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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 3 - Témoignages du 18 mars 2004


OTTAWA, le jeudi 18 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit ce jour, à 10 h 47, pour étudier le projet de loi C-7, Loi modifiant certaines lois fédérales et édictant des mesures de mise en oeuvre de la Convention sur les armes biologiques ou à toxines, en vue de renforcer la sécurité publique.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je souhaite la bienvenue à nos témoins et au public à cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

[Français]

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-7, Loi de 2002 sur la sécurité publique. Aujourd'hui, nous avons un horaire très ambitieux. J'encourage les témoins et les sénateurs à être brefs, tout particulièrement au cours de la période des questions et réponses. Nous pourrons ainsi élucider les questions plus difficiles, ce qui est le but des audiences de comités.

[Traduction]

Notre premier témoin, aujourd'hui, est le commissaire Giuliano Zaccardelli, de la Gendarmerie royale du Canada. Il est accompagné de l'inspecteur Wayne Hanniman, coordonnateur du projet de loi C-7 à la GRC, et de M. Mark Scrivens, conseiller juridique.

Merci de vous être joints à nous aujourd'hui, messieurs. Vous savez comment nous procédons. Vous commencez par faire un exposé liminaire puis nous vous posons des questions. Je présume que c'est vous qui présenterez l'exposé, monsieur Zaccardelli?

M. Giuliano Zaccardelli, commissaire, Gendarmerie royale du Canada: Oui, en effet. Merci beaucoup de nous avoir invités. Nous sommes toujours ravis de comparaître devant les comités sénatoriaux.

[Français]

Je suis heureux d'avoir la possibilité de parler du rôle que jouera la GRC dans la mise en oeuvre du projet de loi C-7 et, plus particulièrement, de l'article 4,82.

[Traduction]

Les attentats terroristes perpétrés contre des trains de passagers à Madrid, en Espagne, la semaine dernière, montrent que les systèmes de transport continueront d'être pris pour cibles par ceux qui utilisent la mort de personnes innocentes et la destruction à grande échelle pour arriver à leurs fins.

Nos propres systèmes de transport, notamment notre système d'aviation commerciale, demeurent vulnérables à ce genre d'attaques. Malgré les améliorations apportées au contrôle des articles que les passagers amènent à bord des avions, nous n'avons pas amélioré le processus de contrôle des personnes qui embarquent.

Nous constatons une tendance générale vers l'adoption de programmes d'information préalable sur les voyageurs et de dossiers des passagers. Israël, l'Australie et les États-Unis ont de tels systèmes en place. Les pays du G-8 ont formé un groupe de travail chargé d'examiner des façons d'améliorer la sûreté aérienne, notamment en vérifiant les noms des passagers dans leurs bases de données se rapportant à la sécurité nationale et à l'application de la loi.

[Français]

La GRC s'est engagée à assurer la sécurité de tous les Canadiens au pays et à l'étranger. Elle s'est également engagée à faire en sorte que le projet de loi soit mis en œuvre dans le respect de l'esprit et de l'objet de la loi, qui est d'abord et avant tout la sécurité des transports.

[Traduction]

Par ailleurs, toujours dans le respect de l'esprit et de l'objet de la loi, la GRC protégera la vie privée des voyageurs aériens et échangera de l'information seulement s'il existe une menace précise à la sûreté des transports.

Le projet de loi C-7, en vertu des dispositions de l'article 4.82, autorise la GRC et le SCRS à identifier les personnes qui pourraient être des terroristes ou constituer une menace pour la sécurité des voyageurs canadiens.

Pour prévenir tout incident en vol, y compris les menaces auxquelles font face nos agents de la sûreté aérienne, les autorités policières doivent prendre des mesures préventives et disposer des outils nécessaires pour s'acquitter de ces fonctions comme il se doit.

[Français]

Le projet de loi C-7 ne confère pas de nouveaux pouvoirs à la GRC. Il nous donne simplement un accès à des renseignements cruciaux sur les voyageurs aériens que nous n'avons pas actuellement.

[Traduction]

La GRC possède dans ses banques de données des renseignements qui peuvent être utilisés pour détecter des menaces à la sécurité des voyageurs aériens, mais la seule façon dont ces renseignements peuvent être utilisés efficacement est de les comparer avec les renseignements sur les passagers. La GRC est en mesure de vérifier manuellement les renseignements sur les passagers lorsqu'il existe une menace précise. Cependant, ces vérifications manuelles exigent temps et main-d'oeuvre et la GRC pourrait ne pas avoir suffisamment de temps pour prendre des mesures préventives.

Nous croyons que l'objet de la mesure législative proposée est de donner à la GRC accès aux renseignements sur les voyageurs aériens aux fins de la sûreté des transports. En conséquence, la GRC comparera uniquement les renseignements sur les voyageurs aériens avec les renseignements pertinents pour la sûreté des transports. Ces renseignements seront compilés dans un sous-ensemble et les renseignements sur les passagers seront comparés à ce sous-ensemble au moyen d'un processus automatisé. Ce n'est que lorsqu'il y a une correspondance entre un voyageur aérien et les données du sous-ensemble, qu'un employé de la GRC désigné par moi pour recevoir les renseignements sur les passagers pourra utiliser toute l'information sous le contrôle de la GRC pour vérifier l'exactitude de la correspondance et de la menace.

[Français]

La comparaison des renseignements vise à assurer l'efficacité en termes de temps et de coûts, tout en évitant de perturber les voyageurs canadiens. La vérification manuelle sera toujours faite avant qu'une action ne soit prise.

[Traduction]

En tant que gardienne des renseignements privés des voyageurs aériens, la GRC respectera toutes les dispositions de la législation sur la protection de la vie privée et échangera de l'information sur des personnes en particulier, seulement lorsqu'il existe une menace précise et que la sûreté des transports encourt des risques.

La GRC souscrit au concept d'accords formels pour l'échange de renseignements avec d'autres organismes canadiens et étrangers, lorsque l'échange est limité aux organismes concernés par la menace.

[Français]

Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Qu'est-ce que le projet de loi C-7 vous donnera que vous n'avez pas déjà dans d'autres lois, pour recueillir des informations dans le but de contrer des attentats terroristes?

M. Zaccardelli: Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, sénateur Andreychuk, nous pouvons faire une vérification manuelle, quand nous recevons des renseignements sur une menace éventuelle. Toutefois, nous n'avons pas toutefois un accès automatique à la liste des passagers, pas plus que la possibilité de recourir à la technologie pour comparer cette liste à un sous-ensemble limité. C'est ce que nous devrions pouvoir faire. Actuellement, nous pouvons réagir, mais dans certaines situations, il nous faudrait pouvoir intervenir plus rapidement.

En ce moment, des passagers voyageant dans nos avions peuvent, à notre insu, représenter une menace. Ce projet de loi nous permettra d'utiliser de l'information pour les repérer et prendre les mesures qui s'imposent, le cas échéant.

Le sénateur Andreychuk: La meilleure protection que puissent avoir les Canadiens, c'est un processus de renseignement regroupant des services qui travailleraient de manière coordonnée et avec cohésion, qui seraient prêts, dans la mesure du possible, à contrer le terrorisme. Vous avez signalé avec raison que l'attentat terroriste de Madrid n'avait pas eu lieu à bord d'un avion, mais dans un autre moyen de transport. Je n'exclus pas la possibilité qu'une fois qu'on orientera nos efforts vers les réseaux de métro, ce sera autre chose. Il faut aussi penser aux grands rassemblements ou aux parties de football. Je veux que vous me disiez que vous agissez en fonction des renseignements recueillis, bien avant de voir ces listes.

M. Zaccardelli: Vous avez tout à fait raison. L'application des lois et le travail de sécurité publique se font en fonction des renseignements, de manière proactive. La clé, c'est d'obtenir les renseignements suffisamment tôt pour prévenir les coups. De nos jours, tout repose là-dessus. Tous les services travaillent de manière coordonnée, en reconnaissant la nécessité de respecter la confidentialité garantie par d'autres lois. Il n'est jamais facile de trouver un équilibre. J'ai parlé des protocoles que nous devrons avoir avec nos partenaires, non seulement au Canada, mais aussi ailleurs dans le monde. Il ne s'agit pas simplement d'échanger des renseignements, sans paramètres ni lignes directrices. Les paramètres seront fixés dans les protocoles. Mais la clé, c'est d'avoir l'information suffisamment tôt pour agir de manière préventive.

Ce n'est qu'un outil. Je reconnais que nous ne parlons ici que du secteur aérien et que vous avez raison, chaque moyen de transport pourrait être la cible d'un attentat. Nous ne l'avons pas oublié. Il ne s'agit ici que d'un des outils de notre panoplie pour lutter contre un grave problème.

Le sénateur Andreychuk: C'est un moyen, pour une fin. Quand je prendrai l'avion, vous obtiendrez des données sur moi. Je ne saurai peut-être pas que vous les détenez et je ne saurai pas non plus ce que vous en ferez. Les données sont- elles analysées seulement pour ce vol? Si on a des raisons de croire que je suis une terroriste, mes renseignements personnels seront versés dans une base de données partagées avec d'autres. Pendant combien de temps ces données seront-elles conservées? Quelle garantie peut-on me donner que la confidentialité sera respectée? Je n'ai pas le temps de passer en revue les mesures se rapportant à la confidentialité, mais je suis convaincue que vous connaissez ces dispositions. Comment pouvez-vous me garantir que mon nom ne restera pas sur la liste plus longtemps qu'il ne le faut pour votre analyse? Comment savoir s'il est vrai que les services qui ont accès à ces renseignements personnels ne s'en serviront que dans le but de contrer des activités terroristes?

M. Zaccardelli: Encore une fois, sénateur, ce sont là d'excellentes observations. Le projet de loi est très clair. Nous parlons de menaces majeures pour la sécurité aérienne. Les renseignements que nous pouvons obtenir sont limités. Si on ne vous associe pas à une menace terroriste ou criminelle grave, votre nom ne ressortira pas. L'échange d'informations se fait électroniquement. Seuls les noms de personnes associées à des menaces apparaîtront.

Et nous n'établissons pas de correspondance entre un nom et toute une base de données. Nous ne le faisons que pour un sous-ensemble de données se rapportant aux crimes les plus graves.

S'il y a quelque chose dans la base de données, nous procédons comme nous avons l'habitude de le faire. Nous effectuons un examen manuel et nous décidons des mesures à prendre.

Le projet de loi est très clair sur la conservation des renseignements. Certains renseignements sont gardés 24 heures et d'autres sept jours, et cetera. Un examen annuel est prévu. L'accès est régi par des lignes directrices strictes. Seules des personnes désignées par moi, le commissaire, y auront accès. Un système de contrôle très rigoureux est établi.

Ceux qui auraient à déposer des plaintes ou à manifester une inquiétude peuvent s'adresser à toute une série d'organismes et de personnes comme la Commission des plaintes du public ou le Commissaire à la protection de la vie privée, s'ils estiment avoir été injustement traités par les autorités, en vertu de cette loi.

Madame le sénateur, je pense que nous atteignons un juste équilibre entre la réception de renseignements se rapportant uniquement à des personnes qui représentent des risques graves et réels et les contrôles stricts liés à l'utilisation et à la conservation desdits renseignements.

Le sénateur Andreychuk: Et si mon nom apparaît sur cette liste, comment puis-je le savoir et comment puis-je protéger ma réputation, par exemple, si j'ai été désignée terroriste, simplement parce que je porte un nom courant, comme John Smith ou Lee, qui figure dans la banque de données? Il ne semble pas y avoir d'examens parlementaires ni de garanties que ces noms seront triés et qu'ils ne serviront qu'aux fins prévues, une fois dans la banque. Comment puis-je me défendre? Que peut faire le Parlement?

M. Zaccardelli: Au bout du compte, je relève du ministre, et lui-même, du Parlement. Divers comités du Parlement me convoquent pour que je rende des comptes sur la gestion de la GRC et de ses budgets. Il y a divers mécanismes qui font que je dois rendre des comptes.

Votre nom ne ressortirait, sénateur, que si vous représentiez une menace terroriste ou criminelle grave. Autrement, si vous étiez l'objet de petites enquêtes, votre nom ne ressortirait pas, puisque ce n'est pas ce que prévoit le système. Si votre nom apparaît, manifestement, vous êtes une préoccupation pour les pouvoirs publics et on vous en parlera. Ce n'est pas la simple apparition de votre nom qui fait qu'on enquêtera sur vous. Il y aura une vérification manuelle. Ensuite, les autorités fédérales ou locales feront enquête, vous serez avertie ou des mesures d'enquêtes appropriées seront prises. Vous saurez que vous faites l'objet d'une enquête. Une fois avisée, vous le saurez bien.

On pourrait ne rien vous en dire, auquel cas, cela signifierait que vous ne faites pas l'objet d'une enquête et que votre nom n'est pas ressorti. Il serait alors éliminé dans les 24 heures, et personne ne le verrait. L'échange de données est technologique. Il n'y a pas de lien. Votre nom ne resterait pas dans la base de données.

Le sénateur Andreychuk: Vous dites qu'on m'avisera. Il n'y a pas de disposition exécutoire, ni implicite, dans ce projet de loi sur la suppression des noms. Vous dites que si je suis suspectée, on m'en avisera, dans le cadre normal de l'enquête. Je parle de personnes que vous soupçonnez d'être terroristes, mais qui ne le sont pas. Vous pourriez commencer à échanger des renseignements avec les pouvoirs publics canadiens, les autorités américaines ou françaises, et vous rendre compte plus tard que vos craintes étaient sans fondement. Ma réputation serait alors ruinée. Ma liberté aurait même pu être compromise. À quel moment aurai-je au moins le droit de me défendre?

M. Zaccardelli: Il y a tout d'abord épuration. Comme je vous l'ai dit, l'information est épurée automatiquement tous les sept jours. Selon les cas, il peut s'avérer nécessaire de conserver et de partager cette information. Comme je l'ai dit, il existe des protocoles en matière d'échange d'informations.

C'est comme pour toute autre enquête qu'effectuent les autorités. Nous échangeons périodiquement des renseignements avec d'autres organismes au Canada et ailleurs dans le monde dans le cadre de notre travail, pour garantir la plus grande sécurité possible au Canada et aux Canadiens. L'information est échangée et elle est conservée. Voilà ce que nous faisons.

Vous le savez. Évidemment, nous devons rendre compte de l'utilisation que nous faisons de cette information.

Le sénateur Andreychuck: La vérificatrice générale a signalé, je crois, que la norme en matière d'obligation de rendre compte est trop variable dans nos régimes d'application de la loi. La surveillance n'est pas continue. Dans certains cas il y en a, dans d'autres non. Il ne s'agit pas ici de vous contester. C'est une question de bonne gouvernance. Cela me préoccupe.

L'autre aspect concerne le risque que des personnes, qui sont parfois innocentes, soient ciblées et piégées par une activité policière légitime. Je pourrais par exemple prendre l'avion et, pour une raison ou une autre, être faussement accusée, détenue durant sept jours ou davantage et des renseignements à mon sujet seraient envoyés je ne sais où. Je ne vois pas comment l'examen parlementaire peut empêcher cela.

Je comprends le travail des policiers. On trouve des suspects. On détermine un domaine d'activités suspectes, on établit des liens ou on obtient de l'information et puis on suit une piste. Voilà comment les policiers font leur travail de façon tout à fait correcte. Pourtant, le fait de monter à bord d'un avion ne devrait pas nous rendre vulnérables. Nous ne pouvons rien y faire. Nous ne pouvons pas savoir si nous étions ou non sur la liste ou si cette liste est en voie d'épuration. Il me semble que nous n'avons pas créé les fonctions de surveillance nécessaires pour garantir que les citoyens ne sont pas ciblés par négligence ou par erreur lorsque les policiers font le travail comme il se doit, simplement à partir du nom et de la date de naissance d'une personne.

M. Zaccardelli: Je puis vous garantir, sénateur, que si vous n'êtes pas mêlée à des activités terroristes ou criminelles d'envergure, le fait que vous montiez à bord d'un avion n'attirera l'attention de personne. Vous n'attirerez notre attention que si vous participez à des activités terroristes ou criminelles graves. Autrement, votre nom ne fera jamais surface. Il ne sera jamais porté à notre attention ni même relevé par qui que ce soit.

Vous avez parlez plus tôt du fait que la police «piégeait» les gens. Ce mot me déplaît. Nous ne piégeons pas les gens.

Le sénateur Andreychuck: Je voulais plutôt parler du fait de suivre les gens. Il s'agit peut-être d'un lapsus.

M. Zaccardelli: La mesure proposée comporte les mécanismes régulateurs nécessaires. Le système est doté de freins et de contrepoids. Nous rendons compte quotidiennement aux tribunaux et au ministre de nos actions et de notre façon d'agir. Nous avons des groupes de surveillance. Vous avez déclaré que, selon la vérificatrice générale, la surveillance est inégale, et cetera. Je ne suis pas certain que cela pose problème, étant donné la grande diversité d'organisations dans nos services. Il n'est donc peut-être pas souhaitable de leur appliquer le même type de surveillance. Il peut conviendrait peut-être d'adapter le type de surveillance aux caractéristiques de l'organisation. Nous nous penchons déjà sur d'autres mécanismes de surveillance possibles. J'irais jusqu'à dire que l'activité policière fait l'objet d'une surveillance considérable, à juste titre d'ailleurs, étant donné que nous disposons de pouvoirs qui ne sont pas à la portée du citoyen ordinaire. Nous devons toujours être vigilants dans la recherche de l'équilibre à cet égard.

Le sénateur Jaffer: Avant de commencer, j'aimerais vous complimenter pour votre travail à l'échelle internationale. Lors de notre passage en Sierra Leone, le sénateur Andreychuck et moi-même avons pu constater que vous y aviez affecté un agent responsable de la diversité. Je tiens à vous en féliciter. Mes collègues ne sont pas au courant, mais vous n'ignorez pas que je tente de faire affecter certains de vos agents au Soudan pour qu'ils fournissent de l'assistance aux forces policières locales. Permettez-moi donc de vous féliciter encore une fois.

Lorsque vous avez témoigné devant notre comité, dans le cadre de notre étude du projet de loi C-36, vous nous avez indiqué que vous disposiez de tous les outils requis pour bien faire votre travail, mais d'après ce que vous venez de dire au sénateur Andreychuk, il semble que vous ayez besoin maintenant de cet outil additionnel pour accélérer vos enquêtes. Vous ai-je bien compris? Vous avez déjà tous les outils qu'il vous faut, mais avec celui-ci, vous pourriez travailler plus vite, n'est-ce pas?

M. Zaccardelli: Nous jugeons cet outil nécessaire pour accroître la sûreté du système de transport aérien et la sécurité des voyageurs. C'est une demande qui n'est pas seulement faite par la GRC, c'est un mouvement qui se fait sentir non seulement au Canada mais, aussi comme je l'ai dit dans ma déclaration, à l'échelle mondiale. Beaucoup de pays ont emprunté cette voie. Les membres du G-8 y travaillent déjà. Comme vous le savez, nos homologues américains recueillent déjà ces informations auprès des transporteurs aériens. Sans cette mesure législative, les Américains disposeraient d'informations sur les voyageurs canadiens que nous n'aurions pas; nous serions alors dans une situation difficile quand nos collègues des États-Unis nous demanderaient de les aider dans leurs enquêtes. Mais ce n'est pas pour cela que nous avons besoin de cet outil. Nous en avons besoin pour renforcer la sécurité du public voyageur.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le commissaire, à votre dernière comparution devant notre comité au sujet du projet de loi C-36, vous avez déclaré, et je cite: «Nous n'établissons pas de profils raciaux». Est-ce encore la position de la Gendarmerie?

M. Zaccardelli: Absolument.

Le sénateur Jaffer: J'ai participé à des tables rondes un peu partout au pays, et des membres de la Gendarmerie m'ont dit qu'ils allaient en Californie pour une formation en établissement de profils raciaux. Est-ce vrai?

M. Zaccardelli: Absolument pas. C'est tout à fait faux. Nous n'établissons pas de profils raciaux et, pour autant que je sache, aucun membre de la GRC n'a suivi de formation de ce genre aux États-Unis. D'ailleurs, je ne connais aucun organisme d'application de la loi ou autre aux États-Unis qui appuie cette pratique.

Le sénateur Jaffer: Je peux vous donner plus de détails.

M. Zaccardelli: J'aimerais beaucoup avoir ces informations.

Le sénateur Jaffer: Je devrai d'abord obtenir l'autorisation de ces personnes, mais je peux vous dire que des membres de la GRC m'ont dit avoir reçu une formation en établissement de profils raciaux. Mais je leur en reparlerai.

M. Zaccardelli: Je voudrais préciser une chose. Nous établissons des profils, des profils de criminels, des profils géographiques, pour déterminer les tendances en matière de criminalité, et cetera. Nous établissons donc des profils, mais jamais de profils raciaux.

Le sénateur Jaffer: Mes collègues auront d'autres questions à vous poser, mais pour ma part, ce qui compte avant tout, c'est que vous jouissiez de la confiance de la collectivité; pour pouvoir faire ce genre de travail, il vous faut cette confiance. Or, le Canada est composé de gens qui ressemblent au sénateur Phalen, mais aussi de gens comme moi. Que comptez-vous faire, après l'adoption du projet de loi C-36, pour instaurer la confiance au sein de la collectivité?

M. Zaccardelli: Je suis ravi que vous posiez cette question car je crois que nous avons déjà accompli beaucoup de choses.

Dans toutes les provinces, nous avons un programme en vertu duquel des policiers ont le mandat précis d'aller rencontrer des groupes et des Canadiens de différents milieux, par exemple, de la communauté musulmane. Nous sommes allés dans des mosquées. Nous avons invité des leaders religieux à nos séances de formation. J'ai moi-même tenu une assemblée publique à Toronto, il y a un an et demi, à laquelle ont assisté plus de 500 représentants des minorités visibles, dont bon nombre de musulmans.

Le sénateur Jaffer: Est-ce la dernière fois que vous avez rencontré des musulmans?

M. Zaccardelli: Non. Le 2 janvier, j'ai prononcé un discours devant un auditoire de 9 000 musulmans à Toronto. Certains se sont demandés si c'était sage de le faire. Moi, j'ai voulu y aller et nous avons discuté de ce genre de questions. Il n'est pas facile d'instaurer la confiance et je sais que des membres des minorités visibles sont convaincus que nous établissons des profils raciaux. J'accepte leur point de vue, mais je veux aussi les rencontrer. Je tiens compte de leurs préoccupations. Il est important de se voir et de se parler. Je sais que d'autres chefs de police et d'autres services de police font des tentatives semblables. Nous déployons des efforts en ce sens de façon constante.

Nous comptons aussi sur les conseils d'un comité consultatif national de minorités visibles qui comprend des musulmans. Je rencontre ce comité régulièrement. Il représente toutes les régions du pays. À l'occasion de ces réunions, il me dispense des conseils sur les diverses façons d'améliorer les services que la GRC offre aux minorités visibles et m'explique comment comprendre ces communautés.

Est-ce que tout est parfait? Pourrions-nous faire davantage? Probablement, mais je suis très fier de ce que nous accomplissons.

Le sénateur Jaffer: Monsieur le commissaire, je suis aussi fière de votre travail. Hier, nous avons entendu parler de deux cas de profils raciaux à Toronto et nous savons tous que là-bas, les Noirs au volant d'une voiture se font arrêter non pas parce qu'ils sont en état d'ébriété, mais tout simplement en raison de la couleur de leur peau. J'ai du mal à vous croire quand vous déclarez que vous n'établissez pas de profils raciaux, parce que ce n'est pas ce que vos agents m'ont rapporté et ce n'est pas non plus ce que bien d'autres gens que j'ai rencontrés m'ont dit.

M. Zaccardelli: J'aimerais avoir des renseignements sur les membres de la GRC qui vous ont dit que nous établissions des profils raciaux. Je voudrais obtenir ces renseignements avant de vous quitter car ces allégations sont très graves.

Le sénateur Jaffer: Je ne peux vous dire qui ils sont car je ne veux pas que leur situation professionnelle soit menacée, mais je les ai rencontrés et ils m'ont dit qu'ils avaient reçu en Californie une formation sur les profils raciaux.

La présidente: Merci, sénateur Jaffer.

Cette question n'est pas directement liée au projet de loi, mais elle est très sérieuse et il faudra en assurer le suivi, monsieur Zaccardelli. Je vous saurais gré de nous fournir tout document pertinent, surtout sur cette formation que certains de vos agents suivraient en Californie.

M. Zaccardelli: Je tiens à ce qu'il soit bien clair que nous n'envoyons pas nos agents en Californie et que, si certains y sont allés, je n'en ai pas été avisé. Je n'ai reçu aucune information à ce sujet et on ne m'en a jamais parlé. J'aimerais avoir ces informations sans tarder et avant de partir d'ici, si possible. Je ne pourrai rien faire si je n'ai pas plus de détails. Sauf tout le respect que je vous dois, sénateur, je comprends que vous vous inquiétiez de ce que vous disent des membres de la GRC, mais je présume que vous voulez aussi aller au fond des choses, car s'ils vous en ont parlé, c'est qu'ils voulaient que la question soit soulevée. Ces allégations sont très troublantes et préoccupantes parce qu'il n'y a aucune politique de ce genre à la GRC et je crois l'avoir dit clairement.

Le sénateur Phalen: J'aimerais revenir aux questions du sénateur Andreychuk pour obtenir une précision. Je crois savoir que, dans d'autres pays, les autorités peuvent demander aux transporteurs aériens de leur fournir des informations sur les vols à destination de ces pays ou y faisant escale. À quelles conditions les transporteurs aériens transmettent-ils des informations à des gouvernements ou à des organisations d'autres pays? Est-ce que cela se fait automatiquement? Est-ce qu'on est tenu de donner ces renseignements si on entre dans ces pays?

M. Zaccardelli: Les règles d'accueil sont diffèrent selon les pays. Les États-Unis demandent certains renseignements et, après que vous les avez fournis, les autorités américaines décident si elles vous laissent entrer ou pas.

Le sénateur Phalen: Y a-t-il des balises qui limitent l'usage, la divulgation et la rétention des informations transmises à un autre pays?

M. Zaccardelli: Voilà précisément pourquoi les protocoles sont nécessaires. Ce sont les protocoles qui déterminent les conditions de la communication de renseignements, comment elle se fera, ce qu'on pourra faire des informations transmises, et cetera. Nous avons signé des centaines de protocoles avec de nombreux pays sur des questions semblables. Nous échangeons constamment des informations dans toute une gamme de domaines liés à l'application de la loi, et ces protocoles limitent l'échange et l'emploi de ces informations. En général, ces protocoles sont respectés. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il n'y a jamais eu d'abus, d'usages abusifs ou d'erreurs. Toutefois, nous ne transmettons d'informations aux Américains, aux Européens ou à d'autres pays de façon régulière que si nous sommes certains qu'ils les utiliseront à bon escient. Autrement dit, les renseignements que nous fournissons doivent servir à faire progresser une enquête et nous devons obtenir la garantie qu'on n'en fera pas un emploi abusif.

