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ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur la
Loi antiterroriste

Fascicule 13 - Témoignages - Séance du matin


OTTAWA, le lundi 13 juin 2005

Le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour procéder à un examen approfondi des dispositions et de l'application de la Loi antiterroriste (L.C. 2001, ch.41).

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Il s'agit de la 28e séance au cours de laquelle le Comité sénatorial spécial sur la Loi antiterroriste entendra des témoins. Pour informer nos spectateurs, je vais expliquer l'objectif du comité.

En octobre 2001, en réponse directe aux attaques terroristes survenues à New York, à Washington et dans l'État de la Pennsylvanie, et à la demande des Nations Unies, le gouvernement canadien a déposé le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste. Compte tenu de l'urgence de la situation à l'époque, le Parlement a été invité à accélérer l'étude du projet de loi. Et nous avons accepté. La date limite pour l'adoption de ce projet de loi avait été fixée à la mi-décembre 2001.

Cependant, certains ont exprimé des inquiétudes, jugeant très difficile d'évaluer en détail les répercussions éventuelles de cette mesure législative en si peu de temps. Pour cette raison, il a été convenu que, trois ans plus tard, le Parlement serait invité à examiner rétrospectivement les dispositions de la loi et leur impact sur les Canadiens, dans un climat beaucoup moins émotif.

Le travail de notre comité spécial se veut le résultat des efforts déployés par le Sénat pour respecter cette obligation. Une fois notre étude terminée, nous en ferons rapport au Sénat et nous y soulèverons toute question qui, à notre avis, mérite d'être abordée, après quoi nous remettrons le fruit de notre travail au gouvernement et à la population canadienne. La Chambre des communes est actuellement engagée dans une étude semblable.

Jusqu'à maintenant, le comité a entendu des ministres et des fonctionnaires, des spécialistes internationaux et canadiens en matière de sécurité, des experts juridiques ainsi que les responsables de l'application de la loi et de la collecte des renseignements de sécurité.

Ce matin, nous allons examiner de nouveau la question de la surveillance. Nous accueillons le très honorable Antonio Lamer, ancien juge en chef du Canada, qui est maintenant commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, ce mystérieux organisme qui suscite toujours un peu de curiosité. M. Lamer nous en décrira les activités. Il est secondé par sa directrice exécutive, Mme Joanne Weeks.

Je prie les sénateurs de bien vouloir poser des questions aussi courtes que possible pour laisser beaucoup de temps aux échanges.

À vous la parole, monsieur Lamer; soyez le bienvenu parmi nous.

Le très honorable Antonio Lamer, C.P., commissaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Honorables sénateurs, c'est un plaisir pour moi d'être ici pour prendre part aux travaux de ce comité spécial qui examine la Loi antiterroriste. Comme vous l'avez dit, madame la présidente, je suis accompagné par Mme Joanne Weeks, ma directrice exécutive, et par Mme Colette Davignon, conseillère juridique de mon bureau.

La Loi antiterroriste que vous examinez prévoyait, entre autres, la modification de la Loi sur la défense nationale. Cette modification a enchâssé dans la législation le mandat et les attributions du Centre de la sécurité des télécommunications ainsi que ceux du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, dont j'assume la direction.

Le poste de commissaire du CST avait été créé plus tôt, en 1996, par décret en vertu de la partie II de la Loi sur les enquêtes. La loi a reconduit les pouvoirs conférés au commissaire par la Loi sur les enquêtes et lui a attribué d'autres fonctions aux termes de la Loi sur la protection de l'information.

[Français]

Permettez-moi tout d'abord de dire que cet examen est fondamental pour garantir que certains organismes qui doivent nécessairement opérer dans le secret puissent utiliser les pouvoirs d'intrusion dont ils disposent, conformément aux attentes du Parlement.

[Traduction]

Je suis d'avis que les organismes d'examen comme celui que je dirige contribuent de manière substantielle au travail des milieux de la sécurité et du renseignement. Depuis quelque temps, on a tendance à présenter la sécurité et la protection de la vie privée comme des principes presque incompatibles, comme s'il fallait que l'un prime sur l'autre. À mon avis, cette approche, quoique populaire, est simpliste. Il s'agit de concilier, d'une part, les droits et libertés démocratiques du citoyen, dont le respect de sa vie privée, et, de l'autre, le droit collectif de la société à la sécurité. Or, ces deux valeurs sont essentielles à toute société libre et démocratique comme la nôtre, et elles doivent coexister. Il s'agit de trouver le juste équilibre entre ces deux valeurs dans des situations particulières.

Quand une société est menacée, différents intérêts s'opposent. Il faut alors déterminer dans quelle mesure la sécurité collective de l'ensemble de la société doit primer sur les droits démocratiques individuels. Cette décision, prise par les législateurs et grâce à un débat public, établit le juste équilibre entre les droits individuels et collectifs.

En 2001, le Parlement a pris cette décision en adoptant le projet de loi omnibus C-36, qui est devenue la Loi antiterroriste. Compte tenu des circonstances et de la menace incontestable qui planait sur la sécurité collective à l'époque, le Parlement a agi rapidement, mais sans précipitation. Il a fondé ses décisions sur l'information la plus complète dont on disposait à l'époque et sur les conseils des décideurs et des citoyens qu'il a pu consulter dans le laps de temps prévu.

Dans sa sagesse, le Parlement a également décidé que l'équilibre établi par la loi devrait être revu de façon plus approfondie trois ans après l'adoption de cette loi. Ma comparution devant vous aujourd'hui s'inscrit dans ce contexte.

[Français]

La loi que vous examinez est en vigueur depuis près de quatre ans. Il ne m'incombe pas de discuter de toutes les dispositions de la Loi antiterroriste et je n'ai pas l'intention de le faire. Toutefois, je peux commenter la modification que le projet de loi omnibus, adopté il y a quatre ans, a introduite dans la Loi sur la défense nationale. Je puis vous affirmer sans réserve que cette modification était essentielle sur tous les plans.

[Traduction]

Les modifications apportées conféraient au CST de nouveaux pouvoirs visant l'interception de communications privées moyennant une autorisation spéciale du ministre de la Défense nationale. Il convient toutefois de souligner que les législateurs qui ont modifié la loi ont alors établi des conditions bien précises à l'exercice de ces pouvoirs.

L'une de mes fonctions consiste à examiner les communications privées que le CST a interceptées en vertu d'une autorisation ministérielle et de rendre compte au ministre de la légalité de ces interceptions. J'y reviendrai dans un moment.

Permettez-moi d'aborder mon mandat général. J'examine les activités du CST « pour en contrôler la légalité » et m'assurer que la vie privée des Canadiens est protégée. Dans l'exercice de cet aspect de mon mandat, je mets tout en oeuvre pour éviter d'entraver les activités du CST. Je mène également des enquêtes sur les plaintes et j'avise le ministre et le procureur général du Canada de toute activité du CST que j'estime non conforme à la loi. Je suis heureux de dire que jusqu'à maintenant, toutes les plaintes ont été réglées de façon informelle et que ni moi, ni mon prédécesseur, l'honorable Claude Bisson, juge en chef du Québec, n'avons eu à présenter au procureur général un rapport faisant état d'activités illégales.

Quelles sont les méthodes que j'emploie pour examiner les activités du CST?

Sous mon autorité et ma direction, mon personnel a recours à un grand nombre de méthodes utilisées couramment pour examiner un organisme. J'approuve un plan d'activités triennal, qui est révisé au besoin. J'accorde toujours la primauté aux domaines ou programmes du CST où la vie privée des Canadiens risque d'être en jeu.

Les pouvoirs que me confère la Loi sur les enquêtes permettent à mon personnel d'avoir accès à tous les dossiers, documents, locaux et employés du CST. Mon personnel examine minutieusement des dossiers et des documents, a des entretiens avec les employés du Centre et effectue ce qu'on pourrait appeler des vérifications ponctuelles qui consistent notamment à prendre place aux côtés des analystes du CST alors que ces derniers font des recherches électroniques et à leur poser des questions. Nous examinons également les bases de données du CST pour vérifier si l'information a été recueillie en toute légalité et si la vie privée des Canadiens a été protégée, comme le prescrit la loi.

Lorsqu'un examen est terminé, je remets au ministre un rapport classifié, assorti de toutes les recommandations que j'estime pertinentes.

[Français]

Permettez-moi d'aborder l'examen des activités qu'effectue le CST en vertu des autorisations ministérielles que j'ai mentionnées il y a quelques minutes. La loi m'enjoint à examiner les activités menées en vertu de chaque autorisation ministérielle et d'en rendre compte au ministre une fois par année.

Le 19 mai 2005, le ministre a déposé mon rapport annuel au Parlement. Dans ce rapport, j'ai fait remarquer que, pour un juriste habitué au mandat délivré par un juge, une autorisation ministérielle est une chose assez étrange. Cependant, il ne faut pas oublier que lorsque le CST recueille des renseignements en vertu d'une autorisation ministérielle, il le fait comme le prescrit la loi, dans le cadre d'un sous-ensemble d'activités complémentaires à son mandat principal qui porte sur la collecte de renseignements étrangers, et je le répète, étrangers. C'est important.

[Traduction]

Une autorisation ministérielle est nécessaire dans les cas où des communications privées risquent d'être interceptées lors de la collecte de renseignements étrangers, alors que l'interception vise toujours — j'insiste sur ce point — une entité étrangère qui se trouve en dehors du Canada, là où les tribunaux canadiens n'ont pas compétence. Aux termes du Code criminel, toute communication qui touche le Canada est définie comme une communication privée, y compris lorsque l'interception cible la partie étrangère de la communication. Une autorisation ministérielle représente une solution unique à un ensemble tout aussi unique de circonstances pouvant survenir lorsque les communications d'une entité étrangère visée par le CST sont destinées au Canada ou en proviennent. Une fois l'autorisation ministérielle accordée, le CST peut conserver et utiliser les communications de cette nature, mais uniquement si elles correspondent aux critères énoncés dans la loi.

