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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 10 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 8 heures pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.

Le sénateur Leonard J. Gustafson (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Bonjour, honorables sénateurs. Je constate qu'il y a quorum.

Notre comité étudie l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture, secteur qui, comme nous le savons tous, éprouve quelques problèmes. Nous accueillons ce matin les représentants de la Fédération des producteurs de bovins du Québec. Nous sommes heureux de vous voir et avons hâte d'entendre votre présentation.

Nos témoins sont MM. Dessureault, Dury et Bélanger.

Tout d'abord, je crois savoir que M. Dessureault fera une présentation et ensuite les sénateurs poseront des questions.

M. Michel Dessureault, président, Fédération des producteurs de bovins du Québec : Merci beaucoup. Je préfère faire ma présentation en français, car j'ai plus de facilité dans cette langue.

[Français]

La Fédération des producteurs de bovins du Québec qui représente la totalité des producteurs de bovins au Québec. Nous représentons 20 000 producteurs de bovins, établis sur 15 000 fermes bovines, 37 p. 100 de nos membres sont des producteurs laitiers. Nous représentons 90 p. 100 de la production de veaux lourds au Canada. Le Québec est un chef de file dans cette production au Canada. Notre cheptel correspond à 5 p. 100 du cheptel de vaches de boucherie et de bœufs de boucherie sur les fermes québécoises.

Aujourd'hui, nous en sommes tous au même point avec cet embargo américain qui cause des dommages importants sur nos fermes. Nous essayons de trouver des solutions qui permettront de s'adapter à cette réalité, mais qui nous permettrons également, comme producteur, d'être toujours présent dans cette production à long terme.

Les producteurs de bovins du Québec et l'industrie souscrivent aux objectifs gouvernementaux d'augmenter la capacité d'abattage au pays afin de réduire leur dépendance face aux abattoirs extérieurs. Les solutions mises en œuvre pour régler cette problématique doivent également avoir pour objectif d'assurer aux producteurs l'obtention de leur juste part du dollar du consommateur. Le constat qui s'est fait au Québec et un peu partout au Canada durant la crise est le suivant. La valeur du dollar pour le consommateur a légèrement augmenté durant la crise dans l'achat des produits provenant de la viande de bœuf, mais le partage de ce dollar dans l'industrie a beaucoup changé, laissant les pertes surtout au niveau des fermes.

La sous-capacité d'abattage au Canada a rendu les producteurs de bovins de plus en plus dépendants des abattoirs américains. Au cours des dernières années, plus de 20 p. 100 des bouvillons d'abattage et 40 p. 100 des bovins de réforme étaient abattus aux Etats-Unis. Ces animaux provenaient à la fois de l'Est et de l'Ouest canadien.

En se référant au document que nous vous avons remis, on voit que le tableau 1 indique le nombre de têtes et la capacité d'abattage qu'il y avait au Canada. Monsieur Bélanger vous donnera dans quelques instants, des commentaires sur le tableau.

M. Gaétan Bélanger, secrétaire-trésorier, Fédération des producteurs de bovins du Québec : Jusqu'au début des années 80, la capacité d'abattage suivait grosso modo la production. En fait, la capacité même était beaucoup plus importante que la production et la capacité d'abattage était fréquemment sous-utilisée. Toutefois, la situation a changé à partir des années 80. Dans les deux décennies qui ont suivi, on a observé graduellement une rationalisation importante du secteur de l'abattage et une diminution importante du nombre d'abattoirs. En même temps, on a observé une augmentation de la production bovine canadienne. Ainsi, le décalage relativement léger du début des années 80 s'est agrandi avec le temps.

M. Dessureault : Selon les informations recueillies par CANFAX, les projets visant à augmenter la capacité d'abattage des abattoirs canadiens permettraient d'abattre quelque 101 540 têtes par semaine à la fin de 2006. Le tableau 2 vous illustre la capacité d'abattage à fin 2003, qui était de 76 000. À la fin de 2004, la capacité était de 86 000 têtes. En juin 2005, elle était de 90 000 têtes, et ce nombre augmente graduellement pour atteindre 101 000 têtes de capacité d'abattage. Toutefois, compte tenu de l'accroissement prévu de la production canadienne, on estime que le Canada demeurera en sous-capacité d'abattage au moins jusqu'en 2008.

L'industrie prévoyait initialement que la sous-capacité d'abattage serait plus longue à régler dans le secteur des bovins de réforme que dans la production de bouvillon d'abattage. Cette situation pourrait basculer, au gré des décisions de certains grands abattoirs de l'Ouest canadien. L'abattage de vaches de réforme se fera dans le même abattoir, au lieu d'abattre des bouvillons, chez XL Foods à Moose Jaw en Saskatchewan et éventuellement chez Lakeside en Alberta. Le tableau 3 vous indique, à l'aide de bâtonnets, les capacités d'abattage, et les surplus sont indiqués à l'aide de bâtonnets noir. Monsieur Bélanger va vous expliquer ce schéma.

M. Bélanger : En fait, il n'est pas évident de mesurer ces capacités par rapport à la production et d'attribuer les capacités d'abattage soit pour le bouvillon d'abattage ou la vache de réforme. Ce sont les abattoirs eux-mêmes qui prennent ces décisions en fonction des règles du commerce international et en fonction aussi de leur structure interne, de leur marché.

Il y a un an, la plupart des intervenants en production industrielle s'entendaient à dire que la sous-capacité d'abattage serait probablement plus présente au Canada au cours des prochaines années pour les animaux de réforme, donc de bovin non-fini.

Il y a eu une croissance au niveau de la capacité d'abattage. Il y a eu des décisions d'abattoirs qui ont fait en sorte qu'actuellement les analystes pensent plutôt que cette sous-capacité d'abattage se manifestera dorénavant peut-être un peu plus dans le bouvillon d'abattage que dans la vache de réforme. Veuillez vous référer aux deux dernières pages de notre document, aux annexes numéro 1 et numéro 2.

Je ne passerai pas au travers de l'ensemble de ces chiffres. Ce sont des documents qui ont été préparés par la Canadian Cattlemen's Association. Ce sont des estimations. Mais je pense que cela donne un ordre de grandeur assez réaliste de ce qui se passera d'ici la fin de l'année 2006.

C'est une estimation de la capacité d'abattage et on peut observer, dans le bas du tableau, le total progressif de bovins gras, jusqu'à 84 000 têtes par semaine. C'est clair que c'est inférieur à la production de bouvillons à ce moment- là. Du côté des bovins de réforme, on remarque les capacités fédérales et provinciales qui passeraient de l'ordre de 12 000 à 16 000 ou 17 000.

C'est serré, mais on voit quand même qu'il y a eu une croissance assez importante. Toutefois, il faut se souvenir que 40 p. 100 des vaches de réforme, historiquement, étaient abattues aux États-Unis. C'est donc normal d'observer cette croissance. À la page suivante, l'annexe suivante démontre encore beaucoup de chiffres. Ce sont des estimations et scénarios de ce qui peut se passer d'ici 2008. C'est toujours élaboré par les gens de la Canadian Cattlemen's Association.

Sans reprendre l'ensemble des chiffres, si on va à la dernière ligne de ce tableau, on constate qu'il y aura des surplus non pas de bovins de réforme, mais dorénavant, selon ces nouvelles estimations, de bovins gras. Il s'agit des surplus de bovins, donc une incapacité pour les abattoirs d'abattre tous les bouvillons d'abattage qui seront offerts sur le marché. C'est le cas actuellement et ce sera le cas encore au moins jusqu'en 2008.

Dans l'estimation de la croissance de la production, on observe une hausse. Il y a une croissance, effectivement, dans les chiffres qui vous sont soumis. Est-ce que la production va croître plus rapidement ou moins rapidement? C'est difficile à dire. Une chose certaine, la conclusion est toujours la même : on sera en déficit d'abattage, que ce soit pour la vache ou le bouvillon, au moins pour encore trois ans.

M. Dessureault : J'aimerais vous énoncer quelques mises en garde concernant cette capacité d'abattage, c'est-à-dire l'écart entre la capacité théorique et la capacité d'abattage fonctionnelle. Il convient de distinguer la capacité d'abattage théorique de la capacité fonctionnelle d'un abattoir qui correspond à environ 90 p. 100 de sa capacité théorique.

Le calcul de la capacité d'abattage au Canada doit prendre en compte cette réalité. En ce qui concerne les surplus au déficit d'abattage à l'échelle régionale, l'équilibre entre l'offre de vente et la capacité d'abattage, que ce soit au niveau des bouvillons d'abattage ou des bovins de réforme, est important à l'échelle canadienne. Mais cet équilibre doit aussi être atteint à l'intérieur des grandes régions du pays, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Je vais maintenant vous parler des décisions d'affaire. Pour éviter de mettre de la pression sur le marché, ce qui aurait pour conséquence de faire augmenter le prix, les abattoirs ont la possibilité d'ajuster leur abattage en fonction de la quantité de bovins offerts par les producteurs. Ils le font couramment. Incidemment, malgré l'augmentation de la capacité d'abattage et de la production canadienne, les abattages de bouvillons ont été inférieurs de janvier à mars 2005. Il y a de la capacité d'abattage, mais ils n'abattent pas. Comparativement à la même période en 2004, les abattoirs ont ainsi réagi au programme des mises de côté, comme on peut le voir au tableau numéro 4.

M. Bélanger : Ces données sont fournies par le gouvernement canadien. Au tableau numéro 4 pour les gros bovins abattus, qui est divisé en deux catégories : l'Est et l'Ouest, à l'item « bovins gras » où sont mentionnés les bouvillons d'abattage et les tores, on constate que les abattages totaux sont de 623 811 têtes de janvier à mars 2005, alors qu'ils étaient de 649 092 en 2004.

Il s'agit d'une baisse de 4 p. 100; donc 25 000 têtes qui sont restées sur les fermes. Et un peu plus encore parce qu'on sait très bien que la production est en augmentation et non pas en diminution, alors que les abattages observés sont en diminution.

C'est la même chose du côté de l'est canadien pour les bouvillons d'abattage. En 2005, 163 693 têtes, de janvier à mars, comparativement à 178 566, l'an dernier. Il y a eu une baisse de 8 p. 100 dans l'est canadien. Je pense que toute l'industrie et le gouvernement mettaient beaucoup de pression sur les abattoirs l'an dernier pour écouler les surplus de bovins dans les fermes. On sent moins cette pression actuellement. Les bovins sont toujours sur les fermes. Il y a eu un certain raffermissement des prix au niveau du marché. En même temps, les producteurs tentent de prendre des moyens, notamment avec la collaboration du gouvernement, afin de mettre des animaux de côté.