Le sénateur Phalen: Est-ce que ce sont les transporteurs aériens qui transmettent eux-mêmes les informations ou passent-ils par votre entremise, et êtes-vous informés de la nature des renseignements demandés?

M. Zaccardelli: Les renseignements que nous pourrions obtenir aux termes du projet de loi C-7?

Le sénateur Phalen: Oui.

M. Zaccardelli: Ce sont les transporteurs aériens qui nous les transmettent par le biais d'un système informatique.

Le sénateur Phalen: Quand la demande provient d'un autre pays, qui transmet les informations?

M. Zaccardelli: Vous voulez dire si des autorités étrangères nous demandent des renseignements?

Le sénateur Phalen: Si des autorités étrangères demandaient ces informations au transporteur aérien.

M. Zaccardelli: C'est le transporteur aérien qui décide de transmettre ou non ces informations au pays étranger.

Je suis désolé, sénateur, je ne suis pas certain d'avoir répondu à votre question.

Le sénateur Phalen: C'est qu'il y a une tierce partie. Je peux comprendre que ce soit la GRC qui transmette à des autorités étrangères des informations que détient un transporteur aérien sur ses passagers.

M. Zaccardelli: Nous ne divulguons pas les informations que détiennent les transporteurs aériens sur leurs passagers. Nous transmettons, dans des cas bien précis, des informations sur une personne donnée, sur un vol en particulier, qui pourraient présenter un intérêt spécial. Par exemple, si le système que nous mettrons en place, après l'adoption du projet de loi C-7, nous signalait la présence à bord d'un avion d'une personne à l'égard de laquelle nous avons des soupçons, nous jugerons peut-être nécessaire de transmettre ces informations à un autre pays, conformément au protocole en vigueur.

Le sénateur Phalen: Le transporteur aérien peut, à la demande d'un autre pays, transmettre ces informations, n'est- ce pas?

M. Zaccardelli: S'il le juge bon, oui.

La présidente: Monsieur le sénateur Phalen, nous entendrons la semaine prochaine des représentants des lignes aériennes. Vous voudrez peut-être leur poser ces questions-là.

Le sénateur Graham: Je tiens d'abord à dire que, comme Canadien, je suis très fier du travail qu'accomplit la GRC. Pourriez-vous nous dire comment vous coopérez ou interagissez avec le SCRS dans les affaires de ce genre.

M. Zaccardelli: C'est une bonne question. Comme vous le savez, le SCRS dispose de son propre système lui donnant accès à ces informations. Le SCRS et la GRC ont signé des protocoles régissant l'échange d'informations, car nous n'avons pas automatiquement accès aux banques de données du SCRS et le SCRS n'a pas non plus accès aux nôtres.

Si les informations dont dispose le SCRS l'amènent à croire qu'une personne pourrait être impliquée dans une affaire criminelle, il nous transmet les informations pertinentes et nous agissons en conséquence. S'il y a menace sur la sécurité du transporteur aérien ou celle de ses passagers, nous prenons les mesures policières qui s'imposent afin de neutraliser cette menace et de ramener la situation à la normale.

Nous entretenons des relations de travail étroites avec le SCRS. Toutefois, nous n'obtenons des informations que si nous devons intervenir relativement à un crime. Le SCRS ne nous communique pas tous ces renseignements automatiquement et nous ne lui transmettons pas automatiquement les nôtres. Si nous trouvons dans nos bases de données des informations d'intérêt pour le SCRS, nous les lui communiquons, tout comme il nous fournit les informations susceptibles de nous intéresser. Chaque service n'a pas le plein accès aux informations de l'autre.

Le sénateur Graham: L'ancien commissaire à la protection de la vie privée a mentionné le nombre de patronymes très courants au Canada. Il nous a dit, par exemple, qu'il avait répertorié 200 Paul Martin, alors que nous savons tous qu'il n'y en a qu'un seul.

Dans ma région, en Nouvelle-Écosse, vous pouvez vous imaginer combien il y a de John MacDonald, des John R., des John A., et cetera. Moi-même, j'ai trouvé un autre Al Graham pendant une mission d'observation pré-électorale au Pakistan. Au moment où je changeais d'avion, j'ai été appréhendé par les autorités et mis en détention temporaire parce que leur banque de données indiquait que Al Graham était un trafiquant de drogue. Il m'a fallu un certain temps pour dissiper le malentendu.

Dans un cas comme celui-là, ce genre d'information traverserait-il l'océan pour se rendre jusqu'à votre système? Devrais-je m'en inquiéter? Ça s'est produit en 1993.

M. Zaccardelli: Je ne prétendrai pas que, à l'échelle du globe, on ne fait jamais aucune erreur sur la personne. Il importe toutefois de se rappeler que, en ce qui a trait au projet de loi C-7 et à la façon dont ses dispositions s'appliqueront, l'obtention du nom n'est que la toute première étape. Si nous établissons une correspondance avec le sous-groupe de données, l'agent désigné — qui est le seul à pouvoir obtenir ces informations — doit vérifier s'il s'agit bien de la bonne personne. Ce n'est que la première étape. L'agent doit ensuite procéder à toute une série de vérifications pour confirmer l'identité. Ce n'est qu'après qu'on peut intervenir. Il ne suffit pas que le système nous donne le nom d'Al Graham pour que nous allions l'arrêter. Nous devons nous assurer que c'est bien le bon Al Graham ou Paul Martin, si vous préférez employer ce nom.

Toute une série d'étapes sont prévues. Je ne prends pas cela à la légère. L'obtention du nom n'est que la première étape d'un long processus d'identification. Si l'identité ne peut être établie avec certitude, nous ne pouvons rien faire. Nous devons respecter les lois et les règles du pays. Nous ne pouvons agir que si nous avons des motifs raisonnables de croire que cette personne représente une menace; ce n'est qu'alors que nous pouvons intervenir.

Le sénateur Graham: Et est-ce que vous intervenez immédiatement?

M. Zaccardelli: Bien sûr.

Le sénateur Graham: Comment?

M. Zaccardelli: Ce qui compte, c'est d'obtenir l'information rapidement. Si le suspect est censé monter à bord d'un avion dans une heure, je ne peux attendre deux jours pour obtenir ces renseignements car j'en ai besoin tout de suite. Après, je procède à une vérification.

Selon l'endroit où se trouve le suspect, nous devons nous adresser aux autorités policières locales pour qu'elles fassent leurs propres vérifications. Ce n'est pas toujours facile. Il faut franchir plusieurs étapes. Dans tous les cas, nous devons aussi tenir compte de la Charte des droits. Quelles que soient les mesures que nous prenons, le suspect jouit des droits garantis par la Charte et la Constitution. Nous devons avoir des motifs raisonnables de le soupçonner. Nous devons l'informer qu'il fait l'objet d'un mandat ou que nous croyons qu'il a commis un crime. Il doit être informé. Il a aussi le droit d'être représenté par un avocat. Il a tout les droits consentis habituellement aux suspects ou les accusés. Les dispositions du projet de loi C-7 nous permettront d'obtenir son nom plus rapidement. Par la suite, nous devrons respecter les normes très strictes établies par les tribunaux et la Constitution avant d'intervenir.

De plus, les interventions policières abusives font l'objet de mesures de surveillance et de contestation.

La présidente: Vous comparez les informations sur les passagers à un sous-groupe d'informations contenues dans vos propres banques de données. Quel est ce sous-groupe? Qui en fixe le contenu? Quels sont les critères et les mesures de contrôle?

M. Zaccardelli: C'est le projet de loi qui établit le contenu du sous-groupe. Il s'agit essentiellement de délinquants violents ayant commis des crimes graves ou d'individus constituant une menace terroriste sérieuse et qui pourraient représenter un danger pour le transporteur aérien ou ses passagers. Cela comprend ceux qui sont impliqués dans des activités illégales liées aux drogues.

Nous ne cherchons pas ces noms dans nos vastes banques de données. Nous ne vérifions que dans le sous-groupe qui se limite aux menaces les plus sérieuses pour les transporteurs aériens.

La présidente: Le simple fait, par exemple, que je sois allé en Arabie Saoudite l'an dernier ne figurerait pas dans ce sous-groupe?

M. Zaccardelli: Non.

Le sénateur Beaudoin: Je m'inquiète de la présomption d'innocence. Ce n'est pas parce qu'on prend l'avion qu'on est peut-être un terroriste. Vous ne pouvez présumer de quelqu'un qu'il est terroriste. Je me demande si les pouvoirs que vous confère le projet de loi C-7 ne constituent pas une violation de la présomption d'innocence. Beaucoup de gens prennent l'avion chaque jour.

Bien entendu, très peu d'entre eux sont des terroristes, du moins, nous l'espérons. Mais il est possible qu'il y en ait un. Je vois le besoin d'une loi comme celle-ci et je suis prêt à donner davantage de pouvoirs à la police, si c'est absolument nécessaire. Mais vous ne pouvez pas présumer que tous sont des terroristes en puissance. C'est ma première observation.

Deuxièmement, vous dites que vous aurez un dossier sur quelqu'un, qui sera détruit après un certain temps. Grande sera la tentation de n'en rien faire, quand sera venu le moment de les détruire, ces dossiers. Nous avons tous peur de mourir et nous tenons à notre sécurité. Vous travaillez sur un dossier, ou sur de nombreux dossiers, et après quelques jours, il faut détruire l'information. Si vous avez transmis le dossier aux Américains, ou à un autre pays, pensez-vous qu'ils le détruiront? Voilà mes deux questions.

M. Zaccardelli: Ce sont de bonnes questions, sénateur Beaudoin. Je vous le rappelle, nous avons un système gouvernemental et des procédures du Conseil du Trésor. On détruit des dossiers de manière routinière. Si la loi dit qu'il faut le faire après 24 heures, ou après sept jours, c'est exactement ce qui se fera. Nous n'avons nullement l'intention d'enfreindre quelque loi que ce soit. Si les dossiers ne sont pas détruits, non seulement nous aurons enfreint la loi qui est proposée aujourd'hui, mais aussi la Loi sur la GRC, puisque nous n'aurons pas fait notre devoir. C'est une question très grave et nous ne la prenons pas à la légère. Ces dossiers seront détruits. Il y a un mécanisme d'examen et de vérification pour s'en assurer.

J'aimerais revenir à la question des dossiers, dont vous avez parlé. Rappelez-vous que les seuls noms qui ressortiront sont ceux de personnes reconnues comme étant terroristes ou faisant l'objet de mandats d'arrestation. Nous avons déjà ces noms. Il s'agit de criminels ou de terroristes notoires. Les noms ne sont pas choisis au hasard. Ce sont ceux des personnes déjà identifiées. Quand on sait qu'une personne est terroriste et qu'elle prend l'avion, nous devons présumer qu'elle représente une menace pour la ligne aérienne et pour les autres passagers. C'est une question fondamentale. Il y a un équilibre délicat à respecter.

Je comprends les objections qui pourraient être soulevées, mais nous croyons que permettre à une personne connue pour avoir participé à des activités terroristes de prendre l'avion, c'est-à-dire de ne pas l'intercepter, pourrait mettre en danger la vie de nombreux Canadiens.

Le sénateur Beaudoin: Que faites-vous de la présomption d'innocence?

M. Zaccardelli: Nous ne la perdons pas de vue, puisque les noms qui ressortiront de nos dossiers seront ceux de personnes ayant commis des infractions graves et faisant l'objet d'un mandat d'arrestation, ou encore de personnes représentant une menace grave, du fait de leur participation à des activités terroristes. Je comprends qu'une personne qui a participé à des activités terroristes peut ne pas avoir été reconnue coupable de cela, mais si nous avons suffisamment de renseignements sur son implication, devons-nous la laisser prendre l'avion, sans rien faire? Voilà le dilemme. Voila une question fondamentale.

Le sénateur LaPierre: Je suis désolé que vous ayez à traiter de ce projet de loi stupide. C'est la pire intrusion dans la vie privée des Canadiens depuis la création du pays, en 1867. C'est scandaleux. Voilà mon commentaire, pour l'instant.

Monsieur, comprenez-vous les pouvoirs que vous confère ce projet de loi? Avez-vous lu les articles 4.81 ou 4.82? Vous avez des pouvoirs dictatoriaux, monsieur. Vous, ou vos policiers, pouvez faire ce que vous voulez. Ceux d'entre nous qui ont vécu l'année 1970 savent parfaitement bien que même si vous n'avez pas de politiques de ciblage, beaucoup d'entre nous ont été ciblés par la GRC en 1970, ou par ses responsables, parce que nous avons défendu la cause du Québec — non pas l'indépendance, mais le nationalisme canadien français. Ma maison a été perquisitionnée trois fois, par trois corps policiers différents. La police a suivi mes enfants jusqu'à la maternelle, à maintes et maintes reprises. Voilà pourquoi je me méfie de la police de mon pays, que ce soit la vôtre ou une autre.

Je pense que ces devoirs et ces responsabilités doivent être précisés dans une loi très claire. Cet article vous donne tout pouvoir, monsieur. Vous ne vous en servirez peut-être pas, parce que vous êtes un homme bon, me dit-on. Mais on pourrait voir à votre place quelqu'un qui ne serait pas aussi gentil que vous pouvez l'être et il y a des officiers, chez vous, qui ne sont pas aussi sympathiques que vous.

Vous ne leur donnez pas de formation pour ce profilage, mais le profilage, monsieur, n'a rien à voir avec le fait que le sénateur Jaffer soit une Canadienne musulmane. Il s'agit plutôt de se dire d'une personne: «Ce doit être un bandit». Cela s'est déjà vu. Ceux d'entre nous qui ont côtoyé des Noirs qui essayaient de faire valoir leurs droits en ce pays savent que des policiers de la GRC établissaient leur profil: pour eux, tous les Noirs étaient des bandits, parce qu'ils se ressemblaient tous. Nous l'avons vu, monsieur. Qu'est-ce qui vous fait croire que cela ne se reproduira pas?

M. Zaccardelli: Je vivais au Québec en 1970, et je pense que nous avons évolué depuis. Puis-je affirmer que nous sommes parfaits? Puis-je déclarer qu'il n'y a pas, à la GRC, d'hommes ou de femmes racistes, et qu'aucun ne considérera les personnes comme vous venez de le décrire? Il y a probablement des gens comme cela, mais nous essayons de les exclure. Nous tentons le plus possible de réduire leur nombre, grâce à diverses politiques, systèmes de reddition des comptes, et cetera. Je pense que nous faisons un excellent travail, mais nous ne sommes pas parfaits, et nous avons chez nous des gens qui ne partagent pas les valeurs auxquelles nous croyons tous.

Le sénateur LaPierre: Les congédiez-vous?

M. Zaccardelli: Quand c'est possible, certainement. Je n'en veux pas dans mon organisation. Souvent, nous allons devant les tribunaux, qui me les renvoient. C'est une autre de mes frustrations, mais nous pourrons en reparler une autre fois.

Le sénateur LaPierre: Nous ne parlerons pas des tribunaux.

M. Zaccardelli: Mais nous, nous devons bien traiter avec eux. Nous essayons de congédier ces gens, de nous en débarrasser. Mais ils ont droit à une procédure équitable.

Je partage vos préoccupations, mais nous vivons dans un monde de plus en plus laid et qui ne fait que se dégrader, de bien des façons. À mon avis, nous avons besoin de cet outil. Sans lui, nous continuerons de faire de notre mieux, mais sachez que je ne peux pas améliorer la sécurité du pays sans cela. Ce serait utile. Je suis prêt à me soumettre à toutes les conditions et surveillances raisonnables. C'est ce que nous avons toujours dit. Je l'ai toujours dit. Je l'ai dit au sujet du projet de loi C-36, je l'ai dit cette fois-ci, je le dis tout le temps.

Je sais qu'on a l'impression que nous obtenons beaucoup plus de pouvoirs. Je dis que ce n'est pas le cas, mais là n'est pas la question. Je comprends vos préoccupations, puisqu'elles ont déjà été soulevées. Mais je pense que nous avons une assez bonne feuille de route, malgré certains abus.

Le sénateur LaPierre: Nous sommes tous deux Canadiens; dites-moi: croyez-vous que mes droits doivent être sacrifiés pour ma sécurité? Dois-je réduire mes attentes quant à la protection de mes renseignements personnels, quant à ma liberté d'expression, et toutes sortes d'autres droits, pour être plus en sécurité? C'est ce qui se produit aux États- Unis, on le sait bien, mais dois-je accepter cela dans mon pays? Est-ce le prix à payer?

M. Zaccardelli: Vous me posez une question qui...

Le sénateur LaPierre: En tant que Canadien.

M. Zaccardelli: En tant que Canadien? Je crois qu'on a déplacé un peu le point d'équilibre. Je crois que nous sommes confrontés à une grave menace et je crains fort que nous ne visions pas le bon équilibre. Je ne veux pas le pouvoir pour avoir le pouvoir. Je ne veux pas l'autorité pour elle-même. Je ne me suis pas servi une fois des pouvoirs conférés par le projet de loi C-36. Malgré ce dont semble nous accuser les journaux, nous ne l'avons pas fait.

Mais il reste que c'est le monde dans lequel nous vivons. Nous pouvons faire fi de la réalité. Je ne veux renoncer à aucun de nos droits. Mais où est l'équilibre? Ce n'est pas à la police de le déterminer. C'est à la société de le décider. Il faut un bon débat à ce sujet. J'accepterai la décision qui sera prise.

Le sénateur LaPierre: Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Corbin: Je voudrais demander au commissaire s'il est au courant du programme CAPPS II aux États- Unis.

[Traduction]

CAPPS II est l'acronyme de Computer Assisted Passenger Pre-screening System II, soit ce dont nous parlons. Étiez- vous au courant?

M. Zaccardelli: Je sais qu'ils ont un système en place, en effet.

Le sénateur Corbin: Ils ont un système. Savez-vous qu'ils ne l'ont même pas testé?

M. Zaccardelli: Je l'ignorais.

Le sénateur Corbin: On nous demande de fournir des renseignements qui seront versés dans un système, quand il fonctionnera. Cela suscite beaucoup d'inquiétudes aux États-Unis, et les lignes aériennes refusent de collaborer en fournissant des données. Bon nombre de citoyens américains ont été mécontents du fait que Northwest Airlines, par exemple, ait fourni secrètement des renseignements pour ce programme, sans en aviser les personnes touchées. Northwest Airlines est l'agent nord-américain de KLM et offre des services aux Canadiens qui vont non seulement aux États-Unis, mais aussi un peu partout ailleurs dans le monde.

Que faisons-nous? Essayons-nous d'être plus papistes que le pape? Les Américains n'ont même pas fait de tests pour ce programme, et on nous demande d'autoriser qu'y soient versés des renseignements sur les citoyens canadiens. Cela me dérange beaucoup. Tout le monde peut trouver cette information sur divers sites Internet, comme celui du Homeland Security ou de la Transportation Security Administration. On peut tout y trouver. J'y ai jeté un coup d'oeil ce matin. Les représentants américains au Congrès sont dérangés par la tournure des événements. Je peux vous citer l'un d'eux, qui a dit hier: «Je ne crois tout simplement pas que la voie choisie nous mènera quelque part». Il s'agit du représentant démocratique de l'Oregon, Pete DeFazio, qui a aussi dit qu'il serait préférable de consacrer ces ressources à la vérification des bagages et au resserrement des contrôles sur les employés des aéroports.

Je m'étonne que vous ne sachiez pas ce qui se passe chez nos voisins du Sud. Bien sûr, nous sommes tous pour l'amélioration de la sécurité, ne vous méprenez pas. Ce qui se passe me fait peur aussi et je crois bien que vous faites de votre mieux pour nous protéger. Mais il faut reconnaître que les Américains ne sont pas prêts.

M. Zaccardelli: Sénateur, je comprends. Nous suivons de près ce qui se passe aux États-Unis. Comme vous le savez, beaucoup de changements se produisent rapidement chez nos voisins du Sud. Ce projet de loi ne se rapporte toutefois pas à la transmission des renseignements. Manifestement, les lignes aériennes sont tenues de fournir des renseignements aux autorités américaines. Ce projet de loi porte sur l'appariement de certaines informations avec celles de nos bases de données. Il ne s'agit pas de transmettre des renseignements à qui que ce soit, sauf dans des cas particuliers, si nous estimons qu'il faut faire un suivi, après enquête.

Le sénateur Corbin: Je croyais que tout était relié. Je ne comprends tout simplement pas ce que vous me dites maintenant. Je pense que vous ne parlez que d'une partie du programme. Je dois vous croire sur parole, remarquez bien, car je ne pense pas que ce projet de loi a été bien préparé. D'ailleurs, le programme est à l'essai et fait l'objet de réticences aux États-Unis, et là-bas, c'est une question de protection des renseignements personnels et de respect des libertés. Comme nous, ils s'inquiètent de la confidentialité des données. Ils ne se laisseront pas faire. Nous devons tous en être bien conscients, mais je ne pense pas que nous devions devancer les Américains qui ont demandé notre collaboration, d'autant plus qu'eux-mêmes n'ont pas mis sur pied un programme qui fonctionne. Quand ce sera le cas, nous saurons tous vers quoi nous nous dirigeons.

M. Zaccardelli: La loi a déjà été adoptée.

Le sénateur Corbin: C'est vrai, mais les programmes n'ont pas encore été mis à l'essai. Ils ne fonctionnent pas. Il y a beaucoup de résistance et de contestation. D'ailleurs, des poursuites ont été intentées devant les tribunaux. Vous voyez où je veux en venir.

La présidente: En effet. Sénateur Corbin, je suis certain que nous voudrons revenir à ces questions et à celles qu'a soulevées le sénateur Phalen lors de la comparution prochaine des représentants des transporteurs aériens.

Le sénateur Corbin: Avez-vous un programme qui garantisse que tout votre personnel respectera non seulement la lettre, mais aussi l'esprit de la législation sur la protection de la vie privée au pays? Est-ce que vous l'informez de l'évolution de la situation en matière de terrorisme et de vie privée? Vos membres sont-ils sensibilisés à cette question? Que faites-vous à ce chapitre?

M. Zaccardelli: Nous y sommes très sensibles. Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, seules quelques personnes, des agents que je désignerai moi-même, auront accès aux données découlant de la comparaison des listes de passagers au sous-groupe d'informations, et ce sous-groupe ne contient que des renseignements sur les activités terroristes et criminelles sérieuses.

Pour le reste, tout notre travail dans ce domaine, c'est-à-dire les enquêtes criminelles liées à la sécurité nationale, est extrêmement centralisé. En général, les fonctions policières sont très décentralisées. En raison de la nature du travail de police, une bonne partie des pouvoirs doivent être délégués, mais cet aspect de notre travail est contrôlé par un petit groupe de personnes travaillant à la direction générale, justement parce que plus le nombre de personnes augmente, plus le risque est grand.

La protection de la vie privée et des renseignements personnels est cruciale. Comme vous le savez, nous avons été critiqués par l'ancien commissaire à la vie privée que nous voyions très souvent. Nous avons des rencontres régulières avec la commissaire actuelle, que vous entendrez plus tard, pour nous assurer de bien comprendre tous les enjeux, de trouver le juste équilibre et de collaborer avec elle pour régler les problèmes qui pourraient surgir —, dont certains ne disparaissent pas — qu'il s'agisse de caméras sur les coins de rue ou d'autres questions liées à la vie privée. Nous sommes en rapport constant et tous nos membres sont tenus au courant.

C'est une question importante dont nous nous préoccupons constamment. Nous sommes très conscients du fait que, depuis le 11 septembre, cet équilibre est encore plus précaire. Je peux vous assurer que cela m'inquiète préoccupe beaucoup, monsieur le sénateur.

La présidente: Merci, MM. Zaccardelli, Hanniman et Scrivens.

Le sénateur Andreychuk: Ce projet de loi a d'abord été déposé dans le cadre d'une approche en trois volets de lutte contre le terrorisme, qui visait les terroristes, et personne d'autre. Toutefois, vous nous parlez aujourd'hui d'un sous- groupe de renseignements. Vous comparerez nos noms à ceux de trafiquants de drogue, de criminels et de terroristes. Il nous a fallu plus de 100 ans pour doter notre système de justice pénale des freins et contrepoids nécessaires et voilà que vous mêlez les terroristes et les criminels. Si nous voulons nous attaquer aux terroristes, s'il faut préserver l'intégrité de votre banque de données, s'il faut minimiser les effets sur les gens, avons-nous véritablement besoin du paragraphe 4.82(11)? Ne pourriez-vous pas trouver des informations sur les terroristes et lutter contre le terrorisme sans toucher à cet équilibre très délicat que nous avons atteint en matière pénale?

M. Zaccardelli: C'est une excellente question, mais, vous savez, plus rien ne se fait isolément. Les terroristes sont impliqués dans le crime organisé; les criminels organisés participent à certaines activités terroristes et le terrorisme est financé en partie par de petits délinquants, comme nous l'avons malheureusement constaté dans l'affaire Ressam, à Montréal. Ces criminels n'étaient pas dans notre point de mire. Ressam nous a éludés. Nous aurions probablement dû l'arrêter plus tôt.

Toutes ces activités sont liées. Nous nous intéressons à ceux qui commettent des crimes graves parce qu'ils pourraient menacer la sécurité des transporteurs aériens et de leurs passagers. Mais nous nous limitons aux activités criminelles les plus graves. Il y a des organisations et des personnes liées au crime organisé qui, à notre avis, représentent une menace pour les passagers de ces avions. Voilà pourquoi les informations à leur sujet font partie du sous-groupe; mais ces informations sont clairement limitées.

Le sénateur Andreychuck: Je ne vois pas de limites dans le projet de loi, contrairement à votre base de données qui peut-être en comporte; à première vue, vous avez carte blanche.

M. Zaccardelli: Honorables sénateurs, c'est toujours un plaisir de venir vous rencontrer.

La présidente: Chers collègues, notre prochain témoin va traiter de certaines des questions qui ont déjà été soulevées. Il s'agit de Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Mme Stoddart est accompagnée de Mme Heather Black, commissaire adjointe. Elles pourront toutes les deux discuter avec nous des préoccupations que pourrait avoir la commissaire à la vie privée concernant ce projet de loi. Vous vous souvenez sans doute que Mme Stoddart a témoigné devant le comité plénier du Sénat l'an dernier peu de temps avant que sa nomination ne soit confirmée.

Soyez la bienvenue, madame Stoddart. C'est votre première comparution devant notre comité. J'ignore si c'est votre première comparution devant un comité du Sénat autre que le comité plénier.

Mme Jennifer Stoddart, commissaire à la protection de la vie privée du Canada: Oui, j'ai témoigné devant le comité sénatorial qui était saisi du projet de loi sur la procréation assistée, il y a quelques semaines.

La présidente: Vous savez donc comment nous procédons. Nous sommes très heureux de vous accueillir. Comme vous avez pu le constater, les sénateurs ont beaucoup de questions à poser qui touchent directement votre mandat.

