Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 1 - Témoignages du 26 février 2004
OTTAWA, le jeudi 26 février 2004
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-13, modifiant le Code criminel (fraude sur les marchés financiers et obtention d'éléments de preuve), se réunit aujourd'hui à 11 h 05 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Nous poursuivrons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-13, modifiant le Code criminel (fraude sur les marchés financiers et obtention d'éléments de preuve).
Nous recevons aujourd'hui M. William Trudell, président du Conseil canadien des avocats de la défense, et M. Michael Lomer, trésorier de la Criminal Lawyers' Association of Ontario.
Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue.
M. William Trudell, président, Conseil canadien des avocats de la défense: Monsieur le président et honorables sénateurs, au nom du Conseil canadien des avocats de la défense, qui regroupe des représentants de toutes les régions du pays, c'est un honneur et un plaisir pour moi d'être ici pour vous entretenir de ce projet de loi très important. Le projet de loi C-45, portant sur la responsabilité pénale des organisations, qui a été adopté récemment, lui est presque complémentaire. Nous avons déploré le fait qu'il y ait eu peu de consultations sur ce projet de loi, mais nous sommes ravis qu'on nous demande de comparaître ici et, peut-être, de vous aider à examiner le projet de loi qui est devant vous.
Le Conseil canadien est d'avis que ce projet de loi n'est pas nécessaire, ce que vous ne serez sans doute pas étonnés d'apprendre. Or, puisqu'il est maintenant devant le Sénat, je ne vais pas plaider en faveur de son rejet, mais je ferai valoir que certaines dispositions devraient être examinées. Toutefois, en suivant le cours de ce projet de loi et les amendements que le gouvernement y a apportés, nous constatons qu'il s'agit d'une réponse aux fraudes sur les marchés financiers commises aux États-Unis, ce que dit d'ailleurs le gouvernement dans son document d'information. Ce n'est pas un secret. Nous soutenons respectueusement qu'il s'agit d'une réponse canadienne à un problème américain, et plus particulièrement à la loi Sarbanes-Oxley. S'il doit n'y avoir qu'un seul contrôle des valeurs mobilières au Canada, nous croyons que les organismes de réglementation provinciaux peuvent couvrir et couvrent effectivement les délits d'initié et certaines dispositions de ce projet de loi et que ces autorités ont la compétence voulue en matière de poursuite.
Nous disons que les dispositions actuelles couvrent déjà cette question — bien qu'il soit surprenant qu'un criminaliste comme moi dise que nous ne voulons plus de travail. Mon ami, M. Lomer, vous parlera de la participation du gouvernement fédéral dans des poursuites de nature criminelle par opposition à la surveillance de la législation pénale. Nous sommes d'avis — et je regrette que M. Atkinson ne puisse être ici aujourd'hui — que les organismes de réglementation provinciaux couvrent les délits d'initié et que ce projet de loi n'est pas nécessaire. Avec égards, nous soutenons qu'il s'agit d'une réaction optique à ce qui semble se produire partout dans le monde relativement à la gouvernance d'entreprise.
Cela dit, le projet de loi en soi est très vague — et nous parlerons peut-être de certaines dispositions. Par exemple, l'expression «valeurs mobilières» n'est pas définie, ce qui diffère du Règlement sur les valeurs mobilières. Les dispositions portant sur la «dénonciation», à défaut d'un meilleur terme, nous préoccupent beaucoup. Pour la première fois, cette situation est criminalisée, ce qui est assez particulier, et nous vous demandons de vous pencher sérieusement sur cet aspect parce qu'on ne prévoit pas les mêmes protections que dans la loi Sarbanes-Oxley. Par exemple, l'information du plaignant n'a pas besoin d'être vraie, ni fiable. Il ne s'agit que d'information. Nous espérons que vous examinerez cet aspect.
L'imprécision de certains termes utilisés dans le projet de loi nous préoccupe beaucoup, de même que certains articles. Dans son document de travail, le gouvernement dit que ce type de législation ne servirait peut-être que dans des cas inhabituels, lorsque l'infraction présumée peut nuire à la stabilité de l'économie canadienne. Il est possible que de distingués représentants du gouvernement vous aient dit hier que ces dispositions ne seraient invoquées que dans des circonstances exceptionnelles, mais j'aimerais souligner que nuire à l'économie canadienne est l'un des facteurs énumérés à l'article 380.1, c'est-à-dire une circonstance aggravante. Par conséquent, ces dispositions ne seront pas utilisées uniquement pour ces présumées infractions inhabituelles qui touchent l'économie et le marché canadien. En toute déférence, nous soutenons qu'une fois adoptées, ces dispositions seront utilisées presque exclusivement, contrairement aux poursuites provinciales qui couvrent déjà cette question.
J'aimerais dire, très sincèrement, que ce projet de loi n'est pas nécessaire. S'il n'était pas adopté, que resterait-il dans ce pays? Il resterait les organismes de réglementation provinciaux qui ont déjà le pouvoir d'intenter des poursuites en vertu des lois et des règlements provinciaux. À mon avis, et je le dis avec respect, il s'agit d'un projet de loi qui n'est pas nécessaire et qui porte atteinte à la vie privée.
Avant de céder la place à mon ami, M. Lomer, j'aimerais faire valoir un dernier point: ce projet de loi est très troublant puisqu'il établit qu'il y a une circonstance aggravante lorsqu'une personne ayant une certaine stature ou une bonne réputation dans la collectivité utilise cette réputation pour commettre une fraude. En d'autres termes, une personne ne peut plus invoquer sa réputation au sein d'une collectivité pour débattre de la peine qu'elle doit recevoir pour une infraction commise.
Nous soutenons respectueusement que cette disposition vise une certaine catégorie de personnes. Lorsqu'une personne est reconnue coupable de fraude, le fait qu'elle tienne une place importante dans une collectivité est un facteur neutre; elle sera poursuivie, et les tribunaux diront immanquablement «Vous êtes dans une position de confiance». Toutefois, je soutiens respectueusement qu'il est injuste, non approprié et inusité de cibler une certaine personne ou catégorie de personnes. Qui d'autre qu'une personne ayant acquis une certaine réputation au sein d'une collectivité peut faire le commerce de valeurs mobilières? Ce projet de loi est trop large et trop vague.
Je vous remercie beaucoup. Je tenterai de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser un peu plus tard.
M. Michael Lomer, trésorier, Criminal Lawyer's Association of Ontario: Au nom de la Criminal Lawyer's Association of Ontario, je vous remercie de m'avoir invité, mais je dois admettre qu'il est un peu étrange de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, puisque nous comparaissons habituellement devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Quoi qu'il en soit, je comprends qu'un projet de loi modifiant le Code criminel a été renvoyé à votre comité.
Ce dont j'aimerais parler de façon générale porte sur ce que nous pourrions appeler la division entre le moment où l'État peut intervenir dans les affaires privées d'une personne et le moment où il ne le peut pas. La Cour suprême a déjà tranché cette question dans l'affaire Hunter c. Southam et a statué qu'il devait y avoir certaines conditions préalables avant que l'État ne puisse intervenir dans les affaires privées des personnes qui vivent au Canada.
Cette décision transpire dans les lois que nous avons aujourd'hui. Par exemple, le pouvoir concernant le mandat général de perquisition, qui est le pouvoir de la clause «omnibus» pour les mandats de perquisition, est prévu à l'article 478.01, qui se trouve dans la même partie du Code criminel que les dispositions ou quelques-unes des dispositions que vous étudiez aujourd'hui. Cet article définit les conditions dans lesquelles nous autorisons l'État à intervenir en exécutant des mandats de perquisition auprès de tiers ou de personnes et à obtenir du matériel lié à des infractions criminelles. Cet article établit clairement les conditions nécessaires.
La première condition exigée à l'article 487.01 est la suivante: si un juge — et je dis bien un juge — est convaincu, à la suite d'une dénonciation par écrit faite sous serment, qu'il existe des motifs raisonnables de croire... On ne parle pas de soupçon ici. Un soupçon raisonnable ne correspond pas à des motifs raisonnables de croire. Un soupçon reste un soupçon. L'expression «motifs de croire» signifie qu'il existe une information factuelle. J'insiste sur cet aspect, parce que le projet de loi à l'étude parle de soupçon. Je suis d'avis — et je suis ravi de vous en faire part —, que vous devrez nuancer cette clause, car je ne crois pas qu'elle satisfasse au critère constitutionnel. La Cour suprême a établi les règles de base. Ces règles sont en place depuis 25 ans et prévoient des motifs raisonnables de croire, et non des soupçons. Le soupçon crée un État qui donne trop de pouvoir à la police et ne protège pas assez les libertés civiles et le droit d'une personne de ne pas être assujettie au pouvoir de l'État.
L'autre élément qu'on retrouve dans la jurisprudence et qui est repris dans cette disposition sur le mandat général, c'est qu'il doit y avoir eu infraction à une loi fédérale ou autre, ce qui a du sens. On ne peut mener une enquête si on ne connaît pas l'objet de cette enquête, et il faut savoir que l'information concernant l'infraction sera obtenue par le recours à la technique ou l'exécution d'un mandat de perquisition. Il s'agit de l'information concernant l'infraction. Le projet de loi à l'étude parle de renseignements qui seront utiles à l'enquête policière, ce qui nous ramène à l'imprécision dont faisait mention M. Trudell. Or, il ne faut pas rester dans le vague sur cette question. Vous pouvez utiliser les lois déjà en vigueur et tenir le même langage. Il n'est pas nécessaire de créer un vocabulaire nouveau et plus vague dans l'espoir de donner à la police un pouvoir dont elle n'a pas besoin.
Les forces policières connaissent les limites applicables aux mandats de perquisition et à pareilles activités. À mon avis, l'article 487.12 prévoit plus ou moins un autre pouvoir en matière de mandat de perquisition. Cet article est étrange, puisque non seulement il permet à la police d'exécuter un mandat de perquisition, mais il ordonne aussi aux personnes visées par le mandat de préparer le matériel. Quoi qu'il en soit, je peux comprendre comment cela peut se produire, avec les systèmes informatiques complexes d'aujourd'hui.
