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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 5 - Témoignages du 5 mai 2004


OTTAWA, le mercredi 5 mai 2004

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, auquel a été renvoyé le projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence, se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Richard H. Kroft (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nos premiers témoins aujourd'hui sont tous les deux avocats chez Blake, Cassels & Graydon. M. Brian A. Facey et M. Neil Finkelstein comparaissent tous deux à titre personnel. Messieurs, vous avez la parole.

M. Neil Finkelstein, avocat, Blake, Cassels & Graydon, LLP, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, je n'irai pas par quatre chemins. Si l'on a proposé cette modification à la loi, à mon avis, c'est parce que le commissaire de la concurrence choisit de contester les mauvaises affaires. Depuis l'adoption de la Loi sur la concurrence, en 1986, le commissaire a contesté devant le tribunal de la concurrence cinq propositions de fusion. J'ai plaidé contre le commissaire dans quatre de ces cinq affaires, et le commissaire les a perdues toutes les quatre. Le commissaire veut maintenant changer les règles du jeu pour gagner même quand il a tort et en dépit de la politique publique.

Je vais traiter de l'affaire Le Canada (le commissaire de la concurrence) c. Supérieur Propane Inc. (C.A.). J'étais l'avocat principal dans cette affaire. Supérieur Propane Inc. n'a absolument aucun intérêt à l'égard de ce projet de loi, et je suis ici uniquement à titre personnel.

Dans l'affaire Supérieur Propane, les gains d'efficience étaient de 29 millions de dollars et les effets négatifs totalisaient 8,6 millions de dollars. Les gains d'efficience l'emportaient sur les effets négatifs par un facteur de 3,5 à 1.

Autrement dit, la transaction comportait un avantage net pour le Canada par un facteur de 3,5 à 1. Cela veut dire que les économies de ressources pour l'économie canadienne s'élevaient à 29 millions de dollars. Tous les effets négatifs découlant du transfert des consommateurs pauvres à Supérieur Propane s'élevaient à 8,6 millions de dollars.

Soyons bien clairs là-dessus. Les transferts des consommateurs étrangers, ou les transferts de très grandes entreprises situées ici au Canada et contrôlées par des actionnaires étrangers, transferts opérés à Supérieur Propane Inc. au moyen de prix plus élevés, n'ont pas été inclus dans le calcul des effets négatifs.

Je dirais que la raison en est évidente. La reine Béatrice des Pays-Bas est un important actionnaire de Royal Dutch Shell, qui est une compagnie britannique et néerlandaise. Pourquoi est-ce une mauvaise chose que des actifs soient transférés des Pays-Bas au Canada? Pourquoi est-ce mauvais sur le plan de la politique publique canadienne? La compagnie Exxon Mobile possède environ 70 p. 100 de la société Imperial Oil Limited. Pourquoi est-ce mauvais que des actifs soient transférés des actionnaires américains aux détenteurs canadiens de Supérieur Propane au moyen d'augmentations de prix? Le tribunal de la concurrence a réfléchi à ces questions et a décidé que ce ne sont pas des effets négatifs, mais en fait des effets favorables du point de vue de l'économie canadienne, et il n'en a donc pas tenu compte dans les arguments contre la fusion.

Honorables sénateurs, je vous demande maintenant de vous reporter à l'onglet un, page 9 de notre mémoire. C'est un passage de la décision rendue par M. le juge Rothstein, de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Supérieur Propane. Le juge Marshall Rothstein a été membre du Tribunal de la concurrence et il a été l'un des principaux avocats spécialisés dans le domaine de la concurrence au Canada avant d'être nommé juge à la Cour fédérale. Il est maintenant juge à la Cour d'appel. Il comprend le droit de la concurrence. Voici ce qu'il dit à la page 9:

Le Tribunal n'a pas adopté le modèle précis qui avait été proposé par le professeur Townley, mais il a utilisé ce modèle comme fondement de son évaluation de l'étendue des effets anticoncurrentiels. À cette fin, compte tenu des objectifs exposés à l'article 1.1 de la loi, le tribunal a considéré expressément les effets suivants: la perte sèche, l'action interdépendante et concertée des concurrents, la qualité de service et les programmes de clientèle, les provinces de l'Atlantique, les marchés liés, la perte de gains potentiels en efficience dynamique, le monopole, et les petites et moyennes entreprises.

Le passage suivant est important:

La considération par le Tribunal de la méthode des coefficients pondérateurs du professeur Townley et sa prise en compte des objectifs de l'article 1.1 de la loi sont en accord à la fois avec les directives et avec la latitude que lui a donnée la Cour.

Le juge Rothstein a conclu que ce que le tribunal avait fait en application de l'article 96, c'était de prendre en compte tous les facteurs, ce qui était conforme avec l'objectif énoncé de la Loi sur la concurrence, à l'article 1.1.

Je vous demande maintenant de consulter l'onglet neuf, page 11, et vous verrez le texte de l'article 1.1, qui est la disposition énonçant l'objet de la loi. Par conséquent, la question qui se pose à vous, ou en tout cas l'une des questions, est la suivante: l'article 96 proposé cadre-t-il avec l'objet de la loi? Si c'est le cas, il a sa place dans la loi.

Le juge Rothstein dit qu'il a sa place. Voyez quels sont les objectifs de la loi. Il y en a quatre.

1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

L'amendement que propose ici le commissaire vise seulement le quatrième de ces objectifs, alors qu'en fait, la disposition énonçant l'objet de la loi présente un équilibre délicat entre quatre pôles d'intérêt, et le juge Rothstein dit que ce que le tribunal a fait dans l'affaire Supérieur Propane, c'était de mettre dans la balance l'ensemble de ces quatre intérêts.

Le président: Monsieur Finkelstein, je vous demanderais de faire une brève pause, car je veux m'assurer que tous mes collègues sont à la même page.

M. Finkelstein: Oui, littéralement. Ma première citation était à l'onglet un, page 9. La deuxième est à l'onglet neuf, page 11.

M. Finkelstein: L'onglet neuf, tiré de notre mémoire qui vous a été présenté en novembre dernier sur le projet de loi C-249, Loi modifiant la Loi sur la concurrence, Neil Finkelstein, Brian Facey, et cetera. J'ai comparu ici en novembre, mais le mémoire était daté du 30 octobre. M. Facey et moi-même avons comparu ici le 6 novembre. C'est à l'article 37. Cela vous aide-t-il?

Le président: Merci beaucoup.

M. Finkelstein: Nous soutenons que l'article 96, tel qu'il est libellé actuellement, représente, premièrement, une bonne politique. C'est une bonne politique de permettre une fusion lorsque les gains d'efficience l'emportent sur les effets négatifs par un facteur de trois et demi à un, et c'est une bonne politique de laisser en place une disposition qui a été confirmée par les tribunaux, dont les tribunaux disent qu'elle est conforme à la disposition d'objet.

Par conséquent, nous devrions laisser en place les règles actuelles pour que le commissaire soit en mesure d'empêcher les fusions qui sont mauvaises pour le Canada, c'est-à-dire lorsque les gains d'efficience sont moindres que les conséquences négatives, mais qu'il ne puisse pas faire obstacle aux fusions qui sont bonnes pour le Canada comme elle aurait pu le faire ou comme M. von Finckenstein aurait pu le faire, si cet amendement avait été en place, au moment de l'affaire Supérieur Propane.

Quand la commissaire viendra demain, je vous invite à lui poser ces questions. Dans l'affaire Supérieur Propane, beaucoup des augmentations de prix étaient assumées par de grandes entreprises étrangères ou des compagnies canadiennes appartenant à l'étranger, opérant ainsi un transfert de richesse des actionnaires étrangers aux actionnaires canadiens. En quoi est-ce mauvais?

Beaucoup d'augmentations de prix étaient assumées par des compagnies gigantesques, beaucoup plus grandes que Supérieur: Shell, Imperial Oil, Tech Mines, Bombardier, CN et CP. Il y avait un transfert d'un groupe d'actionnaires à un autre. En quoi est-ce mauvais?

Quand M. Jorré était le commissaire par intérim, il a entendu notre présentation le 6 novembre. Il vous a écrit une lettre qui est datée du 10 novembre. À la deuxième page, il répond à mes observations en ces termes:

Bien qu'il soit vrai que les grandes sociétés pétrolières sont d'importants clients de Supérieur Propane, surtout parce qu'elles achètent du propane dans le but de le revendre aux automobilistes, il n'en demeure pas moins que le gros des ventes de Supérieur Propane sont faites directement aux clients qui utilisent le propane pour le chauffage, la cuisine et l'agriculture. Ce sont des clients résidentiels et commerciaux ainsi que des clients agricoles qui subissent les conséquences négatives de la fusion.

Vous devez demander au commissaire de mettre cartes sur table. M. Jorré a dit que le propane est utilisé pour le chauffage. C'est en effet à cela que sert le propane. Les sociétés pétrolières s'en servent pour les forages. Le propane sert à chauffer de grands immeubles commerciaux et d'importantes entreprises de construction; il sert à chauffer des piscines et des chalets; il sert à chauffer des caravanes. Le tribunal a tenu compte de toutes ces utilisations.

M. Jorré a dit qu'il sert à faire la cuisine. Oui. On s'en sert pour les barbecues. Nous avons entendu beaucoup d'exploitants de restaurants McDonald. Les gens s'en servent dans leur caravane. Le tribunal a pris en compte tous ces multiples aspects. Le juge a fait allusion à l'agriculture, où le propane est utilisé à la fois par d'immenses exploitations agricoles et par de petits agriculteurs.

Quand M. Jorré a écrit cette lettre, il a omis de mentionner que le tribunal a pris en compte l'ensemble de ces facteurs et a déterminé quels effets étaient mauvais et lesquels ne l'étaient pas. Le tribunal a dit, après avoir pris en compte l'ensemble de tout cela, que les mauvais effets totalisaient 8,6 millions de dollars. M. Jorré ne croyait pas que la loi était mauvaise, seulement il était en désaccord avec l'évaluation du tribunal. Il n'est pas d'accord avec la conclusion du tribunal quant à savoir ce qui était mauvais et ce qui ne l'était pas. Je ne crois pas que ce soit une raison suffisante pour changer la loi.

