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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 13 - Témoignages du 28 octobre 2005


TSUU T'INA, ALBERTA, le vendredi 28 octobre 2005

Le Comité sénatorial des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour étudier, afin d'en faire rapport, la participation des peuples et des entreprises autochtones aux activités de développement économique au Canada.

Le sénateur Nick G. Sibbeston (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nos premiers témoins sont des représentants de Siksika Resource Developments Ltd., Clement Doore et Trent Blind. Bienvenue au Comité sénatorial des peuples autochtones. Vous pouvez commencer.

Clement Doore, président-directeur général, Siksika Resource Developments Ltd. : Bonjour à tous. Je suis heureux d'être ici ce matin. Mon nom est Clem Doore, je suis président-directeur général de notre entreprise et je suis accompagné de Trent Blind, notre directeur financier. J'imagine que vous avez reçu notre texte. Je ne le lirai pas en détail. On m'a dit que je ne disposais que de 10 minutes. Je prendrai cinq minutes et Trent en prendra cinq.

En 1997, le conseil de l'époque a examiné nos ressources naturelles sur la réserve, notamment le pétrole et le gaz, l'agriculture, le sable et le gravier, et pour faire une histoire courte, un comité a examiné les possibilités que présentaient ces ressources. À l'époque, il y avait déjà des entreprises qui exploitaient certaines de ces ressources naturelles. En 1997, le conseil a décidé de séparer les affaires et la politique. Comment est-ce que cela fonctionne? Le chef et le conseil sont des actionnaires, et ils nomment le conseil d'administration.

La Première nation Siksika se trouve à environ une heure à l'Est d'ici. C'est la deuxième plus grande réserve au Canada. Je pense qu'elle a une superficie de 178 000 acres. Nous appartenons à la Confédération des Pieds-Noirs qui comprend les Gens-du-Sang, la Nation des Péigans, les Pieds-Noirs au Montana et les Siksika.

L'administration compte 14 services. Dans la division de l'entreprise, nous avons les sociétés qui s'occupent des affaires. Les services administratifs comptent environ 600 employés. Dans la division des affaires, nous avons environ 40 employés. Cette division inclut Siksika Resource Developments Ltd., ou SRDL, la société mère qui regroupe un certain nombre de sociétés qui gèrent diverses entreprises.

La première chose que je voudrais mentionner est le système d'irrigation. Nous avons irrigué environ 5 000 acres jusqu'à présent, et il y a deux entreprises qui participent à ce projet. Une société a acheté les pivots d'irrigation grâce à un prêt bancaire, et la deuxième société loue à bail le terrain, ce qui permet de générer des recettes.

La deuxième entreprise est l'administration du bureau comme tel. Nous administrons l'immeuble, nous l'entretenons et nous le louons à bail, et une société s'occupe de cela.

La troisième entreprise à laquelle nous participons est une entreprise environnementale. Nous avons un projet conjoint avec deux sociétés de la région de Calgary pour des contrats environnementaux.

Le porte-étendard de notre entreprise est le pétrole et le gaz. Il y a beaucoup d'activités pétrolières et gazières sur la réserve Siksika, et il y a deux sociétés qui oeuvrent dans ce domaine.

Notre cinquième ligne d'activités est le sable et le gravier. Il y a une entreprise qui exploite cette ressource.

La sixième entreprise est un centre de villégiature de chalets d'été. Il y a environ 300 lots que nous avons loués à bail dans les années 70, et le bail doit être renouvelé en 2013.

Nous participons à des projets conjoints. La société pétrolière et gazière a des projets conjoints avec environ six sociétés ici à Calgary, et nous avons une participation directe dans ces six sociétés qui varient entre 25 p. 100 et 50 p. 100. Nous avons également une entreprise conjointe dans le sable et le gravier. Il y a une société ici à Calgary avec laquelle nous travaillons. Du côté environnemental, nous avons des entreprises conjointes avec deux sociétés.

Dans notre mémoire, nous donnons notre énoncé de vision, notre énoncé de mandat. En 1997, le conseil de l'époque avait des buts et des objectifs. Le premier objectif qu'il a établi pour nous, la division de l'entreprise, était d'accroître les revenus nets. Nous sommes très conscients que les paiements de transferts que nous recevons du gouvernement fédéral diminuent à chaque année. Entre temps, la population croît, de sorte que nous devons supplémenter le budget. Le deuxième objectif était de maintenir une entreprise viable à long terme ou une stratégie d'investissement que nous pourrions utiliser pour gérer nos entreprises. Le troisième objectif était d'offrir des perspectives d'emploi dans tous ces domaines ou dans tous les projets conjoints que nous avons négociés. Le quatrième objectif était de commencer à développer une économie avec une base solide.

Les actionnaires sont notre chef et le conseil et ils nomment un conseil d'administration. Sur le conseil d'administration, il y a le comité de vérification, le comité d'investissement et le comité exécutif.

Dans notre mémoire, il y a un chapitre qui parle de la politique de partenariat que nous utilisons. Ce partenariat nous permet d'avoir accès à des compétences de gestion. Il fournit de l'emploi et le transfert des compétences. Ce partenariat permet d'avoir accès à du capital supplémentaire et de réduire le risque, car ce dernier est partagé entre nos partenaires. Il permet de réduire les coûts de mise en valeur et d'exploitation. Ces coûts sont partagés entre nos partenaires. Nous avons accès à une clientèle grâce à nos projets conjoints. Nous aurions également accès à des développements importants.

Depuis la création de notre entreprise en 1997, bon nombre de sociétés sont venues nous voir et, même si elles ont d'excellentes idées qui pourraient nous enrichir, malheureusement elles n'ont pas d'argent à investir elles-mêmes. Elles pensent qu'elles ont accès au capital du ministère des Affaires indiennes. Certaines pensent en fait que je peux tout simplement passer un coup de fil et dire : « Bonjour, c'est Clem, j'ai besoin de 5 millions de dollars. J'ai cette merveilleuse idée et j'aimerais investir, pouvez-vous m'aider? » En raison du manque de communication avec le public en général, c'est l'impression qu'ont les gens.

Nous avons établi une entente de partenariat dans laquelle nous demandons à la société qui veut faire des affaires de dire ce qu'elle aimerait faire, quel est l'objectif de son intérêt, combien d'argent elle a, quels sont ses points forts et ses points faibles, ses compétences de gestion, et cetera. Tout cela se trouve dans les documents que nous vous avons distribués. Après avoir préparé ce document, chaque fois que quelqu'un téléphone, nous envoyons le document par courrier ou par télécopieur à l'entreprise en question et neuf fois sur 10 les choses s'arrêtent là, elles ne vont pas plus loin.

Je vais maintenant demander à Trent, notre directeur financier, de vous présenter la deuxième moitié de notre exposé qui portera sur les questions financières.

Trent Blind, directeur financier, Siksika Resource Developments Ltd. : Mesdames et messieurs, aînés, sénateurs et invités, bonjour. Au nom de Siksika, je suis très fier de vous parler du rendement de nos entreprises et de nos objectifs pour les cinq prochaines années.

Comme Clement l'a mentionné, nous avons une stratégie d'investissement qui met tout d'abord l'accent sur nos investissements de base qui utilisent les ressources foncières, hydriques, minérales et en hydrocarbures de la nation; ensuite, notre stratégie met l'accent sur des domaines qui ne sont pas nécessairement liés à nos ressources naturelles mais qui présentent des possibilités d'investissements pour le développement durable à long terme. Nos sociétés visent donc à mettre en valeur nos ressources non renouvelables pour aider au développement durable à long terme.

Comment avons-nous réussi par le passé? Jusqu'à présent, nous avons une valeur comptable de plus de 30 millions de dollars nets et une valeur marchande de plus de 60 millions de dollars. Notre passif totalise un peu moins de 7 millions de dollars avec une valeur marchande d'un peu moins de 7 millions de dollars. Nos actionnaires, le chef et le conseil, ont investi jusqu'à présent 7,1 millions de dollars dans nos sociétés et nos bénéfices non répartis ont une valeur comptable de plus de 13 millions de dollars et une valeur marchande de plus de 50 millions de dollars. Donc, la valeur nette que nous avons accumulée dans nos sociétés totalise plus de 20 millions de dollars en valeur comptable nette et à une valeur marchande d'un peu moins de 60 millions de dollars.

Au cours des cinq dernières années, le rendement sur l'investissement de nos actionnaires a varié d'un peu moins de 9 p. 100 jusqu'à plus de 65 p. 100, et le rendement des capitaux propres, de 5,5 p. 100 à 60 p. 100. Nous avons eu de bons succès au cours des cinq dernières années.

Cependant, pour les cinq prochaines années, nous prévoyons avoir besoin d'un investissement important. Les investissements possibles que nous pourrions faire sont notamment 45 millions de dollars dans le pétrole et le gaz; 25 millions de dollars dans l'irrigation. Nous voulons élargir notre projet actuel d'irrigation de 5 000 acres à presque 15 000 acres. Nous prévoyons investir 10 millions de dollars dans le parc industriel et 2 millions de dollars dans notre centre de villégiature. Nous avons ensuite réservé un montant de 3 millions de dollars pour certains de nos autres projets de développement durable à long terme. Nous prévoyons investir un total de 85 millions de dollars au cours des cinq prochaines années.

Où irons-nous chercher notre argent? Nous avons déterminé cela également, et nous générerons 15 millions de dollars dans nos ressources monétaires internes. Nous recevrons par ailleurs de nos règlements de revendications territoriales certains revenus d'intérêts de notre fiducie Siksika, soit 7 millions de dollars. Nous envisageons par ailleurs vendre certains de nos actifs à raison de 35 millions de dollars, et naturellement, nous demanderons à nos institutions financières un financement par emprunt de 20 millions de dollars. Nous sommes actuellement en négociations avec le gouvernement provincial pour le Barrage Bassano, et nous devrions recevoir 12 millions de dollars pour nos investissements, puis 2 millions de dollars en revenus de notre centre de villégiature, pour un grand total de 91 millions de dollars.

Quels sont les avantages de ces investissements? Des nouveaux capitaux seront investis dans la nation. Siksika Resource Developments Ltd. générera un revenu à valeur ajoutée des ressources naturelles de la nation. Siksika Resource Developments Ltd. augmentera ses actifs et ses revenus pour compenser la diminution des ressources non renouvelables de la nation, et le nouvel investissement créera des emplois et des perspectives d'affaires pour nos membres.

Je voudrais vous remercier de nous avoir donné aujourd'hui le temps et l'occasion de venir vous parler des succès et de l'histoire de notre groupe de sociétés.

Le sénateur St. Germain : Merci, messieurs, d'être venus. Vous personnifiez manifestement le succès avec ce que vous avez fait et ce que vous faites. Avez-vous un plan à long terme pour ce qui arrivera lorsque ces ressources non renouvelables seront épuisées? Est-ce pour cette raison que vous vous lancez, dans une certaine mesure, dans le secteur agricole?

M. Doore : Oui. En fait, nous avons calculé à quel moment le pétrole et le gaz seront épuisés, peut-être complètement. C'est pour cette raison que nous pensons au parc industriel à ce moment-ci. Nous sommes également près de mettre en place une stratégie d'investissement globale qui pourrait inclure l'achat d'immobilier hors réserve, en achetant une entreprise, et cetera. Oui, nous faisons cela en ce moment.

Le sénateur St. Germain : Je regarde la carte ici. À l'origine, votre territoire s'étendait de la rivière Saskatchewan-Nord, des collines Cypress et des montagnes Rocheuses jusqu'au parc national Yellowstone, et sur cette carte, la « Première nation Siksika », au tout début, il y a une zone ombragée en gris. Est-ce que vous êtes toujours en train de négocier pour ces terres, ou est-ce que vous avez réglé?

M. Doore : Je pense que cela a été réglé.

Le sénateur St. Germain : Nous faisons une étude économique. Nous tentons de déterminer pourquoi certaines de nos nations autochtones ont eu de bons succès économiques tandis que d'autres semblent avoir de la difficulté malgré qu'elles aient accès à des ressources. Pouvez-vous nous dire quel est à votre avis l'ingrédient le plus important de votre succès?

M. Doore : Je vais donner ma réponse, et je laisserai Trent répondre également. Je pense que la principale décision que le conseil de l'époque a prise a été de séparer les affaires et la politique. Cela a permis à la division des entreprises de fonctionner comme une entreprise, et nous n'avons pas eu d'ingérence politique, pour ainsi dire. Par cela, je veux dire que le conseil n'est pas venu à une réunion du conseil d'administration pour dire : « Mais non, nous ne sommes pas d'accord avec le conseil d'administration, » ou « Non, c'est ce que nous voulons faire. » et cetera. La deuxième chose, c'est que nous avons la chance d'avoir du pétrole et du gaz sur la réserve. Cela a certainement généré l'accès au capital. La troisième chose, c'est que les gens qui travaillent pour nos entreprises sont tous engagés. Et ce sont tous des membres de Premières nations.

Je pense que ce sont là les trois éléments de succès. Par conséquent, les sociétés dans la ville de Calgary ont tendance à vouloir faire des affaires avec nous, car elles savent qu'aucune question politique n'intervient. Je pense que cela montre bien la sagesse de cette décision.

M. Blind : Pour ajouter à ce que Clement a dit, je pense que l'ingrédient clé dans le succès des Siksika et de leurs groupes d'entreprises a été le partenariat avec l'industrie dans toutes les facettes de notre entreprise. Nous avons parlé de notre agrégat d'entreprises. Nous avons un partenariat avec BURNCO. Notre entreprise environnementale a un partenariat avec Golder & Associates et Alpine Environmental. Nous avons par ailleurs des partenariats avec des sociétés pétrolières et gazières. Tous ces partenariats nous apportent des compétences de gestion, des connaissances et du capital, et c'est grâce à ces partenariats que nos gens ont réussi à acquérir de l'expérience, que nous avons pu apprendre au sujet de ces diverses industries et que nous avons eu également accès à ces marchés.

Le sénateur St. Germain : Avez-vous fait appel à des conseillers de l'extérieur, à des membres qui ne faisaient pas partie de la bande? La question a été soulevée dans notre étude jusqu'à présent, et je me demandais si vous aviez fait appel à des gens de l'extérieur pour conseiller votre conseil d'administration.

M. Doore : Oui, lorsque la société a été créée en 1997, neuf administrateurs ont été nommés à l'origine, trois du conseil de bande, trois membres de la bande qui étaient en affaires, et dans notre cas c'était surtout dans le secteur agricole, et trois de l'industrie — un du secteur pétrolier et gazier, un autre était avocat ayant de l'expérience auprès des sociétés et le troisième était un agriculteur. C'est de cette façon que nous avons commencé, mais nous ne faisons plus appel à des gens de l'extérieur.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je n'ai qu'une question. Faites-vous des études archéologiques avant ces développements?

M. Doore : Non, nous n'avons pas fait cela.

Le sénateur Zimmer : Merci de votre exposé. C'est très impressionnant, surtout que vous avez inclus un plan quinquennal. L'une des causes que j'aime défendre au Sénat est celle des jeunes. Je remarque que vous avez deux écoles primaires, une école secondaire et un collège communautaire, et il est évident que vous accordez beaucoup d'importance à l'éducation. Le collège communautaire, je présume, est un collège technique. Quels genres de disciplines y sont enseignés? Qu'est-ce que vous y enseignez, et combien y a-t-il d'étudiants?

M. Doore : Le collège communautaire est un institut postsecondaire. Il prépare les étudiants pour l'université. L'école secondaire est là où nous espérons aller chercher les futurs dirigeants. En fait, nous avons créé une bourse d'études pour encourager nos étudiants. La nation Siksika a eu beaucoup de succès avec nos enseignants. Nous avons trois écoles, l'école secondaire et deux écoles primaires. Je dois dire que 80 p. 100 de nos enseignants sont des membres de la Première nation Siksika.