Mme Stoddart: Honorables sénateurs, je tiens encore une fois à vous dire comme je suis heureuse d'être invitée à témoigner devant vous quelques mois après ma nomination. Je suis accompagnée ce matin de la commissaire adjointe, Heather Black, qui est aussi avocate générale par intérim et qui a été, pendant plusieurs années, avocate générale au Commissariat à la protection de la vie privée, et de M. Carman Baggaley, conseiller principal en matière de politiques qui suit de ce dossier.

J'ai un discours assez long à lire, car il s'agit d'une question très complexe. Nous avons voulu mettre par écrit le fruit de nos réflexions. Nous avons tenté de nous concentrer sur l'objet du projet de loi et de proposer des changements positifs pour l'immédiat, plutôt que d'aborder toute une série de questions dont on discute régulièrement et dont on discutera encore longtemps probablement.

Dès le départ, je voudrais être très claire. Nous nous opposons vivement à ce projet de loi pour deux raisons: d'abord, parce que les dispositions législatives sont beaucoup trop vastes et ensuite, parce qu'il s'approprie des organisations du secteur privé en les mettant au service des forces de l'ordre.

Avant d'aborder ces deux réserves, j'aimerais m'attarder brièvement sur l'historique de cette mesure législative, probablement parce que je suis historienne de formation.

L'historique de ce projet de loi a été marqué par la controverse. La première version a été déposée il y a deux ans et demi, mais le projet de loi n'a pas encore été adopté par les honorables sénateurs. Devriez-vous l'adopter maintenant, sous sa forme actuelle, nous sommes d'avis que non.

[Français]

Le projet de loi C-7 a vu le jour sous l'appellation de projet de loi C-42, dont la première lecture a eu lieu en novembre 2001, peu après les attentats terroristes. Le projet de loi C-42 est un des trois projets de loi qui constituaient la réponse législative du gouvernement aux événements du 11 septembre. Les deux autres projets de loi, soit le projet de loi C-36 qui est la Loi antiterroriste et le projet de loi C-44 qui est la Loi modifiant la Loi sur l'aéronautique, ont été adoptés à la fin de 2001.

Le projet de loi C-42 a fait l'objet de vives critiques et a été retiré. Après une révision sommaire, il est réapparu sous l'appellation du projet de loi C-55, mais il est mort au Feuilleton au moment de la prorogation du Parlement, en septembre 2002. Son successeur, le projet de loi C-17, est également mort au Feuilleton. Voici maintenant le projet de loi C-7, sa dernière réincarnation.

Un rappel de l'historique du projet de loi C-7 peut s'avérer instructif pour deux raisons: premièrement, le projet de loi C-42 a été déposé dans la foulée des attentats du 11 septembre au moment où, cela va de soi, nous étions tous horrifiés devant cette nouvelle facette du terrorisme. Le gouvernement fédéral a alors senti le besoin de réagir avec fermeté. Deux ans et demi plus tard, honorables sénateurs, le moment est venu de nous demander si cette mesure législative est toujours pertinente.

Deuxièmement, j'aimerais souligner que c'est la quatrième fois que le gouvernement essaie de faire adopter la Loi sur la sécurité publique. Tout au long de ce processus, des citoyens, des organisations et de nombreux parlementaires ont exprimé de sérieuses réserves quant aux répercussions du projet de loi sur la protection de la vie privée et les droits de la personne. À ce nombre figurent sept commissaires provinciaux à l'information et à la protection de la vie privée, ainsi que la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles. Si ce projet de loi a été la cible de tant de critiques et si cela a été si long pour en arriver là où nous sommes aujourd'hui, nous avancerions que c'est parce qu'il comporte de profondes failles.

[Traduction]

J'aimerais maintenant m'attarder sur certaines dispositions qui sont particulièrement préoccupantes. Comme vous le savez, le projet de loi C-7 modifie quelque 23 lois en vigueur et édicte une nouvelle loi visant la mise en oeuvre de la Convention sur les armes biologiques et à toxines. Il s'agit d'un projet de loi complexe et j'ai l'intention de ne faire des observations que sur deux aspects, soit les modifications proposées à la Loi sur l'aéronautique concernant les renseignements des passagers des lignes aériennes et un autre qui, lui, se traduirait par une modification de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDÉ.

L'article 5 du projet de loi C-5 ajoute une nouvelle disposition à la Loi sur l'aéronautique, l'article 4.81, conférant au ministre des Transports ou à des fonctionnaires autorisés du ministère le pouvoir d'exiger des transporteurs aériens ou des exploitants de systèmes de réservation de services aériens de leur fournir certains renseignements relatifs aux passagers. Le projet de loi ajoute également un nouvel article, l'article 4.82, à la Loi sur l'aéronautique autorisant le Commissaire de la GRC et le Directeur du SCRS à demander aux transporteurs aériens et aux exploitants de systèmes de réservation de services aériens de leur fournir des renseignements sur les passagers. Ces renseignements seraient utilisés et communiqués à des fins reliées à la sécurité des transports et à la sécurité nationale — des fins directement liées au projet de loi. De plus, les renseignements seraient utilisés pour l'exécution des mandats d'arrestation relativement à des infractions passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus, un motif qui n'est aucunement lié à la loi et j'y reviendrai dans un moment.

Enfin, l'article 98 du projet de loi modifie la LPRPDÉ en permettant aux organisations de recueillir, sans consentement préalable, des renseignements personnels dans le but de divulguer ces renseignements aux organismes officiels, aux corps policiers et aux agences responsables de la sécurité nationale.

Nous avons de profondes réserves au regard de la protection de la vie privée, et je vais essayer de vous les décrire succinctement.

[Français]

Ces dispositions soulèvent de sérieuses questions au sujet de la protection de la vie privée. L'amendement proposé à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques autorise les organisations à agir à titre d'agent de l'autorité, en recueillant des renseignements personnels sans consentement, dans le seul but de communiquer ces renseignements au gouvernement et à des organismes du maintien de l'ordre.

Aux termes des dispositions actuelles de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ces renseignements sont recueillis en connaissance de cause et avec le consentement de la personne, ce qui est tout à fait juste. L'amendement proposé, qui permettrait la collecte sans autorisation, ne l'est pas.

Les modifications à la Loi sur l'aéronautique obligent les transporteurs aériens et les exploitants de systèmes de réservation de services aériens à transmettre des renseignements relatifs aux passagers à des représentants du gouvernement, y compris à des représentants de gouvernements étrangers, la GRC et le SCRS. Ces dispositions estompent dangereusement la ligne de démarcation entre le secteur privé et l'État, en enrégimentant les entreprises, non seulement dans la lutte au terrorisme mais dans l'identification de personnes sous le coup de mandats non exécutés et ce pour une vaste gamme d'infractions.

[Traduction]

Cette loi crée donc un nouveau précédent inquiétant. Qu'adviendra-t-il ensuite? Allons-nous commencer à exiger des compagnies de location d'automobiles, des entreprises de messageries et de télécommunication qu'elles recueillent des renseignements dans le but de les transmettre à des organismes de l'application de la loi?

Ces dispositions vont directement à l'encontre de la reconnaissance de plus en plus croissante de l'importance de la protection de la vie privée, comme en fait foi la décision du Parlement de promulguer la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.

Cette loi, dont la surveillance relève du Commissariat, interdit aux organisations du secteur privé de recueillir ou de communiquer des renseignements personnels sans le consentement de la personne concernée. En tant que nation, nous avons convenu qu'il est important d'imposer des restrictions quant à la manière dont les entreprises du secteur privé collectent, utilisent et communiquent des renseignements personnels nous concernant.

Voulons-nous maintenant faire marche arrière et autoriser les organismes responsables de l'application de la loi et de la sécurité nationale à exiger ces mêmes renseignements par des moyens qui vont carrément à l'encontre des principes de pratiques équitables de traitement de l'information?

[Français]

Je peux comprendre que nous devons nous défendre contre de futurs attentats terroristes. Comme nous l'avons vu la semaine dernière en Espagne, la menace du terrorisme international plane toujours et je ne veux surtout pas la minimiser. Mais si le projet de loi C-7 ne traitait que de la lutte antiterroriste ou de la sûreté des transports, j'aurais quand même des réserves au sujet de cette mesure législative — mais pas autant.

Le projet de loi, cependant, va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme et du renforcement de la sûreté des transports.

Le paragraphe 4.82 permet à la GRC d'effectuer le couplage des renseignements de passagers à toute information qu'elle détient, même si le vol se déroule en territoire canadien. Ce paragraphe 11, dont vous parliez tout à l'heure, conférait alors aux agents de la GRC le droit d'informer les autorités locales ou de prendre des mesures appropriées pour procéder à une arrestation à la suite des résultats du couplage de données, s'ils identifient une personne sous le coup d'un mandat pour une foule d'infractions prévues au Code criminel.

[Traduction]

La liste des infractions mentionnées dans les règlements proposés est longue, comme vous l'avez sûrement constaté. Elle inclut l'incendie criminel, le proxénétisme ainsi que la falsification de cartes de crédit. Ces infractions n'ont absolument rien à voir, nous semble-t-il, avec la sécurité nationale et la sûreté des transports.

Un des principes de base des pratiques équitables de traitement de l'information est que les renseignements recueillis dans un but précis devraient être utilisés seulement dans ce but. Or, ce projet de loi viole ce principe. Les transporteurs aériens recueillent les renseignements pour faciliter les déplacements. Ce projet de loi exigerait qu'ils transmettent ces renseignements aux organismes d'application de la loi et aux organismes responsables de la sécurité nationale pour des motifs qui n'ont aucun lien avec les déplacements ou avec le transport aérien.

Lorsqu'il a comparu devant le comité de la Chambre chargé d'examiner le projet de loi C-17, l'ancien Solliciteur général du Canada a justifié cette disposition en ces termes:

Je crois que les Canadiens s'attendent à ce que la GRC prenne les mesures nécessaires pour arrêter les fugitifs dangereux et, ainsi, protéger la sécurité publique. Si nous disposons des moyens nécessaires pour identifier un criminel dangereux ou un terroriste d'un autre pays et pour les arrêter avant qu'ils ne causent du tort à autrui, ne devrions-nous pas utiliser ces outils?

[Français]

Par ce commentaire, l'ancien solliciteur général laisse entendre qu'il serait acceptable d'utiliser n'importe quel renseignement personnel recueilli par un ministère ou un organisme du gouvernement — renseignement fiscal, par exemple — à d'autres fins d'intérêt public. Cela est évidemment contraire à la prémisse qui sous-tend la loi sur les renseignements personnels et, plus important encore, cela va à l'encontre de nos droits fondamentaux de citoyens.

Voilà pourquoi cet argument établit un très dangereux précédent, tout comme le présent projet de loi.

Nous avons suivi les débats, tant de la Chambre des communes que du Sénat, et revu les commentaires des représentants du gouvernement lors des comparutions devant le comité de la Chambre qui s'est penché sur le projet, mais nous n'avons pas encore pris connaissance d'un motif irréfutable qui justifierait la nécessité de semblables dispositions et comment nous nous sentirons plus en sécurité grâce à celles-ci.

En dernier lieu, j'aimerais ajouter que ce projet de loi, de même que la plupart des lois antiterroristes adoptées ici et à l'étranger, s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle plus l'État dispose de renseignements sur ses citoyens, qu'ils aient ou non commis un acte susceptible d'éveiller des soupçons, plus nous serons en sécurité. Je laisse au comité le soin d'évaluer les mérites de cette hypothèse parce que cette question outrepasse ma compétence. Toutefois, à ce stade-ci de notre histoire, on peut se demander comment la restriction des libertés des personnes dans la société préviendrait davantage les menaces à la sécurité publique, que ce soit par des terroristes en mission politique ou pour cette cause, qu'il s'agisse de délinquants sexuels donnant libre cours à des impulsions irrépressibles.

Je peux cependant vous affirmer que lorsque nous recueillons des renseignements sur un grand nombre de citoyens, nous augmentons ainsi les risques que ces personnes soient soumises à des examens inutiles, marginalisées et traitées injustement.

[Traduction]

Les articles de ce projet de loi que nous avons abordés suscitent beaucoup d'inquiétudes. Ce projet de loi semble être le fruit d'une réflexion hâtive et précipitée visant à faire face à un problème réel et légitime.

En conclusion, nous exhortons les membres du comité à examiner très attentivement ce projet de loi afin de fournir une analyse méticuleuse et judicieuse qui semble avoir fait défaut jusqu'à ce jour.

En conséquence, nous exhortons les membres du Sénat à examiner les amendements suivants.

Tout d'abord, l'amendement proposé à la LPRPDÉ devrait être abandonné. Bien que nous comprenions l'intention de l'amendement proposé, nous n'en voyons pas la nécessité. Certes, le libellé vague suscite de nombreuses inquiétudes: il s'applique à toute organisation assujettie à la LPRPDÉ, et pas seulement aux transporteurs aériens. Deuxièmement, l'amendement ne réduit pas la quantité de renseignements recueillis sans consentement. Enfin, il n'impose pas de limites quant aux sources de renseignements.

Notre seconde recommandation est la suivante: en ce qui a trait à la question des mandats, nos inquiétudes pourraient être atténuées si la GRC limitait le couplage des renseignements des passagers aux banques de données précisément reliées à la sécurité nationale. Tant et aussi longtemps qu'on permet à la GRC d'apparier tous ces renseignements à ceux qu'elle contrôle, on livre inéluctablement des citoyens sous le coup de mandats qui n'ont pas de liens avec la sécurité nationale ou la sécurité des transports. S'il est impossible de limiter le couplage des données de cette façon, alors nous recommandons que la loi soit amendée afin d'exiger que les infractions, qui figurent aux règlements soient déposées auprès du Parlement pour fins d'examen.

Notre troisième recommandation est celle-ci: nous recommandons que l'on réduise sensiblement la liste des infractions pour lesquelles des renseignements peuvent être communiqués pour fins d'exécution d'un mandat.

Enfin, notre quatrième amendement: nous souhaitons que les transporteurs aériens et les exploitants des systèmes de réservation soient obligés d'informer leurs clients qu'ils communiquent régulièrement les renseignements personnels les concernant aux autorités gouvernementales et aux organismes de maintien de l'ordre.

C'est avec plaisir que je vais maintenant répondre à vos questions.

La présidente: Avant de passer aux questions, je relève que les projets de règlement dont vient de nous parler la commissaire ne nous ont pas été transmis officiellement.

[Français]

Des démarches vont être entreprises pour les recevoir au plus tard avant notre prochaine audience du comité.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'aurais un commentaire d'ordre général. Je dois conclure que ce qui vous inquiète, c'est que contrairement à d'autres textes de loi, celui-ci n'est pas suffisamment bien ciblé. Il semble aborder de façon très vague des concepts comme la «sécurité» et la «sûreté». Si je vous ai bien compris, la GRC a besoin de renseignements, mais ces renseignements devraient avoir un lien avec la sécurité nationale.

Je peux le comprendre. Si nous ne modifions pas la LPRPDE et si nous limitons la portée du projet de loi comme vous le recommandez, ne craignez-vous pas que le couplage des données en matière de sécurité nationale soit insuffisamment défini étant donné que, comme nous le disait le commissaire de la GRC, nous ignorons ce que des terroristes pourraient faire? Les terroristes ont infiltré le trafic de la drogue, ils ont infiltré tous les milieux. Nous pensons même qu'ils ont infiltré les organismes caritatifs et religieux. Vous objecteriez-vous toujours à ce que la GRC relève votre un sur la liste d'une compagnie aérienne et le compare à ce qu'elle estime être des renseignements pertinents pour la sécurité nationale? Ou parlez-vous plutôt d'une définition plus classique de l'expression «sécurité nationale» que ce que nous en a dit le commissaire, en l'occurrence que n'importe quoi peut concerner la sécurité nationale ou le terrorisme?

Mme Stoddart: En effet. Votre question concerne précisément ce que l'État pourrait faire des renseignements concernant les citoyens. J'aurais deux choses à dire à ce sujet.

En comparaissant devant vous ce matin à cette étape-ci de l'étude du projet de loi, nous voulions attirer votre attention sur la portée de celui-ci, sur le fait qu'il régente inutilement le secteur privé et cela de la façon la plus large possible, sur l'étendue extrêmement généreuse des mandats pour lesquels la GRC peut ensuite examiner les listes et ainsi de suite, et sur le fait que les gens ne sont informées — ce qui est pourtant un principe d'équité en ce qui concerne l'information — de ce qu'on fait des renseignements les concernant lorsqu'ils prennent l'avion pour aller de Toronto à Thunder Bay par exemple.

Sur le plan des principes, nous admettons et reconnaissons que le terrorisme représente une menace, que nos forces de sécurité ont un rôle à jouer, et nous comprenons qu'il faut probablement leur donner des pouvoirs pour leur permettre d'intervenir. Ce qui nous inquiète, c'est l'étendue des pouvoirs que leur confère le projet de loi, des pouvoirs tels qu'ils ne semblent nullement les limiter dans ce qu'ils peuvent faire pour trouver des gens. Il est difficile d'être plus précis à ce sujet, parce que nous ne savons pas encore de façon précise comment la GRC s'y prend au juste pour faire ce genre de recherche et comment elle détermine qui est un danger pour la sécurité et qui ne l'est pas.

L'une des choses qui nous préoccupent — et dans mon texte, j'ai fait allusion au fait que le commissariat qui suit ce dossier depuis plusieurs années, a remarqué que ce projet de loi, pourtant si nécessaire, n'est toujours pas adopté deux ans et demi plus tard — et nous aimerions vous signaler que nous n'avons encore vu aucun argument probant, aucun travail de recherche cohérent, aucun mémoire, aucune information, aucun argument logique qui justifieraient qu'on donne des pouvoirs aussi étendus à nos corps policiers et à nos services de surveillance.

On aurait pu s'attendre à ce qu'il y eut des analyses sérieuses, des statistiques, des études, ou que sais-je encore, qui auraient révélé, comme vient de le dire le commissaire Zaccardelli, que si la petite délinquance peut conduire la police jusqu'aux terroristes, combien de fois est-ce le cas et pourquoi alors serait-il absolument nécessaire de surveiller tout un tas de choses. Mon bureau n'a rien découvert de tout cela malgré des recherches très poussées. Au contraire, à en croire ce qu'en disait l'ancien solliciteur général, c'est un peu comme si: «Vous savez, tant qu'à nous donner ces pouvoirs, pourquoi ne pas les utiliser également pour mettre la main sur d'autres criminels?» Voilà une façon fort dangereuse de concevoir le travail policier au Canada. Nous ne voulons pas du tout sous-estimer la nécessité de pouvoir arrêter des gens qui font l'objet de mandat d'amener parce qu'ils ont commis un acte criminel passible d'un minimum de cinq ans de prison. Ce que nous disons, c'est qu'il faut pour cela une stratégie policière mûrement réfléchie qui parle de prévention, qui tient compte du sort des victimes et de tout le contexte correspondant, et qui ne vise pas uniquement à mettre la main au collet des gens pour la seule raison que nous en avons maintenant les moyens et que grâce à la technologie, nous avons des tas de listes fort longues qui permettent de faire des recoupements individuels. C'est là un précédent dangereux en ce sens qu'il estompe les limites de l'utilisation qu'on peut faire du droit pénal.

Voilà certaines de nos préoccupations en réponse à vos questions. Malheureusement, pour donner des réponses plus précises, il faudrait connaître avec précision ce qui se ferait réellement.

Le sénateur Jaffer: Commissaire, avez-vous les ressources nécessaires pour vous faire connaître et pour expliquer aux gens qu'ils peuvent porter plainte auprès de votre commissariat?

Mme Stoddart: Nous avons un budget, mais à l'heure actuelle, le montant prévu pour de telles activités est fonction de nos responsabilités en matière de protection des renseignements personnels, dans le cadre la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Il s'agit en fait d'une lacune de la définition donnée dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui n'a pas été modifiée depuis longtemps. Honnêtement, nous souhaiterions disposer d'un plus gros budget pour l'information du public, mais cette fonction n'est mentionnée expressément que dans une des lois qui définissent notre mandat. Nous devons donc faire preuve d'imagination pour informer le public.

Le sénateur Jaffer: Peut-on penser que si vous n'avez pas de relations ou que vous ne vivez pas dans la région d'Ottawa, vous pourriez tout ignorer des services offerts par le commissariat à la vie privée?

Mme Stoddart: Nous avons un site Web. J'ai évoqué ce que nous ferions idéalement, par rapport à ce que nous faisons réellement. Notre site Web est consulté par des milliers de Canadiens chaque semaine. Nous y affichons autant d'informations que possible. Cependant, pour répondre à votre question, nous aimerions assurément que ces activités soient subventionnées et nous présenterons probablement des demandes dans ce sens au cours des prochains mois pour répondre aux besoins croissants en matière de sensibilisation du public, ainsi qu'aux exigences au plan de la recherche qui découlent du fait que notre monde est devenu beaucoup plus complexe, particulièrement depuis 2000, en ce qui concerne les activités des organismes publics éventuellement visés par la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le sénateur Jaffer: Vous a-t-on accordé des ressources supplémentaires après l'adoption du projet de loi C-36?

Mme Stoddart: Non, pas du tout. La question n'a jamais été abordée. On ne s'est absolument pas intéressé ces dernières années aux répercussions de certaines tendances sur le Commissariat à la protection de la vie privée; aux questions relatives à la sécurité publique qui se posent surtout depuis 2001; à l'utilisation de plus en plus fréquente de base de données énorme par le gouvernement; à l'amélioration des outils technologiques permettant au gouvernement de surveiller ce que font les citoyens, d'apparier des dossiers, et ainsi de suite.

Le sénateur Graham: Vous dites qu'on ne vous a pas donné de ressources supplémentaires pour les activités en rapport avec le projet de loi C-36 ni, peut-être, pour celles qui découlaient du projet de loi C-7. L'aviez-vous demandé?

Mme Stoddart: Je crois comprendre que le commissaire à temps plein qui m'a précédé n'a pas demandé de ressources en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le Commissariat a cependant obtenu des fonds assez considérables en 2002 en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, relativement à la protection de l'information commerciale. Le budget du Commissariat s'en est trouvé sensiblement accru. Dans la pratique, une bonne partie de cet argent a servi à financer des activités liées à la Loi sur la protection des renseignements personnels, ce qui fait problème car, comme vous le savez sans doute, le Conseil du Trésor accorde des fonds pour des fins précises; voilà donc l'un des nombreux écueils administratifs que le Commissariat à la protection de la vie privée doit surmonter. Si nous utilisons l'argent qu'on nous donne pour appliquer la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques pour les activités ayant trait à cette loi, nous n'aurons pas les ressources nécessaires pour remplir nos fonctions découlant de la Loi sur la protection des renseignements personnels, celle qui vise le secteur public; il y a des lustres qu'on n'a pas eu de financement supplémentaire pour ces fonctions-là.

Le sénateur Jaffer: Qu'entendez-vous par «information commerciale»?

Mme Stoddart: C'est l'information utilisée dans le cadre d'une transaction, qu'il s'agisse d'un échange, d'une vente ou d'un troc, par exemple. Cela renvoie aux nouvelles mesures innovatrices que le Canada a adoptées pour protéger les renseignements personnels communiqués lors de transactions commerciales.

Mme Black, commissaire adjointe, experte du domaine, pourra peut-être donner plus d'explications au sujet de la LPRPDÉ.

Mme Heather Black, commissaire adjointe, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada: La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, adoptée en 2000, énonce les règles qui régissent la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels dans le secteur privé, dans le cadre d'activités commerciales. Elle traite des renseignements personnels comme ceux dont nous parlons aujourd'hui, et non pas des renseignements de nature commerciale.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Je désire au départ féliciter Mme Stoddart qui a présenté un mémoire très intéressant. Je profite de l'occasion pour affirmer que nous n'attachons pas, à mon avis, assez d'importance à la vie privée. C'est un domaine de la Charte canadienne des droits et libertés qui me semble fondamental et, plus ça va, plus on veut tout savoir de tout le monde, sur tout.

Je suis heureux de voir quelqu'un de bien placé, et qui connaît bien la question, n'ait pas peur d'affirmer que l'on va trop loin. J'ai suivi votre exposé et vous en arrivez à quatre amendements. Le dernier amendement parle de lui-même:

Nous souhaitons que les transporteurs aériens et les exploitants des systèmes soient obligés d'informer leurs clients qu'ils communiquent régulièrement les renseignements personnels les concernant aux autorités gouvernementales.

C'est le moins qu'on puisse demander. J'appartiens au Barreau du Québec et au Barreau canadien et on nous dit toujours que tel et tel renseignement nous concernant sont communiqués. Je pense qu'il faut le faire. Certains vont s'y objecter car ils croient que les gens auront peur que cela leur enlève des pouvoirs.

Lorsque vous dites qu'on ne doit légiférer que sur des points de sécurité pure, je suis d'accord avec vous. J'ai toutefois l'impression qu'on donne des pouvoirs tels — soit à la police ou aux gens qui sont en autorité — que cela déborde de la sécurité publique. Prenons par exemple le simple fait de prendre l'avion. Nous sommes tous pareils et apprécions tous la sécurité à bord d'un avion. Nous sommes prêts à accepter certaines choses dans un avion car on sait bien qu'il pourrait y avoir un terroriste à l'intérieur de l'appareil.

Toutefois, comme je le disais tout à l'heure, la présomption d'innocence m'agace un peu. Nous ne pouvons pas présumer que tout le monde puisse être un terroriste. Il faut avoir des raisons. Le commissaire de la GRC nous disait tout à l'heure que cela s'applique seulement pour les gens vraiment soupçonnés d'être des terroristes ou qui ont été considérés comme tels ou qui ont été arrêtés comme tels. Êtes-vous d'accord avec cela?

Mme Stoddart: J'ai écouté avec intérêt ce que le commissaire de la GRC a dit, mais ce n'est pas notre analyse de la portée de la loi. Peut-être qu'il témoigne sur une pratique réelle chez lui, mais si je reviens aux règlements qui circulent en même temps que le projet de loi — on pense promulguer ces règlements bientôt —, sous la définition d'un mandat, il y a une longue liste. Je vous invite à la consulter car je crois que cela nous donne davantage d'éclaircissements.

Si nous posons des actes sérieux, nous nous attendons à ce que cela repose sur une base sérieuse. Je préfère former mes opinions sur ce que je vois dans les règlements proposés que d'après le témoignage que vient de faire le commissaire Zaccardelli, pour qui j'ai le plus grand respect, qui arrive un peu à la dernière minute pour témoigner de ce qu'il fait ou de ce qu'il ne fait pas.

Je reviens aux règlements proposés et je constate, par exemple, que dans la liste des mandats contre lesquels la GRC serait autorisée à chercher des noms de gens, ce sont des personnes qui seraient recherchées en vertu de l'article 237 du Code criminel qui, apparemment, traite de l'infanticide.

