Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 3 - Témoignages du 20 avril 2004
OTTAWA, le mardi 20 avril 2004
Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.
Le sénateur David Tkachuk (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président: Sénateurs, je veux souhaiter la bienvenue au gouverneur de la Banque du Canada, M. David Dodge, et à M. Paul Jenkins, premier sous-gouverneur de la Banque du Canada, à notre première réunion de 2004. Traditionnellement, le gouverneur de la Banque comparaît deux fois par an auprès de notre comité.
M. David A. Dodge, gouverneur, Banque du Canada: Sénateurs, merci de nous accueillir ce matin. Comme toujours, nous sommes heureux d'avoir l'occasion, deux fois l'an, de venir témoigner devant votre comité, cette fois-ci avant notre comparution devant le comité de l'autre endroit, ce qui ne s'est pas produit depuis quelques années. Ces séances nous aident à faire reconnaître l'objectif de la politique monétaire et les mesures que nous prenons pour l'atteindre.
L'économie canadienne continue de s'ajuster au nouveau contexte international, notamment au raffermissement de la demande mondiale, aux prix plus élevés des produits de base et au réalignement des monnaies, dont le dollar canadien. De plus, les pays à marché émergent, en particulier la Chine et l'Inde, contribuent à intensifier la concurrence à laquelle nos produits font face, mais ils représentent aussi de nouveaux débouchés pour ces produits.
[Français]
Ces changements exigent un déplacement de l'activité entre les secteurs et obligent de nombreuses entreprises à s'adapter. La politique monétaire facilite cet ajustement en apportant un soutien à la demande globale afin d'amener l'économie à se maintenir près des limites de sa capacité de production et l'inflation à s'établir au taux visé.
Lorsque nous nous sommes adressés à votre comité en octobre dernier, la croissance au Canada était plus lente que prévue et la banque estimait que la marge de capacité excédentaire au sein de l'économie était plus élevée que projetée six mois plus tôt.
Comme vous le savez, notre économie a été ébranlée par un certain nombre de chocs en 2003. Par conséquent, même si la reprise de l'économie s'est généralisée à l'échelle internationale et que les coûts de produits de base ont augmenté, à la fin de l'année, l'économie canadienne fonctionnait à un rythme bien inférieur à celui que la banque avait anticipé dans son rapport d'octobre.
Selon des données préliminaires, la croissance se serait établie à un peu moins de 3 p. 100 au premier trimestre 2004. La banque est donc d'avis que l'appareil de production fonctionne toujours nettement au-dessous des limites de sa capacité.
[Traduction]
Les prévisions de la Banque concernant l'expansion économique et l'inflation au pays n'ont pratiquement pas changé depuis la publication de la «Mise à jour du Rapport sur le politique monétaire» en janvier dernier. La croissance de l'économie canadienne devrait s'établir aux alentours de 2,75 p. 100 en moyenne en 2004, puis se hisser à environ 3,75 p. 100 en 2005. Cette croissance proviendra principalement de la demande intérieure privée, elle-même stimulée par la détente monétaire et la solide confiance des entreprises et des consommateurs. Ainsi, l'économie devrait tourner à nouveau près de son plein potentiel d'ici le troisième trimestre de l'an prochain. On prévoit que l'inflation mesurée par l'indice de référence — qui exclut les composantes les plus volatiles de l'indice des prix à la consommation et l'effet des modifications des impôts indirects sur les autres composantes — se situera à 1,5 p. 100 en moyenne durant le reste de l'année. Puis, à mesure que les capacités inutilisées seront absorbées, elle devrait remonter à 2 p. 100 avant la fin de 2005.
La façon dont notre économie s'ajustera à l'évolution de la conjoncture mondiale demeure la principale incertitude entourant ces perspectives. Dans l'ensemble, les risques qui pèsent sur celles-ci semblent être équilibrés.
Monsieur le président, Paul et moi nous nous ferons maintenant un plaisir de répondre aux questions du comité.
Le sénateur Kelleher: Monsieur Dodge, j'ai une question au sujet des fusions des banques. Je doute que cela vous surprenne. Le mois dernier, M. Clark, le pdg de la Banque TD, a déclaré qu'il pensait que le gouvernement ne pourra respecter l'échéance proposée du 30 juin pour produire des lignes directrices et des règles en matière de fusion bancaire. Vous savez bien que cette situation crée des incertitudes, ou peut créer des incertitudes, ce qui déplaît aux entreprises et aux banques. Actuellement, les banques disposent de 14 milliards de dollars d'excédent en capital. Nul doute qu'elles se demandent quoi en faire.
Quelle que soit la décision finale du gouvernement, qu'elle soit favorable ou défavorable aux fusions bancaires, craignez-vous l'incertitude qu'une décision tardive pourrait créer?
M. Dodge: Sénateur, vous l'avez bien dit, les entreprises, et surtout les institutions financières, n'aiment pas l'incertitude. Toute mesure qui peut éclaircir la situation et favoriser la certitude est toujours la bienvenue.
À la Banque du Canada, notre première préoccupation, c'est l'efficacité de nos marchés financiers. Vous remarquerez que dans beaucoup de nos déclarations, et lors de nos conférences, nous parlons toujours du régime financier, des intermédiaires du régime et des opérations des marchés de ce régime, qui doivent être aussi efficaces que possible. Il y a trois raisons à cela, dont l'une est directement liée à nous: la politique monétaire ne peut être efficace que si les marchés sont efficients. Par conséquent, il faut nous assurer que ce soit le cas. Ce qui est encore plus important pour les Canadiens, c'est que les marchés efficients permettent de faire correspondre les épargnes canadiennes avec les besoins des entreprises d'investissement en capitaux. Pour que ce soit le cas et pour que le risque soit distribué adéquatement, il est important que les marchés fonctionnent de manière efficiente.
Bien sûr, il reste à se demander quel est le rôle des intermédiaires financiers pour permettre cette efficience. Évidemment, il est dans notre intérêt que ces intermédiaires financiers fonctionnent de manière aussi efficace et efficiente que possible.
Si vous regardez partout ailleurs dans le monde, il n'existe pas de réponse unique à cette question sur la structure des intermédiaires, à savoir s'ils doivent combiner tous les piliers des transactions financières ou seulement quelques-uns; tout comme il n'existe pas de réponse unique sur les chiffres qui reflètent cette efficience. Ce qui est fondamental, c'est d'avoir une concurrence efficace pour permettre de maintenir cette efficience. Combien d'institutions est-ce que cela implique? Il n'y a pas de réponse absolue. En effet, il existe des pays qui ont très peu d'institutions, comme la Hollande, par exemple, mais qui ont une concurrence très efficace, et d'autres pays avec davantage d'institutions, où la concurrence n'est pas aussi forte.
Il n'y a pas de réponse absolue, mais ce qui est important, c'est l'efficience à la fois des institutions et des marchés.
[Français]
Le sénateur Massicotte: Monsieur le gouverneur, dans vos discours, vous mettez l'accent sur le besoin d'être flexible dans nos structures et d'être concurrentiel comme pays. Pouvez-vous nommer deux ou trois choses que le gouvernement devrait faire et avez-vous des recommandations pour s'assurer qu'on demeure concurrentiel mondialement? Dans un de vos derniers discours, vous avez parlé de l'Inde et de la Chine, ce dernier étant un nouveau joueur très important.
M. Dodge: Maintenant que nous avons atteint un niveau d'emploi élevé, nous pouvons faire un ajustement pour améliorer la productivité de chacun des employés dans l'économie. C'est important de mettre l'emphase sur les investissements qui vont augmenter la productivité des travailleurs au Canada pour être concurrentiel avec les autres marchés mondiaux. Cela veut dire le transfert d'activités des travailleurs moins productifs à ceux qui sont plus productifs. C'est extrêmement important, mais c'est difficile. Nous sommes en train de faire ces transferts. C'est pour cette raison que nous croyons qu'il est très important d'encourager la demande globale pour faciliter ces transferts.
Pour ce qui est de la Chine, de l'Inde et des économies d'Asie, je passe la parole à M. Jenkins.
M. Paul Jenkins, premier sous-gouverneur, Banque du Canada: Comme vous l'avez souligné, il existe une concurrence très importante, en partie à cause de la force des pays à marché émergeant comme la Chine et l'Inde. À cause de ces forces dans l'économie mondiale, il y aura un déplacement d'activités entre les secteurs et de nombreuses entreprises devront s'adapter. La politique monétaire devra faciliter cet ajustement en apportant un soutien à la demande globale de l'économie canadienne.
