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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 11 - Témoignages du 22 juin 2005


OTTAWA, le mercredi 22 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a été saisi du projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, se réunit aujourd'hui à 18 h 10.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

[Note de la rédaction : Un témoignage a été donné par l'intermédiaire d'un interprète du cri.]

Le président : Ce soir, nous avons l'honneur de recevoir des gens en provenance de l'Ouest canadien, en particulier, des peuples autochtones. Un aîné, M. William Dreaver, a accepté de dire une prière afin d'ouvrir notre réunion. Veuillez vous lever.

Monsieur Dreaver, nous serions honorés si vous disiez une prière.

[Prière récitée en cri par l'aîné William Dreaver]

Le président : Merci beaucoup. Notre ordre du jour est très chargé ce soir. Nous sommes honorés d'avoir avec nous des représentants des Premières nations en provenance de l'Ouest canadien et d'autres parties du pays.

Notre comité des peuples autochtones s'occupe de bien des questions touchant les Autochtones. Nous avons une étude en cours et chaque fois que des projets de loi sont présentés, qui touchent les peuples autochtones d'une façon ou d'une autre, ces projets de loi sont renvoyés à notre comité pour étude. Nous avons fait cela tout l'hiver et tout le printemps. Je pense que nous en sommes aux derniers jours ou aux dernières semaines de notre séjour à Ottawa au Sénat. Nous avons travaillé sur le projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi S-16, Loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, dont le parrain est le sénateur Gerry St. Germain.

Je vais maintenant vous présenter les sénateurs qui sont ici ce soir. Généralement, nous sommes plus nombreux, mais ce soir, pour une raison quelconque, nous ne le sommes pas.

Voici donc le sénateur Buchanan, qui a été premier ministre de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Watt, du Nord du Québec; le sénateur St. Germain, qui est là depuis longtemps également; et le sénateur Peterson, nommé depuis peu et originaire de la Saskatchewan. Je suis le sénateur Sibbeston et je viens de la partie sud des Territoires du Nord-Ouest.

Nous sommes honorés d'accueillir ce soir de l'Association des femmes autochtones du Canada, Beverley Jacobs, présidente. Elle est accompagnée de Sherry Lewis, directrice exécutive. Nous vous écoutons, madame Jacobs.

Mme Beverley Jacobs, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Je suis heureuse d'être ici ce soir pour vous parler de ce projet de loi et des répercussions qu'il va avoir tout particulièrement sur les femmes autochtones de ce pays. Je vous parle non seulement à titre de présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada, mais également en mon nom, c'est-à-dire, comme quelqu'un possédant une connaissance traditionnelle en tant que femme mohawk du Territoire des Six nations de la rivière Grand. Je suis également une spécialiste, puisque je suis avocate, titulaire d'un baccalauréat en droit de l'Université de Windsor et d'une maîtrise en droit de l'Université de la Saskatchewan. Ma recherche se concentre essentiellement sur la gouvernance traditionnelle et le droit international. Je parlerai donc de ce sujet tout en gardant à l'esprit ma spécialisation.

Comme je l'ai dit dans mon exposé à la délégation lors de la retraite du Cabinet le 31 mai 2005, la relation initiale qui reconnaissait notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale était la ceinture de Traité Wampum à deux rangées. Cette ceinture symbolisait la relation entre nos peuples et les colons. Voici une brève description de cette ceinture de traité.

Lorsque mes ancêtres sont entrés en contact la première fois avec les nations européennes, des traités de paix et d'amitié ont été conclus. Chaque traité était symbolisé par ce que nous appelons « le Gus-Wen-Tah », qui se traduit par « Wampum à deux rangées ». La rangée de wampum blanc symbolise la pureté de l'accord. Les deux rangées violettes symbolisent l'esprit de vos ancêtres et des miens. Les trois perles de wampum séparent les deux rangées et symbolisent la paix, l'amitié et le respect. Ces deux rangées symbolisent deux voies ou deux embarcations voguant ensemble sur la même rivière. L'une est un canot en écorce de bouleau qui représente le peuple indien, ses lois, ses us et coutumes. L'autre, un bateau, représente le peuple blanc, ses lois, ses us et coutumes. Nous devons naviguer sur la rivière ensemble, côte à côte, mais dans nos propres bateaux. Aucun d'entre nous n'essayera de diriger le bateau de l'autre.

Le rapport de l'Association des femmes autochtones du Canada s'intitule : « Notre façon d'être ». Nous avons tenu une réunion à laquelle ont participé de nombreuses femmes autochtones de l'ensemble du pays. Il a été réitéré dans ce rapport que le véritable but du Wampum à deux rangées était de reconnaître la relation distincte mais égale entre les deux parties.

Avec le temps, les nations colonisatrices ont violé cette relation de traité et ont imposé leurs lois, leurs langues, leurs coutumes et leurs croyances aux peuples autochtones. Comme exemple parfait, le fait que le gouvernement du Canada ne reconnaisse pas le droit réel et inhérent à l'autonomie gouvernementale, ce que nous appelons « la souveraineté » ou, comme l'ont noté les femmes autochtones à la réunion : « Notre façon d'être ».

De nombreux traités ont été conclus au fil du temps, après ce premier traité Wampum, y compris tous les traités préalables à la Confédération et les traités numérotés. De nombreuses cérémonies et de nombreux rassemblements spirituels ont été tenus afin de reconnaître le caractère sacré de ces traités. Le plus important principe à retenir de ces négociations et cérémonies menant à la signature de traités, c'est qu'il a été reconnu que toutes les diverses parties aux traités étaient distinctes et différentes les unes des autres.

L'un de nos sous-chefs Onondaga traditionnels, Oren Lyons, a dit que ce caractère distinct avait été considéré comme le fondement du respect mutuel et nous avons donc toujours honoré le droit fondamental des peuples et de leurs sociétés à la différence.

Le rapporteur spécial, Miguel Alfonso Martinez, qui a été nommé par la Sous-commission de la prévention de la discrimination et de la protection des minorités, la Commission des droits de la personne et le Conseil économique et social, a reconnu, après la recherche qu'il a effectuée sur les traités, que les parties européennes « négociaient véritablement avec des nations souveraines et concluaient des relations contractuelles avec elles, avec toutes les implications légales qu'un tel terme avait à l'époque en relations internationales ».

M. Martinez a également déclaré qu'il existait des preuves incontestables que, au cours des deux siècles et demi de contacts entre le colonisateur européen et les peuples autochtones, les Européens reconnaissaient à la fois la nature internationale — et non interne — des relations existant entre les deux parties, ainsi que la personnalité internationale inhérente et la capacité juridique de ces peuples, résultant de leur statut de sujets de droit international conformément à la doctrine de l'époque.

Ces preuves incontestables auxquelles le rapporteur spécial faisait référence étaient les traités, qui reflétaient également le statut souverain des nations autochtones. Le Canada a noté en particulier que les traités ne constituent pas des documents juridiques internationaux et que les accords d'autonomie gouvernementale « n'incluent pas un droit à la souveraineté au sens du droit international et ne donnent pas lieu à des États-nations autochtones indépendants et souverains ».

Par conséquent, il existe des différences marquées entre la conception des peuples autochtones et celle du gouvernement canadien de l'expression « droit inhérent à l'autonomie gouvernementale ». En organisant des réunions concernant l'autonomie gouvernementale, nous avons entendu les points de vue des femmes, qui ont déclaré que le gouvernement canadien ne devrait avoir aucune compétence lorsqu'il s'agit de l'autodétermination des peuples autochtones. Elles ont également mentionné que l'expression « autonomie gouvernementale » était problématique, et qu'elle ne tient pas compte des vues autonomes sur le peuple et la nation.

L'Association des femmes autochtones du Canada croit que les premiers habitants du Canada ont un droit fondamental et inhérent à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. Le défi que représente la reconquête de ces droits a été une lourde tâche et un long processus. Au cours des années, l'AFAC a travaillé avec diligence pour s'assurer que les droits acquis par nos femmes restent constants et ancrés dans toutes les négociations concernant l'autonomie gouvernementale et les traités. Nous sommes intéressées par ce projet de loi à cause de ses effets à long terme et de ses répercussions sur les femmes représentées par notre organisation.

Nous sommes d'accord avec les autres groupes autochtones reconnus au niveau national, comme le Congrès des peuples autochtones, qui insistent sur la nécessité d'adopter une approche axée sur les droits en ce qui concerne les changements politiques et législatifs liés aux droits des peuples autochtones. L'AFAC, comme de nombreuses organisations non gouvernementales, fait face au défi de trouver la capacité et les ressources de répondre efficacement aux nombreuses demandes qu'elle reçoit quotidiennement. Bien que nous n'ayons pas mené d'étude ou de consultation exhaustive auprès de nos membres sur ce projet de loi, nous comparaissons aujourd'hui pour exprimer ce que nous croyons être le point de vue des femmes autochtones sur ce projet de loi important.

Le 31 mai 2005, lors de la retraite du Cabinet, les chefs du Canada et les chefs autochtones représentant les cinq organisations autochtones nationales ont signé une série d'accords réaffirmant leur intention d'établir des relations afin d'élaborer conjointement des politiques fondées sur la confiance mutuelle. L'AFAC remet en question la façon dont cette relation réaffirmée est conforme aux dispositions et conditions de ce projet de loi de reconnaissance. L'imposition d'une politique par voie législative semble nier ou miner ce partenariat essentiel, à cause du manque de véritable consultation. Ce projet de loi, comme la Loi sur la gouvernance des Premières nations, a été rédigé unilatéralement sans contribution de la part des peuples autochtones.

L'AFAC est préoccupée tout particulièrement par la disposition du projet de loi S-16 qui donne aux bandes compétence sur l'appartenance. Les femmes se sont battues pendant longtemps pour s'assurer que leurs droits étaient protégés en vertu du projet de loi C-31 et l'AFAC remet en question la façon dont le projet de loi S-16 règle la question. Si l'appartenance à une bande est un important pouvoir de gouvernance, étant donné l'histoire au Canada de la discrimination contre les membres du projet de loi C-31, cette disposition pourrait créer des inégalités pour ceux, tout particulièrement les femmes et leurs descendants, qui se fondent sur le projet de loi C-31 afin de reconquérir leur statut. Il serait donc prudent de prévoir des garanties en ce qui concerne les codes d'appartenance aux bandes pour protéger les droits à l'égalité des femmes des Premières nations. Cette question souligne le besoin essentiel de partenariat avec l'AFAC et l'élaboration de lois garantissant que les droits à l'égalité de nos membres sont protégés.

Le projet de loi S-16 semble inclure uniquement les citoyens des Premières nations. Les Métis, les Inuits, ceux qui vivent en dehors des réserves et ceux qui ne sont pas inscrits semblent tirer des avantages limités de ce projet de loi. De plus, le projet de loi présuppose que seules les bandes indiennes vont demander la reconnaissance en tant que Premières nations. À titre d'exemple, je cite la référence à « Chef et Conseil » dans le modèle de constitution aux dispositions 17 et 23, en ce qui concerne la poursuite de l'application de la Loi sur les Indiens. Cela ne reflète pas les formes traditionnelles de gouvernement qui continuent d'exister dans ce pays.

L'AFAC est également préoccupée en ce qui concerne les droits de biens matrimoniaux pour les femmes des Premières nations vivant dans les réserves. Nombre de femmes autochtones sont des personnes qui ont survécu à la violence conjugale. Comme telles, elles se retrouvent avec peu de soutien et de protection de leurs droits. L'AFAC a travaillé sans relâche pour faire en sorte que cette question soit au centre de la réforme politique et soit portée à l'attention des politiciens. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a récemment publié un rapport sur cette question particulière. Nous recommandons vivement que des dispositions visant à protéger les droits de propriété des femmes soient incluses dans ce projet de loi. Cela pourrait s'ajouter à d'autres initiatives législatives qui visent à protéger les biens matrimoniaux des femmes des Premières nations qui vivent dans des réserves.

Dans son exposé, le professeur Patrick Macklem, de l'Université de Toronto, a parlé de la flexibilité, comme d'un aspect positif du projet de loi S-16. Nous croyons que cette flexibilité a des connotations à la fois négatives et positives. D'un côté, s'il est ratifié, ce projet de loi va donner un moyen de faire avancer les choses sur le sujet important qu'est l'autonomie gouvernementale. Cependant, de l'autre côté, si nous en faisons un projet de loi uniformisé, alors dans notre cas nous allons desservir les femmes. Il est essentiel de prendre le temps nécessaire pour consulter de façon appropriée tous les peuples autochtones. Une telle approche est conforme avec les accords politiques signés par les cinq organisations autochtones nationales.

Nous devons également nous assurer qu'il existe des mesures de mise en application appropriées afin que les peuples autochtones n'aient pas besoin de recourir à des litiges à la fois coûteux et longs pour définir nos droits, ce que nous avons dû faire bien trop souvent dans ce pays. Nous avons beaucoup progressé lors des négociations dans le cadre de la Table ronde entre le Canada et les peuples autochtones, en améliorant la relation entre le Canada et les peuples autochtones.

Dans le projet de loi S-16, la viabilité, l'autosuffisance et la responsabilisation doivent être disponibles à tous. Le projet de loi doit s'assurer qu'on prend une approche inclusive, fondée sur la participation égale de tous les peuples autochtones, quel que soit le sexe, le lieu de résidence, le handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. Nous avons l'obligation collective de nous assurer que ces principes figurent dans toute mesure législative d'autonomie gouvernementale proposée dès le départ.

Le sénateur St. Germain : Est-ce que Mme Lewis est votre assistante?

Mme Jacobs : Elle est la directrice exécutive de l'AFAC.

Le sénateur St. Germain : En tant que parrain du projet de loi, je n'ai pas effectué de consultations avec tous les peuples autochtones Canada, car cela aurait été pratiquement impossible. Nous ne pouvons consulter tout le monde. Cependant, je voudrais vous informer que nous avons eu des consultations sérieuses avec de nombreuses bandes et avec d'autres qui vont donner des exposés ce soir et que nous avons consultés.

Je voudrais dire que le projet de loi S-16 est une loi habilitante et que ce n'est pas une pilule que nous essayons de faire avaler aux peuples autochtones. Il s'agit d'une loi habilitante qui serait adoptée et utilisée uniquement par ceux qui désirent l'utiliser. Il est important que cela soit dit officiellement. Le projet de loi S-16 n'est pas imposé aux peuples autochtones. Plutôt, il s'agit d'une loi habilitante proposée, qui serait mise en place pour être utilisée par ceux qui pensent qu'elle serait avantageuse afin de limiter les coûts, auxquels vous avez fait référence dans la dernière partie de votre exposé, et afin peut-être d'accélérer le processus.

Comme vous le savez, nous avons adopté le projet de loi C-56 aujourd'hui, qui est un accord foncier qui a été négocié pendant 30 ans. C'est ridicule.