Le sénateur Beaudoin: Mais cela n'a rien à faire avec la sécurité.

Mme Stoddart: Triste affaire que l'infanticide, mais on se demande ce que cela a à voir.

La présidente: Nous n'avons pas encore au comité le texte des règlements.

Mme Stoddart: D'accord.

La présidente: Nous prenons note de ce que vous dites et on nous assure que nous les aurons demain matin. Pour l'instant, vous pouvez peut-être lire ce qui vous concerne plus particulièrement.

Mme Stoddart: Je ne veux pas compliquer votre compréhension. Je voulais seulement vous dire ce sur quoi nous nous basons pour former cette opinion, c'est-à-dire pourquoi je préfère me baser sur des choses comme des documents — qui ne sont malheureusement pas devant vous — que sur une opinion sur laquelle on ne voit pas les bases factuelles, comme les programmes informatiques par exemple.

Le sénateur Beaudoin: J'ai l'impression que nous voulons pelleter avec une pelle trop large. On veut trop tout avoir. C'est dangereux car c'est tout de même la vie privée. Également, ce qui m'agace, c'est qu'on présume que ce sont des terroristes. S'ils le sont, évidemment que je suis d'accord avec toutes les mesures qu'on veut appliquer. Je suis le premier à être en faveur de la sécurité, mais on ne peut pas étendre cette présomption à tout et pour tout. Cela m'apparaît trop large.

Mme Stoddart: Voilà. Ce sont nos propos. Il est très dangereux d'ériger une société de surveillance sous la prémisse que plus vous surveillez les gens, plus vous serez en sécurité et plus votre société en sera améliorée. C'est le problème sous-jacent à ce projet de loi. Nous ne pouvons pas commencer à essayer de contrer un problème de sécurité nationale bien réel et bien spécifique en étendant les pouvoirs de surveillance de façon aussi large et aussi ouverte, c'est-à-dire en faisant appel aux entreprises du secteur privé, en amendant notre législation domestique non pas reliée à la sécurité mais reliée à la vie privée commerciale.

Aujourd'hui, il s'agit des transporteurs aériens, mais demain ce sera peut-être un autre et un autre. Et finalement, nous pourrions peut-être dire que s'il y a des vidéos de surveillance dans les dépanneurs, il pourrait être intéressant d'avoir toute cette information.

C'est un point excessivement important car nous sommes à la croisée des chemins dans le développement d'une société de surveillance. Qu'arrivera-t-il si nous n'avons pas le réflexe de dire que nous ne devons surveiller que ce qui est strictement nécessaire et que nous devons en faire la preuve si nous désirons surveiller davantage? S'il faut surveiller davantage parce qu'effectivement il y a des raisons, il faut être en mesure de le prouver.

De notre côté, nous n'avons trouvé aucun argument, aucune recherche ni aucune analyse sérieuse pour en faire la preuve. Nous ne pouvons même pas savoir combien de mandats d'arrestation existent actuellement au Canada et pour quels motifs nous pourrions les exécuter.

Ce n'est pas très convaincant. Le réflexe de dire que plus nous avons d'informations, plus la police peut agir et tout savoir, donc plus ils sont susceptibles d'attraper les terroristes, nous porte à nous questionner sur ce qu'on essaie d'interdire.

[Traduction]

Le sénateur Graham: J'ai deux ou trois questions précises. Vous avez proposé de prétendus amendements, mais sans nous en donner le texte écrit; en fait, vous proposez des modifications de nature générale. Vous dites que s'il est impossible de restreindre de cette façon les comparaisons de données, il faudrait amender le projet de loi de manière que les règlements dont nous discutons, et qui énuméreraient lesdites infractions, soient soumis à l'examen du Parlement. Si on n'amendait pas le projet de loi dans ce sens, mais que le ou les ministres responsables s'engageaient par écrit à faire ce que vous proposez, cela vous conviendrait-il?

Mme Stoddart: S'ils s'engageaient par écrit à déposer les règlements devant le Parlement?

Le sénateur Graham: Oui.

Mme Stoddart: Ce pourrait être une solution, si cela nous permet d'avancer dans ce dossier, mais ce ne serait pas notre premier choix. Nous préférerions que l'on amende le projet de loi et nous tenons beaucoup à la modification de la LPRPDÉ, dont nous sommes directement chargés de surveiller l'application.

Le sénateur Graham: Je sais, mais je cherche des solutions.

Mme Stoddart: En effet, si c'était le seul moyen encore possible, ce pourrait être une solution.

Le sénateur Graham: Vous recommandez que l'on abrège sensiblement la liste des infractions au sujet desquelles des renseignements pourraient être divulgués afin d'exécuter un mandat. Pourriez-vous donner plus de précisions?

Mme Stoddart: Nous faisons référence à la liste qui figure dans le projet de règlement et dont les honorables sénateurs n'ont pas encore reçu copie.

Le sénateur Graham: Vous recommandez que l'on abrège sensiblement cette liste.

Mme Stoddart: C'est exact.

Le sénateur Graham: Quand vous en aurez une copie et nous aussi, vous pourrez nous indiquer quelles infractions devraient, à votre avis, être rayées de la liste.

Mme Stoddart: Nous proposons des principes généraux.

La présidente: Madame Stoddart, si vous proposez de rayer certaines infractions précises de la liste, vous pourriez nous envoyer une lettre les énumérant.

Le sénateur Graham: C'est justement ce que je propose.

Mme Stoddart: Nous en prenons bonne note.

Le sénateur Graham: Vous dites également que les compagnies aériennes et les exploitants de systèmes de réservation devraient être tenus d'informer leurs clients qu'ils transmettent systématiquement les renseignements personnels à leur sujet à des organismes gouvernementaux et des corps policiers. Par clients, vous voulez dire les passagers ou les passagers éventuels. Quels moyens proposez-vous pour ce faire? Faudrait-il informer tous les gens qui font une réservation d'avion auprès de BTI Canada ou d'une compagnie aérienne que l'on transmettra systématiquement des renseignements personnels à leur sujet au gouvernement et aux corps policiers? Faudra-t-il plutôt que le gouvernement lance une campagne d'information générale et place des annonces dans les journaux? Quels moyens proposez-vous?

Mme Stoddart: Nous suggérons certains moyens concrets, sénateur, parce qu'il y a des précédents. Je vais inviter Mme Black, la commissaire adjointe, à vous donner quelques-uns de ces exemples.

Mme Black: La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, dont nous discutons, s'applique au secteur privé. Elle oblige les entreprises à informer leurs clients des fins pour lesquelles les renseignements sont recueillis, de l'utilisation qu'il sera faite de ces renseignements et, d'une façon générale, des destinataires de ces renseignements. Si une compagnie aérienne, par exemple, recueille beaucoup d'informations à votre sujet, elle est tenue de vous le dire. Votre question rejoint notre proposition, à savoir que l'on supprime la modification proposée à la LPRPDÉ qui prévaut essentiellement que si le gouvernement communique à une compagnie aérienne une liste des terroristes à surveiller, la compagnie disposerait de cette liste sans toutefois avoir le droit de recueillir les renseignements; c'est ce qui arriverait à notre avis. L'amendement prévoit que les renseignements seront recueillis sans le consentement de l'intéressé, et il ne nous semble pas nécessaire. La compagnie aérienne recueille de l'information à votre sujet pour toutes sortes de fins. L'une de ces fins pourrait dorénavant être la suivante: «Nous agissons à titre de mandataire de l'État». Si c'est effectivement le rôle que le législateur veut conférer aux compagnies aériennes, je crois que les gens doivent en être informés, et j'espère que les sénateurs seront d'accord avec moi sur ce point. À tout le moins, nous devrions en être informés, pour que cela ne se passe pas à notre insu et sans notre consentement.

Le sénateur Graham: Je vais vous poser une question générale. Si toutes les prétendues modifications que vous avez proposées étaient apportées, trouveriez-vous le projet de loi acceptable?

Mme Stoddart: Nous avons soulevé les aspects du projet de loi qui nous préoccupent. Comme nous estimons ne pas avoir les connaissances spécialisées nécessaires pour analyser d'autres aspects du projet de loi, nous nous abstenons de commenter les articles qui ne traitent pas des renseignements personnels. D'autres témoins vous feront part de leurs préoccupations à cet égard. Il s'agirait peut-être de préoccupations légitimes, touchant des libertés fondamentales. Le respect de la vie privée est lié à beaucoup d'autres libertés civiles. Nous avons exprimé notre désaccord à l'égard de certains articles du projet de loi, sénateur.

Le sénateur LaPierre: La vigilance n'est-elle pas, madame, le prix de la liberté?

Mme Stoddart: Je pense que la liberté se paie de bien des façons. Voilà ce que nous constatons.

Le sénateur LaPierre: Certes, le gouvernement fait preuve de vigilance. Aucun terroriste ne se présente comme tel. Son passeport ne porte pas la mention «terroriste». Par conséquent, pour protéger la population canadienne, le gouvernement doit prendre les mesures qui s'imposent. Si cela suppose de légères atteintes aux lois qui protègent la vie privée, c'est le prix à payer pour la liberté et la sécurité de la population canadienne.

Du reste, la population canadienne n'est-elle pas prête à payer ce prix? Avez-vous effectué des études à ce sujet? Elle l'était sans aucun doute pendant la Deuxième Guerre mondiale, tout comme pendant la crise du FLQ en 1970, et aussi lors d'autres crises que nous avons connues. J'ai interrogé les membres de ma famille à Georgeville à ce sujet. Le seul danger qui les menace à Georgeville, tient au fait que le leader de l'Opposition y habite. Il n'existe pas d'autre danger qui puisse menacer les habitants de Georgeville. Ma soeur m'a dit: «Je ne veux pas que mes petits-enfants soient tués par un terroriste, alors faites ce qu'il faut». Voilà, madame, ce que pense la population canadienne.

Qui plus est, les États-Unis nous trouvent très désinvoltes et croient que des terroristes entrent au Canada à cause du laxisme de nos lois. Pour cette raison, ils ne sont pas prêts à nous accorder la liberté que nous devrions avoir pour ce qui est de traverser la frontière. Ils nous trouvent trop laxistes.

Je trouve ce projet de loi répréhensible. Néanmoins, dans l'espoir de me gagner la faveur du gouvernement ou au risque de lui déplaire encore davantage, je vous demanderais, madame, si à votre avis le gouvernement doit être vigilant pour assurer la sécurité de la population canadienne? Quel prix seriez-vous prête à payer en tant que citoyenne?

Mme Stoddart: Sénateur LaPierre, je crois que vous évoquez l'équilibre très délicat entre d'une part, la crainte du terrorisme, la peur de la population face à une nouvelle menace à laquelle les Canadiens, étant donné leur histoire relativement pacifique, ne sont pas aussi accoutumés que les populations européennes qui elles, ont connu de nombreuses guerres de même que des attentats terroristes commis par leurs propres citoyens et des ressortissants étrangers au cours des dernières années et, d'autre part, la réaction peut-être compréhensible de la population qui souvent s'exprime ainsi: «Renforçons la sécurité et la surveillance, et nous serons tous plus en sécurité».

À mon avis, le Commissariat à la protection de la vie privée a été créé pour aider la population canadienne à évaluer l'équilibre entre son droit à la vie privée et ses autres droits, et à déterminer de façon subjective quels droits et libertés elle tient à faire respecter. Si vous faites allusion aux sondages d'opinion qui révèlent que les Canadiens sont prêts à accepter des mesures de sécurité draconiennes si cela peut les mettre à l'abri du terrorisme, vous avez tout à fait raison.

Ce qui est intéressant, cependant, c'est que lorsqu'on explique le problème aux Canadiens de façon plus approfondie, lorsqu'on les renseigne davantage sur la façon dont les mesures en question nous protégeraient contre qui nous menace, ils sont beaucoup moins nombreux à approuver des mesures aussi draconiennes. Il incombe au Commissariat que je dirige de présenter les faits et les meilleurs arguments possibles aux législateurs pour que nous puissions savoir exactement quels avantages nous pouvons espérer sur le plan de la sécurité en contrepartie d'une atteinte aux droits à la vie privée.

Le sénateur LaPierre: Je vous remercie, vous-même et le Commissariat de jouer ce rôle.

Le sénateur Day: J'ai moi aussi des questions à propos de vos recommandations, mais j'aimerais auparavant avoir certains éclaircissements sur la question de la collecte d'information par le secteur privé à des fins de sécurité et sur l'utilisation de cette information par le gouvernement. Dans le paragraphe que vous avez expliqué tout à l'heure, vous dites qu'un des principes de base des pratiques équitables du traitement de l'information est que les renseignements recueillis dans un but précis devraient être utilisés seulement dans ce but. Vous affirmez que ce projet de loi viole ce principe et que «les transporteurs aériens recueillent les renseignements pour faciliter les déplacements».

Ne pourrions-nous pas remanier un peu cette phrase et dire «les transporteurs aériens recueillent les renseignements pour faciliter des déplacements sûrs et sécuritaires»? Si c'est le cas, s'ils recueillent cette information et se chargent de favoriser des déplacements sécuritaires, le projet de loi que nous étudions est parfaitement logique. Êtes-vous d'accord?

Mme Stoddart: En règle générale, les principes d'utilisation équitables de l'information sont définis de façon beaucoup plus étroite et s'appliquent aux détenteurs de l'information ainsi qu'à ceux qui y ont accès. Mme Black, la commissaire adjointe, est bien au fait de ce sujet. Elle pourrait expliquer nos critiques beaucoup mieux que moi.

Mme Black: Nous reconnaissons que, pour assurer la sécurité des transports, ce que chacun souhaite — cela paraît évident — l'information doit circuler entre les transporteurs, qui sont essentiellement ceux qui recueillent beaucoup d'information, et les autorités gouvernementales. Fondamentalement, si nous nous opposons au projet de loi c'est que cela se fera sans le consentement des intéressés et à leur insu. Le voyageur extrêmement bien renseigné le saura peut- être, mais des millions de voyageurs l'ignoreront.

Cela ne veut pas dire que nous sommes nécessairement favorables à l'idée que les compagnies aériennes fassent fonction d'agents de l'État en recueillant de l'information. Les compagnies aériennes recueillent l'information pour leurs propres fins. Si elles doivent le faire pour une autre raison, elles devraient obtenir le consentement des intéressés. Dans un sens, cela va peut-être un peu plus loin, si les compagnies aériennes recueillent activement des renseignements dont elles n'ont pas besoin à l'intention de l'État.

Mme Day: Ma question s'adresse à la commissaire adjointe, Mme Black. Les organisations assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui est en vigueur, sont déjà autorisées malgré le projet de loi C-7 à divulguer des renseignements personnels sans le consentement de l'intéressé pour des raisons de sécurité nationale, pour assurer la défense du Canada, la conduite d'affaires internationales ou encore lorsque la loi l'exige. Est-ce exact?

Mme Black: Oui, c'est exact.

Le sénateur Day: Cela se fait sans consentement. Il ne s'agit donc pas de créer quelque chose de nouveau à cet égard, puisque cela existe déjà.

Mme Black: Pas la divulgation. Le projet de loi veut permettre de recueillir certains renseignements sans le consentement des intéressés.

Le sénateur Day: Je le comprends.

Mme Black: Là, on va plus loin. La compagnie aérienne recueille de l'information pour ses propres fins, information qu'elle est autorisée à divulguer à des corps policiers ou à des organismes de sécurité nationale pour une autre fin. On autoriserait la collecte d'information sans le consentement des intéressés, afin de communiquer cette information aux corps policiers.

Le sénateur Day: On se trouve à élargir la disposition de ce projet de loi au chapitre de la collecte d'information.

Mme Black: Effectivement, parce que le consentement est la pierre angulaire des pratiques équitables de traitement de l'information. C'est au moment de la collecte qu'on a le plus de contrôle sur l'utilisation de l'information.

Le sénateur Day: La commissaire à la Protection de la vie privée a le pouvoir et la responsabilité d'examiner les activités de la GRC à cet égard chaque année. Présentez-vous un rapport chaque année? Nous discutons de ce projet de loi dans le cadre d'une réunion publique. Ce projet de loi pourrait devenir une loi. Chacun serait alors réputé savoir ce qu'elle contient. Faut-il donner encore plus d'information ou d'autres préavis aux gens? Quand on demande aux gens de donner de l'information à des fins de sécurité, ne comprennent-ils pas implicitement que cette information va être vérifiée par la GRC?

Mme Black: Je n'en suis pas aussi convaincue que vous. Par exemple, si des compagnies aériennes reçoivent de l'information des organismes nationaux de sécurité concernant une liste de terroristes à surveiller et que la compagnie elle-même compare des noms à ceux figurant sur cette liste, la modification de la LPRPDÉ l'autoriserait à le faire sans qu'il y ait besoin de consentement. Notre principale objection, c'est que si cela se fait, les gens devraient le savoir. Je ne suis pas si sûre que c'est suffisant. En tout cas, ça ne l'est pas pour les fins de la LPRPDÉ. Si vous êtes censés avertir les gens, il faut que vous le fassiez. Si vous voulez emprunter à une banque, elle doit vous dire qu'elle cherchera votre nom dans Equifax et qu'elle y enverra régulièrement des renseignements. Elle doit vous le dire même si vous savez déjà que cela se fait, si vous savez le moindrement comment fonctionnent les services d'établissement de solvabilité.

Le sénateur Day: Vous étiez ici lorsque le commissaire de la GRC a comparu?

Mme Black: Oui, en partie.

Le sénateur Day: Vous avez assisté aux échanges sur ce point, lorsque la GRC a dit qu'elle allait créer une base distincte dans sa banque de données pour les questions de sécurité. C'est pourquoi je m'interroge à propos de ce que vous dites concernant un des amendements que vous proposez: «tant et aussi longtemps que la GRC est autorisée à confronter ces données à l'information placée sous son autorité». Elle a déjà dit qu'elle n'allait pas le faire. Pourquoi justifiez-vous ainsi un amendement alors que vous savez qu'elle nommera un agent désigné? Ce ne seront pas tous les agents de la GRC, mais seulement certains qui s'occuperont de bases distinctes bien précises.

Mme Stoddart: Cela me ramène à ce que j'ai dit au sénateur Beaudoin. Lorsque l'on examine un projet de loi, il faut soupeser chaque mot et les pouvoirs qu'il accorde. Pourquoi adopter une loi qui accorde de vastes pouvoirs si dans les faits on agira de façon beaucoup plus circonscrite? C'est plus circonscrit et c'est ce qui doit figurer dans la loi. On aurait tort d'adopter une loi en se disant que le commissaire de la GRC ne s'en servira pas et qu'il se contentera d'une base de données plus petite. Si c'est tout ce dont il a besoin, précisez dans la loi que c'est à cela qu'il aura accès. À l'heure actuelle, ce qui existe c'est l'article 2, qui énonce qu'il a le pouvoir de comparer les renseignements avec tous autres renseignements dont dispose la GRC.

Mme Black: Ce qui comprend le CIPC.

Mme Stoddart: Le Parlement peut élargir ce pouvoir quand bon lui semble si la GRC et le SCRS en ont besoin. Cela peut se faire très rapidement. On l'a vu à l'automne 2001. Pourquoi commencer par quelque chose d'aussi étendu dans la loi? C'est notre réponse.

Le sénateur Day: Vous n'avez rien contre l'idée d'un agent désigné? Êtes-vous satisfaite que ce soit un agent désigné de la GRC et non n'importe qui d'autre?

Mme Stoddart: C'est mieux, oui.

Le sénateur Corbin: Je vais citer un article intitulé «Patriot Games», du mercredi 10 mars, rédigé par Gail Repsher Emery. L'article est en rapport avec un sondage du Ponemon Institute, centre de réflexion sur la vie privée de Tucson, en Arizona.

Une vieille dame dit «Je ne veux pas vraiment que le service de la sécurité du territoire, la CIA [...]

Remplaçons cela par les organismes de sécurité du gouvernement du Canada.

[...] soient cotés A+ pour la protection pour la vie privée, parce que ce n'est pas là leur mission. Je veux qu'ils protègent ma famille. Dans leur cas, un C est sans doute suffisant [...]

À votre avis, est-ce suffisant, pour ce qui est de la sécurité?

Mme Stoddart: Ce n'est pas suffisant pour le Commissariat à la protection de la vie privée. Nous avons un point de vue différent de celui de la dame de l'Arizona. Nous sommes ici pour discuter avec vous des meilleurs moyens de protéger la vie privée et c'est pourquoi nos normes sont si élevées.

À cet égard, et à propos de ce qui se fait à Tucson, en Arizona, monsieur le sénateur, le commissariat note avec grand intérêt les reproches de plus en plus vigoureux chez notre voisin à l'endroit de la collecte de renseignements, y compris ceux des voyageurs de lignes aériennes, dans les délibérations des législateurs américains. Quelles que soient les appréhensions de cette dame en Arizona, le Congrès américain examine actuellement d'un oeil critique les pouvoirs de collecte de données de ses pouvoirs publics. C'est une question actuelle que nous suivons de près.

Le sénateur Corbin: Le sénateur Beaudoin et moi-même faisions tous les deux partie du comité spécial du Sénat qui a examiné la question de l'euthanasie et du suicide assisté il y a quelques années. Selon moi et de l'avis de la plupart des gens, le comité a fait un excellent travail. Nous n'avons pas approuvé le suicide assisté ni l'euthanasie, parce que nous avons jugé que le système actuel avait besoin d'être largement amélioré avant de même songer à s'engager dans cette voie.

N'estimez-vous pas, à propos de la collecte de renseignements décrite dans ce projet de loi qu'en ce qui concerne les droits à la vie privée et les droits prévus par la Charte nous sommes également sur un terrain glissant? Ne faudrait-il pas corriger bien d'autres choses avant même d'envisager d'aller dans la direction souhaitée par le gouvernement?

Mme Stoddart: Tout à fait, sénateur. Je ne l'aurais pas dit autrement. Le terrain devient en effet très glissant. C'est sur cela que nous avons cherché à attirer votre attention. Si on accepte le principe que l'on peut ratisser très large, que l'on peut passer au crible sans broncher la vie des citoyens, dans l'éventualité où l'on trouverait quelque chose, on abandonne certains des principes sur lesquels reposent notre qualité de vie et le respect des individus en démocratie.

Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de problèmes; nous ne disons pas que la police et d'autres autorités de surveillance n'ont pas un rôle à jouer. Nous disons qu'il faut se concentrer sur ce dont ils disent avoir besoin à bon droit. Il ne faut pas leur donner aussi «ce qu'il serait bon d'avoir tant qu'à y être». Si nous disons qu'ils ont aussi le droit de voir ceci ou cela, alors aussi bien leur donner ces pouvoirs extraordinaires. À notre avis, cela se traduirait par une qualité de vie amoindrie dans notre démocratie.

Le sénateur Stratton: À votre avis, qu'en pense la population canadienne? De graves inquiétudes ont été exprimées par les deux camps, la GRC et vous, madame Stoddart. Il y a de quoi s'inquiéter quand on songe aux atteintes à la vie privée qui ont été le fait de la GRC ces dernières semaines. Est-ce tout simplement que la population n'est pas au courant? Avez-vous reçu des plaintes à propos de ce projet de loi? Quel est d'après vous le sentiment de la population? Le savez-vous?

Mme Stoddart: Je n'ai pas d'avis comme commissaire à la vie privée sur la position exacte de la population canadienne à ce sujet. Nous savons que la population se préoccupe du flux de données, de leur destination et des destinataires. De fait, dans l'année qui vient, une de nos priorités consistera à examiner le flux transfrontalier des données. Nous savons que les gens se demandent qui communique quoi à propos des citoyens et des résidents canadiens, à qui, et ainsi de suite.

C'est ma réponse. Comme je l'ai dit, tous les travaux sérieux sur la position des citoyens montrent une grande modération. Ils sont très sensibles aux genres de questions posées et au contexte dans lequel elles s'inscrivent.

À l'époque où j'étais commissaire à la vie privée du Québec, j'ai participé à la conférence organisée par le ministre Denis Coderre. Nous avons assisté à un exposé fort intéressant d'une entreprise de sondage qui nous a bien montré que l'opinion publique varie en fonction de la question posée. On ne peut pas vraiment se prononcer. On n'en est certainement pas arrivé à la conclusion que les Canadiens sont prêts à se départir de leurs droits à la vie privée uniquement pour être légèrement plus en sécurité. Les Canadiens sont beaucoup plus critiques; en revanche, tout dépend des questions posées.

Le sénateur Stratton: Si vous disiez aux Canadiens ce que vous nous avez dit ce matin, quelle serait leur réaction d'après vous? Vous nous avez fait part de graves inquiétudes aujourd'hui.

Mme Stoddart: Effectivement.

Le sénateur Stratton: Il faudra le dire aux Canadiens. Comment peut-on le faire? Comment leur faire part de ces inquiétudes? Allons-nous adopter le projet de loi pour entendre les inquiétudes se manifester plus tard? Que faisons- nous pour que les citoyens soient au courant de ces inquiétudes? Faites-vous quelque chose?

Mme Stoddart: Si vous parlez du travail du commissariat, monsieur le sénateur, nous rendons publique la position que nous avons prise aujourd'hui. Nous serons prêts à en discuter. Nous mettons l'information sur le site Web. Au fil des années, le Commissariat à la protection de la vie privée a adopté — vous vous en souviendrez — des positions très fermes qui ont été appuyées par la majorité des commissaires à la vie privée du pays au sujet des diverses lois qui semblent menacer les libertés civiles et, en particulier, la protection de la vie privée. Notre commissariat a été appuyé par la majorité des commissaires provinciaux du pays. Nous allons renforcer cette tradition.

La présidente: Madame Stoddart, merci. Nous avons couvert beaucoup de terrain en peu de temps.

Mme Stoddart: Nous allons vous envoyer nos suggestions au sujet des règlements.

La présidente: Merci beaucoup à vous et à vos collègues.

Nous allons maintenant entendre l'Association du Barreau canadien.

Mme Joan Bercovitch, directrice principale, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien: Je vais brièvement présenter M. Potter.

Au nom de l'Association du Barreau canadien, nous tenons à remercier le comité de nous donner l'occasion de vous faire un exposé aujourd'hui. Comme beaucoup d'entre vous le savez, l'ABC représente plus 38 000 membres de la profession juridique.

[Français]

Parmi les buts et objectifs de l'Association du Barreau canadien, on compte l'amélioration de la loi et de l'administration de la justice.

[Traduction]

Voilà donc dans quel contexte se situe notre exposé d'aujourd'hui. Il vous sera présenté par M. Simon Potter de Montréal, ancien président de l'Association du Barreau canadien. Le texte a été approuvé comme déclaration de l'ABC; M. Potter répondra ensuite à vos questions.

M. Simon Potter, président sortant, Association du Barreau canadien: Madame la présidente, c'est un grand plaisir pour moi d'être ici. Je vous remercie beaucoup d'avoir invité l'Association du Barreau canadien à exprimer ses vues dans ce dossier important.

