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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 4 - Témoignages du 25 mars 2004


OTTAWA, le jeudi 25 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts autorisé à entendre de temps en temps les témoignages d'individus et de représentants d'organismes sur l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada, se réunit aujourd'hui à 8 h 37.

Le sénateur Joyce Fairbairn (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente: Honorables sénateurs, j'ouvre la septième séance du comité qui étudie les questions liées à l'industrie du bétail et à l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine, maladie qui a frappé le bétail de notre pays.

Je remercie tous ceux qui suivent nos délibérations sur CPAC ainsi que sur l'Internet.

Depuis plusieurs mois maintenant, le Canada fait face aux conséquences de la crise de l'ESB. Bien qu'un seul cas de cette maladie ait été découvert, cela a eu d'énormes conséquences pour les collectivités agricoles du Canada. Comme nous le savons tous, la frontière américaine a été immédiatement fermée aux bovins canadiens et aux produits bovins. Les États-Unis ont partiellement rouvert la frontière en permettant les importations de boeuf désossé provenant de bovins de moins de 30 mois et de veaux; la frontière continue cependant d'être fermée au bétail vivant, lequel représente 40 p. 100 de la valeur des exportations de bovins et de produits bovins canadiens.

Au cours des dernières semaines, nous avons entendu des témoins qui nous ont décrit le tort que la fermeture de la frontière a causé aux agriculteurs canadiens. Ils nous ont expliqué la situation économique difficile et grave à laquelle est confrontée l'industrie bovine canadienne et ont soulevé plusieurs questions relatives au commerce, à la santé et à la sécurité, aux programmes d'indemnisation ainsi qu'au prix du boeuf. J'aimerais insister pour le fait que cette crise a des conséquences réelles sur la santé dans les régions bovines.

Plus tôt au cours de la semaine, le premier ministre et le ministre de l'Agriculture, M. Bob Speller, ont annoncé la mise en oeuvre d'un programme de soutien de 1 milliard de dollars destiné à venir en aide au secteur de l'élevage du bétail. Des paiements directs seront versés aux producteurs en attendant la réouverture de la frontière américaine au bétail vivant canadien.

Honorables sénateurs, nous avons le plaisir ce matin d'accueillir deux groupes importants. J'aimerais souhaiter la bienvenue aux représentants de la Canadian Cattlemen's Association, M. Stan Eby, M. Hugh Lynch-Staunton, et du sud de l'Alberta, Mme Anne Dunford et M. Jim Caldwell.

Après que ces témoins auront comparu, nous entendrons M. Art Price, de Sunterra Farms.

Je vous souhaite la bienvenue à Ottawa, bien qu'on ne puisse pas dire que ce soit la première fois qu'on vous y voit. Nous avons beaucoup appréciés rencontrer avec les agriculteurs à Picture Butte lundi, M. Neil Jahnke, président de la Canadian Cattlemen's Association.

J'invite maintenant M. Eby de bien vouloir commencer la présentation. Nous avons une heure. Après votre présentation, j'encourage mes collègues à poser des questions brèves pour que nous puissions obtenir le plus d'information possible.

J'aimerais aussi souhaiter la bienvenue au leader de l'opposition au Sénat, le sénateur Lynch-Staunton, qui participe à cette réunion parce qu'il s'intéresse beaucoup à la question.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'aimerais déclarer un conflit d'intérêts que je reconnais volontiers.

La vice-présidente: Oui, le sénateur Lynch-Staunton compte un cousin par les témoins. Nous savons que les deux cousins sont heureux de se rencontrer.

Le sénateur Lynch-Staunton: En effet.

M. Stan Eby, vice-président, Canadian Cattlemen's Association: Honorables sénateurs, je suis heureux de comparaître aujourd'hui devant le comité au nom de l'industrie bovine canadienne. Comme vous le savez, cette industrie est répartie dans tout le pays. Notre association représente les éleveurs de bovins de toutes les provinces.

Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée de vous rencontrer aujourd'hui. Vous avez déjà présenté Mme Dunford et M. Lynch-Staunton. M. Lynch-Staunton pense aussi à la politique aujourd'hui. Demain, des élections auront lieu pour choisir le dirigeant de la Canadian Cattlemen's Association, et il se présente au poste de vice- président. Nous lui souhaitons bon succès.

Ma présentation sera brève. Je pense qu'il est d'ailleurs plus important que vous puissiez nous poser des questions.

Vous savez à n'en pas douter à quel point la situation est difficile dans notre industrie à l'heure actuelle. Il s'agit d'une véritable catastrophe. La crise de l'ESB dure maintenant depuis 10 mois. Bien que la situation semblait vouloir s'améliorer à certains moments, nous avons souvent été déçus. Chaque fois qu'une lueur d'espoir pointe, une autre tuile nous tombe dessus.

Bien que nous ayons bon espoir que les restrictions auxquelles nous faisons face soient levées, nous devons accepter la possibilité très réelle que le sort de nombreux bovins, en particulier des bovins plus âgés, reste en suspens encore pendant longtemps. La découverte, le 23 décembre dernier d'un second cas d'ESB, diagnostiqué chez une vache importée du nord de l'Alberta, a transmis une onde de choc dans toute l'industrie. Avant ce second diagnostic, nous pensions vraiment que nous pourrions de nouveaux écouler nos produits sur le marché américain. Or, non seulement la plupart des marchés internationaux nous sont-ils fermés, mais ils sont maintenant aussi fermés aux États-Unis. Les éleveurs de bétail américains ont aussi vu le prix de leurs produits bovins chuter. Ils font maintenant face à un problème aussi grave que le nôtre.

Même si la frontière américaine devait ouvrir demain, le marché ne sera pas le même qu'avant le 23 décembre 2003 ou avant le 20 mai 2003. L'optimisme était grand au Canada avant la découverte d'un nouveau cas d'ESB dans l'État de Washington. Nous devions pouvoir vendre les bovins plus jeunes sur le marché américain à des prix se rapprochant des prix d'avant la crise de l'ESB.

L'incertitude qui règne actuellement explique qu'il soit difficile à l'industrie d'obtenir des capitaux. Les prêteurs commencent à exercer des pressions. Cette incertitude pousse les producteurs au désespoir et à la panique. Il va s'en dire que la situation est source de grand stress non seulement pour les producteurs, mais aussi pour ceux qui oeuvrent dans des industries liées à l'industrie bovine.

Le budget annoncé mardi dernier aidera quelque peu les producteurs. Compte tenu des difficultés financières auxquelles nous faisons face, cette aide gouvernementale est la bienvenue.

Permettez-moi de changer de sujet pendant un instant. Comme les honorables sénateurs le savent, notre industrie se compose de différents secteurs. Il importe de comprendre que tous les secteurs n'ont pas été touchés de la même façon par cette crise. Notre association fait tout ce qu'elle peut pour que l'industrie continue de fonctionner. Nous poursuivons nos efforts de lobbying auprès de nos homologues américains puisqu'il est également dans leur intérêt que la frontière rouvre au commerce normal entre nos deux pays. Les représentants du gouvernement canadien ont aussi travaillé d'arrache-pied pour essayer de convaincre leurs homologues aux États-Unis de la nécessité de rouvrir la frontière.

J'aimerais signaler que nos marchés d'exportation — et comme vous le savez, nous exportons la moitié de notre production — sont fermés à l'heure actuelle. Nous avons calculé que le fait que nous ne puissions pas écouler les coupes et les pièces de viande sur d'autres marchés coûte environ 192 $ par animal. Je peux vous expliquer comment nous sommes parvenus à cette somme de 192 $ qui donne une idée de la valeur des marchés d'exportation par tête de bétail.

Bien que le marché ne fonctionne pas comme il le devrait, certains progrès ont été réalisés en vue de sa réouverture et l'on est parvenu à créer une certaine demande pour les produits bovins canadiens.

En septembre dernier, nous avons commencé à exporter du boeuf vers plus d'une douzaine de pays et la liste de ces pays continue s'allonger. Les États-Unis constituent notre principal marché, mais le marché mexicain s'est aussi développé, ce qui nous réjouit. Les niveaux d'abattage se rapprochent maintenant de ce qu'ils étaient avant la crise de l'ESB. Notre capacité devrait augmenter un peu plus tard au cours de l'année. Cette nouvelle capacité nous permettra d'écouler sur le marché des vaches et des taureaux, qui pourront servir à la fabrication de certains produits, et que nous n'avons pas pu vendre sur le marché depuis la fermeture de la frontière l'an dernier.

Les transformateurs nous disent qu'ils peuvent vendre tout ce qu'ils produisent et qu'ils n'ont pas accumulé de stocks de bovins et de produits bovins.

La demande intérieure pour les produits bovins s'est maintenue ainsi que la confiance des consommateurs dans nos produits comme le confirment des recherches menées auprès des consommateurs, en janvier, tant au Canada qu'aux États-unis. Les consommateurs ont fait preuve de grande loyauté envers l'industrie bovine et nous leur en sommes reconnaissants.

Certains se sont cependant demandé si les bas prix obtenus par les producteurs s'étaient répercutés sur les prix à la consommation. Cette question fait actuellement l'objet d'un examen. Il faut cependant tenir compte du contexte temporel. Le marché recommence maintenant à fonctionner de façon normale.

Tout le monde voudrait savoir quand la frontière rouvrira. Nous aimerions bien le savoir aussi. Chaque fois que nous avançons une date, nous subissons un autre revers. Les États-Unis ont terminé leur enquête sur le cas d'ESB. Nous savons que la période pour le dépôt des observations prévue dans le cadre de leur nouveau processus d'établissement des règles prend fin le 7 avril. Nous espérons que l'examen de ces observations sera rapide et que la frontière sera rouverte aussitôt que possible après l'achèvement de ce processus. Le bétail vivant pourra alors être exporté vers le sud.

De nombreux pays pourraient ensuite suivre le même processus pour rouvrir leurs frontières aux produits provenant du Canada et des États-Unis. Autrement dit, de nombreux pays surveillent la façon dont les États-Unis traitent le Canada.

Le groupe de spécialistes internationaux a terminé son examen de l'enquête menée aux États-Unis. Ce groupe a fait observer que l'industrie est de portée nord-américaine et a donc demandé aux États-Unis de faire preuve de leadership dans les questions commerciales en adoptant des politiques sur les importations et les exportations qui cadrent avec les normes internationales, et ce dans le but d'empêcher le maintien d'obstacles irrationnels au commerce.

La table ronde sur l'ESB qui doit faire rapport au ministre de l'Agriculture examine divers scénarios comportant des dates variables pour la réouverture de la frontière au bétail vivant et étudie les mesures de transition qui seront nécessaires en fonction de ces diverses possibilités. Autrement dit, il s'agit d'établir des plans d'urgence au cas où la frontière ne rouvrirait pas. C'est ce qu'on fait à l'heure actuelle.

Comment faire en sorte que l'industrie du bétail soit moins vulnérable à ce genre de risque dans l'avenir étant donné que c'est l'une des grandes préoccupations de notre industrie? Comment l'industrie peut-elle être moins vulnérable tout en demeurant viable et en mesure de fonctionner adéquatement?

Une autre question qui préoccupe notre industrie et sur laquelle le gouvernement canadien travaille depuis un certain temps, c'est l'harmonisation des règles canadiennes et américaines en ce qui touche les abats à risque et les provendes. Des consultations sont en cours sur cette question. Certaines concessions ont été faites. Un groupe travaille actuellement sur ce dossier à Washington. Des représentants de trois pays se réuniront la semaine prochaine pour étudier ces questions ainsi que celles de l'harmonisation de nos systèmes.

Il faut veiller à ce que le dossier de l'harmonisation soit bien mené; nous ne pourrons pas nous y reprendre à deux fois. Nous devons veiller à ne pas faire d'erreur.

Le dilemme actuel n'est pas facile. Nous savons cependant qu'il s'agit d'une entreprise commune. Nous avons travaillé étroitement avec le gouvernement ainsi qu'avec les partis d'opposition. Nous avons travaillé étroitement avec nos homologues américains de la National Cattlemen's Beef Association, la NCBA. Nous avons que sans leur aide, la frontière serait complètement fermée à nos produits.

La NCBA comprend que nous devons oeuvrer à assurer le bon fonctionnement du marché nord-américain. L'Association est consciente du fait que les règles touchant l'ESB sont trop rigides compte tenu du niveau de risque qui existe et qu'elles doivent être changées.

Nous savons cependant qu'il s'agit d'une année d'élections aux États-Unis et je ne sais pas s'il est possible de dire que la politique et les sciences font bon ménage.

Madame la présidente, cela met fin à mon exposé officiel. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions.

La vice-présidente: Il s'agit d'un excellent mémoire. Au nom des sénateurs, j'aimerais remercier votre association de son excellent travail auprès de vos homologues américains. Vous n'avez pas ménagé vos efforts et le gouvernement vous en est reconnaissant.

Je pense que vous savez aussi que le ministre de l'Agriculture, M. Speller, après avoir annoncé la mise en oeuvre d'un programme d'aide d'urgence destiné à l'industrie du bétail, devait participer à une nouvelle série de discussions sur la question à Washington.

Dans ma vie professionnelle, on m'a toujours payée pour examiner les pires scénarios possibles. D'après le président de votre association et d'après notre ministre, il semble qu'il y ait cependant une lueur d'espoir. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour que cette lueur devienne plus vive.

Tout le monde pense que tout tourne autour des frontières, du bétail et de l'argent. Or, tout tourne autour des producteurs et de leurs familles et des villes et des entreprises qui sont actuellement dans une situation très précaire. J'aimerais que vous nous parliez du côté humain de ce problème. Ce sont avant tout des gens qui sont touchés.

