Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales
Fascicule 8 - Témoignages du 4 mai 2004
OTTAWA, le mardi 4 mai 2004
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 9 h 30 pour étudier le budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2005.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Bonjour. Aujourd'hui nous poursuivons notre étude du programme fédéral de péréquation. Comme vous le savez, honorables sénateurs, nous avons entendu de nombreux experts universitaires ainsi que des représentants de trois provinces: Terre-Neuve-et-Labrador, Île-du-Prince-Édouard et Saskatchewan. Aujourd'hui c'est avec grand plaisir que nous accueillons le représentant du gouvernement du Manitoba, l'honorable Greg Selinger, ministre des Finances, président du Conseil du Trésor, ministre chargé de l'application de la Loi sur l'examen public des activités des sociétés de la Couronne, ministre responsable des services en langue française, ministre responsable de la Commission de la fonction publique et enfin, et ce n'est pas la moindre de ses fonctions, député de St. Boniface.
Comme il convient à un député néo-démocrate, M. Selinger a un doctorat de la London School of Economics, une maîtrise en administration publique de l'Université Queen's et un baccalauréat en service social de l'Université du Manitoba. Le ministre n'est pas un étranger pour nous. M. Ronald Neumann, qui accompagne le ministre, est directeur des Affaires intergouvernementales au ministère des Finances depuis 20 ans.
Il est tout à fait possible que M. Neumann soit l'une de ces rares personnes, auxquelles nous faisions allusion l'autre soir, qui comprennent la formule de péréquation. Le ministre nous a remis un mémoire.
[Français]
Ce document est rédigé, je suis heureux de le constater, dans les deux langues officielles du pays — et je vous en remercie ardemment.
[Traduction]
On vous a remis le mémoire et le ministre a l'intention de le commenter plutôt que de le lire. Après son exposé, nous passerons aux questions et aux commentaires des membres du comité.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
L'honorable Gregory F. Selinger, ministre des Finances, gouvernement du Manitoba: Je vous remercie de votre invitation et de votre patience. Je devais vous rencontrer plus tôt, mais j'ai dû d'abord m'occuper du dépôt du budget et du débat sur ce budget à l'assemblée législative.
En 2002, votre comité a eu absolument raison de recommander, par souci d'équité, une norme des dix provinces pour le programme de péréquation et de dire qu'une telle norme était financièrement viable pour le gouvernement fédéral. À notre avis, la péréquation est ce qui unit la fédération, offrant à tous les Canadiens des droits et des possibilités plus équitables, peu importe où ils habitent.
Le Conference Board du Canada a documenté le déséquilibre fiscal entre les deux ordres de gouvernement. Le gouvernement fédéral accumule des surplus de plus en plus importants alors que les provinces accumulent les déficits, ce qui place bon nombre d'entre elles dans une situation précaire. Notre premier défi est de maintenir un système de soins de santé de premier ordre sans compromettre notre capacité de financer l'éducation, les autres services sociaux, les programmes environnementaux et l'infrastructure qui relèvent tous essentiellement de la compétence des provinces.
Le Conference Board dit également que les Canadiens paient assez d'impôts pour maintenir ces programmes, mais que les revenus doivent être redistribués au moyen de transferts fédéraux aux provinces. Le déséquilibre doit être corrigé en améliorant le partage des coûts croissants des soins de santé et en renforçant le programme de péréquation par une norme des dix provinces et l'inclusion de toutes les sources de revenus.
Le programme de péréquation est en crise. L'an dernier, les paiements étaient inférieurs à 4,7 milliards de dollars aux prévisions budgétaires fédérales. On prévoit qu'en 2002-2003 et 2004-2005 les paiements seront inférieurs de près de 10 milliards de dollars au niveau prévu dans le budget fédéral de 2003. L'insuffisance de la formule est principalement attribuable à l'utilisation de la norme de cinq provinces qui a été adoptée en 1987 et qui exclut une part importante des revenus provenant des ressources. L'autre raison est l'exclusion, depuis 1999, de 50 p. 100 des frais d'utilisation qui sont un substitut pour des impôts.
Les paiements de péréquation, en proportion de l'économie, ne représenteront qu'un peu plus que la moitié de ce qu'ils étaient il y a 15 ans. Ils représenteront 0,72 p. 100 du PIB comparativement à 1,34 p. 100 en 1988-1989. Le principe fondamental du programme c'est l'équité. Toutefois, l'équité sert à assurer l'efficacité économique en créant des règles du jeu plus équitables qui permettent aux citoyens de toutes les régions du Canada d'utiliser les avantages économiques naturels de leurs régions pour créer des revenus et de la richesse, ce qui a pour effet d'accroître la productivité de l'ensemble du pays. Une étude récente des effets à long terme de la péréquation, réalisée par le professeur Wilson de l'Université de l'Alberta, conclut que les gains en efficience découlant du programme de péréquation sont très élevés — beaucoup plus élevés qu'on pourrait croire à court terme.
Lorsque les règles du jeu sont équitables, les décisions personnelles et d'affaires sont fondées sur des facteurs réels, économiques et sur la qualité de la vie plutôt que d'être fondées sur les avantages financiers nets que crée l'inégalité de la capacité fiscale des différentes régions. Il existe des différences dans la capacité fiscale parce que les revenus pétroliers et gaziers et d'autres facteurs ne sont pas distribués également au pays et, dans le cas des ressources naturelles, relèvent de la compétence provinciale. Le programme de péréquation permet d'atténuer ces différences.
Le Manitoba a réussi à contrer la migration de sortie au cours des dernières années, mais plusieurs provinces bénéficiaires voient baisser leur population. Cette tendance est malsaine pour l'ensemble du Canada. Au Manitoba, nous reconnaissons que notre croissance économique est plus forte lorsque nous retenons un plus grand nombre de nos citoyens.
Le programme de péréquation doit être renforcé: c'est une question d'équité et d'efficience. Cela suppose que l'on tienne compte de tous les revenus provinciaux. Certains commentateurs ont proposé d'exclure de la formule de péréquation, en totalité ou en partie, les revenus provenant des ressources. Cela créerait un programme de péréquation à deux vitesses qui avantagerait les provinces qui ont des ressources énergétiques non renouvelables. C'est inacceptable étant donné la raison d'être constitutionnelle du programme.
L'exclusion d'importantes parts des revenus provenant des ressources pourrait sérieusement nuire au programme et créer une situation intenable où certaines provinces bénéficiaires ont une capacité fiscale plus importante que celle des autres provinces et, dans quelques cas, pourraient même avoir une capacité fiscale, après péréquation, qui dépasserait celle de l'Ontario, une province non bénéficiaire. Quel résultat inique si les provinces bénéficiaires se retrouvent avec un revenu par habitant plus élevé que celui des provinces non bénéficiaires comme l'Ontario!
Le gouvernement fédéral n'a pas répondu de manière appropriée à la crise de la péréquation. Les mesures de renouvellement qui sont maintenant à l'étude au Parlement rétabliraient seulement 1,5 milliard de dollars sur cinq ans alors que la baisse des dernières années et de l'année en cours se chiffrent à 10 milliards de dollars. Le gouvernement fédéral ne prévoit pas mettre en oeuvre la norme des dix provinces, ni inclure tous les frais d'utilisation et tous les autres revenus ni de mettre en oeuvre les modifications ni l'évaluation de la valeur marchande pour établir l'assiette foncière, sans retard et sans disposition de transition inutile.
En conclusion, tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux préconisent le renforcement du programme et le Manitoba unit sa voix à celle des autres provinces pour demander que ce programme soit renforcé, tout comme les autres programmes de transferts fédéraux afin de corriger le déséquilibre fiscal au Canada, de maintenir le système de soins de santé sans compromettre les autres programmes, afin d'assurer à tous les Canadiens les mêmes droits de citoyenneté et de créer une plus forte croissance économique dans l'ensemble du pays.
Le sénateur Stratton: La véritable question concerne l'établissement d'une moyenne décennale. Je pense que cela plairait à toutes les provinces, particulièrement la Saskatchewan qui a souffert de l'utilisation d'une moyenne de cinq ans au fil des années. Le vrai problème c'est le système de soins de santé. Je crois savoir que lorsque les ministres des Finances provinciaux se réunissent régulièrement, le premier point, et le plus important, à leur ordre du jour c'est la santé. La santé accapare 42 p. 100 du budget des provinces, ce qui est déjà considérable, et ça ne cesse de croître.
Il est évident que l'argent n'est pas la solution au problème, mais il semblerait qu'à court terme, il faille plus d'argent. Si nous adoptons la moyenne des dix provinces, quel effet cela aura-t-il sur les soins de santé et que font les provinces pour modifier véritablement le système de soins de santé non seulement pour en contrôler les coûts, mais pour prévoir les besoins financiers des cinq ou dix prochaines années? Il est clair que vous avez été obligés de vous pencher sur cette question et vous avez déjà la réponse à la question que je pose. Je pense que la santé est la question fondamentale et qu'elle le restera longtemps pour toutes les provinces.
Pourriez-vous nous dire quel effet la moyenne des dix provinces aurait sur ce dossier et ce que font les provinces pour maîtriser les coûts des soins de santé.