J'ai entendu des gens dire que le commissaire a perdu sa cause dans l'affaire Supérieur Propane parce qu'il avait mal plaidé sa cause et qu'il avait fait des erreurs de calcul. Je ne suis pas ici pour protéger le commissaire, comme vous l'avez peut-être deviné. Cependant, cette évaluation de la performance du commissaire est sévère. Ces critiques ont été formulées par des universitaires qui n'étaient pas présents dans la salle d'audience; s'ils avaient été présents, je les aurais contre-interrogés moi-même et l'on aurait bien vu alors quelle décision le tribunal aurait rendue.

Deuxièmement, on ne change pas la loi parce que le commissaire a peut-être commis une gaffe dans un dossier. On attend que des décisions soient rendues dans d'autres affaires et qu'il ait été démontré que la loi est mauvaise. Ce n'était pas le cas dans l'affaire Supérieur Propane.

Le président: Vous savez comment nos audiences sont structurées. Je vous demande conseil. Serions-nous mieux d'attendre que vous ayez tous les deux fait votre exposé avant de poser nos questions?

M. Finkelstein: Vous nous attribuez trop de mérite quand vous dites que nous savons comment vos audiences sont structurées. Voici comment nous avions prévu de procéder. Je parlerais en premier, M. Facey parlerait ensuite pendant au plus 15 minutes, et ensuite les sénateurs nous poseraient des questions.

Le président: Allez-y, monsieur Facey. Cela nous convient parfaitement.

M. Brian A. Facey, avocat, Blake, Cassels & Graydon, LLP, témoignage à titre personnel: J'ai trois observations à faire cet après-midi. La première est que le projet de loi C-249 n'a pas fait l'objet de suffisamment d'interventions pour une mesure législative aussi complexe. Le libellé du projet de loi C-248 est une cible mouvante, pour ainsi dire, puisque la mesure existe dans sa forme actuelle seulement depuis mars 2003, date à laquelle elle a été modifiée en profondeur. De toute évidence, c'est une mesure proposée en réaction à la décision rendue dans l'affaire Supérieur Propane. Elle n'est pas appuyée par de quelconques études ou analyses empiriques préconisant une réforme de la législation canadienne sur les fusions.

La deuxième observation, c'est que, dans le meilleur des cas, le projet de loi C-249 réduit grandement le rôle des gains d'efficience dans l'étude des fusions au Canada. Au pire, il élimine complètement ce rôle.

Troisièmement, l'approche canadienne actuelle n'est pas, contrairement à ce que certains vous ont dit, tournée en ridicule dans d'autres pays. En fait, je dirais plutôt qu'elle fait l'envie des autres pays.

Je reviens à mon premier point. Aucune étude empirique ou économique n'a démontré un besoin quelconque de modifier la législation canadienne en matière de fusions. Il s'agit ici d'une réaction à une seule affaire.

Je soutiens que la mesure législative dont vous êtes saisis n'a pas été suffisamment étudiée, pour les raisons suivantes: premièrement, elle a été en quelque sorte une cible mouvante. Le projet de loi C-249 est d'abord apparu sous la forme du projet de loi C-509.

La législation en matière de fusions est demeurée la même dans le projet de loi C-248 et ensuite dans le C-249, jusqu'au 31 mars 2003. À cette date, l'honorable Dan McTeague, l'auteur des diverses versions du projet de loi, a proposé un amendement consistant à en supprimer intégralement le contenu pour le remplacer par une disposition différente. Ceux qui étaient appelés à comparaître devant le Comité de l'industrie à ce moment-là ont dû admettre que leurs mémoires n'avaient que peu de pertinence compte tenu du nouveau projet de loi à l'étude.

Dans la trousse de documents que nous vous avons remise, nous avons inclus le projet de loi C-509. Je sais que votre pile de documents ne comporte pas d'onglets, mais c'est à la fin de notre premier mémoire. C'est intitulé projet de loi C- 509. Je vous demanderais de tourner à cette page, car je vais passer quelques instants à discuter de cela avec vous.

Le projet de loi C-509 ne proposait pas de supprimer le paragraphe 96(1). Il ajoutait plutôt deux paragraphes: le paragraphe (4) et le paragraphe (5), dont voici le texte:

(4) Pour l'application du paragraphe (1), les gains en efficience ne peuvent neutraliser les effets de la diminution ou de l'empêchement de la concurrence à moins que la majorité des avantages retirés ou à être retirés de ces gains en efficience sera transmise ou sera vraisemblablement transmise aux clients dans un délai raisonnable sous la forme d'une diminution de prix.

(5) Le présent article ne s'applique pas lorsque, après que la transaction soit complétée, le fusionnement, réalisé ou proposé, résultera ou résultera vraisemblablement en la création ou au renforcement d'une position dominante dans un marché.

Il y a sept changements importants entre ce projet de loi et l'amendement qui a été présenté le 31 mars. Le premier changement est que le paragraphe (5), qui traite de la création d'une position dominante, a été supprimé. Le deuxième changement est que le projet de loi dont vous êtes maintenant saisis mentionne l'article 93 de la Loi sur la concurrence. Autrement dit, il ne modifie plus seulement le paragraphe 96(1), il vous renvoie indirectement à l'article 93 qu'il se trouve à modifier. J'y reviendrai, parce que c'est d'une importance cruciale en ce sens que cela change la définition de ce qui constitue une réduction sensible de la concurrence.

Le troisième changement est que l'on a conservé les notions de «surpasser» et «neutraliser», telles qu'elles figuraient initialement au paragraphe 96(1).

Quatrièmement, on dit que la majorité des avantages découlant de la transaction doivent être transmis. C'est un changement par rapport à la disposition actuelle, qui exige que la totalité des avantages soient transmis.

Cinquièmement, on dit que les avantages en question doivent être transmis dans un délai raisonnable. Le temps n'est pas pris en compte dans la loi actuelle.

Sixièmement, on dit que cela doit se faire sous la forme d'une diminution de prix, alors que dans la mesure proposée, il est plutôt question de prix compétitifs ou d'un choix dans les produits.

Ce sont les six changements figurant dans l'amendement proposé ce jour-là par l'honorable Dan McTeague. Je soutiens qu'ils sont importants.

Le même jour, le commissaire de la concurrence de l'époque a comparu devant le Comité de l'industrie et a proposé un autre changement. Il s'agissait de remplacer le mot «doit» par «peut». Par conséquent, le projet de loi dont vous êtes maintenant saisis a subi encore un autre changement puisqu'il stipule que le tribunal «peut tenir compte des gains en efficience», alors qu'il se lisait auparavant «doit tenir compte des gains en efficience». Ce changement a été apporté le 30 mars.

Certains témoins que vous avez entendus ont déclaré que ce n'est pas un changement important, que «peut» signifie «doit» et que cela revient au même. Je vous affirme que c'est un changement très considérable. Cela donne au tribunal le pouvoir de ne tenir aucun compte des gains d'efficience dans le contexte d'une affaire donnée.

Dans notre mémoire, à la page 6, il y a un passage sur lequel j'attire votre attention. En réponse à des questions posées par M. McTeague au sujet du remplacement de «doit» par «peut», l'ancien commissaire a déclaré:

Si vous gardez le mot «shall», comme dans votre proposition, ce facteur devra être pris en compte chaque fois qu'il y a contestation d'un fusionnement. À mon avis, telle n'était pas votre intention. Vous voulez plutôt vous assurer que le tribunal tiendra compte de ce facteur selon le contexte.

En réponse, M. McTeague a dit:

J'étais convaincu de l'importance de ce mot-là, et je vous remercie donc pour cette précision.

J'y reviendrai dans un instant.

En outre, je veux attirer votre attention sur une publication récente du Forum des politiques publiques. Le Bureau de la concurrence a retenu les services du Forum des politiques publiques pour examiner d'autres changements qui sont apportés à la Loi sur la concurrence. Nous avons exposé certains de ces changements la dernière fois que nous avons comparu devant vous. Ce processus a été complété et le 8 avril, le Forum des politiques publiques a publié son rapport intitulé «Consultation nationale au sujet de la Loi sur la concurrence — Rapport final».

Dans ce rapport, on propose d'apporter une modification à l'actuel article 45 de la Loi sur la concurrence. C'est un amendement assez volumineux qui prendrait la forme d'un nouvel article numéroté 79.11. En fait, son libellé est identique à celui du projet de loi C-249, mais il faut noter que ce n'est pas une disposition en soi. Le texte est intégré au libellé de la loi. Quoi qu'il en soit, voici ce que le FPP a à dire au sujet d'un libellé identique à celui du C-249. Je lis la page 7 de notre mémoire.

Le président: C'était en avril 2004?

M. Facey: Oui, le 8 avril 2004.

Voici le passage surligné de notre mémoire:

Au cours de tables rondes, les intervenants ont débattu du traitement des gains en efficience proposé dans l'ébauche des dispositions civiles sur les alliances stratégiques, de leur rôle en général aux termes de la loi et de l'approche proposée dans le projet de loi C-249. Ils ont convenu qu'on devait tenir compte des gains en efficience au cours de l'examen des alliances stratégiques et des fusionnements, mais ils ne se sont pas entendus sur la meilleure manière de le faire dans ces contextes.

Et l'auteur conclut en ces termes:

Une grande majorité des intervenants ont soulevé leur inquiétude au sujet des amendements proposés dans le document de travail et ont souligné le besoin de faire preuve de prudence et d'étudier la question plus à fond.

Ces deux observations sont importantes en l'occurrence. Premièrement, on s'entend pour dire que les gains d'efficience doivent être pris en compte dans l'étude des fusions; or le remplacement de «doit» par «peut», comme je l'ai expliqué, est clairement contraire à ce point de vue qui fait consensus.

Deuxièmement, une grande majorité des intervenants soulèvent des inquiétudes et soulignent qu'il faut faire preuve de prudence et étudier la question plus à fond avant de retoucher une loi d'une telle importance. C'est ma conclusion sur le premier point.

Au mieux, le projet de loi C-249 réduit grandement le rôle de l'examen des gains d'efficience dans l'étude des fusions, et au pire, il l'élimine complètement. Mon argumentation devient maintenant assez technique parce qu'elle soulève à la fois des points de droit et d'économie, mais j'ai trois observations à faire.

Premièrement, les gains d'efficience n'entrent nullement en ligne de compte quand il s'agit de déterminer s'il y a eu réduction sensible de la concurrence. La possibilité de réduire ses coûts n'a rien à voir avec la capacité d'augmenter ses prix. C'est pourquoi le fait de changer la loi pour stipuler que, pour déterminer s'il y a diminution sensible de la concurrence, il faut examiner les gains d'efficience constitue un changement important, parce que les gains d'efficience n'influent pas sur la capacité d'augmenter les prix.