Je soutiens toutefois que les pouvoirs actuellement à l'étude doivent être définis de la même façon que les pouvoirs en matière de mandat général prévus à l'article 487.01. Ce ne doit pas être différent.
Les conditions minimales permettant l'intervention de l'État ne doivent pas être différentes de celles invoquées dans l'arrêt Hunter c. Southam et celles prévues par l'article sur le mandat général.
Je suis d'avis que votre comité doit examiner attentivement les articles du projet de loi où les mots soupçonner et croire sont utilisés. Il s'agit des articles 487.0121(3)a) et 487.012(4) qui portent sur les ordonnances de communication. Je soulignerai également que l'utilisation, par l'État, de mesures semblables portant atteinte à la vie privée, comme l'écoute électronique, nécessite des preuves d'infraction. En d'autres termes, on ne peut effectuer une écoute électronique si cette mesure ne donne aucune preuve de l'infraction, ou on ne peut exécuter un mandat de perquisition à moins d'obtenir «des renseignements relatifs à l'infraction», pour citer l'article pertinent. Dans le projet de loi à l'étude, on parle de renseignements qui «seront utiles à l'enquête». À mon avis, on est beaucoup trop vague, et ce n'est pas nécessaire.
Il s'agit d'une question importante. Nous soutenons qu'il n'est pas justifié d'avoir des normes différentes qui peuvent ou non satisfaire au critère constitutionnel dans des situations où cette question a déjà été tranchée. Nous avons une norme, qui a été fixée par la Cour suprême. Cette norme a ensuite été reprise dans la législation. Pourquoi nous en écarter avec ce projet de loi et dire maintenant qu'il suffit d'un soupçon et qu'on est autorisé à chercher toute chose pouvant être utile à une enquête?
Je demande au comité de se pencher sérieusement sur cette question et, au besoin, de demander aux représentants du ministère de la Justice pourquoi on s'éloigne ici de toutes les autres dispositions sur les mandats de perquisition. Ne vous leurrez pas; il s'agit bien d'une disposition visant les mandats de perquisition, rien de moins. Elle exige, sous peine d'amende ou d'emprisonnement, que la personne faisant l'objet de la perquisition s'y conforme et fasse certaines choses. Il s'agit bel et bien d'une intervention de l'État.
J'aimerais faire une observation sur notre histoire. En 1867, lorsque les Pères de la Confédération ont décidé de la répartition des pouvoirs, ils ont donné au gouvernement fédéral la compétence en matière de droit criminel. Les provinces se sont vu confier l'administration de la justice pénale. Tout allait très bien jusqu'à ce que nous connaissions ce problème de stupéfiants, problème qui remonte, j'oserais dire, probablement aux années 20 et 30. Lorsque ce problème est apparu, le gouvernement fédéral a pris en main la poursuite relativement aux infractions impliquant des stupéfiants. Si vous regardez le projet de loi que vous avez devant vous, vous verrez que le gouvernement fédéral s'est arrogé le pouvoir de partager la responsabilité de la poursuite, en ce sens qu'il peut intervenir en tout temps pour intenter des poursuites en vertu du projet de loi concernant la fraude sur les marchés financiers que vous avez devant vous.
À mon avis, il n'aurait jamais dû en être ainsi. Le fait de garder une distance entre le décideur et le poursuivant a toujours été le meilleur compromis. Tous deux ont pu donner ce que le Sénat donne à la législation en général, c'est-à- dire un second examen objectif.
Depuis que le ministère de la Justice se charge des poursuites en matière de stupéfiants et qu'il s'intéresse aux crimes de guerre et autres, le gouvernement fédéral a tendance à s'arroger les pouvoirs de poursuite prévus dans le Code criminel. En fait, il aurait mieux fallu qu'il prenne des distances, qu'il décide des politiques et qu'il permette aux provinces de s'occuper des poursuites, comme pour l'administration de la justice pénale.
Je suis d'accord avec M. Trudell d'une certaine façon. À mon avis, le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer sur cette question. Toutefois, je demanderais — et c'est un peu comme se battre contre des moulins à vent — que la fonction de poursuite ne relève pas du gouvernement fédéral, puisqu'il serait alors trop près des poursuites judiciaires et ne pourrait prendre de recul.
Le projet de loi à l'étude comporte un certain nombre d'éléments que je vous demanderais de considérer. Toutefois, je sais que les membres du comité vont poser des questions parce que j'ai parlé au greffier de certains aspects du projet de loi. Je vous redonne donc la parole, monsieur le président.
Le président: Permettez-moi de profiter quelques instants de la prérogative de la présidence et de revenir sur certaines choses qui se sont produites hier. Vous pourrez ainsi faire un lien avec certains des témoignages que nous avons alors entendus.
Concernant le dernier point que vous avez soulevé, à propos de l'intrusion ou de l'ingérence en matière de poursuite du ministère fédéral de la Justice dans les domaines de compétence provinciale, nous avons beaucoup parlé de ce sujet hier avec les représentants du ministère de la Justice. Mes collègues pourront me corriger si je fais erreur, mais je vais résumer l'impression qui m'en est restée pour que vous sachiez où nous en sommes.
Il est vrai qu'aujourd'hui, dans le contexte du commerce et les autres activités qui peuvent être visées par le projet de loi à l'étude, il semble qu'on ait besoin d'une autorité nationale plus vaste. Cela dit, les porte-parole entendus hier ont fait clairement savoir qu'il ne s'agissait pas, à leurs yeux, d'une intrusion fréquente ou agressive dans les affaires provinciales. Ils ont souligné, d'abord, qu'ils étaient conscients de la problématique et qu'ils avaient l'intention de consulter soigneusement et régulièrement les autorités provinciales en reconnaissant, pour la plupart, qu'elles continuaient d'être les mieux placées pour intenter les poursuites, ce qui concorde, je crois, avec votre opinion.
Je n'ai pas eu l'impression — et ceci est ma propre interprétation — qu'ils font autre chose que réagir à ce qui est perçu comme une nécessité dans le monde dans lequel nous vivons. Toutefois, on n'a pas eu le sentiment qu'il s'agissait d'une mainmise sur la fonction de poursuite par le gouvernement fédéral. C'est la position qu'ils ont fait valoir, et ils ont fait preuve d'une grande sensibilité à cet égard.
En ce qui a trait aux ordonnances de communication ou aux mandats de perquisition, nous avons longuement discuté de ce sujet. J'inviterais mes collègues qui ont abordé cette question à prendre la parole. De l'avis des intervenants d'hier, il s'agit d'un pouvoir limité. Ils ont parlé uniquement de ce qui existe maintenant et non de ce qui pourrait être dans l'avenir. Ce que l'on cherche à savoir est essentiellement ceci: avez-vous un compte de banque et quel est le numéro de ce compte? La portée semble très limitée.
J'encourage les sénateurs qui ont participé à cette discussion à intervenir ici. Je sais que le sénateur Baker y a participé. En fait, c'est lui qui a lancé le débat. Je ne sais pas dans quelle mesure il était satisfait lorsque nous y avons mis fin.
Le sénateur Baker: Je n'étais pas très satisfait, vous avez entièrement raison. Je vais examiner ce que le ministère a dit après, car ça me semblait présenter une certaine logique.
Le président: Je vous encourage à le faire. Je voulais aborder cette question pour que vous ne pensiez pas que nous allions laisser les témoins partir sans en discuter.
Le sénateur Prud'homme: En tant que porte-parole du Conseil canadien des avocats de la défense, considérez-vous ce projet de loi comme une mesure importante du droit criminel?
M. Trudell: Très certainement.
Le sénateur Prud'homme: Je vais vous poser une deuxième question. Je ne veux pas prendre beaucoup de temps.
Vous dites dans votre document, que j'ai lu très attentivement, que depuis sa création en 1992, votre organisme était intervenu auprès de la Cour suprême du Canada et qu'il avait été invité par le gouvernement fédéral à donner son avis sur chaque mesure législative importante en droit criminel.
Avez-vous eu l'occasion de participer à votre entière satisfaction à la réalisation de cet important projet de loi qui relève du droit criminel?
M. Trudell: Non, à mon grand regret. J'ai indiqué dans mes remarques préliminaires que nous avions été invités à témoigner devant le comité de la Chambre au sujet du projet de loi sur la mine Westray, qui a débouché sur le projet de loi C-45. Je peux aussi parler au nom de la sous-section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien. Nous attendions tous d'être consultés au sujet des projets de loi C-45 et C-46. La consultation a été vraiment modeste, jusqu'à aujourd'hui, et c'est pourquoi nous sommes heureux d'être ici.
Le sénateur Massicotte: J'aimerais adopter un angle conceptuel. Monsieur Trudell, dans vos remarques préliminaires, vous avez dit que vous n'étiez pas certain que notre société avait besoin de cette disposition législative. J'aimerais discuter de votre perception du terme «besoin». De toute évidence, le débat porte sur l'équilibre à atteindre entre le besoin de veiller à ce que la situation soit juste et celui de protéger les libertés fondamentales. Pourriez-vous nous dire quel sens vous donnez au mot «besoin»? Vous avez dit que la solution serait d'avoir une seule commission des valeurs mobilières. Votre opinion changerait-elle si c'était irréalisable, comme ce pourrait bien être le cas?
M. Trudell: J'ai deux commentaires à faire à ce sujet. Quand ce projet de loi a vu le jour, le gouvernement a dit qu'il faisait suite aux affaires comme celle d'Enron — c'était clairement une réaction à ce qui se passait aux États-Unis. Ensuite, le gouvernement a dit qu'il devait protéger le marché mondial sur lequel le Canada est actif.
Il est évident que le projet de loi ne faisait pas suite à un événement qui s'était produit au Canada. À tous les jours, les journaux font état de poursuites énergiques lancées par des organismes qui réglementent le secteur des valeurs mobilières au pays.
