de bêtes jeunes. Il s'est abattu au Canada 15 p. 100 plus de bovins en janvier et en février qu'il y a un an. On abat jusqu'à 70 000 bêtes. Notre usine fonctionne six jours par semaine, avec deux quarts de travail, et nos employés n'ont pas eu d'autres congés que les dimanches depuis la semaine de Noël. Ils sont contents du temps supplémentaire et des revenus additionnels, et c'est important pour eux, mais ils travaillent très fort, tout comme nous, pour traiter ces bovins afin que nous puissions en vendre la viande aux États-Unis et arbitrer le marché. Nous avons reçu un soutien énorme des consommateurs et vos témoins précédents ont également appuyé notre secteur.

J'ai quelques observations au sujet des prix élevés du boeuf. À vrai dire, l'arbitrage est possible dans le cas des coupes du centre. Nous pouvons vendre les coupes de longe, de filets et de côtes aux États-Unis. Ces coupes sont arbitrées sur le marché américain, mais il y a toujours des aubaines. Le boeuf haché a toujours été une aubaine et continue de se vendre à des prix très avantageux.

La situation à la frontière, l'arbitrage, ne pourra pas revenir là où elle en était tant que la frontière n'est pas rouverte. Il n'y a pas d'autres solutions et de toute façon, c'est un marché d'acheteurs. C'est également un marché d'acheteurs pour les propriétaires de parcs d'engraissement lorsqu'ils remplacent les bovins d'embouche. Ceux qui sont désavantagés, en bout de ligne, ce sont les éleveurs-naisseurs — ceux qui s'occupent de la reproduction des vaches. D'après mes observations, le marché fonctionne.

Le Canada pourrait revoir son ancienne politique de quotas supplémentaires pour le boeuf dans ce pays. Par le passé, les Canadiens importaient le tiers du boeuf qu'ils consommaient. Nous avons importé des quantités illimitées de boeuf d'Océanie. Nous en avons importé deux fois plus que les Américains, par habitant. Cela a nui à notre capacité d'abattage, car dans notre secteur, il était finalement plus rentable d'exporter les vaches et d'importer du boeuf d'Océanie. Nous avons exporté ces vaches aux États-Unis et les conditionneurs ont eu de la difficulté à réaliser des bénéfices. Je peux nommer 35 abattoirs qui ont dû fermer leurs portes dans l'ouest du Canada au cours de ma carrière. Nous serions bien heureux d'en retrouver certains aujourd'hui compte tenu de ce surplus de bovins. Le Canada doit revoir son orientation à long terme en ce qui a trait aux quotas supplémentaires.

Le président: Importons-nous beaucoup de boeuf des États-Unis à l'heure actuelle?

M. Altwasser: Non. La chute du prix s'en est chargée.

Le travail des coupes de la viande est un travail difficile, sale. Nous nous efforçons de faire passer autant de bêtes que possible dans le système. Nous devons bien veiller à ne pas apporter trop de changements, parce qu'à un moment donné, les frontières vont rouvrir et une bonne partie des problèmes actuels vont disparaître.

Le président: À l'heure actuelle, il y a plus d'un million de têtes de bétail qui sont prêtes à être abattues, mais elles ne pourraient de toute façon pas toutes passer la frontière au même moment. Que recommanderiez-vous pour qu'il n'y ait pas engorgement du marché américain et donc chute des prix?

M. Altwasser: Nous n'allons pas inonder le marché américain. Je vais dire quelques mots à ce sujet. Avec le nombre de têtes qui sont abattues actuellement au Canada...

Le président: Je voulais parler du bétail sur pied.

M. Altwasser: En effet, si on rouvre la frontière, le bétail sur pied pourra passer aux États-Unis pour y être engraissé ou encore pour y être abattu. À l'heure actuelle, les abattoirs canadiens, au niveau fédéral, provincial et local, abattent environ 67 000 têtes par semaine.

Le président: Ce qui me préoccupe, c'est le million de têtes de bétail sur pied que nous aimerions pouvoir exporter.

M. Altwasser: Si nous continuons à abattre au même rythme que maintenant et que la frontière reste fermée jusqu'à la fin de l'année, CanFax aurait 600 000 têtes de trop à la fin de 2004. Si la frontière canado-américaine est rouverte, ce bétail ira se faire engraisser et abattre là-bas. Seul le nombre de bétaillères disponibles pourraient freiner le mouvement. Quand les États-Unis absorberont tout ce bétail qui vient de chez nous, vous entendrez jusqu'ici le bruit des sabots.

M. Van Solkema: Mais il n'y aura pas un million de têtes qui se présenteront à la frontière au moment de la réouverture.

Le président: Et les bovins de plus de 30 mois?

M. Read: Depuis un jour et demi, nous essayons de savoir quoi faire de ces bovins de plus de 30 mois que nous avons en trop. M. Altwassser a fait allusion au fait qu'on avait décidé d'en faire des reproducteurs. Nous ne sommes pas sûrs du nombre de vaches en pâture, mais nous le serons en juin, lorsque la neige aura disparue. Nous avons essayé de voir ce que nous pouvions faire de cet excédent. Si la viande peut être écoulée aux États-Unis comme mesure temporaire dans le cadre de la décision finale, ce à quoi nous devrons répondre d'ici le 7 avril, à ce moment-là nous aurons un débouché pour notre produit et l'engorgement ne se fera pas aussi rapidement au Canada. Il devrait même y avoir une légère augmentation des achats sur pied étant donné que nous aurions ce marché supplémentaire pour la découpe. Si on peut écouler la viande dans le cadre de cette mesure temporaire, à ce moment-là nous pouvons envisager de travailler à capacité. À l'heure actuelle, nos abattoirs fonctionnent six jours par semaine. Nous sommes prêts à doubler notre capacité en juillet. Nous avons également prévu d'investir, mais pour commencer, il faut que nous sachions ce qui nous attend. Je ne suis pas certain que cela dépende de nous, mais nous n'avons pas été capables de nous faire une idée depuis le 30 mai 2003.

Nous attendons que la poussière retombe un peu afin de pouvoir mieux comprendre ce que nous devons faire. Il y a une demande. Nous allons faire le maximum pour déloger les importations océaniennes. Nous avons appris que la fermeture de la frontière n'était pas la solution. Nous sommes heureux de n'en avoir rien fait, comme on n'y avait fait allusion au tout début du programme. Ce n'est certainement pas la réponse. Nous allons devoir déloger les importations océaniennes, et le faire surtout en rétablissant les échanges.