M. Selinger: Sénateur Stratton, vous avez raison, la santé accapare plus de 40 p. 100 de la plupart des budgets provinciaux à l'heure actuelle. Dans certaines provinces, c'est même plus de 45 p. 100 et ça approche les 50 p. 100. La croissance est d'environ 7,2 p. 100 par année en moyenne. Dans la plupart des cas, la croissance de ces coûts dépasse la croissance économique de la province. Ce phénomène a un effet d'éviction, c'est-à-dire que de plus en plus de ressources sont affectées à la santé au détriment des autres ministères qui auraient en fait un rôle à jouer pour maintenir la santé des gens — par exemple, l'assainissement de l'environnement, les loisirs, les programmes d'infrastructure, l'éducation, puisqu'il y a une forte corrélation entre l'éducation et un style de vie sain. C'est un défi de taille.
En quoi la norme des dix provinces aide-t-elle à régler le problème des soins de santé? Lorsqu'on sait que 80 p. 100 du budget de la santé sert à payer les salaires des médecins, des infirmières et des autres spécialistes de la santé, les techniciens et les nombreuses personnes qui fournissent des services à l'intérieur du système, je pense que nous pourrions être plus compétitifs sur ce plan. Si les provinces qui essayent d'attirer les mêmes compétences que vous ont des moyens financiers plus importants, vous n'avez d'autre choix que d'égaler ce qu'elles offrent si vous voulez qu'un certain spécialiste, par exemple, s'installe dans votre ville ou votre province. Vous devez offrir autant. De même, vous devez dépenser autant pour la technologie si vous voulez retenir ces professionnels. Si vous ne pouvez pas l'égaler grâce à votre pouvoir d'achat, ce qui est l'essence même de la péréquation — la capacité d'offrir des niveaux de services comparables avec des niveaux d'imposition à peu près comparables — vous devez prendre l'argent ailleurs dans votre budget pour maintenir ces services qui sont si importants pour les citoyens de notre pays.
Avec une norme des dix provinces, nous serions plus en mesure de faire concurrence aux autres provinces pour les compétences et la technologie dont nous avons besoin pour moderniser notre système de soins de santé et pour offrir à la population les services qu'elle souhaite.
Vous avez dit également que certaines personnes voient la santé comme un gouffre sans fond, qu'il y a une demande énorme de ressources qui en général dépasse ce que n'importe quel gouvernement peut offrir. À cet égard, il faut coopérer pour réformer le programme de soins de santé. Nous devons travailler tous ensemble pour améliorer la prestation des services.
Mais, derrière cette idée, il y a la relation entre le gouvernement et ses citoyens. Au bout du compte, nous sommes tous responsables, au niveau personnel, communautaire et familial, de notre propre santé. Par exemple, nous avons créé un poste de ministre délégué à la vie saine dans notre province. Nous devons encourager le plus grand nombre possible de gens à adopter un style de vie différent afin de rester en santé — que ce soit les jeunes qui ne sont pas assez actifs ou les bébés boomers qui approchent de la retraite et qui doivent rester en santé et autonomes le plus longtemps possible.
Le gouvernement peut faire bien des choses, sans se substituer aux citoyens. Il peut travailler avec les citoyens. C'est la voie que nous avons choisie. Nous avons un ministre délégué à la vie saine. Nous avons créé un groupe de travail législatif qui se déplacera pour promouvoir des styles de vie plus sains dans le Nord, dans les régions rurales, dans les villes, et cetera de la province. C'est une première réponse à votre question.
Le sénateur Stratton: Est-ce vrai que les salaires représentent 80 p. 100 du budget de la santé?
M. Selinger: Oui, en général.
Le sénateur Stratton: Même si c'est approximatif, c'est quand même 80 p. 100. C'est une dépense assez difficile à contrôler. C'est une dépense qui existe et qui continuera à exister. Elle ne va pas beaucoup changer.
La principale plainte qu'a la population de tout le pays est le temps d'attente. C'est toujours la même vieille histoire — les patients dans les couloirs. Combien de temps faut-il attendre pour un examen IRM? Combien de temps faut-il attendre pour ceci ou cela? Le même problème existe dans tout le pays. La semaine dernière, par exemple, on a publié un rapport sur le temps d'attente pour des soins en cardiologie. Le temps le plus court est en Alberta et, ce qui est surprenant, le plus long en Ontario; c'est passé à 26 ou 23 jours, quelque chose du genre. Si je me rappelle bien, le temps d'attente est de 11 jours au Manitoba. Nous continuons à faire face à ce problème.
Toute politique est locale; en quoi une moyenne des dix provinces pourrait-elle vous aider à régler ce problème fondamental auquel les Canadiens souhaitent une solution?
M. Selinger: Lorsque je parle à d'autres ministres des Finances, par exemple à ceux des provinces de l'Atlantique, ils font valoir que, dans la plupart des cas, leurs paiements de péréquation sont au moins le double de ce qu'ils reçoivent pour le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le TCSPS. Le TCSPS ne devait pas servir uniquement aux soins de santé; il devait servir à la santé, à l'enseignement postsecondaire et aux services sociaux. Si la péréquation est plus que le double du TCSPS, et que 40 à 50 p. 100 de leur budget sont pour les soins de santé, on comprend alors que la péréquation est essentielle au financement durable d'un régime de soins de santé.
La question des périodes d'attente permet d'évaluer l'efficacité et l'efficience de notre régime de soins de santé. Ça permet au gouvernement fédéral de dire: «Si nous vous donnons plus d'argent pour les soins de santé ou quoi que ce soit, y compris la péréquation, nous aimerions voir des résultats.» Tout le monde comprend cela.
Lorsque nous prenons un engagement important envers les soins de santé, nous demandons à nos régies régionales de la santé et à nos mécanismes de prestations quels résultats nous obtiendrons en retour si nous faisons un effort extraordinaire pour financer leurs demandes. Nous constatons des améliorations considérables. Dans notre province, nous avions un groupe de travail important sur les soins cardiaques. Nous avons décidé de réorganiser le système et de passer d'un modèle à deux sites à un modèle à un site ce qui donne de meilleurs résultats pour les gens. En ce qui a trait au délai d'attente pour une chirurgie orthopédique, par exemple pour le remplacement d'un genou, nous avons l'un des pourcentages les plus élevés et les délais d'attente les plus bas au pays. On pourrait penser qu'il s'agit d'une intervention mineure, mais il y a un nombre considérable de septuagénaires et d'octogénaires qui ont besoin de nouveaux genoux.
Au Manitoba, nous n'aimons pas beaucoup l'idée d'avoir des repères pour l'efficience et l'efficacité du service. Cela ne nous dérange pas d'être tenus responsables des investissements que nous faisons pour les soins de santé et de montrer des résultats, qu'il s'agisse des délais d'attente pour un traitement contre le cancer, de soins orthopédiques, de soins cardiaques ou du temps qu'une personne passe dans un couloir. Nous avons réduit le temps passé dans les couloirs de plus de 80 p. 100 au cours des cinq premières années. Il y a toujours des gens dans les couloirs, mais il y en a beaucoup moins.
Nous avons un site Web où, chaque jour, il est possible de voir combien de personnes sont dans les couloirs. On peut voir la liste d'attente pour certains types de services. Tout d'abord, nous avons rendu l'information publique et accessible et nous l'avons affichée sur des sites Web. Ensuite, nous avons dû rendre des comptes à ce sujet, non seulement à l'assemblée législative mais aussi dans les collectivités pour ce qui est de la façon dont nous exécutons les services.
C'est la seule façon de le faire. Il faut donner de l'information et lancer un débat public sur la question. On se fera toujours critiquer — les partis d'opposition font un excellent travail à cet égard — mais si les statistiques sont là, il est possible de démontrer qu'il y a eu ou non des améliorations réelles et d'aller au-delà des discours politiques pour donner les faits. C'est toujours difficile de le faire en politique, mais il faut y arriver.
Le sénateur Stratton: Je connais des gens qui font du bénévolat dans les salles d'urgence au Manitoba. C'est un véritable chaos parfois. Tout le monde est extrêmement stressé. Le personnel est stressé. Ce n'est que ouï-dire, mais il reste néanmoins que ce sont des gens qui sont aux prises avec ces questions et ces problèmes qui le disent. Il semble que l'on n'ait pas réussi à régler le problème.
Vous pouvez donner des statistiques sur la réduction des attentes dans les couloirs, mais si vous allez dans une salle d'urgence d'un hôpital au Manitoba, et plus particulièrement à Winnipeg pendant le week-end, c'est un véritable chaos. Encore une fois, ce n'est que ouï-dire. On peut nier que cela est effectivement le cas, mais il reste que c'est l'impression. Ceux qui travaillent dans ces salles d'urgence vous diront qu'ils ont atteint et dépassé leur limite.
Comment cette moyenne des dix provinces va-t-elle aider à remédier à la situation?
M. Selinger: Pour qu'il y ait des réformes du régime de soins de santé, il faut des ressources suffisantes. C'est l'argument. Mais vous avez raison. Si l'urgence est le seul point d'accès aux soins de santé la fin de semaine, il y aura nécessairement de la congestion. Il faut offrir d'autres possibilités aux gens qui ont besoin de services de santé. À l'hôpital Misericordia, nous avons un centre de soins d'urgence qui redirige les gens vers des services moins essentiels que l'urgence.