Les dispositions de la loi que vous examinez et qui portent sur les autorisations ministérielles prévoient en outre une exception à la partie VI du Code criminel, c'est-à-dire le non-respect de la vie privée. Je suis sûr que les honorables sénateurs le savent. Ainsi, la partie VI du Code criminel ne s'applique pas au CST lorsqu'il intercepte une communication en vertu d'une autorisation ministérielle, ni à la communication elle-même. C'est pourquoi l'interception et la conservation de communications privées par le CST ne constituent pas une infraction criminelle. Mon devoir à cet égard consiste à vérifier que, lorsque le CST a intercepté et conservé une communication privée, il avait été autorisé par le ministre à le faire et il a agi en toute légalité. Je dois également vérifier que l'interception de ces communications était essentielle pour les affaires internationales, la défense et la sécurité du Canada.

[Français]

Au cours de mes discussions avec le ministre, j'ai exprimé mon point de vue sur mes fonctions, notamment sur mon examen des activités que mène le CST, en vertu des autorisations ministérielles. C'est un domaine que je continue d'évaluer et d'interpréter très attentivement, car je suis conscient de l'importance des travaux qu'effectue le CST dans l'intérêt du gouvernement du Canada. Je reconnais également l'importance que revêt le fait de pouvoir assurer que le CST s'acquitte de ses responsabilités en veillant à la protection des droits fondamentaux de notre société démocratique, y compris à la primauté du droit.

[Traduction]

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. J'espère que vos délibérations seront fructueuses. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur le commissaire.

Le sénateur Kinsella : Je suis ravi de vous voir, monsieur le commissaire. Pourriez-vous nous dire s'il y a des dispositions de la Partie 5 de la Loi antiterroriste traitant du Centre de la sécurité des communications qui, d'après votre expérience jusqu'ici, devraient être modifiées?

M. Lamer : Rien de bien considérable. Naturellement, comme les rédacteurs législatifs et le Parlement ont dû faire vite, la loi comporte quelques lacunes qu'on pourrait examiner et corriger, par souci de clarté.

Le sénateur Kinsella : Monsieur le commissaire, la loi prévoit que le mandat du commissaire ne doit pas dépasser cinq ans. Depuis combien de temps occupez-vous votre poste?

M. Lamer : Deux ans. Il me reste un an avant la fin de mon mandat.

Le sénateur Kinsella : Estimez-vous qu'il y a lieu d'assurer une mémoire institutionnelle à cet égard et que la limite de cinq ans devrait être supprimée dans la loi?

M. Lamer : Je laisse au Parlement le soin d'en décider, dans sa sagesse.

Le sénateur Kinsella : Nous voulons tout de même connaître votre avis, fondé sur votre expérience pratique à ce poste.

M. Lamer : Peu après mon entrée en fonctions, j'ai dû participer à de nombreuses séances d'information données par mon personnel et celui du CST. Cela était nécessaire pour me permettre de comprendre le processus tout entier, particulièrement les activités opérationnelles du CST, que je ne peux vous décrire. Mon expérience étant dans le domaine du droit, quand j'ai commencé dans le domaine des télécommunications, j'ai bien sûr dû communiquer avec mon personnel pendant qu'il communiquait avec le CST. Il y a forcément une période d'adaptation, mais elle peut être assez courte parce qu'on est entouré d'experts.

Au cours des 20 mois qui ont suivi, j'ai été en mesure de présenter de nombreux rapports au ministre — rapports qui sont très secrets et que je ne peux pas mentionner.

Le sénateur Kinsella : L'alinéa 273.63(2)b) porte sur les plaintes. Dans votre déclaration, vous avez mentionné que toutes les plaintes avaient été réglées de façon informelle. Pouvez-vous nous indiquer la nature de ces plaintes sans manquer à vos obligations relatives à la confidentialité?

M. Lamer : Je vais demander à ma directrice exécutive de répondre à votre question. Elle fait la première évaluation des plaintes que nous recevons.

Mme Joanne Weeks, directrice exécutive, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Honorables sénateurs, nous avons reçu un certain nombre de plaintes. Elles portaient sur divers sujets, allant de la conduite des activités du CST à des accusations farfelues de personnes qui croyaient que nous nous immiscions dans leurs pensées.

Heureusement, aucune de ces plaintes n'a nécessité la tenue d'une audience formelle, ce qui n'est guère surprenant puisque le mandat du CST est de recueillir des renseignements concernant des pays étrangers. Ce sont les destinataires de communications à l'étranger qui sont la cible de nos activités d'interception. Il est peu probable qu'une personne à l'étranger porte plainte.

Le sénateur Kinsella : Combien des plaintes que vous avez reçues émanaient de citoyens canadiens et combien, de résidents permanents? Dans la loi, la définition de « Canadien » inclut et les citoyens canadiens et les résidents permanents.

Mme Weeks : D'après ce dont je me souviens avec certitude, sénateur, aucune des plaintes que nous avons reçues n'a été déposée par un résident permanent. D'ailleurs, je souligne que nous n'avons pas reçu un grand nombre de plaintes de façon générale.

Le sénateur Kinsella : Pouvez-vous nous dire combien de plaintes vous avez reçues?

Mme Weeks : Depuis la création du Bureau, nous en avons reçu environ une douzaine.

Le sénateur Kinsella : Ont-elles toutes été déposées par des citoyens canadiens?

Mme Weeks : Oui.

Le sénateur Kinsella : Nous sommes saisis de la Loi antiterroriste conformément aux dispositions de ce texte législatif qui prévoit qu'il sera examiné par le Parlement. En outre, nos collègues de l'autre endroit effectuent également un tel examen. Or, une fois que nous aurons terminé nos travaux conformément à cet article, il ne sera plus nécessaire d'examiner à nouveau la Loi antiterroriste. Selon votre expérience, et considérant que votre bureau exerce une surveillance des activités opérationnelles en vertu de la Loi antiterroriste dans son ensemble, la loi devrait-elle être modifiée pour exiger un autre examen triennal ou quinquennal?

M. Lamer : Voulez-vous que je vous donne mon opinion?

Le sénateur Kinsella : Oui.

M. Lamer : C'est au Parlement qu'il appartient d'en décider. Il est bien avisé de prévoir un examen de ce type de texte législatif. En effet, la situation est en constante évolution. Je dois m'abstenir de révéler certains détails, mais le contexte évolue, et la loi doit refléter cette évolution.

Le sénateur Kinsella : D'après votre expérience, la définition de « communications privées » contenue dans l'article 183 du Code criminel est-elle adéquate compte tenu de la nature de votre travail? Le Parlement devrait-il se pencher sur cette définition des communications privées?

M. Lamer : Je ne crois pas que la définition de communications privées pose problème. On retrouve la même définition de communications privées dans la loi lorsqu'il s'agit de protéger la vie privée des Canadiens et d'instaurer un équilibre entre la protection de la vie privée et la collecte des renseignements de sécurité qui est nécessaire pour protéger la société canadienne. Cette définition de communications privées est à peu près similaire à celle contenue dans le Code criminel. En fait, le libellé de la définition qui se trouve dans la Loi antiterroriste est identique à celui de la définition que contient le Code criminel. C'est ce que nous voulons protéger, n'est-ce pas?

Le sénateur Kinsella : Pour ce qui est de la douzaine de plaintes que vous avez reçues, avez-vous constaté qu'elles reposent en partie sur les modes de communication, comme par exemple les nouvelles technologies tels les téléphones cellulaires ou le courrier électronique? Les plaintes font-elles référence à des personnes qui parlent au téléphone cellulaire dans la rue ou dans un café, par exemple?

Mme Weeks : Honorables sénateurs, je veux dissiper une fausse impression que j'ai peut-être créée selon laquelle les plaintes liées aux nouvelles technologies étaient des plaintes légitimes. En effet, il s'agissait dans la plupart des cas de personnes qui affirmaient avoir été capturées pour que des implants soient introduits dans leurs dents. D'autres plaintes portaient sur la conduite du CST comme employeur et, dans de tels cas, il existe d'autres recours juridiques qui n'exigent pas d'examen par le commissaire.

Aucune des plaintes que nous avons reçues ne concernait les nouvelles technologies, bien que l'examen des activités d'une organisation aussi avancée sur le plan technologique que l'est le CST comporte toujours des défis. En effet, le droit et la technologie n'évoluent pas toujours au même rythme.

Le sénateur Kinsella : L'exemple que vous avez évoqué au sujet des personnes qui affirment avoir reçu un implant dentaire retiendra sûrement l'attention de ceux qui suivent les travaux de notre comité. En effet, il s'agit non seulement d'atteinte à la vie privée mais également à la sécurité de ces personnes. Cette plainte était-elle fondée?

Mme Weeks : Non, sénateur, elle ne l'était pas.

Le sénateur Day : Je songe toujours à mon implant dentaire tout en me préparant à vous poser des questions.

J'aimerais poursuivre dans la même veine et aborder le sujet du pouvoir d'enquêter sur les plaintes qui est prévu dans la Loi antiterroriste. Madame Weeks, pouvez-vous nous donner des détails sur cette question. D'après vos propos, ces plaintes ne représentent qu'une petite partie de votre travail. Était-ce une bonne idée de conférer ce pouvoir supplémentaire au Bureau du Commissaire? Était-ce nécessaire, ou cela vous a-t-il détourné de votre tâche principale?

M. Lamer : Pour un commissaire relevant de la partie II de la Loi sur les enquêtes, il est extrêmement important d'être doté de tous les pouvoirs nécessaires pour traiter les plaintes de bonne foi relatives à des atteintes à la vie privée et pour prendre toutes les mesures implacables qui s'imposent et, finalement, pour en faire rapport au ministre de la Défense nationale et au procureur général. Aux termes de la loi, je relève de ces deux ministres à cet égard.