M. Eby: On peut certainement dire que cette crise a créé beaucoup de stress pour les divers éléments de notre industrie ainsi que pour nos collectivités. Avant le 20 mai, c'est-à-dire lorsque le marché fonctionnait, étions-nous vraiment conscients de la complexité de notre marché et de notre industrie? Nous nous en sommes certainement rendus compte après cette date.

Les prêteurs commencent maintenant à exercer des pressions. Comme nous n'avons pas pu écouler notre bétail comme nous le faisons normalement, les marchés aux enchères, les entreprises de camionnage et les fournisseurs de ces entreprises ont aussi ressenti les effets de la fermeture du marché. Il est très difficile d'évaluer toutes les conséquences de cette crise.

Le niveau de frustration des divers intervenants augmente chaque semaine. Je crois que cette frustration s'explique en partie du fait que les producteurs sont très éloignés du lieu où les décisions se prennent. M. Lynch-Staunton, Mme Dunford et M. Caldwell en sont près, mais nous en sommes un peu plus éloignés. Comme je le disais, l'harmonisation des règles doit être bien menée parce qu'elle aura des conséquences à long terme. En tant que producteur, j'ai l'impression de ne pas exercer d'influence sur la situation et cela ajoute au stress dans mon cas comme dans celui des autres producteurs. Il est très difficile d'évaluer les conséquences globales de cette crise dans les collectivités, mais elles sont très réelles.

Le sénateur Mercer: J'aimerais d'abord vous souhaiter la bienvenue. Nous sommes heureux de vous voir. Nous avons entendu le point de vue de tous les intervenants au cours des dernières semaines. Nous avons entendu le témoignage de représentants de l'industrie comme les commerces au détail, les transformateurs, les scientifiques et les producteurs. J'ai plusieurs questions à vous poser à titre de représentant des producteurs, mais j'aimerais d'abord vous dire que vous vous trouvez ici en présence d'amis. Notre comité a toujours manifesté son appui pour les producteurs et les agriculteurs et nous essayons de trouver des solutions aux problèmes auxquels ils font face.

J'ai en particulier appuyé les consommateurs, mais je vais plutôt concentrer mon attention sur les producteurs aujourd'hui.

J'essaie d'établir si les producteurs ou les représentants gouvernementaux ont été dupés par quelqu'un au sein du système. Tant les gouvernements fédéral que provinciaux ont dégagé des fonds pour venir en aide aux producteurs, à hauteur de près de 1 milliard de dollars, et le premier ministre a maintenant annoncé plus tôt au cours de la semaine l'octroi supplémentaire de 1 milliard de dollars pour le gouvernement fédéral. Je m'en réjouis. J'espère simplement que tous les agriculteurs bénéficieront de cette aide.

Voici la question que j'aimerais vous poser. D'après vous, l'argent prévu dans le cadre du programme — je parle du programme précédent et non pas de celui qui a été annoncé cette semaine — est-il vraiment allé aux producteurs? Si ce n'est pas le cas, savez-vous où il est allé? Si le programme initial visait à aider les agriculteurs et qu'aucun argent ne leur est parvenu, pensez-vous qu'il en sera autrement avec ce nouveau programme? Nous nous sommes demandé si l'argent était vraiment parvenu à ceux à qui le gouvernement le destinait.

M. Eby: Je vais demander à M. Lynch-Staunton de bien vouloir répondre à cette question.

M. Hugh Lynch-Staunton, directeur, Canadian Cattlemen's Association: Il me demande de répondre aux questions faciles.

Il est très difficile de savoir où l'argent est allé. Permettez-moi d'abord de dire que je suis aussi reconnaissant au gouvernement du Canada et aux gouvernements provinciaux pour leur aide financière. Ils ont été remarquablement généreux et, en particulier au cours des derniers mois, ils nous ont consultés et fait participer aux négociations. Nous leur en savons gré.

Le programme précédent, à notre avis, était inadéquat dans la mesure où l'argent versé devait compenser les producteurs pour les animaux abattus et parce qu'il comportait une date limite. La capacité de l'abattage était limitée et le programme visait à encourager la vente sur le marché des animaux. Beaucoup de gens ont pointé du doigt certains maillons de la chaîne alimentaire, mais la situation était sans précédent.

Où est allé l'argent? C'est difficile à dire. Une partie de cet argent est allé à l'industrie de l'alimentation du bétail et ensuite à l'industrie des bovins d'engraissement. Il a été beaucoup question de profits excessifs. Je ne peux pas vraiment vous en dire beaucoup là-dessus. Je pense qu'on a exagéré quelque peu l'importance des profits que certains ont réalisés. Nous pensons que le nouveau programme n'avantage pas un secteur plutôt qu'un autre. Comme vous le savez, c'est toujours le problème qui se pose lorsqu'on accorde les sommes importantes à une industrie. Nous pensons que ce nouveau programme donnera de meilleurs résultats.

Le sénateur Mercer: Comme je viens de la Nouvelle-Écosse, je m'intéresse à ce qui se passe dans ma province. Le vice-président de la Nova Scotia Cattlemen's Association, Jim Bremner, dit que les producteurs de la province ne recevront pas beaucoup d'argent dans le cadre du nouveau programme. En tant que libéral de l'Est, je n'ai jamais pensé que je lirais ces mots et je cite ici un agriculteur de l'Est. M. Bremner dit ceci: «Nous avons essayé d'obtenir de l'aide pour l'industrie. C'est la politique qui l'emporte toujours». Mes collègues de l'Est trouveront ceci amusant. M. Bremner poursuit en disant ceci: «La décision est politique. Il s'agit de gagner des votes dans l'ouest du Canada». Il est inhabituel pour les libéraux d'entendre quelqu'un leur reprocher d'essayer d'acheter des votes dans l'Ouest canadien.

Dans certaines régions comme la Nouvelle-Écosse, de nombreux agriculteurs ont vendu leurs troupeaux, mais ils s'intéressent toujours à ce qui se passe dans l'industrie. Le nouveau programme viendra-t-il en aide aux agriculteurs qui ont vendu leur cheptel, mais qui aimeraient réintégrer l'industrie dès que la frontière rouvrira au bétail vivant?

M. Eby: N'oubliez pas que le programme annoncé lundi comportait trois composantes. Il y a d'abord les paiements en espèces directs de 680 millions de dollars, les 250 millions de dollars, si je ne m'abuse, pour la période de transition; et les 65 millions de dollars pour le Programme canadien du revenu agricole 2002. Il y a aussi le nouveau cadre stratégique pour l'agriculture et le PCSRA qui en fait partie. Voici ce que j'ai demandé à des représentants d'Agriculture Canada l'autre jour: Combien d'argent le gouvernement fédéral a-t-il donné à l'industrie du bétail cette année? Il est difficile de le savoir parce qu'il y a chevauchement de tous ces programmes.

Quant à la question que vous posiez, à savoir si les producteurs qui ont vendu leur cheptel recevront de l'aide dans le cas de ce programme, c'est possible. Il s'agit de savoir à combien s'élèvera cette aide compte tenu du PCSRA qui est en oeuvre dans votre province.

Comment concevoir un programme de façon à ce que le plus grand nombre possible de gens puissent y avoir accès? Il ne faudrait pas oublier tous les secteurs que j'ai mentionnés plus tôt, comme le secteur des pur-sang, le secteur commercial de l'élevage-naissage, les éleveurs de bovins d'engrais et les parcs d'engraissement. La situation pourrait varier d'un secteur à l'autre.

Votre ami producteur recevra donc une certaine aide. Sera-t-elle suffisante? Cela reste à voir.

Revenons à la question initiale. Nous considérons que tous les partis ont fait abstraction de considérations partisanes dans le dossier de l'ESB. Nous avons obtenu une réaction positive de la part de tous les partis et c'est beaucoup plus simple lorsque les considérations politiques n'interviennent pas.

Je vais demander à Mme Dunford de vous donner des chiffres et de vous expliquer quelles ont été les conséquences de la crise sur notre marché et comment le programme a contribué à améliorer la situation.

Mme Anne Dunford, analyste principale, Canadian Cattlemen's Association: Le pays compte 90 000 producteurs et près de 15 millions de têtes de bétail. Comment faire pour que l'argent aille là où il faut? Bien sûr, c'est toute une tâche.

Le premier programme visait surtout la reprise des marchés des bovins d'abattage. Il a réussi — il a permis aux producteurs de vendre des bovins sur le marché contre paiement. C'est ce qui explique ce déséquilibre de l'offre et de la demande.

Au début, c'est-à-dire après le 20 mai, les niveaux d'abattage ont chuté, passant de 70 000 têtes par semaine à 40 000. Nous ne pouvions pas continuer de la sorte. Nous devions revenir au niveau normal. Au fil de l'été 2003, c'est ce qui s'est effectivement produit. Vous avez entendu ce qu'a dit M. Eby ce matin. Les installations de transformation fonctionnent maintenant à plein régime, et nous cheminons vers le marché un certain nombre de bêtes, mais pas suffisamment en raison de notre capacité d'abattage inadéquate. Cette situation va persister tant que cette capacité n'augmentera pas et que la frontière n'aura pas été rouverte.

La vice-présidente: Soulignons qu'en vertu du nouveau programme, les producteurs de bovins toucheront un paiement pouvant atteindre 80 $ par tête de bétail compte tenu de leur inventaire au 31 décembre 2003.

Le sénateur Lynch-Staunton: Évidemment, je ne suis pas ici parce que je connais ce secteur mais pour entendre mon cousin et l'avis de ses associés. J'ai eu l'occasion de visiter le ranch d'élevage Lynch-Staunton dans les contre-forts de l'Alberta, près de Pincher Creek. Chaque fois que lui et moi nous assoyions à une table, il m'expliquait tout ce qui n'allait pas avec Ottawa et m'exprimait ses vues sur la législation, sur le projet de loi et les lois adoptées — sans en nommer une en particulier, mais je pense entre autres à l'enregistrement des armes à feu ainsi qu'à celle portant sur la cruauté envers les animaux et quelques autres. Je suis maintenant tenté d'inverser les rôles. Cependant, cela pourrait nuire à sa campagne électorale.

Bienvenue. J'ai tout à apprendre. Bien que je risque de vous poser des questions dont mes collègues connaissent déjà les réponses, je vais les poser. Vous avez mentionné, monsieur Eby, que 50 p. 100 de votre secteur dépend des exportations. Pouvez-vous nous expliquer comment ces exportations se répartissent entre le bétail sur pied et les produits carnés, et entre les pays, afin que nous sachions quelle est l'importance du marché américain pour le Canada?

M. Eby: Merci d'avoir posé la question. Je vais demander à Mme Dunford d'y répondre. En fait, 50 p. 100, c'était peu dire.

Mme Dunford: En 2002, 60 p. 100 de la production canadienne était exportée sous forme de bétail sur pied ou de viande bovine. Quatre-vingt sept pour cent environ de ces exportations étaient destinées au marché américain, qui est de loin le plus important. Pour ce qui est de la répartition entre le bétail sur pied et la viande bovine, celle-ci représentait environ 60 p. 100 et le bétail sur pied en représentait 40 p. 100, comme vous l'avez entendu dire pendant la déclaration faite au début. Le gros de nos exportations va donc aux États-Unis. Pour ce qui est du Japon, de Taiwan et d'autres pays d'Asie, ces marchés ne représentent que 5 p. 100 de nos exportations. La majeure partie du reste de nos exportations est destinée au Mexique.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce que l'un ou l'autre de ces pays a fermé ses frontières au bétail vivant pour ensuite les rouvrir ou est-ce que leurs frontières y sont toujours fermées?

M. Eby: Aucun marché n'est ouvert au bétail sur pied.

Le sénateur Lynch-Staunton: Est-ce vrai maintenant pour le marché américain? Les exportations américaines sont- elles aussi protégées?

M. Eby: Oui.

Le sénateur Lynch-Staunton: Les États-Unis ont-ils intérêt à ce que du bétail sur pied du Canada n'y soit pas importé? Y aurait-il là un avantage économique pour eux?

M. Lynch-Staunton: Certains secteurs ont des visées protectionnistes. La plupart des gens du secteur de la viande ont une autre optique. Le marché de l'exportation n'est pas aussi important pour les États-Unis qu'il l'est pour nous, et ce qu'ils exportent ce sont les produits à valeur ajoutée destinés à l'Asie. Ce qu'on estime généralement aux États-Unis tant dans le secteur du commerce de la viande que de la production primaire, c'est que l'intégration du marché nord- américain sert leurs intérêts.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est la dernière question que j'allais poser. L'intégration des trois pays nord- américains est-elle en cours?

M. Lynch-Staunton: On tente de le faire. Les 3 organisations d'éleveurs des trois pays sont convenus d'assurer la plus grande harmonisation possible. Je crois que les gouvernements travaillent en ce sens. Ils ont souscrit au principe, mais c'est un processus très laborieux.

Tout le monde essaie de bien s'y prendre. Entre-temps, cependant, notre bétail s'accumule et il faudrait trouver une solution à ce problème pendant que se poursuivent les discussions sur l'harmonisation. Enfin, il semble que ce soit réalisable.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous ne serez peut-être pas d'accord sur ce que je vais dire, mais si les partisans du protectionnisme parviennent à leurs fins aux États-Unis, rien ne se fera d'ici novembre.

M. Lynch-Staunton: C'est bien sûr leur intention.

Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, mais ont-ils du succès jusqu'ici?

M. Eby: Je ne le pense pas. Je pense que nous sommes à l'abri, mais qui sait.

La vice-présidente: J'aurais une question pour M. Lynch-Staunton. N'a-t-on pas procédé très récemment à une ouverture à titre spécial de la frontière mexicaine?

