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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 3 - Témoignages du 16 mars 2004


OTTAWA, le mardi 16 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (conseiller sénatorial en éthique et commissaire à l'éthique) et certaines lois en conséquence, qui nécessitent l'approbation du Sénat, se réunit aujourd'hui à 9 h 34 pour en faire l'examen.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je constate que nous avons un quorum.

Nous accueillons le professeur Joseph Maingot, qui a comparu à maintes reprises devant notre comité et devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Professeur Maingot, vous avez la parole.

M. Joseph Maingot (témoignage à titre personnel): Honorables sénateurs, étant donné le bref préavis que j'ai reçu, je n'ai rien rédigé. Cependant, si vous me permettez une observation générale, je peux vous dire que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt le compte rendu des délibérations de la dernière séance. À partir de là, je commencerai par citer, à propos du privilège dans son ensemble, les commentaires de Blackstone, qui remontent à 300 ou 400 ans. Il a déclaré: L'ensemble du droit et des usages du Parlement tire son origine de la maxime suivante: «tout sujet abordé par l'une ou l'autre des Chambres du Parlement doit être examiné, discuté, et réglé dans la Chambre à laquelle il se rattache, et pas ailleurs».

Le privilège parlementaire s'attache aux droits et immunités conférés aux membres du Parlement individuellement et à la Chambre du Parlement dans laquelle les parlementaires agissent collectivement. Il englobe les droits et immunités jugés nécessaires pour que les parlementaires et la Chambre puissent s'acquitter de leurs fonctions constitutionnelles.

L'histoire de ce sujet difficile à cerner montre que depuis toujours, la principale question a été la suivante: Quelle institution a juridiction sur le privilège parlementaire, les tribunaux ou les Chambres du Parlement? Le Parlement qui existait au Royaume-Uni avant que se concrétise la séparation entre la Chambre des communes et la Chambre des Lords au milieu du XIVe siècle environ était à la fois un tribunal et une assemblée législative, le conseil du roi doté de diverses fonctions, la Haute Cour du Parlement.

S'il était clair que le Parlement — représentant, avec tous ses éléments constituants, à la fois un tribunal de dernier recours et une assemblée législative —, pouvait adopter des lois et partant, établir ses privilèges, on ne savait pas quels privilèges ressortissaient spécifiquement à la Chambre des communes. Cette dernière a commencé à affirmer ses pouvoirs par résolution, ce qu'elle avait fait jusqu'alors uniquement en tant qu'élément constitutif de la Haute Cour du Parlement.

Les tribunaux britanniques ont commencé à contester les décisions de la Chambre sur la question de privilège en invoquant que la loi du Parlement, au lieu d'être une loi distincte soustraite aux tribunaux, faisait partie du droit public et général et par conséquent, relevait des tribunaux.

Le libellé de l'article 9 du Bill of Rights anglais de 1689 constitue un bon point de départ pour toute discussion sur le privilège constitutionnel d'exercer un contrôle sur les délibérations internes car il confirme l'assertion de longue date du Parlement voulant qu'il soit soustrait à toute ingérence extérieure de la Couronne, du gouvernement et des tribunaux, et je cite:

... L'exercice de liberté de parole et d'intervention dans les débats et délibérations du Parlement ne peut être contesté ni être mis en cause devant un tribunal quelconque ni ailleurs qu'au Parlement.

La prohibition interdisant toute mise en cause des délibérations devant un tribunal semble d'une portée suffisamment vaste pour exclure toute ingérence judiciaire dans le fonctionnement du Parlement. Cependant, une série de cas ont resserré l'interprétation des termes de l'article 9 et à tout le moins exploré, sinon clarifié, la relation entre les tribunaux et le Parlement pour ce qui est des questions de privilège, rejetant la prétention du Parlement à une juridiction exclusive et établissant un droit judiciaire d'en arriver à une décision indépendante quant à ce qui constitue le privilège.

Le plus célèbre de ces cas est l'affaire Stockdale c. Hansard, en 1839, où l'imprimeur du Parlement a été poursuivi en diffamation à cause d'un rapport parlementaire qu'il avait publié. La Chambre des communes a adopté une résolution déclarant que cette publication était nécessaire au fonctionnement du Parlement et que le Parlement était seul habilité à déterminer l'étendue des privilèges de la Chambre. Le tribunal a rejeté une défense fondée sur la résolution, signifiant clairement qu'il existe une distinction entre un tribunal qui se pose la question de savoir si un sujet donné relève exclusivement de la juridiction de la Chambre et un tribunal qui s'ingérerait dans la décision de la Chambre à cet égard, laquelle relève de son autorité exclusive.

Cette affaire a eu pour résultat d'affirmer vigoureusement le droit de la Cour du Banc de la Reine, — en Angleterre ou au Canada, c'est la même chose — de vérifier au besoin l'étendue des privilèges de la Chambre. Pourtant, le Sénat n'est pas assujetti au contrôle des tribunaux pour ce qui est de l'administration de la partie de sa loi habilitante portant sur ses propres délibérations internes.

Je conclurai avec une déclaration du juge en chef dans l'affaire du Nouveau-Brunswick: «Les tribunaux ont depuis longtemps maintenu une attitude de non-intervention à l'égard de l'exercice du privilège parlementaire, particulièrement lorsque celui-ci vise à garder le contrôle des débats internes de l'assemblée».

Selon la Constitution, les tribunaux, le Parlement, le gouvernement et la Couronne sont distincts. La Cour suprême du Canada a fréquemment fait référence à cette réalité. Au plan constitutionnel, les tribunaux, le gouvernement et les Chambres du Parlement sont indépendants l'un de l'autre.

En effet, la doctrine actuelle du privilège parlementaire repose sur une série de faits présumés qui ne sont plus vrais au Royaume-Uni depuis le règne de William III. Selon cette prémisse, le Parlement et l'exécutif ou la Couronne sont deux entités opposées et largement distinctes, alors que le degré d'interaction et de chevauchement entre les deux est considérable. Un gouvernement majoritaire à la Chambre peut imposer et impose périodiquement sa volonté à la Chambre des communes. En effet, le privilège parlementaire bien connu de la liberté de parole, qui protège à la fois le parlementaire en tant qu'individu et la Chambre dans son ensemble, est assujetti à la discipline de parti, y compris celle du parti ministériel. Cela représente l'exercice du pouvoir exécutif que le privilège parlementaire était censé protéger à l'origine.

La présidente: Merci, monsieur Maingot.

Le sénateur Grafstein: J'ai raté la première citation, cette référence historique selon laquelle chaque chambre est en fait maître de ses propres règles et de son fonctionnement internes. De qui sont ces propos? C'était votre toute première citation.

M. Maingot: De Blackstone. Qui a été notre guide à tous, n'est-ce pas?

Le sénateur Grafstein: Monsieur Maingot, Blackstone a été l'un des premiers théoriciens à parler de la séparation des pouvoirs. Il est l'auteur d'écrits volumineux sur la division des pouvoirs entre les Chambres, entre le pouvoir judiciaire et, en fait, l'exécutif, et entre les tribunaux eux-mêmes.

Or, nous sommes saisis de la part du gouvernement d'une proposition qui est un mélange.

M. Maingot: Un quoi?

Le sénateur Grafstein: Un mélange. Elle n'est fondée ni sur la séparation des pouvoirs ni sur le partage des pouvoirs.

C'est le constat que j'ai fait après avoir étudié la nomination du conseiller en éthique. D'une part, elle est fondée sur la consultation. J'écarte pour l'instant l'argument avancé par le leader du gouvernement au Sénat au sujet de la convention. J'y reviendrai dans un instant.

Après avoir pris connaissance du projet de loi, je suis curieux de connaître votre opinion, à savoir s'il respecte les principes de Blackstone. La théorie et la pratique sont les meilleures alliées lorsqu'elles vont de pair.

M. Maingot: D'autre part, les privilèges peuvent être modifiés, mais non par la Chambre elle-même. Le Parlement peut modifier ses privilèges, bien qu'à l'heure actuelle, il n'y en ait qu'une poignée. Vous conviendrez tous avec moi que le grand principe du privilège est la liberté de parole.

S'agissant du projet de loi lui-même, que j'ai lu, j'ai du mal à comprendre le paragraphe 20.5(1). Les attributions du conseiller lui seraient conférées par le Sénat lui-même; par la suite, ensuite, leur administration relèverait du conseiller en éthique, si je ne m'abuse. Cependant, ce n'est pas ce que je comprends à la lecture de l'article 20.5.

Au paragraphe 20.5(3), il est précisé que tous les membres du personnel du Sénat, mandataires, et cetera, relèvent de l'autorité générale du Sénat. Les employés sont placés sous l'autorité du Sénat. Cependant, le conseiller sénatorial en éthique est censé être indépendant; pourtant, il est placé sous l'autorité générale d'un comité du Sénat. Peut-être que je vois là un problème qui n'existe pas.