Nous avons ouvert ce que nous appelons des centres d'accès. La difficulté, dans leur cas, c'est d'avoir du personnel prêt à travailler à des heures inhabituelles. On ne peut pas offrir ces services uniquement de neuf à cinq; il faut qu'ils soient disponibles les soirs et les fins de semaine. Il s'agit en outre de centres multidisciplinaires, offrant des services de psychologie, de travail social, d'infirmières, de médecins, et cetera. Les gens doivent savoir que ces services sont offerts à des heures inhabituelles et qu'ils peuvent aller ailleurs qu'à l'urgence.
Nous devons tous adopter cette solution pour les soins de santé primaire et les ressources de rechange pour la population. Mais il faut du personnel pour ces centres, et par conséquent, une rémunération qui les garde sur notre territoire. Voilà le lien direct avec la formule de péréquation et le TCSPS.
Le sénateur Stratton: Nous espérons que le problème se réglera. Malgré l'ouverture de l'hôpital Misericordia dans ce but, le problème demeure. C'est ce que me disent les bénévoles de ce secteur.
Le sénateur Ringuette: Je lis votre exposé. À la page 2, vous déclarez que pendant le dernier exercice, «les paiements étaient inférieurs de 4,7 milliards de dollars aux prévisions budgétaires». Que voulez-vous dire?
M. Selinger: Dans le budget de 2003, on avait fait des projections pour les versements de péréquation. Par suite du ralentissement de l'économie ontarienne, on a recalculé la formule et rajusté les paiements à la baisse, les réduisant de 4,688 milliards. La norme actuelle des cinq provinces a été rajustée à cause des données économiques ontariennes, qui ont un effet sur 50 p. 100 de la formule.
Pendant ce temps, le surplus fédéral a continué de croître au-delà des projections. Nous estimons qu'il n'était pas nécessaire de rajuster la formule à la baisse. On aurait pu en fait l'améliorer, comme le recommandait votre comité, en adoptant la norme des dix provinces pour bonifier les ressources découlant du programme de péréquation, et le coût total aurait tout de même été inférieur à ce qui avait été projeté pour le budget de 2003.
Le sénateur Ringuette: La formule est fixe, mais les 33 éléments qui la composent peuvent varier d'une année à l'autre, selon ce qui se passe en Ontario ou ailleurs au pays. La formule ne change pas. C'est la situation budgétaire des provinces, qui peut changer. On n'ajuste pas la formule à la hausse, ou à la baisse. C'est ce que j'en comprends.
M. Selinger: Je vais demander à M. Neumann de vous répondre.
M. Ron Neumann, directeur, Affaires intergouvernementales, ministère des Finances, gouvernement du Manitoba: Vous avez raison, la formule est fixe. Ce que nous disons, c'est que la norme des cinq provinces est depuis longtemps inadéquate et dépend trop du gouvernement de l'Ontario. La norme des dix provinces serait beaucoup plus équitable et stable à long terme. Cela va à l'encontre de ce qu'on dit couramment. Les gens pensent que la norme des dix provinces serait plus instable, mais notre recherche montre que pour les 17 dernières années, la norme des dix provinces aurait été plus stable et aurait offert des paiements de péréquation plus réguliers.
On s'attendait à ce que le gouvernement fédéral paie plus de 13 milliards de dollars en 2003-2004. Or il n'a versé que 8,7 milliards dans le cadre des accords fiscaux. Cette baisse est due en bonne partie à l'emploi de la norme des cinq provinces. Ainsi, lorsque la situation économique a été difficile en Ontario, les paiements de péréquation pour les autres provinces ont baissé.
Avec la norme des dix provinces, les paiements de péréquation auraient été inférieurs, mais la baisse aurait été moins brusque en 2003-2004 et en 2004-2005.
Le sénateur Ringuette: Un peu plus tôt, vous avez parlé de la situation des soins de santé. Vous pouvez faire de l'extrapolation au sujet de la péréquation, en fonction des différences entre la norme des cinq provinces et celle des dix provinces. Vos calculs tiennent-ils compte du fait qu'au cours des deux dernières années, des fonds fédéraux ont été versés, particulièrement pour les soins de santé, la priorité des citoyens? La somme totale est de près de 38 milliards de dollars.
Comment vous seriez-vous débrouillés, sans votre part de ces milliards de dollars destinés à la santé, en comparaison avec la situation où on aurait appliqué la norme des dix provinces, plus stable, à la péréquation?
M. Selinger: Il s'agit de 38 milliards de dollars sur sept ans. Cette année, dans notre budget, nous présentons un tableau. Environ la moitié des fonds supplémentaires pour la santé sont versés une seule fois, et l'autre moitié, en permanence. Quand on parle de péréquation et de santé, ce qui compte, c'est la durabilité et la prévisibilité.
Les versements ponctuels règlent un problème immédiat, mais préparent une autre crise, dès qu'ils sont épuisés. Je vais vous donner un exemple pratique, que nous avons vu dans le budget de cette année. Le gouvernement fédéral a sagement prévu dans son budget des fonds pour des programmes d'immunisation. Il s'agit d'une subvention ponctuelle, prévue en fin d'année et qu'on nous a promise pour les trois prochaines années. Nous étions sous pression. Nous voulions faire davantage d'immunisation, mais on ne peut faire cela pendant un, deux ou trois ans. Une fois qu'un programme d'immunisation est lancé, il doit se poursuivre. On ne peut pas choisir quelles cohortes seront immunisées. Quand on commence, c'est un programme à long terme.
Il est très frustrant pour les ministres de la Santé et des Finances de savoir qu'un programme est nécessaire, mais qu'il ne sera financé que pendant un, deux ou trois ans et qu'une fois le programme mis sur pied, il doit être permanent. Cela nous rend fou. Le gouvernement fédéral a fait une annonce positive. C'est un objectif public souhaitable, mais l'argent ne sera pas là à long terme. Nous disons que le financement des soins de santé et les paiements de péréquation doivent être prévisibles et durables. Ils ne peuvent pas monter et descendre comme un yo-yo, à la fermeture des livres. Les provinces se retrouvent alors les mains vides, mais avec la responsabilité de programmes dont veulent tous les Canadiens. C'est une chose qui me tient à coeur parce qu'il est vraiment trop injuste pour les provinces de créer ces attentes, et de ne pouvoir y répondre à long terme.
Le sénateur Ringuette: Au sujet de ces programmes d'immunisation, quels sont les pourcentages de financement respectifs des provinces et du fédéral, sur trois ans?
M. Selinger: Nous prendrons tout l'argent du fédéral. Nous nous en sommes servi cette année pour équilibrer le budget. Ensuite, à perpétuité, c'est nous qui payerons.
Le sénateur Ringuette: Je parle des trois prochaines années du programme. Vous avez soulevé ce point de discussion. Au cours des trois prochaines années, quel pourcentage de votre budget provincial y sera investi? Le programme est-il défrayé à 100 p. 100 par le gouvernement fédéral? Est-ce à 80 p. 100 ou à 50 p. 100?
M. Selinger: Cette année, nous avons mis dans le budget l'argent que nous avions. Il s'agit de fonds consentis par le gouvernement fédéral en fin d'exercice. Nous l'avons versé dans notre budget, comme somme de fin d'exercice, selon les exigences de notre vérificateur général. Cet argent financera le programme pour les trois prochaines années. Ensuite, nous en serons responsables à 100 p. 100.
Le sénateur Ringuette: Pour les trois prochaines années, ce programme sera financé dans votre province par le gouvernement fédéral, si je comprends bien.
M. Selinger: On peut dire cela. Je suis généreux dans mon interprétation, pour les fins de la discussion.
On pourrait toujours dire que l'argent ne nous a été donné que pour un an et qu'après, nous en étions exclusivement responsables. Soyons généreux et disons que le programme coûte environ six millions de dollars par an. Nous avons reçu 14 millions de dollars. Il s'agit donc d'un budget pour deux ans et demi. Nous le prenons au complet cette année, et ensuite, nous sommes responsables à 100 p. 100 pour la suite des choses.
Le sénateur Ringuette: Je crois comprendre que cela vous tient tellement à coeur que vous soulèverez la question aux prochaines discussions fédérales-provinciales sur la santé, qui auront lieu cet été.
M. Selinger: Je suis certain que ce sera à l'ordre du jour.
Le sénateur Ringuette: Au sujet de la péréquation, dans la conclusion, vous dites: «La norme des 10 provinces ne devrait pas être compromise par l'exclusion partielle des revenus provenant des ressources naturelles, ce qui créerait un programme de péréquation à deux niveaux.» Un peu plus tôt, vous avez laissé entendre que si on adopte la norme des 10 provinces incluant les revenus des ressources non renouvelables, à long terme, le Manitoba et ma province d'origine, le Nouveau-Brunswick, seraient les perdants. Nous recevrions moins par habitant que dans le cadre de la norme actuelle des cinq provinces.
M. Selinger: C'est exact.
Le sénateur Ringuette: Voulez-vous que nous recevions moins?