Il y a eu une année pendant laquelle aucun meurtre n'a été commis à Terre-Neuve-et-Labrador, pourtant, ce n'est pas une raison pour abroger l'article sur le meurtre. Il est très important que ce pouvoir soit contenu dans la loi, au besoin, et j'espère que ce besoin ne se fera jamais sentir. Il faut que ce pouvoir relève de la Loi sur les enquêtes.

Le sénateur Day : Ai-je raison de croire que ce pouvoir n'avait pas été conféré au commissaire avant l'adoption de la loi?

M. Lamer : C'est inexact. Il s'agissait d'un commissaire relevant de la partie II, qui pouvait, par conséquent, mener des enquêtes.

Le sénateur Day : La loi que nous examinons est-elle la première à conférer au commissaire le pouvoir d'enquêter sur les plaintes ou ces pouvoirs existaient-ils déjà auparavant?

M. Lamer : Non, ils existaient auparavant. Comme je l'ai dit, le poste qu'occupait mon prédécesseur avait été créé en vertu de la Loi sur les enquêtes. Lorsque je suis entré en fonctions, ce poste avait été recréé aux termes de la nouvelle loi, mais il comprenait les pouvoirs prévus à la Loi sur les enquêtes.

Le sénateur Day : La loi exige que le commissaire soit un juge surnuméraire ou un juge d'une cour supérieure à la retraite. Croyez-vous que ces restrictions relatives au titulaire du poste soient souhaitables?

M. Lamer : Le Parlement, faisant preuve d'une grande sagesse, a voulu que le commissaire soit un juge d'une cour supérieure. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas désigner un juge d'un tribunal autre qu'une cour supérieure. Je n'ai rien contre ces juges, d'ailleurs, j'ai même écrit de belles choses à leur sujet, comme vous le savez bien. Quoi qu'il en soit, c'est la décision du Parlement.

Le sénateur Day : Je comprends cela.

M. Lamer : Pour ce qui est des juges surnuméraires, toutefois, j'ai quelques réserves. En effet, un juge surnuméraire n'est pas un juge à part entière. Il s'agit plutôt d'un juge à temps plein mais qui ne travaille que la moitié du temps. On demande à un juge de participer à une activité de cette nature et il me semble que cela n'est pas la meilleure solution lorsqu'il s'agit de définir les exigences relatives au titulaire de la présidence d'une telle commission. On aurait pu exiger que le commissaire soit un membre du Barreau. Je suis membre du Barreau. On aurait pu exiger que soit désigné un juge à la retraite sans préciser qu'il doive être membre du Barreau. Il se trouve que j'ai décidé de redevenir membre du Barreau.

Le Parlement ne m'a pas demandé mon opinion, mais, s'il l'avait fait, j'aurais dit qu'il me semble préférable de nommer un juge à la retraite. Les juges surnuméraires siègent la moitié du temps. Or, la Loi sur les juges stipule que les juges doivent consacrer tout leur temps à leur devoir judiciaire. Ainsi, le fait pour un juge de consacrer une partie de son temps à des tâches comme celles du commissaire est incompatible avec la Loi sur les juges.

On se retrouverait alors avec un juge surnuméraire qui reçoit tout son salaire et qui assume les fonctions que j'occupe actuellement pour le salaire d'un adjoint judiciaire. Je n'ai rien contre cela, je ne suis pas fermement opposé à ce principe. Ce qui me préoccupe, c'est la possibilité qu'un juge puisse siéger six mois sur 12 seulement ou qu'il puisse obtenir un congé d'un an. C'est là où le bât blesse, selon moi. Mais c'est au Parlement, et non à moi, qu'il appartient d'en décider.

Le sénateur Day : Le commissaire pourrait-il aussi être désigné parmi les membres du Barreau qui n'ont pas été nommés juges, mais qui connaissent très bien les questions de sécurité et de renseignement?

M. Lamer : Non, le commissaire doit absolument avoir une formation juridique. Le commissaire a pour fonction de vérifier la légalité des activités et non leur efficacité. C'est la vérificatrice générale qui examine l'efficacité des activités et qui détermine si on a fait le meilleur usage possible de l'argent des contribuables, compte tenu du budget. Mon mandat indique clairement que je dois me pencher uniquement sur la légalité des activités. Par conséquent, le commissaire ne peut être un ingénieur, à moins qu'il ait fait des études de droit.

Le sénateur Day : Il y a des personnes qui ont ces deux formations.

M. Lamer : Je sais, mais on a combiné les deux disciplines d'étude. Il faut que le commissaire ait des antécédents en droit. Un éminent avocat pourrait très bien présider la commission. Si le Parlement me demandait mon opinion, je la lui donnerais. Mes fonctions consistent à suivre les activités du CST, je ne suis pas l'avocat du gouvernement.

Le sénateur Day : Nous avons reçu le mandat d'examiner la loi et de faire des recommandations.

M. Lamer : Vous m'avez posé une question et j'y réponds.

Le sénateur Day : C'est très bien, et je vous encourage à continuer de donner votre opinion sur une série de questions.

Le dernier point que je veux aborder avec vous concerne la coopération et la mise en commun d'information et de renseignements entre les divers organismes responsables de la sécurité et du renseignement au Canada. À plusieurs reprises, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a recommandé qu'il y ait davantage de coopération et d'échanges d'information entre ces organismes. En outre, le comité a estimé que les différents organismes responsables de ces questions ne devaient pas travailler de façon isolée. Pourtant, les mécanismes d'examen pour chacune de ces entités cloisonnées sont maintenus. Les fonctions du commissaire, c'est-à-dire les vôtres, consistent à examiner les activités de collecte du renseignement de sécurité au CST, mais pas ailleurs.

Selon d'autres témoins qui ont comparu devant nous, dès qu'une collaboration s'installe entre divers organismes de sécurité ou de renseignement, il faut créer une autre entité de surveillance. La ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a dit qu'il devrait s'agir d'un comité parlementaire de surveillance.

M. Lamer : J'ai lu ce document de travail.

Le sénateur Day : Le comité s'est réuni l'été dernier et a élaboré des recommandations que la ministre a acceptées.

M. Lamer : Il s'agit du comité Lee. J'ai témoigné devant le comité Lee.

Le sénateur Day : Je suis ravi de constater que vous avez lu ce document. Comme vous en avez pris connaissance, j'aimerais savoir ce que vous pensez des lacunes en matière de surveillance de ces activités de collaboration et en matière de partage des tâches entre les divers organismes canadiens responsables du renseignement de sécurité. Selon vous, ces tâches de surveillance pourraient-elles être assumées convenablement par un comité parlementaire? Faudrait- il plutôt mettre sur pied un comité distinct qui ne soit pas composé de parlementaires? Faudrait-il mettre sur pied un tel comité en plus du comité parlementaire?

M. Lamer : Vous m'avez posé deux questions. D'abord, vous m'avez demandé dans quelle mesure les organismes de surveillance échangent des informations. J'ai cru comprendre que les membres de mon équipe sont régulièrement en contact avec d'autres organismes de surveillance des agences responsables du renseignement de sécurité.

Le sénateur Day : Voulez-vous parler du CSARS, le comité de surveillance qui s'occupe du SCRS?

M. Lamer : Parmi ces organisations figurent le CSARS et le comité de surveillance de la GRC. Il y en a d'autres. Il y a trois semaines, tout le milieu du renseignement de sécurité s'est réuni, mis à part un intervenant qui s'est rendu au mauvais endroit.

Le sénateur Day : Il s'agissait de mauvais renseignements dans ce cas, je suppose.

M. Lamer : Votre deuxième question portait sur le comité parlementaire proposé par la vice-première ministre, Mme McLellan.

Je vais vous faire part de mon opinion personnelle, et je ne suis pas certain que tous la partagent. J'ai énormément de respect pour le Parlement. Le Parlement est le tribunal suprême de notre pays. La Cour suprême n'est pas le plus haut tribunal de notre pays. Le plus haut tribunal est le Parlement. C'est ce que j'ai toujours pensé.

J'ai toujours été très favorable à la surveillance exercée par les élus, c'est-à-dire la surveillance exercée par des entités comme celle que je préside à titre de commissaire, celle exercée par d'autres organismes comme le CSARS. J'approuve cette surveillance. Toutefois, il faut reconnaître que ce processus comporte des problèmes qui lui sont inhérents. Le Parlement devra se pencher très attentivement sur ces problèmes.

Certaines personnes n'ont pas apprécié la proposition de la vice-première ministre. D'autres l'ont accueillie favorablement. Je tiens d'une personne qui connaît très bien ce domaine que les renseignements très très confidentiels, même les renseignements qui ne sont que très secrets, ne peuvent être connus que d'un nombre très restreint de personnes sinon il risque d'y avoir une fuite, ce qui peut nuire très sérieusement à la sécurité ou aux intérêts du Canada.

Ce n'est pas seulement pour lutter contre le terrorisme qu'on recueille des renseignements de sécurité. Vous m'avez convoqué aujourd'hui pour parler de la Loi antiterroriste, mais les renseignements de sécurité sont également recueillis pour des raisons économiques ou politiques. Les pays sont comme des entreprises qui sont confrontées à des concurrents. Ainsi, une bonne partie des renseignements de sécurité n'ont rien à voir avec le terrorisme. Si le Parlement, dans toute sa sagesse, décide de mettre sur pied un comité parlementaire, alors je veux que le Parlement soit averti et qu'il soit réceptif aux traits particuliers qui caractérisent les organismes de renseignement de sécurité, dont chaque pays organisé et civilisé s'est doté.

C'est une opinion personnelle qui, je le répète, ne fait pas l'unanimité. Je ne suis pas contre l'idée. Vous avez une tâche difficile : vous devez trouver le bon équilibre entre la nécessité de protéger les renseignements et la nécessité de surveiller les organismes qui en sont responsables.

