Aller au contenu
 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 7 - Témoignages du 15 février 2005


OTTAWA, le mardi 15 février 2005

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit à 18 heures aujourd'hui pour discuter de l'état actuel et des perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous poursuivons ce soir nos discussions avec des chefs de file de l'agriculture de tout le Canada au sujet de la mise en place de nouvelles installations et activités d'abattage au Canada, par suite de la crise de la maladie de la vache folle qui a éclaté il y a un an et demi.

Autrefois, nous avions dans tout le pays une industrie de la transformation de la viande. Ces dernières années, elle a été réduite au point qu'il n'existe plus au Canada qu'un ou deux grands établissements en Alberta et quelques petites installations ailleurs. Mais cette situation a changé. Nous avons des entrepreneurs et des agriculteurs qui se regroupent avec optimisme, détermination et espoir pour augmenter la capacité du Canada de transformer son propre bétail.

Ce soir, nous accueillons M. Dean Baglole, président de l'Atlantic Beef Producers Co-operative. Il vient de l'Île-du- Prince-Édouard. Nous avons également avec nous M. Mark Ishoy, directeur général de Gencor Foods Incorporated. Il vient de Kitchener, en Ontario.

Monsieur Baglole, je vous invite à nous présenter votre exposé.

M. Dean Baglole, président, Coopérative des producteurs de boeuf de l'Atlantique : La Coopérative des producteurs de boeuf de l'Atlantique est une petite installation de transformation du bœuf dans les Maritimes qui est située dans l'Île- du-Prince-Édouard. Il s'agit d'un partenariat qui regroupe des éleveurs de bœuf. Plus de 190 éleveurs se sont regroupés pour former une coopérative. Ils se sont associés avec un détaillant de l'Atlantique pour bâtir leur propre installation.

Nous travaillons sur ce projet depuis un ou deux ans. Nous avons entrepris une production limitée en décembre 2004, et nous sommes actuellement en train d'accroître la production. Les chiffres augmentent de semaine en semaine et nous sommes très heureux de la position qui est aujourd'hui la nôtre.

Avec l'aide du gouvernement fédéral, nous sommes en train de réaliser un projet de traçabilité qui sera un projet pilote pour le bœuf ou le porc, ou encore d'autres animaux, dans l'ensemble du pays. Nous espérons pouvoir retracer n'importe quelle pièce de viande jusqu'à l'exploitation où la bête a été élevée. En ce moment, nous étudions différentes technologies et nous devrions annoncer d'ici environ un mois qui implantera ce projet. Nous espérons que le système sera exploitable dans environ six mois.

Étant donné la structure du capital et parce que les éleveurs représentent la majorité des actionnaires de notre installation, nous sommes probablement plus conscients de la relation entre l'installation et l'éleveur qu'on ne peut l'être dans les grandes usines. Nous avons un certain nombre de dossiers sur lesquels les producteurs doivent travailler très fort et qu'ils ne doivent pas perdre de vue. Ils doivent savoir que la qualité de la production de l'usine dépend du produit de départ. Ils doivent prendre conscience — et nous l'avons dit clairement dès le début — que l'usine doit pouvoir dégager des bénéfices. Nous espérons que, avec l'aide d'un détaillant et grâce aux réactions des consommateurs, nous pourrons offrir un produit qui n'a rien à envier à ce qui se fait ailleurs au Canada.

La grande raison qui nous a poussés à entreprendre cette initiative, c'est que nous avons perdu nos usines de transformation dans les Maritimes, et que nous n'avions pas d'autre possibilité que de livrer notre bétail plus loin, c'est-à-dire au Québec ou en Ontario et même plus loin encore. Le coût du transport était prohibitif et nous n'arrivions pas à tenir le coup.

Nous estimons qu'une de nos fonctions principales consiste à rendre les entreprises d'élevage rentables. Nous avons dit aux éleveurs dès le départ que nous n'allions pas les rendre riches; que ce n'est pas la raison pour laquelle nous sommes en affaires, mais que nous espérions leur donner la possibilité de prendre de l'expansion et de continuer à faire un métier dans lequel ils excellent et qu'ils veulent continuer d'exercer dans notre région.

En ce moment, nous avons un effectif d'une cinquantaine d'employés à temps plein dans notre région, et j'en suis très heureux. Nous avons chez les éleveurs un excellent taux d'adhésion. Nous avons vendu des participations, des espaces dans nos installations, et la demande a dépassé nos attentes. Nous avons interrompu l'effort de vente parce que nous ne voulions pas avoir plus de bétail que nous ne pensions pouvoir en transformer au cours de la première année, et peut-être dans la deuxième. Nous sommes satisfaits. Nous estimons que nous avons des possibilités, qu'il existe des marchés. Pour l'instant en tout cas, nous allons axer nos efforts surtout sur les produits double A et triple A. Nous avons hâte de voir ce que l'année prochaine nous réserve et ce qui se passera dans dix ou 20 ans d'ici.

M. Mark Ishoy, directeur général, Gencor Foods Inc : Je vais vous donner quelques renseignements sur Gencor, parce que cette société est le produit de la fusion, en Ontario, des United Breeders et des Western Breeders. La fusion remonte à 1996. Elle est la création d'un certain nombre de groupes agricoles qui sont en affaires depuis les années 40 et 50. Gencor est une société sans capital-actions qui a été créée il y a un certain nombre d'années et elle est là pour servir les producteurs.

Au fil des ans, la société a été dirigée comme une entreprise. Elle a constitué un avoir propre qui semblait suffisant pour résister aux pressions des activités normales, après quoi elle a donné un rendement aux producteurs. Il y a quelques années, elle a investi dans Semex Alliance, entreprise qui vend du matériel génétique de souche laitière. Elle le fait avec le concours des producteurs de semence du Québec, de l'ouest du Canada et de l'est de l'Ontario. Elle a maintenant un programme d'escompte pour ses producteurs qui participent, et elle leur donne un rendement monétaire; elle accorde un escompte aux producteurs chaque année.

La société avait un peu d'argent lorsque le problème des vaches de réforme a surgi. Lorsque le problème est devenu évident, le conseil d'administration a commencé à étudier l'industrie de la transformation du bétail et à envisager des moyens d'aider les producteurs. L'étude a d'abord porté sur l'ensemble du secteur de l'abattage. La société a engagé des consultants de Malik Creek, à Fergus. Il y a un certain nombre d'années, j'ai travaillé dans ce secteur, si bien que j'ai pu les aider un peu dans l'étude du processus de diligence raisonnable.

Gencor a envisagé cinq possibilités différentes en Ontario, dont certaines exigeaient que l'on construise des installations entièrement nouvelles. L'usine que nous avons fini par acheter avait été un abattoir inspecté par les autorités fédérales et elle avait perdu son permis parce qu'elle avait fermé ses portes il y a quatre ans. Si nous achetions cette installation, il fallait la rééquiper et la rendre conforme aux normes actuelles de l'ACIA. Nous avons envisagé aussi un abattoir situé juste de l'autre côté du Québec et qui avait été fermé. C'était une occasion de convertir une installation prévue pour les porcs. En fin de compte, la société a opté pour les installations de Kitchener parce que, en Ontario, le cheptel le plus important se trouve plutôt vers le sud-ouest de la province. La société a acheté les installations il y a probablement un an, elle a demandé à l'ACIA de mettre en marche le processus de délivrance d'un permis et elle a commencé à remettre les installations en état.

Étant donné la situation des membres de Gencor, cette usine ne leur est pas réservée. Elle est destinée à tous les producteurs ontariens qui ont des vaches de réforme à faire abattre. Nous avons écrit à 25 000 éleveurs ontariens pour leur faire savoir que nous allions ouvrir l'usine vers le début de l'été et que nous payerions le bétail « à son juste prix ».

Le « juste prix », pour nous, cela veut dire que nous retirons un revenu brut de la transformation du bétail. Nous déduisons un certain montant pour le travail accompli. Nous devons réaliser des bénéfices pour payer l'usine, mais en plus, nous rendons aux producteurs l'argent qui reste. Nous avons décidé d'établir une grille de prix pour les éleveurs, ce qui est une façon de commencer à définir le juste prix et de dire ce qui est considéré comme du bon bétail ou du moins bon bétail pour notre abattoir. Nous accepterons toutes les bêtes, mais certaines valent plus que d'autres. Dans notre grille, nous indiquons clairement ce qui vaut le plus et ce qui vaut le moins.