Comme le gouverneur l'a mentionné, il est très important pour les entreprises canadiennes d'avoir un degré de flexibilité à cause des forces qui existent dans l'économie mondiale. Elles devront augmenter leur production. Aussi, il faut tenir compte des autres marchés mondiaux, pas seulement des États-Unis. Il est vrai que le dollar canadien s'est apprécié vis-à-vis le dollar américain, mais en même temps, le dollar s'est déprécié vis-à-vis l'euro. Avec les devises, il y a des possibilités dans d'autres marchés mondiaux. Comme le gouverneur l'a suggéré, il s'agit d'augmenter la productivité à cause de la concurrence qui existe maintenant.
Le sénateur Massicotte: Que devrait-on faire pour être concurrentiel avec les autres pays? Vous mettez l'emphase sur les entreprises comme telles, mais y a-t-il des politiques plus spécifiques, plus gouvernementales qu'on pourrait mettre en place pour s'assurer qu'on demeure concurrentiel et pour encourager les entreprises à être concurrentielles?
M. Jenkins: Je suis d'accord qu'il y a des forces dans les marchés mondiaux. Il est important que l'économie canadienne soit flexible et qu'elle s'adapte à cette concurrence. Il est certain que la présence de l'économie chinoise, par exemple, représente un changement structurel à moyen terme.
En ce qui concerne les politiques, il y a d'autres éléments qui sont aussi très importants; par exemple, le régime de taux de change fixe en Chine versus le dollar américain. Pour s'ajuster aux marchés mondiaux actuels, il est aussi très important pour le reste du monde, la Chine entre autres, d'être flexible. Il nous faut un régime de taux de change plus flexible.
M. Dodge: Je peux ajouter que le marché du travail est le plus difficile dans une période d'ajustements. Pour faciliter l'ajustement dans ce marché, il est donc très important de continuer à fournir, de la part des gouvernements et des entreprises, la formation continue aux travailleurs pour qu'ils aient la capacité de se déplacer d'un secteur à un autre, d'un poste à un autre.
[Traduction]
Le sénateur Meighen: Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que votre déclaration de ce matin est beaucoup plus courte que ce à quoi vous nous avez habitués. Ça n'est pas une critique. En effet, je remarque qu'il y a beaucoup moins de journalistes aujourd'hui que d'habitude, ce qui montre que M. Jenkins et vous maîtrisez la situation à la Banque du Canada, et que tout va bien.
Sur ces belles paroles, je continue. J'allais vous poser des questions sur autre chose, mais le sénateur Massicotte, comme à son habitude, a piqué ma curiosité au sujet de la productivité.
On nous dit toujours que lorsque notre dollar est faible, cela favorise nos exportations, mais résulte probablement en une productivité plus faible. Pouvez-vous nous dire s'il existe des preuves qui montrent qu'avec un dollar plus fort, la main-d'oeuvre canadienne est effectivement devenue plus productive? D'autre part, est-ce qu'une productivité accrue fait partie des objectifs de la Banque, ou est-ce que c'est simplement une des conséquences positives d'un dollar fort?
M. Dodge: Si vous me le permettez, sénateur, je vais reformuler votre question. Vous m'avez demandé si nous avions des preuves que la productivité était plus forte. Je pense que l'on devrait plutôt dire «augmente», parce que c'est un processus d'ajustement qui prend un certain temps, et l'on ne s'attend pas à en observer les effets avant environ un an après l'ajustement du taux de change. De la même façon, la productivité est probablement la chose la plus difficile à mesurer à court terme, parce que lorsqu'on divise deux très gros chiffres, des petites erreurs peuvent mener à des résultats numériques trompeurs sur la situation.
Effectivement, il existe beaucoup de preuves, au fil du temps, et dans différents pays, qui montrent que lorsque l'on change le prix relatif de la main-d'oeuvre et du capital social, ce qui est le cas ici, cela exerce une influence sur la productivité.
Si l'on revient en arrière, souvenez-vous qu'entre le milieu des années 90, jusqu'au début des années 2000, nous vivions une période d'offre excédentaire de la main-d'oeuvre dans notre économie, et il fallait également équilibrer les budgets, à la fois au niveau fédéral et provincial. Cela voulait dire que si nous voulions maintenir l'emploi pendant cette période, il fallait faire venir une demande étrangère pour employer les gens, et effectivement, au cours de cette période, la main-d'oeuvre canadienne est devenue relativement bon marché, par rapport à l'étranger. Nous avons intégré cette demande et nous sommes revenus à un point où notre ratio emploi-population est légèrement supérieur à ce qu'il était à la fin des années 80.
Il convient maintenant de mettre davantage l'accent sur l'augmentation de la productivité, car sans elle, l'accroissement graduel des revenus réels est impossible. Nous ne pouvons pas augmenter continuellement notre ratio emploi-population. Actuellement, celui-ci est nettement supérieur au ratio américain. En fait, il est supérieur au ratio qu'affichaient les États-Unis lorsque celui-ci était à son sommet. Maintenant, il est important de changer de cap, de ne pas se détourner d'un taux d'emploi élevé, mais de tenter d'augmenter la productivité de la population active, parce que c'est ce qui nous permettra de faire accroître nos revenus réels.
Est-ce que ça fait partie des objectifs de la banque? Évidemment. La meilleure chose que nous puissions faire pour l'atteindre, c'est de continuer d'essayer de maintenir notre taux d'inflation autour de 2 p. 100, ce qui est notre cible, et de faire en sorte que notre économie fonctionne autant que possible à pleine capacité. C'est pourquoi la politique monétaire a un rôle important à jouer, mais pas forcément un rôle direct.
Le sénateur Meighen: Le sénateur Massicotte vous a demandé ce que nous pouvions faire, en tant que parlementaires. Vous avez expliqué ce que la banque pouvait faire pour encourager une meilleure productivité, mais nous, que pouvons-vous faire? Je ne vous demande pas de vous lancer dans un débat sur la politique du gouvernement, mais si par exemple, nous voulions revoir le régime fiscal des entreprises, et plus précisément si l'impôt sur le capital devait être éliminé au Canada, quelle incidence cela aurait-il sur notre dollar, sur nos taux d'intérêt, et surtout, sur la productivité?
M. Dodge: Sénateur, je ne pense pas que ce soit à la banque centrale de dire aux gouvernements ou aux parlementaires quel devrait être le dosage exact des dépenses et des impôts. Nous insistons évidemment sur l'importance de l'équilibre budgétaire, car c'est fondamental pour préserver la confiance des Canadiens, des entreprises et des investisseurs.
Je ne pense pas que ce soit à nous d'entrer dans le domaine précis de la politique fiscale, mais je vais répéter ce que j'ai dit en réponse au sénateur Massicotte. Je pense qu'en tant que parlementaires et que Canadiens, il faut toujours que notre priorité soit de faciliter les ajustements du marché du travail. Ce sont toujours les ajustements les plus difficiles, où que ce soit, et ce sont ceux qui ont une incidence immédiate sur les gens, dans leur vie quotidienne.
Il est important que les parlementaires aient comme priorité de faire en sorte que ces marchés fonctionnent aussi bien que possible, que les travailleurs qui passent d'une activité moins productive à une activité plus productive aient accès à la formation, la mobilité et l'aide nécessaires pour que ce changement se fasse aussi facilement et aussi rapidement que possible.
C'est un vrai défi, surtout dans un pays comme le Canada, où nous sommes aussi éparpillés géographiquement, et il existe des différences industrielles importantes entre nos différentes régions.
Le vice-président: Que voulez-vous dire par «équilibre budgétaire»?
M. Dodge: C'est l'équilibre entre les dépenses et les recettes. En gros, comme nous l'avons dit à maintes reprises, nous pensons qu'il est important, surtout étant donné la situation démographique que nous connaîtrons au milieu de la prochaine décennie et plus tard, que chacun ait confiance que les gouvernements fédéral et provinciaux tenteront de réduire le rapport dette-PIB, de sorte que le coût du service de la dette dans la prochaine décennie et au-delà diminuera pour donner à ces gouvernements la marge de manoeuvre dont ils auront besoin pour faire face à une population vieillissante.
Le vice-président: Lorsque vous conseillez l'équilibre budgétaire aux gouvernements, leur dites-vous qu'ils doivent réduire leur endettement en faisant diminuer le rapport dette-PIB au PIB, ou leur dites-vous de rembourser la dette totale?
M. Dodge: C'est une question assez délicate. En termes nominaux, la croissance potentielle de l'économie dans la prochaine décennie se situe autour de 5 p. 100 — 2 p. 100 d'inflation, 3 p. 100 de croissance réelle. Avec un tel scénario, le fardeau de la dette publique par rapport aux recettes publiques et à la taille de l'économie diminuera automatiquement.