Le sénateur Zimmer : Je présume que vous les encouragez à suivre un cheminement de carrière qui les mènera un jour à gérer vos entreprises et à y travailler?

M. Doore : Nous faisons cela de temps à autre. Nous sommes invités par exemple à l'école secondaire et nos hauts dirigeants vont expliquer ce que fait leur entreprise.

Le sénateur Zimmer : Vous avez parlé de vendre 35 millions de dollars d'actifs. Quels actifs avez-vous l'intention de vendre?

M. Blind : À l'heure actuelle, nous envisageons vendre certaines propriétés pétrolières et gazières qui sont en train de s'épuiser. Étant donné que le prix n'a jamais été aussi élevé dans ce secteur, nous examinons la possibilité de vendre certaines de ces propriétés à d'autres sociétés qui y voient un potentiel.

Le sénateur Christensen : Vous dites que la SRDL a été créée en 1994, n'est-ce pas?

M. Doore : En 1997.

Le sénateur Christensen : Mais vous avez commencé votre processus de développement économique en 1994?

M. Doore : Oui.

Le sénateur Christensen : Quelles ont été les conséquences du développement économique et de ce processus que vous avez mis en place dans votre communauté? Quels changements se sont opérés?

M. Doore : C'est un processus permanent. La première chose, c'est que les membres de la communauté s'intéressent constamment à ce qui se passe. Ils veulent savoir où l'argent est investi, et ils veulent savoir si nous avons fait des profits.

Ils appuient les changements. Ils veulent que nous prenions de l'expansion. Je pense que l'important, c'est qu'ils puissent participer, qu'ils puissent être informés de ce qui se passe.

Le sénateur Christensen : Qu'en est-il du logement, de l'éducation, de la diminution de certains problèmes sociaux dans la région? Avez-vous constaté ce genre de choses?

M. Doore : Nous ne nous occupons pas directement de cela. C'est plutôt le côté administratif des choses.

Le sénateur Christensen : Je pense tout simplement à la communauté comme telle. Je sais que vous ne vous occupez pas directement de cela, mais en tant que membre de la communauté, pouvez-vous dire si cela a permis de développer la communauté? Est-ce que cela a eu une incidence positive dans la communauté?

M. Blind : Permettez-moi de répondre à la question. Notre développement économique se fonde sur deux concepts. Le premier est celui des emplois et du revenu, et l'autre est celui de la construction de la nation. Nous tendons à mettre l'accent sur la construction de la nation, et je vais vous parler de l'importance de l'impact financier du groupe de sociétés. À l'heure actuelle, le revenu annuel de la nation est d'un peu moins de 100 millions de dollars, y compris le revenu de notre groupe de sociétés. Notre groupe de sociétés cette année générera près de 22 millions de dollars en revenus bruts. Cela représente un quart du budget annuel de la nation, et pourtant nous n'employons que 40 personnes dans notre groupe d'entreprises et 640 du côté du gouvernement et de l'administration. Nous représentons 5 p. 100 de l'emploi global de la nation, et pourtant nous générons 25 p. 100 du budget annuel.

Si nous poursuivons dans cette voie, en nous efforçant d'abord d'accroître nos revenus et notre rentabilité, les emplois suivront, mais nous ne développons pas notre économie simplement pour créer des emplois pour nos membres. C'est dans cet esprit que nous tâchons constamment d'améliorer notre rentabilité, notre revenu net et le rendement sur l'investissement de nos actionnaires.

C'est là à mon avis l'importante contribution à la collectivité et, encore une fois, nous essayons de remplacer cette ressource non renouvelable par un développement durable en créant le parc industriel et en élargissant notre projet d'irrigation. C'est le projet le plus rentable de toutes nos entreprises et nous atténuons les risques en diversifiant nos cultures. Nous cherchons également à diversifier les gens qui louent nos terres. Seulement pour cette compagnie-là, notre marge bénéficiaire varie de 48 à 52 p. 100 par année; c'est donc, de loin, notre entreprise la plus rentable et nous voulons lui donner de l'expansion, car tant que le soleil brillera, que l'herbe poussera et que les rivières couleront, nous tirerons toujours des revenus de ce projet.

Le sénateur Christensen : J'aimerais revenir aux collectivités mêmes, aux jeunes et aux aînés, qui ne sont pas nécessairement en mesure de profiter des emplois. Leur qualité de vie se trouve-t-elle améliorée par la grande prospérité économique de votre nation?

M. Blind : Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous générons 25 p. 100 du budget annuel global de la nation. Une partie des dividendes que nous versons à nos actionnaires servent à financer les programmes et les services à l'intention des personnes âgées et des jeunes, notamment l'éducation.

Le sénateur Christensen : Depuis 1994, tous ces programmes sociaux conçus pour les personnes âgées et pour les jeunes, par exemple l'éducation, ont-ils pris de l'ampleur? Les conditions de logement se sont-elles améliorées? Le nombre de jeunes qui finissent leurs cours secondaires a-t-il augmenté parce qu'ils voient des débouchés?

M. Blind : Je dirais que oui. En considérant ce que nous avons fait depuis 1997, si Siksika n'avait pas lancé ce groupe d'entreprises, nous n'aurions pas réalisé 85 millions de dollars en valeur ajoutée. Nous aurions continué simplement à recevoir l'argent du gouvernement fédéral pour subventionner nos programmes et services.

Le sénateur Christensen : Voici où je veux en venir : la réussite des projets de développement économique importe peu si les collectivités et leurs membres n'en profitent pas. Même si l'argent peut stimuler toujours plus le développement économique, il n'apporte rien aux gens s'ils n'améliorent pas leur situation.

M. Blind : Les 40 nouveaux emplois que nous avons créés grâce à notre développement économique ont eu des retombées favorables, car les membres des familles de nos employés profitent de l'emploi créé par notre groupe d'entreprises.

Le sénateur Peterson : Dans votre exposé, vous ne faites état d'aucun problème ou source de mécontentement relativement à AINC. C'est peut-être parce que vos réussites permettent de contourner les difficultés, mais je me demande si vos entreprises seraient encore plus prospères si certaines règles étaient modifiées ou simplifiées.

M. Doore : Nous laissons généralement à nos actionnaires le soin de traiter avec AINC. Nous ne faisons pas directement affaire avec le ministère parce que nous nous occupons de l'entreprise et travaillons avec les actionnaires, le chef et le conseil. De temps à autre, nous devons cependant traiter avec les fonctionnaires d'AINC. Depuis environ un an, nous négocions un bail principal dans le parc industriel. Les fonctionnaires changent constamment les clauses du bail et trouvent toujours à redire à un aspect ou à l'autre, mais c'est le seul obstacle majeur provenant du ministère des Affaires indiennes.

L'autre obstacle découle de la Loi sur les indiens. C'est le chef et le conseil qui investissent dans nos entreprises et pour obtenir de l'argent d'Ottawa, ils doivent rédiger une Résolution du conseil de bande décrivant le but du projet, le montant demandé, et cetera. Cela peut prendre de trois à six mois. Entre temps, l'entreprise doit continuer à tourner. La Banque de Montréal a une succursale sur la réserve et elle s'est montrée très coopérative. Nous avons également une marge de crédit à l'Alberta Treasury Branch et cela fonctionne très bien. Contrairement à la Banque de Montréal, l'Alberta Treasury Branch n'avait pas besoin d'obtenir des garanties auprès du chef et du conseil. Elle a simplement pris comme sûreté la SRDL, la société mère.

Le sénateur Peterson : J'ai une dernière question, parce que ce sujet a été soulevé par d'autres témoins. La plus grande difficulté que vous éprouvez relativement à votre parc industriel consiste-t-elle à établir la valeur et la durée des baux, et à les faire accepter par AINC?

M. Blind : Nous nous heurtons en effet à certaines difficultés avec AINC, difficultés qui ont effectivement trait à la valeur, mais aussi à la capacité d'hypothéquer des terres situées sur des réserves, de signer le bail principal, de sous-louer et d'attribuer ces baux aux prêteurs.

L'autre difficulté a trait à la possibilité de souscrire une assurance de remplacement suffisante pour le cas où, par exemple, un immeuble serait détruit par un incendie. Certaines des exigences relatives au bail principal édictées par le ministère de la Justice semblent limiter la possibilité pour les sociétés d'assurance de nous offrir une couverture suffisante.

Le sénateur Peterson : Pourquoi l'assurance pose-t-elle un problème? Je ne vois pas pourquoi.

M. Blind : Le ministère de la Justice nous demande d'inclure dans le libellé du bail principal notre obligation à souscrire une assurance qui permettrait de remplacer la valeur d'un immeuble en cas d'incendie. Cela nous créé des difficultés parce que les compagnies d'assurances se montrent réticentes à offrir une assurance qui couvrirait le coût de remplacement intégral. C'est peut-être à cause de la hausse des prix, de l'augmentation de l'indice des prix à la consommation, mais voilà ce qui en est en ce moment.

Le président : Je vous remercie de votre exposé et d'avoir bien voulu répondre à nos questions. Nous vous souhaitons la meilleure des chances.

M. Doore : Merci.

Le président : M. William Big Bull est notre prochain témoin.

Soyez le bienvenu à cette réunion du Comité sénatorial des peuples autochtones. Vous avez la parole.

William Big Bull, gestionnaire de l'énergie, Piikuni Utilities Corporation : Bonjour, je vais d'abord parler dans ma langue.

[M. Big Bull parle dans sa langue autochtone.]

Je salue les distingués membres de votre comité qui sont ici aujourd'hui. J'espère que je saurai présenter de façon juste et honnête les préoccupations de nos collectivités. Je vous remercie de m'avoir invité à cette audience et de bien vouloir m'entendre. Les notes biographiques à mon sujet décrivent mes antécédents, le travail que j'ai fait pour la nation Piikani et les conditions qui ont un effet sur nous. Je remercie le peuple TsuuT'ina d'être l'hôte du comité sénatorial et je le félicite pour les projets qu'il réalise.

Je ne veux pas donner l'impression de parler au nom d'autres peuples autochtones ou de diminuer l'excellent travail qui se fait dans vos collectivités. J'ai préparé mon exposé de façon à répondre à vos questions. Il est difficile d'essayer de répondre à ces questions en respectant certaines règles de présentation, car cela ne permettrait pas de décrire le contexte, le raisonnement et l'historique qui justifient ou confirment les problèmes.

En commençant, je vais décrire une perspective historique dont les autres peuples autochtones de ce territoire ont sans doute déjà entretenu votre comité. Cela permettra de nuancer certains problèmes de longue date qui ne sont toujours pas réglés et à faire le lien avec les initiatives économiques actuelles.

Au moment du premier contact avec des Européens, la Confédération Siksikaitsitapi Blackfoot occupait un territoire qui s'étendait vers l'est jusqu'au Manitoba actuel et vers l'ouest, jusqu'aux états du Montana, de Washington et du nord du Wyoming, englobant la partie orientale des Rocheuses. Plus tard, notre territoire s'est étendu, d'après la tradition orale, du nord de la Saskatchewan, Om'k iit'taa; aux collines Cypress, I'kimikoo, et jusqu'à la rivière Yellowstone, Ot'kwiit'taa et à la rivière Columbia et à Tobacoo Plaine, en Colombie-Britannique. Nos chefs traditionnels ont formé des alliances en concluant des traités traditionnels, appelés Inyiistyukukstimaan, pour protéger et préserver nos territoires de chasse, notre commerce et notre mode de vie, qui existent depuis des temps immémoriaux.

La nation Piikani, qui s'appelait auparavant Nation Peigan, fait partie de la Confédération Blackfoot et est située entre Fort McMurray et Pincher Creek. Par ses traditions, elle est étroitement liée à la terre. Notre attachement à cette terre est attesté par notre utilisation du territoire depuis des temps immémoriaux, par l'histoire de nos rapports dynamiques avec la terre, par notre langue et nos traditions que nous avons préservées pour les générations actuelles et futures. Notre peuple est le propriétaire de notre territoire traditionnel qui est délimité par des rivières et des chaînes de montagnes. Ce message a été communiqué aux représentants de la Reine et aux commissaires lors des pourparlers qui ont mené à la conclusion du Traité 7. Toutes les parties ont accordé une importance primordiale aux terres, aux ressources et à la préservation de l'environnement pour les générations actuelles et futures.

Le but de la Couronne est clairement énoncé dans le rapport annuel du ministère de l'Intérieur :

Le besoin de signer un traité est énoncé dans les termes suivants par le ministre de l'Intérieur, l'honorable David Mills, dans le rapport annuel de 1877.

Il y déclare :

La conclusion, en 1876, avec les Indiens Cris, Assiniboine et Saulteaux (le sixième d'une série de traités négociés jusque-là avec les Indiens du Nord-Ouest) n'a laissé non cédée qu'une petite partie du territoire allant de la frontière au 54º parallèle de latitude.

La partie non cédée du territoire, qui comprend environ 50 000 milles carrés, se trouve à l'angle sud-ouest des territoires, au nord de la frontière, à l'est des Rocheuses, au sud de la rivière Rouge (Traité numéro 6) et à l'ouest des collines Cypress, soit le Traité numéro 4. Cette partie du Nord-Ouest est habitée par les Blackfeet, les Blood et les Sarcees —

Il fait une erreur d'écriture.

— ou les Indiens Peigan, certaines des bandes d'indiens les plus guerrières et intelligentes mais aussi les plus intraitables du Nord-Ouest. Ces bandes souhaitent depuis des années négocier un traité et sont déçues du retard à le faire.

Les Peigan, ou Piikani, vivent sur la réserve numéro 147 et numéro 147B, dont le territoire a été arpenté et confirmé en tant que terre de réserve en vertu de la Loi sur les indiens, aux termes du Traité numéro 7 signé en 1881. Lors de l'établissement de la réserve Peigan 147 et 147B en 1882, ce territoire a été officiellement réservé par un arrêté en conseil de 1889, qui a confirmé que la réserve couvrait 116 000 acres.

La réserve Peigan a été soustraite à l'application de la Dominion Land Act par arrêté en conseil en 1893. En vertu de l'alinéa 90a) de la Dominion Land Act, tout document foncier touchant l'utilisation et la jouissance collectives de ce territoire par la nation Piikani nécessitait le consentement du peuple Piikani et une résolution du conseil de bande. Les résolutions du conseil de bande ont pour objet de demander au ministre des Affaires indiennes de délivrer une autorisation ou un autre document foncier décrit dans la Loi sur les indiens.

Conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, le chef et le conseil de la nation, Piikani ont établi des règles coutumières propres à la bande pour l'attribution des terres à leurs membres. Cette politique est à l'origine de notre système actuel de gestion foncière. Notre système d'attribution des terres repose sur nos propres objectifs et nous n'avons pas à appliquer les dispositions de la loi. Même si la loi prévoit un système de registre, l'attribution des terres se fait au moyen d'une résolution du conseil de bande. Ce système de registre interne traduit notre utilisation traditionnelle des terres pour nos propres fins. Certaines terres ont été mises de côté à des fins communautaires et spirituelles inspirées par nos traditions.

L'utilisation des terres pour des fins traditionnelles et cérémoniales se fait en fonction des besoins; elle ne nécessite pas le consentement du conseil. C'est une tradition qui s'est transmise d'une génération à l'autre et qui n'a jamais été contestée. Cela explique le principe de notre utilisation traditionnelle des terres, fondée sur l'idée que nous ne sommes pas les propriétaires mais bien les gardiens de ces terres. L'utilisation et l'accès libre à nos terres pour répondre aux besoins spirituels de la collectivité a toujours été un facteur primordial pris en compte dans les décisions relatives au maintien de notre tradition.