Deuxièmement, l'obligation de transmettre les avantages aux consommateurs sous forme de baisse de prix exclut du champ d'étude toutes les économies au chapitre des coûts fixes, pour des raisons élémentaires en sciences économiques. Les coûts fixes, ce sont tous les coûts qui ne varient pas en proportion de la production. Ils sont ainsi exclus puisqu'ils n'ont aucune incidence directe sur les prix, mais ils n'en demeurent pas moins un facteur important des économies de ressources dans une économie comme la nôtre.

Enfin, l'utilisation du mot «peut» au lieu de «doit» réduit encore davantage le rôle des gains d'efficience dans l'étude des fusions au Canada parce que le tribunal peut choisir de n'en tenir aucun compte, à son gré.

Je signale que M. Tom Fina, de Howrey et Simon, témoignera devant vous demain et traitera de cette question de façon plus détaillée. Il pourra aborder cette question du point de vue américain. Cependant, un témoin qui a déjà comparu vous a dit que dans d'autres pays, on tourne en ridicule l'approche canadienne actuelle.

L'approche actuellement adoptée au Canada n'est pas ridiculisée à l'étranger. C'est plutôt une approche sophistiquée et typiquement canadienne, qui nous oblige à tenir compte de l'avantage net pour l'économie canadienne. Ni M. Finkelstein ni moi-même ni aucun autre avocat de notre cabinet n'a jamais eu vent de tels commentaires négatifs.

Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre aux questions.

Le sénateur Harb: Vous avez mentionné le consommateur ainsi que l'économie dans son ensemble, au sujet des gains d'efficience.

À partir de quel point en arriveriez-vous à la conclusion qu'une fusion en particulier apporterait un avantage pour le consommateur sous forme de baisses de prix, par opposition à une fusion qui avantagerait l'économie canadienne?

Comment faites-vous la part des choses entre les deux?

Vous avez dit que la fusion créerait une compagnie qui deviendrait l'une des 15 plus grandes au monde et que, par conséquent, la fusion avantagerait l'économie canadienne globalement.

M. Finkelstein: Je voudrais préciser que je n'ai pas parlé des 15 plus grandes.

Le sénateur Harb: C'est dans votre mémoire.

M. Finkelstein: Je vois.

Le sénateur Harb: Le mémoire fait partie de votre présentation, n'est-ce pas?

M. Finkelstein: Oui, j'avais mal compris. Je pensais que vous disiez que j'avais dit quelque chose, mais permettez que je réponde à vos questions.

Si les prix baissent en conséquence de la fusion, alors cet amendement n'entre pas en ligne de compte parce qu'il n'y aura pas réduction sensible de la concurrence.

N'oubliez pas que le tribunal a seulement compétence pour bloquer une fusion s'il y a des augmentations de prix. C'est le cas lorsqu'il y a diminution sensible de la concurrence. Si les prix à la consommation baissent, toute cette discussion n'est pas pertinente.

La discussion ne devient pertinente que s'il y a augmentation des prix. À ce moment-là, il faut se reporter à l'article 96 qui stipule que lorsque les gains d'efficience surpassent ou neutralisent les effets de la diminution de la concurrence, la fusion doit être autorisée. Autrement dit, si les gains causent un transfert d'une entreprise étrangère ou d'actionnaires étrangers à une entreprise canadienne ou à des actionnaires canadiens, ils ne sont pas mauvais. Si les effets nocifs sont moins importants que les gains d'efficience, la fusion a lieu. C'est conforme à la disposition qui énonce l'objet de la loi, laquelle stipule qu'il faut établir l'équilibre entre les quatre facteurs que je vous ai énumérés. C'est ce que le tribunal fait au cas par cas.

Le tribunal s'interroge sur les gains d'efficience et sur les effets négatifs. Il se demande si les effets négatifs sont mauvais parce qu'ils touchent des consommateurs pauvres, ou bien à cause de la nature des consommateurs. Autrement dit, l'exemple donné par Peter Townley est celui d'un groupe de producteurs très pauvres qui créent un type de siège d'automobile utilisé seulement par les propriétaires de voitures Rolls Royce et Mercedes-Benz. Si l'on augmente le prix de ces sièges, il y a un transfert d'un consommateur très riche à un producteur pauvre. Ce serait considéré comme un bon transfert.

Vous m'avez demandé si j'ai tenu compte d'un cas en particulier. Il ne s'agit pas, monsieur, de s'attarder à un cas particulier. C'est une série de principes énoncés à l'article 1.1, dont l'application est prévue à l'article 96, et que le tribunal applique au cas par cas.

Le sénateur Harb: Que diriez-vous d'une société qui réaliserait une fusion, peu importe qu'elle ait des résultats favorables en termes de concurrence, d'efficience, de l'intérêt national, du bien-être économique de la société dans son ensemble, si une telle fusion était réalisée au moyen d'acquisitions. Autrement dit, que diriez-vous si quelqu'un réalisait une fusion indirectement, en procédant à des acquisitions?

M. Finkelstein: Eh bien, encore une fois, l'article 96, tel qu'il est libellé actuellement, permet seulement de tenir compte des gains d'efficience qui ne seraient pas réalisés en l'absence de la fusion. Si je comprends bien, votre question est la suivante: si des gains d'efficience pouvaient être réalisés au moyen d'une fusion, ou s'ils pouvaient être réalisés d'une manière différente, sans procéder à une fusion, qu'est-ce que je dirais de cette fusion?

Actuellement, la loi dit que les gains d'efficience qui pourraient être obtenus autrement que par la fusion ne comptent pas, comme nous l'avons vu dans l'exemple de Supérieur Propane. Il s'agissait d'une fusion entre Supérieur Propane et ICG. La compagnie ICG s'apprêtait à mettre sur pied des centres d'appel qui lui permettraient de réaliser des gains d'efficience énormes. Ce n'était pas encore chose faite au moment de la fusion, mais c'était prévu et l'on s'apprêtait à le faire. Ces gains d'efficience n'ont pas été comptés en faveur de la fusion et ne faisaient donc pas partie des 25 millions de dollars.

Vous posez une bonne question, mais la réponse à cette question est déjà prévue par l'article actuellement en vigueur.

Le sénateur Tkachuk: Veuillez m'aider à comprendre cette notion de gain d'efficience. J'ai toujours cru que des gains d'efficience entraînent une baisse des prix. Je dois essayer de comprendre comment les économistes peuvent intégrer les gains d'efficience dans la marge bénéficiaire.

Je crois que l'un des témoins a donné l'exemple de deux ou trois camions utilisés pour transporter des matériaux alors qu'un seul camion ferait l'affaire. Cela m'a rappelé un candidat socialiste du NPD qui faisait campagne à Saskatoon durant les années 70 et qui proposait de fermer des stations-service parce qu'il y en avait trop. Le candidat disait que ce serait plus efficient d'avoir un seul poste d'essence à toutes les cinq rues au lieu d'en avoir trois à la même intersection. Il faudrait que quelqu'un contrôle un tel monopole, ce qui ne ferait pas baisser le prix de l'essence, qui coûterait au contraire plus cher. Tout le monde ferait alors la queue pour acheter de l'essence, au lieu d'avoir la commodité d'aller faire le plein à la station-service au coin de la rue. Et puis il y a aussi d'autres facteurs.

Je ne comprends absolument pas comment on peut additionner des gains d'efficience non existants alors que l'on exige des prix plus élevés pour les absorber. Si l'entreprise est plus efficiente, alors le propane devrait coûter moins cher.

Comment peut-il coûter plus cher? Comment peut-on justifier d'exiger un prix plus élevé?

Peu importe d'où viennent les transferts parce que, tôt ou tard, il devrait y avoir une baisse de prix reflétant ce gain d'efficience, ou alors c'est qu'ils ne sont pas efficients, purement et simplement. Ils augmentent les prix et pressurent le consommateur, s'ils détiennent le monopole. C'est ce que tout le monde voudrait: un monopole.

Comment pouvez-vous additionner tout cela et justifier l'opération. Comment quelqu'un peut-il prétendre être devenu plus efficient après trois ou cinq ans?

M. Finkelstein: Attardons-nous un instant à la différence entre le monopoliste dont vous parlez à Saskatoon et l'affaire dont nous discutons.

C'est bien possible que la simple fermeture de stations-service ne soit pas efficiente de la manière dont nous l'entendons ici. Permettez que je revienne à l'exemple de Supérieur Propane. J'exagère aux fins de la démonstration, mais voici comment les gains d'efficience logistique ont été réalisés dans le cas de Supérieur Propane.

Supposons une rue bordée de maisons des deux côtés; Supérieur Propane a tous les clients du côté gauche de la rue et ICG a tous les clients du côté droit. Un camion de Supérieur roule du côté gauche de la rue pour servir les clients, tandis qu'un camion d'ICG roule de l'autre côté de la rue pour servir les clients de la compagnie ICG. Cela n'est pas efficient. On pourrait avoir un seul camion dans cette rue pour servir les clients des deux côtés de la rue.

Le sénateur Tkachuk: Oui, mais à un prix plus élevé.

M. Finkelstein: Un instant, sénateur. Le prix, c'est différent. L'argument...

Le sénateur Tkachuk: Non, ce n'est pas différent.

M. Finkelstein: L'argument est qu'on peut réaliser des économies réelles en ayant un seul camion pour servir les clients des deux côtés de la rue. Tout le monde est servi. Le prix va-t-il baisser? Peut-être. Le prix va-t-il monter? Peut- être.

La problématique, à mon sens, se résume à la question que le tribunal a posée: qui paye les prix plus élevés? Quelle est l'ampleur des gains d'efficience pour l'économie canadienne? À quel autre usage ce camion peut-il servir?

Je sais que M. Facey meurt d'envie de vous donner la réponse d'un économiste à votre question. J'ai répondu à votre question sur le plan pratique, comme on l'a fait dans l'affaire en question.

M. Facey: Très peu de fusions comptent sur une défense fondée sur les gains d'efficience et cela se produit rarement. Une fusion problématique peut avoir des effets multiples quand on a à la fois une augmentation des prix et d'énormes économies sur le plan des ressources pour l'économie canadienne. Les effets peuvent être multiples: les prix peuvent monter et ils peuvent aussi baisser; des camions qui servaient à livrer du propane peuvent maintenant servir à autre chose; et un siège social peut maintenant être utilisé à d'autres fins. Tout cela se produit quand des ressources sont réinjectées dans l'économie.

