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TRCM - Comité permanent

Transports et communications


Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 9 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 4 mai 2004

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 35, pour se pencher sur l'état actuel de l'industrie des médias canadienne: Les tendances nouvelles et l'évolution qu'on y constate; le rôle, les droits et les responsabilités des médias dans la société canadienne; et enfin les politiques présentes et futures appropriées y ayant trait.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je suis heureuse de vous revoir au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Nous reprenons notre étude des médias d'information canadiens et du rôle qu'il convient que la politique gouvernementale joue pour veiller à ce que le secteur demeure sain, indépendant et divers, dans le contexte des changements radicaux qui ont eu lieu au cours des dernières années et, notamment, de la mondialisation, du changement technologique, de la convergence et de la concentration accrue de la propriété.

[Français]

Il nous fait grand plaisir d'accueillir les représentants de l'Association de la presse francophone.

L'histoire de l'association remonte à 1976. Son mandat est de promouvoir l'existence et la vitalité de la presse francophone communautaire d'un bout à l'autre du pays.

Nos témoins aujourd'hui sont Francis Potié, directeur général de l'Association, et Annick Schulz, directrice des communications et des relations gouvernementales.

Nous vous souhaitons la bienvenue au comité. On vous a expliqué la procédure. Vous disposez de 15 minutes afin de nous exposer votre présentation liminaire. Nous passerons ensuite à la période des questions.

Nous sommes donc ravis de vous accueillir et sans plus tarder, nous vous cédons la parole.

M. Francis Potié, directeur général, Association de la presse francophone: Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous parler des réseaux de la presse francophone.

Je ne lirai pas ma présentation textuellement, mais vous en exposerai brièvement les points saillants.

L'Association de la presse francophone regroupe 30 journaux, dans neuf provinces et deux territoires. Le Québec n'a pas de presse minoritaire francophone, et le Nunavut ne s'est toujours pas doté d'un journal communautaire de langue française.

L'ensemble de ces journaux représente un tirage de 180 000 copies. Ce chiffre n'est pas négligeable lorsqu'on considère la population francophone au Canada.

Je vais vous exposer tout d'abord la réalité en matière de distribution. Il existe deux types de distribution: la distribution gratuite et la distribution par abonnement. Dans les marchés de l'est de l'Ontario, du nord de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick, on retrouve surtout la distribution gratuite. Ce mode de distribution semble être la norme pour la presse hebdomadaire un peu partout, et surtout au Québec.

Dans les provinces de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, la formule est plus difficile à appliquer étant donné la population dispersée et les minces pourcentages de population francophone. Dans ces cas, on a recours à la distribution par abonnement. Dans certains cas, on cherche toujours de nouvelles initiatives de distribution qui assureront une meilleure pénétration du marché francophone dans le but de rejoindre le plus grand nombre de gens possible.

L'Association de la presse francophone appuie ses journaux par un programme de certification de tirage. Ce programme a pour but d'augmenter la crédibilité du réseau. À ce titre, la majorité des journaux ont un tirage certifié. Ceci a pour effet d'augmenter la valeur commerciale de ces journaux, surtout en ce qui a trait aux grandes agences de publicité nationale.

Le programme d'aide aux publications du ministère du Patrimoine canadien vient subventionner le coût de distribution des journaux à abonnement. En ce moment, une dizaine de journaux membres de l'APF sont éligibles à ce programme. Ce programme a pour effet de réduire leur coût de distribution. Environ 80 p. 100 du coût est absorbé par le programme d'aide aux publications. Cet impact n'est donc pas négligeable sur le budget d'un journal hebdomadaire ou bimensuel.

Le problème des publications dans des marchés plus difficiles se situe en l'occurrence au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et à quelques endroits. Les publications de ces régions demeurent inéligibles à ce programme, selon les critères actuels.

Nous avons d'ailleurs soulevé ce point au ministère du Patrimoine canadien. Pour ce groupe de publications, le régime en place devrait tenir compte des réalités de la presse minoritaire particulières à ces régions. Cependant, les critères furent réévalués et une seule publication supplémentaire est devenu éligible à l'appui du programme. Fait désolant, les publications les plus fragiles ne sont pas éligibles. Voilà un dossier sur lequel nous travaillons.

Qui dit journaux, dit publicité. À ce point de vue, nos journaux ne sont pas différents des autres entreprises de presse. La très grande majorité de leur revenu provient de la publicité.

Au fil des années, l'Association de la presse francophone a beaucoup travaillé sur le dossier de la publicité nationale. Dans le cas de nos journaux, un des nouveaux acquis dans lequel on a investi beaucoup d'énergie est l'engagement du gouvernement fédéral à respecter la Loi sur les langues officielles en matière de publicité. Quand on communique en anglais, on communique en français et vice versa. Cela représente un apport considérable pour notre réseau. L'apport du gouvernement fédéral est d'autant plus important dans les provinces où il n'y a qu'une ou deux publications pour une faible population francophone.

L'importance de cet appui est d'autant plus marqué chez les publications à faible tirage. Le marché fait en sorte que les annonceurs privés, les compagnies de voitures, les Tim Hortons et McDonald de ce monde, regardent les tirages et se tiennent à distance des publications à faible tirage. Toutefois, dans certaines régions de l'Ontario et du Nouveau- Brunswick, on remarque une percée intéressante pour ces journaux à faible tirage dans les marchés privés auprès des agences nationales. Pour la publicité nationale, on s'appuie sur l'article 30 de la Loi sur les langues officielles.

Nos journaux traversent actuellement une crise et une situation d'urgence provoquées par le moratoire sur la publicité du gouvernement fédéral. Cela affecte de façon disproportionnée les journaux les plus fragiles. La Saskatchewan, l'Alberta, les Territoires du Nord-Ouest et Terre-Neuve sont des régions où la disparition d'un journal équivaut à la disparition de la presse francophone. En termes de liquidité à court terme, on parle d'un arrêt plutôt abrupt d'une source de revenu importante pour ces journaux.

Autre fait inquiétant, on est en train de refaire le modèle de gestion de la publicité fédérale. Cela, en soi, n'est pas mauvais. Il revient, bien sûr, au gouvernement de prendre ces décisions. Néanmoins, tout changement nécessite une période d'adaptation. Lors de cette période d'adaptation, les publications risquent d'encourir des manques à gagner assez considérables.

Il existe des situations de toutes sortes. Certains journaux dans le nord de l'Ontario, dans l'est de l'Ontario et au Nouveau-Brunswick ont un marché régional très intéressant à développer. D'autres journaux ont un marché régional à potentiel plus limité. Ils doivent donc se fier davantage sur le marché institutionnel, soit les associations francophones et les regroupements communautaires.

Une autre démarche de l'Association de la presse francophone, depuis environ six mois, consiste à amener les gouvernements provinciaux et territoriaux à adopter une politique de communication en français. Cette démarche aura un impact intéressant si elle réussit. À titre d'exemple, la loi 8 en Ontario créé un engagement à traiter équitablement les médias francophones. On parle d'une vingtaine de publications francophones bilingues, en plus d'un quotidien. Une telle politique contribue grandement à la vitalité de la presse francophone. Nous travaillons sur cette initiative.

Il incombe aux gouvernements provinciaux de prendre un tel engagement. Nous espérons que le gouvernement fédéral exercera une influence lorsque viendra le temps de renouveler les ententes fédérales-provinciales. Les bureaux provinciaux des affaires francophones sont financés à 50 p. 100 par le ministère du Patrimoine canadien. Lors des négociations, le gouvernement fédéral pourra suggérer les secteurs qu'il désire appuyer dans le cadre de ces ententes.

Si je ne m'abuse, les ententes arrivent à terme prochainement. Nous comptons donc sur cet appui pour solidifier notre presse, surtout dans les provinces où elles doivent faire face à de plus grands défis.

L'information dans ces journaux se concentre sur les marchés régionaux et sont axés sur l'intérêt du lecteur. Toutefois, il n'existe aucune presse nationale francophone diffusée dans chaque région. Il faudrait offrir une couverture médiatique qui n'est pas uniquement régionale.

Plus le journal a une portée géographique importante — dans le cas des journaux provinciaux, par exemple — plus le nombre de mandats, en termes de rédaction, est élevé. De ce fait, l'Association de la presse francophone, depuis nombre d'années, offre un service de nouvelles nationales couvrant les activités de la colline parlementaire et l'actualité francophone nationale. Ce service est le seul dont dispose le public francophone pour accéder à cette information sur une base régulière. Cependant, il n'élimine pas l'importance d'une presse francophone à l'échelle nationale. C'est une question de marché et une telle presse n'est sans doute pas pour demain.

En fait de services, l'Association de la presse francophone, pour mettre en valeur la qualité de ses journaux, organise un concours annuel de prix d'excellence. Ce concours permet aux journaux de se mettre en valeur auprès des lecteurs.

La relève en journalisme et dans les autres domaines du personnel pose certes un défi d'envergure pour la presse hebdomadaire francophone. Souvent, on entre sur le marché du travail dans un hebdo, et dans bien des cas, on n'y reste pas longtemps. Par conséquent, le personnel doit se renouveler fréquemment.

L'APF tente d'appuyer la prestation d'un certain nombre de programmes de formation. Une telle démarche à travers le Canada est plutôt dispendieuse.

Nous sommes également présents sur Internet. Notre site Web, dont nous sommes fiers, affiche les nouvelles de tous nos membres. Plusieurs consultent ce site Web. Cependant, le défi se pose encore une fois. La rentabilisation de ce site n'est pas encore chose faite, mais nous y travaillons.

Une des questions qui vous intéresse est celle de la concentration de la presse, phénomène assez récent dans notre réseau. Pendant longtemps, les grands réseaux de presse n'étaient pas tellement intéressés à acheter des journaux francophones en situation minoritaire. Cette situation est en train de changer.

En ce moment nous avons dans notre réseau un journal qui appartient au groupe Transcontinental, un autre à Quebecor, un autre à la compagnie Oxford. Notre réseau comprend un membre régulier et deux membres à l'essai du groupe Brunswick News, qui appartient au groupe Irving. En plus, si j'ai bien compris, le groupe Irving a mis sur pied deux autres publications francophones au Nouveau-Brunswick.

Cela n'a pas vraiment affecté le fonctionnement de l'Association de la presse francophone dont les membres sont actifs et intéressés. S'il y a une différence, elle se situe dans la liberté de décision des éditeurs qui doivent suivre des paramètres assez clairs par rapport à ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire, alors que pour les autres éditeurs, c'est un peu plus improvisé en ce qui a trait aux projets qu'ils vont accepter de faire.