Le projet de loi C-7 est la quatrième version de la Loi sur la sécurité publique initialement déposée en 2001. L'ABC a exprimé les graves préoccupations que chacune d'elles soulevait, en soulignant plus particulièrement la vaste portée des dispositions régissant la rage de l'air, les zones de sécurité militaire — qui ont été supprimées du texte et qui seront traitées comme zones d'accès spécial créées par décret et qui ne seront donc même pas soumises au Sénat — et la collecte de renseignements au sujet des passagers. J'ai moi-même comparu devant le comité de la Chambre des communes l'an dernier au sujet de la troisième version.

Deux ans et demi ont passé depuis que la Loi sur la sécurité publique a été déposée pour la première fois. On peut à juste titre dire que l'urgence que nous ressentions il y a deux ans et demi n'est plus aussi vive. La Loi antiterroriste et de nombreuses dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, pour n'en nommer que deux, donnent à l'État de grands pouvoirs pour combattre le terrorisme et nous protéger.

La question qui se pose à vous aujourd'hui est de savoir si le projet de loi C-7 est un ajout nécessaire et urgent à ce dispositif. La teneur du texte nous trouble profondément, notamment l'accès sans mandat à une montagne de renseignements qui est censée être accumulée.

Nous approchons maintenant du troisième anniversaire de la Loi antiterroriste, lorsque le gouvernement devra examiner les dispositions sujettes à temporarisation. L'Association du Barreau canadien a également réclamé l'examen complet de toutes les mesures relatives à la sécurité afin d'évaluer leur effet cumulatif, non seulement sur notre sécurité — pour voir si elles nous protègent vraiment — mais aussi sur nos droits et libertés.

L'Association du Barreau canadien ne voit pas l'utilité d'adopter une nouvelle loi anti-terrorisme, surtout une loi aussi vague que celle-ci, quand le Canada n'a pas encore déterminé si les lois actuelles sont maintenant, ou ont même été un jour, absolument nécessaires, et que nous n'avons pas encore mesuré les répercussions qu'elle a déjà eues sur nos droits et libertés.

L'adoption du projet de loi C-7 viendrait compliquer davantage, et inutilement, la tâche essentielle qui est de savoir si ces lois extraordinaires sont même nécessaires.

Nous ne préconisons pas uniquement un report. S'agissant uniquement des mérites du projet de loi, nous considérons qu'il comporte de graves lacunes. À titre d'exemple, il sanctionne les atteintes à la vie privée en permettant aux policiers de prendre connaissance de la liste des passagers des transporteurs aériens pendant une pleine semaine suivant l'atterrissage du vol. Certains témoins sont venus vous dire qu'il faut prévenir la violence en vol. Cela ne justifie nullement le besoin de conserver les dossiers pendant une pleine semaine.

Si l'objectif est d'assurer la sécurité de l'avion en vol, pourquoi ne pas détruire les dossiers après 24 heures? Pourquoi devons-nous entreposer toutes ces informations dans des banques de données? Cette disposition donne aux policiers accès aux listes de passagers pendant toute une semaine à des fins qui n'ont strictement rien à voir avec la lutte contre le terrorisme.

Étant donné les événements horribles de la semaine dernière à Madrid, nous sommes en droit de nous demander pourquoi le projet de loi C-7 ne s'applique qu'aux vols. Par souci de cohérence, si une loi comme celle-ci est réellement nécessaire, ne devrait-elle pas s'appliquer aussi aux trains, y compris aux trains de banlieue, aux autobus et aux autocars, aux limousines, aux voitures louées et aux hôtels? Nous serions peut-être plus en sécurité si les policiers avaient accès à tous ces renseignements-là aussi. La compilation imposée de listes de passagers des transporteurs aériens ne diffère aucunement, en principe, de la compilation forcée de listes de clients d'hôtels ou de passagers de trains de banlieue ou du fait d'arrêter des autocars sur l'autoroute pour voir qui s'y trouve et vérifier le nom des passagers.

Bien entendu, si nous mettions en place de telles mesures, le Canada deviendrait rapidement un État policier. Nous croyons sincèrement, sénateur, que nous sommes au bord d'une pente glissante et nous estimons qu'avant de faire un pas de plus le Canada devrait reculer d'un pas, évaluer les conséquences déjà observées et déterminer les véritables besoins pour l'avenir.

L'Association du Barreau canadien en est arrivée à la conclusion qu'il faut une analyse complète et rigoureuse de toutes les mesures législatives liées à la sécurité et qu'il ne faut surtout pas ajouter à cet arsenal avant que l'analyse n'ait même commencé. Nous devons faire cette analyse avant d'adopter de nouvelles lois qui pourraient menacer les valeurs fondamentales de la société canadienne. Je vous signale en passant que nous défendons ces valeurs fondamentales de notre société non seulement au Canada mais aussi depuis 800 ans, depuis la Grande Charte pour tenter de définir les limites que l'État ne doit pas franchir. Il est très facile de remonter vers la Grande Charte, mais depuis la Grande Charte, les progrès ont été obtenus à l'arrachée.

En conséquence, messieurs et mesdames les sénateurs, l'Association du Barreau canadien est d'avis que ce comité et le Sénat ne doivent pas adopter le projet de loi C-7. Nous croyons que cette mesure ne doit pas être proclamée. À tout le moins, nous croyons que son adoption doit être retardée et que le projet de loi devra être réexaminé une fois achevée l'analyse et, faute de cela, nous croyons que d'importants amendements au projet de loi s'imposent.

À titre d'exemple, ce projet de loi confère le pouvoir de faire des choses qui normalement seraient autorisées par une loi, et non pas simplement par un règlement, sur lesquelles le Sénat n'aurait aucun droit de regard, parce qu'elles seront autorisées par un mécanisme tout à fait nouveau, à savoir les «arrêtés ministériels» qui n'ont même pas à être approuvés par le conseil des ministres. Nous considérons ces pouvoirs extrêmement larges et les atteintes à la vie privée suffisamment graves pour conclure que nous sommes au bord d'une pente très glissante; nous recommandons que le Canada fasse un pas en arrière.

La présidente: Je signale pour mémoire que les règlements sont en réalité soumis à l'examen du Parlement. Je crois que vous vouliez parler de l'examen préalable.

M. Potter: Bien entendu.

La présidente: Merci, monsieur Potter.

Le sénateur Andreychuk: J'ai eu la chance d'entendre déjà vos commentaires sur ces questions dont vous nous avez entretenus encore aujourd'hui.

J'aimerais d'abord vous poser une question plutôt générale. Les Canadiens s'inquiètent de leur sécurité et leurs craintes sont constamment avivées par des événements comme ceux qui se sont produits en Espagne et ailleurs. Croyez- vous que la population est consciente des effets cumulatifs sur notre démocratie et notre régime de gouvernement de ces intrusions de l'État? La population en est-elle réellement consciente? Je n'ai pas remarqué que les médias en aient parlé régulièrement comme ils le font quand il y a des incidents dans un aéroport ou autre chose du genre.

L'une des raisons qui justifierait un examen en profondeur ne serait-elle pas d'alimenter un sérieux débat public sur l'arbitrage à faire entre les atteintes à nos droits, d'une part, et la prévention des atteintes à notre sécurité, d'autre part?

M. Potter: C'est là, sénateur, une excellente question et il est difficile de savoir ce que la population sait et ce qu'elle ne sait pas, ni même l'étendue de ses connaissances. Je peux toutefois vous faire cette réponse: dans la période qui a suivi les attaques du 11 septembre, nous étions tous extrêmement inquiets et nous voulions tout faire pour mieux assurer la sécurité des Canadiens, quitte à faire quelques erreurs. Nous avons adopté la Loi antiterrorisme après quelques amendements recommandés par le Sénat. Nous avons adopté aussi d'autres mesures législatives. Je pense qu'il n'est pas faux de dire que la population en général n'est pas suffisamment consciente des effets cumulatifs sur nous tous de toutes ces mesures législatives et que, vous les parlementaires n'avez pas été en mesure d'évaluer ces effets. Pas plus que l'Association du Barreau canadien. Aucun de nous ne possède suffisamment d'informations pour juger de l'effet cumulatif. Nous sommes là aujourd'hui pour dire qu'il est temps de stopper les machines et de faire une analyse lucide, réfléchie et sereine afin de pouvoir apporter aux Canadiens une réponse à cette question.

Le sénateur Andreychuk: Je n'ai pas eu l'occasion de faire une analyse approfondie, au plan juridique, pour voir s'il est acceptable de modifier quelque huit ou neuf lois au moyen d'arrêtés d'urgence. Si j'ai bien compris, le gouvernement soutient que le ministre est habilité à prendre ces arrêtés d'urgence quand la situation l'exige, et les arrêtés sont publiés 14 jours plus tard. À première vue, ce pouvoir de prendre des arrêtés d'urgence me semble assez large. Le ministre agit. Le projet de loi ne dit pas que le ministre peut agir si elle a des motifs raisonnables de croire qu'elle doit le faire, il dit tout simplement que le ministre peut faire certaines choses pour des raisons liées à la sécurité. Bien entendu, ces pouvoirs sont conférés par règlement et par la loi que le ministre est chargé d'administrer. Le gouvernement prétend que ce sont des pouvoirs limités et non étendus.

Toutefois, sur la foi des cas que j'ai examinés, et j'en ai cité un dans mon discours, la règle est que ces arrêtés doivent être très précis. Autrement dit, les ministres ne doivent pas avoir des pouvoirs illimités, puisque cela est contraire au principe de justice naturelle, des règles de droit, et cela refroidit les citoyens s'ils pensent pouvoir un jour être visés par un tel arrêté.

Croyez-vous que ces articles du projet de loi sont conformes à la Constitution? Je n'ai pas le temps de commenter toutes les catégories d'arrêtés d'urgence du projet de loi.

M. Potter: Il y a de nombreux cas où la prise de ces arrêtés d'urgence est prévue, sénateur. Il n'y a pas que les ministres qui y sont habilités, mais aussi leurs sous-ministres.

Le sénateur Andreychuk: Justement. Croyez-vous que ces dispositions survivraient à une contestation au regard de la Constitution surtout compte tenu de la décision dans l'affaire Parker où la cour a jugé que ce pouvoir de prendre des arrêtés était si large qu'il effraierait les citoyens qui n'agiraient plus comme il le feraient normalement par crainte de tomber sous le coup d'un arrêté d'urgence?

Ensuite, les gens doivent pouvoir connaître les lois et dans ce cas-ci, cela ajoute du flou.

M. Potter: La prise de règlement est assortie de plusieurs garde-fous: le résumé de l'étude d'impact de la réglementation; les obligations de consultation; les rapports au Parlement, ce qui m'amène à dire qu'un arrêté d'urgence, qui peut être pris presque sans délai, non seulement par le ministre, mais aussi par son sous-ministre, risque davantage d'être contesté que le règlement lui-même. Je veux parler bien sûr d'une contestation au regard de la Charte.

Est-ce que sa constitutionnalité sera plus douteuse du simple fait qu'il s'agit d'un arrêté d'urgence pris par un sous- ministre? Je ne le pense pas. Il nous faudrait examiner ce qu'il en est exactement. Le fait que ces pouvoirs puissent être exercés sans consulter ou faire les analyses d'impact requises pour prendre des règlements nous ramène à votre premier point, sénateur, soit que le pouvoir devrait être moins vaste que le pouvoir de réglementation même. Ce ne devrait pas être le pouvoir de faire tout ce qu'on pourrait faire par voie de réglementation, mais simplement de faire ce qu'on peut faire à son propre bureau de sous-ministre. C'est très troublant, et le projet de loi à l'étude crée plusieurs nouvelles créatures législatives — les arrêtés d'urgence — dans plusieurs mesures législatives. Nous voyons dans les premières dispositions du projet de loi C-7 que le ministre peut prendre une mesure. C'est nouveau, aussi. Par conséquent nous créons de nouvelles lois, nous allons très loin, et le fait qu'on en invoque la nécessité pour des raisons de sécurité, même si ces déclarations sont parfaitement bien intentionnées, ne suffit pas. Il ne justifie pas qu'on s'engage sur cette pente dangereuse.

La présidente: Quelle autre mesure peut-on prendre mis à part un arrêté d'urgence quand il se pose clairement un problème pressant, par exemple une menace immédiate aux voies navigables ou aux aéroports. Comme vous le savez, le processus réglementaire standard prend beaucoup de temps, parfois des semaines. Supposons qu'en tant que ministre des Transports, j'apprends que l'aéroport de Dorval sera la cible d'une attaque dans 90 minutes. De quelle autre façon peut-on y faire face?

M. Potter: Il y a deux réponses à cela, et je pense que c'est la question à se poser au sujet du projet de loi à l'étude. D'abord, il existe déjà de nombreuses dispositions en droit pénal, dans la Loi sur l'immigration, qui permettent de réagir rapidement à des situations d'urgence, que ce soit à des aéroports, à des gares de chemin de fer ou à des gares d'autocar. Elles existent, et nous avons déjà fait appel à la police pour réagir à des situations d'urgence dans le passé. Nous avons vu des pompiers arriver et enfoncer des portes dans des immeubles voisins. Ils n'ont pas eu besoin d'aller s'entretenir avec un sous-ministre. La première réponse donc, c'est qu'il existe de nombreuses dispositions de la loi qui permettent déjà une intervention rapide en cas d'urgence.

Deuxièmement, bien sûr, ce n'est pas parce qu'on est préoccupé par une urgence précise ou par la nécessité de réagir dans les 90 minutes à un aéroport donné qu'il faut conférer aux sous-ministres le pouvoir général de prendre des arrêtés d'urgence chaque fois qu'ils ont besoin d'un règlement. C'est excessif.

Il existe déjà des dispositions pour traiter des situations de ce genre, et ensuite, même s'il y a une lacune à combler, le moyen est exagéré.

Le sénateur Jaffer: Monsieur Potter, vous disiez qu'il existe déjà de nombreux pouvoirs et que, par exemple, le 11 septembre, notre ministre des Transports disposait déjà de suffisamment de pouvoirs selon la loi actuelle pour faire tout ce qu'il avait à faire. Ai-je bien compris qu'il existe déjà suffisamment de dispositions législatives pour faire face aux situations d'urgence?

M. Potter: Je dis qu'il y a déjà de nombreuses dispositions en place et que, s'il y a une lacune, il n'y a qu'à la combler. Ne faisons pas en sorte qu'il soit possible pour tous ces sous-ministres et tous ces ministres de prendre tous les règlements d'urgence.

Le sénateur Jaffer: Je ne pense pas que vous étiez dans la salle quand le commissaire Zaccardelli a pris la parole, mais d'après ce que je comprends, et mes collègues me reprendront si je fais erreur, il a dit qu'il n'avait utilisé aucune des dispositions du projet de loi C-36. Qu'avez-vous constaté? Les autorités utilisent-elles les dispositions du projet de loi C-36? L'Association du Barreau canadien sait-elle si l'une des dispositions du projet de loi C-36 a été invoquée?

M. Potter: Nous avons des renseignements selon lesquels ces pouvoirs ont été utilisés ici et là. Cependant, ce n'est évidemment pas une réponse pour vous. Ce qu'il nous faut vraiment, c'est un processus de surveillance fiable et indépendant pour savoir qui fait usage de ces pouvoirs.

Soit dit en passant, le commissaire n'est pas le seul à disposer de pouvoirs en vertu du projet de loi C-36, qui confère d'importants pouvoirs en matière d'écoute électronique. D'importants pouvoirs peuvent être utilisés par toute force policière du pays et par le SCRS. Le projet de loi C-36 confère de nombreux pouvoirs.

Si ces pouvoirs n'ont pas été utilisés, c'est également pertinent dans le cadre d'un examen. Ils ne sont peut-être pas si nécessaires.

La Loi sur l'immigration prévoit des pouvoirs semblables à ceux du projet de loi C-36 et ils ont sans aucun doute été utilisés.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir sur cette question. Vous étiez ici quand nous avons étudié le projet de loi C- 36. Vous comparaissez aujourd'hui au moment où nous examinons son successeur.

J'ai tendance à penser aussi que ce que nous faisons est probablement contraire à la Constitution. Il y avait une clause de temporarisation prévoyant un examen au bout de trois ans.

J'ai soulevé la question l'autre jour auprès du leader du gouvernement au Sénat. Il a dit que nous avions jusqu'en décembre 2004 pour effectuer un examen. Il a raison.

Il faudrait peut-être entamer un examen avant de se prononcer sur le projet de loi C-7. C'est ce que nous avions décidé au sujet du projet de loi C-36. Une de nos réticences au sujet du projet de loi antérieur, c'était que nous conférions beaucoup trop de pouvoir au ministre. En fait, le ministre délivrait même des mandats, si je ne fais pas erreur. Jusqu'alors, seul un tribunal aurait pu le faire. Cela nous posait des problèmes. Nous avions dit que c'était sans doute contraire à la Constitution.

Nous ne parlons pas de cela dans le projet de loi C-7. Nous disons seulement que «le ministre peut prendre un arrêté d'urgence immédiatement». C'est semblable aux pouvoirs conférés au ministre dans le projet de loi précédent, sauf qu'on s'y prend autrement. Ils peuvent dire que c'est un cas d'urgence, par exemple. Je suis d'accord là-dessus. Je reconnais que nous pouvons déléguer des pouvoirs au ministre. Cela ne pose pas de problème. Ce n'est pas ce qui me préoccupe.

Ce qui me préoccupe, c'est que le ministre empiète sur certains pouvoirs qui n'ont jamais été conférés à aucun ministre. Quand vous dites que ce projet de loi va trop loin, je suis porté à dire que vous avez raison. Nous allons effectivement trop loin.

M. Potter: Permettez-moi d'ajouter quelque chose, sénateur. Dans le projet de loi C-36, il était question, si je me souviens bien, de deux ministres. Le projet de loi à l'étude vise un plus grand nombre de ministres. Non seulement cela, mais les dispositions de temporarisation ne s'appliquent pas à la totalité du projet de loi C-36, mais uniquement aux grandes questions repérées par tous, pas simplement par l'ABC. Tout le monde a compris qu'il y avait des choses graves dans cette mesure législative, par exemple la détention préventive et le témoignage obligatoire de témoins.

Ce sont là les dispositions de temporarisation. C'est pourquoi l'ABC a demandé un examen plus général. Nous devons examiner plus que ces seules deux dispositions. Le Canada doit examiner ce qu'on a fait de façon générale dans le projet de loi C-36, dans la Loi sur l'immigration et dans d'autres textes législatifs qui ont été proposés comme étant nécessaires pour assurer la sécurité, et cela par des gens tout à fait bien intentionnés.

Il est temps que les Canadiens sachent: est-ce nécessaire et quel en est le prix? Nous devrions le savoir avant d'adopter un autre projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Je suis tout à fait en faveur de mesures de protection, je le reconnais. Nous pouvons légiférer pour améliorer la protection. Cela ne me cause pas de difficulté. Cependant, il faut le faire correctement. J'ai voté pour la disposition de temporarisation. Je m'en souviens. J'ai voté en sa faveur avec enthousiasme, si je peux dire.

Nous voilà maintenant saisis d'un autre projet de loi qui va encore plus loin, à mon avis, du fait qu'il accorde davantage de pouvoir et que le ministre peut instantanément prendre un arrêté d'urgence. C'est un pouvoir quasi législatif.

Les gens diront: «Oui, mais nous avons conféré au ministre le pouvoir de légiférer et nous pouvons le faire.» Il est vrai qu'ils peuvent le faire. Cependant, le fait demeure que nous empiétons sur le pouvoir du Parlement.

Nous ne pouvons pas tout changer par voie d'arrêtés. Cela serait aller trop loin. Pendant 10 ou 20 ans, nous avons légiféré par voie de réglementation. Déjà, nous abusons de ce pouvoir. Voilà que nous nous apprêtons à aller plus loin encore: Ce ne sont plus des règlements, mais des arrêtés d'urgence. Ce genre d'arrêté peut être pris en 20 minutes, 5 minutes ou 5 secondes. C'est incroyable. Nous changeons le système du tout au tout. Si c'était la seule façon de sauver notre pays, je pourrais l'admettre, mais je ne suis pas convaincu que ce soit le cas actuellement.

[Français]

Le sénateur Corbin: Ma question concerne les préoccupations sur la protection de la vie privée eut égard aux renseignements sur les passagers de lignes aériennes. J'ai cité, lors de la discussion avec les témoins de ce matin, des extraits des médias américains. Ce n'est pas pour rien que je l'ai fait. Éventuellement, les renseignements que les agences de sécurité canadiennes recueillent au Canada vont se retrouver dans des ordinateurs aux États-Unis, sous la surveillance des Américains. Le fait est que des renseignements sur un citoyen canadien ne changent rien à sa citoyenneté. Il faut s'en préoccuper. Par exemple, on a vu que des citoyens canadiens pouvaient se retrouver dans des chambres de torture à l'étranger. C'est peut-être un cas extrême, mais c'est un cas qui est toujours un précédent.

Ce qui me préoccupe — et ce qui préoccupe, je crois, l'ensemble des sénateurs autour de cette table et vous-même d'ailleurs —, c'est la nécessité de garder les informations pendant sept jours. Vous êtes contre cela. Vingt-quatre heures devraient suffire pour les fins de la cueillette de l'information, c'est-à-dire pour la durée du vol d'un passager quelconque.

Je vais vous citer, encore une fois, ce que dit Mme Nuala O'Connor Kelly.

[Traduction]

Aux États-Unis, le directeur général de la protection de la vie privée du Secrétariat à la sécurité intérieure affirme que les données recueillies grâce au système CAPPS II — et je rappelle à mes collègues qu'il s'agit du système informatisé de contrôle préalable des passagers, système qui où se retrouveront tôt ou tard les noms des passagers canadiens — seront effacées quelques heures, pas sept jours, mais quelques heures après le départ ou l'arrivée d'un vol. Le secrétariat américain promet également que les employés de l'État ne verront jamais les renseignements à caractère commercial qui seront recueillis par le système et que les données relatives aux renseignements, peu importe le sens qu'on donne à cette expression, seront également protégées.

Voilà donc un haut fonctionnaire américain qui affirme que les renseignements à caractère personnel seront effacés, techniquement parlant, dès que l'avion aura atterri. Chez nous par contre, la loi dit que ces renseignements seront conservés pendant sept jours. Je ne comprends pas. Il y a anguille sous roche. Que répondez-vous à cela?

[Français]

M. Potter: Vous avez absolument raison de vous inquiéter à ce sujet. Quand ce projet de loi a vu le jour la première fois, le Barreau canadien s'est prononcé exactement dans le même sens. Si ces renseignements sont nécessaires pour répondre à un problème de sécurité en ce qui concerne un vol en particulier, il faut alors les garder pour la durée du vol. Nous avons dit en janvier 2003 que nous pouvions être d'accord avec cette partie de la loi, mais à condition que le délai de sept jours soit ramené à 24 heures.

Maintenant, le projet de loi C-7 nous revient et le délai de sept jours y est toujours inscrit. Il est indiqué de façon explicite que les renseignements seront partagés avec d'autres pays. Il est également mentionné de façon explicite que ces renseignements ne serviront pas seulement pour des mesures antiterroristes, mais aussi pour vérifier si des personnes figurent sur le manifeste du plan de vol.

Le commissaire nous dit de ne pas vous en faire parce que ces renseignements seront gardés dans une banque de données sécuritaire. Au lieu de se départir de ces renseignements dans 24 heures et de ne les utiliser que pour la durée du vol, comme le disent les autorités américaines, ces renseignements seront entreposés pour êtres comparés à d'autres.

Nous considérons cette manière de faire extrêmement dangereuse. Si c'est le cas, cela pourrait aussi servir à d'autres fins. On pourrait par exemple obtenir les renseignements concernant tous les gens qui sont inscrits dans un hôtel à Ottawa, mettre ces données dans une banque et voir s'il y figure des noms intéressants. C'est la même chose.

Le sénateur Corbin: Cela devient un système de surveillance sociale.

M. Potter: C'est ce que nous craignons. Au lieu de nous prononcer favorablement ou non à cette procédure tout de suite, retournons un peu en arrière afin d'éviter de tomber dans un gouffre et faisons une revue générale, saine et calme de la situation pour savoir si nous sommes déjà allés assez loin. Après réflexion, s'il faut aller plus loin, alors combien plus loin? Cela nous semble extrême.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Je remercie nos témoins. J'aurais une observation à faire, et je le ferai avec le plus grand respect. J'ai trouvé que vous y alliez un peu fort lorsque vous avez déclaré dans votre allocution qu'il n'y a pas de différence entre une liste de passagers et une liste de clients d'hôtel.

Cela dit, convenez-vous avec moi que la GRC et le SCRS ont raison d'analyser et de comparer les renseignements sur les passagers pour des motifs sérieux de sécurité et, dans l'affirmative, est-il vraiment réaliste de leur demander de ne pas tenir compte des mandats d'arrestation émis à l'endroit de personnes qui ont commis des crimes graves?

M. Potter: Sénateur, il est tout à fait fondé que les organismes chargés d'assurer notre sécurité recueillent des renseignements et comparent toutes les informations auxquelles ils peuvent avoir accès. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils aient le droit d'aller chercher par la contrainte toutes sortes de renseignements, des renseignements que nous avions l'habitude de garder confidentiels et hors de la portée de la police. Il est tout à fait fondé que ces corps policiers fassent des comparaisons, mais cela ne veut pas dire qu'il faut adopter des lois qui leur permettent d'obtenir à notre sujet toutes sortes de renseignements, de les stocker, de les comparer et de les conserver par devers eux.

Il y a une distinction à faire. Ces gens font leur travail, et nous avons lieu d'en être fiers, et nous devrions nous réjouir qu'ils comparent ainsi les renseignements dont ils disposent. Très sincèrement, je pense que nous devrions nous féliciter qu'ils puissent ainsi partager les renseignements qu'ils recueillent tout à fait légitimement avec les autres corps policiers d'autres États parce, nous le savons, le terrorisme ne s'arrête pas à la frontière.

Cela n'exprime pas cependant pourquoi le projet de loi est nécessaire. L'adoptons-nous et, si c'est le cas, pourquoi ne dit-il rien des passagers des trains? Et si le projet de loi vaut également pour les passagers des trains, ne vous déplaise sénateur, pourquoi ne pas y ajouter également les clients des hôtels, afin que nous sachions à tout moment où tout le monde se trouve?

Le sénateur Graham: Quel est le niveau de protection qu'une personne recherchée par la justice devrait pouvoir espérer lorsqu'elle se déplace par avion ou en train, lorsqu'elle passe une nuit à l'hôtel, alors que le renforcement de la sécurité est une préoccupation constante?

