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Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 6 - Témoignages du 20 avril 2004


OTTAWA, le mardi 20 avril 2004

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit ce jour à 9 h 30, pour examiner le Budget des dépenses principal pour l'exercice se terminant le 31 mars 2005.

Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, dans le cadre de notre renvoi au Budget des dépenses principal de 2004-2005, nous poursuivons notre examen de la politique et du programme fédéraux de péréquation. Ce matin, nous entendrons les représentants de deux des provinces bénéficiaires: tout d'abord, Terre-Neuve et le Labrador et ensuite, l'Île-du- Prince-Édouard.

Notre principal témoin pour Terre-Neuve et le Labrador ce matin devait être l'honorable Loyola Sullivan, ministre des Finances de cette province; toutefois, comme les honorables sénateurs le savent, son gouvernement est entièrement polarisé sur la grève de la fonction publique. Dans ces conditions, M. Sullivan, qui est à la fois ministre des Finances et président du Conseil du Trésor, a jugé qu'il ne serait pas prudent pour lui de s'absenter pour l'instant de la province. Il nous prie donc à regret de bien vouloir l'excuser.

Il nous a cependant envoyé son sous-ministre des Finances, M. Terry Paddon, qui n'est pas un étranger pour nous. La dernière fois que nous avons examiné la péréquation, M. Paddon accompagnait le ministre des Finances de l'époque, ce qui nous donne l'avantage d'une certaine mémoire institutionnelle et d'une certaine continuité. J'imagine que la politique d'ensemble de Terre-Neuve et du Labrador n'a guère changé en matière de péréquation, mais nous verrons.

Allez-y, monsieur Paddon.

M. Terry Paddon, sous-ministre des Finances, gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador: Monsieur le président, pour répéter ce que vous venez de dire, le ministre Sullivan regrette de ne pas pouvoir être ici aujourd'hui. Naturellement, le problème des relations de travail dans notre province est prioritaire.

Le ministre a des convictions profondes sur cette question — c'est pour cela qu'il aurait bien voulu être ici — et il m'a demandé de vous faire part de ses commentaires. Je remercie le comité d'avoir accepté de m'entendre, à sa demande.

Nous vous avons communiqué un mémoire complet sur la question. Je vais en reprendre les grandes lignes dans mes remarques d'introduction.

Le renouvellement de la péréquation en 2004 aurait pu être, mais ne l'a pas été, une occasion de répondre utilement aux préoccupations formulées par les provinces, les ministres des Finances et les premiers ministres depuis 1998. En plus de cela, le gouvernement fédéral ne semble pas avoir l'intention de répondre à ces préoccupations au cours des années qui vont mener au prochain renouvellement en 2009, ni dans un avenir prévisible.

La tendance au déficit à long terme que l'on constate dans les provinces de paiements de péréquation, par opposition à la tendance constatée au niveau du gouvernement fédéral, prouve que les paiements de péréquation sont insuffisants. Il incombe au gouvernement fédéral de permettre aux provinces d'avoir les ressources financières voulues pour assurer des niveaux comparables de services publics avec des niveaux comparables de fiscalité. C'est ce que stipule la Constitution.

L'inadéquation du programme actuel de péréquation est le reflet du déséquilibre budgétaire entre le gouvernement fédéral et les provinces. Les provinces ont de plus lourdes responsabilités de dépenses et une moins grande capacité fiscale, alors que c'est l'inverse pour le gouvernement fédéral. Le rôle d'un régime de transfert, et plus précisément de la péréquation, est de combler l'écart entre les recettes fiscales qu'une province peut raisonnablement prélever et les montants dont elle a besoin pour financer des services publics de niveaux comparables

Cet écart se creuse, surtout depuis le milieu des années 90, sous l'effet notamment de la hausse vertigineuse des coûts de la santé. Les recettes provinciales ont progressé au même rythme que l'économie, mais les coûts des services publics ont augmenté plus rapidement.

Le gouvernement fédéral a réduit d'un tiers le montant des transferts sociaux à partir de 1994-1995, et ils n'ont remonté que lentement; c'est seulement en 2002-2003 qu'ils sont revenus aux niveaux de 1994-1995. Au cours de cette période, le coût de la santé dans les provinces a augmenté de plus de 60 p. 100. Les paiements de péréquation ont aussi augmenté, mais en 2002-2003, ils étaient seulement revenus à peu près au niveau de 1994-1995. Pour 2003-2004, ils ne représentent que 2 p. 100 de plus qu'en 1994-1995.

En 2003-2004, les transferts de fonds de la péréquation et du TCS ont représenté 3,3 milliards de plus qu'en 1994- 1995, alors que les coûts de la santé avaient augmenté de 29,6 milliards de dollars. Ce sont les provinces qui ont dû financer chaque année les 26,3 milliards de dollars restants à même leurs propres ressources.

Les recettes du gouvernement fédéral vont dépasser ses besoins de dépenses pendant encore un bon moment dans l'avenir prévisible, ce qui lui permettra de continuer à accumuler des excédents confortables. Une récente étude publiée en février par le Conference Board of Canada et intitulée «Fiscal Prospects for the Federal and Provincial/Territorial Goverments» (Perspectives financières pour les gouvernement fédéral et provinciaux-territoriaux) expose les perspectives d'excédents et de déficits des deux ordres du gouvernement jusqu'à 2019-2020. Dans la conclusion de cette étude on peut lire qu'alors que le gouvernement fédéral est déterminé à éliminer sa dette portant intérêt grâce à des excédents de plus en plus importants, qui auront atteint 78 milliards de dollars en 2019-2020, les provinces et territoires demeureront déficitaires durant toute la période envisagée. Les auteurs ajoutent qu'avec les régimes financiers en place, seul le gouvernement fédéral aura la capacité de rembourser sa dette et de lancer de nouvelles initiatives, alors que les provinces et territoires ne pourront pas lancer de nouvelles initiatives stratégiques durant les 17 prochaines années.

Ceci donne une bonne idée des perspectives financières auxquelles sont confrontées toutes les provinces. Si l'on subdivise les chiffres, on constate que la situation des provinces les plus faibles sur le plan financier, celles qui bénéficient de la péréquation, est encore pire. Pour celles dont la situation financière est la plus précaire, comme Terre- Neuve et le Labrador, l'avenir financier est des plus incertain.

L'étude montre que le gouvernement fédéral est parfaitement placé pour atténuer, en grande partie, les pressions financières qui s'exercent sur les provinces. Des deux mécanismes actuellement disponibles pour cela, c'est celui des transferts de fonds sociaux qui est le mieux placé pour apporter une solution, mais cela ne peut pas être la seule solution car ces transferts de fonds fédéraux s'effectuent sur la base d'un montant égal par habitant. À titre d'exemple, quand le gouvernement fédéral verse un milliard de dollars au titre des transferts sociaux, Terre-Neuve et le Labrador ne reçoivent que 16 millions de dollars. Tant que les fonds seront répartis de manière égale par habitant, le gouvernement fédéral ne pourra jamais injecter assez d'argent dans les transferts sociaux pour réduire le déséquilibre financier dont sont victimes des provinces comme la nôtre ou d'autres provinces relativement peu peuplées.

L'autre mécanisme, c'est la péréquation. Depuis le milieu des années 90, le gouvernement fédéral fait la sourde oreille aux besoins de renforcer le programme de péréquation. La péréquation diminue en pourcentage des recettes fédérales et du produit intérieur brut.

Dans les faits, rien ne justifie ce refus de voir la nécessité de renforcer continuellement le programme de péréquation. Cela fait sept ans que le gouvernement fédéral n'a pas de déficit, depuis 1997-1998, l'année précédant celle où les transferts de fonds aux provinces ont été les plus faibles. En 2003-2004, les recettes fédérales ont été de presque 60 milliards de dollars supérieures à ce qu'elles étaient en 1994-1995, avec une augmentation de 50 p. 100. Les droits à la péréquation, d'un montant de 8,8 milliards de dollars, représentent environ 6 p. 100 des dépenses de programmes fédérales en 2003-2004, contre 7,5 p. 100 en 1994-1995. C'est le signe qu'on a négligé trop longtemps la péréquation et que le gouvernement fédéral a la souplesse financière voulue pour remédier à l'inadéquation du programme.

Terre-Neuve et le Labrador n'acceptent pas l'argument selon lequel le déclin de la péréquation à l'échelle nationale est le reflet d'un resserrement de l'écart en matière de capacité financière entre les provinces nanties et les provinces non nanties. Cet écart est artificiellement présenté comme faible parce que la norme des cinq provinces qui sert à déterminer la péréquation pour les provinces bénéficiaires est artificiellement basse et qu'on ne tient pas compte de toutes les recettes provinciales dans le calcul de la capacité financière.

La question de la pertinence va plus loin que la question de la norme et de la couverture des recettes. Si une province bénéficiant de paiements de péréquation réussit à développer son économie, les recettes qu'en retire le gouvernement provincial sont en majorité neutralisées par la baisse des paiements de péréquation. La province est donc incapable de capitaliser sur sa croissance économique car il ne lui reste pratiquement pas de ressources financières supplémentaires à réinvestir. La seule façon de réduire de façon permanente l'écart social et économique entre les provinces, c'est d'accroître le niveau de soutien financier que le gouvernement fédéral apporte aux provinces non nanties. La péréquation n'est peut-être pas le seul véhicule à utiliser pour fournir ces services financiers, mais elle peut jouer un rôle plus important qu'actuellement.

Dans la province de Terre-Neuve et Labrador, nous estimons que l'inadéquation du régime actuel de péréquation vient en grande partie de ce qu'il part du principe que si les provinces ont des recettes par habitant comparables, elles doivent pouvoir fournir des services comparables avec une fiscalité comparable. En se polarisant ainsi sur la péréquation des recettes, on laisse totalement de côté l'aspect dépenses de l'équation budgétaire et le fait qu'il peut y avoir de profondes différences de coûts de prestation des services d'une province à l'autre. Divers pays tiennent compte de ces différences de coûts dans le calcul des montants de péréquation versés à leurs entités infra-nationales. Il faut examiner de plus près la question des dépenses pour voir comment elle pourrait s'appliquer dans le contexte canadien. Terre-Neuve et le Labrador se réjouiraient d'un tel examen.

Si l'examen des besoins en matière de dépenses constitue un exercice à long terme, il n'en existe pas moins des moyens concrets de répondre immédiatement aux lacunes de la péréquation. Les deux moyens que revendiquent constamment les premiers ministres et les ministres des Finances des provinces, ce sont un retour à la norme de la moyenne nationale de 10 provinces et un retour à la couverture complète des recettes, notamment en ce qui concerne les frais d'utilisation. La norme des 10 provinces a été remplacée par une norme des cinq provinces en 1982. Cette norme exclut l'Alberta et les provinces de l'Atlantique du calcul. La capacité financière de l'Alberta a toujours été supérieure relativement au déficit de capacité financière des provinces de l'Atlantique. Autrement dit, la norme nationale des 10 provinces a toujours été plus élevée que la norme des cinq provinces imposée par le gouvernement fédéral, qui a fait que les droits des provinces bénéficiaires sont inférieurs en moyenne de 1,7 milliard de dollars par an depuis 1982-1983 à ce qu'ils pourraient être.

La norme des cinq provinces fausse aussi la pondération de la norme en sous-représentant de façon très nette l'un des secteurs les plus importants de l'économie canadienne, le secteur pétrolier. La norme représente donc moins fidèlement l'économie canadienne et exagère l'influence des économies industrielles du centre du Canada.

Actuellement, l'Ontario représente à peu près 50 p. 100 de la norme des cinq provinces, et le Québec 25 p. 100. On voit à quel point la norme des cinq provinces est directement liée aux performances économiques de deux provinces seulement, et surtout l'Ontario. Avec une norme de 10 provinces, l'Alberta représenterait plus de 15 p. 100 de la norme alors que les provinces de l'Atlantique représenteraient à peine 5 p. 100. La part de l'Ontario tomberait de 50 à 40 p. 100, celle du Québec de 25 à 20 p. 100. Le poids combiné de ces deux provinces tomberait de 75 p. 100 à près de 60 p. 100, ce qui serait plus conforme à leur part du PIB et de la population.

Les provinces ne sont pas insensibles aux coûts qu'entraînerait pour le gouvernement fédéral le passage à une norme des 10 provinces et elles savent bien que le coût actuel a atteint un plafond historique. Notre province serait prête à envisager des mesures pour atténuer les hausses de coûts à court terme grâce à quelque chose comme un mécanisme d'intégration progressive.