On constate présentement partout au Canada que nos communautés sont en train de changer. Les nouveaux arrivants d'un peu partout au monde s'intègrent dans nos communautés. Il y a de plus en plus d'anglophones qui apprennent le français. C'est un défi que la presse hebdomadaire devra affronter afin d'attirer ces nouveaux lecteurs. Ce n'est pas toujours évident: par exemple, en ce qui concerne les anglophones qui ont appris le français, plusieurs tentatives ont été faites dans les écoles d'immersion et autres pour en faire des lecteurs fidèles, mais cette approche ne réussit pas toujours. C'est un défi auquel on veut s'attaquer. À cette fin, on entend mener une étude ou effectuer un sondage pour mieux cerner les besoins et les intérêts de ces gens et développer des stratégies pour notre réseau.

On essaie de bâtir des relations plus étroites avec l'Association des hebdomadaires du Québec, notamment pour la formation conjointe. C'est certain que ce sont deux réseaux d'envergures différentes; dans notre réseau, la moitié sont des organismes à but non lucratif, alors que les hebdos du Québec appartiennent à de très grands groupes de presse. Il y a une différence culturelle assez marquée, mais on essaie de se rapprocher d'eux pour profiter d'une expertise fort intéressante.

La presse francophone est le reflet des communautés dans lesquelles ces journaux oeuvrent. Je crois, en général, que la presse francophone fait preuve d'une vitalité et d'une diversité grandissantes. Il y a maintenant des communautés où on publie deux ou trois journaux. Bien que cela ne fait pas toujours l'affaire des éditeurs, pour les lecteurs, cette concurrence est certainement une bonne chose. Je pense que c'est le reflet d'une certaine maturité dans nos communautés qui ont bénéficié d'un plus grand soutien, au fil des années, du gouvernement fédéral, d'une plus grande reconnaissance des droits, d'une plus grande institutionnalisation des services — on parle des conseils scolaires —, d'une plus grande reconnaissance des gouvernements provinciaux et d'une meilleure offre de services, de sorte que les journaux francophones sont davantage appuyés par leur marché régional, par le gouvernement provincial, par le gouvernement fédéral et par les publicitaires nationaux.

En général, la presse francophone est en bonne santé en ce moment. La Loi sur les langues officielles et l'application de l'article 30 sont des acquis que l'association doit garder. Ces acquis ont été la base qui ont permis à la presse francophone de se développer.

Je crois fermement que notre initiative auprès des gouvernements provinciaux va permettre un autre élan dans le développement de notre réseau, si l'on réussit à la faire appliquer. Je crois que le gouvernement à un rôle assez important à jouer dans les ententes Canada-provinces, car l'article 43 de la Loi sur les langues officielles demande au gouvernement de se préoccuper des gouvernements provinciaux et municipaux.

Le grand défi de l'heure est la crise de liquidités provoquée par le moratoire sur la publicité. On s'inquiète beaucoup du fait que certains journaux ne survivront pas parce qu'on parle d'un moratoire suivi, probablement, d'une élection, et si cela se produit, il y aura une période d'environ six mois où ces journaux n'auront pas une source de revenu très importante. Ce sont des journaux qui n'ont déjà pas beaucoup de marge de manœuvre. On a fait plusieurs démarches à cet égard auprès de nos élus et on n'a toujours pas de solution à ce problème.

[Traduction]

Le sénateur Phalen: Vous avez abordé certaines de mes questions, mais peut-être pourrez-vous me fournir un complément d'information. Au sujet du Programme d'aide aux publications de Patrimoine canadien, vous avez indiqué que certains journaux membres de l'APF n'y avaient pas nécessairement accès et qu'ils étaient ainsi exclus d'une source de financement qui est véritablement essentielle pour que leurs affaires prospèrent. Pouvez-vous expliquer au comité pourquoi ces publications ne se qualifient pas pour ce soutien? Pouvez-vous aussi nous dire s'il conviendrait d'apporter des changements au Programme d'aide aux publications pour veiller à ce que la presse francophone bénéficie de l'aide voulue?

[Français]

M. Potié: Je n'ai pas la politique en main, toutefois si ma mémoire est fidèle, il y a certains critères de base. Nos journaux tombent dans la nouvelle catégorie des périodiques et publications ethno-culturelles et on a établi le seuil du pourcentage d'abonnement véritable, à 50 p. 100. Si je prends l'exemple du journal francophone au Yukon, il y a un abonnement payé et un abonnement fait par le biais des écoles. De ce fait, ce journal tombe sous le pourcentage de 50 p.100, environ 40 ou 45 p. 100; il est inéligible, je crois que c'est la même chose dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est un dilemme pour ces journaux parce qu'ils ont un mandat communautaire de publication de tout ce qui est actualité francophone et cela s'avère un moyen de distribution intéressant. Toutefois, ce faisant, ils se rendent inéligibles pour le programme d'aide aux publications. Avant la réforme, il y avait un problème de fréquence qui a été réglé: avant il fallait offrir un minimum de 48 parutions par année et nous avions quelques journaux bi-mensuels; ce problème a été réglé. On avait demandé que le pourcentage acceptable d'abonnement payé soit réduit et il ne l'a pas été.

[Traduction]

Le sénateur Phalen: Vous nous avez signalé que l'un des défis auxquels font face vos membres est de trouver et de garder du personnel de premier ordre. Dans un témoignage Mme Bombardier a dit quant à elle qu'il y avait actuellement un manque de formation générale chez les journalistes.

Quand vous dites que vos membres ont des difficultés à trouver des journalistes de premier ordre, la qualité de la formation des journalistes constitue-t-elle une partie du problème, selon vous?

[Français]

M. Potié: Sur le plan de l'anecdote, c'est souligné par certains éditeurs qu'ils ne savent pas écrire. Plus on est loin du Québec, plus le défi est grand parce que les jeunes qui sortent des communautés francophones minoritaires n'ont pas souvent la compétence linguistique. Lorsqu'ils l'ont, ce qui est plutôt rare, ils deviennent la perle rare et ils sont recrutés par la Société Radio-Canada. Tout le monde est intéressé à avoir des journalistes qui connaissent le milieu dans lequel ils travaillent parce que cela les rapproche de leur communauté et leur permet de faire un meilleur travail. Pour nos journaux, on veut avoir des jeunes qui viennent de chez nous. Le journal francophone du Manitoba veut un certain nombre de journalistes du Manitoba. C'est un défi.

Notre industrie ne paie pas de gros salaires. Quand on a un bon journaliste, on a de la difficulté à le garder parce que dès qu'il a fait ses preuves, il est recruté par un compétiteur, soit à la radio, à la télévision ou par une autre publication. Les programmes de formation suffisent. Le problème est que la presse hebdomadaire n'est souvent pas l'endroit où le jeune journaliste rêve de faire carrière à long terme. Il s'agit plutôt d'une porte d'entrée.

La présidente: C'est le sort de tous les journaux communautaires, qu'ils soient de langue minoritaire ou non. Votre problème se situe peut-être sur le plan de l'offre et non sur le plan de la demande. Dans une province donnée, que ce soit au Manitoba, en Saskatchewan ou à Terre-Neuve, il n'y a pas assez d'offres de jeunes journalistes de langue française.

Y a-t-il des bourses pour attirer plus de jeunes gens dans l'étude du journalisme?

M. Potié: Les membres de l'Association de la presse francophone ont mis sur pied, il y a environ 20 ans, une fondation qui donne des bourses à des jeunes de nos communautés afin qu'ils poursuivent leurs études en communication. Vous savez, cela prend du temps avant qu'un fonds ait un grand impact. Par année, on octroie une dizaine de bourses d'environ 1000 $ pour la poursuite d'études en communication.

La démographie de nos communautés est un facteur de cette problématique. Le défi est moins grand à Hawkesbury qu'en Saskatchewan ou en Colombie-Britannique. On est obligé de recruter au Québec. Ce sont des jeunes loin de chez eux, ils s'ennuient et ils veulent retourner dans leur province. C'est normal. Il y a un problème d'isolement qui fait qu'il n'y a pas de compétences acquises qui restent dans la communauté et qui continuent de bénéficier à la communauté. On reçoit, on entraîne et on perd la ressource. Cela a une incidence sur toute la communauté à long terme.

Le sénateur Corbin: Y a-t-il des hebdomadaires de langue française au pays qui ne font pas partie de votre association?

M. Potié: Oui.

Le sénateur Corbin: Où sont-ils?

M. Potié: Il y a L'Express de Toronto qui a déjà fait partie de notre association, mais pour des raisons que je ne connais pas, il n'en fait plus partie. Cela fait partie de l'histoire de l'association.

Le sénateur Corbin: Est-ce qu'il a un tirage important?

M. Potié: Oui, assez important, de 20 à 30 000 exemplaires. C'est un journal avec une grande distribution. Nous avons un hebdomadaire membre à Toronto, mais ce n'est pas L'Express.

Au Nouveau-Brunswick, il y a L'Étoile de Kent et L'Étoile du Sud-Est qui viennent de faire une demande pour devenir membres. Ils sont en période de mise à l'essai. C'est la procédure. On commence et, après un certain temps, on accède à titre de membre régulier.

Le sénateur Corbin: Pour plus de précision, il s'agit de L'Étoile de Kent et du Sud-Est?

M. Potié: Oui.

Le sénateur Corbin: C'est un ou deux hebdomadaires?

M. Potié: Ce sont deux journaux. Avant c'était un journal, mais ils viennent de se diviser. L'Étoile de Kent est dans le comté de Kent et l'autre dans la région de Shediac, Cap Pelé, Moncton, et cetera.

Il y a un tout nouveau journal à Edmundston, lancé par la compagnie Irving qui s'appelle La République. On présume qu'il fera une demande pour devenir membre de l'association un jour.

Le sénateur Corbin: À Edmundston, Irving a acheté Le Madawaska.

M. Potié: Oui et ils ont lancé un autre journal.

Le sénateur Corbin: À distribution gratuite ou par abonnement?

M. Potié: Je pense que c'est à distribution gratuite. Le Madawaska est publié le mercredi et l'Info Week-End, son compétiteur, est publié en fin de semaine. Ils ont lancé un nouveau journal, La République, qui est aussi publié les fins de semaine.

Le sénateur Corbin: Je vais vous corriger. Le Madawaska a annoncé que sa parution sera dorénavant le mardi et non plus le mercredi. C'est tout récent.

M. Potié: D'accord. Il y a La Cataracte à Grand-Sault.

Le sénateur Corbin: C'est un journal bilingue?

M. Potié: Nous n'acceptons pas les journaux bilingues.

Le sénateur Corbin: Du tout?

M. Potié: C'est une réflexion qu'on a eue à plusieurs occasions. Selon le dernier ordre de nos membres, on demeure une association de journaux francophones.