Aux termes du paragraphe 20.5(2), il est précisé que le conseiller possède les privilèges et immunités du Sénat. Quiconque travaille pour le Sénat, à titre de mandataire ou autre, bénéficie de ces privilèges et immunités lorsqu'il participe aux travaux parlementaires. On suppose que cela vaudrait pour les autres rares privilèges qui s'appliquent en marge des travaux parlementaires. Autrement dit, peuvent-ils ne pas être contraints de témoigner? Peuvent-ils ne pas être convoqués en tant que membres d'un jury? Vous ne pouvez être accusés d'outrage au civil.

Lorsque Blackstone s'est prononcé, on se préoccupait surtout de la liberté de parole à la Chambre car à l'époque, l'Orateur était en quelque sorte le porte-parole du Roi. Voilà pourquoi on a inventé le comité plénier. En comité plénier, l'Orateur quittait la Chambre. En son absence, les députés pouvaient discuter entre eux librement sans qu'il puisse tout rapporter à la Couronne ou au Roi. À cette époque, c'était là le principal sujet de préoccupation. Il existait d'autres privilèges intéressants ou bizarres, notamment votre serviteur avait droit à une garde. Certains membres du Parlement abusaient aussi de leurs privilèges. C'était là également une source de préoccupation pour les parlementaires de l'époque.

Éventuellement, il y a eu la pétition de droit au début du XVIIe siècle et ensuite, le Bill of Rights vers la fin du XVIIe siècle. Outre le fait qu'il était nécessaire de bénéficier d'une protection contre la Couronne, un événement en particulier a donné naissance au Bill of Rights. L'Orateur — et j'oublie les détails — a adopté une résolution qui n'était pas vraiment légale. Le sergent d'armes, ou un mandataire de la Chambre, a donc appliqué cette résolution. Les tribunaux ont sanctionné à la fois l'Orateur pour cette résolution illégale et le mandataire qui l'avait mise en oeuvre. Il est clair que les tribunaux étaient dans l'erreur car tout ce qui se passe à la Chambre ne saurait être remis en question ailleurs; cependant, la mise en oeuvre d'un ordre illégal relevait du pouvoir judiciaire.

Le sénateur Smith: Le sénateur Grafstein vous a demandé si le projet de loi respectait les principes de Blackstone. Je pourrais poser la question sous un autre angle: Y a-t-il quoi que ce soit dans la mesure qui va à l'encontre des principes de Blackstone?

Lorsque je lis l'article 20.1, qui stipule que la nomination doit être approuvée «par résolution du Sénat», et l'article 20.5. Si l'on considère les quatre paragraphes sous l'article 20.5, on peut lire au point (1) que les attributions sont «conférées» par le Sénat; au point (2), qu'il (le conseiller) agit «dans le cadre de l'institution du Sénat» et qu'il possède «les privilèges et immunités du Sénat»; au point (3) qu'il est placé «sous l'autorité générale du comité du Sénat»; et qu'aux points (4) et (5), on ajoute une «précision», pour clarifier le tout encore davantage.

Je ne vois aucune disposition qui contrevienne aux principes de Blackstone. Je me demande si vous voyez quelque élément qui va à l'encontre de ces principes.

M. Maingot: Je ne constate que la liberté de parole n'est en aucune façon visée par l'article 20.5. L'un des principaux pouvoirs d'une assemblée législative est d'adopter ses propres règles et de dicter la conduite de ses membres. Voilà ce que l'on tente de faire en l'occurrence.

Pour ce qui est de l'indépendance, comme vous dites — si le conseiller était nommé par le Sénat seulement et il est précisé dans le Règlement du Sénat de qui il relève, il serait assez simple d'amender cela. La question est de savoir jusqu'où vous voulez aller pour affirmer votre transparence, votre indépendance.

Un conseiller en éthique auprès d'une assemblée législative est une de ses composantes internes. Or, c'est l'un des rôles importants d'une assemblée législative que d'établir les règles de conduite de ses membres. En matière d'indépendance, il faut prendre en compte le fait que l'assemblée a la responsabilité d'arrêter les règles de conduite de ses membres, de même que la responsabilité de maintenir son indépendance vis-à-vis de la Couronne. C'est au rédacteur législatif de formuler cela.

Le sénateur Joyal: Au sujet du dernier point, monsieur Maingot, n'est-il pas bon que le commissaire aux normes de la vie publique à la Chambre des lords et à la Chambre des communes soit nommé en fonction du règlement des lords et de celui de la Chambre des communes britanniques? Si je ne me trompe, c'est le règlement 160. En d'autres termes, le principe d'indépendance par rapport à la Couronne est très bien affirmé et décrit dans le modèle britannique comme observant parfaitement les principes de Blackstone, n'est-ce pas?

M. Maingot: Blackstone parle de deux choses. Premièrement, vous êtes indépendants si vous ne pouvez faire l'objet d'examen et de remise en cause ailleurs. Soit dit en passant, vous êtes remis en question ailleurs, puisque tous les jours, les quotidiens remettent en cause ce qui se passe au Parlement; cela s'est toujours passé ainsi.

Je comprends que la Chambre des lords a un tel conseiller. Après tous les efforts déployés, un tel poste existe. Il me semble que l'affaire Rost ait réglé la question. Soit dit en passant, la raison pour laquelle nous ne pouvions pas trouver cette affaire, c'est parce qu'il ne s'agit pas de l'affaire Ross, mais de l'affaire Rost, R-O-S-T.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Je conviens simplement qu'effectivement la Chambre des lords a pris cette mesure et semble être satisfaite d'avoir à la fois un code de conduite pour ses membres et de garantir l'indépendance de ces derniers.

Le sénateur Joyal: Revenons-en au paragraphe 20.5(2) où il est spécifié que le conseiller sénatorial en éthique jouit des «privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs».

Si je comprends bien cet article proposé, le conseiller en éthique posséderait les privilèges institutionnels du Sénat dans son ensemble, ainsi que les privilèges personnels des sénateurs, soit les privilèges rattachés à la personne des sénateurs. Est-ce bien cela?

M. Maingot: C'est à mon avis ce que cela veut dire, effectivement.

Le sénateur Joyal: Si tel est le cas, connaissez-vous d'autres lois — et je vais restreindre la portée de ma question — d'autres hauts fonctionnaires du Parlement qui auraient un statut similaire — en d'autres termes, le vérificateur général, qui est un haut fonctionnaire du Parlement, le directeur général des élections, le commissaire à la protection de la vie privée, le commissaire à l'accès à l'information ou le commissaire aux langues officielles? Savez-vous si l'un de ces hauts fonctionnaires du Parlement possède les mêmes privilèges et immunités du Sénat et de la Chambre des communes en tant qu'institutions ainsi que les privilèges personnels des parlementaires? Savez-vous si en vertu de nos lois, d'autres hauts fonctionnaires du Parlement possèdent chacun ces deux séries de privilèges en même temps?

M. Maingot: J'ai examiné le cas du commissaire aux langues officielles, dans la Loi sur les langues officielles, la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je n'ai rien trouvé de tel. Ce que j'ai remarqué par contre, c'est qu'ils jouissent de la protection traditionnelle en tant que représentants du gouvernement pour tout ce qu'ils font de bonne foi.

Dans le cas présent, comme je l'ai déjà dit, tous ceux qui travaillent pour le Sénat, que l'on parle du greffier du Sénat ou de tout autre fonctionnaire, et qui participent aux travaux parlementaires jouissent des privilèges du Parlement vu qu'ils font partie de l'administration interne de la Chambre.

Les hauts fonctionnaires du Sénat qui ont un rôle à jouer en ce qui a trait aux travaux du Parlement, possèdent les mêmes privilèges personnels en tant que parlementaires — mais pas tous. Ils sont libérés de l'obligation de faire partie d'un jury, ils sont libérés de l'obligation de comparaître comme témoin. Toutefois, je ne pense pas qu'ils soient libérés de l'obligation de comparaître pour outrage en matière civile. Je ne l'ai pas vu et cela m'étonnerait.

C'est ce qui est laissé entendre: le conseiller sénatorial en éthique, s'il possède les mêmes privilèges que les sénateurs eux-mêmes, est également protégé en tant que sénateur dans les cas où il serait visé par des poursuites civiles ou impliqué dans une affaire d'outrage en matière civile.

Le sénateur Joyal: D'après votre réponse, vous ne savez pas s'il existe d'autres dispositions législatives qui accorderaient les privilèges de l'institution et les privilèges personnels aussi globalement et complètement.

M. Maingot: Je ne le sais pas. Le fait est que le Sénat et la Chambre des communes sont importants en raison du rôle qu'ils jouent dans la vie constitutionnelle du Canada. Il ne faudrait pas empêcher les parlementaires de participer à leurs travaux. Toutefois, cela s'applique dans les cas où la Chambre ou le Sénat ne siège pas, mais que la session est en cours.