M. Potter: Une personne qui essaie de se soustraire à la loi a très peu de droits en ce qui concerne la protection de sa vie privée, ce qui n'est pas du tout le cas pour le reste d'entre nous. Nous avons nos libertés. Je pense que j'ai un peu exagéré en évoquant la Magna Carta. Cela fait plusieurs siècles, honorables sénateurs, que nous renforçons ces libertés, et nous l'avons fait en affirmant bien qu'au Canada, les citoyens ont des droits qui ne se limitent pas aux droits de ceux qui essayent d'échapper à la justice. Ils ont des droits, et nous devons les respecter.

Le sénateur Graham: Vous êtes manifestement très inquiet. Le projet de loi dans son ensemble vous inquiète. Auriez- vous des modifications à proposer qui pourraient apaiser vos craintes?

M. Potter: Oui. Nous avons distribué le rapport déposé en janvier 2003 dans lequel nous disions que le strict minimum serait de faire en sorte que tout renseignement recueilli à propos des passagers d'une compagnie aérienne ne puisse être conservé pendant plus de 24 heures, qu'il soit ensuite détruit et qu'il ne puisse être conservé. Pour nous, ce serait un strict minimum.

À l'égard du projet de loi C-7 comme tel, nous sommes extrêmement préoccupés par la création de deux nouveaux instruments législatifs, l'arrêté d'urgence et cette créature qu'on appelle «mesure» au tout début, et nous ne pensons pas qu'on ait vraiment suffisamment essayé de répondre aux questions évoquées par le sénateur Beaudoin. Ce sont là deux nouvelles façons de légiférer. Ces dispositions modifient le processus législatif et le processus de réglementation, et cela nous inquiète beaucoup.

Mais pour répondre directement à votre question, je vous dirais que, dans la mesure où le Parlement a la conviction qu'il y a un problème impérieux et urgent qui doit être réglé immédiatement par la création de moyens d'intervention d'urgence comme ceux-là, soit. Toutefois, et c'est mon avis personnel que j'exprime ici, monsieur le sénateur, comme l'ABC n'évalue les risques pour la sécurité du Canada, je ne suis tout simplement pas convaincu que ce besoin existe. Il y a déjà d'autres lois qui permettent ce genre d'interventions d'urgence, dans certains cas de figure. Rien ne m'indique que le Canada ait été incapable de réagir à des situations de ce genre et qu'il ait besoin de ce genre de pouvoirs.

Pour le Barreau canadien, si vous adoptez le projet de loi, la période de sept jours doit impérativement être raccourcie à 24 heures, les renseignements ne devraient pas pouvoir être conservés, et ils ne devraient pas non plus pouvoir être utilisés à des fins autres que la lutte contre une menace terroriste à l'encontre de l'avion en question. Voilà la position du Barreau.

Le sénateur Graham: Certains de mes fils sont avocats, mais je ne le suis pas moi-même. J'aimerais bien savoir comment l'Association du Barreau, que vous représentez ici, arrive à ses conclusions.

Je sais que vous avez des rencontres annuelles et semestrielles. Je sais aussi que vous avez des comités sur lesquels Mme Bercovitch a un certain droit de regard. Mais comment arrivez-vous à ces conclusions? Avez-vous obtenu un consensus national?

M. Potter: Oui. Vous avez parfaitement raison de dire que Joan Bercovitch est notre directrice responsable de la réforme du droit et de la législation. C'est une employée de l'association et c'est elle qui, avec ses collaborateurs, suit tout ce dossier.

Le conseil de l'association, qui se réunit deux fois par an, détermine les politiques. S'il faut arrêter une politique entre deux réunions, ce sont les dirigeants, dont je suis encore pour quelques mois, qui arrêtent la politique pour la soumettre ultérieurement à l'aval du conseil. Chaque mémoire envoyé au Parlement reçoit l'imprimatur non seulement de ces gens-là, mais également de tous nos bénévoles qui acceptent de devenir membres de telle ou telle section, par exemple de celle du droit pénal ou de l'immigration. Quant aux lois anti-terrorisme, nous avions à peu près 400 personnes d'un peu partout au Canada qui travaillaient à ce dossier, ce qui a débouché sur l'élaboration d'une politique qui a alors été soumise au conseil de tous les chapitres provinciaux et territoriaux de l'association. Ceux-ci l'ont approuvée à l'unanimité, avant que nous la présentions au Parlement.

Le sénateur LaPierre: Si le gouvernement devait déclarer qu'il y a menace pour la sécurité nationale — que les barbares sont à nos portes —, cette loi serait-elle valide?

M. Potter: Il est certain que, selon la nature de la menace et du danger, certaines choses sont acceptables et d'autres, pas. Si effectivement les barbares sont à nos portes, je suis sûr que les tribunaux en tiendront compte. Jusqu'à présent, les tribunaux ont insisté pour qu'on leur prouve de façon relativement péremptoire qu'il y a un équilibre entre le besoin et la réaction à ce besoin. Dans l'état actuel des choses, il serait extrêmement difficile de convaincre un tribunal que la réponse législative à l'étude est nécessaire et permettra d'obtenir les résultats escomptés sans trop porter atteinte à notre vie privée.

Le sénateur LaPierre: Rappelez-vous les années 70, lorsque le gouvernement ne pouvait compter que sur la Loi sur les mesures de guerre. Si vous vous souvenez bien, il avait alors adopté le rejeton de cette loi, puis il l'a invoquée. Et j'imagine que cette loi existe toujours. Ne donne-t-elle pas déjà suffisamment de pouvoir au gouvernement pour intervenir dans une situation d'urgence provoquée par du terrorisme?

M. Potter: Je crois bien. Et je crois qu'il pourrait également invoquer d'autres lois.

Le sénateur LaPierre: Par conséquent, comme vous l'avez déclaré, ce texte-ci n'est pas nécessaire, n'est-ce pas?

M. Potter: À notre avis, il est très difficile de se persuader de la nécessité de doter le gouvernement de ces nouvelles compétences en cas d'urgence qui sont draconiennes. Jamais à ma connaissance le Canada n'a-t-il eu à surmonter un obstacle juridique quelconque pour pouvoir intervenir en cas d'urgence.

Le sénateur LaPierre: Je vais vous poser une question qui sera probablement jugée irrecevable, ce qui m'arrive presque chaque fois.

M. Potter: Il est toujours bon d'en avertir la présidence.

Le sénateur Day: Ses interventions sortent souvent du cadre de la discussion.

La présidente: C'est de naissance. C'est un rebelle né.

Le sénateur LaPierre: Pour vous, qui êtes citoyen canadien, qu'est-ce qu'un cas d'urgence? Ma seconde question, beaucoup plus importante que la première, concerne le fait que nous ne sommes pas indépendants. Nous sommes en relation d'interdépendance étroite avec les États-Unis d'Amérique. Si nous ne conformons pas en adoptant ce genre de loi, on va nous accuser d'encourager le terrorisme et, la prochaine fois que des terroristes frapperont aux États-Unis, les conséquences seront graves pour le Canada. Par conséquent, pour nous prémunir contre les Américains, nous devons adopter le projet de loi à l'étude.

M. Potter: Si vous voulez bien, je vais répondre à votre seconde question.

Le sénateur LaPierre: Vous voyez, ma question était recevable!

M. Potter: La seconde l'était assurément, et je me propose d'y répondre.

La politique qui a été élaborée par l'Association du Barreau canadien de la façon que je viens de vous expliquer affirme qu'il est nécessaire de tenir compte de nos intérêts en matière de sécurité et de le faire de manière à correspondre aux intérêts de nos amis et voisins, les Américains.

Par contre, cela ne veut pas dire qu'en faisant ce qu'il faut, comme vous l'avez laissé entendre, nous cédons aux demandes de notre voisin du Sud. Nous faisons ce qu'il faut faire dans le contexte canadien, compte tenu de nos propres valeurs, et en essayant de frapper un juste équilibre entre la sécurité, ce qui s'entend également de celle de notre voisin, les États-Unis, et les droits et libertés légitimes de nos compatriotes. La bonne façon de faire consiste précisément à en arriver à ce juste milieu.

En disant cela, je relance la balle dans votre camp, mais à notre avis, le projet de loi C-7 va trop loin.

Le sénateur LaPierre: Parce qu'il n'établit pas ce juste milieu?

M. Potter: Précisément. Vous m'avez demandé mon opinion en tant que citoyen canadien. Malheureusement, monsieur le sénateur, l'Association du Barreau canadien n'est pas ici en tant que citoyenne canadienne. En venant témoigner devant vous, l'association a une mission, soit aider le Canada à améliorer ses lois et son système judiciaire, tout cela dans le respect de l'état de droit. Cette mission nous persuade que le juste milieu nécessaire dans pratiquement tous les cas d'espèces lorsqu'il s'agit de lois, et surtout lorsqu'il s'agit des lois concernant la sécurité, ce juste milieu n'existe pas ici.

Nous soutenons qu'au lieu d'adopter une nouvelle loi qui fait pencher la balance trop d'un seul côté, il vaudrait mieux prendre un moment de réflexion, nous demander si cela est vraiment nécessaire et si, après tout, l'Association du Barreau canadien n'aurait pas raison. Peut-être nous trompons-nous. Peut-être le juste milieu existe-t-il. Mais nous, nous disons qu'il faut d'abord vérifier.

Le sénateur Day: Monsieur Potter, je voudrais vous féliciter pour l'excellent travail que vous avez accompli lorsque vous étiez le président de l'Association du Barreau canadien et j'espère que votre rôle de président sortant vous comble tout autant cette année-ci.

M. Potter: Vous pouvez voir que je reviens à une vie normale, monsieur le sénateur.

Le sénateur Day: Et nous nous en réjouissons. Il y a plusieurs choses concernant les arrêtés d'urgence qui mériteraient peut-être quelques éclaircissements, à commencer par les contrôles au niveau du ministre. Je sais que vous vous êtes penché sur tous les freins et contrepoids prévus pour ces arrêtés d'urgence.

Pour commencer, on a dit que les arrêtés d'urgence — c'est quelque chose de nouveau — existent déjà en droit fédéral, dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement ainsi que dans la Loi sur l'aéronautique. Êtes-vous au courant?

M. Potter: Oui, et vous avez parfaitement raison. Certaines lois parlent en effet d'arrêtés d'urgence. Je me trompe peut-être, mais je crois par contre qu'il n'existe aucune disposition permettant à un sous-ministre d'émettre un arrêté d'urgence, c'est-à-dire de faire à peu près n'importe quoi qui pourrait se faire par voie de réglementation.

Le sénateur Day: Par conséquent, le débat ne portait pas sur la notion même de l'arrêté d'urgence, mais sur le fait qu'un sous-ministre pourrait en être à l'origine. Est-ce bien cela?

M. Potter: Non, c'est le fait qu'un sous-ministre peut intervenir et que l'arrêté d'urgence peut porter sur à peu près n'importe quoi qui, normalement, serait couvert par voie de réglementation.

Le sénateur Day: Pendant les questions, j'ai vérifié un certain nombre de dispositions du projet de loi. Il semble que, le libellé est le même. Par exemple, la disposition 13.1(1) concernant la Loi sur les dispositifs émettant des radiations qu'on trouve à la page 78 du projet de loi dit ceci:

Le ministre peut prendre un arrêté d'urgence pouvant comporter les mêmes dispositions qu'un règlement pris en vertu de la présente loi [...]

Cela revient à dire que l'arrêté d'urgence est subordonné au pouvoir réglementaire de la loi.

M. Potter: Non seulement cela, il peut couvrir dans son intégralité le champ d'application du règlement.

Le sénateur Day: Je continue la citation:

[...] s'il estime qu'une intervention immédiate est nécessaire afin de parer à un risque appréciable — direct ou indirect — pour la santé ou la sécurité.

Voilà donc l'autre balise. Et cela revient chaque fois.

M. Potter: Dans cet article, effectivement.

Le sénateur Day: Vous constaterez, je pense, que le texte est semblable pour chaque disposition concernant les arrêtés d'urgence.

M. Potter: Je n'ai pas tout vérifié, mais vous avez sans doute raison.

Le sénateur Day: Contrairement à ce que le compte rendu pourrait indiquer, en l'occurrence que le ministre peut faire ce qu'il veut, il y a quand même des limites dans la mesure où il faut qu'il y ait dépôt au Parlement et différents autres éléments aussi dont je ne vais pas parler ici. On a introduit plusieurs garde-fous précisément pour que le Parlement garde le contrôle de ces arrêtés d'urgence.

M. Potter: Mais ce contrôle s'exerce après coup, et il n'est pas automatique. Soyons clairs. Je ne veux pas dire qu'il y a une armée de ministres et de sous-ministres qui n'attendent que de pouvoir abuser de ces dispositions et prendre des arrêtés d'urgence même s'ils ne croient pas que cela est nécessaire. Ce n'est pas la position de l'Association du Barreau.

En revanche, l'association estime qu'il s'agit-là de pouvoirs vraiment draconiens, qui ne cadrent pas avec la logique habituelle. Ces arrêtés peuvent se substituer à l'ensemble des règlements d'application de ces lois. Ce sont donc des pouvoirs extrêmement étendus. Ce qui nous occupe ici, c'est une façon de faire radicalement différente, et nous préconisons de prendre un peu de recul.

Le sénateur Day: Je vous remercie de votre réponse. Nous en avons pris bonne note.

La présidente: Monsieur Potter, madame Bercovitch, je vous remercie de votre exposé fort éloquent.

[Français]

M. Potter: C'est toujours un grand plaisir, madame la présidente, de venir témoigner devant un comité du Sénat. Nous trouvons que ces comités font un travail remarquable.

La présidente: Merci beaucoup.

[Traduction]

Chers collègues, les prochains témoins représentent quatre organisations différentes, la Muslim Lawyers Association, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université et B'nai Brith Canada. Soyez tous les bienvenus.

Mme Lynne Cohen, agente de communications, B'nai Brith Canada: Honorables sénateurs, l'organisation B'nai Brith Canada, créée en 1875, est le plus ancien mouvement de défense et organisme de services de la communauté juive au Canada. Notre service de défense est composé de la Ligue des droits de la personne et de l'Institut des affaires internationales. La première s'occupe de questions concernant les droits humains et l'égalité ici au Canada. L'Institut des affaires internationales surveille les manifestations d'antisémitisme et toute autre forme de racisme et de préjugé à l'échelle mondiale.

L'expérience de la communauté juive dans le monde entier n'a pas son pendant depuis un siècle, surtout depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L'expérience amère nous a appris qu'il est impossible de discuter des droits humains fondamentaux sans discuter également de l'environnement dans lequel ces droits humains doivent s'exercer. Une société qui ne respecte pas l'état de droit et qui n'a pas la volonté de protéger ses propres citoyens en donnant la primauté au droit ne peut espérer défendre les droits fondamentaux de ceux qui vivent sur son territoire.

Liberté, sécurité et droits sont indissociables. C'est dans le contexte de cette réalité que nous venons témoigner ici devant vous aujourd'hui. Je tiens à vous présenter mon collègue, Rubin Friedman, de la Ligue de droits de la personne, qui vous fera un exposé plus détaillé sur cette question et sur son incidence sur le projet de loi dont votre comité est saisi.

[Français]

M. Rubin Friedman, League of Humana Rights, B'nai Brith Canada: Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir donné la possibilité d'exprimer quelques mots sur le projet de loi qui est devant vous.

[Traduction]

Nous avons une énorme dette de gratitude envers le gouvernement du Canada. Le mot «gratitude» est peut-être trop fort. Nous sommes heureux que le gouvernement du Canada prenne enfin le terrorisme au sérieux. En 1985, près de 300 Canadiens ont été tués dans ce qui était le pire acte de terrorisme qu'on avait connu jusqu'alors dans le monde et qui était sans doute le pire acte de terrorisme à avoir été commis avant le 11 septembre.

À la suite de cet attentat terroriste, nos services de police ont effacé des éléments de preuve. Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont déclenché deux guerres. Peut-être que nous pouvons maintenant au Canada trouver un juste milieu entre ces deux extrêmes.

La vie est la condition préalable à la reconnaissance des droits ou de quelque autre garantie que ce soit. Il en va de la responsabilité fondamentale de tous les gouvernements d'assurer à leur population le droit à la vie.

Depuis maintenant bien des années, la communauté juive fait face à des menaces de toutes sortes parce que, comme Lynne Cohen l'a expliqué, notre expérience est unique en son genre. Partout dans le monde, nos centres communautaires et nos synagogues ont été la cible de bombes incendiaires, de voitures piégées, d'attentats à la mitraillette, de menaces au bacille du charbon, et ainsi de suite. À nos yeux, il est grand temps qu'on s'occupe davantage de sécurité au Canada.

Cela dit, nous savons que, dans notre contexte canadien et aux termes de notre Charte des droits, nous devons constamment assurer l'équilibre entre divers types de droits. Nous devons assurer l'équilibre entre le droit à la liberté d'expression des uns et le droit des autres à vivre en paix et en sécurité; c'est pour cette raison que nous avons une loi interdisant la propagande haineuse.

De même, nous sommes d'avis que beaucoup des dispositions du projet de loi à l'étude sont nécessaires pour assurer la sécurité de la population canadienne. Nous tenons toutefois à attirer à votre attention sur deux aspects du projet de loi qui pourraient être une source d'inquiétude et être améliorés.

Le premier aspect concerne l'examen qui doit être fait par le directeur du SCRS et le commissaire de la GRC des informations obtenues des lignes aériennes et de tout le reste et la question de savoir si ces informations devraient être détruites. Nous appuyons énergiquement tous les efforts visant à assurer un droit de regard accru de la part des autorités civiles sur ce genre d'activité. Il devrait y avoir des garde-fous pour éviter que les personnes en cause exercent tout simplement leur pouvoir de prendre des décisions de façon indépendante, sous réserve uniquement qu'elles fassent rapport au ministre de ce qu'elles auront fait. Voilà donc le premier aspect qui nous préoccupe, et toute amélioration que l'on pourrait apporter à cet égard serait la bienvenue.

L'autre aspect a trait au partage d'informations avec d'autres pays. Nous sommes très inquiets du fait que des citoyens canadiens puissent être expulsés vers des pays où la torture est chose courante sans que le gouvernement canadien n'ait quoi que ce soit à dire sur le sort qui leur est réservé. Aussi, nous recommandons fortement que, dans tout arrangement ou tout accord qui pourrait être conclu avec un autre pays, nous veillons à inclure des mesures pour éviter que pareille chose ne se produise.

Enfin, nous vous serions très reconnaissants d'inclure dans le projet de loi une forme quelconque de droit de regard de la part d'une autorité civile, et que la surveillance de l'application de la loi fasse en sorte que l'on n'ait pas recours au profilage racial pour contrôler certaines personnes ou les interpeller, les fouiller ou encore faire enquête sur elles. Nous estimons qu'il s'agit là d'une composante essentielle de ce que nous devrions faire au Canada. Merci beaucoup de votre attention.

La présidente: C'est nous qui vous remercions, monsieur Friedman.

[Français]

Nous passons maintenant à M. Tassé, qui représente la Coalition pour la surveillance internationale de libertés civiles.

M. Roch Tassé, coordinateur national, Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles: Je tiens d'abord à vous remercier pour votre invitation à venir vous faire part de nos préoccupations.

[Traduction]

Depuis septembre 2001, les efforts du gouvernement du Canada pour lutter contre le terrorisme sont guidés principalement par l'obsession de maintenir l'ouverture de la frontière pour les échanges entre le Canada et les États- Unis. Cet objectif prend racine dans l'intégration économique très poussée de nos deux pays et est en droite ligne avec les propositions faites par certains secteurs au Canada qui souhaitent créer un périmètre de sécurité nord-américain et une union douanière avec les États-Unis.

Pareil scénario conduit d'après nous à la redéfinition du Canada comme faisant partie intégrante des États-Unis. Il suppose l'intégration des banques de données des régimes de sécurité internes des deux pays, de même que la concertation sur les mesures qu'il convient de prendre. Il en résulterait un affaiblissement de la souveraineté canadienne et une diminution de la capacité des gouvernements et des institutions du Canada à assurer la sécurité des citoyens canadiens et à protéger leurs libertés, conformément aux droits et aux valeurs que chérissent les Canadiens.

Notre coalition est préoccupée par plusieurs aspects du projet de loi. Nous partageons les inquiétudes exprimées ce matin par la commissaire à la protection de la vie privée en ce qui concerne la portée trop vaste de la loi.

Notre inquiétude tient aussi au fait que le projet de loi dépasse le cadre strict de la lutte au terrorisme et de la sécurité nationale pour étendre les pouvoirs de la police aux activités criminelles.

Je vais m'attarder tout particulièrement aux réserves que nous avons relativement à la protection de la vie privée. Nous sommes d'avis que le projet de loi C-7 vise essentiellement à mettre en oeuvre les mesures de sécurité harmonisées qui ont été négociées dans le contexte des accords bilatéraux que l'exécutif a conclus avec les États-Unis sans la participation du législateur, comme le Plan d'action pour une frontière intelligente. Ce plan d'action en 30 points appelle à la coordination et au partage accrus d'information entre les services de police et du renseignement canadiens et américains. Il appelle également à l'harmonisation de nos politiques à l'égard des réfugiés, de l'immigration et de la sécurité.

Permettez-moi de vous lire certains des faits saillants du Plan d'action pour une frontière intelligente: mettre en commun l'information préalable sur les passagers et les dossiers de passagers qui se trouveront à bord des vols entre le Canada et les États-Unis; mettre sur pied des services conjoints d'analyse des passagers aux principaux aéroports internationaux des deux pays; établir conjointement une base de données compatible et automatisée sur l'immigration qui servira à l'échange d'information; améliorer la mise en commun des renseignements et de l'analyse des tendances; mettre sur pied des équipes conjointes chargées d'analyser et de diffuser l'information et les renseignements de sécurité ainsi que de produire des évaluations des menaces et des renseignements.

Autant de façons d'utiliser le profilage dressé par ordinateur pour recueillir des informations et intégrer les bases de données, pour mettre en commun les renseignements et évaluer les risques. Nous avons entendu parler ces derniers jours du projet de loi S-23 qui permet aux lignes aériennes de fournir de l'information à Douanes et Revenu Canada. Le projet de loi C-44 autorise les lignes aériennes à fournir de l'information sur les passagers à des gouvernements étrangers.

Ces mesures législatives ont très peu retenu l'attention du public au Canada, mais des ententes semblables entre l'Union européenne et les États-Unis sont au coeur d'une importante controverse qui bat toujours son plein au Parlement européen. Les parlementaires européens s'inquiètent de ce que les données sur les passagers européens qui seraient communiquées aux États-Unis ne seraient aucunement ou à peu près pas protégées et qu'il en résulterait sans doute une violation des droits des citoyens européens en matière de protection de la vie privée. La question n'a encore suscité aucun débat au Canada.

Voilà maintenant que la ministre McLellan nous dit que le gouvernement souhaite recueillir des informations sur les voyageurs qui prennent place à bord des vols vers des destinations tant canadiennes qu'étrangères. Elle dit que le projet de loi C-7 est essentiel pour avoir l'autorisation légale de faire avancer les efforts en ce sens.

Je crois qu'au cours de la dernière session, le sénateur LaPierre a demandé à M. Read, de Transports Canada, si le Canada entrait des informations dans une base de données et que la réponse a été un non catégorique. Je n'ai pas lu la transcription, mais d'après le souvenir que j'en ai, la réponse avait été négative.

Même si le projet de loi C-7 n'a pas été adopté, certaines mesures dont il avait déjà été convenu en vertu du Plan d'action pour une frontière intelligente sont en voie d'être mises en oeuvre, ce qui ne devrait pas se faire à notre avis tant que le projet de loi C-7 n'aura pas été adopté. J'en veux pour preuve le système d'évaluation des voyageurs aériens que l'Agence canadienne des douanes et du revenu projette de mettre sur pied à raison de plusieurs millions de dollars. Il s'agit d'un programme que les autorités canadiennes et américaines sont en train d'établir en catimini afin de contrôler les personnes qui pourraient poser un risque pour la sécurité nationale, qu'il s'agisse d'activités terroristes ou d'autres activités criminelles ou suspectes. Un nouveau centre d'évaluation du risque pour la sécurité nationale a été établi à Ottawa en janvier pour assurer la mise en oeuvre du programme. Le centre recevra tous les renseignements sur les passagers, les analysera et les communiquera à ses homologues américains. Les renseignements seront transmis au sud de la frontière, où ils seront stockés, gérés et utilisés par les organismes américains comme bon leur semble.

Les renseignements seront entrés dans le programme américain CAPPS II dont nous avons entendu parler. En fit, ils seront entrés non seulement dans le programme CAPPS, mais aussi dans le programme US-VISIT, dont nous n'avons pas encore entendu parler, si je ne m'abuse, au cours de ces réunions. Le but du programme US-VISIT est d'avoir au bout du compte des renseignements complets sur tous les voyageurs de tous les pays du monde. Depuis le début de janvier, si je ne m'abuse, les visiteurs étrangers qui entrent aux États-Unis sont soumis à la dactyloscopie, photographiés et répertoriés dans une base de données, exception faite des citoyens de 28 pays. Le Canada est actuellement au nombre des pays exemptés.

Ensemble, CAPPS II et le programme US-VISIT serviront de fondement à l'établissement d'une infrastructure internationale qui permettra de surveiller tous les déplacements sans aucune exception. Voilà ce qui nous attend.

En vertu de ce projet d'une envergure incomparable qui n'est pas sans rappeler le roman d'Orwell, il n'y a pas de présomption d'innocence au départ, si bien que tout le monde devient suspect. En effet, pourquoi se doter d'une base de données sur tous les citoyens s'ils sont présumément innocents?

Aux yeux de notre coalition, pareille initiative fera en sorte que l'information sera recueillie en vrac, contrôlée et analysée afin d'en dégager des tendances, activités qui s'apparenteront, si tant est qu'elles ne les dépassent, les pratiques des forces de sécurité les plus répréhensibles dans les dictatures du monde. Elle va à l'encontre du principe même d'une société libre et démocratique.

L'affaire Arar illustre on ne peut mieux tous les dangers que comportent le partage accru de l'information et l'intégration des bases de données personnelles avec les États-Unis, et il y aura de plus en plus de cas semblables si nous ne faisons pas en sorte de stopper cette tendance.

Une fois que l'information se retrouve entre les mains d'organismes américains, nous n'avons absolument rien à dire quant à la façon dont elle est utilisée. Le problème, c'est que les étrangers en sol américain n'ont pas de droits, qu'ils peuvent faire l'objet de procédures extrajudiciaires et que, s'ils éveillent le moindrement les soupçons, ils peuvent être expulsés vers des pays qui ne respectent pas les droits de la personne. Aucun organisme ou ministère canadien ni aucun droit garanti par notre Constitution ne peut protéger les Canadiens qui se retrouveraient dans cette situation. Nous fournissons toutes ces données aux États-Unis et ils en feront ce que bon leur semble. Si le Canada continue dans cette voie, nous nous trouverons dans les faits à monnayer les droits humains et les libertés civiles des Canadiens afin de répondre aux exigences d'une intégration pleine et entière avec notre voisin du Sud.

