Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 16 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2005
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Wayne Easter, dont le nom figure sur notre liste depuis longtemps. Le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire lui avait donné le mandat d'effectuer une étude sur l'industrie agricole dans l'ensemble du Canada. M. Easter s'est acquitté de ce mandat plus tôt cette année.
Nous avions très hâte de vous entendre, monsieur Easter. Comme vous le savez, nous venons tout juste de terminer une étude de grande envergure sur la situation relative à l'ESB au Canada et nous envisageons d'entreprendre une autre étude. Nous voulons que vous nous décriviez avec précision la situation des divers secteurs de l'industrie afin de nous aider à déterminer le sujet de notre prochaine étude.
L'honorable Wayne Easter, C.P., député, secrétaire parlementaire du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire particulièrement chargé du développement rural : Merci. Je suis ravi d'être ici. Je vais vous donner un aperçu du rapport et des raisons qui ont suscité l'étude que j'ai effectuée, et ensuite, je vais répondre à vos questions. Je crois que vous avez reçu une copie du rapport.
Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à comparaître devant lui. Cela me rappelle l'époque à laquelle je comparaissais souvent devant le comité quand j'étais un chef de file du secteur agricole. Je suis un député de la Chambre des communes et un membre de son comité de l'agriculture et de l'agroalimentaire, mais je peux vous dire qu'en tant que chef de file du secteur agricole, et après 12 ans d'expérience à la Chambre des communes, je crois toujours que les rapports du Sénat sont de bons rapports. Ils sont davantage objectifs que ceux de la Chambre des communes. Je tiens à féliciter les membres du comité à cet égard.
Le rapport, qui s'intitule Un pouvoir de marché accru pour les producteurs agricoles canadiens, est le résultat d'une étude suscitée par une crise du revenu agricole qui dure depuis de nombreuses années. Il y a un peu plus d'un an, le ministre Mitchell m'a demandé de tenir une série de consultations pour pouvoir mieux comprendre le problème du déclin du revenu agricole, déterminer les mesures qui fonctionnent et celles qui devraient être prises ainsi qu'élaborer des recommandations et des solutions de concert avec les secteurs agricoles.
Ainsi, nous avons commencé à examiner en profondeur la question du revenu agricole lors d'un symposium sur ce sujet, organisé par la Fédération canadienne de l'agriculture, qui a eu lieu en novembre dernier, à Ottawa. Par la suite, des consultations auprès des producteurs primaires ont eu lieu dans chaque province, en janvier, en février et en mars. En avril, nous avons tenu trois tables rondes régionales afin de compiler l'information recueillie lors des consultations et la retransmettre aux producteurs. Nous avons établi des priorités à propos desquelles nous pourrions travailler à la conclusion d'une entente. Les résultats de ces consultations se trouvent dans le site Web d'Agriculture Canada.
Le rapport décrit en détail les événements qui ont eu une répercussion négative énorme sur les producteurs primaires. De façon tout aussi importante, il présente aussi des recommandations sur les mesures que le gouvernement fédéral, en collaboration avec toutes les parties concernées, les provinces et les producteurs, pourrait prendre pour régler le problème.
Il ne fait aucun doute que nos agriculteurs sont parmi les plus efficients au monde. Ils ont apporté les modifications nécessaires pour améliorer leur productivité. Ils produisent davantage, et le pays exporte davantage. Cela en dit long au sujet des agriculteurs canadiens.
En examinant de près l'industrie agricole canadienne, on observe que chaque indicateur économique est positif : la production, les recettes, les exportations, le rendement par acre, le rendement par agriculteur, le coût unitaire, etc. — tous les indicateurs, à l'exception du revenu agricole net. Les données figurent dans le rapport.
Au cours des 30 dernières années, à mesure que les agriculteurs sont parvenus à accroître l'efficience de la production et à exporter davantage, leur revenu a diminué. Étant donné ces faits, il faut se demander si le problème du revenu agricole a son origine dans l'exploitation agricole même. Je dirais que non.
Les agriculteurs ont généré beaucoup de richesse et d'occasions pour le pays. Les données révélées dans le rapport montrent que l'industrie de l'agriculture et de l'agroalimentaire a contribué 81 milliards de dollars au PIB en 2002, soit 8,2 p. 100, et je dois dire que cette somme est considérablement plus élevée aujourd'hui. En 2003, l'industrie a fourni un emploi sur huit au Canada. Notre pays est actuellement le quatrième exportateur en importance de produits agricoles et agroalimentaires. La superficie des terres cultivées au Canada est passée de 58 millions d'acres en 1941 à 90 millions d'acres actuellement, et les exportations de l'industrie de l'agriculture et de l'agroalimentaire sont passées de 10 milliards de dollars en 1990 à environ 25 milliards de dollars en 2003.
Comme il l'est mentionné à la page 12 du rapport, le secteur de l'agriculture a devancé presque tous les autres secteurs entre 1984 et 1995, avec une croissance annuelle de la productivité de 4,6 p. 100. Il s'agit d'un taux supérieur à celui constaté dans les secteurs des mines, de la fabrication, de la construction, des transports, des communications, du commerce, des finances et de l'industrie. Il est évident que la productivité et l'efficience existent dans le domaine de l'agriculture.
Il s'agit là d'un point important, car même au sein des gouvernements, tant fédéral que provinciaux, de nombreux économistes ont déclaré pendant des années que le problème au sein de l'industrie agricole était attribuable à l'inefficience et à la mauvaise gestion. Le rapport montre clairement que ce n'est pas le cas. Le problème ne réside ni dans l'efficience ni dans la gestion des exploitations agricoles; la cause du faible revenu est attribuable à d'autres facteurs.
Le rapport est direct. Il relate la situation comme les agriculteurs et les producteurs me l'ont exprimée.
Il existe un déséquilibre entre ceux qui enregistrent des gains financiers et les producteurs primaires qui, à mon avis, sont au milieu. Les producteurs primaires génèrent la richesse. D'un côté, il y a les fournisseurs d'intrants et, de l'autre, il y a les fournisseurs d'extrants. Les producteurs primaires, quant à eux, sont entre les deux et souffrent terriblement.
Bientôt, on publiera des rapports qui montreront que le secteur agroalimentaire a affiché des profits records. Il est donc clair qu'il y a un déséquilibre.
Je ne veux pas donner l'impression que tout doit aller d'un côté et rien de l'autre, mais il faut trouver un meilleur équilibre dans le système.
Le rapport contient une citation de William Hefferman qui nous fait réfléchir relativement à la politique agricole, non seulement nationale, mais internationale. Cette citation est la suivante : « C'est le pouvoir économique, et non l'efficience, qui détermine la survie au sein du système actuel. »
J'ai inclus cette citation dans le rapport pour nous amener à réfléchir. Le problème provient-il d'un manque de pouvoir de marché? En fait, c'est pour cette raison que le rapport s'intitule Un pouvoir de marché accru pour les producteurs agricoles canadiens.
Le revenu des agriculteurs est en baisse, et il s'agit là d'une tendance. Cela fait trois décennies que les prix et le revenu des agriculteurs diminuent, en dollars réels, tandis que la production, les exportations et l'endettement augmentent.
Lors du symposium sur le revenu agricole de la FCA, George Brinkman a présenté un document, que je n'ai toutefois pas sous la main, qui montre qu'en 2003, le revenu s'établissait aux alentours de 3,4 milliards de dollars et que l'endettement s'élevait à environ 7,8 milliards de dollars.
En 2003, en dollars constants, le revenu agricole au Canada affichait un manque à gagner de deux milliards de dollars. Ce chiffre inclut le revenu des industries de la gestion de l'offre, qui se portaient bien. L'endettement était de l'ordre de 47,7 milliards de dollars approximativement.
Les gouvernements ont tenté de faire en sorte que les agriculteurs atteignent le seuil de rentabilité. Ils ont versé des sommes records : en 2003, ils ont attribué 4,6 milliards de dollars; l'an dernier, 4,9 milliards de dollars, provenant à la fois du gouvernement fédéral et des provinces; et cette année, il est certain que la somme s'établira entre cinq milliards et six milliards de dollars. Le revenu des agriculteurs diminue, l'endettement s'accroît, les fonds versés par les gouvernements augmentent, et pourtant, les producteurs primaires des régions rurales sont en difficulté. Il s'agit là d'un grave problème, qui ne peut pas être réglé à l'échelon local. Il faut des solutions d'ordre mondial.