Le sénateur Joyal: En d'autres termes, pour revenir à votre déclaration, les hauts fonctionnaires ou le personnel du Sénat ou de la Chambre des communes, comme le greffier, le sergent d'armes, qui jouissent de certains privilèges dans le cadre de leurs fonctions reliées aux travaux internes, ne jouiraient pas de tous les privilèges de l'institution ni de tous les privilèges personnels des sénateurs ou des députés, n'est-ce pas?

M. Maingot: Je ne le sais pas. Ces trois privilèges ne sont pas rattachés à la participation à des travaux parlementaires — c'est-à-dire, libération de l'obligation de faire partie d'un jury, libération de l'obligation de comparaître comme témoin et protection en cas d'outrage en matière civile. Il s'agissait en fait de ne pas empêcher la participation des membres de ces institutions. Comme je l'ai dit, cela continue de s'appliquer lorsque la Chambre ne siège pas, mais que la session est en cours.

Si cela s'applique à l'un, j'imagine que cela devrait s'appliquer aux trois. Un haut fonctionnaire du Sénat ou l'huissier de la verge noire ne devrait pas non plus être obligé de faire partie d'un jury ou de comparaître comme témoin, mais il devrait aussi être protégé en cas d'outrage en matière civile. Aucun tribunal n'a tranché la question, mais si une personne possède un privilège, elle devrait posséder les trois.

La présidente: Je crois que le sénateur Losier-Cool a une question à ce sujet et ensuite si vous permettez, sénateur Joyal, je vous demanderais de revenir pour un deuxième tour de table, afin que chacun puisse poser des questions. Je ne veux toutefois pas interrompre le fil de vos idées.

Avant de passer au sénateur Losier-Cool, monsieur Maingot, je voudrais simplement souligner le fait que le paragraphe 20.5(2) précise que le conseiller sénatorial en éthique possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs lorsqu'il s'acquitte de ses fonctions et qu'il agit dans le cadre de l'institution du Sénat.

M. Maingot: Oui, merci. Il se peut fort bien que cela ouvre la voie à l'interprétation d'un tribunal qui pourrait dire: «Pour s'acquitter de ces fonctions, il faut être sur place». C'est au tribunal de donner une telle interprétation.

Le sénateur Losier-Cool: Votre question se rapproche de celle que j'allais poser. Comment peut-on comparer le Commissaire aux langues officielles, puisque c'est ce poste que je connais, à un conseiller sénatorial en éthique?

[Français]

Le rôle de la commissaire aux langues officielles est établi dans la Loi sur les langues officielles qui est une loi fédérale, donc une loi du gouvernement. Je n'ai pas compris la question du sénateur Joyal tout à l'heure. Comment peut-on comparer ces personnes; qui ont un rôle défini dans la loi fédérale, avec un commissaire à l'éthique du Sénat?

M. Maingot: C'est parce qu'ils sont nommés. Le gouvernement suggère quelqu'un et les deux Chambres du Parlement adoptent une résolution à cet effet. Le travail est plutôt fait à l'extérieur. En ce sens, je suis d'accord avec vous que l'on compare peut-être des pommes et des oranges. Quelques fois, nous sommes confondus. On les appelle officiers parce qu'ils sont nommés par les deux Chambres du Parlement. Mais leurs fonctions se fait plutôt à l'extérieur du Parlement. Ils font rapport au Parlement. Prenons l'exemple du président des élections et du commissaire à la protection de la vie privée, leur travail est fait plutôt à l'extérieur. Ils sont nommés officiers parce qu'il faut une résolution de chaque chambre pour que leur poste soit en vigueur.

Le sénateur Losier-Cool: Ce sont des officiers du Parlement. Ici on parle des officiers du Sénat.

M. Maingot: Ils ont des responsabilités envers le Parlement.

[Traduction]

Le sénateur Bryden: J'aimerais en fait quelques précisions. D'après ce que vous avez dit en dernier lieu au cours de votre exposé, avant que nous ne vous interrompions — vous lisiez vos notes — le Parlement et l'exécutif chevauchent depuis quelque temps et, par exemple, les deux sont assujettis à la discipline de parti. Pourriez-vous relire vos notes pour que je le comprenne bien.

M. Maingot: Je soulignais l'anomalie. J'ai d'abord dit que, au plan constitutionnel, les tribunaux, le gouvernement et les chambres du Parlement sont indépendants les uns des autres. En fait, la doctrine actuelle du privilège parlementaire repose sur un ensemble de faits présumés qui n'existent plus au Royaume-Uni depuis le règne de William III. Cela remonte au début du XIXe siècle. On suppose que le Parlement et l'exécutif — ou la Couronne — sont deux organes opposés et profondément distincts, tandis que bien sûr, le degré d'interaction et de chevauchement est fort considérable. Un gouvernement qui détient la majorité à la Chambre peut imposer de temps à autre sa volonté à la Chambre des communes et c'est d'ailleurs ce qu'il fait. En réalité, le privilège parlementaire bien connu de liberté d'expression, qui protège à la fois le parlementaire en tant que personne et la Chambre dans son ensemble, est assujetti à la discipline de parti, y compris celle du parti majoritaire, lequel use du pouvoir exécutif, exercice que le privilège parlementaire était censé initialement protéger.

Le sénateur Bryden: Je voulais être sûr de l'avoir bien compris. D'après moi, ce dont vous venez juste de parler s'applique absolument à la Chambre des communes — c'est-à-dire que le parti majoritaire se compose essentiellement de membres de l'exécutif et de, selon certains plaisantins, «ceux qui en ont la prétention». La Chambre des communes est assujettie à la discipline de parti au sens où c'est une chambre habilitée à prendre un vote de confiance. On y retrouve la tradition des whips. Si je comprends bien, nous sommes en train de prévoir des whips de première, de deuxième et de troisième lignes à notre Chambre des communes.

J'aimerais revenir au fait que notre Parlement est bicaméral. Tout ce que nous avons entendu dire à propos du Canada vise des assemblées législatives qui ne sont que monocamérales. Le Sénat n'est pas assujetti à la discipline de parti, nous n'avons pas de whip au Sénat, mais uniquement un seul lien avec le gouvernement. En fait, nous avons un très bon whip, mais elle n'a pas de subalternes.

Ce que je veux dire, c'est que, à partir du moment où nous sommes nommés au Sénat, c'est à nous qu'il revient de faire preuve de jugement au meilleur de nos capacités en ce qui concerne les affaires dont nous sommes saisis, sans ressentir de crainte ni accorder de faveur. Le seul lien que nous ayons avec le gouvernement, c'est le leader du gouvernement au Sénat, qui est membre de l'exécutif.

Obtient-on le même effet de flou? La raison pour laquelle c'est si important par rapport à un projet de loi comme celui-ci, c'est que si vous examinez à la fois l'article du projet de loi qui traite du Sénat et celui qui traite de la Chambre des communes, il semble que les rédacteurs ou les rédactrices, ou les deux, se sont simplement inspirés de ce qu'ils jugeaient être le modèle de la Chambre des communes prévoyant un chevauchement et une discipline de parti, pour tenter de l'appliquer à une chambre législative beaucoup plus indépendante — et selon certains d'entre nous — la seule chambre indépendante qui subsiste au Canada. C'est la raison pour laquelle nous avons tellement de problèmes à cet égard.

Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Maingot: Pour ce qui est de l'indépendance du Sénat, si je ne me trompe, les membres des partis politiques du Sénat se rendent aux réunions de caucus de leurs partis. D'un point de vue pratique, je n'ai pas eu l'occasion de réfléchir à ce que vous venez de dire, sénateur Bryden. Politiquement, il y a une différence, puisque les députés de la Chambre des communes doivent se faire élire, contrairement aux sénateurs. Ce sont des réalités qui n'ont pas grand- chose à voir avec la procédure.

La présidente: Ce qui peut-être laisse entendre que nous devrions être plus sévères envers nous-mêmes.

M. Maingot: Toutefois, il ne fait aucun doute — cela s'applique à la Chambre mais ne semble pas s'appliquer au Sénat.

Comment expliquer la rédaction du projet de loi à cet égard? Cela revient toujours à ce que j'ai dit un peu plus tôt. Deux aspects sont en cause; en tant qu'assemblée législative, le Sénat a le droit et l'obligation de fixer la conduite des sénateurs, alors qu'en même temps, au plan constitutionnel, vous voulez conserver votre indépendance par rapport au gouvernement. C'est le dilemme auquel se heurte Salomon, ou un rédacteur.

Le sénateur Smith: Ce pourrait être exactement la même chose.

La présidente: C'est rarement le cas.

Le sénateur Stratton: J'aimerais revenir à la question relative à l'évolution du comité plénier — en d'autres termes, il a été créé pour que les parlementaires puissent parler entre eux, puisque l'orateur faisait constamment rapport au roi — ainsi qu'à la question relative à l'indépendance des deux Chambres l'une par rapport à l'autre, l'importance de cette question et la façon dont la situation a évolué à cet égard.