Le gouvernement fédéral invoque aussi la volatilité accrue qu'entraînerait l'inclusion de recettes pétrolières plus importantes pour justifier le refus de revenir à la norme des 10 provinces. Toutefois, les nouvelles mesures de stabilité et de prévisibilité envisagées pour le programme par le gouvernement fédéral dans le cadre du renouvellement de 2004 atténuent considérablement cette préoccupation. Nous estimons donc que la volatilité n'est pas vraiment un obstacle à l'adoption de la norme des 10 provinces.

Une autre mesure susceptible d'améliorer concrètement l'adéquation du programme de péréquation serait le retour à la couverture complète des recettes. Cette couverture complète est un des principes sous-jacents du programme de péréquation. Elle consiste à inclure toutes les sources de recettes provinciales dans le calcul de la capacité financière. Ce principe a été remis en question dans le renouvellement de 1999 lorsque le gouvernement fédéral a demandé si les redevances et les licences provinciales, désignées sous le terme frais d'utilisateurs, entraînaient des disparités financières. En 1999, le gouvernement fédéral a estimé que les frais d'utilisateurs étaient moins des taxes que des transactions commerciales utilisées par les provinces pour récupérer le coût de la fourniture de certains services auprès des utilisateurs auxquels on imposait des redevances. Le gouvernement fédéral estime que la seule partie d'une redevance qui doit faire l'objet de la péréquation, c'est le profit réalisé quand le montant de la redevance dépasse le coût de prestation du service.

Les provinces bénéficiaires du programme de péréquation ne sont pas du tout d'accord. Elles soutiennent que les frais d'utilisateurs ne sont qu'une autre source de revenus fiscaux, au même titre que toute autre forme d'imposition sur le revenu, la consommation ou autre chose. En 1999, les provinces ont demandé le report des frais d'utilisation en attendant les résultats d'une analyse plus poussée. Le gouvernement fédéral a persisté et retiré 50 p. 100 des frais d'utilisateurs de la formule à l'époque. On s'attendait à ce que l'essentiel des 50 p. 100 restants soit retiré à l'occasion du renouvellement de 2004 mais, contrairement à cette attente, cela n'a pas été le cas. Les provinces bénéficiaires s'en réjouissent mais se demandent avec inquiétude ce que cela présage pour l'avenir. Le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador estime qu'il ne faut pas retirer les frais d'utilisateur restants de la formule et qu'il faudrait au contraire rétablir la totalité de ces frais d'utilisateurs conformément au principe de la couverture complète des recettes.

Parmi les points abordés dans le renouvellement de 2004, il y a plusieurs propositions de changement que Terre- Neuve et le Labrador appuie, d'autres qu'il n'appuie pas et d'autres encore sur lesquelles il réserve son opinion. Nous sommes en faveur des modifications proposées pour l'assiette de l'impôt sur le revenu des particuliers, les primes d'assurances médicale et hospitalière et l'assiette concernant les permis pour les véhicules commerciaux. Le changement le plus important est peut-être celui de l'assiette de l'impôt foncier, le deuxième élément en importance dans la formule de péréquation, qui représente 2,5 milliards de dollars de droits pour les provinces bénéficiaires. On s'entend largement depuis un certain temps pour reconnaître la nécessité de modifier cette assiette. Au lieu d'une approximation, il s'agirait d'avoir une formule reflétant plus fidèlement la fiscalité des provinces. Les analyses sont essentiellement axées sur deux formules. Celle qui semble avoir le plus d'appui de la part des provinces est une formule fondée sur la simple valeur marchande. Le gouvernement fédéral penche pour une formule s'appuyant sur la valeur marchande stratifiée.

Toutefois, dans le dossier de renouvellement, le gouvernement fédéral a proposé une formule de déflation de la valeur marchande qui était une nouveauté pour la plupart des provinces et n'a pas été analysée en détail durant les discussions sur le renouvellement. Comme il s'agit d'un changement profond à un élément d'une telle importance, on propose de répartir l'assiette pour moitié entre la nouvelle et l'ancienne formule jusqu'au prochain renouvellement. Terre-Neuve et le Labrador aurait préféré la formule de la valeur marchande simple. Toutefois, nous devons réserver notre décision sur la proposition fédérale tant que nous n'avons pas terminé notre analyse de cette formule.

Le changement qui inquiète beaucoup Terre-Neuve et le Labrador, comme d'autres provinces, c'est celui de l'assiette des ressources minières. Cette assiette a été considérablement modifiée lors du renouvellement de 1999 quand le gouvernement fédéral a adopté une démarche de loyer économique pour mesurer la capacité financière. Les provinces s'étaient prononcées contre à l'époque pour diverses raisons et elles étaient très sceptiques sur la faisabilité de la proposition fédérale. Depuis le renouvellement de 1999, les faits ont montré que ce scepticisme était justifié. Le renouvellement de 2004 propose un bricolage pour remédier à certaines des lacunes les plus flagrantes.

Terre-Neuve et le Labrador, comme les autres provinces, estime que la nouvelle base est totalement faussée. Nous ne sommes absolument pas convaincus que la formule du loyer économique permette de calculer correctement le potentiel fiscal. Nous ne sommes donc pas d'accord avec la proposition de renouvellement consistant à utiliser la nouvelle base, même sous une forme modifiée. Nous préférerions revenir aux anciennes bases qui, à notre avis, permettent de mieux mesurer la capacité fiscale.

M. Thomas Courshene, qui doit s'adresser à vous plus tard, je crois, discute de la nouvelle base concernant les ressources minières dans son récent document intitulé «Confiscatory Equalization: The Intriguing Case of Saskatchewan's Vanishing Energy Revenues». (Péréquation confiscatoire: la singulière affaire de la disparition des recettes énergétiques de la Saskatchewan). À propos de la nouvelle formule du loyer économique, il dit: «Il est loin d'être évident que cette assiette fiscale soit une bonne formule pour les recettes minières. Il faut la repenser complètement». Le gouvernement fédéral a manifesté la volonté d'appliquer le même principe du loyer économique à d'autres ressources naturelles, notamment le pétrole. Il a déclaré que ces bases seraient une des priorités de l'examen en vue du renouvellement de 2009. Nous sommes d'accord pour examiner les assiettes des ressources naturelles mais nous préférerions qu'on abandonne la formule du loyer économique.

À l'occasion du renouvellement de 2004, le gouvernement fédéral ajoute au programme de péréquation une nouveauté qui vise à apporter plus de stabilité et de prévisibilité aux paiements de péréquation. Pour ce faire, il utilise une moyenne mobile des transferts de droits sur trois ans pour calculer les paiements annuels, ainsi qu'un facteur additionnel de rajustement de 10 p. 100 pour tenir compte de l'emploi de données anciennes dans le calcul des transferts de droits de péréquation.

Terre-Neuve et le Labrador estiment que cet objectif d'amélioration de la stabilité et de la prévisibilité est méritoire et qu'il faut rendre hommage au gouvernement fédéral d'avoir abordé cette question complexe. En revanche, la province émet des réserves quant à la façon dont le nouveau système va se comporter en pratique. Il ajoute un élément de complexité au mode de calcul déjà nébuleux des paiements annuels. En outre, l'insensibilité des transferts de droits à l'évolution de la situation financière des provinces est elle aussi préoccupante. On a modifié le plan pour essayer de tenir compte de la volatilité des recettes provenant des ressources naturelles en permettant aux provinces de rajuster leurs paiements pour réagir à la fluctuation des recettes provenant des ressources naturelles au cours de l'année. Cependant, il convient de poursuivre l'analyse de cette proposition.

Dans l'ensemble, à l'issue du renouvellement de 2004, quatre provinces présentant la plus faible capacité financière de générer leurs propres recettes, les provinces atlantiques, constatent que les changements apportés n'occasionneront aucun gains nets pour la région. Le renforcement de la stabilité et de la prévisibilité, conçu par le gouvernement fédéral pour atténuer la volatilité des transferts de droits annuels, pourrait avoir un effet positif modeste sur la région, mais il est difficile de le prévoir à l'heure actuelle. Pour Terre-Neuve et le Labrador, les changements de base devraient être sans effet sur les transferts de droits annuels. Les mesures de renforcement du programme demandées par les premiers ministres et les ministres des Finances des provinces brillent par leur absence.

Le renouvellement présente une caractéristique particulière: il prévoit un paiement unique aux provinces bénéficiaires au cours de la première et de la deuxième années du renouvellement, à savoir 150 millions de dollars la première année et 25 millions de dollars la deuxième année. Ces montants devraient être distribués en fonction de la population. Bien que tout financement supplémentaire soit apprécié, cette mesure a été prise sans que les provinces aient été préalablement consultées. Terre-Neuve et le Labrador aurait préféré qu'on lui donne l'occasion de préconiser une méthode d'attribution différente. Ces fonds auraient pu être répartis en fonction de la part des transferts de droits versés à chacune des provinces bénéficiaires. La formule aurait été plus conforme au fondement même de la péréquation et aurait tenu compte du fait que l'élément progressif du renouvellement, en particulier les mesures de renforcement de la stabilité et de la prévisibilité, ne se manifestera qu'en 2005-2006. La répartition en fonction de la population ramène la part des 175 millions de dollars de dollars accordés à Terre-Neuve et au Labrador de 14 millions de dollars à 5,5 millions de dollars.

Parallèlement au processus de renouvellement, les provinces et les territoires ont subi une série de bouleversements qui ont réduit les transferts de droits aussi bien pour la péréquation que pour le TCS. À cause de ces bouleversements, certaines provinces ont un passif énorme dû à des versements de transferts excédentaires qui doivent être remboursés au gouvernement fédéral. Statistique Canada a changé la méthodologie de mesure du capital résidentiel aux fins de l'assiette de l'impôt foncier, ce qui a eu pour le Québec un effet négatif d'environ 650 millions de dollars, qui ont été convertis en prêts remboursables sur cinq ans. Ensuite, la publication des données du recensement de 2001 à l'automne 2003 a entraîné une importante redistribution des transferts de droits. Les provinces et les territoires doivent rembourser environ 950 millions de dollars correspondant à des trop-payés sur une période de cinq ans commençant en 2005-2006.

Les mises à jour des données sur la perception de l'impôt sur le revenu de 2002 révèlent que les recettes prévues initialement étaient trop élevées; il faut les réviser à la baisse. Ce changement entraîne un rajustement à la baisse de la péréquation et du TCS pour un montant total de 1,8 milliard de dollars, converti lui aussi en prêts remboursables sur cinq ans.

Finalement, un problème se pose en ce qui concerne la diminution de 1,7 milliard de dollars de la péréquation accordée à certaines provinces pour 2004-2005 par rapport aux dernières années. Les provinces auront la possibilité de convertir cette diminution en un autre prêt sans intérêt remboursable sur cinq ans. Nous le signalons pour indiquer que les provinces et territoires doivent rembourser environ 5 milliards de dollars sur les cinq prochaines années au gouvernement fédéral à cause de versements de transferts excédentaires. Lorsque le gouvernement fédéral dit que la formule de renouvellement de 2004 va faire augmenter de 1.5 milliard de dollars les transferts de droits aux provinces sur une période de cinq ans, il faut comprendre en réalité qu'elle a simplement pour effet de diminuer le montant que les provinces devront trouver ailleurs pour rembourser les prêts, qui passent de 5 milliards de dollars à 3,5 milliards de dollars. L'obligation d'effectuer ces remboursements réduit considérablement le montant net de financement nouveau qu'obtiendront les provinces si le transfert canadien en matière de santé augmente.

Étant donné que neuf des dix provinces prévoient enregistrer en 2003-2004 un déficit cumulatif de l'ordre de 9 milliards de dollars avant le retrait des fonds de stabilisation, et que le rapport du Conference Board prévoit de forts déficits provinciaux dan l'avenir prévisible, il est certain que les provinces auront du mal à rembourser des milliards de dollars de transferts au gouvernement fédéral. Les prêts constituent une bonne mesure de remplacement à la récupération immédiate des soldes à acquitter, mais compte tenu de la situation financière du fédéral et des provinces, une remise partielle de dette paraîtrait plus raisonnable dans les circonstances.

Il serait difficile de comparaître devant le comité du Sénat sans parler de l'accord de l'Atlantique et des ressources hauturières de Terre-Neuve. Nous sommes heureux de voir que le renouvellement apporte au mécanisme de choix concernant nos recettes fiscales sur les ressources hauturières le changement que nous avions demandé. Auparavant, il fallait faire ce choix avant de disposer des deniers nécessaires. Désormais, on peut le faire en disposant d'une information plus complète.