C'était une réaction à ce que l'administration Bush a fait aux États-Unis, et le gouvernement l'a clairement indiqué. Sans vouloir offenser qui que ce soit, ce que le gouvernement vous a dit hier nous inquiète. Il a dit qu'il n'allait employer cet instrument que dans des circonstances limitées. Mais une fois la loi adoptée, il sera difficile d'en limiter l'application. Quand le gouvernement a déposé les projets de loi C-45 et C-46, il a aussi dit qu'il investirait beaucoup d'argent dans des fonctions précises, qu'il allait affecter des enquêteurs de la GRC et des procureurs aux cas de fraude sur les marchés financiers.
C'est là une irruption et un empiétement de taille de la part du gouvernement fédéral sur les marchés financiers. Je ne l'ai pas expliqué très clairement au début, mais si vous examinez la disposition de l'article 380.1 qui traite de la détermination de la peine, on peut lire, pour ce qui est des circonstances aggravantes:
a) la fraude commise a une valeur supérieure à un million de dollars.
Comme M. Lomer me l'a dit ce matin dans l'avion, un million de dollars sur les marchés financiers, c'est une goutte d'eau dans l'océan.
Le texte du projet de loi continue ainsi:
b) l'infraction a nui — ou pouvait nuire — à la stabilité de l'économie canadienne [...]
On a inclus cela comme un facteur parmi d'autres à prendre en considération lors de la détermination de la peine. Par conséquent, nous ne parlons pas seulement de ce type de poursuites.
Voyez le troisième paragraphe:
c) l'infraction a causé des dommages à un nombre élevé de victimes.
Qu'est-ce que cela signifie dans le contexte des fraudes sur les marchés financiers?
Ensuite:
d) le délinquant a indûment tiré parti de la réputation d'intégrité dont il jouissait dans la collectivité.
Si vous conjuguez cela avec la protection des dénonciateurs — il n'est pas nécessaire que le dénonciateur soit crédible; ce pourrait être simplement un blagueur — ce projet de loi constitue un empiétement sur le plan pénal. Le gouvernement vous a déclaré hier qu'il n'avait l'intention d'utiliser cette mesure que dans des circonstances restreintes; j'espère qu'il n'y aura pas d'autres audiences dans un an ou deux où il ajoutera «oui, mais...». C'est ce qui est arrivé avec le projet de loi C-36 sur la lutte au terrorisme. Voyez maintenant comment la loi est appliquée.
Le gouvernement est peut-être bien intentionné quand il dit qu'il s'agit d'une réaction aux scandales américains. Il ne dit pas que nous avons un problème particulier au Canada. À mon humble avis, le Code criminel fournit les outils pour lutter contre la fraude et la manipulation des opérations boursières. Pourquoi avons-nous besoin de ce projet de loi?
Si les gens commettent des actes frauduleux, ils seront poursuivis, qu'il s'agisse de négociateurs ou de sociétés. Très certainement, les organismes de réglementation du marché des valeurs mobilières de ce pays intentent des poursuites énergiques. Je crois qu'il a été difficile, pour l'industrie des valeurs mobilières, de décider s'il y aurait ou non un seul organisme de réglementation, mais il y a au Canada des groupes de travail sur les transactions d'initié. Nous n'avons pas besoin de ce projet de loi. Si vous le retirez, si vous dites: «Désolés, nous ne continuons pas parce qu'il est trop vague», les poursuites ne cesseront pas. Dans les journaux financiers de demain, nous lirons que telle autre entreprise est poursuivie, qu'il y a d'autres poursuites pour transactions d'initié, ou d'autres négociateurs qui sont poursuivis au pays. Il y en a tous les jours. Pourquoi avons-nous besoin de cela?
Le sénateur Massicotte: Je regarde probablement la situation par l'autre bout de la lorgnette, car je suis un homme d'affaires. Je vois encore trop souvent des gens qui essaient de transmettre des renseignements confidentiels, ce qui, sans ce projet de loi, ne constitue même pas une infraction pénale. Si vous examinez le rapport du comité, la solution proposée est d'avoir une seule commission, mais on peut aussi y lire que ce genre d'activités pose un problème sur les marchés financiers.
Ma perspective est peut-être différente de la vôtre. Je pensais qu'il y avait urgence. Je crois qu'il est important, pour assurer la crédibilité des marchés financiers, de nous montrer fermes. Je ne suis pas convaincu que le statu quo soit acceptable. Peut-être la solution est-elle différente.
M. Trudell: Si vous décidez que le statu quo n'est pas acceptable et que cette mesure pourrait être la bonne, alors nous devons passer à l'étape suivante. Jusqu'où ce projet de loi va-t-il? Est-il trop vague?
Ce document vous apprend-il ce qu'est une «valeur mobilière»? Non. Le terme n'est pas défini. Vous apprend-il ce qu'est une «position d'initié»? Ce n'est pas défini. Il faut consulter les lois sur les valeurs mobilières pour en savoir plus.
Que signifie le mot «indiquées», dans l'expression «que le juge de paix ou le juge estime indiquées»?
Si nous avons l'intention d'introduire des poursuites pénales sur le terrain des marchés financiers, et de créer et de financer des organismes pour le faire, alors les lois pénales doivent être formulées avec rigueur. C'est mon humble avis. Je pense que les transactions d'initié et les fraudes sur les marchés financiers représentent un problème. Je pense qu'on lutte déjà contre ce problème en intentant des poursuites énergiques. Mais si le gouvernement estime qu'il y a des cas où l'économie canadienne est à ce point vulnérable qu'il doit intervenir, et si ce projet de loi permet cette intervention, alors il faut le dire.
Cette mesure est très interventionniste. L'ordonnance de communication est très interventionniste. Il y est question d'agir sur de simples soupçons, comme mon ami M. Lomer l'a dit, ce qui ne se fait pas maintenant, puis il y est question de ce que le gouvernement appelle des protections, par exemple, pour les tiers à qui on a demandé de communiquer des renseignements. Puis, l'article 487.016 prévoit la protection contre les documents incriminants. Ces documents, ou toute déclaration de la part des dénonciateurs, ne peuvent pas être utilisés contre eux. Il n'y a pas de protection contre les usages connexes. En d'autres mots, seule la protection contre l'usage de la preuve existe.
Par exemple, en réponse à une demande en vertu d'un traité d'entraide juridique — c'est-à-dire en application d'une loi sur les valeurs mobilières —, si quelqu'un se manifeste, il n'obtient pas seulement l'immunité contre l'usage de la preuve, mais aussi l'immunité contre les usages connexes. Ce n'est pas dans ce projet de loi. Vous pouvez agir à partir de soupçons; vous pouvez forcer un tiers à communiquer des documents et vous ne lui conférez que l'immunité contre les usages connexes?
Ce projet de loi soulève de graves problèmes. Quelqu'un a dit qu'on n'allait demander que des numéros de comptes bancaires. Bien humblement, on ne demandera pas que cela. C'est de la GRC qu'il s'agit, et certaines de ses unités dépisteront les cas de transactions d'initié et de fraude sur les marchés financiers. Elles ne se limiteront pas aux numéros de comptes bancaires. Ce projet de loi ne vise pas que les banques. Les ordonnances de communication dont il est question dans le document d'information du gouvernement visent des banques étrangères, des coopératives de crédit, des caisses populaires, des compagnies d'assurance-vie, des compagnies de fiducie et de prêts, des courtiers en valeurs mobilières, des conseillers en placements, des courtiers en devises et des casinos — où se tiennent tous les négociateurs, je présume. La définition est très large.
Quand le gouvernement dit qu'il a l'intention de n'utiliser cette loi que pour entamer des poursuites dans les cas d'infractions graves, car les organismes provinciaux de réglementation peuvent faire le reste, à mon humble avis, ça ne se passera pas ainsi.
Le président: Selon nos notes, vous faites partie du Conseil canadien des avocats de la défense. Vos commentaires rendent-ils compte des conclusions d'un comité ou sont-ils faits à titre personnel?
M. Lomer: Le Conseil canadien des avocats de la défense représente des avocats de tout le pays. Là où il existe un organisme provincial, un organisme dynamique et respecté comme la Criminal Lawyers' Association, en Ontario, un représentant de cet organisme siège au conseil. S'il n'y a pas d'organisme, au Nunavut par exemple, nous avons des représentants de tout le pays. Quand le gouvernement nous consulte, c'est pour obtenir un point de vue pancanadien. Je ne parle pas au nom de chaque avocat de la défense du pays, mais nous représentons le pays dans une perspective nationale.
Le président: En tant qu'organisme, avez-vous étudié ce projet de loi?
M. Trudell: De notre mieux, mais je dois revenir à mes commentaires précédents. Nous n'avons pas pu examiner ce projet de loi à fond, et nous n'avons pas été consultés. Nous avons offert de donner notre avis aux premières étapes, à propos de la responsabilité criminelle des sociétés, mais nous n'avons pas été consultés.
Le sénateur Angus: J'aimerais remercier les témoins d'être venus ce matin. De toute évidence, vous raffolez de ce projet de loi! Je présume, monsieur le président, que nous touchons au cœur de la question.
Vous ne connaissez peut-être pas tout le contexte, mais vous répétez qu'il s'agit d'une réaction à l'affaire Enron et à d'autres affaires semblables. C'est beaucoup plus complexe que cela. En fait, ce projet de loi a été déposé à la Chambre des Communes le jour même — ou les jours précédents ou suivants — où notre rapport recommandant l'adoption d'une loi de ce genre a été publié. J'exprime probablement l'opinion de la plupart des membres du comité — bien que sa composition ait changé — quand je dis que nous ne croyons pas qu'il va assez loin.
Il s'agit de rétablir la confiance des investisseurs à la suite d'une grave crise. Je suis arrivé un peu en retard et je vous ai entendu parler de gestion des entreprises. Le Canada essaie, pas seulement à l'échelon fédéral mais aussi à d'autres échelons — au sein des assemblées législatives notamment — de trouver un moyen de contrer les individus qui abusent constamment du système. Dans notre rapport, nous avons dit convenir unanimement que l'un des problèmes est qu'il y a trop de fricotage et que nous n'avons pas les outils pour y faire face. De plus, les outils à notre disposition n'ont pas la portée voulue. Comme l'a souligné le sénateur Massicotte, ce n'était même pas un crime. Au Canada, c'est une peccadille. Des représentants de l'Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières et d'organismes d'auto- réglementation de l'industrie des valeurs mobilières sont venus ici et ils nous ont dit que c'était une peccadille. Nous devons donner du mordant à la loi. La loi n'a pas été proposée en réponse à notre rapport; elle était déjà en voie d'élaboration, sous la forme du projet de loi C-47 en Ontario, et du projet de loi précédent, dont elle constitue un amendement. Essentiellement, nous avons besoin de peines plus lourdes et de mesures dissuasives.