Permettez-moi de vous lire particulièrement l'article 20.1 du projet de loi, qui stipule:

Le gouverneur en conseil nomme le conseiller sénatorial en éthique par commission sous le grand seau, après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et après approbation par résolution du Sénat.

Autrement dit, la nomination du conseiller en éthique est sous le contrôle de l'autre Chambre, par l'entremise du premier ministre. Selon vous, il y a-t-il là un conflit, qui ne devrait pas exister si nous décidons que les deux Chambres doivent être indépendants?

Avant que vous répondiez à cette question, j'aimerais que vous me donniez une petite leçon d'histoire sur l'évolution de l'indépendance des deux chambres, si vous le pouvez, et sur l'importance de l'indépendance des deux chambres et, partant, l'importance de l'indépendance du conseiller en éthique de cette Chambre-ci.

M. Maingot: Au début, quand il y avait le Conseil du roi, avec les lords, puis la Chambre des communes, de concert, le Parlement pouvait faire ce qu'il voulait, adopter les lois et être juge. Les parlementaires agissaient vraiment comme des juges, relativement aux pétitions qui étaient présentées aux lords et aux Communes ensemble. Ensuite, à un moment donné, la Chambre des communes a voulu agir de son propre chef, et au XVe siècle, la Chambre des lords, en fait, prenait des décisions sur des questions qui concernaient la Chambre des communes. C'était aussi un tribunal. J'ai essayé de l'expliquer plus clairement dans mon livre, et bien d'autres auteurs en ont traité ailleurs.

Quoi qu'il en soit, c'est en partie pourquoi la Chambre de communes a ressenti le besoin de pouvoir adjuger ses propres affaires, de manière indépendante et distincte de la Chambre des lords, mais aussi des tribunaux, parce que dans certaines des définitions antérieures du privilège, la Chambre des communes avait le droit d'agir de son propre chef, à part de la Chambre des lords et à part des tribunaux, et à part du pouvoir exécutif.

Comme je l'ai dit, au bout du compte, la Chambre des communes a tenté de s'attribuer bien plus de privilèges qu'elle n'en avait, ce qui a abouti au procès Stockdale c. Hansard, dans les années 1830 ou 1840, où les tribunaux ont décrété que ce qui est décidé à la Chambre — et d'ailleurs aussi à la Chambre des lords — en matière de procédure, pouvait être assujetti à l'examen des tribunaux. C'est pourquoi, actuellement, la position défendue est que le privilège est subordonné à l'ampleur que lui attribue le tribunal. Cependant, le tribunal a aussi dit «voici vos privilèges, et si ce que vous faites respecte les limites de ce privilège, nous ne nous mêlerons pas de la manière dont il est exercé», ce que la Cour suprême du Canada a confirmé ces 10 à 15 dernières années.

J'essaie de penser à la deuxième partie de votre question, pour revenir sur le sujet.

Le sénateur Stratton: Ce ne sera pas nécessaire.

La question se résume, en réalité, à la nomination. Dans l'article 20.1 du projet de loi, on lit notamment que «le gouverneur en conseil nomme le conseiller sénatorial en éthique par commission sous le grand seau». Le gouverneur en conseil est, le fait, le premier ministre de la Chambre des communes. C'est donc lui qui désigne le conseiller en éthique de cette Chambre-ci.

Si on se fie à l'histoire de la Grande-Bretagne, les deux chambres sont censées être indépendantes. J'aimerais que vous expliquiez l'importance de l'indépendance des deux chambres et que vous disiez si, selon vous, il y a conflit dans le fait que le premier ministre désigne un conseiller en éthique de cette Chambre plutôt que se soit cette Chambre elle- même qui choisisse et désigne son conseiller en éthique.

M. Maingot: De toute évidence, oui. Je suppose que vous pensez à ce qui est arrivé dans le passé avec les hauts fonctionnaires du Parlement, qui ne participent pas à une procédure parlementaire. En même temps, les gouvernements ont toujours voulu s'assurer que le peuple ne s'emballe pas, qu'il ait une certaine responsabilité générale. Lorsqu'on parle d'indépendance des membres, nous devons tous répondre à quelqu'un de nos actes. À qui les membres du Parlement, des deux côtés, devraient-ils répondre de leur acte? Ils en répondent au peuple. Comment le font-ils? Comment cela se fait-il? C'est par l'entremise des journalistes, qui font rapport de ce que se fait et ce qui se dit ici.

Est-ce que c'est assez? Peut-être le gouvernement dira-t-il que ce n'est pas suffisant et qu'il faut une influence plus constante. Je ne connais pas la réponse à cela, mais si on regarde ceci, on dirait certainement que ce paragraphe va à l'encontre de l'idée des membres de chaque Chambre de créer leurs propres règles, tout en étant indépendants de l'État ou du pouvoir exécutif.

Les tribunaux ont été très respectueux des privilèges que confère la Constitution. Ils les ont respectés dans le passé, mais ils peuvent intervenir et dire «quelle est la mesure du privilège que vous revendiquez?» Ils ont le droit de le faire, parce que la Cour suprême du Canada, en vertu de la Loi constitutionnelle, doit protéger la Constitution, ce qui comprend ce qui se passe ici. C'est un peu comme l'histoire du Roi Salomon, si je peux le dire.

C'est une question d'essayer de combiner l'idée de la nécessité et de la responsabilité de chaque Chambre du Parlement de dicter la conduite de ses membres avec le fait, en même temps, historiquement, constitutionnellement et nécessairement, de l=indépendance de chaque Chambre du Parlement à l=égard du gouvernement. Pour tout ce qui est à part de la procédure du Parlement, il y a le droit civil et le droit criminel, auxquels les membres des deux chambres sont assujettis.

Le sénateur Austin: Monsieur Maingot, je voudrais attirer votre attention sur l'article 20.1. Regardez bien cette clause. Je voudrais vous faire remarquer que, tandis que le gouverneur en conseil désigne par commission sous le grand seau, dans le cas du Sénat, et c'est aussi vrai dans le cas de la Chambre, le gouverneur en conseil ne peut rien faire sans l'approbation par résolution du Sénat. Par conséquent, le Sénat agit, selon moi, sous sa propre autorité. Il a encore conservé, tout comme la Chambre, son propre pouvoir en ce qui concerne la nomination.

Le sénateur Stratton: Mais sous le contrôle de...

Le sénateur Austin: La situation, c'est que le pouvoir exécutif est composé de ministres de l'État, et qu'ils représentent la Reine au Parlement, donc, la mesure de protection de l'indépendance, si on veut, du Sénat, c'est que le Sénat doit approuver la nomination par résolution. Est-ce que cela correspond à votre explication?

M. Maingot: Je suppose que cela fait partie de la mesure de protection, monsieur le sénateur.

Le sénateur Austin: Cela préserve le rôle du Sénat en tant que Chambre indépendante du pouvoir exécutif. C'est ainsi qu'est formulé l'article 20.1 du projet de loi.

M. Maingot: Le début du projet de loi, l'article 20.1.

Le sénateur Austin: Oui — après approbation par résolution du Sénat. Aucune nomination ne peut se faire sans résolution du Sénat.

M. Maingot: Oui.

La présidente: Je suppose que c'est votre réponse, monsieur?

M. Maingot: Madame la présidente, je vois cela.

Le sénateur Stratton: Voyons l'aspect pratique de la situation actuelle, à titre d'exemple. Nous avons un Sénat, avec un nombre très disproportionné de représentants du parti au pouvoir. L'actuel premier ministre décide alors de nommer un conseiller en éthique de son choix. Bien entendu, son choix serait agréé à cette Chambre, à cause du nombre disproportionné de représentants du gouvernement. À bien y songer, où est l'indépendance? Le parti au pouvoir contrôle cette Chambre, et le premier ministre désigne une personne, alors il est certain que cette Chambre-ci approuverait son choix. Ce n'est pas de l'indépendance à mes yeux, ou du moins pas la définition que j'en ai. J'aimerais que vous disiez ce que vous en pensez, si vous permettez.

M. Maingot: Dans un sens, l'article 20.1 donne à penser que c'est là la réponse. L'une désigne, et l'autre approuve, alors les deux chambres interviennent.

Le sénateur Smith: En réponse à la question de pure forme du sénateur Stratton, puis-je, moi aussi, poser une question de pure forme?

Le sénateur Stratton: De pure forme?

Le sénateur Smith: Est-ce que l'adoption de l'amendement du sénateur Bryden, l'automne dernier, qui en fait, a torpillé toute chance d'adoption de cette loi l'automne dernier, n'est pas, en soi, la preuve que quel que soit le nombre de représentants de part et d'autre, quand c'est quelque chose qui nous tient à coeur, une question importante de principe, les gens pourraient percevoir, par leur baromètre et leur girouette, que les couleurs partisanes sont mises de côté, et que c'est là un véritable mécanisme de contrôle, comme l'a expliqué le sénateur Austin, à l'article 20.1?