Mais finalement, ce que l'abattoir fait, c'est qu'aussitôt qu'il y a un peu moins d'animaux disponibles sur le marché, ils réduisent proportionnellement leur abattage pour ne pas mettre de la pression sur les prix du marché. C'est légitime. On ne dit pas qu'on ne ferait pas la même chose si on était des opérateurs d'abattoir. Mais on dit que le programme de mise de côté n'est pas totalement neutre. Il entraîne une conséquence. Il y a une réaction de l'industrie qui fait qu'on ne règle pas totalement le problème de surplus de bovins dans les fermes.

En ce qui concerne la vache de réforme, on constate quand même, dans l'Ouest canadien, une certaine stabilité au niveau des abattages. C'est du non fed pour les vaches et les taureaux, alors que dans l'est canadien, vous le voyez aussi, il y a une augmentation de 10 p. 100 des abattages. Les deux entreprises, Jencor en Ontario et Colbex au Québec, ont accru leur niveau d'abattage.

M. Dessureault : Concernant la concentration du secteur d'abattage en Amérique du Nord au cours des 20 dernières années, les abattoirs ont augmenté en taille et réduit en nombre. On les compte maintenant sur les doigts de la main. Le Canada ne fait pas exception. Quatre grandes entreprises abattent près de 80 p. 100 de la production canadienne de bouvillons d'abattage et deux grandes entreprises abattent 90 p. 100 des bovins de réforme canadiens. À l'échelle des sous-régions, cette concentration est encore plus accentuée. Il n'y a qu'un seul grand abattoir de bouvillons et un seul grand abattoir de vaches dans l'est canadien, en Ontario et au Québec.

À l'échelle provinciale, la situation est encore plus critique. Par exemple, le Québec n'a la capacité d'abattre que 25 p. 100 des bouvillons qu'il produit.

La concentration des acheteurs de bovins canadiens réduit la concurrence sur le marché.

Concernant la concentration des abattoirs, au tableau cinq, on vous indique que, pour les bouvillons d'abattage, 80 p. 100 des abattages de bouvillons sont faits dans l'Ouest canadien, 20 p. 100 sont faits dans l'est. On vous indique à la droite, en bas de la page 4, les quatre grandes entreprises : Lakeside, 34 p. 100; Cargill, 31 p. 100, XL Beef, 14 p. 100; et Better Beef, dans l'est, 13 p. 100.

Au niveau des bovins de réforme, c'est réparti en 50 p. 100 dans l'Ouest et 50 p. 100 dans l'Est. L'abattoir important dans l'Ouest c'est XL, qui abat 45 p. 100 des animaux de réforme au Canada. Dans l'Est c'est l'entreprise Colbex, qui abat 45 p. 100 des bovins de réforme du Canada.

L'intégration par les abattoirs : certains grands abattoirs contrôlent également une partie de leur approvisionnement. Ils se servent de cette réserve pour réduire la pression sur le marché. Donc les abattoirs sont rendus propriétaires d'animaux. On voit au tableau six — comment cela fonctionne et quel niveau cela atteint au Canada.

M. Bélanger : En fait, cette section est la deuxième section de notre mémoire, qui s'intitule Les autres facteurs qui affectent la dynamique du marché et la répartition des profits dans la filière. C'est ce qui nous intéresse dans cette discussion. Ce n'est pas juste de savoir quelle est la capacité d'abattage. Ce qu'il est important de savoir, c'est si le dollar du consommateur et les revenus sont bien répartis dans la filière. Ce n'est pas juste une question de capacité d'abattage. Il faut tenir compte de la dynamique des marchés qui, elle, est affectée par la concentration et aussi par l'intégration qui est de plus en plus présente et réalisée par les abattoirs, comme on l'observe beaucoup aux États-Unis, particulièrement dans le porc et la volaille.

C'est un tableau qui a été produit il y a quelques années. Il reflète la situation de cette période. Celle-ci a probablement évolué, certainement pas dans le sens d'une réduction mais plutôt dans le sens d'une croissance. Je me réfère au tableau six, où l'on observe qu'en moyenne, les abattoirs produisaient à forfait. Ils avaient dans les parcs d'engraissement des bouvillons qui leur appartenait en propre, de l'ordre de 16 p. 100 du volume total abattu. On sait aussi, par cette enquête, qu'au moins 5 p. 100 des bovins dans les fermes étaient produits sous contrat. Donc il y avait déjà un lien. Tout le monde savait à quel endroit ces bovins ils allaient être abattus ; ce taux de 5 p. 100 ne représente donc pas les animaux disponibles sur le marché pour établir un prix, par exemple, de façon transparente.

Cela donne au total au-delà de 20 p. 100. Cela a des conséquences. C'est probablement beaucoup plus que cela aujourd'hui, c'est variable d'un abattoir à l'autre. Quand une entreprise dispose déjà de 15, 20, 25 ou 30 p. 100, elle n'a pas besoin de contrôler 100 p. 100 de ses approvisionnements. Ce qui est important dans la stratégie financière de l'entreprise, c'est de contrôler une certaine proportion. Je vous dirais que 20 p. 100, c'est déjà pratiquement suffisant pour faire en sorte que l'entreprise ne mette pas beaucoup de pressions sur le marché; quand elle a besoin d'animaux elle va puiser dans cette réserve et se sont ses bouvillons à elle. Et lorsque le marché est plus bas, à ce moment-là l'entreprise s'approvisionne sur le marché libre. Donc c'est un coussin qui est important. C'est le genre d'outil dont un abattoir peut disposer pour contrôler son prix, mais que les producteurs ne peuvent pas contrôler. Nous, quand les bouvillons sont prêts à vendre, il faut s'en départir, les sortir, et alors on prend le prix qui est offert sur le marché.

M. Dessureault : Ce que cela accroît comme difficulté, c'est la transparence et la découverte du prix du marché. Les abattoirs dévoilent de moins en moins le coût de leur approvisionnement. Plusieurs jours par semaine, les organismes qui publient les prix de marché n'ont aucune information à livrer, que ce soit sur les marchés de l'Ontario ou de l'Alberta. Qui plus est, ces organismes disposent de peu de moyens pour valider leurs sources. Comment savoir si le prix offert aux producteurs est compétitif, s'il n'existe aucune référence fiable de prix sur les marchés? C'est malheureusement le cas aujourd'hui dans le secteur du bovin.

La démarche des producteurs de bovins du Québec, l'augmentation de la capacité d'abattage, n'est pas en soi garante d'un prix et équitable pour les producteurs. Il faut aussi que la mise en marché soit ordonnée et efficace, de manière à permettre aux producteurs d'aller chercher leur juste part du dollar du consommateur. Ce juste prix découle soit d'une réelle compétition entre les différents acheteurs sur les marchés, soit encore du contrôle de la propriété des entreprises d'abattage et de transformation par les producteurs eux-mêmes. Les producteurs de bovins du Québec ont choisi la deuxième option.

Ce faisant, les producteurs du Québec ont suivi l'une des suggestions du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts qui, dans un rapport intérimaire sur la crise de l'ESB, Leçon pour l'avenir d'avril 2004, proposait, en page 10, au gouvernement fédéral de créer un environnement qui soit le plus favorable possible aux producteurs et qui permette d'étendre leur activité au sein de la filière à des produits à valeur ajoutée, afin de bénéficier d'une part plus importante des profits. C'est ce que l'on fait au Québec au moment où nous nous parlons.

Pour réaliser ces projets, les producteurs du Québec, fidèles à leur tradition, ont choisi d'opter pour une approche collective, l'équité entre les producteurs, d'innover en utilisant au maximum les pouvoirs de la loi sur la mise en marché des produits agricoles et alimentaires et de la pêche, et de favoriser lorsque possible le partenariat avec les spécialistes du secteur. Pour ce faire, après consultation auprès des producteurs, en avril et mai 2004, les producteurs ont pris la décision d'investir de l'argent, malgré la crise, pour mettre en place immédiatement des solutions. Ils proposent la mise en place de deux prélèvements. Le prélèvement dans le secteur du bouvillon est de dix dollars par tête ; dans le secteur de la vache de réforme, il est de 20 dollars par tête commercialisée, ceci en vue de créer deux fonds pour le développement et pour la mise en marché, l'un pour les bouvillons, l'autre pour les bovins de réforme.

Grâce à ces fonds, les producteurs se sont impliqués collectivement en aval de la production, notamment dans les abattoirs Zénon Billette Inc. au Québec — qui était le seul abattoir de bouvillons au Québec dont les producteurs se sont portés acquéreurs — et l'entreprise Colbex-Lévinoff dans le secteur des vaches de réforme, qui était également la seule entreprise où les producteurs ont fait une offre d'acquisition dans les derniers jours.

Pour assurer le succès financier de leur démarche, les producteurs ont grand besoin de l'appui financier des gouvernements. Oui, les producteurs peuvent mettre un peu de capital ou d'équité dans l'entreprise, avec leur fonds, mais il est nécessaire qu'il y ait un appui gouvernemental, tant fédéral que provincial, pour permettre d'avoir une équité. En effet, quand on acquiert une nouvelle entreprise, le plus difficile c'est le démarrage de l'entreprise, et la construction d'une base solide pour qu'elle puisse demeurer en place longtemps.

J'aimerais faire auelques commentaires et suggestions concernant le programme fédéral actuel de soutien à l'accroissement de la capacité d'abattage : dès son annonce, le 10 septembre 2005, les producteurs de bovins du Québec ont relevé plusieurs faiblesses dans le nouveau programme canadien.

Pour atteindre les objectifs visés, ce programme se doit d'être revu et amélioré. À cet égard, la Fédération des producteurs de bovins du Québec partage l'analyse de la Canadian Cattelmen's Association, présentée le 6 avril dernier devant les fonctionnaires du fédéral et des provinces. Voici un extrait du document de la Canadian Cattlemen's Association :

La plus grande partie de l'accroissement de la capacité d'abattage a été réalisée par les abattoirs existants. Toutefois, ceux qui proposent de nouveaux projets d'abattoir tiennent non seulement à augmenter la capacité d'abattage mais aussi à faire en sorte que cette capacité tombe sous la propriété canadienne, voire même contrôlée directement par les producteurs.