Le rapport contient 46 recommandations, qui vont de mesures à court terme à des solutions d'ordre structurel. Je propose d'accroître le pouvoir de marché pour les agriculteurs en faisant en sorte que la politique agricole canadienne soit davantage axée sur les producteurs primaires plutôt que sur le secteur agroalimentaire. Je tiens à préciser qu'elle ne peut pas être entièrement axée sur les producteurs primaires, mais il faut tout de même établir un meilleur équilibre.
En élaborant la politique agricole du Canada, nous devons absolument penser aux producteurs primaires. Ces dernières années, nous avons beaucoup mis l'accent sur la valeur ajoutée, ce qui est une bonne chose. La valeur ajoutée est nécessaire. Cependant, quand nous parlons de valeur ajoutée, ne pensons pas que la matière première que cultivent les producteurs primaires, qu'il s'agisse du maïs pouvant servir à faire de l'éthanol ou des flocons de maïs, ou bien du blé, qui sert à faire du pain, n'a pas de valeur. Elle doit avoir aussi de la valeur, et les personnes qui la produisent doivent obtenir un bon rendement. L'approche que nous suivons, à l'échelle provinciale, nationale et internationale, doit tenir compte de l'équilibre qui doit exister au sein de l'industrie dans son ensemble.
Dans le rapport, il est proposé de restructurer le Bureau de la concurrence, de renforcer la Loi sur la concurrence et d'analyser les répercussions des fusions sur les producteurs primaires.
Je crois que la récente montée en flèche des prix de l'énergie a justifié davantage l'application de ces recommandations. Le gouvernement fédéral a rapidement pris des mesures visant à accroître la transparence et à renforcer le Bureau de la concurrence. Il faut prendre des mesures similaires dans le domaine de l'agriculture et de la production primaire. On propose dans le rapport que le gouvernement investisse directement dans des éléments clés, comme l'infrastructure d'abattoirs en vue d'accroître la capacité d'abattage. Nous proposons que le gouvernement contribue à la recherche au niveau de la production primaire, et non seulement sur le plan de la valeur ajoutée. Nous recommandons que le gouvernement participe à l'établissement de nouvelles coopératives vouées à la production d'éthanol et de biodiesel.
En ce qui a trait à la production d'éthanol et de biodiesel, j'estime que les États-Unis ont élaboré une bonne politique à cet égard. Par l'entremise de la loi agricole, de la Clean Air Act et de la loi sur l'énergie, les États-Unis incluent l'éthanol et le biodiesel dans leur politique nationale en matière de sécurité énergétique. Ils rattachent la politique agricole à la production de l'énergie. Ils mettent l'accent sur les coopératives : 60 p. 100 de la production provient des coopératives, dont 51 p. 100 sont gérées par des producteurs primaires. Nous devons étudier sérieusement ce domaine.
Quant à l'investissement dans la technologie, j'admets volontiers que je suis agacé par l'image qu'ont les gens des agriculteurs, c'est-à-dire des personnes en salopette et bottes de caoutchouc. L'industrie agricole a toujours été à la fine pointe de la technologie; qu'il s'agisse de l'utilisation de distributeurs d'aliments automatisés dans les étables ou de l'usage de systèmes GPS pour les semoirs, les pulvérisateurs et les moissonneuses-batteuses. Allez dans n'importe quelle usine de transformation, et vous verrez toujours la plus récente technologie.
Nous devons conserver le système. Il s'agit d'un système qui fonctionne et qui peut servir de modèle pour le développement rural ailleurs dans le monde. Il s'agit d'un système que nous devrions non seulement défendre à l'OMC, mais nous devrions également en faire la promotion en tant que système qui peut fournir aux agriculteurs un bon rendement quant aux produits destinés au marché intérieur. Ce système peut se révéler un modèle en matière de développement rural.
Je mentionne dans le rapport que la situation des agriculteurs pourrait être améliorée en prenant des mesures sur le plan des dépenses. Entre autres, je recommande d'établir des frais d'utilisation et d'examiner l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire. Je crois que nous devons examiner en profondeur cette agence, qui relève du ministère de la Santé. Il faut aussi harmoniser nos règles en matière notamment de médicaments à usage vétérinaire et de pesticides avec celles des États-Unis. Il est ridicule que le Canada interdise l'utilisation d'un produit parce qu'il attend que les études soient terminées. Nous avons un système d'approvisionnement alimentaire qui est sûr, et il doit le demeurer. Nous devons nous assurer que d'autres pays respectent nos normes élevées.
Il arrive souvent qu'un légume cultivé dans un autre pays et qui se retrouve dans nos épiceries ait été arrosé par un herbicide qu'il est interdit d'utiliser au Canada. Cette situation mine la position concurrentielle de nos agriculteurs. Nous devons nous pencher sur ce problème et le régler.
Comme les agriculteurs produisent des produits pour la société, je signale dans le rapport que, si une politique est mise en place pour le bien du public, ce devrait être le public qui assume le coût.
Le sénateur Gustafson sait très bien que, lorsque nous proposons des plans environnementaux ou des initiatives en matière de salubrité des aliments, en théorie, c'est l'agriculteur ou le producteur primaire qui les met en application, et c'est le consommateur qui assume le coût. En pratique, il n'en est pas ainsi. En réalité, le prix diminue, et les producteurs primaires se retrouvent à payer le coût. Si ces mesures visent le bien du public, il faut donc envisager que ce soit le public qui paie. Cela vaut pour les mesures touchant les secteurs de l'alimentation, la salubrité des aliments, l'environnement et les engagements liés au Protocole de Kyoto.
Je suis d'avis que le Protocole de Kyoto offre une multitude d'occasions à l'industrie. Je pense entre autres aux puits de carbone. Je recommande que nous nous penchions notamment sur l'utilisation alternative des terres. Le public doit avoir un rôle à jouer dans ces domaines sur le plan des coûts engendrés.
Je dois avouer que ce que je vais proposer suscite un peu le controverse, mais c'est bien. Je suggère dans le rapport de mettre sur pied une entreprise similaire à Canagrex; suggestion qui a suscité une légère controverse, comme s'en souviendra le sénateur Gustafson. Je ne propose pas de mettre sur pied une entreprise entièrement similaire à Canagrex, mais je dois dire que je m'entretiens régulièrement avec des producteurs qui ont besoin d'aide pour trouver des marchés d'exportation et du financement pour accéder à ces marchés. Il faut trouver des façons efficientes d'aider nos agriculteurs à cet égard. Il faut contribuer au développement de marchés dans l'intérêt des producteurs et redonner à eux ainsi qu'à l'ensemble du pays certains marchés économiques.
Il ne faut pas s'arrêter uniquement à l'OMC. Le gouvernement du Canada négocie aussi férocement qu'il le peut les trois principaux éléments de négociation et il essaie de défendre et de protéger nos industries de gestion de l'offre avec la Commission canadienne du blé.
Même si l'OMC nous donnait son accord, les agriculteurs vivraient encore des difficultés. L'OMC impose des règles aux pays, mais non aux grandes entreprises multinationales.
On parle de la magie du Brésil. Il n'y a toutefois rien de magique là-bas. Ce pays fait défricher des terres par de la main-d'œuvre bon marché et il ne s'est pas doté de règles environnementales et de normes de travail similaires à celles qui sont en vigueur au Canada. Un système de commerce international doit être fondé sur des règles équitables et non pas sur le type de présomptions qui existent en ce moment.
Dans le rapport, je mentionne que les ministres de l'Agriculture de la planète devraient peut-être se rencontrer. Je sais qu'il s'agit là d'une étape énorme. Mis à part le commerce, nous devons nous pencher sur la salubrité des aliments à l'échelle mondiale et au sein des pays ainsi que sur la pauvreté dans les régions rurales.