M. Selinger: Non. Revenons à la question que vous avez posée plus tôt. On aurait tort d'exclure les revenus provenant de ressources non renouvelables de la formule de péréquation, parce que cela restreint l'assiette. Le problème est le même que pour le fait que l'Ontario représente 50 p. 100 de l'assiette, dans la norme des cinq provinces.
En général, une formule est plus stable quand elle comprend davantage de sources de revenus et quand la moyenne servant au calcul est plus large. Si l'Ontario représente moins de 50 p. 100 de la formule et qu'elle subit un ralentissement économique, l'incidence sera moindre sur les autres provinces. Si l'assiette de la formule est plus grande et comprend les revenus pour les ressources non renouvelables, il y aura moins de volatilité, comme vous l'a expliqué mon collègue, M. Neumann.
D'après un mythe, l'inclusion des recettes provenant de ressources naturelles comme le gaz et le pétrole de l'Alberta ferait subir des crêtes et des creux à la formule. Il est vrai que les prix du pétrole et du gaz varient beaucoup, quoique récemment, c'est surtout à la hausse. Mais sur les 17 années que nous avons étudiées, quand on inclut les revenus provenant de ressources, il y a moins de volatilité que lorsqu'on les exclut.
Si nous voulons une formule plus durable et plus stable pour les Canadiens, en fonction de niveaux de service comparables et de niveaux de taxation comparables, il faut une assiette plus large qui comprend les revenus tirés des ressources naturelles.
M. Neumann: Il y a eu un petit malentendu. Si vous excluez les revenus provenant des ressources, comme certains le proposent, notamment M. Courchene, même avec la norme des cinq provinces, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba recevront moins.
Avec la norme des 10 provinces, toutes les provinces recevront davantage. Mais même avec cette norme des 10 provinces, si les revenus provenant des ressources naturelles sont exclus, les avantages seront minimes pour les provinces qui n'ont pas beaucoup de ressources naturelles, soit le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince- Édouard et le Québec. Pour que la différence soit marquée, il faut adopter la norme des 10 provinces avec l'inclusion de tous les revenus provenant des ressources naturelles.
Le sénateur Banks: Mes questions seront dans la même veine que celles du sénateur Ringuette. Je sais qu'il est difficile de planifier. D'un point de vue microcosmique, tous les gens d'affaires savent qu'il est difficile de planifier quand les revenus sont incertains, ou quand la fluctuation des revenus n'est pas limitée. Nous savons tous qu'il serait bon de pouvoir prédire les revenus, et vivre dans la certitude et la stabilité.
Mais quand la marée monte et descend, toutes les embarcations en font autant. Auriez-vous un commentaire à formuler à ce sujet? Comme l'a dit le sénateur Ringuette, c'est justement ce que permet le programme de péréquation. Je crains qu'on décide d'une solution destinée à régler un problème ponctuel. Nous savons que lorsque les revenus pétroliers et gaziers baisseront, ce qui est maintenant prévisible, la marée baissera. Il n'y a ni garantie, ni stabilité à long terme. Est-il prudent de procéder à un rajustement en fonction d'une si courte période? Est-ce qu'on n'irait pas à l'encontre de la démarche philosophique adoptée dans les années 50?
M. Selinger: Je ne pense pas. D'après mon argument, si l'assiette de revenu à partir de laquelle la péréquation calculée était plus large et si, par exemple, les revenus pétroliers et gaziers baissaient ou disparaissaient, les provinces qui perdraient ainsi des revenus auraient avantage à ce qu'il existe une formule solide pour elles, de même que pour toutes les autres provinces.
Le sénateur Banks: Qui comblerait l'écart?
M. Selinger: L'argent ne serait disponible que s'il l'est vraiment pour le gouvernement fédéral. S'il y a une baisse, il faut se demander de combien. Si le budget baisse, bien entendu, chaque province devra se contenter de moins. Or en ce moment, les provinces ont de moins en moins d'argent, et le gouvernement fédéral, de plus en plus. On rate l'objectif.
Ce ne sont plus les mêmes qui ont des surplus. En outre, il y a une disparité croissante entre les provinces qui n'entrent pas dans le calcul, et celles qui en font partie. Si la formule était plus englobante, chaque province en profiterait. Même l'Alberta, avant la découverte de pétrole et de gaz, était à ses débuts bénéficiaire de la péréquation.
Le sénateur Banks: C'était jusqu'en 1964.
M. Selinger: Exact. Toute province bien avisée essaie de diversifier son économie, pour ne pas dépendre des ressources naturelles, pour son expansion future. C'est une sage décision que prennent toutes les provinces. Elles essaient toujours de renforcer leurs avantages concurrentiels, de renforcer et de diversifier leur base économique afin de ne pas dépendre des paiements de transfert. Je fais souvent une analogie: c'est comme une ligue de sport professionnel, où chaque équipe qui a eu de moins bons résultats, pendant une année, a priorité au repêchage, de manière à être plus concurrentielle à l'avenir. Nous voulons un régime de péréquation qui permet à tous d'être concurrentiel à l'avenir, peu importe la situation sur une période d'un, deux ou trois ans.
Quelles sont les meilleures ligues de sport du monde? Ce sont celles qui ont un bon système de repêchage, une forme de partage des revenus et, dans certains cas, un plafond des dépenses. Dans notre cas, la limite supérieure pourrait être le désir national de gérer plus efficacement notre régime de soins de santé, le partage des revenus serait la péréquation et le repêchage, le fait qu'on donne aux Canadiens des chances égales d'aller vivre où ils veulent, pour bâtir leur avenir.
Le sénateur Banks: Que pensez-vous du régime fiscal représentatif, ou RFR? Je pose la question parce que dans certains cas, le Manitoba et quelques autres provinces n'imposent pas d'impôt ou ne le perçoivent pas. Cela paraît dans la liste des impôts et le régime de péréquation prévoit que vous pourriez percevoir ces recettes, si vous le vouliez.
M. Selinger: Vous parlez des primes pour les soins de santé.
Le sénateur Banks: Non, je parle du régime fiscal représentatif et de son incidence sur le calcul de la péréquation. Êtes-vous satisfait du RFR?
M. Selinger: Nous pensons que c'est le meilleur modèle pour construire le programme de péréquation, parce que c'est celui qui offre un réel potentiel de revenu.
Le sénateur Banks: Et cela, peu importe que vous vous en prévaliez ou pas.
M. Selinger: Oui, c'est pris en compte dans la formule.
Le sénateur Day: Comment croyez-vous que le processus va évoluer, au cours des cinq ou dix prochaines années? Nous venons de prolonger le programme et les paiements existants, pour une année. Au sujet de la santé, on nous a dit que cet été, on mettra dans une salle capitonnée toutes les provinces et le gouvernement fédéral, on verrouillera les portes et personne n'en ressortira avant qu'une entente ait été conclue. Comment pensez-vous qu'on mettra au point le régime de péréquation?
M. Selinger: Je ne pense pas que la solution soit d'enfermer un tas de gens ensemble, et de les laisser ressortir avec un régime que personne ne comprend et qui ne sera pas durable. Lorsque le professeur Lazar a comparu devant vous, il a parlé d'un processus plus ouvert, sur une période un peu plus longue, de six mois à un an, afin que le public ait une meilleure chance de comprendre ces choses et d'en discuter. Je crois que cette idée a du mérite.
Depuis 2000, nous avons vu quelques rencontres de premiers ministres. Soyons francs, les provinces ont tellement besoin d'argent pour leurs systèmes de soins de santé qu'elles sont prêtes à accepter presque n'importe quoi. Mais un an ou deux plus tard, elles constatent qu'elles sont encore en difficulté, malgré les efforts qu'elles ont déployés pour gérer le système.
Il faut prendre plus de temps et, peut-être, parler de certaines vaches sacrées et de la façon dont on réglera ces problèmes, si on veut vraiment que notre régime de soins de santé soit durable et que toutes les régions du pays offrent des chances et des services égaux. Il faut davantage de dialogue et voilà précisément pourquoi nous venons au Sénat, par exemple, pour discuter.
Dans son budget, le gouvernement fédéral a dit voilà, c'est tout, voici comment on procédera. Il n'y a pas eu beaucoup de dialogue à ce sujet, pas même entre les ministres des Finances. Nous avons profité des occasions offertes et le gouvernement fédéral a procédé à quelques rajustements marginaux pour régler les problèmes de certaines provinces. M. Goodale venait de recevoir le portefeuille et il a fait de son mieux. Je pense toutefois que chez les provinces, on craint que si tout est bloqué pour cinq ans encore, il n'y aura pas une bonne occasion de discuter comme il se doit de ce qu'on veut faire pour les cinq prochaines années.
Comme c'est tout ce qu'offre la Constitution, nous pensons qu'il faut une réflexion plus approfondie et peut-être davantage de débats publics, avant d'adopter une solution ferme pour cinq autres années.
Le sénateur Day: Nous sommes d'accord avec vous. Nous espérons que nos délibérations et le deuxième rapport sur cette question contribueront au débat.
Nous nous demandons tous pourquoi le programme de péréquation est devenu si complexe. Vous avez peut-être mis le doigt sur le problème, en disant que très peu de changements ont été faits, des changements marginaux, en réponse aux objections véhémentes de certaines provinces. Est-ce la raison de cette multitude de règles particulières? N'est-il pas possible de revenir en arrière et de simplifier le régime en tenant compte par exemple de toutes les provinces, de tous les revenus, pour concevoir une formule déterminant ce que nous pouvons partager?