Depuis dix ans, pour une raison que j'ignore, nous avons perdu une bonne partie de notre capacité de transformation et beaucoup de producteurs à faible marge aux bénéfices des États-Unis. Ce serait formidable si nous parvenions à récupérer une partie de cela, une partie de cette production, afin de ne plus devoir dépendre autant des exportations. Nous avons tiré une leçon durement apprise. Lorsqu'on dépend d'un client étranger, on est très vulnérable à toutes sortes d'incidents. Nous espérons pouvoir étudier des façons d'améliorer la valeur ajoutée du boeuf de boucherie au Canada en répondant aux besoins des détaillants et des spécialistes de l'alimentation. Nous avons besoin de l'aide du Sénat pour faire ce genre de choses lorsque la reprise viendra afin de ne plus être aussi vulnérables que nous le sommes depuis dix mois, presque un an.

M. Van Solkema: Je voudrais ajouter une chose au sujet des vaches, quelque chose qui concerne plus particulièrement nos installations de High River. À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas accepter de vaches à cause de la réglementation. Outre la décision finale qui sera prise aux États-Unis, nous espérons que la réglementation nous permettra dorénavant de faire également de la découpe de vache, ce qui permettrait également de désengorger un peu le marché.

Le président: Pourriez-vous être plus précis au sujet de cette réglementation? De quoi parlez-vous au juste?

M. Van Solkema: À l'heure actuelle, on ne peut pas conditionner sur la même chaîne de la viande provenant de bêtes de plus de 30 mois et de la viande provenant de bêtes de moins de 30 mois. Mais nous n'avons qu'une seule chaîne. L'usine de M. Read traite uniquement des bêtes de plus de 30 mois, et celle de M. Altwasser également. Il s'agit d'une réglementation du secrétariat américain à l'Agriculture, l'USDA. Les Américains nous ont imposé cette règle lorsqu'ils nous ont donné l'autorisation d'écouler notre viande chez eux. Nous espérons que lorsque la réglementation finale sera adoptée aux États-Unis, elle nous permettra de travailler à la fois sur des bêtes de plus de 30 mois et sur des bêtes de moins de 30 mois.

Le président: Pourriez-vous dire quelques mots sur ce que je disais un peu plus tôt, c'est-à-dire que le marché américain serait inondé s'il ouvrait subitement ses portes alors que nous avons ici au Canada un million de têtes prêtent à expédier, soit pour l'engraissement, soit pour l'abattage? Est-ce que cela inonderait vraiment le marché américain?

M. Van Solkema: Ce million de têtes de bétail ne pourrait pas être tout expédié en même temps.

Le président: Une partie pour l'engraissement et une autre pour l'abattage.

M. Van Solkema: Mais là aussi, lorsque la frontière sera rouverte, les échanges recommenceront et je pense qu'il serait bon de contrôler un peu cela afin que tout le bétail ne soit pas expédié en même temps. Aux États-Unis, il y a des groupes qui jetteraient de hauts cris.

Le président: C'est en effet un gros problème pour les Américains, vous le savez sans doute.

M. Read: Si vous me permettez d'ajouter un mot à ce qu'on disait à propos du bruit de sabots qu'on entendrait jusqu'ici, lorsque la frontière a été fermée le 20 mai, c'était le début de la haute saison pour la plus grosse partie de la viande intermédiaire. Les États-Unis avaient commencé à abattre prématurément pour pouvoir répondre à la demande des consommateurs. En outre, jusqu'au 23 décembre, les Américains avaient également eu le luxe de pouvoir profiter du marché du bassin du Pacifique. Par conséquent, ils avaient commencé à abattre et à conditionner très tôt. On peut en effet constater que le poids moyen des bouvillons américains a pas mal diminué. Il serait donc tout à fait possible d'exporter de bonnes quantités de boeuf aux États-Unis. Pour eux, cela ne représente sans doute pas beaucoup.

Le président: Même exporter beaucoup de bêtes pour l'engraissement?

M. Read: Bien sûr. Il y a de la place pour ces bêtes dans le système américain étant donné que les États-Unis ont abattu très tôt l'an dernier.

Le sénateur Callbeck: Je voudrais vous parler d'une cause qui est actuellement en instance devant les tribunaux de l'Alabama et qui concerne Tyson Foods. D'après ce que je sais, Tyson Foods est une entreprise à intégration verticale qui possède des parcs d'engraissement et des abattoirs. Elle a été jugée coupable d'avoir manipulé illégalement le marché du bétail et causé un préjudice de l'ordre de 70 milliards de dollars à l'industrie du boeuf et elle a été condamnée à payer 1,28 milliards de dollars en dommages-intérêts. Pourriez-vous nous dire comment Tyson Foods a pu ainsi manipuler le marché du bétail?

M. Altwasser: C'est à moi à répondre à cela parce que Tyson Foods est la propriétaire de Lakeside Packers. Moi- même, je ne comprends pas parfaitement la situation. C'est quelque chose qui remonte à très longtemps. C'est quelque chose dont nous avons littéralement hérité. La compagnie IBP a été inculpée il y a de très nombreuses années. D'après ce que je sais, il s'agissait d'accords de mise en marché. On donnait aux producteurs la possibilité d'obtenir un prix fixe de l'abattoir avant même la livraison.

Cela étant, le jugement n'est pas encore tombé. La cause est toujours en instance. Un jury a fait ses recommandations et Tyson a fait ses observations au juge. J'ai appris que les éleveurs qui avaient intenté les poursuites auront également le loisir de soumettre leurs propres commentaires. Ce n'est pas demain que la page sera tournée. Mais cela n'a rien à voir avec Lakeside Packers. C'est une affaire qui est bien antérieure à l'entrée en scène de Lakeside Packers. Je pense que nous verrons encore beaucoup d'autres cas de ce genre. C'est une question de longue date et qui n'a pas encore été tranchée.

Le sénateur Callbeck: J'ai dû mal comprendre parce que je pensais que le verdict était tombé.

M. Altwasser: Le jury a fait ses recommandations au juge de ce tribunal de l'Alabama.

Le sénateur Callbeck: Dans le cas de ces entreprises à intégration verticale, est-ce que l'éleveur indépendant reçoit le même prix qu'un éleveur qui est lié à un abattoir?

M. Altwasser: Chez nous, c'est le parc d'engraissement qui a donné naissance à l'abattoir. Nous sommes des éleveurs et nous avons construit une usine de conditionnement. Il y a une route entre les deux. Le parc d'engraissement est d'un côté et l'usine de l'autre. Notre bétail se transige selon la moyenne CanFax, c'est-à-dire la valeur marchande donnée par l'éleveur pour le bétail pendant la semaine en question. C'est ainsi que nous déterminons le prix de notre bétail lorsqu'il est abattu chez nous. Nos acheteurs sont évidemment mandatés pour acheter au prix le plus bas possible. Nous travaillons sur marge et lorsqu'il y a vente par soumission fermée, nous achetons le bétail au prix le plus bas possible et nous essayons de le revendre un peu partout dans le monde au prix le plus élevé possible. C'est pour ça que nous sommes là.