Bien qu'un programme de réserve pour perte sur prêt ait été annoncé par le gouvernement fédéral pour aider à financer en partie les nouveaux abattoirs, ce programme s'est révélé largement inefficace. Dans tout projet d'abattoir, l'un des facteurs de succès les plus décisifs est la capacité à amasser suffisamment de fonds propres en capitaux pour rendre le projet solide sur le plan financier. Ces capitaux permettent de financer correctement la dette. Ils offrent une marge en cas de coûts de construction inattendus et en dépenses de démarrages. Ils constituent une provision contre les pertes pendant que l'abattoir se taille une part du marché. Or, les 22 derniers mois ont ébranlé la confiance des investisseurs de notre industrie. Dans le secteur de l'élevage bovin, plusieurs hésitent à risquer ce qui leur reste de fonds propres.

Étant donné l'incertitude face à l'avenir, d'où la grande difficulté d'obtenir des capitaux nécessaires pour ouvrir les nouveaux abattoirs et les rendre viables, il est fortement recommandé, aux divers niveaux de gouvernement, de créer des incitatifs à l'investissement de capitaux dans ces nouveaux projets. Ces incitatifs peuvent prendre la forme, par exemple, d'un crédit d'impôt à l'investissement, d'une déduction accélérée pour amortissement ou d'une protection offerte à l'investisseur pour perte de capitaux. Si les gouvernements agissent, un grand nombre de nouveaux projets pourraient être lancés. Ceci assurerait une solide position financière en plus de la loyauté de la part des actionnaires qui sont prêts à soutenir les projets jusqu'à ce que se normalise le commerce des bovins sur pied.

La Canadian Cattlemen's Association recommande de meilleurs instruments financiers. Elle recommande premièrement de modifier le programme de perte sur prêt par un programme d'appariement de capitaux, à condition que l'infrastructure demeure en place pendant dix ans. Elle recommande, deuxièmement, d'établir de nouveaux incitatifs, tels le crédit d'impôt à l'investissement, la déduction accélérée pour amortissement, le transfert d'actions ou une combinaison de ces derniers.

La Fédération des producteurs de bovins du Québec appuie les commentaires et propositions de la Canadian Cattlemen's Association. En outre, la fédération souhaite que le programme fédéral soit modifié de sorte que l'aide financière puisse être versée aux producteurs qui acquièrent des abattoirs, même si elle ne se traduit pas par une augmentation immédiate de la capacité de l'abattage.

Enfin, le programme ne devrait pas non plus imposer un plafond sur le chiffre d'affaires de l'entreprise acquise par les producteurs. Si un grand nombre de producteurs canadiens décidaient d'acquérir un abattoir aussi grand que Lakeside en Alberta, le gouvernement devrait pouvoir les accompagner par un apport direct de capitaux.

En conclusion, compte tenu de la concentration actuelle de l'industrie bovine canadienne et compte tenu que les frontières américaines peuvent malheureusement rester fermées encore longtemps au bovin vivant canadien, les gouvernements du Canada et des provinces ont tout intérêt à accompagner les producteurs dans leur projet d'acquisition d'abattoirs. Garder les emplois au Canada est également un des enjeux de ce dossier.

En se dotant d'outils stratégiques durables, en se rapprochant des consommateurs et en allant chercher la plus value qui découle du marché, les producteurs retrouveront une plus grande autonomie financière. Ils pourront désormais mieux traverser les crises et auront, à moyen terme, moins besoin du soutien de l'État. Il s'agit en quelque sorte d'un investissement pour le gouvernement. Cependant, d'ici à ce que les problèmes de capacité d'abattage et de mise en marché soient réglés, les gouvernements devront également mettre en place des programmes d'aide bonifiés afin de couvrir l'ensemble des pertes à la ferme qui, mois après mois, depuis près de deux ans, ne cessent de s'accumuler.

À titre d'exemple, les pertes au Québec le 31 décembre 2004 s'évaluaient à quelques 390 millions de dollars au niveau de la ferme. Le support des différents paliers de gouvernement, tant fédéral que provincial, s'est chiffré aux environs 150 millions de dollars. Les fermes québécoises accusent donc un manque à gagner de 240 millions de dollars qui n'a été couvert par aucun programme.

Quelle industrie au Canada résisterait à 240 millions de dollars de perte! Dans la même période, nos grands abattoirs canadiens sont en situation de bénéfice. C'est sur les fermes que se vit le drame au moment où on se parle.

Les coffres des producteurs sont vides. Il ne faudrait surtout pas que l'équilibre entre l'offre et la capacité d'abattage soit atteint par une réduction de la production bovine canadienne. Le Canada tout entier s'en trouverait perdant.

[Traduction]

Le vice-président : Merci de cette présentation détaillée. Monsieur Dessureault, je crois savoir que vous êtes producteur laitier.

M. Dessureault : Oui.

Le vice-président : Quel prix obtenez-vous pour une vache de réforme?

[Français]

M. Dessureault : Nous avons eu des discussions avec le gouvernement du Québec et avec le secteur de l'abattoir au Québec. Depuis le 2 décembre dernier, le prix minimum pour les belles vaches de réforme, sous forme vivante, est de 0,42 $ pour le producteur. Ce prix s'applique autant à la vache laitière qu'à la vache de réforme de boucherie. Au moment où on se parle, le marché donne au producteur entre 0,26 $ et 0,27 $, et l'écart est payé par le gouvernement du Québec sous forme de complément de prix. Nous espérons obtenir le support du gouvernement fédéral pour finaliser le projet.

À partir du premier mai 2005, le marché va payer 0,32 $ au producteur. Et à partir du premier septembre, le marché, c'est-à-dire l'abattoir, va payer 0,42 $ la livre vivante au producteur.

On a dû faire de fortes démonstrations auprès des principaux partenaires du Québec. Vous aurez sans doute entendu parler que les producteurs, à la fin novembre, ont réclamé au secteur de l'abattage ce qui leur est dû. En effet, ils ont manifesté fortement auprès du secteur de l'abattoir pour recevoir un juste prix. La médiation qui fut effectuée dans le dossier par le gouvernement du Québec a permis aux producteurs du Québec de recevoir 0,42 $ la livre pour les bovins de réforme — ce qui est un minimum. Les marchés similaires se situent entre 0,55 $ et 0,60 $. Le prix 0,42 $ laisse donc une certaine marge de bénéfice pour les abattoirs.

[Traduction]

Le vice-président : Cela montre que le gouvernement du Québec s'est très bien occupé de ses producteurs comparativement à d'autres gouvernements provinciaux dans l'Ouest où les producteurs ont une facture à payer après l'expédition de leurs vaches de réforme.

Il semblerait que les producteurs bovins puissent acheter leurs aliments à très bon marché. Quel est le prix du maïs au Québec?

[Français]

M. Dessureault : Le prix des céréales au Québec est aussi dérisoire que partout au Canada. Le maïs sec se commercialise aux environs de 100 $ CAN la tonne métrique. Cela ne laisse pas au producteur une grande marge de bénéfices sur les fermes bovines. Le prix donne tout juste la chance au producteur de mieux traverser la crise. Toutefois, il ne permet pas de réaliser un bénéfice. Les fermes bovines sont en marge négative. En plus de créer une difficulté pour d'autres secteurs de production, le problème ne se règle pas chez les producteurs de bovins.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Tout d'abord, il faut que vous sachiez que ce comité a énormément de respect pour les agriculteurs qui réussissent à survivre à cette terrible crise. Vous êtes des magiciens; vous continuez à perdre de l'argent, mais vous n'abandonnez pas. Nous reconnaissons également que vous êtes bien appuyés, particulièrement au Québec.

Vous dites que vous appuyez la réponse de la Canadian Cattlemen's Association en réponse à l'annonce de septembre. Plus précisément, vous dites :

Bien qu'un programme de réserve pour perte sur prêt ait été annoncé par le fédéral qui voulait aider à financer en partie les nouveaux abattoirs, ce programme s'est révélé largement inefficace.

Pouvez-vous nous dire comment vous expliquez cet échec?

[Français]

M. Bélanger : En fait, lorsque le programme a été annoncé, notre fédération était très inconfortable avec une telle approche. Les premiers commentaires de la Canadian Cattlemen's Association sur ce programme furent réservés. Tout le monde sait bien que ce qui importe dans une entreprise c'est l'apport des capitaux. Si vous voulez partir ou agrandir une entreprise, cela prend du capital propre. Cela prend de l'équité dans l'entreprise. Ce n'était pas ce qu'offrait ce programme. Tout ce qu'il offre, c'est une protection, et non pas pour les investisseurs mais pour les banquiers. Ce type de programme fait la chose suivante : si l'entreprise fait faillite, le banquier n'est pas trop perdant. Parce qu'il y a des garanties de prêt. Ce n'est donc pas une protection à l'investisseur. Cela avait été décrié à la fois par la CCA et par nous-mêmes et aussi par à peu près toutes les autres organisations de producteurs.

La CCA indique aujourd'hui clairement deux choses qui nous paraissent plus en ligne avec ce qu'on a toujours réclamé. D'une part, il faut que ce soit vraiment de l'argent en équité, donc du capital de risque, qui soit investi et qui provienne des gouvernements pour accompagner tout nouvel investisseur. Nous pensons nous aussi que c'est ce que cela prend pour démarrer ces entreprises. Comme M. Dessureault le disait tantôt, aussi pour les garder en vie durant les premières années puisque c'est là que c'est le plus critique.

Ce que la CCA dit aussi, c'est que compte tenu de la concentration des abattoirs sur le marché, ce n'est pas parce qu'on va atteindre une capacité d'abattage plus élevée, plus en équilibre avec l'offre que les producteurs vont avoir de meilleurs prix. S'il y a seulement un acheteur sur le marché, cela reste que c'est cet acheteur-là. Il pourrait y avoir un seul abattoir au Canada qui a la capacité d'abattre tous les bovins canadiens, mais s'il est le seul sur le marché, c'est lui qui va décider quel est le prix. Ce n'est pas un cartel; il décide tout seul. Si le prix ne fait pas notre affaire, qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse?

Le sénateur Mercer : On ne peut rien faire.