M. Selinger: C'est une position que nous appuyons: toutes les provinces, tous les revenus. C'est une formule assez simple et il faudrait tenir compte de tous les revenus, y compris les frais d'utilisateurs, qui sont une source de revenus de plus en plus importante, pour la plupart des provinces. Ce message fondamental créerait une plus grande équité.
Le sénateur Day: Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la moitié des frais d'utilisateurs, les frais de scolarité et d'autres revenus sont exclus de la formule? Qui prétend que c'est ainsi qu'il faut faire?
M. Neumann: Les fonctionnaires fédéraux prétendent que les frais d'utilisateurs sont semblables aux opérations du secteur privé, et que si vous achetez de l'eau, c'est la même chose, que vous l'achetiez de la municipalité ou du secteur privé. Voilà pourquoi les frais d'utilisateurs ne créent pas ce qu'ils appellent des avantages fiscaux nets, soit des différences entre les provinces; on les assimile à des programmes du secteur privé et on les exclut.
Aux yeux des provinces, bien entendu, c'est très différent: elles estiment qu'il s'agit de programmes publics, que la communauté en partage les coûts et que les frais d'utilisateurs sont une façon de partager ces coûts. Ces frais ne tiennent souvent pas compte du coût total d'un produit, entre autres choses.
Dans ce débat, les représentants du fédéral estiment que tous les frais d'utilisateurs doivent être exclus, contrairement aux représentants des provinces. Ceux qui sont inclus actuellement le sont à 50 p. 100. Bon nombre de frais d'utilisateurs ne sont pas du tout pris en compte par la formule. Je pense par exemple aux frais de scolarité et aux frais des foyers de soins personnels pour l'assurance-médicaments, entre autres. Tous ces frais sont fonction d'une évaluation des revenus et à mon avis ils doivent être inclus pour cette raison. Selon les revenus de ses citoyens, chaque province a une capacité différente d'obtenir de l'argent pour ses services.
Tout d'abord, j'aimerais que les frais d'installation soient inclus intégralement et que la liste actuelle englobe les autres frais fondés sur le revenu.
Le sénateur Day: Pourrait-on parler des richesses naturelles pendant un instant? Cela semble être un secteur problème. Les recettes tirées des richesses naturelles de l'Alberta sont exclues à cause de leur poids disproportionné et du fait que vous êtes assujettis à la norme des cinq provinces. Des règles spéciales s'appliquent aux richesses naturelles des autres provinces comme, par exemple, les recettes réputées avoir été reçues des concessions publiques, et ainsi de suite.
Quantité de règles particulières ont été conçues. Est-ce parce que le gouvernement fédéral a l'argent et que les provinces bénéficiaires aimeraient mettre la main dessus, de sorte qu'elles acceptent, à contre coeur, tout ce que le gouvernement fédéral peut proposer pour y avoir accès?
M. Selinger: La réponse simple, c'est que la norme des cinq provinces existe pour réduire l'apport du gouvernement fédéral au programme de péréquation. Au moment où il essayait de régler d'autres gros problèmes, dont son propre déficit, cela n'a été qu'un mécanisme parmi d'autres pour diminuer sa contribution.
Cela a eu pour conséquence une disparité accrue entre les régions, qui est source d'inefficacité, et c'est pourquoi j'ai parlé de l'article du professeur Wilson. Il y a des gens qui décident où s'installer en fonction de leur solde fiscal au lieu des données fondamentales, qui devraient guider le choix de l'endroit où s'installer ou installer leur entreprise. L'Alberta, par exemple, est un véritable aimant pour les jeunes.
Je vais vous donner un exemple. Avant la conclusion de l'entente-cadre sur l'union sociale, un bon ami à moi a déménagé en Alberta. Il voulait faire venir son père, qui souffre de la maladie d'Alzheimer, mais il n'a pas pu lui trouver une maison d'hébergement. C'est donc le Manitoba qui soigne son père, qui souffre d'Alzheimer, alors que son fils gagne un bon revenu en Alberta, où il paye ses impôts. Il y a une injustice ici. Certaines provinces s'occupent des personnes âgées tandis que d'autres attirent les jeunes grâce à leurs richesses naturelles et des débouchés qui ne sont pas offerts ailleurs.
S'il y a un régime de péréquation, la personne décidera où s'établir en fonction des mérites propres de chaque province, de ses possibilités de carrière et de considérations familiales. La solution offerte par l'entente-cadre, c'est qu'elle interdit d'établir des distinctions en fonction de l'origine des gens: la transférabilité est un élément essentiel de notre Constitution. Cela crée toutefois un problème.
On ne peut pas laisser les provinces de l'Atlantique s'occuper de tous les vieux si tous les jeunes sont dans les Toronto, Vancouver et Alberta du pays sans avoir une formule qui rééquilibre les choses. La population est en baisse à Terre-Neuve, par exemple, même si elle tire de bons revenus du pétrole et du gaz extracôtiers. Il faut offrir des possibilités qui convainquent les jeunes d'y rester et d'y faire leur avenir. Ce devrait être le cas dans toutes les provinces. Tous y gagneront si l'on agit ainsi. Il n'est avantageux pour personne que la population se concentre en deux ou trois endroits et que les autres assurent les soins au pays.
Le sénateur Day: Vous avez dit qu'il faut mettre fin aux fluctuations que subissent les provinces bénéficiaires de la péréquation. Pour pouvoir mieux planifier, vous voudriez avoir des revenus stables, prévisibles. Une fraction importante des paiements de péréquation est consacrée aux soins de santé. Ne pourriez-vous pas avoir une plus grande prévisibilité, par contre, si vous pouviez négocier une meilleure entente en matière de santé puisque cet argent va à tout le monde et est prévisible sur le long terme? Cela ne serait-il pas préférable à essayer de faire assumer une partie de vos coûts de santé mentale par la péréquation?
M. Selinger: Les paiements de transfert pour les soins de santé s'acheminent de plus en plus vers un paiement par habitant identique. Cela ne règle pas le problème soulevé par le sénateur Stratton. Si l'Alberta reçoit le même montant par habitant que le Manitoba, cela ne comble pas l'écart entre les deux provinces qui se disputent les mêmes professionnels. Cela risque même d'exacerber le problème.
La formule de péréquation fait office de balancier dans notre fédération. Quand les recettes d'une province baissent, la péréquation vient compenser et assure une certaine stabilité en permettant d'offrir à peu près les mêmes niveaux de service pour à peu près le même fardeau fiscal. Dans notre système, la péréquation est un stabilisateur automatique.
Je vais vous donner un autre exemple. Il y a quelques années, vous vous en souviendrai peut-être, le gouvernement fédéral a fait une erreur comptable. On nous a accordé des sommes que nous n'aurions pas dû recevoir à cause de la formule de calcul employée par le gouvernement fédéral. Le ministre du Revenu national m'a dit avoir déduit 168 millions du versement du dernier trimestre et demandé d'en discuter avec moi pour régler le problème. Il va sans dire que je tenais à régler le problème puisque je faisais face à un trou de 700 millions de dollars.
Notre argument était que si le gouvernement fédéral nous enlevait ce revenu fiscal à cause de son erreur, la péréquation compenserait automatiquement. Au début, le gouvernement fédéral ne voulait pas. Nous avons déniché un précédent de l'époque de Mike Wilson, qui avait eu un problème semblable 10 ans plus tôt et j'ai pu convaincre le ministre des Finances de l'époque, M. Paul Martin, que ce précédent pouvait être invoqué dans notre situation. Au bout du compte, c'est ce qui est arrivé. La péréquation a compensé. Grâce à elle, nous avons récupéré environ 70 p. 100 de ce que nous avions perdu. Il est certain que cela a atténué l'effet de cette perte de revenu que nous n'aurions pas du subir à cause de l'erreur initiale.
Au même moment, il a fallu faire un choix. Nous sommes la seule province au pays qui partage l'impôt sur le revenu des particuliers et l'impôt des sociétés avec les municipalités de manière à leur donner une plus grande capacité fiscale. Il nous a fallu décider si nous allions déduire le montant causé par l'erreur de ce que nous leur avions versé depuis 10 ans. Nous avons décidé de ne pas le faire parce que cela aurait déstabilisé les municipalités. Nous avons encaissé la perte pour stabiliser leurs recettes et régler le problème avec le gouvernement fédéral.
La formule fédérale de péréquation ne devrait pas faire subir de choc violent aux provinces même si c'est ce que dicte son application stricte. Elle devrait être renégociée pour assurer une plus grande stabilité et prévisibilité pour que nous puissions bénéficier en gros des mêmes services pour à peu près le même fardeau fiscal. C'est une façon plus juste de procéder. Nous appliquons cette règle dans la façon dont nous traitons nos municipalités.
Le sénateur Day: Je vous demanderais maintenant de sortir des sentiers battus. C'est la Saskatchewan, je crois, qui a suggéré que la totalité des richesses naturelles soit placée dans une catégorie distincte. Toutes les recettes provenant des richesses naturelles seraient assujetties à une formule distincte. Toutes les redevances seraient mises en commun en vertu d'un programme distinct de la péréquation. Le gouvernement fédéral n'aurait rien à y voir, à moins peut-être de se charger de son administration. Est-ce quelque chose qui pourrait marcher?