Chaque province est dans une situation différente, en ce qui concerne l'importance de sa dette publique. Il n'existe pas une solution qui convienne à chaque gouvernement. L'objectif du gouvernement fédéral, c'est de réduire ce ratio à 25 p. 100, ce qui peut probablement être fait si l'on continue à accumuler de petits excédents budgétaires nominaux année après année. Cependant, cela maintiendrait le rapport dette-PIB à la baisse.
[Français]
Le sénateur Biron: Une première théorie veut que lorsque le Canada a un dollar faible, les entreprises canadiennes font preuve de laxisme et profitent de la faiblesse du dollar au lieu d'investir dans des équipements ou l'accroissement de la productivité. Par ailleurs, une deuxième théorie veut que lorsque les taux d'intérêt sont élevés, ceux-ci entrant dans le coût de production, les entreprises diminuent leurs profits et leur capacité d'investir. Si les entreprises ne font pas de profits, elles ne peuvent emprunter pour investir. Cependant, n'est-il pas dans la nature de tous les entrepreneurs d'investir afin d'augmenter leur productivité et par conséquent leurs profits? Lequel de ces deux énoncés a le plus d'importance sur la politique des taux d'intérêt? Peut-être est-ce un mélange des deux.
M. Dodge: Premièrement, je ne crois pas à la première théorie. Les gens désirent de façon générale répondre aux incitations du marché. Lorsque le dollar canadien était faible par rapport au dollar américain, cela se traduisait au Canada par un coût de main-d'œuvre moins élevé et des biens en capitaux plus élevés. Il y a donc une incitation à employer plus de main-d'œuvre avec un capital moindre. On s'attend alors à ce que le taux de croissance de la productivité soit plus faible que dans une période où la main-d'oeuvre est relativement plus coûteuse et que les coûts des biens en capitaux soient moins chers. Les incitatifs visant l'amélioration de la productivité au Canada sont présents.
Deuxièmement, en ce moment il y a un changement du prix relatif entre les services et les produits hautement manufacturés, d'une part, et les matières premières et autres produits industriels, d'autre part. L'accent est mis sur les produits primaires et les produits industriels afin d'attirer la main-d'œuvre et les capitaux dans ce secteur. C'est le fonctionnement normal des marchés qui rend l'économie canadienne beaucoup plus efficace.
À l'heure actuelle, le bilan des entreprises est assez fort et les profits, pris globalement, pas pour chacune des entreprises naturellement, sont un peu plus élevés que normalement. Cela favorise les entreprises d'autant plus que les taux d'intérêt sont bas à court terme ou à long terme.
Le coût des capitaux financiers est assez bas à l'heure actuelle et les entreprises ont des revenus suffisants pour se permettre de faire des investissements. Nous anticipons que les investissements dans le secteur privé au cours de cette année et de la prochaine année seront assez élevés. Vous trouverez dans nos prévisions que la contribution à la croissance dans l'économie canadienne de l'investissement est plus élevée que la moyenne. Cela aidera la productivité et le revenu réel des Canadiens pour l'avenir.
M. Jenkins: Un autre élément important est le rôle des taux de change concernant la situation macroéconomique. Avec l'appréciation du dollar, des ajustements négatifs seront nécessaires dans certains secteurs dont ceux qui sont très ouverts au commerce international. En même temps, la fluctuation du dollar affecte de façon importante l'équilibre de la situation macroéconomique. Par exemple, après la crise asiatique, le prix des produits de base a baissé de près de 25 p. 100 au total. Le mouvement du dollar a clairement aidé les producteurs des produits de base, mais aussi le mouvement du dollar a facilité le mouvement des ressources entre les différents secteurs. Dans un certain sens, c'est l'envers de la médaille qui existe maintenant. Il y a des secteurs qui sont très ouverts au commerce international. Il y aura des impacts négatifs, mais en même temps, dans d'autres secteurs, le mouvement du dollar représente une force positive au bilan. Pour nous, l'équilibre entre tous les facteurs est très important et donc la situation macroéconomique est un élément très important et pas seulement comme je l'ai mentionné en réponse au sénateur Massicotte. Il y a des ajustements domestiques, mais il y a en même temps des forces très importantes concernant des déséquilibres mondiaux à cause du déficit de la balance commerciale aux États-Unis.
[Traduction]
Le sénateur Angus: Bonjour, monsieur. Je suis heureux moi aussi de pouvoir échanger avec vous. Vous avez dit que vous alliez rencontrer notre comité deux fois par année. J'espérais que cela soit plus souvent.
Vos propos de ce matin sont conformes à tout ce que j'ai lu provenant de la banque au cours des trois ou quatre derniers mois.
Gérer l'économie est une affaire délicate en ce moment. Nous assistons à des changements dynamiques non seulement au Canada mais partout dans le monde. Si l'on regarde l'ensemble du tableau économique, on constate qu'il y a des rajustements, de nouveaux produits, de nouvelles façons de faire et des risques qu'il reste à évaluer dans certains cas. Notre façon de réagir et nous adapter détermine, si j'ai bien compris, la façon dont vous exercerez votre mandat.
Nous avons vécu une période d'adaptation à Ottawa récemment, lors du changement de gouvernement, ou vers le 12 février, justement au moment où ces rajustements délicats étaient demandés ou étaient en train de se produire. Vous avez dit qu'il faut plus de transparence dans l'exercice de votre mandat. Je me demande si vous avez conseillé au nouveau gouvernement, au ministre des Finances ou au premier ministre, certains changements d'orientation et, dans l'affirmative, lesquels. Tout d'abord, pouvons-nous nous attendre à un changement d'orientation? Voilà la question préliminaire.
M. Dodge: Je ne suis pas en mesure de répondre à votre dernière question, sénateur. J'ignore la réponse.
Les conseils que nous avons donnés sont tout à fait clairs. Premièrement, il importe de maintenir le cap sur l'équilibre budgétaire pour réduire le rapport dette-PIB au cours des dix prochaines années. Cela continuera à raffermir la confiance de la population canadienne à l'égard de la capacité des gouvernements de fournir les services qu'ils se sont engagés à offrir et de ne pas exercer de pression inflationniste qui nécessiterait une intervention vigoureuse de notre part. Ce sont là des conseils tout à fait fondamentaux.
Par ailleurs, les banques centrales font généralement valoir, de même que la plupart des commentateurs, que la souplesse des marchés est extrêmement importante pour permettre aux ajustements de se produire sans perturbations notables. Il y a plusieurs façons d'atteindre cet objectif mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, il est important que les marchés du travail demeurent flexibles et que l'on aide les travailleurs à se déplacer d'une activité à l'autre, car pendant les périodes comme celle que nous vivons, il faut favoriser les changements structurels considérables dans les extrants.
Le sénateur Angus: J'imagine que lorsque vous donnez des conseils, vous signalez les risques économiques précis qui existent dans le système. Est-ce là une description exacte de votre rôle?
M. Dodge: Absolument. Nous nous efforçons effectivement de signaler les risques, et non seulement au gouvernement fédéral, vous vous en doutez bien. Nous rencontrons les ministres des Finances des provinces ensemble et individuellement pour passer en revue ces risques.
Nous avons pris l'engagement de viser un taux d'inflation d'environ 2 p. 100; si le taux d'inflation est inférieur, nous tâcherons de le faire remonter, et s'il est supérieur, de le ramener à cette cible. Nous savons qu'une période d'adaptation comme celle que nous traversons actuellement engendre certaines pressions et, dans la mesure du possible, nous tâcherons de les atténuer par notre politique monétaire. Cette ligne de conduite est tout à fait appropriée, car le taux d'inflation actuel est bien en deçà de notre objectif.
Le sénateur Angus: Si je vous ai demandé si vous aviez donné de nouveaux conseils au gouvernement, c'est que j'ai remarqué une nouvelle mesure prise par le nouveau gouvernement, dans le dernier budget: le traitement des fiducies de revenu ou la mise en garde à leur sujet. Les commentateurs de la presse économique en ont beaucoup parlé. J'ai lu l'autre jour qu'aux États-Unis, une bulle est peut-être en train de se former au niveau des courtiers en devises qui empruntent à court terme pour profiter des faibles taux d'intérêt dans différents pays. Quand les taux d'intérêt à court terme sont sur le point d'augmenter, ce qui serait le cas aux États-Unis, cela cause des problèmes ou suscite de la crainte chez ces courtiers.
Vous avez dit qu'il y a des changements dynamiques en train de se produire dans le monde entier. L'un d'eux est l'avènement et l'utilisation de plus en plus grande de ces produits structurés et de ces instruments extrêmement risqués. Lors d'une séance passée, vous avez dit que des milliards de dollars pouvaient être transférés instantanément en appuyant sur un bouton. Une situation survenue il y a cinq ans aux États-Unis a inspiré beaucoup de craintes; un fonds spéculatif de grande envergure a dû être secouru par tous les courtiers financiers importants et les banques de New- York. Je pense qu'il portait le nom de LTCM. Quoi qu'il en soit, il semble y avoir beaucoup de fonds hautement spéculatifs qui font ce genre de transactions et cela engendre manifestement des risques.