Le sénateur Mercer: Vous avez parlé de soumission fermée, mais n'est-il pas vrai que certains conditionneurs insistent pour connaître le prix offert par leurs concurrents avant de soumettre le leur? C'est d'ailleurs l'une des choses qui avait été alléguée dans l'affaire Tyson et également dans d'autres causes du même genre où on accusait les conditionneurs de manipuler les prix. Avant de déposer votre soumission, vous voulez connaître le prix proposé par vos concurrents afin de pouvoir sous-enchérir.

M. Altwasser: Dix-huit pour cent de tout ce que nous abattons provient de nos propres parcs d'engraissement, le reste provenant de ce que nous allons soumissionner sur le marché concurrentiel. Voilà comment la plus grande partie du bétail est vendue: nous savons qu'il y a probablement 40 ou 50 parcs d'engraissement qui vont écouler l'essentiel de leur production. Au jour dit, ils nous envoient une fiche d'enchère sur laquelle ils décrivent la marchandise et, dans la partie supérieure de la fiche, ils inscrivent le nom de l'abattoir. Par exemple, un lot de bétail va être vendu mercredi et jeudi dans notre coin à nous. Nous allons enchérir par téléphone. À un moment donné, les enchères sont fermées et on nous téléphone pour nous dire ce que Cargill a proposé, ce qu'Excel a proposé, ce que Better Beef a proposé dans l'Ouest, ce que les Américains ont offert, s'ils se manifestent, et à ce moment-là les gens du parc d'engraissement disent si le lot a été vendu ou non.

Ce sont eux qui décident.

Le président: Le bétail n'est pas nécessairement vendu au plus offrant?

M. Altwasser: Ils ne sont pas obligés de le vendre. L'exploitant du parc d'engraissement peut en effet vouloir un bénéfice maximum et vendre ainsi au plus offrant, mais il n'est pas obligé de le faire et il peut aussi retirer le lot de la vente.

M. Van Solkema: C'est ce qu'on appelle le processus d'offre sous pli fermé.

Le président: C'est donc secret.

M. Van Solkema: Tout à fait. Les offres ne sont rendues publiques qu'après la vente.

M. Read: Lorsqu'il s'agit de bétail de plus de 30 mois, 90 p. 100 des bovins sont vendus aux enchères publiques. Pour le producteur, c'est presque comme une fête publique. Il dépose son pari et c'est mis aux enchères publiques. Il y a des enchères de ce genre partout au Canada.

Le sénateur Fairbairn: Cette audience de ce soir est importante pour les gens qui ne gagnent pas leur vie comme vous. En effet, il s'agit d'une façon de faire extrêmement compliquée, et vous nous avez aidés, ainsi que ceux qui nous suivent, à mieux comprendre.

Mais je suis totalement d'accord avec vous, l'essentiel pour toutes les composantes de l'industrie, que ce soit le conditionnement ou même nous, c'est la réouverture de la frontière. L'annonce qui a été faite hier par le gouvernement a été utile, certes, mais personne ne se fait d'illusions, ce n'est guère qu'un palliatif en attendant la réouverture de la frontière. Il semble y avoir une toute petite lueur au bout du tunnel, et j'espère qu'elle va briller de plus en plus fort et que nous pourrons enfin revenir à la normale.

Quand tout cela s'est produit, c'était en mai — et je voudrais vraiment parvenir à mieux comprendre, monsieur Van Solkema — le gouvernement fédéral, qui savait qu'on aurait du mal à garder les gens au travail dans les abattoirs, a composé avec le gouvernement provincial une proposition de travail à temps partagé qui a été utilisée dans le cas de Brooks pour permettre précisément aux ouvriers de Lakeside Packers de continuer à travailler, quitte à gagner moins. Première question, monsieur Altwasser, qu'est-ce que cela a donné? Deuxième question, monsieur Van Solkema, Cargill n'a pas donné suite à cette proposition. Était-ce parce que votre système fonctionne de façon différente? À l'époque, cela m'avait semblé bizarre. Comment les choses se sont-elles passées?

M. Altwasser: Je vais répondre pour ce qui concerne la Lakeside Packers. La compagnie emploie 2 300 personnes dans une localité de 12 000 habitants, de sorte que notre richesse la plus précieuse, c'est la ressource humaine. Nous avons engagé partout au Canada, et il nous a été très difficile d'arriver à faire venir autant de gens pour travailler en équipe chez nous. Ainsi, lorsque la crise a éclaté, nous avons décidé de ne pas mettre à pied. Il était important pour nous que nos gens puissent continuer à gagner leur vie, mais en revanche, si nous ne produisions rien, nous ne pouvions pas les payer. Par conséquent, pendant ces cinq ou six semaines pendant lesquelles le marché s'est littéralement arrêté, nous n'avons pu travailler que deux et demi à trois jours par semaine, ce qui a bien entendu eu un effet sur les gens. L'entente de partage nous a permis d'étaler cette période difficile jusqu'à l'entrée en vigueur du programme de soutien destiné aux producteurs. Nous avons commencé à recevoir du bétail et, tout d'un coup, nous avons pu commencer à travailler quatre ou cinq jours par semaine, et maintenant nous faisons même des heures supplémentaires. Pendant la période en question, nous avons perdu environ 300 employés, et il nous a fallu tout ce temps depuis lors pour revenir à nos effectifs d'avant.

Le sénateur Fairbairn: A-t-on vraiment été jusqu'à dire que si l'usine devait fermer, c'en serait fini de la ville?

M. Altwasser: Dans le cas de Brooks, nous sommes le plus gros employeur du sud de l'Alberta et nous sommes situés dans une petite ville de 12 000 habitants.

M. Van Solkema: Notre situation est un peu différente. Quatre-vingt pour cent environ de nos ouvriers qui travaillent à l'heure vivent à Calgary et, chaque jour, ils font la navette pour prendre leur poste de travail. Nous avions le sentiment que la crise de la vache folle allait durer longtemps et, au lieu de proposer une réduction d'horaire à nos 2 000 ouvriers, il était probablement préférable, aussi bien pour nous que pour eux, d'en mettre 450 à pied. Ces gens vivent à Calgary où le travail ne manque pas. C'est une ville très dynamique. Nous avons conservé le reste de notre effectif, les 1 550 autres, qui ont continué à travailler à plein temps. Nous avons jugé que cette solution était meilleure pour nous.