La question est: que dit la loi actuelle? Elle pose la question suivante: nous soucions-nous de l'augmentation du prix pour le consommateur? Oui, nous nous en soucions. Nous examinons ce facteur quand nous prenons en compte la perte sèche. Nous étudions aussi cette perte sous l'angle des augmentations de prix.

La loi actuelle stipule qu'il faut savoir qui sont les consommateurs, quelle est l'ampleur de l'augmentation des prix, si les clients sont des Canadiens à faible revenu, ou bien des gens qui peuvent absorber des prix plus élevés étant donné des avantages réalisés par ailleurs dans l'économie.

La loi actuelle stipule que lorsque les gains d'efficience sont importants et que les effets socialement négatifs de la hausse des prix ne sont pas considérables, nous devons permettre la fusion parce que, globalement, elle est avantageuse pour l'économie. Autrement dit, nous n'essayons pas de protéger le petit groupe de clients quand il y a par ailleurs un avantage plus important pour le Canada. Voilà ce que dit la loi actuelle. Dans notre mémoire, nous disons que c'est un bon critère. Il tient compte du bien-être net de l'ensemble du Canada sur une longue période.

Le sénateur Tkachuk: Je fais des efforts pour comprendre la dimension économique de la question. Je ne suis peut- être pas vite sur mes patins, mais il me semble que vous justifiez des gains d'efficience en disant que vous ferez payer un prix plus élevé aux gens qui sont riches. Quand on crée des gains d'efficience, on n'identifie pas les clients auxquels ils s'appliquent. On crée des gains d'efficience pour offrir des prix plus bas. S'il y a cinq concurrents, celui qui offre les meilleurs prix l'emporte. Tous les acheteurs potentiels vont acheter. Le gouvernement ne devrait pas décider qui achète quoi ou bien si ce sont les riches ou les pauvres qui doivent payer. On ne peut pas dire que tel ou tel produit vient des Pays-Bas, alors ils peuvent bien payer plus cher. Qu'est-ce que ça peut nous faire? Qu'est-ce que cela à voir avec la question qui nous occupe? Et surtout, qu'est-ce que cela a à voir avec les sciences économiques?

Je ne comprends pas le scénario du camion unique par opposition à deux camions. Si le camion est utilisé à une fin à un endroit, et qu'il est ensuite utilisé à d'autres fins quelque part d'autre, quelle différence cela peut-il faire, puisque le camion roule? En quoi cela permet-il à l'économie d'économiser quoi que ce soit?

Si l'on faisait sauter le camion et que l'on ne s'en servait plus jamais, sans avoir à payer l'amortissement, je suppose qu'il y aurait là une économie nette pour l'économie. Si le camion roule quelque part ailleurs, en quoi cela permet-il d'économiser? Quelqu'un d'autre paye tout simplement pour ce camion.

M. Finkelstein: Je vais essayer d'aborder la question sous un autre angle. Je suppose que si vous êtes d'avis qu'il importe peu, sur le plan de la politique publique, que de l'argent soit transféré d'un pays étranger ou d'actionnaires étrangers au Canada, si cela n'est pas pertinent à la politique canadienne, alors je n'ai pas de réponse à donner à cette question.

Je suis d'avis que des transferts de l'étranger au Canada sont une bonne chose mais, évidemment, ce n'est pas mon choix, parce que c'est votre choix.

Quant à savoir ce que cela a à voir avec la science économique, la loi actuelle ne traite pas strictement du point de vue économique; tout est là.

La Cour d'appel fédérale a dit qu'aux termes de l'article 96, il faut prendre en compte la totalité des effets négatifs. J'ai fait bien attention de formuler cela de cette manière: la totalité des effets négatifs. Cela veut dire les effets économiques, qui sont minimes dans le cas qui nous occupe. Le transfert de pertes sèches est minime. La Cour d'appel fédérale a dit qu'il faut aussi prendre en compte les effets sociaux négatifs.

Ce que je vous dis, c'est que, quand on examine les effets sociaux, en application de la politique, la répartition des revenus est importante. Cela n'est pas nouveau. Nous le faisons en application de la Loi de l'impôt sur le revenu et nous le faisons depuis de longues années, depuis la Loi de l'impôt sur le revenu en temps de guerre adoptée temporairement en 1919.

Le sénateur Tkachuk: Cela ne veut pas dire que c'est une bonne chose.

M. Finkelstein: Peut-être pas, mais je vous dis que c'est une variante importante de la politique publique canadienne. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec cela, comme vous en avez le droit.

Vous devez bien comprendre que ces propositions sont au coeur de notre discussion. Les transferts des compagnies étrangères à des compagnies canadiennes sont une bonne chose. L'article 96 n'est pas une législation purement économique. La cour a dit clairement que c'est socio-économique parce que les facteurs sociaux doivent être pris en compte et le sont effectivement.

Le sénateur Tkachuk: J'ai une autre question.

Comment pouvez-vous justifier de prendre de l'argent à des compagnies étrangères et de ne pas le donner aux gens pauvres qui utilisent du propane? Comment pouvez-vous justifier de verser cet argent dans les coffres de la compagnie?

Qu'est-ce que cela a à voir avec le prix du produit? En quoi cela aide-t-il le consommateur pauvre? Qu'est-ce que cela a à voir avec la redistribution des revenus? Qu'est-ce que cela a à voir avec quoi que ce soit? Cela n'a pas aidé les gens pauvres qui habitent le parc à roulottes; ils ont tous payé des prix plus élevés.

M. Finkelstein: J'ose dire que notre discussion porte seulement sur la Loi sur la concurrence. S'il y a des problèmes de redistribution, il y a bien d'autres moyens de s'attaquer à ces problèmes: la Loi de l'impôt sur le revenu, divers programmes de subventions régionales et divers programmes sociaux.

La Loi sur la concurrence s'intéresse strictement à mettre dans la balance les quatre objectifs énoncés à l'article 1.1. Ce n'est pas une loi fourre-tout; elle traite de l'organisation industrielle. Si les compagnies riches sont trop riches et que cela pose un problème, il y a d'autres moyens de s'occuper de ce problème.

Le président: Tout au long de nos audiences, on nous rappelle constamment que l'affaire Supérieur Propane a été la seule et unique affaire de ce type. Pouvez-vous expliquer pourquoi, à votre avis, il n'y a eu qu'une seule affaire de ce genre?

Est-ce que l'existence même de la défense fondée sur les gains d'efficience a en quelque sorte un effet repoussoir, empêchant d'autres affaires de se rendre devant les tribunaux? Cette question m'intéresse et je vous invite à nous expliquer pourquoi il n'y a eu qu'une seule affaire de ce genre en 16 ans.

L'une des questions que nous nous posons dans tout ceci, c'est de savoir s'il s'agit d'une réaction unique à une seule affaire. Pensez-vous qu'il pourrait y avoir d'autres affaires? Je voudrais que vous établissiez le contexte de cette affaire, en vous fondant sur votre expérience.

M. Finkelstein: Honorables sénateurs, M. Facey et moi-même tenterons tous deux de répondre à ces questions. Je suis un avocat plaidant; je m'occupe seulement de litiges. M. Facey a une pratique plus étendue; il traite avec le bureau, contrairement à moi, et il m'aide aussi à plaider dans les affaires dont je m'occupe, Dieu merci.

Je poserais la question dans un contexte plus général. Je vous ai dit au début qu'il n'y a eu que cinq contestations de fusion depuis 1986 et que j'ai plaidé dans quatre de ces causes.

L'affaire Canada (directeur des enquêtes et de la recherche) c. Southam Inc. a été lancée en 1991 et a connu son aboutissement à la Cour suprême du Canada en 1997. Il y a eu énormément d'incertitude dans l'organisation tout au long de cette période de six ans, et Southam Inc. a gagné sa cause.

Dans l'affaire Le directeur des enquêtes et de la recherche c. Hillsdown Holdings (Canada) Ltée, le commissaire s'est arrêté après la première instance et toute l'affaire n'a duré qu'un an.

Nous avons eu une audience qui a duré deux semaines à l'Office national des transports dans l'affaire de la fusion de CP Navigation; CP Navigation a gagné. Le commissaire n'était pas d'accord avec l'Office national des transports, a contesté sa décision devant les tribunaux, a dépensé plus d'un million de dollars en frais, a consacré près de deux ans à l'affaire et a fini par laisser tomber avant l'audition de la cause. Il en est résulté un coût énorme et énormément d'incertitude.

L'affaire Supérieur Propane a pris quatre ans, deux pour les audiences au Tribunal de la concurrence et deux audiences devant la Cour d'appel fédérale.

En dépit du fait que le commissaire a perdu dans toutes ces affaires, il n'en demeure pas moins que l'éventualité d'affronter le commissaire constitue une puissante dissuasion. Le commissaire peut infliger des dommages considérables, même si, au bout du compte, dans ces quatre affaires, son intervention n'a été rien de plus qu'une nuisance temporaire.

L'une des raisons pour lesquelles si peu d'affaires ont été entendues par les tribunaux, c'est que, qu'il gagne ou qu'il perde, le commissaire peut rendre la vie tellement difficile à une compagnie qui décide de l'affronter, le commissaire a tellement de pouvoirs, par le fait qu'il peut saisir d'une affaire le Tribunal de la concurrence, que la grande majorité des intervenants laissent tomber leur cause ou bien règlent l'affaire en se défaisant de certains actifs avant même l'audition au tribunal. C'est parce que les gens n'ont pas l'estomac assez solide pour affronter le Bureau.

Le président: De ces cinq affaires, une seule serait touchée par le changement proposé dans le projet de loi C-249?

M. Finkelstein: Comme je l'ai dit, l'affaire de CP Navigation n'a jamais donné lieu à un litige. Nous avons soulevé la question des gains d'efficience et le commissaire a laissé tomber. J'ignore si cette cause aurait été touchée ou non.

Le président: Il n'y a qu'une seule affaire dans laquelle la question a été clairement soulevée?

M. Finkelstein: Oui, dans l'affaire Supérieur Propane.

M. Facey: Aucun client ne veut vraiment revivre l'expérience de Supérieur Propane et passer autant de temps devant les tribunaux. La grande majorité des intervenants règlent à l'amiable. À un moment donné, le bureau examinait 400 cas par année. Je suis certain que ce chiffre a maintenant baissé. Les dossiers aboutissent très rarement à des litiges. Par ailleurs, le Bureau de la concurrence possède aussi un pouvoir aux termes de l'article 100, celui d'obtenir une injonction bloquant la transaction pendant une certaine période. C'est très facile d'obtenir une telle injonction, et c'est un autre obstacle. Si le bureau réussit, les parties peuvent décider de laisser tomber. Pour ce qui est des critères, c'est intéressant, parce qu'ils influent tous sur l'importance accordée aux gains d'efficience dans l'analyse des fusions.