M. Selinger: Ce n'est pas une idée que j'ai examinée, mais je pense que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle. Une formule comme celle-là lui enlèverait sa fonction redistributive. Les provinces pourraient finir par s'en vouloir si elles devaient partager directement les recettes tirées de leur richesse naturelle. Je ne pense pas que ce serait une bonne idée. Cela pourrait très bien créer la désunion. Après tout, le gouvernement fédéral est là pour égaliser, donner à chacun une juste possibilité de participer et de jouir des mêmes droits de citoyenneté.
Ce n'est pas une suggestion utile. Ce ne ferait que réduire une fois de plus la légitimité du gouvernement fédéral. Si nous voulons que la fédération soit forte, il faut que l'on puisse voir et comprendre le gouvernement fédéral dans son action d'égalisation des droits des citoyens au pays.
Sur ce point, une des raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral est tiède vis-à-vis de la péréquation, c'est qu'il estime ne pas recevoir suffisamment de mérite pour la contribution qu'il y fait. Il faut s'en occuper. Nous sommes à un moment où les provinces ne peuvent pas empocher l'argent et se mettre à se plaindre le lendemain.
Au Manitoba, nous disons que s'il y aura plus d'argent pour la santé, nous sommes prêts à rendre compte de la façon dont nous le dépensons et des résultats que nous obtenons. Avec la péréquation, il faut rendre son dû à qui de droit sans lésiner.
Le sénateur Day: Vous ne refuseriez pas de rendre davantage de comptes? L'argent censé aller à l'enseignement irait bien là?
M. Selinger: Le gouvernement provincial ne peut pas demander des comptes à ces établissements s'il n'en rend pas lui-même.
Le problème, c'est que certaines provinces ne veulent pas en rendre au gouvernement fédéral. Elles ne veulent rendre des comptes qu'à leurs citoyens. Le résultat net est le même. Si nous sommes comptables à nos citoyens, nous le sommes aussi les uns aux autres comme gouvernements. Aucun gouvernement ne peut nier l'obligation d'être comptable à ses citoyens pour la répartition des ressources et les résultats obtenus grâce à ses divers mécanismes de prestation. Si l'on voit les choses de cette façon, tout le monde s'en trouvera bien mieux.
Le sénateur Doody: Monsieur le ministre, je crois comprendre qu'à votre avis, toutes les recettes devraient être incluses dans la formule?
M. Selinger: Oui.
Le sénateur Doody: Cela comprend-il toutes les recettes tirées des richesses naturelles?
M. Selinger: Oui.
Le sénateur Doody: On ne devrait pas tenir compte de l'amortissement. Les recettes produites par le pétrole extracôtier d'Hibernia, au large de Terre-Neuve, vont disparaître dans 20 ans. Or, la province a déjà perdu 80 p. 100 de la valeur de cet actif à cause de la péréquation.
Vous voulez un programme fixe pour toutes les recettes, rien ne compenserait les provinces qui perçoivent un loyer, pour ainsi dire, des ressources extracôtières ou souterraines. N'accepteriez-vous pas d'envisager une sorte de facteur de compensation pour ces provinces?.
M. Selinger: Je comprends ce que vous voulez dire. Celui qui se fait imposer à 100 p. 100 parce qu'il a plus de recettes extracôtières ou autonomes peut avoir le sentiment de se retrouver enfermé dans un «cercle vicieux». La province qui produit plus de recettes autonomes les perd en totalité. Dans le cas de la Saskatchewan, d'après certains travaux, la perte est supérieure à 100 p. 100. Il est certain que cela créé du ressentiment. C'est injuste pour cette province.
J'accepte néanmoins cet argument. Personne ne veut se retrouver pire qu'avant pour avoir cherché à mettre en valeur ses richesses naturelles.
Le sénateur Doody: Si la tendance se poursuit — si les provinces ne tirent aucun avantage pécuniaire de leurs propres richesses naturelles — on va commencer à se demander si cela vaut la peine de les extraire.
M. Selinger: C'est un bon argument. C'est la même chose dans les Territoires du Nord-Ouest qui soutiennent verser davantage au gouvernement fédéral qu'ils n'en reçoivent à cause de l'essor phénoménal de l'industrie diamantaire. Toutes les richesses naturelles des territoires relèvent encore du gouvernement fédéral.
C'est énormément frustrant de voir que malgré tous ces efforts, on piétine ou même on régresse.
Le sénateur Doody: Ce qui est frustrant, c'est que les provinces n'ont qu'une voie consultative au sujet de ces programmes. C'est un programme entièrement financé par le gouvernement fédéral en vertu de lois fédérales.
M. Selinger: Oui.
Le sénateur Doody: Ce n'est pas seulement une question de justice, c'est aussi une source de grande frustration.
J'ai aussi des questions à propos de la norme des 10 provinces. Dans quelle mesure le Manitoba s'en serait-il mieux tiré selon la norme des 10 plutôt que des cinq provinces?
M. Selinger: La norme des 10 provinces nous aurait donné 300 millions de dollars de plus par année, soit entre 3 et 4 p. 100 de plus.
Le sénateur Spivak: Quelles provinces sont du même avis que vous? Comme la question a été mise de côté pour un petit moment, dans quelle instance va-t-on essayer sérieusement de régler le problème?
Le débat fédéral-provincial autour des compétences m'étonne toujours. S'il doit s'agir des mêmes services pour les mêmes impôts, on parle de l'égalité entre citoyens. Que le pétrole soit à Terre-Neuve ou en Alberta, ça ne devrait pas compter. Les autres Canadiens devraient l'avoir en partage. Je sais que je dis là une hérésie, mais c'est ainsi que cela devrait être si nous sommes un pays.
Pour moi, la question ne se réglera jamais si les provinces riches en ressources naturelles et inflexibles sont braquées contre celles qui n'en ont pas. Qu'en pensez-vous?
M. Selinger: Pour être juste à l'endroit des premiers ministres provinciaux, ils ont tous convenu que la norme des 10 provinces est l'objectif souhaité. Ils y ont souscrit par écrit à Victoria quand Mike Harris était premier ministre de l'Ontario. En principe, toutes les provinces l'acceptent. Évidemment, ça ronchonne en coulisses. Quand ils sont venus à la table comme chefs du gouvernement, ils ont convenu que la norme des 10 provinces était l'objectif souhaité pour le programme de péréquation. Cela comprenait Ralph Klein de l'Alberta et Mike Harris de l'Ontario. Il m'a semblé que c'était une percée importante.
Depuis des années, l'île-du-Prince-Édouard rappelle que les premières négociations sur le TCSPS devaient porter sur les soins de santé. En 2000, on s'est entendu pour que le prochain cycle porte sur la péréquation. On n'y est pas encore tout à fait. L'ancien ministre des Finances de l'Île-du-Prince-Édouard, qui vient de prendre sa retraite, le rappelait à chaque rencontre sans mettre des gants blancs: il a fallu négocier sur la santé pour obtenir des améliorations, mais nous n'avons pas amélioré la formule de péréquation. Les premiers ministres provinciaux et le premier ministre fédéral devront aboutir à une entente là-dessus lorsqu'ils se réuniront.
Ce que dit le sénateur Day est important. Je ne pense pas que cela puisse se faire en une fin de semaine la prochaine fois. Si l'on veut une solution à long terme, il faudra peut-être y consacrer un peu plus de temps.
Le sénateur Spivak: Êtes-vous en train de dire que l'on s'entend sur la norme des 10 provinces mais pas sur les recettes tirées des richesses naturelles?
M. Selinger: Je pense que l'on s'accommode de l'inclusion. L'Alberta soutient qu'il y a beaucoup de volatilité et que même si sa province est pleine aux as aujourd'hui, il pourrait y avoir des jours sombres. C'est bien ce qui lui est arrivé quand les cours du pétrole et du gaz ont chuté de façon spectaculaire. Nos travaux empiriques montrent toutefois que dans la durée, sur 15 ou 20 ans, les recettes venant des richesses naturelles créent moins de volatilité dans l'ensemble que la formule actuelle.
Le sénateur Spivak: Percevez-vous un désir des partis de se pencher sur la question? Il est certain qu'une campagne électorale n'est pas le bon moment pour s'occuper de choses sérieuses, pour citer les paroles fameuses de Kim Campbell. A-t-on pris des positions fermes sur la question?
M. Selinger: Je ne sais pas dans quelle mesure les partis ont affiché leurs couleurs. J'en ai parlé avec plusieurs ministres des Finances des provinces de l'Atlantique — dont la plupart sont maintenant des conservateurs — et ils me disent que le nouveau chef fédéral du Parti conservateur est ouvert à une meilleure formule de péréquation. Je ne sais pas si cela a été dit en public, mais il semble que cela l'ait été dans des rassemblements politiques partisans, en vue des élections.
Le sénateur Spivak: Il n'y aura pas de muraille autour de l'Alberta?
M. Selinger: Je ne pense pas. Quand on devient chef d'un parti fédéral, il faut commencer à penser au pays tout entier. À partir de ce moment-là, vos positions s'adoucissent.