M. Bélanger : La CCA suggère aujourd'hui qu'on règle à la fois les problèmes de capacité d'abattage et les problèmes de mise en marché. C'est la voie que les producteurs de bovins ont prise parce que l'un ne suffit pas, compte tenu de la concentration et de l'intégration.

On appuie donc cette proposition, cette nouvelle analyse récente je vous dirais, de la Canadian Cattlemen's Association dans ce dossier.

Je termine en répondant plus précisément à votre question; ce programme s'est révélé largement inefficace parce que justement, sur les 58 millions de dollars attribués à ce programme — on n'est pas dans le secret des dieux — il n'y a à peu près pas d'argent provenant de ce programme actuellement. C'est ce qu'on nous dit. Ce n'est pas très efficace de mettre des dizaines de millions de dollars de côté pour, finalement, ne pas les utiliser.

La croissance de la capacité de l'abattage au Canada s'est faite par les entreprises déjà existantes qui étaient déjà en situation de quasi monopole. Et ce sont elles qui continuent de grossir. Nous pensons qu'on ne peut pas régler les problèmes de mise en marché dans le contexte actuel. Il faut aider les producteurs à se prendre en main.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Si quelque chose de bon ressort de toute cette crise, ce sera notre connaissance accrue du problème de capacité et l'importance accrue qu'on accorde à la création de capacités. Je suis de la Nouvelle-Écosse et je m'intéresse donc particulièrement à ce qui se passe dans l'Est du pays. À l'est du Québec, il n'y a qu'un abattoir, le nouvel abattoir de l'Île-du-Prince-Édouard qui vient tout juste d'ouvrir. Est-ce que les producteurs et les organismes agricoles du Québec ont discuté de la possibilité d'intégrer leurs efforts à ceux de leurs homologues du Nouveau- Brunswick, de la Nouvelle écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard et, dans une moindre mesure, de Terre-Neuve? Je pense qu'il y aurait à la fois un avantage commercial et un réel avantage politique à ce que les cinq provinces fassent front commun. Très souvent, lorsqu'on traite d'agriculture, et particulièrement lorsqu'il s'agit de bovins, les producteurs de l'Est sont loin de faire le poids à côté de nos frères et sœurs de l'Ouest canadien. Nous ne sommes pas toujours des intervenants très importants. En avez-vous discuté, et pensez-vous que c'est une entreprise qui a du mérite?

[Français]

M. Dessureault : C'est une idée qui a beaucoup de mérite et qui fait partie de nos bagages d'évaluation. La première réalité qu'on avait était de s'organiser au Québec. L'avantage de la Loi sur la mise en marché et du plan conjoint, c'est d'avoir une entente de partenariat serré entre l'approvisionnement d'un abattoir et l'abattoir comme tel.

Si on s'investit dans un abattoir, comme par exemple Colbex qui a la capacité d'abattre au-delà de 50 p.100 des bovins de réforme du Canada, il est de l'intention des producteurs du Québec de rencontrer leurs collègues des provinces avoisinantes pour voir quelles sortes de services on peut mettre en commun. Au Québec, collectivement, on a ce sens de travailler ensemble.

Hier, j'étais à l'assemblée des Producteurs de lait du Québec et j'ai rencontré des producteurs du Manitoba. On est à s'organiser des rencontres avec les gens du Manitoba. On a rencontré par le passé les producteurs du Nouveau- Brunswick. L'objectif est de sécuriser l'approvisionnement à long terme de notre acquisition et de s'assurer que les producteurs reçoivent un prix décent aussi pour l'élevage de réforme. On est au niveau de la réflexion et on a beaucoup d'ouverture au Québec dans ce sens.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Cela m'amène à la question du commerce interprovincial et de sa réglementation — pour pouvoir vendre dans une autre province, un abattoir doit être enregistré auprès de l'ACIA et répondre à la norme fédérale en matière d'inspection des viandes et aux normes applicables au commerce interprovincial. Est-ce la même chose pour les exportations à l'étranger, même si selon l'ACIA, certaines modalités de la norme fédérale exigées par nos partenaires commerciaux étrangers n'ont rien à voir avec la salubrité des aliments.

Êtes-vous en faveur d'un niveau d'inspection qui permettrait à un abattoir provincial de faire du commerce interprovincial, sans nécessairement être autorisé à commercialiser ses produits sur le marché international, afin d'éliminer certains obstacles internes?

[Français]

M. Dessureault : Il est question de toujours s'assurer que la sécurité alimentaire des produits soit correctement supervisée. C'est ce que nous offre l'Agence canadienne d'inspection des aliments en ayant un standard canadien. À partir de ce moment, sur une base d'animaux abattus, quand ils ont obtenu le standard d'inspection canadien, ils peuvent avoir libre circulation au Canada. Il existe différents standards d'inspection d'une province à l'autre, et il faut qu'il y ait une harmonisation sur ce plan pour permettre la libre circulation. Sur la base des animaux vivants et sachant que les contrôles sont canadiens, qu'ils se fassent dans une province ou dans l'autre, cette harmonisation se fait. Mais lorsqu'on parle des systèmes d'inspection provinciaux, dans le marché canadien, nous voulons que tout le monde se retrouve sur la même ligne de commercialisation.

M. Dessureault : Il existe encore au Canada des systèmes d'inspection dans certaines provinces tandis que d'autres provinces n'en ont aucun. Il faut s'assurer qu'au niveau de la sécurité du consommateur, le système d'inspection soit uniforme un peu partout. S'il l'est, on n'a pas de problème à avoir une circulation des viandes qui soient correctement inspectées.

[Traduction]

Le sénateur Mercer : Mon dernier commentaire se rapporte à la réponse de M. Bélanger à ma dernière question et à son commentaire sur les banques. Le secteur agricole est comme nous tous, c'est-à-dire que nous travaillons tous pour les banques, que ce soit en payant notre hypothèque ou notre prêt-auto ou en travaillant sur la ferme. C'est une frustration que nous partageons tous.

[Français]

Le sénateur Gill : Vous parliez en fait, si j'ai bien compris, d'une perte importante de revenus pour les producteurs, 300 millions de dollars. Si vous soustrayez l'aide financière que vous avez reçue, cela revient à peu près à 200 millions de dollars de perte. Est-ce que la situation a changé depuis que les prix ont été fixés ou l'aide que le gouvernement du Québec a apportée aux producteurs pour monter le prix de la livre à 42 sous? Vous n'avez peut-être pas eu le temps de calculer parce que c'est très récent. Quel impact cela peut-il avoir?

M. Dessureault : L'entente qu'il y a eu entre l'abattoir et les producteurs de bovins du Québec va emmener dans le secteur des bovins de réforme 35 millions de dollars. On avait un tableau au Québec qui démontrait que la contribution du gouvernement canadien en 2003-2004 pour le secteur bovin de réforme, avait été de 50 millions de dollars pour des pertes de plus ou moins 90 millions, 92 millions dans le bovin de réforme. Donc, automatiquement cette entente apporte actuellement 35 millions sur des pertes de 90 millions. À court terme, c'est un grand pas dans la bonne direction. Toutefois, cela ne coûtera rien au gouvernement, sauf le compromis de l'entente. S'il n'y avait pas eu de support du gouvernement du Québec, je pense que le prix minimum n'aurait pas été mis en place au Québec. L'abattoir étant dans une situation de bénéfice important, elle n'a pas de raison de réduire ses bénéfices. L'argument du marché revient rapidement dans les discussions avec ces gens-là. À partir de là, cela a été une entente à ce niveau, mais concrètement, c'est 35 millions de dollars en 2005 que cela va apporter aux producteurs de bovins du Québec.

Le sénateur Gill : Au Québec, vous avez commencé à appliquer une recommandation du comité sénatorial sur la prise ou l'achat des abattoirs ou d'un abattoir. Actuellement, les prix qui sont donnés aux producteurs, évidemment, sont décidés par l'abattoir. Si vous devenez actionnaire, qui va contrôler les producteurs? Est-ce que c'est la consommation au bout ou la demande? En fait, si vous possédez des actions dans un abattoir, alors vous allez devoir faire face à tous les autres. Je comprends cela. Il y a une certaine compétition, mais vis-à-vis le consommateur, une fois que vous possédez l'abattoir, qu'est-ce qui arrive au point de vue des lois du marché?

M. Dessureault : Actuellement, le fait de se porter acquéreur d'un leader canadien dans le secteur, il y a des clients, il est dans le marché et on vous disait le dollar consommateur ne changera pas, il va investir le même dollar. Mais au niveau des marges bénéficiaires qu'il y a dans la filière, au niveau de l'abattage en particulier, on va se répartir les bénéfices de la filière, donc cela se peut qu'on reste dans le marché canadien. Si le marché canadien ne veut pas bouger, il ne mettra pas notre abattoir en problème. Par contre, le partage du bénéfice va se faire sur une base régulière comme c'est possible de faire ou on décrètera un prix de marché. On verra la solution, mais l'objectif n'est pas d'aller chercher plus d'argent des consommateurs. L'objectif est de mieux répartir cet argent-là. Il y a de la place. Vous avez dû recevoir des documents qui vous permettent d'avoir le portrait exact de ces entreprises-là et il y a beaucoup de place. L'argent est resté dans la filière, les bénéfices ne sont peut-être pas restés au Canada, mais l'argent est resté ici. Les producteurs ne l'ont pas vu.

Le sénateur Gill : Je viens de la région du lac Saint-Jean. Les gens semblent avoir beaucoup de difficulté à rejoindre les abattoirs. Cela coûte cher. Il semblerait que c'est centralisé autour de chez vous. Ce n'est pas vous autres, mais plus vers Montréal, Québec, les grands centres. Mais pour les régions, il me semble qu'il y a des problèmes.

M. Dessureault : Non, à la fédération, au moment où on se parle, la réalité du Québec, c'est un abattoir qui abat 90 p.100 des bovins de réforme du Québec et 150 abattoirs qui abattent l'autre dix p.100. Donc le grand abattoir, il est plutôt centralisé au Québec, par la fédération, par la Loi sur la mise en marché, par le plan conjoint. On est à structurer l'approvisionnement de l'abattoir, la rationalisation du transport. En mettant en commun l'ensemble de ces problématiques, on va être en mesure de livrer un service autant aux gens du Lac Saint-Jean qu'aux gens du Nouveau- Brunswick ou les gens du Bas Saint-Laurent, au même coût. C'est un peu la particularité de travail qu'on a quand on met en commun, collectivement nos forces.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : J'aimerais revenir au commerce interprovincial. Monsieur Dessureault, vous avez dit que certaines provinces n'ont aucun système d'inspection. Est-ce que cela veut dire qu'elles respectent les exigences fédérales ou qu'il n'y a aucune exigence à respecter lorsque les abattoirs vendent uniquement à l'intérieur de leur province?