Ces dernières années, le critère initial a été celui du surplus total. C'était la position du bureau de 1991 à 1999. C'est le critère le plus permissif. Il suffit d'examiner la perte due à l'inefficience ou la perte sèche, et rien d'autre. Tous les transferts de richesses, petites entreprises, et tout le reste, ne sont absolument pas pris en compte dans l'établissement de la position définitive.

En 1999-2002, le Bureau de la concurrence a adopté l'approche des coefficients de pondération préconisée par le professeur Townley. En 2002-2003, il a adopté le critère du bien-être du consommateur. À l'heure actuelle, il applique le critère du prix modifié.

Voilà donc les différents critères qui ont été appliqués au fil des années. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'on n'applique plus le critère du surplus total. La décision dans l'affaire Supérieur Propane a clairement changé cette norme. Auparavant, on tenait uniquement compte de la perte sèche, tandis que maintenant, on tient compte des transferts de richesses, on se demande s'ils ont des effets socialement négatifs, on tient compte de l'effet sur les petites entreprises et sur le commerce international.

Étant donné cet éventail plus étendu d'effets qu'il faut mettre dans la balance en regard des gains d'efficience, je ne pense pas que le nombre de cas va augmenter. Il devrait plutôt diminuer, ce qui est difficile à imaginer.

Actuellement, nous avons une norme très difficile. Ce n'est pas une recette pour l'établissement de monopoles au Canada. Ça ne l'est pas, ça ne l'a jamais été et il est certain que depuis l'affaire Supérieur Propane, le critère est encore plus difficile.

Le sénateur Harb: Avez-vous pris connaissance d'un document de discussion publié par le gouvernement du Canada en juin 2003 au sujet d'une modification à la Loi sur la concurrence? Connaissez-vous ce document?

M. Facey: Quel en est le titre?

Le sénateur Harb: «Document de travail — Options pour la modification de la Loi sur la concurrence: La promotion de marchés concurrentiels».

M. Facey: Oui, je connais ce document.

Le sénateur Harb: Dans votre présentation, vous avez évoqué le fait que le projet de loi C-249 a été modifié plusieurs fois, qu'il a évolué avec le temps.

Dans ce document de travail, on dit notamment que le gouvernement prendra en compte certains critères pour décider s'il y a lieu d'accepter une fusion.

L'un des critères, à la page 36 de ce document, est le suivant:

h) le fait que l'accord ou l'arrangement a entraîné ou entraînera vraisemblablement des gains en efficience qui assureront des avantages aux consommateurs, y compris des prix compétitifs ou un choix de produits, et qui ne seraient vraisemblablement pas réalisés en l'absence de l'accord ou de l'arrangement.

Je vous fais remarquer que ce paragraphe est quasi identique à la teneur du projet de loi C-249. Il semble que vous soyez un peu obnubilé par la question des gains d'efficience.

Vous avez dit qu'il peut arriver à l'occasion qu'il y ait des gains d'efficience même si les prix augmentent, parce qu'il y aurait par ailleurs un avantage net pour l'économie. Il y a moins de camions sur la route, ce qui permet d'économiser, et cetera.

Si l'on supprimait l'expression «gain d'efficience» en laissant intact tout le reste du paragraphe, quelle serait votre position sur le projet de loi C-249?

M. Finkelstein: Honorables sénateurs, je suis d'avis que ce serait catastrophique. Je vous ai dit au début que je n'irais pas par quatre chemins. Ce serait catastrophique pour la raison suivante. Je vous ai déjà énuméré les quatre objectifs énoncés dans la disposition sur l'objet.

Si l'on élimine le mot «efficience», il ne resterait qu'un seul objectif, nommément l'avantage pour le consommateur. Cette loi a été adoptée pour atteindre quatre objectifs. Si l'on tient seulement compte de l'avantage pour les consommateurs, laissant de côté tout le reste, sans tenir aucun compte du degré d'inefficience de l'économie, le Canada s'en trouvera appauvri.

J'ai utilisé l'affaire Supérieur Propane comme exemple. En fin de compte, en incluant les pertes sociales et économiques, l'affaire Supérieur Propane nous a coûté 8,6 millions de dollars. Si l'on appliquait le critère que vous venez de proposer, la fusion aurait été refusée et l'économie canadienne aurait perdu 29 millions de dollars.

Cela n'est pas compatible avec l'objet de la loi et ce serait à mon avis, pour ce qu'il vaut, une mauvaise politique parce qu'on laisserait 29 millions de dollars sur la table pour réaliser un gain de huit millions de dollars. Les chiffres sont là; le calcul ne ment pas.

Le sénateur Harb: Monsieur le président, je trouve extrêmement intéressant ce que les témoins nous présentent. Cependant, la question demeure: avez-vous eu la chance de prendre connaissance du document de travail? Avez-vous fait une présentation au gouvernement pour exprimer votre point de vue sur le train de mesures proposées?

C'est un fait que nous traitons d'un seul élément de la Loi sur la concurrence, au lieu de l'aborder comme un tout. Par conséquent, on n'a pas tous les outils dont on aurait besoin. Il y a des éléments qui manquent.

Avez-vous eu la chance de lire le document et, dans l'affirmative, avez-vous présenté un mémoire au gouvernement du Canada sur le document de travail?

M. Facey: Oui. Une partie de ce document est reprise dans le mémoire que nous vous avons fait parvenir aujourd'hui. J'ai justement parlé tout à l'heure du paragraphe que vous venez de lire.

Je n'ai pas fait de présentation au Forum des politiques publiques sur ce document; je n'ai pas été invité à le faire. Cependant, j'ai écrit sur la question. C'est une question légèrement différente en ce sens qu'elle met en cause l'article 45 de la Loi sur la concurrence, traitant du complot. La proposition consiste à se débarrasser d'un certain mot, le mot «indûment», et cela dépasse de loin la portée du projet de loi C-249.

Le président: Je crains que nous soyons en train de nous éloigner du sujet.

Est-il juste de dire que vous invitez notre comité à admettre le fait qu'il s'agit d'une loi cadre de nature économique et non pas sociale et que nous devons accepter le fait que c'est ce que nous devons faire pour atteindre les objectifs de la loi?

Êtes-vous en train de dire que si cela nous amène à poursuivre un objectif social ou à nous intéresser aux consommateurs, votre position est que tout cela dépasse la portée de cette loi?

M. Finkelstein: Monsieur, je préciserais davantage la question de la manière suivante: il est clair que, comme vous le dites, il s'agit d'une loi cadre, que les facteurs à prendre en compte sont ceux énumérés à l'article 1.1 et que, dans cette optique, l'article 96 exige de mettre dans la balance une foule de facteurs qui ne sont pas exclusivement d'ordre économique. Il faut tenir compte de l'intérêt du consommateur, de facteurs sociaux et de questions économiques. C'est l'interprétation de l'article 96 qui a été donnée par la Cour d'appel fédérale. C'est de cette manière que le Tribunal de la concurrence l'applique. C'est un exercice très délicat consistant à mettre dans la balance toute une série d'intérêts divers.

Par contre, cette interprétation ne va pas jusqu'à en faire une loi omnibus, comme certains me l'ont dit, qui traiterait de la répartition des revenus provenant de partenaires commerciaux étrangers ou de la redistribution des revenus entre les riches et les pauvres d'une foule de manières diverses.

Le sénateur Oliver: Je me demande si la raison pour laquelle il y a si peu de litiges, ce ne serait pas parce qu'il y a règlement extrajudiciaire des différends. Si tel est le cas, quelle forme ces règlements prennent-ils, ou bien est-ce simplement que cela coûte tellement cher et que la commission a tellement de pouvoir et d'influence qu'elle peut faire durer les causes pendant des années?

Fait-on appel à des règlements extrajudiciaires pour régler les litiges?

M. Facey: Il n'y a pas vraiment de processus formel de RED dans le cadre de l'examen des fusions, mais vous avez absolument raison. Voici comment cela fonctionne: dans le cas d'une importante transaction de fusion, le facteur temps est très important pour les entreprises. On parle souvent de mois ou même de semaines, certainement pas d'années. Un délai qui se compte en années torpille une transaction envisagée, dans 99 p. 100 des cas.

Vous avez raison en ce sens que le gouvernement a beaucoup de pouvoirs discrétionnaires. Il a beaucoup d'outils à sa disposition. Il peut invoquer l'article 11 pour obtenir une ordonnance de production de documents. Il y a une procédure de notification. Il peut facilement s'adresser au tribunal et bloquer ou retarder la conclusion d'une entente. C'est pourquoi les gens d'affaires, confrontés à la réalité du monde des affaires, veulent rarement se rendre devant les tribunaux. Il y a eu cinq cas depuis 1986.

Le sénateur Oliver: Vous avez évoqué tout à l'heure, en termes généraux, la différence entre une erreur de type un et une erreur de type deux et vous nous avez donné une brève description de la défense fondée sur les gains d'efficience et de l'approche du critère des prix.

On nous a suggéré de vous interroger sur le fardeau de la preuve. Je voulais savoir si vous pouviez comparer le fardeau de la preuve imposé aux parties dans une fusion proposée et au commissaire de la concurrence, d'une part en application du critère modifié du surplus total, et d'autre part selon l'approche adoptée dans le projet de loi C-249, nommément la défense fondée sur les gains en efficience et le critère des prix.

Autrement dit, est-ce que cela va changer quelque chose quant au fardeau de la preuve, et de quelle manière?

M. Finkelstein: Le fardeau de la preuve incombe au commissaire, qui doit démontrer qu'il y a diminution sensible de la concurrence.

Le sénateur Oliver: Aux termes du projet de loi C-249 ou d'une autre disposition?

M. Finkelstein: Les deux.

Le sénateur Oliver: Le projet de loi C-249 n'apporte aucun changement à cet égard?

M. Finkelstein: Aucun changement. Votre question porte sur le fardeau de la preuve à la fois du point de vue juridique et dans l'optique de convaincre. Légalement, le fardeau de la preuve incombe au commissaire. J'ai toujours abordé ces causes en me disant que si je ne produis pas de preuve là-dessus, je suis fait. Par conséquent, pour convaincre, nous produisons toujours des preuves à cet égard nous aussi.