Nous avons commencé l'exploitation en juillet dernier, et nous avons fait des essais. Depuis, nous avons augmenté progressivement la cadence et nous en sommes pour l'instant à environ 800 têtes par semaine. L'abattoir a une capacité de 1 500 têtes par semaine, et nous prévoyons atteindre ce niveau en mai ou en juin prochain. Pendant la phase d'accélération, nous avons toujours un effectif un peu plus important que ce qu'exigent les opérations pour être en mesure de poursuivre la progression.

Pour le moment, nous nous présentons aux producteurs ontariens comme une solution de rechange aux méthodes traditionnelles de mise en marché. Si nous avons acheté les installations de Kitchener, c'est entre autres parce que ce serait plus rapide de les mettre en production que si nous bâtissions du neuf. Les délais les plus optimistes, pour mettre des installations neuves en production, auraient été de 18 mois; des prévisions moins optimistes donnaient des délais de 30 à 36 mois. Nous avons donc acheté des installations existantes. Nous avons dépensé un bon montant. Nous paierons probablement l'usine 5 millions de dollars. Et nous aurons probablement injecté encore 6 ou 7 millions d'ici que notre production atteigne 1 500 têtes par semaine.

Actuellement, nous proposons aux éleveurs ontariens un « programme de concession de crochets de boucherie ». Nous leur disons : « Nous vous avons montré comment nous paierions le bétail pendant les quelques années à venir. » En fait, même comme nouvelle entreprise, nous avons payé depuis l'ouverture une prime par rapport aux prix du marché. Nous donnons aux producteurs la possibilité de louer de l'espace dans les installations. La concession est en moyenne de cinq ans. Le crochet est cédé pour une période de cinq ans, et pour chaque crochet loué, l'éleveur a le droit de fournir une bête par an et nous allons le payer selon ce système.

Si nous louons la majeure partie de ce que nous proposons, l'usine n'aura plus de dette, ce qui est important pour la solidité financière et la prospérité de tout abattoir. Il s'agit d'un secteur où la concurrence est féroce, et cette initiative va régler la question financière pour nous.

Plus tard, nous envisageons de faire une transformation plus poussée pour offrir des produits de viande de vache à valeur ajoutée, et il y en a beaucoup. Nous avons fait des démonstrations aux éleveurs pour leur montrer que la viande de vache n'a pas à être transformée uniquement en viande hachée. Toutes les coupes de ces vaches sont conservées. Certaines sont transformées en charcuterie. Beaucoup sont achetées par les restaurants ethniques. Si vous avez mangé des mets chinois, vous avez mangé de la viande de vache. Les restaurateurs tranchent la viande très mince et la font mariner, et ils réalisent ainsi des plats qui ont beaucoup de goût. Il est certain que la viande n'est pas toute transformée en viande hachée.

Je voudrais vous parler plus particulièrement d'une ou deux choses. La première est le système des contingents tarifaires. Je suis persuadé que certains d'entre vous en ont entendu parler par le passé. Nous reconnaissons tous que nous avons pris des engagements à l'OMC. Comme transformateurs et éleveurs, nous reconnaissons qu'il est important d'honorer ces engagements. Il est également important pour nous d'avoir une politique nord-américaine harmonisée. Par le passé, des permis supplémentaires ont été accordés à volonté parce que la frontière avec les États-Unis était ouverte et parce que le marché évoluait d'une certaine façon.

Nous avons notre contingent de 76 000 tonnes que nous avons tous accepté comme engagement à l'OMC. Tout ce qui dépasse ces 76 000 tonnes devrait être frappé de droits. Pourquoi? Parce que les États-Unis ont eux aussi un engagement à l'OMC. Il doit se situer entre 675 000 et 700 000 tonnes. Ils laissent entrer cette quantité de viande en franchise de droits, mais lorsque ce volume est dépassé, les acheteurs qui veulent acheter de la viande à l'étranger paient des droits qui sont de l'ordre de 28,5 p. 100. Ce sont des droits appréciables.

Par le passé, le Canada a accordé autant de permis supplémentaires que l'industrie en demandait, ce qui était préjudiciables aux transformateurs primaires. Lorsque les frontières étaient ouvertes, les éleveurs n'étaient pas mécontents parce qu'ils pouvaient toujours expédier leur bétail aux États-Unis. Les transformateurs secondaires — je parle de ceux qui font la viande hachée et les produits de charcuterie — étaient contents parce que le prix des exportations était nettement inférieur aux prix américains ou canadiens.

Si 85 p. 100 du bœuf désossé se vendait 1,50 $ au Canada, il arrivait souvent que celui de la viande importée grâce à des permis supplémentaires se vende 20, 30 ou 40¢ la livre de moins sur le marché canadien. Il n'y avait aucune raison que les transformateurs secondaires canadiens achètent de la viande produite au Canada.

Le système fonctionnait de telle façon que les éleveurs pouvaient expédier leur production à l'étranger. Les transformateurs devaient trouver un marché aux États-Unis, ce qu'ils pouvaient faire. Nous pouvions tous vendre aux États-Unis, mais lorsque qu'une vache sur pied franchit la frontière américaine et est abattue dans des installations américaines, elle est considérée comme une vache américaine et la viande est mise sur le marché comme de la viande produite aux États-Unis.

Les Canadiens qui vendent sur ce marché — étant donné que c'est de la viande canadienne qui arrive, que l'entreprise de transformation soit grande ou petite —, vendent à escompte. Cela désavantage le transformateur primaire, car il obtient un moins bon prix sur la viande. Pendant longtemps, les transformateurs secondaires ont prétendu que la viande canadienne n'était pas la même que la viande provenant de l'extérieur de la zone de l'ALENA, un mythe qui a été dissipé dans une grande mesure ces dernières années.

Je discutais l'autre jour avec un économiste. Nous parlions de l'ensemble de cette question. Il est important de savoir comment les pays qui ne font pas partie de l'ALENA établissent le prix auquel ils vendent leurs produits de viande dans un pays donné. Nous sommes tous dans l'industrie de la viande. Le moindre cent compte. Comme je l'ai expliqué à une réunion, nous envoyons notre viande à Seattle, dans l'État de Washington, à un prix franco à bord de 1¢ la livre de plus que si nous l'envoyons à Buffalo ou à Montréal. Au fil des ans, dans l'industrie de la transformation de la viande, les différences de prix ont été l'affaire de quelques cents. C'est ainsi. La concurrence a toujours été acharnée.

Si je suis un producteur en Australie, comment est-ce que je fixe le prix de la viande? Voici ce que j'avance. Il doit vérifier l'accès au marché, étant donné que 65 p. 100 de la viande australienne est exportée. En Nouvelle-Zélande ce pourcentage atteint même 70 p. 100. Lorsque ces producteurs se demandent à combien ils vont vendre leur viande, ils doivent vérifier l'accès aux divers marchés dans le monde.

Le Canada a un contingent fixe de 76 000 tonnes; celui des États-Unis est de 675 000 tonnes, et le Japon a lui aussi son contingent. Les producteurs savent que les marchés où les prix sont les plus élevés sont probablement le Japon d'abord, les États-Unis au deuxième rang et le Canada au troisième. Viennent ensuite les marchés du Proche-Orient, qui n'est pas énorme, et celui de l'Afrique. Lorsqu'on arrive en Afrique, le prix est sérieusement réduit. C'est le dernier marché où on veut vendre la viande. Si les producteurs savent qu'une quantité fixe de viande va aux États-Unis, ils vont essayer de vendre une certaine quantité sur ce marché sur chaque période en restant à peu près à ce niveau, puisqu'ils savent que, autrement, ils vont être à court de contingent à la fin de l'année. S'ils sont à court de contingent, ils envoient leur viande sur le marché qui offre le meilleur prix après celui-là.

Par le passé, comme le Canada avait un système de permis supplémentaires, les Australiens pouvaient toujours utiliser notre pays comme soupape de sécurité. S'ils vendaient la viande 1,60 $ aux États-Unis, ils pouvaient la vendre 1,10 $ ou 1,20 $ au Canada. En fait, nous ne sommes au pire qu'à quelques centaines de milles de la frontière. Cette viande arrivait dans notre pays à des prix très réduits, parce que c'était pour eu un dernier recours pour écouler leurs produits.

En somme, la viande qui arrive au Canada, au-delà du contingent de l'OMC, doit être frappée des droits qui conviennent si nous voulons avoir une solide industrie de la transformation primaire. Si tout le monde sait quelles sont les règles au début de l'année, le système va s'appliquer de façon régulière. Lorsque les règles changent ou lorsque c'est la foire d'empoigne et qu'on laisse entrer la viande au prix le plus bas, l'industrie de la transformation primaire en souffre. C'est l'une des causes, mais non la seule, qui fait que les transformateurs primaires ont eu du mal par le passé.