D'autres suggestions ont été mises de l'avant, mais je ne m'y attarderai pas. Je vais me contenter de répondre à votre question. Je vais laisser au Parlement le soin de décider si le comité de surveillance doit être composé de parlementaires ou non. Il est toujours possible de créer des niveaux multiples de surveillance.

Au bout du compte, je n'ai rien contre la création d'un comité parlementaire bien conçu. J'ai dit ouvertement que je serais favorable à un tel comité s'il était bien structuré.

Le sénateur Day : J'aimerais avoir un éclaircissement au sujet des réunions informelles des groupes de surveillance actuels. Serait-il préférable que ces réunions soient plus formelles et qu'elles soient inscrites dans la loi?

M. Lamer : Ce sont les membres de mon personnel qui participent à ces réunions. Avec votre permission, madame la présidente, et avec votre permission, sénateur Day, je vais demander à Mme Weeks de répondre à votre question.

Le sénateur Day : Madame Weeks, ce n'est pas vous qui avez raté la réunion?

Mme Weeks : Non.

Je voudrais insister sur le fait que les organismes de surveillance au Canada s'en tiennent à leur mandat. Nous ne nous ingérons pas dans les activités de surveillance d'un autre organisme. Ce serait inapproprié.

Les organismes de surveillance sont actuellement structurés en fonction d'entités dont ils sont responsables. Je crois que c'est tout à fait convenable. En effet, l'étendue et la complexité des activités de sécurité et de renseignement au Canada exigent une certaine spécialisation. Ainsi, il est très important de faire en sorte que chaque organisme de surveillance n'ait qu'un mandat relatif à une seule organisation.

Je crois qu'il ne devrait pas y avoir de dispositions législatives ou d'autres mécanismes qui encouragent les organismes de surveillance à communiquer entre eux. Nous devons être au courant les uns des autres, il faut que nous nous connaissions tous, dans une certaine mesure. En outre, c'est toujours utile de connaître les autres délégués canadiens lorsqu'on participe à des réunions internationales à l'étranger sinon on se sent ridicule.

De plus, une conférence internationale efficace réunit tous les organismes de surveillance tous les 18 ou 24 mois. Il y a des contacts informels qui se nouent entre les organismes de surveillance de différents pays grâce à ces réunions. Il ne s'agit pas ici d'un groupe compact qui est en contact constant.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Lamer, dans le rapport que vous avez déposé en avril 2005 et que j'ai lu, vous parlez à la page 3 de mécanismes de surveillance. Vous dites que la démarche la plus logique et la plus efficace consiste à établir un mécanisme de surveillance des activités de la GRC.

Nous avons entendu un certain nombre de témoins, y compris Mme Heafey, la présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, qui ont affirmé qu'il faudrait un mécanisme national de surveillance. D'après ce que je comprends de vos observations, vous soutenez qu'il doit y avoir un organisme distinct qui soit responsable de la GRC.

J'aimerais savoir si vous croyez toujours qu'il doit exister un organisme de surveillance distinct qui s'occupe de la GRC au lieu d'un organisme national de surveillance.

M. Lamer : La Commission Arar a pour objectif de parvenir à un équilibre adéquat qui soit dans le meilleur intérêt du Canada. Nous allons revenir sur cette question.

Mme Weeks vient de faire allusion aux différentes activités de collecte de renseignements de sécurité et aux objectifs de ces activités. Les caractéristiques des membres du personnel qui recueillent les renseignements sont aussi différentes car ces caractéristiques correspondent à la nature des tâches qui doivent être effectuées.

On peut opter pour toute sorte de solutions. Il pourrait s'agir d'une agence composée d'un grand nombre de personnes qui se pencheraient sur les différentes activités et sur les divers objectifs de la collecte de renseignements. Je ne suis pas en mesure d'entrer dans les détails. On regrouperait ainsi tout un assortiment de fonctions. Cet organisme de surveillance serait divisé en plusieurs directions qui seraient responsables de domaines d'activités très précis. Ce n'est pas tout le monde qui a les connaissances spécialisées que possèdent les membres de mon personnel. En effet, ils ont une expertise que l'on ne retrouve pas dans d'autres organismes, bien entendu. L'inverse est également vrai. En bref, c'est ce que j'avais à vous répondre.

Le sénateur Jaffer : Le sénateur Kinsella a abordé la question des plaintes. D'après ce que nous a dit Mme Weeks, vous avez reçu 12 plaintes. En tant que commissaire, vous êtes chargé de recevoir les plaintes portées contre le CST.

Je ne connais pas votre activité aussi bien que vous, mais je crois comprendre que si votre organisme faisait bien ce qu'il a à faire, les Canadiens ne sauraient pas que leurs conversations ou leurs courriels sont interceptés. Se pourrait-il que le faible nombre des plaintes tienne au fait que les gens ne savent pas que leurs conversations sont interceptées et qu'ils n'ont donc pas de raison de porter plainte?

Mme Weeks : Nous n'avons guère parlé des plaintes entre nous, car nous n'en avons pas reçu beaucoup. Le mandat du CST, c'est le renseignement à l'étranger. Le CST ne vise absolument pas les Canadiens.

L'interception de communications étrangères ne donne pas lieu à des plaintes au sens où nous entendons la procédure de plaintes au Canada. Ce n'est pas une interception ciblée. Les plaintes n'ont rien à voir avec une éventuelle volonté, de la part du CST, d'intercepter des communications entre Canadiens.

Le sénateur Jaffer : Merci de cette précision. Que voulez-vous dire quand vous dites qu'il ne s'agit pas d'une « interception ciblée »?

Mme Weeks : Une interception est ciblée lorsque le CST dirige son interception vers une cible étrangère, une communication étrangère, à l'extérieur du Canada et, par conséquent, hors de la compétence des tribunaux canadiens.

Le sénateur Jaffer : On a parlé du ciblage de certaines communautés. Est-ce que vous affirmez que le CST ne s'intéresse pas à certaines communautés?

M. Lamer : Absolument pas. Dans mon exposé liminaire, j'ai insisté sur le fait que nous ne nous préoccupons pas des étrangers qui se trouvent au Canada. Nous avons parlé de citoyens canadiens et d'immigrants reçus. Cependant, il faut même aller plus loin que cela : le CST ne vise jamais une personne qui se trouve au Canada.

La cible est une cible étrangère, située hors du Canada. Néanmoins, dans mon exposé, j'ai fait référence à des communications à destination ou en provenance de la cible étrangère, ce qui limite l'exposition du CST aux plaintes. Après tout, si l'entité étrangère découvre l'activité du CST, elle ne viendra pas s'en plaindre à moi au Canada. Peut-être portera-t-elle plainte auprès des Affaires extérieures ou du gouvernement du Canada, je ne sais pas. En tout cas, elle ne va pas s'adresser au commissaire du CST ni s'en plaindre à moi.

Par conséquent, comme le CST n'est pas exposé à des plaintes, celles-ci sont très peu nombreuses. Il n'y a pas eu de ce que j'appellerais de véritables plaintes. Certaines personnes se sont plaintes, mais il s'est avéré que leur démarche n'a jamais abouti à une véritable « plainte ». C'était une plainte au sens de la langue populaire, mais pas au sens juridique du mot.

Le sénateur Jaffer : Si le CST intercepte les communications d'une personne qui se trouve dans notre pays, qu'il s'agisse d'un réfugié, d'un immigrant reçu ou d'un citoyen canadien, est-ce que cette personne est informée ultérieurement de l'interception?

M. Lamer : Ce serait illégal. N'importe qui peut agir illégalement sans le révéler, même toutes les personnes qui sont ici. Le CST n'agit pas illégalement; s'il le faisait et que je le découvre, l'auteur de l'action illégale aurait affaire à moi.

Mme Weeks : Vous pensez, je suppose, à l'interception d'une communication par des moyens techniques de pointe. Ce n'est pas de cette façon que l'on procède au CST.

Il s'agit de communications étrangères qui nous parviennent par lot entier et sur lesquelles on effectue des recherches en utilisant des mots clés. Si nous tombons dans certaines circonstances sur une communication canadienne ou privée, elle sera traitée de façon uniforme conformément aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n'est jamais question d'intercepter la communication téléphonique d'une personne en particulier. De ce point de vue, les interceptions ne sont pas chirurgicales. Cela ne veut pas dire que la personne en sera informée, mais il ne s'agit pas d'interception chirurgicale.

Dans le cas où une autorisation ministérielle est émise, le CST est tenu, lorsqu'il intercepte la partie étrangère d'une communication, de l'analyser à la lumière des quatre conditions fixées par la loi; il doit également considérer le caractère essentiel de la communication du point de vue de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sécurité. Si tous ces critères sont respectés, le CST peut alors retenir la communication, ce qu'il fait dans de très rares circonstances.

Le sénateur Jaffer : Comme la personne dont les communications sont interceptées n'en est pas avertie, elle n'a aucune possibilité de porter plainte, n'est-ce pas?

Mme Weeks : Il n'y a pas d'interception, sénateur, de la partie canadienne de la communication. C'est la partie étrangère qui est interceptée. Une autorisation ministérielle s'applique dans le cas d'une communication en provenance ou à destination du Canada, dont l'élément étranger est intercepté.

Le sénateur Fraser : Pouvez-vous nous dire combien d'autorisations ministérielles ont été émises? Pouvez-vous nous en donner une idée approximative?

M. Lamer : Nous avons reçu 23 autorisations ministérielles entre janvier 2002 et le 31 mars 2005. Sur ces 23 autorisations, huit ont été révisées, deux sont en cours de révision, neuf vont être révisées et quatre sont toujours actives.