En adoptant le projet de loi C-7, nous nous trouverions à inscrire dans la loi la mise en oeuvre d'accords qui ne sont sanctionnés par aucune loi. C'est la seule raison qui explique, à notre avis, qu'on soit si pressé de faire adopter ce projet de loi. Nous recommanderions toutefois, comme d'autres que vous avez déjà entendus, d'attendre l'examen du projet de loi C-36, afin que nous puissions prendre un certain recul avant d'adopter cette nouvelle loi. Il faudrait d'abord faire le point sur l'application du C-36 et avoir une meilleure idée des risques qui se posent réellement au Canada afin que nous puissions adopter des lois qui sont proportionnelles à l'importance des risques manifestes. Que nous sachions, la preuve des risques pour le Canada n'a jamais été faite dans les débats qui ont entouré le projet de loi C-36, le projet de loi C-44 ou le projet de loi C-7.

Nous souhaiterions également que l'examen du projet de loi C-36 comprenne une étude approfondie de tous les régimes de partage de l'information entre le Canada et les États-Unis.

La présidente: Monsieur Tassé, pour plus de précision, quand vous parlez d'un programme qu'on est en train d'établir en catimini, sur quoi vous fondez-vous pour faire cette affirmation?

M. Tassé: Sur un article du Toronto Star intitulé «Air Travellers Face Screening».

La présidente: Vous pourriez peut-être en remettre copie au greffier du comité afin que nous puissions en prendre connaissance. C'est tout. L'article fera partie de la documentation du comité.

M. Tassé: Dans cet article, il est question de documents internes auxquels Ken Rubin, spécialiste de la Loi sur l'accès à l'information, a eu accès. J'ai deux documents qui ont été divulgués en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et qui confirment le contenu de cet article. Je vous ferai tenir copie non pas seulement de l'article, mais aussi des documents que nous avons obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et qui décrivent les modalités opérationnelles de ce centre d'évaluation du risque à Ottawa. Le centre existe déjà. Il a un budget. Il a un échéancier. L'échéancier coïncide parfaitement avec celui du programme CAPPS aux États-Unis. En fait, il est identique.

La présidente: Merci.

Mme Maureen Webb, conseillère juridique, Association canadienne des professeures et professeurs d'université: Je suis conseillère juridique auprès de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université. Notre association représente tous les professeurs de toutes les universités du Canada — quelque 35 000 personnes —, exception faite de quelques établissements francophones.

Nous n'avons pas l'habitude d'entreprendre des démarches sur les questions relatives à la sécurité et aux droits de la personne, mais nous sommes là aujourd'hui pour vous demander de bloquer ce projet de loi qui, s'il est adopté, marquera, à notre avis, un point tournant dans notre société. Il aura des répercussions profondes sur la société canadienne et la souveraineté du Canada. Il comporte des risques sérieux et bien précis pour les Canadiens d'origines arabe et musulmane, mais il constitue en fait un danger pour nous tous.

Lorsqu'ils sont venus chercher les Juifs, je n'ai rien dit parce que je n'étais pas juif. Lorsqu'ils sont venus chercher les communistes, je n'ai rien dit parce que je n'étais pas communiste. Vous connaissez la citation. Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour protester. Il y a des moments dans l'histoire des démocraties dont nous avons tous honte, avec la perspective du recul. Faisons en sorte qu'il n'en soit pas ainsi aujourd'hui. Faisons en sorte qu'on ne puisse pas dire que les intellectuels canadiens n'ont rien dit à un moment critique de l'histoire canadienne.

En quoi la mesure proposée est-elle dangereuse? Si vous avez suivi, comme nous, ce qui se passe dans le dossier de la sécurité, vous saurez qu'il devient manifeste qu'on est en fait en train d'établir et de mettre en oeuvre un système de surveillance mondial, comme vous l'a expliqué M. Tassé. Ce système prévoit l'intégration pleine et entière avec les opérations des États-Unis des opérations de police, de sécurité, de renseignement et de douanes d'une multitude de pays. Cette intégration est en train de se faire sous l'impulsion de la législation américaine et par le biais d'accords bilatéraux comme l'accord canado-américain pour une frontière intelligente. Il s'agit d'un système de surveillance générale et omniprésente où tout le monde est traité comme suspect; tous sont soumis à une surveillance qui prend la forme d'expéditions de pêche sans motif raisonnable de la part des forces de l'ordre.

Il s'agit d'un système qui permettra, non seulement de recueillir des renseignements personnels sur les Canadiens, mais aussi de stocker ces renseignements et d'établir des liens avec d'autres bases de données afin de créer des profils individuels. Le système permettra aussi d'explorer les données, explorations qui seront effectuées non par des agents du renseignement en chair et en os, mais par des logiciels qui établiront des paramètres arbitraires pour déceler les tendances et les activités suspectes.

Nos renseignements personnels seront utilisés et échangés non seulement par les organismes canadiens, mais aussi par des gouvernements étrangers. Pour faciliter l'échange d'informations avec les gouvernements étrangers, le gouvernement canadien et d'autres gouvernements démocratiques sont invités à se défaire de certains mécanismes bien établis, pour protéger leurs citoyens: mécanismes de protection de la vie privée qui permettent à l'intéressé d'avoir accès à l'information le concernant; sécurité de l'information; conservation, exactitude et recours juridique; mécanismes garantis sans l'application régulière de la loi pour empêcher les fouilles et les saisies abusives; et garanties relatives aux droits humains fondamentaux qui protègent les citoyens contre la détention arbitraire, voire contre la torture.

Si l'affaire Arar a préoccupé les Canadiens, le régime qu'on projette de mettre en place en vertu de ce projet de loi devrait les inquiéter profondément. Une fois que cette infrastructure de surveillance mondiale aura été mise sur pied, il sera difficile, voire impossible, selon nous, de la démanteler. Car les systèmes de ce genre ne font que croître, et il faut savoir que la technologie et la recherche qui les sous-tendent mettent en cause des intérêts commerciaux énormes. Ces intérêts commerciaux, conjugués aux intérêts des représentants politiques qui souhaitent justifier l'existence du système, ne pourront que contribuer à sa croissance une fois qu'il sera opérationnel, si bien qu'il sera impossible ensuite d'en retrancher quoi que ce soit ou de le repenser.

Une fois que le système aura été établi et mis en service, l'ordre mondial aura changé du tout au tout. Dans ce nouvel ordre mondial, notre gouvernement national ne pourra à toutes fins utiles rien faire pour nous protéger si jamais le système nous pointe du droit. Si jamais on nous refuse un visa dans un pays ou qu'on nous refuse l'accès à bord d'un avion, nous deviendrons dans les faits interdits de séjour partout. Si jamais on nous envoie dans un pays tiers, où nous risquons d'être interrogés et torturés, les chances que le gouvernement canadien puisse nous rapatrier sont minimes.

Soyons absolument clairs. À la suite de l'affaire Arar, le gouvernement américain a dit sans équivoque qu'il continuerait à envoyer des Canadiens dans des pays tiers s'il estimait qu'il en allait de l'intérêt national des États-Unis. Ce système de surveillance mondiale se double d'un monde parallèle d'activités extrajudiciaires, d'un monde brutal qui n'existe pas officiellement, mais où certains citoyens seront cyniquement relégués au nom des efforts pour mieux garantir notre sécurité à tous.

Les Canadiens ont pu le constater dans l'affaire Arar. Cette affaire nous a ouvert les yeux. Elle a soulevé un énorme tollé dans tous les milieux au Canada. Pourquoi notre gouvernement continue-t-il à nous engager dans cette voie?

Pourquoi avons-nous emprunté cette voie?

À la CPU, ces questions ne sont pas théoriques. Nos membres se déplacent souvent, pour participer à des conférences, pour faire de la recherche, comme professeurs invités et comme consultants. Nous travaillons même avec le département américain de la Défense. Aujourd'hui, nos membres musulmans sont arrêtés à la frontière des États- Unis et du Royaume-Uni, interrogés, intimidés et détenus. Des agents du SCRS viennent les interroger sur les campus. D'éminents savants refusent désormais de transiter par les États-Unis quand ils se déplacent.

Nous entendons leurs témoignages à nos conseils nationaux. Croyez-moi, ce problème mobilise tous nos membres. La situation empirera-t-elle pour nos collègues musulmans lorsque le projet de loi C-7 aura été adopté? Nous redoutons le sort qui leur sera réservé. En fait, nous le redoutons pour nous tous. Nous estimons que nos traditions démocratiques et la cohésion même de la société canadienne sont menacés.

En guise de conclusion, j'aimerais vous demander de réfléchir à quelques points concernant sur le projet de loi C-7.

La présidente: Je vous suggère de remettre le document à un des pages.

Mme Webb: Selon nous, il faudrait que vous ayez pu répondre avec satisfaction à toutes ces questions avant d'adopter, en toute conscience, un pareil projet de loi.

En bref, ces questions sont les suivantes: comment des affaires comme celles de M. Arar seront-elles évitées si ce régime est mis en place?

La présidente: Madame Webb, je ne veux pas vous interrompre, mais nous devons lever la séance à trois heures. Nous avons encore à entendre M. Mia et nous aimerions pouvoir lui poser des questions. On pourrait peut-être considérer que vos questions ont été lues puisque nous allons tous recevoir une copie.

Mme Webb: Certainement. Je vais donc, avant de conclure, vous transmettre le message que je vous apporte de l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université et de ses 35 000 membres à savoir qu'une politique de sécurité qui met en danger la sécurité personnelle des Canadiens est inacceptable.

Le sénateur Corbin: Madame la présidente, ces questions pourraient-elles figurer au compte rendu de notre réunion d'aujourd'hui?

La présidente: Certainement.

(Le texte des documents figure à l'annexe)

La présidente: Je demanderais aux représentants de la Muslim Lawyers Association de faire leur exposé.

M. Khalid Baksh, conseiller juridique, Muslim Lawyers Association: Au nom de Dieu, le magnifique et miséricordieux, nous vous remercions de nous avoir invités.

M. Mia et moi-même représentons à la fois la Muslim Lawyers Association qui regroupe des avocats, des étudiants et des stagiaires en droit, et la Coalition of Muslim Organizations, coalition de diverses organisations musulmanes à but non lucratif et de charité. Cette coalition est présente dans les communautés et représente un bloc important de la population musulmane du Canada.

Il y a treize mois, nous avons comparu devant votre comité pour parler du projet de loi C-17. Nous nous souvenons d'être venus en octobre et en novembre 2001, parler du projet de loi C-42, qui est devenu le projet de loi C-55, puis le projet de loi C-17. En mars 2004, nous voilà de nouveau ici pour vous reparler d'une question très grave qui selon nous risque de modifier le contrat social entre les citoyens et le Canada. Votre rôle de chambre de réflexion est indispensable. Nous vous demandons de défendre ce à quoi nous croyons en tant que Canadiens.

Les questions que nous avons débattues il y a treize mois ne sont pas différentes aujourd'hui. Elles concernent la vie privée, l'établissement de profils raciaux, le partage d'information, la concentration du pouvoir exécutif et la vulnérabilité de la collectivité. Les Canadiens sont vulnérables. Ce n'est pas plus différent aujourd'hui que cela ne l'était hier.

Qu'avons-nous constaté au cours des treize derniers mois? Voyons voir. Vingt et un musulmans d'Asie du Sud ont été arrêtés pour le motif qu'ils appartenaient à une cellule terroriste. La Gendarmerie royale a très rapidement retiré ses accusations, mais le tort était fait.

L'information est mal utilisée. Le projet de loi à l'étude confère le pouvoir discrétionnaire illimité de disséminer ces informations.

Les 21 Pakistanais ont été appréhendés pour des infractions relevant de l'immigration — dépassement de visas, et ainsi de suite. Pourquoi avoir fait croire qu'ils étaient des terroristes?

Des milliers de Canadiens sont fichés. Il suffit de voir ce qui se passe dans les transports aériens. Ce n'est pas la peine d'aller plus loin qu'ici pour entendre parler d'exemple de conflits raciaux aux aéroports. Aucun sénateur ne l'ignore depuis que le sénateur Jaffer en a parlé avec tant d'éloquence au Parlement, au Sénat.

Nous avons des problèmes particuliers à la frontière américaine. Les gens d'affaires et les membres des professions libérales qui doivent se rendre aux États-Unis ont des problèmes. Nous sommes des Canadiens. Nous sommes comme vous, mais pas tout à fait. Regardez la couleur de ma main; je ne suis pas comme vous.

Je m'appelle Khalid. C'est aussi le nom d'un présumé terroriste. Je serai contrôlé. Je suis contrôlé. Si on s'appelle Mohammed, un des noms les plus populaires du monde, on est contrôlé. C'est ce qui arrive jour après jour à vos voisins, à vos concitoyens, à des Canadiens. On porte atteinte à notre mobilité, à notre droit de gagner notre vie et à notre liberté.

Notre gouvernement a conclu des protocoles de partage de renseignements avec les États-Unis. M. Tassé vous en a parlé. Non seulement est-il devenu plus facile que jamais de fournir aux agences américaines des renseignements à caractère privé et confidentiel mais c'est devenu obligatoire. Et nous le faisons.

Notre gouvernement peut certes autoriser la dissémination responsable d'informations. Une fois ces informations disséminées, par contre, nous n'y pouvons plus rien. Mme Webb vous en a touché un mot. Une fois ces informations disséminées, qui sait ce qu'elles deviendront? Qu'il y ait une période de 24 heures ou de 7 jours, ou encore un examen annuel, peu importe, ces informations auront été disséminées et seront en la possession de ces agences et de ces pouvoirs étrangers. Ces organismes peuvent être ou ne pas être bienveillants.

La communauté musulmane est une communauté vulnérable. Beaucoup de musulmans qui vivent au Canada viennent de pays où les régimes sont répressifs. Beaucoup d'entre nous sont venus pour échapper à ce genre de dissémination des renseignements et de discrimination pratiquées par nos propres gouvernements.

Dans d'autres pays, et il peut aussi bien s'agir de pays que nous visitons que de pays dont nous sommes originaires, ces renseignements ne sont peut-être pas traités avec autant de bienveillance qu'ici.

Enfin, il y a le cas de M. Arar. Vous êtes probablement fatigués d'en entendre parler et vous pensez peut-être que le projet de loi C-7 n'a rien à voir avec M. Arar, mais pas du tout. Le projet de loi a tout à voir avec M. Arar. Pourquoi? Parce que le projet de loi permet le partage de renseignements. Des renseignements ont été communiqués par une agence canadienne à une agence américaine. Les renseignements ont par la suite été utilisés pour incarcérer et torturer un citoyen canadien. Il ne s'agit plus de théorie. Il ne s'agit plus de parler de ce qui pourrait arriver; c'est arrivé. C'est la réalité.

C'est ce qui nous arrive. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici, pour discuter avec vous, pour dialoguer et vous inciter à réfléchir au contrat social qui lie notre pays et ses citoyens.

Je vais terminer par une petite remarque sur le calendrier avant de donner la parole à M. Mia qui entrera dans certains détails. Voilà 28 mois que le projet de loi existe. Il y a eu le projet de loi C-36, qui créait de très grands pouvoirs. Le projet de loi C-36 est une mesure législative préventive. C'est ce qu'a dit M. Read quand il était ici hier. Vos propres fonctionnaires vous disent que le projet de loi C-36 est la loi préventive. Ce projet de loi-ci n'est pas une mesure préventive; il ouvre tout grand la porte. Nous n'en avons pas besoin. Pendant les 28 derniers mois, nous n'en avions pas besoin. L'enquête sur l'affaire Arar est sur le point de débuter, et nous pourrons apprendre exactement ce qui s'est passé. Pourquoi ne pas attendre les conclusions de cette enquête? Bientôt, il faudra faire l'examen triennal du projet de loi C-36. Pourquoi ne pas attendre cet examen avant de faire le point?

M. Ziyaad Mia, directeur, Muslim Lawyers Association & Coalition of Muslim Organizations: Chaque fois que je viens à Ottawa, c'est toujours avec un très grand plaisir que je participe à vos audiences. Ce n'est pas le genre de sujet qui m'enthousiasme, mais il est le miroir de la santé démocratique de notre pays. Je le prends donc très au sérieux. Je ne fais pas dans les hyperboles, et c'est la raison pour laquelle il me revient d'analyser froidement les articles de la loi.

Vos audiences sont d'une importance capitale. Nous étudions un projet de loi d'importance capitale, voire historique, aussi historique que l'était la Loi antiterrorisme, qui constituait le plus important changement apporté au droit canadien depuis 50 ans et qui a été adoptée en l'espace de quelques semaines ou de quelques mois. La mesure proposée marque un changement tout aussi important.

Or, il s'agit d'une mesure boiteuse — je vais vous en expliquer la raison —, et cela devrait suffire pour qu'elle ne soit pas adoptée.

La mesure est importante et elle est historique parce qu'elle vient modifier les droits et le partage de l'information, qui sont au coeur même de la démocratie, de la reddition de comptes et du principe du gouvernement responsable au Canada, sans parler de la Constitution. Je crois que le sénateur Beaudoin me dirait que le gouvernement responsable est le fondement même de notre pays et de notre système de common law.

Le fait est que ce projet de loi va compromettre les droits civils et humains de tous les Canadiens, en tout cas des Canadiens à la peau brune ou qui s'appellent Mohammed. Nous le savons. M. Tassé peut vous dire que CAPPS II prévoit trois niveaux, orange, vert et jaune, mais vous savez quelles sont les couleurs qui importent — brun et pas brun. C'est nous qui sommes touchés aujourd'hui et, même si l'on n'en fait pas beaucoup de cas, vous savez que, une fois que ces pouvoirs auront été consacrés, ils seront utilisés contre d'autres qu'on aime moins, qu'on prend pour victimes ou qu'on tient pour coupables.

Les Canadiens musulmans ne s'opposent pas à ce qu'on prenne des mesures prudentes, raisonnées et raisonnables pour accroître la sécurité au Canada, parce que nous faisons partie de cette société et que nous voulons, nous aussi, être en sécurité. Des musulmans sont morts dans les attentats du World Trade Centre. Nous voyons de nos jours des musulmans qui meurent dans les attentats terroristes à Bagdad. Ce qui nous inquiète, c'est que le prix à payer, la perte de nos libertés civiles et de notre mode de vie démocratique, est tout simplement trop élevé. Nous ne sommes pas prêts à le payer.

Deuxièmement, je tiens à faire remarquer que le projet de loi nous donne un faux sentiment de sécurité. Il n'assure pas notre sécurité. Il donne plutôt au secteur informatique, aux spécialistes de la sécurité et aux fonctionnaires de quoi s'occuper.

Quand je me présente ici, je commence habituellement par raconter une anecdote du prophète Mohammed. D'après les enseignements du prophète, les musulmans sont censés être de bons voisins à l'égard de tous leurs voisins immédiats, mais 14 siècles plus tard, il s'agit vraiment d'esprit communautaire. C'est dans cet esprit que nous nous présentons devant vous aujourd'hui, dans cet esprit de communautarisme et de bon voisinage. Nous faisons partie de la société canadienne et nous tenons à vous faire part de nos opinions.

J'ai dit que le projet de loi C-7 est fondamentalement vicié. En tant qu'avocat, j'ai été sidéré quand j'ai lu le texte de la mesure proposée. J'y relève des lacunes manifestes, et ne suis même pas juge de la Cour suprême.

Les experts que vous avez entendus mardi — et vous avez entendu le commissaire Zaccardelli ce matin — vous ont dit essentiellement la même chose, et il me semble que le message est clair. Il y a des questions d'une importance capitale qui demeurent sans réponse, et les problèmes qui pourraient en résulter sont nombreux. Aucun de ces témoins, y compris le commissaire Zaccardelli, n'a pu répondre à toutes les questions au sujet des problèmes et des risques graves qui se posent. Personne n'a de réponse complète quant aux répercussions ou aux conséquences du projet de loi ou quant à la façon dont on pourrait en surveiller l'application. Je suis étonné par les vues contradictoires qui ressortent des témoignages des fonctionnaires et même du témoignage du commissaire Zaccardelli lui-même.

Il y a donc des ruptures de logique importantes dans tout cela, et il y a des zones grises telles que nous ne savons pas ce qui est clair et ce qui ne l'est pas.

Comme l'a signalé M. Baksh, nos inquiétudes ne sont plus théoriques comme elles l'étaient quand nous sommes venus témoigner au sujet du projet de loi C-36. Elles sont bien réelles, à cause justement de M. Arar. Nous savons maintenant à quoi ces mesures peuvent conduire. Quand nous sommes venus témoigner ici au sujet du projet de loi C- 36, on s'est moqué de nous, on a dit que nous jouions les Cassandre. Eh bien, l'heure du réveil a sonné. Nous vivons maintenant la réalité de cette loi antiterrorisme. Depuis le 11 septembre 2001, les Canadiens musulmans sont victimes de profilage racial et ils sont stigmatisés. On note une diminution importante de la participation des membres de notre communauté aux activités publiques: ils hésitent même à marcher dans la rue, à se rendre au travail, à participer à des oeuvres de bienfaisance parce que le projet de loi C-36 criminalise le fait de donner à des oeuvres de charité du fait qu'il a créé une infraction de «facilitation» qui est absolument scandaleuse, et je persiste à croire que l'intention coupable n'entre pas en ligne de compte dans cette infraction.

Le projet de loi C-7 exacerbera le problème, mais encore une fois, il n'y a pas que les musulmans. Nous sommes le canari de votre mine de charbon. Lorsque ce sera une loi permanente — et je n'arrive pas du tout à comprendre pourquoi ils ne se servent pas de la Loi sur les mesures d'urgence s'ils veulent utiliser une loi permanente dans des circonstances d'urgence ou d'urgence potentielle — elle sera utilisée contre d'autres groupes vulnérables de la population.

Vous avez nos mémoires. Je vous encourage vivement à les lire car le temps presse. Permettez-moi de résumer les principaux points de notre argument: premièrement, les droits en péril; deuxièmement, la concentration du pouvoir exécutif — vous ne devez pas l'ignorer; le droit à la vie privée. C'est l'article 7 de notre Constitution et la Charte des droits et libertés. Pour les droits à l'égalité, c'est l'article 15 de la Charte. La liberté de circulation et d'établissement, article 6 de la Charte, nous donne le droit de nous déplacer librement au Canada, d'y entrer ou d'en sortir à volonté sans être assujettis à une surveillance omniprésente de l'État. Je vous encourage à relire l'opinion du juge retraité La Forest sur la question. Il dit que la jurisprudence démontre l'illégalité du contrôle des déplacements des gens surtout avec la technologie moderne. Il y a l'article 7 et les principes de justice fondamentale; en l'occurrence, les choses se font dans le secret. Il y a la protection de l'article 8 de la Constitution contre les perquisitions et les saisies abusives. Ces demandes et ces extractions de renseignements sont l'équivalent de perquisitions et de saisies abusives. Ce sont les opinions de M. Lalonde, M. La Forest et Roger Tassé. Ce sont les avis juridiques qui ont été fournis à M. Radwanski.

La question est beaucoup plus vaste, mais il n'y a ni légalité ni justification d'atteinte à nos droits et c'est exactement ce que dit la Charte. Quand il est porté atteinte à nos droits, il faut le justifier, ce qui n'est pas le cas dans le projet de loi C-7. La concentration du pouvoir exécutif met en danger la notion de gouvernement ouvert et transparent. Je ne dirai rien pour le moment des arrêtés d'urgence, mais nous pouvons y revenir. Il y a ces pouvoirs discrétionnaires et ces délégations de pouvoirs accordés, à toutes fins utiles, à des bureaucrates, pouvoirs qui ne devraient être détenus que par des élus.

Je conclurai en disant que depuis le 11 septembre 2001, nous vivons dans une culture de peur. Ce n'est pas la bonne manière de diriger une société, de se diriger soi-même, sa famille ou un gouvernement, ou encore de rédiger des lois. Le projet de loi C-7 nous éloigne de la primauté du droit et du gouvernement responsable pour nous mener à une société motivée par la peur et caractérisée par la réaction. La preuve en est, tout le battage du gouvernement pour le projet de loi C-7. C'est tout simplement ridicule. Ils sont venus vous voir et vous ont fait peur, pour que vous adoptiez ce projet de loi. Il faut que tout cela cesse. L'histoire prouve que la peur et la réaction affaiblissent inévitablement le principe du gouvernement responsable et produisent du droit injuste.

Un exemple poignant est celui de la guerre en Irak et des soi-disant armes de destruction massives. Que n'a-t-on pas essayé de nous faire croire. Tout reposait sur la peur.

La question fondamentale qui se pose va au-delà de la minutie bureaucratique démontrée par les témoins qui sont venus vous parler mardi et il ne s'agit pas de simples amendements techniques. La question qui se pose est celle-ci: quelle société voulons-nous? Une société motivée par le soupçon et la peur et gouvernée dans le secret? Ou voulons- nous une société fondée sur la raison, la compassion, la transparence et la règle du droit? Permettez-moi de vous dire que le projet de loi C-7 nous rapproche de la première.

Honorables sénateurs, vous êtes la dernière ligne de rempart. Vous êtes le dernier rempart avant que ce projet de loi ne devienne loi. On m'a dit qu'il y avait peu de chances pour que ce projet de loi soit rejeté. Encore une minute, s'il vous plaît.

La présidente: Monsieur Mia, vous avez déjà eu 20 minutes.

M. Mia: C'est à vous de jouer. Vous êtes le dernier rempart et je vous demande d'arrêter ce projet de loi.

La présidente: Je répugne à toujours couper la parole à quelqu'un, mais j'espère que vous comprendrez que si je le fais, c'est parce que nous voulons vous poser des questions.

Le sénateur Andreychuk: À ce sujet, je déplore que vous soyez si nombreux à faire partie du même groupe de témoins. Je pense que vous avez tous un message à nous livrer et nous aurions dû prévoir le temps nécessaire pour vous écouter jusqu'au bout. C'est précisément là le problème — non seulement l'argumentaire impérieux du gouvernement, mais également celui que les Canadiens peuvent présenter. Nous devons mettre l'un et l'autre dans la balance. Je déplore que nous ayons si peu de temps. Je suis toutefois heureuse que certains d'entre vous aient pu au moins répondre par écrit, afin que nous puissions profiter de toute votre réflexion.

Ce projet de loi a deux axes porteurs. D'abord, avons-nous vraiment besoin de nouvelles lois lorsqu'il y en a déjà qui pourraient faire le nécessaire en matière de sécurité et de sûreté? En second lieu, s'il faut vraiment une nouvelle loi, est- ce la façon la moins intrusive de faire pour nos autres droits et avons-nous vraiment un juste milieu entre la sécurité et ces autres droits?

Sans revenir à vos exposés liminaires, y aurait-il quelqu'un qui ne serait pas d'accord avec ce genre de principe concernant ce qui devrait nous interpeller?