Cet été, j'ai assisté à une rencontre des ministres de l'Agriculture de l'Amérique du Nord, de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud, qui s'est tenue en Équateur. On se serait cru au Canada il y a une quinzaine d'années, car on discutait de la façon de contrer la pauvreté dans les régions rurales en faisant preuve d'une plus grande efficience et d'une meilleure gestion. Au cours des 30 dernières années, l'industrie agricole canadienne s'est employée à accroître l'efficience et à améliorer la gestion, mais cela n'a pas contribué à régler le problème. Aujourd'hui, il y a moins d'agriculteurs et les collectivités rurales sont moins vigoureuses. Il faut adopter une approche différente.
Le rapport contient 46 recommandations. Je dois avouer que nous n'avons toujours pas trouvé la façon d'accroître l'emprise sur le marché des producteurs primaires aux échelons local, national et international. Si nous établissons que c'est la faible emprise sur le marché qui cause le problème, nous pourrons peut-être trouver des solutions.
C'est ce que nous avons fait dans le cas de l'industrie de la gestion de l'offre, quand elle s'est développée dans les années 1960. Les producteurs primaires du Canada ont admis qu'ils avaient un problème. Le fonctionnement du marché ne leur convenait pas, alors ils ont édicté des règles justes et ils ont équilibré les forces.
Les provinces ont élaboré une législation habilitante et le gouvernement du Canada a défini une législation nationale, ce qui a permis au système de fonctionner. Le système de gestion de l'offre fonctionne depuis ce temps, assurant un revenu agricole relativement stable aux producteurs, une gestion de l'offre et une participation considérable des collectivités rurales. En outre, les gouvernements, fédéral ou provinciaux, n'avaient pas à subventionner les producteurs. Ce système fonctionnait.
Je pense que c'est parce qu'il s'agit d'un système qui fonctionne et qui permet un équilibre des forces qu'il fait l'objet de massives attaques de la part des négociateurs à l'OMC. C'est un système qui fonctionne, dans lequel on a trouvé un équilibre des forces à l'intention des producteurs primaires. Il ne plaît pas du tout aux négociateurs à l'OMC, car il équilibre également leur emprise sur le marché; ils vont tout faire pour le miner. Nous devons faire de notre mieux pour défendre ce système.
Le rapport a été déposé auprès des ministres fédéral et provinciaux de l'Agriculture lors de leur rencontre qui a eu lieu en juillet. Ils sont en train d'examiner les recommandations, qui touchent des ministères des deux paliers. Des lettres ont été envoyées aux ministres et aux sous-ministres des divers ministères qui ont une incidence sur la politique agricole du Canada. L'ensemble de la politique agricole a été communiqué à tous.
Nous recevons constamment des commentaires au sujet du rapport et des recommandations. Le gouvernement s'efforce de voir ce qu'il peut faire en ce qui concerne l'adoption de certaines des recommandations. De son côté, le milieu agricole nous transmet régulièrement des commentaires. Le rapport impose la tenue d'un débat au sein de l'industrie agricole, qui s'avérait d'une grande nécessité. Je crois qu'il nous fera progresser.
Je vais m'arrêter là pour que nous ayons le plus de temps possible pour les questions. M. Foster, d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, vient de se joindre à nous. Il travaille aux programmes de protection du revenu agricole.
La présidente : Nous sommes tous ravis de constater que vous sauvegardez votre réputation d'homme au franc parler.
Le sénateur Tkachuk : En Saskatchewan, où j'habite, le déclin du revenu agricole est attribuable à une offre trop grande. Vous ne parlez pas de cela autant que j'aurais voulu dans le rapport. Le prix du blé est bas parce qu'il y a beaucoup de blé sur le marché. C'est lorsque que le prix des grains et des céréales est faible que nous souffrons le plus. Nous savons que l'industrie du bétail a subi une diminution du revenu, mais cela était dû à la panique causée par l'ESB et aux problèmes connexes. Un problème d'offre excédentaire est impossible à régler. Il faut changer de domaine, trouver un autre produit à vendre, faire face à la situation d'une quelconque manière ou bien prétendre que l'offre excédentaire est attribuable aux subventions, ce qui est le cas, je crois. Ce n'est pas le Brésil ni d'autres pays qui constituent la cause des problèmes; ce sont l'Europe et les États-Unis en raison de leurs programmes de subventions. Ils croient dans ces programmes, et les États-Unis accordent autant d'importance à l'agriculture qu'à la sécurité nationale. Les Américains vont continuer d'attribuer des subventions jusqu'à ce que les Européens se rendent compte de cette façon de penser.
Que faire dans un tel marché? Il n'y a rien de nouveau dans le rapport. Il présente de l'excellente information au sujet de la concurrence et il décrit à quel point les agriculteurs sont exceptionnels, mais nous savons déjà tout cela. Comment régler le problème des subventions?
M. Easter : Je vais revenir à cette question dans un instant. En fait, vous avez raison. Lorsque l'offre est excédentaire, les prix baissent. Cependant, on pense qu'il y a eu des cycles d'expansion et de ralentissement dans le domaine agricole depuis 30 ans ou plus. Bien que la crise de cette année ait été causée par la surproduction de blé, ces deux dernières années, elle était due à l'ESB. D'autres années, c'était la sécheresse ou des inondations qui étaient à l'origine du problème. Quand on analyse les véritables chiffres, on constate, mis à part tous ces facteurs, que le revenu agricole, surtout celui tiré du blé, a diminué de façon constante en dollars réels au fil du temps, qu'il y ait eu surproduction ou non.
C'est pourquoi nous négocions d'arrache-pied avec l'OMC. Il faut éliminer les subventions à l'exportation. Les plus mauvais joueurs de cette partie sont l'Union européenne et les États-Unis.
En 1988, j'ai passé un mois en Europe à étudier la politique agricole européenne dans le contexte de la guerre internationale des prix du grain. La mentalité de l'Europe est différente de la nôtre, car étant donné ce que les Européens ont vécu durant la Seconde Guerre mondiale, ils se sont jurés de ne jamais plus connaître la faim et ils sont donc déterminés à soutenir le milieu agricole pour éviter que cela ne reproduise. C'est pourquoi ils tiennent tellement à leurs politiques et qu'ils veillent attentivement à assurer leur approvisionnement alimentaire.
À l'OMC et dans d'autres contextes, nous devons certes les convaincre qu'ils ne peuvent pas — et c'est ce qu'il y a de bien à propos de l'OMC — payer les producteurs pour produire une denrée qui fait déjà l'objet d'une surproduction, car c'est ce qui se produit en ce moment. Nous devons trouver des moyens de contrôler l'offre. Nous l'avons fait au Canada. Au sein de notre industrie de gestion de l'offre, nous avons fait coïncider la production avec la demande. Il doit bien exister des façons de gérer l'offre à l'échelle mondiale.
Si la production est excédentaire de 5 p. 100, le prix des 105 p. 100 dégringole. Il vaudrait mieux, à l'intention des producteurs primaires dans le monde, trouver des façons d'écouler ces 5 p. 100 et faire en sorte ainsi qu'ils soient payés pour ce qu'ils produisent. L'an dernier, à l'Île-du-Prince-Édouard, l'industrie a fait l'acquisition de 8 300 acres de terres désaffectées à ses propres frais et elle a payé les producteurs pour qu'ils ne produisent pas. Cette année, le prix des pommes de terre est raisonnable.
Ne nous laissons pas prendre par la question de l'offre excédentaire. Il existe des façons de gérer l'offre si nous y voyons à l'échelle internationale.
Le sénateur Tkachuk : Préconisez-vous l'établissement d'un système mondial de gestion de l'offre?
M. Easter : Je préconise le droit à l'approvisionnement alimentaire pour tous les pays. Nous pouvons parler de l'offre excédentaire autant que nous le voulons. Partout dans le monde, il y a de la malnutrition et de la faim parce que les gens n'ont pas accès aux produits. Cela est dû à la répartition inégale de la richesse dans une certaine mesure, mais ce que je préconise, c'est le droit à l'approvisionnement alimentaire, dans tous les pays de la planète, pour faire en sorte que la population soit nourrie.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce que ce ne sont pas les pays pauvres de la planète qui veulent avoir accès à nos marchés, et est-ce que ce n'est pas la gestion de l'offre qui les empêche d'y obtenir accès?