Le président: Monsieur le ministre, on est en fort piteux état quand sur une question vitale le gouvernement fédéral et les provinces n'arrivent même pas à définir le problème. Ils n'arrivent même pas à s'entendre sur les faits.
Prenez la question du «déséquilibre fiscal». C'est M. Séguin qui a créé l'expression. Avant de revenir en politique et de devenir ministre du gouvernement Charest, il a dirigé une commission d'enquête pour le gouvernement Landry. Il a examiné la croissance future des recettes du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux ainsi que la croissance future des dépenses de chacun. Il est arrivé à la conclusion que les recettes du gouvernement fédéral allaient largement dépasser ses obligations de dépenses dans les prochaines années et que les dépenses des provinces allaient largement dépasser leurs recettes pendant la même période. Cela menait à une série de surplus fédéraux sains et de déficits provinciaux malsains.
Quand il a entendu cela, le gouvernement fédéral a déclaré qu'il s'agissait d'un mythe. Le ministre des Affaires intergouvernementales de l'époque, M. Dion, l'a dit aussi. Son argument était que personne ne pouvait prévoir quels programmes le gouvernement fédéral voudra peut-être créer dans l'avenir. Il a dit que l'on ne peut pas créer une politique en se basant sur ces projections; c'est un mythe et oublions-le. Je n'ai rien entendu qui m'amène à croire que le gouvernement actuel, sous M. Martin, a une vue différente au sujet de ce déséquilibre fiscal fédéral-provincial.
Prenez la santé, dont on a discuté ici. Des campagnes de communications provinciales prétendent que le gouvernement fédéral ne contribue que 14 p. 100, je crois, des coûts de la santé. Le gouvernement fédéral peut produire des chiffres qui montrent qu'il paie à peu près 40 p. 100 des coûts. Vous et moi avons beau soutenir telle ou telle position, cela ne fait pas avancer le débat d'un poil. Toute cette discussion, c'est de la fantasmagorie.
Je me demande si les gouvernements fédéral et provinciaux ne devraient pas, faute d'un regard neutre, jeter conjointement un regard sur toute la question des relations fiscales fédérales-provinciales. Il y a eu quelque chose de ce genre avant votre naissance — presqu'avant la mienne — qui s'appelait la commission Rowell-Sirois, il y a bien longtemps. Dans les années Pearson, un comité du régime fiscal, composé des ministres des Finances des provinces et du gouvernement fédéral ainsi que de plusieurs ministres fédéraux, a examiné les responsabilités de dépenses probables ainsi que les recettes probables des deux niveaux de gouvernement. Un comité de la Chambre des communes, sous la direction de Herb Breau, a fait quelque chose du même genre dans les années 80.
La péréquation s'inscrit dans un problème plus vaste. D'autres s'y sont attaqués. Je me demande s'il ne serait pas temps de tenter à nouveau de s'attaquer à la question d'une manière globale. Je ne pense pas que ce dialogue — si c'en est un — réussit à faire le moindrement progresser la compréhension dans la population et encore moins l'élaboration d'une politique juste.
M. Selinger: Vous dites quelque chose d'important, sénateur Murray. Cela produit beaucoup de chaleur et pas nécessairement beaucoup de lumière lorsque les gens se sentent au désespoir quand il s'agit de financer leurs programmes. Ces points de vue se ramènent à des spots de 20 secondes à la télévision nationale. Cela n'ajoute pas beaucoup au débat.
D'autres pays ont des commissions qui examinent la péréquation et formulent des recommandations difficiles à écarter. C'est le cas de l'Australie et de l'Inde. Je sais que le professeur Lazar en a parlé. C'est un mécanisme que l'on pourrait utiliser.
Les provinces, sous la direction du Québec, ont proposé le modèle du Conseil de la Fédération pour essayer d'ajouter un fonds de recherche à la discussion sur les relations fiscales et autres. C'est une idée que nous favorisons parce que nous pensons qu'il n'y a que du bon à tenir une discussion éclairée même si la discussion est encore pour le compte des provinces.
Il faut élever le débat. Il faut l'asseoir davantage sur la recherche. Il faut cesser de se rejeter le blâme et se placer à un autre niveau. Comme je l'ai dit tout à l'heure — excusez-moi de l'analogie sportive — une ligue qui a du succès dispose de mécanismes qui lui permet de s'équilibrer et de s'assurer que tous ses éléments sont compétitifs. Certains de ces mécanismes transcendent les intérêts partisans des propriétaires d'équipe. Ils doivent aller au-delà pour s'assurer que la ligue est compétitive.
Il nous faut aller au-delà des points de vue partisans de tel ou tel palier de gouvernement ou parti politique de manière à disposer de règles fondamentales de relations fiscales qui nous profitent à tous. Il faut que ces règles soient justes, transparentes, ouvertes et mûrement réfléchies lorsqu'elles sont renouvelées. Elles devront toujours être renouvelées. Il n'y a pas de formule idéale. C'est un processus continu. Comment faire pour que ce processus soit plus et mieux réfléchi. En son temps, le rapport de la commission Rowell-Sirois a fait époque. Plus tard, les provinces ont cédé tout leur espace fiscal au gouvernement fédéral pour la deuxième guerre mondiale. Une partie leur a été rendue par diverses ententes destinées à financer les programmes sociaux que nous avons créés après la deuxième guerre mondiale. Dans les années 70 et 80, le gouvernement fédéral a commencé à se retirer de ses engagements moitié-moitié et autres à cause des difficultés qu'il avait à équilibrer son budget en période de ralentissement économique. Il y a ensuite eu le retrait radical des années 90.
Dans le nouveau millénaire, la nation est en meilleure santé budgétaire. Économiquement, nous avons évité l'une des plus graves récessions au monde dans les dix dernières années ou à peu près. L'occasion est bonne de revoir le cadre fiscal du pays. Un mécanisme quelconque à l'écart du tohu-bohu quotidien de la politique et des cycles électoraux serait utile...
Le sénateur Spivak: ... comme un comité sénatorial.
M. Selinger: Ce n'est pas un mauvais endroit pour amorcer la discussion parce que vous ne faites pas face à un échéancier rapproché d'élection et vous pouvez prendre plus de temps pour réfléchir. Un mécanisme qui rassemblerait les parties à l'extérieur du cycle électoral et qui ferait intervenir une réflexion à long terme serait bon pour le pays.
Nous continuons de créer des mécanismes non politiques, en un certain sens, comme le commissaire à l'éthique, le protecteur du citoyen ou le vérificateur général. Tous sont des professionnels qui ne sont pas forcément élus. Les politiques peuvent jouer un rôle constructif s'ils sont dans la bonne instance. Je n'exclurais pas les politiques.
Le président: Je crois que le régime fiscal créé dans les années Pearson était bon. Le comité de la Chambre des communes de Herb Breau dans les années 80 a fait du bon travail. Vous avez fait allusion à un des graves problèmes, et il ne s'agit pas simplement des cycles électoraux. Les ministres des Finances fédéral et provinciaux qui subissent les pressions du jour et à la date butoir d'un budget et à toutes les autres pressions, et les premiers ministres fédéral et provinciaux vont essayer de résoudre leurs problèmes à court terme le plus rapidement possible. Dans le cas des premiers ministres provinciaux, à la veille des élections fédérales de 2000, ils se sont réunis et se sont vus offrir un marché par M. Chrétien; au lieu de tenir pour obtenir quelque chose à plus long terme, ils ont empoché l'argent et tourné les talons. C'est pourquoi je pense qu'il faudra une démarche à long terme sur les principes et les priorités dans tout le secteur des relations fiscales fédérales provinciales.
La plupart de ceux qui suivent le débat n'arrivent pas à le comprendre. Moi non plus.
Le sénateur Statton: Nous avons une bonne discussion sur les soins de santé. J'aimerais maintenant parler des richesses naturelles. Les provinces moins bien nanties comme Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse ont aujourd'hui les ressources extra-côtières qui, dans une grande mesure, sont victimes de la récupération fiscale. Que proposeriez-vous pour leur permettre de s'approcher de l'équilibre comme provinces pauvres? Cette question sera sur la table sur le long terme et il faut trouver une réponse.
M. Selinger: La réponse la plus simple, le sénateur Day l'a déjà donnée. Il faut une formule simple, facile à comprendre, qui est avantageuse pour tout le monde et qui est renouvelée régulièrement.
Nous devrions peut-être songer à indexer la péréquation sur le PIB. Par exemple, j'ai dit tout à l'heure que la péréquation représentait auparavant 1,34 p. 100 du PIB et que ce pourcentage est tombé à 0,72 p. 100. Et si nous disions que nous voulons que la péréquation représente toujours de 1,2 à 1,5 p. 100 du PIB et que nous renouvellerons la formule tous les cinq ans pour nous assurer qu'elle fasse cette contribution à l'économie? Ce serait un repère qui nous permettrait de faire preuve de créativité et d'innovation dans notre manière d'adapter la formule pour tenir compte de facteurs comme les ressources naturelles, le développement hydroélectrique et une économie fondée sur l'innovation. Tous ces facteurs continuent à évoluer dans un contexte soi-disant mondial. Or, nous ne savons plus où nous en sommes.