Il ne s'agit pas de mon projet de loi. Ce projet de loi a été institué au départ il y a des années par le chef Walter Twinn, un ancien sénateur canadien. C'est par l'intermédiaire de ce processus que divers groupes autochtones m'ont demandé de poursuivre le travail. Il a été changé de façon radicale par rapport à sa version originale. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de suivre l'historique de ce projet de loi, mais s'il s'est retrouvé devant le Sénat sous diverses formes par le passé. Je ne dis en aucune façon qu'il s'agit de la solution miracle.

Le projet de loi S-16 fournit-il la protection dont les femmes ont besoin pour trouver la place qui leur revient dans un processus d'autonomie gouvernementale?

On a toujours le projet de loi C-31. Un article est paru ce matin dans un journal de la Saskatchewan à propos du projet de loi C-31, qui disait que les Autochtones font face à un génocide législatif.

Quels sont les changements que vous apporteriez à ce projet de loi? C'est la raison pour laquelle nous passons à travers ce processus maintenant. Ce projet de loi n'est pas encore passé par une seconde lecture; cependant, il a été renvoyé au comité pour que nous puissions entendre diverses personnes qui représentent les peuples autochtones de tout le Canada.

Avez-vous une critique constructive à formuler? Je n'essaie pas par là d'être facétieux. Je ne suis pas avocat et je n'ai pas de diplôme de maîtrise. Comme dit le président, cela fait si longtemps que nous sommes ici que nous pourrions penser que nous connaissons quelque chose et c'est cela qui pourrait être dangereux.

Mme Jacobs : Une partie de ce que j'ai exprimé dans mon exposé est en fait une présentation de ces problèmes directement à nos mandants. Si cela faisait partie du processus de consultation des peuples autochtones, nous n'avons jamais été consultés en ce qui concerne cette question. C'est notre critique, non seulement en ce qui concerne les femmes, mais aussi en ce qui concerne les gouvernements traditionnels. Je travaille tout particulièrement avec notre confédération et nos chefs traditionnels et mères de clans. Ils n'ont jamais été consultés. C'est le problème que nous présentons, ces problèmes qui concernent des articles précis du projet de loi et si nous devions demander des commentaires particuliers aux femmes de notre communauté, cela prendrait également longtemps et cela nécessiterait beaucoup de ressources pour pouvoir le faire.

D'après l'histoire de la discrimination sexuelle passée contre les femmes des Premières nations dans nos communautés, c'est l'expérience que nous avons et c'est justement une partie de la difficulté que nous voyons dans l'ensemble du processus : comment pouvons-nous savoir, dès le départ, si cela ne continuera pas? Ce sont également des questions que nous avons. C'est quelque chose à laquelle il faut trouver une solution.

Le sénateur St. Germain : Je comprends ce que vous voulez dire. En ce qui concerne l'appartenance à une bande, je pense encore que le gouvernement ne devrait pas légiférer pour déterminer l'appartenance à une nation autochtone. Je crois que ça devrait être à la nation plutôt qu'au gouvernement de décider. La violence conjugale sera éradiquée du système par l'intermédiaire de l'éducation, de l'amélioration économique, des opportunités, de l'espoir et de l'équité. C'est la seule façon.

Ce que nous nous efforçons de créer ici n'est pas un outil que nos peuples autochtones seraient forcés d'utiliser, mais un outil auquel ils pourraient avoir recours si bon leur semble. S'ils y trouvaient chaussure à leur pied, fort bien; sinon, rien ne les oblige même à prendre cela en considération.

Peut-être avez-vous une suggestion, quant au libellé du projet de loi, qui pourrait atténuer vos préoccupations en matière de violence, et cetera. Je serai heureux de les entendre. Cela fait longtemps que je suis membre du comité. J'ai sillonné le Canada en long, en large et en travers, de la côte Ouest à la côte Est et jusqu'au cercle polaire arctique. Nous n'avons entendu aucune suggestion susceptible d'être mise en œuvre. Si vous avez quoi que ce soit à ajouter, nous vous en serions donc vraiment reconnaissants.

Mme Jacobs : Il nous faut du temps pour consulter comme il faut les femmes. La position que j'ai au sein de mon organisation fait de moi le porte-parole des femmes. Or, pour être porte-parole, il me faut entendre ce qu'elles ont à dire. Sinon, je serai bien en peine de vous dire spécifiquement ce qu'elles pensent. Si leur réaction ne comporte pas de recommandations spécifiques, je vous suggère de jeter un coup d'œil à notre rapport intitulé « Notre façon d'être ». Il y est question de ce dont vous parlez : Éduquer nos collectivités, revitaliser notre langue, notre culture et nos traditions, également.

C'est ainsi que l'on réglera les questions, parce que cela fait partie de notre identité et de qui nous sommes en tant que peuple.

Dans toutes mes recherches, parmi toutes les lois canadiennes que j'ai vues, parmi toutes les lois à adhésion facultative, je n'ai encore rien vu qui fonctionne. Y a-t-il déjà eu une loi à adhésion facultative qui fonctionne? Comment savons-nous que cela ne va pas s'appliquer à toutes les Premières nations? Ce sont des questions qui méritent, à mon avis, de trouver réponse.

Le sénateur St. Germain : Je comprends ce que vous dites. Vu le libellé du projet de loi, je vois mal comment le gouvernement pourrait contraindre nos peuples autochtones à se servir de cet outil, qui est véritablement un outil à utiliser, pas une obligation contraignante.

Le sénateur Watt : Bienvenue. Je crois moi aussi comprendre ce que vous dites. Vous nous avez fourni un document écrit sur lequel nous nous pencherons attentivement quand nous en serons au stade du rapport pour le projet de loi. Mais je voudrais revenir sur un point qu'a souligné le sénateur St. Germain.

En ce qui concerne le projet de loi S-16, je voulais parler de la signification. C'est une théorie de la boîte vide, pour ainsi dire. C'est un squelette, en un sens, mais c'est une loi habilitante, comme l'a expliqué le sénateur St. Germain. C'est pourquoi j'ai appuyé le projet de loi : pour l'examiner, pas nécessairement pour que le comité se penche sur le projet de loi, mais pour que le comité se penche sur la question, et c'est bien ainsi que nous procédons. La question nous est soumise pour que nous en discutions. Comment nous y prendrons-nous? Cela conviendra-t-il aux peuples autochtones d'un bout à l'autre du pays, à ceux qui ne se soucient pas vraiment d'entamer des négociations de revendications territoriales, mais qui voudraient que leurs traités soient mis en œuvre?

Si nous avons le concept d'une loi habilitante comme outil disponible pour les peuples autochtones, j'aimerais explorer cette possibilité afin de voir si elle conviendrait à certains groupes autochtones qui ne souhaitent pas entamer de négociations avec le gouvernement mais voudraient voir leurs traités mis en œuvre. Il me semble intéressant d'examiner le projet sous cet angle, pour voir s'il peut se concrétiser.

L'autre problème est que, même si nous nous entendons entre nous, la Chambre des communes doit encore se pencher sur la question. Or, si elle ne comprend pas clairement ce dont il s'agit, il y a bien des chances pour qu'elle refuse d'adopter le projet de loi. Nous sommes donc ici pour discuter et pour essayer de donner corps aux idées. Au bout du compte, nous espérons que cet exercice sera utile aux peuples autochtones. C'est sous cet angle que nous considérons la question.

Vous avez parlé de consultation. Vous n'avez pas été consultés. Bien des gens n'ont pas été consultés dans le cas qui nous intéresse. Peut-être un jour serons-nous en mesure d'établir des règles et des procédures déterminant la façon dont le gouvernement devrait consulter nos peuples. Pour le moment, je ne crois pas qu'il existe un système qui nous satisferait vous et moi, un système qui nous permettrait de dire que nous vous avons consultés. Je ne crois pas qu'il existe quoi que ce soit d'établi pour le moment.

C'est un scénario sur lequel notre comité se penchera sans doute. À quoi parviendrons-nous au bout du compte? Au stade où nous en sommes, nous ne le savons pas. Toutefois, je voudrais mentionner le dernier jugement rendu en Colombie-Britannique, qui concerne les Haidas et traite de la nécessité de consulter les peuples autochtones. C'est la décision la plus forte que j'aie jamais vue jusqu'à présent. Nous devrions nous en inspirer et l'exploiter à notre profit.

Si vous n'avez pas vu cette décision, je vous en enverrai un exemplaire afin que vous puissiez l'examiner et vous en servir. Un jour, peut-être serez-vous en mesure de nous revenir avec des suggestions spécifiques sur la façon dont nous pourrions procéder pour consulter les gens. Je pense que c'est un concept auquel on se heurte tous. Nous ne savons pas véritablement comment consulter les gens.

Le revers de la médaille est que le gouvernement continue à légiférer. Il n'arrêtera pas. Parfois, j'ai pu le constater au cours des 21 dernières années, les mesures législatives ont un impact direct ou indirect sur nous; autrement dit, quand le gouvernement élabore des mesures législatives, cela se traduit presque quotidiennement par un empiètement sur nos droits. Nous devons apprendre comment remédier au problème, vu que le gouvernement adopte ces lois sans même prendre en considération qui il devrait consulter. C'est une question qui ne lui vient pas à l'esprit. L'état d'esprit des gens qui gouvernent est d'adopter une loi, afin de pouvoir aller de l'avant et de faire quelque chose qui soit bien pour le Canada et pour les Canadiens. Toutefois, dans bien des cas, ce n'est pas nécessairement bon pour nous. C'est parfois bon pour les gens qui vivent en ville, mais, dès qu'on sort de la ville, cette approche où une loi unique est censée convenir à tous ne fonctionne plus.

Il est nécessaire que nous trouvions un mécanisme pour traiter de ces aspects. En tant que sénateur, j'ai la possibilité d'aborder les questions sur la fin. Cela ne suffit pas. Il faut que nous soyons présents dès le départ, au tout début, quand on commence à formuler une politique. Nous devrions également être présents au moment de l'élaboration d'un projet de loi, parce que c'est à ce moment-là que se tiennent une série de négociations.

Il nous faut effectuer beaucoup de travail parmi nous, pour élaborer une solution concrète que nous puissions proposer au gouvernement. J'en resterai là pour le moment.

Le président : Souhaitez-vous commenter ce qui vient d'être dit?

Mme Jacobs : Je voudrais commenter deux points que vous avez abordés. Le premier est celui des traités. Vous avez parlé du désir de certaines Premières nations de voir leurs traités mis en œuvre. Rien dans le projet de loi ne parle de traités. Rien ne garantit que cela se produira.

D'autre part, en ce qui concerne les règles et les procédures permettant de consulter les peuples autochtones, j'ai lu l'affaire dont vous parlez. Je sais que le jugement est important, c'est pourquoi je l'ai mentionné. En ce qui concerne les règles et procédures, nous sommes en mesure de fournir des conseils sur ce qui constituerait un processus de consultation adéquat. Nous pouvons faire ces recommandations à nos formes traditionnelles de gouvernement, où il a toujours existé un processus permettant à chaque individu d'avoir un mot à dire sur ce qui touche sa vie. Notre forme traditionnelle de gouvernance veille à consulter chaque personne, si les décisions mises en œuvre sont importantes pour ces personnes. Cela fait partie du bien-être holistique de la collectivité. Chaque personne dans chaque nation pourrait avoir une opinion différente sur ce que devraient être ces règles et procédures.

Toutefois, cela découle de nos coutumes. Les systèmes juridique et politique canadiens obéissent toujours à une hiérarchie où les ordres viennent d'en haut. Jamais nous n'avons fonctionné ainsi, dans nos collectivités ou nos modes traditionnels de gouvernement. Nous avons toujours eu une approche holistique, où l'on pense au bien de l'ensemble, en cercle. C'est notre façon de procéder.

Le jour où le Canada acceptera que telles sont nos modalités traditionnelles sera à marquer d'une pierre blanche. J'aimerais être là pour le voir.

Le sénateur Watt : Que pensez-vous des discussions dans le cadre de la Table ronde des peuples autochtones, qui se déroulent en ce moment? Pensez-vous que c'est là une façon de consulter les gens? Les quatre chefs y participent, ainsi que vous, je crois.

Mme Jacobs : Je pense qu'il existe des difficultés inhérentes avec la politique, avec la retraite du Cabinet, vu que certaines organisations ne sont pas présentes à la table. Toutefois, nos organisations nationales s'efforcent toujours, je crois, de consulter autant que possible nos membres et les personnes que nous représentons. Je peux parler seulement en ce qui concerne ma propre association, où tout le travail que nous effectuons est systématiquement influencé par toutes les femmes de nos collectivités d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur St. Germain : J'ai une brève question.

Le président : Découle-t-elle de la discussion en cours?

Le sénateur St. Germain : Oui. Si nos peuples autochtones ont des droits inhérents, pourquoi devraient-ils les négocier? Je pense que c'est ce que le projet de loi S-16 s'efforce de faire. Vous m'avez posé une question sur les lois habilitantes. La Loi sur la gestion des terres, le projet de loi C-49, a été adoptée; c'était une loi habilitante. Elle a suscité de nombreuses controverses, certaines bandes autochtones s'y opposant, d'autres l'appuyant. Il y a aussi le projet de loi C-20, qui traite des institutions financières.

Je reviens sur la question de l'appartenance. C'est sans doute le problème le plus épineux auquel nous ayons dû faire face dans nos efforts pour élaborer une mesure législative équitable qui refléterait autant que possible ce que nos peuples autochtones pourraient utiliser — sans qu'on les contraigne à y avoir recours. Avez-vous un commentaire sur la façon dont on pourrait savoir qui est membre ou dont il conviendrait de le déterminer? C'est l'une des questions les plus controversées pour nos peuples autochtones. Comment identifier un Métis? Comment les diverses nations déterminent-elles qui est membre de leur nation? Avez-vous une solution à ce problème, madame Jacobs, ou une recommandation que vous puissiez faire? C'est l'un des problèmes les plus ardus que nous ayons rencontrés en élaborant le projet de loi.

Mme Jacobs : J'ai une réponse. Je viens d'une confédération traditionnelle qui respecte une logique matrilinéaire. C'est une forme traditionnelle. Je suis membre du Clan de l'ours des Mohawks, par le biais de ma mère. Cela repose sur un matrilinéage, c'est la base de notre nation. On sait toujours qui est son enfant et comment déterminer qui est membre. Il existe en place des processus et des protocoles permettant de déterminer qui est membre.

Le sénateur St. Germain : Toutes les nations autochtones acceptent-elles cette méthode qui détermine qui est membre?

Mme Jacobs : Je ne sais pas. Je ne peux pas parler en leur nom à tous.

Le sénateur St. Germain : Mais vous représentez différents groupes d'un bout à l'autre du pays, n'est-ce pas?

Mme Jacobs : Je suis sûre qu'ils ont tous des formes traditionnelles pour déterminer qui est membre. Si vous me le permettez, je voudrais aussi répondre à ce qu'a dit le sénateur au sujet de nos droits inhérents et de la nécessité néanmoins de les réclamer au gouvernement. Nous ne devrions pas être contraints de réclamer, et c'est en partie ce dont je parle depuis le départ. Nous ne devrions pas devoir réclamer quoi que ce soit à quiconque. Il s'agit de notre souveraineté et de nos droits. Nous ne devrions pas réclamer et négocier nos droits, vu qu'il s'agit de droits inhérents.