Par ailleurs, le renouvellement remet les pendules à l'heure en ce qui concerne l'accord de la Nouvelle-Écosse, parvenu à expiration, en permettant à cette province de se prévaloir à nouveau des dispositions de l'accord concernant un paiement de péréquation compensatoire dès la première année à une date plus tardive que celle prévue initialement. Le gouvernement fédéral justifie ce changement en disant qu'il reconnaît que la Nouvelle-Écosse n'a pas reçu les avantages attendus des recettes provenant des ressources hauturières, qui ont été inférieures à ce qu'on avait prévu initialement. Terre-Neuve-et-Labrador se trouve dans une situation semblable en ce qui concerne les recettes provenant des ressources hauturières, qui sont inférieures aux prévisions initiales.

Les dispositions de l'accord de l'Atlantique sur la péréquation de compensation ont été conçues à partir d'hypothèses qui prévoyaient que les projets d'exploitation hauturière seraient réalisés l'un après l'autre à un rythme assez rapide, et que le prix du pétrole, déjà très élevé à l'époque, continuerait d'augmenter. À l'époque où l'accord a été signé, la province prévoyait d'être exclue de la péréquation au bout de quelques années. Aucune de ces hypothèses ne s'est avérée.

En conséquence, les recettes provenant des ressources hauturières dont Terre-Neuve-et-Labrador devait profiter, et qui formaient l'épine dorsale de l'accord de l'Atlantique, ne vont pas se concrétiser pendant la durée d'application de l'accord. Il faut donc réexaminer cet accord en veillant à ce que les avantages nets que recevra la province soient conformes à ce qui était prévu initialement.

Finalement, la province de Terre-Neuve-et-Labrador souhaite remercier le Comité sénatorial des finances nationales de l'avoir invitée à présenter son point de vue sur les transferts de péréquation. La province souhaite également rendre hommage à la façon dont le comité a contribué au débat national sur les transferts en publiant son rapport sur l'efficacité et les améliorations possibles de la politique actuelle de péréquation en mars 2002. De façon générale, la province accueille favorablement les recommandations présentées dans ce rapport; elle est satisfaite de voir que le gouvernement fédéral a donné suite à plusieurs d'entre elles, notamment en supprimant le plafond et en écartant l'approche macroéconomique pour préserver le plancher du programme. Nous souhaitons que le gouvernement fédéral concrétise plusieurs autres recommandations du rapport, notamment en revenant à la norme des dix provinces pour modifier la solution générique afin d'y inclure la protection des recettes provinciales provenant de ressources non renouvelables, et qu'il évalue les dispositions sur la péréquation des accords sur les ressources hauturières pour faire en sorte qu'elles atteignent l'objectif visé. Ces recommandations sont aussi pertinentes en 2004 qu'elles l'étaient en 2002.

Le sénateur Comeau: Monsieur Paddon, j'aimerais mettre l'accent sur la formule de péréquation, mais elle est si compliquée que je me perds parfois dans les chiffres. J'en viens maintenant à ma question. Du fait de cette complexité, M. Lazar nous a proposé une solution éventuelle pour aborder les transferts de péréquation aux provinces: il s'agit de mettre l'accent sur l'objectif même de la péréquation, qui est de proposer un niveau de services raisonnable à toutes les provinces. La formule ne constitue qu'un moyen pour atteindre cet objectif. Pour paraphraser ces propos, on peut dire qu'il s'agit de voir si les objectifs sont atteints, et la formule de péréquation n'est qu'une façon de le faire parmi d'autres. Par exemple, on peut utiliser des indices d'évaluation du rendement pour voir si l'objectif de l'égalité des services est atteint. Il fait référence à des tentatives faites dans d'autres pays, comme l'Australie, l'Afrique du Sud et l'Inde, je crois, où des commissions indépendantes vérifient le rendement du programme de péréquation. Leurs recommandations font partie intégrante du mécanisme.

Qu'en pensez-vous? Est-ce qu'on peut envisager la formule d'une commission indépendante qui s'intéresserait au rendement de la péréquation plutôt qu'à son mécanisme?

M. Paddon: Nous sommes favorables à toute formule qui permette d'évaluer les résultats du programme, que ce soit grâce à une commission indépendante ou par le maintien du processus actuel qui est fondé sur un dialogue entre les deux niveaux de gouvernement.

Il est difficile de dire si une formule est préférable à l'autre. La commission aurait l'avantage d'être indépendante et c'est peut-être une meilleure formule, mais nous avons toujours eu d'assez bonnes relations avec le gouvernement fédéral.

J'aimerais revenir à la nécessité de vérifier si le programme atteint effectivement les objectifs énoncés dans la Constitution. Si l'on regarde les normes dont il est question, c'est-à-dire des niveaux comparables de services et d'imposition, n'importe quel Terre-Neuvien vous dira que la province n'a pas les mêmes recettes fiscales que les autres, en particulier pour ce qui est de l'impôt sur le revenu. Il vous dira sans doute également que nous n'avons pas les mêmes niveaux de services que les autres provinces, mais il est plus difficile de les mesurer objectivement. Néanmoins, en matière fiscale, il est plus facile de faire une mesure objective; on peut toujours considérer les taux d'imposition et voir si on est avantagé ou non par rapport aux autres.

Nous sommes tout à fait favorables à un renversement de perspective qui considérerait les objectifs pour vérifier s'ils sont atteints.

Le sénateur Comeau: C'est l'une des questions que notre comité souhaite approfondir. Je crois que nous allons accueillir des témoins qui vont nous fournir de l'information à ce sujet.

Vous avez parlé du renouvellement de 2004 qui, si je comprends bien, fait partie du document budgétaire présenté il y a quelques semaines. J'avais l'impression que ce renouvellement n'était pas encore prêt et que la discussion avec les provinces sur les nouveaux mécanismes de péréquation se poursuivait toujours. On a constaté soudain qu'il n'en était plus question dans le document budgétaire et qu'il n'y avait pas de véritable accord entre les provinces et le fédéral. Le document budgétaire renouvelle le programme jusqu'en 2009.

Faut-il en conclure qu'il y a eu un accord sur le renouvellement?

M. Paddon: Il est juste de dire que le programme de péréquation est un programme fédéral et peu importe donc de savoir s'il y a eu un accord ou non. Il y a eu un processus de consultation au cours des cinq dernières années et les deux niveaux de gouvernement ont évoqué un certain nombre de questions techniques.

Les ministres des Finances se sont rencontrés en janvier ou en février pour examiner certaines des questions qui restaient alors en suspens. Les ministres déploraient que le gouvernement fédéral n'ait pas résolu la question de la norme des dix provinces ni celle de l'éventail des recettes assujetties à la péréquation, et ils souhaitaient que l'on progresse sur ces questions.

Un certain nombre de questions techniques ont été révélées aux provinces peu avant le dépôt du budget, et nous n'avons pas eu l'occasion de les analyser ni d'en parler avec le gouvernement fédéral. Il est toujours assez agaçant de n'être informé qu'au dernier moment.

Mon ministre souhaiterait avant tout que le gouvernement s'engage à approfondir la question de la norme pendant la période actuelle de renouvellement. De notre point de vue, nous n'en avons pas discuté autant que nous souhaitions le faire.

Le sénateur Comeau: Ce qui me préoccupe dans la formule de péréquation, c'est que les mécanismes sont déjà en place pour la période de 2004 à 2009, mais j'ai lu dans les journaux que le premier ministre avait l'intention de discuter au cours de l'été de santé et de financement des soins de santé. La question de la norme des dix provinces n'est toujours pas réglée, on se demande si les objectifs constitutionnels sont atteints, mais il va être question, au cours des prochains mois, de ce que devrait contenir la formule de péréquation. Il semble qu'on aborde les questions une par une au lieu de s'intéresser à l'objectif constitutionnel.

M. Paddon: À Terre-Neuve-et-Labrador, nous considérons que la péréquation est la source de financement essentielle des soins de santé dans la province. Nous aimerions que les deux programmes de transfert ou les trois programmes de transfert soient considérés conjointement. Dans notre province, les soins de santé coûtent environ 1,6 milliard de dollars. Le TCS, qui couvre la santé et les programmes sociaux, nous apporte un peu plus de 400 millions de dollars. Par conséquent, seule une petite partie du financement des soins de santé provient de cette source.

La péréquation est à notre avis le principal mécanisme de financement des soins de santé qui provient du gouvernement fédéral. Nous aurions aimé que la question de la pertinence du programme de péréquation soit approfondie davantage à l'occasion du renouvellement, ce qui nous aurait permis d'utiliser les fonds plus efficacement pour financer les soins de santé. Nous avons laissé passer l'occasion et il va falloir attendre jusqu'en 2009 pour apporter des changements de fond au programme.

Le sénateur Comeau: Même s'il s'agit d'une question de péréquation, est-ce que les discussions de cet été sur la santé vont se tenir en dehors de la péréquation?

M. Paddon: De notre point de vue, la péréquation est la principale source de financement des soins de santé. Le Transfert canadien en matière de santé est évidemment consacré aux soins de santé. On peut supposer que les discussions qui auront lieu cet été en matière de financement porteront sur ce transfert.

Le sénateur Comeau: Plutôt que sur la péréquation.

En ce qui concerne l'accord de l'Atlantique, je crois qu'il y a eu l'accord de la Nouvelle-Écosse puis celui de Terre- Neuve. J'essaye de m'en souvenir. Je crois que celui de la Nouvelle-Écosse a précédé celui de Terre-Neuve, sauf erreur de ma part.

M. Paddon: C'est le contraire.

Le sénateur Comeau: D'accord. Je crois savoir que la Nouvelle-Écosse a souscrit à l'accord et a accepté de renoncer à 25 p. 100 de sa part de la Couronne en échange de certains avantages au titre de la péréquation. Si je me souviens bien, elle a obtenu des avantages supplémentaires au titre de la péréquation, notamment des taux d'imposition plus progressifs.

M. Paddon: Je ne peux pas m'exprimer au nom de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Comeau: J'aimerais savoir si Terre-Neuve a bénéficié d'une disposition semblable qui a été abandonnée par la suite.

M. Paddon: Terre-Neuve n'avait pas la même disposition que la Nouvelle-Écosse à propos du rajustement de la part de la Couronne. Les mécanismes de compensation de la péréquation sont différents dans l'accord de Terre-Neuve et dans celui de la Nouvelle-Écosse. Il est difficile de comparer ces deux accords.

Ils reconnaissent tous les deux que la péréquation va causer un problème. Quand les accords ont été signés au milieu des années 80, on s'attendait à ce que les recettes provenant des ressources extracôtières augmentent considérablement et que la région n'ait plus besoin de péréquation. Nous voulions mettre en place un mécanisme pour atténuer la brusque diminution de la péréquation. C'est l'origine des dispositions de compensation.

Le sénateur Ringuette: On a beaucoup entendu parler de la norme des 10 provinces au cours des derniers mois. Est- ce que vous avez réalisé un modèle résultant de l'application de la norme des 10 provinces — puisque l'Alberta est présente dans ce scénario — en supprimant les accords spéciaux avec Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse en matière de recettes sur les ressources extracôtières? Est-ce que vous avez envisagé ce scénario?

M. Paddon: Vous voulez savoir quel serait l'effet de la norme des 10 provinces sur Terre-Neuve-et-Labrador; est-ce bien votre question?

Le sénateur Ringuette: Si l'on inclut les recettes pétrolières de l'Alberta dans la fixation de la norme, il faut aussi y inclure toutes les recettes des ressources extracôtières de Terre-Neuve pour que la norme concerne tout le monde. Il ne devrait plus y avoir d'accord spécial concernant Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Avez-vous expérimenté ce scénario?

M. Paddon: Je ne suis pas certain qu'il faille écarter l'accord spécial avec Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. On pourrait très bien avoir une norme des 10 provinces et un accord spécial avec deux d'entre elles.

Le sénateur Ringuette: En d'autres termes, tout avoir, comme on dit.

M. Paddon: Il y a deux questions distinctes, à notre avis. Du point de vue de la péréquation, il faut examiner l'engagement constitutionnel — c'est-à-dire nous assurer que nous avons des recettes suffisantes pour offrir des services adéquats. Nous considérons que la norme des dix provinces est la seule façon d'atteindre cet objectif. Si on adoptait une norme pour les dix provinces, cette année, Terre-Neuve-et-Labrador recevrait 150 millions de dollars de plus dans le cadre du programme de péréquation.

Le sénateur Ringuette: Qu'arriverait-il si on éliminait la disposition spéciale relative aux ressources extracôtières?

M. Paddon: Si j'ai bonne mémoire, en ce qui concerne l'accord de l'Atlantique, nous recevrions probablement entre 120 et 150 millions de dollars cette année.

Le sénateur Ringuette: Il y aurait une différence de peut-être 25 à 30 millions de dollars, n'est-ce pas?