On a changé nos règlements récemment afin d'accueillir des journaux à moindre fréquence. Il y a, dans certaines communautés comme Kingston et Calgary, un petit mensuel. Auparavant, ces journaux n'étaient pas éligibles. Cela permet à un journal de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, de se joindre à l'association en tant que membre mis à l'essai. Il aura un statut de membre un peu différent. On a constaté que des communautés n'ont pas un marché qui justifie un hebdomadaire, mais qu'on devrait quand même trouver une façon de les soutenir.

Il y a des communautés qui n'ont pas de journal francophone. C'est toujours un dilemme. Plus on ajoute de publications, plus on ajoute de concurrence et on ne veut pas fragiliser les journaux déjà existants. Dans le nord de l'Ontario, il n'y a pas de journal francophone, par exemple, à Thunder Bay. Plusieurs communautés ont un journal bilingue et cela va continuer de grandir.

Le sénateur Corbin: Vous avez fait un commentaire qui semble susciter une question de fond. Vous dites que vous n'acceptez pas des journaux hebdomadaires bilingues. Le Madawaska et Le Moniteur acadien, le journal de Shediac, sont aussi la propriété d'Irving, je crois.

M. Potié: C'est Brunswick News.

Le sénateur Corbin: Oui, mais on dit Irving. Tout le monde se comprend. Vous n'acceptez pas, comme personne morale membre de votre association, une compagnie ou un journal bilingue. Mais vous acceptez, par exemple, des journaux complètement francophones contrôlés par des entités anglophones. Comment pouvez-vous expliquer cela?

M. Potié: Je vais commencer par le journal bilingue. C'est un choix qui a été fait, il y a de cela plusieurs années. Cela demeure un choix valable. Cela dépend de la communauté. Si on prend des communautés très minoritaires, il n'y aura pas de journal bilingue. Mais le choix a été fait justement pour encourager les journaux à être des journaux francophones plutôt que bilingues. On ne voulait pas créer une situation où tout le monde voudrait être bilingue pour des raisons de rentabilité. En soi, il n'y a pas de mal à cela. L'Association a fait le choix d'accepter les publications francophones pour les soutenir. Cela a une incidence, je crois, sur la lutte générale contre l'assimilation de nos communautés. Certains éditeurs ont un journal francophone et un journal bilingue. Mais seulement le journal francophone est membre de notre association.

Pour les grands groupes de presse, nous n'avons pas eu à faire la réflexion. Le Madawaska a changé de main; si Le Madawaska était membre, ce n'est pas l'individu qui est membre mais bien l'entité incorporée. La société éditrice du journal Le Madawaska est restée membre. L'Association de la presse francophone fonctionne en français; toute sa correspondance est en français. Toutes ses décisions sont prises en français. Nous n'avons donc pas eu cette réflexion. C'est une nouvelle réalité pour nous. Mais jusqu'à un certain point, ce qui est difficile, c'est que soudainement toutes sortes de gens s'intéressent à publier des journaux francophones. On ne devrait pas s'en désoler nécessairement.

Le sénateur Corbin: Je suis d'accord avec vous, en autant que l'on maintienne tout de même une qualité minimale de la langue et de la transmission des événements, c'est-à-dire que l'on ne reste pas confiné à des concours de patinage de fantaisie ou de chasse à l'orignal. Il faut tout de même véhiculer une information de qualité. Je vais laisser ce type de questions, mais j'ai l'intention d'y revenir à d'autres occasions et avec d'autres témoins.

Sur le plan de la formation, je peux corroborer ce que vous avez décrit. J'ai commencé ma carrière de journaliste au journal La Cataracte, The Cataract, à Grand-Sault — Grand Falls, au Nouveau-Brunswick, seule entité bilingue au Canada.

Ensuite, j'ai fait un stage au journal L'Évangéline, quotidien défunt. Ensuite, je suis passé à la CBC à Fredericton lorsqu'on a ouvert un poste. J'ai finalement échu au journal Le Madawaska où je suis resté un an, pour ensuite passer en politique. J'y suis depuis. Mais mon grand problème, comme journaliste, c'est que l'on ne me payait pas. Je n'arrivais pas. Ce n'était pas nécessairement une question d'avancement professionnel. Cela a joué aussi, mais les hebdos ne paient pas.

Comment faire carrière? J'aurais bien aimé rester dans mon patelin au Nouveau-Brunswick. Le Madawaska m'a bien traité. Les premières années, je peux vous dire que j'ai regretté d'être entré en politique, parce que j'étais plus avantagé financièrement au journal Le Madawaska que je ne l'ai été à la Chambre des communes. Il n'y a aucun doute là-dessus. Je le dis pour corroborer ce que tous les deux avez avancé. Mais payez vos journalistes aussi, car c'est important.

Le sénateur LaPierre: Les journaux bilingues ne peuvent pas faire partie de votre association?

La partie française du journal bilingue bénéficierait peut-être beaucoup d'une appartenance à votre association. Cette partie doit se sentir isolée et manque peut-être de ressources, de capacité de communication, d'intervention, de relations de toutes sortes. Ne serait-ce pas une bonne idée? Souvent, dans les journaux bilingues, la partie française ou anglaise — c'est selon — laisse à désirer, et ceci à tous les points de vue.

Serait-il possible d'examiner vos règlements pour que la portion bilingue de ces journaux puisse recevoir les bénéfices qui semblent très importants quant à la présence de la langue française hors Québec?

M. Potié: Je pense que oui. Il y a une réalité, à savoir que souvent le journal bilingue est sur le même territoire qu'un journal francophone qui est membre de l'association. Les règlements viennent des membres et il y a une certaine réticence. Il y a des cas précis où il y a une réticence à vouloir soutenir telle ou telle publication, non pas au détriment, mais lorsqu'il s'agit de concurrence directe avec un journal francophone déjà sur place.

C'est une évolution. Nous faisons partie d'une association qui n'était au départ que pour les hebdos. Récemment, nous avons étendu notre appui à des journaux dans des communautés qui peuvent seulement se permettre un mensuel par exemple.

Il y a eu des interrogations à savoir si on veut inclure des magasines et des revues — il n'y en pas beaucoup qui sont francophones hors Québec. La réponse des membres, jusqu'à maintenant, a été non. C'est la même chose dans les quotidiens. Il y a deux quotidiens francophones. Là encore, la réponse des membres a été non. C'est une question de perspective.

Bien que je ne crois pas que ce soit unanime parmi les membres, un assez grand nombre considère que nous sommes une association servant à promouvoir l'industrie de la presse hebdomadaire. Jusqu'à un certain point, nous pensons que nous n'avons pas assez de choses en commun avec les revues et journaux qui pourraient devenir membres de notre association. Ils perdraient leur temps ou le nôtre. Je ne sais pas. Je pense que c'est une évolution. Un jour nous allons étendre cela davantage, mais les membres pour le moment ne sont pas prêts à s'y résoudre.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Vous avez dit, en réponse à une question du sénateur Corbin, qu'une publication bilingue était plus rentable qu'un journal communautaire strictement francophone. Si c'est le cas, quels sont les problèmes économiques particuliers auxquels font face les journaux communautaires francophones, par opposition aux journaux anglophones?

[Français]

M. Potié: Ce phénomène va en diminuant. L'annonceur régional se dit que tout le monde lit l'anglais, en l'occurrence les francophones, et que les anglophones ne lisent pas nécessairement le français. Par exemple, si je décide de dépenser 500 $ en publicité, je vais vouloir rejoindre le plus grand nombre de personnes possible. Je vais donc placer une annonce dans le journal qui rejoint tout le monde.

Le fait de rejoindre tout le monde constitue un des avantages de la publication bilingue. Un autre avantage, c'est que certaines annonces sont en anglais, d'autres en français. Il y a un jugement économique qui se fait et cela peut être avantageux.

La façon dont s'applique la Loi sur les langues officielles est favorable à la presse francophone parce que quand vient de temps de choisir entre la publication francophone ou bilingue, la disposition est claire. On publie la version française dans la publication francophone. Cette disposition de la loi est un réel soutien pour nos journaux.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Vous avez semblé dire, si je me souviens bien, qu'une décision avait été prise il y a longtemps, peut-être par vos prédécesseurs, ce qui fait que vous ne voulez pas de la presse bilingue comme membre de l'APF. Est- ce exact?

[Français]

M. Potié: Encore aujourd'hui, notre mission, notre raison d'être est de promouvoir une presse francophone. Par notre action et par notre présence, on ne voudrait surtout pas amener dans un certain nombre de communautés le choix d'une presse bilingue plutôt qu'une presse francophone.

Si on pouvait être assuré de la présence d'une presse bilingue en plus d'une presse francophone, la décision pourrait être différente. Mais je pense que ce n'est pas dans notre mandat d'encourager la presse bilingue au détriment de la presse francophone. Nous ne sommes pas contre la presse bilingue, c'est seulement que nous sommes plus en faveur de la presse francophone.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Je comprends votre point de vue. Le message serait dilué et le but essentiel de l'APF et des journaux strictement francophones, perverti. Vous avez une catégorie de 26 membres à part entière, avec un tirage total de 180 000 exemplaires. Puis vous parlez de trois membres en probation.

M. Potié: C'est une faute d'impression. Il y en a quatre.

Le sénateur Graham: Qu'ils soient quatre ou six, pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

[Français]

M. Potié: Cette procédure fait partie des règlements de l'association. On ne peut pas être membre régulier sur demande. Les demandes sont soumises au conseil d'administration qui les accepte automatiquement en tant que membres à l'essai. On s'assure, pendant une certaine période, que le journal a une certaine stabilité.

On peut être membre à l'essai de l'APF et avoir uniquement l'intention de publier un journal, mais ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Une certaine évaluation se fait pour s'assurer que le journal publie le minimum requis de contenu rédactionnel, que les articles sont rédigés par un journaliste qui fait la couverture de sa communauté et qu'il ne s'agit pas de textes pigés sur Internet.

La période de mise à l'essai est d'une durée minimale de six mois. C'est une façon d'assurer une certaine qualité du contenu. Le but n'est pas d'écarter les journaux de l'association. Au fil des ans, plusieurs journaux ont commencé à être publiés et ont fermé par la suite.

Je dois dire qu'on offre quand même deux catégories de services. S'il n'y a pas d'objection, on offre quand même les services aux membres en période de mise à l'essai. Ces derniers bénéficient de tous les services de l'association, sans toutefois avoir le statut de membres réguliers. Cela doit être entériné par le conseil d'administration, lors de l'assemblée annuelle.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Si vous avez une période de probation minimale de six mois, quelle est la période moyenne de probation?