Je me suis demandé si, à titre de gouverneur de la Banque du Canada, vous n'aviez pas signalé qu'il serait bon de regarder de plus près le fonctionnement de ces fonds de fiducie et de revenu, qui semblent respecter plus ou moins les règles, ce qui pourrait engendrer des problèmes.
M. Dodge: Vous avez soulevé beaucoup de questions, sénateur. Je vais y répondre en commençant par le milieu.
Au cours des 15 dernières années, on a créé beaucoup de nouveaux instruments financiers qui répartissent le risque d'une façon différente que ne le faisaient les instruments conventionnels et ordinaires des années 80.
À l'instar de toutes les autres banques centrales comme du FMI et de la BRI, nous nous sommes efforcés de comprendre exactement ce qui s'est produit. Nous avons constaté, et c'est fort heureux, que ce sont les intermédiaires financiers, particulièrement les banques, qui ont pris une partie du risque qui était concentré dans ce très petit secteur et l'ont réparti entre d'autres investisseurs grâce à ces divers instruments.
Toutefois, ce qui vient quelque peu tempérer notre enthousiasme, c'est que nous ne savons pas où ces risques se trouvent, en dernière analyse, et si la capacité de supporter le risque s'est accrue. Nous pensons que oui, mais nous ne savons pas où se trouvent les risques.
On effectue beaucoup d'études en ce moment pour essayer de le déterminer, mais d'après les données de 2001-2002, ces instruments ont effectivement contribué à déplacer le risque vers des intervenants plus en mesure de le supporter et à éviter que le système bancaire ait à supporter la plus grande part du risque. D'après les données recueillies jusqu'à maintenant, il semble que ces instruments se soient révélés très utiles pour l'ensemble du système.
Vous avez évoqué la question précise de fiducies de revenu, lesquelles ont bien entendu été créées expressément sous la forme de fiducies de taux et de redevances pour offrir un mécanisme efficace aux marchés. Au Canada, nous n'avons pas un marché très développé où les émetteurs de titres moins bien cotés puissent obtenir des emprunts à long terme. Nous essayons de créer de tels marchés et, dans une certaine mesure, les fiducies de revenu contribuent à combler cette lacune.
Il ne s'agit pas nécessairement d'un mauvais instrument. Au contraire, nous l'avons expressément créé pour les redevances et les revenus immobiliers. Il s'agit de l'instrument tout à fait approprié dans d'autres cas également.
À mon avis, le ministère des Finances a essayé de corriger un problème qui existe chaque fois que les répercussions fiscales sont différentes pour les particuliers qui détiennent de tels instruments dans leur portefeuille et pour les caisses de retraite ou d'autres organismes exonérés d'impôt. Je pense que c'est cela qui explique cette mesure budgétaire, mais il vous faudrait poser la question au ministre des Finances.
Il y a dix ans, j'aurais peut-être pu vous répondre de façon plus précise, mais je n'ai pu aujourd'hui accès aux renseignements nécessaires pour le faire.
Enfin, vous avez parlé des fonds spéculatifs et des institutions qui profitent des écarts entre les taux. Nous arrivons maintenant à la fin d'une période qui a été caractérisée par des taux d'intérêt exceptionnellement faibles dans le monde entier. Les marchés s'attendent non seulement à ce que les taux commencent à se redresser mais également à ce que la courbe des taux s'aplatisse. Toute institution qui misera sur la cambrure de la courbe pour ses activités s'exposera à un risque accru dans l'avenir.
M. Jenkins pourra répondre à votre dernière question, en ce qui concerne le marché des devises.
M. Jenkins: Cet élément ne nous semble pas particulièrement important en ce moment d'après l'information que nous examinons et les positions prospectives des négociateurs dans ces marchés. Nous suivons cette information de très près. Il peut y avoir des opérations irrégulières dans certains cas. Pour l'instant, ces transactions ne semblent pas avoir d'effet majeur sur le marché, particulièrement sur le marché du dollar canadien.
Le sénateur Harb: Ma première question porte sur l'écart entre les taux d'intérêt pratiqués au Canada, aux États- Unis et en Europe. Quels facteurs déterminent l'étendue de l'écart? Est-ce le taux de change ou l'inflation? Quels sont les facteurs dont vous tenez compte au moment de déterminer le niveau des taux d'intérêt au Canada?
À quel moment la Banque du Canada décide-t-elle d'acheter ou de vendre des devises pour stabiliser la situation?
M. Dodge: Je dirais tout d'abord, sénateur Harb, que cela dépend beaucoup de la partie de la courbe L dont vous parlez. S'agit-il du taux de financement à un jour, du taux des fonds du gouvernement fédéral ou du taux d'escompte en Europe; ces taux relèvent clairement de la politique de la banque centrale. Ce sont eux que nous pouvons influencer directement.
Les banques centrales ont toutes des politiques différentes. En Australie, par exemple, les pressions inflationnistes ont suscité de réelles inquiétudes. Le taux d'escompte est assez élevé dans ce pays. Aux États-Unis, c'est exactement l'inverse qui se produit, et le taux d'escompte est faible. Au Japon, on a connu une déflation, et le taux d'escompte est très faible. Cela dépend de la politique de la banque centrale.
Il serait plus intéressant de savoir ce qui influence les taux d'intérêt de 10 ans ou de 30 ans. Les attentes quant à l'inflation jouent un rôle énorme. Au Canada, on s'attend à un taux d'inflation de 2 p. 100. Il n'y a pas beaucoup d'incertitude à ce sujet.
L'établissement d'une cible ou d'un objectif en matière d'inflation présente un grand avantage, que ce soit au Canada ou ailleurs: cette cible sert d'ancre. Il est évident que l'inflation est un facteur important.
Il y a également les attentes quant à l'offre et à la demande relatives de capitaux, et en particulier de devises, qui jouent un rôle avec le temps. Même lorsqu'on s'attend au même taux d'inflation dans différents pays, on constate des différences sur ce plan à long terme.
Tout cela dépend beaucoup de l'évolution des marchés. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, la demande de capitaux de la part des entreprises n'a pas été très forte, en raison des bénéfices relativement élevés au Canada et aux États-Unis, des piètres bénéfices enregistrés en Europe et de la performance du Japon, où les bénéfices ont commencé à reprendre. Il y a eu beaucoup d'autofinancement. La demande de capitaux des sociétés n'a pas été énorme, bien que certaines entreprises aient essayé de convertir leurs emprunts à court terme en emprunts à long terme.
Le facteur déterminant, c'est le gouvernement. Tous les pays du G-7, à l'exception du Canada, ont des déficits relativement importants et des plans relativement flous quant à la façon d'y remédier dans l'avenir. Cela exerce une pression à la hausse sur le taux des obligations dans d'autres pays, situation que nous ne connaissons pas ici.
Il est très intéressant de comparer le Canada et les États-Unis. À l'extrémité très abrupte de la courbe, on observe une différence de rendement variant de 75 à 100 points. À l'autre extrémité, la courbe est presque plate.
Voilà les facteurs dont nous tenons compte.
Il y a quelque chose d'autre qui inquiète un peu les banques centrales de tous les pays du monde. Les taux d'intérêt nominaux sont relativement faibles. Par conséquent, les investisseurs sont à la recherche d'un bon rendement. À cause de ces taux d'intérêt nominaux relativement faibles, les investisseurs ont tendance à se déplacer vers des marchés plus risqués en misant sur des écarts plus faibles entre les taux d'intérêt par rapport à la situation traditionnelle.
Cela vaut également pour les marchés intérieurs. Comme vous le voyez dans notre rapport, les écarts ont diminué.
C'est vrai autant pour les marchés internationaux que pour les marchés nationaux. L'écart entre les taux s'est rétréci.
Nous savons que les taux vont commencer à monter, surtout à cause des États-Unis, mais aussi à cause d'autres pays. Les écarts vont s'élargir. Il est un peu préoccupant de constater que les investisseurs n'ont pas pleinement tenu compte de ce risque.
Je vais céder la parole à M. Jenkins parce que c'est un sujet dont nous discuterons à Washington au cours du prochain week-end.
M. Jenkins: D'après ce que le gouverneur a dit, particulièrement au sujet du niveau des taux d'intérêt dans différents pays, il semble que la banque centrale de chaque pays détermine la politique monétaire appropriée compte tenu de la conjoncture dans ce pays. Comme le gouverneur l'a indiqué, la conjoncture varie sensiblement d'une région à l'autre du monde. Ce que cela suppose également c'est que la plupart des pays du monde industrialisé ont une marge de manoeuvre quant à leur taux de change, ce qui est la situation au Canada.