M. Paddon: Si l'accord spécial de l'Atlantique était éliminé; mais il s'agit d'une entente distincte.

Le sénateur Ringuette: On ne peut pas inclure dans les normes les recettes pétrolières et gazières pour l'Alberta sans faire la même chose pour les autres provinces.

M. Paddon: La norme des dix provinces inclurait toujours les recettes provenant des ressources de Terre-Neuve-et- Labrador et de la Nouvelle-Écosse. La disposition de l'accord de l'Atlantique est un mécanisme qui fonctionne à l'extérieur du programme de péréquation. Elle est déterminée en tenant compte de l'impact de la péréquation, mais le montant qui est en fait versé en vertu de l'accord de l'Atlantique est un versement distinct de la péréquation et il n'est pas versé par le ministère des Finances, mais bien par le ministère des Ressources naturelles.

Je devrais également souligner qu'en ce qui concerne les prévisions de nos recettes provenant des ressources, 2004- 2005 risque bien d'être l'une des dernières années au cours de laquelle nous tirerons des avantages de l'accord de l'Atlantique.

Le sénateur Ringuette: En ce qui concerne les fonds supplémentaires pour les soins de santé dans le budget fédéral de 2003 — un montant de 34,8 milliards de dollars — combien d'argent a reçu Terre-Neuve? Combien avez-vous reçu et combien avez-vous utilisé?

M. Paddon: Notre part du TCS est d'environ 1,6 p. 100 du total. Notre part est allouée en fonction de notre population, et notre population représente 1,6 p. 100 de la population canadienne.

Pour ce qui est des fonds supplémentaires qui ont été consacrés au TCS, les fonds spéciaux, à part le montant additionnel de deux milliards de dollars qui a été convenu l'autre mois, cet argent a été intégré à nos recettes l'an dernier, en 2003-2004, et tout le montant a été dépensé, en 2003-2004.

Le sénateur Ringuette: Les transferts de fonds additionnels — les 2,5 milliards de dollars qui devaient réduire les pressions actuelles et les 16 milliards de dollars prévus sur une période de cinq ans pour les soins de santé primaires, les soins à domicile, la couverture de médicaments onéreux — vous avez utilisé tout cet argent pour ces programmes, n'est- ce pas?

M. Paddon: Il y a deux éléments. Une partie des fonds sera acheminée au cours des cinq prochaines années. Donc, si nous n'obtenons pas cet argent ou si nous n'avons pas la possibilité de l'obtenir, nous ne l'utiliserons pas. Nous avions la possibilité de recevoir une partie de l'argent tout de suite. Nous avons donc saisi cette possibilité et nous avons utilisé les fonds pour les soins de santé. Tous les fonds que nous recevrons au cours des deux, trois ou cinq prochaines années et que nous ne pouvons recevoir maintenant seront dépensés au cours de cette période. Quand nous avons la possibilité de recevoir ces fonds plus tôt, nous avons saisi l'occasion, en raison des pressions que nous subissions au niveau du financement des soins de santé.

Le sénateur Ringuette: Pour ce qui est des 16 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, vous dites que vous avez pris ce qui était disponible chaque année. Par conséquent, j'imagine que vous avez mis en place un régime de soins de santé primaires, de soins à domicile et de couverture de médicaments onéreux, n'est-ce pas?

M. Paddon: En ce qui concerne les soins de santé primaires, notre ministère de la Santé et des Services communautaires est en train de préparer des recommandations en vue d'une réforme des soins de santé primaires. En ce qui concerne la couverture des médicaments onéreux, on est en train d'élaborer un programme à cet égard; pour ce qui est des soins à domicile, ce programme est en place depuis un certain temps déjà.

Le sénateur Ringuette: Le professeur Lazar nous a dit qu'il y avait un coût supplémentaire pour fournir des services aux populations ou aux collectivités rurales et que ce coût était considérablement plus élevé par rapport au coût des services offerts dans les centres urbains où la densité de la population réduit le coût par habitant. Cet élément a-t-il été abordé au cours des négociations fédérales-provinciales?

M. Paddon: J'en ai parlé brièvement dans mes observations lorsque j'ai fait allusion aux besoins relatifs d'une province par rapport aux autres.

Terre-Neuve-et-Labrador est d'avis que cette question doit être examinée de plus près. C'est une question compliquée lorsque l'on commence à évaluer les besoins relatifs d'une province par rapport aux autres. Nous disons que la densité de la population est une question qui devrait être examinée. Nous avons une grande province, et la population est disséminée sur une vaste région géographique. Cela n'est qu'un élément; il y a d'autres éléments relatifs aux besoins qu'il faut également examiner.

Je crois comprendre que cet élément du prochain renouvellement est l'une des questions qui fera l'objet d'un examen important de la part du gouvernement fédéral et des provinces, et nous espérons pouvoir faire des progrès à cet égard.

Le sénateur Doody: En ce qui concerne la norme des dix provinces, le gouvernement fédéral a toujours été d'avis que les fluctuations importantes des recettes pétrolières de l'Alberta faisaient en sorte que cela créait trop d'incertitude pour le programme. Cela ne vous dérange-t-il pas?

M. Paddon: Nous avons été relativement sensibles à cette question. Nous aurions été heureux d'inclure des mesures qui auraient limité ou atténué l'instabilité. L'une des propositions du projet de renouvellement 2004 serait d'avoir une moyenne mobile établie sur trois ans qui viserait à aplanir les droits à la péréquation et à réduire l'instabilité en partie. À l'heure actuelle, le programme comporte un mécanisme automatique, intégré, qui aiderait à atténuer certains problèmes d'instabilité. S'il y avait une autre façon de l'atténuer ou de la réduire, nous serions heureux d'examiner cette possibilité, car nous reconnaissons que c'est un problème.

Le sénateur Doody: Vous préférez tout de même la norme des dix provinces.

M. Paddon: Absolument.

Le sénateur Doody: C'est ce que je pensais. Dans quelle mesure le ralentissement économique de l'Ontario a-t-il nui à la province de Terre-Neuve pour ce qui est des transferts fiscaux?

M. Paddon: Si on regarde le droit à la péréquation pour 2001-2002, au total, il atteignait presque les 11 milliards de dollars. En 2003-2004, il n'atteignait que 8,7 milliards de dollars. La réduction des transferts au cours de cette période de deux ans a eu un impact d'environ 300 millions de dollars sur Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Doody: N'est-il pas possible pour vous d'atténuer cet impact? N'y a-t-il pas de minimum?

M. Paddon: Il y en a un. Il ne fait aucun doute que nous avons un certain recours grâce aux paiements en vertu de l'accord de l'Atlantique. Cela a permis d'atténuer certaines de ces conséquences. Encore une fois, grâce à l'accord de l'Atlantique, d'après les études que nous avons faites, l'impact sera presque annulé d'ici l'an prochain.

Le sénateur Doody: Cela me rend nerveux lorsque vous commencez à parler en même temps de l'accord de l'Atlantique et de la péréquation. La péréquation est un engagement constitutionnel tandis que l'accord de l'Atlantique est une entente négociée entre les provinces et le gouvernement fédéral. J'admets que le gouvernement fédéral a eu gain de cause en ce qui concerne l'accord et avait de nombreux arguments convaincants lorsque vous avez tenté de négocier. Il n'y a rien de nouveau à ce sujet.

Combien y a-t-il de champs pétrolifères activement en production au large des côtes? Vous avez Hibernia.

M. Paddon: Hibernia et Terra Nova produisent activement à l'heure actuelle. On est en train de mettre en valeur le champ de White Rose et il devrait commencer à produire au début de 2006. On est en train maintenant de construire le navire de production et de mettre en valeur les puits comme tels.

Le sénateur Doody: Combien de temps durera la production? Pendant combien de temps la province peut-elle s'attendre à des résultats économiques provenant du pétrole extracôtier?

M. Paddon: Avec les champs pétrolifères qui existent à l'heure actuelle, on parle sans doute d'une vingtaine d'années.

Le sénateur Doody: Y a-t-il quelque chose de nouveau qui risque de se produire dans l'immédiat?

M. Paddon: Le champ Hebron est également à mettre en valeur, mais les compagnies qui en assuraient l'exploitation n'ont pas encore donné le feu vert.

Le sénateur Doody: Même si le gouvernement fédéral s'est engagé dans son entente avec la province, en l'occurrence que l'essentiel des retombées économiques du pétrole extracôtier reviendrait à Terre-Neuve, il n'empêche que pendant les 20 prochaines années, 80 p. 100 des recettes fiscales dérivées de l'entente actuelle reviendront quand même à Ottawa.

M. Paddon: C'est exact.

Le sénateur Doody: Cela est déraisonnable. Vous dites que vous devrez subir les ententes actuelles jusqu'en 2009 pour la péréquation, pour l'entente?

M. Paddon: La reconduction est pour cinq ans.

Le sénateur Doody: Le gouvernement fédéral ne peut-il pas changer cela à sa guise? Ce n'est pas une entente, c'est un programme.

M. Paddon: C'est un programme mandaté par la loi, et on peut dès lors supposer que si des changements se justifiaient ou devenaient nécessaires, il faudrait en saisir le Parlement.

Le sénateur Doody: J'imagine que vous allez faire valoir votre argument en faveur d'un arrangement plus équitable.

M. Paddon: On peut le supposer, oui.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Le programme de péréquation, que je trouve très compliqué, me cause de l'insomnie depuis longtemps. Je cherche à digérer les normes qui le définissent. Pourtant, année après année nous revenons toujours avec les mêmes questions, à savoir que les ministres des provinces sont mécontents parce que les montants sont insuffisants.

En 2003, les ministres provinciaux des finances avaient demandé au gouvernement fédéral de revenir à la norme des dix provinces. Que gagnerait Terre-Neuve-et-Labrador si le programme de péréquation se calculait sur une base de dix ans au lieu de cinq, comme c'est le cas actuellement?

[Traduction]

M. Paddon: S'il y avait une norme pour les dix provinces, nous toucherions environ 150 millions de dollars de plus chaque année au titre de la péréquation.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Que pensez-vous du système vertical? Si le gouvernement fédéral offre le programme de péréquation aux provinces, il se retrouvera avec un système horizontal. Souhaitez-vous cela? Cette modification rencontrera-t-elle les besoins de toutes les provinces?

[Traduction]

M. Paddon: Si l'on considère les déséquilibres fiscaux horizontaux et verticaux, il faut le faire de façon distincte. Pour ce qui est du déséquilibre horizontal, effectivement, nous considérons que le programme actuel est inadéquat, et il ne fait donc rien pour remédier à la disparité fiscale entre les provinces. Il faudrait selon nous trois choses pour que le programme soit plus adéquat. En premier lieu, la norme pour les dix provinces, en second lieu, faire en sorte de respecter le principe de la couverture complète des recettes et troisièmement, nous aimerions qu'on examine la composante des dépenses nécessaires dont on a déjà parlé au lieu de ne regarder que l'aspect recettes, examiner plutôt la nécessité ou le coût de la prestation des services afin de déterminer s'il n'y a pas quelque chose à faire sur ce plan. En faisant tout cela, on parviendrait, je crois, à trouver une solution raisonnable au problème horizontal.

Pour ce qui est du déséquilibre vertical, le déséquilibre qui existe entre les provinces et le gouvernement fédéral, il est manifeste lorsqu'on regarde le rapport du Conference Board et qu'on fait des projections que le gouvernement fédéral sera en bien meilleure posture fiscale pour répondre aux besoins, surtout en ce qui concerne la santé, et cela dans un avenir prévisible. Pour l'instant, étant donné les sollicitations dont elles font l'objet, les provinces ne seront pas en mesure de financer à grande échelle l'augmentation des coûts, surtout en ce qui concerne la santé, d'autant que depuis cinq à sept ans, ces coûts ont augmenté considérablement. J'ignore par contre si ce rythme d'augmentation se maintiendra pendant les années à venir. Mais si l'on regarde les statistiques démographiques, surtout à Terre-Neuve-et- Labrador, on peut voir que la population vieillit rapidement. Nous constaterons donc que le coût des soins de santé va continuer à consommer une part importante des dépenses au titre des programmes et, sans une aide beaucoup plus marquée de la part du gouvernement fédéral, il sera de plus en plus difficile de répondre à ces besoins.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Paddon, d'être venu aujourd'hui, et merci aussi pour cet exposé très complet de la situation de votre province dans ce dossier important. Nous espérons que vous parviendrez à régler rapidement la grève de la fonction publique à Terre-Neuve-et-Labrador, et cela, peu importe avec quelle issue.

M. Paddon: C'est à espérer, en effet. Je vous remercie.

Le président: Nous allons maintenant inviter M. Mitchell Murphy à prendre place. M. Murphy est venu seul, sans conseiller ni adjoint.