[Français]

M. Dessureault : Il y a des normes qui existent dans les provinces, mais il y a des gens qui travaillent de la viande dans certaines provinces qui sont exempts de normes, quand ils peuvent vendre directement dans leur établissement. Du moins, c'est le cas au Québec. À partir de là, c'est une entente de gré à gré entre un consommateur et quelqu'un qui travaille la viande. Il faut donc s'assurer que s'il y a de la viande qui s'échange d'une province à l'autre, qu'il y ait au moins une norme minimale canadienne et ce à quoi contribue l'Agence canadienne pour équilibrer ce commerce interprovincial. Sinon c'est totalement déloyal dans le marché qu'il y ait des entreprises qui soient assujetties à des normes et d'autres qui ne le soient pas. Deuxième élément, au niveau de la sécurité alimentaire, cela prend des règles minimales d'inspection. On a comme producteur la responsabilité d'assurer que les consommateurs achètent des aliments de grande qualité, mais des aliments qui sont également sains.

M. Bélanger : Un complément de réponse. On vit dans certaines régions du Québec une problématique où il n'y a même pas de petits abattoirs provinciaux dûment inspectés par le gouvernement du Québec, mais avec des normes un peu différentes des abattoirs fédéraux. Ces régions-là sont limitrophes avec l'Ontario et du côté de l'Ontario, il existe un abattoir provincial qui pourrait, pour la mise en marché régionale, abattre ces animaux-là et les ramener... c'était un peu le sens de votre question tantôt. Je pense que dans le contexte actuel de sous capacité d'abattage, il faut faire preuve d'ouverture pour permettre l'utilisation de ces capacités d'abattage-là dans des conditions bien précises. Si ces animaux étaient abattus en Ontario, ils seraient commercialisés de nouveau, par exemple en Abitibi-Témiscamingue. Nous avons ce problème actuellement. Il faut ramener les animaux dans la région de Montréal pour les faire abattre et il faut les retourner en Abitibi-Témiscamingue. Alors comment régler cela ? L'abattoir du côté de l'Ontario, c'est un abattoir inspecté, provincial. Nous, ce qu'on croit, c'est que dans la situation actuelle, il pourrait y avoir des gens de l'Agence canadienne qui viennent s'assurer des standards, un standard minimum, comme M. Dessureault le disait tantôt, mais pour permettre rapidement l'utilisation de cette capacité d'abattage. Alors qu'actuellement il n'y aucune ouverture de la part de nos gouvernements à régler certains problèmes de mise en marché, avec des abattoirs provinciaux.

Je pense qu'il y a là une occasion qui n'est pas utilisée pleinement. Mais qu'on ne se raconte pas d'histoire; ce n'est pas ce qui va régler le problème de la sous-capacité d'abattage au Canada. Cela va régler des petits problèmes régionaux, mais cela ne règle pas le vrai problème de capacité d'abattage.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Un abattoir qui vend à l'intérieur de sa province respecte la norme provinciale. S'il vend dans d'autres provinces, il doit respecter les mêmes normes que s'il vendait sa viande sur les marchés internationaux.

Pensez-vous qu'il devrait y avoir des normes différentes? En d'autres mots, je crois savoir que les normes internationales contiennent certaines exigences dont le seul but est de satisfaire les pays étrangers et qui n'ont aucun rapport avec la salubrité des aliments.

Pensez-vous qu'il devrait y avoir des normes différentes pour les abattoirs qui vendent uniquement sur le marché interprovincial?

[Français]

M. Bélanger : C'est déjà la situation actuellement. Lorsqu'on vend dans une province, on retrouve des standards légèrement différents. Cela ne veut pas dire, comme vous le disiez tantôt, que la viande est impropre, loin de là, mais ce ne sont pas exactement les mêmes standards. Nous pensons qu'actuellement on peut profiter de cette occasion, mais cela exige la collaboration de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Nous pensons que pour faire en sorte que la province du Québec et celle de l'Ontario s'entendent, il faut faire davantage. Il faut absolument que l'agence soit là pour assurer que le standard de ce commerce ne fasse pas en sorte que d'autres pays ne veuillent plus acheter la viande canadienne. Les trois parties doivent s'asseoir et trouver une solution à court terme pour régler les problèmes de sous- capacité d'abattage et de mise en marché des bovins.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : Je conviens que nous ne voulons pas de normes trop faibles. Mais je ne sais toujours pas si vous seriez d'accord pour qu'on ait un ensemble de normes pour le commerce interprovincial et un autre pour le commerce international.

[Français]

M. Bélanger : Oui, c'est possible et c'est viable d'avoir deux niveaux. C'est déjà la situation actuelle entre le standard canadien et le standard à l'intérieur de chacune des provinces. On pense qu'il pourrait y avoir un standard intermédiaire pour le produit qui transit d'une province à l'autre, un standard intermédiaire entre les standards des provinces et le standard international, car cette viande ne sort pas du pays. Donc, cela ne met pas en péril notre capacité d'exporter des bovins.

M. Dessureault : Si vous me permettez un complément, il y a effectivement des éléments d'inspection, mais de plus en plus, avec l'avènement de la crise de l'ESB, ce qui est important, ce sont les éléments de traçabilité du produit. On a imposé l'identification permanente aux producteurs du Québec et aux producteurs canadiens. Au Québec, nos animaux sont identifiés dès la naissance. On devra s'assurer que les viandes importées au Canada aient la même traçabilité. Or, elle est loin d'être acquise aux États-Unis ou dans d'autres provinces. Cela met les producteurs dans une situation fort difficile, parce que la traçabilité implique des coûts. Nous sommes prêts à y adhérer, nous y adhérons, mais lorsque la viande vient de l'extérieur, que ce soit d'une autre province ou d'un autre pays, ce n'est pas loyal. On nous demande, après cela, de faire compétition. Il y a plus qu'un élément, il y a une foule d'éléments pour s'assurer qu'on traite correctement.

[Traduction]

Le sénateur Callbeck : À la page 11, vous indiquez une augmentation d'environ 20 p. 100 de la capacité d'abattage des abattoirs qui font l'objet d'une inspection fédérale pour la période 2004 à 2006. Pour les abattoirs qui font l'objet d'une inspection provinciale, vous n'indiquez aucune augmentation. J'aimerais que vous m'expliquiez cela.

[Français]

M. Bélanger : Pour ce qui est de la croissance, au niveau provincial, non, ce n'est pas vraiment de ce côté que la CCA et nous, non plus, estimons qu'il y aura une croissance de la capacité. Il y aura peut-être une meilleure utilisation de la capacité d'abattage des abattoirs provinciaux. Pour nos abattoirs fédéraux, les capacités sont utilisées de façon très importante, ce n'est pas le cas de tous les abattoirs provinciaux. Mais pour ce qui est de la capacité comme telle, on ne s'attend pas à ce qu'il y ait énormément de croissance.

Vous comprenez bien que le Canada produit plus que deux fois ce qu'il consomme. Ce qui est important, c'est d'avoir une capacité d'abattage qui nous permette d'exporter nos produits. Pour pouvoir le faire, il faut être inspecté par l'Agence canadienne d'inspection des aliments. C'est là que se fera la croissance.

M. Dessureault : Il ne faut pas perdre de vue que la production bovine canadienne est une production d'exportation. Soixante pour cent de la production bovine canadienne est vouée à l'exportation. Peut-être qu'on s'est trop fié à un seul client dans le passé et qu'on devrait s'assurer que nos normes nous permettent de faire face à plusieurs clients si un autre problème survient.

L'autre élément, c'est qu'on a la possibilité au Canada de consommer une plus grande partie de cette viande. Les quotas canadiens d'importation de viande de bœuf ne sont plus nécessaires au Canada dans un cas d'embargo. L'industrie a bien réagi dans les dernières années à ce sujet. On était à près de 200 000 tonnes de bœuf importées au Canada, qui ont été réduites à 35 ou 45 000 tonnes en 2004. Il ne faut surtout pas que le Canada donne des quotas additionnels d'importation à certains. Il y a de la viande de bœuf de qualité en grande quantité au Canada et c'est important dans tout le contexte du bœuf au Canada.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Merci de votre présentation. J'ai été tellement impressionné par l'innovation des producteurs bovins et leur manière de réagir à cette crise terrible qui frappe nos exportations de bovins en raison de l'ESB. Je regardais votre communiqué de presse sur l'acquisition de Colbex. D'après le quatrième paragraphe de ce communiqué, cette transaction doit être approuvée par un office de commercialisation du Québec.

Cela me semble un peu étrange. Pouvez-vous m'expliquer cela? Est-ce parce qu'il s'agit de vaches laitières, ou pour une autre raison?

[Français]

M. Dessureault : Non, aucunement. La fédération est structurée suivant la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, sous la supervision de la régie des marchés agricoles. Quand on a un plan conjoint, on a un pouvoir, mais également des devoirs. Parmi ces devoirs, la loi ne permet pas à des producteurs d'être des acteurs présents sur le plan de la transformation et de la vente du produit directement.

Je ne dirais pas que c'est une formalité, car c'est un tribunal administratif auquel il faut se présenter, trouver dans la loi des exemptions qui nous permettent de devenir propriétaire et intervenant. On peut être propriétaire d'un abattoir au Québec, mais il restera d'autres abattoirs. Il faut être en mesure de démontrer à la régie comment on va faire pour que ces autres abattoirs s'approvisionnent et comment les 10 p. 100 qui restent s'approvisionneront et de quelle façon on veut le faire en toute équité pour l'ensemble des entreprises. La loi a le rôle de gardien de cet équilibre et on se présente devant la régie des marchés agricoles, les audiences sont prévues pour la fin du mois de mai. On a fait le même processus lors de l'achat de l'abattoir Billette et la régie des marchés agricoles nous a donné son autorisation de devenir des intervenants dans l'abattage et la transformation du bouvillon d'abattage. Mais c'est une particularité du Québec, on doit respecter la Loi sur la mise en marché des produits au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Il y a des lois qui interdisent ce qu'on appelle normalement dans l'industrie une intégration verticale.