[Français]

M. Potié: C'est une bonne question. Avant, l'association comptait 24 membres et elle en compte plusieurs autres aujourd'hui. Je dirais que c'est six mois après l'assemblée annuelle. Généralement, on essaie de disposer des demandes le plus rapidement possible. Le conseil d'administration peut mettre fin à la période de mise à l'essai et le tout doit par la suite être entériné par le conseil d'administration, lors de l'assemblée annuelle.

[Traduction]

Le sénateur Graham: Avez-vous jamais compté plus de 26 membres?

M. Potié: Non.

Le sénateur Graham: En ce qui concerne la diffusion, vous parlez de l'existence de distribution gratuite ou de distribution payante et, parfois, d'une combinaison des deux approches. Quel est le pourcentage des publications distribuées gratuitement?

[Français]

M. Potié: C'est une bonne question. Dans l'est ontarien et au Nouveau-Brunswick, là où sont les plus gros tirages, c'est au moins 60 p. 100. Là où l'abonnement est le plus utilisé, c'est dans l'Ouest canadien, où on a 15 000 copies. En Atlantique, peut-être 20 000 copies sont payées, le reste est gratuit. En Ontario, les journaux sont presque tous gratuits, sauf certains, dont Le Voyageur à Sudbury, Le Nord de Hearst, qui sont à abonnement payé. Dans la région de Toronto, c'est mixte. Il y a de l'abonnement payé et une distribution faite par le biais des écoles.

Dans les marchés plus concurrentiels, c'est gratuit. Quand un journal donne, les autres sont souvent forcés de suivre parce que si un journal vend 5 000 copies et si un autre en donne 15 000, il arrive un temps où la demande des publicitaires fait en sorte qu'on est obligé de suivre le courant.

[Traduction]

La présidente: Nous avons d'autres témoins qui attendent et d'autres questions à poser. Du coup, je vais poser une question que j'ai, puis proposer une mesure à laquelle nous avons recours à l'occasion quand nous manquons vraiment de temps: que les sénateurs posent leurs questions et demandent aux témoins de nous fournir les réponses par écrit.

[Français]

Parlez-nous brièvement du moratoire sur les placements publicitaires fédéraux qui, semble-t-il, vous crée une série de problèmes. On ne parle pas de toute la publicité fédérale mais d'une partie seulement, je présume. Cela représente combien d'argent? Quelle est la proportion en moyenne des revenus de vos membres? Quelle est la gravité de cette crise financière et humaine dont vous nous parlez?

M. Potié: Tout d'abord, on parle de toute la publicité sous l'égide du Conseil du Trésor et de tous les ministères. Les sociétés de la couronne et certaines agences sont exclues.

Il est toujours difficile d'évaluer rapidement. Toutefois, pour notre réseau, durant la période du moratoire, si on prend la moyenne des trois dernières années, environ 210 000 $ allaient auparavant aux journaux.

La présidente: Avant le moratoire?

M. Potié: Non, pour le moratoire. Pour la période de mars, avril et mai, si je reprends les chiffres des trois dernières années, la somme s'élève à environ 210 000 $.

Tel qu'indiqué précédemment, la gravité de la situation se situe davantage chez les journaux dont les revenus proportionnels en termes absolus proviennent du gouvernement fédéral. Citons par exemple les journaux provinciaux tels L'eau vive en Saskatchewan, Le Franco en Alberta et L'Express du Pacifique.

En Ontario, le revenu fédéral est divisé entre 20 journaux. En Saskatchewan, il n'y a qu'un journal. Pour L'eau vive, cela représente, durant la période du moratoire, entre 10 000 $ et 12 000 $. Cette liquidité pour le journal est importante. Il devient tout à coup très difficile pour ce journal de payer l'imprimeur et les salaires.

La situation est d'autant plus inquiétante que les pertes seront échelonnées.

Par un concours de circonstance, le moratoire est arrivé durant le mois le plus important, soit le mois de mars. L'été est une période creuse durant laquelle il ne se produit normalement presque rien. En plus, avec les perspectives d'une élection où le gouvernement fédéral n'aura pas le droit de publier des annonces, les pertes de sources fédérales pour ces journaux, au cours des six prochains mois, s'élèveront à 50 p. 100 de leur revenu, et les pertes en revenus provenant des ministères s'élèveront entre 25 et 30 p. 100. Il s'agit là de pertes importantes.

Certains journaux, en situation de déficit, ne sont plus en mesure de payer leur directeur général ou de combler des postes vacants. On choisit parfois de ne pas publier pendant l'été. Cette situation menace même l'existence de certains journaux.

La présidente: Je vous remercie infiniment. N'hésitez surtout pas à ajouter tous les détails que vous jugerez pertinents dans vos réponses écrites, car vos propos sont très intéressants.

Nos témoins devront donc répondre aux questions supplémentaires des sénateurs LaPierre et Graham par écrit.

Le sénateur LaPierre: Quelle différence remarque-t-on, dans les journaux bilingues et les journaux de langue française, en ce qui a trait à la qualité du français? Vous serait-il possible de nous rédiger un commentaire à cet effet?

La présidente: Nous aimerions également savoir si on remarque une différence dans la pratique du métier de journaliste.

[Traduction]

Le sénateur Graham: En ce qui concerne le fonctionnement de votre organisation, pour être sur le conseil d'administration, comme vous l'appelez, faut-il avoir un intérêt dans un journal membre ou peut-on faire venir des membres du conseil d'administration de l'extérieur?

[Français]

M. Potié: Devons-nous répondre immédiatement ou par écrit?

La présidente: Je vous prierais de répondre par écrit. Malheureusement, notre temps est limité. Les prochains témoins attendent patiemment. On pourrait passer une journée entière à entendre les témoignages, mais cela n'est pas possible.

Nous vous remercions infiniment. Votre témoignage fut très intéressant et important.

M. Potié: C'est nous qui vous remercions.

[Traduction]

La présidente: Notre prochain témoin est M. Chris Wilson-Smith, de la Canadian University Press, une agence de nouvelles coopérative nationale à but non lucratif, établie en 1938 et détenue par plus de 60 journaux étudiants de par le pays. C'est l'organisme étudiant le plus ancien de l'Amérique du Nord et la plus ancienne agence de nouvelles étudiantes la plus ancienne au monde, ce qui est très impressionnant.

Bienvenu au comité, monsieur Wilson-Smith.

Le sénateur Graham: Pourrait-on demander à M. Wilson-Smith, pour commencer, d'où il vient géographiquement, au Canada, et de quelle université?

La présidente: Bien sûr. D'habitude, nous faisons circuler les curriculum vitae des témoins. Nous y avons manqué cette semaine. Nous veillerons à ce que cela ne se reproduise plus. Peut-être pourriez-vous commencer par nous dire qui vous êtes et d'où vous venez.

M. Chris Wilson-Smith, directeur du Bureau national, Canadian University Press: Je vous remercie. J'ai commencé par faire des études en sciences politiques à l'UNB, à Fredericton, puis j'ai fait une année à l'Université York, quand je me suis installé là-bas, il y a deux ans. En ce moment, j'ai laissé de côté mes études pour consacrer une année à mon travail actuel qui, au bout du compte, est plus qu'un travail à plein temps. Il me reste quelques cours à prendre pour finir cette année. J'espère obtenir mon diplôme avant la fin de l'année. À présent, je suis à Toronto.

Je voudrais remercier les honorables membres du comité de m'avoir donné l'occasion de venir ici et de leur faire part de certaines de mes réflexions sur la situation d'un journaliste-étudiant dans le paysage en évolution constante du journalisme canadien. Nous sommes dans une position très particulière, dans la mesure où nous perfectionnons nos aptitudes dans l'intérêt de nos lecteurs, mais aussi dans le nôtre, vu que certains d'entre nous entendent faire une carrière en journalisme.

Le terme d'étudiant et celui de journaliste sont l'un et l'autre automatiquement associés aux récriminations. Comme je suis un journaliste étudiant, vous ne vous étonnerez sans doute pas du fait que j'aie plusieurs choses à dire ici maintenant. Bon nombre des grands problèmes qu'affronte le journalisme étudiant depuis quelques années proviennent tous de la même source, à mon sens.

La meilleure façon pour moi de commencer serait sans doute d'expliquer exactement ce que nous faisons. Madame la présidente a déjà expliqué qui était mon organisation. Quant à moi, en faisant mes études universitaires, je subviens à mes besoins et contribue aux recettes de divers établissements de publications; je suis en outre le directeur du Bureau national de la Canadian University Press. Autrement dit, je suis coordonnateur et rédacteur en chef d'un bulletin d'information quotidien distribué à nos membres.

La CUP a été fondée en 1938, quand plusieurs rédacteurs en chef de journaux étudiants du Canada se sont réunis à Winnipeg pour discuter des problèmes qu'affrontaient leurs journaux et leurs universités. Ils se sont alors aperçus que leurs campus n'étaient pas une tour d'ivoire et qu'il était logique de rester en contact, d'avoir une correspondance et de partager un contenu afin d'inscrire dans une perspective régionale ou nationale les nouvelles fournies à leurs lecteurs. Excellente initiative. Quand des groupes d'étudiants rivaux s'entrechoquent à l'Université York, cela se répercute jusqu'à un certain point à Concordia. Les lecteurs sont fascinés par le fait que ce n'est pas une question qui concerne uniquement leur campus, que cela se passe dans d'autres universités également. Cela intéresse d'ailleurs aussi les lecteurs du Nouveau-Brunswick ou de Victoria, parce que bien que leurs campus ne soient pas témoins d'affrontements, ils se demandent: pourquoi donc est-ce le cas?

Le Service des dépêches de la Presse canadienne, a vu le jour essentiellement parce que les rédacteurs en chef des quotidiens canadiens se sont aperçus qu'ils souhaitaient tous avoir des nouvelles des troupes canadiennes pendant la Première Guerre mondiale. Leur union, à l'époque, leur a permis d'améliorer la façon dont ils couvraient les nouvelles; de même, en s'unissant, les journaux étudiants ont apporté une dimension nationale ou régionale à leurs sections de nouvelles.

La Canadian University Press est la plus ancienne organisation étudiante d'Amérique du Nord et l'agence de presse étudiante la plus ancienne au monde. Nous sommes une agence de nouvelles coopérative nationale, sans but lucratif, regroupant plus d'une soixantaine de journaux. Nous fournissons nombre de services à nos membres, tels que l'échange de nouvelles et de documents graphiques, des guides de style, des bulletins et des conférences. Cela leur permet de se perfectionner et de former des réseaux de contacts avec d'autres journalistes au Canada.

Là en quoi notre organisme diffère des autres agences de presse, comme par exemple la Presse canadienne, c'est qu'il ne se limite pas à fournir des services techniques aux rédacteurs en chef. Sa raison d'être et son fonctionnement sont plus vastes que cela.