M. Friedman: Je pense qu'il y a un autre principe qui devrait appeler votre attention. Nous avons en l'occurrence tous parler du fait qu'il s'agissait d'un moment historique. La réalité est que la relation entre les citoyens et les États a évolué radicalement depuis 20 ou 30 ans, et pas uniquement depuis le 11 septembre. Cette tendance se manifeste déjà depuis un certain temps.

À l'heure actuelle, n'importe qui peut menacer un État d'y commettre une tuerie, parce que n'importe qui peut fabriquer sa petite bombe atomique. Nous sommes interpellés par un problème grave, un problème à caractère planétaire, mais cela ne remonte pas uniquement au 11 septembre. La seule chose qui se soit produite depuis le 11 septembre — et c'est vraiment regrettable — c'est que nous nous sommes trouvés contraints de réagir rapidement. C'est quelque chose que nous aurions dû commencer à faire en 1985, lorsque 300 Canadiens ont péri en plein ciel. Pourquoi n'avons-nous rien fait? Nous avons effacé les bandes. Demandez donc aux familles, aux amis des gens qui sont morts ce jour-là à bord de cet avion s'ils n'auraient pas apprécié que le gouvernement et les pouvoirs publics canadiens aient offert un peu plus de sécurité. Voilà une question que vous devez également vous poser. Je ne veux pas dire que c'est facile, et je pense effectivement qu'il y a des répercussions graves pour les libertés civiles.

Le sénateur Andreychuk: Je pense que c'est ce que j'ai déclaré pour commencer. Peut-être est-ce dû au fait que nous siégeons sans interruption depuis un certain temps. Ce que je veux dire, c'est que la sécurité est importante. Nos autres droits sont importants. Avons-nous besoin de nouvelles lois? Je l'ai dit il y a longtemps, devant le Comité sur la sécurité, qui a fait honneur au Sénat, que nous savions des choses auxquelles nous ne prêtions pas attention. Lisez donc le rapport qui a été publié deux ans avant le 11 septembre. Il ne s'agit pas de ce que nous aurions dû faire à ce moment- là. Avons-nous besoin maintenant de nouvelles lois ou en avons-nous déjà qui suffisent? Il y a bien des façons de s'en prendre à la protection et à la sécurité. Parlons-nous bien de la façon la moins intrusive d'atteindre cet objectif?

M. Friedman: Je pense que vous posez là une troisième question. Il ne faut jamais oublier les conséquences d'une mauvaise décision. C'est aussi simple que cela. Bien sûr, c'est un énorme problème auquel il faut s'atteler.

M. Mia: Pour répondre succinctement à votre question, vous avez raison. Je ne pense pas que nous ayons regardé les choses avec suffisamment d'attention. Nous avons déjà la Loi sur les mesures d'urgence. Je pense que le projet de loi C- 36 avait court-circuité ce processus, comme le fait ce projet de loi-ci. Il est certain que la Loi sur les mesures d'urgence couvre certaines choses, par exemple, le processus qui permet de recueillir de l'information.

La présidente: Et la Loi sur la sécurité nationale?

M. Mia: Là, vous me prenez de court. Si vous éviscérez le projet de loi C-36 et le projet de loi C-7 en disant: «Ajoutons cela aux pouvoirs qui existent déjà dans la Loi sur les mesures d'urgence», sachant fort bien que celle-ci comporte des garde-fous et prévoit un contrôle parlementaire, qu'elle a été rédigée dans le droit fil d'une Loi sur les mesures de guerre qui n'a jamais donné lieu à des abus, à ce moment-là il ne reste plus grand-chose dans le projet de loi C-7. Avec ce projet de loi-ci, nous nous dotons d'une Loi sur les mesures d'urgence à caractère permanent, ce que je trouve inquiétant, et nous éliminons toute imputabilité devant le Parlement et tout contrôle, parlementaire et autre. Nous pourrions en dire long sur les arrêtés d'urgence. Souvent, c'est le genre de chose qui se passe en secret. En règle générale, il y a quelqu'un, tout seul, qui décide en secret ce qui doit être fait et qui décide ensuite du moment où cette mesure n'est plus nécessaire. Mais il n'y a aucun contrôle. Il est impossible de savoir si l'information est utilisée à mauvais escient. Il n'y a aucun recours, ni politique, ni judiciaire, il n'y a aucune indemnisation. L'affaire Arar est un cas patent. La GRC et le SCRS l'ont fait lanterner, et il paraîtrait même qu'ils se sont livrés à une véritable campagne de détraction à son endroit.

C'est le genre de problème que je vois si on compare l'ancienne à la nouvelle loi.

Le sénateur Jaffer: Vous parlez de l'attentat d'Air India dans lequel tous ceux qui sont morts me ressemblaient. Il a fallu toutes ces années pour qu'il y ait enfin un procès. Je suppose que toutes ces vies étaient moins importantes.

Monsieur Tassé, le sénateur LaPierre vous a demandé si le système canadien était le reflet du système américain. Il a ensuite posé la même question à M. Read et j'aimerais que vous nous donniez une réponse un peu plus complète. Est-ce que ce système mis en place est le même que celui des États-Unis? Vos collègues m'ont dit ce qui leur arrive. Le professeur de l'Université Memorial et ceux qui travaillent pour le Département de la défense américain n'iront plus aux États-Unis à cause de ce qui leur arrive à la frontière. Si vous pouviez nous le donner par écrit, ce serait très utile.

Monsieur Baksh et monsieur Mia, vous avez entendu le commissaire Zaccardelli parler du projet de loi C-36 et dire qu'il n'en avait pas appliqué les dispositions. Vous pourriez peut-être informer mes collègues des conséquences du projet de loi C-36 pour les Autochtones.

M. Tassé: Je n'entrerai pas dans les détails. Si vous avez l'occasion de consulter le document qui sera distribué, rendez-vous à la page 11 et aussi à la page 8. Vous y trouverez une description des délais de rétention des renseignements et des accords de coopération et de réciprocité. C'est un projet parallèle au projet CAPPS II. Selon cette description, ce financement est nécessaire pour que le Canada honore ses engagements envers les États-Unis concernant la mise en place d'un centre national d'expertise et l'amélioration des pour faciliter l'analyse des risques, la préparation aux situations d'urgence, la connectivité aux dossiers passagers et l'échange de renseignements.

Le mot clé, c'est la compatibilité: les mêmes programmes informatiques, les mêmes critères d'analyse des risques. C'est un système parallèle au CAPPS II. Je vous encourage vivement à poser des questions à ce sujet aux ministres et aux fonctionnaires la semaine prochaine. Nous n'en savons pas plus que ce qui figure dans ces documents.

La présidente: C'est bien le document intitulé «Advance Passenger Information, April 2003»?

M. Tassé: Exactement.

La présidente: Il est en train d'être distribué.

Mme Webb: Pourrais-je ajouter un mot à la réponse de M. Tassé? La loi américaine stipule que le gouvernement américain doit le demander aux autres pays. C'est ce que les Américains ont exigé quand ils ont négocié un accord de partage des données de PNR avec l'Union européenne, à savoir, l'accès direct aux systèmes informatiques des compagnies aériennes, l'accès aux données pour tous les vols, pas simplement pour les vols à destination des États- Unis, la possibilité de partager ces données avec des agences fédérales autres que les douanes et à des fins autres que la lutte antiterroriste, et la possibilité de conserver les données qu'ils reçoivent de ces pays pendant 50 ans.

L'Union européenne a cédé à nombre de ces exigences. Il est clair que ce système a pour objectif l'harmonisation, le partage et l'utilisation des données par les États-Unis sans aucun contrôle. C'est ce qu'on peut lire dans ces documents. Vous trouverez dans ce document que je vais donner à votre greffier, les détails sur le déroulement des négociations avec l'Union européenne et sur la loi américaine qui encadre ce régime.

Je vous donnerai également deux exemples écrits du genre de témoignages qui nous arrivent régulièrement par téléphone et que nous entendons lors de nos conseils nationaux.

M. Baksh: Votre troisième question concerne l'utilisation du projet de loi C-36. Le commissaire Zaccardelli a indiqué ce matin, qu'à sa connaissance, le projet de loi C-36 n'est pas utilisé. Cependant, contrairement à ce que les journaux ont dit, nous avons connaissance d'au moins une utilisation du projet de loi C-36 contre un groupe des Premières nations de l'île de Vancouver.

La présidente: La GRC s'est-elle servi de ces dispositions? Le commissaire Zaccardelli ne parlait d'utilisation que par la GRC.

M. Baksh: C'est ce que notre information nous indique.

M. Mia: Je crois que c'était une équipe mixte de sécurité nationale dont certains membres de la GRC faisaient partie.

La présidente: Vous avez des documents?

M. Baksh: Il y a eu un article dans l'Ottawa Citizen à ce propos et nous le trouverons pour vous.

Pour revenir aux propos du sénateur Andreychuk sur la nécessité de cette loi, très souvent, ils n'ont pas besoin d'appliquer le projet de loi C-36. Très souvent, ils utilisent les lois sur la sécurité qui existent déjà, en particulier la Loi de l'immigration — l'utilisation de témoignages sous le sceau du secret, les procès à huis clos et les détentions sans inculpation. Ces pouvoirs existent déjà dans différentes lois et ont été recopiés dans le projet de loi C-36. Et encore une fois, c'est la même chose avec le projet de loi C-7. Nous n'avons pas besoin de tout un tas de ces dispositions car tout cela existe déjà. Tout ce qu'il y a en plus dans le C-7 dépasse tout simplement les bornes.

Notre communauté musulmane constate — et nous l'avons entendu à maintes reprises — que la Gendarmerie Royale et le SCRS n'ont pas besoin d'utiliser le C-36. Il leur suffit de vous en menacer pour obtenir ces renseignements donnés soi-disant volontairement. Je mets «volontairement» entre guillemets. Il leur suffit de dire: «Dites-nous ce que vous savez, autrement nous avons les moyens de vous le faire regretter. Si vous ne parlez pas, nous vous embarquons».

Que croyez-vous? L'intéressé se met tout d'un coup volontairement à parler. La simple menace d'une arrestation préventive en vertu du C-36 suffit pour que les gens se mettent à parler. Les gendarmes utilisent-ils un article particulier du projet de loi C-36? Peut-être pas. S'en servent-ils comme moyen de coercition? Absolument.

Le sénateur Beaudoin: Je crois que c'est M. Mia qui a dit que nous étions saisis d'une loi d'urgence permanente. C'est ce qui me pose problème depuis le début. Il y a quelques années nous avons eu un choix à faire pour régler nos problèmes. Fallait-il déclarer la doctrine d'urgence? Nous avons changé la Loi sur les mesures de guerre, bien entendu, et nous avons maintenant une mesure législative bien supérieure.

Nous avons le choix entre la doctrine d'urgence et les lois spéciales. Le gouvernement, pour une raison ou une autre, a opté pour la deuxième théorie. En fait, nous sommes dans une période d'urgence permanente. C'est pratiquement une contradiction en termes juridiques — doctrine d'urgence permanente. Ça marche, mais ce n'est pas parfait. C'est le problème.

Je vous ai écouté. Le débat d'aujourd'hui est excellent. M. Potter a dit ce matin que nous devrions commencer par l'examen puis ensuite légiférer. Je suis porté à croire qu'il a raison. Légiférer est une chose, mais si nous ne procédons pas à l'examen prévu du projet de loi C-36 et des autres lois, nous ferons fausse route. Nous devons examiner ce qui a été fait et n'agir qu'après. Je préfère l'examen en premier et le projet de loi C-7 après. Vous êtes d'accord avec moi ou non?

M. Mia: Je suis d'accord sans exception, mais j'ajouterais quelques commentaires. Vous avez entièrement raison. Pour commencer, l'urgence permanente est un oxymoron. Noam Chomsky parle d'«état de sécurité nationale». L'urgence permanente, c'est l'état de sécurité nationale. C'est le Chili de Pinochet. C'est essentiellement ce qui disait le Barreau canadien dans son communiqué de presse sur le projet de loi C-17 l'année dernière: c'est la voie de l'état policier.

Quand il y a urgence, qu'on la traite comme une urgence. Je ne dis pas que les circonstances ne peuvent jamais justifier une dérogation aux droits. Il y a l'article 1 de la Charte. La Convention internationale des droits civils et politiques et toutes les autres normes internationales des droits de la personne contiennent des clauses de dérogation. Cependant cela ne se fait pas dans le secret. Il y a des modalités à respecter. Il faut que tout se passe au grand jour, sur la place publique, aux yeux de tous.

Les citoyens de ce pays ne devraient pas être traités et considérés comme des criminels en puissance. C'est nous qui portons le gouvernement au pouvoir, et c'est lui qui doit nous rendre des comptes. Dire: «Il faut vous surveiller, il faut vous contrôler», c'est inverser la relation entre le citoyen et l'État. C'est l'instauration d'un état policier, ce n'est plus de la démocratie.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord.

M. Friedman: Je m'excuse de ne pas être tout à fait d'accord avec vous, mais nous nous trouvons dans une situation d'urgence à long terme. C'est une réalité. C'est peut-être contradictoire en termes juridiques, mais c'est une réalité. Les gens qui veulent en faire sauter d'autres ne sont pas partis. Ils sont toujours là. Ils ont tout leur temps. Ils n'ont pas besoin de frapper demain. Ils pourront frapper dans un mois, dans deux ans, dans dix ans. L'état d'urgence va durer longtemps.

M. Mia: Je sais que la discussion est entre les membres des comités et les témoins, et non pas entre les témoins eux- mêmes, mais je poserai à mon collègue, M. Friedman, une question de pure forme: Quand finit l'urgence et qui décide des critères?

Le sénateur Graham: J'ai dit tout à l'heure que je n'étais pas avocat, mais j'ai deux fils qui le sont. Dans ma famille, il est très difficile d'avoir un oui ou un non comme réponse.

C'est une question générale. Y a-t-il des limites aux droits à la vie privée ou à d'autres libertés civiles qui sont justifiées au nom de la sécurité? Par exemple, y a-t-il des circonstances dans lesquelles vous croyez qu'il pourrait être justifié de recueillir des renseignements personnels sur des passagers d'avion?

M. Mia: Comme je l'ai dit dans mon introduction, nous ne sommes pas contre toutes les mesures de sécurité. Je peux comprendre que la menace aérienne est la priorité depuis le 11 septembre 2001 et que maintenant, elle touche d'autres modes de transport. C'est normal. Il est possible qu'on veuille utiliser le manifeste des passagers, sauf que les terroristes ne voyagent jamais sous leur vrai nom, mais les autorités publiques peuvent connaître les pseudonymes qu'ils utilisent. S'il y a un nom sur ce manifeste qui sont compilés à ceux qui correspondent dans la banque de données, les autorités peuvent intervenir, mais détruisez immédiatement le manifeste avec les noms qui n'ont rien à voir.

Ce qui m'inquiète, c'est que je ne suis pas tout à fait certain que cela soit fait. Une fois ces renseignements entre les mains du SCRS, c'est le directeur de ce service qui décide de les conserver ou non au bout d'un an. C'est un renversement de responsabilité, comme l'a dit le Barreau canadien, et la proposition d'article 4.81 est une écumoire pleine de trous. Je vous recommande de le lire. Des renseignements peuvent être fournis pour des raisons de «sûreté des transports», mais quand c'est pour des raisons de citoyenneté et d'immigration, il faut sauter à l'article 72 du projet de loi qui parle de «conduite des affaires internationales» et d'«ententes». Ce qui nous ramène à ce que nous disait M. Tassé sur les algorithmes du CAPPS et de l'Accord de frontière intelligente.

On commence par invoquer des questions de sûreté des transports et on finit en Syrie.

Le sénateur Graham: J'ai beaucoup d'autres questions.

Le sénateur Corbin: Je dirai simplement que mon frère qui était médecin me disait toujours que vivre est un métier dangereux.

Le sénateur LaPierre: Je trouve cette discussion tout à fait futile. Ce n'est pas un projet de loi canadien. Il n'a pas été rédigé pour protéger la sécurité des Canadiens. Il a été avant tout rédigé pour faire plaisir aux Américains. Le prix à payer pour vivre à côté des États-Unis, c'est l'abrogation de la souveraineté canadienne, qui est de plus en plus en danger. J'ai 74 ans — 75 en novembre — et quand j'en aurai 85, le Canada n'existera peut-être plus au rythme où nous allons maintenant, car nous sommes de plus en plus assujettis aux diktats des Américains.

Le moment est venu de nous réveiller. Ce projet de loi, madame la présidente, est totalement inutile parce qu'il ne protège pas plus ma sécurité que celle de mes petits-enfants. Il sert simplement à faire plaisir aux Américains, ce que nous ne cessons de faire tous les jours. Merci beaucoup.

La présidente: Un des témoins a-t-il un commentaire?

M. Tassé: J'aimerais amplifier ce que vient de dire le sénateur LaPierre. Je ne sais si beaucoup de gens le savent au Canada, mais la Patriot Act donne aux autorités américaines le droit de demander à n'importe quelle entreprise américaine et à ses filiales n'importe où à l'étranger toutes les données personnelles qu'elles détiennent sur leurs clients.

Equifax, l'entreprise dont il est question dans les journaux depuis quelques jours, est la filiale d'une entreprise américaine. C'est elle qui fait toutes les vérifications de crédit au Canada et qui a tous les renseignements sur les opérations bancaires, les finances, et cetera des Canadiens. Si le FBI demande à Equifax toutes les données sur tous ses clients, la Patriot Act oblige Equifax à donner toutes ces informations et sans le dire à personne. En théorie, les agences américaines ont déjà accès aux détails les plus intimes des données personnelles des Canadiens par le biais de la Patriot Act.

La présidente: Il ne nous est pas possible de modifier la loi américaine. Par contre il est possible de faire ce que nous pouvons avec notre propre système.

M. Friedman: Je me permets de ne pas être d'accord. Le Canada a ses propres raisons d'accroître et d'améliorer ses mesures de sécurité. Nous ne sommes pas forcément d'accord avec les dispositions de communication de renseignements figurant dans ce projet de loi. Cependant, il est évident qu'il nous faut améliorer nos mesures de sécurité. Quant à savoir si c'est le meilleur moyen ou non, je ne suis pas prêt à le dire. Quoi qu'il en soit, c'est un problème qu'il nous faudra régler un jour ou l'autre.

Le sénateur Day: Comme le sénateur Graham, j'ai beaucoup de questions à vous poser après vous avoir entendus, mais j'aimerais commencer par dire que ce n'est pas le début de l'examen trisannuel du projet de loi C-36. Nous avons beaucoup discuté, et on vous a demandé de répondre à des questions concernant le projet de loi sur l'antiterrorisme. Ce n'est pas le but de notre réunion. Il faudrait que tout le monde le comprenne. Nous sommes ici pour étudier le projet de loi C-7 et ce projet de loi uniquement. Vous avez fait des commentaires de caractère général sur lesquels beaucoup d'entre nous sont d'accord, par exemple, mon ami, le sénateur Lapierre.

Le sénateur Jaffer: J'invoque le Règlement: quand mon ami sénateur a pris la parole au Sénat, il a dit que c'était le dernier des trois. Le projet de loi C-36, le projet de loi C-44 et le projet de loi C-7 forment un tout.

Le sénateur Day: C'est quoi votre rappel au Règlement?

La présidente: Ce n'est pas un rappel au Règlement en vérité. Le sénateur Day a raison. Nous avons pour mandat d'examiner le projet de loi C-7 et non pas le projet de loi C-36 ou toute autre loi.

Le sénateur Day: De toute évidence je ne me suis pas suffisamment bien expliqué. Le projet de loi C-36 prévoit un examen au bout de trois ans. Ce n'est pas le mandat de notre comité. C'est tout ce que je voulais dire. Vous me suivez?

Le sénateur Andreychuk: Une petite précision. Nous ne pouvons étudier le projet de loi C-7 en totale isolation. Chaque fois que le Comité sénatorial des affaires juridiques et des affaires constitutionnelles étudie un amendement au Code criminel, nous le faisons dans le contexte du Code criminel, car il y a incidence sur d'autres mesures législatives et sur l'application et l'exécution des lois. Il est certain que le projet de loi C-7 ne peut être étudié isolément. Il doit être étudié dans le contexte de la législation sur la lutte contre le terrorisme. C'est la ministre elle-même qui l'a dit.

La présidente: Sénateur Andreychuk, ce n'est pas non plus un rappel au Règlement.

Le sénateur Day: Il est évident que vous n'avez pas compris ma question. Le projet de loi C-36 prévoit un examen de trois ans après l'entrée en vigueur. C'est dans la loi. Ce n'est pas ce que nous faisons aujourd'hui. C'est tout ce que je veux dire. Vous m'avez compris maintenant?

Le sénateur Andreychuk: Maintenant je comprends.

Le sénateur Day: J'ai dû parler trop vite.

Le sénateur Lapierre: Vous avez oublié votre question.

Le sénateur Day: Avez-vous vraiment lu tout le contenu du projet de loi que nous avons pour mandat d'étudier? Votre silence sur les autres dispositions, comme par exemple celles sur la mise en oeuvre de la Convention sur les armes à toxines et celles sur la protection du personnel de réserve des forces armées appelé en cas d'urgence, signifie-t-il qu'elles ne vous posent pas problème? Vous n'êtes venus nous parler que des propositions d'articles 4.81 et 4.82?

M. Baksh: Pour commencer, ce n'est pas du silence de notre part, car comme nous le disons dans nos mémoires, le temps et la logistique ne nous ont pas permis d'étudier tous les articles du projet de loi. Nous ne sommes pas le ministère de la Justice et nous ne pouvons pas passer ces textes au peigne fin. Il y a des problèmes alarmants dans ce projet de loi. Ce sont ces problèmes que nous dénonçons dans nos mémoires, et je vous y renvoie.

Pour ce qui est de votre allusion au projet de loi C-36, nous savons que vous n'êtes pas en train d'effectuer l'examen triennal. Nous voulons que cet examen soit effectué comme prévu, mais les projets de loi C-35, C-36 et, à l'époque, C- 42 — qui est devenu le C-44 et aujourd'hui le C-7 — font partie d'une même loi, une loi sur la sécurité. Ce sont presque tous des projets de lois cadres qui touchent à toutes les lois du Canada ou qui en changent les interactions du tout au tout.

Comme c'est un élément d'une loi qui modifie le contrat social entre le pays et les citoyens, nous vous demandons d'attendre l'examen trisannuel ans du projet de loi C-36 et les conclusions de l'enquête sur l'affaire Arar pour que nous puissions comprendre les changements que vous apporterez, car une fois que le projet de loi C-7 sera adopté, il sera difficile d'y revenir.

Pour ce qui est des exemples que vous avez cités, la convention sur les armes biologiques ou à toxines, entres autres, M. Mia peut vous en dire quelques mots.

M. Mia: Il y a certaines choses qui ne nous posent pas problème, comme les conventions sur les armes biologiques ou à toxines et le contrôle des explosifs. Cependant, n'interprétez pas notre manque de commentaire comme une approbation de tous les articles dont nous ne parlons pas. Nous préférons même les rejeter, parce que nous ne voulons pas que notre nom soit associé à une disposition dont nous n'avons pas parlé.

Ce qui nous préoccupe le plus, c'est la Loi sur l'aéronautique — ce transfert d'information, les arrêtés d'urgence, les pouvoirs discrétionnaires presque illimités —, les dispositions de la Loi sur l'immigration, le partage de renseignements avec des gouvernements étrangers et la disposition ridicule qui veut qu'on se serve des objectifs de sûreté du transport et de sécurité nationale pour lancer des mandats d'arrêt contre des criminels. Loin de moi l'idée de défendre les activités criminelles, mais grand Dieu, du point de vue juridique, c'est entièrement illogique et inconstitutionnel. Le sénateur Beaudoin pourra vous le dire. Ce projet de loi n'a rien à voir avec le vol de bétail ou les maisons de débauche. Ce projet de loi ne devrait pas servir à chercher ce genre de renseignements.

Ce sont les points principaux. Je vous prie de lire notre mémoire. Je n'appuie pas tout le projet de loi. Pour ce qui est des mesures de contrôle des explosifs, vous avez mon aval.

Le sénateur Day: Bien. Donnez-nous des précisions qui pourraient nous aider. Vous n'avez parlé jusqu'à présent qu'en termes généraux. Vous étiez peut-être déjà là quand la commissaire à la protection de la vie privée nous a donné quelques exemples précis.

M. Mia: Au dos de notre mémoire, il y a une liste de recommandations.

Le sénateur Day: Ce sera utile.

Maintenant, monsieur Mia, il y a encore un autre point que je tiens à clarifier. À propos de communication de renseignements, vous avez cité la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Vous avez cité l'expression, «la conduite d'affaires internationales». Savez-vous également que tout règlement concernant l'utilisation de ce type de renseignements doit être renvoyé devant les comités compétents du Parlement, ce qui nous donne la possibilité de l'examiner avant qu'il ne soit approuvé?

M. Mia: Je ne le savais pas.

Le sénateur Day: C'est dans le projet de loi, page 55, paragraphe 70(2):

Le ministre fait déposer tout projet de règlement pris au titre des articles [...]

Il y a toute une liste, dont celui que vous avez mentionné, l'article 150.1.

[...] devant chaque chambre du Parlement; celle-ci renvoie le projet à son comité compétent.

Nous, ou un autre comité du Sénat, aurons la responsabilité d'examiner ce règlement pour déterminer comment ces renseignements pourraient être utilisés.

M. Mia: Vous examinerez ce règlement, mais comme M. Tassé peut vous en parler avec plus d'autorité, il est aussi question d' «ententes», et vous pouvez toujours dire que dans le cas de la frontière intelligente, de la US-VISIT ou de l'intégration des services frontaliers, vous approuverez la structure, mais permettez-moi de vous dire que vous n'étudierez pas tous les moindres petits détails de ce qui sera accepté dans le cadre de ces ententes, et à juste titre, une fois que ces renseignements seront entre les mains des Américains. Quand M. Read a comparu devant vous, il a dit ne pas savoir ni ce qui se trouvait dans ces algorithmes ni ce qu'il ferait de ces renseignements et, vous a rappelé que les États-Unis continuaient à appliquer la politique des mesures d'expulsion dites de «extraordinary rendition».

Le sénateur Day: Vous avez raison. Je parle du Canada.

M. Mia: Vous avez le pouvoir de superviser le cadre général de réglementation. Mon problème est que cela crée des règles de fonctionnement sur lesquelles vous n'avez aucun contrôle.

Le sénateur Day: C'est le genre de détail dont nous avons besoin pour nous aider à déterminer si la loi proposée est nécessaire.

M. Mia: Je serais heureux de revenir pour toute une journée.

La présidente: Nous serions ravis de pouvoir vous consacrer à tous une journée entière à défaut de quoi nous recevrons avec beaucoup de plaisir tout ce que vous pourriez vouloir nous communiquer par écrit. Nous vous remercions tous et toutes. Je sais que vous avez été un peu bousculés, mais il fallait absolument que nous vous entendions tous.

La séance est levée.


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