Nous prétendons que les paiements ont diminué alors que le gouvernement fédéral prétend que les versements aux provinces ont augmenté. Personne ne parle du pourcentage du PIB. Puis lorsqu'on soulève la question des points d'impôt, tout le monde roule les yeux. Je demande à M. Neumann comment je pourrais expliquer cela à la population.
Il serait utile d'établir des repères. C'est ce que nous avons commencé à faire pour l'aide étrangère. Nous avons dit que le gouvernement doit prendre un certain engagement en matière d'aide étrangère.
Le président: Et en matière de défense nationale? Mais, où est-ce qu'on s'arrête?
M. Selinger: Si le transfert assure l'égalité des chances et s'il y a une fourchette qu'on décide d'utiliser pour la formule, que ce soit en termes de PIB ou d'une autre mesure, cela nous donnerait un repère qui nous permettrait de déterminer si nous sommes sur la bonne voie. C'est une idée.
M. Neumann: La formule de péréquation ne peut pas tout faire. La formule a été créée en vertu de la Constitution de manière à fournir des services raisonnablement comparables pour des niveaux d'imposition raisonnablement comparables. Il faudrait toujours garder ce principe directeur à l'esprit. C'est ainsi qu'on assure l'équité et l'efficience économique.
Le paragraphe 36.(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 vise la réduction des disparités économiques régionales. Le gouvernement fédéral a certainement joué un rôle en encourageant la mise en valeur des ressources extracôtières de Terre-Neuve. Certains commentateurs prétendent que le programme de péréquation empêche les provinces d'exploiter leur potentiel économique, mais je n'ai jamais vu de preuve de cette affirmation. Voisey's Bay est l'exemple que tout le monde mentionnait. On disait que Terre-Neuve n'exploitait pas Voisey's Bay aussi rapidement qu'il aurait pu le faire. J'ai toujours dit que nous devrions attendre; qu'ils obtiendraient une entente meilleure que cela n'aurait été le cas sans programme de péréquation. Ils n'avaient pas le couteau sur la gorge pour accepter une entente avant la péréquation.
À la fin, ça s'est réglé. Terre-Neuve a négocié une bonne entente pour Voisey's Bay. Je n'ai jamais vu une province refuser les emplois, l'activité économique et les revenus provenant de la mise en valeur des ressources naturelles simplement pour recevoir des paiements de péréquation. Je n'ai jamais vu cela.
M. Selinger: Sur ce point, voyez les facteurs qui incitent une entreprise à s'installer à un endroit plutôt qu'à un autre. Elle tient compte de la qualité de vie qu'auront ses employés — les écoles, les services, les niveaux d'imposition, le prix des résidences et les activités récréatives disponibles. Puis, elle prend une décision en se fondant sur les facteurs commerciaux et sur la possibilité d'attirer les compétences dont elle a besoin.
Si nous n'avions pas de programme de péréquation, il y aurait beaucoup plus de perdants que de gagnants dans ces décisions d'affaires. Je pense que M. Neumann a dit quelque chose de très important. Avec les deux éléments du programme de péréquation, nous pouvons encore faire preuve de créativité pour tenir compte de la mise en valeur des ressources naturelles, du développement hydroélectrique ou de toute autre forme de développement, qu'il s'agisse d'une entente de développement économique fédérale-provinciale pour Winnipeg ou pour le port de Toronto ou pour les ressources naturelles extracôtières. Nous pouvons toujours conclure des ententes bilatérales créatrices et obtenir de bons résultats.
Le sénateur Stratton: Selon les prévisions, les surplus budgétaires du gouvernement fédéral seront limités pour cet exercice et le suivant. Je suis certain que vous avez regardé les prévisions à plus long terme selon lesquelles les surplus budgétaires devraient s'accroître considérablement. Avez-vous examiné cela?
Selon les prévisions pour 2005-2006, les surplus pourraient atteindre jusqu'à 9 à 10 milliards de dollars. Pourvu qu'ils ne gaspillent pas l'argent bêtement comme ils l'ont déjà fait à la fin de l'exercice, s'ils tiennent compte du fait qu'il y a des problèmes fondamentaux au pays, notamment en ce qui a trait aux soins de santé et à l'infrastructure, et s'ils s'en tiennent à cela, il serait alors possible de régler ces problèmes. Cela serait-il possible? Je suis certain que vous avez examiné cela.
M. Selinger: Le Conference Board du Canada confirme ce que vous venez tout juste de dire. Nous pensons que le gouvernement fédéral n'est pas obligé de risquer de se retrouver encore une fois avec un déficit pour régler certains de ces problèmes fondamentaux en ce qui a trait aux ressources. Nous devons tous travailler ensemble pour voir comment nous pouvons gérer les services essentiels de façon à optimiser les ressources. Il est possible de faire ces deux choses tout en tenant compte de nos réalités fiscales habituelles. Chaque jour, tout porte de plus en plus à croire que ce soit le cas.
Le sénateur Banks: Nous ne devrions plus songer à réduire la dette à long terme, n'est-ce pas?
Le sénateur Stratton: Non, non. Il est possible de ramener le ratio entre la dette et le PIB à 25 p. 100 en 10 ans en ne faisant rien du tout. Il suffit de permettre à la croissance économique de le ramener à 25 p. 100. Cette croissance réduit chaque année les frais de service de la dette de 37 milliards de dollars. C'est la formule magique.
Le sénateur Banks: On peut le faire en remboursant le principal. Je voudrais poser une question au témoin. Vous et moi en parlerons plus tard.
Le sénateur Stratton: Merci.
Le sénateur Banks: Au sujet de la fourchette du PIB dont vous parliez tout à l'heure, monsieur le ministre, je dois admettre que je suis plutôt l'exception en Alberta: je suis l'un des rares à croire à un gouvernement central fort. Pensez- vous vraiment — et si je voulais pinailler, je dirais est-ce que vous vous attendez vraiment à ce que nous vous croyions — que si on établissait cela, tout le monde serait satisfait pendant longtemps et les gens ne viendraient plus dire que ce n'est pas suffisant, qu'ils ont besoin de plus?
M. Selinger: Il ne fait aucun doute qu'au sein d'une fédération, chacun veut toujours en avoir davantage pour répondre à ses besoins — que ce soient les municipalités, les commissions scolaires ou les gouvernements provinciaux — et ils demandent toujours au palier de gouvernement qui est juste au-dessus de répondre à ses préoccupations. Je pense que cela ne fait aucun doute. C'est pour cette raison que j'ai dit que non seulement il nous faut améliorer la formule, mais nous devons également améliorer la reconnaissance et le rôle que le gouvernement fédéral joue à cet égard. Cela exige une certaine discipline de la part des hommes et des femmes politiques, ce qui est difficile étant donné qu'ils cherchent à marquer des points politiques. Par définition, bon nombre de politiciens ont l'esprit d'entreprise dans la façon dont ils s'acquittent de leurs tâches. Ils cherchent à avoir un avantage par rapport à leurs concurrents. Cela fait partie du modèle pluraliste selon lequel nous fonctionnons. À cela vient s'ajouter un système fédéral qui comprend trois paliers de gouvernement qui se font tous concurrence à certains égards pour obtenir l'attention des citoyens en ce qui a trait à l'affectation de leurs ressources.
Non, cela ne va pas résoudre tous ces problèmes, mais cela permettra de circonscrire le débat et de nous concentrer sur les résultats et de réduire les plaintes perpétuelles au sujet du manque de ressources et du déséquilibre fiscal. On veut que le débat permette d'en arriver à des résultats positifs pour les citoyens. Plus il sera possible d'aller dans cette direction, le mieux ce sera pour notre pays.
Le sénateur Banks: Si on est d'accord avec l'idée d'un tel niveau préétabli, cela se rapproche énormément de l'idée d'un impôt spécialement affecté, n'est-ce pas?
M. Selinger: Je n'allais pas aussi loin que cela. Je disais simplement que c'est un repère qui nous permettrait d'évaluer si le programme fait ce qu'il était censé faire. Je voulais que l'on s'éloigne du débat visant à déterminer si le montant augmente, diminue ou quoi que ce soit, afin d'évaluer plutôt de façon objective si le programme est adéquat et s'il répond aux besoins.
Le sénateur Doody: J'ai été étonné lorsque le ministre a énuméré les atouts qui attirent l'investissement de la part d'une entreprise — la qualité de vie, les écoles, et cetera. Je songeais à Voisey's Bay, et je tentais de concilier les deux. Il me semble que le minerai dans le sol est un facteur qui a contribué à l'investissement. Merci.
M. Selinger: Je dirais que les ressources naturelles sont le principal facteur. Cependant, 72 p. 100 de notre économie est dans le secteur des services à l'heure actuelle. Le monde se dirige de plus en plus vers une économie de services.
Le sénateur Doody: Lorsqu'il n'y aura plus de nickel et de pétrole, ce sera la même chose pour nous.
Le président: La position du Manitoba est très bien réfléchie, et elle a été présentée très clairement à notre comité. Je vous remercie, monsieur le ministre, et monsieur Neumann, de nous avoir fait part de votre point de vue. C'est un sujet extrêmement important. Votre témoignage nous a été très utile.
La séance est levée.