M. Mitchell Murphy, trésorier provincial, gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard: Ce qui traduit bien la situation fiscale dans laquelle nous nous trouvons dans notre province.

Le président: C'est probablement tout à l'honneur d'un ministre qui a détenu autant de portefeuilles que vous ces huit dernières années, depuis votre arrivée au Parlement provincial. Je vois dans votre biographie que vous avez été ministre des Affaires communautaires, procureur général, ministre responsable des Affaires acadiennes et francophones, leader du gouvernement à l'Assemblée, ministre de la Technologie et de l'Environnement et ministre de l'Agriculture et des Forêts. Vous êtes maintenant le trésorier provincial et, également, ce qui a son importance comme le sait quiconque connaît un peu l'Île-du-Prince-Édouard, ministre responsable de la Commission provinciale des courses au trot attelées.

Quiconque a été à Charlottetown pendant la semaine du patrimoine ou à Summerside à n'importe quel moment de l'année sait à quel point ces activités sont à la fois importantes et amusantes. J'ai d'ailleurs moi-même gagné un peu d'argent aux courses là-bas, un petit montant une seule fois, je suis heureux de pouvoir vous le dire.

Je vous remercie beaucoup d'avoir pris le temps, malgré les tâches fort importantes qui vous mobilisent dans votre province, de venir ici pour nous aider à étudier la péréquation. Comme vous le savez, nous avons entamé cette étude — il s'agit plutôt de la reprise d'une étude que nous avions faite il y a un certain temps déjà — avant qu'un nouveau projet de loi ne soit déposé avec les documents budgétaires. Vous avez donc toute possibilité de nous parler ici de la péréquation en général, mais dans le contexte de la nouvelle formule, cette formule dont le Parlement sera saisi sous peu. Vous avez une déclaration à nous faire, monsieur le ministre, et je vous invite donc à prendre la parole.

M. Murphy: Monsieur le président, je vais tenter de limiter mon propos à 10 minutes. Le dialogue que vous avez eu avec la personne qui m'a précédé a été fort intéressant et précieux à la fois.

C'est avec beaucoup de plaisir que je viens vous livrer ici le point de vue de l'Île-du-Prince-Édouard en ce qui concerne le programme de péréquation et le renouvellement de la péréquation.

Comme on l'a déjà dit, l'enchâssement de ce programme dans la Constitution du Canada revêt pour tous les Canadiens une très grande importance. Je vous parlerai ce matin de la péréquation dans le contexte des accords fiscaux fédéraux-provinciaux et de ce que j'estime être un déséquilibre fiscal de plus en plus marqué en faveur du gouvernement fédéral.

Contrairement à ce que nous pouvons lire si souvent dans les journaux, les paiements de péréquation ne représentent pas un transfert d'argent entre les provinces plus riches et les provinces moins riches. Ces paiements sont faits à même les recettes fiscales qui proviennent de tous les Canadiens, y compris de ceux qui habitent à l'Île-du-Prince-Édouard. La péréquation représente environ 25 p. 100 des recettes de notre gouvernement, et elle est indispensable pour que nous puissions offrir toute une palette de services publics de qualité, dans des domaines aussi essentiels que la santé et l'éducation.

Lors de nos derniers entretiens avec le ministre fédéral des Finances, les provinces ont demandé trois modifications importantes au programme: le retour à la norme des 10 provinces, l'élimination du plafond des revenus couverts et l'élimination de l'instabilité des paiements effectués au titre du programme. Même s'il y a eu effectivement quelques tentatives pour rendre ces paiements moins instables, le gouvernement fédéral a refusé tout net le retour à la norme des 10 provinces et à une couverture à 100 p. 100 des recettes. Le gouvernement fédéral soutient simplement qu'il n'a pas les moyens d'honorer nos demandes.

À mon avis, les moyens dont dispose le gouvernement fédéral représentent une notion toute relative et qui a évolué avec le temps. Personne ne préconise un retour aux gros déficits fédéraux et à une augmentation débridée de la dette publique. C'était le cas lorsque la norme des cinq provinces a été introduite en 1982, au moment où la crise du prix du pétrole des années 70 avait créé une conjoncture dans laquelle une croissance trop rapide et des augmentations imprévues du coût du programme constituaient des risques bien réels. Depuis lors, la péréquation a été fortement limitée avec l'introduction d'une norme à cinq provinces et l'imposition d'un plafond annuel. Les paiements de péréquation furent également limités un peu plus tard par le plafonnement des recettes assujetties à la péréquation imposé par le gouvernement fédéral lors de la reconduction de 1999.

La nécessité de juguler les déficits et la dette publique a imposé à tous les paliers de gouvernement des mesures rigoureuses. Nous savons tous qu'il s'agissait d'un subtil équilibre entre nos possibilités d'emprunt et notre faculté d'augmenter les impôts pour payer les factures. Or, le paysage fiscal canadien a changé. Certes, on nous a dit et répété que le gouvernement fédéral avait réussi à juguler le déficit national. Or, ce sont les provinces qui exécutent les programmes sociaux essentiels partout au Canada, et c'est nous qui avons dû faire face au gonflement de la demande provoqué par les restrictions fiscales dans le domaine de la santé, de l'éducation et des autres services publics pendant les années 90.

L'amélioration de l'économie provinciale a permis de faire face à certaines de ces pressions, mais les difficultés demeurent, notamment dans le domaine de la santé. Selon nous, le gouvernement fédéral n'a pas continué à financer sa juste part des programmes sociaux et, étant donné les possibilités que nous avons d'aller chercher nos propres recettes fiscales et de demeurer fiscalement concurrentiels, nous avons bien du mal à fournir des services publics raisonnablement comparables en gardant des niveaux d'imposition eux aussi raisonnablement comparables.

Compte tenu de la situation actuelle du Trésor fédéral, je n'accepte pas qu'on doive envisager un programme de péréquation qui réponde pleinement à l'objectif énoncé dans la Constitution mais qui dépende de la seule capacité fiscale d'Ottawa. Il s'agit plutôt d'un programme qui doit avoir la priorité.

Permettez-moi de vous parler des niveaux d'imposition raisonnables. Certaines provinces ont été critiquées par le gouvernement fédéral parce qu'elles avaient pris l'argent de la péréquation pour ensuite baisser les niveaux d'imposition. Ce n'est pas le cas de l'Île-du-Prince-Édouard même si j'aurais préféré personnellement pouvoir agir ainsi.

La lutte contre le déficit des années 80 et du début des années 90 a produit une augmentation des taux d'imposition partout au Canada. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral et certaines provinces ont baissé les impôts pour des raisons légitimes. Les accords commerciaux comme l'ALENA, les décisions de l'OMC, le projet de ZLEA et, sur le plan intérieur, l'accord sur le commerce intérieur, tout cela a fait office de catalyseur pour que les deux paliers de gouvernement deviennent plus concurrentiels sur le plan fiscal. Cette concurrence fiscale accrue a eu un impact négatif sur les provinces bénéficiaires de la péréquation.

Une province comme la nôtre doit essayer de brider sa fiscalité afin de demeurer concurrentielle et de pouvoir attirer de nouveaux investissements. Or, nous sommes moins en mesure de répondre à la menace de la concurrence fiscale parce que le niveau plus faible des paiements de péréquation entraîné par une fiscalité moins lourde dans les provinces dotées de capacités fiscales plus importantes vient gruger nos ressources fiscales. Cela a pour résultat de nous défavoriser davantage encore lorsqu'il s'agit d'attirer les investissements. Si on permet à cet état de choses de perdurer, la différence entre les capacités fiscales des différentes provinces s'accentuera, sans même parler de l'effet que cela aura pour les flux de migration et d'immigration.

J'ai déjà dit un mot de l'augmentation des coûts de santé à l'Île-du-Prince-Édouard et d'ailleurs aussi partout au Canada. On a déjà beaucoup parlé des augmentations que le TCS a connu ces dernières années. Même si cet investissement est le bienvenu, il est encore insuffisant pour établir entre le gouvernement fédéral et les provinces le partenariat fiscal nécessaire pour pouvoir faire face à l'augmentation des coûts de la santé et de l'enseignement supérieur.

Nous en convenons, la responsabilité budgétaire est un élément important. Par contre, j'appelle l'attention sur le fait qu'il faut insister surtout sur l'amélioration du système de soins de santé et sa viabilité financière. On a beaucoup discuté déjà du rôle fiscal du palier fédéral dans le financement des soins de santé. Les premiers ministres provinciaux et les chefs des gouvernements territoriaux estiment que ce rôle doit se situer dans la fourchette des 16 à 17 p. 100 des coûts.

On entend souvent le gouvernement fédéral soutenir que les points d'impôt et les transferts en espèces font partie du transfert fédéral. À mon avis, la question des points d'impôt obscurcit le débat sur la contribution du gouvernement fédéral, et cet argument n'est pas probant. Il est impossible de prétendre sérieusement que les points d'impôt transférés il y a 27 ans représentent un transfert fédéral permanent en direction des provinces, d'autant que ces points d'impôt font partie intégrante des recettes fiscales propres des provinces. Après tout, ce sont les provinces qui, depuis 27 ans, perçoivent les taxes correspondantes.

Par ailleurs, il serait tout aussi illusoire pour les provinces de prétendre que l'espace fiscal cédé au gouvernement fédéral par les accords fiscaux conclus en temps de guerre représente un transfert provincial permanent en direction du gouvernement fédéral. Dans la même veine, les provinces n'ont pas demandé que la quote-part fédérale au financement de la santé s'établisse aux niveaux antérieurs à 1977, c'est-à-dire environ 50 p. 100, à cause précisément de l'augmentation de la capacité fiscale qui leur avait été concédée par le biais du transfert de points d'impôt dans le cadre du financement des programmes établis en 1977.

L'Île-du-Prince-Édouard est confortée par le fait qu'il a été reconnu récemment qu'Ottawa devait augmenter son financement des soins de santé. Par contre, il ne doit pas s'agir exclusivement d'une nouvelle initiative de dépenses pour des programmes à frais partagés donnant au gouvernement fédéral le pouvoir de décider unilatéralement ce qui doit être fait. Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, il faut que le renouvellement des soins de santé se fasse dans le contexte d'un renouvellement de la péréquation.

À mon avis, la péréquation ne correspond plus à ce qu'exige la Constitution. Après un manque à payer de 2,4 milliards de dollars pour la péréquation en 2002-2003, le gouvernement fédéral a dépensé 4,7 milliards de dollars de moins en 2003-2004. Cet état de choses est le produit de plusieurs facteurs, comme une diminution du plafond des recettes assujetties à la péréquation imposé en 1999, l'impact de la révision du poids démographique, des problèmes dus à l'assiette de l'impôt sur le revenu des particuliers et la conjoncture économique.

Dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, la péréquation est passée de 282,3 millions de dollars en 2001-2002 à 222,4 millions de dollars en 2002-2003. Et nous devrions apparemment toucher environ 245,7 millions de dollars cette année.

Comme il s'agit là de notre principale source de recettes, notre déficit a grimpé en flèche. Le gouvernement fédéral a préféré consacrer l'argent de la péréquation à d'autres fins au lieu de corriger le déséquilibre. Le dernier budget fédéral prévoit 3,6 milliards de dollars de dépenses supplémentaires en 2003-2004. Or, c'était là de l'argent qui aurait pu servir à compenser le manque à payer de 4,7 milliards de dollars au titre de la péréquation.

Sur ces 3,6 milliards de dollars, 2,4 milliards ont été rétrocédés à toutes les provinces dans le cadre du supplément de TCS et de la santé. En réalité, les provinces bénéficiaires de la péréquation ont cédé 4,7 milliards de dollars qui auraient pu servir à renforcer le programme de péréquation afin de rendre 2,4 milliards de dollars à partager équitablement entre toutes les provinces. Pour les provinces bénéficiaires, le compromis est mauvais.

À mon sens, le train de mesures destinées à renouveler la péréquation est vicié et ne fait que stabiliser quelque chose d'insuffisant. On conserve la norme à cinq provinces malgré le fait que toutes les provinces sont favorables à une norme à dix provinces, comme votre comité d'ailleurs en 2001. Comme on peut le voir avec le versement de 2003-2004, les inquiétudes du gouvernement fédéral au sujet du coût de la péréquation sont mal placées. La crainte de la volatilité qui aurait pu être associée à une norme à dix provinces n'aurait pas sa raison d'être si le gouvernement fédéral avait vraiment entrepris de faire la moyenne des droits en péréquation des provinces respectives.

Les frais d'utilisation demeurent assujettis à 50 p. 100 même si toutes les provinces conviennent que ces frais d'utilisation sont surtout là pour remplacer taxes et impôts et devraient à tout le moins être assujettis à un taux supérieur à celui antérieur à 1999.