Le sénateur Stratton: Est-ce que vous ne pourriez pas expliquer ce qu'était cet amendement? On pourrait vraiment mieux comprendre de quoi il s'agissait.

Le sénateur Smith: J'essaie de poser une question. Je ne pense pas que le contenu compte plus que le résultat.

Le sénateur Stratton: Oh, mais oui.

M. Maingot: Je ne pense pas avoir besoin de répondre à cela.

La présidente: Nous en avons fini avec les observations de pure forme.

M. Maingot: Je n'ai pas apporté mon épée.

Le sénateur Harb: Monsieur Maingot, vous avez parlé de la notion d'indépendance d'une personne nommée, ou de l'absence d'indépendance, si cette personne est nommée par l'État. Je pensais vous avoir entendu dire que le seul fait que quelqu'un soit désigné par l'État fait qu'il y a perception d'absence d'indépendance. Si c'est le cas, comment pouvez-vous concilier cela avec le fait que nos greffiers, par exemple à la Chambre des communes ou au Sénat sont désignés, les uns et les autres, par l'État? Ils travaillent tous dans les institutions du Parlement, que ce soit au Sénat ou à la Chambre des communes. Comment pouvez-vous concilier cette affirmation avec ce que nous avons maintenant, en fait de hauts fonctionnaires du Parlement, des deux côtés?

M. Maingot: Certains des hauts fonctionnaires des deux chambres sont désignés par la loi, mais je sais que les cinq hauts fonctionnaires du Parlement sont désignés par l'État et personne n'irait dire qu'ils sont toute autre chose qu'indépendants.

J'en reviens encore à la notion voulant que les membres des deux chambres soient, de par la Constitution, indépendants du gouvernement, et pourtant, ils ont un devoir, une responsabilité et un droit d'imposer des règles de conduite aux membres. Leurs règles de conduite actuelles sont ailleurs. Je pense que la Chambre des communes a une règle ou deux à ce sujet.

Je sais, à propos de l'un des derniers greffiers de Westminster, que certains membres ont été mécontents de ne pas s'être fait poser la question sous une forme ou une autre. Depuis toujours, l'État désigne les hauts fonctionnaires de chaque chambre, et il n'a jamais été question qu'ils s'acquittent de leur rôle autrement qu'avec autorité et responsabilité.

Quand on s'interroge sur la nomination des hauts fonctionnaires de la Chambre, c'est en quelque sorte en dehors du fait que les membres de chaque chambre devraient être vus comme des personnes agissant de manière indépendante de l'État. C'est pourquoi, dans le passé, la loi portait le titre Loi sur l'indépendance du Parlement. C'est maintenant la Loi sur le Parlement du Canada. Je remarque que le projet de loi abroge les articles 14 et 15 de la Loi sur le Parlement du Canada, qui exige l'indépendance des sénateurs et leur interdit d'être partie à un contrat. Les membres de la Chambre des communes ou du Sénat, en passant, ne peuvent pas êtres liés par contrat avec le gouvernement. On peut supposer que ce sera dans les règles de conduite des membres.

Le sénateur Harb: L'État vous a désigné. Je suppose que vous étiez indépendant, même si c'est l'État qui vous a désigné.

M. Maingot: Je dirais que j'étais indépendant.

Le sénateur Harb: Dans le paragraphe 20.5(2) qui est proposé, où il est question des fonctions qui sont conférées au conseiller en éthique lorsqu'il exerce sa charge, il a les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs lorsqu'il exerce sa charge.

Est-ce que vous craignez que les tribunaux puissent intervenir, avec cette disposition particulière, auprès du conseiller en éthique lorsqu'il exerce sa charge?

M. Maingot: Quiconque participe à une procédure parlementaire ou à la gestion interne de la Chambre, que ce soit un haut fonctionnaire, un député ou un témoin, est protégé par la Charte des droits, et tout ce qui y est dit ou fait ne peut être remis en question ailleurs. Dans ce sens, je ne crois pas, sénateur que les tribunaux interviennent en toute impunité. Les tribunaux on été réticents à intervenir. Ils font preuve d'une grande déférence et nous saurons plus tard, cet automne, si la Chambre des communes doit recourir à la Charte canadienne des droits et libertés pour traiter avec un employé.

La présidente: L'affaire Vaid.

M. Maingot: C'est bien cela.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Un officier est un haut fonctionnaire du Parlement. En anglais on dit «Officer of Parliament» et en français on dit «haut-fonctionnaire du Parlement». On fait une distinction assez claire. La seule différence qu'il y a entre ces cinq personnes et tous les autres directeurs de commission ou d'agence, c'est qu'ils peuvent faire rapport directement au Parlement. Les cinq hauts fonctionnaires peuvent faire rapport directement au Parlement alors que les autres ne peuvent pas. Ils passent par le ministre pour déposer leur rapport ou faire leurs commentaires.

Actuellement, les hauts fonctionnaires du Parlement ne doivent pas allégeance à la reine. Ils représentent cependant les intérêts du Parlement. Je n'ai jamais compris pourquoi. Le greffier de la Chambre des communes et le greffier du Sénat — le conseiller légiste je ne suis pas certain, mais je pense que oui — doivent-ils prêter un serment d'allégeance lorsqu'ils sont nommés?

M. Maingot: Je ne me rappelle pas.

Le sénateur Gauthier: Je sais que les deux greffiers prêtent un serment d'allégeance, mais les hauts fonctionnaires du Parlement ne le font pas. J'ai posé la question à savoir pourquoi. On leur avait demandé s'ils étaient disposés à le faire. Ils ont dit oui. Pourquoi ne pas nommer quelqu'un qui aurait les immunités, les privilèges parlementaires, mais qui ne prêterait pas, comme nous, un serment d'allégeance?

M. Maingot: Vous voulez savoir la différence entre les hauts fonctionnaires et les officiers du Parlement comme, par exemple, le commissaire aux langues officielles? Pour vous ce sont de hauts fonctionnaires?

Le sénateur Gauthier: Il y a cinq hauts fonctionnaires du Parlement: le directeur d'Élections Canada, la vérificatrice générale du Canada, le commissaire aux langues officielles, le commissaire à l'information et le commissaire à la vie privée. Ce sont les cinq personnes qui ont le droit de faire rapport directement au Parlement. Dans le projet de loi qui est devant nous, il est prévu que tous ces gens aient des privilèges et des immunités parlementaires. Je ne comprends pas pourquoi ces gens jouissent de privilèges alors qu'ils ne prêtent pas serment d'allégeance. D'ailleurs, ils ne sont pas soumis à la Loi sur l'information. Pourquoi? On me dit qu'il y a actuellement des pourparlers au Cabinet pour tenter de mettre ces hauts fonctionnaires sous la gouverne de tous. Avez-vous pensé à cela?

M. Maingot: Vous dites que les cinq hauts fonctionnaires ont les mêmes privilèges que les membres du Parlement? Que les députés?

Le sénateur Gauthier: Je vous pose la question.

M. Maingot: Je ne crois pas. S'ils sont impliqués dans une délibération parlementaire, ils en ont le privilège. Moi, en tant que témoin, j'ai la liberté de parole, cela s'applique à moi. Selon ce que j'ai lu sur les statuts concernant les cinq hauts fonctionnaires, ils n'ont pas les mêmes privilèges individuels que vous avez.

Le sénateur Gauthier: Le commissaire à l'éthique proposé par le projet de loi aurait, lui, les mêmes privilèges et immunités qu'un parlementaire. Donc il ne peut pas être un haut fonctionnaire comme les cinq autres?

M. Maingot: Oui, c'est différent.

Le sénateur Gauthier: Doit-il être reconnu comme un haut fonctionnaire du Parlement? Si c'est le cas, pourquoi a-t- on un statut spécial pour cette personne et qu'on n'impose pas la même chose aux cinq autres, qui ont également un statut de haut fonctionnaire?

M. Maingot: À mon avis, les cinq hauts fonctionnaires n'ont pas tous les privilèges que vous avez en tant que sénateur; sauf ceux quand vous participez à une délibération parlementaire. Ils n'ont pas les privilèges d'être exclus et de comparaître à un procès juridique comme témoin ou comme membre d'un jury.

Le sénateur Gauthier: Peut-être n'ai-je pas suffisamment clarifié mon point de vue.

[Traduction]

Le sénateur Di Nino: Monsieur Maingot, la question de l'indépendance sera un enjeu d'importance, en ce qui concerne ce projet de loi. Nous parlions de l'article 20.1 et du processus de consultation, soit le processus final de nomination par le gouverneur en conseil. Il m'est venu à l'idée que peut-être l'impasse pourrait venir du fait que le Sénat ne serait pas d'accord. Je me demande ce qui arriverait alors? Si on regarde plus loin, dans le projet de loi, on voit que s'il y a un poste vacant, le gouverneur en conseil peut désigner quelqu'un pour une période intérimaire. De plus, le gouverneur en conseil peut révoquer le conseiller avec motif, et le gouverneur en conseil, en vertu de l'article 20.3, fixe la rémunération du conseiller en éthique. Cela ne me semble pas être beaucoup d'indépendance, dans le sens de la responsabilité à l'égard du Sénat.