M. Lynch-Staunton: Oui. Je crois savoir que le Mexique a ouvert son marché au bétail américain et qu'on y applique les mêmes protocoles que les États-Unis appliquent au Canada. Cela nous a été très utile puisque les États-Unis ont ainsi pu saisir exactement les enjeux. Voilà une des choses très positives qui sont en train de se passer. Les États-Unis savent maintenant à quoi s'en tenir: les protocoles qu'ils imposeront au Canada sont sans doute exactement ceux que le reste du monde leur imposera à eux.

Le sénateur Ringuette: Vous avez mentionné que votre niveau d'abattage avait augmenté, que vous exportiez habituellement vers 12 pays. Vous avez aussi dit que 87 p. 100 de vos exportations sont destinées aux États-Unis, tant pour ce qui est du bétail sur pied que des coupes de boeuf, et que les exportations américaines sont constituées de produits à haute valeur ajoutée destinés à l'Asie. C'est pourquoi je reviens toujours — compte tenu de la situation actuelle — à la question prioritaire de la réouverture des frontières. Cependant est-ce que nous nous efforçons en plus de réfléchir à la planification d'une augmentation des capacités de transformation au Canada, afin que notre industrie soit moins vulnérable dans ce genre de situation — autrement dit, envisage-t-on d'ajouter une valeur aux produits que nous produisons actuellement, au Canada, au lieu de voir cette valeur ajoutée aux États-Unis dans des produits qui seront ensuite destinés à l'Asie?

Je me souviens très bien qu'au moment de la négociation de tous les accords de libre-échange dans les années 80, la grande motivation, c'était la capacité d'ajouter de la valeur à notre production actuelle dans tous les secteurs.

Pour revenir à ma principale question: dispose-t-on d'un plan stratégique pour réduire la vulnérabilité de l'industrie et lui permettre à l'avenir d'assurer une transformation de produits à valeur ajoutée?

Mme Dunford: Le 20 mai a certainement forcé un bon nombre de producteurs de tout le pays à examiner cette question — à réfléchir à l'offre, à la demande, à la capacité de transformation des denrées — l'offre étant assez immuable. Beaucoup d'idées ont surgi concernant le démarrage de nouvelles entreprises, des examens et des propositions relatives à de nouvelles installations, à la réouverture d'anciennes installations qui avaient été fermées et à la conversion d'installations pour traiter du bétail, notamment pour composer avec les animaux de réforme qui continueront de causer un problème pendant un certain temps, comme on l'a mentionné au début. Des installations ouvriront en 2004. Certaines ici dans la province, à Kitchener, par l'intermédiaire de l'ancienne usine MGI, qui s'appelle maintenant Gencor Foods Inc. Cela se fera dans le courant de l'année. C'est une installation qu'on ouvrira en Ontario. Dans les provinces atlantiques, il en sera de même avec Atlantic Beef.

Cela dit, la table ronde examine des questions de capacité à long terme. On s'intéresse plus qu'on ne l'a fait depuis 10 ans aux questions de capacité, de coopératives de producteur, et cetera.

Tout le monde constate exactement ce que vous dites, soit qu'il faut disposer d'une certaine capacité de traitement.

M. Eby: À ce propos, notre vulnérabilité y est très étroitement liée. Nous redoutons que les États-Unis imposent des droits antidumping parce qu'un trop grand nombre d'animaux sur pied y seraient exportés, c'est pourquoi la question des produits à valeur ajoutée est très importante pour nous. Nous allons aussi pressentir des gouvernements sur un aspect de cette question, parce que nous avons une politique commerciale qui permet l'entrée de boeuf additionnel — appelons cela du boeuf de fabrication — sans frais ni droits tarifaires additionnels.

Si nous songeons à accroître la capacité ici à long terme et que nous voulons en assurer la viabilité, nous devons veiller à ce que le climat soit propice.

Le sénateur Ringuette: Madame la présidente, il me semble que le comité devrait saisir l'occasion pour rencontrer les membres de la table ronde, pour comprendre ce qu'on projette à long terme.

Mes suggestions concernent l'autre étude que nous avons entreprise, au sujet des produits à valeur ajoutée en agriculture et en foresterie.

La vice-présidente: Je vous ferai remarquer que notre bien-aimé président, le sénateur Oliver, est arrivé et je suis certain qu'il voudra aussi en prendre note.

Le sénateur Hubley: Ma question fait suite à ce dont a parlé le sénateur Ringuette. Elle concerne le fait que nous sommes en train de nous sortir de cette crise et que nous parvenons maintenant à la gérer. Elle concerne notre nouvelle capacité d'abattage.

Actuellement, nos volumes dépassent ceux d'avant la crise de l'ESB. La capacité accrue servira à l'abattage des animaux de réforme. Par conséquent, nous nous attendons à ce qu'on impose des restrictions à la frontière. Nous n'allons pas voir d'animaux de réforme traverser la frontière. Ai-je raison de le penser?

M. Eby: C'est en cours de négociation en ce moment. Il se peut que la frontière soit ouverte pour les animaux de plus de 30 mois aussi.

Le sénateur Hubley: Est-ce possible?

M. Eby: Oui.

Le sénateur Hubley: Si nous nous dotons de cette nouvelle capacité, et si on procède à l'ouverture de la frontière, quel effet cela aura-t-il sur ce qu'on aurait pu considérer comme le débit normal d'importations et d'exportations?

Mme Dunford: Je ne suis pas sûre de comprendre la question.

Le sénateur Hubley: Je m'explique. Nous sommes en train d'augmenter notre capacité pour faire face aux difficultés que connaît maintenant le secteur. Cependant, quand la frontière ouvrira, verrons-nous cette capacité diminuer ou verrons-nous fermer leurs portes les entreprises qui auront été créées pour faire face aux problèmes que nous avons maintenant?

Mme Dunford: Si notre capacité a augmenté dernièrement, soit surtout en 2004, c'est que certaines installations ont eux recours aux heures supplémentaires, aux double-quarts et aux semaines de six jours. Cela pose certainement des défis pour la main-d'oeuvre et c'est exigeant pour les ressources. Nous ne pourrions pas fonctionner à cette cadence pendant bien longtemps. Les travailleurs d'usine font des heures supplémentaires pour maintenir les niveaux de capacité actuels.

Il est bien certain que, quand les jeunes animaux pourront à nouveau circuler, il y aura une certaine amélioration. Cependant, nous parlons de commercialisation annuelle d'environ 4,5 millions de têtes de bétail. Notre capacité antérieure, c'est-à-dire celle d'avant le 20 mai, était d'environ 3,5 millions de têtes de bétail. On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un petit écart entre la capacité d'abattage et la capacité d'approvisionnement. Il s'agit d'un million de têtes de bétail. Nous avons un assez gros excédent d'animaux.

M. Lynch-Staunton: Cependant, quand la frontière ouvrira pour tous les types de bétail, nos marchés seront plus concurrentiels pour les conditionneurs. Des pressions s'exercent ainsi sur eux — et à mon sens c'est une bonne chose.

Cependant, vous avez tout à fait raison de dire que nous avons vu que notre capacité était une faiblesse dans notre secteur, et nous serions rassurés si elle correspondait davantage à notre production. Je ne suis pas un spécialiste en matière de conditionnement, mais en théorie il devrait être très avantageux sur le plan du transport d'assurer le conditionnement à proximité de la source d'approvisionnement. On serait porté à penser que normalement cette capacité augmenterait.

Pendant que j'y pense, je dois dire que les conditionneurs que je connais excellent dans ce qu'ils font. Ils ont vécu toute une expérience et ce sont de très bons hommes d'affaires.

Le sénateur Callbeck: Vous avez dit que cette nouvelle capacité devrait entrer en production plus tard cette année. À votre avis, quelle capacité additionnelle nous faut-il?

Mme Dunford: Comme je l'ai mentionné, le chiffre magique actuellement se situe aux environs de 1 million de têtes de bétail. Par conséquent, vous verrez cette année de légères augmentations de capacité, mais certainement pas à ce point. Un gros conditionneur, du genre de ceux que nous avons en Alberta, viserait un demi-million de têtes de bétail. Une très grosse usine viserait un demi-million par année. Nous faisons donc de légers progrès, mais il faudrait songer à deux toutes nouvelles usines.

Le sénateur Callbeck: Deux nouvelles?

Mme Dunford: Pour se donner la capacité qui manque.

Le sénateur Callbeck: Il n'y en a qu'une en production maintenant, n'est-ce pas?

Mme Dunford: Mais pas du tout de cette taille.

M. Eby: De notre point de vue, idéalement, nous aimerions maintenir nos exportations de bétail sur pied à moins de 500 000, et peut-être même à moins de 400 000. Il y a évidemment des aller-retour de part et d'autre de la frontière. Nous l'avons vu en 2002, en raison de la sécheresse — un certain nombre de bovins d'engraissement sont allés aux États-Unis. Et de même des bovins d'engraissement sont venus vers le nord.

Cependant, nous sommes un peu méfiants — quand nous pensons qu'en 1999 on nous avait imposé des droits antidumping, que nous sommes parvenus à faire supprimer. Nous craignons l'imposition de droits antidumping, si un trop grand nombre d'animaux aboutissent aux États-Unis. Si nous pouvions nous en tenir à moins de 400 000 bêtes, ne pas dépasser 500 000, alors nous risquerions moins de nous voir imposer des droits antidumping.

M. Lynch-Staunton: L'autre chose que nous pouvons faire, qui comporte plus de risques mais nous y travaillons sans relâche, c'est d'harmoniser les règles du commerce. Si nous pouvons conclure avec nos partenaires commerciaux une entente qui ne soit pas vulnérable aux perturbations, cela fonctionnerait aussi. Cependant, c'est difficile à réaliser, bien que nous tâchions d'y parvenir.

Le sénateur Callbeck: J'aimerais poser une question sur le système d'identification du bétail, qui je crois fonctionne depuis trois ans. On peut rapidement remonter à l'animal de référence et à ses petits, mais le gouvernement a annoncé un financement de 92 millions de dollars étalés sur cinq ans pour améliorer ce système. Quels problèmes pose-t-il, et comment croyez-vous pouvoir l'améliorer?

M. Lynch-Staunton: Je ne sais pas bien à quelles fins l'argent sera consacré, mais nous voulons remplacer les étiquettes courantes par des étiquettes électroniques, ce qui coûtera cher, mais elles sont beaucoup plus faciles à lire par lecteur optique. Nous pensons que cela accélérerait les choses.

Notre processus d'identification fonctionnera très bien et rapidement. Je pense que nous pouvons vraiment compter là-dessus.

Le sénateur Callbeck: Ces étiquettes électroniques représenteront-elles une dépense additionnelle?

M. Lynch-Staunton: Oui.

Le sénateur Callbeck: Cela coûtera-t-il très cher?

M. Lynch-Staunton: Nous sommes des pionniers en la matière. Nous croyons que quand nous atteindrons la production de masse, nous pourrons ramener le coût de l'étiquette à 2 $ ou 3 $ pièce, je crois.

Pouvez-vous le confirmer, madame Dunford?

Mme Dunford: C'est ce qu'on dit.

M. Lynch-Staunton: C'est ce que nous prévoyons. Les étiquettes coûtent maintenant de 5 $ à 10 $ pièce. Toutes sortes d'étiquettes sont en voie de conception; on en est encore qu'au tout début.

Le sénateur Lawson: Pour faire suite aux questions du sénateur Lynch-Staunton, maintenant que les États-Unis — pour reprendre les propos de Bill Clinton — comprennent notre douleur, vos homologues sont-ils plus compréhensifs face à la situation dans laquelle nous nous trouvons, maintenant que leurs frontières sont fermées et leurs exportations bloquées?

M. Eby: Oui.

Le sénateur Lawson: C'est probablement très utile.

M. Lynch-Staunton: Ils se sont toujours montrés très compréhensifs, et ils le sont encore plus maintenant.

Le sénateur Lawson: Tant qu'ils demeurent tournés dans la bonne direction, et que les protectionnistes ne s'imposent pas.

M. Eby: Rappelez-vous que notre pays l'a vécu comme une crise, et que cela a été à peine un problème dans leur pays jusqu'au 23 décembre. Le vent a tourné et nous voyons maintenant se régler diverses questions.

Le sénateur Lawson: Certains pourraient même malicieusement penser que nous avons bien fait d'envoyer cette vache dans l'État de Washington.

Vous parliez de surplus. Si on est contraint d'abattre des animaux, y a-t-il un programme concernant la façon de le faire, ou est-ce quelque chose qu'on essaie d'éviter?

M. Eby: Nous essayons de l'éviter. Nous estimons être en mesure de faire face à cela. Nous verrons ce qu'il en est dans les quelques mois qui viennent. Le plan d'urgence établi par la table ronde en tient compte, c'est-à-dire, comment pourrions-nous agir au mieux si cela se produisait. Nous estimons que nous n'en viendrons pas là.

Comme nous sommes des producteurs agro-alimentaires, nous devons être optimistes, et nous croyons que la frontière rouvrira et que le commerce se fera plus normalement.

Le sénateur Lawson: Je tiens à dire que je suis d'accord sur ce qu'a dit la vice-présidente ce matin. Je suis un nouveau membre du comité, mais j'étais membre il y a 30 ans. La coopération et les réponses que nous avons obtenues de vos représentants sont remarquables. Merci d'être venus comparaître.

M. Eby: Merci pour ces bonnes paroles. Il est extrêmement important de tisser des liens, que ce soit avec votre groupe ou à l'échelle internationale, et dans les derniers mois, nous avons bien vu l'importance de ces liens.