Je voudrais également dire un mot des MRS et des aliments provenant de ruminants. Je n'ai pas le numéro exact de la Gazette, mais je crois que c'est la partie I. Pour ceux qui ne le sauraient pas, les MRS sont les matières à risque spécifié qui sont produits dans les abattoirs. Il y en a certainement dans l'industrie de l'équarrissage. Le projet de règlement est là et pour l'instant, il y a bien des choses à considérer qui pourraient y figurer. Il y a des éléments clés qui finiront par nuire à notre industrie, si on n'en tient pas compte. Je ne crois pas, d'après certaines réunions auxquelles j'ai assisté, que tous les faits ou toutes les solutions soient maintenant sur la table.

Toute la question des MRS pose sûrement un problème. Si nous n'assurons pas l'harmonisation avec les États-Unis — et jusqu'à un certain point avec le Mexique — nos transformateurs primaires seront désavantagés. Selon les estimations que font actuellement les éleveurs — et on fait les mêmes dans l'industrie de récupération animale — il y aura un désavantage d'environ 35 $ la tête si nous appliquons une interdiction totale des aliments contenants des MRS. Les transformateurs américains auraient donc un avantage de 35 $ par bête. Il n'y a personne dans l'industrie qui ait la naïveté de croire que, quel que soit ce chiffre, le gouvernement nous fera un chèque qui couvre cette différence. Nous serons donc désavantagés par rapport au reste de l'industrie.

J'en reviens au fait que, dans l'industrie, quelques cents font souvent la différence. Le bétail est nourri et transformé dans des conditions différentes chez nous. Si on peut abattre les bêtes aux États-Unis et les renvoyer au Canada, que deviendra le secteur de la transformation primaire si on peut envoyer librement le bétail au sud? Je ne pense pas que ce soit là l'intention du législateur.

Deuxièmement, à ma connaissance, on n'a pas encore de preuve scientifique que l'interdiction actuelle des farines animales n'est pas efficace. Rien ne garantit que les changements ouvriront les marchés d'exportation. Nous avons parlé à des producteurs de toute la province et tenu des réunions. L'une des questions les plus évidentes est celle-ci : pourquoi ne pas faire le test de détection de l'ESB sur toutes les bêtes? La réponse est double. À court terme, si nous faisons ce test sur toutes les bêtes, la capacité d'abattage sera réduite d'au moins 40 p. 100 du jour au lendemain, parce qu'il faut une grande capacité de réfrigération pour conserver les carcasses à soumettre aux tests. Les produits secondaires deviendront un vrai cauchemar, parce qu'il n'y a aucun moyen de tout séparer, à moins que le programme de traçabilité ne parvienne à des résultats étonnants. Ce sera très difficile à faire.

Les changements doivent être coordonnés et réalistes. Si on ne peut pas utiliser les MRS dans les aliments pour animaux ou les engrais, il faut que les autres options d'élimination soient réalistes et puissent être mises en œuvre avant l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions. À ma connaissance, les lois provinciales actuelles en matière d'environnement ne permettent pas d'éliminer ce type de déchet. Nous devons traiter tous les jours avec des ministères provinciaux de l'Environnement. Si nous devons ajouter une nouvelle cheminée à notre usine pour installer des chaudières, il nous faut un permis du ministère ontarien de l'Environnement. Il faut uniformiser les règles dans l'ensemble du pays. Nous ne pouvons pas avoir en Ontario une règle qui ne tient pas au Québec ou ailleurs au Canada.

Toutes les suggestions, comme l'ajout d'un colorant aux MRS ou l'enlèvement et l'élimination des animaux morts doivent être soigneusement étudiées si on veut que le système réponde aux besoins de toutes les parties concernées et respecte les obligations internationales du Canada.

Il est question d'interdire les farines animales et toutes ces formes d'aliments pour animaux. Un petit abattoir comme le nôtre, qui a une capacité de 1 500 bêtes par semaine, produira environ 100 000 livres de farines animales en une semaine. Ce n'est pas une solution pratique de la brûler et de l'utiliser comme source d'énergie, puisque le ministre de l'Environnement ne nous laisse pas éliminer les résidus. Si cette loi, dans sa forme actuelle, est mise en place, une montagne de ces matières va s'accumuler. Je sais où on trouve 6 000 tonnes de farines animales en ce moment qui attendent des débouchés, car l'industrie n'arrive pas à les vendre. Cela va devenir un problème énorme.

La présidente : Vous nous avez donné amplement matière à réflexion.

Le sénateur Hubley : Ma première question s'adresse à M. Baglole et porte sur la traçabilité.

Votre usine est-elle en exploitation en ce moment ou êtes-vous toujours à la recherche de la technologie, en train de vérifier les coûts, et cetera?

M. Baglole : En ce moment, nous avons les mêmes possibilités de traçabilité que n'importe quel autre abattoir au Canada. Nous pouvons assurer la traçabilité jusqu'au parc d'engraissement, et nous appliquons régulièrement ce système. Nous n'en sommes pas au point de pouvoir dépasser un horizon de huit à dix mois, mais nous n'en sommes pas loin.

Le sénateur Hubley : D'où la technologie vient-elle?

M. Baglole : Nous avons fait des demandes d'information il y a environ deux mois dans le monde entier — en Amérique du Nord, au Canada, aux États-Unis et en Europe. La technologie existe, et elle nous permettra de faire exactement ce que nous voulons.

La plupart des gens confondent traçabilité et sécurité alimentaire. Il est certain que la traçabilité est une composante importante de la sécurité, mais, à notre sens, du point de vue de l'abattoir et des producteurs, ce n'est qu'un élément de l'ensemble. La technologie que nous voulons implanter permettrait de reconstituer sur ordinateur une carcasse et les coupes de chaque animal, d'en établir le prix et d'établir un lien avec la valeur réelle par animal.

Ce qui devient important pour les producteurs, c'est d'avoir un certain nombre de bêtes — toutes parées à 800 livres — toutes parées et classées de la même façon, mais qui finissent par avoir des différences de valeur, de l'une à l'autre, de 50 $, 60 $ ou 70 $ à cause des coupes et des divers types de produits qui en sont extraits. Cela est utile non seulement pour la sécurité alimentaire, ce qui est très important, mais aussi pour l'activité du producteur, qui pourra choisir le type d'animal, la race ou le programme d'alimentation et ainsi réaliser de meilleur bénéfice. Ce genre de système est bon pour l'abattoir et pour le producteur. Nous estimons donc que c'est très important.

Nous espérons pouvoir recommander d'ici un moins ou deux le produit à acheter — la décision reviendra à notre conseil d'administration —, mais nous espérons que le système pourra être implanté d'ici une dizaine de mois.

Le sénateur Hubley : Combien coûte un système semblable?

M. Baglole : Le coût, c'est le grand facteur. Nous n'avons pas encore tous les chiffres. Nous avons reçu les chiffres d'une seule entreprise. Pour des installations de la taille de la nôtre, avec une ligne de production classique, il en coûterait probablement environ 2 millions de dollars. Il est important de signaler que nous cherchons aussi à réduire au minimum les besoins en main-d'œuvre. Ces changements peuvent se traduire par des avantages extraordinaires pour la main-d'œuvre, dans certains cas, et les abattoirs peuvent réaliser de vraies économies. Nous avons conclu avec le gouvernement fédéral un accord selon lequel nous servirons de cobayes pour la mise à l'essai de cette technologie et de ce matériel. Nous avons ensuite proposé de mettre les résultats à la disposition de tous les abattoirs au Canada. Nous espérons que le système que nous implanterons pourra être utilisé dans l'ensemble du Canada.

Le sénateur Hubley : Où irez-vous chercher les 2 millions de dollars à investir?

M. Baglole : Nous, c'est-à-dire Atlantic Beef Products, nous avons déjà consenti des montants assez importants qui viennent directement de nous. Nous avons reçu 900 000 $ de l'APECA — l'Agence de promotion économique du Canada atlantique — pour réaliser ce projet, et nous avons reçu un engagement de 500 000 $ d'Agriculture Canada.

Le système ne peut pas se limiter à l'abattoir. Il faut remonter jusqu'au producteur, jusqu'à l'éleveur et aux dossiers qu'il tient — l'ensemble de la chaîne —, mais l'occasion est là. Ce système nous donnera un excellent contrôle en cas de rappel, s'il y avait un problème dans les produits, parce que nous pourrons au besoin retrouver chaque bête. Certains détaillants commencent à poser des questions à ce sujet. Le système pourrait donc un jour ajouter une certaine valeur au produit.