Vous constaterez que le comité est unanime sur cette question. J'entends des commentaires comme «C'est trop vague. Si vous voulez légiférer, ce n'est pas le bon moyen. Cette mesure pourrait être inconstitutionnelle.» Ce commentaire attire mon attention. Si nous devons légiférer, nous devrions le faire correctement.
Ne convenez-vous pas qu'il est légitime pour le gouvernement de légiférer dans ce domaine, mais à la manière canadienne? Parlant de lois qui ont des dents, la loi Sarbanes-Oxley de 2002 prévoit des peines d'emprisonnement de 20 ans. Les sanctions sont plus lourdes. Pourtant, Elliot Spitzer et la SEC disent qu'ils n'ont toujours pas les outils pour arrêter les fraudeurs. Ce projet de loi tente de donner des moyens aux agents d'application de la loi.
Ne croyez-vous pas qu'il y a un besoin? Je sais que vous êtes des criminalistes et des avocats de la défense, que vous défendez les accusés. Supposons qu'il y aura bel et bien une loi plus stricte. Pourquoi pas celle-ci?
M. Lomer: Quand nous avons été invités à témoigner ici, je connaissais le projet de loi. Je considérais que sa substance, ou ses aspects réglementaires, représentaient un fait accompli. Il m'a semblé que c'était cette tournure que la situation prenait. Il n'y avait pas grand-chose que nous pouvions dire pour vous influencer, et c'est compréhensible. Je comprends sur quels principes de la politique publique vous appuyez vos raisons et vos préoccupations. Toutefois, je suis venu ici pour vous demander de respecter les règles de procédure. Faites en sorte que la disposition sur les mandats soit inattaquable. D'après moi, en droit, il n'y a pas de solution intermédiaire en ce qui concerne les soupçons. Quant aux tentatives pour obtenir de l'information bancaire en vertu du volet commercial de la loi, vous aurez peut-être des problèmes, même si le gouvernement dit que l'application est limitée. Il est encore question de présomption relativement à l'ordonnance de communication prévue à l'article 487.012, par opposition à l'article 487.013, qui décrit les pouvoirs dans le secteur commercial.
Dans l'article 487.013, il est question «d'utilité pour l'enquête». Comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas de solution intermédiaire. Je serais prêt à en discuter avec les représentants du ministère de la Justice. S'il y en a une, elle n'a pas évolué. C'est peut-être un moyen pour le ministère de la faire évoluer en créant une loi qui sera contestée, et qui finira par tenir ou par être abandonnée.
En réponse à votre question, nous comprenons les motivations. Personnellement, je comprends qu'il n'est pas mauvais de soumettre les transactions d'initié au droit pénal plutôt que seulement aux lois sur les valeurs mobilières. La perception est différente quand il s'agit du Code criminel, j'en conviens. En prévoyant une peine maximum de 14 ans d'emprisonnement pour les cas de fraude — en général un crime non violent — vous mettez ce crime sur le même pied que les voies de fait graves. L'agression sexuelle n'entraîne qu'une peine de 10 ans.
L'augmentation des sanctions n'est pas minime; c'est une haute marche que vous leur faites monter, et je ne suis pas certain que la fraude soit de même nature que les autres crimes qui entraînent des peines aussi lourdes. Vous l'avez mis sur le même pied que la conduite dangereuse causant la mort qui, à mon avis, équivaut à l'homicide involontaire. C'est peut-être votre intention, en principe, de la mettre là. C'est peut-être grave à ce point.
Avec votre permission, j'aimerais revenir un peu en arrière, quand j'ai dit que la somme d'un million de dollars constituait un facteur aggravant, et que cette somme finira par distinguer les cas de peine avec sursis des cas d'incarcération. C'est probablement ce qui se produira.
Le sénateur Angus: Nous n'aurons pas d'objection.
M. Lomer: En ce qui concerne les circonstances aggravantes, comme je l'ai dit à M. Trudell, un million de dollars, pour la Banque Royale ou la Banque de Montréal, ce n'est qu'un poste budgétaire. Cela peut représenter un cent ou deux sur le prix des actions. Je n'en minimise pas la portée, mais s'il s'agit de 100 000 $ pour un individu dont l'épargne de toute une vie s'est volatilisée, c'est une circonstance beaucoup plus grave pour lui que le million de dollars pour la banque.
Le sénateur Angus: Je ne veux pas vous faire perdre le fil de votre pensée, mais nous sommes tous des lecteurs assidus des journaux nationaux et nous l'avons enfin vu à la une — il fallait que ce soit aux États-Unis: un cadre supérieur d'une de nos grandes banques, la CIBC, arrêté, menottes aux poignets, pour son rôle en tant qu'individu, mais aussi en tant qu'employé de la banque, dans le scandale des opérations tardives sur les fonds mutuels. C'était une affaire importante. Qu'il s'agisse d'un million ou de centaines de millions de dollars, c'est le mécanisme, l'opération frauduleuse qui a été menée, et les milliers de veuves et d'orphelins qui ont investi dans les fonds mutuels — pas individuellement sur le marché des actions, mais dans ces fonds mutuels supposément sécuritaires — et qui voient leurs économies anéanties. Le Canada ne dispose d'aucune loi pour appréhender les fraudeurs de cet acabit. Il a fallu que ce soit les États-Unis qui s'en chargent.
M. Lomer: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Deux circonstances aggravantes prévues dans le projet de loi se seraient appliquées: la mise en péril la stabilité financière du pays et les dommages causés à un nombre élevé de victimes.
Je veux seulement dire que le montant d'un million de dollars n'est qu'un seuil artificiel qui peut s'appliquer ou non. On peut imaginer facilement des cas impliquant des sommes beaucoup moins élevées qui peuvent avoir de sérieuses répercussions pour les personnes touchées, de même que des cas mettant en cause beaucoup plus d'argent.Comme circonstance aggravante, cela ne donne pas à notre système judiciaire une indication nette de ce que nous souhaitons faire. C'est un indice, mais ce n'est pas si révélateur que ça. Cela devrait presque figurer dans les circonstances atténuantes.
Le sénateur Angus: Pour ce qui est des lacunes à combler, et compte tenu de la volonté bien affirmée ici d'adopter des lois plus rigoureuses, des questions de constitutionnalité ont été soulevées hier. Je crois que c'est l'un d'entre vous qui l'a fait. Est-ce exact? Si tel est le cas, quels ajustements pouvons-nous apporter pour nous assurer que le projet de loi ne sera pas jugé inconstitutionnel?
M. Lomer: Il faut simplement remplacer la notion de soupçon par celle de motif raisonnable de croire. C'est probablement la chose la plus facile à faire. Une fois ce changement apporté, il n'y a plus aucun risque, parce qu'on s'aligne sur la terminologie utilisée par notre Cour suprême.
Le sénateur Angus: Vous avez également discuté des dispositions touchant la dénonciation. Encore là, si l'on en croit les médias nationaux, le gouvernement actuel veut placer ce projet de loi au rang de ceux qu'il souhaite voir adoptés rapidement avant une élection. On parle davantage des dispositions touchant la dénonciation que de celles se rapportant aux délits d'initiés. Je peux comprendre pourquoi dans le contexte actuel. Il serait bon de vivre dans un environnement où les gens qui savent des choses n'ont pas à craindre de les divulguer.
M. Lomer: Je ne suis pas contre, mais imaginez un instant que vous travaillez au sein d'une entreprise comptant un employé malveillant qui ne dispose d'aucune information particulière, mais qui persiste à dire aux autorités qu'il a des renseignements à divulguer. En vous appuyant sur le projet de loi dans sa forme actuelle, si vous essayez de le congédier ou de vous en débarrasser en raison de son comportement, vous risquez de faire l'objet d'accusations. Pour régler la question, il suffirait de préciser que l'employé doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été ou est en train d'être commise. Autrement dit, il faut se garder la possibilité d'effectuer une évaluation objective des allégations de l'employé. Si ce que l'employé dit n'a aucun sens, mais vise uniquement à causer du tort à son employeur, alors l'entreprise devrait avoir le droit de le congédier. Comme toujours, ce seront les tribunaux qui devront déterminer si les allégations sont fondées. Le caractère raisonnable est une question que nous devons régler tous les jours.
M. Trudell: Sénateur, la loi Sarbanes-Oxley parle d'information véridique dans la section sur les représailles contre les dénonciateurs. C'est cette terminologie qui figurait dans les documents de travail du gouvernement. Le terme véridique a peut-être simplement été laissé de côté, mais il aurait été suffisant pour protéger nos arrières; il est de toute évidence utilisé dans Sarbanes-Oxley pour traiter les situations où un employé poursuit une vengeance personnelle.
Le sénateur Angus: Notre comité s'est rendu à Washington pour y rencontrer le sénateur Sarbanes et le congressman Oxley. Nous avons donc une bonne idée de la teneur de leur loi et du processus législatif suivi. En bref, nous avons pu comprendre que, bien avant l'affaire Enron, ils s'employaient à élaborer un ensemble efficace de règles et de dispositions punitives pour ce genre de délit. Les événements les ont obligés à accélérer les choses. Je suppose que les responsables du pouvoir exécutif leur ont dit qu'ils avaient besoin de quelque chose pour envoyer un signal et qu'ils sont peut-être allés trop loin. Je ne sais pas.
Je vous pose la question: Si nous étudiions actuellement la loi Sarbanes-Oxley, formuleriez-vous les mêmes critiques?
M. Trudell: Vous me demandez si je serais critique à l'égard de Sarbanes-Oxley?
Le sénateur Angus: Vous pourriez dire qu'elle est trop vague, trop rigoureuse, inutile, qu'elle n'ajoute rien aux lois criminelles du pays, etc.