Le sénateur Oliver: Je regrette de n'avoir pas pu venir plus tôt, mais le sénateur Gustafson et moi, ainsi que d'autres, étions au Petit déjeuner prière nationale.

Quand le comité terminera ces audiences sur l'ESB, nous rédigerons un rapport, qui sera envoyé au ministère, au ministre et à d'autres. Une des choses que nous demandons à divers témoins a trait à la question que vous avez soulevée à la fin de votre exposé aujourd'hui. C'est-à-dire que nous savons que le marché canado-américain est harmonisé. Nous savons que nous avons le contrôle du matériel à risque spécifié, et nous savons que le Canada et les États-Unis veulent ravoir accès aux énormes marchés de la Corée, du Japon et d'autres régions de l'Asie.

Comme vous l'avez dit dans vos observations aujourd'hui, comment faire pour que le secteur bovin soit moins vulnérable à ce type de risque? Autrement dit, comment les artisans de la politique d'intérêt public comme un comité sénatorial, un comité gouvernemental, peuvent-ils présenter des recommandations de nouveaux règlements, de nouvelles lois pour que la prochaine fois qu'il y aura un cas d'ESB — et il y en aura d'autres — le marché ne se ferme pas et que nous ne perdions pas encore 2 milliards de dollars?

J'aimerais que vous nous parliez des types de changements d'infrastructure que vous souhaiteriez nous voir recommander, des changements qui feraient en sorte que nous ne perdions pas encore 2 milliards de dollars parce qu'on aurait fermé le marché en raison d'une seule vache.

M. Eby: Je vais demander à mes collègues de compléter ma réponse.

La réglementation internationale de l'OIE fait actuellement l'objet d'un examen. Rappelez-vous, ce sont des directives. Actuellement, aucun pays ne s'y tient. L'un des problèmes, c'est qu'il ne s'agit là que de directives. On y travaille, et à l'échelle internationale, on semble exercer beaucoup de pression pour que l'ESB, en particulier, soit considéré pour ce qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle ne présente pas le risque pour la santé humaine qu'on avait initialement redouté. La recherche scientifique progresse dans ce domaine, mais les directives internationales demeurent un aspect critique.

En étudiant certaines autres questions comme celle de la capacité d'abattage, nous avons constaté qu'un plus grand apport en valeur ajoutée dans notre propre pays nous rendrait moins vulnérable sur le plan du commerce des animaux sur pied. Pour ce qui est du commerce de la viande, nous devons nous concentrer sur la réglementation internationale.

Le sénateur Oliver: Dans votre document, à propos des États-Unis, vous parlez de supprimer des barrières commerciales irrationnelles. Que pouvez-vous nous suggérer pour faire en sorte que nous ne rencontrions pas davantage de ces barrières commerciales irrationnelles, comme la fermeture de la frontière aux animaux sur pied?

M. Eby: Sans avoir étudié les accords de libre-échange, je crois que nous devrions respecter l'esprit et l'objectif des accords de libre-échange. En outre, l'esprit de la réglementation internationale est très important. Il l'est d'autant plus quand il est question de se prémunir contre ce type de situation.

Rappelez-vous que bien des questions peuvent surgir, notamment des questions de santé. Je ne pense pas particulièrement à l'ESB mais plutôt à la façon de faire face à des questions de santé et d'autres questions. Ce sont là des sujets de préoccupation constante. Dans nos relations avec nos grands partenaires commerciaux, il importe de maintenir cette uniformisation qui est avantageuse pour nos affaires.

Le sénateur Oliver: Monsieur Lynch-Staunton, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Lynch-Staunton: L'un des dangers dans des moments comme cela, quand on a eu besoin de fonds et que les gouvernements ont réagi, c'est que l'aide reçue doit être accordée de manière à ne pas être perçue par nos partenaires commerciaux comme un avantage indu. Nous courons le risque de menaces de représailles et d'autres difficultés commerciales si cette générosité est mal comprise. Nous devons en être conscients.

M. Eby: De plus, il y a quelques jours quelqu'un me faisait remarquer que nous avons fait progresser le secteur de dix ans en l'espace de quelques mois. C'est une façon assez rationnelle de voir les choses. Les discussions sur l'harmonisation se poursuivaient et elles ont subitement dû être accélérées.

Étions-nous prêts à recevoir cette décharge? Nous prenions la voie de l'harmonisation, du marché international, du marché nord-américain et nous envisagions la commercialisation du boeuf nord-américain. Subitement, l'ESB nous a frappés et maintenant elle nous force à progresser beaucoup plus rapidement que nous l'avions prévu.

Le sénateur Oliver: J'aimerais savoir ce que vous, qui faites partie du secteur canadien, avez appris ou entendu au sujet de la réouverture de marchés comme ceux du Japon et de la Corée. Quel est l'obstacle? Que faudra-t-il pour qu'ils les ouvrent à nouveau et que le boeuf de l'Ouest y soit vendu à nouveau?

M. Eby: C'est difficile à dire. Le gouvernement canadien a détaché le Dr Norm Willis à Tokyo pour travailler avec les diverses autorités responsables de la réglementation et les responsables du commerce. Si vous ne le connaissez pas, le Dr Willis est l'ancien vétérinaire en chef du Canada. Il est aussi le président sortant de l'OIE, et il est très respecté à l'échelle internationale. Nous estimons avoir une des personnes les plus qualifiées dans le monde là-bas sur le terrain en Asie pour veiller à cela.

Beaucoup de questions d'ordre culturel doivent être prises en compte. Encore là, nous devons tisser des liens. Nous estimons qu'il est tout désigné pour s'en occuper.

Le sénateur St. Germain: C'est bien de vous voir ici mais je préférerais que vous n'y soyez pas. Si vous n'étiez pas ici, vous seriez dans votre magnifique ranch dans les contreforts de l'Alberta et vous n'auriez pas à vous inquiéter de cette question.

J'aimerais poser une question au sujet de l'abattage. Si les frontières étaient à nouveau ouvertes, faudrait-il encore avoir en place un processus d'abattage ou est-ce que le produit pourrait être absorbé par le marché?

Mme Dunford: Bien sûr, le tout est de savoir si la frontière va rouvrir dans un proche avenir. Les producteurs sont des gens très tenaces. Un bon nombre ont eu à faire face à ce qui s'est passé dans les dix derniers mois et ont réagi. Des vaches retournent à la reproduction et regagnent le troupeau. Essentiellement, on a gagné une autre année. Notre troupeau laitier a vieilli d'environ six mois en raison de ce qui s'est passé. Nous n'avons pas été en mesure de procéder aux abattages réguliers conformes aux normes de l'industrie.

Nous avons un groupe de producteurs tenaces dans ce pays qui ont fait face à la crise et décidé de gagner du temps. Ils ont gagné du temps. Ils n'auraient plus besoin de le faire si la frontière ouvrait à nouveau pour certaines catégories de bétail sur pied.

Le sénateur St. Germain: Je pense qu'il faudrait féliciter le gouvernement pour les efforts qu'il a faits pour tenter d'aider l'industrie. Les encanteurs et les transporteurs de bétail en bénéficieront-ils? Ces gens sont aussi durement frappés. Les éleveurs et les agriculteurs avaient besoin d'aide, mais ces gens aussi ont été durement frappés. Je suis certain qu'il y a de nombreuses autres industries secondaires qui ont été frappées en pleine figure, c'est le moins qu'on puisse dire. Est-ce que ces avantages qu'offre le gouvernement profiteront à ces gens, ou seront-ils laissés pour compte?

M. Lynch-Staunton: Il est difficile de dire comment, et à qui, l'argent sera distribué. Vous avez tout à fait raison, sénateur St. Germain. Les entreprises qui desservent notre secteur ont souffert au moins autant que nous.

Ce que je peux vous garantir, c'est que nous allons dépenser cet argent quelque part.

Sénateur St. Germain: Je comprends qu'il s'agit d'une question difficile.

M. Eby: Nous évoquons la fonctionnalité du marché, ce qui rejoint votre préoccupation. Si nos marchés s'ouvrent, nous pourrons écouler les bovins, ce qui entraînera la reprise des affaires pour les camionneurs et les marchés aux enchères. C'est ce que nous observons en ce moment dans l'Ouest du Canada et, dans une certaine mesure, également dans l'Est. Un plus grand nombre de bêtes sont vendues et les affaires commencent à reprendre.

Le sénateur St. Germain: Je m'excuse pour mon retard. J'assistais à une réunion du Comité des affaires autochtones, à l'édifice du Centre.

Les fonds qui ont été débloqués pour aider votre secteur se rendront-ils aux éleveurs de bovins?

M. Eby: Je pense que oui.

Le sénateur Callbeck: Ma question a trait à la déclaration obligatoire des prix aux États-Unis et au nombre de bêtes qui sont abattues. Je crois comprendre que les éleveurs doivent s'y conformer. À votre avis, le Canada devra-t-il envisager une mesure semblable?

Mme Dunford: L'obligation de déclarer les prix est assez récente aux États-Unis. Au début, cette règle était assez difficile à gérer, et elle l'est encore. Il existe toujours des entreprises qui peuvent fournir l'information plus vite. Bien sûr, les marchés évoluent rapidement et les décisions relatives au marché se prennent vite. C'est une des difficultés qui se posent aux États-Unis. Le système fonctionne-t-il parfaitement? Non.

Le Canada a toujours eu un système volontaire. J'aimerais connaître l'avis des producteurs à ce sujet, à savoir s'ils trouveraient un système obligatoire utile. Il ne fait aucun doute qu'un tel système ralentirait le processus, mais il serait probablement plus complet.

M. Lynch-Staunton: La divulgation des prix a toujours fait problème et c'est une question controversée. Idéalement, nous voudrions tous avoir accès à plus d'information, mais il n'est pas facile de mettre en place un système pour y arriver. C'est un cauchemar sur le plan logistique.

M. Eby: Ce qui vient encore compliquer les choses, c'est qu'il y a des programmes spécialisés, connus sous le nom de programmes «de la fourche à la fourchette», qui paient l'éleveur en fonction d'une autre échelle, d'une grille. La Canadian Cattlemen Association a mis au point un système de visionnement informatique qui évalue la quantité de viande rouge dans une carcasse. Nous évaluons le prix différemment. D'autres mécanismes d'établissement des prix commencent à être utilisés. Par le passé, la déclaration obligatoire des prix se fondait sur l'animal vivant. En Ontario, par exemple, 85 p. 100 des bêtes sont vendues d'après le poids en carcasse. Il existe divers programmes. Il est donc très difficile de recueillir une information solide et exacte en ce qui concerne la déclaration obligatoire des prix.

Sénateur Gustafson: Je crois comprendre qu'on paiera environ 80 $ par tête mais seulement pour certaines catégories de bétail. Quels sont les groupes d'âge visés et le délai prévu?

M. Eby: Pour l'instant, il s'agit du bétail en stock au 23 décembre 2003, à l'exclusion des bovins de reproduction. Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure au sujet des secteurs qui souffrent le plus et des moyens qui permettraient de stimuler l'industrie pour favoriser la fonctionnalité du marché.

Le sénateur Gustafson: Cela veut dire que la part du lion ira aux parcs d'engraissement.

Mme Dunford: Ou aux éleveurs qui ont gardé leurs veaux.

Le sénateur Gustafson: Ceux qui les ont vendus ne toucheraient rien.

Mme Dunford: Effectivement, s'ils ont tout vendu.

M. Lynch-Staunton: Ce ne sera pas juste pour tout le monde, mais aucun programme ne l'est. Quand on a conçu le programme, on a tenu compte du fait que les prix des bovins d'engraissement étaient assez bons au cours de l'automne. Les éleveurs qui ont vendu à ce moment-là n'ont probablement pas trop souffert. Le gouvernement a également mis en place des programmes pour aider les éleveurs-naisseurs qui doivent garder des bêtes en surplus. Cela a atténué les difficultés financières de ces éleveurs.

Le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA) devrait également compenser certaines pertes. On a tâché de s'attaquer, dans l'immédiat, aux problèmes les plus graves. Personne ne sait comment tout cela évoluera.

La vice-présidente: Merci d'être venus aujourd'hui. Vous avez contribué à notre réflexion. Collègues, nous pourrons échanger de façon plus informelle avec les amis de la Canadian Cattlemen's Association plus tard au cours de la journée. J'espère vous revoir bientôt.

M. Eby: Je tiens encore une fois à vous remercier de nous avoir reçus. Nous restons à votre entière disposition. Ce soir, nous avons une réception dans la salle 200 de l'édifice de l'Ouest, à 18 heures. Nous vous invitons à vous joindre à nous pour déguster du boeuf canadien. Merci.

La vice-présidente: Nous ferons une courte pause pour permettre au sénateur Oliver de reprendre le fauteuil.

Le président: Honorables sénateurs, nos prochains témoins sont M. Doug Price et M. Art Price, de Sunterra Farms. Je ne sais pas lequel de vous va présenter l'exposé, mais quand vous l'aurez fait, les honorables sénateurs voudront vous poser des questions.

M. Art Price, président, Sunterra Farms: Honorables sénateurs, j'ai eu le privilège, à titre de PDG ou de directeur, de faire partie de la haute direction de plusieurs compagnies du domaine des télécommunications, de l'industrie pétrolière et gazière, de la radiodiffusion, de l'industrie minière et sidérurgique, en plus d'entreprises agricoles.

M. Doug Price, directeur, Sunterra Farms: Je gère les activités de Sunterra Farms qui ont trait aux céréales et au bétail. Je siège également aux associations suivantes, à titre de délégué: Alberta Beef Producers, Alberta Cattle Feeder's Association et Feeders Association of Alberta.