En fouillant notre histoire locale, j'ai constaté que les histoires de nos ancêtres sont encore écrites dans la pierre et confirmées par les paysages naturels de notre territoire, qui couvrent quelque 200 000 milles carrés. Le nom des lieux importants pour notre peuple évoque encore aujourd'hui les événements qui leur ont donné naissance. L'argent n'a joué aucun rôle dans ces histoires. J'ai été émerveillé par les efforts que nos ancêtres ont déployés pour veiller à ce que leurs messages éternels de vie soient transmis. Peu de gens sont à même d'interpréter ces notions complexes, à cause du changement radical de notre mode de vie. Nos ancêtres nous ont laissé tous les signes et la langue maternelle nécessaires pour interpréter ces messages. Ce savoir est préservé dans notre langage. Il suffit de le parler pour y accéder.

Dans notre culture, notre manière de vivre, se fonde sur notre identité et nos liens avec la terre. C'est en faisant en sorte que la terre demeure dans son état originel et naturel et en communiant librement avec elle au moyen de nos pratiques cérémonielles que nous maintenons nos idéaux traditionnels.

Nos lois se fondent sur notre spiritualité et sur le principe du premier usage, en vertu duquel les fins spirituelles l'emportent sur d'autres intérêts qui risqueraient autrement de permettre un accès trop large à la nature. Selon une telle conception, la profanation des lieux naturels est l'équivalent d'un acte criminel et impuni. Les besoins de nos collectivités ont beau avoir évolué, la doctrine de la protection de nos lieux spirituels et historiques est toujours vivante.

Passons maintenant à la situation des terres désignées sous le nom de réserve aux termes de la Loi sur les Indiens et issues de traités et des terres visées par un titre autochtone, pour lesquelles les intérêts des Premières nations n'ont jamais été abolis. Les tribunaux, la Couronne et les gouvernements des Premières nations se sont prononcés sur la question des titres. Le problème tient au fait que les personnes affectées par de telles décisions n'ont pas été consultées. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui a une responsabilité fiduciaire envers nous, doit veiller à ce que toute exploitation s'effectue au profit de la bande, comme le prévoit la Loi sur les Indiens.

L'application de la Loi sur les Indiens et les liens avec la Couronne sont à l'origine de cette responsabilité fiduciaire obligeant le gouvernement à protéger nos terres et nos ressources. En ce qui a trait à la gestion de nos terres, la responsabilité fiduciaire de la Couronne a été encadrée par le paragraphe 91(24) de l'AANB. Il y est dit qu'avant que l'on créé une réserve donnée, il faut d'abord que la Couronne assume le titre de propriété reconnue par voie de traité.

Nous fondons notre existence sur la défense de nos droits découlant d'un traité mais nous considérons à tort les droits que nous reconnaît la Loi sur les Indiens comme des droits issus de traités. Or qui profite des traités? Regardez autour de vous afin de voir qui tire avantage de nos ressources financières et naturelles et qui les contrôlent. Cela tient à des interprétations erronées du sens des traités et à des divergences au sujet du Traité no 7.

Les dirigeants autochtones actuels illustrent les effets de la doctrine méthodique menée par un gouvernement colonial qui se fonde sur la souveraineté d'une nation et l'autorité d'un chef. Cette manière de renoncer à notre droit de gouverner nous-mêmes selon nos traditions est encore à l'œuvre dans le système actuel des réserves, fruit d'un gouvernement paternaliste et d'une situation de tutelle. Nos décisions sont donc tributaires d'un régime de revendications territoriales et d'une situation de pauvreté et de gestion de crises, tout cela imposé par le gouvernement même sur lequel nous devons compter pour protéger nos droits issus de traités. Malgré cela, nous persistons à croire que cette voie nous mènera à l'autonomie avec la participation du gouvernement central.

Nous ne considérons pas nos collectivités des Premières nations du même oeil que les promoteurs. À la place, nous observons une résistance croissante aux changements qu'on veut apporter à l'exploitation traditionnelle de nos ressources et à certains partenariats. L'élan qui nous porte à rejeter la soumission au paternalisme est à l'ordre du jour des Premières nations et du gouvernement. Le conditionnement nous poussant nous limiter à ce qui est permis par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, ou par le Bureau of Indian Affairs des États-Unis, a causé énormément de préjudice à nos valeurs collectives et à nos collectivités. Nous estimons maintenant avoir des droits inhérents quand en fait, ces droits résultent des diverses constitutions régissant les Autochtones des Amériques.

Les terres et les ressources naturelles demeurent la pierre angulaire de notre identité, de nos institutions. À cela s'ajoute le fait que nous nous tournons maintenant vers la mise en valeur des ressources de manière à participer pleinement à une économie géniale. Il y a donc lieu d'adopter des politiques et de nous donner les ressources dont nous avons besoin afin que nous puissions nous doter de moyens modernes afin d'atteindre ces nouveaux objectifs.

Il faut concevoir un modèle général de développement pour nos terres qui ne nuira pas aux intérêts des Premières nations. À l'heure actuelle, nous contestons des lois portant sur les sociétés, sur l'environnement et sur la fiscalité en nous fondant sur les droits découlant de traités et les droits des Autochtones. Il est temps toutefois que les Premières nations occupent la place qui leur revient dans la société, celle de fers de lance et d'innovateurs, qui réussissent à unir la technologie moderne et leurs traditions.

Mon mémoire souligne certaines des réalités liées à cela. Ainsi, par exemple, les limites imposées par des lois contradictoires, tant fédérales que provinciales; l'accès aux terres en vertu de la Loi sur les Indiens, la situation découlant de l'article 28.2, dans le cas où les Premières nations auraient besoin d'un accès aux terres à des fins autres qu'agricoles. De nos jours, nous envisageons la mise sur pied de projets d'exploitation énergétique. La loi a été conçue pour neutraliser le processus issu des traités, par conséquent, la plupart de ces dispositions portent sur l'agriculture. Elles limitent aussi par le fait même la possibilité pour les tribus d'élargir quelque peu certaines choses; l'article 35 sur la reprise de terres, les dispositions relatives à l'expropriation et celles portant sur les traditions des bandes. À l'heure actuelle, les questions liées aux terres constituent effectivement une pierre d'achoppement pour la plupart des Premières nations. Il s'agit pour elles de créer des biens meubles et d'en tirer un profit quelconque, or la loi les oblige à désigner d'abord une terre avant de créer un bien meuble ou de céder la terre à des fins d'exploitation économique. Il y a également la question d'une entité non imposable lorsque l'on conçoit des projets d'exploitation des énergies renouvelables. À ce sujet, le crédit lié aux énergies renouvelables et aux économies d'énergie au Canada et le crédit pour dépenses selon la catégorie 43.1 créés par la Couronne dans le cadre de la Stratégie sur les énergies renouvelables auraient dû comporter la mention « Interdit aux Indiens », en raison de la situation fiscale.

Pour qu'un projet soit viable, il faut qu'il soit de grande taille. La tâche qui nous attend aujourd'hui est donc de créer de telles valeurs, de tirer parti de cette partie de l'équation.

Il y a encore la situation des redevances, plus précisément le problème causé par le fait qu'elles vont immédiatement à la Couronne, avant même que les Premières nations puissent en tirer quelque profit.

Lorsqu'on assiste à la signature d'une entente sur le pétrole et le gaz, il est ironique de voir qu'il y a toujours quelqu'un dans la salle qui attend le moment de prendre le chèque destiné à la Couronne. De telles situations nous empêchent de tirer le maximum de nos terres et de nous faire reconnaître des droits acquis par rapport à certaines activités pourtant autorisées par la Loi sur les Indiens.

Les décisions découlant de politiques ne sont pas au diapason de notre époque, marquée par le changement, en particulier par des précédents juridiques, tant au provincial qu'au fédéral. Nous avons compté sur les traités et sur les lois pour protéger nos droits. Ce faisant, nous avons limité notre capacité de participer pleinement aux activités d'un marché libre. D'une manière ou d'une autre, nous sommes marqués au fer par les dispositions de diverses lois qui dictent toute mise en valeur de nos terres. Une fois que nous avons épuisé nos recours en vertu de ces mêmes lois, nous nous heurtons à une fin de non recevoir juridique et à des lourdeurs administratives qui nous empêchent d'exploiter nos propres ressources. Nous avons aussi pris l'habitude de voir les tribunaux établir quels sont ces droits. Plutôt que de lancer des activités de développement comparables à ce qu'on trouve ailleurs dans la société, nous nous sommes laissés entraîner dans des combats afin de protéger nos droits et de combattre la mainmise sur nos ressources, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

Le problème des Premières nations tient à la quasi-impossibilité pour elles d'avoir accès à leurs ressources, en raison des lenteurs gouvernementales. Une fois qu'une politique est enfin mise en œuvre, les possibilités d'exploitation ont déjà été saisies par d'autres que les Premières nations.

Les chefs autochtones et les conseils doivent occuper le domaine du droit afin d'affirmer leur compétence juridique dans leur réserve. Cela nécessitera l'élaboration de règlements administratifs qui exprimeront la volonté collective d'administrer les ressources qui relèvent de leur compétence reconnue, par exemple l'eau, les ressources énergétiques et l'industrie. Il importe donc d'inscrire une autorité réglementaire pertinente dans un processus conforme aux lois fédérales et provinciales.

La représentation politique locale ne tient pas compte des inégalités entre les régions. À titre d'exemple, à l'échelle nationale, l'Alberta figure dans la catégorie 1, mais les Premières nations, elles, se retrouvent dans la catégorie 4, ou parfois même dans une catégorie encore plus faible. Cela a pour effet de nous priver du droit à l'aide accordée aux provinces moins bien nanties.

Pour tirer parti des possibilités que recèlent nos ressources, il faut que le savoir traditionnel soit de la partie pour que les nouveaux partenariats puissent durer. Si une idée a une valeur commerciale quelconque, il faut qu'on prévoit notre participation active au conseil d'administration, et non que l'on s'en remette à l'action positive. Il faudra donc que les nôtres soient de véritables partenaires, qu'ils n'attendent pas que d'autres décident à leur place ce qui est dans leur intérêt. Le pari à tenir pour nous est d'en arriver à une entente au niveau de la direction de façon à réorienter la recherche du bénéfice et de prendre compte les Premières nations.

En raison des régimes administratifs qui leur sont imposés par le truchement d'arrangements fiscaux, les gouvernements des Premières nations sont dans une position où ils ne font que réagir. Sur le plan juridique, le chef et le conseil sont chargés de gérer nos finances et d'administrer nos ressources au profit de leurs membres. Toutefois, ce n'est que grâce à une véritable planification et à une saine pratique commerciale que nous pourrons atteindre une autonomie économique.

On nourrit certaines craintes par rapport aux solutions proposées dans les revendications territoriales et les conclusions de traités. Les solutions issues des revendications territoriales empêchent de sortir des sentiers battus, car à l'administration centrale, on s'attarde sur l'achat de terres afin de profiter de certaines possibilités économiques.

Nos chefs croyaient que nous avions un partage des terres et des ressources, mais si l'on en croit le libellé des traités, ce n'est pas le cas. Bien que nous continuions de discuter avec le gouvernement des conditions insatisfaisantes, nous n'avons pas encore contesté la validité du traité, ni même demandé s'il a été ratifié en bonne et due forme, conformément à la loi constitutionnelle. En ce qui a trait aux contrats, aux actes de cession et aux protocoles sur les terres, la loi exige pourtant que les documents afférents soient traités et signés d'une manière conforme par les parties prenantes. Ici, il est impératif de reconnaître que nos dirigeants n'ont pas renoncé à nos droits sur nos terres et nos ressources en signant au moyen d'un x, et n'ont certainement pas cédé le droit de nous gouverner nous-mêmes ni décidé de s'acquitter nos sociétés et nos gouvernements traditionnels au détriment de nos peuples.

Comme prérequis à la participation à des négociations territoriales, nous sommes tenus encore une fois de faire des référendums afin de libérer des terres et renoncer à certaines revendications. La majorité de nos membres ne comprennent ni les enjeux du processus pour nos collectivités ni leur répercussion sur nos droits, un nombre limité d'entre eux ayant le niveau d'instruction nécessaire à la compréhension du texte des ententes. La grande majorité de nos gens s'en remettent encore à la tradition orale et à la parole de nos chefs. À cause de cela, on interprète les ententes de la même manière que nos chefs et non en se fondant sur le texte.

La gouvernance tribale ne s'appuie sur aucune recherche de bénéfices mais sur les subventions du gouvernement. On ne tient pas à compromettre les intérêts de la collectivité en s'écartant des idées reçues. Pourvu que le compte de nos dépenses se solde à zéro tous les ans, le statu quo sera maintenu. Pourtant, si l'on compare notre situation aux richesses accumulées par des tiers grâce aux ressources de nos terres, nos collectivités sont parmi les plus dévalorisées sur le plan économique. Quelle peut être notre position de repli? Il est impératif que nous recherchions la viabilité économique si nous voulons reprendre notre place en tant que Première nation.

Notre capacité de tirer partie des avantages des projets économiques est directement tributaire de notre participation aux prises de décisions dès le démarrage de ces mêmes projets. Le problème, c'est que la Couronne n'inclut ni ne reconnaît les limites et les restrictions auxquelles les Premières nations sont assujetties par la loi et qu'elle semble se contenter de nous regarder nous débattre ou nous noyer. Nous ne connaissons que trop bien les conséquences de ces projets de développement lancés sur nos territoires ancestraux ainsi que, de la part de l'ensemble de la société, le refus d'admettre que les Premières nations devraient y participer, bien que nous en subissions directement les effets. Nous avons perdu à jamais des lieux sacrés et des cimetières de nos ancêtres et les territoires de chasse de nos pairs. À cause de cela, la perspective de participer à des ententes dont les conséquences risquent d'être préjudiciables à nos collectivités à long terme est une source d'appréhension.

Ces dernières années, toutefois, l'énergie verte nous a offert des possibilités, et les technologies actuelles ont entraîné une forte croissance dans cette industrie qu'on croyait naguère une simple mode passagère. La capacité d'utiliser des ressources naturelles afin de produire de l'électricité grâce à des technologies douces telles que les éoliennes, l'énergie solaire et l'énergie tirée de la biomasse a créé davantage de possibilités d'investissements écologiques pour les Premières nations.

Rappelons qu'en l'occurrence, le recours à des éoliennes pour produire de l'électricité n'entraîne que de faibles effets sur l'environnement et a reçu l'aval du programme d'accréditation de l'énergie verte, l'Éco-Logo, garantissant une énergie à 100 p. 100 écologique. Le projet peut exploiter une source d'énergie naturelle, renouvelable, n'épuisant pas la nature et ne causant aucun préjudice à l'environnement à long terme. Si on compare cette source d'énergie au charbon thermique et aux forces hydrauliques, elle est propre. Il serait foncièrement injuste de mesurer la valeur d'un tel projet uniquement sous l'aspect financier, et cela sous-estimerait ses effets externes et ses autres avantages.

Je vais maintenant parler quelque peu du développement de l'industrie éolienne en Alberta et de la part que la Piikuni Utilities Corporation y a prise. Tout a un début. Dans ce cas-ci, c'est un simple agriculteur, Ed Sinnot, de Pincher Creek, qui a été le premier à installer une éolienne dans sa cour afin de produire de l'électricité. Quant à la nation Piikani, elle caressait cette idée depuis le début des années 70. C'est ce qui l'a menée à se joindre à la société Chinook Projects en 1990 afin d'installer le plus grand parc d'éoliennes au Canada, de 9.9 mégawatts. Malheureusement, à l'époque, les services publics n'étaient pas favorables à cette forme d'énergie et les dirigeants piikanis ont donc décidé de ne pas installer leur centrale éolienne dans la réserve Piikani mais plutôt à l'ouest, à Cowley Ridge, en Alberta.

Depuis lors, l'industrie a connu une croissance spectaculaire, créant en Alberta le plus grand parc d'éoliennes du Canada, dont la capacité atteint 269 mégawatts. Au Canada, il y a au total 439 mégawatts obtenus grâce à des éoliennes. Notre première turbine, Weather Dancer 1, a été commandée en 2001 et a été la première très grande turbine à être située sur le territoire des Premières nations des Amériques, et c'est aussi la plus haute. À l'heure actuelle, la nation Piikani s'est lancée dans un projet de parcs d'éoliennes de 300 mégawatts.