M. Easter : Non, ce n'est pas le cas.
Le sénateur Tkachuk : Êtes-vous en train de dire qu'il faudrait établir un organisme international qui assurerait la gestion du prix du fromage, du lait et du blé. Si c'est ce que vous êtes en train de dire, je trouve cela assez incroyable.
M. Easter : Ce n'est pas ce que je suis en train de dire. Ce pourrait être une des possibilités. Je suis en train de décrire un problème qu'il faut régler. Les producteurs primaires dans le monde sont en voie de vivre dans la pauvreté. Il faut y voir et trouver des solutions.
Certains libres penseurs dans le domaine de la commercialisation et de l'économie n'aimeront peut-être pas cela, mais cela ne me dérange pas. Il s'agit d'un problème préoccupant auquel il faut trouver des solutions.
Le sénateur Gustafson : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Easter. Je respecte vos points de vue, quoique je ne sois pas toujours d'accord avec vous, mais je crois que vous avez montré que l'agriculture vous tient à cœur.
Le faible cours des produits de base constitue le problème auquel nous sommes confrontés. Aux fins du compte rendu, je tiens à signaler qu'il y a un an, le prix du canola oscillait entre 8 $ et 10 $ le boisseau. Aujourd'hui, il s'établit à 5 $. Le cours du lin a déjà atteint 15 $, mais en ce moment il s'élève à 6 $. Le prix du blé est d'environ 1,70 $, ce qui est moindre que le prix de 1972. C'est la situation à laquelle nous devons faire face. Il s'agit d'un grave problème, et j'ai été ravi de vous entendre dire qu'il s'agit d'une crise, car c'est en effet une crise que vit le secteur des céréales et des graines oléagineuses. Comme les prix sont bas, les producteurs ontariens de maïs n'ont enregistré aucun profit depuis des années.
Le problème, c'est que le cours des produits de base est faible et le prix des intrants est élevé. Le prix des engrais connaîtra une hausse d'environ 25 p. 100. Les agriculteurs ne peuvent pas récupérer le coût des intrants. La situation est très grave.
Un autre problème est lié aux quarts de section des terres louées. J'ai appris que des agriculteurs qui cultivent cent quarts de section en Saskatchewan, en Alberta ou au Manitoba cesseront de cultiver environ la moitié de ces sections.
Un grand nombre de petits agriculteurs ont vendu leur machinerie agricole et ils ont estimé qu'ils pourraient vivre à la retraite des revenus tirés de la location de leurs terres. Maintenant, ils se retrouvent sans pension. Ils comptaient sur ces revenus pour assurer leurs vieux jours. La situation est très grave.
Le prix des terres est en chute libre, du moins en Saskatchewan. Ce n'est peut-être pas le cas dans les environs d'Edmonton ou de Calgary. Au printemps, les banques hésiteront fort probablement à financer les agriculteurs pour les aider à ensemencer et à payer le coût des intrants. Le tableau est très sombre.
La situation mondiale me préoccupe, et j'ai été ravi de vous entendre dire que nous devons examiner le problème dans le contexte de la situation mondiale. Cependant, nous avons cru que nous parviendrions à amener les Américains et les Européens à supprimer les subventions. Tant que nous dirons aux agriculteurs que cela se produira et qu'ils nous croiront, nous ferons fausse route, car cela n'arrivera pas.
Notre ferme est située à 20 milles de la frontière américaine. Les États-Unis paient 5 $ US pour un boisseau de pois tandis que nos agriculteurs reçoivent un peu plus de 2 $ CAN. La culture des pois est nouvelle dans le Dakota du Nord, dans le Dakota du Sud et au Montana. Il s'agissait d'un créneau dont dépendaient les agriculteurs canadiens.
La France a doublé les subventions qu'elle verse aux producteurs de blé. Cela fait 20 ans que j'entends dire que nous allons parvenir à faire éliminer les subventions. Cela fait 26 ans que je suis ici, et j'entends ces paroles depuis 20 ans. La vérité, c'est que les agriculteurs n'ont pas réellement enregistré de profits depuis que nous avons aboli le tarif du Nid- de-Corbeau. C'est là où nous en sommes rendus.
Il faut étudier le problème dans une perspective internationale. Aurons-nous encore au Canada des producteurs de céréales et de graines oléagineuses? Devrions-nous suivre le conseil de Herb Sparrow, c'est-à-dire abandonner le domaine? La situation est très grave; nous vivons une crise.
M. Easter : Il ne fait aucun doute que la situation est grave. Je pense qu'il faut féliciter le ministre Mitchell de m'avoir donné l'instruction de mettre cartes sur table. S'il y a un problème, avouons-le et essayons d'y trouver une solution. Le débat est important.
J'ai deux points à faire valoir. Les prix ont presque atteint un plancher record. En effet, le cours du maïs est à son plus bas depuis 100 ans. Vous avez tout à fait raison. Je connais de nombreux agriculteurs de l'Ouest qui abandonneront l'an prochain les terres qu'ils louent. Je crois que nous verrons des terres non cultivées en Alberta et en Saskatchewan l'année prochaine.
Allons-nous attendre que des terres fertiles soient en friche — je ne veux pas parler des réserves de terres agricoles bonnes pour l'environnement ou Kyoto — ou plutôt cesser de produire sur des terres marginales? Certaines de nos meilleures terres pourraient ne pas être cultivées étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons. Allons- nous attendre que cela se produise avant d'admettre que le système qui est en vigueur depuis 30 ans ne fonctionne pas?
Mon deuxième point concerne les mesures de compensation pour le maïs que demande l'ensemble des producteurs canadiens de maïs.
Les entreprises du secteur de la transformation, comme Maple Leaf Foods, craignent avec raison de ne plus être concurrentielles advenant la mise en place de mesures de compensation pour le maïs. Cela pourrait avoir une incidence sur les emplois dans nos usines, car les Américains obtiendront les matières premières à un meilleur coût que les Canadiens.
Comme je leur ai dit, pendant des années nous avons présumé que les agriculteurs pouvaient assumer le coût. Nous sommes rendus à un point où ils ne peuvent plus assumer ce coût. L'industrie ne peut pas être fondée sur une main- d'oeuvre agricole bon marché. J'admets qu'il y a un problème dans le secteur de la transformation, et nous devons essayer de le régler, mais toutes les parties sont concernées. L'ensemble de l'industrie et du pays devra admettre que les agriculteurs doivent eux aussi avoir un revenu. C'est ce qu'il y a de bon à propos de ce débat.
Il existe des programmes de protection du revenu agricole. M. Foster connaît probablement mieux que quiconque au pays le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole. C'est un des filets de sécurité. Au cours des trois dernières années, 4 milliards de dollars ont été versés aux producteurs primaires dans le cadre de ce programme. En plus de ce versement, nous avons dû accorder le printemps dernier 1 milliard de dollars pour financer des améliorations agricoles. Hier, nous avons annoncé que le secteur des céréales et des oléagineux allait recevoir 755 millions de dollars. Ces sommes ne permettront toutefois pas de couvrir les pertes. C'est la réalité.
Le sénateur Gustafson : Le Canada compte 37 000 producteurs de céréales et d'oléagineux, ce qui signifie que chacun d'entre eux recevra environ 10 000 $, et les petits producteurs ne recevront pas grand-chose. Ces sommes arrivent à point nommé, mais il faudrait à peu près 3 milliards de dollars pour redresser la situation. La population voit que les agriculteurs reçoivent un peu d'argent et pense que c'est très bien pour eux. Ce que la population ne comprend pas, c'est que le secteur agricole crée des emplois au Canada. Les agriculteurs doivent acheter des camions et des voitures. On a appris que General Motors est en difficulté. Il faut commencer à examiner le problème sous un angle positif.
Pensez-vous que nous devrions étudier la situation internationale et essayer de comprendre ce qui se produit? Ce sont les Américains et les Européens qui dominent le marché mondial; cela ne fait aucun doute. S'ils n'acceptent pas de modifier leurs politiques de subventions, nous devrons prendre des mesures pour faire face à cette situation, sinon nous perdrons nos exploitations agricoles.