Cette année, j'ai eu la chance de rencontrer les rédacteurs en chef de la plupart des journaux étudiants du Canada. L'expérience a été fascinante; elle m'a permis de me renseigner au sujet de toutes les réalités des journaux étudiants et des milieux dans lesquels ils oeuvrent. J'ai pu remarquer des dénominateurs communs entre ces journaux étudiants, y compris la perception qu'ils se font de leur avenir, où qu'ils soient au pays.

Il est vrai que la CUP existe avant tout pour fournir des services techniques à ses membres, mais c'est le sens de la communauté qu'elle crée entre eux qui a d'abord été son apport le plus important. De nos jours cependant, pour diverses raisons, la presse étudiante veut autre chose. Les avantages intangibles comme l'établissement de réseaux et le partage d'idées cèdent de plus en plus la place à des choses comme une couverture plus ponctuelle et une première page plus percutante.

Si vous avez visité une université récemment, tout comme moi, vous avez peut-être entendu quelques journalistes étudiants reprocher à leurs journaux de ne plus s'en prendre aux autorités ou de ne plus s'en moquer, quoi qu'on entende par cela. C'est vrai dans une certaine mesure. Nos journaux les plus importants, et bon nombre des plus modestes, s'efforcent d'avoir l'air plus professionnels, et par conséquent, leur orientation, lorsqu'ils abordent la politique, tant fédérale qu'étudiante, semble se rapprocher davantage du centre.

Lorsque vous prendrez un exemplaire de ces nouveaux journaux étudiants, regardez à côté des présentoirs: vous y verrez le National Post, offert gratuitement. Tout d'un coup, vous comprendrez certaines choses. Compte tenu de la présence croissante des journaux à grand tirage dans les milieux universitaires de tout le pays, les journaux étudiants font face à de nouvelles difficultés. Ainsi par exemple, en 1999, le Toronto Star a lancé une campagne de publicité auprès des étudiants de l'Université York. La proximité de ce quotidien avec les autres publications a forcé l'Excalibur à faire face à la concurrence, malgré l'inégalité des moyens, le journal étudiant pouvant compter surtout sur les maigres ressources des étudiants, le quotidien, lui, sur un budget de plusieurs millions.

C'est malheureux pour nombre de raisons. D'abord et avant tout, les journaux étudiants n'ont pas assez d'argent pour faire concurrence aux grands organes de presse. De plus, cette concurrence s'exerce à plus d'un niveau. À titre d'exemple, le Toronto Star semble avoir beaucoup de ressources, et du fait que chaque exemplaire ne coûte que 50 cents ou 1 dollar, les étudiants ont l'impression en en prenant un qu'ils se trouvent à acquérir l'équivalent de 50 cents ou de un dollar, avec toute cette idée de la plus-value.

Il est malheureux que face à un tel pari, bon nombre de rédacteurs en chef étudiants s'efforcent de faire concurrence aux grands quotidiens plutôt que de se concentrer sur ce qu'ils font de mieux. Personne ne sait atteindre les lecteurs étudiants aussi bien qu'un journal dirigé par d'autres étudiants. Toutefois, ces rédacteurs en chef n'ont guère le choix. À part le fait que les consommateurs vont probablement choisir le journal à grand tirage, peu importe que ce soit à cause de son aspect attirant ou parce qu'il est connu, les annonceurs eux aussi vont emboîter le pas.

Cette année, le National Post a lui aussi annoncé son intention de lancer une campagne auprès des étudiants. Grâce à une entente avec une entreprise de commercialisation appelée Clegg, il compte s'implanter fermement dans plus d'une centaine de collèges et universités du Canada. Cela a suscité une levée de boucliers de la part de nombreux rédacteurs en chef de journaux étudiants. Clegg a d'abord rejoint les associations étudiantes et les administrations des universités afin d'installer les présentoirs, parfois même au mépris des ententes intervenues auparavant entre les journaux étudiants et les autorités universitaires.

Si le National Post est disponible dans chaque campus du Canada, pourquoi est ce qu'un annonceur se soucierait d'un petit journal étudiant? Le National Post affirme ne pas nous faire de concurrence puisqu'à ses yeux, c'est un vrai journal couvrant de vraies nouvelles, quand nous nous contentons de la politique universitaire. C'est inexact. Nous faisons nôtre la devise de la Presse canadienne: «Si cela vaut la peine d'être mis par écrit, cela vaut la peine d'être envoyé par notre fil de presse». Le meilleur journalisme étudiant reflète cela. Si quelque chose vaut la peine d'être lu en Colombie-Britannique, ça mérite de l'être aussi à Terre-Neuve.

Tout cela pour dire que les journalistes étudiants ne se limitent pas à la politique universitaire. Notre travail est double: nous couvrons les sujets qui concernent directement les étudiants et nous abordons aussi des questions plus vastes, telles que le mariage entre personnes du même sexe et les élections provinciales, en faisant ressortir leur lien avec la vie des étudiants.

À part la concurrence sur le plan des sujets, en fin de compte, ce qui nous achèvera, si nous devons être côte-à-côte avec des grands journaux millionnaires, c'est l'abandon de la publicité. Un faible tirage entraînera le retrait de nos annonceurs nationaux. Cela nous forcera à réduire encore davantage notre tirage. C'est alors que le tarif à la ligne des annonceurs locaux baissera. Par conséquent, il faut être plutôt myope pour affirmer que le National Post ne nous fait pas de concurrence.

Si nos journaux sont acculés à faire la même chose que le National Post, qui lui dispose de millions de dollars, nous ne ferons pas le poids. Si nous tenons toutefois à conserver nos annonceurs, il faudra que nous mettions tout en oeuvre pour donner cette impression.

Je reconnais que de faire du journalisme étudiant ne peut nous dispenser de rechercher la perfection du produit. Nous nous soucions d'ailleurs beaucoup de la qualité de notre journalisme — qu'il s'agisse de l'esthétique de la une ou de la gamme des nouvelles que nous rapportons. Cela dit, nous ne pouvons prétendre être ce que nous ne sommes pas. Aussi, nous n'avons guère de choix en la matière.

À une certaine époque, le journalisme étudiant était très militant, et c'est en partie ce vivier qui nous a donné certains des plus grands penseurs canadiens, qu'ils soient journalistes, hommes politiques ou autres — comme par exemple Dalton Camp et Peter Gzowski. Ces journalistes contestaient les idées reçues à propos des grands enjeux de l'heure et soulevaient des questions auxquelles d'autres n'auraient pas prêté attention. Dans le passé, la presse étudiante servait non seulement à renseigner ses lecteurs, mais aussi à former certains des futurs grands penseurs et des plus brillants journalistes. Ça ne signifie pas que le journalisme le plus courant soit dénué de mérite. Mais que deviendrait notre monde si nos meilleures plumes n'émettaient pas la moindre idée sur leur monde avant même la fin de leurs études universitaires? Si le jeune Dalton Camp n'avait écrit un virulent article sur la façon dont la ville de Fredericton traitait les barbiers noirs après la Seconde Guerre mondiale, qui l'aurait fait?

Je ne prétends pas que d'en faire moins signifie de faire mieux. Toutefois, j'aimerais rappeler que l'expression de points de vue différents est saine en démocratie. Si les programmes de recrutement de lecteurs ou «le dumping de journaux», comme nous l'appelons, se poursuivent, la voix d'une génération entière sera réduite à néant. Il faut aussi reconnaître quelles sont les intentions réelles sous-tendant ces programmes: le National Post veut et va augmenter son tirage payant, malgré les copies gratuites qu'il laisse aux étudiants. Cela veut dire qu'à la longue, le Post sera en mesure d'exiger des tarifs publicitaires plus élevés. À mon avis, personne n'a l'illusion que ce journal est près à céder gratuitement des milliers d'exemplaires de journaux pour le seul bien des pauvres étudiants. Il importe aussi de se rappeler que le National Post était déjà en vente dans les universités partout au pays, mais qu'à un prix de 50 cents ou 1 $ l'exemplaire, il ne s'envolait pas vraiment des tablettes.

De plus, de nos jours, il est difficile pour les journalistes étudiants d'être fidèles à leurs idées. Il est facile d'affirmer que la presse étudiante est à son mieux lorsqu'elle offre des articles écrits à la manière des étudiants, par des étudiants et pour des étudiants. Il est facile encore de dire que les nouvelles doivent être amusantes et attrayantes aux yeux des étudiants, ce qui justifie la publication de papiers sur la présence des brasseries dans les résidences ou sur les entreprises communautaires offrant la meilleure rémunération aux étudiants. Il n'empêche que ces textes ne nous obtiendront pas d'emploi plus tard.

Les quotidiens tiennent à voir des articles portant sur des sujets plus sérieux. Bien souvent, on ne tiendra pas le moindrement compte de votre candidature si vous n'avez pas travaillé dans les mêmes conditions que celles d'un quotidien. Lorsque nous montrons nos chroniques sur les stratégies à suivre pour réussir une sortie avec une fille sans trop dépenser d'argent, on ne nous prend pas au sérieux. Le fait que ce genre de texte illustre bien comme nous savons atteindre et intéresser nos lecteurs n'a que peu d'importance.

Une fois de plus, nous devons faire un choix. De deux choses l'une: soit nous existons pour une raison intéressée, à savoir obtenir un emploi plus tard, soit nous répondons aux besoins et aux souhaits de nos lecteurs. Je crois que ces prochaines années, vous verrez que dans bien des cas, on optera pour le premier choix.

Ces programmes de recherche de lecteurs de la part des grands quotidiens viennent aggraver notre situation, rendue déjà précaire par la perte des contrats de publicité avec les fabricants de cigarettes. En soi, la publicité liée au tabac a toujours été un sujet épineux pour la presse étudiante, mais elle correspondait à une part énorme de nos revenus, et elle a disparu. Cela anéantit nos membres les plus faibles. Ils comptaient sur ces recettes publicitaires. Qu'on ait été pour ou contre le tabagisme, ces deux circonstances ont énormément d'importance à ce moment décisif, venant après une dizaine d'années de changements.

Quoi que nous fassions, il est devenu de plus en plus difficile pour les nouveaux journalistes d'obtenir de l'emploi au Canada. Les défenseurs de la convergence nous disent que l'alignement de plusieurs journaux leur permet d'étoffer leurs nouvelles en leur apportant de la cohérence et une portée nationale. Toutefois, à part le fait que cela ennuiera ferme celui ou celle qui tient à lire l'Edmonton Journal, le Ottawa Citizen et le National Post, cela nous crée certains problèmes.