En tant qu'organisme des Premières nations, nous sommes conscients des difficultés qu'il faudra surmonter et depuis notre création, il y a 22 ans, nous avons mis sur pied une fondation. Notre direction a clairement signifié son intention de créer un service public appartenant à 100 p. 100 aux Premières nations et elle a activement encouragé le développement en ce sens. Notre stratégie énergétique intégrée, en instance d'obtenir l'autorisation du ministère des Affaires indiennes et du nord canadien, et le plan de travail approuvé par le chef et le conseil constituent une feuille de route qui respecte les intérêts des Premières nations et ne s'écarte pas des principes qui les protègent.

La Piikuni Utilities Corporation a créé un organisme à forte cohésion, sans recevoir beaucoup d'appui financier de la part de notre administration. Nous reconnaissons toutefois que pour atteindre nos objectifs, nous avons besoin de soutiens appropriés, tant techniques que financiers.

Pour résumer, notre projet engendrerait des revenus grâce à la transmission et à la distribution de l'électricité produite par des éoliennes. Si nous voulons réussir à long terme, il est essentiel que nous disposions d'un organisme administratif indépendant, capable d'assurer le suivi quotidien de nos avoirs.

Le projet est susceptible de rapporter des avantages économiques en exploitant une ressource naturelle qui est bonne pour l'environnement, et il est conforme à nos valeurs, à nos traditions et à nos principes en tant que membres de la nation Piikani. Il faut que nous favorisions et appuyions nos projets économiques, en gardant à l'esprit le fait que notre tribu, semblable en cela à bien d'autres Premières nations, ne compte pas énormément de ressources naturelles. Nous n'avons donc pas le luxe de tourner le dos à de telles possibilités ni de refuser à nos membres et aux générations à venir le droit de réussir.

Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Big Bull.

Le sénateur St. Germain : Je vous remercie, monsieur Big Bull, de votre exposé de ce matin. Vous êtes-vous adjoints à d'autres partenaires ou êtes-vous demeurés les seuls maîtres d'œuvre de ce projet?

M. Big Bull : J'ai ici une communication en PowerPoint portant sur les objectifs et les fonctionnements de la Piikani Utilities Corporation, où l'on trouvera les renseignements à notre sujet. Je dirai cependant que lorsque nous nous sommes adressés aux services publics, qui, à l'époque, étaient administrés par trois grandes sociétés, dans une structure à intégration verticale, nous leur avons dit qu'ils exploitaient nos terres sans que nous en tirions le moindre avantage. C'est d'ailleurs ainsi dans l'ensemble du Canada. Songez qu'en contrepartie de toutes les lignes de transmission tendues au-dessus des terres des Premières nations, on nous a fait un versement initial d'au maximum 3 000 $ puis on nous a remis 1 $ en guise de paiement de transaction.

Eh bien, nous avons révisé notre façon de penser et nous nous sommes dit que dans la loi, il était écrit que nous sommes censés tirer profit de ces terres. La Loi sur les Indiens comporte effectivement un principe d'après lequel l'usage commun des terres des Premières nations doit se faire à l'avantage des tribus.

Nous avons donc dit aux services publics que notre situation risquait de leur causer des regrets et des ennuis plus tard. Nous tenions à prendre en charge nos propres besoins énergétiques et voulions leur en parler dans un lieu approprié. Lorsque nous leur avons demandé d'en discuter avec nous, nous avons été accueillis plutôt froidement. Malgré cela, nous n'avons pas baissé les bras et après une quinzaine d'années d'efforts, de tentatives et d'approches auprès des services publics, nous avons enfin réussi à éveiller leur intérêt.

L'un des facteurs fondamentaux de cette percée, et cela va me permettre de répondre à votre question, c'est que les terres de réserve n'allaient pas disparaître. Nous n'allions pas disparaître. Nous étions là depuis des milliers d'années et nous avions l'intention d'y être encore demain. Cela a forcé les sociétés de services publics à prêter une oreille plus attentive à ce que nous disions. Au début, nous nous sommes adressés à une des grandes entreprises albertaines qui a refusé de nous entendre. Nous sommes revenus à la charge et elle a encore refusé de nous entendre. Nous nous sommes donc tourné vers Ressources naturelles Canada pour demander de l'aide pour un projet de génération d'énergie éolienne dans le cadre de la stratégie sur les énergies renouvelables. Nous avons ainsi identifié un organisme public à qui nous pouvions à tout le moins exposer les questions qui nous intéressaient.

Chinook Project Inc., rebaptisé Vision Quest, a été notre premier partenaire. Nous avions une affectation de 9,9 mégawatts et un contrat de 20 ans à un très bon prix pour l'époque et qui reste un très bon prix aujourd'hui.

Nous cherchions des investisseurs. Nous essayons de convaincre les investisseurs qu'il serait rentable de développer les terres des Premières nations. Ils hésitaient en raison de notre incapacité à créer le genre de biens meubles requis sans la possibilité d'un référendum. Ils continuaient donc à hésiter.

Toutefois, nous avons persévéré et nous nous sommes adressés à la société Epcor, qui nous a écouté avec intérêt. C'était agréable pour une fois de parler à quelqu'un qui s'intéressait à cette possibilité. Comme il s'agit d'une société de services publics municipale — elle appartient à la ville d'Edmonton — sa situation était comparable à la nôtre à divers égards. Comme elle ne paie pas d'impôts en tant qu'entité municipale et que les Premières nations ne paie non plus d'impôt, nous avons pu envisager un modèle qui nous permettrait de trouver notre financement. Puis nous avons proposé un contrat à Epcor. Comme ses projets d'énergie éolienne sont axés sur des contrats à long terme, nous avons pu négocier un contrat avant d'obtenir le financement.

Puis nous nous sommes adressé à nouveau à des entreprises comme TransAlta et nous avons présenté une soumission, mais nous n'avions pas encore d'éolienne et, comme dans toute chose, si vous ne faites pas de mise, vous ne pouvez pas jouer. Nous sommes retournés voir Epcor et nous avons réussi à la convaincre d'investir dans notre projet. C'est vraiment le modèle de développement qui est l'élément moteur. J'ai passé beaucoup de temps dans ma présentation à réfléchir aux terres, puisque nous n'étions pas prêts à en céder davantage. Je pense qu'aucune tribu n'est prête à céder d'autres terres. Toutefois, la position de la Couronne était qu'il fallait maintenant désigner une parcelle pour l'emplacement d'une éolienne qui ne prendrait pas plus de place qu'un de ces pylônes d'acier de 240 ou 540 kV.

Nous avons dû essayer de convaincre le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et le ministère de la Justice et leur expliquer clairement que les éoliennes n'allaient pas occuper plus d'espace que n'importe quel pylône d'acier et qu'une fois désaffectées, elles pouvaient être démantelées et la terre pouvait être ramenée à son état naturel. Ce sont ces démarches qui ont tout mis en branle et qui ont rendu le projet intéressant.

Il y a une décision judiciaire qui nous a permis d'aller de l'avant. Plutôt que de désigner une parcelle, nous avons choisi l'instrument le moins restrictif, le permis d'utilisation du sol en vertu du paragraphe 28(2) de la loi. Cela nous a permis de réaliser le projet au moyen d'une co-entreprise.

Au nom de la tribu, la Piikuni Utilities Corporation s'est adressée au chef et au conseil, pas à une société de services publics. Nous avons alors pu céder ce permis à la co-entreprise qui a créé le bien meuble. Cela nous a permis de profiter des crédits pour les frais liés aux énergies renouvelables et aux économies d'énergie au Canada et de réaliser ce projet. C'est ainsi que nous avons pu nous adresser à ces autres investisseurs en leur disant « Écoutez, voici l'occasion de créer un partenariat à 51/49; nous ne sommes pas prêts à envisager moins que cela ». Nous avons fixé nos conditions, qui répondent à nos besoins tout en étant acceptables aux investisseurs.

Le sénateur Zimmer : Au cours des cinq derniers jours, on nous a dit que les règles et l'administration du MAINC ralentissent certains projets et peuvent même les faire échouer. Je m'intéresse beaucoup à votre projet d'éoliennes, votre stratégie énergétique intégrée. Vous avez dit que vous attendez des décisions du MAINC. Y a-t-il un risque que les retards engendrés par leurs politiques ou leur administration puissent faire échouer le projet?

M. Big Bull : Absolument. Je suis heureux que vous posiez la question, car c'est-là où le bat blesse. J'en reviens à ce que je disais au sujet du modèle de développement. Nous avons dû convaincre le ministère de la Justice qu'à cause de ce processus de désignation des terres, nous allons finir par tourner en rond, obligés de retourner dans la collectivité lui demander de céder un quart d'acre pour une éolienne. Le fait est que les sociétés de services publics au Canada ne sont pas obligées de désigner des terres pour leurs lignes de transport, leurs sous-stations ou leurs lignes de distribution, mais lorsque nous avons voulu créer notre propre entreprise, on nous a imposé toutes ces règles. Puis nous avons dit au ministère que le problème, c'était peut-être le processus, la manière de préparer le permis. Ils aiment pouvoir distribuer des permis et des ententes types sous prétexte que ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre. Nous n'étions pas prêts à demander un permis inutile et nous avons donc dû convaincre le ministère de la Justice de modifier son permis afin que nous puissions inclure des modalités propres à un projet énergétique.

Entre-temps, nous avons perdu une éolienne de 750 kilowatts, car aucun investisseur est prêt à attendre pendant que nous nous tournons les pouces. Les choses bougent vite dans le monde des affaires. Heureusement, l'éolienne de 900 kilowatts dans laquelle nous avons finalement investi était sur le marché. Comme nous investissions dans l'énergie éolienne, nous ne faisions pas concurrence aux centrales traditionnelles au charbon ou hydroélectriques. L'énergie éolienne est une industrie en soi qui a sa valeur, mais pour être viable, il faut des projets de grande envergure.

Nous avons dit « Eh bien, nous avons notre première éolienne et un modèle d'entreprise. » Puis, on nous a dit « Pardon, nous nous sommes trompés, vous devez maintenant désigner des parcelles à louer. » Nous sommes donc encore une fois engagés dans la même discussion interminable. Nous avons des investisseurs qui attendent en coulisse avec leur argent.

Le problème n'est pas seulement le MAINC, mais aussi nos conseils de bande. Ce que j'essaie de dire, c'est que lorsqu'on a un projet d'un demi milliard de dollars, un projet de 300 mégawatts, une collectivité démunie et un conseil qui a des intérêts opposés, ce n'est pas simple. Nous avons maintenant le projet, nous avons un plan directeur et nous sommes prêts à démarrer. Mais nous devons encore une fois aller frapper à la porte du MAINC.

Le sénateur Zimmer : Merci, monsieur; vous avez très bien exprimé votre position.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Big Bull, pour l'information que vous nous avez fournie aujourd'hui.

M. Big Bull : Merci beaucoup.

Le président : Honorables sénateurs, notre prochain témoin est M. Bert Crowfoot.

Je crois que vous représentez la Aboriginal Multi-Media Society of Alberta, dont vous êtes le DGE, fondateur et éditeur. Bienvenue dans notre comité. Vous pouvez commencer si vous êtes prêt.

Bert Crowfoot, PDG, fondateur et éditeur, Aboriginal Multi-Media Society of Alberta : Je m'appelle Bert Crowfoot. Je suis originaire de Siksika, qui se trouve à environ 100 kilomètres à l'est d'ici. Mon arrière arrière-grand-père est le chef qui a signé le Traité 7. Lorsqu'on m'a demandé de vous faire un exposé, je ne savais pas au juste ce que je devais vous dire ou ce que vous vouliez entendre, car je suis membre d'une Première nation, mon entreprise est autochtone, mais nous ne sommes pas installés dans une réserve.

J'ai pensé vous raconter d'abord comment nous avons démarré, c'est-à-dire ma propre histoire. Vous avez des exemplaires de mes publications devant vous. J'ai eu mon premier emploi à huit ans. Mon père m'a installé sur un tracteur et m'a dit « Garde ta roue dans cette ornière », et c'est ce que j'ai fait. Il est descendu du tracteur, c'est moi qui conduisais et qui regardais, et j'étais terrifié. Il m'a regardé faire un bout de temps pendant que je tournais et je tournais et enfin il m'a dit que tout allait bien et il est parti. Vers l'heure du déjeuner, il est revenu, il est remonté sur le tracteur, il m'a remplacé pour que j'aille manger et puis il m'a confié à nouveau le tracteur. Au cours des années suivantes j'ai appris comment changer de vitesse. J'ai commencé très jeune et si j'ai commencé par vous raconter cette histoire, c'est pour que vous sachiez que j'ai hérité de mes parents une éthique du travail très développée. Mon père est en avance sur son temps de plusieurs années lorsqu'il a décidé d'utiliser des produits chimiques pour irriguer ses champs. Cela remonte aux années 50 et 60. Lorsque je n'étais pas sage, ma mère était prompte et me corrigeait avec une cuiller en bois.

Lorsque j'ai eu 12 ans, je pense que mes parents ont voulu me soustraire au sort de bon nombre des membres de la réserve et ils m'ont envoyé vivre dans une famille non autochtone à Calgary pour que j'y fasse ma huitième année. Il s'agissait d'un programme volontaire mis en œuvre par l'Église. Mes parents m'ont dit « Nous pensons que nous devons t'envoyer ailleurs pour que tu puisses améliorer ton sort ». J'ai fréquenté une école secondaire d'Edmonton et je suis allé à l'université dans l'État de Utah. Lorsque je suis arrivé à l'université, pour suivre un cours prémédical, je m'amusais beaucoup, puis je me suis inscrit à un programme d'éducation physique et de loisirs.

Nous sommes neuf enfants dans ma famille et nous avons au total 22 diplômes universitaires. Très peu d'entre nous boivent. Moi je ne bois pas, je ne fume pas. Je ne suis plus mormon, mais ma famille l'est. J'ai un frère et une sœur qui sont dentistes. Mon frère est chef. Il a une maîtrise en gestion des affaires. Nous avons très bien réussi nos études. Je pense que si je ne bois pas, c'est parce que mon père s'est mis à boire et a tout perdu pace qu'il était tellement frustré par la situation dans la réserve. J'ai vu qu'il a tout perdu à cause de l'alcool et c'est alors que j'ai décidé que je ne voulais pas boire.

Lorsque j'ai terminé mes études universitaires, je suis revenu ici et je fabriquais des bijoux avec de l'argent et des turquoises. Un de mes amis m'a appelé et m'a demandé « Serais-tu intéressé à écrire un article sur le tournoi de ballon panier à Peigan? » Je l'ai fait. Il a dû aimer mon article puisqu'il m'a demandé de couvrir un tournoi de hockey. C'est ainsi que j'ai commencé ma carrière dans les médias, comme pigiste. On m'a offert un poste de journaliste sportif. J'ai gravé les échelons pour devenir réviseur de nouvelles sportives, puis rédacteur en chef.

Les finances de l'organisme étaient mal gérées et le gouvernement leur a coupé les fonds en 1982. Je me retrouvais avec tous ces employés et j'ai décidé que je voulais continuer dans le monde des médias. J'ai préparé une proposition, nous avons obtenu des fonds des gouvernements provincial et fédéral et nous avons lancé l'Aboriginal Multi-Media Society en 1983.

À l'époque, mon frère et moi nous nous sommes retrouvés à une réunion familiale et il avait avec lui des cassettes intitulées « Psychology of Winning » par Denis Waitley. Je lui ai demandé de me les prêter et je les ai écoutées. « Psychology of Winning », c'est un mode de vie. C'est une nouvelle façon de voir les choses. C'est une attitude positive.