Le sénateur Hubley : Selon vos prévisions, combien de bêtes par semaine pourrez-vous abattre?

M. Baglole : Notre plan d'entreprise prévoit 500 têtes.

Le sénateur Hubley : Vous avez parlé de valeur ajoutée. Vous abattez l'animal, mais lorsque la carcasse quitte l'abattoir, porte-t-elle votre marque ou un signe distinctif quelconque?

M. Baglole : Pour l'instant, pas nécessairement, mais avec ce type de programme, oui. La technologie à laquelle nous songeons maintenant étiquettera chaque pièce au bout de la ligne de production, avant l'emballage.

Le sénateur Hubley : L'étiquette reste-t-elle sur le produit?

M. Baglole : Absolument, jusqu'au bout, jusqu'à l'arrivée en magasin. Après, il appartient au détaillant de la transférer. En ce moment, nous vendons ce qu'on appelle les « morceaux de gros », c'est-à-dire de grosses pièces de viande, par exemple l'entrecôte ou la longe entière. Le numéro serait apposé sur la longe, qui est ensuite mise en boîte et envoyée au détaillant.

Le sénateur Mercer : Il y a un ou deux points que vous avez soulevés et qui me préoccupent un peu. Pour préciser le processus suivi par Atlantic Beef Products, vous avez parlé de votre projet de traçabilité. La traçabilité peut commencer à divers endroits et aller du lieu de production à l'assiette, ou de la conception jusqu'à l'abattage ou, comme le dit le président de notre caucus de l'Atlantique, « de la conception jusqu'au barbecue », mais où voulez-vous commencer? Voulez-vous commencer à la conception ou au moment où l'animal est acheté par l'éleveur qui est membre de l'APECA?

M. Baglole : Non, le système remonte à la naissance de la bête.

Le sénateur Mercer : À la naissance ou à la conception?

M. Baglole : Si vous remontez à la naissance, vous avez aussi l'information sur la conception, parce qu'il y aura aussi de l'information sur le taureau et la vache.

Le sénateur Mercer : Nous en sommes aux premiers stades des systèmes de traçabilité, mais au fur et à mesure que se développeront la technologie et la réflexion, il sera important de trouver un moyen d'établir des normes sur la façon de mesurer la traçabilité.

M. Baglole : Nous tenons à mettre notre information en commun avec toute la chaîne de production, et cela remonte jusqu'aux naisseurs, pour essayer d'améliorer la qualité. Notre qualité est déjà bonne, mais il y a toujours de la place pour les améliorations. Nous sommes très intéressés par la mise en commun de l'information de notre abattoir pour accroître la qualité et nous sommes tout disposés à la mettre en commun.

Le sénateur Mercer : Une question qui me préoccupe de plus en plus, surtout depuis le dépistage du dernier cas d'ESB, c'est le fait que nous ne nous sommes pas demandé si les vaches étaient des carnivores ou des herbivores. Nous savons tous que ce sont des herbivores. Alors pourquoi leur faire manger des aliments qui ne correspondent pas à leur nature? Puis, vous me dites, monsieur Ishoy, que l'interdiction des farines carnées ne marche pas. C'est ce que vous avez dit, je crois. Vous avez ajouté qu'il n'y avait pas d'interdiction totale aux États-Unis. C'est ce que j'ai retenu de vos propos, mais corrigez-moi si je me trompe. Je crains que, si nous mettons toujours des MRS dans les aliments, nous ne nous exposions à avoir encore des problèmes. Si je comprends bien ce qui s'est passé dans le dernier cas, c'est que l'agriculteur en question a donné à son bétail des aliments interdits. À ce stade, nous présumons que c'est ainsi que ce cas d'ESB est apparu.

Je me suis demandé ce qu'il avait pu penser. Il n'a pas été le seul touché. Tout le monde l'a été. Heureusement, les Américains n'ont pas reporté l'ouverture de la frontière, mais je m'inquiète qu'on ait considéré une technologie qui semblait bonne pour nous et qui a été utilisée en Europe et ailleurs comme une mesure à abandonner, mais que nous n'abandonnons pas encore.

M. Ishoy : Une précision. Je croyais avoir dit que l'interdiction des farines carnées était une mesure qui marche. Je tiens à dire très clairement que, selon moi, cette interdiction donne des résultats.

Le sénateur Mercer : Au Canada.

M. Ishoy : Au Canada. L'interdiction qui s'applique au Canada est semblable à celle qui a cours aux États-Unis. En ce moment, nous avons une interdiction portant sur ces aliments qui s'applique dans toute l'Amérique du Nord.

Le sénateur Mercer : Vous le croyez?

M. Ishoy : Je le crois.

Le sénateur Mercer : Je crois que nous avons une interdiction, mais croyez-vous qu'elle est respectée? Je crois qu'elle s'applique au Canada, mais je ne suis pas nécessairement convaincu que c'est la même chose aux États-Unis.

M. Ishoy : J'entends le sénateur Gustafson. Je n'ai aucune preuve concrète montrant que l'interdiction ne s'applique pas aux États-Unis en ce moment.

Le sénateur Mercer : L'autre question qui se pose est la suivante : croyez-vous qu'il n'y a pas de cas confirmés d'ESB dans le bétail américain?

M. Ishoy : Pourquoi est-ce que ne me livrerais à ce genre de spéculation maintenant?

Le sénateur Mercer : Vous êtes le cinquième ou le sixième témoin à prendre place dans ce fauteuil, et je leur ai tous posé la même question. Vous formulez la réponse différemment, mais c'est toujours la même réponse qui n'en est pas une.

Je dirai pour ma part — peut-être parce que je n'ai pas à m'en inquiéter — que je ne le crois pas. Il y a probablement eu des centaines de cas d'ESB aux États-Unis, et les Américains ont soit abattu et enterré les bêtes, soit traité la viande et exposé les consommateurs aux risques de produits insalubres. Mais c'est une digression. Vous n'allez pas commenter, vous l'avez déjà dit.

La présidente : Je crois que nos témoins envisagent la chose de leur propre point de vue, et ils sont dans ce champ d'activité.

Le sénateur Mercer : Monsieur Baglole, vous avez parlé d'une production de 500 bêtes par semaine. Est-ce le maximum qui est possible?

M. Baglole : Non, c'est ce que prévoit notre plan d'entreprise. C'est ce que nous pouvons faire avec un seul quart de travail de huit heures, cinq jours par semaine. Nos installations sont conçues pour assurer cette cadence de production. Nous pouvons accroître la production et même la doubler en ajoutant un autre quart de travail.

Le sénateur Mercer : Ma dernière question porte sur vos membres. Vous menez vos activités dans l'Île-du-Prince- Édouard, mais je représente la Nouvelle-Écosse. Je voudrais savoir comment se répartissent vos membres entre la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard.

M. Baglole : Nous avons des membres dans les trois provinces. Quatre-vingt pour cent des producteurs se trouvent dans l'Île-du-Prince-Édouard, simplement parce que 80 p. 100 des bovins engraissés dans les Maritimes viennent de là. Ils sont engraissés dans l'île parce qu'il y existe un produit secondaire, venant surtout de l'industrie de la pomme de terre, qui nous permet de les nourrir à meilleur compte qu'en Nouvelle-Écosse ou au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Mercer : Je croyais que vous alliez nous faire de la publicité touristique en disant que l'île est tellement belle.

M. Baglole : Je ne vais pas me lancer là-dedans ce soir. Il ne faut pas oublier que la majorité des veaux viennent de la Nouvelle-Écosse. C'est une initiative qui intéresse toutes les Maritimes; tout est lié. Il n'y aurait pas d'industrie de naissage en Nouvelle-Écosse si nous n'avions pas des parcs d'engraissement dans l'Île-du-Prince-Édouard. Tout est lié.

Le sénateur Gustafson : Dans l'Île-du-Prince-Édouard, vous n'aviez pas d'abattoir avant que vous ne construisiez celui-ci?

M. Baglole : Il y avait un établissement appartenant à Maple Leaf, qui abattait des porcs, mais qui acceptait aussi d'abattre quelques bovins, mais cela ne se fait plus depuis deux ou trois ans. Il nous restait un abattoir dans les Maritimes, et il se trouvait à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Maple Leaf l'a acheté et a fermé la partie qui servait pour les bovins il y a deux ans.

Le sénateur Gustafson : Vous allez abattre aussi bien des jeunes bêtes que des vieilles, n'est-ce pas?