M. Art Price: Vous êtes également propriétaire d'un ranch.

M. D. Price: J'ai un troupeau de vaches.

Le président: Combien de têtes?

M. D. Price: Sunterra Farms est un parc d'engraissement, mais, avec mon épouse, je gère personnellement environ 3 000 vaches reproductrices.

M. A. Price: Sunterra Farms est une entreprise familiale qui appartient à plusieurs membres de ma famille et à quelques autres personnes. C'est une entreprise établie dans l'Ouest du Canada qui a évolué en ajoutant à ses activités agricoles des activités de production de valeur ajoutée pour le porc, le veau et les moutons. C'est une entreprise agricole qui s'est lancée dans la transformation et la vente au détail des produits spéciaux que nous vendons sur le marché canadien et dans d'autres pays comme le Japon et le Mexique.

Je vais passer en revue les points saillants du document que nous vous avons remis. Ensuite, nous pourrons répondre à vos questions.

À l'heure actuelle, l'industrie du boeuf de l'Ouest canadien produit 30 p. 100 plus d'animaux vivants que ce qui peut être transformé au Canada. Les investissements dans la production sont de loin supérieurs aux investissements dans la transformation. Des compagnies ont fermé leurs frontières aux bovins et aux moutons sur pied. Deux usines de transformation américaines situées dans le sud de l'Alberta représentent 80 p. 100 de la capacité de transformation au Canada.

Bien qu'on ait dit que les frontières internationales sont fermées, elles sont en réalité ouvertes pour certaines catégories de viandes. Ainsi, l'Union européenne n'a jamais interdit l'importation de viande du Canada à cause de l'ESB.

Aucun autre pays du monde n'a un secteur d'élevage qui dépend autant du commerce international d'animaux sur pied.

Les organismes de réglementation, les agences de promotion du commerce et les organismes du domaine de la santé interviennent de plus en plus activement par suite de l'avancement des connaissances scientifiques et de la mise au point de nouveaux tests. C'est un phénomène qui touche l'ensemble des marchés, et qui ne se limite pas à la question de l'ESB.

Il est absurde de dépendre du commerce international d'animaux vivants. Sur le plan de la santé, ces animaux présentent des problèmes beaucoup plus complexes que la viande. Les animaux vivants ont une durée de conservation limitée et ils supposent des frais d'entretien quotidiens. De plus, les animaux vivants présentent des risques pour la santé d'autres animaux. Le coût de transformation est relativement faible par rapport au coût d'élevage de l'animal. Par ailleurs, le coût de transport de la viande est de loin inférieur à celui du transport d'animaux sur pied. Pourquoi exportons-nous les emplois dans le domaine de la transformation?

Pourquoi le secteur a-t-il évolué de cette façon? C'est que l'Ouest du Canada est un des meilleurs endroits pour élever et engraisser le bétail. Pour le producteur, compte tenu des données économiques fondamentales, c'est l'un des meilleurs endroits du monde pour le faire. L'environnement est bon, les caractéristiques génétiques des bovins sont supérieures, il y a beaucoup de terres peu adaptées à d'autres fins et il y a une abondance de céréales fourragères. La viande produite est de qualité supérieure.

Par le passé, l'industrie de la transformation reposait sur des économies d'échelle à faible coût, et non pas sur des économies d'échelle de valeur ajoutée. Dans l'ensemble, les économies d'échelle découlaient de la valeur des parties de la carcasse autre que la viande. Les petits transformateurs ne peuvent pas faire assez de revenus pour compenser la perte de l'avantage concurrentiel qu'ils tiraient des produits non carnés.

Par ailleurs, les gros transformateurs ont pris de l'ampleur et dominent maintenant le marché. Même si les producteurs investissent plus d'argent que les transformateurs, beaucoup d'entre eux n'ont pas accès aux mêmes marchés financiers que les grandes entreprises.

Le secteur de la production avait assez d'avantages pour prospérer, même s'il avait accès à un marché de transformation beaucoup moins concurrentiel. Le marché de la transformation au Canada, de ce point de vue, est de loin inférieur à celui des États-Unis. Ce qui maintenait l'équilibre du marché, c'est que le producteur pouvait exporter les animaux vivants aux usines de transformation situées aux États-Unis.

Comment trouver une solution durable à ce problème? À notre avis, il faut créer un marché réaliste au Canada pour les animaux vivants. Cela suppose l'augmentation de la capacité de transformation intérieure pour que les bovins produits au Canada puissent y être transformés.

Il faut pousser la chaîne de valeur un cran plus loin. En ce moment, ce qui domine dans le secteur c'est un marché de masse, amalgamé, fondé sur les produits primaires et axé sur les coûts. Or il faut qu'une partie du marché s'occupe des produits spéciaux à valeur ajoutée en ciblant des marchés particuliers, que ce soit aux États-Unis, en Asie ou en Europe.

Nous devons délaisser l'approche tous risques associée aux produits canadiens. Les gouvernements, surtout à l'échelle nationale, ont eu pour politique de promouvoir les produits de marque Canada. Mais c'est à cause de cela qu'un seul animal canadien peut compromettre la valeur de tous les autres animaux canadiens sur le marché.

Il faut créer un environnement où les producteurs puissent investir dans la production de valeur ajoutée et la commercialisation de leurs produits au lieu d'être obligés de se contenter d'un marché non concurrentiel et basé sur les coûts. Nous devons créer d'autres segments de marché pour offrir quelque chose de différent. Si les producteurs pouvaient créer une solution de rechange viable au statu quo, certains d'entre eux évolueraient, et le gouvernement ne risquerait plus de voir d'autres pays perturber le commerce des animaux vivants.

Pour favoriser cette solution durable, il est essentiel de le concentrer sur ce que nous pouvons contrôler, et non sur ce que la Maison-Blanche ou le Congrès américain contrôle. Je fais affaire depuis longtemps avec des entreprises américaines. Nous souhaitons tous que le commerce avec les États-Unis soit plus fiable. Nous connaissons la façon de penser des États-Unis, de même que les rapports de ce pays avec le Canada et avec le secteur commercial.

Dans la plupart des industries, qu'il s'agisse du bois d'oeuvre, de l'élevage de porcs, de boeuf ou même de la construction d'automobiles — comme, d'après mon expérience, dans le domaine du gaz naturel — les États-Unis élaborent toujours leur propre position, laquelle fait son chemin dans le système politique et est adoptée par les dirigeants du pays. Ce processus ne prend nullement en considération les intérêts du Canada.

Voilà donc qui situe le contexte.

Vous trouverez dans mon document plus d'information sur le projet Rancher's Beef, qui vise justement à corriger ce problème et qui illustre un aspect crucial de la solution. Il devrait y avoir d'autres projets de ce genre. Voici celui que nous avons lancé, par l'entremise de Sunterra Farms et d'autres intervenants; le projet a été lancé et les éleveurs achètent des droits de propriété dans Rancher's Beef.

Je serais heureux de répondre à vos questions.

Le président: Avant de passer aux questions, j'aimerais que vous expliquiez à l'intention de nos téléspectateurs qui ne savent pas nécessairement ce qu'est Rancher's Beef, de quoi il s'agit. Est-ce une coopérative? Si oui, que fait-elle? Pourriez-vous nous donner tous les renseignements à ce sujet? Je vois que Rancher's Beef a un capital de 15 millions de dollars et des actifs d'une valeur de 25 millions de dollars. En quoi consistent ces actifs? Qu'obtiennent les gens qui investissent dans Rancher's Beef et comment cet organisme fait-il la promotion de l'industrie du boeuf? Pourriez-vous me donner un peu plus d'explications?

M. A. Price: Sur le plan juridique, c'est une société en commandite. Les gens qui investissent en sont propriétaires. La société est dirigée par un associé principal en vertu de règles d'administration des entreprises. Ce n'est pas vraiment une coopérative, mais on peut en acheter librement des unités qui comportent un droit de propriété. Ces unités sont structurées pour favoriser l'établissement d'une telle chaîne de valeur.

J'inviterais M. Price à vous en dire plus long.

M. D. Price: La société a été créée par 14 d'entre nous. Ensuite, nous en avons parlé à d'autres personnes. À l'heure actuelle, nous sommes 60 ou 70.

Les gens investissent dans une compagnie comme la nôtre pour différentes raisons. Par exemple, le propriétaire d'un parc d'engraissement doit se prémunir contre le risque d'une fermeture des frontières. Il veut pouvoir vendre ses animaux. Qu'il fasse de l'argent avec son parc d'engraissement ou avec l'usine de transformation, cela lui importe peu, pourvu qu'il fasse de l'argent.

Nous comptons aussi parmi nos investisseurs des éleveurs-naisseurs. Dans leur cas, ils garderont leur part à partir de la naissance du veau et jusqu'à sa transformation en viande. Tous ces secteurs sont couverts. On peut produire de la valeur ajoutée par les activités où l'on performe le mieux. Ainsi, un éleveur-naisseur est le mieux placé pour produire des veaux, mais il peut quand même participer à la rentabilité de l'ensemble de la chaîne pour se prémunir contre le risque d'une fermeture des frontières. Il pourra alors offrir aux consommateurs un produit complet et entièrement traçable. Beaucoup de gens souhaitent faire profiter le consommateur de cette valeur ajoutée. Le producteur comprend exactement ce qu'il produit. Il peut connaître les caractéristiques génétiques des animaux, savoir lesquels donnent le plus de viande et la viande de la meilleure qualité dans son entreprise, et profiter de la synergie découlant du fait que tout le monde travaille ensemble mais que chacun apporte son expertise dans des domaines précis.

Les investisseurs ont des profils très différents. Nous avons ouvert le projet à tout le monde, mais le problème c'est que, comme vous le savez, il n'y a pas beaucoup d'argent dans le secteur en ce moment. Il aurait fallu lancer le projet il y a deux ou trois ans. Il serait très rentable aujourd'hui. Les cas de fermetures de frontières sont fréquents. Les investisseurs pensent que la situation que nous connaissons aujourd'hui se reproduira. Ce ne sera peut-être pas à cause de l'ESB, mais d'autres choses, qui sait? Chaque fois que les frontières sont fermées à nos produits, le producteur se trouve de nouveau aux prises avec le problème.

Il faut se demander aussi pourquoi nous ne faisons pas toute la production de valeur ajoutée ici au Canada ou en Alberta. Pourquoi ne pas essayer de pénétrer d'autres marchés plutôt que de nous contenter de celui des États-Unis? Certes, c'est un marché énorme, mais nous souhaiterions pouvoir en développer beaucoup d'autres.

Le président: C'est un prototype fascinant. En plus d'étudier les dossiers de l'ESB, notre comité examine aussi la question des produits agricoles et forestiers à valeur ajoutée afin de trouver les moyens d'améliorer le revenu des agriculteurs. Le prototype que vous venez de décrire me semble une excellente façon de le faire. Je vous en félicite. Je pense que c'est un excellent projet.

M. A. Price: J'ajouterai qu'en achetant des parts de Rancher's Beef, on se trouve d'office à acquérir des droits relativement aux parcs d'engraissement et de transformation.

Le président: Jusqu'à l'étape des bovins finis.

M. A. Price: En fait, cela correspond à une unité qui passe par la chaîne de production. Disons qu'un producteur a 500 bovins; il achètera 500 unités, et dans ce cas les unités achetées correspondent aux unités de production réelle, où il peut en acheter 250, c'est-à-dire la moitié.

M. D. Price: Il peut faire ce qu'il veut. Cela lui garantit une place à l'abattoir et à l'usine de transformation, mais le système est souple. S'il décide de ne pas procéder de cette façon, il n'est pas obligé de le faire.

Le président: Est-il exact qu'on n'a pas besoin d'avoir 500 bovins, ni même un seul animal, pour investir de l'argent dans cette société?

M. A. Price: C'est exact.

Le sénateur Fairbairn: Quand votre société sera-t-elle opérationnelle? Quelles modalités devez-vous suivre pour constituer cette nouvelle société?

M. D. Price: Quand nous aurons recueilli tout le capital nécessaire, nous passerons à l'étape de la construction. Le bâtiment sera situé dans le secteur nord-est de Calgary. Si tout va bien, si nous pouvons obtenir tous les permis nécessaires et construire le bâtiment, nous pourrions être opérationnels d'ici 12 mois ou même avant.

Le sénateur Fairbairn: Qui délivre ces permis?

M. D. Price: La ville de Calgary, qui est responsable du plan d'occupation des sols, du plan d'urbanisme, et cetera. Nous avons déjà rencontré des fonctionnaires de la municipalité et nous sommes très optimistes. Ils trouvent que c'est un excellent emplacement. Le projet va créer de 250 à 300 emplois. Nous avons déjà tenu notre première réunion. Il semblerait que nous puissions commencer la construction des fondations avant d'avoir reçu le permis intégral. Nous espérons donc pouvoir démarrer 12 mois après avoir levé les capitaux nécessaires.

M. A. Price: La ville de Calgary s'efforce d'améliorer le processus. Avec toutes ses composantes, il s'agit grosso modo d'un projet de 40 à 50 millions de dollars.

Le président: Avez-vous le financement nécessaire?