M. Trudell: Je crois que cela fait partie des critiques entendues lors de l'adoption de la loi Sarbanes-Oxley aux États- Unis. Ces critiques se poursuivent parce que quelques-unes des dispositions de Sarbanes-Oxley sont mises à l'épreuve, et on constate qu'on est peut-être allé trop loin.
Vous nous demandiez si nous pensions avoir besoin d'une loi qui a du mordant, et au risque de me faire expulser de la salle...
Le sénateur Angus: Non, non.
M. Trudell: ... Je dis que cette loi n'est pas nécessaire. Il y avait un catalyseur aux États-Unis et ce projet de loi sur la régie d'entreprise était en chantier depuis longtemps déjà au ministère de la Justice, mais les responsables provinciaux de la réglementation sur les valeurs mobilières en font tout autant. Vous parlez de ce dirigeant appréhendé, menottes aux poignets. Dès qu'un courtier ou un intervenant d'importance est accusé d'une infraction, et nous pourrions citer des noms, il fait la manchette dans la presse. La commission des valeurs mobilières, les autorités réglementaires et les provinces sont de plus en plus sévères. Elles ne manquent pas de mordant. Ça s'en vient. Ce n'est pas à moi de dire que nous n'en avons pas besoin, mais je vais tout de même le dire.
Le sénateur Angus: C'est la voix de la modération.
M. Trudell: Non, non. Il faut l'examiner à fond pour clarifier toutes les dispositions trop vagues. Sinon, il sera impossible d'intenter des poursuites en application de cette loi. À mon humble avis, ce projet de loi est trop vague et n'offre pas les protections nécessaires.
Le sénateur Angus: Voulez-vous dire par cela qu'il pourrait aller beaucoup plus loin que ce qui est prévu?
M. Trudell: Je ne crois pas qu'il sera efficace parce qu'il est trop vague. Il est trop ouvert à l'interprétation.
Le sénateur Angus: Il ne servira peut-être à rien alors.
M. Trudell: Nous avons parlé des dispositions trop vagues; je ne sais pas si vous souhaitez que nous en relevions quelques-unes.
Le sénateur Angus: Allez-y.
M. Trudell: J'ai déjà parlé de la détermination de la peine et des circonstances aggravantes. À l'alinéa b), il est question du cas où l'infraction pourrait nuire à la stabilité économique du Canada. Qu'est-ce que cela signifie? C'est une circonstance aggravante. Dans une poursuite criminelle, cela doit être prouvé hors de tout doute raisonnable. Autrement dit, si vous intentez une poursuite et souhaitez faire valoir cette circonstance aggravante pour la détermination de la peine, vous devez en établir la preuve hors de tout doute raisonnable. Comment établir cette preuve?
Dans la section sur les circonstances atténuantes, il est indiqué que le tribunal ne doit pas prendre en considération à titre de circonstance atténuante les compétences professionnelles, le statut ou la réputation du délinquant dans la collectivité, si ces facteurs ont contribué à la perpétration de l'infraction, ont été utilisés pour la commettre ou y étaient liés.
Tout cela est très vague; que veut-on dire exactement? L'article 382.1 se lit comme suit:
(1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans la personne qui, même indirectement, vend ou achète des valeurs mobilières en utilisant sciemment des renseignements confidentiels que, selon le cas [...]
Qu'entend-t-on par «valeurs mobilières»? Cela n'est pas défini. Qu'entend-t-on par «renseignements confidentiels»? Ce n'est pas défini non plus.
Le sénateur Massicotte: C'est défini.
M. Trudell: C'est défini dans le paragraphe 382.1(4):
Pour l'application du présent article, «renseignements confidentiels»s'entend des renseignements qui concernent un émetteur de valeurs mobilières ou les valeurs mobilières qu'il a émises ou se propose d'émettre [...]
C'est plutôt vague.
a) n'ont pas été préalablement divulguées;
C'est vague.
b) peuvent être raisonnablement considérées comme susceptibles d'avoir une influence importante sur la valeur ou le prix des valeurs de l'émetteur.
C'est encore vague.
Le sénateur Massicotte: C'est à peu près la même définition qu'utilisent les commissions des valeurs mobilières.
M. Trudell: La Loi sur les valeurs mobilières comporte des définitions et des exemples précis. Je suggérerais que l'on envisage la possibilité de préciser ces dispositions et de mieux définir les termes dont nous parlons.
Mon collègue a évoqué la notion de soupçon. Je voudrais attirer votre attention sur la terminologie utilisée dans le paragraphe 487.013(5) qui se lit comme suit:
L'ordonnance peut être assortie des conditions que le juge de paix ou le juge estime indiquées [...]
Qu'entend-on par «indiquées»? Il y a beaucoup de possibilités d'interprétation, et je pourrais vous citer d'autres exemples.
Le président: Je constate que vous pourriez nous citer bien d'autres cas, mais nous allons reprendre nos questions.
Le sénateur Baker: Les témoins que nous avons entendus hier ont indiqué que les attentes quant à la protection des renseignements personnels étaient relativement faibles pour ce qui est des informations obtenues en application de l'article 487.13. Je suis à peu près sûr que c'est bien ce qu'ils ont dit. Ils n'ont pas parlé d'attentes raisonnables ou d'attentes élevées, mais bien d'attentes plutôt faibles quant à la protection des renseignements personnels.
J'aimerais vous poser une question au sujet de l'article 487.013 qui prévoit ce qui suit:
(1) [...] soit le numéro de compte de la personne nommée dans l'ordonnance soit le nom de la personne dont le numéro de compte est mentionné dans l'ordonnance, ainsi que l'état du compte, sa catégorie et la date à laquelle il a été ouvert ou fermé.
On parle de l'état du compte. À la lumière de votre expérience et de votre connaissance de la jurisprudence, croyez- vous que les attentes quant à la protection des renseignements personnels seraient plutôt faibles lorsqu'il est question d'un compte bancaire, du nom, du numéro de compte, du type de compte et de la date à laquelle il est ouvert ou fermé?
M. Lomer: Ce n'était pas le cas auparavant, mais il appert que la situation a changé. Il semble que l'État considère tous nos registres financiers comme un grand livre ouvert et ce même si, ne l'oublions pas, nos déclarations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu sont encore censées être protégées par un degré assez élevé de confidentialité. Lorsque l'on combine ces renseignements avec les autres données d'identification, comme le permis de conduire, la date de naissance, etc., qui peuvent être obtenus de notre dossier à la banque, il deviendrait impossible, si ce projet de loi était adopté, d'avoir un compte bancaire privé dans ce pays parce qu'il suffirait qu'un agent de police ait un soupçon pour que ces renseignements soient divulgués.
Le sénateur Baker: Je comprends. Les responsables ont donné comme explication que les attentes quant à la protection de ces renseignements seraient plutôt faibles. Comme vous le savez, pour qu'un mandat contrevienne à l'article 8 de la Charte, il faut qu'il y ait des attentes raisonnables quant à la protection des renseignements personnels que l'on tente d'obtenir.
M. Lomer: C'est exact.
Le sénateur Baker: Le ministère soutient que les attentes quant à la protection de la vie privée sont plutôt faibles pour ces renseignements et que l'article 8 de la Charte serait donc respecté, alors que vous venez de soutenir le contraire.
M. Lomer: Je me souviens de cas d'écoute électronique dans lesquelles les prévenus avaient indiqué que leur ligne téléphonique avait été mise sous écoute. L'avocat de la Couronne avait soutenu que les attentes quant à la protection des renseignements personnels étaient plutôt faibles dans ces cas. Il est bien évident que si l'on met sous écoute toutes les lignes téléphoniques, personne n'aura plus d'attente quant à la protection du caractère privé de ses appels. Si l'on permet à l'État de s'ingérer ainsi dans les affaires privées de tout le monde, il est bien évident qu'il pourra toujours invoquer l'argument des attentes relativement faibles. C'est ce que je voulais faire valoir.
Le sénateur Baker: Selon vous cette disposition contrevient-elle à l'article 8 de la Charte?
M. Lomer: Oui, tout à fait.
Le sénateur Baker: L'article 1 de la Charte ne permettrait-il pas malgré tout son application?
M. Lomer: ... «dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.» Le problème c'est que les sociétés dans le cadre desquelles la justification peut être démontrée ne sont pas libres et démocratiques.
Le sénateur Baker: Oui ou non.
M. Lomer: L'article 1 est un obstacle important pour quiconque essaie de justifier une disposition législative. Il n'y a pas infraction dans 99 p. 100 des cas. S'il y avait infraction, la justification serait très difficile.
Le sénateur Baker: Je veux poser une question à M. Trudell concernant l'affaire R. c. Hurrell, 2002. N'étiez-vous pas l'avocat? La Cour d'appel de l'Ontario a annulé l'an dernier l'article 117.041 du Code criminel. Je crois, monsieur Lomer, que vous-même, ou quelqu'un de votre entourage, avez été impliqué lorsqu'elle a été annulée il y a 15 ans.
M. Lomer: Les dispositions relatives au meurtre par imputation. Je ne me souviens que de l'ancienne numérotation.
Le sénateur Baker: C'était il y a 15 ans. Vous savez de quoi vous parlez lorsqu'il est question de motifs raisonnables de croire, monsieur Trudell. Vous étiez directement impliqué dans ces cas; j'aurais donc une dernière question. Notre comité essaie de faire progresser les choses et tous les sénateurs présents ici sont favorables à l'intention du projet de loi.
Le sénateur Angus: ... sauf qu'il ne va pas assez loin.
Le sénateur Baker: Un instant, si vous me permettez. Nous sommes favorables aux modifications législatives proposées. L'une de vos principales objections vient-elle du fait que les changements proposés aux articles du Code ne concernent en rien la fraude sur les marchés financiers? Par exemple, l'article 487.012 pourrait être invoqué pour n'importe quelle infraction.