M. Baglole : Non, pour l'instant, nous mettons l'accent sur les jeunes bêtes. Nos actionnaires sont des exploitants de parcs d'engraissement et des naisseurs, et c'est pourquoi nous avons fait ce choix. L'initiative a débuté avant la crise de l'ESB. Nous l'avons prise parce que nous avions perdu notre usine de transformation dans les Maritimes. Ceux qui ont proposé l'initiative, ce sont les exploitants de parcs d'engraissement.

Il y a eu beaucoup de discussions et de questions au sujet de la possibilité d'accepter aussi les vaches de réforme. Il y aura bien des questions à régler, lorsque nous commencerons à étudier cette possibilité. D'abord, nous ne voulons pas perdre notre désignation d'abattoir de jeunes bêtes, qui nous permet d'expédier nos produits dans le monde entier, et plus spécialement aux États-Unis, si l'occasion se présente. Nous n'envisageons pas d'exporter beaucoup, mais nous devons éviter tout ce qui risque de compromettre des débouchés ultérieurs.

Cela dit, nous travaillons avec les représentants de l'industrie du naissage et de l'industrie laitière dans les Maritimes. Nous passons en revue les hypothèses pour voir si nous pouvons ajouter dans nos installations l'abattage des vaches. Il nous faudra faire des dépenses, mais je crois qu'il existe des possibilités intéressantes. Il faut réfléchir à l'âge de beaucoup de ces bêtes et aux grandes distances à parcourir pour les faire abattre. Il en coûte très cher de transporter ces bêtes de cet âge par camion sur d'aussi longues distances. Je crois qu'il y a de vraies possibilités.

Je suis moi aussi producteur et je m'occupe de cette entreprise depuis le début. Mon directeur général n'aime pas m'entendre parler de la phase un, deux, trois, quatre et cinq au moment où nous en sommes toujours à essayer de réaliser la première phase, mais j'estime qu'il y a des possibilités. Ce que nous essayons de faire dans notre secteur et sur les marchés que nous pensons pouvoir exploiter, c'est ce qui convient pour nous, mais il y du potentiel du côté des vaches de réforme.

Nous entrevoyons quatre ou cinq choses différentes que nous pouvons faire pour obtenir un produit à valeur ajoutée, assurer un meilleur rendement aux producteurs et rendre leurs exploitations plus rentables. Sans les producteurs, nous ne pourrons pas nous maintenir.

Le sénateur Gustafson : Vous avez donc l'impression d'avoir un marché captif.

M. Baglole : Les Maritimes sont loin de produire tout le bœuf qu'elles consomment. Il y a des possibilités réelles dans notre domaine en ce moment. J'ignore ce que vous avez constaté dans le reste du Canada, mais je sais que, dans les Maritimes — et je crois que c'est la même chose ailleurs —, il y a une tendance à acheter les produits locaux. On dirait que les consommateurs sont plus portés à acheter à leur voisin que ce n'était le cas il y a peut-être cinq ans. Nous voudrions profiter de cette tendance. Oui, nous croyons que nous pouvons donner de l'expansion à notre entreprise et toujours arriver à écouler notre production au niveau local et à avoir ainsi une entreprise prospère.

Le sénateur Gustafson : D'après les seuls chiffres, vous devriez pouvoir obtenir un coût de revient inférieur à celui de n'importe qui d'autre, simplement grâce aux économies de transport.

M. Baglole : Ce sont les frais de transports qui paralysent notre industrie.

Le sénateur Gustafson : Quels sont les chiffres?

M. Baglole : En ce moment, le transport d'une bête jusqu'en Ontario coûte une centaine de dollars.

Le sénateur Gustafson : Tant que cela?

Je vais maintenant m'adresser à M. Ishoy. Votre établissement se trouve à Kingston?

M. Ishoy : À Kitchener.

Le sénateur Gustafson : Cet abattoir a déjà été en activité?

M. Ishoy : Dans les années 80 et 90. Il a fermé en novembre 2000.

Le sénateur Gustafson : Il a donc été fermé un certain temps?

M. Ishoy : Il était fermé.

Le sénateur Gustafson : Cette question s'adresse à vous deux. Il me semble que vous seriez en meilleure posture si les Américains ne rouvraient jamais la frontière. Vous n'avez pas à répondre si vous n'avez pas envie.

M. Ishoy : Je suis à l'aise pour répondre. La réponse est non. Il est prévu dans notre plan d'entreprise que la frontière rouvrira à un moment donné. Notre programme de concession de crochets vise en partie à fidéliser les producteurs. Je vais dans les réunions, et je pose la question : « Connaissez-vous quelque chose qui n'a pas changé depuis 75 ou 100 ans? »

La seule chose que je connaisse, ce sont les ventes du bétail aux enchères. Elles existent toujours. En fin de compte, le plus haut soumissionnaire met la main sur l'animal, l'achète et l'emporte. Il est temps qu'il y ait du changement dans l'industrie, et je pense que beaucoup ont reconnu qu'il fallait du changement. Du même coup, bien des barrières vont être renversées, mais il y a de réelles possibilités pour que nous arrivions à bien nous établir.

Le sénateur Gustafson : Il y a 25 ou 30 ans, beaucoup de bétail de l'Ouest était engraissé en Ontario. Cela a changé, et ces bêtes, un grand nombre de ces bêtes, ont été dirigées vers l'Alberta.

M. Ishoy : Oui.

Le sénateur Gustafson : Cela est-il en train de changer? Avec qui êtes-vous en concurrence? Vous allez avoir une capacité de 4 000 têtes d'ici le 1er mars.

M. Ishoy : Nous aurons une capacité d'environ 1 500 par semaine, et nous nous attendons à affronter la concurrence de toutes les autres entreprises au Canada. L'Ontario et le Québec sont les deux provinces où il y a le plus de consommateurs. Dans ces provinces, la viande arrive de partout, au Canada, et des États-Unis. C'est en grande partie un marché où il y a concurrence. Le nombre de bêtes abattues en Ontario plafonne depuis 15 ans, et il se situe à environ 12 000 par semaine. Dans l'ouest du Canada, on est passé à 50 000 bêtes pas semaine.

Le sénateur Gustafson : Que va-t-on faire maintenant de tous les déchets? J'ai été dans le milieu agricole toute ma vie, et je sais que même avec la meilleure bête, les déchets représentent le tiers. Dans le cas d'une vieille vache, c'est environ la moitié. Cela fait beaucoup de livres, et si on multiplie par le nombre de bêtes, cela fait beaucoup de déchets à éliminer.

M. Ishoy : Cela nous ramène à toute la question de l'équarrissage et des matières à risque spécifié. Que va faire le Canada pour régler ce problème? On ne va pas jeter ces déchets dans des puits de mine. Il y a bien des solutions qui sont exclues. Pour l'instant, personne n'a de solution. Certains parlent de la possibilité de transformer les déchets en énergie au moyen de digesteurs et d'utiliser des aérogénérateurs pour produire de l'électricité, mais cela laissera tout de même un certain volume de déchets. En ce moment, l'industrie de l'équarrissage accepte la majeure partie des déchets et réduit 100 livres de déchets à 40 ou 50 livres. Le processus de digestion pourrait peut-être ramener le volume à 20 livres, mais il restera quand même des déchets à éliminer. C'est pourquoi j'ai dit que les ministères de l'Environnement au Canada allaient devoir se consulter et voir comment nous allons régler le problème.

Le sénateur Tkachuk : Ma question s'adresse à vous deux. Je voudrais d'abord savoir, monsieur Ishoy : vous avez dit que vous aviez arrêté de transformer la viande en 2000 et que vous étiez devenu un transformateur primaire à GenCorp. Ai-je bien compris?

M. Ishoy : Les installations que nous avons achetées ont fermé en 2000, et nous les avons rouvertes en juillet dernier.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez dû vous réinscrire aux fins de l'inspection des aliments.

M. Ishoy : Auprès de l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

Le sénateur Tkachuk : Comment cela s'est-il passé?

M. Ishoy : Je fais affaire avec l'Agence depuis un certain nombre d'années. Je peux dire sans détours, qu'elle est très exigeante, mais nous reconnaissons qu'elle a un rôle international dans beaucoup de dossiers.

Le sénateur Tkachuk : Cela a-t-il commencé avant ou après la crise de l'ESB?

M. Ishoy : Après. Comme il s'agissait d'un abattoir qui avait été fermé, nous savions que nous devrions le rendre conforme à de nouvelles normes. Quand on commence avec un vieux bâtiment, il y a des difficultés en cours de route et il faut discuter. Ce que nous avons dit ouvertement à l'ACIA, par l'entremise de membres du Conseil des viandes du Canada et directement aux bureaux de notre région, c'est que leur processus d'approbation des plans n'est pas convivial. Il y a trop de cycles de révision, si bien qu'on n'arrive pas à traiter avec une seule personne. Le processus monte et descend dans la chaîne hiérarchique. Un processus qui devrait prendre six semaines peut demander six mois. Nous avons proposé que le processus soit donné à contrat et qu'un représentant de l'Agence donne l'approbation finale, mais il y a certainement un moyen d'abréger un peu le processus.