M. A. Price: Nous avons 25 millions de dollars d'actifs engagés, environ 17 millions de dollars en avoir propre. Fait intéressant, le problème de la frontière restant une inconnue majeure et le marché du boeuf étant très incertain, les marchés traditionnels de la dette ne comprennent pas ce genre d'investissement. Ce qui importe, c'est que ce sont les producteurs et l'ensemble de la population qui ont un intérêt économique à créer cette usine. Les transformateurs existants n'ont pas intérêt à ce que l'offre excédentaire disparaisse; pour cette raison, les deux transformateurs dominants n'agrandiront jamais leurs usines pour se faire concurrence à moins qu'il y ait pénurie de bovins. Ce qui nous cause des problèmes, c'est qu'il n'existe pas de marchés traditionnels de la dette. Ceux qui sont intéressés à notre société sont les éleveurs et les propriétaires de parcs d'engraissement, qui éprouvent des difficultés financières à cause de l'ESB, et même malgré cela, nous avons réussi à lever ces 15 ou 17 millions de dollars.

Nous avons entamé les pourparlers avec le gouvernement de l'Alberta et le gouvernement du Canada pour qu'ils nous aident à trouver une partie du capital qui nous manque. Il n'est pas question de demander du soutien financier. Nous avons étudié ce qui se passe dans d'autres secteurs d'élevage pour comprendre les aspects économiques et les approches utilisées en ce qui concerne la transformation de la viande. Nous avons examiné le secteur du porc, du veau et du mouton. Nous avons étudié la situation au niveau de l'éleveur, du parc d'engraissement et du magasin de détail. Sunterra a des magasins spécialisés où nous écoulons nos produits. Doug a dit que c'était dommage que nous n'ayions pas lancé le projet il y a trois ans. En réalité, nous savions déjà à l'époque que la structure de l'industrie du boeuf était déficiente. Nous avons rencontré plusieurs personnes dans l'espoir de mettre sur pied cette chaîne de valeur pour le boeuf, mais les économies d'échelle provenant de la partie non carnée de la carcasse l'emportaient sur les autres économies d'échelle, avant que la crise de l'ESB n'éclate. La partie non carnée de la carcasse déterminait les questions économiques. On ne pouvait jamais faire assez d'argent avec la viande pour compenser l'avantage lié à la partie non carnée de la carasse.

Le président: Est-ce à cause des exportations en Asie, où il y a une demande pour les parties non carnées?

M. A. Price: Oui, et également à cause de l'équarrissage, où l'on récupérait le reste de l'animal. Bien sûr, après l'apparition de l'ESB, les parties non carnées ont perdu énormément de valeur, si bien que les avantages qui y étaient associés ont presque disparu. À présent, le secteur est viable du point de vue économique, mais nous traversons une période difficile sur le plan financier.

M. D. Price: Permettez-moi d'ajouter quelque chose, même si je m'écarte un peu du sujet. En tant que producteur, je constate que les gouvernements ont réagi en donnant beaucoup d'argent à l'industrie, à court terme. Bien sûr, nous en avions besoin pour régler des problèmes à court terme. Cependant, nous devons faire en sorte que la situation ne se répète pas. La cause du problème, c'est que nous n'avons pas assez de capacités pour l'abattage du bétail.

Mme Dunford vous a sans doute dit que nous exportons un million de têtes de bétail chaque année. Il suffirait d'un investissement de 100 millions de dollars pour que nous puissions transformer tous ces animaux et créer 500 ou 700 nouveaux emplois. Nous, les producteurs, devons nous efforcer d'investir ces 100 millions de dollars de telle sorte que nous ne nous retrouvions plus dans la même situation. En règle générale, les frontières sont toujours ouvertes pour la viande. Quand l'interdiction d'exporter des animaux vivants prendra fin, nous aurons 150 camions-cages déjà prêts à transporter le bétail aux États-Unis. Envisageons-nous de percevoir des droits compensateurs? Allons-nous recommencer comme avant? Cela ne se fera pas pour la viande.

Le sénateur Fairbairn: J'ai une question car j'aimerais bien comprendre ce que vous dites.

Les autres usines de transformation vendent évidemment leurs produits au Canada et ailleurs. D'après ce que vous dites, vous n'allez pas nécessairement les affronter directement; vous allez plutôt viser des créneaux précis, des marchés de spécialité, pas seulement au Canada mais également, d'après ce que vous avez dit, aux États-Unis, en Asie et en Europe. Pourriez-vous nous donner plus de précision? Vous semblez chercher un climat dans lequel vous pourrez survivre et prospérer sans concurrencer directement les grosses entreprises de transformation parce qu'elles ont une façon particulière de fonctionner. Vous prenez une autre direction ce qui vous amènera, j'imagine, à concurrencer certains de leurs produits sur les marchés nationaux et internationaux, mais ce que vous envisagez essentiellement est nouveau.

M. D. Price: Nous voulons faire le plus possible de choses que les gros transformateurs ne peuvent pas ou ne veulent pas faire. Nous estimons qu'il y a des marchés que personne ne dessert. Comme les activités des producteurs remonteront jusqu'à la ferme, nous pourrons faire beaucoup. Chez Sunterra, on se fonde sur l'idée que le client a toujours raison. Si le client me demande quelque chose, je vais évaluer ce qu'il m'en coûtera de le faire et je vais le lui offrir, tandis que les vendeurs doivent se contenter de vendre ce qu'ils ont. Ils disent aux consommateurs: «Voici un produit extraordinaire. C'est ce qui vous convient le mieux. Achetez-le». À notre avis, il vaut mieux donner au client ce qu'il demande, plutôt que de lui vanter les produits qu'on veut lui vendre.

M. A. Price: Ce qui importe avant tout, c'est de mettre en place une chaîne de valeurs qui répond au souhait du consommateur, ou une chaîne de valeurs qui crée un produit. Les deux transformateurs actuels n'ont d'autre choix que d'opter pour un processus de produits amalgamés parce qu'ils ont besoin d'avoir un gros pourcentage du marché, et c'est la seule façon de le faire.

La situation est la même dans le secteur de l'élevage du porc. Nos usines de transformation du porc sont beaucoup plus petites que celles des grosses entreprises, et nous vendons des produits de spécialité au Japon, sous la marque Sunterra. C'est un produit de spécialité vendu dans les magasins d'alimentation au Japon, et nous traitons directement avec ces gens.

Le sénateur Fairbairn: Cela marche assez bien.

M. A. Price: Oui.

M. D. Price: Un exemple, si nous vous vendions du boeuf Rancher, nous pourrions dire qu'on peut entièrement le retracer jusqu'à l'éleveur. Nous contrôlons l'animal tout du long.

Le sénateur Fairbairn: Vous savez par où il est passé tout du long.

M. D. Price: Oui, jusqu'à la caisse dans laquelle il est emballé.

M. A. Price: Nous savons ce qu'il a mangé.

M. D. Price: Oui, et si vous vouliez un produit spécial, nous vous le fournirions — à condition de gagner quelque chose.

Comparé à un produit IVP ou Cargill, nous pouvons vendre notre produit au même prix que le leur parce que nous sommes tout aussi efficaces et qu'un produit que l'on peut retracer ne nous coûte pas plus cher. Aussi, pour le même prix que le boeuf Cargill, vous pouvez acheter du boeuf Rancher qui est entièrement retraçable parce que nous n'avons jamais perdu le contrôle de l'animal.

Le sénateur Fairbairn: Le consommateur?

M. D. Price: Oui, le consommateur. Lequel achèteriez-vous? Ne vous trompez pas.

Le sénateur St. Germain: Merci, messieurs, d'être venus. Vous êtes en train d'essayer de développer un secteur spécial dans ce marché mais que serait-il arrivé si vous aviez été en activité et que l'ESB avait frappé comme elle l'a fait?

M. A. Price: Nous aurions payé cette usine en six mois.

Le sénateur St. Germain: Toutefois, si vous aviez eu ces marchés dont vous parlez à l'étranger et qu'un fort pourcentage ait été japonais ou coréen ou autres et que l'ESB avait touché le Canada. Comment auriez-vous maintenu vos marchés dans ces régions? Je veux dire que vous êtes aussi vulnérables que le reste de l'industrie. Ça ne veut pas dire que vous n'avez pas de niche dans ce marché.

M. A. Price: La frontière n'a jamais été totalement fermée à la viande. La frontière européenne n'a jamais été fermée à la viande, jamais fermée à la viande canadienne à cause de l'ESB et ne l'est toujours pas. La raison pour laquelle on ne dessert pas le marché européen est que l'Europe refuse les hormones et que les deux transformateurs existants ont une base d'approvisionnement mixte. Ils ne peuvent pas livrer de la viande sans hormones parce que toute une gamme de fournisseurs leur livrent de la viande aux hormones. Si la situation dont vous parlez s'était produite et que nous avions déjà un marché en Europe pour de la viande sans hormones, ce marché n'aurait pas été touché.

Le sénateur St. Germain: Théoriquement, les Européens auraient pu dire qu'ils ne voulaient pas de boeuf canadien.

M. A. Price: Ils ne l'ont pas dit.

Le sénateur St. Germain: Le fait est qu'ils auraient pu le dire. J'essaie simplement de comprendre votre point de vue. J'ai été dans le secteur de la volaille et je vois ce qui arrive à l'usine de traitement en Alberta, en particulier à Lilydale Farms.

Vous essayez de faire quelque chose de similaire mais sans office de commercialisation.

M. A. Price: Ce que nous faisons dans le secteur du porc, du veau et de l'agneau est similaire. Ce n'est pas un marché réglementé. Soit on a un marché structuré avec des contingentements, et cetera, soit on a cet autre marché.

Le secteur du boeuf entre dans cette autre catégorie. Ce n'est pas encore un marché compétitif, viable. Il n'y a pas d'autres secteurs qui n'aient pas une bonne part de ses activités dans un domaine spécial. Il y a toujours le produit général et les produits spéciaux. La raison pour laquelle cela n'existe pas pour le boeuf est l'élément non carné des économies d'échelle. C'est la raison pour laquelle ces usines sont tellement grandes. Personne ne pourrait ouvrir une nouvelle usine.

D'autre part, pour pouvoir profiter des économies d'échelle, il faut une usine de 30 millions de dollars et non pas de 5 ou 8 millions.

Le président: Quel volume peut-on y transformer par semaine?

M. A. Price: Environ 250 000 têtes par an.

M. D. Price: Il faut avoir ce volume pour bénéficier des économies des produits moins cher ou non carnés.

L'autre jour, j'étais avec Mme Dunford et les PDG de IVP et Cargill. Nous devions discuter du problème à court terme et voir quel volume supplémentaire nous pourrions transformer. Ils tournent à pleine capacité. Ils nous ont donné quatre raisons pour lesquelles ils ne pouvaient en faire plus et c'était la capacité de refroidissement, la main- d'oeuvre, l'eau, par exemple pour Cargill et il y avait une autre raison que j'oublie. Comme producteur, j'écoutais et trouvais un peu étrange qu'ils n'évoquent jamais la vente du produit. Ça ne posait pas de problème.

M. A. Price: Ceci alors que le marché n'a jamais été pire.

M. D. Price: Ils se contentent de le fourguer au sud de la frontière et l'achètent moins cher. Ils le vendent. La vente du produit n'est même pas une question qu'on se pose.

M. A. Price: Il y a des risques sur le marché de la viande. C'est simplement qu'ils sont bien moindres que sur le marché du bétail sur pied et que les problèmes sur le marché de la viande sont plus faciles à gérer si bien que le coût de ce risque commercial international est moindre. Il n'est pas nul; nous ne pouvons pas dire qu'il est nul. Il est simplement bien inférieur et il y a des tas de façons différentes d'y faire face.

Avec ce système de chaîne, quel que soit le coût réduit dans le secteur de la viande, c'est le producteur qui paie, ce n'est pas les autres. C'est toujours le producteur qui paie.

Le sénateur St. Germain: Je comprends ce que vous dites. La seule chose qui m'ennuie quand même, même si vous avez une méthode vous permettant de retracer les animaux, des produits sans hormones et que vous réussissez à trouver des marchés — notamment ceux que vous développerez à l'étranger — c'est que si nous avons une autre catastrophe, Dieu nous en garde, je ne vois pas comment vous ne pourrez pas en être victimes.

Je ne critique pas ce que vous faites, je pense que c'est très bien parce que c'est une niche ou une spécialité, mais je ne vois pas comment vous pouvez éliminer le risque.

M. A. Price: On ne peut pas éliminer le risque sauf si un gouvernement garantit de rembourser tout manque à gagner. Nous n'essayons donc pas d'éliminer tous les risques. Nous essayons de créer un marché viable avec un niveau de risque gérable. Nous n'en sommes pas là aujourd'hui.

Le président: Vous parlez d'un risque moindre que dans le système actuel pour le bétail sur pied?

M. D. Price: Tant que nos coûts étaient les mêmes, nous ressemblions aux autres dans le secteur. Nous étions comme IVP ou Cargill dans tous ces marchés, quand la frontière a fermé.

Le sénateur Gustafson: Merci d'être venus témoigner, messieurs.

Les relations entre les éleveurs du Canada et des États-Unis ont toujours été bonnes. C'est probablement l'un des meilleurs exemples, en dehors du secteur automobile, du libre-échange et du mouvement de part et d'autre de la frontière. Nous avons dans notre exploitation du bétail, pas beaucoup comparé à vous, depuis 1970. C'est le premier gros problème que nous rencontrons. Le bétail d'élevage traverse la frontière et le bétail exotique traverse la frontière et nous avons connu quelques problèmes mais il est certain qu'en général les relations sont bonnes.

Vous êtes le quatrième groupe qui nous dit qu'il veut se lancer dans la transformation. La même chose se produit dans le secteur des céréales. Nous avons construit beaucoup de silos et nous avons maintenant plus de silos que de céréales au Canada. Il semble que les céréaliculteurs voient leur part du revenu des céréales diminuer progressivement. Il y a eu un petit bond sur le marché du canola. Je viens de révéler les chiffres au Sénat pour le prix des céréales à Crosby, au Dakota du Nord, et le prix en Ontario et dans l'Ouest du Canada et je puis vous dire que ces chiffres sont assez choquants.