Le sénateur Fairbairn: À l'époque, je m'étais posé la question et je vous remercie pour votre réponse.

Autre question: depuis deux ou trois semaines, nous recevons ici au Parlement des visiteurs de Calgary. J'imagine qu'il y a des gens de la région d'Edmonton qui ont parlé de la possibilité d'ouvrir un abattoir et une usine de conditionnement à capitaux exclusivement canadiens. Ce sont les gens de Sunterra. Nous allons les recevoir en comité jeudi. Ils sont venus nous expliquer leur proposition, et je voudrais savoir ce que vous en pensez. Ils nous disent qu'ils ont à la fois les installations nécessaires et les soutiens financiers voulus à Calgary. À votre avis, ce genre d'initiative peut-elle réussir étant donné ces conditions, et en quoi cela vous toucherait-il éventuellement?

M. Van Solkema: Cela fait des années et des années qu'il y a pas mal de bétail d'engraissement et d'abattage qui passe la frontière chaque semaine. Y a-t-il donc de la place pour un autre abattoir, y a-t-il suffisamment de bétail pour l'alimenter? Probablement. Certes, selon la saison, il arrivera que la situation se complique un peu. Mais la viabilité d'une entreprise dépend du prix qu'elle peut obtenir pour son produit. Nous sommes en concurrence avec des intérêts américains, lorsque la frontière est ouverte, et nous sommes également nos propres concurrents. Ce que je peux vous dire en toute certitude, c'est que les usines américaines ont l'avantage lorsqu'il s'agit du prix de vente qu'elles obtiennent pour leurs produits. C'est cela la grosse difficulté. Il faut donc se bagarrer avec les autres abattoirs pour obtenir du bétail d'abattage et il faut également arriver à obtenir le meilleur prix possible pour le produit final.

Le sénateur Fairbairn: Pensent-ils entre autres qu'ils pourraient produire un produit final destiné à un marché différent?

M. Van Solkema: Ils produiront des produits spécialisés.

Le sénateur Fairbairn: Oui. Nous voulions savoir ce que vous en pensez car ils comparaîtront devant nous.

M. Van Solkema: Ils vont constater que les conditionneurs peuvent leur poser des difficultés.

Le sénateur Fairbairn: Enfin, vous n'avez pas eu la vie facile au cours des dernières semaines, que ce soit dans les médias ou ailleurs, en raison des interrogations au sujet de l'argent versé par le gouvernement fédéral. On se demande où cet argent aboutit et si les conditionneurs et les abattoirs en reçoivent une part plus importante qu'on ne juge nécessaire.

Le sénateur Fairbairn: Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet? Je sais que vous avez eu une réunion assez houleuse avec le comité de la Chambre des communes.

M. Van Solkema: La réponse est en deux volets. Le gouvernement fédéral avait réservé de l'argent pour les conditionneurs. Il y a une semaine, nous avons reçu environ 38 000 $, par l'entremise du gouvernement de la Colombie- Britannique. À part cette somme, nous n'avons pas reçu un sou de l'argent du gouvernement fédéral.

La plupart des gens ne comprennent pas que s'il est vrai que nous avons acheté les bovins à un prix moins élevé, 25 p. 100 seulement de la viande de ces animaux s'est rendu dans les magasins de détail.

Les autres 75 p. 100, entre autres la viande mince et les abats, ont perdu une grande partie de leur valeur parce que nous avons perdu nos marchés pour ces morceaux.

En fait, nous avons payé pour nous débarrasser d'une grande quantité de produits équarris que nous pouvions vendre auparavant. Nous avons éliminé ou enfoui environ 20 millions de livres de viande et de farine d'os.

M. Altwasser: On a déjà demandé où l'agent avait abouti. À mon avis, l'argent a été versé aux engraisseurs de bovins, mais leur première réaction a été de vendre leur bétail, ce qui a fait chuter les prix à 35 cents. Les prix ont chuté, mais les roues du commerce se sont remises à tourner et par la suite — en septembre, nous étions autorisés à expédier de la viande désossée ou des États-Unis — dès la fin octobre, le prix était de 93 $. Ce n'était pas normal, mais le marché a recouvré une plus grande normalité. Dans notre propre cas, lorsque nous engraissons des bovins, nous dépensons une part de l'argent que les engraisseurs auraient reçu pour l'achat de bêtes de remplacement. Compte tenu des circonstances, le prix des bovins d'engraissement, des veaux d'un an, était très élevé cet automne. Comme je l'ai dit, en dépit de la crise de l'ESB au Canada, le prix des veaux était à 10 ou 15 cents près le même qu'il y a un an. Cela signifie qu'une bonne partie de l'argent s'est retrouvé chez les producteurs, dans le prix des bovins de remplacement.

Le sénateur Fairbairn: Avez-vous les mêmes problèmes au Québec?

M. Read: Nous avons nous aussi connu un temps mort et de l'incertitude au départ. Cela nous a obligés, à notre avis, à déclencher le programme d'incitatifs au Québec; nous avions également un ensemble de mesures d'indemnisation pour les vaches. Ce programme expirait le 31 août et il a été reconduit en septembre. Le travail a pu reprendre et notre entreprise a pu aller de l'avant avec confiance. Nous avons pu retomber sur nos pieds et, comme M. Altwasser l'a dit, les roues du commerce se sont remises à tourner. Nous avons constaté une évolution dans la commercialisation des vaches au cours des six dernières semaines. Dans l'Ouest, les producteurs ont décidé de mettre les boeufs au pâturage pour l'hiver, ce qui représente une décision d'entreprise. La reprise sur le marché des vaches a été probablement plus lente parce qu'il n'y avait pas de marché d'exportation pour les blocs de viande. Cette viande a remplacé nos importations en provenance de l'Océanie.

Le sénateur Gustafson: Je vous souhaite la bienvenue, surtout à vous, monsieur Altwasser, qui venez de ma région. Permettez-moi de revenir à la question qu'a posée le sénateur Oliver. Le sénateur Oliver, d'autres et moi-même sommes récemment allés aux États-Unis. On nous a entre autres demandé si la réouverture soudaine de la frontière pourrait provoquer une exportation massive de bovins qui pourrait nuire au marché américain, entre autres. Les producteurs américains vendent actuellement leur bétail à un prix élevé et ils craignent que nos exportations fassent chuter leur marché. C'est ma première question.

Je vais poser toutes mes questions et vous pourrez ensuite y répondre.

Il s'agit d'une question hypothétique. Si la frontière reste fermée, quelles en seront les conséquences pour le Canada à long terme? Notre cheptel serait-il réduit de 50 p. 100, que se passerait-il?