Pourriez-vous me dire ce que vous pensez de mon interprétation? Ce que je dis, en fait, c'est qu'à part la consultation du Sénat avant la nomination, le gouverneur en conseil fixe le salaire, il a le pouvoir de révoquer le conseiller ou de prendre d'autres mesures à son égard et, si le poste est vacant, le gouverneur en conseil, sans consulter le Sénat, il me semble, peut désigner quelqu'un, même si ce n'est que pour un mandat maximal de six mois. Je ne suis pas sûr que cela pourrait continuer si l'impasse n'est pas résolue. Pourriez-vous me dire si vous pensez que j'ai raison d'interpréter ces dispositions ainsi?

M. Maingot: En ce qui concerne le salaire, le conseiller en éthique est au niveau d'un sous-ministre, et il y a une échelle salariale pour cela. Pour la question du salaire, je ne pense pas qu'il y ait un problème, bien qu'il y ait diverses échelons salariaux pour les sous-ministres.

Le gouverneur en conseil désigne ou nomme, et son choix doit être approuvé. Deux organes participent à cette décision. Il est beaucoup question d'indépendance. C'est quelque chose que les membres du Sénat devront régler. Mon avis n'est pas tellement important. Il peut y avoir plus d'une interprétation.

Où est le problème si le Sénat peut désigner quelqu'un pour une période maximale de six mois? Je dis encore, avec tout le respect que je vous dois, que la question, c'est comment c'est fait. Les chambres du Parlement ont chacune une responsabilité ou un rôle pour définir la conduite de chaque membre, et pourtant, ils devraient rester indépendants de l'État ou du gouvernement. La question est de savoir comment y parvenir.

La présidente: Je voudrais souligner que l'article 20.2 dit bien qu'il peut y avoir révocation du conseiller en éthique motivée par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat. Ce ne serait que si le Sénat demandait la révocation de cette personne.

Le sénateur Stratton: Où est-ce?

Le sénateur Di Nino: Je comprends bien, madame la présidente. Ce que je dis, c'est que c'est encore le gouverneur en conseil qui a ce pouvoir. Ce n'est pas le Sénat. Le Sénat y joue un rôle, dans le sens où il peut dire «Nous pensons que le conseiller en éthique devrait être révoqué». Le gouverneur en conseil pourrait, dans sa sagesse, dire, «Nous ne le pensons pas». C'est ce que j'essaie de faire comprendre. C'est le gouverneur en conseil, et non pas le Sénat, qui prend la décision finale.

Le sénateur Stratton: Pour la révocation aussi.

M. Maingot: Puis-je intervenir? Les juges sont désignés par l'État sans aucune consultation des membres du Parlement, et ils sont révoqués sur adresse des deux chambres. Il y a donc cette indépendance entre qui désigne et qui révoque.

Le sénateur Di Nino: Je ne suis pas contre, madame la présidente. Ce dont il s'agit ici, c'est que le processus de nomination relève du gouverneur en conseil, indépendamment du processus de consultation du Sénat. Le processus de révocation dépend encore du gouverneur en conseil, quel que soit le résultat de la consultation du Sénat.

Le sénateur Grafstein: Peut-être puis-je poser à M. Maingot, un grand expert des pouvoirs et privilèges des sénateurs et des membres de la Chambre des communes, une question que j'ai posée au ministre de la Justice lorsqu'il a comparu devant nous la dernière fois. Je m'attends à recevoir très bientôt une réponse. J'aimerais connaître aussi l'avis de M. Maingot là-dessus.

Monsieur Maingot, si vous regardez l'article 1 du projet de loi C-4, il abroge les articles 14 et 15 de la Loi sur le Parlement du Canada. Ces articles, si je peux vous rafraîchir la mémoire, traitent de la participation, volontairement, directement ou indirectement, à un contrat mettant en jeu des fonds publics fédéraux. Il prévoit aussi une pénalité en cas d'infraction. Je pense que c'est 200 $. C'est un vieil article.

Je m'intéresse également à la disposition relative à la renonciation. Si on regarde l'histoire qui est à l'origine de ce projet de loi, le Parlement est parvenu à la conclusion que l'un des meilleurs moyens de retrouver la confiance du public dans les titulaires de charges publiques, c'est que si, par hasard ou volontairement, un membre du Parlement tire, directement ou indirectement, un gain d'un contrat du gouvernement, le gouvernement devrait y renoncer. Il y a une disposition pour la renonciation.

C'est une question qui fait couler beaucoup d'encre dans les médias, actuellement. Vous pouvez considérer que ceci est un avis, parce que la question est complexe. J'aimerais savoir si, avec l'abrogation de ces dispositions, la Chambre des communes, dans toute sa sagesse ou le Sénat, dans sa sagesse, décidait d'intégrer une disposition similaire à ses règlements — et je m'intéresse plus particulièrement, de toute évidence, au Sénat; la Chambre des communes peut s'occuper de ses affaires — si nous aurions le pouvoir de renonciation. Pourrions-nous, de fait, exiger le droit de renoncer?

Vous pourriez considérer cela comme un avis, parce que c'est une question difficile et intéressante. J'ai essayé d'en trouver moi-même la réponse, mais je ne suis pas encore parvenu à une conclusion définitive. Moi, je doute que nous ayons ce pouvoir, mais j'aimerais savoir ce que vous et le parti au pouvoir en pensez.

M. Maingot: Puis-je suggérer que cela constitue l'élargissement d'un privilège, ce qui ne peut se faire qu'en légiférant? Une chambre ne peut pas en décider seule.

Le sénateur Joyal: Monsieur Maingot, vous avez parlé tout à l'heure de l'affaire Rost c. Edwards. Vous vous souvenez sûrement que lorsque vous avez comparu devant le comité l'automne dernier, nous avons parlé du rapport du comité mixte de la Chambre des communes britannique et de la Chambre des lords, sur la situation du privilège au Parlement de Westminster. Vous vous souvenez certainement du rapport du comité mixte, déposé en 1999.

Avez-vous eu l'occasion de lire le deuxième chapitre de ce rapport, qui traite particulièrement de l'affaire Rost c. Edwards?

M. Maingot: J'ai bien peur que non. J'ai lu le dossier Rost hier, puis ensuite j'ai lu la décision du Conseil privé. C'était une décision du Banc de la Reine. Ensuite, j'ai lu que le comité judiciaire du Conseil privé laissait entendre que Rost avait tort de traiter des intérêts des membres — le registre des intérêts des membres ne figure pas dans la définition d'une procédure du Parlement.

Le sénateur Joyal: De quel dossier du comité judiciaire du Conseil privé parlez-vous?

M. Maingot: Je parle de l'affaire Prebble.

Le sénateur Joyal: L'affaire qui s'est passée en Nouvelle-Zélande?

M. Maingot: Le ministre de la Justice en a parlé.

Le sénateur Joyal: N'est-il pas vrai que le Conseil privé n'a pas parlé spécifiquement de l'affaire Rost? L'exposé du ministre de la Justice portait particulièrement sur la procédure du Parlement. C'était l'article 9 de la Déclaration des droits, d'après ce que je peux lire moi-même de la décision, je pense que c'est à la page 6 de la décision. Lorsque le tribunal a traité de l'article 9 de la Déclaration des droits spécifiquement, il a déclaré qu'outre l'article 9 lui-même, il y a toute une hiérarchie qui appuie un principe plus vaste, dont l'article 9 n'est qu'une manifestation.

Nulle part n'est-il fait mention de l'arrêt Rost. En fait, le tribunal n'a pas du tout tenu compte, du moins, c'est ce que je constate, de cet arrêt dans les décisions qu'il a citées à l'appui de ce principe. Je vous renvoie à la page 6 du jugement.

M. Maingot: Je vais devoir examiner la question de plus près.

Le sénateur Joyal: Je vous encourage à le faire, monsieur Maingot. Si j'ai bien compris, l'arrêt Prebble a été rendu en 1995, et le rapport conjoint de la Chambre des communes britannique et de la Chambre des lords a été déposé en 1999, soit quatre ans plus tard.

Je vous renvoie au chapitre 2 du rapport, notamment aux paragraphes 119, 120, 121, 122 et 123. Le rapport du comité mixte britannique traite de manière précise de l'arrêt Rost c. Edwards. Le paragraphe 122 dit, et je cite:

À cet égard, la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Rost c. Edwards soulève des questions.

On peut lire plus loin:

Le juge de première instance a rejeté cet argument, au motif que la déclaration des intérêts des députés ne relève pas des délibérations du Parlement.

Encore une fois, cela ne «relève pas des délibérations du Parlement».

M. Maingot: C'est exact.

Le sénateur Joyal: Le rapport ajoute, dans le paragraphe suivant:

Nous recommandons qu'il soit clairement précisé dans la loi que l'établissement de registres...