Le sénateur Fraser : Comment la procédure s'applique-t-elle? Le ministre peut, dans le seul but d'obtenir de l'information étrangère, autoriser le CST à intercepter des communications privées. Cela veut-il dire que si le CST est fondé de croire à l'existence de communications entre une personne qui se trouve en France et une autre qui se trouve à Vancouver, il devra s'adresser au ministre et demander l'autorisation de les écouter? Comment cela se passe-t-il? Sur quoi porte l'autorisation et à quelle étape intervient-elle?

M. Lamer : Ce type d'autorisation ministérielle a pour objet de permettre au CST de recueillir de l'information étrangère lorsque des communications privées risquent d'être interceptées.

Le sénateur Fraser : Le CST détermine qu'il s'agit d'un domaine relevant de sa compétence — lorsqu'il se pourrait que l'une des personnes se trouve au Canada?

M. Lamer : Je ne peux pas entrer dans les détails, mais c'est de cette façon que des communications sont interceptées.

Les communications constituent un domaine extrêmement complexe, dont le niveau de complexité augmente chaque semaine. C'est comme mon nouveau four à micro-ondes — j'aurais préféré que ma femme n'en change pas; j'essaie encore de m'habituer.

Je ne suis pas autorisé à parler des activités du CST, pas plus que ne l'était M. Coulter lorsqu'on lui a posé la question ici ou au comité de la Chambre des communes. J'ai regardé la séance sur CPAC. Je peux simplement vous dire que le sujet est extrêmement complexe. Quant à la façon dont on procède, il est impossible de prévoir qu'il y aura une communication privée dans un sens ou dans l'autre. La cible est toujours l'élément étranger.

Le sénateur Fraser : Je m'en rends bien compte. Mais vous devez vous rendre compte de nos difficultés. Nous avons reçu une mesure législative et nous essayons de voir ce qu'elle donne en pratique.

Permettez-moi d'aborder le problème d'un point de vue légèrement différent. Êtes-vous convaincu que la partie de la loi que nous devons étudier est satisfaisante dans sa forme actuelle? Devrait-on prendre davantage de précautions avant l'émission d'une autorisation ministérielle? Faudrait-il prendre davantage de précautions quant à l'information retenue en vertu des dispositions de la loi sur l'autorisation ministérielle? Pensez-vous que la loi soit parfaitement satisfaisante, ou y a-t-il des changements que nous pourrions utilement recommander?

M. Lamer : Nous sommes en train d'examiner la question. Mme Weeks peut vous donner une réponse, car c'est précisément ce dont elle s'occupe. Nous en sommes aux considérations techniques, et je suis l'homme de loi.

Le sénateur Fraser : C'est pourquoi j'ai posé une question sur la façon dont la loi est rédigée. Évidemment, c'est la façon technique dont elle s'applique qui finit par faire du bruit.

M. Lamer : Il y a interaction entre les deux éléments.

Mme Weeks : Permettez-moi d'ajouter, honorables sénateurs, qu'il y a trois éléments à considérer simultanément : les autorisations ministérielles, la technologie et la loi. Comme l'a mentionné le commissaire dans son exposé, les autorisations ministérielles sont une nouveauté. Nous gagnons quotidiennement de l'expérience à leur sujet. L'apparition des autorisations ministérielles a constitué une amélioration considérable par rapport à la situation de 2002.

Le droit évolue à son propre rythme, alors que la technologie file à toute allure. Ce qui peut être actuellement considéré comme légal au sens strict ne le sera plus dans cinq ans lorsque nous aurons de nouveaux moyens technologiques pour filtrer les communications privées, par exemple.

On peut dire que dans l'état actuel des autorisations ministérielles, du droit et de la technologie, l'équilibre entre les trois est assez bon. Mais la situation évolue constamment. Le Bureau du commissaire devra s'en préoccuper de plus en plus au cours des mois et des années à venir.

Il est impossible de dire qu'en ce moment précis, tout est en parfait équilibre, car ce ne sera jamais le cas, j'en ai bien peur.

Le sénateur Fraser : Nous le comprenons parfaitement. Cette loi devra sans doute être révisée en temps utile. Dans trois ans, il nous appartiendra de nous demander s'il convient de revenir en arrière et de réviser cette disposition. Si je comprends bien, vous dites que vous n'êtes pas encore prêt à faire des recommandations sur d'éventuels changements à apporter à la loi, ni même à dire s'il faut y apporter des changements.

M. Lamer : C'est exact. Pour les raisons que je viens de vous soumettre, je ne suis pas actuellement en mesure de dire que les nouveaux moyens technologiques qui feront leur apparition d'ici une semaine vont créer un problème juridique. Si cela se produit, je présenterai un rapport au ministre qui le transmettra au Parlement par les canaux habituels.

Mme Weeks me rappelle que je dois non seulement faire part des problèmes juridiques au ministre, mais que je dois également lui proposer parfois des solutions juridiques, qui ne nécessitent pas toujours une intervention par la voie législative. Il faut parfois aborder le problème d'une façon différente. Je ne peux pas vous décrire en détail la façon dont les choses doivent se passer.

Le sénateur Fraser : Nous comprenons les difficultés auxquelles vous êtes confrontés.

Lorsque vous aurez terminé la révision de cet élément, je vous serais reconnaissante de nous faire part des éléments de vos conclusions qui pourraient nous être utiles lorsque nous allons réviser cette mesure législative.

M. Lamer : Oui, bien sûr.

La présidente : Merci. Nous allons continuer à suivre l'évolution de la situation au fil de nos audiences.

Le sénateur Smith : Je n'ai pas beaucoup travaillé sur ce sujet. Je suis pour ainsi dire un nouveau venu au Sénat, mais il se trouve que je suis également avocat. Je n'ai aucune idée de la taille de votre organisme ni de l'importance de vos effectifs. J'aimerais les connaître. Il me semble avoir entendu dire que la fonction principale du CST, c'est le renseignement à l'étranger. Mais j'ai aussi entendu dire que vous vous occupez des plaintes et vous avez dit, je crois, que vous en aviez reçu douze depuis 1996, ce qui donne une moyenne d'une plainte et quart par an. Vous intervenez également à propos des autorisations ministérielles; il y en a eu 23 au cours des trois dernières années, dont huit sont toujours en cours de révision. Vous considérez par ailleurs les mesures législatives qui soulèvent des questions quant à la légalité en matière de sécurité et de protection des renseignements personnels, et c'est ce qui vous amène ici aujourd'hui.

Je suis tout à fait en faveur du respect des règles de procédure dans un souci de rentabilité. Quel est le pourcentage du temps de travail que votre personnel consacre au renseignement, à la révision de la législation, aux autorisations ministérielles et aux plaintes? Est-ce que j'ai oublié quelque chose? J'aimerais avoir une idée de votre domaine d'activité, dans la mesure où il ne vous est pas interdit d'en parler.

M. Lamer : Mme Weeks est mieux placée pour vous l'expliquer, car elle fait partie de mon personnel depuis plusieurs années.

Mme Weeks : Nous avons actuellement huit employés à plein temps, plus un groupe d'experts auquel nous pouvons faire appel selon le sujet de l'étude entreprise par le commissaire. Cette étude est plus ou moins complexe, car la législation l'est aussi. Le mandat du commissaire, tel qu'il est défini dans la loi, consiste à surveiller les activités du centre pour vérifier si elles sont bien conformes à la loi; par ailleurs, en réponse à une plainte, il doit faire enquête et informer le ministre et le procureur général du Canada de toute activité qui, à son avis, pourrait être illégale.

Les autorisations ministérielles sont la conséquence de l'activité principale de collecte de renseignements à l'étranger du CST. Nous surveillons ces activités en permanence. Le commissaire a un mandat spécifique concernant les autorisations ministérielles, mais le Bureau ne s'occupe pas exclusivement de surveillance du renseignement à l'étranger. Il a un plan de travail de trois ans qui est mis à jour en fonction des besoins et qui énonce un certain nombre de domaines à surveiller. Ces domaines n'ont absolument rien à voir avec les activités qui font l'objet d'autorisations ministérielles. Il s'agit de programmes ou de champs d'investigation spécifiques qui, de l'avis du commissaire, peuvent présenter un risque d'activité illégale ou d'atteinte à la vie privée des Canadiens. Cet élément est totalement distinct des plaintes et des activités qui font l'objet d'une autorisation ministérielle. C'est l'essentiel de nos activités.

Le sénateur Smith : Quel est le temps de travail consacré à chacune de ces fonctions? Les douze plaintes reçues depuis 1996 n'ont pas dû accaparer beaucoup de temps de travail.

Mme Weeks : Elles ont en accaparé très peu.

Le sénateur Smith : Il y a plus de 30 ans, je siégeais au Conseil municipal de Toronto et quelqu'un me poursuit en justice depuis cette époque. L'affaire s'est rendue jusqu'au plus haut niveau juridictionnel. Je n'ai jamais pris la peine de répondre aux accusations car de toute évidence, le plaignant n'est pas entièrement sain d'esprit. Est-ce que vous recevez beaucoup de plaintes de ce genre?

Mme Weeks : La majorité des plaintes sont du même ordre.

Le sénateur Smith : Certaines d'entre elles émanent peut-être du plaideur dont je vous parle.

Mme Weeks : Cependant, nous devons par courtoisie leur appliquer des règles précises. L'essentiel de notre temps est consacré à l'exécution du mandat du commissaire tel que le définit l'alinéa 273.63(1)a) :

De procéder à des examens concernant les activités du Centre pour en contrôler la légalité;

M. Lamer : Je dois aussi m'occuper des plaintes.

Le sénateur Smith : Ai-je oublié quelque chose?

M. Lamer : Oui, vous avez oublié mes comparutions devant votre comité et devant celui de la Chambre de communes mercredi dernier.

Le sénateur Smith : Nous vous en savons gré.