M. Easter : Nous avons en fait commencé à analyser la situation mondiale. Le Canada est un pays exportateur, qu'on le veuille ou non. Nous n'avons pas une forte population, mais nous possédons un vaste territoire, une énorme capacité de production et nous sommes un pays exportateur. Les règles régissant le commerce international revêtent énormément d'importance à nos yeux. Le Canada a joué un rôle déterminant dans le dossier des subventions à l'exportation versées par les Européens et les Américains.
Ce qui suscite de la frustration, à mon avis, c'est le fait que les Européens et les Américains sont ceux qui abusent le plus du système commercial mondial et qui tentent par surcroît de piloter les dossiers dont l'OMC est saisie. Cela constitue un problème. Le Canada est intervenu, mais le reste de la planète doit se joindre à lui pour faire contrepoids à l'Union européenne et aux États-Unis.
Le sénateur Gustafson : Nous avons entendu ces propos-là à Seattle il y a 10 ans, mais rien n'a changé.
Le sénateur Peterson : Il est évident que la situation des agriculteurs est passée de préoccupante à alarmante. Vous avez raison de déclarer que le revenu net constitue le problème. Les producteurs n'exercent aucun contrôle sur le coût des intrants ni sur ce qu'ils obtiennent pour leur produit. Peut-être qu'il est temps de recommencer à neuf, d'admettre que nos concurrents commerciaux ne cèderont pas et d'accepter cette nouvelle réalité si nous voulons continuer d'assurer l'approvisionnement alimentaire et nourrir notre population. Nous ne pouvons pas continuer d'avoir recours à des solutions d'urgence chaque fois qu'une crise survient.
M. Easter : Nous ne vivons pas dans ce monde-là. Nous sommes une nation commerçante. L'agriculture occupe une part extrêmement importante dans nos échanges commerciaux. Le secteur des ressources naturelles exporte massivement, notamment des services, des technologies et des capitaux. C'est l'une des raisons pour lesquelles j'affirme que nous devrions peut-être envisager l'agriculture, la production de denrées primaires et l'approvisionnement alimentaire sous un angle différent de celui des ministres du Commerce. Ce n'est pas cette situation que nous vivons. Nous ne sommes qu'une voix parmi bien d'autres, et je ne crois pas que nous puissions aller de l'avant pour le moment avec votre suggestion.
Nous devons tenir compte du fait qu'il existe des programmes de protection du revenu agricole et qu'un certain nombre d'organismes de commercialisation veillent, pendant les négociations à l'OMC, à ce que les producteurs primaires obtiennent du soutien durant les temps durs. Certains ont commencé à admettre qu'il existe également des problèmes profonds d'ordre structurel dans le secteur de la production des denrées primaires dont les producteurs n'y sont pour rien. Par exemple, le déséquilibre des rapports de force est un problème structurel qu'il faut tenter de régler à long terme, à l'échelle nationale et internationale. Je comprends ce que vous voulez dire, mais comme nous sommes une nation commerçante, ce n'est pas aussi simple.
Le sénateur Peterson : Je ne suis aucunement en train de dire que nous cessions d'être une nation commerçante. Je sais bien que c'est insensé. Nous ne consommons que 20 p. 100 de ce que nous produisons. Ce que je dis, c'est que nous devons essayer de régler le problème, sinon, la situation va empirer.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Easter, les gouvernements au Canada soutiennent l'agriculture à l'heure actuelle en y consacrant 4,9 milliards de dollars environ. Vous avez déclaré que cette somme allait augmenter l'an prochain. Pouvez-vous me donner une idée de la proportion versée respectivement par le gouvernement fédéral et les provinces?
M. Easter : Je vais demander à M. Foster de répondre à cette question. Il possède les chiffres exacts. Il existe bien sûr de nombreux programmes nationaux, mais, habituellement, la proportion est de 60-40. Hier, le gouvernement a annoncé qu'il verserait 755 millions de dollars au secteur des céréales et des oléagineux. Nous espérons que les provinces pourront assumer 40 p. 100 de cette somme, mais ce n'est pas une condition préalable.
Danny Foster, directeur général intérimaire, Développement des programmes pour la gestion des risques de l'entreprise, Agriculture et Agroalimentaire Canada : M. Easter a raison. En ce qui a trait aux principaux programmes, comme le programme d'assurance-production, nous avons convenu avec les provinces, en vertu de la politique agricole, que la proportion serait de 60-40. Outre ces programmes dont le coût est partagé, nous mettons en place des initiatives, comme celle annoncée hier, qui sont entièrement financées par le gouvernement fédéral. Il en va de même pour les provinces. Quant aux 4,9 milliards de dollars versés aux producteurs en 2004, la proportion est probablement aux alentours de 60-40, mais je ne la connais pas précisément. Les producteurs ont obtenu 4,9 milliards de dollars en 2004 et ils ont reçu 3,4 milliards de dollars au cours du premier semestre de 2005.
Le sénateur Mitchell : Cette somme provient-elle uniquement du gouvernement fédéral?
M. Foster : Non, les 4,9 milliards de dollars constituent le total de tous les programmes gouvernementaux. La plupart sont des programmes fédéraux-provinciaux, mais il y a également des programmes uniquement fédéraux et uniquement provinciaux.
Le sénateur Gustafson : Qu'en est-il des coûts liés à l'administration?
M. Foster : Ils varient d'un programme à l'autre.
Le sénateur Mitchell : Il semble que nous ne parviendrons jamais à faire en sorte que les États-Unis et l'Europe éliminent les barrières tarifaires, mais supposons que le libre-échange existe et que nous ayons réussi à faire supprimer les tarifs douaniers. Cela règlerait-il le problème? J'essaie de me faire une idée des répercussions avant la conférence de Hong Kong et la reprise du cycle de négociations de Doha.
M. Easter : Cela règlerait-il le problème? Je crois que cela améliorerait grandement la situation. Un des points que je fais valoir dans le rapport ne concerne pas uniquement l'OMC, c'est-à-dire qu'il existe un déséquilibre de rapports de force entre les producteurs primaires et tous les autres intervenants.
Il est vrai que l'OMC approuverait totalement la situation, mais nous devons veiller à ce qu'il y ait un équilibre des forces au sein du marché. Les producteurs sont nombreux, et on observe un regroupement des entreprises dans le secteur agroalimentaire.
Je vais vous donner un exemple de ce qui se passe au Canada. Vous avez parlé de l'efficience. De nombreux producteurs fournissaient des cultures horticoles à des chaînes de magasin à Sydney, à l'île du Cap-Breton. Ils ont été en mesure de les approvisionner pendant une certaine période. Il y a environ deux ans, la politique a été modifiée. Les producteurs n'étaient plus autorisés à approvisionner ces chaînes. Ils devaient charger leur camion, transférer le chargement dans un entrepôt près de Moncton, recharger le camion et livrer la marchandise à Sydney. Tout cela prenait environ dix à douze heures. Ils devaient payer les frais de camionnage, de carburant et de main-d'œuvre. Le produit qui se retrouve à l'épicerie est bien local, mais il a dû être mis dans un entrepôt au préalable. Les coûts que cela entraîne doivent être assumés par le producteur primaire. Cela n'a rien à voir avec l'efficience, c'est une question de contrôle.
Il y a environ six ou sept semaines, un consommateur m'a dit qu'il ne pouvait pas acheter du maïs de la Nouvelle- Écosse dans une certaine chaîne de magasin de la vallée de l'Annapolis. Pourquoi? Parce que le magasin en question a conclu un contrat avec un fournisseur qui achète uniquement du maïs de l'Ontario ou des États-Unis. Dans un magasin de votre propre collectivité, vous ne pouvez même pas acheter des légumes locaux. C'est une question de contrôle, et non pas d'efficience. Nous devons nous pencher sur ce problème.
Le sénateur Tkachuk : Voulez-vous dire que les gens vont privilégier le contrôle au détriment du prix?
M. Easter : Non. Selon la façon dont le système fonctionne, ils ne privilégieront pas le contrôle au détriment du prix.
S'ils doivent assumer des coûts supplémentaires, ils les refilent aux producteurs primaires. Le producteur paie le coût du transport par camion jusqu'à Moncton, car il ne détient aucun pouvoir au sein du système. C'est la réalité.
Le sénateur Hubley : Je vous remercie d'être ici. Nous sommes toujours ravis de vous recevoir.