M. Lomer: C'est exact.
Le sénateur Baker: Vous estimez que les dispositions ne sont pas assez ciblées? Vous avez parlé du gouvernement fédéral et de la distinction à faire avec la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui permet l'obtention d'un mandat spécifiquement délivré à cette fin. Le présent projet de loi est d'application générale. Je vais vous poser une dernière question. Un juge doit être convaincu, à la lumière de la déclaration sous serment, de la demande, de l'information disponible et du caractère raisonnable des motifs invoqués, qu'une infraction pourrait avoir été commise. Il peut alors émettre un mandat pour obtenir l'information nécessaire. Croyez-vous que cette disposition pourra être jugée comme allant à l'encontre de l'article 8 de la Charte?
M. Lomer: À mon avis, on pourra certes faire valoir qu'elle n'est pas constitutionnelle parce que l'exigence minimale du caractère raisonnable n'a pas été satisfaite.
Le sénateur Baker: Certains juges vont vouloir la modifier pour que l'on parle de «croire», plutôt que de «présumer».
M. Lomer: Oui, sénateur, dans le meilleur des scénarios. Sinon, un juge pourrait carrément l'annuler, parce que cela n'est pas notre travail. Cela pourrait se produire également. Il est parfois difficile de modifier une disposition lorsque les choses ne sont pas claires et précises.
Le sénateur Baker: Nous avons soulevé hier dans notre examen de l'article 492.2 un cas survenu il y a à peine un mois en Colombie-Britannique. À la Cour suprême de cette province, le juge Halfyard a supprimé des mandats pour obtenir un enregistreur de numéros signalés. Par la suite, il s'est entendu avec l'avocat de la défense pour revoir la loi et remplacer «présumer»par «croire», plutôt que d'éliminer l'article au complet.
M. Lomer: Ce sont des choses qui arrivent, mais les législateurs ne renoncent-ils pas alors à leur responsabilité d'adopter des lois de nature constitutionnelle, plutôt que seulement des lois qui garantissent des poursuites fructueuses?
Je pose la question parce qu'il s'agit de mandats d'application générale qui contreviennent au droit d'un individu d'être laissé en paix, à moins que les autorités n'aient des motifs raisonnables de croire qu'il a commis une infraction criminelle. Si tel n'est pas le cas, ne devrions-nous pas simplement dire: «vous avez le droit d'être laissé en paix» et cesser de miner ce droit ou de le contester pour voir si les tribunaux vont le confirmer ou non — ou modifier la loi une ramener à ce qu'elle aurait dû être au départ?
Le président: Il faut dire que vous avez abordé, à la fin, un point dont a débattu le Sénat — durant les deux législatures —, un point qui va bien au-delà des cas mettant en cause le Code criminel, soit l'idée qu'un projet de loi ne puisse pas être adopté parce qu'il pourrait être inconstitutionnel.
En tant que législateurs, nous sommes tous d'avis que nous adoptons ce que nous croyons devoir l'être. Si, chaque fois, nous esquivions nos responsabilités et nous en remettions aux tribunaux pour savoir s'il faut adopter une loi, il y aurait inversement des rôles. Nous nous sommes formé une opinion quant à ce qu'il convient de faire, sur le plan des principes. Si, au fil des ans, cela pose un problème aux tribunaux, tant pis!
Si vous proposez que nous consultions, si possible, la cour avant d'adopter le projet de loi pour en confirmer la constitutionnalité, je vous réponds que cela reviendrait à renoncer à nos responsabilités.
M. Lomer: C'est sûr. Toutefois, je vous ferai remarquer qu'il existe déjà des dispositions législatives générales concernant les mandats de perquisition, que leur constitutionnalité a été confirmée, qu'elles respectent ce critère. Pourquoi les dispositions du projet de loi à l'étude ne coïncideraient-elles pas avec celles de la loi en vigueur?
Le sénateur Harb: J'aurais deux points à faire valoir. Dans votre déclaration, vous avez mentionné l'alinéa 380.1(1)b). Vous avez dit qu'il fallait que l'infraction nuise déjà ou puisse nuire à la stabilité de l'économie canadienne. Vous semblez vous être arrêté là. Il importe, à mon avis, de lire la suite, parce qu'il n'est pas seulement question de nuire à l'économie canadienne; on inclut aussi le système financier canadien, des marchés financiers au Canada ou la confiance des investisseurs dans un marché financier au Canada. Le critère n'est pas seulement de savoir si l'infraction nuit à l'économie canadienne — il existe d'autres circonstances aggravantes. Êtes-vous d'accord sur ce point?
M. Trudell: Vous avez tout à fait raison de dire que le texte ne s'arrête pas là. Ce que je faisais valoir, c'est que, bien que le gouvernement ait laissé entendre que le recours à cette disposition serait rare, si vous poursuivez votre lecture, même s'il ne s'agit que de cet alinéa, vous constaterez comme moi que la disposition sera au contraire souvent invoquée.
Le sénateur Harb: Si le mot «et»était employé, ce serait peut-être le cas. Cependant, comme le texte dit bien «ou», le risque est moins grand.
J'aimerais aussi mentionner que vous avez beaucoup parlé de présomption, une notion qui vous semble dangereuse. Ne seriez-vous pas d'accord avec moi pour dire que le paragraphe 487.012(3), qui concerne les conditions à remplir pour rendre une ordonnance, dispose clairement que:
Le juge de paix ou le juge ne rend l'ordonnance que s'il est convaincu, à la suite d'une dénonciation par écrit faite sous serment et présentée ex parte, qu'il existe des motifs raisonnables de croire que [...]
On passe ensuite à l'alinéa a) qui concerne dans une large mesure la notion de présomption, sans quoi, vous supposez au départ de la culpabilité avant d'en avoir fait la preuve.
M. Lomer: Sénateur, sauf votre respect, le libellé ne coïncide pas avec celui de la disposition 487.012, c'est-à-dire avec celle qui concerne les mandats de perquisition et selon laquelle il faut que le juge soit convaincu sur la base d'informations fournies sous serment et par écrit qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à cette loi ou à une autre a été commise.
En d'autres mots, il n'est pas question de présumer, dans la disposition générale concernant les mandats. L'expression ne se retrouve que dans cette seule disposition.
Le sénateur Harb: Il s'agit toutefois d'un des effets secondaires de la décision initiale d'un juge, car un juge n'affirmera pas qu'il a reçu d'un dénonciateur de l'information qui le porte à croire que tous les renseignements ne lui sont pas communiqués. Avant d'en arriver là, il faut que l'employé fasse une déclaration écrite sous serment. C'est pourquoi, à ce stade, il vous faut un motif raisonnable de croire que l'information est fiable ou qu'elle devrait l'être avant de la communiquer au juge.
Ce que j'essaie de dire, c'est que la question a déjà été débattue — toute la notion de la dénonciation, à savoir s'il faudrait l'inclure dans le Code criminel. Le comité parlementaire qui s'est penché sur cet aspect de la Loi sur la concurrence a décidé de l'inclure dans le Code criminel parce qu'il estimait qu'en y prévoyant une amende — même si elle était dérisoire —, l'employeur se rendrait compte qu'il ne peut pas sévir à l'égard d'un employé qui dénonce des actes illégaux commis dans le cadre de l'exploitation d'une entreprise.
On avait aussi débattu d'un second principe, soit que l'employé ne peut pas dénoncer son employeur simplement parce qu'il lui en veut. Il doit le faire par écrit et sous serment. Si vous vous reportiez à la Loi sur la concurrence, dans laquelle a été inclus cet élément particulier, vous seriez convaincu, je crois, qu'il n'y a là rien d'extraordinaire. En fait, la mesure est indispensable. Si elle a été incluse ailleurs et qu'elle semble efficace — nul n'a fait valoir de préoccupation à ce sujet —, elle devrait l'être tout autant dans le projet de loi à l'étude.
De mon point de vue en tant que membre du comité, si nous ne réussissons que cela, ce serait déjà cela de pris. Cette seule mesure ne réglera pas le problème, parce que rien n'arrêtera l'escroc, quelle que soit la loi adoptée. Toutefois, l'introduction d'un moyen dissuasif permettrait de rétablir un peu la confiance qui fait si cruellement défaut à ce milieu.
M. Lomer: Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris. Nous parlons de deux questions différentes, je crois.
En ce qui concerne la dénonciation, la principale préoccupation que nous faisons valoir est le caractère raisonnable ou véridique de l'information qui est communiquée par l'employé. Si l'information n'est pas raisonnable ou véridique, vous laissez entendre, si j'ai bien compris, que la déclaration sous serment que fait l'employé en fait foi.
J'estime pour ma part qu'il vaut probablement mieux, à vrai dire, avoir un critère qu'il est possible de vérifier objectivement que de se fier au simple fait que la déclaration a été faite sous serment. Voilà ce que j'en pense.
Je ne suis pas sûr du lien avec ce que vous avez dit au sujet de l'article 487.012, car il est toujours question de présumer qu'une infraction est commise alors qu'il faut établir que vous avez des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu infraction avant d'obtenir le mandat.
Le sénateur Harb: L'information aurait pu venir d'un employé qui avait travaillé pour l'entreprise ou d'autres sources. J'ai donné l'exemple d'information fournie par un employé. J'aimerais donc faire d'une pierre deux coups et dire qu'elle venait d'un employé qui avait travaillé pour une personne morale et qui aurait à faire une déclaration sous serment.
M. Lomer: Si vous utilisez les mots «ou est présumée avoir été commise», vous assouplissez le critère utilisé tant dans les dispositions générales visant les mandats que dans Hunter c. Southam et de nombreuses autres causes entendues depuis lors — qu'il faut s'interroger sur le caractère raisonnable de la demande avant de décider s'il faut rendre une ordonnance.
Dès qu'on commence à parler d'une infraction «présumée avoir été commise», on ne respecte pas la loi, telle que je la conçois, pour l'exécution de mandats de perquisition; et chaque assouplissement du critère risque d'enfreindre l'article 8 de la Charte. Vous en faites certes une cause défendable. Il faut alors se demander si c'est vraiment nécessaire.
Le président: S'il n'y a plus de question, messieurs, le comité vous remercie énormément. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris la peine de venir. Avant votre départ, j'aimerais que vous sachiez que si vous avez oublié de mentionner quelque chose, si un autre point vous vient à l'esprit, vous avez toute la journée pour le communiquer au greffier. Nous offrons toujours cette possibilité à nos témoins.