Ce qui constitue un conflit d'intérêts, comme vous le savez.

... (et par conséquent les registres eux-mêmes) font partie des délibérations du Parlement.

Autrement dit, d'après la Chambre des communes britannique, puisqu'aucune loi corrective n'a été adoptée par suite de l'arrêt Rost c. Edwards, ce jugement tient toujours.

En déclarant, comme c'est le cas au paragraphe 20.5(2), que le conseiller en éthique, lorsqu'il s'acquitte de ses fonctions, est protégé par le privilège parlementaire, nous faisons fi de ce que disent l'article 18 de la Constitution et l'alinéa 4a) de la Loi sur le Parlement du Canada, qui précisent que les privilèges que nous détenons sont ceux que possédait, à l'époque, la Chambre des communes britannique. C'est le problème que pose l'arrêt Rost c. Edwards et l'interprétation que lui a donnée la Chambre des communes en 1999, soit quatre ans après la décision rendue par le Conseil privé, décision à laquelle le ministre de la Justice a fait allusion et que vous avez citée. Or, on ne sait pas vraiment si le Conseil privé, dans sa décision de 1995, a choisi de faire abstraction de l'arrêt Rost c. Edwards, puisque la Chambre des communes elle-même, quatre ans plus tard, a jugé que le problème restait entier et qu'il devait être régler par voie législative.

Le projet de loi doit clairement préciser que l'établissement des registres, et les registres eux-mêmes, relèvent des délibérations du Parlement, et c'est ce que nous recommandons.

M. Maingot: Cela mettrait fin au débat, car, comme vous le savez, les tribunaux, surtout au Canada, ont le pouvoir, en vertu de la Constitution, de définir l'étendue du privilège parlementaire.

Le sénateur Joyal: La portée.

M. Maingot: La portée et l'étendue. Par ailleurs, une fois qu'ils ont établi — les tribunaux n'interviendront pas s'ils jugent que le registre est une question de régie interne. Ils vont dire que cela fait partie des privilèges. En Angleterre, ils préfèrent ne pas s'en remettre aux tribunaux. Ils estiment que ce principe devrait peut-être être consacré par une loi.

Vous avez fait des commentaires fort intéressants lors de la comparution du ministre de la Justice. Je suis d'accord avec lui, surtout pour ce qui est de cet article. Nous en avons discuté la dernière fois que j'ai comparu devant vous. J'ai dit que l'article 44 de la Constitution autorise la Chambre et le Sénat à modifier les dispositions de celle-ci. Ils peuvent modifier leurs privilèges. Vous pouvez le faire par voie législative, sans modifier la Constitution elle-même. Vous pouvez le faire au moyen d'une loi.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord. Toutefois, cette loi va continuer de s'appliquer tant que nous n'aurons pas modifié l'article 18 et l'alinéa 4a) de la Loi sur le Parlement du Canada. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous pouvons modifier l'article 18 et supprimer tous les renvois aux privilèges que possédait à l'époque la Chambre des communes britannique. Cela ne me pose pas de problème. Toutefois, nous n'avons rien fait en 1982 ou depuis. Le projet de loi ne contient pas de dispositions qui permettent de modifier, de façon accessoire, l'alinéa 4a) de la Loi du Parlement du Canada qui dispose, comme vous le savez, de façon très claire, que les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes sont ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres.

Autrement dit, nous sommes toujours liés par cette disposition de la Constitution, l'article 18 et l'alinéa 4a).

M. Maingot: Si je puis me permettre, et je pense que nous en avons discuté la dernière fois que je vous ai rencontré, il est clair, en droit, qu'il n'est pas nécessaire de changer l'article 18 pour permettre à la Chambre des communes et au Sénat de modifier leurs privilèges, parce que la Loi constitutionnelle elle-même leur donne ce droit — ils peuvent le faire en adoptant tout simplement une loi du Parlement.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord.

M. Maingot: Autrement, vous devez vous en remettre aux tribunaux.

Le sénateur Joyal: Je ne conteste pas le fait que le Parlement a le pouvoir de modifier ses privilèges, sauf que l'alinéa 4a) et l'article 18 lui imposent des limites. Il devra composer avec ces restrictions tant que les deux dispositions n'auront pas été modifiées.

Ce qu'il y a de curieux, c'est qu'il existe une décision claire rendue par un tribunal britannique et que la Chambre des communes britannique considère toujours valide. Elle n'a pas été officiellement écartée. En fait, ils ont recommandé l'adoption d'une loi là-dessus. Nous devrions en adopter une aussi, comme nous l'avons fait en 1868. Vous vous souvenez de cette cause très célèbre qui portait sur l'administration du serment. Le projet de loi avait été abrogé. Il existe donc déjà un précédent puisque le Parlement avait été obligé d'intervenir à l'époque. Nous nous trouvons aujourd'hui dans la même situation.

Comme je l'ai mentionné, le projet de loi ne permet pas de modifier les limites imposées à l'époque par la Chambre des communes britannique. Comment venir à bout de ce problème dans le projet de loi, comme vous l'avez clairement indiqué dans vos réponses, et empêcher l'intervention des tribunaux? Car nous allons effectivement nous retrouver devant les tribunaux, puisqu'ils vont devoir se prononcer sur le paragraphe 20.5(2) étant donné le flou qui entoure la question des privilèges, si l'on se fonde sur la décision du tribunal britannique, l'arrêt Rost c. Edwards et le rapport de la Chambre des communes britannique, qui définit nos privilèges.

M. Maingot: J'ai essayé de vous expliquer ce que peut faire le Parlement, sans modifier la Constitution. Pour ce qui est du conseiller en éthique du Sénat, ou de la Chambre, vous vous demandez si les tribunaux peuvent intervenir. Le conseiller en éthique du Sénat — et celui de la Chambre des communes va sans doute faire la même chose — va s'occuper des questions qui intéressent les sénateurs. Il va avoir pour tâche de décider si les sénateurs exercent bien leurs fonctions. Il s'agit ici d'une question de régie interne qui relève de la Chambre des communes. Cela n'a rien à voir avec les droits des tiers. Si ces derniers étaient mis en cause, alors oui, les tribunaux interviendraient, comme il se doit. Toutefois, comme cette mesure vise les députés et les sénateurs, les tribunaux ne s'en mêleront pas, sauf s'il y a violation de la Charte des droits. On demandera peut-être leur avis, mais selon moi, c'est peu probable.

Pour ce qui est du paragraphe 20.5(2), qui traite des privilèges et immunités du Sénat et du conseiller sénatorial en éthique, cette disposition va s'appliquer à tous ceux qui participent aux délibérations du Parlement. Les questions de régie interne de la Chambre n'intéressent aucunement les tribunaux. Ils n'interviendront pas. Toutefois, ils peuvent très bien examiner la portée de ce privilège et dire que cela n'en fait pas partie. On ne peut pas prévoir toutes les éventualités. Ce projet de loi, comme bien d'autres mesures législatives, n'est pas parfait.

Le sénateur Joyal: Vous dites que les droits des tiers ne sont pas touchés. Or, nous avons discuté de la possibilité d'ajouter une annexe au projet de loi de manière à obliger les conjoints à déclarer leurs actifs. Est-ce que cela n'influe pas sur les droits des tiers?

Le sénateur Christensen: Cela ferait partie de nos règles.

Le sénateur Joyal: Mais ils feraient l'objet d'une enquête par le conseiller en éthique.

Le sénateur Losier-Cool: On peut le préciser dans les règles.

Le sénateur Joyal: Il ne faut pas oublier que cette disposition figure déjà dans le projet de règlement. La main gauche ne peut pas ignorer ce que fait la main droite.

La présidente: Je tiens à préciser qu'il en sera probablement question dans le Règlement du Sénat, qui ne s'applique qu'aux sénateurs. Il reviendra aux sénateurs de déterminer comment se fera cette divulgation, s'ils veulent inclure les conjoints dans le processus ou si ces derniers acceptent de le faire.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, sauf votre respect, si un membre du Sénat laisse entendre que le conjoint d'un sénateur n'a pas divulgué ses avoirs en bonne et due forme ou se trouve en conflit d'intérêts, le conseiller en éthique devra faire enquête ou se pencher là-dessus, pour utiliser des termes plus neutres, et c'est ce que devraient préciser le code provisoire et le projet de loi dont nous sommes saisis. Nous en avons déjà discuté de façon générale. Certains sénateurs et membres du comité ont proposé qu'une telle mesure soit incluse dans le code provisoire. Je n'invente rien.

La présidente: Vous avez raison, sénateur Joyal, mais j'insiste pour dire que seuls les sénateurs devront se soumettre aux décisions de cette personne — par leurs conjoints ni leurs enfants. Seul le Sénat, en s'appuyant sur son sentiment d'honneur, pourra décider ce qu'il convient de faire.