Je crois que votre rapport est utile, car il faut examiner notre industrie de temps à autre pour éviter de véhiculer des clichés et de revenir sur les problèmes du passé. Je crois que bien des choses ont été clarifiées.
Il est intéressant d'apprendre qu'un producteur qui a accès à un marché se fait dire qu'il ne peut pas vendre ses produits à un certain magasin. Il y a quelque chose qui cloche. Cette situation dure depuis longtemps. C'est le déséquilibre qui existe qui m'a surtout frappé.
Vous avez souligné qu'au cours des 30 dernières années, le revenu a diminué tandis que la production a augmenté et que tous les indicateurs sont positifs, à l'exception de l'endettement, qui a monté malheureusement.
Quelque chose ne va pas. Mais comment faire pour remettre l'argent dans les poches des agriculteurs?
Au cours de notre séjour en Europe, nous avons eu l'occasion d'étudier deux modèles. Il est irréaliste de penser que les États-Unis, ou tout autre pays qui possède une industrie agricole viable, modifieront leur système si les agriculteurs sont satisfaits et réalisent des profits. Je doute que nous modifierions notre système si nos agriculteurs étaient satisfaits. Nous ferions des pieds et des mains pour soutenir ce système.
Ce qui m'a étonné à propos de l'Irlande du Nord, c'est que ce pays a appliqué des pratiques de gestion optimales en agriculture, ce qui a signifié dans certains cas l'arrêt de la production. C'était la meilleure décision à prendre pour l'industrie. Les agriculteurs étaient disposés à mettre en place des contrôles environnementaux, et certains d'entre eux ont mis des terres en friche pour que les oiseaux migrateurs aient une plus grande chance de survie.
Cela semble assez élémentaire, mais c'est à ce point-là que nos agriculteurs sont préoccupés par l'environnement. Je crois que le protocole de Kyoto offrira des occasions à nos producteurs.
J'aimerais discuter de la question de la taxe sur les aliments. Je me demande si nous pensons honnêtement que les recettes d'une telle taxe reviendraient aux agriculteurs. J'ai appris que l'Institut agricole du Canada appuyait l'imposition d'une taxe sur les aliments parce que les recettes obtenues aideraient les producteurs.
Les agriculteurs avec lesquels vous vous êtes entretenus ont-ils discuté de cette idée?
M. Easter : L'idée d'établir une taxe sur les aliments a été soulevée au cours de trois de nos consultations. L'objectif, comme vous l'avez dit, est de remettre les recettes de cette taxe aux producteurs primaires. Il a été proposé de taxer les aliments au même titre qu'on prélève une consigne de 5 cents sur les bouteilles. Nous avons en effet discuté de cette possibilité.
Selon moi, je ne pense pas que ce soit la solution.
Le sénateur Tkachuk : Pas avant lundi, du moins.
M. Easter : Nous croyons que l'opposition va revenir à la raison avant lundi.
Ce n'est pas une recommandation que nous formulons. Les producteurs primaires veulent tirer un revenu du marché. Ils veulent que des changements d'ordre structurel soient apportés au système pour que cela soit possible. D'autres estiment que, si les règles du jeu sont à moitié équitables, ils seront en mesure de survivre.
Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'un problème propre au Canada. Quelqu'un a parlé plus tôt de la loi agricole américaine. En 2007, les États-Unis seront dans une position totalement différente de celle dans laquelle ils étaient en 2002.
En 2002, ils enregistraient un excédent. Cette année, même si je n'ai pas les chiffres exacts sous mes yeux, je sais que leur dette se situe dans les billions de dollars. Leur déficit annuel est énorme. Ils ne peuvent pas eux non plus continuer dans cette voie.
Partout, les agriculteurs sont en difficulté. Pour qu'une économie rurale existe, il faut des agriculteurs.
Je tiens à dire aux fins du compte rendu qu'à l'échelle de la planète, on observe une diminution constante du nombre d'agriculteurs, tant dans les pays développés que ceux en développement.
Entre le milieu et la fin des années 1990, 8 p. 100 des exploitations agricoles ont disparu. La France a perdu 50 p. 100 de ses agriculteurs au cours des deux dernières décennies. Le Royaume-Uni a quant à lui subi la perte de 78 000 agriculteurs et travailleurs agricoles en moins d'une décennie. De son côté, l'Allemagne a également connu une baisse du nombre de producteurs ces dix dernières années.
Par ailleurs, le marché du Brésil est en expansion. Ce pays est un gros producteur de céréales, de soja, de bovins et de porcs. Bien que l'industrie agricole brésilienne connaisse une croissance parmi les plus rapides, les agriculteurs brésiliens, qui représentaient 37 p. 100 de l'ensemble de la main-d'œuvre il y a 20 ans, ne représentent plus que 17 p. 100 aujourd'hui.
Cela me porte à croire que, même si le Brésil s'efforce de vendre ses produits sur le marché international, causant ainsi une baisse des prix, ce n'est pas le petit producteur primaire qui contribue à la production.
Le sénateur Hubley : Peut-être qu'il est temps que le Canada organise une conférence des ministres de l'Agriculture des divers pays pour que chacun d'eux puisse faire part de ses difficultés.
Le sénateur Mercer : Selon ma théorie, le contrôle de la distribution dans le commerce de détail engendre une baisse des prix pour les producteurs, une hausse des profits pour les grands détaillants et le secteur de la transformation et, enfin, un service allant de mauvais à médiocre pour le consommateur. C'est pourquoi je recommande au comité d'entreprendre une étude sur le contrôle de la distribution des produits agricoles au Canada.
Après le déclenchement inutile des prochaines élections, nous allons envoyer à Hong Kong une équipe chargée de discuter de questions liées au commerce international. Je veux être certain qu'il s'agira de l'équipe la plus solide que nous pourrons envoyer étant donné les circonstances. J'aimerais obtenir vos commentaires là-dessus.
Que pouvons-nous espérer obtenir de cette ronde de négociations alors que nous sommes préoccupés par notre situation nationale et politique et que les autres pays du monde ne sont pas aussi préoccupés que nous par la protection de leurs propres intérêts?
M. Easter : Je n'ai aucune décision à prendre concernant les rencontres qui doivent avoir lieu à Hong Kong du 12 au 18 décembre. Le gouvernement fera de son mieux pour être solidement représenté lors de ces rencontres. Il est fort probable qu'il y aura également des représentants des provinces. J'ose espérer qu'un ministre fédéral sera présent.
Il faut comprendre la façon dont l'OMC et le reste du monde verront le Canada si le gouvernement a perdu, à leur avis, la confiance de la population. C'est ce qu'entraîne un vote de confiance au Parlement. Nous n'aurons pas à cette conférence la crédibilité que nous aurions eue autrement, même si un ministre influent représentait là-bas le Canada.
Mettez-vous à la place des autres pays du monde qui examinent la situation au Canada, un pays dont le gouvernement a perdu la confiance de la Chambre, mais qui envoie un ministre à cette conférence. Il est certain qu'à leurs yeux le Canada n'aura pas la même crédibilité que si le gouvernement venait tout juste de remporter une élection. C'est la réalité, mais cela ne veut pas dire que nous n'aurons aucune influence.
L'une des personnes les plus influentes au cours de la présente ronde de négociations a été le ministre Mitchell. Il possède l'art de proposer des solutions de rechange aux propositions qui ont été soumises. J'ose espérer que nous continuerons de gagner du soutien à l'égard de la proposition du ministre, à savoir établir une catégorie de produits critiques pour chaque pays. Dans notre cas, il s'agirait des produits soumis à la gestion de l'offre. Tous les pays ont des produits critiques. Il s'agit là d'un dossier important. Cette proposition est pleine de bon sens. J'espère que nous continuerons d'obtenir des appuis en faveur de cette idée.
Le Canada a toujours eu une influence plus grande que son poids au sein de l'OMC. Le ministre Peterson, le ministre Mitchell et le gouvernement dans son ensemble continueront de négocier ferme dans l'intérêt des Canadiens. Cependant, il y aura un problème si, au même moment, nous allons en élections, ce qui teintera l'opinion qu'ont les autres pays de nos représentants.