C'est intéressant. C'est semblable à la production de bière au Canada, n'est-ce pas? Évidemment, vous croyez que ce sera approuvé. Est-ce que cela aura une incidence pour les nouveaux arrivants sur le marché? Comment peut-il y avoir des règles empêchant un producteur de bovins d'être propriétaire d'une usine de transformation tout en permettant le contraire, soit qu'un propriétaire d'usine de traitement ait son propre bétail? Vous avez mentionné tout à l'heure que c'était un moyen de contrôler les prix. Pourquoi? Est-ce qu'il y a quelque chose que je ne comprends pas? Vous dites que lorsque les prix augmentaient trop parce qu'il y avait un approvisionnement insuffisant, alors les transformateurs utilisaient leurs propres bovins pour maîtriser cette augmentation du prix, ou à tout le moins pour stabiliser le prix. Pourquoi?

[Français]

M. Dessureault : La matière première est propriété des producteurs de bovin au Canada. En tant que producteur de bovin, peut-on intervenir suffisamment loin dans la filière, dans l'industrie, pour mieux partager le dollar du consommateur? Au Québec, on produit près de 125 000 vaches de réforme par année. Les industries auxquelles nous devons faire face ont un niveau d'abattage de 200 000 têtes par année. Si l'approvisionnement n'est pas suffisant, vont- elles venir s'établir au Québec? Actuellement, elles sont intéressées, mais elles ne donnent rien au producteur. Nous ne voulons pas perpétuer cette tendance. Il faut être en mesure de mieux partager.

La compétition n'est pas nécessaire dans tous les secteurs. Lorsque nous entrerons dans le marché pour vendre de la viande, nous seront en compétition.

La tendance au niveau de l'industrie bovine, un peu partout au Canada, est à la concentration. Pourquoi les producteurs ne peuvent pas être des acteurs importants dans cette concentration? Pourquoi un abattoir se trouvant sur une propriété américaine ne suscite pas d'inquiétude? Pourquoi le prix du marché actuel est si dérisoire? Où vont les bénéfices de ces entreprises actuellement?

Les pertes à la ferme, au Canada, se chiffrent à 7 milliards de dollars. Ces pertes vont au profit de qui? La viande bovine coûte au Canada le même dollar. Cette réalité est d'autant plus difficile à accepter, car cela va au détriment des producteurs qui subissent les pertes.

Ne soyons pas aveugles. Certaines choses sont connues du gouvernement canadien. Vous faisiez référence plus tôt à la bière. Cette industrie est très structurée et concentrée au Canada. Le gouvernement canadien a osé imposer un prix minimum pour la bière alors que son industrie bovine est en train de mourir. Il ne suffit que d'imposer un prix minimum pour le bœuf au Canada. Cette démarche ne coûterait rien à l'État. Pourquoi donc l'État ne le fait-il pas? L'État sait très bien que l'argent existe. Il sait également à qui va cet argent. Pourtant il ne bouge pas. Nous avons le droit de prendre une telle démarche au Canada. Pourquoi ne pas le faire? On préfère plutôt questionner les producteurs qui ont décidé de se prendre en main.

Malheureusement, si de grosses compagnies désirent s'établir au Québec, les vaches, propriété des producteurs, seront abattues par les producteurs, la viande sera vendue par les producteurs dans le marché canadien et à l'étranger, au bénéfice du Canada et des producteurs canadiens. Voilà le pari. Pour ce faire, il faut un appui.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je suis d'accord avec vous. Ce qui me dérange, c'est que je ne comprends pas pourquoi vous devez demander la permission de participer à ce processus.

Je lis, page 5 de votre mémoire, que les organismes qui publient les prix du marché n'ont aucune information à livrer, que ce soit pour les marchés de l'Ontario ou de l'Alberta. Pour votre nouvelle acquisition, allez-vous publier les prix que vous payez chaque jour?

[Français]

M. Dessureault : Nous le faisions dans le passé pour le marché canadien. À la fédération nous avions une agence de vente dans le secteur du bouvillon d'abattage. Nous avons arrêté de le faire car on s'est rendu compte que le prix canadien était le prix du Québec — ce qui n'est pas le cas. Nous représentons 5 p. 100 de l'industrie bovine canadienne. Ce n'est pas le Québec qui doit fixer le prix du Canada, sauf s'il y a un décret gouvernemental, naturellement.

Des règles claires devraient exister au Canada pour obliger les entreprises à publier quotidiennement leur prix de marché. Nous avons eu cette semaine une rencontre avec nos producteurs. Ils nous ont indiqué certains faits. On envoie un chargement de bouvillon à l'abattoir d'une valeur de 45 000 $, et on ne connaît même pas le prix de ce produit avant quatre jours. Une fois que le produit a quitté la ferme, il ne reste plus de décision à prendre. Comment peut-on fonctionner de la sorte au Canada?

Le pouvoir des grandes entreprises fait en sorte aujourd'hui que le prix du marché est pour eux un secret d'entreprise. Le prix du marché au Canada pour des produits de base, comme les animaux, ne peut devenir un secret d'État. Cette difficulté existe depuis que le gouvernement canadien a retiré cette obligation pour les entreprises de divulguer leur prix du marché sur une base quotidienne. À partir du moment où il n'y a plus eu de statistiques, le prix disparaît sur une base quotidienne. Le producteur a donc le souci constant à savoir s'il sera payé le prix du marché aujourd'hui.

On dispose de points de références américains dont on pourrait se servir, en temps normal. Toutefois, actuellement, les frontières sont fermées et ces points de références n'existent plus.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Monsieur le président, nous devrions examiner ce problème, car il est terrible que le prix du marché ne soit pas affiché. Comment un système de marché peut-il fonctionner ainsi? Comment un producteur de bovins peut-il savoir à quel moment vendre ses bêtes pour en obtenir un bon prix s'il apprend le prix uniquement lorsque ses bovins sont rendus à l'usine et qu'il est trop tard pour les ramener à la ferme? Essayons de déterminer pourquoi cette obligation a été éliminée. Peut-être que quelque chose nous échappe; on ne sait jamais.

Le vice-président : C'est la réalité qui nous échappe, en quelque sorte, sénateur Tkachuk, c'est-à-dire que les producteurs sont des preneurs de prix et non pas des décideurs de prix.

Le sénateur Tkachuk : Ce serait bien qu'ils sachent au moins un jour d'avance quel prix ils peuvent s'attendre à recevoir. Je compatis.

J'ai une autre question sur le lobbying pour obtenir de l'aide pour les usines de transformation et pour aider à accroître la capacité d'abattage. Vous avez mentionné que le gouvernement provincial fournit une subvention pour porter le prix de 0,26 $ à 0,42 $, même si vous dites que 0,42 $ est un prix assez faible et que le prix du marché est plus élevé. Si nous n'avions pas ce problème, le prix serait probablement dans les 0,50 $. À l'heure actuelle, le prix subventionné est inférieur à ce que serait, d'après vous, le prix du marché. Pourquoi serait-il difficile d'obtenir des investissements pour un produit qui est bon marché, qui se vend à bon prix au détail et qui est subventionné par le gouvernement pour porter le prix de 0,26 $ à 0,42 $? Il me semble que vous devriez être obligé de refuser des investisseurs. Pourquoi avez-vous du mal à trouver des capitaux propres? Pourquoi demandez-vous au gouvernement fédéral de vous en fournir?

[Français]

M. Dessureault : Le gouvernement canadien au moment, où on se parle, doit faire face à une réalité canadienne. Il existe un embargo sur les produits du bœuf canadien. Le gouvernement actuel est le même qui a encouragé les producteurs à développer la production bovine au Canada, ce qu'ils ont fait avec succès. À partir du moment où il se produit un petit accident de parcours qui échappe au contrôle des producteurs de bovins canadiens, le gouvernement canadien se doit de supporter les producteurs. Lorsque les producteurs amènent des alternatives à long terme qui permettront au gouvernement canadien de mieux se parer en cas de crise, le gouvernement devrait mieux supporter ces investissements.

Actuellement, il est clair que les institutions financières ne veulent pas investir du capital de risque dans les abattoirs. Pour vous donner un exemple, un coup de pouce au Québec de l'ordre d'environ 15 millions de dollars permettrait de solutionner à long terme le problème du bouvillon d'abattage au Québec. Cette somme est nettement inférieure aux 150 millions de dollars que le gouvernement a investis au cours de la même année, dans la même province, somme qu'il devra aussi investir en 2005 s'il veut passer à travers la crise. Voilà la réalité.

Le rôle de l'État est d'appuyer des initiatives gagnantes pour le pays et pour le bénéfice des producteurs. Ces initiatives doivent créer des emplois structurants pour le Canada. Heureusement, les producteurs du Québec ont indiqué qu'ils étaient prêts, dans le contexte de la crise, à jouer cette carte à long terme. Le Québec a besoin de l'appui du gouvernement pour enclencher le processus rapidement.

[Traduction]

M. Gib Drury, membre du conseil d'administration, Fédération des producteurs de bovins du Québec : Dans l'Ouest, l'expansion de la capacité s'est produite dans les installations existantes qui avaient déjà près de 100 p. 100 d'avoirs propres. Pour ouvrir un nouvel abattoir dans l'Ouest, ou même dans l'Est, il est impossible d'emprunter. Si vous avez 100 p. 100 de capitaux propres au départ, vous pourriez vous mesurer aux gros abattoirs déjà en place, qui contrôlent le marché et qui ont leur propre chaîne de distribution.

Il n'y a pas que les banquiers qui aient peur d'investir étant donné la possibilité que la frontière rouvre, mais les producteurs eux-mêmes ne peuvent pas trouver 100 p. 100 de capitaux propres pour faire concurrence aux installations existantes. C'est pourquoi nous demandons aux gouvernements, tant provinciaux que fédéral, de nous aider à atteindre le même niveau de capitaux propres que les producteurs qui investissent leur propre argent, soit au moins 50 p. 100, et nous pourrions ensuite emprunter les autres 50 p. 100. Si les frontières rouvrent, nous pourrons quand même faire concurrence aux abattoirs existants qui, après deux ans, sont dans cette situation incroyable de réaliser des profits que je n'oserai pas qualifier d'indécents, mais presque. Ils ont maintenant une belle réserve de capitaux. Ils ont pris de l'expansion et vont continuer à se développer pour bloquer l'accès à tout nouvel arrivant.