Nous pensons que ce taux de change souple a bien servi l'économie canadienne. Pour revenir à ce que nous disions tout à l'heure, face à tous ces changements qui se produisent dans le monde, il ne faut pas chercher à s'isoler mais plutôt à s'adapter. Nous estimons que le taux de change du Canada a joué un rôle très important «d'amortisseur». Par exemple, la crise asiatique a eu un effet sur le Canada et les questions dont nous parlons aujourd'hui ont permis de renforcer notre devise.
Du point de vue de la politique monétaire, nous ne nous prononçons pas sur la valeur que devrait avoir notre devise. Notre objectif est la maîtrise de l'inflation, qui nous semble la plus importante contribution que nous puissions faire au maintien du bon rendement de l'économie canadienne. Nous fixons les taux d'intérêt à des niveaux qui favorisent l'atteinte de cet objectif avec le taux de change, réagissant aux événements qui se sont produits. Nous avons établi un cadre qui comporte un taux d'inflation cible, un taux de change souple, et nous avons fixé les taux d'intérêt à des niveaux que nous jugeons appropriés pour atteindre l'objectif fondamental de maîtriser l'inflation. Voilà comment nous contribuons à une performance économique favorable et soutenue.
Le sénateur Harb: Étant donné ces faibles taux d'intérêt, les consommateurs sont-ils portés à emprunter et accumuler des dettes? Est-il à craindre que, quand les taux d'intérêt recommenceront à monter, nous assistions aux répercussions de cet endettement des Canadiens et des consommateurs du monde entier? Ce niveau d'endettement pourrait avoir des effets défavorables quand certains consommateurs se rendront compte qu'ils ne peuvent pas remplir leurs obligations financières à cause de la hausse des taux d'intérêt. Conseillez-vous au gouvernement de sensibiliser les consommateurs au fait que l'on sonnera bientôt la fin de la récréation?
M. Jenkins: Pour répondre à votre question, sénateur, je pense que le bilan financier des ménages est assez favorable dans l'ensemble. Il en va de même, comme le gouverneur l'a noté tout à l'heure, pour les entreprises. C'est une des forces fondamentales de l'économie canadienne en ce moment. Cela dit, il est absolument vrai que les niveaux d'endettement par rapport au revenu ont continué à augmenter. Cependant, si on regarde les changements que cela a entraînés pour l'ensemble des ménages, par rapport à d'autres ratios dette/actif, une bonne partie de l'argent emprunté au cours des dernières années a été investi dans l'immobilier. Le prix des maisons a augmenté, mais pas à un point tel qu'on pourrait craindre de la spéculation et pas à des niveaux comme ceux qu'on a connus au cours des années 70 et 80, où l'on a assisté à des alternances de forte expansion et de récession. Ce sont là des expériences que nous ne voulons pas revivre.
Ce qui est plus important, c'est que les ratios d'endettement sont très faibles, ce qui s'explique bien entendu par le faible taux d'inflation que nous connaissons actuellement. Les fortes pressions que nous avons connues au cours des années 70 et 80 se sont produites au moment où les taux d'intérêt ont grimpé à des niveaux extrêmement élevés en réaction à la forte remontée du taux d'inflation. Cette conjoncture n'existe pas aujourd'hui et nous ne souhaitons pas la revivre.
Nous avons effectué des analyses de sensibilité sur cette question car il importe de comprendre comment ces rapports vont évoluer. Nous avons examiné le bilan des ménages et fait des analyses de sensibilité fondées sur des scénarios où les taux d'intérêt augmenteraient de 200 à 400 points de base. Il ne s'agissait pas de faire des prédictions mais simplement de connaître les répercussions d'une telle augmentation des taux. Nous jugeons que même si les taux d'intérêt grimpent à ce niveau, le bilan et les niveaux d'endettement des ménages resteront tout à fait acceptables, compte tenu du faible coût du service de la dette.
Le sénateur Moore: Ma question a trait à celle que vous a posée le sénateur Harb. Je pensais que la baisse des taux d'intérêt entraînait une augmentation des achats des consommateurs. À Noël l'an dernier, j'ai entendu dire que les consommateurs étaient très endettés au Canada. On pensait que c'était pour cette raison que les ventes au détail n'avaient pas été aussi fortes que prévu. J'imagine que la Banque du Canada surveille de près l'endettement des consommateurs.
Au moment d'établir le taux d'escompte de la banque centrale, comment faites-vous pour assurer un équilibre, pour faire en sorte que les gens continuent à acheter des biens, de manière à soutenir la productivité, mais sans vivre au- dessus de leurs moyens, car dans ce cas ils cesseraient de dépenser, ce qui provoquerait une baisse marquée de la demande et amènerait les fabricants de produits à licencier leurs employés? Sur quels facteurs vous fondez-vous pour maintenir l'équilibre? Accordez-vous beaucoup d'importance à cet aspect au moment d'établir le taux d'escompte de la banque centrale sur lequel se fondent, bien sûr, les banques à charte pour fixer leurs taux d'intérêt?
M. Dodge: Sénateur, c'est précisément là la question à laquelle nous sommes confrontés toutes les six ou sept semaines quand nous devons fixer les taux d'intérêt. D'une façon générale, nous tâchons de faire en sorte que l'économie continue à tourner à plein régime ou à peu près de manière à éviter de créer des pressions inutiles sur les marchés, ce qui accroîtrait l'inflation, tout en évitant de créer un écart considérable entre le potentiel de production et la production réelle, ce qui diminuerait l'inflation. Voilà donc l'objectif que nous visons.
Tout cela est facile à dire mais beaucoup plus difficile à faire parce que «l'écart de production» est une notion peu précise, qui est difficile à mesurer et qui suppose une part de jugement. Nous vivons actuellement une période caractérisée par des changements économiques aussi bien dans la structure de la demande que dans la structure de production si bien qu'il est encore plus difficile de savoir avec précision où nous en sommes. Il y a donc une part de jugement dans notre tâche et le fait de fixer des taux d'inflation cibles ne nous dispense nullement d'exercer notre jugement. Cela nous donne cependant certaines balises pour guider notre jugement. C'est précisément pour cette raison que nous publions ces rapports deux fois par an, ainsi que des mises à jour trimestrielles, afin de faire connaître au monde les paramètres de base, à notre avis...
Le sénateur Moore: ... de l'économie canadienne?
M. Dodge: Nous commençons par décrire la conjoncture mondiale, puis celle du Canada. Ces balises permettent à tous de juger de la situation et de comprendre notre perception de la conjoncture mondiale. Tout le monde peut alors juger si notre perception paraît juste ou non, ou si nos chiffres sont élevés ou faibles.
Le sénateur Moore: Ou si la conjoncture est risquée.
M. Dodge: Nos prévisions quant au rapport entre la demande globale et l'offre globale, au Canada et dans le monde, donnent également une idée, si elles se réalisent, de la façon dont la banque centrale est susceptible de réagir. Nous trouvons que c'est une façon extraordinaire de faire des affaires, même si nous nous trompons parfois. En gros, tout le monde peut connaître nos prévisions quant à l'évolution de l'économie et aux balises qui guideront notre intervention. Cela contribue beaucoup à la stabilité de l'économie.
Depuis 1991, nous avons continué à parfaire ce modèle, à l'améliorer. L'expérience a été extraordinairement positive. Beaucoup d'autres pays nous ont demandé de les aider à mettre sur pied un modèle analogue.
Le sénateur Moore: Toutes les six ou sept semaines vous examinez les chiffres. En avez-vous un qui mesure l'endettement des consommateurs au Canada.
M. Dodge: Nous savons ce qui se passe. Nous revoyons les chiffres de l'économie, du crédit, les chiffres étrangers et ceux des attentes des entreprises et nous nous inspirons aussi des autres enquêtes sur les attentes des consommateurs et sur la situation dans les marchés financiers. Ces cinq points de vue sont présentés parce qu'ils ne disent pas forcément la même chose. C'est à partir de ces cinq éléments d'analyse que nous formons notre jugement.
Le sénateur Moore: Y a-t-il un chiffre qui, s'il est trop élevé, vous fait dire qu'il faut intervenir dans l'économie pour réduire l'endettement et faire comprendre aux consommateurs qu'ils doivent vivre selon leurs moyens. Y a-t-il un chiffre en particulier ou est-ce l'ensemble des facteurs qui sont déterminants?
M. Dodge: De toute évidence, sénateur, il y a bien une chose en particulier lorsque vous dites «un chiffre». Si nous agissions exclusivement à partir de chiffres globaux, j'ignore quel serait le chiffre, mais il serait plus élevé que celui que nous avons actuellement.