Ce qui m'inquiète, c'est que si nous nous retrouvons dans la même situation que pour les céréales, où les Américains nous considèrent de façon très négative, nous aurons de gros problèmes. Pensez-vous que vous puissiez exploiter le marché international comme l'ont fait les Américains au Japon et dans d'autres pays? Pour une bonne part, il s'agit simplement de transférer le bétail au Japon et dans d'autres pays après l'avoir transformé. C'est vrai. Toutefois, nous avons eu des veaux de 600 livres qui rapportaient 1,40 $. Il y a eu ces dernières années des marchés de bétail assez consistants. C'est la première chute importante. Dans le secteur des céréales, cela fait six ans que ça dure.

Je ne voudrais pas que ce qui s'est produit dans le secteur des céréales se reproduise dans le secteur du boeuf. Je répète que je viens d'entendre parler d'une exploitation à Edmonton dans laquelle les éleveurs mettent 5 000 $ chacun pour transformer tout leur bétail. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. D. Price: Nous avons déjà eu des droits compensateurs. Nous nous sommes battus pendant un an et demi contre ces droits compensateurs que l'on nous imposait sous prétexte de subventions indues et ils disaient que la Commission canadienne du blé était visée. Je sais que les prix ont été difficiles mais je ne voudrais pas voir le secteur des céréales sans valeur ajoutée dans l'Ouest du Canada. Si toutes les céréales que nous donnons au bétail étaient passées par la Commission canadienne du blé aux prix américains, nous aurions de gros problèmes. Dans notre exploitation seulement, le secteur d'engraissement représente environ 7 milliards de tonnes métriques, entre le porc et les bovins. Si nous n'ajoutions pas à la valeur, les silos à grains dont vous parlez ressembleraient à des entrepôts plutôt qu'à des exploitations à valeur ajoutée.

Le sénateur Gustafson: Je suis rentré de Washington la semaine dernière, comme le sénateur Oliver, où l'on nous a dit que nous importions deux fois plus de maïs au Canada que nous ne vendons de blé aux États-Unis.

M. A. Price: Vous voulez dire que les relations commerciales avec les États-Unis sont assez mal équilibrées. C'est vrai. Pratiquement, pourquoi attacher une telle importance à ces relations commerciales pour le bétail sur pied? Nous ne demandons pas de subventions et nous essayons de trouver des moyens d'investir dans le traitement à valeur ajoutée au Canada. Ce n'est pas risqué, c'est en fait réduire le risque commercial.

Le sénateur Gustafson: Le problème commercial avec les Américains est le suivant: étant donné les offices de commercialisation dans les secteurs du lait, des oeufs, du poulet, et cetera, qui rapportent beaucoup à l'est du Canada, à l'Ontario et au Québec, ils ne peuvent pas vendre sur ce marché. Ils disent que le commerce est à double sens. Je crois que c'est plus une question politique, mais ne le disons pas trop fort, plus une question politique que commerciale.

M. A. Price: Le problème, c'est que le commerce est purement un jeu politique et cela revient à dire: qu'est-ce qui est politique? On pourrait avoir la même discussion pour le lait. Toutefois, ce secteur est considéré comme un secteur de libre-échange sur un marché qui n'est pas un marché de libre-échange viable. Pour revenir au risque canadien, c'est pourquoi nous disons que nous voulons un risque pour le boeuf Rancher et non pas un risque canadien. Nous voulons le même risque qu'avait Ford Explorers pour ses pneus. Ça n'a pas frappé tous les autres véhicules, c'était seulement les Ford Explorers. Dans quel autre secteur prendrait-on le risque de tous ceux qui font la même chose?

Ce concept de marque canadienne de traiter tous les animaux au Canada de la même façon du point de vue de la mise en marché est le pire que l'on puisse imaginer. Nous n'avons jamais eu de vache folle et nous nous trouvons dans la même situation que ceux qui en ont eu. Nous pouvons monter une chaîne qui assure que tout ce que nous transformons n'est jamais passé ailleurs, avec les moyens technologiques et les tests que nous avons à notre disposition mais, à l'heure actuelle, avec ses politiques de marque canadienne, cela ne signifierait rien parce que la viande viendrait tout de même du Canada. Il faut arrêter cela et se doter de marques qui se défendent elles-mêmes. Si Rancher's Beef a un problème qu'il se débrouille et si Cargill a un problème qu'il se débrouille.

Le président: Qu'en est-il du pays d'origine?

M. A. Price: Ce n'est pas notre problème, c'est le leur. Nous pouvons parler ici du pays d'origine mais pour les décisions elles-mêmes, la discussion se passe dans l'autre Sénat, n'est-ce pas?

M. D. Price: Avec le pays d'origine, vous pouvez toujours contourner le problème du côté du service alimentaire.

M. A. Price: Les services alimentaires peuvent toujours acheter de la viande canadienne avec le pays d'origine.

M. D. Price: Cela donne un débouché aux transformateurs, aux transformateurs de produits spéciaux.

M. A. Price: Le problème pour les gros, c'est la question du pays d'origine. Ils font payer les réductions de prix aux producteurs. Un fabricant de produits spéciaux établit des relations avec MacDonalds qui, en vertu de la règle du pays d'origine, est tout à fait acceptable.

M. D. Price: Nous sommes le seul pays au monde qui dépend des transformateurs américains pour transformer ses produits. Il y a d'autres pays qui vendent des bovins d'engraissement mais nous dépendons de l'ouverture de cette frontière. C'est de plus en plus important. Nous ne pouvons pas l'entreposer; la frontière doit rester ouverte pour que le produit soit transformé. Dès que nous nous retrouvons dans une situation comme celle-ci, nous sommes coincés. Nous n'avons pas de possibilité de transformation.

Le président: Nous savons que le gros problème est le bétail de plus de 30 mois.

Le sénateur Fairbairn a parlé des tests, et cetera. Seriez-vous disposé à tester tout votre bétail pour l'ESB afin de pouvoir exporter au Japon, étant donné les conditions qu'imposent les Japonais pour les importations?

M. A. Price: Nous avons déjà discuté avec ce groupe de l'Ontario du boeuf au Japon parce que nous envoyons déjà du porc. Tout dépend du prix qu'ils seraient prêts à payer pour ce produit testé — est-ce que ce serait défendable dans la chaîne de valeur? Dans ce type d'usine, nous pourrions tester tout le boeuf. Nous ne serions pas forcés de le faire. Nous pourrions tester tout le boeuf que voudrait ce client.

La vice-présidente: Que leur en coûte-t-il? Qu'est-ce que cela représente par tête?

M. D. Price: C'est une décision économique mais il semble que nous pourrions faire ces tests à l'interne pour 30 $ la tête.

Le président: Et s'ils payaient 180 $?

M. D. Price: J'irai immédiatement. Le client a toujours raison. Même si, scientifiquement, cela ne se défend pas, le client a raison. Si je peux gagner 100 $ de plus par tête sur 1 000 têtes par jour, je le fais.

Le sénateur Mercer: Je suis un libéral de gauche de la côte est. Ce que vous faites me plaît. Je regardais votre site Internet à www.sunterramarket.com. Tout cela me plaît. Vous avez dit que vous aviez des résultats «décents». Quand j'entends un homme d'affaires me dire cela, je sais que ça veut dire que ça va bien, n'est-ce pas?

M. A. Price: Sur ce marché, cela veut dire que nous ne perdons pas autant d'argent.

Le sénateur Mercer: Comme je viens d'une région qui est dominée par une, deux ou trois grosses entreprises pour toute l'économie, je me pose une question. Au Nouveau-Brunswick, c'est Irving et McCain, en Nouvelle-Écosse c'est Sobey et Joudrey. Il s'agit d'entreprises familiales. Pourquoi Sobeys ne s'intéresse-t-il pas à ceux-ci? Ils ont beaucoup plus de détaillants que vous.

Deuxièmement, je m'inquiète de la capacité en ce qui concerne les bovins. On peut dire qu'il nous faut une capacité accrue. Là où n'avons pratiquement aucune capacité, c'est dans la région de l'Atlantique. Pensez-vous qu'un système semblable pourrait fonctionner sur un marché comme la région de l'Atlantique, si l'on regroupait les quatre provinces, pas plus dans une que dans l'autre?

M. A. Price: Je vais répondre à la première partie et je laisserai M. D. Price répondre à la seconde. Tout d'abord, c'est ce qu'a fait McCains. Elle a commencé par les pommes de terre et elle a évolué jusqu'à devenir l'entreprise qu'elle est maintenant à partir de sa puissance de production initiale. Le problème, dans ce cas-ci, c'est que l'économie de production se trouve dans l'Ouest. C'est là que se trouve l'avantage économique du point de vue de la production. Si vous procédez de la base vers le sommet, il faut commencer là où l'économie de production est la plus forte et se fonder sur cela.

Deuxièmement, j'ai deux observations sur le côté pratique d'un tel projet. Tout d'abord, j'estime qu'il y a deux types d'entreprises de transformation spécialisée. Le premier type est celui des entreprises suffisamment grandes pour servir les marchés internationaux, pour faire des tests internationaux et posséder une accréditation internationale. Viennent ensuite les entreprises spécialisées plus petites qui servent essentiellement le marché national. Il faudra des entreprises de la taille de celles dont parle Rancher's Beef pour servir les marchés internationaux. Je soupçonne que les Maritimes n'ont pas une économie de production suffisante pour soutenir des entreprises de taille à servir les marchés internationaux.

Le sénateur Mercer: Il serait peut-être plus logique d'ajouter le Québec dans ce groupe.

M. A. Price: Il faut qu'il y ait un regroupement de force de production.

Le président: Il faut en outre tenir compte des coûts de transport.

Le sénateur Mercer: Il faut déjà payer des coûts de transport pour amener les animaux à l'abattoir. Les bêtes doivent parfois être transportées sur de longue distance.

M. A. Price: Il est beaucoup moins coûteux de transporter la viande que les animaux vivants. Il y a peut-être là un avantage.

Pour être concurrentiels, nous devons transformer au moins 500 têtes de bétail pour compenser la valeur perdue à cause des morceaux qui ne se vendent plus. En ce qui a trait aux producteurs, si vous comparez avec tous les autres secteurs, que ce soit celui de la volaille, du porc ou du boeuf aux États-Unis, nos opérations sont de plus en plus intégrées du sommet vers la base ou de la base vers le sommet. Si nous voulons participer à cette industrie, nos opérations devront être également intégrées — sinon nous aurons bien des difficultés. Si nous intégrons nos opérations du sommet vers la base, notre situation sera meilleure qu'elle ne l'est maintenant.

M. A. Price: Cela entraîne l'autre option. Il sera toujours possible de travailler dans l'autre partie primaire de la chaîne de valeur.

M. A. Price: Dans ce genre d'entreprise, vous pouvez être avantagé parce que d'autres ne pourront pas en faire autant.

Le sénateur Mercer: Voici la dernière partie de ma question. Vous avez une entreprise complète. Vous travaillez tant à la production qu'à l'abattage et qu'à la vente au détail. Au cours des dernières semaines, parmi tous ceux qui ont comparu devant nous — en fait, vous êtes les seuls qui travaillez dans tous les aspects de ce domaine. J'ai posé à tous la même question: Où est allé l'argent que le gouvernement a investi, dans votre cas, le gouvernement fédéral et le gouvernement de l'Alberta?

Ce qui m'inquiète, c'est que les agriculteurs ne semblent pas recevoir autant d'argent que je le souhaiterais. Il semble que des sommes importantes disparaissent entre le gouvernement et l'agriculteur. Et en tant que consommateur, je ne paierai pas moins cher le steak que je vais acheter ce soir pour mon dîner. La crise qui sévit sur le marché n'entraînera pas une baisse des prix.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez, puisque vous travaillez dans différents aspects du secteur. Où l'argent va-t- il, à votre avis?

M. D. Price: Je vais parler de la production et je laisserai M. A. Price parler du reste. Si nous n'avions pas obtenu cet argent, l'industrie serait en faillite pour ce qui est de la production. L'argent a été distribué dans diverses directions, mais je ne peux imaginer dans quel état notre industrie serait si nous n'avions pas reçu cette aide.

Dans le cas de Sunterra, par exemple, nous n'utilisons que 100 têtes de bétail par semaine. C'est un élément très petit de notre entreprise, et nous le comprenons. Mais même si nous n'utilisons que 100 têtes de bétail par semaine de ce côté, notre production en nécessite plus de 8 000 par semaine.

M. A. Price: Notre entreprise fait plus d'élevage de bovins que de ventes, mais nous participons à tous les éléments du marché.

Je décrirais la situation de la façon suivante: dans notre marché, les prix sont fixés par les acheteurs et les vendeurs. Ils le sont toutefois par deux acheteurs pour 500 vendeurs. D'après notre expérience, le premier programme d'aide, qui a été offert au milieu de l'année dernière, a permis aux propriétaires d'animaux vivants de conserver la majeure partie de leur entreprise. Ils n'ont pas fait de profit; ils n'ont simplement pas perdu d'argent. Ce que dit M. D. Price, c'est que sans cette aide, ils auraient perdu des sommes énormes.

Ce qui s'est produit sur le marché, c'est que les acheteurs ont payé les animaux beaucoup moins cher. Les producteurs n'ont pas perdu d'argent parce qu'ils ont obtenu l'indemnisation. Les acheteurs ont pu acheter les animaux à un prix largement inférieur et ils les ont revendus dans un marché qui avait besoin de la marchandise. Nous avons surveillé le prix de gros. Il n'y a pas eu de réduction du prix de gros que paient les transformateurs pendant quatre mois.