Il y avait 12 leçons et je les ai écoutées pendant une semaine, puisque je passais beaucoup de temps sur la route. La méthode insiste sur le fait qu'il faut avoir une attitude positive; lorsque quelque chose de mauvais se produit, il faut trouver l'aspect positif. J'ai été entraîneur pendant 30 ans. Lorsqu'on perd, quelle leçon doit-on en tirer? J'ai intégré bon nombre de ces philosophies dans mes méthodes d'entraînement pour les enfants et j'ai constaté que si vous avez des attentes élevées et que vous leur expliquez exactement ce que vous attendez d'eux, ils seront à la hauteur. Ils atteindront ces objectifs. Dans mes équipes, nous nous fixions beaucoup d'objectifs. J'ai été entraîneur des équipes de l'Alberta qui ont participé aux Jeux du Canada en 1993 et j'ai l'habitude de travailler avec les meilleurs athlètes de balle molle féminine de la province.

J'ai appliqué cette philosophie dans mon entreprise. En 1987, nous avons tenu un atelier pour fixer des objectifs et l'un de ces objectifs était de devenir autonome. Nous voulions pouvoir générer nos propres revenus. Il faut que vous sachiez que nous sommes une société sans but lucratif, pas une entreprise commerciale, mais nous gérons nos affaires comme une entreprise. Nous avons fixé des objectifs et l'un d'entre eux était de devenir autonome — nous avons fait beaucoup de remue-méninges — et un autre était d'avoir un transmetteur de 100 000 watts. Un autre objectif était de lever 1 million de dollars par année. Nous avons des parties de bingo à la radio.

En 1989, le gouvernement provincial nous a informés qu'il allait cesser de financer les communications autochtones et il nous a donné trois ans pour devenir autonomes. En 1990, le gouvernement fédéral a commencé à effectuer des compressions et en février de la même année il nous a donné six semaines pour devenir autonomes. Le programme des communications autochtones a été éliminé et neuf des onze journaux qui étaient publiés au Canada ont disparu.

J'aurais pu lamenter notre triste sort mais j'ai décidé d'agir immédiatement. Le jour de l'annonce des compressions, j'ai réduit mes effectifs de moitié, passant de 24 à 12 employés. Nous avons transformé notre hebdomadaire en mensuel. J'avais perdu environ 75 p. 100 de l'argent que j'avais investi. Nous générions environ 15 p. 100 de nos revenus totaux. Les autres 85 p. 100 provenaient de différents programmes.

Nous nous sommes demandé : « Quelle est la leçon à retenir? Quelles possibilités émergeront de cette situation? » Puis nous nous sommes rendu compte que la disparition de tous ces journaux laissait un vide dans tout le pays et nous avons fait du Windspeaker une publication nationale. Au même moment, nous avons cessé de couvrir l'actualité locale et les collectivités ont commencé à nous dire : « Hey, vous aviez l'habitude de venir à nos activités sociales; qu'est-ce qui se passe? » Nous avons donc créé Alberta Sweetgrass, une publication provinciale. Puis, on a entendu le même son de cloche en Saskatchewan et nous avons donc lancé le Saskatchewan Sage, puis, en Colombie-Britannique, le Raven's Eye, puis le Ontario Birchbark. Nous avions alors une publication nationale et quatre publications provinciales.

Nous nous sommes lancés dans le bingo radiophonique puisque nous avions perdu une large part de notre financement. L'an dernier, le bingo radiophonique nous a rapporté près de un million de dollars. Nous avons un transmetteur de 100 000 watts à Moose Hills qui diffuse dans presque tout le nord-est de l'Alberta. Nous avons un transmetteur de 12 kilowatts dans le sud de l'Alberta. Nous avons un transmetteur de 12 kilowatts à Joussard, dans le nord de l'Alberta. Nous avons environ 44 autres sites de 10 watts qui atteignent la plupart des Premières nations de cette province.

Comme je le disais, nous fonctionnons comme une entreprise. Tout à l'heure, j'ai entendu parler de la budgétisation base zéro que semble utiliser le gouvernement. Lorsque j'ai lancé cette entreprise, la plupart des membres de mon conseil et des personnes avec qui je traitais étaient membres des conseils de bande des Premières nations et ils me disaient : « Vous devez dépenser tout cet argent; vous devez vous en débarrasser. » Et moi je répondais : « Pourquoi? Je n'ai pas besoin de le dépenser. » Ils me disaient : « Oui, mais si vous ne le dépensez pas, vous allez le perdre. » J'ai réfléchi un instant, puis j'ai dit : « Eh bien, je gagne de l'argent. J'ai dépensé tout l'argent du gouvernement, mais je n'ai pas dépensé le mien et je vais donc le garder. » Grâce à cela, nous avions environ un quart de million de dollars dans notre bas de laine lorsque les gouvernements ont supprimé notre financement en 1990 et c'est ce qui nous a permis de survivre.

J'ai participé à une réunion du Conference Board du Canada il y a quelques semaines à laquelle participaient de grandes sociétés. Je représentais le Conseil consultatif des Premières nations et ces sociétés discutaient des difficultés qu'elles ont lorsqu'elles traitent avec les Premières nations. L'un des problèmes était de séparer la politique et l'économie — je pense que Siksika a traité de cette question ce matin; elle a créé un comité de développement économique qui est un véritable succès. L'une des difficultés qu'ont ces grandes sociétés est qu'elles doivent repartir de zéro et tout recommencer avec un nouveau chef et un nouveau conseil chaque fois qu'il y a un nouveau gouvernement.

Quelqu'un m'a dit : « J'ai cent emplois pour des Autochtones et lorsque nous avons essayé de recruter nous avons trouvé très peu d'Autochtones qualifiés; ils n'avaient pas le niveau de base requis, soit une douzième année. » Il y avait là un représentant de l'Association des chefs du Manitoba qui a expliqué toutes les statistiques sur le chômage, et cetera. J'ai dit au représentant de cette grande entreprise qui était assis de l'autre côté de l'allée : « Vous aviez une question ce matin au sujet du recrutement de personnes qualifiées. » Il y a eu une assez bonne discussion. Un aîné qui s'est adressé à la conférence un peu plus tard a abordé la même question. Il a dit qu'il était lui-même un excellent exemple de ce qui était arrivé puisqu'il avait dû quitter sa collectivité pour obtenir une meilleure éducation. Je pense donc que l'une des clés du développement économique est l'éducation. Nous devons rehausser le niveau d'éducation dans bons nombres de ces écoles.

Mercredi soir, j'ai participé à une réunion à Edmonton où quelqu'un a raconté l'histoire d'un immeuble avec trois portes. Il s'est rendu à la première porte et a essayé d'entrer, mais la porte ne s'ouvrait pas. Puis un non-Autochtone est arrivé, a ouvert la porte et est entré. Il a essayé de nouveau d'ouvrir la porte mais sans succès. Il s'est reculé, a cherché, et a aperçu une autre porte, une porte tambour. Il s'est approché de cette porte et tout à coup il a été happé par la porte et rejeté dehors. Il a regardé autour de lui et a aperçu une troisième porte et des Indiens qui tenaient des clés. Ils ont ouvert cette porte, ils sont entrés. Il a demandé « Pourquoi? »

Nous avons eu une bonne discussion. J'étais un peu fâché contre lui. Je lui ai dit : « Oui, j'ai la clé de cet immeuble, mais vous savez ou bien j'achèterai cet immeuble ou je démolirai la porte, mais d'une manière ou d'une autre j'ai l'intention d'y entrer. » Cette attitude est une autre raison pour laquelle j'ai réussi et pour laquelle bien des gens avec lesquels je traite ont réussi eux aussi. Je ne vais pas dresser d'obstacles qui m'empêcheront de faire ce que je veux faire. J'ai l'intention de transformer les pierres d'achoppement en pierres de gué. Lorsque je décide de faire quelque chose, je le fais. Comme je le disais, l'an dernier, notre bingo radiophonique nous a rapporté près de 1 million de dollars. Bon nombre des objectifs que nous nous étions fixés en 1987 n'étaient pas réalistes à l'époque, mais ils l'étaient devenus 15 ans plus tard.

Je connais un jeune homme qui vivait dans l'une des réserves et il agissait comme le font les jeunes dans les réserves. Il buvait, il fumait, se droguait et recevait de l'aide sociale. Il n'avait aucune ambition, aucune éthique de travail, rien de cela, or il avait terminé son secondaire. Il est allé vivre dans un meilleur milieu et tout à coup il s'est trouvé un emploi et a commencé à se sentir fier de lui-même. Il avait une meilleure estime de soi et il faisait ce que nous souhaitons tous que nos enfants fassent un jour. Il est retourné à la réserve, a recommencé à agir comme les jeunes qui y vivaient, et maintenant il est de nouveau un assisté social sans ambition. Le milieu où l'on vit a une grande influence sur les attitudes.

J'ai participé à une conférence ici à Calgary en février dernier sur les jeunes entrepreneurs. Cette conférence, intitulée The Young Entrepreneur Symposium, avait été organisée par la National Association of Aboriginal Capital Corporations. Il y avait environ 120 jeunes entrepreneurs autochtones. Depuis quelques années, ma vie était devenue une routine, j'avais eu des ennuis personnels et je ne me sentais plus très motivé, mais cette conférence m'a inspiré. J'étais entouré de jeunes entrepreneurs énergiques et concentrés sur leurs objectifs. Ils m'ont inspiré. Il y avait un jeune homme de 23 ans, Joe Cardinal, de Saddle Lake, qui a commencé à travailler pour une entreprise de construction à Edmonton. Il a eu un bon patron qui lui a montré tout ce qu'il devait savoir. Trois ans plus tard, il lançait sa propre entreprise et maintenant il construit des charpentes pour six des plus grands entrepreneurs en construction de la province. Son problème c'est de retenir ses employés, mais cela ne le ralentit pas. Il continue à foncer.

Nous avons une nouvelle publication, intitulée Business Quartely, qui paraîtra pour la première fois le mois prochain. Vous avez le dépliant devant vous. Nous voulons faire connaître ces jeunes gens d'affaires. Nous voulons raconter certaines de leurs réussites. Nous essayons de faire notre part en fournissant aux nôtres des modèles pour les motiver et rehausser leur estime de soi. C'est l'une des principales raisons d'être de notre entreprise.

L'une des leçons que nous avons apprises c'est que nous devons diversifier nos sources de revenu et ne pas dépendre d'une seule. Je sais que vous avez tous entendu parler du scandale des commandites, dont nous avons subi les contrecoups puisque nous avons perdu environ 25 p. 100 de nos revenus de publicité qui provenaient auparavant du gouvernement fédéral. Cela nous a incités à essayer de diversifier nos annonceurs, en nous concentrant davantage sur les moyennes et grandes entreprises.

Pour en revenir à l'éducation, j'ai participé à une autre conférence à Toronto, organisée par la Fondation nationale des réalisations autochtones, intitulée « Taking Pulse », à laquelle un représentant du CN a dit : « J'ai besoin d'employés, mais je n'en trouve aucun qui soit qualifié », tout comme l'autre type qui avait dit : « J'ai besoin de 100 employés, mais personne n'est qualifié. » Le CN a aidé quatre collèges, universités et établissements postsecondaires à élaborer un programme d'études. Ils peuvent orienter des étudiants vers ces programmes et lorsque ceux-ci terminent leurs études, ils travaillent au CN. Voilà un autre exemple de ce que les grandes entreprises peuvent faire.

À la conférence du Conference Board du Canada, les grandes entreprises disaient : « D'abord, nous traitons avec les Premières nations et ensuite, nous traitons avec le gouvernement, car notre objectif est d'agir immédiatement, alors qu'au gouvernement, bien souvent des choses sont mises en branle mais n'aboutissent pas. » C'est malheureux.

Je m'arrête là. En tant qu'entraîneur et homme d'affaires, l'un de mes principes a toujours été « Il ne faut pas que la victoire nous monte à la tête ni que l'échec nous brise le cœur ».

Le sénateur Lovelace Nicholas : Merci beaucoup pour cet exposé. Quel est le niveau de scolarité dans votre collectivité?

M. Crowfoot : Dans ma collectivité? J'ai assisté à une remise de prix dans une école de Hobbema et j'ai été impressionné par le nombre de diplômés. Je pense qu'il y avait entre 70 et 80 diplômés. Je parlais avec ma sœur, qui est responsable de l'éducation postsecondaire à Siksika, et elle me disait qu'il y a près de 700 personnes inscrites dans des programmes postsecondaires. Il y a ici des gens de la réserve et je suis sûr qu'ils sont plus au courant des chiffres que moi car cela fait 30 ans que je n'habite plus dans la réserve; j'habite en ville. Toutefois, je sais que Siksika a un taux de réussite scolaire élevé. Comme les témoins précédents l'ont dit, il y a plusieurs personnes de la réserve qui enseignent dans les écoles.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Pensez-vous que les Autochtones doivent quitter leurs collectivités afin de réussir, et dans l'affirmative, pourquoi?

M. Crowfoot : Je pense que s'il n'y a pas de débouchés dans les collectivités, ils doivent partir, que ce soit pour s'instruire ou pour travailler, mais si ces débouchés existaient dans les réserves, je pense qu'ils n'auraient pas besoin de partir.

Le sénateur Zimmer : Pour enchaîner sur la question du sénateur au sujet de l'éducation, avez-vous un plan ou un programme de mentorat et d'orientation pour aider les diplômés à faire carrière et à se trouver des emplois?

M. Crowfoot : L'un de mes rêves serait de créer un programme de journalisme au sein de mon entreprise. C'est devenu l'objectif personnel d'un de mes journalistes. Nous avons rencontré des représentants du NAIT, le Northern Alberta Institute of Technology, pour discuter de la possibilité qu'il offre un tel programme. Je suis actuellement membre de l'Alliance stratégique des radiodiffuseurs pour la représentation des Autochtones, de Toronto, qui traite avec tous les grands diffuseurs pour qu'on voie plus de visages bruns devant les caméras, et derrière les caméras. Il est possible que nous puissions former des employés pour eux. Je pense que les mentors, les modèles, les gens qui peuvent leur montrer que c'est possible de faire quelque chose, sont importants.

Le sénateur Campbell : J'ai survolé vos journaux, et il m'a semblé y avoir un thème récurrent, celui de la jeunesse, de la musique et des arts. Vous pourriez peut-être nous expliquer quel rôle ces trois thèmes jouent non seulement dans votre collectivité, mais dans l'économie des Premières nations. Je suis particulièrement surpris du grand nombre de représentants des Premières nations qui oeuvrent dans le domaine des arts, et particulièrement en musique.

M. Crowfoot : Vous devez d'abord savoir que nos publications sont indépendantes. Il y a une ou deux semaines, lorsque j'ai donné une entrevue à la CBC, on m'a demandé ce qui se produirait si j'écrivais un article sur mon frère, qui se trouve être un chef. J'ai répondu qu'il faudrait alors que je prenne garde aux réactions de ma mère.

Je suis très fier de notre complète indépendance. Même les publicitaires ne peuvent rien changer à notre audience, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Je parlais justement à Robert Nault, qui fut ministre il y a quelques années. Il a avoué qu'il me respectait beaucoup, même si je l'avais vertement critiqué à plusieurs reprises. Il m'a dit qu'il me respectait parce que je pouvais critiquer tout autant tous les autres. Autrement dit, s'il fallait que quelque chose soit dit, j'étais prêt à le faire, mais je le faisais de façon objective et équilibrée.

Pour revenir à votre question au sujet des arts, je suis très fier de voir à quel point nos gens font preuve de créativité en musique ou dans les autres arts : c'est une façon pour eux de s'exprimer. Voilà le genre de personnes dont nous aimons brosser le profil dans nos publications. Elles nous permettent de montrer au reste du Canada que nous ne correspondons pas nécessairement au stéréotype habituel que se font les gens des Autochtones. En effet, nous ne sommes pas tous des ivrognes, nous ne sommes pas tous en chômage non plus. Voilà pourquoi il est important de montrer au monde entier ces réussites et les montrer aussi à notre peuple, pour qu'elles puissent l'inspirer.