Peut-on dire que le projet de loi dont nous sommes saisis ne vous pose pas de problème important? L'orientation politique est une chose, la conformité avec la loi en est une autre.

M. Lamer : Comme je l'ai dit au début, c'est au Parlement de définir la politique, et quant à moi, j'appliquerai toutes les lois que vous adoptez. Je ne suis plus en mesure de me préoccuper de la constitutionnalité des lois ni de savoir si elles outrepassent les pouvoirs prévus dans la Constitution. J'applique toutes les lois que vous adoptez. Voilà mon mandat.

Cependant, du fait de l'évolution des procédures utilisées par le CST pour s'acquitter de son mandat, nous sommes en train d'étudier certains autres aspects de la loi. Je ne veux pas vous amener sur ce terrain, qui est d'ordre technique. Il y a certains aspects de la loi sur lesquels nous pourrions nous mettre d'accord quant au type de suggestions que nous pourrions faire, conformément à la proposition du sénateur Fraser, qui a été acceptée par la présidence, quitte à vous laisser prendre les décisions.

Le sénateur Smith : Il s'agit de masser dans le bon sens.

M. Lamer : Je peux vous donner un exemple. Il peut paraître anodin, mais pourquoi faire figurer une telle disposition si personne n'en a besoin? Je vais vous en donner lecture, à titre d'exemple.

Le sénateur Smith : Cela nous aiderait.

M. Lamer : Veuillez vous reporter au paragraphe 273.65(1).

Le ministre peut, dans le seul but d'obtenir des renseignements étrangers, autoriser par écrit le Centre de la sécurité des télécommunications à intercepter des communications privées liées à une activité ou une catégorie d'activités qu'il mentionne expressément.

Passons maintenant au 273.65(8).

Le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications est tenu de faire enquête sur les activités qui ont été exercées sous le régime d'une autorisation donnée en vertu du présent article pour en assurer la conformité; il rend compte de ses enquêtes annuellement au ministre.

Quand on utilise le même libellé dans la même disposition, la primauté du droit s'applique — inutile de vous l'expliquer, sénateur —; autrement dit, à moins qu'il ne soit très clair que le texte signifie autre chose ou qu'il serait absurde de lui donner le même sens, le sens reste le même.

Le sénateur Smith : D'accord.

M. Lamer : Êtes-vous d'accord avec cela?

Le sénateur Smith : Oui.

M. Lamer : Ce qui est dit à la disposition 273.65(1) est manifeste, à savoir que le ministre peut « ...autoriser par écrit le CST à intercepter des communications privées liées à une activité ou une catégorie d'activités qu'il mentionne expressément ».

À mon avis, ce dont il est question ici, ce sont les activités de la cible.

Si je me reporte ensuite au paragraphe 273.65(8), je vois que l'on dit : « ...est tenu de faire enquête sur les activités qui ont été exercées sous le régime d'une autorisation... ». Il serait absurde, dans les fonctions que j'occupe, de me limiter aux activités de la cible. Je dois faire enquête sur les activités du CST, pas de la cible. Peut-être que la cible surveille de son côté le CST, mais l'inverse est également vrai. Je surveille pour ma part le CST.

En invoquant toujours la règle de l'absurdité, si je donnais à « activités » le même sens, cela aurait pour conséquence que, en vertu du paragraphe 273.65(8), je surveillerais les activités du CST. Mais c'est inutile. Dans ce cas, pourquoi ne pas corriger le texte, puisque cela peut être fait aisément. Ce n'est qu'un exemple.

Laissez-moi vous en donner un autre. Reportons-nous à l'autorisation ministérielle. Voici ce que dit le paragraphe 273.65(2) :

Le ministre ne peut donner une autorisation que s'il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies...

Suivent les alinéas a), b), c) et d), que vous avez sans doute lus.

Voudriez-vous que je les lise?

Le sénateur Smith : Non. Disons plutôt que je les ai survolés, pour ma part.

M. Lamer : Vous savez sans doute qu'au Royaume-Uni, on a récemment discuté à la Chambre du seuil à imposer et on se demandait si le seuil devait être la croyance raisonnable et probable ou un soupçon raisonnable et probable.

Le sénateur Smith : Oui, j'en ai entendu parler.

M. Lamer : J'ai entendu un Britannique de Londres l'expliquer à la chaîne CPAC.

Dans la loi, on ne stipule pas le seuil à atteindre. Pourquoi ne pas le faire? Si on a des motifs raisonnables et probables de soupçonner quelque chose, que cela soit dit clairement noir sur blanc. S'il s'agit d'avoir des motifs raisonnables et probables de croire quelque chose, que cela soit dit également. Il s'agit là du seuil qu'utilise un juge traditionnellement avant d'émettre un mandat de perquisition ou un mandat d'arrestation, entre autres. On ne parle pas de « soupçon ». C'est peut-être une question de sémantique, mais peut-être pas non plus. En Angleterre, il ne s'est jamais agi d'une guerre de sémantique. La bataille a été chèrement disputée, et je crois que ce qui a gagné, en bout de piste, c'est le « soupçon ».

Lorsque le ministre doit exercer ses pouvoirs en vertu de cette disposition-là, il ne sait pas au départ s'il s'agit d'un soupçon ou d'une croyance. Mais il doit être persuadé de quelque chose. Or, l'élément qui le persuade dans un sens ne le persuade pas dans l'autre. Voilà pourquoi des précisions s'imposent. Et ce n'était là que deux exemples.

Si nous devions nous reporter à quelques-uns des paragraphes de la version française de la loi pour les comparer à la version anglaise, les deux versions étant officielles, puisqu'elles ont toutes deux force de loi, on constaterait qu'il y a des divergences, comme je l'ai mentionné dans mon rapport annuel. Ces divergences ne sont pas catastrophiques, comme je l'ai dit au départ, mais pourraient faire l'objet de rajustements et de révisions.

Voilà ce dont je parlais, sénateur.

Le sénateur Smith : Cela nous aide beaucoup.

Le sénateur Joyal : J'aimerais pousser un peu plus loin la discussion que vous avez eue avec le sénateur Smith. On a abordé de façon générale l'article du Code criminel portant sur la protection des citoyens dans le cadre de l'écoute téléphonique — après tout, c'est bien ce dont il s'agit, de l'écoute téléphonique.

M. Lamer : On parle plutôt d'interception aujourd'hui. On parlait d'écoute électronique en 1945.

Le sénateur Joyal : Replaçons la chose dans un contexte encore plus vaste. Il s'agit d'écouter les conversations et ce que se disent les gens.

M. Lamer : Ou lire des courriels.

Le sénateur Joyal : Ou lire des courriels, en effet, ce qui est considéré normalement comme étant un échange privé.

Lorsque le Code criminel estime que, pour le bien public, une autorisation doit être accordée à la police pour intervenir dans la vie privée d'un citoyen ou de n'importe qui, il y a une démarche à suivre, comme vous le savez bien, et comme vous l'avez interprété à plus d'une reprise dans le contexte de la Charte.

M. Lamer : Dans des opinions dissidentes.

Le sénateur Joyal : En effet. Ce qui me préoccupe, à la lecture de la disposition que vous venez de mentionner, c'est- à-dire le paragraphe 273.65(2), c'est que « le ministre ne peut donner une autorisation » et qu'il faut alors confronter cette disposition à l'autre qui mentionne expressément le ministre de la Défense nationale; si nous devons analyser la protection dont jouissent les citoyens en vertu du Code criminel par opposition à ce qui est prévu ici, devons-nous nous éloigner du Code criminel et établir un système d'exception lorsqu'il s'agit d'une communication entre quelqu'un au Canada et quelqu'un à l'étranger?

Dans ce contexte, la personne en question jouit-elle de la même protection ou celle-ci est-elle réduite? Comme vous l'avez expliqué vous-même, si vous demandez à un juge une autorisation en vue de faire de l'écoute électronique, comme vous l'avez bien cité, vous devez avoir des motifs raisonnables « de croire » ou, si l'autorisation est accordée, celle-ci doit être accordée pour une durée limitée.

M. Lamer : C'est pour une année.

Le sénateur Joyal : La personne peut présenter une nouvelle demande. Ainsi, elle peut jouir de la même protection que pour n'importe quel autre renseignement divulgué dont elle fait l'objet.

M. Lamer : C'est alors 90 jours.

Le sénateur Joyal : Si l'on regarde dans son contexte les éléments du Code criminel et si on compare cette façon de faire au système différent qui s'applique au ministre chargé de la sécurité et au ministre de la Défense nationale, quelles sont les différences caractéristiques, à votre avis? J'en appelle ici à votre connaissance du Code criminel.

M. Lamer : Voilà ce sur quoi nous nous pencherons à partir de jeudi. La différence, c'est que la Loi sur la Défense nationale prévoit une exclusion, et non pas une exemption, du Code criminel. J'ai entendu dire que le CST est soustraite à l'application de la partie VI. Le CST ne peut être considéré comme ayant commis un crime s'il répond aux critères énumérés à l'article 273.65.

Mais à mon avis, cela ne signifie pas que le CST en est soustrait. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec moi, et j'ai peut-être tort, comme je l'ai déjà été et comme j'entends parfois l'être à nouveau à l'avenir. La Constitution donne le droit d'avoir tort.

Voilà une précision qui devrait être apportée à la loi à cet égard. Certains affirment que l'on a soustrait le CST à l'application de la partie VI du Code criminel. Mais d'autres, comme moi, affirment plutôt que le CST n'a pas été soustrait à son application, mais qu'il est simplement exclu d'une partie de son application.

Il y a peut-être des justifications à ce qu'a fait le Parlement. D'une part, la partie VI du Code criminel traite de la perpétration de crimes, alors que la Loi sur la défense nationale traite de la collecte de renseignements touchant l'étranger. Peut-on justifier d'informer celui qui a communiqué avec la cible étrangère ou avec qui la cible étrangère a communiqué par un avis de 90 jours qu'il y a eu interception de communication? Après tout, ces enquêtes durent souvent plus de 90 jours. Les activités ne se comparent pas ici.