Par la suite, le prix des animaux vivants a chuté et le gouvernement a compensé les producteurs de leurs pertes. Les marges bénéficiaires des transformateurs ont augmenté et le prix de gros n'a pas vraiment diminué pendant un certain temps. Il a diminué un peu par la suite, mais bien moins que le prix des animaux vivants.

D'après les renseignements que nous possédons, les coûts ont augmenté pour les transformateurs, mais cette augmentation était minime par rapport à l'augmentation de leur marge bénéficiaire.

M. D. Price: J'ajouterai à cela que si vous examinez la situation actuelle, il y a normalement une moins value de 7 cents canadiens pour les animaux vivants, ce qui correspond en gros au coût du fret pour leur transformation aux États-Unis. C'est simplement le coût du transport.

Quand la frontière est ouverte, je reçois des soumissions. Ces soumissions viennent généralement d'usines américaines de Washington ou de Greeley, au Colorado, ou encore de Brooks ou High River en Alberta. À cette époque de l'année, nous payons généralement les animaux vivants 7 cents de moins la livre que les usines américaines. Aujourd'hui, la moins value est de 35 cents.

Les États-Unis ont été les derniers à avoir un problème d'ESB, mais leur capacité de transformation est supérieure à leur approvisionnement. Comme je l'ai dit, nous n'aurions pas de difficulté à vendre le boeuf. Si nous avions la capacité nécessaire, nous pourrions compter sur 7 $, ce qui représente environ 250 $ de plus par tête de bétail qu'aujourd'hui.

M. A. Price: Précisons qu'il y a à l'heure actuelle une moins value supplémentaire de 250 $ par tête de bétail comparativement au revenu net sur le marché américain.

M. D. Price: Et nous n'avons rien vu encore, puisque nous sommes passés de 60 à 70 cents. La moins value a déjà été de 20 cents et elle est normalement de 7 cents. Nous commençons à peine à recevoir les bêtes. Lorsque l'offre augmente, rien n'empêche les prix de chuter puisque nous ne pouvons pas transporter les bêtes aux États-Unis.

M. A. Price: Pour illustrer cela, quelle est la marge bénéficiaire sur ces animaux?

M. D. Price: Je serais déjà heureux de réaliser un bénéfice de 2 cents la livre chaque année avec un contrat de cinq ans. Cela représenterait 30 $ par animal.

M. A. Price: Par conséquent, le bénéfice est de 2 cents la livre et la moins value inhabituelle sur le marché d'aujourd'hui est de 30 cents la livre.

Pour ce qui est de la structure des coûts différentiels, je ne crois pas que les transformateurs puissent ajouter des coûts différentiels qui puissent même de loin tenir compte de cette moins value.

Le sénateur Mercer: Cela me ramène aux conditionneurs, qui seraient les grands coupables dans tout cela.

M. A. Price: Les conditionneurs participent à un marché libre. Ils travaillent à pleine capacité et les vendeurs les fournissent. Ou bien il faut réglementer le marché, ou bien il faut qu'il y ait suffisamment de concurrence pour que le marché fonctionne de façon plus efficace. Ils fonctionnent à pleine capacité et les gens sont prêts à leur vendre à prix.

Le sénateur Hubley: La vulnérabilité des éleveurs à cause de la crise de l'ESB était probablement prévisible. Les éleveurs se sont probablement douté que cela se produirait à un moment donné. La solution à la crise, c'est Rancher's Beef. Autrement dit, les producteurs s'approprient l'industrie et la dirigent d'un bout à l'autre.

Croyez-vous que le modèle que vous avez adopté deviendra plus fréquent dans l'industrie? Cette orientation est-elle adoptée par un nombre plus grand de groupes d'éleveurs? Si c'est le cas, cela aura sûrement un effet sur le transport des bovins. Comme vous l'avez dit, si nous n'avions pas à transporter nos bêtes vivantes aux États-Unis pour les faire transformer, ce problème ne se serait probablement pas produit.

Quel est le prochain élément de vulnérabilité? Lorsque la frontière sera réouverte, si les bovins n'affluent pas vers les usines de transformation américaines, que pourraient faire les États-Unis ensuite?

M. D. Price: Je crois que nous devrons payer des droits compensateurs lorsque la frontière sera réouverte. Les Américains viennent déjà en Alberta acheter tous les bovins qu'ils peuvent et ils les placent dans des parcs d'engraissement. Ils achètent des bovins au Canada parce que la frontière sera réouverte, qu'ils manquent de bovins d'engraissements et parce qu'ils ont des capitaux. Ils ont fait de bonnes affaires et ils ont des capitaux.

Le sénateur Hubley: Lorsqu'ils achètent ces bêtes, utilisent-ils les parcs d'engraissement du Canada?

M. D. Price: J'engraisse des bovins pour eux. Nous signons avec eux des contrats sur mesure dans lesquels ils paient les aliments des animaux, les frais de main-d'oeuvre et le parcage.

M. A. Price: Ils sont obligés de le faire à l'heure actuelle puisque les animaux vivants ne peuvent pas être transportés aux États-Unis.

Le sénateur Hubley: Oui, mais ils doivent compter sur le fait que la frontière sera réouverte et qu'ils réaliseront de nouveau des bénéfices.

M. D. Price: Dès que la frontière sera réouverte au bétail vivant, il y aura un exode massif d'animaux sur pied.

Le sénateur Hubley: Des bêtes qui appartiennent déjà aux Américains dans bien des cas, n'est-ce pas?

M. D. Price: Oui, ou encore des bovins canadiens, des bovins gras ou des bovins d'engraissement appartenant à des Américains. Il y aura une file de camions à la frontière dès huit heures le matin. Les ranchers du Montana et de Washington verront ces camions de bovins vivants traverser la frontière et ils iront se plaindre à leurs politiciens que le marché est injuste.

Le président: Ils ont déjà commencé à le faire. On nous a dit la semaine dernière, au sénateur Gustafson et à moi- même, que c'est leur plus grande crainte. Nous avons ici un million de têtes de bétail; si la frontière est réouverte, comment pourront-ils éviter que leur marché soit inondé? Ils sont pétrifiés par la crainte.

M. D. Price: Ce que nous disions au départ, c'est qu'on aurait dû prévoir qu'il y aurait des problèmes de marché. Nous aurions dû prévoir ces problèmes, mais nous y sommes déjà confrontés.

M. A. Price: C'est un problème immédiat. Je sais que vous parliez du prochain problème à venir.

Il y a trois ans, nous avions déjà parlé de cette situation. Nous avons rencontré d'autres producteurs et nous avons discuté des solutions à ce problème. La seule solution que nous avons trouvée était que nous devions participer au marché de la transformation, mais que les économies ne pourraient pas fonctionner compte tenu des avantages de nos concurrents. C'est intéressant. Nous n'avons pas réussi à produire une stratégie pour nos contrats ou une stratégie de couverture du risque. Nous ne pouvions pas couvrir le risque, le compenser ou le traiter à contrat. Nous ne pouvions rien faire parce que les bêtes ne nous appartenaient pas. Nous n'arrivions même pas à gérer nos propres bêtes.

Si le gouvernement est obligé de soutenir l'industrie, c'est que celle-ci ne pouvait rien faire pour régler le problème. Elle en était empêchée par la façon dont le marché est structuré et dont les entreprises sont structurées. C'était un problème de commerce.

Dans un avenir immédiat, il y aura ce problème d'exportation massive. Quand la frontière sera réouverte, tous les camions transporteront des animaux. La seule limite à cette exportation sera le nombre de camions. Ce sera un problème immédiat.

À plus long terme, les organismes de réglementation et les consommateurs se préoccupent de plus en plus de santé. Ce souci augmente en raison de la capacité scientifique d'effectuer des tests et de détecter les risques pour la santé. La liste des problèmes qui pourraient compromettre le commerce ne fait qu'augmenter.

Quand l'Europe a été frappée par l'ESB, le groupe Sunterra Farms savait qu'il y avait de bonnes chances que nous soyons frappés également. Il suffit qu'un seul animal soit malade.

Le président: Vous saviez avec quoi vous nourrissiez vos animaux.

M. A. Price: Nous savions que nous n'étions pas exposés à la maladie, mais voyez ce qui s'est produit néanmoins.

Il n'est pas logique de structurer une industrie en fonction d'un risque croissant semblable. Nous devrions structurer l'industrie en fonction de notre capacité de gérer un risque croissant ou alors imposer des quotas. C'est un choix à faire.

Si on décide d'imposer des quotas, il faudra tuer la moitié du bétail, vendre les quotas, les donner à des gens et gérer le volume de production. Si on conserve un marché libre, il faut s'assurer que ce marché peut gérer les divers risques qui peuvent se poser.

Le sénateur Hubley: Il y aura probablement plus d'entreprises sur le modèle de Rancher's Beef.

M. A. Price: C'est exact. Toutefois, Rancher's est de taille à influencer le marché. Jusqu'à la moitié du marché est retirée du marché. C'est une structure d'entreprise qui créera un paradigme différent puisque les autres entreprises ne nous livreront pas concurrence tant au niveau des produits qu'à celui de l'approvisionnement.

Une fois que Rancher's est en place et qu'elle produit, elle a le même accès que les autres entreprises aux marchés normaux des capitaux. Le marché commencera à évoluer. D'autres feront la même chose, et il y aura des entreprises spécialisées plus petites. Le problème dans le secteur du boeuf a toujours été qu'une partie de la carcasse n'est pas de la viande. Il est difficile d'appliquer ce modèle à petite échelle parce qu'une grande partie de la carcasse n'est pas de la viande.

M. D. Price: Pour les producteurs, l'autre grand problème de ce modèle est d'investir dans une telle entreprise, vu les pertes de capitaux.

M. A. Price: Bon nombre de gens en parlent et disent qu'ils investiront 5 000 $. Je soumets respectueusement qu'ils n'iront pas loin avec un tel investissement. Il faut des sommes beaucoup plus importantes. Certains essaieront de réunir les investissements nécessaires. J'espère qu'ils seront nombreux à y réussir.

M. D. Price: J'ai assisté à des réunions partout en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan. Personne n'a dit que c'était une mauvaise idée. Par contre, beaucoup de gens m'ont souhaité bonne chance et m'ont dit ne pas avoir l'argent nécessaire pour cela.

Le président: Nous savons que de nombreux agriculteurs sont dans une situation financière difficile.

Je vais malheureusement devoir clore cette séance puisque notre greffière me dit que nous avons déjà pris plus de temps que prévu.

Nous aurions toutefois pu continuer encore longtemps. Vos témoignages sont importants pour deux raisons. Premièrement, ils portent directement sur le dossier que nous traitons dans le contexte de l'ESB. Mais plus encore, ils s'appliquent également à une étude que nous faisons sur la valeur ajoutée et sur les moyens pour que les agriculteurs obtiennent une plus grande partie des revenus. Votre projet de Rancher's Beef est entre autres un excellent exemple.

J'espère que nous pourrons vous parler de nouveau dans le cadre de notre deuxième étude sur la valeur ajoutée. Les autres sénateurs et moi avons encore un grand nombre de questions à ce sujet. J'espère que vous serez d'accord pour que nous vous invitions à nouveau.

J'ai une dernière question avant de conclure. Je suis un nationaliste canadien et j'aime que les produits soient marqués du sceau du Canada. On parle du sirop d'érable, du fromage, du vin, des pommes de terre et d'autres produits canadiens. C'est un gage de qualité. Quand nous étions aux États-Unis, on nous a dit que le boeuf canadien était excellent, qu'il était de catégorie triple «A». C'est un excellent produit. Vous nous dites pourtant que nous devons cesser de marquer les produits canadiens et de leur apposer plutôt l'étiquette de boeuf d'élevage ou une autre étiquette.

Pour conclure, pourriez-vous me répéter pourquoi nous ne devrions pas faire la promotion de ce que notre excellent boeuf est produit au Canada? Est-ce seulement à cause de la crise de l'ESB? N'y a-t-il pas d'autres moyens de demeurer nationalistes tout en faisant la promotion de nos excellents produits?

M. A. Price: Nous pouvons indiquer que le boeuf Rancher est produit au Canada. C'est d'ailleurs ce que nous faisons. Dans notre publicité, nous disons que les produits de Sunterra Ranch ou de Sunterra Pork sont des produits canadiens. Ce que nous vendons, ce n'est pas le Canada, c'est le produit de Sunterra du Canada.

M. D. Price: Dans le secteur du boeuf, bon nombre de consommateurs se méfient du boeuf canadien car ils disent que c'est d'ici que vient l'ESB.

Le président: Il y a une différence subtile. Et cela fonctionne?

M. A. Price: Nous arrivons facilement à commercialiser des produits canadiens lorsqu'ils ont une qualité particulière. C'est moins facile si ces produits ne sont que canadiens.

M. D. Price: Au Japon, par exemple, nos produits sont marqués d'un drapeau canadien et portent la marque Sunterra. Lorsqu'un client paie à la caisse, c'est le produit d'une entreprise familiale qu'il achète. Le produit est canadien, mais il vient d'une entreprise familiale.

M. A. Price: En vendant simplement la marque du Canada, vous vous exposez aux risques qui prévalent. En créant sa propre marque et en indiquant que vous venez du Canada, vous obtenez tous les avantages. Vous devez obtenir les avantages car vous ne pouvez pas assumer les problèmes.

Le président: La différence est subtile mais très importante. Tout cela est fascinant. Merci beaucoup à tous les deux.

La séance est levée.


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