M. Trudell: Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris la peine de nous consulter au sujet du projet de loi à l'étude. Nous nous estimons heureux si nous avons pu vous être utiles en quoi que ce soit avec certaines des dispositions.
Le président: Je vous remercie. Quelqu'un a-t-il des questions à poser à Mme Klineberg ou à M. Wong, qui ont comparu hier au sujet du projet de loi à l'étude?
Monsieur Wong, avez-vous des observations à nous faire au sujet de ce que vous avez entendu avant que nous poursuivions?
M. Normand Wong, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada: Autant commencer, puisqu'une grande partie de l'actuel débat gravite autour des ordonnances de communication, par l'article 487.013 et la norme moins rigoureuse que représentent des motifs raisonnables de présumer que l'information sera utile à l'enquête.
Je ne suis pas d'accord avec ce qu'a dit mon collègue de la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Bien que la décision rendue dans l'affaire Hunter c. Southam ait représenté un arrêt-clé de la Cour suprême il y a 20 ans, plusieurs décisions importantes traitant des attentes en matière de vie privée et ayant modifié cet arrêt ont été rendues depuis. Une espèce d'échelle mobile a été élaborée au cours des vingt dernières années. Une des affaires marquantes a été l'arrêt Plant. Il mettait en cause la consultation des dossiers informatisés de consommation d'électricité, et la cour a élaboré un critère portant sur un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel. Si l'information ne renfermait pas cet ensemble de renseignements biographiques, elle ne satisfaisait pas à la norme fixée dans Hunter c. Southam et n'exigerait donc pas qu'il y ait des motifs raisonnables de croire. Une demi-douzaine de causes importantes a depuis lors modifié le principe énoncé dans Hunter c. Southam.
Par ailleurs, MM. Lomer et Trudell ont tous deux estimé que la norme selon laquelle il doit y avoir des motifs raisonnables de présumer qu'un crime a été commis n'était pas pertinente, et il faudrait se reporter à l'article 47.01 du Code criminel, qui porte sur le cadre général de délivrance de mandats. Quand je dis «général», je ne parle pas de la disposition habituellement invoquée. Le mot désigne plutôt le fait qu'il s'agit d'une disposition globale invoquée quand l'émission de tout autre mandat prévu dans le code est inefficace. Il faut satisfaire à une norme très élevée pour pouvoir y recourir parce que le Parlement l'a voulu ainsi. Si nous n'avons pas prévu la situation expressément, alors il faut satisfaire à ce critère élevé si nous voulons prendre des mesures qui ne sont pas en règle générale prévues dans le code.
Nous avons élaboré une norme qui se rapproche de celle qui est utilisée pour autoriser les tables d'écoute, soit de la norme la plus rigoureuse du Code criminel.
L'ordonnance de communication prévue à l'article .012 est une reproduction exacte de ce qui est prévu comme disposition générale pour les mandats de perquisition, soit l'article 487, et si vous en lisez bien les dispositions, vous verrez qu'elle correspond mot pour mot à ce qui y est prévu.
Voilà ce que j'avais à dire. Si autre chose me vient à l'esprit, je vous en ferai part quand Mme Klineberg aura fini de faire ses observations.
Le président: Madame Klineberg, de quoi allez-vous nous parler?
Mme Joanne Klineberg, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada: Je vais parler d'autres points.
Le président: Votre question concernait-elle particulièrement ce point, sénateur Baker?
Le sénateur Baker: Oui. Le témoin a mentionné l'affaire Plant, et ce qu'il a dit au sujet des dossiers de consommation d'électricité est tout à fait juste. Toutefois, j'aimerais lui lire une phrase de l'arrêt rendu par la Cour suprême en 1998 dans l'affaire Schreiber c. Canada: «Contrairement aux dossiers de consommation d'électricité, les renseignements bancaires révèlent des détails personnels sur la personne visée, notamment sa situation financière [...]» Par conséquent, ce dont il est question dans le projet de loi C-13, c'est d'un renseignement bancaire, de l'état d'un compte bancaire. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire que, bien que vous ayez raison au sujet des dossiers de consommation d'électricité, les attentes en matière de vie privée concernant les dossiers bancaires, selon l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 1998 dans l'affaire Schreiber, sont plus élevées? Je me rends compte que le point est discutable, monsieur le président, mais il est incorrect de dire que l'arrêt rendu dans l'affaire Plant énonce un principe qui concerne les dossiers bancaires.
M. Wong: Sénateur Baker, vous avez piqué ma curiosité hier soir. J'ai donc décidé de faire d'autres lectures, notamment au sujet de l'affaire Eddy, survenue à Terre-Neuve.
Le sénateur Baker: Un simple appel au directeur de banque, n'est-ce pas?
M. Wong: Oui. La cour a soutenu qu'il existait de fortes attentes en matière de vie privée concernant la situation financière d'une personne et l'activité dans ses comptes bancaires, y compris de savoir si des transactions financières avaient eu lieu un jour donné.
Ce n'est pas ce qu'envisage l'article 487.013 proposé. L'«état du compte»n'est pas synonyme de solde. Par «état», il faut entendre de savoir si le compte est ouvert ou fermé.
Le sénateur Baker: Dans l'affaire Eddy, on avait simplement voulu obtenir le numéro de compte bancaire en vue de documenter la délivrance d'un mandat de perquisition obligeant la banque à communiquer de l'information. Voilà de quoi il est question dans R c. Eddy.
M. Wong: La cour a confirmé les attentes raisonnables en matière de vie privée. Ce sont ces renseignements, les transactions, qui sont protégés, plutôt que le fait de savoir si le compte existe ou pas.
Le sénateur Baker: C'est juste, mais le recours à cet article pour motiver la délivrance d'un mandat de perquisition en vue d'obtenir ces renseignements, d'après la Cour suprême du Canada, c'est-à-dire du juge Sopinka, est une atteinte à la vie privée.
M. Wong: C'est pourquoi nous avons besoin de l'article 487.013 proposé, parce qu'il fixe le seuil au-delà duquel on peut obtenir de l'information, on peut obtenir la délivrance du mandat permettant d'obtenir les renseignements au sujet desquels il existe effectivement des attentes en matière de vie privée.
Le président: Y a-t-il d'autres questions? Je n'inviterai pas les témoins à revenir parce que nous ne disposons pas de huit ou de dix heures, le minimum qu'il nous faudrait, selon moi, pour vider la question.
Le sénateur Moore: J'ai une brève question. Quand on parle d'attentes élevées ou d'attentes faibles, qui en décide?
M. Wong: Sénateur Moore, je suis désolé, mais je n'ai pas saisi le sens de votre question.
Le sénateur Moore: Vous avez mentionné hier et aujourd'hui encore que des questions se sont posé au sujet des attentes élevées et des attentes faibles. Qui en jugerait?
M. Wong: Les lois sont rédigées au ministère de la Justice en fonction des ordres reçus du Cabinet sur une question particulière, comme vous le savez. En droit pénal, nous assumons la principale responsabilité de rédiger la loi, mais toutes les lois qui sont rédigées au ministère de la Justice doivent aussi recevoir l'aval de notre Section des droits de la personne, là où se trouvent les experts de la Charte. Selon eux, la loi à l'étude satisfait à la norme et risque peu d'être invalidée en raison de la Charte.
Leur analyse se fonde sur toute la jurisprudence. En raison de cette jurisprudence qui comprend l'arrêt Plant, l'arrêt Wise, l'arrêt Wong, toutes ces autres décisions qui ont modifié le critère établi dans Hunter-Southam, le libellé et les dispositions sont concrets et les renseignements que nous souhaitons obtenir font l'objet en fait de faibles attentes en matière de vie privée.
Le sénateur Moore: De faibles attentes selon le ministère de la Justice, non pas du particulier?
M. Wong: Cela aussi repose sur la jurisprudence. Le critère n'est pas inventé de toutes pièces, et nous affirmons qu'il s'agit là de ce que les Canadiens jugeraient acceptable. C'est le principe qui a été élaboré par les tribunaux au cours des 25 dernières années.
Le sénateur Moore: J'aurais crû qu'aux yeux d'un Canadien, les renseignements relatifs à son compte bancaire seraient plutôt privés, qu'ils ne cadreraient pas avec les renseignements relevant de la catégorie des faibles attentes. Je me trompe peut-être.
M. Wong: Nous ne disons pas qu'il n'y a pas d'attentes en matière de vie privée, car il y en a, mais les attentes sont certes plus faibles qu'en ce qui concerne les dossiers financiers réels, les transactions. Les attentes en matière de vie privée sont plus faibles à l'égard de l'existence d'un compte bancaire dans une certaine banque que toutes les transactions effectuées dans le compte. On peut obtenir l'information au sujet de ces transactions grâce à un mandat ordinaire quand il existe des motifs raisonnables de croire qu'un crime a été commis. Cependant, pour obtenir les renseignements, vous avez besoin d'un minimum d'information qui vous permettra de justifier la délivrance du mandat ordinaire.
Le président: Je suis simplement curieux. Chaque fois qu'on écrit un chèque, on dévoile qu'on a un compte bancaire, le genre de compte et où il se trouve, puisque tous ces renseignements figurent sur le chèque.
Le sénateur Baker: Cela ne vous donne pas l'état du compte, cependant.
Le président: Non, mais ils ne cherchent pas à connaître l'état du compte.
Le sénateur Baker: Oh, oui. Cela figure dans le projet de loi, l'état du compte, n'est-ce pas?
Le président: Non. Voilà ce que je veux vous faire comprendre. Il s'agit de l'information que nous communiquons au monde entier chaque fois que nous rédigeons un chèque.
Le sénateur Moore: Je la communique à la personne à qui je dois l'argent, et non au monde entier.
Le président: Vos attentes en matière de respect de la vie privée ne sauraient être trop élevées en ce qui concerne cette information.
Le sénateur Baker: L'état du compte; É-T-A-T.
Le sénateur Fitzpatrick: Quelle est la définition de «état»?