Le sénateur Moore: C'est ce que j'ai conclu puisque vous ne prenez pas de mesures.
M. Dodge: Il y a une autre question, à savoir la répartition de cet endettement des ménages. Un regard en arrière vous montre que ce qui nous a causé des difficultés, à nous mais aussi à d'autres pays, ce n'est pas l'endettement global mais le fait que du crédit a été accordé à des gens qui avaient une capacité relativement limitée d'y faire face.
Nous considérons évidemment non seulement l'ampleur de l'endettement mais aussi les conditions et les modalités des prêts consentis par les banques ainsi que les nantissements. Pour le marché du logement, ou comme le sénateur Massicotte le sait très bien, le marché de l'immobilier commercial, nous examinons de très près le degré de sécurité, en quelque sorte, du secteur. Nous avons appris à nos dépens que cela compte beaucoup. Il n'y a donc pas que l'ampleur de l'endettement; il faut aussi tenir compte de la répartition et d'autres facteurs.
M. Jenkins s'occupe du secteur bancaire depuis plus longtemps que moi.
M. Jenkins: Ce sont des chiffres que nous suivons de près. Nous rassemblons les chiffres du crédit des ménages et des entreprises de provenances diverses. Nous les examinons mensuellement. C'est un ensemble de renseignements auquel nous accordons une grande attention. Il ne s'agit pas d'un seul chiffre; nous examinons tous les chiffres dans le cadre du bilan global.
Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais pendant un instant revenir à la question qu'a posée le sénateur Meighen tout à l'heure et la rapprocher de l'observation du gouverneur concernant le cadre, c'est-à-dire la question de la productivité et la question de savoir s'il s'agit là d'un objectif. La réponse est un oui catégorique, mais il faut que dans ce cadre on ait cette idée de l'écart de production et de la capacité actuelle de l'économie par rapport à sa capacité potentielle. Un élément de cette capacité potentielle est la croissance de la productivité. C'est un concept qui est important également dans ce cadre. Si la productivité progresse à raison de 2 ou 3 p. 100, cela influera sur la rapidité avec laquelle l'économie peut progresser sans que se matérialisent des pressions inflationnistes.
Cela est important non seulement pour élever le niveau de vie, mais c'est aussi un élément important du cadre. C'est un concept et un secteur de recherche qui sont fort importants pour la banque.
Le vice-président: En réponse au sénateur Harb, vous avez dit je crois que les gens sont «à la recherche de rendement» et que vous aviez des inquiétudes à ce sujet. Où les gens cherchent-ils ces rendements et où les établissements financiers, eux, les cherchent-ils? Quels sont les endroits où ils vont faire leurs placements qui vous inquiètent tant? Je crois savoir que vous avez une rencontre à Washington ce week-end à ce propos? Pourriez-vous nous en dire davantage et nous expliquer pourquoi c'est une source d'inquiétude?
M. Dodge: Il y a deux secteurs. Je cherchais le tableau.
M. Jenkins: En fait, nous ne l'avons pas.
M. Dodge: Je cherchais le tableau sur les écarts dans notre revue du système financier, mais nous ne l'avons pas mis dans les documents que nous avons apportés au comité.
Nous avons observé deux choses, sénateur. D'abord, nous avons constaté l'écart du B et double B par rapport au double ou triple A au pays. En Amérique du Nord, il y a eu contraction. Une entreprise simple B est cotée simple B par opposition à un double A pour de bonnes raisons. L'écart des taux d'intérêt, en termes absolus en tout cas, est relativement étroit si l'on compare avec le passé.
Quand je dis «à la recherche de rendement», ce que l'on observe, c'est que les gens qui rechignent à accepter les taux très bas pour les titres de qualité s'aventurent dans le marché des titres de mauvaise qualité et acceptent donc un peu plus de risques pour obtenir un bon rendement. C'est parfaitement sensé, mais ils acceptent en contrepartie plus de risques et les écarts sont maintenant relativement étroits, ce qui devrait amener les gens à se demander si les risques qu'ils assument en échange d'un profit supplémentaire sont peut-être excessifs.
Là où nous avons constaté une compression encore plus importante des écarts est dans le marché de l'endettement public des marchés émergents, où les écarts sont passés de très larges à très étroits. Ceux qui ont traversé les crises précédentes craignent que les porteurs d'obligations ne se rendent pas pleinement compte du risque que représentent ces faibles écarts. De plus, même si cela apporte une aide exceptionnelle aux pays lourdement endettés, cela encourage davantage les pays à s'endetter plus qu'ils ne le devraient. C'est pourquoi nous sommes un peu nerveux parce qu'il est très possible que ces écarts se creusent davantage.
M. Jenkins: Les réunions dont le gouverneur parlait sont celles des gouverneurs des banques centrales et des ministres des Finances du G-7 à Washington vendredi soir et samedi, ainsi que la réunion semestrielle du FMI, elle aussi à Washington.
Le sénateur Meighen: Nous avons parlé du fort endettement des consommateurs actuellement. Est-ce une évidence de dire que si l'endettement des consommateurs est très élevé, l'épargne de ces derniers est très faible? Je crois comprendre que le chiffre de l'épargne des consommateurs atteint le niveau le plus faible jamais enregistré.
M. Dodge: Oui, sauf qu'il ne faut pas confondre stock et flux: la dette est un stock tandis que l'épargne est un flux. Globalement, si vous regardez la valeur nette des ménages, elle est en hausse.
Le sénateur Meighen: C'est pourquoi M. Jenkins disait que malgré l'endettement record des consommateurs, il n'est pas aussi inquiet qu'il pourrait l'être si le revenu global des ménages n'augmentait pas.
Le sénateur Moore: Sans compter que comme cette dette est dans l'immobilier, elle est moins préoccupante, dites- vous, que s'il s'agissait de biens de consommation. C'est l'impression que j'ai eue.
M. Jenkins: L'idée c'est que la dette ne concerne pas un bien à caractère spéculatif, pour ainsi dire. La valeur du bien sera donc protégée. C'est cela l'idée.
Le sénateur Harb: Ce qui compte, c'est la valeur nette.
M. Jenkins: Ces taux d'épargne extraits des comptes nationaux sont des mesures importantes, mais elles ne sont que partielles. C'est pourquoi nous continuons d'insister sur le bilan global, qui reproduit les biens et leur valeur permettant d'arriver au calcul de la valeur nette, ce qui, pour le secteur des ménages, progresse à un taux raisonnablement rapide.
Le sénateur Meighen: Est-il juste de dire que le spectre de la déflation a maintenant reculé?
M. Dodge: Je ne pense pas que vous nous ayez entendu parler du spectre de la déflation.
Le sénateur Meighen: Non, mais certains commentateurs l'ont fait, et ils s'inquiétaient il y a un an, au moins, que nous puissions entrer en période déflationniste. De toute évidence, cela ne vous inquiète pas.
M. Dodge: Il faut toujours revenir aux facteurs fondamentaux, et le moteur de l'inflation ou de la déflation, c'est l'écart énorme qui persiste dans le temps entre le potentiel en l'occurrence de l'économie mondiale de produire et les niveaux actuels de consommation. Cela finira par se produire et ensemble, au bout du compte, si chacun fait bien son travail, nous n'aurons pas de problème. Si quelqu'un ne fait pas bien son travail, surtout un gros acteur, alors il peut y avoir des problèmes.
La question que nous avions examinée ou qui avait été à l'origine de cette inquiétude était l'augmentation très marquée de la productivité de la main-d'oeuvre aux États-Unis pendant une période de croissance économique relativement lente, phénomène quasi sans précédent dans l'histoire. Pour cette raison, ont dit certains, on se trouve en face de quelque chose de vraiment différent.
En réalité, une amélioration de la productivité est une chose fantastique parce que c'est ce qui permet d'augmenter le revenu réel. Il faut toutefois traverser une période d'adaptation. Je pense que les gens se laissent un peu trop captiver par cela.
En revanche, et il faut que ce soit bien clair, il y a eu un écart de production très significatif aux États-Unis, quelle que soit la façon dont on le mesure, et il était donc tout à fait indiqué pour la Réserve fédérale de suivre des politiques d'expansion monétaire.
Peut-être y a-t-il eu des inquiétudes. Peut-être celles-ci ont-elles conduit à une politique qui a fait en sorte que, avec le temps au moins, celles-ci ne se matérialisent pas.
Le sénateur Meighen: Enfin, les membres de longue date du comité se souviennent sans doute d'un certain nombre de comparutions de votre prédécesseur, le gouverneur Thiessen, et le grand intérêt manifesté lors de ces audiences du comité et dans la population en général pour la grande question de savoir s'il fallait ou non stabiliser le dollar. Vous avez souvent mentionné aujourd'hui les avantages que vous voyez dans la flexibilité inhérente du système actuel.