Le sénateur St. Germain : Je suis de votre avis.

Mme Jacobs : La mesure législative envisagée stipule que c'est en partie ce que nous faisons. Toute mesure législative envisagée au Canada nous dit ce que nous devons faire.

Le sénateur St. Germain : Comment les choses seraient-elles déterminées, alors, s'il n'y a pas de mesure législative?

Mme Jacobs : Chaque nation prise individuellement a son propre processus d'autonomie gouvernementale. Ma question a trait à notre façon de concevoir la gouvernance, vu que nos peuples ont toujours eu une forme de gouvernance. Depuis la nuit des temps, c'est tout ce dont nous parlons. Pourquoi, alors, ne pas l'accepter comme un fait? Nous acceptons la souveraineté des peuples autochtones et des nations autochtones.

Le sénateur Peterson : La question de la consultation s'est posée en d'autres circonstances, ou plutôt l'absence de consultation ou les lacunes en la matière. Vous représentez l'Association des femmes autochtones du Canada, soit toute une gamme de personnes. Représentez-vous toutes les femmes autochtones?

Mme Jacobs : Je représente les membres de notre association d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Peterson : Si l'on procédait à des consultations individuelles, jusqu'où faudrait-il aller?

Mme Jacobs : Nous avons 13 associations provinciales ou territoriales membres dans le pays. Chacune de ces associations a elle-même des membres. Pour solliciter l'opinion des femmes sur le projet de loi, en effectuant des consultations adéquates, il faudrait que nous soulevions la question et que nous sollicitions une rétroaction. Il s'agirait donc de parcourir le pays afin d'obtenir la rétroaction en question.

Le sénateur Buchanan : Voilà qui est intéressant. Certaines des choses que vous avez mentionnées m'amènent à penser que, selon vous, il existe pour les peuples autochtones du Canada un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale — la souveraineté, dites-vous — en dehors de la Constitution du Canada. Vous ai-je bien comprise?

Mme Jacobs : La forme de gouvernement traditionnelle à laquelle je fais spécifiquement allusion est la Confédération de Haudenosaunis. Les rapports d'origine entre les Haudenosaunis et les Britanniques n'ont jamais inclus de consultations avec les chefs et les mères de clans — notre forme traditionnelle de gouvernement. Nous avons donc toujours pensé que nous n'étions pas Canadiens, vu que nous avons une forme de gouvernement qui est distincte du Canada, ainsi que des États-Unis, une confédération entre le Canada et les États-Unis. La situation pourrait être différente pour d'autres nations où il n'existe pas ce type de rapport. Mais je parlais spécifiquement de cela.

Le sénateur Buchanan : Selon vous, le droit inhérent à la souveraineté des peuples autochtones du Canada ne devrait même pas être discuté dans la Constitution du Canada? En ce qui vous concerne, la Constitution du Canada n'a rien à voir avec la souveraineté des peuples autochtones?

Mme Jacobs : C'est toujours une source de confusion.

Le sénateur Buchanan : Dans les années 1980, à l'époque où j'ai participé à toutes les conférences constitutionnelles, l'un des problèmes auxquels nous nous sommes heurtés a été l'absence de clarté chez les différentes Premières nations quant à la définition de l'autonomie gouvernementale.

Mme Jacobs : À mon avis, la définition de l'autonomie gouvernementale est seulement esquissée à grands traits à l'échelle du pays, où il n'existe pas de définition unique. L'un des points que j'ai soulignés dans mon exposé est que toutes les nations sont différentes. Certaines veulent faire partie de la Constitution; je reconnais les droits constitutionnels qu'elles souhaitent avoir au titre de l'article 35.

Le sénateur Buchanan : Pourriez-vous répéter ce que vous venez de dire?

Mme Jacobs : Il y a des collectivités et des nations qui respectent l'article 35 de la Loi constitutionnelle.

Le sénateur Buchanan : L'article 35 de la Loi constitutionnelle...

Mme Jacobs : ... reconnaît les droits autochtones et issus de traités.

Le sénateur Buchanan : Oui, les droits autochtones et issus de traités ont été confirmés. Toutefois, l'article 35 de la Constitution ne reconnaît pas l'autonomie gouvernementale. Telle n'a jamais été son intention.

Mme Jacobs : C'est pourtant précisément ce que sont les droits inhérents. Le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale devrait être inclus, si c'est ce dont nous parlons.

Le sénateur Buchanan : Vous dites « devrait », mais jamais l'article 35 n'a inclus de mention du « droit inhérent à l'autonomie gouvernementale ». Cela a fait l'objet de grandes discussions en 1980-1981, ainsi qu'à chaque conférence par la suite. Si l'article 35 avait confirmé le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, il n'aurait pas été nécessaire d'en discuter en 1983, 1985, 1987, 1988, et cetera. Ainsi, l'article 35 n'a pas enchâssé dans la Constitution l'autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones. Je sais que le gouvernement dit avoir une politique favorisant l'autonomie gouvernementale, mais cela n'octroie pas pour autant l'autonomie gouvernementale au titre de l'article 35. Suivez-vous ce que j'essaie de dire?

Mme Jacobs : Oui.

Le sénateur Buchanan : L'article 35 montre clairement que les droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones du Canada sont reconnus et affirmés.

Le sénateur Watt : Cela pourrait inclure l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur Buchanan : Non, ce n'est pas possible.

Le sénateur Watt : Pourquoi?

Le sénateur Buchanan : Si c'était le cas, alors je ne comprends pas pourquoi, de 1982 jusqu'aux dernières conférences, la discussion a toujours tourné autour de l'autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones. Si l'autonomie gouvernementale était déjà incluse dans l'article 35, pourquoi nous serions-nous évertués à en discuter au cours des 20 dernières années ou plus? Elle n'est pas comprise dans l'article 35. Je ne dis pas que j'y suis opposé. À l'époque, si cela avait fait partie des discussions sur la Constitution de 1980-1982, la Nouvelle-Écosse aurait été d'accord, parce que nous n'avions pas de problème avec cette idée. Cependant, les provinces de l'Ouest trouvaient cela problématique et, ainsi, elle n'a jamais été comprise dans l'article 35, à moins que vous interprétiez « droits issus de traités » comme comprenant un droit à l'autonomie gouvernementale. Je n'ai jamais entendu dire qu'un droit issu de traité comprenait l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur Watt : Mais ils avaient leurs propres gouvernements avant.

Le sénateur Buchanan : Mais ça n'était pas dans les traités.

Le sénateur Watt : Même avant les traités, ils possédaient leurs propres institutions de gouvernement.

Le sénateur Buchanan : Écoutez, essayez de comprendre ce que je dis. Je ne suis pas contre quoi que ce soit ici.

Le sénateur Watt : Ils étaient là avant vous.

Le sénateur Buchanan : Oui, je sais.

Le sénateur St. Germain : Je crois que le sénateur Buchanan était là avant tout le monde.

Le sénateur Watt : Peut-être était-il là avant nous, qui sait.

Le sénateur Buchanan : En vertu de la Constitution du Canada, si vous voulez considérer les différents paliers de gouvernement, il n'existe que deux paliers de gouvernement reconnus par la Constitution du Canada : les gouvernements fédéral et provinciaux. Ce sont les deux seuls gouvernements qui y sont reconnus. Les gouvernements municipaux ne font pas partie de la Constitution du Canada. Ils ne sont pas du tout reconnus dans la Constitution. Ce sont des créatures des gouvernements provinciaux.

Si l'article 35 conférait l'autonomie gouvernementale aux peuples autochtones du Canada, nous aurions trois paliers de gouvernement au Canada, ce que nous n'avons pas.

Je voudrais éclaircir les choses : Je ne suis contre rien ici. Je suggère simplement que nous devrions éclaircir la situation en ce qui concerne la Constitution. Vous ne dites pas véritablement que l'autonomie gouvernementale pour les différentes Premières nations est conférée par l'article 35, n'est-ce pas?

Mme Jacobs : Je parle des droits inhérents. Si ces droits inhérents sont compris dans l'article 35, alors c'est de cela que je parle.

Le sénateur St. Germain : Rappel au Règlement. Nous avons toute une liste de témoins. Je vais tenter de poser de brèves questions pour donner aux autres sénateurs suffisamment de temps.

Le président : Cela dit, il va nous falloir continuer la discussion avec les prochains témoins.

Madame Jacobs et madame Louis, merci beaucoup de votre exposé très bien préparé.

Nos prochains témoins représentent le Lesser Slave Lake Indian Regional Council, la Première nation de Sawridge et la Première nation de Ermineskin.

Allez-y.

Le grand chef Rose Laboucan, chef, Première nation de Drifpile, Lesser Slave Lake Indian Regional Council : Honorables sénateurs, merci de nous permettre de comparaître ce soir et de nous écouter, parce que je sais que vous allez écouter. Je souhaite remercier l'aîné de sa prière — il a prié pour nous tous — et je remercie les chefs qui sont ici aujourd'hui pour nous appuyer en ce qui concerne le projet de loi S-16.

Je voudrais commencer par dire que le premier palier de gouvernement est actuellement en séance. C'était juste une blague!

Si vous me le permettez, je vais prendre quelques minutes pour parler de l'historique du projet de loi C-16. Ce qui est ironique, c'est que tout ce que nous faisons passe à l'histoire, et pourtant il ne s'agit pas de notre histoire, elle est faite par quelqu'un d'autre.

Le Lesser Slave Lake Indian Regional Council, au nom de ses Premières nations membres, a commencé à poursuivre cette idée de reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Premières nations, en présentant un mémoire à la Commission Penner en 1982. Ce mémoire comprenait une ébauche de projet de loi une reconnaissance de l'autonomie gouvernementale des Premières nations. La Commission Penner n'a abouti à rien.

La bande indienne de Sawridge, l'un des membres du Lesser Slave Lake Indian Regional Council, dont je suis maintenant le grand chef, a préparé une ébauche de projet de loi à propos de l'autonomie gouvernementale qui a été présentée au ministre des Affaires indiennes en 1988. Après un an de négociations, Sawridge a conclu un accord-cadre avec le ministre pour la négociation d'un projet de loi d'autonomie gouvernementale des Sawridge, en vertu du programme d'autonomie gouvernementale basé sur la communauté en septembre 1989.

D'intenses négociations ont commencé presque immédiatement et se sont poursuivies jusqu'à ce qu'un accord de principe intervienne entre les négociateurs du gouvernement et les Sawridge en avril 1991. Cet accord a été ratifié par le conseil des ministres en octobre 1991, avec instructions pour les rédacteurs de préparer un projet de loi à présenter en décembre 1991. La rédaction a commencé tout de suite. Ils ont rédigé un projet de loi à présenter en décembre. Il est devenu évident que le ministère était maintenant d'avis que tous les membres, y compris une liste non révélée de membres reconnus par le ministère qui n'avaient pas fait de demande d'appartenance à une bande en vertu du règlement sur l'appartenance à une bande, devraient ratifier le projet de loi, malgré le fait que le processus avait déjà été ratifié trois fois par les électeurs de la bande, comme cela avait été entendu entre le ministère et la bande.

Après rédaction et discussion de six ébauches, le processus s'est arrêté. Les rédacteurs ont alors refusé de publier la septième ébauche, à moins que la bande ne soit d'accord pour autoriser la ratification par tous ceux qui, selon le ministère, avaient droit au statut de membres.

Malgré le fait que le contrôle des membres avait été pris en charge par la bande il y avait des années, avec la reconnaissance du ministère, au bout du compte, le gouvernement permanent non élu de fonctionnaires a refusé de mettre en application la décision prise par le gouvernement élu.

Au cours de cette poursuite de l'autonomie gouvernementale par les Indiens de Sawridge, les autres membres du Lesser Slave Lake Indian Regional Council se sont intéressés à l'option d'adopter eux-mêmes des arrangements pour une autonomie gouvernementale. Les chefs du conseil régional ont rencontré le ministre de l'époque M. Irwin afin d'explorer tout cela, mais le ministre a quitté la réunion. Vous savez comment ça marche.

Les chefs ont alors pressenti le sénateur Tkachuk afin de lui demander son aide. Il a organisé, par l'intermédiaire du Sénat, la nomination d'un rédacteur pour rédiger l'ébauche d'un projet de loi conforme à l'accord de principe des Sawridge, auquel toute Première nation pouvait adhérer si elle le désirait. Le résultat a été une ébauche de projet de loi, semblable au projet de loi S-16, qui a été présentée le 20 mars 1995 comme le projet de loi S-10.

Au cours des 10 années suivantes, le projet de loi est passé à travers des audiences de comité et des lectures au Sénat, mourant au Feuilleton chaque fois qu'il y avait une élection ou que le Parlement avait été prorogé. Chaque fois, le projet de loi a été représenté, parfois avec des modifications, mais essentiellement sous la même forme qu'auparavant.

Je peux vous donner une liste des anciens projets de loi. Le projet de loi S-10 a été présenté le 30 mars 1995, puis j'en ai fait une présentation aux sénateurs, en parlant sur le sujet de la communauté et ce que la communauté signifiait pour nous. Vous devriez avoir le procès-verbal de cette audience au Sénat. Les autres incarnations de ce projet de loi comprennent : le projet de loi S-9 du 13 juin 1996; le projet de loi S-12 du 25 novembre 1996; le projet de loi S-14 de mars 1998; le projet de loi S-38 du 6 février 2002; le projet de loi S-16 du 27 novembre 2004.

En 1999, avec le Traité 8, nous avons signé une déclaration d'intention avec la ministre de l'époque, Jane Stewart. Cela nous donnait la possibilité d'étudier les 21 promesses d'où ce processus bilatéral et, en 1995, la politique d'autonomie gouvernementale inhérente.

Malgré cela, et le décès de l'un des plus ardents promoteurs de ce projet de loi, le sénateur Walter Twinn, le 30 octobre 1997, le projet a continué d'être appuyé par les Premières nations de l'ensemble du Canada, qui considèrent qu'il s'agit d'une initiative de gouvernement autonome importante.

Nous avons perdu un champion récemment, le docteur Harold Cardinal. À notre conférence des spécialistes, il a dit récemment, juste avant son décès, que :

Nos enseignements, nos traditions et nos cérémonies ont donné à nos peuples un cadre conceptuel sain et solide au sein duquel nous pouvons continuer de relever les nouveaux défis et profiter des nouvelles opportunités qui accompagnent chaque époque de notre existence.

À mon avis, le projet de loi S-16 est un nouveau défi. Il s'agit d'un mécanisme qui peut s'occuper de notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et de notre droit à nous gouverner, et pas seulement dans le cadre de cette occasion symbolique présentée par la politique « au droit inhérent » délégué, en vertu de laquelle nous devons nous gouverner à l'heure actuelle.

Il est temps d'éliminer l'ombre d'échec et de doute qui plane sur notre position comme peuple dans ce pays. Nous sommes un peuple magnifique. Nous sommes le véritable patrimoine de ce pays. L'heure a sonné où, selon moi, nous ne serons plus légiférés uniquement par la politique, mais serons maîtres du peuple que nous devons gouverner.