Le sénateur Campbell : Merci beaucoup et continuez vos efforts.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Crowfoot. Notre étude porte sur la participation des Autochtones dans les entreprises, et c'est pourquoi nous regardons d'abord du côté des bandes des Premières nations et des réserves. Votre exemple à vous est très intéressant, car même si vous êtes issu de ce milieu, vous avez réussi à vous implanter hors des réserves et de votre bande, grâce à votre détermination, à votre énergie et à vos compétences. Cela peut servir de rappel et illustrer que des gens comme vous ont pu réussir par eux-mêmes malgré les nombreux obstacles. Mais c'est aussi parce que la société canadienne permet ce genre de réussite. Merci beaucoup de votre participation et bonne chance.

M. Crowfoot : Il y a deux réalisations à notre actif au cours des quelques dernières années dont j'aimerais vous faire part : d'abord, notre organisation a été choisie par la revue Alberta Venture de l'année dernière comme représentant l'une des 50 organisations les plus influentes de la province; et en second lieu, nous nous sommes retrouvés cette année parmi les 100 entrepreneurs qui ont bâti l'Alberta. Cela nous rend très fiers, et nous espérons pouvoir poursuivre sur notre lancée.

Le président : Mesdames et messieurs du Sénat, accueillons maintenant M. Steinhauer et M. New.

Arthur New, directeur des opérations, Henry Bird Steinhauer Development Foundation Ltd. : Monsieur le président, mesdames et messieurs du Sénat, aînés et mesdames et messieurs, je suis directeur des opérations de la Henry Bird Steinhauer Development Foundation. J'appartiens à la nation des Métis de l'Alberta. J'ai grand plaisir aujourd'hui à vous présenter Melvin Steinhauer, qui est l'auteur d'un livre sur son arrière-grand-père, Henry Bird Steinhauer.

Il nous présentera d'abord un bref historique de la vie de Henry Bird, puis s'attardera à l'élaboration d'un plan d'action destiné à mettre en pratique les principes que prônait Henry Bird en vue de permettre aux collectivités des Premières nations d'aujourd'hui d'atteindre l'autosuffisance.

M. Steinhauer a été administrateur de conseils tribaux pendant plus de 30 ans, à la fois à Whitefish Lake et à Saddle Lake, en Alberta. C'est lui qui a organisé la première conférence des chefs de l'Alberta en 1968 et qui a présidé la Indian Oil Sands Development Corporation, connue aujourd'hui sous le nom de Alberta Indian Investment Corporation.

M. Steinhauer a été chef et conseiller et réside aujourd'hui à Whitefish Lake. Je cède maintenant la parole à Melvin.

Melvin Steinhauer, président, Henry Bird Steinhauer Development Foundation Ltd. : Bonjour. J'aimerais d'abord remercier le Comité sénatorial des affaires des Autochtones de me prêter l'oreille aujourd'hui. La majeure partie de ce que je vous raconterai ce matin se passe dans la réserve de Whitefish Lake. Mais veuillez noter que lorsque je parle de Whitefish Lake, j'entends par là aussi Good Fish Lake, puisque les deux lacs se trouvent dans notre réserve. Voici maintenant notre histoire.

L'image que vous voyez ici d'un petit garçon de 10 ans a aujourd'hui 175 ans, et pourtant l'esprit de cet enfant reste toujours vivant dans nos collectivités et dans ses descendants un peu partout au Canada. C'est parce que ses descendants sont aujourd'hui au nombre de 12 000. Cet enfant s'appelait Henry Bird Steinhauer, et aussi Shawahnekizhek. J'ai écrit l'histoire de sa vie pour que tout le monde, et particulièrement nos jeunes Autochtones, puissent en savoir plus sur lui et apprendre par son exemple comment un individu peut à lui seul agir sur plusieurs générations et jusqu'à aujourd'hui. Nous pouvons être fiers de lui, puisqu'il a servi de modèle de vie qui a pu influencer plusieurs générations.

L'Ojibwa Henry Bird est né en 1818 près du lac Simcoe, en Ontario, et a fréquenté l'école au Canada et aux États-Unis. Il a vécu dans le nord du Manitoba et a habité à Whitefish Lake pendant 27 ans, de 1857 à 1884. C'est ce qui explique que ses réalisations se soient fait sentir aussi profondément à Whitefish Lake. Il avait à cœur certaines vertus et valeurs, dont je vous parlerai plus tard.

Henry Bird Steinhauer n'a jamais été chef ni conseiller, et pourtant ses descendants sont devenus chefs et conseillers, hommes d'affaires, et même lieutenant-gouverneur, puisque le regretté Ralph Steinhauer était un de ses descendants. Il n'a jamais été un seigneur de la guerre, et pourtant ses descendants mènent des combats devant les tribunaux et sur la scène politique aujourd'hui encore, pour défendre les mêmes causes que celles qu'il a défendues toute sa vie jusqu'à sa mort, en 1884.

Henry Bird avait un sens moral très poussé, et lorsqu'il est venu vivre avec nous, il a démontré par l'exemple comment il fallait faire grandir nos collectivités. Cet Autochtone comprenait la culture autochtone de chez nous. Voilà pourquoi on lui faisait confiance et voilà pourquoi il a pu travailler avec ses concitoyens pour les aider à faire prospérer leurs avoirs économiques, sociaux et culturels.

Qu'a-t-il accompli? Il fut traducteur et conseiller auprès du chef Pakan au cours des négociations du Traité no 6 et de la rébellion de Louis Riel. Il parlait six langues : l'ojibwa, le cri, l'anglais, le latin, le grec et l'hébreux.

Il fonda des écoles et des églises, et mit sur pied des cours pour les adultes pour leur inculquer des notions d'agriculture, d'économie domestique ainsi que des connaissances élémentaires nécessaires à la survie. Avec l'aide de son adjoint, autochtone lui aussi, James Sinclair, Henry Bird traduisit pour la première fois en cri les 66 livres de la Bible, un véritable exploit.

En somme, il aida la population de Whitefish Lake à s'instruire et à acquérir les connaissances nécessaires à sa survie. En effet, une fois les nouvelles compétences acquises, ses concitoyens ont pu prospérer. Aujourd'hui, 125 ans plus tard, les compétences, vertus et valeurs si chères à Henry Bird continuent à inspirer bon nombre des habitants de Whitefish Lake et de Good Fish Lake.

À Good Fish Lake, la bande de Whitefish Lake est propriétaire de deux entreprises rentables : la fabrique de vêtements, où l'on fabrique des vêtements ignifuges destinés à l'industrie pétrolière, et un établissement de nettoyage à sec où nous nettoyons et réparons des chargements complets de vêtements des travailleurs de l'industrie pétrolière. Ces deux entreprises existent et sont rentables depuis plus de 30 ans. À mon avis, c'est l'influence de Henry Bird Steinhauer qui nous a permis de jeter les bases de ces entreprises et de les exploiter avec succès.

Soit dit en passant, j'ai eu hier l'occasion d'assister à l'ouverture officielle du deuxième établissement de nettoyage à sec, et au cours de la cérémonie, nous avons reconnu le travail effectué par 10 des employés. Celui d'entre eux qui avait travaillé le moins longtemps pour l'entreprise était là depuis 17 ans, et celui qui était là depuis le plus longtemps, était à l'emploi de l'entreprise depuis 27 ans! J'en étais extrêmement fier : il est rare que l'on trouve des gens qui travaillent pour un seul et même employeur pendant 27 ans, et encore plus rare que ce soit dans une entreprise autochtone.

Maintenant, examinons les principes de base et les valeurs fondamentales qui animaient Henry Bird. Réfléchissons à la manière dont nous pouvons les inscrire dans un plan d'action. Vous remarquerez que j'utilise très souvent l'expression « développement communautaire ». C'est parce que je ne considère pas Henry Bird comme seulement un promoteur économique ou seulement un éducateur ou seulement un ministre. Le développement communautaire est une expression qui englobe tout, depuis la situation dans laquelle les gens se trouvent aujourd'hui jusqu'à la collectivité qui sera édifiée à partir de cette base.

Le premier principe est celui de l'éducation. Dans le monde de Henry Bird, l'éducation avait une importance primordiale pour les enfants, ainsi que pour les hommes et les femmes de tous âges. Aujourd'hui, l'éducation doit préparer les jeunes gens à occuper des emplois et à diriger des entreprises à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté des Premières nations.

L'apprentissage est un processus continu. Nous devons continuellement apprendre, surtout de nos jours, entre autres grâce à l'Internet. Nous apprenons autant de nos échecs que de nos succès. Nous devons aussi continuer d'apprendre au contact de tous les segments des sociétés extérieures à la nôtre.

Habiletés pratiques : Dans le monde de Henry Bird, il était impératif que les gens possèdent des habiletés pratiques pour survivre. La chasse et la pêche évoluaient et ils ont donc ajouté l'agriculture, le jardinage, la menuiserie, et même les tâches ménagères. Aujourd'hui, nous appelons cela les connaissances élémentaires, les métiers, la formation en cours d'emploi et l'éducation.

Autosuffisance et transition : Henry Bird a assisté à la transition qui avait lieu parmi les Cris des plaines, qui passaient d'une société de chasseurs et de pêcheurs à une société agricole et industrielle. Il a pris acte de la situation dans laquelle les gens se trouvaient et a tablé sur leurs connaissances et leurs habiletés afin qu'ils puissent acquérir des connaissances plus poussées et de nouvelles habiletés pour pouvoir survivre et avoir une vie intéressante. Il a respecté la culture ancestrale et a bâti à partir de cette culture.

De nos jours, cela veut dire que la communauté des Premières nations doit se tourner vers des investissements, des entreprises nouvelles ou toute activité commerciale qui est autosuffisante. Les projets de création d'emplois artificiels peuvent être utilisés pour la formation, mais nous devons chercher des solutions durables à long terme.

Les membres de la communauté doivent prendre acte de la réalité qui veut qu'en raison de la situation géographique, il n'y aura jamais suffisamment d'emplois dans la communauté des Premières nations pour assurer le plein emploi. C'est pourquoi la plupart des jeunes Autochtones migrent vers les villes.

Je voudrais dire que nous avons eu l'occasion d'embaucher 100 p. 100 de nos gens en 1971 et nous avons constaté que quand on fait cela, ce n'est pas bon, parce que dès qu'on congédie quelqu'un, il faut réembaucher cette personne. C'est ainsi que fonctionne le système.

L'objectif de la communauté en matière de ressources humaines est d'équiper ses membres de l'instruction et des habiletés nécessaires pour être compétitifs sur le marché mondial.

Inclusion : Henry Bird a toujours inclus tout le monde, parce qu'il croyait que chaque personne a quelque chose à offrir. Je ne crois pas qu'une communauté puisse progresser si elle n'inclut pas tous ses membres dans tous les aspects de la vie communautaire. Pour cela, il faut comprendre la culture locale, savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans chacune des communautés.

La valeur du travail : Henry Bird établissait un lien entre la valeur du travail et le fait d'en tirer un avantage financier, le renforcement de l'estime de soi et le sentiment d'appartenance à la communauté. De nos jours, une personne ne devrait avoir droit à l'assistance sociale que si elle apporte en retour une contribution à la communauté. Je crois que le jour viendra où l'assistance sociale sera réduite de façon draconienne et nous devons donc préparer nos gens à opérer cette transition.

Valeurs spirituelles et morales : La spiritualité sous toutes ses formes est la fondation de la communauté. Ce que je veux dire par là, c'est que la spiritualité au sens le plus étendu du terme est au cœur de chacun d'entre nous, nous est donnée par le Créateur et peut être utilisée pour le bien de tous.

Les chefs, la détermination et mener par l'exemple : Quand je parle de leadership, je veux dire que nous pouvons tous être des leaders, des leaders dans la cour d'école, des leaders au travail, des leaders à la maison et des leaders élus, ceux qui nous viennent le plus souvent à l'esprit. Henry Bird menait par l'exemple. En conséquence, les gens devenaient des leaders eux-mêmes.

Le leadership, c'est aussi la gestion. C'est une chose d'avoir des idées, mais c'est toute autre chose de les mettre en œuvre de manière efficace et efficiente. C'est comme deux équipes de hockey. Les deux connaissent bien le jeu, mais c'est celle qui exécute le plus efficacement les habiletés de base qui gagne la partie. Un leadership solide et une bonne gestion peuvent s'acquérir par la pratique, le travail et la détermination.

Henry Bird a élaboré une stratégie de développement communautaire unique à son époque. Dans le langage d'aujourd'hui, j'appellerais cela une stratégie de développement communautaire totale. Je dis « totale » parce que cela doit englober tous les membres de la communauté, peu importe leur âge, peu importe leur niveau de scolarité, quels emplois ils occupent ou n'occupent pas, et même tous les assistés sociaux. La stratégie doit aussi englober tous les programmes et tous les services de notre gouvernement local. Elle doit inclure tous les autres groupes de gens, depuis l'entreprise privée jusqu'aux églises et tous les autres groupes, et nous devons nous doter d'une équipe de gestion capable de diriger tous ces gens et tous ces groupes et de les guider dans le processus de développement en veillant à ce que les sept principes de Henry Bird constituent le cadre d'orientation. Il est important que l'équipe de gestion ait une bonne compréhension de la culture de la communauté locale. Tous les gestionnaires de programme, depuis la culture jusqu'au développement économique en passant par la santé, et tous les autres intervenants de la communauté doivent travailler ensemble pour s'entraider au fur et à mesure que chacune des activités prend corps.

Vous remarquerez que les sept principes de Henry Bird sont la fondation sur laquelle on bâtit la communauté. Vous remarquerez également que j'ai placé l'éducation au centre. J'ai fait cela parce que l'éducation, ce n'est pas seulement aller à l'école. C'est un processus d'apprentissage qui dure toute la vie et qui fait partie intégrante de chaque emploi et programme.

La grande question est celle-ci : comment une communauté peut-elle mettre en œuvre une stratégie de développement communautaire totale pour devenir autosuffisante économiquement et sur le plan de l'éducation, et se débarrasser des problèmes sociaux, des toxicomanies et des modes de vie qui viennent avec? Autrement dit, comment une communauté de Première nation peut-elle fonctionner de manière que ses membres et son gouvernement puissent rivaliser et s'intégrer harmonieusement avec les autres communautés au Canada, qu'elles soient autochtones ou non autochtones? Pour répondre à cette question, chaque communauté devra créer un plan d'action pour mettre en œuvre notre stratégie de développement communautaire totale.

J'ai passé quatre mois à élaborer le plan d'action et un an ou un an et demi à le présenter et le mettre en branle. Je sais que quatre mois pour élaborer un plan d'action, c'est très court, mais je crois que la plupart de Premières nations possèdent les éléments de base, grâce à leurs gestionnaires de programme, pour réaliser cela comme prolongement de leur processus de planification. À l'instar de Henry Bird, nous bâtissons à partir de nos connaissances et franchissons les diverses étapes marquant la transition de notre communauté. À cette étape-ci, on pourrait demander : « Ne mettons-nous pas déjà en pratique les principes de Henry Bird? Pourquoi avons-nous besoin d'un plan d'action? » Ma réponse est : « Si nous ne le faisons pas, nous allons nous égarer en cours de route. » Les gens ont besoin qu'on leur attribue des tâches spécifiques pour que des progrès soient accomplis. C'est aussi simple que cela. Nous devons gérer ce projet de la même manière que nous gérons n'importe quel autre programme.

Voici un résumé des avantages. Les gens seront responsabilisés, ils pourront opérer des choix et influer sur leur propre avenir. Cela marquera le début de la fin de la mentalité d'assisté social qui a été inculquée à nos communautés et qui nous a confinés dans l'inaction pendant tellement longtemps. Le processus conduira les gens vers l'autosuffisance, surtout grâce à l'éducation. En fait, je prédis que nos écoles pourraient figurer parmi la tranche supérieure de 25 p. 100 des meilleures écoles au Canada, au lieu de se retrouver avec 28 ans de retard par rapport aux écoles non autochtones. Je vous prie de ne pas oublier que le petit nombre de nos gens qui ont fait des études postsecondaires ont un niveau de vie égal à celui de l'ensemble des Canadiens.