Quant aux gains en efficience, c'est aux parties à la fusion qu'il incombe d'en prouver l'existence, aux termes de la loi.

Le sénateur Oliver: C'est bien ce à quoi on s'attendrait tout naturellement.

M. Finkelstein: Précisément. Le commissaire est mieux placé pour prouver qu'il y a eu augmentation de prix, parce qu'il peut vérifier ce que les concurrents font. Il peut les forcer à dévoiler leurs prix; les parties à la fusion ne le peuvent pas. En fait, si elles tentaient de s'emparer de la liste de prix de leurs concurrents, elles se feraient accuser de complot. Le commissaire est en mesure de démontrer tout cela, les parties peuvent prouver leurs gains d'efficience et, d'après mon interprétation, le fardeau de la preuve ne changera pas aux termes du projet de loi C-249.

Le président: Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants de vos efforts continus pour nous éclairer sur cette question.

Notre témoin suivant est M. Tim Kennish.

M. Tim Kennish, président sortant de la Section nationale du droit de la concurrence, Association du Barreau canadien: Monsieur le président, Joan Bercovitch, directrice des affaires juridiques et gouvernementales, vous part de ses excuses de ne pouvoir être présente aujourd'hui.

Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire part de notre point de vue sur ce projet de loi. C'est un élément important de la législation sur la concurrence. Vous avez reçu copie de notre mémoire présenté l'automne dernier. Dans le temps dont je dispose, je vais passer en revue les faits saillants de ce mémoire et je m'attarderai sur un certain nombre de points qui me semblent présenter un intérêt particulier pour vous.

Les changements proposés dans le projet de loi C-249 sont importants et à cause de leur importance, nous considérons qu'il serait préférable de les incorporer dans la refonte de la Loi sur la concurrence à laquelle travaille actuellement le Bureau de la concurrence. Ainsi, ce changement serait inclus dans le processus de consultation publique déjà en cours, de manière à obtenir les vues des personnes intéressées.

La section du droit de la concurrence de l'ABC est contre la mesure proposée parce qu'elle limiterait les gains d'efficience pris en compte à ceux qui avantagent le consommateur et dont on peut démontrer qu'ils sont spécifiques à la fusion. Nous croyons que dans un tel scénario, l'étude des gains d'efficience n'aurait plus aucune incidence réelle dans le cadre de l'examen des fusions.

Si vous décidez, en dépit de ce que nous vous disons aujourd'hui, d'aller de l'avant et d'adopter ce projet de loi, alors il y aurait lieu de réviser la mesure législative proposée, à notre avis, de manière à en enlever deux éléments: l'obligation de transmettre le gain aux consommateurs, et le fait que le gain d'efficience doit être spécifique à la fusion.

Je dois expliquer que nous sommes avocats, non pas économistes, et que je ne me propose pas de m'aventurer dans le débat sur les mérites relatifs des diverses théories économiques sur les gains d'efficience. Cependant, à cause du rôle que nous jouons en conseillant nos clients dans la planification de leurs affaires commerciales, y compris d'éventuelles fusions, et en présentant des mémoires au bureau relativement aux fusions que les entreprises proposent de réaliser, nous nous intéressons beaucoup à la manière dont les gains d'efficience sont pris en compte dans le cadre du processus d'examen des fusions. Nous sommes également au courant de la pratique actuelle du bureau relativement au traitement des gains d'efficience.

Vous avez probablement déjà entendu tout cela auparavant. Les dispositions actuelles de la loi permettent au Tribunal de la concurrence d'interdire ou de défaire une fusion qui pourrait empêcher ou réduire sensiblement la concurrence. L'article 96 prévoit toutefois une possibilité de défense ou une exception pour les fusions dont on constate par ailleurs qu'elle créerait des gains d'efficience suffisants pour neutraliser les effets négatifs de la réduction de la concurrence. Le tribunal doit aussi conclure que les gains d'efficience ne seraient probablement pas réalisés autrement que par la fusion.

Le projet de loi remplacerait cette défense par ce que l'on appelle une approche «factorielle». Cela veut dire que ce ne serait plus que l'un des facteurs parmi d'autres, notamment l'effet de l'entrée potentielle dans ce secteur d'activité, ou la force des concurrents qui restent, facteurs qui seraient tous pris en compte pour déterminer si, au départ, il y aurait réduction sensible de la concurrence. Dans cette situation, ce ne serait plus une défense absolue.

L'affaire Supérieur Propane est cruciale dans tout ce domaine parce qu'elle a débouché sur une interprétation définitive, tout au moins jusqu'à maintenant, de l'article 96. Comme on l'a dit, c'est la seule affaire dans toute l'histoire de cette disposition dans laquelle la défense a été invoquée avec succès, ou même la seule fois que l'on ait même tenté d'invoquer cette défense dans un litige, à ma connaissance.

Vous en avez parlé tout à l'heure et l'une des raisons pour lesquelles la disposition n'est pas invoquée plus souvent, c'est en partie parce que c'est un moyen de défense; je parle ici de l'article 96. Il faut conclure pour commencer qu'il y a réduction sensible de la concurrence avant même que l'on puisse invoquer cet article. En fait, essentiellement, le bureau ne tient même pas compte des prétendus gains d'efficience, à moins d'avoir déjà abouti à la conclusion qu'il y a effectivement diminution sensible de la concurrence.

Beaucoup de parties se sont également heurtées à des résistances de la part du bureau, qui n'accepte qu'à contrecœur d'examiner les gains d'efficience lorsque l'on soupçonne que ceux-ci pourraient éventuellement l'emporter sur l'argument de la diminution sensible de la concurrence. Je crois qu'il y a au bureau une attitude telle que le bureau a tendance, dès que l'une des parties soutient que la défense fondée sur les gains d'efficience est valable, à s'en remettre au Tribunal de la concurrence pour déterminer si tel est bien le cas, au lieu que ce soit le bureau lui-même qui prenne la décision.

La décision du Tribunal de la concurrence dans l'affaire Supérieur Propane restreint probablement la portée de l'article 96 par rapport à l'interprétation que nous en faisions tous, mais c'est maintenant devenu l'interprétation définitive. Pour pouvoir invoquer cette défense, il est obligatoire de démontrer que les gains d'efficience, mesurés selon les modalités énoncées dans cette loi, neutralisent et surpassent à la fois la perte sèche et la portion de l'augmentation des prix qui devrait résulter de la fusion, ce qui représente un transfert de richesses des clients de l'entreprise qui fusionne, si vous voulez, à l'entreprise elle-même, résultat que l'on estime socialement négatif.

Inutile de dire que l'identification et la mesure de ces éléments posent d'importants problèmes pour ce qui est de prédire quand cette défense pourrait être invoquée. C'est vraiment difficile et je pense que vous constaterez qu'il y a relativement peu de parties qui sont disposées de risquer de s'adresser aux tribunaux sur cette question, à cause de l'incertitude quant à l'application de la disposition.

Que vous soyez d'accord ou pas avec le point de vue exprimé dans la décision Supérieur Propane, à savoir que la création de gains d'efficience est l'objectif primordial de la législation sur la concurrence, c'est assurément un objectif important de la loi. Il est donc souhaitable, dès lors que l'on propose de modifier la loi à cet égard, que les modifications proposées bénéficient d'une consultation publique pleine et entière. Étant donné le processus particulier que l'on a suivi dans le cas de la mesure proposée, cela ne s'est pas produit. Cependant, il y a actuellement un processus de consultation publique en cours pour examiner d'autres modifications en profondeur que l'on se propose d'apporter à la loi, et qui sont énoncées dans le document de travail publié en juin dernier.

Étant donné l'importance des changements proposés et puisqu'il est souhaitable de consulter le public à cet égard, nous préférerions de beaucoup que le projet de loi ne soit pas adopté et que les changements qu'on y propose soient plutôt examinés dans le cadre de ce processus de refonte plus global.

Il est regrettable que l'on n'ait pas profité de l'occasion pour inclure cette proposition dans le train de mesures à l'étude puisque le changement est clairement appuyé par le gouvernement. Cependant, il n'est pas trop tard pour le faire, à notre avis.

Cela pourrait prendre la forme d'une consultation publique spéciale et abrégée, portant spécifiquement sur la proposition relative aux gains d'efficience, avant que la refonte globale aborde l'étape plus officielle de l'étude parlementaire.

Bien sûr, une consultation publique poussée n'est pas exigée dans le cas de projets de loi d'initiative parlementaire comme celui-ci. Bien que le comité sectoriel et votre comité aient reçu des observations de bon nombre de témoins, cela ne constitue pas une véritable consultation publique.

En même temps, même si le projet de loi à l'étude poursuit son cheminement sous forme de projet de loi d'initiative parlementaire, il est maintenant devenu en réalité une initiative appuyée par le gouvernement ou par le bureau et il devrait donc logiquement faire l'objet d'une consultation publique.

En outre, je pense que la plupart des avocats qui pratiquent le droit dans ce domaine diraient que, quant à son importance relative, cette mesure représente une réforme de la loi au moins aussi importante que beaucoup d'autres éléments du train de mesures évoquées dans le document en discussion, lesquels font l'objet d'une consultation publique. C'est peut-être une lapalissade, mais il vaut quand même la peine de dire que le projet de loi à l'étude est une loi cadre d'application générale qui devrait donc être adoptée après mûre réflexion et après avoir bénéficié de l'apport du public.

Comme nous l'avons fait remarquer antérieurement, il y a déjà un lien entre le projet de loi C-249 et les propositions énoncées dans le document de travail, en ce sens que l'une des dispositions proposées, la modification de l'article 45, envisage en fait d'incorporer à la loi une disposition sur les gains d'efficience découlant d'ententes horizontales non criminelles. Bien sûr, cela présuppose que l'approche proposée dans le projet de loi à l'étude soit adoptée, parce que ce sont des dispositions quasiment identiques.

Il vaut également la peine de rappeler que le Comité de l'industrie, dans son rapport publié en avril 2002, si je me rappelle bien, a recommandé que toute la question des gains d'efficience soit examinée par un groupe d'économistes experts, dans le but d'étudier comment cette question est abordée ailleurs dans le monde et aussi de formuler des recommandations sur la manière dont on devrait traiter cet aspect au Canada. Cela n'a pas été fait. On a bien commandé une étude comparative plus limitée sur le droit applicable au traitement des gains d'efficience dans d'autres pays, qui a débouché sur un rapport sur la question, mais les auteurs n'ont formulé aucune recommandation pour ou contre une réforme dans ce domaine.