Pour vous, ramener le dollar à une parité fiscale n'est plus une considération envisagée, pour reprendre l'expression de tout à l'heure? Estimez-vous que la souplesse dont vous jouissez et que les résultats qu'elle vous a permis d'obtenir ont prouvé au-delà de tout doute, ou presque, la sagesse de ne pas stabiliser le dollar?
M. Dodge: Pour l'avenir prévisible, il est difficile d'imaginer un ensemble de circonstances qui ferait qu'il serait plus avantageux pour nous d'avoir un taux de change fixe avec le dollar américain par opposition à un taux fluctuant. Il n'y a rien de doctrinal là-dedans. Empiriquement, il est établi que la structure de chacune de nos économies est très différente. Il y aura des périodes comme la période actuelle où l'on connaît une fluctuation relativement forte du prix des produits de base. S'il fallait augmenter tous les prix dans notre économie pour s'y ajuster, nous serions en difficulté. En 1997, nous aurions eu exactement le problème inverse. C'est la première chose.
La deuxième, comme je l'ai dit tout à l'heure, le marché auquel nous avons accordé le plus d'attention est le marché du travail. C'est là où les ajustements sont le plus difficile. Il est évident que la frontière canado-américaine complique beaucoup les ajustements du marché du travail de part et d'autre.
Il y a deux raisons convaincantes qui portent à conclure qu'il est avantageux pour nous — et pour les États-Unis — d'avoir un taux de change flexible.
Le sénateur Massicotte: J'aimerais passer à une question plus large, si vous me le permettez et mettre à contribution vos connaissances personnelles ainsi que celles au service de recherche de la banque. Comme vous le savez, la Banque du Canada est un des établissements de recherche économique les plus distingués au pays et j'aimerais m'en prévaloir pour me permettre, à moi et à d'autres, de mieux comprendre ce qui se passe. Je parle de démographie. On lit souvent que dans vingt ans le genre et la nature de notre population changeront en profondeur. Il y a six mois à peu près, Statistique Canada a publié diverses projections de tendances démographiques que je résumerais en disant que la population active va baisser partout au pays, à l'exception de Toronto, Vancouver et peut-être Montréal. La population rurale va baisser de façon importante. Les recettes publiques vont elles aussi baisser de beaucoup. Évidemment, les revenus vont monter. Je connais ce que vous préconisez concernant les coûts de la santé, qui vont augmenter de façon spectaculaire, c'est-à-dire réduire le ratio PIB/dette pour donner aux gouvernements la latitude nécessaire pour répondre à ces besoins. Du point de vue de la vigueur économique, à quels éléments structurels imaginez-vous devoir faire face dans vingt ans vu que, dans la plupart des régions du pays, le nombre de personnes qui travaillent sera plus restreint? Il est évident que cela à des effets sur l'infrastructure et la vie des gens. Qu'y a-t-il lieu de surveiller de près?
M. Dodge: Sénateur, vous soulevez là une question fort importante. Vous n'avez pas en ma personne le plus grand expert qui puisse vous donner un avis sur la question. Il sera en revanche extrêmement utile que le comité aborde la question avec d'autres témoins.
Je vous dirai tout d'abord que je n'ai pas de renseignements à vous donner sur la répartition géographique. J'ai peu étudié la question.
Moi et la banque, par contre, nous sommes penchés sur les effets de l'évolution de la pyramide des âges.
J'aimerais aussi revenir sur une expression que vous avez employée sur votre question: «moins de travailleurs».
Il y en aura moins en termes relatifs. Ce n'est pas une baisse absolue, en tout cas pas sur l'horizon que nous pouvons entrevoir avec précision vu les hypothèses raisonnables concernant l'immigration, mais nous aurons moins de travailleurs par rapport à la population âgée. Le nombre des membres de la population active par retraité baissera de façon très marquée, sans doute à partir du milieu de la prochaine décennie. À un moment donné, le nombre absolu va baisser, mais un peu plus tard.
Une question intéressante se posera au fur et à mesure que nous progresserons dans la décennie actuelle: qu'adviendra-t-il du taux de participation des travailleurs de plus de 60 ans? Dans les années 90, nous avons constaté une réduction spectaculaire des actifs de 60 à 64 ans. Il y a maintenant un groupe important de personnes nées après 1946 sur le point d'entrer dans cette cohorte. Nous avons le sentiment qu'en raison de nombreuses forces économiques leur taux d'activité va augmenter, ce qui en atténuera les effets pendant un certain temps.
Deuxièmement, s'agissant de la cohorte des 65 à 70 ans qui, à la fin de la prochaine décennie, grossira de façon marquée, les gens étant en meilleure santé, il est très possible que leur taux d'activité s'accroisse, soit dans l'économie de marché soit dans le secteur tertiaire ou le bénévolat, ce groupe de «jeune-vieux» étant très en santé.
De fait, le fonctionnement des marchés ainsi que les forces sociales qui s'exerceront nous dirigera tout naturellement dans cette voie. Il faut nous y préparer mais la transition ne sera pas aussi abrupte qu'on pourrait le croire au vu des taux d'activité des années 90 et suivantes. Il faut nous y préparer. Je ne veux pas minimiser le problème. Je dis seulement qu'il faut être un peu plus prudent.
Deuxièmement, la question des impôts est intéressante. Les gens oublient souvent la façon dont nous traitons l'épargne destinée à la retraite. D'abord, nous autorisons la déduction des cotisations de retraite, les cotisations au RER et ainsi de suite au moment où elles sont faites, mais nous les imposons au moment de leur retrait. Donc, lorsqu'il y aura plus de retraités, il y aura un changement dans l'équilibre entre les montants épargnés par les jeunes et les montants de revenu versés aux personnes âgées, si bien que la situation n'est pas aussi grave qu'on pourrait l'imaginer. Les conséquences fiscales ne sont pas aussi graves qu'on pourrait le croire à cause de la façon dont on a traité ces épargnes contractuelles, qu'il s'agisse de la retraite, du RPC ou des RER. C'est une chose importante.
Le troisième point concerne la santé. Il s'agit d'une question difficile, comme vous le savez, mais ici aussi il faut être prudent parce que l'on sait que, même si les dépenses de santé ont tendance à augmenter par cohorte d'âge après l'âge de 50 ou 55 ans, la plupart des dépenses de santé de l'individu surviennent dans l'année où les deux années qui précèdent la mort. Cela signifie que le vieillissement de la population n'entraînera pas forcément une forte poussée démographique. L'important, ici, c'est que la médecine continue d'inventer de nouveaux moyens d'aider les gens, le plus souvent dans la lutte contre les maladies chroniques: c'est donc un progrès technologique qui continue de faire monter les coûts de santé. Comment faire face à ce phénomène relève d'un autre comité à un autre moment.
En conclusion, la question est d'une importance capitale. Elle concerne tout le monde, l'ensemble de la société et du gouvernement. Il ne faut pas trop paniquer, car des mécanismes naturels de rajustement vont entrer en jeu.
M. Jenkins: J'aimerais ajouter un commentaire au débat sur la situation démographique: les différentes associations que nous consultons nous parlent beaucoup de la formation professionnelle. Il y a toute la question de l'éducation, de la formation et des mécanismes à mettre en place pour former des apprentis. M. Dodge a parlé de santé et de fiscalité, mais la situation démographique a aussi des conséquences en matière d'éducation, et certains secteurs de notre économie subissent de fortes pressions dans ce domaine.
Le sénateur Massicotte: Vous avez raison, l'ensemble de la main-d'oeuvre active va augmenter au Canada. Statistique Canada a fait trois projections, dont elle a retenu la médiane. L'augmentation ne concerne que Vancouver, Toronto et Montréal, car c'est là que vont la plupart des immigrants. Pour le reste, il y aura une diminution dans 20 ans, ce qui est très inquiétant pour de nombreuses villes.
J'aimerais évoquer un scénario concernant le rapport sur la politique monétaire. Vous allez nous dire que c'est un scénario simpliste, mais je tente néanmoins ma chance. Vous dites que l'inflation sera de 2 p. 100 à la fin de 2005. Vous dites aussi qu'il faut de six à neuf mois pour voir l'effet de vos décisions en matière de politique monétaire. Si vos projections sont exactes, on peut penser que les taux d'intérêt vont sans doute rester au même niveau jusqu'au deuxième trimestre de 2005. Nous savons également comme vous le signalez, que l'économie américaine s'améliore. La productivité et l'emploi se sont améliorés, on peut donc prévoir que les taux d'intérêt aux États-Unis vont augmenter. Si le taux d'intérêt reste au même niveau, on peut aussi prévoir que le dollar américain va s'apprécier et que notre dollar va perdre de la valeur. Qu'y a-t-il de faux dans ce scénario?