Selon le Code criminel, les événements dans le cadre d'un tribunal se déroulent habituellement dans un délai donné. Parfois, mais pas toujours, le recueil de renseignements se déroule sur une période beaucoup plus longue. Signaler à une personne qu'elle fait l'objet d'une interception dans ses communications privées pourrait perturber l'ensemble de l'opération.

Il existe une différence entre une opération policière et l'opération d'une instance de renseignement. C'est au Parlement de décider après avoir écouté les experts. Je ne suis pas un spécialiste des raisons techniques qui expliquent l'existence d'une différence. Il se peut fort bien qu'il existe des raisons techniques qui justifient pleinement l'établissement, par le Parlement, d'un régime différent pour le recueil de renseignements que pour l'enquête portant sur des infractions criminelles. C'est une décision qui relève des experts et du Parlement une fois qu'il aura entendu les raisons techniques présentées par les experts.

Sur le plan juridique, comme je l'ai dit, j'accepterai la loi que vous me confierez, et je verrai à ce qu'elle soit respectée.

Je ne suis pas la personne à qui il faut poser la question. Cette question doit être posée aux experts. M. Colter, ou la personne qui le remplacera à la fin juin — je crois qu'il part en juin — sera probablement en mesure, de même que ses experts, d'en discuter avec le comité approprié. Je soupçonne que vous devrez sans doute aborder le type de renseignement qui ne peut pas être rendu public en raison d'une autre de vos lois qui prévoit environ 14 années d'emprisonnement. C'est tout ce que je peux vous dire.

Le sénateur Joyal : La ligne est parfois très mince. Par exemple, dans le cas d'une communication entre une personne au Canada et une organisation terroriste qui a été énumérée par le ministre dans un article différent de la Loi antiterroriste, et lorsqu'il est clairement évident dans le cadre de la communication que la personne projette de commettre l'un des autres actes interdits au Canada, vous déciderez alors immédiatement s'il y a lieu de poursuivre cette personne ou non.

Autrement dit, la communication entre cette personne et l'organisation terroriste en question ne vise pas uniquement à accumuler de l'information sur l'organisation terroriste. Elle pourrait immédiatement entraîner, selon la décision prise par les autorités qui prennent connaissance de cette information, la décision de porter immédiatement des accusations contre cette personne.

C'est la raison pour laquelle la communication que vous interceptez ne vise pas uniquement à permettre de mieux comprendre les activités terroristes ou les projets terroristes. Elle peut directement donner lieu à la poursuite d'une personne au Canada.

Dans ce contexte, lorsqu'on lit le paragraphe 273.65(2), il doit exister une protection qui est prévue habituellement en vertu du Code criminel. En fait, selon l'alinéa 273.65(2)d) :

Il existe des mesures satisfaisantes pour protéger la vie privée des Canadiens et pour faire en sorte que les communications privées ne seront utilisées ou conservées que si elles sont essentielles aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité.

Autrement dit, vous avez un rôle à jouer pour ce qui est d'évaluer ces conversations et vous assurer de protéger la vie privée de la personne et que ces conversations sont essentielles. Le terme « essentiel » est très important. Il existe un lien direct entre la communication et l'objectif. C'est la raison pour laquelle j'ai soulevé la question.

Il me semble que vous avez deux objectifs en vertu de cette loi. Vous avez décrit le premier, qui est le recueil de renseignements, mais il est difficile de considérer qu'il s'agit uniquement de recueil de renseignements parce que cela peut immédiatement entraîner des accusations et des poursuites.

M. Lamer : Sénateur Joyal, vous avez raison lorsque vous dites que cela pourrait déboucher sur la constatation d'une infraction criminelle. Le paragraphe 273.65(1) se lit en partie comme suit : « Le ministre peut, dans le seul but d'obtenir des renseignements étrangers... » La définition de renseignements étrangers apporte d'autres précisions à cet égard.

Le sénateur Joyal : Elle se trouve à l'article 273.61.

M. Lamer : Lorsqu'il s'agit d'antiterrorisme, je peux comprendre votre argument, mais si on examine le mandat général du Centre de la sécurité des télécommunications, les renseignements étrangers signifient des renseignements à propos des capacités ou des intentions d'étrangers ou de groupes terroristes étrangers.

L'autre définition établit le Centre de la sécurité des télécommunications.

Mme Weeks : Sénateur Joyal, si vous me permettez de revenir un instant à la réponse que j'ai donnée au sénateur Jaffer, il ne s'agit pas d'une recherche précise de renseignements qui s'effectue en vertu d'un mandat à des fins de poursuite. Il s'agit d'une collecte volumineuse de renseignements, déclenchée par certains mots et messages clés. On ne peut pas par exemple identifier clairement l'interlocuteur qui se trouve à l'étranger et celui qui se trouve au Canada. Il faut alors faire une recherche et souvent on ne la fait pas; on ne la fait que si les quatre conditions sont réunies, y compris le critère de l'élément essentiel.

Là où vous avez tout à fait raison, c'est dans les cas où par un quelconque miracle, on déterminerait qu'une personne au Canada est en train de parler à Oussama Ben Laden, je peux vous renvoyer au principal mandat du CST qui est énoncé à l'article 273.64.

M. Lamer : Le mandat du CST ne se limite pas à celui d'une instance chargée de recueillir des renseignements pour lutter contre le terrorisme. Je vous lirai le paragraphe 273.64(1) :

Le mandat du Centre de la sécurité des télécommunications est le suivant :

acquérir et utiliser l'information provenant de l'infrastructure mondiale d'information dans le but de fournir des renseignements étrangers, en conformité avec les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement.

Ce n'est que depuis les événements du 11 septembre que tout le monde met l'accent sur ce rôle particulier du CST. Le CST joue un rôle politique ou commercial. J'en ai parlé plus tôt. Personne ne sera accusé de quoi que ce soit. Nous essayons simplement de déterminer comment nos concurrents voteront aux Nations Unies, peut-être. Ce mandat englobe toutes les activités qui constituent des priorités.

L'alinéa c) dit ceci :

fournir une assistance technique et opérationnelle aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité, dans l'exercice des fonctions que la loi leur confère.

Le sénateur Joyal : C'est tout?

M. Lamer : Lorsque le centre offre une aide technique et opérationnelle, il n'agit pas en tant qu'instance responsable mais en tant qu'agent chargé d'apporter de l'aide. Par conséquent, l'autorisation appropriée dont vous parlez est fournie par un juge de la Cour fédérale ou par tout autre juge si la GRC a besoin d'aide technique.

Je comprends l'argument que vous faites valoir, à savoir qu'une fois que vous avez porté atteinte à la vie privée d'une personne, cette personne devrait avoir doit aux mêmes mesures de protection que celles prévues à la partie VI. Cependant, la partie VI a été conçue pour les enquêtes portant sur des infractions criminelles. Le Centre de la sécurité des télécommunications n'a pas été établi à cette fin particulière. Il a été établi pour recueillir des renseignements étrangers. Il est fort possible qu'accessoirement, certains des renseignements obtenus de la cible étrangère donnent lieu à une enquête criminelle, mais cela serait secondaire. Ce n'est pas l'objectif visé.

Je comprends votre argument lorsque vous dites qu'il faut examiner la loi en fonction de ce que j'ai dit à propos de la non-application de la partie VI, ce qui est distinct de l'exemption de poursuites. Il existe deux lignes de pensée à ce sujet. C'est l'un des aspects dont nous discuterons lorsque nous tâcherons de vous aider à éclaircir la loi.

Le sénateur Joyal : C'est la raison pour laquelle nous sommes si heureux de vous voir occuper ce poste, compte tenu de vos antécédents et votre réputation en tant que conseiller juridique qui possède beaucoup d'expérience dans l'interprétation du Code criminel.

M. Lamer : Je constate qu'il existe un problème, et vous constatez qu'il existe un problème. J'ai dit que l'on pourrait peut-être y trouver une solution législative, similaire à ce dont le Parlement, dans sa sagesse, décidera.

Le sénateur Lynch-Staunton : En ce qui concerne ce recueil volumineux de renseignements dont a parlé Mme Weeks, combien de personnes participent à l'interception en même temps?

Mme Weeks : Comme il s'agit d'un renseignement opérationnel, je crois qu'il serait préférable d'adresser la question à M. Colter et au CST.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous ne pouvez pas nous le dire? Vous devez le savoir. Vous examinez ce qu'ils font donc vous devez savoir combien de personnes exécutent cette tâche.

M. Lamer : Nous savons beaucoup de choses.

Le sénateur Lynch-Staunton : S'agit-il d'une information confidentielle? Nous connaissons leur budget. Nous connaissons le nombre d'employés. Cependant, nous ne savons pas combien de personnes s'occupent en fait d'interception. Vous avez mentionné ce qu'ils font lorsqu'ils recueillent des renseignements en fonction de certains mots et messages clés. J'aimerais savoir s'ils travaillent 24 heures par jour à recueillir des millions de mots chaque jour. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Lamer : Je souscris à ce que dit Mme Weeks. C'est moi qui supervise leurs activités, mais c'est à lui qu'il appartient de décider de divulguer ou non le nombre d'interceptions.

Le sénateur Lynch-Staunton : Si nous lui posions la question, dirait-il que c'est secret?

J'aimerais savoir comment vous fonctionnez. Monsieur le commissaire, vous nous dites que vous vérifiez si l'activité en question est licite. Je voudrais savoir jusqu'à quel point vous allez et comment vous parvenez, avec huit personnes seulement, à vérifier l'activité en question jusqu'à être en mesure de pouvoir conclure maintenant que vous n'avez rien trouvé d'illégal.