Il nous faut concevoir et définir ce à quoi ressemblerait pour nos peuples un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Le projet de loi S-16 nous en a offert l'occasion et nous nous en sommes emparés. Il convient de ne pas perdre notre objectif de vue.

Combien de fois devons-nous faire le tour de l'édifice du Centre pour le projet de loi S-16? Nous nous sommes présentés à la porte arrière et à l'entrée principale. Nous sommes venus plusieurs fois déjà. Beaucoup d'autres projets de loi ont été adoptés, qui avaient trait aux Premières nations; le premier ministre a signé un accord avec l'APN. Et pourtant, nous revoici au Sénat pour ce projet de loi particulier. Je commence à me poser des questions, à me demander s'il y a une discrimination ou du racisme. Je prie le Créateur pour que ce ne soit pas le cas. Nous essayons simplement de remédier aux conditions dites honteuses dans lesquelles vivent nos Premières nations, par le biais du projet de loi. Je pense que notre participation au projet de loi nous permet de croire qu'il fait partie de nous.

Dans le Traité 8, on parle de consultation au sujet du processus d'autonomie gouvernementale, dans le cadre du processus bilatéral à présent en cours. Nous avons consulté les gens du Traité 8. Dans le cadre du Plan d'action national pour les enfants, nous avons visité 23 Premières nations. Pour le volet éducatif de ce plan, nous avons visité 16 Premières nations jusqu'à présent, et tenu de nombreuses consultations avec des gens dans les réserves ou en dehors de celles-ci. Nous n'avons oublié personne.

Le projet de loi S-16 est une loi prévoyant la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada. Quelle que soit la lecture qu'on en fait, et toute mesure législative suscite bien sûr des dissensions et des désaccords, je pense que les Premières nations participent au processus depuis le début, du moins les Premières nations qui veulent changer les choses pour leurs membres. Le premier ministre du pays reconnaît de nombreuses organisations, sans qu'elles représentent nécessairement tout le monde. Nous, chefs et leaders des collectivités, sommes ceux qui représentons les gens dans la communauté. Nous savons ce qui se passe et nous savons quels sont les besoins.

Nous avons assisté à de nombreux ateliers pour le projet de loi S-16. Nous avons fait des exposés au Manitoba et en Saskatchewan; en fait, nous avons parcouru le pays pour ce projet de loi, parce que nous pensons qu'il est nécessaire d'amener nos gens à se prendre en charge et de leur en donner les moyens. Or j'estime que c'est là un des processus permettant d'y arriver.

Le président : Merci beaucoup, grand chef Laboucan. Nous allons à présent entendre le vice-grand chef Roland Twinn.

Le vice-grand chef Roland Twinn, Traité 8, Lesser Slave Lake Indian Regional Council; chef, Première nation Sawridge : Je parlerai du problème de l'appartenance, vu que cela fait l'objet de questions par d'autres témoins.

Les Premières nations Sawridge et Tsuu T'Ina ont intenté des poursuites judiciaires liées au problème de savoir qui est membre dans le cadre du projet de loi C-31. Les Premières nations Sawridge et Tsuu T'Ina souhaitent que la Cour fédérale déclare qu'elles ont certains droits, des droits collectifs, qui incluent les droits à nos terres, à nos ressources et à nos biens; les droits à nos institutions gouvernementales et les droits à avoir nos propres champs de compétence et lois, selon nos propres choix, traditions, coutumes et pratiques. Ces droits incluent également les droits de déterminer les relations sociétales avec ceux appartenant à leurs collectivités respectives. Autrement dit, chaque Première nation a le droit de déterminer qui fait partie de cette nation ou non. C'est là un des éléments les plus centraux de tout droit à l'autonomie gouvernementale. C'est un droit qui découle du droit des Premières nations à l'autonomie gouvernementale et de notre titre non éteint sur nos terres de réserve.

Ce sont des droits que les Premières nations possédaient bien avant l'arrivée des Européens en Amérique du Nord, droits que nous n'avons jamais cédés, malgré la colonisation européenne de l'Amérique du Nord. Les droits que réclament les Nations Sawridge et Tsuu T'Ina étaient des droits ancestraux avant que ne soient signés les Traités 7 et 8. Ce sont des droits que ces traités ne diminuent pas. Au contraire, ils attestent de ces droits. Ils reconnaissent que les Premières nations sont des entités politiques ayant droit à leurs terres de réserve respectives et disposant de leur propre gouvernance les habilitant à conclure des traités au nom d'un peuple identifiable, distinct.

Les droits issus de traités autochtones sont reconnus par la Couronne au moins depuis la Proclamation royale de 1763. De nos jours, ils sont reconnus et affirmés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle, qui invalide toute action du Parlement canadien ou de l'administration qui contreviendrait à ces droits. La Proclamation royale réaffirme en outre le droit des Premières nations de déterminer elles-mêmes qui sont leurs membres.

Pour résumer, les nations Sawridge et Tsuu T'Ina ont des droits ancestraux et issus de traités inhérents à se gouverner eux-mêmes et à détenir un titre non éteint sur les terres réservées à notre usage exclusif. Toute mesure imposée par le Canada en ce qui concerne la détermination des membres d'une nation risque d'entraver gravement les vies et les structures sociales, culturelles, économiques et politiques de chaque Première nation; c'est même plus qu'un risque, une certitude. Une telle ingérence empiète sur l'exercice des droits collectifs de chaque Première nation à l'autodétermination ou à l'autonomie gouvernementale; elle mine la santé, le bien-être et la stabilité de la Première nation. C'est pourquoi les nations Sawridge et Tsuu T'Ina cherchent à obtenir des déclarations. Ce que le Canada leur impose concernant leur droit à l'autonomie gouvernementale, y compris leur droit à déterminer qui est membre de leur nation, n'a pas de validité juridique. Ces droits sont reconnus et affirmés par la Constitution du Canada, si bien que ces impositions ne devraient pas avoir d'effet ni de force.

On a soumis à la Cour fédérale la question de la protection de ces droits à l'autonomie gouvernementale et au titre. La position du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien est que les nations Sawridge et Tsuu T'Ina n'ont pas le droit à l'autonomie gouvernementale ni celui de décider qui est membre de leur propre nation, et n'ont pas de titre sur leurs terres de réserve. C'est une position contraire à la politique du droit inhérent défendue par le gouvernement du Canada.

Les poursuites judiciaires sont longues et coûteuses. S'il y avait eu une loi comme celle proposée par le projet de loi S-16, elles n'auraient pas été nécessaires. Cela est coûteux pour nous et pour le gouvernement du Canada, c'est-à-dire aussi pour les contribuables canadiens. Or, notre Première nation ne veut pas être une charge pour les contribuables du Canada; nous voulons participer à l'économie du Canada.

Je constate que nous n'avons pas beaucoup de temps devant nous. Comme j'ai apprécié les questions posées aux autres témoins, je vais en rester là.

Le président : Willie Littlechild, c'est un plaisir que de vous voir recevoir aujourd'hui. Je sais que vous avez été parlementaire et je suis honoré de pouvoir dire que nous avons été sur les bancs de l'école de droit ensemble, à l'Université de l'Alberta, dans les années 1970. Je suis ravi de vous compter parmi nous ce soir.

M. Willie Littlechild, nation crie Ermineskin, Traité 6, Alberta : Je voudrais remercier l'aîné Dreaver qui a fait la prière au début de la réunion.

Pendant bien des années, les aînés et les leaders de ma collectivité ont exprimé de graves préoccupations sur l'absence de reconnaissance des gouvernements autochtones des Premières nations au Canada. Les Cris Maskwachees sont fermement persuadés de leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et ont apporté leur appui à la déclaration des chefs. Comme certains d'entre vous le savent sans nul doute, il y a eu une assemblée des chefs nationaux, il y a quelques années, la plus grande en son genre. Elle s'est traduite par une déclaration des chefs :

Le Créateur nous a donné le droit de nous gouverner nous-mêmes et le droit à l'autodétermination.

Effectivement, monsieur le président, le Traité 6 est à première vue la preuve de l'existence de ces droits et responsabilités.

Nous défendons cette position à l'échelle internationale depuis au moins 1977. Par conséquent, si vous le permettez, monsieur le président, nous ne parlerons que de la perspective internationale dans le cadre des efforts déployés pour que nos droits soient reconnus au niveau national. Je suis d'avis qu'à cet égard nous devrions être guidés par le droit international et les normes dans le domaine. Comme mon collègue vient de me le rappeler, nous n'avons pas beaucoup de temps et je me limiterai donc à quatre références.

Commençons par « la réunion d'experts » onusienne qui a eu lieu à Nuuk, au Groenland du 24 au 28 septembre 1991 et qui portait sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones. Au terme de la réunion, les experts ont reconnu que les populations autochtones jouissent historiquement d'une autonomie gouvernementale et ont leurs propres langues, cultures, lois et traditions.

Monsieur le président, bien que je sois d'accord avec l'ensemble de ce rapport produit par l'auguste comité dont j'ai parlé, je me permettrai de citer quatre paragraphes pertinents des Conclusions et recommandations de Nuuk :

1. L'autodétermination des peuples est une condition préalable à la liberté, à la justice et à la paix tant au sein des nations que dans la communauté internationale.

2. Les peuples autochtones ont le droit de disposer d'eux-mêmes conformément aux pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme et au droit international public en conséquence de leur existence continue en tant que peuples distincts. Ce droit sera exercé en prenant dûment en considération les autres principes fondamentaux de droit international. Une partie intégrante de ces principes concerne le droit inhérent et fondamental que constitue l'autonomie gouvernementale.

Je vous rappelle, honorables sénateurs, que ces conclusions émanent d'une réunion d'experts onusienne de 1991.

3. Pour les peuples autochtones, l'autonomie et l'autodétermination sont des préalables à l'égalité, à la dignité humaine, à la non-discrimination et à la pleine jouissance de tous les droits de l'homme.

Je ne suis pas convaincu que le fait que deux des trois derniers témoins aient parlé d'égalité et de discrimination soit une pure coïncidence.

Le quatrième paragraphe d'intérêt de ce rapport onusien, c'est le huitième :

8. L'autonomie gouvernementale peut être bâtie à partir de traités, d'une reconnaissance constitutionnelle ou légale des droits des peuples autochtones. Il est en outre nécessaire que les traités, conventions et autres accords constructifs conclus dans différents contextes historiques soient respectés, dans la mesure où ce sont ces textes qui créent et confirment les fondements institutionnels et territoriaux qui garantissent les droits des peuples autochtones en matière d'autonomie gouvernementale,

Permettez-moi de m'arrêter pour répondre à une question du sénateur Buchanan. Il a eu raison de signaler que l'article 35, où on confirme les droits issus de traités, inclut le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.

Avant la publication de ces recommandations, le Groupe de travail onusien sur les peuples autochtones se rencontrait une fois par année, et ce depuis 1982. Ce groupe était chargé d'élaborer des normes et de rédiger la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ils y travaillèrent pendant 12 ans. Puis, en 1994, la Sous-commission des droits de l'homme a adopté l'article 31 de la déclaration, qui stipule :

Les peuples autochtones, dans l'exercice spécifique de leur droit à disposer d'eux-mêmes, ont le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes en ce qui concerne les questions relevant de leurs affaires intérieures et locales, et notamment la culture, la religion, l'éducation, la formation, les médias, la santé, le logement, l'emploi, la protection sociale, les activités économiques, la gestion des terres et des ressources, l'environnement et l'accès de non-membres à leurs territoires, ainsi que les moyens de financer ces activités autonomes.

J'ai choisi de vous en parler parce que cet article découle de la réunion d'experts précédente portant sur l'autonomie gouvernementale. Comme vous l'avez sans doute remarqué, on traite des domaines de compétence. Par après, un autre groupe de travail a été mis en place par la Commission des droits de l'homme. Le rapport du président-rapporteur de la dixième session de ce groupe de travail a été déposé dans le cadre de la 61e session de la Commission des droits de l'homme il y a quelques mois. Le président a proposé l'article suivant :

Les peuples autochtones, dans l'exercice spécifique de leur droit à disposer d'eux-mêmes, ont le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes en ce qui concerne les questions relevant de leurs affaires intérieures et locales.

Voilà pour ce qui est des Nations Unies. J'aimerais maintenant citer l'Organisation des États américains, l'OEA. Depuis 1995, cet organisme s'intéresse à la rédaction d'une déclaration sur les droits des populations indigènes dans le cadre du droit international.

Je ne vais pas vous lire l'article XV parce qu'il ressemble beaucoup à l'article de la déclaration onusienne, à l'exception de la première phrase que voici : « Les États reconnaissent que les populations indigènes ont droit à déterminer librement leur situation politique et à promouvoir librement leur développement économique, social et culturel et ont par conséquent droit à l'autonomie ou au gouvernement indépendant... » puis on donne une liste de divers domaines de compétence.

Je vous demanderais de vous reporter à la proposition soumise au Groupe de travail de la Commission de l'OEA sur les questions juridiques et politiques par le caucus indigène en novembre dernier. Je vois que le document a été distribué, et je ne le lirai donc pas. Le document répète et confirme les conclusions des organes internationaux en matière de droit inhérent et d'autonomie gouvernementale.

Je pourrais vous citer bien d'autres documents juridiques internationaux pertinents qui reconnaissent l'existence des gouvernements indigènes. Mais en dépit de cela, de graves inquiétudes subsistent au niveau international.

Permettez-moi de vous citer en dernier lieu un rapport récent et percutant. Le 14 mars 2005, toujours au cours de la 61e session des Nations Unies à Genève, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales des populations autochtones a présenté son rapport sur sa mission au Canada. Comme les sénateurs le savent sans doute, il existe un mécanisme onusien par le biais duquel on nomme un rapporteur spécial qui est chargé d'étudier les violations des droits de la personne dans divers pays; c'est le Canada qui a été sélectionné l'an passé.

Au paragraphe 21 du rapport, où l'on traite de questions relatives aux peuples autochtones, notamment les droits ancestraux et issus de traités, on peut lire :

Au cours des dernières années, ces questions ont été portées devant la Cour suprême qui devait donner son interprétation au regard du droit, et certaines affaires ont constitué des étapes capitales pour la réaffirmation des droits ancestraux dans divers domaines. Des communautés autochtones se plaignent toutefois de devoir souvent retourner devant les tribunaux pour amener l'État à respecter les conditions auxquelles ceux-ci étaient arrivés, d'où des litiges coûteux et pratiquement sans fin...

Ce n'est pas la première fois qu'on se le fait dire, monsieur le président...

au point que toutes les parties en cause semblent ardemment rechercher des solutions plus efficaces. L'adoption d'une loi sur les droits des Autochtones issus de traités ou consacrée par la Constitution, offrirait un moyen possible de sortir de l'impasse.

Monsieur le président, il est important de se rappeler qu'il s'agit là de la conclusion et de l'observation d'un rapporteur spécial indépendant qui enchaîne en disant :

Un pas a été franchi dans cette voie en octobre 2004 avec la présentation au Sénat du projet de loi S-16 sur la reconnaissance de l'autonomie des Premières nations.