Pour un peu, on s'imaginerait que le partage du contenu a pris la place de l'équipe de rédaction. Les textes envoyés sur le fil de presse ont supplanté les rédacteurs. Le National Post n'a pas besoin d'un chef de la rédaction en Alberta, il dispose déjà du Edmonton Journal.

Je ne tiens pas particulièrement à m'en prendre au Post. Je m'abstiendrai même de dire que ce qu'il fait est inacceptable. Il n'empêche que les apprentis journalistes ont plus de difficulté à décrocher un emploi depuis que des centaines de quotidiens se sont transformés en un service de presse géant dont les membres sont tous alignés.

À toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les journalistes étudiants de nos jours, il faut aussi ajouter les problèmes inhérents à la poursuite de leurs études. On entend toujours parler de l'étudiant à temps plein qui, malgré ses deux emplois à temps partiel, a de la difficulté à joindre les deux bouts.

Eh bien, les journalistes étudiants font la même chose, ils ont deux emplois, et ils écrivent sans rémunération. C'est un emploi qui mobilise votre vie entière, auquel vous donnez tout ce que vous avez. C'est davantage par amour du journalisme qu'on le fait que par souci de faire carrière. C'est peut-être pour cela que nous sommes encore là.

Si vous avez des questions, je me ferai un plaisir d'y répondre.

Le sénateur Phalen: Selon Campus Plus, qu'on peut accéder grâce à un lien dans votre site Web, 86 p. 100 des étudiants lisent leurs journaux étudiants. Est-ce exact?

M. Wilson-Smith: C'est un sondage assez bizarre que celui-là, parce que pour être au courant de son existence, il fallait avoir lu les journaux étudiants. Quoi qu'il en soit, ces résultats sont assez exacts. Il est intéressant de noter que selon le même sondage, les étudiants consultent surtout leurs journaux ou l'Internet pour se renseigner, les quotidiens venant tout juste après, au troisième rang. Je n'ai toutefois pas de données en main.

C'est peut-être pour cela que le National Post profitera sans doute beaucoup de ses programmes de recherche de lecteurs. Ça ne semble peut-être pas grand-chose que d'économiser 50 cents et de se contenter de prendre le journal plutôt que d'aller l'acheter. Je suppose que pour un étudiant, cependant, cela finit par s'accumuler. Quoi qu'il en soit, c'est assez exact. Si les choses continuent ainsi, la situation va changer.

Le sénateur Phalen: Ces dernières années, on entend parler d'entreprises qui offrent des cartes de crédit directement aux étudiants, et à la longue, cela cause de graves problèmes d'endettement.

J'aimerais vous lire un article du National Post, paru en septembre 2002. On y lit ce qui suit:

Jason Zak, étudiant inscrit à l'Université de Western Ontario, a été très chaleureusement accueilli par les gens de MasterCard pendant la semaine d'orientation. La société avait un comptoir de vente et offrait un CD gratuit aux étudiants qui remplissaient un formulaire de demande de carte.

«Puisque je n'avais rien contre le fait de recevoir un CD gratuit, j'ai fait une demande. Je ne m'attendais vraiment pas à la voir acceptée», de dire M. Zak.

Quelques semaines plus tard, une carte de crédit MasterCard à la limite de crédit de 500 $ m'est parvenue par la poste. Pendant sa deuxième année, M. Zak a rempli une autre demande et cette fois a obtenu une carte Visa, dont la limite de crédit était fixée à 1 000 $.

À cause de tout cela, M. Zak s'est retrouvé avec des notes de carte de crédit de 300 $ par mois.

Est-ce que votre organisation a étudié cette question ou est-ce qu'elle recommande des lignes directrices à l'intention des étudiants ou de la presse étudiante?

M. Wilson-Smith: Nous ne sommes pas une organisation politique. Nous n'avons donc pris position ni pour ni contre la carte de crédit. Nous encourageons cependant les journaux étudiants à traiter de ce genre de sujets. Dans le cas cité, si l'étudiant avait été mieux renseigné et si son journal étudiant avait mieux traité du sujet, alors il aurait peut- être su dans quoi il s'embarquait. Cela dépend aussi beaucoup des rapports avec l'administration ou avec l'association étudiante.

En règle générale, c'est l'association étudiante qui accueille les entreprises comme MasterCard. C'est peut-être à elle qu'il incombe alors de renseigner le journal étudiant sur le sujet. Souvent, ça ne fonctionne pas comme ça se ferait dans une administration provinciale ou quelque chose d'approchant. Un journal étudiant est très souvent tributaire de la participation des gens. C'est la voix de l'étudiant. Il faut donc très souvent que l'étudiant renseigne le journal sur ce qui se passe, parce qu'en tant qu'organisme, il lui manque les ressources nécessaires pour faire ce genre de reportage.

Pour revenir au cas que vous avez mentionné, pourvu que l'étudiant soit bien renseigné, c'est à lui de décider si la présence de ces entreprises dans les milieux universitaires est acceptable ou non.

Le sénateur Graham: Soyez le bienvenu parmi nous, monsieur Wilson-Smith. Je vous salue tout particulièrement du fait que j'ai moi-même été rédacteur en chef d'un journal étudiant. Je porte en effet la chevalière des anciens de l'Université St. Francis Xavier.

M. Wilson-Smith: Vous étiez au Xaverian Weekly?

Le sénateur Graham: Oui, j'étais son rédacteur en chef il y a presque 100 ans de cela.

Vous-même avez probablement travaillé dans un journal universitaire, c'est bien cela?

M. Wilson-Smith: Oui, j'ai été rédacteur en chef du Brunswickan il y a quelques années.

Le sénateur Graham: Quel est le tirage total des journaux universitaires au Canada?

M. Wilson-Smith: J'ignore si nous avons des chiffres là-dessus. Le tirage le plus faible est de quelque 5 000 copies en ce moment. La CUP regroupe 63 journaux étudiants, mais au total il y en a peut-être de 80 à 90, et je crois que celui de nos membres dont le tirage est le plus élevé, soit de 30 000 copies, se trouve à l'Université York. C'est énorme.

Je ne sais pas. J'essaie d'éviter les chiffres, mais si vous faites le calcul — est-ce que quelqu'un s'en occupe? — cela atteindrait certainement des centaines de milliers.

La présidente: Nous allons faire les calculs.

Le sénateur Graham: Pour les membres de la CUP, le droit d'inscription est-il uniforme ou proportionnel au tirage?

M. Wilson-Smith: Pour devenir membre, il faut passer par plusieurs étapes, à commencer par membre candidat, pour terminer par membre à part entière. À la fin, les membres payent 2 p. 100 de leur budget, c'est donc ce qu'ils ont les moyens de se payer.

Le sénateur Graham: À votre avis, que veut faire le National Post en offrant l'équivalent d'abonnements gratuits dans tous les campus universitaires? Veut-il ainsi améliorer son tirage ou acquérir davantage d'influence, ou encore fidéliser des lecteurs à la fin de leurs études?

M. Wilson-Smith: Je pense que c'est un peu des trois. Clegg Marketing paye pour obtenir le National Post. Le National Post a l'argent, ses exemplaires sont payés. Pour sa part, Clegg vend des espaces publicitaires sur les présentoirs. Le National Post obtient ses contrats de publicité en fonction du nombre d'exemplaires qu'il vend, ce qui veut dire qu'il peut demander plus cher pour les publicités qu'il publie dans son édition nationale. C'est cela qu'il fait, c'est manifeste.

Certes, ce genre de tactique fidélise également les lecteurs. Une fois qu'un étudiant décroche son diplôme, il ou elle va commencer à acheter son exemplaire du National Post — dans une certaine mesure, c'est un peu comme si ce journal formait ses futurs lecteurs.

C'est un peu frustrant parce que les étudiants seront nombreux à vous dire qu'ils adorent obtenir gratuitement leur journal chaque jour. Cela dit, pourquoi ne peuvent-ils pas payer 50 cents? Est-ce tellement cher?

Y avait-il un autre volet à votre question?

Le sénateur Graham: Non, mais tout ce que je vous ai demandé concernant l'amélioration du tirage et l'élargissement de la clientèle, toute amélioration possible des chiffres que le journal peut faire valoir à ceux qui veulent y faire de la publicité, ainsi que le fait de fidéliser ses lecteurs, tout cela m'intéresse.

Pour moi, la question de l'influence est particulièrement importante, dès lors que je voudrais bien savoir si ce journal essaye de se faire une place dans les universités en raison de sa politique de publication. Vous dites que c'est un peu des trois, mais je me demande quelle est l'importance relative, l'influence relative, de cet élément-là.

M. Wilson-Smith: Cette question est intéressante. Je n'en ai pas du tout parlé. J'ai bien parlé de la flambée de protestation de la part des journaux estudiantins à peu partout au Canada, avec les appels à écrire des lettres à la rédaction et toutes sortes d'articles et d'éditoriaux qui ont été publiés à ce sujet. À l'Université du Nouveau-Brunswick — je suis au courant fortuitement parce qu'il se fait que je le connais toujours — le rédacteur en chef a écrit au recteur de l'université pour lui expliquer ce qui se passait. L'association étudiante avait en effet signé avec le Post un contrat pour un an je crois.

Suite à l'intervention du rédacteur en chef, le vice-président au marketing de Can West, David Asper, a décidé d'écrire une lettre. Sa réaction instinctive fut de dire que les étudiants avaient un parti pris politique, mais c'est loin d'être la vérité. J'ai également mentionné dans notre exposé que pour qu'une démocratie soit saine, il faut que différents points de vue puissent s'exprimer.

Le problème ne tient pas à la politique du National Post. Cela m'importe peu. S'il s'agissait du Global and Mail, je m'en soucierais également. Il est trop facile pour M. Asper de dire que nous sommes des militants gauchistes qui ne réfléchissons pas à ce que nous faisons. C'est tout à fait l'inverse. Tout revient au fait que nous publions un journal. Le plus gros budget d'un journal étudiant au Canada est de 250 000 $ par an. Le National Post a un budget de plusieurs millions. Pour nous, c'est de la concurrence déloyale.

Que vous en conveniez ou non, les journaux étudiants vont avoir encore plus de difficulté maintenant qu'ils ont perdu les publicités des marques de cigarette. C'est cela notre problème. Les gens voient qu'ils peuvent recevoir gratuitement le National Post; dans la plupart des cas, on peut en trouver une pile à côté de chaque distributeur de journaux étudiants. Si j'avais le choix, je ne pense pas je choisirais le journal de l'université. Le National Post fait bonne impression, il est plus épais et son nom est bien connu.

Ce n'est pas normal que tous ces exemplaires distribués gratuitement comptent dans le tirage comme s'il s'agissait d'exemplaires payants. Est-ce bien là l'esprit de la chose? Je l'ignore. Je dirais que c'est là encore quelque chose dont le législateur va devoir décider, mais pour moi ce n'est pas logique du tout.