Le sénateur Tkachuk : Et vous, monsieur Baglole?

M. Baglole : Comme nous sommes de nouveaux venus, nous n'avons pas d'expérience. Je crois que les observations de M. Ishoy sont tout à fait fondées. Le protocole de l'ACIA et ses exigences pour les abattoirs ne me posent pas de problèmes. Après avoir vécu tout cela, je peux dire que nos avons le système le plus sûr du monde en matière d'alimentation : l'Agence est très méticuleuse, et c'est très bien. Nous n'avons pas d'objections.

Si nous avions des réserves ou des observations à faire valoir, c'est que la bureaucratie d'une organisation comme l'ACIA est très lourde, et qu'il peut être très difficile de partir du début du processus d'approbation et de parvenir à ce haut niveau. Je proposerais que l'Agence trouve le moyen de mieux rationaliser le processus pour que nous en arrivions aux détails concrets plus rapidement et que nous soyons en mesure de répondre à ses exigences et de prendre les mesures voulues le plus tôt possible.

Le sénateur Tkachuk : La semaine dernière, nous avons reçu le témoignage de producteurs primaires de l'Ouest, l'un du Manitoba et l'autre de la Colombie-Britannique. Celui de la Colombie-Britannique a parlé assez longuement de ses contacts avec l'Agence. C'était à la fois très sérieux et très amusant. Avec son attitude pince-sans-rire, il essayait de faire ressortir un certain point de vue.

Ce que nous essayons de faire, c'est de faciliter le processus et non de voir quelle influence nous pouvons avoir sur la bureaucratie. Je crois pouvoir déduire qu'elle n'est pas très conviviale avec les clients. Vous perçoit-elle comme des clients ou plutôt comme des gens qui la dérangent après 16 heures ou pendant les week-ends et qui lui rendent la vie impossible parce qu'elle doit traiter avec vous?

M. Baglole : Je ne crois pas qu'il soit forcément équitable que je fasse des observations à ce sujet.

Le sénateur Tkachuk : Je ne veux pas dire que c'est ce que l'Agence cherche à faire. Je veux dire simplement qu'elle peut être perçue de cette façon.

M. Baglole : Je pense vraiment que ces gens-là pourraient se faciliter les choses. Il pourrait y avoir une procédure quelconque selon laquelle nous pourrions tous, que nous soyons de l'Île-du-Prince-Édouard ou de la Colombie- Britannique, avoir un point de départ central. Au lieu de cela, nous avons amorcé le processus dans l'Île-du-Prince- Édouard, puis nous avons dû traiter avec le bureau régional. Ensuite, il faut passer d'une personne à l'autre. Il faut simplement beaucoup de temps pour faire toute cette démarche. C'est la seule proposition que j'ai à faire. Je comprends que l'Agence a beaucoup à faire, depuis un an ou deux, depuis que la crise de l'ESB sévit.

Le sénateur Tkachuk : Je crois qu'elle s'est assez bien tirée d'affaire.

M. Baglole : C'est aussi mon avis. Je ne veux certainement pas adopter une attitude négative. Je sais que son travail est très difficile, mais il y a un ou deux points dont il faut s'occuper. M. Ishoy en a parlé. Les matières à risque spécifié et leur élimination sont un vrai problème. Et c'est un problème qu'il faudra aborder à l'échelon national. Il faudrait même le faire à l'échelle nord-américaine, mais ce sera un vrai casse-tête pour nous. Ce sera très difficile pour les abattoirs. Ce sont les producteurs qui vont finir par écoper, et c'est inadmissible.

Le sénateur Tkachuk : Comment êtes-vous financés? Pouvez-vous donner plus de détails que tout à l'heure? Quel moyen innovateur avez-vous trouvé pour obtenir des capitaux? Avez-vous fait appel aux sources traditionnelles ou à des sources nouvelles?

M. Baglole : Nous avons emprunté des sentiers différents pour parvenir là où nous sommes. M. Ishoy a dit tout à l'heure que, pour l'industrie du bœuf ou pour un abattoir, il n'y a rien de fatal comme le service d'une lourde dette.

Pour notre part, nous avons eu de la chance. Le gouvernement de notre province est intervenu afin de nous aider à obtenir du financement pour couvrir une partie de notre endettement parce que les banques ne veulent rien savoir de quelqu'un qui lui demande 12 millions de dollars pour bâtir un abattoir. Nous avons recueilli des capitaux auprès de nos propres producteurs, qui sont au nombre de 190. Nous avons pu recueillir 1,5 millions de dollars que nous avons investis dans le projet. Notre partenaire du commerce de détail a fourni un certain montant, et nous avons pu utiliser cet argent et nous prévaloir également d'une garantie de notre gouvernement provincial. Il s'agit d'un montage tripartite. Notre entrepreneur est propriétaire du bâtiment. Nous avons une entente avec lui. Nous avons signé un bail de 20 ans sur le bâtiment et le matériel.

Nous savons quels seront nos coûts d'ici à ce que les prêts soient remboursés. Nous avons pu faire appel à ces divers intérêts et les faire participer à notre modèle d'entreprise. Notre gouvernement est intervenu et il a proposé de l'aide à l'entrepreneur en lui garantissant que nous étions là pour durer. Voilà ce qui nous a permis de démarrer.

Le sénateur Tkachuk : Il a garanti le bail?

M. Baglole : Effectivement.

Le sénateur Tkachuk : Cela ne pose pas de problème avec l'ALENA?

M. Baglole : Non. S'il nous avait donné l'argent, il y aurait eu un problème.

La présidente : Quand vous parlez de « notre gouvernement », il s'agit du gouvernement provincial?

M. Baglole : Du gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard. Nous nous sommes adressés aux trois gouvernements des Maritimes, nous leur avons expliqué notre plan et nos projets, et nous leur avons demandé s'ils étaient prêts à nous aider. Nous étions prêts à collaborer avec le gouvernement d'une des trois provinces, Nouveau-Brunswick, Nouvelle- Écosse ou Île-du-Prince-Édouard. C'est le gouvernement de l'Île qui nous a fait l'offre la plus intéressante.

Le sénateur Tkachuk : Un autre témoin nous a parlé de cette garantie de bail.

M. Ishoy : Gencor s'y est pris différemment. L'entreprise a investi 5 millions de dollars de ses propres fonds, ce qui a permis d'acheter les installations. Pour l'instant, nous sommes financés par Crédit agricole Canada. Nous disposons là d'environ 3,5 millions de dollars. Nous avons emprunté 2 millions de dollars au fonds d'adaptation, et ce montant est remboursable sur trois ans. Le gouvernement de l'Ontario a le Fonds ontarien pour l'abattage des animaux adultes. Nous avons fait une demande et obtenu 2,7 millions de dollars. Nous devons rembourser 700 000 $. Cela a servi à nos dépenses de modernisation.

Le sénateur Tkachuk : Une subvention de 2 millions de dollars et un prêt de 700 000 $.

M. Ishoy : Oui. Si nous vendons nos concessions, cela effacera toutes nos dettes. Nous avons une ligne de crédit pour le capital de roulement à la Banque de Montréal.

Le sénateur Kelleher : Je vais faire appel à mes vastes connaissances en agriculture. Au cours de la dernière semaine, le département de l'Agriculture des États-Unis est déjà revenu sur sa décision. Désormais, vous ne pourrez pas vendre des bêtes de plus de 30 mois. Cela a-t-il des conséquences pour vos plans à l'un ou à l'autre?

M. Baglole : Je ne peux rien dire du point de vue de notre abattoir, mais à titre de producteur, je peux dire que cela aura des conséquences négatives.

Nous avons un problème au Canada avec la façon dont nous fixons l'âge du bétail. Cette idée d'utiliser la dentition comme moyen scientifique de déterminer l'âge a de graves répercussions sur l'industrie. Cette méthode n'est pas assez précise pour que nous soyons à l'aise. Elle peut entraîner de lourdes pertes pour les producteurs.

La différence de valeur entre une bête qui est considérée comme âgée de plus de 30 mois ou de moins de 30 mois est de l'ordre de 700 $ ou de 800 $. C'est beaucoup d'argent à perdre sur une bête irréprochable. Cela, parce que l'animal a une dent de plus que son frère qui se trouve à côté.