Ma troisième question porte sur les marchés internationaux. J'ai cru comprendre que les États-Unis souffraient quelque peu car ils ont perdu le marché japonais. C'est un réel avantage pour les producteurs canadiens. À moins que les choses ne bougent ici, en Amérique du Nord, les pays comme le Japon et la Corée ne vont pas se mettre à importer du boeuf américain de sitôt.

M. Read: Je vais d'abord vous expliquer ce qui se passera si l'interdiction d'importation de bétail sur pied n'est pas levée. Il y a deux possibilités: soit on réduit le cheptel, soit on augmente la population canadienne de 16 millions d'habitants. Il serait alors possible de faire vivre le secteur bovin ainsi que le secteur agricole au Canada sans dépendre autant des exportations. C'est le compromis.

Le sénateur Gustafson: Pourriez-vous être plus précis pour ce qui est des chiffres?

M. Read: Pour ce qui est de la diminution du cheptel, 60 p. 100 de nos bovins sont exportés.

Le sénateur Gustafson: De 60 à 40 p. 100.

M. Van Solkema: Pour revenir à l'observation au sujet des États-Unis, nous pensons que la réglementation doit être harmonisée des deux côtés de la frontière. Il faut qu'il y ait libre circulation de tous les animaux et de tous les produits animaux en Amérique du Nord pour que le Canada et les États-Unis puissent exercer des pressions pour que les marchés internationaux soient rouverts.

Je pense que le Japon a dit clairement aux États-Unis: «Pourquoi achèterions-nous des produits nord-américains alors que les Nord-Américains sont incapables de commercer les uns avec les autres»? C'est une indication claire. Nous sommes ici cette semaine en partie parce que nous avons participé à la table ronde sur le boeuf et essayons de trouver des solutions à ces problèmes avec les éleveurs canadiens.

M. Altwasser: Vous avez demandé comment réagiraient les prix des bovins aux États-Unis. C'est sûr qu'il y aura un impact. D'ailleurs, un certain nombre d'études ont été effectuées depuis la fermeture de la frontière démontrant que la différence serait de 2 à 3 p. 100. Les économistes s'intéressent à cette question.

Il y a deux aspects: d'abord, si le deuxième cas d'ESB n'avait pas été découvert le 20 mai, il y aurait libre circulation du bétail et l'arbitrage serait de mise. Ensuite, avant la crise de la vache folle, on abattait 55 000 têtes de bétail par semaine. On en abat aujourd'hui 76 000, ce qui veut dire que la viande importée a fait place à la viande canadienne; les Américains, de leur côté, abattront 620 000 vaches cette semaine. Leur marché est énorme. Y aurait-il des répercussions? Oui. Mais je ne pense pas qu'elles seront très importantes.

Je dirais aussi qu'il y a certains secteurs américains qui voudraient avoir accès à notre bétail. C'est notamment le cas des exploitants de parcs d'engraissement qui estiment qu'ils achètent trop cher leurs veaux.

M. Van Solkema: Certaines usines de conditionnement aux États-Unis ne tournent pas à plein régime. Par conséquent, un approvisionnement en bovins finis canadiens leur serait bénéfique.

M. Read: Votre observation est pertinente, mais il faut que vous compreniez que le secteur canadien est beaucoup plus petit que celui de notre partenaire commercial. Nous sommes convaincus que la frontière sera rouverte parce que nous travaillons ensemble à l'harmonisation et communiquons quotidiennement. Il y aura une certaine émotivité; c'est toujours le cas quand il est question du commerce.

Je ne pense pas que la différence de taille aura un effet à long terme; ils ont besoin de notre boeuf.

Le sénateur Gustafson: J'ai visité les parcs d'engraissement au Canada, et je sais comment ils fonctionnent. Par contre, la question devient politique le long du 49e parallèle. Trois ou quatre de nos amis sénateurs là-bas s'y opposent. Par contre, les sénateurs de l'État de New York et du Texas se sont montrés beaucoup plus ouverts.

M. Van Solkema: La question n'est plus d'ordre scientifique mais plutôt politique.

Le président: C'est effectivement une question politique.

M. Read: Comme dit le proverbe: La science s'achète.

Le sénateur Lawson: Et la politique ne s'achète pas?

M. Read: Cela prend plus de temps.

Le sénateur Mercer: Mes questions portent sur le prix minimal du boeuf.

Trois aspects me préoccupent: d'abord le consommateur, et je m'intéresse déjà à cette question; ensuite l'agriculteur, et nous traitons de cette problématique en permanence; et enfin le suivi des sommes d'argent que les contribuables ont investies pour essayer de résoudre ce problème.

Le sénateur Fairbairn a déjà posé la question. Près de 460 millions de dollars ont été annoncés en juin dans le cadre du Programme de redressement relatif à l'ESB. À cela s'ajoutent d'autres initiatives et, en tout, le secteur du boeuf a pu bénéficier de près de 800 millions de dollars. Ce sont les agriculteurs qui devaient profiter le plus de ces sommes; ce n'est pas ce qui s'est passé. Je peux vous le démontrer. Nous avons posé la question à maintes reprises aux producteurs et ils nous ont répondu qu'ils n'en avaient pas profité.

Hier, le premier ministre a annoncé qu'un milliard de dollars serait débloqué dans le cadre du nouveau programme de transition. C'est bien. J'ai remarqué qu'il y avait un détail dans ce programme qui ne se retrouvait pas dans le précédent, à savoir le fait que 650 millions de dollars seraient attribués directement aux producteurs. De toute évidence quelqu'un a soulevé la question entre les deux programmes. La vérificatrice générale devrait sans doute s'intéresser à cette question à un moment donné.

Pourquoi est-ce qu'on insiste tant sur le fait que ce sont les producteurs qui doivent profiter de cet argent, alors que c'était déjà l'objectif préalablement? Nous savons que ce ne sont pas eux qui en ont profité. Moi, j'aimerais savoir où est passé cet argent. Vous me direz sans doute — et j'anticipe — que vous n'en avez pas vu la couleur. Les détaillants, pour leur part, nous ont dit qu'ils n'en avaient pas profité. En tant que consommateur, je n'en ai pas profité et nous savons que ce ne sont pas les producteurs qui ont touché l'argent. Ces sommes ont-elles tout simplement disparu? Huit cents millions de dollars ont été débloqués par divers gouvernements et aujourd'hui, on a annoncé qu'un milliard de dollars venait s'ajouter.

M. Read: En tout, les provinces et le gouvernement fédéral n'ont-ils pas contribué 1,2 milliard de dollars? Est-ce exact?