Les améliorations apportées à la base technique vont être mises en place graduellement pendant une période beaucoup trop longue. Pendant plusieurs années encore, le programme continuera à produire des versements inéquitables. Pourquoi attendre? Certaines solutions techniques sont essentielles en raison des graves problèmes que connaissent certaines assiettes fiscales comme celle de l'impôt minier en raison d'une analyse inadéquate des changements introduits en 1999. L'assiette de l'impôt sur le revenu des particuliers doit être réalignée maintenant que toutes les provinces ont adopté un impôt sur le revenu. L'assiette de l'impôt foncier sera modifiée, mais elle demeure fonction de plusieurs facteurs arbitraires qui diluent son rôle approprié dans la capacité fiscale.

Le ministre fédéral des Finances insiste sur le remboursement des trop-perçus au titre de la péréquation résultant de l'impact du recensement. Ici, il y a trois choses qu'il faut bien comprendre. Tout d'abord, les chiffres concernant les niveaux de population sont produits par un organisme fédéral, Statistique Canada; deuxièmement, c'est le ministère fédéral des Finances qui a voulu utiliser ces chiffres; et troisièmement, les provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard sont forcées de subir le plus gros de l'impact des corrections apportées à ces chiffres lorsque ceux-ci sont faux.

Je voudrais appeler votre attention sur les préoccupations les plus graves quant à l'insuffisance du programme de péréquation. Le gouvernement fédéral doit s'atteler au dossier du déséquilibre fiscal et, pour les provinces les plus pauvres, il s'agit là principalement d'un problème de péréquation. À l'heure actuelle, il est évident que deux provinces sont en plein essor économique et que, si le gouvernement fédéral n'intervient pas pour redistribuer la richesse nationale, ces deux provinces concentreront de plus en plus la population active nationale, laissant les autres provinces en remorque.

Grand nombre de provinces bénéficiaires doivent s'attendre à ce que leur population décline dans les années à venir car leur jeunesse est attirée par l'Alberta et par l'Ontario. Déjà la population de Terre-Neuve est en déclin. Cela est en partie dû au fait que l'équilibre fiscal n'a pas suffisamment retenu l'attention. Les Canadiens exigent et attendent que le niveau de service, notamment en santé et en éducation, soit absolument impeccable partout au Canada. Si le déséquilibre fiscal persiste, nos impôts devront augmenter et les niveaux de service devront diminuer. Moins nous serons concurrentiels sur le plan économique, plus notre population sera tentée d'aller s'établir dans des provinces comme l'Ontario et l'Alberta.

Les transferts fédéraux sous forme de transferts par habitant directs indemnisent insuffisamment les provinces comme l'Île-du-Prince-Édouard des insuffisances de recettes lestées par une population âgée. Ils facilitent les mesures que peuvent prendre l'Ontario et l'Alberta, grâce à leur capacité fiscale élevée et à leur population relativement jeune, pour améliorer davantage la qualité du service et abaisser les impôts. La péréquation est la méthode permettant de corriger les disparités pour que toutes les régions du Canada puissent se développer avec efficacité et efficience.

Pour terminer, je suis convaincu que l'Île-du-Prince-Édouard et que le Canada atlantique en général doivent poursuivre leurs efforts pour diminuer la nécessité de paiements de transferts fédéraux. J'estime que comme Canadiens nous devons bénéficier de la même qualité de services publics que les habitants du reste du pays. À brève échéance, cela signifie un programme de péréquation adéquat et une contribution fédérale juste au financement du TCS. À longue échéance, toutefois, il faudra régler les problèmes tels que la politique de l'immigration du Canada, nos régimes fiscaux, tant fédéral que provinciaux, pour encourager les investissements d'entreprise, l'enseignement ciblé et la stratégie de formation de nos jeunes, ainsi qu'une plus grande coopération interprovinciale au sein de la région et entre le Canada atlantique et le gouvernement fédéral.

Je serai heureux de discuter plus à fond ma communication.

Le sénateur Comeau: Monsieur Murphy, l'Île-du-Prince-Édouard a-t-elle essayé de mesurer le niveau des services — santé, enseignement, voirie, et ainsi de suite — et de les comparer à ceux des autres provinces canadiennes?

M. Murphy: Il y a toujours des mesures subjectives. Les gens ne manquent pas de vous comparer au reste du pays à partir de faits isolés. Pour ce qui est d'analyses objectives ou d'études à long terme, nous nous fions aux renseignements provenant de l'Institut canadien d'information sur la santé, par exemple, qui compare la période d'attente dans les hôpitaux, la prévalence de certaines maladies, et ainsi de suite, entre diverses provinces. Nos données comparatives proviennent surtout de l'ICIS.

Le sénateur Comeau: Comme j'en ai discuté avec le témoin précédent, j'imagine que l'on pourrait soutenir qu'il faut créer une commission indépendante chargée de mesurer ces genres de services et de faire valoir vos arguments de ce matin, à savoir que le niveau des services dans certaines provinces bénéficiaires ne permet pas de lutter efficacement contre l'exode. Il faudrait sans doute faire des efforts pour établir des mesures acceptées à la fois par le gouvernement fédéral et celui des provinces.

M. Murphy: Comme M. Paddon l'a dit dans sa déclaration, la discussion actuelle entre les deux niveaux de gouvernement est extrêmement importante. Personnellement, je n'ai que du bien à dire de mes rapports avec le ministre fédéral des Finances, qui est toujours disponible et très cordial. Nous ne sommes pas toujours du même avis, mais nous pouvons au moins discuter des problèmes.

Pour ce qui est d'une analyse indépendante, personnellement, je ne suis pas très à l'aise avec l'idée. J'estime que les élus ont pour tâche de collaborer. Cela ne s'applique pas uniquement aux élus, vous aussi vous avez un rôle à jouer.

Le sénateur Comeau: Si vos rapports avec le ministre sont si bons et s'il est quelqu'un d'épatant, pourquoi comparaissez-vous devant nous ce matin pour nous dire que votre province a besoin que le gouvernement fédéral lui donne plus d'argent? Dans son dernier budget, le ministre fédéral des Finances a annoncé des changements au système de péréquation qui nous mèneront jusqu'en 2009. Cela ne fait sûrement pas votre bonheur.

M. Murphy: Non, et c'est de la politique que je parle et non de la personne.

Le sénateur Comeau: C'est bien beau de s'entendre avec quelqu'un, de prendre un verre avec lui, mais à quoi bon si le lendemain il ne donne pas suite aux problèmes que vous avez évoqués avec lui la veille.

M. Murphy: Il est difficile de dégager un consensus entre toutes les provinces du pays. Nous avons travaillé très dur à ce dossier et nous nous sommes entendus sur les améliorations à apporter à l'occasion du renouvellement du système. On s'est entendu sur la norme des dix provinces. Les provinces se sont entendues pour passer à l'éventail complet des recettes. Les premiers ministres provinciaux et les dirigeants territoriaux étaient tous d'accord.

J'ai dit dans mon exposé que le désaccord que j'ai avec le ministre fédéral porte sur la capacité fiscale. Je récuse nettement l'argument selon lequel le gouvernement fédéral n'a pas la capacité fiscale de financer comme il se doit ce programme, alors qu'il en a l'obligation constitutionnelle. Cela ne signifie pas que je ne peux pas m'entendre sur le plan humain avec le ministre. Il reste toutefois que sur les principes nous sommes en désaccord.

Le sénateur Comeau: Un des éléments qui alimentent le dialogue ces dernières années — je vais donner l'exemple de la Nouvelle-Écosse — est la question de la compétitivité fiscale. Certains affirment que la fiscalité n'a pas d'effet sur l'économie. Autrement dit, vous pouvez alourdir les impôts pour financer les services comme l'enseignement, la santé, et cetera, sans que cela ait d'effets sur l'économie, par exemple sans que les entreprises ferment leurs portes. D'autres disent que pour conserver les entreprises sur place et en attirer d'autres, votre fiscalité doit être comparable à celle d'autres gouvernements, pas seulement dans la région mais aussi partout ailleurs au pays.

Débat-on de cette question dans l'Île-du-Prince-Édouard à l'heure actuelle?

M. Murphy: Oui. Quand j'ai présenté mon budget, j'ai dit à ce propos que le régime fiscal ne doit pas servir uniquement à percevoir des fonds auprès des citoyens.

Si vous regardez ce qui se passe depuis 10 ou 15 ans au sujet de choses comme l'ALENA, par exemple, nous avons vu que le gouvernement fédéral a annoncé autour de 100 milliards de dollars en allégements fiscaux au cours des cinq prochaines années. Une des raisons, c'est que nous affrontons une concurrence mondiale. Il faut que nos entreprises soient concurrentielles.

Au niveau provincial, dans le contexte de la péréquation, lorsque la fiscalité est allégée en Alberta et en Ontario, par exemple, cela influe sur la formule de péréquation. Autrement dit, quand la capacité fiscale de ces provinces est réduite par suite de la réduction de leurs assiettes fiscales, notre paiement de péréquation baisse lui aussi.

Nous ne pourrons pas réduire notre dépendance à l'égard des transferts fédéraux ou des paiements de péréquation si notre économie ne prend pas de l'expansion et si nos propres sources de recettes ne continuent pas de grandir. Pour y parvenir, il faut être concurrentiel, être capable d'attirer les investissements d'entreprise pour créer une situation économique qui nous permette de prospérer.

La fiscalité est donc déterminante pour notre avenir si nous voulons favoriser les investissements d'entreprise et tout ce qui s'ensuit.

Le sénateur Comeau: J'aimerais revenir sur la question de la mesure des services raisonnables telle qu'il en est question dans la Constitution, à savoir que toutes les provinces doivent fournir des niveaux raisonnables de services. Quelles données utilisez-vous actuellement pour cette mesure?

M. Murphy: Celles de l'Institut canadien d'information sur la santé.

Le sénateur Comeau: Cela, c'est un aspect du niveau raisonnable des services, pour la santé. Qu'en est-il de l'enseignement, des routes, de l'économie et du reste? Quelles mesures utilisez-vous pour suivre le niveau de services que vous offrez par rapport à ceux des autres gouvernements?

M. Murphy: Nous faisons notre propre analyse, comme le nombre de finissants du niveau secondaire, de diplômés universitaires ainsi que leurs domaines, les fonds de recherche que l'université et d'autres établissements postsecondaires arrivent à obtenir, le taux de littératie provinciale, la scolarisation moyenne de la main-d'oeuvre, son évolution et les programmes efficaces, les interventions, etc. Nous mesurons tous ces éléments et comparons nos résultats avec ceux des autres gouvernements du pays.

Dans le réseau scolaire primaire et secondaire, il y a des évaluations standardisées, en quelque sorte. Comme ancien enseignant, je peux débattre avec vous la valeur de ces grilles, mais elles donnent un cliché de la situation dans le temps, surtout en ce qui concerne la littératie et les compétences en mathématiques, par rapport au reste du pays.

Le sénateur Comeau: Si je voulais, comme parlementaire fédéral, comparer le niveau de service de l'Île-du-Prince- Édouard à celui des autres provinces, pourriez-vous nous donner un synopsis de ces mesures? Est-ce que cela existe?

M. Murphy: Oui, et je suis disposé à vous le donner. En termes de contexte, quand nous faisons des comparaisons, il faut bien prendre soin de comparer des pommes à des pommes.

Le sénateur Downe: Vous dites que 25 p. 100 du budget provincial provient de la péréquation. Nous avons des notes d'information préparées par la Bibliothèque du Parlement dans lesquelles il est dit que pour le présent exercice, les transferts du gouvernement fédéral à l'île-du-Prince-Édouard totaliseront 400 millions de dollars. Quel pourcentage de votre budget total proviendra des transferts fédéraux?

M. Murphy: Le budget total de cette année sera d'environ 1,1 milliard de dollars. En tout, les transferts fédéraux sont de 393 millions de dollars, je crois.

Le sénateur Downe: Donc un peu moins de 40 p. 100?

M. Murphy: C'est juste.

Le sénateur Downe: J'aimerais savoir ce que vous pensez d'un argument avancé par les critiques du programme de péréquation actuel. Ils disent que depuis 1957, plus de 200 milliards de dollars ont été versés par le gouvernement du Canada et que les provinces moins nanties continuent d'accuser des retards et ne cessent de réclamer plus d'argent. Une de leurs propositions serait de donner cet argent, le paiement de péréquation, directement aux particuliers, pour réduire les impôts, pour faire en sorte que la région devienne plus compétitive, plus attrayante pour les jeunes, de manière à ce qu'ils restent et montent une affaire et pour favoriser ainsi la croissance. Ce que l'on reproche, c'est que cela nuirait aux gouvernements provinciaux parce que vous ne pouvez pas agrandir le gouvernement jusqu'au niveau que vous avez actuellement. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Murphy: Je ne suis pas chaud à l'idée de transférer directement des fonds aux particuliers pour alléger la fiscalité. Pour moi, il faut corriger la non-compétitivité du régime fiscal de l'Île-du-Prince-Édouard et du Canada atlantique et je pense qu'il y a des moyens d'y arriver — comme je l'ai dit dans le dernier paragraphe de ma déclaration.