M. Wong: Il n'y a pas de définition, mais par «état», on semble vouloir dire si le compte est ouvert ou fermé. Si vous rédigez un chèque, la police peut supposer que vous avez un compte ouvert. Cela n'a rien à voir avec la somme d'argent qu'il contient. Il existe une jurisprudence stipulant qu'il faut avoir des motifs raisonnables de croire pour obtenir ce genre d'information — l'affaire Eddy — c'est-à-dire les transactions financières, les sommes figurant dans le compte.
Il faut interpréter un projet de loi comme celui-là dans le contexte de l'ensemble de la jurisprudence. Or, selon la jurisprudence, il faut avoir des motifs raisonnables de croire pour obtenir l'«état» financier dont vous parlez, sénateur Baker, c'est-à-dire les transactions effectuées et l'argent disponible dans le compte; autrement, il faudrait en conclure que l'on entend autre chose par «état du compte». Ce que nous voulons savoir en l'occurrence, c'est simplement si le compte est ouvert ou fermé.
Le président: Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Baker: Autrement dit, à l'heure actuelle, un agent de la GRC ne peut téléphoner à une banque et obtenir votre numéro de compte?
M. Wong: Dans certaines provinces, c'est possible. Tout dépend des pratiques existantes et de la relation avec l'institution financière.
Le sénateur Baker: Je comprends votre réponse, mais hier, de hauts fonctionnaires qui, présumément, occupent un poste plus élevé que vous, nous ont dit qu'il était possible d'obtenir ces renseignements sans mandat, que c'était une information accessible à tous.
M. Wong: Il existe d'autres lois sur la protection des renseignements personnels qui ont une incidence sur la façon dont les autorités policières effectuent leurs enquêtes, et l'une d'elles est la Loi sur la protection des renseignements personnels et des documents électroniques. Cette mesure renferme des dispositions précisant dans quelles circonstances des sociétés privées opérant sous régime fédéral et provincial peuvent fournir de l'information.
Mme Klineberg: Je peux traiter du fait que certains témoins reprochent à la mesure son caractère vague.
Pour ce qui est du délit d'initiés, d'aucuns ont exprimé des préoccupations au sujet de deux termes qui ne sont pas définis dans la mesure, l'un d'entre eux étant «valeurs mobilières». Nous avons envisagé d'intégrer à la mesure une définition exhaustive de «valeurs mobilières» en nous inspirant de ce qui figure dans la réglementation provinciale à cet égard. C'est une question de jugement, mais nous avons décidé de nous abstenir de le faire car autrement, nous nous serions retrouvés avec un Code criminel ayant toutes les apparences d'une loi sur les valeurs mobilières. La définition en question aurait été fort longue, enchevêtrée et compliquée, et l'opinion qui a prévalu était que le terme «valeurs mobilières», en soi, pouvait être interprété en fonction de la législation relative aux valeurs mobilières. Rien n'empêche le tribunal, dans son interprétation du droit pénal, de consulter les autres instruments pertinents pour connaître la signification de l'expression.
À notre avis, il existe un champ sémantique défini qui fait que chacun sait ce que sont des valeurs mobilières. Il y a peut-être une zone grise marginale, mais c'est aussi le cas pour ce qui est des règlements visant les valeurs mobilières. D'ailleurs, généralement, ces règlements renferment des définitions non exhaustives de l'expression «valeurs mobilières». On y retrouve une liste de caractéristiques allant de A à J précisant ce que sont des valeurs mobilières, à laquelle on ajoute une disposition ouvrant la porte à pratiquement n'importe quoi d'autre.
Même si nous dressions une liste non exhaustive analogue à celles qui figurent dans la réglementation provinciale, il pourrait demeurer une zone grise que les tribunaux seraient appelés à interpréter à un moment donné. Nous avons pensé qu'en l'occurrence, il serait plus simple d'adopter cette expression et de laisser les tribunaux en faire l'interprétation, comme ils le feront de toute façon.
Pour ce qui est de la définition de «renseignements confidentiels», comme l'a fait remarquer le sénateur Massicotte, une définition est fournie lorsqu'il est question de l'infraction. Cette définition s'inspire largement de celle des délits d'initiés figurant dans les dispositions législatives régissant les valeurs mobilières. Nous n'avions absolument pas l'intention de réinventer la roue. Nous avons décidé d'adopter les mêmes concepts que l'on retrouve habituellement dans les cas de ce genre. Je ne pense pas que les dispositions législatives provinciales concernant les valeurs mobilières fournissent des exemples de ce que sont des renseignements confidentiels. C'est quelque chose qui est du ressort des tribunaux. En l'occurrence, nous avons jugé que les tribunaux pourraient faire appel à toute la jurisprudence entourant les valeurs mobilières pour comprendre pleinement la définition de «renseignements confidentiels» pour chacune des questions particulières, par exemple ce qui est généralement divulgué, ce qui risque d'avoir une forte incidence sur le prix de l'action, etc.
Pour ce qui est de l«infraction relative aux dénonciateurs, certains ont fait remarquer qu'il n'est pas mentionné que les allégations doivent être véridiques. Je pense que le terme «véridique»risque d'être un peu trop fort car si un employé croit de bonne foi que des activités répréhensibles ont eu lieu mais que cela se révèle faux, celui-ci devrait tout de même pouvoir bénéficier de protection.
Quant à savoir s'il convient d'inclure l'expression «a des motifs raisonnables de croire», le libellé de l'infraction précise que l'employé croit qu'une infraction a été commise. À mon sens, si vous croyez qu'une infraction a été commise, il y a de bonnes chances que votre conviction soit fondée sur des motifs raisonnables. Si elle n'est pas fondée sur des motifs raisonnables, cela demeure tout de même une conviction de bonne foi, de sorte qu'en soi, le libellé interdit à un employé d'inventer quelque chose de toutes pièces. Cet employé ne mérite pas la protection et n'aurait pas la protection prévue par la loi, mais une personne qui croit qu'une activité illégale a eu cours y a droit.
Mon dernier commentaire portera sur le caractère vague que l'on reproche aux facteurs aggravants aux fins de la détermination de la peine. Je conviens que certains pourraient être difficiles à prouver, notamment la forte incidence de l'infraction sur le marché, mais je n'irai pas jusqu'à dire que personne ne comprend ce que signifie ce concept. L'intention visée est assez évidente. Quant à savoir si les allégations en question peuvent être prouvées ou non dans une affaire donnée, cela reste à voir, mais même si elles ne peuvent être prouvées, cela ne traduit pas une déficience fondamentale du projet de loi.
Il s'agit simplement d'arguments que la Couronne peut avancer pour tenter d'influencer la décision du juge en matière de détermination de la peine. Ces facteurs ne rendent pas plus difficile la poursuite relative à l'infraction elle- même. Ce sont là des facteurs qui relèvent de la détermination de la peine et qui interviennent après coup. Si cela pose des difficultés, il est toujours possible d'invoquer d'autres facteurs aggravants.
Le sénateur Meighen: Qu'en est-il du commentaire qui a trouvé écho chez moi concernant l'utilité, ou l'inutilité, d'inclure le chiffre de un million de dollars? Où êtes-vous allé chercher ce chiffre? Pourquoi n'est-ce pas deux millions ou 100 000 $? C'est vraiment inutile.
Mme Klineberg: Toutes les décisions arbitraires sont difficiles.
Le sénateur Meighen: Quel est l'intérêt de ce chiffre?
Mme Klineberg: Nous avons consulté les autorités policières sur cette question particulière. Nous pensons qu'il est d'une utilité quelconque d'inclure un certain montant.
Il convient aussi de noter que la fraude se divise en deux catégories, moins de 5 000 $ et plus de 5 000 $. Lorsqu'un montant de moins de 5 000 $ est en cause, il s'agit d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Dans les cas où le montant est supérieur à 5 000 $, il s'agit d'un acte criminel. La gradation au niveau de la peine est déjà intégrée dans l'infraction que constitue la fraude, selon sa valeur.
Il s'agit en quelque sorte d'une fraude d'un autre niveau. Lorsqu'on arrive au niveau supérieur, c'est un autre indice donné aux tribunaux que la peine devrait être plus sévère. Il existe dans le Code un précédent autorisant que l'on fasse une distinction au niveau des peines selon la valeur de l'infraction.
Le choix du montant est une autre décision arbitraire. Nous avons consulté à cet égard les autorités policières et celles-ci étaient d'avis qu'un million de dollars était une somme adéquate.
Le sénateur Meighen: Cependant, il pourrait arriver que neuf personnes ayant accumulé au cours de leur vie des économies de 100 000 $ soient complètement lessivées. Leur cas ne satisferait pas au critère du million de dollars, n'est- ce pas?
Mme Klineberg: Si la fraude touche de nombreux citoyens et que chacun perd 10 000 $ mais qu'au total cela dépasse le million, je pense que leur cas entrerait dans le cadre de la définition.
Le sénateur Meighen: Je parlais de neuf personnes ayant chacune des économies de 100 000 $, et qui auraient tout perdu.
Mme Klineberg: Il y a autre chose que je voudrais dire au sujet des facteurs aggravants. C'est une façon pour le Parlement de signaler quels facteurs entraînent, ou non, un plus haut degré de culpabilité que d'autres. Si vous êtes juste sous la barre du million de dollars, cela n'empêche absolument pas la Couronne de faire valoir que 900 000 $ ont été perdus et que c'est là un problème sérieux. La Couronne a tout le loisir de présenter les arguments qu'elle veut. Elle peut avancer tous les facteurs aggravants qu'elle veut; aucun n'est exclu. D'une façon un peu arbitraire, ces facteurs sont conçus pour permettre au Parlement d'envoyer un message aux tribunaux.
Le sénateur Meighen: Pourriez-vous avancer l'un ou l'autre des facteurs aggravants?
Mme Klineberg: Vous pouvez invoquer la totalité des facteurs ou un seul, ou même d'autres encore qui ne sont pas codifiés ici. Un certain nombre se trouve dans la jurisprudence. En fait, d'autres facteurs aggravants figurent à l'article 718 du Code. Il s'agit évidemment d'une liste non exhaustive.
Le président: Le sénateur Meighen me fait signe qu'il est satisfait.
S'il n'y a rien d'autre, je vais remercier nos témoins. Votre participation a été utile.
La séance est levée.