En guise de conclusion, monsieur le président, je dirai que je suis d'accord avec M. Rodolfo Stavenhagen qui dit que le projet de loi S-16 « offrirait un moyen possible de sortir de l'impasse » en raison de tous les avantages qui ont été cités par l'ensemble des témoins ainsi que par l'aîné Dreaver. C'est pourquoi je demanderais respectueusement aux sénateurs d'adopter le projet de loi S-16.

Le sénateur Watt : Je vous souhaite à tous la bienvenue. J'essaierai de m'en tenir au projet de loi S-16 dans la mesure du possible. Si le projet de loi est adopté, vous en serez les heureux héritiers, je crois.

J'ai dit publiquement qu'il y avait certaines choses qui m'embêtaient dans le projet de loi. Je vais essayer de les passer en revue une par une en vous demandant comment vous réagiriez.

Premièrement, je m'inquiète de la portée du texte législatif relativement aux réserves. Qu'adviendra-t-il des terres adjacentes à vos réserves où on mène des activités traditionnelles comme la chasse? Si le projet de loi est adopté, ces activités seront-elles limitées par l'institution gouvernementale dont on parle? Si vous voulez que vos peuples puissent poursuivre leurs activités, il est important de prendre en compte les terres adjacentes.

Deuxièmement, je m'inquiète du pouvoir législatif. Si on vous confère des pouvoirs législatifs, vous serez alors en mesure de retirer des pouvoirs des deux paliers de gouvernement qui sont reconnus dans la Constitution, à savoir le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Pensez-vous qu'il serait possible de progresser si on se mettait à convoiter les pouvoirs des autres, comme c'est le cas du gouvernement du Canada et des provinces? Ne serait-il pas possible d'avancer sans se retrouver dans une telle situation?

En négociant avec les gouvernements fédéral et provinciaux, on pourrait trouver des façons innovatrices de changer le paysage du pays. Cela aurait probablement une influence sur les pouvoirs provinciaux et fédéraux — sans que vous soyez nécessairement obligés de leur retirer leur pouvoir mais pour que vous ayez la capacité d' élaborer des dispositions législatives. Comment traitez-vous avec les gouvernements provinciaux et fédéral?

En étant innovateur, serait-il possible de mettre en place un espèce de mécanisme qui permettrait de traiter avec les deux paliers de gouvernement? À l'heure actuelle, on suppose que les pouvoirs provinciaux et fédéraux se retrouvent tous deux dans nos petites institutions gouvernementales — faites sur mesure pour nos collectivités. Par contre, si le projet de loi est adopté, vous serez en mesure de faire concurrence, ou même d'être en conflit avec les gouvernements provinciaux et fédéral. Donc, vous détiendrez peut-être le pouvoir, mais comment allez-vous interagir avec les deux autres gouvernements?

Dans quelle mesure vos lois pourront-elles passer outre aux lois provinciales et fédérales?

Le président : Chef Twinn, désirez-vous répondre?

M. Twinn : Je veux bien essayer. La question a une assez vaste portée. Le premier point portant sur les territoires traditionnels est un aspect relativement nouveau que le projet de loi S-16 n'a pas envisagé. Mais je pense qu'il pourrait être réglé par la Constitution des Premières nations parce qu'elle énoncera les principes directeurs et l'orientation des lois pouvant être établies et les autorités pertinentes. La solution sera différente pour chaque Première nation lorsqu'elle décidera de quels moyens elle doit disposer pour protéger ses territoires traditionnels.

Pour ce qui est des pouvoirs législatifs, je ne pense pas qu'ils susciteront une controverse ou une confrontation avec les lois fédérales et provinciales. En effet, les lois ne porteront que sur les réserves dans ce projet de loi. Il nous serait impossible de légiférer pour déroger au Code criminel du Canada, à l'extérieur des réserves. Voilà pourquoi je n'entrevois pas de conflit.

Il s'agira simplement d'un troisième palier de gouvernement. Quand on en sera arrivé à l'étape du troisième palier de gouvernement, on discutera des questions que vous avez soulevées, notamment si les normes en matière de santé d'une nation ont la prépondérance sur les normes provinciales et fédérales. Si les normes autochtones sont plus strictes que les normes fédérales-provinciales, le gouvernement de la Première nation concernée collaborera avec les deux autres paliers de gouvernement pour trouver une solution. Pour moi, le dialogue entre gouvernements doit passer par la négociation. Si mes normes sont trop élevées et ne peuvent être atteintes, il faudra peut-être en venir à un compromis, mais ce sera également le cas des autres gouvernements. C'est comme cela que je vois la chose.

Le sénateur Watt : Il faudra faire des concessions majeures, vous vous en doutez.

M. Twinn : L'élaboration des lois, à un moment donné, entraîne des concessions.

M. Littlechild : Merci d'avoir posé ces questions importantes.

Je tiens à faire précéder mon intervention de la remarque suivante : alors que nous sommes ici, en ce 22 juin 2005, il est importe de reconnaître qu'une réalité existe dans notre pays : comme le chef l'a déclaré, il y a trois paliers de gouvernement, et non deux. L'objectif de ce projet de loi est de reconnaître l'existence de ces trois paliers de gouvernement. Ce faisant, on contribue à la construction de notre nation. On ne retire rien aux provinces ou au gouvernement fédéral. Il s'agit plutôt d'un apport et c'est la façon dont le Sénat devrait l'interpréter. C'est un apport important qui enfin, en 2005, serait reconnu mais sans susciter une rivalité d'intérêt. On pourrait se demander comment les gouvernements interagissent. Il existe déjà un mécanisme par le biais duquel les provinces et le gouvernement fédéral acceptent un partage des compétences. Il n'y a pas contradiction. Ils conviennent de se diviser les pouvoirs. Dans certains cas, ils se fixent des domaines exclusifs de compétence. Je crois que le projet de loi contribuera à édifier notre nation, et non l'inverse.

Le sénateur St. Germain : Merci d'être venus, monsieur le chef Laboucan et Twinn et M. Littlechild : J'ai eu le plaisir d'être député en même temps que M. Littlechild de 1984 à 1998. Je suis ravi de le retrouver ici à nouveau.

Vous n'auriez jamais dû partir. À l'époque, votre contribution était importante et je vois que vous continuez à travailler dans des domaines qui viennent en aide à nos peuples autochtones.

En rédigeant le projet de loi S-16, tous les efforts possibles ont été faits pour se fonder sur des projets de loi d'autonomie gouvernementale existants et en prélever les points forts. Ce n'est pas comme si nous réinventions la roue. Actuellement, il existe déjà plusieurs ententes d'autonomie gouvernementale. Dans la rédaction de ce projet de loi, nous nous sommes efforcés de prendre en considération des expériences antérieures.

L'appartenance restera la question la plus litigieuse. Le reste du Canada doit reconnaître que les peuples autochtones ont eux-mêmes la capacité de déterminer l'appartenance. Chaque fois que l'AIMC intervient, ça complique les choses. Pour ce qui est du projet de loi C-31, le chef Twinn a déjà dit clairement que c'est une question dont sont saisis les tribunaux.

Depuis quand les tribunaux sont-ils saisis de cette question? Je sais que ça a coûté très cher. Des lois ont été imposées aux peuples autochtones, tout comme les écoles résidentielles et autres décisions qui ont eu un effet négatif.

Je soutiens que si les peuples autochtones ont le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et que le gouvernement a énoncé cette politique, ils devraient avoir le droit inhérent de décider qui appartient aux nations respectives.

Pourriez-vous me dire depuis combien de temps ces questions sont en litige, chef Twinn?

M. Twinn : La plupart de ma vie d'adulte; c'est certain. Je dirais probablement 18 ans.

Le sénateur St. Germain : Je n'ai pas d'autres questions.

J'apprécie le fait que vous ayez énoncé votre point de vue d'une façon directe, concise et précise. Vous trois avez apporté une contribution substantielle. Cela fera ressortir le fait que nous avons consulté nos peuples autochtones. Ces derniers ont besoin de ce type de loi et le veulent. Ils veulent pouvoir s'affirmer dans notre société grâce à une forme de reconnaissance de l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur Peterson : En ce qui a trait au droit de décider de l'appartenance à votre bande, si quelqu'un se voyait refuser l'appartenance, à quel recours aurait-il droit?

M. Twinn : Que voulez-vous dire?

Le sénateur Peterson : Qui tranche?

M. Twinn : Nous avons un code d'appartenance qui est fondé sur la participation communautaire et l'histoire. Il est multidimensionnel; il n'est pas fondé sur le degré de consanguinité ni sur quoi que ce soit du genre.

Si on a choisi d'agir de cette façon, c'est qu'il y a 200 ou 300 ans, les Premières nations accueillaient les nouveaux membres au sein de leurs bandes, sans qu'il n'y ait de loi pour ce faire. Et des personnes qui n'étaient même pas autochtones ont été adoptées. C'était la coutume et l'usage. Le Créateur nous a donné ces droits. Ils n'ont pas été abolis.

Lorsque le Traité 8 a été signé, mon arrière-grand-père était un des signataires. Une fois le traité signé, le gouvernement a demandé à un des chefs à l'époque : « Qui sont vos membres? » Le gouvernement n'a pas dit : « Il fait partie de votre bande, elle aussi. » Ils nous ont demandé : « Qui sont vos membres? »

Dès le début nous pouvions décider de l'appartenance. C'est toute la bande, et pas simplement une personne, qui établit l'appartenance.

Le sénateur Buchanan : Monsieur le président, c'est un peu comme se retrouver 13 ans en arrière, entre 1978 et 1991, lorsque nous avons discuté de toutes ces questions.

Nous parlons d'un troisième ordre de gouvernement. J'aimerais savoir ce dont il est vraiment question. On en a parlé dans les années 80 aussi. Parlez-vous d'un troisième ordre de gouvernement, c'est-à-dire le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et le gouvernement autochtone, dans tout le pays? Si c'est bien ce que vous dites, il s'agirait d'un ordre de gouvernement en vertu de la Constitution, mais il ne s'y trouve pas. Dites-vous que c'est votre droit inhérent, donc qu'il existe de toute façon, et qu'il n'a pas à être inscrit dans la Constitution?

M. Twinn : Je soutiens que cela fait déjà partie de la Constitution.

Le sénateur Buchanan : Pourquoi?

M. Twinn : Nos droits inhérents sont protégés par l'article 35. Ce sont des droits qui nous ont été donnés par le Créateur, c'est-à-dire le droit de nous gouverner et de décider qui nous sommes.

Le sénateur Buchanan : Je ne veux pas me disputer avec vous, mais j'aimerais être réaliste; je ne suis pas en train de dire que vous n'avez pas ce droit inhérent en tant que Premières nations. Ce que je dis c'est plutôt que ce n'est pas reconnu par les membres de la Constitution du Canada, c'est-à-dire, les gouvernements fédéral et provinciaux.

M. Twinn : Je ne suis pas d'accord. Ça a été reconnu; mais non défini. On m'a déjà dit que l'article 35 est une boîte vide. Cependant, il n'est pas du ressort du gouvernement fédéral ou des gouvernements provinciaux de décider ce que sont ces droits inhérents. Ils ont été donnés aux Premières nations par le Créateur et c'est aux Premières nations de décider ce que sont ces droits.

Le sénateur Buchanan : Est-ce que les diverses Premières nations ont établi ce que sont ces droits?

M. Twinn : Oui, nous l'avons fait. Le problème, cependant, c'est que le gouvernement du Canada n'a aucun mécanisme pour le reconnaître. Il n'a pas de politique, il n'a pas de loi. Le projet de loi S-16 est le mécanisme permettant aux gouvernements fédéral et provinciaux de reconnaître cet ordre de gouvernement.

Le sénateur Buchanan : Monsieur Twinn ou monsieur Littlechild, selon vous, est-ce que le projet de loi S-16 change la Constitution du Canada?

M. Twinn : Pas du tout.

M. Littlechild : Bon, sénateur Buchanan, moi aussi j'étais là en 1978, en 1980 et en 1983, pendant tout le processus. Je dirai ceci : Le problème fondamental, et la raison pour laquelle les conférences des premiers ministres ont échoué, c'est qu'il y a cette différence d'opinions comme vient de le décrire le chef. Un groupe disait que la boîte était vide et l'autre qu'elle était pleine. Ceux qui voyaient la boîte comme étant vide disaient : « Vous les Indiens, ou les Premières nations, n'avez pas droit à l'autonomie gouvernementale sauf si on vous l'octroie, si on vous le délègue. C'est un droit éventuel. »

Mon peuple dit que nous ne sommes pas d'accord, très respectueusement, parce que dans ma langue, le cri..

[M. Littlechild parle en cri.]

En d'autres mots, la boîte est pleine, et non vide.

Je crois que c'est là où les choses ont bloqué en 1980, si je peux me permettre cette observation. C'était dû à une divergence d'opinions quant à la source de ce droit de gouverner, certains disent qu'on ne l'a que s'il nous est délégué, et nos aînés et nos chefs nous disent que non, que nous l'avons déjà. Ce qui manque c'est la reconnaissance que le droit existe.

Le sénateur Buchanan : Est-ce que je peux faire une observation? Vous avez tout à fait raison en ce qui a trait à la reconnaissance qui se trouve dans la Constitution, parce que vous vous souvenez peut-être qu'il y a eu beaucoup de discussions en 1979, 1980 et 1981 sur les articles, et quant à savoir si l'article 35 devrait inclure les droits issus des traités, et cetera, et spécifiquement le droit à l'autonomie gouvernementale. Cette discussion a eu lieu très souvent, et il a été décidé que ces mots ne seraient pas inclus dans l'article 35. Il y avait une bonne raison à cela parce que, même si certains des premiers ministres n'étaient pas d'accord, ils ont finalement convenu que ces mots ne devaient pas s'y trouver, et c'est la raison pour laquelle ils n'y figurent pas.

Je comprends ce que vous dites; quant à savoir si l'expression « l'autonomie gouvernementale » se retrouve spécifiquement dans l'article 35, vous dites que ça fait partie de l'article 35; en fait ça faisait partie de la discussion à l'époque et l'on a décidé de ne pas inclure ces mots dans l'article 35.

J'aimerais vous poser la question suivante : Mis à part le projet de loi S-16, un excellent projet de loi parrainé par un homme remarquable, croyez-vous qu'il devrait y avoir une autre conférence constitutionnelle fédérale-provinciale qui porterait strictement sur cette question de l'autonomie gouvernementale pour les Premières nations du Canada? Devrions-nous, une fois pour toutes, régler cette question en amendant la Constitution pour stipuler qu'il y a un troisième ordre de gouvernement, c'est-à-dire l'autonomie gouvernementale pour les peuples autochtones du Canada?

M. Littlechild : Il n'est peut-être pas nécessaire d'avoir une autre conférence des premiers ministres. Je dis cela parce que, si le projet de loi répond à l'objectif visé, c'est-à-dire s'il reconnaît l'existence de l'autonomie gouvernementale pour les Premières nations, alors il devrait suffire.