Le sénateur Callbeck : Je vous félicite du rapport déposé en juin. Je tenais uniquement à vous interroger au sujet d'une des principales conclusions. Nous savons tous que le revenu net des agriculteurs est problématique. J'aimerais avoir des précisions sur leurs dépenses.
Dans votre rapport, vous mentionnez que le gouvernement devrait aider à alléger le coût des plans environnementaux et des programmes de sécurité à la ferme parce que toute la population en bénéficie et qu'il n'est pas juste que ce soit uniquement les agriculteurs qui en fassent les frais.
Quelles mesures ont été prises pour réduire ces coûts de production? Le ministère est-il en train de revoir les frais d'inspection?
M. Easter : Les droits d'inspection relatifs au programme de recouvrement des coûts ne sont assurément pas assumés entièrement par l'industrie agricole. M. Shenstone ou M. Foster peut peut-être répondre à ce sujet.
Tout l'enjeu relatif à la sécurité des aliments, aux diverses inspections et ainsi de suite concerne-t-il uniquement la salubrité des aliments? Qui devrait en assumer le coût?
Aux réunions, les producteurs primaires étaient préoccupés par les frais d'utilisation et les plans environnementaux des exploitations agricoles. Le grand public de Calgary aime bien se promener en auto dans les avant-monts et admirer le paysage. Le producteur primaire exploite en règle générale ces terres, les maintient en état, et il y a un coût à cela. Devrait-il y avoir des avantages à le faire pour le milieu agricole?
Des possibilités s'offrent en termes des puits de carbone, tel que prévu dans le protocole de Kyoto et les avantages que créent les producteurs primaires pour la société et pour lesquels ils ont été incapables jusqu'ici de recouvrer leurs coûts. C'est là l'essentiel de l'argument.
Le sénateur Mitchell : Il se trouve que vous avez abordé certaines questions lorsque vous avez parlé des puits de carbone. Connaissez-vous BIOCAP, un organisme national qui étudie comment mesurer les crédits qui, aux termes du protocole de Kyoto, seraient produits par les entreprises agricoles du pays?
M. Easter : Je dois rencontrer les porte-parole de BIOCAP aujourd'hui. Je les ai déjà rencontrés plusieurs fois. Ils ont acquis la meilleure expertise qui soit en ce qui concerne les crédits et les débits relatifs aux puits de carbone et au protocole de Kyoto. Pour être honnête avec vous, je n'y comprends rien. BIOCAP est en train d'acquérir une expertise précieuse.
Il faut que les gouvernements agissent rapidement dans ce domaine, sans quoi nous risquons de rater des occasions. Il s'agit d'un domaine extrêmement technique qui recoupe de nombreux ministères et a un impact tant fédéral que provincial. La solution n'est pas simple, mais BIOCAP peut certainement nous servir de moyen pour y arriver.
Le sénateur Tkachuk : Quand vous avez mentionné les produits sensibles de M. Mitchell, vous parliez des produits protégés, n'est-ce pas? Le mot est joli. J'admire en quelque sorte celui ou celle qui l'a trouvé.
M. Easter : Je parle des produits pour lesquels nous avons eu la sagesse, vers la fin des années 60 et le début des années 70, de mettre en place un mécanisme de gestion de l'offre qui permettait de la faire correspondre à la demande. C'est un système efficace, un système qui a bien servi les producteurs et les consommateurs canadiens.
Je ne parlerais de « protection », cependant. Le système fonctionne bien, et rien n'empêche d'autres pays de l'adopter.
Le sénateur Tkachuk : Vous avez affirmé que les exportations agricoles du Canada ont beaucoup augmenté. De quels produits s'agissait-il?
M. Easter : La liste est plutôt longue.
Le sénateur Tkachuk : Elle n'incluait pas le fromage, n'est-ce pas?
M. Easter : Certains fromages et d'autres produits y figurent. La liste comprend de tout, allant de vins au blé, à l'orge, au canola, aux pommes de terre et aux frites. La plupart de nos produits agricoles sont exportés, sous une forme ou une autre.
Le sénateur Tkachuk : Tous ces produits du libre marché contribuent à notre balance des paiements.
M. Easter : Indubitablement, et j'en fais état dans mon rapport. Il ne faut pas perdre de vue le fait que l'agriculture et les produits agroalimentaires font un apport significatif à la balance des paiments du Canada. Le véritable moteur de cette richesse est le producteur primaire. C'est le secteur clé en ce qui concerne cette production et l'apport à la balance des paiements du Canada.
Vous conviendrez avec moi, je crois, que le travail et l'investissement des producteurs primaires devraient leur rapporter des avantages économiques. C'est là tout le dilemme, actuellement.
Le sénateur Tkachuk : J'ai une dernière question au sujet de tout ce concept du bien public — qu'il devrait être payé par le grand public plutôt que par le producteur. Je me souviens d'un témoin que nous avons entendu et qui venait de France — un représentant agricole du marché commun. Il avait parlé du bien public, un euphémisme pour les subventions. Pourquoi n'appelons-nous pas les choses par leur nom?
Je suis d'avis qu'il faut cesser de jouer au fou. Si nous savons que l'Union européenne et les États-Unis vont continuer de subventionner le blé jusqu'à ce que nous les persuadions de laisser tomber cet autre programme ridicule et si nous tenons à préserver le Canada rural et les fermes que nous avons dans les Prairies, pourquoi ne pas payer les gens en fonction du nombre d'acres et cesser tous ces emberlificotages? Pourquoi ne pas fixer un prix, les payer et inonder les marchés mondiaux? Cela les ramènerait peut-être à la réalité, soit que nul ne veut de ce produit, de sorte que son prix baisserait à 50 cents et que l'Europe verrait la logique de mettre fin à ses subventions, sans quoi ce serait la faillite. Pourquoi ne pas simplement aller de l'avant et agir ainsi, plutôt que de concevoir tous ces autres moyens? C'est comme l'Irlande, où l'on paie les gens pour qu'ils s'occupent des haies. C'est ridicule.
M. Easter : Tous n'ont pas la même définition de ce qui représente une subvention. Si je me fie aux revenus agricoles des trente dernières années et de tous ceux, dans la société, qui en ont profité, je pourrais dire que les fermiers ont en réalité subventionné tous les autres membres du système durant toutes ces années. Je pourrais l'affirmer et je ne crois pas que je me tromperais de beaucoup.
En réalité, nous, les membres du milieu agricole, ne pouvons plus continuer de subventionner le reste du monde au risque de compromettre nos investissements, nos familles et nos collectivités. Il faudra que le système change pour y mettre fin.
Quand j'étais en Europe en 1988 pour examiner la politique agricole commune, on appliquait dans les Alpes une politique selon laquelle les agriculteurs étaient payés pour élever des moutons en pâturage. S'ils comptaient sur le marché pour dicter le prix de leur produit, ils n'obtenaient pas un très bon rendement, mais le gouvernement estimait que sa politique était légitime parce que les moutons qui mangeaient l'herbe réduisaient ainsi les accumulations de neige et prévenaient donc les avalanches. Le concept était intéressant.
Les agriculteurs canadiens ne peuvent plus se permettre de subventionner le reste de la société.
Le sénateur Gustafson : Croyez-vous que nous devrions examiner la distribution sur le plan mondial? Il y a beaucoup de personnes affamées dans le monde. Nous pouvons le constater tous les soirs à la télé. Sur le plan mondial, nous sommes capables d'accomplir différentes choses et d'agir en tant que nations, mais nous semblons incapables de distribuer les produits alimentaires ou d'en obtenir un prix raisonnable. De graves conséquences sont à prévoir, si la situation se prolonge.
Vous avez mentionné le Brésil. Pourtant, les agriculteurs là-bas sont des Américains qui ont déménagé leur équipement au Brésil. Ils se remplissent les poches en faisant de l'agriculture au Brésil. C'est là une des raisons pour lesquelles les Américains n'accepteront jamais de mettre fin aux subventions. Il faut être réaliste et commencer quelque part, sans quoi nous n'aurons plus d'industrie.
M. Easter : Sénateur, vous avez tout à fait raison. Ce ne sont pas que des agriculteurs américains. Des agriculteurs allemands et de grandes multinationales y sont également présents.