Il ne s'agit pas de nous satisfaire du niveau des transferts fédéraux et de la contribution qu'ils apportent actuellement à nos budgets. Le but doit évidemment être de réduire ces paiements au fur et à mesure que nos économies se renforceront.

Certaines des discussions qui se tiennent actuellement dans la région sont importantes. J'ai beaucoup lu ce que Frank McKenna a dit et écrit à ce propos. Je pense qu'il a de bonnes idées. J'ai parlé de la politique d'immigration dans le dernier paragraphe parce que notre région ne reçoit pratiquement aucun immigrant. Le gros de l'immigration va vers le centre ou l'ouest du pays, alors que notre population baisse. L'an dernier, il y a en fait eu une croissance démographique de 900 personnes dans l'île-du-Prince-Édouard, mais la région dans son ensemble est en train de se dépeupler.

Les débouchés pour les jeunes — comme vous l'avez dit, sénateur, notre économie a toujours dépendu des richesses naturelles. Dans l'Île-du-Prince-Édouard, l'agriculture est un gros élément de l'économie, la pêche aussi, et le secteur primaire est important mais pas autant qu'il l'a déjà été et ne le redeviendra jamais plus. À long terme, il faudra que nos économies cessent d'être des économies basées sur le secteur primaire. Je ne dis pas qu'il faut cesser de cultiver ou de pêcher; la question est plutôt de savoir comment donner une valeur ajoutée à ces produits traditionnellement vendus comme des produits de base dans la bio-économie? Le bleuet de l'Île-du-Prince-Édouard est un bon exemple. Le bleuet vendu en vrac ne rapporte que 40 ou 50 cents la livre. Une entreprise de biotechnologie, par contre, qui en extrait une enzyme utilisée dans le secteur pharmaceutique peut obtenir 5 000 $ pour un flacon. C'est ce que je veux dire quand j'affirme que notre économie doit évoluer.

Il y a plusieurs choses à faire dans la région à mon avis. Il faut une plus grande coopération entre nos provinces. Le tourisme est un bon exemple. Il y a quatre ans, j'ai été ministre des Affaires francophones. St-Pierre-et-Miquelon, l'Île- du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, les communautés acadiennes et francophones ont tous collaboré à une initiative en matière de tourisme, toutes les régions ont fait l'objet d'une promotion — une sorte de tournée. Cela a eu beaucoup de succès.

Pourtant, l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve ont chacun leur ministère du Tourisme et un budget distinct, ils s'en servent pour promouvoir le tourisme en se faisant de la concurrence. Quelqu'un m'a demandé comment l'on pourrait travailler ensemble. Pour moi, vu ses attraits, la région du Canada atlantique pourrait devenir une destination de prédilection mondiale pour l'écotourisme. Il suffit de penser à tous ses attraits; imaginez ce qui pourrait se faire si on la faisait valoir comme région.

Des organismes comme l'APECA a un rôle à jouer dans la région et je ne parle pas de son rôle actuel. Elle est importante quand il s'agit de fournir une infrastructure et d'autres choses qui favorisent les investissements; mais en matière de fiscalité, par exemple, serait-il possible de créer quelque chose comme un crédit d'investissement d'entreprise qui n'existerait que pour la région de l'Atlantique? Je donne comme exemple le double amortissement des dépenses d'investissement en capital. Il faut parler de ces choses-là si l'on veut progresser.

Le sénateur Downe: Je veux revenir sur les reproches que certains adressent au système de péréquation. Ses détracteurs soutiennent que les gouvernements provinciaux s'en servent pour financer d'autres programmes et combler leurs déficits. Dans votre exposé, vous dites qu'une part importante de votre déficit est attribuable à l'incertitude des paiements de péréquation. Pourtant, le déficit est aussi attribuable à des décisions prises par le gouvernement provincial, des projets qui n'ont pas abouti, comme Polar Foods et d'autres. Ses détracteurs disent que l'on essaie depuis 1957, qu'il n'y a eu que des améliorations mineures et que l'on pourrait bien envisager une autre façon de faire, soit réduire considérablement les impôts et augmenter nettement l'efficacité de la région, autrement dit, éliminer l'intermédiaire.

M. Murphy: Je ne suis pas contre. Nous avons un problème à court terme du fait que nous n'avons pas les capacités fiscales pour offrir des services publics en santé notamment, mais aussi en enseignement postsecondaire. Il y a un problème immédiat à régler. Il ne l'a pas été dans le renouvellement de 2004 du système de péréquation. Pour moi, la discussion sur ce renouvellement n'est pas terminée. Je sais que c'est censé l'être. Il y a un projet de loi à la Chambre et certains voudraient que cela soit mis en veilleuse jusqu'en 2009. Pour nous, la question est trop importante pour attendre jusqu'en 2009. Il faut rouvrir le dossier.

Mais si l'on y réfléchit, à longue échéance, vous avez raison. Le programme de péréquation existe sous une forme ou sous une autre depuis 1957. Depuis l'adoption d'une norme de cinq provinces en 1982, nous sommes aux prises avec une érosion. Il faut tenir compte du revenu moyen dans l'Île-du-Prince-Édouard ou dans le Canada atlantique et le comparer au reste du pays. Quelle est la scolarisation moyenne des habitants de la région et de l'Île-du-Prince-Édouard par rapport au reste du pays? Pour avoir des résultats qui soient vraiment mesurables, il faut avoir des critères qui doivent être évalués.

Je suis d'accord pour l'essentiel — prenez la norme des dix provinces. Elle permet d'injecter plus de fonds dans le système. Elle nous permet de payer les services à assurer à notre population. Mais sur le long terme, en quoi cela nous permet-il de progresser comme province ou région par rapport au reste du pays et à sa capacité fiscale?

Cette discussion sur l'avenir fiscal de l'Île-du-Prince-Édouard ou l'avenir fiscal en général du Canada atlantique doit aller au-delà du simple cadre de discussion sur les transferts fédéraux. Il faut élargir le dialogue pour inclure l'immigration, les régimes fiscaux, la formation, etc.

Si je reviens un siècle en arrière, au début du dernier siècle, le dynamisme de nos chantiers navals, par exemple, était un des gros moteurs de l'économie du pays. Notre apport à l'économie nationale était important. Je ne réclame pas une relance de ce secteur, mais j'estime que notre région peut jouer un plus grand rôle dans l'économie nationale qu'elle ne le joue actuellement.

Le sénateur Downe: Les impôts posent un problème. Je gagne mon salaire de sénateur à Ottawa et je paie mes impôts à l'Île-du-Prince-Édouard. Selon mon comptable, je paie plusieurs milliers de dollars de plus parce que je vis là-bas. Je ne me plains pas d'avoir à les payer puisque la qualité de vie et toute une série d'autres avantages compensent largement cette imposition supplémentaire, mais il reste que c'est une réalité négative pour la région.

J'ai une question à propos de ce que vous dites à la quatrième page de votre exposé. Vous y parlez, en termes attentivement pesés, de la contribution du fédéral à la santé. Vous dites que selon les premiers ministres et les dirigeants territoriaux, la contribution fédérale à la santé représente environ 16 à 17 p. 100 du coût. Je suppose que pour l'Île-du- Prince-Édouard, c'est beaucoup plus élevé puisque les transferts du gouvernement fédéral constituent une beaucoup plus grande partie de vos ressources financières n'est-ce pas?

M. Murphy: Voici mon interprétation: le chiffre pour la péréquation qui figure dans notre budget de cette année est de 245 millions de dollars. Tout ce que je sais, c'est que ce chiffre est faux. Il changera quatre, cinq ou six fois au cours de l'année avant que nous n'arrivions au chiffre définitif. Il est à espérer que certaines des questions de fluctuation et de renouvellement auront été réglées. Environ 105 millions de dollars correspondent au TCS. Cela dépend des interprétations.

Le sénateur Downe: N'y a-t-il pas 7 millions de dollars de plus pour le transfert pour la réforme de la santé?

M. Murphy: C'est exact. Je ne parlais que de la péréquation, du TCS. Au total, cela fait environ 350 millions de dollars. Il y a d'autres transferts — par exemple, les programmes pour les jeunes contrevenants et d'autres programmes fédéraux-provinciaux à coût partagé — ce qui nous amène à environ 393 millions de dollars. Si nous prenons nos deux autres budgets, la santé tourne autour de 428 millions de dollars et l'éducation, aux alentours de 230 à 240 millions de dollars.

En termes de pourcentage des dépenses gouvernementales de la province, si vous prenez les 105 millions de dollars, le montant du TCS, dont une partie est censée être consacrée à l'éducation postsecondaire, et si vous considérez l'argent dépensé, sur ces 230 millions de dollars, probablement 50 millions sont consacrés à l'éducation postsecondaire.

Le président: Comment arrivez-vous à distinguer cela du transfert global?

M. Murphy: Nous ne le distinguons pas. À l'Île-du-Prince-Édouard, c'est plus facile parce que nous n'avons que trois établissements postsecondaires — le Holland College, l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard et le Collège de l'Acadie, qui est un établissement postsecondaire de langue française. Environ un sixième de notre budget de santé est financé par le TCS. Si vous étendez cela au total des paiements de transfert, et si vous voulez inclure 100 p. 100 de la péréquation, ou une partie de la péréquation, le financement de la santé, il est évident que le chiffre augmente.

Le sénateur Downe: Si vous excluez la santé et l'éducation, qu'est-ce qui vous reste pour votre budget provincial?

M. Murphy: La santé et l'éducation représentent un peu plus de 60 p. 100 du budget provincial.

Le sénateur Ringuette: J'ai été très heureuse de voir un peu plus tôt cette année qu'un rapport du Conseil économique des provinces de l'Atlantique — vous devez très bien connaître ce conseil — indiquait que pour chaque dollar contribué par les provinces atlantiques au développement économique, le fédéral en contribuait deux. Nous doublons la mise des gouvernements provinciaux du Canada atlantique pour le développement économique comparativement à toutes les autres provinces où c'est le contraire, c'est-à-dire un dollar fédéral pour deux dollars provinciaux. Nous sommes donc avantagés.

J'étais à Charlottetown la semaine dernière comme membre du groupe d'étude qui s'intéresse à l'économie saisonnière et à ses incidences sur la main-d'oeuvre, les collectivités, etc. J'ai une question très importante à vous poser aujourd'hui dans le contexte de la péréquation et de toutes les autres questions économiques concernant les transferts soit aux provinces soit aux particuliers.

Vous êtes un homme politique. Je peux voir que vous connaissez très bien votre domaine, les finances. Si vous aviez un montant X de dollars supplémentaires à votre disposition pour l'Île-du-Prince-Édouard, l'investiriez-vous dans l'option A, pour majorer les fonds de péréquation, ou dans l'option B, pour majorer les prestations d'assurance- emploi?

M. Murphy: C'est une question à laquelle il est difficile de répondre ne sachant pas dans quel contexte elle est posée. Je dirais que l'économie de l'Île-du-Prince-Édouard se porte bien. Nous avons aujourd'hui le nombre le plus élevé de personnes ayant jamais été employées dans la province. Personne ne veut ou personne ne devrait vouloir vivre de l'assurance-emploi. Il est évident que des emplois à plus long terme et une multiplication des possibilités d'emplois sont très importants. Cependant, la réalité veut que dans une province comme la nôtre, bloquée par les glaces six mois par an et dont les industries principales sont actuellement l'agriculture, la pêche et le tourisme, notre économie soit saisonnière. L'impossibilité de travailler douze mois sur douze fait de ces programmes de soutien une nécessité.

La péréquation nous permet d'offrir un niveau de services publics qui nous l'espérons est, d'abord, comparable à ce qui s'offre ailleurs dans la région et, ultimement, comparable à ce qui est offert à l'échelle nationale. Cependant, quand on parle de régime fiscal pour le Canada atlantique, il y a une évidence: «C'est une région du pays fortement imposée» — tant au niveau des revenus des particuliers que de l'impôt sur les sociétés, les taxes professionnelles, etc. À de nombreux égards, la péréquation nous est indispensable pour être fiscalement compétitif. Selon moi, le meilleur moyen de trouver une solution au problème du chômage est d'essayer de créer des emplois qui ne dépendent plus d'une économie saisonnière. Nous aurons toujours une part d'emplois saisonniers; c'est la conséquence de notre situation géographique et de notre climat.