Le sénateur Buchanan : Vous oubliez un aspect important. Si ce projet de loi fait ce qu'il doit faire comme vous le dites, alors je suis d'accord. Cependant, les premiers ministres et je repense à ma vie antérieure en tant que premier ministre pendant 13 ans, n'ont-ils pas leur mot à dire dans tout ceci? Ils l'avaient lors de toutes les conférences auxquelles vous et moi avez assisté.

M. Littlechild : Nous croyons que le gouvernement maskwacis cris est un gouvernement issu d'un traité. Nulle part dans le Traité 6 est-il inscrit que nous avons abandonné notre droit à l'autonomie gouvernementale. C'est un droit issu d'un traité qui est confirmé par l'article 35.

Le sénateur Buchanan : Est-ce que le traité mentionne précisément « l'autonomie gouvernementale »?

M. Littlechild : Je mets au défi n'importe quel avocat au Canada, à la télévision, de me montrer où il est inscrit dans le traité no 6 que nous avons renoncé à notre droit à l'autonomie gouvernementale.

Le sénateur Buchanan : Est-ce que c'est énoncé spécifiquement? Encore une fois, je reconnais que l'autonomie gouvernementale aurait dû être incluse il y a longtemps; mais dans le Traité 6, y a-t-il un libellé qui indique que ce traité englobe le droit inhérent des Premières nations à l'autonomie gouvernementale?

M. Littlechild : Ça ne se trouve pas dans le libellé. Dans ma langue il existe une expression. Si je comprends bien, ça se retrouve aussi dans les principes de droit international régissant les traités, une expression selon laquelle si l'on ne renonce pas à un droit en vertu d'un traité, on le maintient. Une des choses que nous avons maintenue en tant que Cris c'est le droit à l'autonomie gouvernementale. On ne l'a jamais cédé. On l'a gardé.

C'est pour cela que vous n'allez pas trouver ces termes précisément dans le libellé, mais ça ne veut pas dire qu'il n'existe pas.

Le sénateur Buchanan : Est-ce que cela n'est pas justement le nœud de la discussion qui a eu lieu dans les années 1980?

M. Littlechild : Si, mais il faut se dire que certains des aînés dans ma communauté sont très fiers d'une autre chose, c'est-à-dire que les Cris maskwacis, en tant que communauté, ont une constitution écrite, qui a été rédigée avant que le Canada n'ait sa propre Constitution — en d'autres mots, avant le rapatriement de la Constitution. En fait, nous avons une constitution écrite, mais il y a aussi des choses que nous avons décidé de ne pas écrire. Donc, si ce projet de loi exige que nous ayons une constitution, nous en avons déjà une; ma réserve en a déjà une depuis 1980. Auparavant, bien sûr, nous avions la constitution non écrite.

Je vous dis ceci, parce qu'il est frustrant, comme l'a dit le chef, d'avoir à comparaître de nouveau après tant d'années passées à traiter de cette question. Je suppose que le problème fondamental c'est la divergence d'opinions en ce qui a trait à notre droit de nous gouverner, et à la source de ce droit. Nous disons que ce droit est issu de traités et qu'il est confirmé dans l'article 35. Vous ne pouvez pas nous prouver que nous y avons renoncé, donc il s'y trouve. Tout ce qu'il faut que vous fassiez c'est de reconnaître son existence.

Le président : Est-ce que je peux vous demander de conclure, parce qu'il faut activer? Nous avons encore deux autres groupes de témoins à entendre.

Le sénateur Buchanan : J'ai rarement beaucoup à dire.

Le président : Je veux vous remercier, monsieur Littlechild, le chef Twinn et madame Laboucan. Malheureusement, nous ne pouvons plus tarder. Merci beaucoup d'être venus à Ottawa de si loin.

Le sénateur Buchanan : J'ai encore une question pour M. Littlechild. Vous avez mentionné les Nations Unies et je suis très au courant des Nations Unies. Quelle est la situation aux États-Unis en ce qui a trait à l'autonomie gouvernementale des diverses Premières nations de ce pays?

M. Littlechild : En fait, selon moi c'est légèrement différent du point de vue législatif. Une des différences c'est qu'ils ont une loi qui traite de l'autodétermination. Il y a le Indian Self-Determination Act aux États-Unis, donc leur approche est différente. Il y a, par exemple, le Indian Child Welfare Act et le Indian Education Act; donc leur approche est différente.

Le sénateur Buchanan : Sont-elles toutes des lois fédérales?

M. Littlechild : Oui. Ce qu'il faut savoir relativement aux questions qui ont été posées précédemment, c'est que l'an dernier lors de la réunion de l'Organisation des États américains, le gouvernement américain a proposé qu'on amende l'article 20, que j'ai mentionné lorsque je parlais d'autonomie gouvernementale, pour y ajouter le concept d'appartenance. C'était une proposition très significative.

Le sénateur Buchanan : L'autonomie gouvernementale dont vous parlez n'existe pas aux États-Unis.

Le sénateur St. Germain : Si, elle existe et elle existe ici chez les Nisga'as et les Sechelt.

Le sénateur Buchanan : Vous savez très bien que dans le cas des Nisga'as, c'est contestable, mais je réserve ce débat pour une autre fois.

M. Littlechild : Permettez-moi d'ajouter une toute dernière chose. Je ne sais pas dans quelle mesure ça serait possible, mais je me permettrais de dire que je devrais peut-être comparaître à nouveau devant le comité.

Le président : Si nous traitons à nouveau d'autonomie gouvernementale, nous vous rappellerons à titre d'experts. Merci de vos exposés.

Nous accueillons maintenant nos témoins de l'organisme regroupant les chefs du Sud, la Southern Chiefs' Organization. Chef Daniels, allez-y.

Le chef Robert Daniels, Southern Chiefs' Organization : Je m'appelle chef Robert Daniels et je représente la Première nation de Swan Lake régie par le Traité 1, située dans le sud-ouest du Manitoba à environ 180 kilomètres au sud-ouest de Winnipeg. C'est un honneur pour moi que de comparaître ce soir pour donner mon appui au projet de loi S-16. Je remercie l'aîné Dreaver de sa prière d'ouverture de la séance et les autres témoins de leurs exposés.

C'est en décembre 2004 que j'ai été élu à mon poste. Le 18 janvier 2005, le chef en conseil de notre nation a réaffirmé la position officialisée dans le Traité de 1871 qui veut que nous nous représentions. En effet, seul le chef en conseil peut parler au nom de la Première nation de Swan Lake pour ce qui est des traités ainsi que des relations et des droits qui y sont reconnus. Notre déclaration avait pour objet entre autres de réaffirmer la déclaration des Premières nations signée par l'ensemble des Premières nations au Canada en 1981. On a ainsi fait savoir aux différentes organisations politiques qu'elles ne peuvent nous représenter en matière de traités, de relations et de droits découlant des traités.

Depuis le 18 janvier, nous avons reçu des résolutions favorables à notre position de la part de toutes les organisations politiques qui nous avaient représentés auparavant à propos de nos traités : la Southern Chiefs' Organization, l'Assembly of Manitoba Chiefs, ou Assemblée des chefs du Manitoba et l'Assemblée des premières nations. Nous avons adopté cette position parce que nous négocions actuellement nos droits fonciers issus de traités, c'est-à-dire des accords de revendications territoriales — au Manitoba. Nous avons acheté toutes nos terres par le biais de l'accord de règlement des droits fonciers issus des traités et, à ce jour, nous n'avons converti aucune terre.

Nous avons choisi de donner notre appui au projet de loi S-16 parce qu'il nous permettrait d'éviter les négociations et les recours en justice coûteux auxquels on a dû avoir recours pour faire reconnaître nos droits fonciers issus de traités. C'est pour cela que nous donnons notre appui au projet de loi ce soir. Pour une raison inconnue, les autres parties ne comprennent pas l'aspect règlement de notre accord. Il s'agit d'un accord de règlement de droits fonciers issus des traités et, à ce jour, nous n'avons pas pu régler la problématique des terres converties en réserves. C'est une autre raison qui nous a poussés à donner notre appui au projet de loi.

J'aimerais que les sénateurs sachent que j'ai fait un effort en mars, du 29 au 31, lors de l'assemblée spéciale des chefs de l'Assemblée des Premières nations sur les gouvernements des Premières nations à Vancouver, en Colombie- Britannique. J'ai demandé à la greffière du Sénat d'envoyer des exemplaires du projet de loi S-16 à l'Assemblée, ce qui a été fait. J'ai donc pu remettre un exemplaire à chacun des chefs. Nous voulions adopter une résolution pour donner notre appui au projet de loi S-16 à l'Assemblée, mais on nous a fait savoir qu'il serait plus judicieux de ne pas la proposer et de la retirer puisqu'elle serait proposée lors de l'assemblée de l'APN à Yellowknife en juillet. Nous proposerons donc une autre résolution à l'appui du projet de loi S-16 lors de l'assemblée générale en juillet à Yellowknife.

Je tiens à ce que l'on sache que les consultations ont suscité certaines inquiétudes mais que tous les efforts ont été déployés par les protagonistes du projet de loi S-16 pour que toute Première nation s'intéressant au projet de loi comme solution permettant d'éviter les recours en justice et la négociation, puisse en obtenir un exemplaire pour en connaître le contenu. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour nous en assurer. Nous n'étions pas obligés de mener des consultations, mais nous avons fait tout notre possible pour faire connaître l'existence du projet de loi et pour faire comprendre que nous avons tous le droit d'y apporter des changements ou des ajouts. Je voulais le dire officiellement.

Le 8 mars, j'ai participé aux audiences du Sénat sur le projet de loi C-20. J'ai donné à la greffière du comité un document faisant état de la position de la Première nation de Swan Lake en matière de traités.

Nous avons adopté notre position en partie parce que lorsque nous négocions nos droits fonciers issus des traités la politique du gouvernement fédéral en matière « d'ajouts aux réserves » a vraiment posé problème à notre nation. Il y a des tierces parties qui semblent penser qu'elles ont un statut supérieur à celui des Premières nations signataires d'un traité; en effet les municipalités semblent penser qu'elles peuvent mettre leur veto à nos accords des règlements territoriaux et qu'elles devraient avoir les droits de zonage concernant les terres qui doivent être converties en réserves.

On a posé des questions ce soir sur le chevauchement des compétences ou les pouvoirs concurrents entre les gouvernements provinciaux et fédéral. On ne sait pas trop pourquoi, mais les municipalités semblent penser qu'elles ont plus de pouvoirs que nous.

De plus, en vertu de la politique « d'ajouts aux réserves » qui existe actuellement, le gouvernement fédéral a insisté pour que le transfert des terres à la Première nation de Swan Lake n'entraîne pas de coûts. Je ne sais pas d'où vient cette politique. On nous dit qu'elle a été décidée à la suite de consultations avec l'Assemblée des premières nations. Mais cela ne figure nulle part dans notre accord. C'est pour cette raison, entre autres, que nous donnons notre appui au projet de loi. Nous pensons qu'il s'agit d'une loi habilitante qui fera reconnaître notre droit inhérent à l'autonomie gouvernementale au sein de la Première nation de Swan Lake.

Nous avons également reçu des résolutions en faveur du projet de loi des huit Premières nations regroupées au sein du conseil tribal Dakota Ojibway qui soutenait déjà l'ancêtre du projet de loi S-16, c'est-à-dire le S-38. Ç'est depuis cette époque que nous donnons notre appui à ces projets de loi.

Nous avons également une résolution émanant de la Souther Chiefs' Organization, dont M. Chris Henderson est le grand chef et qui regroupe 36 Premières nations du sud du Manitoba.

Je pense qu'on a parlé de l'article 2 à la page 3 un peu plus tôt :

Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi... « terres autochtones » à l'égard d'une Première nation :

(b) les terres réservées aux Indiens de la Première nation au sens du point 24 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867...

J'aimerais vous signaler qu'il reste encore un certain nombre de revendications territoriales qui n'ont pas encore été réglées. Lorsqu'elles le seront, c'est-à-dire que lorsque les terres en question deviendront des réserves, elles seront régies par la loi à partir de ce moment-là. D'après ce que j'ai cru comprendre, c'est ainsi que le projet de loi s'appliquera.

Nous n'avons qu'une inquiétude par rapport au projet de loi. En effet, on semble permettre aux cours provinciales et fédérale d'appliquer les lois aux Premières nations en vertu de la Constitution. Ça veut dire que si un membre des Premières nations a décidé de ne pas poursuivre un malfaiteur, les cours fédérale et provinciales pourraient le faire. C'est la seule inquiétude qu'a soulevé le projet de loi. On a du mal à concevoir que les cours fédérale ou provinciales puissent interpréter nos lois au sein de notre nation. Il faudrait changer ou remanier le projet de loi pour s'assurer que cela ne puisse pas se produire.

La surveillance exercée par un organe fédéral de façon générale va à l'encontre des normes internationales qui appuient l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

En guise de conclusion, je dirais qu'une fois que notre conseil et nos membres auront eu le temps d'examiner le projet de loi et d'en discuter dans tous les détails avec ceux qui l'appuie, la Première nation de Swan Lake sera mieux placée pour proposer des améliorations ou des changements au projet de loi.

Au Manitoba, il y a l'Initiative d'accord cadre qui a été signée en 1984 et qui a coûté plus de 47 millions de dollars, je pense. Il s'agit d'un accord d'autonomie gouvernementale qui est entré en vigueur il y a 10 ans mais ce n'est que le mois dernier que les membres de notre bande ont pu examiner ce texte législatif, qui en fait n'en n'est pas un, puisqu'il s'agit d'un accord cadre signé au Manitoba. Ce n'est que le mois dernier que nos membres ont eu pour la première fois l'occasion de prendre connaissance de ce qui est devenu le reste de l'Initiative d'accord cadre.

À Swan Lake, nous avons décidé que nous voulions nous pencher sur toutes les initiatives, qu'il s'agisse de textes législatifs ou d'accords. Les membres de notre bande ont le droit de savoir ce que contiennent ces documents. Au bout du compte, ce sont eux qui vont ratifier toute entente qui sera conclue. C'est la position qu'a adoptée la Première nation de Swan Lake.

Je répète que nous sommes les seuls à pouvoir parler en notre nom et à nous représenter dans ces cas. Certaines décisions ont été prises naguère, que nous n'approuvons et dont nous nous ressentons encore aujourd'hui. Ça nous a coûté beaucoup d'argent pour faire reconnaître nos droits fonciers issus des traités. Nous avons dû payer plus de 2 millions de dollars de frais par suite des changements apportés à la politique qui ont des répercussions directes sur notre communauté.

Nous voulons que soient réparées les injustices dont nous avons été victimes. Que ce soit en matière de texte législatif ou de politique, nous voulons que ces torts historiques soient corrigés. C'est en partie pour cela que nous donnons notre appui au projet de loi S-16. Nous voulons qu'on rétablisse les droits dont a été privée la Première nation de Swan Lake. C'est en partie ce qui explique notre présence ici ce soir.

J'ai un mémoire que j'aimerais déposer, mais comme il n'est pas en français j'ai cru comprendre que c'était impossible, et je le ferai donc traduire.