Par contre, un projet comme celui que nous avons au Québec, où les producteurs créent des partenariats avec les installations existantes — qui est, d'après nous, le meilleur moyen de se lancer en affaires, plutôt que de démarrer quelque chose soi-même sans avoir l'expérience nécessaire — permet de mettre fin à la rivalité qui existe à l'heure actuelle entre le transformateur et le producteur, où l'un doit perdre pour que l'autre puisse gagner. Lorsqu'on crée un partenariat, les deux gagnent lorsque la viande est vendue. C'est ce que nous essayons de faire au Québec et c'est pourquoi nous voulons que le gouvernement nous aide à lever des capitaux propres afin que nous puissions profiter de la réouverture de la frontière.

Le sénateur Tkachuk : Est-ce que cela n'entraîne pas une concurrence injuste à l'endroit de ceux qui ont construit des usines de transformation sans l'aide du gouvernement? Le gouvernement doit égaliser les règles du jeu, car il dépense l'argent des contribuables. Je peux imaginer qu'on aide les producteurs, car cette crise est une tragédie humaine et économique dont le producteur n'est absolument pas responsable. C'est comme une sécheresse; c'est une crise. Je n'ai pas d'objection à ce que les producteurs soient propriétaires d'usines de transformation; ce serait formidable — des coopératives; peu m'importe. Mais est-ce qu'une telle aide n'aurait pas pour effet de rendre les règles du jeu inéquitables et est-ce que ce ne serait pas dire : « Nous allons vous donner une aide spéciale ici, mais là-bas où il y a déjà une industrie de la transformation prospère, nous allons créer plus de concurrence et contribuer davantage d'argent des contribuables »? Comment pensez-vous que cela pourrait marcher?

[Français]

M. Bélanger : Tout le monde sait que le gouvernement n'a pas agi assez rapidement dans le dossier pour établir un prix juste et équitable. Pour les bouvillons comme pour les vaches, les prix ont chuté à des niveaux totalement inacceptables. Le gouvernement a dû mettre en place des programmes pour supporter les producteurs. En grande partie, particulièrement dans les premiers programmes mis en place, l'argent du gouvernement s'est rendu dans les poches des grands abattoirs. Ce n'est pas de l'argent du public, ce n'est pas de l'argent des consommateurs. Les abattoirs actuels ont déjà reçu beaucoup d'argent du gouvernement.

Je pense que la situation actuelle n'est pas équilibrée. Dans le programme ESB-1, le prix du producteur baissait et on aurait dit que les sommes versées par le gouvernement allaient directement dans les poches des abattoirs.

Nous croyons qu'il faut corriger ce déséquilibre et faire en sorte que les producteurs soient sur le même pied d'égalité car ce que les abattoirs actuels ont dans leur poche, c'est ni plus ni moins que de l'argent emprunté du gouvernement.

On aurait pu éviter une telle situation si le gouvernement était intervenu rapidement en fixant un prix minimal garantissant à ces entreprises un profit raisonnable, non pas un profit prohibitif comme c'est actuellement le cas.

Étant donné que le remède n'a pas été appliqué à temps, ces entreprises ont déjà empoché beaucoup d'argent du gouvernement, que ce soit directement ou indirectement, et il faut maintenant corriger la situation parce qu'elle ne fera qu'empirer avec le temps. M. Drury a très bien expliqué ce qui arrive aux nouveaux venus de l'industrie de l'abattage.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Si le programme gouvernemental n'était pas ce qu'il est, peut-être n'auraient-ils pas réalisé autant de bénéfices.

Le sénateur Mahovlich : Il y a 20 ou 30 ans, j'amenais mes enfants dans les établissements de restauration rapide, comme MacDonald's et Wendy's. J'étais étonné de constater que la plus grande partie de la viande qu'on y servait était importée d'Australie. Je me demande si cela a changé depuis le début de cette crise. Savez-vous si ces entreprises ont aidé le Canada d'une manière ou d'une autre?

[Français]

M. Dessureault : Ces entreprises ont modifié leur façon de s'approvisionner. En 2002, il est rentré au Canada au-delà de 200 000 tonnes de viande provenant de l'importation et cela a été réduit à 35 000 tonnes. Ces entreprises, à l'exception d'une, se sont approvisionnées en viande canadienne. Je pense que nous avons été bien appuyés par l'industrie à cet égard. C'est un aspect positif de la crise au Canada.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Puisqu'on parle d'autres pays, parlons des États-Unis, qui sont nos voisins. Est-ce que le gouvernement fédéral des États-Unis subventionne les agriculteurs comme nous demandons à notre gouvernement d'aider les producteurs? Je suis sûr qu'il y a eu de nombreux problèmes dans différents États. Est-ce que leurs abattoirs sont tous des entreprises privées et que peut-on apprendre d'eux?

[Français]

M. Dessureault : Cela représente un problème actuellement. Le Farm Bill américain apporte des dizaines de milliards de dollars sur l'ensemble des fermes américaines. À l'Assemblée des producteurs laitiers hier, on nous disait que seulement dans l'industrie laitière américaine, il y a 7 milliards de dollars investis par le gouvernement américain dans l'industrie laitière.

Au Canada, on a décidé de jouer le jeu de ne rien donner aux producteurs; et vous pensez que dans une crise, avec rien aux producteurs, on va s'en sortir?! On ne sait pas encore où s'en va notre gouvernement canadien avec cela. La majorité des pays ont mis en place des politiques agricoles fortes, comme par exemple le Farm Bill américain et la PAC européenne.

Au Canada, on a des programmes de risque. Écoutez, il y a huit nouveaux programmes. Il paraît qu'on a un bon programme de sécurité et de support, et d'aide aux producteurs au Canada. Il y a huit nouveaux programmes depuis le mois de mai 2003.

Il faut croire que le programme de base n'a pas fait son travail, car il n'apporte pas d'argent sur les fermes. La propriété aux États-Unis est la tangente qu'on a au Canada actuellement, c'est-à-dire deux, trois, ou quatre grands leaders avec les risques que cela impose aux les producteurs, mais également, en contrepartie, l'État qui se veut garant d'un revenu important pour les producteurs.

Il y a un banquier américain dans une conférence, dernièrement, qui disait que le revenu net provenant de ses fermes — je pense que c'était dans l'Iowa — est exactement le montant d'argent investi par le gouvernement dans mon État. Si le gouvernement se retire, moi, banquier, je me retire. Imaginez, ici au Canada, dans quelle situation nous sommes.

Le gouvernement canadien laisse les producteurs canadiens, toutes catégories, au diktat du marché, tout en sachant que ce marché est totalement désordonné. La fameuse loi du néo-libéralisme qui dit que le marché va tout arranger, ce n'est pas vrai quand on pense que le gouvernement américain investit des milliards de dollars et que l'Europe investit des milliards de dollars également. Cela n'existe pas.

Imaginez qu'en plus de cela nous sommes en période de crise. Il y a 60 p.100 du bœuf canadien qui est à l'exportation et on ne peut plus le vendre. Il n'y a pas d'aide et pas de support. Il faudrait au moins la volonté ferme de décréter un prix minimum pour les denrées. Cela ne ferait seulement que rétablir un équilibre de marché. Cela ne coûterait pas plus cher aux consommateurs.

C'est seulement de dire que le gouvernement n'accepte plus un partage de cette assiette fiscale dans l'intérêt de quatre individus au lieu de je ne sais pas combien de milliers de producteurs de bovins canadiens. On est conscients que quatre producteurs c'est correct et que 100 000 producteurs c'est incorrect? Cela ne se peut pas.

Le rôle de l'État est d'apporter cet équilibre et une meilleure répartition de l'assiette. Ils n'ont pas le courage, actuellement de le faire. Ils le font dans l'industrie de la bière. Ils ont ce courage pour l'industrie de la bière, mais c'est les mêmes multinationales qui portent d'autres noms.

[Traduction]

Le sénateur Mahovlich : Monsieur Drury, je comprends votre position, car j'ai déjà été joueur de hockey professionnel. J'étais d'accord pour que les anciens joueurs deviennent copropriétaires de la ligue de hockey pour que nous puissions exercer un certain contrôle. À l'heure actuelle, ils n'ont plus le contrôle et, par conséquent, nous n'avons pas pu regarder notre sport national cette année. Je comprends votre position. Les choses évoluent, et elles doivent évoluer, j'en conviens. C'est au gouvernement qu'il appartient d'intervenir et de faire l'arbitre.

[Français]

M. Dessureault : J'ai envie de vous répondre que cela prend une bonne organisation et une bonne volonté des membres de l'organisation.

[Traduction]

Le vice-président : Le fait est que l'agriculture est dans une situation tellement difficile que nous aurons peut-être besoin de l'aide des joueurs de hockey pour qu'ils puissent se rétablir.

Nous allons maintenant entendre l'expert de ce comité, l'ancien ministre du Commerce international, le sénateur Kelleher

Le sénateur Kelleher : Je ne pense pas que le sénateur Mahovlich ait toujours souhaité l'intervention des arbitres pour régler les problèmes. Une simple observation.

Messieurs, nous sommes en train d'accroître la capacité d'abattage au Canada. Au bout du compte, cela réduira le nombre de bovins disponibles pour les abattoirs américains. Le gouvernement et l'industrie du Canada devront essayer de déterminer comment les États-Unis vont réagir à cela. Les Américains ne sont pas devenus la première puissance économique du monde en restant passifs et en laissant tout bonnement les choses arriver. Comment pensez-vous que les Américains réagiront à ce plan canadien?

[Français]

M. Dessureault : Vous parlez de l'initiative des producteurs?

M. Bélanger : La réaction des Américains.

M. Dessureault : Par rapport à l'initiative des producteurs?

[Traduction]

Le sénateur Kelleher : Je parle du plan visant à accroître la capacité d'abattage au Canada qui aura pour effet de réduire le nombre de bovins qui pourront être livrés aux États-Unis lorsque l'embargo sera levé, ce qui devrait arriver un de ces jours ou une de ces années. Les Américains ne vont sûrement pas rester passifs. Comment pensez-vous que les Américains vont réagir à cette menace perçue?