Le sénateur Graham: Y a-t-il d'autres journaux nationaux qui ont essayé de faire la même chose dans les universités?

M. Wilson-Smith: Pas à ma connaissance. Le Globe and Mail a ses propres programmes de fidélisation. Il offre aux étudiants une réduction de l'ordre de 30 p. 100 sur le prix de l'abonnement. Fort bien. Il a également fait des choses sur Internet. J'ai déjà parlé du Toronto Star. Même si ce n'est pas véritablement un journal national, c'est lui qui a le plus gros tirage au Canada, un tirage beaucoup plus fort que tout autre quotidien. Le Toronto Star a fait campagne à l'Université York en 1999. Le rédacteur en chef du journal étudiant de l'université, The Excalibur, a constaté depuis que son propre tirage avait beaucoup chuté, et ce journal étudiant connaît est actuellement une passe difficile.

Le sénateur Corbin: Cela fait combien de temps que vous êtes à ce poste?

M. Wilson-Smith: Ce sont nos membres qui font fonctionner notre organisme et se sont eux qui élisent chaque année, à la conférence nationale, le personnel du bureau. Le président et moi avons été élus en janvier. L'exercice correspond à l'année universitaire. Je vais donc terminer mon mandat d'ici quelques jours et je vais pouvoir Dieu merci retrouver mon jardin et ne rien faire pendant quelques semaines.

Cela fait un an que j'occupe ce poste. Lorsqu'on fait du journalisme en milieu étudiant, chaque année est un peu comme ce qu'une année représente pour un chien: trois ans sont l'équivalent de 21 ans. Personnellement, je suis un ancien comparé à la plupart des autres.

Le sénateur Corbin: Que faites-vous dans la vraie vie?

M. Wilson-Smith: Vous voulez savoir ce que je fais de mes journées?

Le sénateur Corbin: Dans quoi étudiez-vous?

M. Wilson-Smith: J'étudie la science politique, et il me reste quelques cours à terminer à l'Université York.

Le sénateur Corbin: Qu'avez-vous en tête pour l'avenir?

M. Wilson-Smith: Le 25 mai, je commence un stage à la Presse canadienne.

Le sénateur Corbin: Envisagez-vous de faire carrière en journalisme?

M. Wilson-Smith: Oui.

Le sénateur Corbin: Pour revenir au National Post, combien d'exemplaires gratuits distribue-t-il dans les universités?

M. Wilson-Smith: Cela dépend. J'ai des renseignements que je pourrais faire parvenir au comité si vous voulez.

Le sénateur Corbin: Très bien.

Il y a déjà eu la guerre entre Pepsi et Coca Cola dans les universités, avec une part des bénéfices versés aux programmes sportifs et ainsi de suite. Le National Post subventionne-t-il d'une manière ou d'une autre la vie universitaire, si ce n'est par tout ce papier à recycler?

M. Wilson-Smith: Je ne pense pas. Le Post pense offrir un service public. Il pense ainsi pousser les étudiants à lire et à s'intéresser à la politique. Il s'imagine que cela suffit.

Le sénateur Corbin: Ne craignez-vous pas un genre de subtil lavage de cerveau sur certaines questions?

M. Wilson-Smith: Je lis le National Post tous les jours, mais il faut également chercher un pendant. Le problème est que si seul le National Post est disponible à l'université, cela devient problématique. Il est possible en théorie, cela s'est déjà produit plusieurs fois, que ce quotidien signe un contrat d'exclusivité avec l'université ou avec l'association étudiante, ce qui est encore plus probable. Pour les associations étudiantes, c'est une excellente chose. Le journal offre à l'étudiant un service absolument gratuit. Les associations étudiantes sont emballées.

Il arrive aussi que ce soit l'université qui décide d'accepter ou non ce genre de chose, mais peu importe ce qu'elle dit, le journal le fait de toute façon. L'Université du Nouveau-Brunswick en est un exemple parfait. L'administration de l'université n'en fait pas tout un plat parce qu'elle se dit qu'après tout, il ne s'agit que d'un contrat d'un an. Cela m'inquiète un petit peu.

La réalité est que nous avons toujours des journaux. Nous avons beau nous plaindre et venir témoigner devant les comités du Sénat, notre meilleur remède est le fait que nous avons les journaux pour essayer de contrer ce genre de manoeuvre. C'est précisément ce genre de question qui a fait les manchettes des journaux étudiants cette année. Nous avons fait tout notre possible, nous en avons parlé. Nous n'avons pas biaisé la chose. Nous essayons de faire connaître la question. Nous n'avons pas vraiment le sentiment que, pour l'instant, cela pose problème ailleurs que dans le petit monde fermé du journalisme estudiantin. Je suis extrêmement heureux d'avoir pu venir vous en parler ici.

Le sénateur Corbin: Si vous voulez bien, je voudrais parler un peu de la publicité. Êtes-vous représentés au niveau national par plusieurs agences ou par une seule?

M. Wilson-Smith: Pour ce qui est du domaine de la publicité, nous sommes propriétaires de Campus Plus. Vous avez d'ailleurs vu le lien sur notre site Web. La CUP a lancé Campus Plus en 1982 ou en 1983. Il est d'ailleurs assez ironique que nous en soyons propriétaires et que nous fassions si peu de bénéfices, alors que les bons mois, Campus Plus enregistre un chiffre d'affaires d'un demi-million. Mais je le répète, Campus Plus appartient à la CUP, un organisme dont le fonctionnement est assuré par les membres. Cela ne nous pose aucun problème parce que les journaux peuvent toujours décider de boycotter quelque chose. Ainsi, à l'Université de Victoria, The Martlet était-il tristement célèbre pour sa liste d'entreprises à boycotter publiée sur trois pages. Il était prêt à boycotter n'importe quoi.

À cet égard, il est utile que nous soyons les propriétaires de cette agence. Par ailleurs, les membres du conseil d'administration sont issus des rangs de la CUP, ce qui permet de conserver un certain contrôle.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi un étudiant voudrait-il lire le National Post?

M. Wilson-Smith: Voilà une excellente question. C'est parfaitement incompréhensible. Ce journal n'est même pas si bon. Mais là aussi, les étudiants le voient dans les magasins, où il se vend un dollar. À l'université, ils peuvent l'avoir gratuitement, alors pourquoi ne pas en prendre un exemplaire, quitte à le jeter à la poubelle un peu plus loin. Ils n'ont rien à perdre à en prendre un pour le lire en classe, n'est-ce pas?

Le débat politique auquel se livrent le National Post et The Globe and Mail est assez drôle parce que pour l'essentiel, il fait rage uniquement entre ces deux quotidiens. La plupart des étudiants n'en sont même pas conscients. Ils voient qu'il y a deux quotidiens et ils ne réfléchissent pas plus loin. Ici encore, cela revient au fait que le cri est plus puissant que le glaive; nous pourrions peut-être faire en sorte que cela fasse partie de l'instruction donnée aux étudiants.

Oui, c'est un peu cela. À mon avis, l'étudiant pense qu'en prenant un exemplaire, il gagne un dollar. Il sait que ce journal coûte généralement un dollar, alors pourquoi ne pas en profiter?

Le sénateur LaPierre: Est-ce que vous voudriez me faire croire que dans mon pays, on peut acheter un étudiant pour une piastre?

M. Wilson-Smith: Je ne sais pas si cela revient vraiment à acheter les étudiants.

Le sénateur LaPierre: Ils vous donnent leur journal gratuitement. Vous devriez le mettre à la poubelle.

M. Wilson-Smith: Pour beaucoup de ces journaux, des piles entières sont déposées chaque matin et les rédacteurs en chef les ramassent pour les mettre dans la poubelle de recyclage. Ce n'est pas que j'encourage ce genre de chose, car cela me semble un peu illégal.

Le sénateur LaPierre: Ils peuvent faire ce qu'ils veulent parce qu'au bout du compte, il faudra venir les ramasser.

Je suis un peu mal à l'aise lorsque je vous entends dire que vous n'avez pas de parti pris politique. Il y a beaucoup de gens qui comparaissent devant nous en nous disant: «Je ne veux pas faire de la politique, je suis neutre.» Mais le simple fait de venir ici est déjà un acte politique. Nous ne sommes pas une congrégation de la Sainte-Culbute. Nous sommes une créature politique du Sénat, et vous venez ici présenter un point de vue qui est politique, vous voulez nous aider à comprendre le caractère politique de votre action.

Mais votre exposé est l'un des meilleurs que j'ai entendu depuis que je siège ici. Grâce à votre grand talent, vous êtes venu nous parler du mieux que vous pouviez le faire, dans la forme politique la plus superbement porteuse de succès à venir, de sorte que nous allons être influencés par ce que vous nous avez dit et que, lorsque nous rédigerons notre rapport, nous nous souviendrons de vous.

Il ne fait aucun doute que je me souviendrai de vous, et le sénateur Fraser se souviendra apparemment aussi de vous. Par conséquent, vous avez exercé sur nous une influence politique. Je vous en remercie. Ne le répétez pas.

La présidente: Il y a une distinction entre «politique et «partisan». Pour nous, la politique est une forme supérieure et honorable d'activité humaine. Les comités sénatoriaux, le plus souvent, évitent de traiter de questions par trop partisanes.

Le sénateur LaPierre: Je le répète, c'est l'un des meilleurs exposés que j'ai entendus et je vous remercie beaucoup d'être venu.

M. Wilson-Smith: Merci, monsieur.

La présidente: Le sénateur LaPierre va probablement pousser de hauts cris, mais je voudrais laisser un peu de côté le caractère politique ou partisan d'un quotidien quel qu'il soit, en l'occurrence le National Post, pour revenir au cas que vous nous avez décrit avec beaucoup d'éloquence en vous plaçant dans votre perspective et regarder un peu les choses dans le contexte des quotidiens en général, de toute l'industrie.

L'un des problèmes majeurs pour les quotidiens, c'est que les jeunes gens ne les lisent pas. Vous êtes ici une minorité parce que vous semblez aimer le journalisme, que vous voulez travailler pour la presse écrite, et tant mieux pour vous. C'est un mode de vie splendide et j'espère que vous en tirerez beaucoup de satisfaction. Par contre, pour autant que nous puissions le voir, vous n'êtes pas représentatif de la jeunesse actuelle.

Les quotidiens essaient de toutes les façons possibles d'encourager les jeunes gens à prendre l'habitude de lire les journaux. Sachant cela, n'est-il pas assez malin de leur part, créatif aussi — voire utile du point de vue social — de venir dans les universités en disant: «Prenez l'habitude de lire le journal tous les jours, les gars.» Je me fais un peut l'avocate du diable ici, mais il n'empêche que c'est vrai.