Nous créerons l'autosuffisance grâce à des emplois durables et à long terme qui permettront à nos gens de planifier leur avenir. Cela permettra à son tour de rehausser le niveau de vie de tout le monde. L'autosuffisance encouragera une plus grande participation communautaire, ce qui débouchera sur une plus grande transparence dans la gouvernance parce que les gens auront désormais le sentiment qu'ils peuvent faire contrepoids aux dirigeants élus.

Le résultat net sera une communauté de personnes qui possèdent l'instruction et les habiletés nécessaires pour réaliser leur autosuffisance dans leur vie personnelle et pour devenir des chefs dans la communauté dans son ensemble. Essentiellement, la communauté elle-même deviendra un chef de file et un modèle au Canada.

En conclusion, je crois que Henry Bird Steinhauer a laissé à toutes les Premières nations un héritage d'espoir et un plan pour atteindre l'autosuffisance. Nous avons maintenant bon espoir que le gouvernement du Canada appuiera cette approche permettant de responsabiliser nos communautés.

Merci beaucoup d'avoir pris le temps de m'écouter aujourd'hui.

Le président : Monsieur Steinhauer, votre exposé et vos propos sont marqués au coin du solide bon sens. Est-ce que le message que vous faites vôtre et que vous diffusez est bien reçu? Votre message est-il bien accepté par les Premières nations dans l'ensemble de la région que vous visitez?

M. Steinhauer : Je ne comprends pas la question.

Le président : Je dis que votre message est très bon. Est-ce que les gens réagissent bien dans les communautés, dans les réserves? Comment réagissent-ils à vos propos? Est-ce qu'ils disent que vous avez raison, que vous avez tort, enfin que disent-ils?

M. Steinhauer : Eh bien, j'ai fait 14 exposés jusqu'à maintenant. On me demande d'aller porter le message que je viens de transmettre ici dans différentes communautés, surtout dans le nord-est de l'Alberta. Je dois dire que telle était la réalité. C'est arrivé et cela peut arriver de nouveau. Enfin, je dis que cela arrive encore à Good Fish Lake, à Whitefish Lake, parce que le taux d'emploi là-bas est d'environ 60 p. 100. Ce nouvel atelier de nettoyage à sec dont j'ai parlé tout à l'heure a la capacité d'embaucher 75 personnes. L'ancien employait seulement 38 personnes. L'usine de confection de vêtements emploie aussi 40 personnes. Il y a 78 personnes qui travaillent dans ces deux usines. Je dois dire que le taux d'assistance sociale se situe probablement entre 35 et 40 p. 100 et je crois sincèrement que c'est grâce à l'héritage d'Henry Bird. Je pense que nous mettons en pratique ses vertus et ses valeurs.

Le président : Vous avez dit que vous allez faire des exposés dans des communautés et qu'il faut quatre mois pour élaborer des plans. Travaillez-vous avec les membres de la communauté, les aidez-vous à élaborer leurs plans? Cela fait-il partie de votre travail?

M. Steinhauer : Je ne le fais pas parce que je commence à peine à transmettre mon message dans les communautés. J'essaie de découvrir quelles communautés veulent mettre en pratique l'approche que je présente. Jusqu'à maintenant, comme je l'ai dit, les gens me demandent d'aller faire des allocutions, mais ils doivent ensuite discuter de la manière dont ils vont s'y prendre et tout le reste. Je pense que cela peut se faire sans argent additionnel. Neuf fois sur dix, il faut toujours plus d'argent, et moi je dis : « Non, vous n'avez pas besoin de faire cela. » Je dis que vous pouvez réinvestir l'argent que vous avez déjà dans les différents programmes que vous administrez et que vous pouvez mettre tout cela en pratique, parce que tous les différents programmes travailleraient alors à l'unisson. Pouvons-nous vous en donner encore un autre exemple?

M. New : Monsieur le président, simplement pour vous donner un contexte, le processus que Melvin vous présente a déjà été mis en pratique. C'est du concret. Ce n'est pas une philosophie. De 1965 jusqu'aux alentours de 1980, un certain nombre d'événements ont eu lieu à Good Fish Lake qui ont aidé à traduire cela dans la réalité. Ils ont créé un programme semblable à celui que les Siksikas ont décrit ce matin, un organe séparé des instances politiques chargé de faire du développement économique. Maintenant, c'est arrivé en 1965 et à Good Fish Lake, cela s'appelait l'association de mise en valeur des pâturages.

En 1970-1971, durant l'ère de Jean Chrétien comme ministre des Affaires indiennes, il y a eu une grève des enseignants dans le nord de l'Alberta et les bureaux des Affaires indiennes ont été occupés par des gens de cette partie de la province. À cette époque, M. Chrétien a créé un groupe de travail spécial et a placé à sa tête le SMA des Affaires indiennes. Sa tâche consistait à chercher des solutions de rechange pour le développement communautaire, parce que ce qui se faisait au ministère ne fonctionnait pas. L'une des réserves choisies était celle de Good Fish Lake. J'ai participé à cet exercice à titre d'expert conseil en 1971. Je crois que ce qui s'est passé là-bas n'aurait pas eu lieu en l'absence des bases que Henry Bird avait établies dans la communauté.

Une chose que Melvin n'a pas dite, c'est que lorsque Henry Bird Steinhauer vivait dans cette communauté dans les années 70 et 80, presque tout le monde savait lire et écrire en anglais et en cri. C'est lui qui avait obtenu ce résultat. C'est une réussite phénoménale, quand on y pense, parce qu'à cette époque-là, bien des gens, peu importe leur culture ou leur appartenance, ne pouvaient même pas signer leurs noms. Cela fait partie du cadre. Ce qu'il vient de vous décrire est arrivé et a jeté les bases du développement de ces deux entités.

Pour aider à comprendre la stratégie de développement communautaire total, prenons l'éducation, le programme d'éducation lui-même à titre d'exemple. Disons que l'assiduité est un grave problème. Comment les autres programmes peuvent-ils aider à faire en sorte que tous les enfants aillent à l'école tous les jours? Il faut peut-être créer un programme de petits-déjeuners scolaires pour encourager les élèves à aller à l'école. Les services sociaux doivent peut-être se pencher sur les problèmes familiaux pour s'assurer que chaque enfant se lève le matin pour aller à l'école. Le service de développement économique peut lancer des programmes de motivation en montrant aux étudiants comment ils peuvent atteindre l'autosuffisance en se lançant dans les affaires. Le service culturel doit peut-être lancer un programme par lequel tous les étudiants apprennent leur culture autochtone et deviennent fiers de leur école. Il faut peut-être rajuster le système de transport pour répondre aux besoins des étudiants, peut-être en ajoutant un ervice complémentaire. Peut-être que des bénévoles et des assistés sociaux, pour donner en retour à leurs communautés, seraient chargés d'encourager les familles à envoyer leurs enfants à l'école. Le chef et le conseil pourraient créer une série de prix et de récompenses attribués à des élèves méritants à tous les niveaux scolaires. La cérémonie de remise des prix deviendrait le fait saillant de l'année.

L'école elle-même doit créer une atmosphère telle que les enfants veulent aller à l'école; aller à l'école doit être la meilleure chose au monde. L'école elle-même peut devenir un foyer d'activités pour les enfants dans divers domaines : sports, arts, musique, artisanat, clubs spécialisés pour l'art oratoire, l'art de parler en public, les aptitudes à la vie quotidienne, la lutte contre les toxicomanies. L'école aurait la possibilité de créer un programme d'études axé sur les valeurs susceptibles de soutenir une personne toute sa vie durant, les valeurs qui préparent les enfants à exceller dans la communauté mondiale. L'école, de concert avec un programme de loisirs, peut envisager d'accorder beaucoup plus d'importance aux sports et aux loisirs. L'école doit également adopter une attitude ferme en matière de discipline scolaire. Par exemple, il faudrait une certaine note de passage pour être admis dans l'équipe sportive ou participer à une activité culturelle. L'école pourrait décider qu'elle deviendra le meilleur établissement scolaire au Canada. Ce faisant, on se rendrait compte qu'il faut rivaliser non seulement avec les écoles autochtones, mais avec toutes les écoles au Canada.

Comme vous pouvez le voir, l'éducation a besoin de l'aide de tous les autres programmes, en fait, de l'aide de tous les membres de la communauté, si elle veut réaliser son plein potentiel.

Le président : Je vous remercie, monsieur Steinhauer, pour votre exposé. Vous êtes une vraie source d'inspiration et je peux voir que vous exercerez une influence sur les gens, vous provoquerez des changements, parce que ce que vous dites est vrai, c'est le simple bon sens. Je n'ai aucun doute que votre philosophie, ce que vous espérez faire pour inspirer les gens, sera efficace.

Nos témoins suivants représentent la Première nation Nakoda-Wesley. Nous accueillons Trent Fox, gestionnaire de programme, et Ron Stonier, agent de développement économique. Bienvenue au comité.

Trent Fox, gestionnaire de programme, Première nation Nakoda-Wesley : Merci, monsieur le président, éminents sénateurs. Nous sommes heureux que le Sénat ait reconnu l'importance du développement économique autochtone et des questions auxquelles sont actuellement confrontées les Premières nations dans la poursuite de l'indépendance économique. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de vous faire part des obstacles que la Première nation Wesley doit surmonter pour que nous puissions profiter d'un développement économique durable.

Je m'appelle Trenton Fox et je représente la Première nation Wesley, qui est située surtout à Morley, en Alberta, à l'ouest de Calgary. Nous sommes l'une des trois Premières nations qui constituent la Première nation Stoney Nakoda, également connue sous le nom de tribu Stoney.

En 1877, les chefs de notre nation ont accepté oralement et par écrit le Traité no 7 conclu avec Sa Majesté la Reine à Blackfoot Crossing, sur la rivière Bow. En échange de notre paix et de notre amitié, Sa Majesté nous a reconnus à titre de nations souveraines et a accepté de garantir non seulement nos droits décrits dans le traité, mais aussi nos droits ancestraux, qui incluent le droit à l'autonomie gouvernementale et à l'autodétermination, le droit de conserver notre mode de vie ancestral et le droit d'assurer notre développement économique.

Le 17 mai 1889, Sa Majesté, en conformité avec le Traité no 7, a mis de côté les réserves no 142, 143 et 144 pour les trois nations constituant la nation Stoney Nakoda. Cependant, Sa Majesté a omis de diviser ces trois réserves et les a mises toutes les trois, de manière indivise, à la disposition de la nation Stoney Nakoda, et non pas des trois nations constituantes, nommément les bandes Bearspaw, Chiniki et Wesley. Par décret du conseil portant le numéro C.P. 1973-3571, daté du 13 novembre 1973, Sa Majesté a aggravé cette erreur initiale quand elle a choisi de reconnaître seulement la bande indienne de Stoney, et non pas les trois Premières nations constituant la nation Stoney Nakoda. Cet arrangement qui perdure est au détriment de notre développement économique.

Imaginez les difficultés et les obstacles auxquels seraient confrontées les assemblées législatives indépendantes de Colombie-Britannique, d'Alberta et de Saskatchewan si les gouvernements de ces trois provinces étaient forcés de fonctionner dans le cadre d'un seul territoire non divisé. Voilà le système dysfonctionnel dans le cadre duquel la Première nation Wesley doit fonctionner et mener ses affaires courantes.

En outre, l'approche adoptée par Sa Majesté face à la colonisation, qui consiste à « diviser pour conquérir », a profondément ancré parmi notre peuple l'individualisme, y compris la notion du droit à la propriété privée au sein des communautés des Premières nations. Cela cause d'énormes problèmes, car des terres précieuses demeurent inoccupées en raison de différends quant à la propriété foncière au sein de la Première nation.

Notre position est que ces facteurs et d'autres encore se sont conjugués pour ériger un obstacle formidable empêchant le développement économique durable et efficace de la Première nation Wesley. Nous sommes optimistes et avons confiance que vous comprendrez cette problématique et qu'avec votre aide, la Première nation Wesley travaillera à l'atteinte de nos objectifs mutuels, au profit des gens que nous représentons.

Voici un sommaire des problèmes qu'il faut régler pour que la Première nation Wesley puisse parvenir à l'autosuffisance économique.

1. Tel que précisé ci-dessus, les principaux obstacles à l'autosuffisance de la Première nation Wesley sont la nature indivise des réserves indiennes no 142, 143 et 144, et le fait que Sa Majesté ait refusé de reconnaître les trois Premières nations dans le décret de 1973.

2. Cela nous empêche de bien identifier, désigner et utiliser certaines parcelles de nos terres faisant partie des réserves et hors réserve, avec le résultat que des milliers d'acres de terres qui pourraient être productives sont inoccupées et n'apportent aucun avantage économique sensible.

3. Même lorsque l'une des trois Premières nations constituant la tribu Stoney entreprend un effort quelconque de développement économique, les deux autres nations s'attendent historiquement à toucher une part des éventuels profits, tout en évitant d'assumer la moindre responsabilité à l'égard des pertes. Le résultat est qu'aucune des trois Premières nations ne souhaite investir le moindre sou dans un projet quelconque.

4. En outre, le décret de 1973 a été un obstacle à la bonne gouvernance, et fait également obstacle à la mise en œuvre d'une constitution proposée qui vise à répartir les pouvoirs et à créer des mécanismes efficaces de règlement des différends entre les Premières nations.

5. Sa Majesté a exacerbé l'erreur du décret de 1973 en ne concluant pas séparément des accords de contribution avec chacune des trois Premières nations. Le résultat est que la Première nation Wesley est limitée quant à sa capacité d'avoir accès à de nouvelles possibilités de financement et, en dépit de sa bonne gestion financière, elle est pénalisée lorsqu'elle est forcée de subventionner tout déficit subi par les deux autres Premières nations. C'est la réalité pour la Première nation Wesley.

6. Le concept de droits individuels à la propriété privée au sein des communautés des Premières nations empêche les Premières nations d'utiliser les terres des réserves et hors réserve détenues en commun lorsque des personnes invoquent leurs droits de propriété à l'égard des terres détenues en commun et bloquent tout développement économique en construisant des clôtures ou en exigeant un dédommagement personnel injustifié avant d'autoriser l'utilisation des terres communales.

7. La législation fédérale, notamment la Loi sur les Indiens et la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, de même que la législation provinciale comme la Business Corporations Act et la Land Titles Act, entre autres, créent des obstacles législatifs qui nuisent au développement économique durable et à l'autosuffisance.

8. Au lieu d'aider les Premières nations à atteindre l'indépendance économique, la législation fédérale et provinciale crée un fardeau bureaucratique qui exige beaucoup de temps aux Premières nations et à toute tierce partie qui veut travailler avec une Première nation.

9. La législation provinciale ne reconnaît pas les Premières nations comme entité juridique et interdit la propriété directe de terres et d'entreprises. Il en résulte que les banques et les grandes entreprises hésitent à travailler directement avec les Premières nations.

10. La Loi sur les Indiens nuit à notre autosuffisance économique en restreignant la capacité de la Première nation Wesley d'avoir accès en temps voulu au fonds du patrimoine et au compte de capital. Des pertes économiques réelles ont été subies à cause du fait que Sa Majesté refuse de comptabiliser comme il se doit notre argent qui est versé dans ces comptes et de nous accorder un taux de rendement acceptable.

11. De même, la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes a coûté à la Nation Stoney Nakoda au moins 100 millions de dollars en dommages à cause du défaut, de la part de Sa Majesté, de percevoir et de comptabiliser comme il se doit les redevances qui devaient être payées sur le gaz produit à même nos terres.