Le sénateur Mercer: Oui, c'est une somme importante.

M. Read: Il y a eu un programme incitatif pour encourager les abattoirs fédéraux à accroître leur abattage. Ce programme s'explique de deux façons différentes. Nous avons déjà mentionné que le 21 mai, nous avions des stocks qui étaient destinés à l'exportation. Nous avions des conteneurs immobilisés en Corée. Les Japonais ont eu de la chance car ils avaient des assurances qui couvraient ce genre de situation. Ainsi, très peu de marchandises ont été retournées du Japon. Beaucoup de produits ont été renvoyés des autres pays. Nous essayons toujours de régler la situation en Corée.

Il y a donc eu un programme incitatif visant les abattoirs fédéraux — les abattoirs dans l'Ouest n'ont pas pu en profiter — et ce sont eux qui ont assumé la responsabilité pour ces produits qui étaient immobilisés. Notre société avait des stocks perdus d'une valeur de 1,2 million de dollars. Nous avons pu bénéficier du programme, mais l'objectif était de nous redonner confiance pour qu'on se remette à abattre des bovins et ainsi remettre le système en branle.

À part les producteurs, je ne pourrais pas vous dire qui a profité de cet argent. Je crois que les agriculteurs ont touché leurs chèques. La date limite pour les vaches de réforme était le 31 août. Pour pouvoir toucher de l'argent, il fallait que les vaches soient mortes et analysées.

Je ne sais pas où les chèques ont été envoyés. Pour que le sénateur Mercer soit admissible dans le cadre du programme, par exemple, il fallait que nous signions un document précisant que nous avions effectivement abattu tel ou tel animal. En tout cas, le chèque ne nous a pas été envoyé.

Le sénateur Mercer: Quelles ont été les répercussions sur les prix à ce moment-là, c'est-à-dire quand vous avez appris que les producteurs devaient obtenir un certificat d'abattage pour toucher l'argent?

M. Read: Les prix ont chuté de façon arbitraire parce qu'il n'existait plus de marché à l'exportation. Il y avait 22 parties des animaux qui ne pouvaient plus être conservées. Notre prix d'achat et de vente ont tous deux chuté. Nous vendions notre viande bien en deçà des prix de production. Nous avons pu bénéficier de la coopération des transformateurs de second cycle de ce pays qui ont accepté de remplacer leurs marchandises importées par de la viande canadienne pour que le système puisse fonctionner à nouveau. Je vous parle du mois d'août. Est-ce de cette époque que vous voulez parler?

Le sénateur Mercer: Je parle de l'ensemble des 800 millions de dollars. Vous avez dit 1,2 milliard de dollars.

M. Read: C'était 1,2 milliard de dollars, n'est-ce pas, sénateur?

Le sénateur Mercer: Je ne pense pas que les agriculteurs aient touché cet argent. Si c'était le cas, pourquoi perdent-ils leurs troupeaux aujourd'hui? Pourquoi la SPCA doit-elle saisir les troupeaux que les agriculteurs sont incapables de nourrir? Pourquoi ont-ils tant de difficultés?

M. Read: Je ne connais pas de cas où la SPCA a dû intervenir parce que les éleveurs n'arrivent pas à nourrir leurs troupeaux. Quand nous sommes allés dans l'Ouest en février, il y a eu un cas dans le sud de l'Alberta.

Le sénateur Fairbairn: C'était à l'extérieur de Lethbridge.

M. Read: Est-ce que c'était relié à la crise? Il y a eu des problèmes de ce genre en Ontario, mais c'est parce que l'éleveur ne s'y intéressait plus.

Le sénateur Fairbairn: Dans ce cas-ci, l'éleveur essayait de nourrir son troupeau mais à cause du manque de nourriture, les bêtes mouraient.

M. Read: Est-ce que c'est à cause de la crise?

Le sénateur Mercer: Oui.

M. Read: Je ne saurais dire.

Le sénateur Fairbairn: L'affaire est maintenant devant les tribunaux.

M. Read: Il y a eu des cas en Ontario, et il y en a maintenant au Québec, où des gens se sont désintéressés de l'élevage, ont enfermé les bêtes dans l'étable et les ont abandonnées. Mais ce n'était pas à cause de l'ESB. Je ne peux pas répondre à votre question.

Le sénateur Mercer: Vous dites 1,2 milliard de dollars; moi, je dis 800 millions de dollars. Vous ne pouvez pas me dire où est allé l'argent. Je n'arrive pas à le découvrir et hier encore le gouvernement a accordé une rallonge d'un milliard. Je crains que dans 18 mois on parle dans les journaux du cafouillage du boeuf.

Le sénateur Gustafson: Pas si les marchés ouvrent. Nous pourrons exporter des bêtes sur pied.

Le sénateur Mercer: D'accord, parce que l'argent a été versé dans le système. L'ouverture des frontières est notre objectif premier. Cela va résoudre le problème à long terme, mais l'argent a déjà été dépensé.

M. Altwasser: J'ai abordé une partie de la question dans mon exposé. Des experts indépendants vous confirmeront ce que je vais dire. Le George Morris Centre a étudié le comportement des entreprises de conditionnement, des détaillants, des agriculteurs et des producteurs et a conclu que chacun agit de manière rationnelle. Nous sommes un exploitant sur marge. Vu la situation de nos stocks, nous pouvons ajuster notre coût de référence en quelques semaines grâce à l'achat de bétail et à la vente de viande.

Comme exploitant de parcs d'engraissement, il me faut 150 jours pour ajuster mon coût de référence. Quand le marché a chuté, nos ventes ont baissé ou cessé. Le nombre de bêtes abattues est passé à 20 000 têtes par semaine en juin. Il n'était possible de vendre la viande nulle part. Nous nous sommes prévalus du programme de travail partagé. L'autre solution était de stopper la production; nous aurions ainsi perdu moins d'argent que si nous avions payé pour écouler le bétail et vendre la viande sur le marché à sa valeur. Le secteur a réduit la production.

Le marché était en train de tomber. Pour moi, le cours du bétail allait tomber à ce niveau malgré le programme, mais il a rétabli la liquidité jusqu'à un certain degré et rééquilibré le bilan de l'exploitant de parcs d'engraissement de sorte qu'à l'automne quand est venu le moment pour lui d'ajuster son coût de référence pour les bovins d'engraissement, il a fait la même chose que moi — et cela a été une erreur terrible. Nous avons trop payé le producteur pour les génisses et les veaux. Cette année, le prix du veau était à 10 cents près celui de l'an passé. Je le sais, parce que je suis propriétaire d'un ranch. Nous avons trop payé les bovins d'engraissement l'automne dernier. C'est là qu'a abouti une grande partie de l'argent du gouvernement. Il s'est retrouvé chez les producteurs primaires. Même s'ils n'ont pas reçu de chèque qui disait «gouvernement du Canada», ils en ont reçu un du Centre de ventes aux enchères et du marché, un chèque qui venait de gens trop optimistes pour engraisser le bétail parce qu'ils recevaient ces 800 millions de dollars, ou une fraction quelconque. À mon avis, c'est le comportement rationnel des gens qui a aspiré cet argent et les gens ont acheté des bovins d'engraissement plus cher qu'ils ne l'auraient fait autrement.