M. Wilson-Smith: Je suis heureux que vous ayez posé la question. Ce n'est en fait pas plus malin ou créatif que de corriger un coup à droite par un coup à gauche. Peut-être devraient-ils plutôt se souvenir que les étudiants sont des Canadiens comme les autres et qu'ils voudraient peut-être pouvoir lire davantage à leur sujet. Dans le National Post, on ne parle guère de nous, et c'est cela en partie le problème. Le National Post est assez inaccessible.

La présidente: Mais parle-t-on suffisamment de vous dans la presse populaire? Il n'y a pas que le National Post.

M. Wilson-Smith: En effet. Lorsqu'on pense aux élections, il est toujours question de la santé, qui est un sujet universel. Cette fois-ci, ce sera différent parce que le domaine des études post-secondaires est devenu un sujet chaud. Généralement, les quotidiens parlent de ce qui est important pour tout le monde. Le National Post a une page consacrée à l'éducation, The Globe and Mail a Caroline Alphonso, mais à part cela je ne vois pas grand-chose d'autre.

Il y a beaucoup de choses intéressantes qui touchent les étudiants et, à certains égards, c'est assez indicatif du reste de la société. J'imagine que le National Post pense que la majorité de ses lecteurs sont des gens âgés et qu'il faut donc publier des choses qui intéressent cette clientèle-là. À juste titre, je suppose, mais si la presse veut interpeller les étudiants, il faut qu'elle les pousse à réfléchir davantage. Il faut qu'elle leur explique ce qui se passe en Irak en utilisant des termes qui interpellent les étudiants. Je ne veux pas dire par là qu'il faut parler bébé, mais il faut que la presse leur fasse comprendre les choses, et elle n'y parvient pas.

La présidente: Mais ici encore, nous ne parlons pas uniquement du National Post.

M. Wilson-Smith: Non, et il faudrait que j'arrête de m'en prendre à lui.

La présidente: Mais c'est le quotidien qui est votre concurrent le plus immédiat, de sorte qu'il est normal qu'il remplisse tout votre horizon.

Y a-t-il également des leçons à tirer en ce qui concerne la situation d'ensemble? Vous êtes un jeune témoin expert. Comment s'y prendre pour attirer de jeunes lecteurs et leur donner l'habitude de cette forme de participation à la collectivité qui consiste à prêter attention à l'actualité? Vous nous dites qu'il faut que les journaux parlent davantage de vous, qu'ils vous fassent comprendre les éléments importants de l'actualité, et qu'ils le fassent d'une façon qui vous interpelle. Auriez-vous d'autres suggestions?

M. Wilson-Smith: Je comprends fort bien la réflexion qui sous-tend tout cela. Il leur est facile de dire qu'ils développent les jeunes cerveaux. À cela, je rétorquerais qu'ils développent les jeunes cerveaux afin d'en faire des abonnés lorsque ces cerveaux auront obtenu leur diplôme. Le processus est tout à fait clair pour moi. C'est logique, non? Cela les fera lire. Et là, tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Si vous regardez le Globe and Mail, vous pouvez constater qu'il semble avoir trouvé de bonnes solutions. Ce journal a des programmes de fidélisation. Par contre, ses programmes ne sont pas aussi pervers selon moi. L'étudiant a toujours la possibilité de décider s'il veut embarquer. S'il va prendre un abonnement. Si c'est de l'argent bien dépensé.

Pour cela, je pense qu'il y a de bonnes façons de proposer des programmes de fidélisation. Je suggérerais ce que j'ai déjà dit, que ces programmes ne doivent pas nécessairement aller aussi loin que ceux du quotidien auquel je n'arrête pas de m'en prendre. Je ne veux même plus donner son titre.

La présidente: Vous avez dit que dans certains cas, il y avait des accords d'exclusivité, ce qui voudrait dire qu'aucun autre journal n'a le droit d'installer de présentoirs. Est-ce souvent le cas?

M. Wilson-Smith: Non, je n'en connais qu'un ou deux. Il y a l'Université du Nouveau-Brunswick et l'Université Memorial à Terre-Neuve qui, je crois, ont un arrangement de ce genre avec leur association étudiante. Au bout du compte, c'est l'administration qui devrait avoir le dernier mot, mais elle ne s'en soucie pas parce qu'elle dit que ce n'est que pour un an.

Ce qui m'inquiète, c'est que l'entreprise qui s'occupe du marketing, Clegg, sait comment s'y prendre. Elle est très maligne, elle se met directement en rapport avec les rédacteurs en chef. Si elle voulait agir correctement, elle passerait d'abord par l'université. Mais non, elle passe par un rédacteur en chef qui n'y a peut-être jamais pensé, ou encore par le président de l'association étudiante, qui considère peut-être que c'est un excellent service pour les étudiants. Encore une fois, c'est une question d'éducation, mais c'est cela que cette entreprise de marketing fait et elle va continuer à le faire parce que cela donne de bons résultats.

Le sénateur LaPierre: Pourquoi ne pas avoir un journal national, un quotidien produit par les étudiants et qui concentrerait tout votre talent et tout votre argent? Vous pousseriez ainsi le National Post à la faillite, ce qui serait à la fois une bénédiction et un bienfait pour notre pays.

M. Wilson-Smith: Les journalistes étudiants ne restent pas très longtemps de sorte que, après quelques années, nous avons tendance à oublier que nous avions déjà fait cela avant. Nous avons essayé de lancer une revue il y a trois ans. Or, au Canada, les revues ne marchent pas très bien. Nous l'avons appris à la dure. L'idée d'un quotidien national est bonne, certes, mais nous n'avons pas des tonnes d'argent.

Nous avons juste assez d'argent pour payer deux employés au bureau national, pour voyager et pour organiser chaque année une énorme conférence nationale. Mis à part cela, nous n'avons pas beaucoup d'argent. Les journaux ont de l'argent, mais c'est ce qui leur permet de survivre. Nous y avons déjà pensé. Ce serait peut-être amusant de faire quelque chose en ligne, mais les rédacteurs en chef étudiants ont la tête dure. Lorsqu'ils sont tous ensemble dans la même pièce, ils veulent tous jouer les rédacteurs en chef.

Le sénateur LaPierre: Un peu comme les politiciens.

Le sénateur Graham: Si on regarde la situation au sens large, si l'on regarde les universités depuis l'extérieur, on a parfois l'impression que les organismes étudiants tels qu'ils sont constitués actuellement sont extrêmement politisés. Ils ont chacun leur point de vue et dans certaines universités, ils se bagarrent pour prendre le contrôle du gouvernement étudiant, des organisations étudiantes et, bien entendu aussi, de la presse étudiante.

Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a quelques années à Concordia, on avait interdit à Benjamin Netanyahu de venir s'adresser aux étudiants. Est-il particulièrement difficile, pour un journal étudiant, de publier ce qu'on pourrait appeler une palette de points de vue différents?

M. Wilson-Smith: Vous voulez savoir s'il y a des questions d'autonomie?

Le sénateur Graham: Les journaux étudiants offrent-ils une palette de points de vue différents comme le font, c'est ce que nous devons espérer, tous les autres journaux afin de ne pas être trop biaisés dans un sens ou dans un autre?

M. Wilson-Smith: Bien évidemment. La preuve est que ces journaux ont vraiment intérêt à le faire, parce que plus ils publient de points de vue différents, meilleurs ils sont. Je ne veux pas vous mentir en vous disant que tous ces journaux sont parfaits. Chaque journal essaie d'y arriver d'une façon ou d'une autre. Et là où nous nous entraidons, c'est que nous apprenons les uns des autres. Nous apprenons qu'en nous adressant aux étudiants en classe, en allant parler à toutes sortes de groupes étudiants, on obtient toutes sortes de points de vue différents sur toutes sortes de questions différentes. Certains journaux y parviennent fort bien. Ainsi, à Concordia, The Link doit sa réputation à cela.

Vous avez parlé de l'incident Netanyahu. Il y a deux groupes en guerre, «Progress Not Politics», et l'autre, celui qui est controversé et dont le nom ne me revient pas. Lorsqu'un des deux camps n'a pas la même couverture que l'autre, il réclame que l'équilibre soit rétabli dans le numéro suivant. The Link est un excellent exemple. Ils s'y prennent fort bien. N'importe quel article — sur le plan ethnique, politique ou sur celui de l'âge — tout s'y trouve. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il y a des journaux qui s'en tirent mal. Aucun d'entre eux n'est vraiment mauvais à ce titre. Tous essaient au minimum. C'est un bon point de départ.

Le sénateur Graham: Sur votre site Web, vous affichez une liste des services aux membres, qui comporte des conseils juridiques en cas de poursuite en diffamation. Ce genre de risque inquiète-t-il beaucoup les journaux étudiants?

M. Wilson-Smith: Comme nous n'avons pas beaucoup d'argent, c'est moi qui vérifie en dernier ressort tout ce que nous publions pour voir si cela ne prête pas le flanc à une poursuite en diffamation. Nous retenons les services d'un avocat et nous payons les consultations de tous les journaux qui sont membres. Mais comme nous n'avons pas beaucoup d'argent, nous avons adopté pour principe de ne pas publier s'il y a le moindre doute. Cela ne veut pas pour autant dire que nous n'allons pas nous battre pour la cause. Si nous croyons avoir raison, nous allons le faire. Mais si nous pensons que nous risquons ainsi de salir ou de diffamer quelqu'un, il vaut mieux attendre la semaine suivante et consulter un avocat. Il est regrettable que parfois ce soit une question d'argent et que parfois nous devions ainsi jouer la sécurité.

Le sénateur Graham: Bonne chance. Nous espérons vous voir bientôt signer des articles.

La présidente: Et lorsque vous entrerez dans le grand journalisme, n'oubliez pas cette règle d'or que vous venez de nous donner.

Le sénateur Graham: Vous savez que vous parlez à quelqu'un qui a été rédacteur en chef de La Gazette de Montréal.

M. Wilson-Smith: Je sais, et c'est un honneur pour moi.

La présidente: Tout le monde ici a eu au moins deux carrières fascinantes, et certains même quatre ou cinq. Cela a été fascinant de vous entendre aujourd'hui, monsieur Wilson-Smith, et tout ce dont vous nous avez parlé était très profond.

M. Wilson-Smith: Merci infiniment.

La présidente: Notre prochaine réunion aura lieu le jeudi 6 mai à 10 h 45, et à cette occasion, nous poursuivrons notre étude du projet de loi S-2, le projet de loi du sénateur Oliver concernant les pourriels.

La séance est levée.


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