Nous croyons qu'il est encore temps d'entreprendre une telle consultation. Nous ne sommes pas convaincus qu'il y ait la moindre urgence à annuler le précédent créé par la décision Supérieur Propane. Il apparaît très clairement que la mesure législative que vous étudiez aujourd'hui résulte directement de la décision rendue dans l'affaire Supérieur Propane. C'est encore plus évident quand on examine la version précédente du projet de loi, laquelle aurait rendu impossible toute défense fondée sur l'article 96, sans rien proposer pour la remplacer.

Je pense que l'on avait des inquiétudes non fondées quant à la possibilité que l'article 96, tel qu'interprété dans la décision Supérieur Propane, pourrait entraîner une série de fusions créant des monopoles, qui seraient légitimés par les gains d'efficience résultant des fusions, au détriment des consommateurs et à l'avantage des parties aux fusions. Je dis que cette inquiétude n'était pas fondée parce que l'affaire Supérieur Propane est la seule, dans toute l'histoire de la défense fondée sur les gains d'efficience, dans laquelle on ait eu gain de cause en plaidant cette défense.

Si d'éminents économistes spécialisés dans la concurrence avaient étudié la question, cette défense n'aurait même pas pu être invoquée dans cette affaire si la preuve relativement à la perte sèche avait été bien présentée au tribunal. Je n'ai pas étudié la question de façon indépendante, mais j'ai beaucoup de respect pour les gens qui sont de cet avis. Je ne crois pas qu'il y ait crise ni urgence. Je pense que l'on a le temps d'étudier la question à tête reposée et de bien faire les choses.

Est-il nécessaire de procéder à une réforme? À notre avis, le rôle joué par les gains d'efficience dans l'application de la loi jusqu'à maintenant a été tout au plus marginal, ce qui est regrettable. Si l'on a fait si peu attention aux gains d'efficience dans l'étude des fusions, c'est indéniablement, tout au moins en partie, parce que l'article 96 entre en jeu seulement après que l'on ait déterminé qu'il y a effectivement diminution sensible de la concurrence.

Ordinairement, en l'absence d'une telle preuve, les gains d'efficience sont purement et simplement exclus de la discussion, ce qui est malheureux parce que, bien souvent, les entités qui fusionnent le font dans le but explicite de créer des gains d'efficience, ce qui est l'objectif énoncé par notre politique dans ce domaine.

Cela ne veut pas dire que le maintien de l'article 96 dans sa forme actuelle est la seule solution. Les économistes se frottent peut-être les mains devant l'élégance théorique du critère énoncé dans la décision Supérieur Propane, mais je mets n'importe quel avocat au défi de prédire avec la moindre assurance s'il sera possible d'invoquer la défense fondée sur les gains d'efficience attribuables à la fusion dans une affaire donnée, à la lumière de la nécessité de démontrer l'incidence socialement négative du transfert de richesses et de la difficulté de déterminer si les gains d'efficience surpassent cette incidence.

Avons-nous des objections au projet de loi C-249? Nous ne préconisons pas d'adopter le projet de loi C-249, tout au contraire. Même si la défense fondée sur les gains d'efficience attribuables à une fusion, tels qu'interprétée dans la décision Supérieur Propane, est entourée d'incertitude dans son application, ce que l'on propose dans le C-249 est à notre avis bien pire. Les limites imposées par la modification proposée sont telles que si la mesure est adoptée, compte tenu de ces limites, le rôle des gains d'efficience dans l'examen des fusions sera relégué à l'arrière-plan et deviendra insignifiant.

Il y a deux limites distinctes. J'ai évoqué l'obligation de transmettre le gain aux consommateurs. En application de la mesure proposée, l'examen des gains d'efficience se limiterait à ceux qui avantagent le consommateur, que ce soit par des prix compétitifs ou un choix dans les produits. Dans une fusion, les gains d'efficience sont d'abord créés en amont des consommateurs et il serait donc nécessaire de prouver que les avantages des gains d'efficience seront probablement transmis aux consommateurs par l'entreprise résultant de la fusion. C'est très difficile de comprendre pourquoi tel devrait être le cas quand il s'agit d'un facteur par opposition à une défense. Premièrement, cela ajoute considérablement à la difficulté de prouver que les gains d'efficience allégués résulteront vraiment de la fusion. C'est souvent difficile à prédire.

Imposer des limites sur l'efficacité signifera inévitablement que les gains d'efficience les moins tangibles seront laissés de côté. L'innovation, l'efficience dynamique, la synergie découlant de la fusion d'actifs complémentaires, tout cela constitue des gains d'efficience au sens large, mais ne serait probablement pas pris en compte en application d'une telle obligation. Il faut prouver que les consommateurs seront avantagés.

Encore plus important est le fait que cela pose la question fondamentale de savoir pourquoi une fusion proposée qui augmentera la richesse nette de l'économie canadienne dans son ensemble, et dont on considère qu'elle n'entraînerait pas, par des gains d'efficience ou autrement, une diminution sensible de la concurrence, devrait être obligée de se conformer à une norme plus rigoureuse relative au bien-être du consommateur.

Je fais ici une digression pour dire que notre loi, contrairement à la législation antitrust américaine, l'équivalent de notre Loi sur la concurrence, n'accorde pas la préséance à la protection de l'intérêt du consommateur. Ce n'est que l'un des intérêts en jeu, de même que celui des petites et moyennes entreprises et d'autres intérêts énumérés dans la disposition qui énonce l'objet de la loi. En fait, si l'on remonte à la période antérieure à la décision Supérieur Propane, qui a interprété l'article 96, à la lumière de la disposition d'objet, le discours dominant était que la concurrence elle- même était la méthode la plus efficace pour assurer la répartition des ressources économiques. La loi visait donc à favoriser le libre jeu de la concurrence, sans entrave ni contrainte, dans l'hypothèse que si cet objectif était atteint, tout le reste irait de soi. Cependant, même selon l'interprétation donnée dans la décision Supérieur Propane, l'intérêt du consommateur, quoique important, n'occupe pas une position prédominante dans les objectifs de la loi. Cela étant, je trouve particulièrement inquiétante une disposition qui aurait pour conséquence de limiter la reconnaissance des gains d'efficience aux fins de l'application de la loi à ceux qui avantagent le consommateur.

L'autre limitation est l'obligation de démontrer que les gains sont spécifiques à la fusion, c'est-à-dire qu'il faut prouver que les gains d'efficience seraient attribuables uniquement à la fusion et ne seraient pas réalisables d'une autre manière raisonnable.

Il me semble que, dans le cas d'un facteur à prendre en compte, c'est vraiment une obligation supplémentaire inutile parce que les gains d'efficience ne constitueront désormais qu'un seul élément d'un ensemble de considérations dans le processus d'évaluation. De plus, on serait dans l'obligation de prouver une proposition négative, nommément que les gains d'efficience en question ne pourraient pas vraisemblablement être réalisés d'aucune autre manière, ce qui est notoirement difficile à prouver.

Certains types d'efficiences pourraient échouer le test de la spécificité, par exemple les économies d'échelle. Je ne crois pas que les autorités responsables de la concurrence devraient forcer les entreprises à choisir des moyens moins souhaitables de réaliser des gains d'efficience ou de les laisser tomber complètement à cause d'une possibilité purement théorique voulant qu'il eût été possible d'obtenir les mêmes gains à l'interne, en l'absence de la fusion, si le résultat de la fusion est effectivement que des gains d'efficience seront créés et s'il n'y a pas diminution sensible de la concurrence.

En conclusion, et c'est mon troisième point que j'ai mentionné tout à l'heure, si l'on prend la décision d'aller de l'avant avec cette mesure législative proposée, en dépit des autres commentaires formulés à son endroit, je vous exhorte à envisager de supprimer ces deux limitations, parce que je crois que cela ajouterait considérablement à la valeur de ce qui est après tout l'intention du législateur en stipulant de tels facteurs, et je ne crois pas qu'il y aurait la moindre perte sur le plan de la protection.

Le sénateur Tkachuk: Pour la gouverne des gens qui pourraient suivre les travaux de notre comité à la télévision, veuillez nous dire combien d'avocats vous représentez. Combien d'avocats ont été consultés au sujet de cette proposition?

M. Kennish: C'est une bonne question. L'Association du Barreau canadien compte plusieurs milliers de membres, autour de 30 000. La section nationale du droit de la concurrence compte approximativement 1 400 membres. De ce nombre, il y a peut-être 200 membres actifs qui pratiquent à plein temps le droit de la concurrence. La plupart de ces avocats participent d'une manière ou d'une autre aux activités de l'Association du Barreau canadien, mais pas à chacun de ses éléments. Nous avons divers comités.

La section nationale du droit de la concurrence comprend un exécutif formé de gens qui ont été promus dans les rangs de l'organisation et qui ont gravi les échelons en occupant des postes de responsabilité.

En l'occurrence, la section des fusions et la section de l'économie et du droit ont conjugué leurs efforts pour rédiger un mémoire sur ce qui était alors le projet de loi C-248. On nous a ensuite entendus devant le Comité de l'industrie mais, comme vous le savez sans doute, le projet de loi a alors subi des modifications radicales.

Notre position n'a pas beaucoup changé par rapport à celle que nous avons exprimée au Comité de l'industrie. Nous préconisons des consultations plus étendues sur ce projet de loi. Par conséquent, nous n'avons pas consulté autant que nous l'aurions fait d'ordinaire, mais en l'occurrence, voilà l'explication.

Normalement, quand l'Association du Barreau canadien comparaît devant un comité, elle envoie des gens qui participent activement et de près à ses travaux. Chose certaine, tous ceux qui ont examiné la question sont des avocats pratiquants et sont respectés par l'ensemble du groupe. Nous n'avons pas envoyé un questionnaire pour demander aux gens s'ils étaient d'accord avec les moindres détails de notre mémoire.

Le sénateur Tkachuk: J'ignore qui vous consulteriez sur l'autre projet de loi dont j'ai parlé, le C-250, à savoir le projet de loi proposé par Svend Robinson sur la propagande haineuse.