[Français]

M. Dessureault : Je ne sais pas comment ils vont réagir, mais je suis sûr et certain qu'au Québec, actuellement, la Loi sur la mise en marché permet aux producteurs de bovins du Québec de commercialiser leurs produits comme ils le veulent.

À partir du moment où cet approvisionnement va être captif — ce qui est un peu le grand défi du Canada — on peut avoir des capacités d'abattage. Mais si les Américains offrent des primes sur notre marché à l'ouverture des frontières, la tendance des producteurs est de recouvrer leur perte le plus rapidement possible.

Peut-être qu'au Canada, la meilleure façon de supporter l'industrie, c'est que ce soit des organismes de producteurs et que ce soit les producteurs eux-mêmes qui soient propriétaires de ces abattoirs. Sinon, le diktat des grandes entreprises va être de récupérer leur approvisionnement. C'est simple, ils l'ont toujours fait dans le passé en payant des primes sur le marché à court terme. Et quand ils ont le marché, les prix rechutent encore.

Il y aura une réaction des Américains pour se réapproprier l'approvisionnement des marchés au Canada, mais il s'agit d'être stratégique au niveau des producteurs et de s'assurer que cet approvisionnement sera abattu dans nos abattoirs. C'est la nuance entre les capacités d'abattage et l'abattage réel au Canada.

Au Québec, on travaille sur la base des abattages réels en fonction de ce qui se produit au Québec. Si on peut aider à l'ensemble du Canada, on va le faire aussi. Toutefois, la réaction des Américains sera celle d'avoir accès à cette matière première.

M. Bélanger : L'industrie américaine est actuellement déjà en train de réagir à la situation actuelle. Vous avez entendu les annonces de la plupart des grands abattoirs américains. Il y a des entreprises qui ont été totalement fermées, et d'autres opèrent actuellement à faible capacité. Si la situation perdure, un certain nombre d'abattoirs américains vont devoir fermer. Pas nécessairement les moins efficaces, mais ceux qui étaient le plus approvisionnés par le bétail canadien.

Il y a donc une rationalisation qui se fait et qui attriste beaucoup les entreprises américaines. Elles font actuellement énormément de lobbying pour tenter d'ouvrir à nouveau les frontières parce qu'elles comptent sur les approvisionnements canadiens. Il y a donc une rationalisation qui se fait actuellement aux États-Unis.

Il ne faut pas oublier qu'il y a un cycle de production dans le bœuf et, qu'actuellement, la production américaine, depuis l'an passé, est en croissance. La production nord-américaine de bovins est donc en croissance actuellement. Et pour les deux, trois, quatre, cinq, six, et sept prochaines années, il y aura une croissance nord-américaine.

Cependant, le Canada devrait profiter de la crise actuelle pour restructurer son industrie. Il y a une menace qu'il faut tenter de transformer en opportunité. Si on met en place de nouvelles entreprises, il faut pouvoir sécuriser à long terme leurs approvisionnements. Cela n'est possible qu'en présence d'un partenariat entre les fournisseurs de matière première et les entreprises en place. C'est le défi qu'on tente de relever au Québec et je pense que dans plusieurs provinces canadiennes, on est en train de le relever. À tout le moins, on voit poindre un certain nombre de projets.

Il faut donc sécuriser l'approvisionnement des entreprises et ce, non pas parce qu'elles sont nécessairement inefficaces. On sait que des entreprises très efficaces peuvent, à cause d'une compétition indue, être obligées de fermer. C'est la raison pour laquelle il faut protéger ces entreprises car le libre marché est très féroce, rarement juste et équitable.

Nous avons aussi besoin d'une aide gouvernementale pour assurer un minimum d'équité au sein de nos entreprises afin qu'elles puissent faire face à la compétition. Nous voulons accéder au marché américain et aux autres marchés et tout ce qu'on veut, c'est être en état de faire cette guerre des marchés et la gagner.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher : Je crois savoir que les abattoirs des États-Unis, du moins ceux qui sont près de la frontière, sont très en faveur de la réouverture de la frontière aux bovins canadiens. Est-ce que votre association, par exemple, discute de ce problème avec ces abattoirs américains, est-ce que vous travaillez avec eux ou est-ce que vous avez eu des discussions avec eux au sujet de l'appui qu'ils peuvent vous apporter?

[Français]

M. Bélanger : Évidemment, on est en relation avec un certain nombre d'abattoirs américains qui, traditionnellement, s'approvisionnaient sur nos marchés. Il faut quand même comprendre que le Québec n'a pas une production de bouvillons d'abattage très importante. Par exemple, environ 4 p. 100 de nos bouvillons et environ 15 p. 100 de nos vaches de réforme ont été abattus aux États-Unis. Les représentants de ces entreprises nous disent — je vais vous le dire en anglais : ``We desperately need your cattle.''

Je vous dirais qu'actuellement c'est exactement ce qu'on pense, nous aussi, pour faire vivre nos entreprises. On a désespérément besoin de nos animaux, d'abord pour rentabiliser nos entreprises et, s'il y a des surplus, on nourrira d'autres entreprises.

On va d'abord penser à sécuriser nos approvisionnements avant d'offrir ces animaux à d'autres entreprises. L'approvisionnement, ce n'est pas juste l'abattoir Colbex-Levinoff. Au Québec, il y a des abattoirs régionaux aussi et on doit s'assurer que ces abattoirs aient les 10, 15, 20 vaches par semaine dont ils ont besoin pour satisfaire leur marché.

On va d'abord penser au Québec et au Canada avant de penser à approvisionner les abattoirs américains. Dorénavant, cela devrait être la stratégie des producteurs canadiens.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher : Je comprends cela, mais étant donné que certains de ces abattoirs américains et leurs associations voudraient que les frontières soient rouvertes, est-ce que votre association a discuté avec eux pour les aider dans leurs efforts?

[Français]

M. Bélanger : Les discussions qu'on a avec ces gens ne sont pas des discussions politiques concernant l'ouverture des frontières. On partage le même point de vue et on souhaite la réouverture des frontières. Même en investissant dans des abattoirs, on souhaite ardemment la pleine ouverture des frontières. On demande que le gouvernement nous accompagne dans nos investissements pour faire face à cette compétition.

Le marché va continuer de jouer son rôle, les échanges internationaux vont se poursuivre, et les Canadiens seront mieux équipés pour faire face à cette compétition.

[Traduction]

Le sénateur Kelleher : Je comprends cela, mais, sauf votre respect, je ne pense pas que vous répondiez à ma question.

M. Bélanger : Je suis désolé.

Le sénateur Kelleher : Je vous demande très clairement et très simplement si votre association discute avec des groupes américains qui souhaitent que la frontière soit rouverte?

M. Bélanger : Nous ne discutons pas avec l'association nationale des États-Unis. C'est le rôle de la CCA. Nous discutons directement avec les abattoirs américains. Ils font partie de ces associations, l'AMI et la National Meat Association, mais nous n'avons pas de contact direct avec la National Meat Association. La CCA en a, et remplit très bien son rôle, à notre avis.

Le vice-président : J'aimerais poser quelques questions qui ne concernent pas directement la situation dont nous avons parlé, mais plutôt des conséquences de cette nouvelle selon laquelle on aurait trouvé des bêtes atteintes de l'ESB aux États-Unis. Ensuite, il semblerait que certains membres de l'Association des producteurs de bovin ont intenté une poursuite contre le gouvernement. Êtes-vous membre de cette association qui poursuit le gouvernement?

Je tiens à dire d'emblée que cela m'inquiète, car si j'étais un juge américain et que j'entendais dire que certains producteurs canadiens sont mécontents de l'intervention du gouvernement et que l'association avait intenté des poursuites, je serais peut-être tenté de faire en sorte que la frontière reste fermée encore longtemps. C'est pourquoi j'aimerais savoir ce que vous pensez de cette situation. D'après moi, c'est très instable.

[Français]

M. Dessureault : On a traité de cette question la semaine dernière, lors de notre assemblée annuelle. Les délégués ont rejeté unanimement cette question. La Fédération de producteurs de bovins du Québec préfère travailler avec le gouvernement canadien pour essayer de trouver des solutions rapides et durables pour la crise plutôt qu'une confrontation judiciaire.

D'ailleurs, on a essayé d'éviter, depuis le début, une confrontation telle celle qui se fait présentement avec les Américains et un certain groupe.

[Traduction]

M. Drury : Si vous le permettez, j'aimerais préciser que ce n'est pas un groupe d'éleveurs qui a intenté cette poursuite. Plutôt, c'est un groupe d'avocats qui, contre des honoraires conditionnels, ont trouvé un producteur comme homme de paille. Ça n'a rien à voir avec la CCA ni l'Association des producteurs de bovins. Nous sommes contre, car nous pensons que c'est une erreur. Cela permettra à certains de s'enrichir, mais ça n'a rien à voir avec les gouvernements ni avec les producteurs touchés par cette crise.

Le vice-président : Je suis ravi de l'entendre. Les associations d'éleveurs auraient intérêt à le faire savoir clairement au public. S'il n'y a pas d'autres questions, je remercie nos témoins de leur comparution ce matin. Ce comité est bien conscient des nombreux problèmes qui touchent l'agriculture. Bon nombre de ces problèmes ont une envergure mondiale et nous pensons qu'il est important de bien les comprendre. À mon avis, le Canada pâtira si nous négligeons l'importance de l'agriculture. Les Américains se sont occupés de leurs agriculteurs, qu'ils soient de New York ou de Californie; les Américains ont appuyé le centre du pays et leurs agriculteurs. D'après moi, c'est une bonne chose. Pour une raison ou une autre, les Canadiens ne semblent pas vouloir exprimer autant de loyauté envers l'agriculture et les producteurs; et je le dis en tant qu'agriculteur. Ce n'est peut-être pas tout le monde qui partage mon avis, mais je pense que c'est extrêmement important. Nous avons un sérieux problème au Canada qui est d'envergure mondiale et nous devons trouver une solution.

[Français]

M. Dessureault : J'aimerais remercier le comité de nous avoir accueillis. Je suis assuré que vous avez constaté que la crise pour les producteurs de bovins au Québec est une opportunité de regarder ce qu'on fait afin d'imaginer des solutions réalistes à long terme pour l'industrie bovine québécoise et canadienne. Merci à chacun d'entre vous de nous avoir accueillis.

La séance est levée.


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