M. Dodge: C'est votre scénario, sénateur. Il n'est pas exact, et je le dis sans ironie. À chaque réunion, nous devons évaluer la situation des taux d'intérêt en fonction des événements de l'heure, mais il est certain qu'à l'échelle mondiale, les taux à court et à long terme vont avoir tendance à monter en 2005. Le monde industrialisé a connu une longue période de taux à long terme anormalement bas, et nous savons qu'ils vont augmenter tôt ou tard. L'augmentation va varier d'une économie à l'autre, car les économies ne se comportent pas toutes de la même façon.
Les taux d'intérêt ont une incidence sur le taux de change entre le Canada et les États-Unis, mais il ne constitue qu'un facteur parmi d'autres; on aurait tort de croire qu'un écart à très court terme peut être déterminant. Les taux d'intérêt ont une incidence sur l'évolution du taux de change, mais ils ne constituent qu'un facteur parmi d'autres.
Le sénateur Angus: Messieurs, j'ai trouvé vos propos sur la situation démographique très intéressants. J'espère que nous pourrons poursuivre ce dialogue au cours d'une autre séance, car ces questions intéressent tous les Canadiens et elles sont déterminantes quant à la façon de gérer notre économie et quant à ce que nous réserve l'avenir.
J'aimerais revenir à mes propos antérieurs concernant les rajustements délicats qu'il faut apporter à l'évolution de l'économie mondiale. Vous avez parlé de la nécessité d'améliorer la productivité pour réagir à l'intensification de la concurrence et pour orienter éventuellement notre économie vers des secteurs à forte productivité. Vous avez parlé de la gestion des risques, comme ceux que pose la recherche du rendement, et j'aimerais savoir si d'autres rajustements sont nécessaires. De toute évidence, il faut procéder à des adaptations car la situation évolue partout, comme vous l'avez si bien montré.
Peut-être pourriez-vous nous remettre une liste de deux ou trois domaines que nous n'avons pas abordés et où la façon de procéder à des rajustements est déterminante pour la santé de notre économie?
M. Dodge: Oui. Sénateur, je voudrais aborder une question qui nous préoccupe toujours à la Banque du Canada et dont nous discutons toujours avec de nombreux Canadiens. Il s'agit de la disponibilité de main-d'oeuvre qualifiée, indispensable aux grands projets d'immobilisations que nous allons entreprendre, qu'il s'agisse des pipelines du Nord, des sables bitumineux, du pétrole et du gaz offshore, des mines ou des infrastructures dans nos villes.
Le sénateur Angus: Je veux m'assurer de bien comprendre. Est-ce que vous nous dites qu'il y a une pénurie de la main-d'oeuvre indispensable pour réaliser ces projets? C'est manifestement le cas pour les sables bitumineux; je l'ai constaté.
M. Dodge: C'est exact. Le mot «pénurie» a un sens bien précis pour les économistes et il faut l'employer avec prudence, mais j'insiste sur le fait qu'il est essentiel de former davantage de jeunes dans ces domaines. Nous pouvons prévoir une augmentation de la demande du moins pendant un certain temps et nous savons, tout d'abord, que la main-d'oeuvre qualifiée a constitué une contrainte dans ces domaines. Deuxièmement, nous savons que dans de nombreux secteurs, les travailleurs qualifiés sont relativement âgés.
La personne de 65 ans qui travaille à la Banque centrale peut parfaitement continuer à manipuler les statistiques sur le papier, mais il est beaucoup plus difficile de continuer à soulever des blocs de 40 livres ou de continuer à travailler sur une machine quand on prend de l'âge. Il est essentiel de faire mieux dans ce domaine. C'est important non seulement pour les gouvernements fédéral et provinciaux, mais aussi pour les entreprises.
Voilà un exemple de problème flagrant dont il faut s'occuper, et nous n'hésitons pas à en parler aux entreprises, aux travailleurs et aux gouvernements pour en souligner l'importance.
Le sénateur Angus: Y a-t-il d'autres problèmes évidents?
M. Jenkins: J'aimerais, si vous me le permettez, changer légèrement de sujet. On a insisté à juste titre sur les rajustements à apporter en fonction de l'évolution de l'économie canadienne. Cependant, dans le contexte des événements mondiaux, il est important de tenir compte des rajustements mondiaux, ce qui nous ramène aux déséquilibres internationaux dont nous parlions tout à l'heure, aux déséquilibres commerciaux et au fait que les États- Unis présentent un très important déficit du compte courant auquel s'ajoute désormais un déficit budgétaire. Leurs bâilleurs de fonds sont les pays d'Asie, la Chine, le Japon, la Corée, la Thaïlande, et ce rajustement d'ordre international pose donc plusieurs questions qui sont elles aussi très importantes.
Ce dont nous parlons dans les forums internationaux, et dont nous allons encore parler cette fin de semaine, c'est la nature pluridimensionnelle du problème. Sur la question des rajustements du taux de change, même si ce n'est pas une réponse directe à la question du sénateur Massicotte, j'ai parlé des régimes de taux de change qui prévalent en Asie et qui doivent être pris en compte quand on envisage des rajustements à l'échelle mondiale. La vigueur et l'évolution de la demande à l'échelle mondiale vont toujours avoir une incidence sur l'économie canadienne.
Oui, nous considérons cette demande dans le contexte des rajustements qu'elle nécessite au Canada, mais également dans le contexte de ce qu'elle implique pour l'économie mondiale et pour les rajustements auxquels il faudra procéder à l'avenir.
Le sénateur Harb: Dans le prolongement des propos de M. Jenkins, c'est-à-dire des événements dans la région Asie- Pacifique par rapport au déficit du compte courant américain, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'une forte proportion des sociétés qui fabriquent des biens, par exemple en Chine ou ailleurs dans la région Asie-Pacifique, sont en fait des sociétés américaines qui ont bénéficié de capitaux américains exportés vers ces pays.
Au niveau international, on assiste à un certain nombre de phénomènes; il y a d'une part l'organisation du commerce en blocs régionaux, avec l'Union européenne, les blocs asiatiques, le libre-échange des Amériques auquel veulent se joindre différents pays. D'autre part, on a ce qu'on pourrait appeler les accords de type bilatéral entre différentes économies: l'Union européenne s'intéresse au Mexique, les États-Unis s'intéressent à d'autres pays avec lesquels ils établissent des liens bilatéraux directs. On trouve ensuite un troisième élément, à savoir la voie multilatérale, représentée par l'Organisation mondiale du commerce et d'autres institutions internationales.
Lorsque vous arrêtez la politique monétaire, que ce soit ici au Canada ou sur la scène internationale, dans quelle mesure prenez-vous ces tendances en considération? Est-ce que les décisionnaires et le gouvernement en tiennent compte, ou est-ce qu'elles sont éphémères au point où les gouvernements et les banques centrales n'ont pas à s'en préoccuper?
M. Jenkins: La première chose à dire, c'est que la croissance du commerce mondial a profité aux différentes économies. De notre point de vue, l'amélioration de l'économie mondiale est un élément dont nous parlons constamment. Comme l'a dit tout à l'heure le gouverneur de la banque, quand on considère les rajustements qu'il a fallu apporter à l'économie canadienne, l'ouverture des marchés reste un facteur déterminant.
En ce qui concerne les déséquilibres mondiaux, on entend parler de protectionnisme, et ce n'est pas la voie qu'il faut prendre. Les décisionnaires doivent continuer à mettre l'accent sur l'ouverture des marchés, sur leur souplesse, qui ne doivent pas uniquement favoriser la croissance économique, mais qui doivent aussi permettre aux économies de s'adapter en fonction des circonstances qui évoluent en permanence.
Le problème, c'est que si l'on ne progresse pas constamment, on ne peut conserver sa place et on risque fort de reculer. C'est donc, effectivement, un élément important de notre réflexion sur l'économie mondiale et sur ce qu'il faut faire pour le Canada, mais pas uniquement pour lui; quand l'économie mondiale s'améliore, nous en profitons aussi.
Par exemple, nos échanges commerciaux avec l'Asie ne sont pas très volumineux, mais nous avons subi les effets de la crise asiatique, qui a bien montré l'existence de ces liens. Il en est question dans nos discussions et dans notre réflexion sur l'évolution de l'économie mondiale, dans laquelle s'inscrit l'économie du Canada.
Le vice-président: Je voudrais remercier M. Dodge et M. Jenkins. La séance a été très fructueuse. Nous avons abordé en détail certaines questions d'orientation générale, ce que j'ai beaucoup apprécié, et je suis sûr que les sénateurs l'ont apprécié également. Nous nous reverrons à l'automne.
La séance est levée.