C'est difficile, et les changements apportés au programme d'assurance-emploi ont eu des conséquences difficiles pour ceux qui en dépendent. Si vous demandiez aux habitants de notre province ou de la région s'ils préfèrent travailler toute l'année plutôt que de dépendre de l'assurance-emploi, ils vous répondraient travailler toute l'année.

Je n'ai pas répondu directement à votre question, car je n'ai pas la réponse à votre question.

Le sénateur Ringuette: Cela dépend où on se situe. Si les paiements d'assurance-emploi étaient augmentés, les niveaux de revenus augmenteraient automatiquement, pas seulement celui des particuliers, mais aussi celui des petits commerces. La boucle est complète. Je sais que vous êtes certainement tout à fait capable de prendre des décisions financières difficiles et c'est la raison pour laquelle je vous ai demandé si vous préféreriez un financement supplémentaire sous forme de péréquation ou un relèvement des revenus de vos concitoyens qui vous permettrait d'augmenter votre base fiscale.

M. Murphy: Que la population ait plus d'argent dans ses poches est toujours une bonne chose mais une partie du problème qui se pose à nous est un problème d'économie d'échelle. Voici ce que je vous répondrais: l'Île-du-Prince- Édouard compte environ 140 000 résidents permanents à l'année. Notre population augmente pendant les mois d'été avec les visiteurs que nous recevons. Le coût des services publics que nous fournissons est tributaire de notre économie d'échelle. Construire un hôpital pour servir une population de 50 000 ou 60 000 habitants correspond à un certain coût, probablement le même coût pour les infrastructures et ce qui entoure cet hôpital que s'il fallait servir trois ou quatre fois plus de personnes. C'est notre base fiscale qui doit financer ces services.

Sur le plan géographique, l'Île-du-Prince-Édouard n'est pas très grande, mais les services s'étendent sur plus de 150 milles. Si vous preniez 140 000 personnes et que vous les installiez dans une petite ville en Ontario, le coût des services de santé serait probablement moindre pour des raisons d'économie d'échelle, de géographie, etc.

Le sénateur Ringuette: L'autre grande question, c'est celle des options. Dans le cas de la péréquation, si vous aviez le choix entre, d'une part, une norme établie en fonction des 10 provinces dans un système modernisé et, d'autre part, une norme établie en fonction de cinq provinces seulement, dans un système lui aussi modernisé, mais qui tiendrait compte du coût des services, laquelle des deux options préféreriez-vous?

M. Murphy: Ce que je préférerais? Que l'Île-du-Prince-Édouard et les provinces de l'Atlantique en général suivent deux voies parallèles. À l'heure actuelle, des pressions s'exercent pour que nous répondions aux besoins de services dans la population, tout comme les mêmes pressions s'exercent ailleurs au Canada. Dans notre propre province, notre économie et les niveaux actuels d'imposition provinciale ne nous permettent pas d'espérer trouver plus de recettes de source provinciale dans la poche de nos contribuables, à moins qu'il n'y ait croissance dans l'économie. En effet, pour que nous dépendions moins des transferts fédéraux, notre province doit connaître une croissance économique.

Comme le signalait le sénateur Downe, cela fait plus de 50 ans que le programme de péréquation nous aide à fournir les services publics. Mais a-t-il permis véritablement de réduire l'écart entre nous et le reste du pays? J'aurais tendance à dire comme lui que l'écart ne s'est pas beaucoup réduit. Or, nous devons être en mesure de continuer à offrir des niveaux comparables de services. La Constitution nous oblige à fournir des services de santé et d'éducation, mais la région a besoin aussi d'une stratégie, si j'ose dire, qui nous oblige à changer notre façon de percevoir certains secteurs comme l'immigration, la taxation, et cetera, afin que ceux-ci nous aident à combler l'écart avec le reste du pays.

Le sénateur Ringuette: Autrement dit, vous ne savez pas encore laquelle des deux options vous préférez, d'une nouvelle norme établie sur la situation dans 10 provinces ou de l'ancienne norme établie en fonction de cinq provinces mais qui tiendrait compte de ce qu'il en coûte de fournir les services à votre population en raison de la densité démographique, variant d'un secteur rural à un secteur urbain.

M. Murphy: La densité démographique, ce n'est pas un gros problème pour nous étant donné la petite taille de notre province. Nous savons exactement que les paiements de péréquation fondés sur une norme établie à partir de 10 provinces nous donneraient quelque 41 millions de dollars par année à l'Île-du-Prince-Édouard. Dans le cas de la péréquation, nous recevons 12 millions de dollars par milliard de dollars payé en versements de péréquation, alors que dans le cas du TCS, nous recevons 4,4 millions de dollars par milliard de dollars versé.

Lorsque l'on discutait du renouvellement du TCS, l'Île-du-Prince-Édouard et les autres provinces de l'Atlantique ont accepté que le financement du transfert canadien se fasse en fonction du nombre d'habitants justement parce qu'il avait été convenu que le renouvellement du programme de péréquation se ferait dans le contexte d'un renouvellement du TCS.

Je ne voudrais pas m'étendre sur la question, puisque je me fais critiquer suffisamment à l'assemblée législative de ma province chaque fois que je m'en prends au gouvernement fédéral; toutefois, puisque nous parlons du pourcentage des dépenses du gouvernement fédéral, il faut savoir que ce programme de péréquation est le seul programme fédéral inscrit dans la Constitution du Canada. Celle-ci prévoit donc qu'il faut aplanir la disparité financière d'une région à l'autre pour que tous les Canadiens reçoivent la même chose, peu importe où ils habitent. Il est donc prévu que, dans les limites du raisonnable, chaque province offrira à ses citoyens le même niveau de services publics. Et pourtant, notre part ne cesse de diminuer depuis 1982, comme pourcentage du total des dépenses de ce programme fédéral, et cela n'est pas bon. Je ne crois pas que les Canadiens seraient d'accord avec cette diminution.

Le sénateur Ringuette: Il existe un autre phénomène que vous connaissez sans aucun doute puisque vous êtes politicien. Les contribuables de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et de l'Ouest veulent des programmes qui permettent une reddition de comptes et la transparence. En 1957, il n'existait que le programme de péréquation, alors qu'aujourd'hui, en plus de la péréquation, il existe le programme de transfert en matière de santé, le programme de transfert en matière de programmes sociaux, des programmes de formation fédéraux-provinciaux, les programmes d'infrastructure fédéraux-provinciaux et même des accords de développement économique. Autrement dit, il existe toute une série de programmes pointus qui ciblent des secteurs bien définis en vue de permettre une reddition de comptes et une imputabilité accrues. Il faut tenir compte de cela également.

M. Murphy: Nous sommes d'accord avec la reddition de comptes. Étant donné la taille de notre budget en santé, je peux vous expliquer à brûle-pourpoint la façon dont les sommes sont dépensées, combien de fonds fédéraux nous recevons et où ils sont dépensés. Nous sommes tout à fait d'accord avec la reddition de comptes, et nous l'avons dit publiquement. Nous souscrivons à ce qu'a affirmé le premier ministre au sujet de la nécessité d'avoir un cadre de reddition de comptes.

Le président: Je suis intrigué par le fait que vous ayez mentionné à plus d'une reprise l'immigration. Cela faisait longtemps que je n'avais entendu un ministre de l'Île-du-Prince-Édouard en parler autant. Vous savez bien que l'immigration fait l'objet d'un partage de compétences en vertu de la Constitution et qu'il n'y a rien qui vous empêche, ni ne vous a jamais empêché, d'aller un peu partout faire la promotion de l'Île-du-Prince-Édouard comme point de chute de l'immigration.

Je pense que le gouvernement fédéral pourrait même vous aider à le faire, si vous le souhaitez, et serait sans doute disposé à négocier avec votre province un accord sur l'immigration.

Vous n'obtiendrez peut-être pas autant d'immigrants des îles Britanniques et de la France, d'où venaient la plupart des ancêtres des habitants de votre province, mais il y a beaucoup d'autres régions du monde qui seraient intéressées par l'Île-du-Prince-Édouard si elles étaient au courant.

M. Murphy: Vous avez raison. Cela fait déjà un certain temps que les ministères de notre gouvernement provincial collaborent avec leurs homologues fédéraux pour élaborer une stratégie d'immigration qui s'adresse à notre province. Mais ce dont je parlais va au-delà de cela. Il faut que cette stratégie s'applique à l'ensemble de la région. D'ailleurs, les autres provinces nous ont emboîté le pas en ce qui concerne l'immigration. Toutefois, il faut comprendre que moins de 1 p. 100 à peine de tous les immigrants au Canada — j'ai oublié le chiffre — viennent s'installer dans la région de l'Atlantique. Et il se peut même que je sois en train de surestimer la proportion. Manifestement, la politique de l'immigration actuelle ne répond pas aux besoins de notre région.

Le président: Quels changements y apporteriez-vous? Vous savez bien qu'une fois les immigrants arrivés au Canada, rien ne les oblige à s'établir dans une région plutôt que dans une autre. Que feriez-vous pour aller chercher une plus grande part des immigrants?

M. Murphy: Prenez un secteur bien précis de l'économie comme l'aérospatiale qui est une véritablement réussite pour l'Île-du-Prince-Édouard puisqu'elle emploie jusqu'à 1 000 personnes. Le secteur de l'aérospatiale a besoin de gens de métier tels que les machinistes, notamment. Le Holland College, qui est un excellent établissement, forme ce genre de métiers. Si nous pouvions aller chercher ailleurs dans le monde de nombreux gens de métier qui sont déjà formés, ils pourraient d'ores et déjà contribuer à l'économie de notre province.

Ce que nous demanderions au gouvernement fédéral, c'est s'il acceptait, par exemple, d'accorder un crédit d'impôt pour la main-d'oeuvre étrangère qui nous permettrait d'être plus concurrentiels et d'attirer cette main-d'oeuvre spécialisée dans cette industrie vers notre région. Le gouvernement fédéral serait-il disposé à alléger l'impôt sur le revenu personnel ou à offrir d'autres incitatifs conjointement avec nous, pour attirer chez nous les immigrants? Voilà le genre de discussion qui nous intéresserait. Nous sommes d'accord pour laisser aux immigrants le libre choix quant à leur destination ultime, mais que pouvons-nous faire pour influer sur le choix de cette destination?

Le sénateur Downe: J'aurais une dernière chose à dire au sujet de l'attitude de certains habitants de l'Île-du-Prince- Édouard. Il y a deux semaines, je lisais dans le Charlottetown Guardian la lettre d'un lecteur affirmant que l'Île-du- Prince-Édouard contribue beaucoup plus à la fédération qu'elle n'en reçoit, ce qui est scandaleux.

Pour le bien-être de la fédération canadienne, il faut que toutes les régions du pays comprennent que chacune d'entre elles fait une contribution différente. Je veux bien que la part des transferts fédéraux vers l'Île-du-Prince-Édouard soit relativement élevée — 40 p. 100 environ du budget de la province vient des transferts fédéraux — et que les paiements fédéraux par habitant soient les plus élevés du Canada — je crois que c'est 2 800 $ par habitant. Mais il y a tout de même d'autres façons de mesurer la contribution d'une province à la fédération. Si nos calculs sont strictement monétaires, alors le pays est dans de beaux draps.

Il nous faut... je m'adresse à tous mes collègues ici. Le gouvernement fédéral doit mieux expliquer aux citoyens la fédération et tous ses éléments. À l'Île-du-Prince-Édouard, mon travail consiste notamment à parler de ce que fait le gouvernement fédéral. Ainsi, j'ai parlé du Conseil national de recherches du Canada, de la contribution de l'université, par exemple, de la direction générale des Anciens combattants et du centre national de la TPS, au sujet duquel le président ne cesse de nous rappeler sa contribution, à l'époque. Je crois qu'il est important que nous jouions tous notre rôle, qui est de présenter cette contribution à la vie de chaque personne, dans chaque région et dans l'ensemble du pays.

C'était plutôt un commentaire qu'une question.

Le président: Bien dit et bien reçu, je crois, sénateur Downe. Merci au ministre, cette contribution est très utile. Nous nous attaquons de nouveau à cette question. Peut-être que la formule de 2004 n'est pas coulée dans le béton et nous espérons pouvoir influencer le débat sur ce projet de loi, quand il aura lieu.

Merci d'avoir pris le temps de nous faire part de vos réflexions.

Demain, nous recevrons Thomas Courchene et Robin Boadway, tous deux de l'Université Queen's. Bien qu'ils soient de la même université, je vous assure qu'ils ont des points de vue très différents sur cette question et que le débat devrait être intéressant.

La séance est levée.


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