Le sénateur St. Germain : Je propose que le mémoire du chef Daniels soit déposé intégralement. Je propose également que soit déposé le document de M. Littlechild. Il en a sauté des bouts car il n'a pas eu le temps de tout dire. Ce sont deux documents qui nous ont été remis ce soir et je propose qu'on les dépose si le président n'y voit pas d'inconvénient.

Le président : Est-ce que tout le monde est d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : Oui.

Le président : La motion voulant que les documents fassent partie intégrante du procès-verbal de notre comité est adoptée.

Chef Henderson, allez-y.

Le grand chef du sud Chris Henderson, Southern Chiefs' Organization : Merci beaucoup, honorables sénateurs, de m'avoir généreusement invité à comparaître devant le Comité permanent du Sénat sur les peuples autochtones.

Mon organisation représente 36 Premières nations du sud du Manitoba, notamment les Ojibways, les Dakotas et les Cris, soit environ 70 000 personnes qui habitent dans les réserves et à l'extérieur des réserves, dans le sud du Manitoba.

Comme l'a dit le chef Robert Daniels, de la Première nation de Swan Lake, une résolution favorable au projet de loi S-16 a été adoptée par les chef du sud le 23 mars 2005. Normalement, le comité aurait dû recevoir cette résolution. C'est le 23 mars que j'ai demandé de comparaître devant votre comité et que j'ai envoyé un exemplaire de cette résolution.

Avant de lire ma déclaration qui appuie le projet de loi, j'aimerais aussi déclarer que c'est un honneur de prendre la parole en faveur du projet de loi S-16. Je sais que dans ma vie antérieure, alors que je travaillais comme technicien pour l'ancien Grand chef Margaret Swan, j'ai effectivement eu l'occasion de rencontrer brièvement le sénateur St. Germain et de m'entretenir avec lui à quelques reprises à Fort Carleton au cours de la cérémonie du Traité 6, ainsi qu'à Lockport au Manitoba.

La raison pour laquelle les chefs du sud du Manitoba ont décidé à l'époque d'appuyer le projet de loi S-16, c'est en réponse à la proposition du gouvernement libéral de modifier la Loi sur les Indiens à l'aide de l'ancien projet de loi C-7, connu sous le nom de Loi sur la gouvernance des Premières nations. À l'époque, un grand nombre de gens avaient demandé qu'elle était l'alternative. Quelle autre option pouvait-on offrir aux Premières nations? Bien entendu, il s'agissait du projet de loi S-16.

À l'époque, nous avons eu l'occasion d'examiner de près la teneur du projet de loi. L'un de ses aspects intéressants, c'est qu'il était facultatif; il n'était pas normatif; et surtout, il était le résultat d'une initiative prise par un membre des Premières nations, le défunt sénateur Walter Twinn.

En ce qui concerne notre analyse du projet de loi S-16, nous savons qu'il s'appliquera uniquement aux collectivités des Premières nations reconnues, ayant une assise territoriale; il prévoira un processus qui permettra à une collectivité des Premières nations de s'assujettir à ses dispositions en suivant les étapes énoncées, et il reconnaît que les Premières nations ont compétence pour le faire. Il signale également que la question et la proposition doivent faire l'objet d'un référendum, y compris une constitution qui doit être soumise à l'approbation des électeurs. La constitution doit prévoir l'obligation de rendre des comptes et les limites du pouvoir de légiférer des gouvernements des Premières nations.

Les terres des Premières nations portent le nom de terres autochtones. Elles comprennent les réserves, les terres dont la Première nation était propriétaire ou qu'elle a acquises avant son assujettissement au texte et qui sont siennes par déclaration du gouverneur en conseil; les terres cédées en vertu d'un traité, les terres obtenues à la suite d'une revendication territoriale confirmées par un règlement, négociées ou non; et les terres acquises par la Première nation — même après son assujettissement au texte, à titre d'indemnité d'expropriation.

Le projet de loi reconnaît la compétence législative de la Première nation, dans les limites que lui impose sa Constitution et dans certains domaines précis, et concilie ce pouvoir avec celui exercé par les gouvernements fédéral et provinciaux. La constitution restreint les domaines de compétence de la Première nation et le pouvoir de légiférer de celle-ci est limité de plusieurs façons, dont les suivantes :

1. Il ne vise que les terres de la Première nation, sauf pour certaines régions spécifiques.

2. Il est subordonné aux lois fédérales visant un objectif législatif impérieux compatible avec le rapport fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones.

3. Il peut être limité par sa constitution.

4. Il est strictement encadré dans certains domaines, tel que l'environnement.

5. Les peines susceptibles d'être imposées aux contrevenants sont limitées.

Le projet de loi S-16 comprend un projet de constitution, mais une constitution différente peut être adoptée en autant qu'elle soit conforme au projet de loi et traite des questions nécessaires.

Cela présente certains avantages : tout d'abord, la Première nation a la compétence exclusive d'appliquer ses lois en matière d'accusations et de poursuites des contrevenants. Deuxièmement, le projet de loi décrit la relation entre la Première nation et la province dans laquelle elle est située. Troisièmement, il prévoit également la gestion des terres et des finances de la Première nation. Quatrièmement, le projet de loi S-16 pourra permettre, comme on le voit dans l'ensemble du texte, de s'attaquer aux injustices et de redresser les torts actuels et historiques et, surtout, de reconnaître, de rétablir et de mettre en œuvre les droits des Premières nations, qui ont été supprimés et niés.

Le projet de loi offre certaines directives et déclarations utiles, que nos Premières nations voudront peut-être incorporer dans leurs futurs accords d'autonomie gouvernementale ou dans des lois de reconnaissance de l'autonomie gouvernementale. Certains des paragraphes du préambule sont intéressants et pourraient s'avérer utiles dans le cadre de débats et de négociations à l'avenir.

1) Attendu que la Proclamation royale de 1763 reconnaît que des peuples autonomes étaient déjà installés en territoire canadien avant l'arrivée des Européens;

2) que l'histoire démontre que Sa Majesté a établi des rapports de droit avec certaines nations, tribus et collectivités indiennes;

3) que ces rapports n'étaient pas fondés sur la conquête;

4) que le Canada se verrait renforcé par des rapports renouvelés avec les Premières nations qui permettraient de concilier la souveraineté du Canada avec l'autodétermination et l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones.

Voici certains autres aspects qu'il faudrait peut-être envisager dans le cadre de l'avant-projet de loi actuel :

Tout d'abord, déterminer l'appartenance et le statut. L'un des principes fondamentaux en fonction duquel on bâtit une nation, c'est la nécessité de déterminer qui sont ses citoyens ou ses membres. Pendant longtemps, le gouvernement fédéral a refusé ce principe aux Premières nations au Canada. Si l'objet du projet de loi est d'assurer la reconnaissance par la Couronne de l'autonomie gouvernementale des Premières nations, il faut alors que cette question soit abordée de façon plus approfondie dans le projet de loi actuel. Les Premières nations qui acceptent d'adhérer à cette entente doivent être autorisées à déterminer leur propre citoyenneté.

Deuxièmement, en ce qui concerne la constitution des Premières nations, il faut se pencher sur le rôle du vérificateur général dans l'élaboration des constitutions des Premières nations. Telles qu'elles sont libellées dans le projet de loi, les exigences de la part de ce bureau gouvernemental sont assez paternalistes. De plus, bien que l'on exige du vérificateur général qu'il donne uniquement son avis, nous ne voulons pas que cet avis devienne une condition préalable par le biais d'une convention législative ou parlementaire.

Troisièmement, en ce qui concerne les membres des Premières nations qui vivent en dehors des réserves. Tout nouveau développement ou avantage devra être applicable aux membres des Premières nations qui vivent en dehors des limites de la réserve. Il n'est pas rare, chez un grand nombre de Premières nations, qu'une énorme proportion de leurs membres vivent en dehors de la réserve. Souvent, il s'agit d'une nécessité que ce soit pour faire des études, ou à cause des pénuries de logements, des taux de chômage élevés et de l'absence de tout débouché économique concret pour les Premières nations. Il faut que l'élaboration et l'harmonisation des lois tiennent compte de cette situation.

Quatrièmement, la Loi sur les Indiens est restrictive et destructive. Elle contrôle de trop nombreux aspects de nos vies; elle est discriminatoire, paternaliste et dans l'ensemble, c'est un texte de loi raciste. Il faut éliminer la nécessité de demander l'approbation ministérielle pour répondre aux besoins locaux des Premières nations. Les lois internes d'une nation n'exigent pas l'approbation du représentant d'une autre nation. Cela va de façon flagrante à l'encontre de l'objectif du projet de loi.

Cinquièmement, les frustrations que suscite la bureaucratie. Les rapports que sont tenues de remplir les Premières nations pour recevoir le financement de leurs programmes sont trop nombreux. Cette obligation est fastidieuse et a souvent pour résultat de priver les Premières nations de financement ou de les pénaliser. Dans bien des cas et des situations, les renseignements demandés par les ministères sont des renseignements qui existent déjà dans le système actuel — par exemple, des statistiques concernant le logement ou les études — et souvent ces rapports doivent être présentés chaque année, même si le ministère est tout à fait au courant de l'absence de développement remontant à l'année précédente.

Cela conclut ma déclaration en faveur du projet de loi S-16. Une fois de plus, nos chefs du sud m'ont chargé de m'exprimer en faveur du projet de loi et c'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui.

Le sénateur St. Germain : Je me souviens de nos réunions à Lockport, chef Henderson. Les aspects qui nous préoccupaient étaient le vérificateur général et la citoyenneté. La citoyenneté est un aspect avec lequel nous nous sommes débattus au cours de la préparation du projet de loi. C'est la raison pour laquelle je tenais à ce que vous formuliez de fermes recommandations devant le comité à propos de ces deux aspects. Nous avons prévu une disposition concernant le vérificateur général afin qu'il donne uniquement son avis. J'espère que cela ne deviendra pas un aspect paternaliste du processus. Le comité veut confier ce rôle à une personne qui personnifie la responsabilité. Quant à savoir s'il s'agissait d'une mesure appropriée, elle n'a pas été prise pour offenser les peuples autochtones.

Nous examinerons les amendements que vous avez proposés et qui pourraient peut-être améliorer le projet de loi. Si vous avez d'autres recommandations à faire qui à votre avis permettraient d'améliorer le projet de loi pour nos peuples autochtones et leur permettre de mieux affirmer leurs droits inhérents à l'autonomie gouvernementale, nous vous serons reconnaissants de votre contribution.

Les personnes qui ont travaillé à ce projet de loi m'ont demandé d'apporter un éclaircissement. Le paragraphe 91.24 prévoit que le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer au nom des peuples autochtones. Le projet de loi S-16 est une loi proposée par le gouvernement fédéral au nom de nos peuples autochtones afin qu'il puisse reconnaître que les peuples autochtones possèdent déjà le droit à l'autonomie gouvernementale.

Il s'agit d'un aspect controversé, complexe et souvent difficile à comprendre. Il est important de savoir que le gouvernement a le droit de légiférer, et c'est une raison pour laquelle nous nous efforçons de proposer une loi qui fonctionnera.

Je tiens à vous remercier tous deux de vos exposés. Peut-être que d'autres sénateurs ont des questions ou des commentaires.

Le sénateur Peterson : Chef Daniels, dans votre exposé, vous avez dit que les droits fonciers issus de traités n'entraînent pas de coûts. Que voulez-vous dire par cela?

M. Daniels : Cela signifie qu'une consultation a eu lieu il y a quelques années avec des organisations politiques qui prétendaient représenter les Premières nations. Habituellement, une consultation a lieu à Ottawa et nous n'en entendons parler que des mois plus tard. Le chef en conseil finira par apprendre qu'une consultation a eu lieu entre des gens à Ottawa et qu'une politique a été modifiée.

La politique sur les ajouts aux réserves a été modifiée et on y a ajouté l'expression « sans entraîner de coûts ». Cette expression n'était pas utilisée auparavant. Autrement dit, nous avons acheté les terres qui étaient conformes aux droits fonciers issus de traités, et dans une période de 90 jours, ces terres étaient censées recevoir le statut de réserve. Une fois qu'elles l'auront obtenu, le Canada stipule qu'elles ne devront entraîner aucun coût pour le gouvernement fédéral.

Ce n'est pas ce qui a été conclu dans le cadre de notre accord. L'accord stipule que nous avons droit à tous les autres programmes une fois que les terres ont reçu le statut de réserve. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Peterson : Oui.

Le président : Y a-t-il d'autres questions pour les témoins?

Le sénateur Watt : Je n'arrête pas d'entendre un écho. Il est un peu insultant pour nous d'entendre des gens qui parlent de « nos peuples autochtones ». Nous ne sommes la propriété de personne. J'aimerais revenir à l'argument que je tâchais de faire valoir plus tôt. Nous parlions d'avoir notre propre instrument et de pouvoir l'utiliser pour élaborer des lois pour nous-mêmes et pour personne d'autres. Nous ne voulons aucune ingérence extérieure de la part des gouvernements fédéral et provinciaux dans ce processus, si je comprends bien ce que l'on dit.

Nous devrions être préoccupés par les lois d'application générale. Les gouvernements provinciaux habituellement adoptent des lois d'application générale sur la façon dont nous devons nous comporter. Il existe aussi une loi fédérale qui traite des normes. Parfois, nous sommes touchés par les lois fédérales lorsque l'on part du principe qu'une loi convient à tous, non seulement aux peuples autochtones mais aussi aux peuples non autochtones qui vivent en dehors de la ville.

Comment réagissons-nous à de telles lois? Si nous finissons par avoir nos propres institutions gouvernementales avec des pouvoirs clairement énoncés, c'est alors notre droit inhérent conformément à l'article 35. Devrions-nous partir du principe qu'il faudrait également mettre fin à l'élaboration de lois par le gouvernement fédéral si nous ne voulons pas d'ingérence d'un autre gouvernement? Parallèlement, il faudra que cela soit validé en droit par le gouvernement fédéral pour que nous puissions fonctionner au même niveau.

J'aimerais que vous commentiez ces deux aspects. Je crois que c'est le nœud du problème. Je voulais en parler avec M. Littlechild, mais l'occasion ne s'est pas présentée. Existe-t-il une autre façon de procéder? J'optais pour cette orientation parce que j'ai travaillé au gouvernement pratiquement toute ma vie. J'ai 61 ans et je suis au Sénat depuis 21 ans. Je ne crois pas que l'on s'occupera de la question de nos droits, même s'ils sont prévus dans la loi suprême du Canada, à l'article 35 de la Constitution.

Le gouvernement hésite à mettre en œuvre l'article 35. Nous devons trouver un moyen de l'inciter à le faire. C'est un avantage pour le gouvernement mais c'est également un avantage pour nous. En ce qui me concerne, c'est une question qui n'a toujours pas été réglée.