Les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. Le Brésil est considéré comme étant un pays sous-développé, de sorte qu'il n'est pas tenu de se conformer aux mêmes règles que nous, sur le plan de l'environnement et du travail. À mon avis, c'est peut-être là du commerce libre, mais ce n'est certes pas du commerce équitable.
Souhaitons-nous avoir un régime de commerce international qui persiste dans cette voie? En tant que pays, il faudrait dépendre d'autres pays pour nous approvisionner en aliments. Je ne le crois pas. Nous avons la capacité de production et, si nous jouissons de règles uniformes, je crois que nous pouvons livrer concurrence sur les marchés mondiaux.
La partie plus générale de votre question concerne davantage la distribution de la richesse dans le monde, ce qui est une tout autre paire de manches.
À nouveau, revenons-en à l'OMC. Pour l'instant, nous tentons d'encadrer les pratiques commerciales des pays. Nous n'encadrons pas les personnes qui font le commerce du produit, les Cargill ou Archer Daniels Midland Company. Il n'est pas question de les empêcher de réaliser un profit. Ils devraient pouvoir le faire, mais il faudrait aussi qu'ils respectent certaines règles. Ils ne devraient pas pouvoir tirer profit d'un système qui exploite les travailleurs et les ressources des différents pays. Il faut qu'eux aussi soient soumis à certaines règles. Ils devraient se conformer au même genre de règles qu'on demande aux autres de respecter. Voilà un élément crucial du débat.
Le sénateur Gustafson : Cargill, ConAgra Foods et Archer Daniels Midlands Company, d'importantes entreprises, ont construit de gros terminaux au Canada, des terminaux qui ont été construits du jour au lendemain. Par exemple, Archer Daniels Midland est propriétaire, à 49 p. 100, de United Grain Growers. La manutention du grain, de concert avec Weyburn Inland Terminal, lui rapporte beaucoup. Les agriculteurs, depuis qu'on a aboli la subvention du Nid-de- Corbeau, perdent de l'argent tous les ans. Voilà la réalité. Nous nous retrouvons maintenant dans la position où nous devons tolérer ces joueurs parce qu'ils sont propriétaires des terminaux.
M. Easter : L'argument de l'efficacité incluait une théorie voulant que ces nouveaux terminaux terrestres soient efficaces. Le fait est que, si l'on s'en était tenu à l'idée du Saskatchewan Wheat Pool et d'autres groupes de mise en commun, nous en serions à un système d'élévateurs en bois. De nombreux embranchements secondaires de transport ferroviaire se rendaient dans les collectivités où se trouvaient les élévateurs. Leur coût était entièrement assumé par des producteurs depuis les années 20. Le Saskatchewan Wheat Pool était censé être une coopérative dirigée par les producteurs. Ils se sont lancés dans l'arène et ont contracté une dette pour construire ces élévateurs à fort débit. Les chemins de fer ont depuis lors fermé de nombreux embranchements secondaires, de sorte qu'il existe maintenant une dette dans le réseau de transport à l'égard d'un système qui a été entièrement payé par les producteurs. Il ne reste plus que la dette, que les agriculteurs continuent de rembourser.
Le sénateur Mitchell : J'en reviens à ma première question au sujet de la proportion de la contribution fédérale, par rapport à la contribution provinciale, aux paiements de soutien versés au Canada. Pourriez-vous me dire ce qu'elle est en Alberta?
M. Foster : Je le répète, en ce qui concerne les programmes mentionnés dans le cadre stratégique pour l'agriculture, c'est-à-dire le programme de soutien du revenu agricole, le programme d'assurance-production et d'autres programmes prévus dans l'enveloppe consacrée à la GRE, la proportion est de 60-40; 60 p. 100 provenant du gouvernement fédéral et 40 p. 100 du gouvernement provincial, en l'occurrence celui de l'Alberta. C'est la même chose ailleurs au pays pour ces programmes nationaux. Les provinces peuvent aussi offrir leurs propres programmes. Comme on l'a fait remarquer hier, le gouvernement du Canada a proposé un programme strictement fédéral. Ces autres initiatives seraient financées à 100 p. 100 par les provinces ou à 100 p. 100 par le fédéral.
Le sénateur Mitchell : Si vous ajoutiez tous les programmes exclusivement fédéraux existants et tous les programmes conjoints entre le gouvernement fédéral et les provinces, ainsi que l'ensemble des programmes exclusivement provinciaux, quelle serait alors la proportion?
M. Foster : Je n'ai pas ces données, mais j'irai aux renseignements et vous transmettrai la réponse.
Le sénateur Mercier : Comme vous pouvez le constater, le comité pourrait siéger pendant des journées entières à ce sujet. Nous connaissons bon nombre des problèmes, mais nous n'avons pas beaucoup de solutions à proposer, ce qui me frustre.
Vous avez cité certaines données qui m'ont scandalisé, plus particulièrement le déclin de la main-d'oeuvre et du nombre d'agriculteurs dans le monde. Si quoi que ce soit doit provoquer une crise dans la production mondiale d'aliments, ce sera bien ce déclin. Subitement, nous serons incapables d'exploiter les fermes dans le monde.
Que peut faire le gouvernement du Canada pour encourager plus de jeunes à faire carrière en agriculture?
Le comité a vu un film produit par des étudiants du Olds College en Alberta, en plein coeur de la crise de l'ESB. La frustration des étudiants qui ont choisi de faire carrière en agriculture, mais qui remettent leur choix en question en raison de la conjoncture mondiale, était palpable. Si nous ne réglons pas ce problème tout de suite, nous en paierons le prix plus tard.
J'ai parlé longuement des problèmes de consommation, mais le manque de nouveaux venus dans l'industrie me préoccupe également. Avez-vous des suggestions?
M. Easter : L'ESB est un dossier dans lequel il y a effectivement eu des pertes et des départs de producteurs, et la crise a été marquée par de grands bouleversements économiques. Toutefois, le gouvernement du Canada a réussi à transformer cette crise en possibilités. Durant la crise, nous étions là, armés de quelque 2,4 milliards de dollars. Il faut que nous parvenions à faire lever l'interdiction de l'entrée aux États-Unis des bêtes de reproduction et du bétail de réforme. Nous avons investi pour accroître notre capacité intérieure d'abattage. Par conséquent, nous avons vraiment agi avec dynamisme de manière à pouvoir abattre le bétail chez nous. Nous avons créé près de 7 000 emplois au Canada dans le secteur de la transformation. Je crois que nous avons profité de la crise pour créer de nouvelles possibilités. Nous avons dû le faire pour l'ensemble de l'industrie agricole. En fin de compte, nous avons désormais une industrie du bétail de plus en plus saine. Il faut pousser encore plus loin. Nous avons créé des débouchés ailleurs dans le monde. Le ministre de l'Agriculture, de même que le premier ministre, ont travaillé avec énergie à la question. Nous avons réalisé des gains, mais cela ne veut pas dire que beaucoup n'ont pas souffert.
La réalité, et c'est pourquoi le rapport est ainsi rédigé, c'est que la relève chez les producteurs est clairement problématique. Or, pour l'accroître, il faudrait que l'industrie, au niveau de la production primaire, ait une meilleure santé économique. Il faut qu'elle offre un peu de sécurité, non pas une sécurité en béton, mais un certain niveau de sécurité, pour que les jeunes veuillent en faire partie. C'est pourquoi le rapport énonce en termes non équivoques la situation, les faits. Nous tenons actuellement un débat qui nous mènera tôt ou tard à des solutions. J'ai fait quelques suggestions, et d'autres idées très sensées circulent également. Je crois que c'est là que nous mènera le débat.
La présidente : Monsieur Easter, nous vous sommes reconnaissants de nous avoir accordé plus de temps. Nous sommes certes conscients des efforts que vous déployez durant vos rencontres et dans le rapport. Nous continuons d'espérer que les réunions de l'OMC seront fructueuses. Il est encourageant de vous entendre dire que nous y serons représentés par un ministre profondément engagé. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans cette entreprise.
Chers collègues, je vous remercie d'avoir participé avec autant de dynamisme à la réunion. Je suis impatiente de pouvoir reprendre le débat de ces questions, particulièrement après les négociations de l'OMC.
La séance est levée.