C'est un gros problème que la frontière soit de nouveau fermée. Les prix resteront faibles. Les conséquences sont très lourdes pour notre industrie.

Le sénateur Kelleher : Est-ce qu'il y aura des effets sur la planification de votre abattoir?

M. Baglole : Non, nous ne serons pas touchés. Pour conserver la désignation que nous voulons, nous devons nous en tenir aux jeunes bêtes de toute façon. Nous avons même demandé à nos producteurs de vérifier chacune des bêtes avant de les expédier pour pouvoir garantir qu'elles sont assez jeunes. Comme vous pouvez l'imaginer, ce n'est pas chose facile de vérifier les dents d'un animal qui n'est pas très heureux d'ouvrir la gueule pour se faire examiner.

Le sénateur Kelleher : Et chez vous, monsieur Ishoy?

M. Ishoy : Notre entreprise va souffrir de cette décision. Nous nous attendions bien à pouvoir vendre de la viande aux États-Unis après le 7 février. Nous travaillions avec des Américains à qui nous pourrions en vendre. Malheureusement, ce sera impossible. Cela nous laissera plus de viande à vendre au Canada que nous n'aurions dû en avoir. Nous comptions que les prix se rapprocheraient du prix américain équivalent pour les produits finis au cours des prochains mois, mais nous allons rester encore un certain temps à des prix de rabais par rapport au marché américain.

Quant à notre plan d'entreprise, nous savons à combien nous pouvons vendre le produit. Nous prélevons les frais de transformation, et nous versons le reste à l'éleveur. Cela marche bien, dans notre plan d'entreprise.

Le sénateur Kelleher : Si je comprends bien, le Canada essaie d'ajouter une certaine valeur à son produit. Vous pouvez obtenir plus d'argent si vous élevez le bétail au Canada, si vous faites la découpe ici et si vous vendez ensuite le produit aux États-Unis. Est-ce exact?

M. Baglole : Il s'agit d'une ressource renouvelable comme tout le reste. Il est certain que nous retirons beaucoup plus d'argent si nous transformons le produit au Canada.

Le sénateur Kelleher : Dès que nous allons commencer à agir de la sorte, les Américains ne seront pas très heureux des perspectives. Ils aiment récupérer la valeur ajoutée eux-mêmes; ils achètent notre bétail sur pied, et ils produisent eux-mêmes les pièces de viande. Ils ne vont pas rester là à ne rien faire si les Canadiens commencent à se doter d'usines pour produire des produits à valeur ajoutée.

D'après vous, quelle sera la réaction des Américains lorsqu'ils apprendront que vous avez ouvert toutes ces nouvelles usines? Quel sera l'effet sur nos usines? Que feront les Américains?

M. Ishoy : Il y aura probablement des effets à court terme et des effets à long terme. Si la frontière était rouverte, ils essaieraient de faire augmenter le prix du bétail sur pied chez nous pour qu'il soit moins rentable ou pas rentable du tout de transformer le bétail dans des usines canadiennes. Ils pourraient certainement nous compliquer la vie sur ce plan-là. Ils pourraient investir à court terme pour nous causer des problèmes, et peut-être récupérer à plus long terme.

Il y a trois semaines, je suis allé à une conférence en Alberta. L'un des conférenciers a dit que, avant la crise de l'ESB, les États-Unis avaient écarté la possibilité d'exiger l'étiquetage selon le pays d'origine, mais si la viande canadienne commence à affluer aux États-Unis de nouveau, des Américains pourraient revenir à la charge et exiger l'étiquetage selon le produit d'origine. Une loi prévoyant cet étiquetage est en place au Congrès, mais il n'y a pas de fonds prévus dans le processus budgétaire pour l'appliquer.

Les Américains, en bons voisins qui sont protectionnistes lorsque cela les arrange, vont probablement recourir à l'étiquetage selon le produit d'origine ou à d'autres moyens, et les barrières non tarifaires au commerce vont commencer à se dresser.

Le sénateur Kelleher : Monsieur Baglole, que se passe-t-il dans votre cas?

M. Baglole : Lorsque vous parlez du commerce, nous ne sommes probablement pas différents du secteur du bois d'œuvre. Les Américains vont envisager d'autres moyens s'ils estiment qu'il y a trop de production à valeur ajoutée qui reste au Canada. C'est exactement ce que nous avons à faire. L'ensemble de notre industrie doit chercher à conserver le plus possible de production à valeur ajoutée. Et cela ne vaut pas que pour le bœuf. Cela vaut pour tout le reste. C'est exactement ce que nous avons fait en construisant un abattoir dans notre région et en créant des emplois chez nous. S'il y a de l'argent à faire en transformant la viande après l'abattage, nous donnons aux producteurs l'occasion de s'occuper de cette activité et de la garder chez nous.

De notre point de vue, la situation n'est pas tellement différente de celle à laquelle nous devions faire face lorsque nous n'avions pas d'abattoir et que nous devions envoyer les bêtes en Ontario. Nous nous trouvions à envoyer des emplois en Ontario avec notre bétail. Ce n'est pas inacceptable, mais pourquoi ne pas essayer de garder les emplois ici, c'est-à-dire dans les Maritimes, dans notre région? Les Américains adopterons le même point de vue.

Nous serons heureux que la frontière soit rouverte. On a demandé plutôt ce que les exploitants d'abattoir pensaient de l'ESB. Pour nos producteurs, la frontière ne saurait rouvrir assez rapidement. Nous nous en réjouissons. Nous n'avons pas peur d'affronter la concurrence américaine dans ce secteur. Tout ce que nous demandons, c'est que les règles du jeu soient les mêmes pour tous.

Le sénateur Tkachuk : Vous prépariez votre initiative avant la crise de l'ESB, n'est-ce pas?

M. Baglole : Oui. L'ESB n'a rien à y voir.

Le sénateur Gustafson : Quel est le prix d'un veau de 900 livres en ce moment?

M. Baglole : Le marché des parcs d'engraissement a repris beaucoup de vigueur, puisqu'on s'attend à ce que la frontière soit rouverte. Le prix varie d'une région à l'autre. En ce moment, il est plus élevé en Ontario que dans l'Est. Le prix des veaux a fait un bond de 20¢ la livre. Un veau à engraisser de 900 livres peut coûter 90¢ la livre.

Le sénateur Gustafson : Il y a une semaine, mon voisin a vendu un beau lot de veaux de choix de 900 livres à 1,05 $ la livre et les veaux de 600 livres rapportaient 1,25 $ la livre. Combien ces bêtes rapporteraient-elles aux États-Unis aujourd'hui? Je crois savoir que les prix sont très élevés.

M. Baglole : Je n'ai pas cette information. Notre industrie ne doit pas oublier que, avant la crise de l'ESB, les prix du bœuf étaient très élevés. Il n'était pas rare de voir des prix de 1,85 $ ou de 1,90 $ la livre pour du bœuf paré. Et le dollar valait 63¢ américains. La situation n'est plus la même. Le dollar est à 80¢. Les producteurs doivent être conscients que, lorsque la frontière rouvrira et que nous en reviendrons à la situation antérieure à la crise, nous n'aurons pas des prix de l'ordre de 1,85 $ ou de 1,90 $ parce que, même si les prix américains sont élevés, ils ne le sont pas assez pour que cela se produise. Il faut en être conscient.

Le sénateur Gustafson : Je crois savoir que les prix américains sont aussi élevés qu'ils ne l'ont jamais été.

M. Baglole : C'est la différence de valeur du dollar qui changera quelque chose pour nous.

Le sénateur Oliver : Mes félicitations à vous deux pour ce que vous faites. C'est excellent, et il est certain que c'est la voie à suivre.

Je m'intéresse aux matières à risque spécifié et à la façon dont vous vous en débarrassez. Une fois les MRS retirées d'un animal qui fait 1 000 livres sur pied, quel poids reste-t-il? Quel est le poids des MRS dont vous avez à vous défaire à votre abattoir en une semaine?

M. Ishoy : Je vais faire les calculs pendant que vous posez une autre question.

Le sénateur Oliver : À l'Île-du-Prince-Édouard, que faites-vous des MRS?

M. Baglole : Actuellement, c'est l'industrie de la récupération qui s'en charge, et c'est ce que nous faisons depuis un certain temps.

Le sénateur Oliver : Et le règlement HACCP?

M. Baglole : Cela n'entre pas en ligne de compte dans le cas des MRS. Le problème de ces matières, ce sont les nouvelles lignes directrices qui seront mises en place et qui diront comment il faut les mettre à part dans l'abattoir, comment il faut s'en débarrasser et qui doit assumer le coût de l'élimination.