J'étais l'un des principaux négociateurs en 1982. Certaines personnes ici présentes savent que nous en avons traité. Le sénateur Buchanan en a parlé. Il nous reste encore beaucoup de travail à faire. Je ne suis pas tout à fait sûr de l'utilité du projet de loi S-16 s'il ne donne pas suite à la question de l'article 35. Nous risquons de rater le coche. Comment pouvons-nous améliorer le projet de loi S-16? J'ai appuyé le projet de loi lorsqu'il a été présenté au Sénat parce que je considère valable la notion de pouvoir formuler une loi habilitante comme une coquille vide.

Le sénateur St. Germain : Sénateur Watt, si vous me permettez de citer Stanley Knowles : « Courage, mes amis; il n'est pas trop tard pour construire un monde meilleur ».

Le président : Est-ce que l'un de vous souhaite répondre à la question?

M. Daniels : Je ne sais pas au juste si vous faites allusion à l'article 88 de la Loi sur les Indiens; est-ce ce dont vous parlez?

Le sénateur Watt : Je ne parle pas de quoi que ce soit en particulier, mais plutôt de l'attitude du gouvernement et du fait que certains textes de loi se trouvent non pas à nous aider mais à nous nuire. C'est là où je veux en venir.

M. Daniels : Il existe une disposition à la page 22 du projet de loi, aux alinéas 34(1)a), b) et c), qui donne suite à ces préoccupations.

Le sénateur Watt : Voulez-vous nous en donner les grandes lignes? Je n'ai pas le texte sous les yeux.

M. Daniels : Oui, le paragraphe 34(1) se lit comme suit :

34. (1) Sauf disposition contraire de la présente Loi, les lois provinciales d'application générale s'appliquent à la Première nation reconnue, sauf dans la mesure de leur incompatibilité avec :

a) les traités, les droits — ancestraux ou issus de traités — et les accords sur les revendications territoriales qui la touchent;

b) les textes législatifs et de la constitution de la Première nation reconnue;

c) la présente Loi et toute autre Loi du Parlement.

Le sénateur Watt : Comment cela s'appliquera-t-il dans la pratique?

Le sénateur St. Germain : C'est comme pour le reste. Cela étant inscrit dans la loi, faut donc espérer qu'ils respecteront la loi telle qu'elle est libellée.

M. Daniels : À l'heure actuelle, le statu quo c'est la Loi sur les Indiens, et cela ne fonctionne pas.

Le sénateur St. Germain : C'est exact.

Le sénateur Watt : Êtes-vous en train de dire que cette loi s'appliquera aux Premières nations; est-ce ce que vous êtes en train de dire?

Le sénateur St. Germain : Sauf disposition contraire.

Le sénateur Watt : Cela signifie qu'il faudrait tenir compte de ce qui s'applique et de ce qui ne s'applique pas, si on parle de pouvoirs, et des pouvoirs dont on héritera des institutions établies par la Loi sur les Indiens.

Le sénateur St. Germain : Le paragraphe indique :

... sauf dans la mesure de leur incompatibilité avec :

a) les traités, les droits — ancestraux ou issus de traité — et les accords sur les revendications territoriales qui la touchent.

Le sénateur Watt : L'article 35 ne fait pas partie de la Charte des droits et libertés. La Charte des droits et libertés risque d'être incompatible avec les droits ancestraux prévus à l'article 35. C'est l'une des raisons pour laquelle nous avons une clause de non-dérogation, l'article 25. Il aurait fallu que l'on examine de plus près cette question, si nous ne voulons pas que cela devienne un obstacle en bout de ligne.

M. Daniels : On traitera de ces pouvoirs dans les constitutions que nous établirons dans le cadre du projet de loi.

Le sénateur Watt : J'en resterai là. Nous pourrions peut-être revenir là-dessus une autre fois pour déterminer si nous pouvons y apporter une amélioration quelconque. Je ne suis pas ici pour détruire ce que vous avez fait et présenté ici jusqu'à présent. Je veux contribuer à faire en sorte que le travail du comité devienne efficace dans la pratique.

Le sénateur St. Germain : Nous travaillerons avec nos rédacteurs pour apporter des éclaircissements à votre intention.

Le président : Je tiens à remercier nos témoins, les chefs Henderson et Daniels. Auriez-vous une dernière remarque à faire?

M. Daniels : Le protocole des Premières nations veut que normalement ce sont les aînés qui prennent la parole en premier. Je me suis senti mal à l'aise ce soir car j'ai parlé avant eux. Je pensais qu'on respecterait l'ordre de préséance et que nos aînés parleraient avant nous. Comme il est tard, on ne leur accorde pas beaucoup de temps pour dire ce qu'ils ont à dire. Peut-être à l'avenir on pourrait veiller à ce que les aînés soient les premiers à prendre la parole.

Le président : Merci de nous signaler cela. Je suis du Grand-Nord et là-bas on accorde énormément de respect aux aînés. En général, ce sont eux qui ouvrent les réunions par une prière suivie de leurs commentaires. C'est ça la pratique dans ma région. Je regrette que nous n'ayons pas procédé de cette façon ici ce soir. Merci de nous l'avoir signalé. Nous ne l'oublierons pas à l'avenir.

Nous allons maintenant donner la parole à l'aîné et nous ferons de notre mieux pour le mettre à l'aise pour faire son exposé.

[Interprétation]

William Dreaver, aîné, témoignage à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de vous adresser la parole.

J'ai souvent écouté les aînés depuis que je suis enfant. J'ai entendu beaucoup d'aînés parler de l'époque où les traités ont été négociés. La Reine, avec qui nous avons négocié ces traités, ne nous a jamais donné ces terres. A l'époque, les gens les ont gardées pour eux.

Beaucoup de négociations de ces traités avantageaient nos interlocuteurs car eux savaient lire et écrire. J'écoute les aînés depuis que je suis enfant. Je ne sais ni lire ni écrire, mais grâce à nos traditions orales et nos enseignements, je me souviens de beaucoup de choses dont ils ont parlé.

On a assisté à la mise en place de beaucoup de gouvernements depuis cette époque. Les Blancs ont bénéficié beaucoup plus des traités, parce que tout a été fait comme eux l'entendaient et dans leur langue à eux.

Au moment où les traités ont été négociés, d'après ce que les aînés ont dit par le passé, les terres qu'on leur donnait devaient suffire uniquement aux fins de l'agriculture. On leur prêtait des terres uniquement à cette fin. De nos jours, on constate qu'ils ont pris toutes les terres, pas seulement celles qui avaient été négociées dans les traités par les aînés et leurs interlocuteurs.

Quant aux recettes provenant des négociations de ces terres, nous n'en n'avons jamais vraiment reçues. Les provinces n'existaient pas au moment où les traités ont été négociés. Tous ceux qui ont participé aux négociations des traités auraient dû en bénéficier, car l'entente a été conclue avant que les provinces n'existent.

En ce qui concerne les créatures vivantes, comme les animaux, les aînés ont dit que les animaux n'ont jamais été cédés à quelque gouvernement que ce soit. Ils représentaient le gagne-pain de notre peuple, donc les membres des Premières nations ont gardé ces choses-là pour eux, parce qu'ils en avaient besoin pour survivre. De nos jours, les Blancs les enferment dans des enclos partout au pays, et ils profitent de ces animaux. Ils ont enfermé des chevreuils et des wapitis dans des enclos et pourtant les aînés n'ont jamais cédé leur droit à ces animaux.

Je ne suis pas venu ici pour me disputer avec qui que ce soit, ni pour faire preuve d'un manque de respect pour qui que ce soit. Je suis venu simplement pour partager avec vous ce que j'ai retenu des propos tenus par les aînés au sujet de la situation actuelle. Les aînés parlent de ces questions depuis beaucoup d'années. Ce sont des choses qui sont transmises d'une génération à l'autre. Je n'ai jamais entendu un aîné dire que, à l'époque où les premiers Européens sont venus ici et ont négocié ces traités avec nos peuples, les Premières nations ont accepté de devenir la propriété des Européens. Nos peuples ont compris qu'il devait y avoir un partenariat et une entente juste de collaboration. Il ne s'agissait pas du tout de devenir la propriété de qui que ce soit.

Lorsque les aînés ont parlé des traités, ils disaient, si je les comprenais bien, que nous n'aurions pas dû payer des taxes selon les traités. Si je vous dis cela, c'est parce que j'y songe depuis longtemps. Je tiens à vous parler de ce que je ressens et de ce que je pense depuis longtemps.

[Langue autochtone]

[Anglais]

C'est quelque chose que j'ai toujours en tête, car je n'ai jamais appris à écrire. Cela fait partie de mon identité. Quand je parle trop, je me sers de cette langue empruntée, même je veux utiliser ma propre langue.

[Langue autochtone]

[Anglais]

Je me suis présenté comme chef. L'aîné m'a choisi comme candidat pour être chef à vie. J'ai été battu par quelqu'un qui était mon ami. Il est décédé il y a quatre ou cinq ans. Deux hommes se sont présentés au poste de chef à vie et l'un d'entre eux a été battu; l'autre sera membre du conseil avec les aînés. Aucune femme ne s'est présentée cette fois-là; il n'y avait que des hommes. L'autre candidat était un ami à moi. Je n'ai même pas demandé l'aide de qui que ce soit pour diriger, car cet homme était mon ami et je lui faisais confiance. Il m'a battu, mais il est mort depuis. Je devais être conseillé à vie dans cette réserve; je n'en parle pas là-bas, mais les gens le savent.

Je sais parler votre langue un peu, mais je préfère vraiment parler la mienne. Peut-être de cette façon Dieu m'entendra. Nous parlons tous des langues différentes, mais mes aînés m'ont dit que nous sommes tous frères et sœurs; voilà ce que je voudrais vous dire.

J'ai travaillé d'arrache-pied toute ma vie. Mon père est mort en 1953, quand un tracteur s'est renversé. Une semaine avant il m'avait dit qu'il savait qu'il allait mourir. Je ne sais pas comment il le savait, mais il le savait, et il a été tué. Il m'a dit de continuer à travailler là où je vivais.

Je suis souvent venu à des réunions ici, mais je ne suis jamais venu auparavant dans cet édifice. Je crains pour ma famille, car il y a trop de choses qui se produisent. Il y a des années, s'il faisait beau quand on se levait, le temps restait beau toute la journée. Cela ne se passe plus comme ça.

Je peux utiliser votre langue. Je pense à moi et je pense à vous et je sais que nous sommes censés travailler ensemble. C'est Dieu qui est à l'origine de tout cela. C'est lui qui crée les langues pour nous tous. Quand je parle de ce que je vois dans la réserve, j'ai envie de pleurer. Il y a des lois qui régissent tout. Ce sont vos chefs et vous qui font ces lois. Les aînés m'ont parlé des lois que nous avions nous il y a des années. C'est ce que mon père m'a dit. Il faut qu'on essaie de travailler ensemble. Il faut que nous demandions l'aide de Dieu pour nous aider à travailler ensemble pour avoir un meilleur monde avec moins de maladies et d'autres mauvaises choses. Je ne sais pas ce qui va se passer à l'avenir. Qui va diriger le monde? J'ai peur. C'est tout ce que je vais vous dire. J'espère que vous me permettrez de vous parler de nouveau lors d'une future réunion. Voilà ce que je vous demande. Merci de m'avoir écouté.

Le président : Je vous remercie, monsieur William Dreaver et M. Marshall Dreaver. Je suis heureux que vous ayez pu nous livrer votre message. Il est important que le Parlement et la population écoutent ce que vous avez à dire. Il est souvent difficile, car vous parlez votre langue et votre connaissance de l'anglais est limitée, mais ça s'est très bien passé. Il est important que nous entendions tous les notions dont vous avez parlé. Je vous remercie d'être venus de si loin pour être parmi nous ce soir.

Seriez-vous prêt à répondre à nos questions?

M. Dreaver : Je vais essayer.

Le sénateur St. Germain : Monsieur le président, comme vous, je tiens à remercier William Dreaver et son fils, Marshall Dreaver et M. Littlechild de leur aide. J'ai fait la connaissance de M. William Dreaver à Fort Carleton il y a quelques années lors du 125e anniversaire du traité. Je sais quel genre de contribution M. William Dreaver a apporté à sa communauté. Il a les larmes aux yeux quand il parle des réserves à cause des conditions de vie de certains. Il est important que nous comprenions cela.

Au début l'aîné Dreaver a parlé des gens qui sont couverts par le Traité 6. Il a dit que le traité qui a été signé n'a pas été respecté. Les terres que les Premières nations avaient négociées à l'époque ne font plus partie de leurs terres à l'heure actuelle. Et pourtant ils n'ont jamais abandonné ces droits.

Il importe que des Canadiens voient à la télévision que ces gens ont été privés de leurs droits, des droits qui avaient été négociés de bonne foi. La force de l'aîné Dreaver c'est qu'il s'en souvient. Il se souvient de ce que les aînés avant lui ont dit, de ce que son père et son grand-père lui ont dit. Voilà l'essence même de ce processus.

Ce n'est ni de moi ne de personne d'autre qu'il s'agit dans le projet de loi S-16. Il s'agit plutôt de faire ce qu'il faut pour les peuples autochtones pour leur permettre d'occuper leur place légitime.

Pourquoi un aîné doit-il venir ici pour nous dire que lorsqu'il voit ce qui se passe dans les réserves, il a les larmes aux yeux? En tant que pays nous avons l'énorme responsabilité de nous assurer que ces gens occupent leur place légitime, avec ou sans le projet de loi S-16.

La présence de l'aîné Dreaver est importante cas elle permet d'informer la population canadienne de la situation réelle dans certaines réserves et sur les terres de traité en Saskatchewan et ailleurs au pays.

Je tiens à m'excuser auprès de l'aîné Dreaver du fait qu'il n'a pas figuré le premier sur la liste. On aurait dû faire preuve de plus de respect. Je tiens à vous remercier des prières que vous avez prononcées au début de la réunion.

Je n'ai vraiment pas de questions; mais je vous aime beaucoup parce que je sais ce que vous avez fait pour votre peuple. Je sais également à quel point vous êtes sincère quand vous dites que vous nous aimez tous.

Le sénateur Buchanan : Je suis d'accord avec le sénateur St. Germain pour dire que d'une certaine façon il est regrettable que l'aîné Dreaver n'ai pas été le premier à nous parler ce soir. Cependant, je pense qu'il n'y a pas de mal, car vous avez ouvert la réunion avec vos prières. C'est probablement plus important que tout ce dont nous avons parlé ce soir.

Deuxièmement, il est peut-être opportun que vous ayez pris la parole en dernier, parce que vous nous avez ramené aux réalités de la vie : la terre, l'histoire et la collaboration. Nous reconnaissons tous la sagesse de vos paroles.Tout ce que vous nous avez dit m'a beaucoup plu. Je répète que nous voulons vous remercier d'être venus.

Le président : Ceci met fin à nos travaux.

Ou voulez-vous nous aider en faisant une prière, aîné Dreaver? Si, avant d'aller se coucher, on pouvait conclure la réunion avec une prière, ce serait très bien et un bon exemple pour notre pays également. Quand nous travaillons, il faut aussi prier et remercier Dieu. Si vous voulez bien nous honorer d'une prière, nous allons tous nous lever pour conclure avec cette prière.

[Prière traditionnelle]

La séance est levée.


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