12. Enfin, le développement économique durable et l'autosuffisance exigent un renforcement considérable de la capacité de toutes les Premières nations. Pour cela, il faut accroître le budget consacré aux programmes d'éducation et de mieux-être. De plus, il faut accroître le financement des programmes de sensibilisation culturelle pour que les entreprises de la société canadienne soient encouragées à s'engager dans des cœntreprises avec les Premières nations et avec des entreprises appartenant aux Premières nations.

Au nom du chef Ernest Wesley et de la Première nation Wesley, nous vous remercions pour votre attention et de nous avoir donné l'occasion de vous faire part des préoccupations de la Première nation Wesley au sujet du développement économique autochtone.

Si vous me le permettez, je voudrais faire une suggestion en guise de conclusion, à savoir que le gouvernement fédéral établisse un partenariat avec chaque nation et crée des politiques correspondant expressément à leurs besoins particuliers. Le Canada est un grand pays. Des politiques d'application générale ne répondent pas toujours aux besoins régionaux particuliers. Merci.

Le sénateur Zimmer : Je vous remercie pour votre exposé. Il comprenait certains éléments intéressants. Au point no 10, vous dites : « En outre, la Loi sur les Indiens nuit à notre autosuffisance économique en restreignant... ». Pourriez-vous nous donner de plus amples détails à ce sujet et nous dire exactement quelles dispositions de la Loi sur les Indiens causent ces problèmes?

Ron Stonier, agent de développement économique, Première nation Nakoda-Wesley : Je ne sais pas quelles dispositions précises de la Loi sur les Indiens causent les problèmes. Le problème tient en grande partie au fait que nous sommes traités comme une seule nation. Chacune des trois nations a de nombreuses préoccupations. Un groupe veut s'orienter dans une certaine direction tandis qu'un autre groupe dira que cela ne fonctionnerait pas pour eux, et c'est pourquoi nous nous retrouvons dans cette situation.

Par ailleurs, il y a le problème des longs délais que met le ministère des Affaires indiennes à nous verser des fonds. À l'heure actuelle, nous travaillons au dossier d'un assez grand complexe de divertissements qui serait situé à l'angle de la Route transcanadienne et de la route 40 et que nous voudrions financer par nos propres moyens. Nous devons toutefois prendre des dispositions pour obtenir une marge de crédit importante, même si nous avons l'argent voulu unencer le projet, parce que nous ne savons pas exactement quand le MAINC pourra nous verser cet argent.

Le sénateur Zimmer : Cette incertitude influe-t-elle également sur les deux autres organisations? Participent-elles au même processus avec vous? Au sein des trois groupes, il existe une situation politique avec laquelle vous devez également composer?

M. Stonier : Il y a assurément des tiraillements politiques entre les trois groupes. À l'origine, quand la Nation Stoney devait être créée, c'était censé constituer trois nations séparées, en conformité de notre histoire orale. Selon l'histoire qui nous a été transmise oralement, l'agent indien de l'époque était paresseux et ne voulait pas aller arpenter séparément les trois terres à la fin du XIXe siècle, et il a donc choisi un seul terrain et a déclaré : « Voici le territoire de la Nation Stoney. »

Si nous pouvions nous séparer et être reconnus comme trois bandes, Wesley, Chiniki et Bearspaw, nous serions en mesure d'avoir accès à nos fonds directement au lieu de devoir passer par une administration tribale. Nous serions également en mesure d'avoir accès à d'autres politiques et procédures par l'intermédiaire des Affaires indiennes. Nous aimerions créer notre propre constitution et nos propres règlements administratifs en tant que Première nation Wesley. Nous ne pouvons pas le faire parce que les règlements administratifs risquent de ne pas correspondre aux besoins des deux autres bandes.

Le sénateur Zimmer : Est-ce que les trois s'entendent là-dessus, ou si le gouvernement fédéral ou le MAINC essayait de régler cette question, y a-t-il un groupe qui risque de ne pas être d'accord.

M. Stonier : Je crois que cela varie d'un jour à l'autre.

Le sénateur Zimmer : Je vous remercie de votre présentation et de vos réponses, qui étaient très claires.

Le sénateur Peterson : Les trois bandes ont-elles des frontières délimitées dans cette région?

M. Stonier : Nous n'avons pas de frontières délimitées, mais nous avons établi, essentiellement, des territoires. Par exemple, la bande Wesley réclame — et cela a été accepté — le côté nord de la rivière Bow de la terre de réserve Stoney comme son territoire. La bande Chiniki met essentiellement l'accent sur l'extrémité ouest du territoire de la réserve, et la bande Bearspaw se trouve à l'extrémité est de notre région désignée. De plus, nous avons des territoires séparés, l'un qui s'appelle Eden Valley, qui est occupé principalement par la bande Bearspaw et qui est reconnue comme le territoire de la bande Bearspaw, et nous avons une région à l'ouest de Rocky Moutain House qui s'appelle Big Horn et qui est désignée comme le territoire de la bande Wesley.

Le sénateur Peterson : Il faudrait diviser ce territoire d'une certaine façon.

M. Stonier : Il faudrait qu'il soit divisé.

Le sénateur Peterson : La bande Stoney part-elle du principe qu'elle contrôle la totalité du territoire?

M. Stonier : Il s'agit de l'administration tribale Stoney qui se compose des trois bandes.

Le sénateur Peterson : Elle administre la totalité du territoire, donc il faudrait que le groupe complet s'entende.

M. Stonier : La totalité du territoire qui se compose de la réserve Stoney est occupée par trois bandes, la bande Wesley, la bande Chiniki et la bande Bearspaw. Nous n'avons pas de conseil central élu. Chaque bande a son propre conseil. La totalité du territoire est administrée par l'administration tribale Stoney, qui tiendra des réunions des trois conseils, mais souvent, il arrive qu'un conseil ne se présente pas, pour des raisons politiques. Dans ce cas-là, comme il n'y a pas quorum, il ne se passe rien.

M. Fox : J'aimerais ajouter quelque chose. Le chef Ernest Wesley de la Première nation Wesley essaie de corriger ce qu'il appelle un tort historique. Nous représentons la Première nation Wesley. La tribu Stoney était une création du gouvernement fédéral. Avant la signature de nos traités, nous ne nous considérions pas comme la tribu Stoney, mais plutôt les nations Nakoda. Le chef Wesley et la Première nation Wesley étaient prêts à prendre diverses mesures, dont l'élaboration de politiques de logement et des initiatives d'élaboration de règlements administratifs, mais nous nous heurtons à des obstacles parce que nous devons faire rapport à un conseil tribal lequel, pour des raisons politiques, n'a pas réussi à conclure des ententes au cours des trois années précédentes. Par conséquent, nous visons à établir notre indépendance à long terme, et de cette façon réparer un tort historique.

Le président : J'aimerais savoir combien d'entre vous font partie de la bande et si vous avez réussi à mener à bien certains projets économiques.

M. Fox : Je peux dire que la population de la tribu Stoney est d'au moins 3 700, mais chaque bande tient son propre registre, donc chaque bande compte environ 1 200 à 1 300 membres.

M. Stonier : Pour ce qui est du développement économique, certaines de nos opérations pétrolières et gazières ont eu beaucoup de succès. Nous avons eu un certain succès avec de petites entreprises. À l'heure actuelle, la bande Wesley travaille en collaboration avec l'industrie cinématographique à titre de site de production, et nous travaillons à en élargir la portée. Nous avons un centre de rodéo auquel nous travaillons pour l'utiliser comme studio. Nous avons un centre de congrès et de conférences de 80 salles situé sur un très beau lac, le lac Hector. La propriété s'appelle Nakoda Lodge, et est très bien gérée maintenant. La situation progresse. Le complexe consacré aux arts et aux spectacles que nous sommes en train de construire est en fait une création des trois bandes qui travaillent en collaboration. Une fois qu'il sera mis sur pied, il aura beaucoup de succès. L'emplacement est excellent et nous nous réjouissons de cette initiative.

Monsieur le président, si vous me permettez de revenir à la question posée par le sénateur Peterson à propos des frontières. Pour l'instant, je ne crois pas que l'établissement de frontières pour séparer les trois bandes soit essentiel. Ce qui serait très important pour le chef Wesley et pour permettre à notre initiative d'aboutir, ce serait que le ministère des Affaires indiennes et du Nord reconnaisse les trois bandes en tant qu'entités distinctes et non pas comme la nation Stoney. Cela nous permettrait de donner suite à certains projets.

Le sénateur Peterson : Si cela était fait, les délimitations ne poseraient pas problème?

M. Stonier : Je ne crois pas que ce serait un énorme problème pour l'instant. L'important c'est de donner aux bandes la possibilité de laisser de côté les préoccupations politiques et de donner suite à leurs propres initiatives.

Du côté nord de la rivière, le chef Wesley tient à tout prix à décentraliser les programmes, et nous travaillons en ce sens, mais lorsque nous tâchons d'établir des programmes, nous nous heurtons à des obstacles. Par exemple, nous essayons d'établir une politique du logement qui rendrait les locataires de nos maisons beaucoup plus responsables, et nous sommes en train d'en parler au MAINC, de même que des questions de financement. Nous ne recevrons aucun financement pour l'application de notre politique parce qu'il ne s'agit pas de la politique de la nation Stoney. Les questions de financement sont toutes réglées par le biais des politiques d'administration de la nation Stoney, qui ont été créées avec l'approbation des trois bandes, mais nous nous rendons compte maintenant que cette politique universelle ne répond pas à nos besoins.

Le sénateur Peterson : Alors, pourquoi cela s'est-il produit en 1973? Qui a fait obstacle?

M. Stonier : Je ne crois pas que qui que ce soit ait fait obstacle. Je crois que c'est ce qui existait à l'époque. En 1973, nous existions en tant que nation Stoney, et c'est ce qui constitue le tort historique qui a été commis. Ce tort s'est produit au moment de la création du traité no 7. Les trois bandes n'avaient jamais formé une seule nation. Il s'agissait toujours de trois entités distinctes. Selon l'histoire orale, l'agent des Indiens a réuni les trois bandes en une seule nation, et le décret du conseil désigne de façon précise les nations autochtones individuelles. D'après ce que je crois comprendre, on leur avait demandé de séparer les trois nations, mais ils craignaient que cela prenne trop de temps et crée des problèmes, et, d'un trait de plume, ils ont perpétué ce tort historique.

Le sénateur Peterson : Donc il faut que ce soit le MAINC ou le gouvernement du Canada qui redresse ce tort?

M. Stonier : Je crois comprendre qu'il serait très simple pour le ministre de présenter un décret du conseil au Cabinet qui permettrait tout simplement de séparer les trois bandes. Nous voulons devenir Nakoda Bearspaw, Nakoda Chiniki et Nakoda Wesley. Ce serait aussi simple que cela.

M. Fox : Je peux vous en donner un exemple, monsieur le président. Je ne prétends pas parler au nom de la Première nation Bearspaw de la tribu Stoney, mais je vous donnerai un exemple d'un obstacle auquel nous nous sommes heurtés lorsque la Première nation Bearspaw a conclu un accord communautaire tripartite avec le gouvernement de l'Alberta et le gouvernement fédéral pour mettre sur pied des services de maintien de l'ordre par la GRC sur les terres de Eden Valley situées au sud de Calgary. Malheureusement, cela n'est pas possible parce que la résolution du conseil de bande, présentée par la bande Bearspaw, n'est par reconnue ni par le gouvernement fédéral ni par le gouvernement provincial. La bande essaie d'établir des règlements administratifs pour réglementer la circulation et le bruit, et cetera, qui favoriseront le bien-être de la nation, mais elle n'est pas en mesure de ratifier ces règlements administratifs parce qu'il faut obtenir une résolution du conseil tribal Stoney, et qu'il a été difficile d'obtenir l'accord des trois bandes. Il s'agit de trois gouvernements qui fonctionnent sous l'égide d'un seul conseil. Cela a créé beaucoup de difficultés et nous empêche de progresser sur le plan économique et social.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Est-ce parce que vous n'êtes par reconnus comme trois bandes distinctes que vous n'avez pas accès aux terres qui ne sont pas exploitées?

M. Stonier : En majeure partie, oui. Comme nous l'avons mentionné dans notre présentation, les bandes craignent toutes de lancer leurs propres initiatives parce que si l'une d'entre elles connaît du succès, les deux autres bandes diront : « Nous faisons partie de la tribu Stoney, donnez-nous notre pourcentage des profits. » Si l'initiative échoue, elles ne voudront pas assumer une partie des dettes, donc on se trouve plus ou moins dans une impasse à ce niveau-là.

Nous avons au fil des ans acheté certaines terres en dehors du territoire de la nation, et je voulais parler plus précisément de Two Rivers Ranch. Cet endroit est situé sur le réservoir de Ghost Lake juste à l'extérieur de Cochrane. Ce ranch est situé sur un terrain d'environ 2 800 acres. C'est un très beau ranch, sur lequel se trouvait une très belle maison. Pour l'instant, ce ranch n'est pas exploité en raison de frictions politiques entre l'une des bandes et la Première nation Wesley. La Première nation Wesley considère que ces terres ont de la valeur et aimerait les exploiter. On pourrait y installer des terrains de camping. Ce pourrait être un excellent centre de congrès. La maison existe déjà. On pourrait y louer des terres en bordure du rivage pour y installer des chalets. C'est un bon endroit où installer des campements de tipis. Nous ne pouvons pas le faire. Nous sommes essentiellement tenus en otage par l'une des autres bandes en tant que manœuvre de négociation.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Il s'agit d'une situation unique, et je vous remercie.

Le président : Sur ce, je tiens à remercier chacun d'entre vous pour votre présentation, pour nous avoir fait part de votre expérience et des difficultés auxquelles vous faites face en ce qui concerne en particulier le développement économique. Nous ne manquerons pas de tenir compte de votre témoignage, et nous vous souhaitons du succès dans vos futures entreprises.

M. Fox : Je vous remercie.

M. Stonier : Merci, sénateurs.

Le président : Nous arrivons à la fin de nos audiences dans l'Ouest du Canada. Nous avons entendu de nombreux témoins. Nous avons visité bon nombre de régions de la Colombie-Britannique et de l'Alberta, donc cela met fin à cette partie de notre travail. Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont été présents. Il ne fait aucun doute que ces témoignages nous seront très utiles pour la préparation de notre rapport. Le comité sénatorial étudie la question des peuples autochtones et du développement économique, donc il s'agit d'une vaste entreprise. Nous tenons particulièrement à connaître les facteurs qui contribuent à la réussite des peuples autochtones et des facteurs qui entravent les progrès dans ces domaines. C'est un sujet très important.

Au cours des prochains mois, nous visiterons d'autres régions du Canada. Nous espérons terminer notre rapport l'automne prochain. D'ici environ un an, le comité sénatorial devrait avoir préparé un rapport, et nous espérons qu'il sera instructif et utile au gouvernement fédéral, aux autres gouvernements et aux Premières nations de notre pays.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé au comité; notre personnel, qui a fait tous les préparatifs de façon logique et dans les délais voulus, et tous les témoins qui ont comparu devant nous. Je tiens aussi à remercier la bande et l'administration Tsuu T'ina, car grâce à elle, notre visite à Calgary a été une expérience très positive. La salle de réunion est un excellent endroit pour y accueillir les personnes qui veulent venir assister aux délibérations du comité. Nous les remercions de leur hospitalité. Vouliez-vous dire un mot, sénateur Zimmer?

Le sénateur Zimmer : Oui, je voulais simplement dire que je partage ces sentiments. C'était ma première audience. Au nom de tous les sénateurs et de tous les témoins, je tiens à vous féliciter pour votre leadership, monsieur le président, de même que vos collaborateurs qui ont fait un travail remarquable. Une fois de plus, nous tenons à vous remercier pour vos bons conseils et votre leadership.

Le président : Sur ce, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ajourne ses travaux.

La séance est levée.


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