Comme M. Ishoy l'a dit tout à l'heure, l'un des plus grands problèmes, c'est que nous ne savons pas s'il existe une solution pour les éliminer de façon satisfaisante.

Le sénateur Oliver : Quelle pourrait être cette solution?

M. Baglole : Je l'ignore. Je n'ai pas à me livrer à des spéculations. M. Ishoy a plus d'expérience que moi de ce côté-là.

Il faut bien se garder des excès. Nous ne devons pas mettre en place un système qui sera prohibitif pour l'industrie. Dans ce type d'activité, chaque fois qu'on ajoute des charges, le prix baisse. Il n'augmente pas. Si l'élimination des MRS ajoute 35 $ au coût de la transformation de l'animal, ce n'est pas le prix à la consommation qui augmente. Le consommateur ne verra aucune différence. C'est le prix payé au producteur qui va finir par baisser.

C'est un problème pour les producteurs, parce que c'est un secteur d'activité difficile. C'était déjà difficile avant la crise de l'ESB, mais c'est plus difficile de jour en jour. Avant de prendre des mesures comme celles-là, il faut s'assurer qu'on les prend pour les bonnes raisons et qu'on a étudié tous les points de vue et toutes les possibilités.

M. Ishoy : Pour répondre à votre question de tout à l'heure, sénateur Oliver, je dirais que l'Ontario aurait environ 375 000 livres de MRS à éliminer chaque semaine. Pour obtenir le total pour l'ensemble du Canada, il faudrait probablement multiplier par cinq, ce qui donnerait près de 2 millions de livres par semaine.

Le sénateur Oliver : Les producteurs ont-ils entendu des chiffres sur le coût d'élimination à la livre, étant donné certains des nouveaux règlements qu'on envisage de prendre?

M. Ishoy : Le nouveau règlement ne dit pas comment éliminer les MRS. Il dit simplement qu'on ne peut les recycler dans les aliments pour animaux ni dans les engrais. À ma connaissance, il n'y a pour l'instant aucune autre utilisation, et les nouvelles dispositions n'en tiennent pas compte. On est en train d'élaborer des dispositions qui ne proposent aucune solution.

Le sénateur Oliver : C'est vraiment irréel. Il n'y a pas d'utilisation, et il n'y a pas de solution.

M. Ishoy : Pour l'instant, il n'y a aucune solution qui saute aux yeux.

Le sénateur Mercer : Je m'intéresse au financement, sur lequel mes collègues ont commencé à poser des questions, notamment dans le cas de l'abattoir de l'Île-du-Prince-Édouard. Combien dites-vous avoir reçu de l'APECA?

M. Baglole : Nous avons reçu 900 000 $.

Le sénateur Mercer : C'est une subvention ou un prêt à rembourser?

M. Baglole : C'est une subvention, mais elle doit être consacrée expressément au matériel de traçabilité. Nous n'avons pas reçu d'argent de l'APECA pour l'abattoir proprement dit.

Le sénateur Mercer : Je tiens toujours à souligner l'intérêt que présentent des organismes de développement régional comme l'APECA.

Vous avez dit tous les deux quelques mots sur l'Agence canadienne d'inspection des aliments, mais vous avez été très hésitants. Je présume que c'est parce que vous devez reprendre contact avec ces gens-là sous peu. En dehors des observations que d'autres nous ont faites au sujet de l'approbation des plans, et cetera, y a-t-il une idée de recommandation que nous pourrions faire à l'Agence pour l'aide à améliorer le processus et à vous faciliter la vie, au moment où vous vous lancez dans une nouvelle entreprise dans ce très important domaine?

M. Baglole : Comme je l'ai déjà dit, je voudrais que l'Agence centralise davantage le processus au lieu de nous forcer à passer par tous les bureaux régionaux pour joindre les personnes à qui nous devons nous adresser.

Le sénateur Mercer : Vous voulez parler de centraliser les formalités administratives ou les décisions?

M. Baglole : J'ignore si on peut faire l'un sans l'autre. Nous avons constaté que, lorsque nous avons fini par trouver les décideurs, le processus avait été sans douleur. Nous avons pensé qu'ils étaient corrects dans leurs rapports avec nous et que leurs demandes étaient réalistes.

Le sénateur Mercer : Faites-nous parcourir toutes les étapes. À quel bureau avez-vous dû commencer?

M. Baglole : Nous avons dû commencer à Charlottetown.

Le sénateur Mercer : Avez-vous dû vous rendre à Halifax ou à Moncton?

M. Baglole : À Moncton.

Le sénateur Mercer : Et de Moncton à Ottawa?

M. Baglole : Cela a fini par arriver. Le dossier est resté dans les limbes un moment. On ne sait pas trop qui a le pouvoir voulu pour le faire avancer. Il nous a fallu un peu plus de temps que nous ne l'aurions voulu pour arriver au produit final.

Le sénateur Mercer : Monsieur Ishoy, avez-vous eu une expérience semblable?

M. Ishoy : Le processus d'approbation des plans est onéreux, et on en a déjà parlé.

Nous avons entendu des rumeurs voulant que l'ACIA travaille sur de nouvelles procédures. Au lieu de tout regrouper au bureau central, elle pourrait rendre aux bureaux régionaux une partie de l'élaboration des règles.

Le sénateur Tkachuk : Pourquoi ne peut-on pas prendre la décision à Charlottetown ou à Moncton?

M. Baglole : Je ne peux pas répondre à la question. C'est une décision qui relève de l'ACIA. Il ne faut pas oublier que notre abattoir, un établissement tout neuf qui doit servir pour des animaux jeunes, est le premier à être construit depuis un certain nombre d'années. C'est le premier qui a obtenu cette désignation, je crois, étant donné les problèmes d'ESB que nous avons eus. L'Agence a été prudente, elle voulait éviter toute erreur. Elle voulait que tout soit au point dans les moindres détails. Nous avons dû suivre les règles, les règlements, tout le processus.

Cela dit, les demandes de l'Agence n'étaient pas déraisonnables, une fois que nous avons été en contact avec les bonnes personnes. Il faut trouver un moyen d'en arriver à cette étape plus rapidement.

Le sénateur Mercer : Dans le même ordre d'idées, faudrait-il demander à l'Agence d'offrir un guichet unique? Il n'y a rien de plus exaspérant, surtout lorsqu'on n'a pas l'habitude de la bureaucratie, que de se faire renvoyer de Charlottetown à Ottawa et peut-être de nouveau à Moncton et à Charlottetown. Se faire renvoyer ainsi d'un endroit à l'autre peut être assez exaspérant pour vous pousser à abandonner. Nous pourrions recommander la formule du guichet unique. Vous voulez ouvrir un abattoir, vous avez votre financement et vous avez les produits pour démarrer.

Le sénateur Tkachuk : Vous voulez pouvoir vous adresser à un seul endroit.

Le sénateur Mercer : Donnez-nous l'approbation; nous allons répondre à toutes vos questions, mais nous ne voulons pas répondre aux questions ici, là et ailleurs. Nous voulons traiter avec une seule entité.

M. Baglole : Ce processus est vital pour nous. Ces gens-là ont le pouvoir de vous ordonner tout ce qui est nécessaire. C'est prohibitif. Il faut être prudent. On ne veut pas trop s'avancer seul. On veut lancer l'entreprise le plus rapidement possible. Nos producteurs n'avaient aucun endroit où expédier leur bétail à moins de payer de gros frais de camionnage. Ils voulaient des résultats plus rapidement que nous n'avons pu les donner parce qu'il y avait toute une démarche à suivre.

M. Ishoy : Nous avons assez bien vu toute la question. Toute l'industrie appuierait ce que le sénateur Mercer a dit, ainsi que certaines des observations finales qui ont été faites à l'instant. C'est un bon message à lancer.

La présidente : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir d'aussi loin. Tout cela sera très utile au Comité. De toute évidence, nous avons été très intéressés par cette question dès le début. Nous avons publié un rapport sur la question le printemps dernier. Nous pensions que, si nous avions seulement deux recommandations, on y accorderait plus d'attention. L'une d'elles portait sur la nécessité de créer une nouvelle capacité d'abattage au Canada. C'est pourquoi nous avons été très heureux de vous accueillir, puisque c'est exactement ce que nous visons et ce que vous faites. Nos meilleurs vœux vous accompagnent. Nous espérons que vous reviendrez un jour pour nous dire que tout va bien et que vos entreprises sont des réussites. Bon voyage de retour.

Honorables sénateurs, si vous le voulez bien, nous pourrions siéger à huis clos pour que la greffière nous fasse part des conversations qu'elle a eues à Washington.

Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.


Haut de page