M. Lamer : Pour commencer, je parlais des contrôles aléatoires. En second lieu, Mme Weeks a signalé que nous engagions des gens de l'extérieur. Il y a à l'interne six employés à plein temps, mais ils ne réunissent pas toutes les compétences nécessaires. En cas de besoin, nous engageons des contractuels pour procéder à un contrôle aléatoire en particulier.

Le sénateur Lynch-Staunton : Est-ce que vous étudiez la légalité de la chose a priori ou a posteriori?

M. Lamer : A posteriori.

Le sénateur Lynch-Staunton : De sorte qu'un acte illégal a pu avoir été commis, auquel cas ce serait trop tard.

M. Lamer : C'est comme la police.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je ne voulais pas dire que la police procède à des contrôles aléatoires.

M. Lamer : Mais si, et elle fait de son mieux. Ces contrôles sont effectués a posteriori. Il y en a d'autres qu'on fait pour ce genre d'activités qui pourraient déboucher sur la perpétration d'un délit.

Le sénateur Lynch-Staunton : Il est certain que nos services de renseignement ne sont pas exempts des mêmes faiblesses ou des mêmes péchés que les services de renseignement des autres pays où on n'hésite pas, si cela est jugé nécessaire, à se livrer à des activités qui pourraient être considérées comme à la limite de la légalité.

Votre commission, malgré toutes les bonnes intentions qui ont présidé à sa création et avec lesquelles vous la dirigez, ne saurait pour autant garantir que de telles activités n'ont pas lieu.

M. Lamer : Mon prédécesseur l'avait d'ailleurs dit dans l'un de ses rapports.

Le sénateur Lynch-Staunton : Et vous nous le confirmez ici?

M. Lamer : Oui. Il est impossible de vous donner la garantie qu'il n'y en a pas eu. Mais rien ne me permet d'affirmer qu'il y en a eues.

Le sénateur Lynch-Staunton : En effet, comment pourriez-vous en être sûr?

M. Lamer : Qui d'autre le pourrait?

Le sénateur Lynch-Staunton : Ces gens travaillent en secret et peut-être ne vous disent-ils pas tout. C'est la nature de la chose. C'est cela le renseignement. Ils ne vont pas nécessairement tout dire à ceux qui les dirigent. Je suis d'accord avec vous.

Mme Weeks : Ce ne sont pas des gens qu'on infiltre derrière les lignes ennemies sous couvert de l'obscurité. Ce sont des gens qui recueillent des renseignements de l'étranger. Nous avons examiné à fond leurs activités et leur échantillonnage est extrêmement efficace.

Ainsi, il y a quelques années, nous avions examiné les activités d'écoute du CST pendant tout un mois. Il nous a fallu un an pour revoir tout cela. Nous procédons à un échantillonnage très efficace qui nous permet de tirer des conclusions. Le commissaire l'a bien dit dans le rapport annuel de cette année-ci. Il a dit que, à en juger d'après les secteurs qu'il avait examinés, il pouvait donner l'assurance que dans les secteurs pour lesquels il y a un risque, il avait la conviction que les activités en question s'effectuaient dans le respect de la loi.

Peu importe l'examen auquel on se livre, qu'il s'agisse du vérificateur général ou du renseignement de sécurité, au bout du compte il faut toujours partir d'une présomption d'innocence. Tant et aussi longtemps qu'on n'a pas la preuve que quelqu'un a enfreint la loi, c'est la présomption d'innocence qui doit demeurer. Cela fait partie du rapport cordial, quoique pas vraiment intime, qui existe entre le bureau du commissaire et le CST.

Le sénateur Lynch-Staunton : La seule chose que je puisse vous dire, et que vous pouvez parfaitement réfuter, c'est que vous n'avez, pas plus qu'aucun organe de contrôle, aucun moyen de vérifier si un service de renseignement quelconque respecte bien la loi. La nature de la chose est que tout service de renseignement est là pour obtenir de l'information par tous les moyens possibles afin d'empêcher que ne soient commis des actes illégaux. Mais nous avons vu que parfois, des activités illégales étaient conduites pour pouvoir réunir ce genre d'information.

M. Lamer : Même la vérificatrice générale effectue des contrôles ponctuels. Elle ne peut pas dire qu'elle a contrôlé toutes les activités du gouvernement du Canada et qu'elle peut vous donner l'assurance que tout est kascher.

Le sénateur Lynch-Staunton : Elle ne l'a pas encore fait, pas plus d'ailleurs que ces prédécesseurs.

M. Lamer : Il faut donc procéder à des contrôles aléatoires, et il faut aussi une certaine dose de confiance.

Le sénateur Lynch-Staunton : Je pensais que vous me diriez que vous souhaiteriez avoir davantage d'effectifs et du matériel plus perfectionné pour pouvoir ainsi nous donner l'assurance que vos contrôles sont tels que nous aurions pour notre part à faire valoir avec moins d'insistance nos craintes lors de votre prochaine comparution. Vous semblez vous contenter de ces contrôles ponctuels, d'un effectif de six personnes plus deux éventuellement, en cas de besoin.

M. Lamer : Il arrive qu'il y en ait plus de deux.

Le sénateur Lynch-Staunton : Vous avez dit que vous en engagiez deux pour certains types de vérifications.

M. Lamer : C'était un cas récent.

Le sénateur Joyal : Je voudrais revenir à ce que vous disiez au début, monsieur Lamer, lorsque vous opposiez d'une part le respect de la vie privée et d'autre part le droit collectif à la sécurité pour notre société.

Il vous est arrivé à plusieurs reprises d'interpréter l'article 7 de la Charte, et il existe une doctrine du droit à la sécurité pour quiconque au Canada.

S'agissant du droit collectif à la sécurité, j'aurais une réserve. À ce titre, il est facile d'imposer des limites à la Charte des droits parce qu'il y aurait ainsi un droit supérieur, supérieur à la Charte, en l'occurrence ce droit collectif à la sécurité. Et en plus de ce droit, le Parlement pourrait alors prendre des mesures pour préserver ce droit collectif à la sécurité qui est supérieur à tous les autres.

Moi j'ai l'idée que les droits sont quelque chose d'individuel, et en particulier ceux que confère l'article 7. S'il faut limiter l'article 7, alors revenons à l'article 1. L'article 1 n'établit pas en tant que tel un droit à la sécurité collective. C'est un article à caractère général. Dès lors que nous postulons que la Charte ou la Constitution prévoit un droit collectif à la sécurité, cela sous-tend beaucoup de choses.

Certains témoins que nous avons entendus ont d'ailleurs utilisé cet argument. Pouvez-vous nous éclairer de la sagesse de l'interprétation que vous faites de la Charte en ce qui concerne les droits à la sécurité garantis par l'article 7?

M. Lamer : Je n'ai jamais eu à définir la sécurité de la personne en vertu de l'article 7.

Je voudrais vous répéter trois lignes de mon exposé. Il s'agit ici d'une part des droits et libertés démocratiques de l'individu, le droit à la vie privée, entre autres, et d'autre part du droit collectif à la sécurité pour la société. Mais ce n'est pas le mot « sécurité » dont parle l'article 7. Nous parlons ici de la Loi antiterroriste et le genre de sécurité qui est mise en danger par les activités terroristes. Vous me parlez de la Charte, mais je ne pense pas qu'il s'agisse de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne dans ce sens-là. Moi je parle de notre sécurité par rapport au terrorisme. L'une comme l'autre sont des valeurs essentielles d'une société libre et démocratique. Il peut y avoir des valeurs qui ne sont pas nécessairement enchâssées, mais on peut également présenter l'argument de l'article 1. La sécurité vis-à-vis du terrorisme peut être un argument qui pourra ou non avoir gain de cause devant les tribunaux en vertu de l'article 1. Mais je n'ai pas utilisé le mot « sécurité » au sens de l'article 7.

Le sénateur Joyal : Lorsque nous utilisons l'expression « droit collectif », nous pensons immédiatement aux droits garantis par la Charte comme le droit à l'éducation et le droit des peuples autochtones en tant que peuple. Vous avez beaucoup écrit sur la question.

M. Lamer : Nous avons une obligation collective à l'endroit de l'individu. La dichotomie entre les droits individuels et les droits collectifs induit parfois en erreur. Pour moi, la société est une créature de l'individu destinée à mieux protéger les droits individuels. La société est convenue de déléguer à des gens comme vous la responsabilité de protéger nos droits individuels. Ce n'est pas une question de droits collectifs. En d'autres termes, lorsqu'un État à des droits, cet État est fasciste.

Le sénateur Joyal : La disposition qui parle de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement impose au gouvernement de maintenir au sein de la société un niveau d'ordre et de paix suffisant pour que les droits individuels puissent s'y épanouir. C'est là une façon de voir les choses, plutôt que dans le contexte du droit collectif à la sécurité pour la société dans son ensemble qui permet au gouvernement de s'immiscer et de prendre des initiatives qui battent en brèche les droits individuels accordés par la Charte. Pour moi, il y a une certaine confusion entre l'expression « droit collectif à la sécurité » et le vocabulaire utilisé par la Cour suprême pour interpréter la Charte.

Le sénateur Jaffer : Je sais que nous sommes déjà au bout de notre temps, mais j'aurais trois questions techniques à poser. Je pourrais peut-être les soumettre par écrit et les réponses pourraient vous être transmises à vous, madame la présidente.

La présidente : Certainement.

Le sénateur Jaffer : Je vous remercie.

La présidente : Merci, commissaire Lamer, et merci à vous aussi madame Weeks. Comme je le disais au début, le Centre de la sécurité des télécommunications est entouré d'un certain mystère. Après nos discussions, le mystère demeure à peu près entier. Peut-être un jour tournera-t-on un film sur vos activités, monsieur le commissaire, et nous nous presserons tous pour aller le voir.

Je vous remercie d'être venu.

La séance est levée.


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