À preuve, le bétail qui est dans mon parc d'engraissement et que nous avons acheté aux enchères sur ce marché représente une perte de 175 $ par tête.

Le sénateur Mercer: Ce que vous dites c'est que l'argent s'est rendu jusque chez l'agriculteur, mais en passant par vous.

M. Altwasser: En passant par l'acheteur de ses bovins d'engraissement.

Le sénateur Gustafson: Mes chiffres viennent du plus grand parc d'engraissement de la Saskatchewan. Vous le connaissez sans doute: Lanigan. Il comptait 25 000 têtes. M. Wildeman m'a dit qu'il perdait 350 $ la tête.

Je crois comprendre que le paiement fédéral sera d'environ 80 $ la tête. Ça peut sembler beaucoup, quelque 600 000 $, mais même à 200 $ la tête, le parc continue de perdre de l'argent.

Oui, l'argent est parvenu jusqu'à l'agriculteur. En octobre, le prix d'un veau de 600 livres est monté jusqu'à 1,20 $. À Noël, il était descendu à 90 cents. Le marché s'est effondré au début de l'année. Le propriétaire a reconstitué son parc d'engraissement en pensant que la frontière allait rouvrir — c'est ma déduction à moi — et il a continué de perdre de l'argent. Il en reperdra encore davantage sur ce bétail si la frontière ne rouvre pas.

M. Altwasser: Le marché s'est effondré en janvier et février par suite de la découverte d'un deuxième cas d'ESB le 23 décembre. Tout le monde était pas mal optimiste à propos de l'ouverture de la frontière. Cet optimisme a eu autant d'effet sur le marché à court terme que l'aurait eu l'ouverture de la frontière.

Le sénateur Gustafson: Il y a aussi des spéculateurs.

Le sénateur Sparrow: L'un de vous a parlé de la confiance du consommateur et de la confiance dans le marché et le secteur. C'est cela qui me préoccupe. On dirait que l'on essaie de faire porter le chapeau à quelqu'un et de trouver un profiteur. D'après tous les témoignages que j'ai vus ici et aux séances du comité de la Chambre des communes où je suis allé, je pense que personne n'a vraiment cherché à exploiter la situation. Il faut que le consommateur sache que personne n'est en train de dépouiller l'État.

On a parlé des sommes annoncées hier. Ce n'est que 80 $ par tête et ça ne couvre pas les vaches pleines, celles qui ont déjà mis bas ou les plus de deux ans. On se retrouve avec des bêtes de moins de deux ans qui n'ont pas mis bas. Nous donnons en subvention aux agriculteurs 80 $ pour chacune d'elles. Une bête comme celle-là vaut entre 800 $ et 1 000 $ sur le marché. Les 80 $ vont aider un peu, mais ce n'est pas cela qui va sauver le secteur si la frontière ne rouvre pas. C'est dérisoire.

On parle d'une somme qui varie entre 800 millions de dollars et un milliard. Pour l'État et le contribuable, ce n'est pas peu. Je ne le conteste pas. Par contre, c'est peu pour le secteur de l'agriculture, de l'élevage, pour les propriétaires de ces jeunes bêtes, qui vont peut-être toucher cette subvention de 80 $. Ce n'est pas cela qui va rembourser l'agriculteur de s'être occupé de cette vache pendant plus de trois ou quatre mois. Cela ne vaut pas plus.

Le risque, c'est que le consommateur dira qu'il subventionne grassement le secteur alors que ce n'est pas le cas. Personne ne gagne l'argent dont on dépouille le système, comme certains l'affirment. Je veux que ce soit bien clair. Dans mon esprit, personne ne dépouille ce secteur.

Le sénateur Gustafson: L'agriculteur qui se fait couper les cheveux à Vancouver se faire dire par le coiffeur: «Oh, vous êtes un de ces agriculteurs pleins aux as qui touchent tout cet argent».

M. Read: Nous avons fait une promesse au secteur dans son ensemble au mois d'août, y compris aux entreprises de conditionnement, et nous leur avons dit que nous allions soutenir cette activité. En juillet, nous avons commencé à forcer l'entrée du marché américain. Nous remercions nos alliés de nous avoir ouvert les portes. Vous avez tout à fait raison. Nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un secteur capable de tenir. Nous devrions y concentrer nos efforts. Nous appuyons vos propos.

Le président: Nous savons au Canada et aux États-Unis que notre boeuf est sûr et ne présente aucun danger pour le consommateur. Nous savons aussi que les données scientifiques l'attestent et que notre boeuf est de bonne qualité.

Nous savons aussi que les MRS sont contrôlés, aussi bien au Canada qu'aux États-Unis. On sait que les aliments du bétail ne risquent pas de contaminer les bêtes. Nous savons aussi que les marchés canadien et américain sont harmonisés sur toute la ligne et que le bétail transite de part et d'autre.

Que devrons-nous faire lorsque les marchés rouvriront pour s'assurer qu'ils ne se referment plus d'ici à la fin de nos jours? Quelles mesures faut-il prendre? Je parle de notre comité. Nous sommes ici pour déterminer les politiques. Pas pour faire de l'argent. À ce titre, que devrons-nous envisager pour s'assurer que cela ne se reproduise plus jamais, en songeant aux quatre préalables que j'ai évoqués: Les MRS, les données scientifiques, la salubrité de la viande et l'harmonisation?

M. Read: Dans la vie, rien n'est garanti. Nous essayons d'élaborer un accord trilatéral entre le Mexique, les États- Unis et le Canada qui concerne uniquement l'ESB. Les scientifiques nous disent que nous devons ajuster nos normes par l'intermédiaire du comité d'examen international, l'OIE, pour accepter la découverte d'un cas unique. Pour moi, c'est notre deuxième mission: amener les autres pays à accepter que l'apparition de cette maladie peut être spontanée. Elle est maîtrisée à cause des programmes MRS.

Quand nous aurons déterminé des normes nord-américaines, il nous faudra contacter l'OIE et le comité international d'examen pour que notre politique soit acceptée à l'échelle mondiale. Il faut nous prémunir contre les risques d'être ruinés par un seul cas. C'est très important.