Le processus dont nous discutons aujourd'hui est assez important. Les gens qui y participeraient seraient-ils intéressés au premier chef? Autrement dit, le facteur des gains d'efficience est un moyen de défense et il leur serait enlevé. Les gens que vous consultez sont-ils intéressés à ce que la loi devienne plus compliquée, que l'on donne plus de travail aux avocats, ou cherchent-ils plutôt à faciliter la tâche aux avocats? Comment savez-vous sur quoi une personne se base pour dire que c'est bon ou mauvais, si vous ne demandez pas que la loi soit bonne et claire, ce qui fait une grande différence du point de vue personnel ou politique, point de vue que vous avez énoncé deux fois maintenant?

M. Kennish: Le point de vue politique.

Le sénateur Tkachuk: Oui, c'est ce que vous avez fait.

M. Kennish: Il me semble que je parlais du processus. Quoi qu'il en soit, la plupart des gens qui y participent représentent des clients d'affaires et les conseillent sur la manière de cheminer dans le processus.

Il arrive parfois, dans un dossier de fusion, que l'on représente une partie qui fait la promotion d'une fusion, mais il peut aussi arriver que l'on représente une personne qui intervient contre une fusion en particulier, et l'avocat ne défend donc pas invariablement les mêmes intérêts à chaque fois. Il est probable que l'on voudrait compter sur une disposition applicable sur laquelle on peut se fier pour obtenir un traitement équitable, peu importe de quel côté l'on se trouve.

Je ne pense pas que les gens interviennent dans ce dossier pour défendre les dossiers dont ils s'occupent personnellement. Par exemple, l'un des amendements que l'on envisage actuellement d'apporter à la Loi sur la concurrence décriminaliserait les dispositions de la loi relative à la fixation des prix. La plupart des avocats spécialisés dans le droit de la concurrence vous diront qu'ils sont appelés à conseiller des clients là-dessus parce qu'une disposition de droit criminel est très difficile à appliquer.

Si c'était décriminalisé, la plupart des dossiers en question disparaîtraient et c'est donc contraire à l'intérêt d'un avocat d'obtenir ce changement, en termes d'occasions d'affaires, mais je pense qu'ils reconnaissent qu'il est préférable d'avoir une bonne loi.

Le sénateur Tkachuk: Je pose ces questions parce que quand nous entendons les représentants de la chambre de commerce ou les banquiers canadiens, nous sommes conscients de l'intérêt qu'ils défendent. Je ne dis pas que c'est mauvais de défendre ses propres intérêts, je dis seulement que nous savons ce qu'il en est; nous sommes cinq ou six sénateurs ici présents, en train d'étudier ce projet de loi, et nous avons des divergences.

Je m'étonne toujours que l'Association du Barreau canadien puisse intervenir dans une question politique comme celle-ci, ou comme le projet de loi C-250, et faire état d'une telle unanimité, ou bien est-ce un pourcentage de votre association?

Comment déterminez-vous tout cela et comment obtenez-vous une telle unanimité alors que vous traitez avec un aussi grand nombre d'avocats?

M. Kennish: L'une des raisons pour laquelle la consultation n'a pas été aussi étendue, c'est la manière dont elle a été présentée. Nous avons eu une vaste consultation sur le projet de loi original d'initiative parlementaire. De plus, nous n'étudions pas les projets de loi d'initiative parlementaire avec la même intensité que les autres, simplement parce qu'ils ne sont pas aussi souvent adoptés. Nous faisons des présentations sur la plupart des dossiers, mais les gens ne s'y intéressent pas autant que dans le cas des initiatives parrainées par le gouvernement. Cette mesure est évidemment un projet de loi d'initiative parlementaire et il n'y a donc pas eu autant d'intérêt de la part des membres individuels.

Pour ce qui est du document de travail, c'est une proposition présentée et appuyée par le gouvernement et par le bureau qui suscite un intérêt généralisé et le barreau présente son point de vue.

Vous constaterez que d'autres avocats ont des points de vue différents, mais le groupe qui s'occupe de commenter publiquement ce dossier dégage son propre consensus qui peut se situer à 60 p. 100 contre 40 p. 100, ou encore à 90 p. 100 contre 10 p. 100.

Généralement, les positions que nous défendons bénéficient d'un appui généralisé. Le droit d'intenter des poursuites en est un bon exemple. Les avocats plaidants appuyaient très majoritairement ce droit, tandis que les avocats qui conseillent les grandes entreprises étaient moins enthousiastes. L'ABC n'a pas pris fermement position, mais a fait connaître les points de vue différents des personnes en cause. Nous ne prenons donc pas position chaque fois, mais nous essayons de le faire parce qu'autrement, il nous faudrait toujours présenter le pour et le contre, ce qui ne vous serait pas très utile et nous ne serions pas très influents.

Le président: Nous sommes assurément habitués à entendre ici des avocats qui ne sont pas d'accord entre eux et nous en avons eu des exemples durant nos audiences.

Merci pour votre mémoire.

Votre présentation m'a permis de comprendre un certain nombre de points qui n'étaient pas tout à fait clairs. Vous avez beaucoup insisté sur le fait qu'il est regrettable que les gains d'efficience soient un élément important à prendre en compte, mais que cela entre seulement en jeu une fois que le bureau a décidé qu'une fusion est anticoncurrentielle et qu'on en arrive à l'étape du tribunal. On pourrait en tenir compte au moment de l'évaluation de l'affaire, ce qui n'est pas le cas actuellement.

M. Kennish: C'est exact. Je ne crois pas avoir exprimé un regret.

Le président: C'est pourquoi je tenais à être sûr d'avoir bien compris ce que vous avez dit à la page 5 de votre mémoire, quand vous dites:

Dans la mesure, donc, où les efficiences ne sont pas examinées dans l'analyse des fusionnements, cela n'est pas simplement fâcheux. Il s'agit, à notre avis, d'une erreur d'interprétation de l'objectif de la loi.

M. Kennish: Oui. Nous disons qu'il n'y a pas examen approfondi des gains d'efficience et que c'est regrettable parce que c'est un objectif de la loi et que c'est bien souvent l'objectif des parties qui concluent de tels arrangements.

Le président: Voudriez-vous que ce soit examiné avant même d'en arriver à l'étape du tribunal?

M. Kennish: Si je peux répondre à votre question, si c'est une défense, et si nous plaidons en invoquant l'argument des gains d'efficience, j'aimerais que le bureau l'examine dès le départ, qu'il nous fasse savoir ce qu'il en pense ou quelle est l'ampleur des gains d'efficience que l'on serait prêt à reconnaître ou accepter à cette fin.

Le président: Il semble qu'il y ait accord complet sur un point, à savoir que toute la question des gains d'efficience est importante.

M. Kennish: Oui.

Le président: Je ne pense pas que nous ayons entendu un seul témoin qui ait dit le contraire. C'est seulement qu'il y a différentes manières d'aborder la question.

Y a-t-il d'autres questions?

Le sénateur Massicotte: Je m'excuse d'être arrivé en retard. Vous avez peut-être déjà répondu à mes questions, et je vous demande donc votre indulgence. Pour faire suite à l'observation du sénateur Kroft sur l'argument fondé sur l'efficience, vous signalez également dans votre mémoire qu'à titre d'avocat, vous n'êtes pas certain de la manière dont cette disposition sur l'efficience serait interprétée. Si je comprends bien, vous estimez que la définition ou l'application de cette disposition est complexe et donc imprévisible quant aux résultats. Ai-je raison?

M. Kennish: C'est bien cela.

Le sénateur Massicotte: Par conséquent, suite à ce commentaire, dites-vous que cela ne devrait pas être une défense, mais plutôt l'un des facteurs à prendre en compte, si l'on devait récrire complètement la loi?

M. Kennish: Au départ, nous ne pensions pas que la cour en arriverait à la conclusion que pour invoquer avec succès la défense des gains d'efficience, il serait nécessaire de prouver que les gains d'efficience surpassent une certaine partie du transfert de richesses représentant des transferts socialement négatifs. Tout cela semble extraordinairement compliqué.

Je peux vous dire que je ne recommanderai pas à nos clients de se lancer dans de nombreux litiges en invoquant une défense fondée sur les gains d'efficience, puisque j'ai du mal à discerner le bon du mauvais.

Le sénateur Massicotte: Dites-vous qu'en dépit de l'affaire Supérieur Propane, nous ne verrons pas une avalanche de nouveaux litiges inspirés de ce précédent?

M. Kennish: Je ferai deux observations. Premièrement, j'ai dit que le simple fait qu'il n'y a eu qu'une seule affaire témoigne de la répugnance des gens à soulever la question. Le facteur temps est primordial dans les fusions. Dans la mesure où, après un long processus d'examen de la fusion au Bureau de la concurrence, qui peut durer cinq mois, on peut alors vous informer que l'on n'est pas disposé à permettre la fusion en question parce qu'elle entraîne une diminution sensible de la concurrence.

Si vous invoquez la défense des gains d'efficience et que l'on vous dit que vous devez alors vous adresser au Tribunal de la concurrence, vous devez attendre encore une année. Il n'y a pas tellement de fusions qui peuvent attendre aussi longtemps sans imposer un stress à l'organisation, particulièrement en raison de l'incertitude, surtout s'il y a une rationalisation dans la foulée de la fusion. Les clients et les fournisseurs peuvent commencer à se demander à qui ils ont affaire, et cela peut nuire aux affaires. Les gens ne sont pas enclins à investir autant de temps dans un tel litige.

Voilà pour le premier point. Deuxièmement, l'incertitude quant à la manière dont cette mesure sera appliquée au cas par cas est une autre raison pour laquelle vous n'assisterez pas à une flambée de nouveaux cas.

Le sénateur Massicotte: À titre de membre du barreau et d'avocat, en lisant le texte de loi que l'on propose actuellement, dans votre esprit, comment définiriez-vous le mot «consommateur»?

Comment pensez-vous que les tribunaux vont interpréter ce mot? Est-ce très général ou bien s'agit-il seulement des consommateurs des entités en question?

M. Kennish: Vous me prenez au dépourvu, parce que je ne crois pas avoir lu toutes les décisions judiciaires dans lesquelles le mot a été discuté. J'interprète cela comme un particulier qui achète un produit pour consommation personnelle, par opposition à une entité commerciale qui en fait l'acquisition pour utilisation commerciale.

Le président: Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant de nous avoir consacré de votre temps pour étudier cette question fort complexe.

Le sénateur Tkachuk: Il n'y a que deux ou trois lignes.

Le président: Nous constatons habituellement que plus un projet de loi est court, plus il est difficile.

La séance est levée.


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