Le sénateur Austin: Chers collègues, je voudrais, pour le compte rendu, citer un passage de l'arrêt Prebble c. Television New Zealand Ltd., [1994] 3 All Er, à la page 418:

De façon plus précise, il y a lieu de se demander si la décision rendue dans l'affaire Rost c. Edwards, [1990] 2 All ER 641, [1990] 2 Q.B. 460, était fondée.

Le sénateur Grafstein: Qui a dit cela?

Le sénateur Austin: Le comité judiciaire du Conseil privé. Merci d'avoir posé la question.

Dans l'arrêt R. c. Parliamentary Commissioner for Standards, ex parte Al Fayed, le président de la cour d'appel, Lord Woolf, déclare, à la page 95 du recueil 1 All England Reports de 1998:

Dans l'arrêt Prebble v. Television New Zealand...

Il lit ensuite le passage.

... Lord Browne-Wilkinson a été saisi de la même question. Il a indiqué qu'il fallait adopter, à l'égard de l'article 9, une approche généreuse.

Il est question ici de l'article 9 du Bill of Rights de 1688, que M. Maingot a cité aujourd'hui.

Lord Browne-Wilkinson ajoute:

Outre l'article 9 lui-même, il existe un grand nombre de décisions qui confirment l'existence d'un principe plus vaste, et dont l'article 9 n'est qu'une manifestation, c'est-à-dire que les tribunaux et le Parlement reconnaissent judicieusement les rôles respectifs qu'ils sont appelés à jouer sur le plan constitutionnel. En ce qui concerne les tribunaux, ils ne permettent pas que l'on remette en question les décisions prises à l'intérieur de l'enceinte du Parlement dans l'exercice de ses fonctions législatives, les privilèges établis étant protégés.

Je tiens à signaler que, dans l'affaire Rost c. Edwards, deux tribunaux supérieurs ont qualifié ce privilège de douteux. Je n'ai pas entendu parler de ce comité mixte auquel fait allusion le sénateur Joyal, mais je vais certainement jeter un coup d'oeil sur ce qu'il a dit. Merci.

Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir à la question des privilèges, que nous avons abordée plus tôt. Je vous ai demandé s'il existait, dans d'autres lois fédérales, des dispositions similaires qui accordent à un tiers les privilèges que possèdent le Sénat et les sénateurs. Comme vous avez écrit un livre là-dessus, vous avez sûrement examiné les lois fédérales qui traitent des privilèges, et surtout de l'octroi de privilèges. Car c'est bien de cela dont il s'agit: le Parlement accorderait à un tiers non seulement les privilèges des parlementaires, mais également les privilèges de l'institution. À votre avis, est-ce qu'il y a d'autres lois qui prévoient une telle chose?

M. Maingot: Je n'ai pas examiné toutes les lois pour voir si elles traitaient de cette question.

Le sénateur Joyal: Vous avez écrit un livre là-dessus. Par conséquent, vous devez bien connaître le dossier.

M. Maingot: Le privilège parlementaire s'applique au Parlement, à la Chambre des communes et au Sénat, et dans les cas où il existe un lien avec le Sénat ou la Chambre des communes. On ne peut accorder un privilège à une personne qui ne participe pas aux délibérations du Parlement.

Comme je l'ai déjà mentionné, les propos d'un employé ou d'un témoin ne peuvent être considérés comme faisant partie des délibérations du Parlement. Le fait même de participer à des délibérations du Parlement vous accorde une protection, une immunité. Vous n'êtes assujetti aux règles de la Chambre ou du Sénat que lorsque vous participez à des délibérations.

L'idée d'accorder un privilège parlementaire à un tiers qui n'a aucun lien avec la Chambre ou le Sénat n'a aucun sens. C'est tout à fait inutile et illogique, sauf pour ce qui est des privilèges qui existent à l'extérieur de la Chambre quand une personne est citée à comparaître ou à faire partie d'un jury, ou a besoin d'être protégée contre un outrage civil, par exemple.

Cette disposition, sénateur, n'existe nulle part ailleurs. J'ai jeté un bref coup d'oeil aux lois qui régissent les fonctionnaires du Parlement qui s'occupent de l'accès à l'information, des langues officielles, de la protection des renseignements personnels, des élections, et j'ai oublié le dernier. Je n'ai vu aucune disposition qui disait que cette personne bénéficiait du privilège parlementaire. Toute personne, qu'elle travaille dans le domaine des élections, qu'elle occupe un poste comme le mien, qu'elle soit appelée à témoigner, à apporter une pétition à la Chambre, est protégée par le privilège parlementaire dans l'exercice de ses fonctions.

Le sénateur Joyal: Donc, il n'existe, à votre avis, aucune disposition particulière qui accorde à un tiers les privilèges et immunités que possèdent le Sénat et les sénateurs?

M. Maingot: Je n'ai pas examiné toutes les lois en détail. Je serais très étonné d'apprendre qu'une telle disposition existe.

Quand M. Hughes a été nommé commissaire aux conflits d'intérêts, en Colombie-Britannique, on a indiqué dans la loi qu'aucune mesure ne pouvait être prise contre lui pour toute décision rendue en vertu de celle-ci.

Le sénateur Joyal: Il s'agit de la disposition de bonne foi.

M. Maingot: La loi de la Colombie-Britannique ne contient aucune disposition qui lui accorde le privilège parlementaire. Le privilège parlementaire s'applique quand vous participez à des délibérations du Parlement.

Le sénateur Joyal: Je suis tout à fait d'accord. Le témoin qui, comme vous, se présente devant le comité est protégé quand il prend part aux délibérations du Parlement. Il en va de même pour la personne qui participe aux débats du Parlement ou qui fait partie du processus législatif du Parlement, comme le greffier ou le sergent d'armes, par exemple. Or, on nous propose ici quelque chose de totalement différent, et je me demande ce que nous devons en faire.

M. Maingot: Cette précision m'apparaît inutile, car la personne bénéficie déjà d'une protection. Le dénonciateur qui va comparaître devant votre comité bénéficiera déjà d'une protection.

Le sénateur Joyal: Tout comme vous et n'importe quel autre témoin.

M. Maingot: C'est exact. Les mesures prises contre cette personne seront considérées comme un outrage à la Chambre.

Le sénateur Joyal: C'est ce que je pense. Cette personne bénéficie, en plus, de la protection accordée par la disposition de bonne foi. Si elle agit de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions, elle ne peut faire l'objet de poursuites judiciaires.

M. Maingot: Vous n'avez pas besoin de cette protection quand vous intervenez à la Chambre, au Sénat ou en comité.

Le sénateur Joyal: Vous jouissez déjà d'une protection.

Le sénateur Smith: Monsieur Maingot, le sénateur Joyal vous a posé une question au sujet de l'article 20.5. Il voulait savoir s'il y avait d'autres fonctionnaires qui se trouvaient dans la même situation. Pouvons-nous passer à l'article 72.05, qui figure à la page 6 du projet de loi? Il s'intitule «Fonctions à l'égard des députés», et comporte cinq dispositions, soit les mêmes que celles qui s'appliquent à la Chambre des communes. Serait-il raisonnable de conclure que, comme la Chambre des communes a adopté ce projet de loi, avec l'appui de quatre partis sur cinq, y compris, bien entendu, le Parti conservateur...

Le sénateur Di Nino: À la Chambre des communes.

Le sénateur Smith: Oui. À notre connaissance, le précédent établi par les dispositions énoncées à l'article 72.05 ne semble pas leur poser problème.

Le sénateur Di Nino: Cela n'a rien à voir avec le Sénat.

Le sénateur Smith: C'est vrai, mais je pense que ce renseignement est utile.

Le sénateur Di Nino: Tout ce que dit le sénateur Smith est utile.

La présidente: Je ne sais pas si une réponse s'impose.

Le sénateur Smith: Cet article semble être le même, n'est-ce pas?

M. Maingot: C'est ce que je constate.

Le sénateur Joyal: Et alors?

Le sénateur Smith: J'en dirai plus quand je me prononcerai mon discours.

M. Maingot: C'est une notion difficile à cerner.

Le sénateur Bryden: J'en dirai plus moi aussi à ce sujet quand je prononcerai mon discours.

J'aimerais revenir au paragraphe 20.5(2). Il précise que le conseiller, lorsqu'il s'acquitte de ses fonctions, agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs. Je trouve cette disposition redondante. Elle n'ajoute rien au texte. S'il s'acquitte de ses fonctions dans le cadre de l'institution du Sénat, il possède les privilèges dont vous bénéficiez, vous, à titre de témoin. C'est bien ce que vous dites?

M. Maingot: Oui.

Le sénateur Bryden: On devrait donc supprimer ce passage. Ce n'est que du verbiage gratuit.

Le sénateur Smith: Est-ce qu'on supprimerait alors également toutes les dispositions qui commencent par «il est entendu que»?

La présidente: Sénateur Joyal, je pense que nous en avons terminé avec les questions.

Monsieur Maingot, merci d'être venu nous rencontrer de nouveau et de nous avoir fourni ces explications.

La séance est levée.


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