Le sénateur Sparrow: Personne ne peut le garantir. On ignore quand la fièvre aphteuse pourra arriver ici. Si cela devait arriver, il est certain que nous serions exclus du marché nord-américain. Si la maladie frappait les États-Unis, nous leur fermerions nos portes aussi. Il faut être conscient de ces problèmes sanitaires.

Il faut tâcher de garantir les meilleures normes sanitaires animales au pays et encourager le reste du marché nord- américain à en faire autant. C'est cela qui réduira le danger de fermeture des frontières dans l'avenir.

M. Read: Rien n'est garanti.

M. Van Solkema: L'OIE a des normes à recommander. Elle ne peut pas les imposer. Aucun organisme international ne peut le faire. D'après ce que les scientifiques savent de l'ESB, tous les pays du monde devraient nous être ouverts mais chacun d'eux nous ferme sa frontière. Il serait bon de disposer d'un mécanisme quelconque pour régler par la négociation ce genre de problèmes commerciaux entre tous les pays et pour imposer les décisions de l'OIE.

Le président: Qu'en est-il des normes de l'OMC?

M. Van Solkema: Pourriez-vous saisir l'OMC d'un dossier comme celui-là? Je n'en suis pas sûr. Cela aussi pourrait prendre sept ans.

M. Altwasser: J'entérine ce que les deux autres ont dit. L'harmonisation est essentielle vu l'immensité de nos enjeux sur le marché américain.

Le président: L'harmonisation est chose faite et acceptée de part et d'autre de la frontière.

M. Altwasser: Ce n'est pas encore tout à fait chose faite pour la politique sur les aliments, sur les MRS et sur la question de savoir si nous pouvons les incorporer aux farines d'os et de viande.

De l'OIE, il nous faut des normes réalistes qui ne nous pénalisent pas de cette façon. Ce n'est pas une menace pour les bêtes et, avec l'élimination des MRS, ce n'est pas vraiment une menace pour l'humain non plus. Le châtiment est pire que le crime. Il faut que nos partenaires commerciaux surmontent leur paranoïa.

Le président: Que faut-il tâcher de faire pour s'assurer que la frontière ne se referme jamais plus de cette façon et que l'on ne souffre plus d'une perte de plusieurs milliards de dollars?

Qu'en est-il des tests? Les Japonais semblent penser qu'il faut tester chaque bête pour donner au reste du monde la confiance nécessaire, mais vous savez ce que cela coûte. Cette idée a-t-elle du mérite? Est-ce cela qu'il faut envisager?

M. Read: La science nous dit que les tests n'empêchent ni n'éliminent la maladie et ne profitent pas aux troupeaux. Ils n'ont aucun fondement scientifique. C'est pourquoi nous avons adopté le programme MRS pour veiller à ce que les aliments destinés à la population soient sans danger.

Nous nous sommes rendus au Japon en janvier, et une délégation japonaise est aussi venue ici. Pendant que nous étions là-bas — nous avons mis M. Norm Willis sur le terrain, vous le savez déjà tous — ils ont accepté de travailler avec nous sur des équivalents à la place de tests sur la totalité des bêtes. C'est beaucoup pour le Japon. Ils se sont rendu compte qu'ils n'ont peut-être pas pris la bonne décision, qu'ils avaient réagi de manière excessive.

Je le répète: il faut doser politique et science pour qu'elles aillent dans le même sens.

M. Altwasser: Hier à la table ronde, M. Murray, de l'ACIA, a présenté une communication qui a montré qu'il est très probable que l'on détectera d'autres cas au pays. On n'est pas sorti de l'auberge maintenant que l'on a trouvé une bête — ou deux, si vous considérez celle qui a été trouvée aux États-Unis comme une bête canadienne.

Le président: Nous le savons, et c'est pourquoi nous essayons d'élaborer une politique qui nous aidera à décider, la prochaine fois que cela arrivera, ce qu'il faut faire pour veiller à ce que l'on ne perde pas d'argent à cause de la fermeture du marché.

M. Altwasser: Il faut que notre partenaire commercial admette sous une forme ou sous une autre qu'un risque inférieur à un sur un million est acceptable et ne justifie pas que nous soyons sanctionnés.

M. Reid: C'est pourquoi ces échanges trilatéraux sont essentiels et que c'est à cela qu'il faut d'abord s'attaquer: le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Le sénateur Fairbairn: C'est précisément, je crois, ce que nous essayons de faire avec l'OIE.

M. Read: Oui.

M. Van Solkema: Elle s'occupe d'élaborer de nouvelles règles.

Le sénateur Fairbairn: Il faut essayer d'élaborer des règles qui, dans l'avenir, permettront au Canada et aux États- Unis de collaborer pour faire ce qui est nécessaire, de manière à ce que le reste du monde sache que notre marché est viable et sain.

M. Read: Oui.

Le sénateur Gustafson: Je pensais que les Américains testaient ou étaient sur le point de tester... est-ce 8 000 ou 800 000 bêtes?

M. Van Solkema: C'est 250 000. Le but est de mesurer la prévalence.

Le président: Pour essayer de pénétrer à nouveau sur les marchés du Japon et de la Corée.

Le sénateur Gustafson: Cela va-t-il forcer le Canada à en faire autant?

M. Van Solkema: D'après ce que nous savons, dans notre cas, l'équivalence des tests serait d'environ 12 000.

M. Read: En chiffres, nous augmentons dès maintenant la surveillance à l'échelle du territoire.

M. Altwasser: À la réunion qui a eu lieu ces deux derniers jours, l'ACIA a suggéré que son objectif soit de tester 30 000 bêtes d'ici deux ans.

M. Van Solkema: Pour mesurer la prévalence.

Le président: Les tests ne sont pas aussi importants que les contrôles sur les MRS, qui sont déjà harmonisés.

M. Van Solkema: C'est juste.

Le président: Les Américains à qui nous avons parlé ont été très impressionnés par nos contrôles MRS; ce n'est pas un problème.

M. Van Solkema: Ils ont adopté des mesures MRS identiques aux nôtres.

Le président: Merci, messieurs, au nom du comité. Les questions ont été excellentes et vos réponses meilleures encore. Il est certain que cela va nous aider dans notre étude. Nous allons déposer un rapport et une de nos recommandations sera de nous préparer à l'avenir. Les réponses que vous nous avez données au cours des 15 dernières minutes nous seront d'un grand secours.

M. Read: Si vous voulez plus de renseignements, n'hésitez pas, nous voulons être de la partie et être un élément de solution.

Le président: Honorables sénateurs, nous avons terminé.

La séance est levée.


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