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Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 16 - Témoignages du 7 mars 2005 - Séance de l'après-midi


EDMONTON, le lundi 7 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 15 h 5 pour étudier la politique de sécurité nationale du Canada et pour en faire rapport.

Le sénateur Collin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Avant de commencer, honorables sénateurs, je voudrais dire encore une fois au nom du comité que nous adressons nos pensées et nos condoléances aux familles des victimes du récent meurtre de quatre agents de la GRC et à l'ensemble des membres de la GRC. Nos pensées les accompagnent tout au long de cette pénible épreuve.

Avec votre permission, j'aimerais vous présenter brièvement les membres du comité. À ma droite, au fond, le sénateur Michael Meighen, de l'Ontario. À sa gauche, le sénateur Norman Atkins, de l'Ontario.

J'ai ici, à mes côtés, le vice-président du comité, le sénateur Michael Forrestall, de la Nouvelle-Écosse, et au bout à gauche, c'est le sénateur Jim Munson de l'Ontario, et le sénateur Jane Cordy se joindra à nous tout à l'heure.

Chers collègues, nous accueillons parmi nous M. Tom Keating. Il enseigne les sciences politiques à l'Université de l'Alberta. C'est un expert de la politique étrangère et de la politique de défense du Canada; il s'intéresse notamment à l'aide humanitaire, aux organisations internationales, aux interventions internationales et à la souveraineté des États.

M. Keating étudie le multilatéralisme et la politique étrangère canadienne depuis des années et connaît parfaitement le rôle des Nations Unies, de l'OTAN et des autres instruments de la politique de défense.

Monsieur Keating, je crois que vous avez un bref exposé à nous présenter. Vous avez la parole.

M. Tom Keating, professeur, Département des sciences politiques, Université de l'Alberta : Merci beaucoup. Je voudrais tout d'abord remercier les membres du comité qui traversent le pays pour écouter les Canadiens. Je crois que c'est une démarche très importante et je voudrais aussi vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant vous cet après-midi.

Ce serait l'occasion d'aborder bien des sujets, mais j'ai jugé bon de commencer en commentant un aspect de la sécurité auquel les Canadiens se trouvent confrontés aujourd'hui; il s'agit de ce qu'on a fréquemment appelé les États défaillants et l'intervention de la communauté internationale auprès de ces États défaillants.

Comme vous le savez certainement, l'un des phénomènes les plus importants remarqués à la fin de la guerre froide a été l'augmentation de l'incidence des conflits intra-étatiques, qui mettent souvent des États en déroute ou qui résultent de l'existence d'États défaillants. Ces conflits ont tendance à cibler les civils et à faire intervenir des combattants qui n'appartiennent pas aux forces régulières.

Il est impressionnant de voir comment le Canada et les autres membres de la communauté internationale ont réagi à ces conflits par des interventions vigoureuses qui visaient à y mettre un terme, quitte à faire appel aux Nations Unies et aux autres organisations internationales pour qu'ils soutiennent ces interventions.

L'importance du problème des conflits intra-étatiques et des États défaillants ne s'est pas atténuée depuis le 11 septembre 2001. Au contraire, on peut faire un lien entre les conflits intra-étatiques qui ont engendré ces interventions armées et la menace mondiale que représente le terrorisme contemporain.

Les terroristes eux-mêmes tirent souvent partie des conflits non résolus et, comme on l'a vu dans l'attentat contre Air India, ils exportent leur ressentiment vers des rivages étrangers.

En tout état de cause, la menace des conflits intra-étatiques et des États défaillants s'est aggravée, car leur persistance devient l'une des sources sinon du terrorisme proprement dit, du moins de l'instabilité et de la criminalité qui permet aux cellules terroristes de se former et de se répandre.

Les États défaillants représentent non seulement une menace directe à la sécurité de l'humanité et à la stabilité des régions, mais de surcroît, ils offrent un théâtre d'intervention aux activités extrémistes.

La recherche d'un programme efficace qui ferait de ces États défaillants des agents durables de stabilité et de paix est une mission particulièrement ambitieuse. Cette mission est cependant vitale, compte tenu de l'instabilité créée par les conditions actuelles. C'est par ailleurs un domaine auquel les Canadiens ont été invités à contribuer.

Comme on l'a déjà signalé à ce comité, les conflits intra-étatiques qui prolifèrent actuellement à l'échelle mondiale ont tendance à prendre la forme de ce qu'on a souvent appelé des guerres tripartites, l'une des parties se consacrant au rétablissement de la société par la reconstruction des écoles, de l'approvisionnement en eau, et cetera. La deuxième partie tend à se consacrer aux désordres civils ou à des activités de police pour régler des conflits de propriété et des problèmes de ce genre. Souvent, la troisième partie provoque des événements plus ou moins analogues à des situations traditionnelles de combat de forte intensité.

Étant donné que ces interventions interviennent actuellement et que les États défaillants vont vraisemblablement rester l'une des principales sources d'instabilité au niveau international, il importe que les Canadiens se demandent si le Canada doit continuer à participer à de telles opérations — et dans quelles conditions.

Voilà qui, à mon avis, soulève un certain nombre de questions qui ont une incidence sur le type de réaction que le gouvernement pourrait adopter face à ces conflits intra-étatiques. J'aimerais attirer votre attention sur trois des questions auxquelles il convient de répondre pour déterminer la meilleure réaction que peut adopter le Canada face à la menace posée par les États défaillants et les conflits intra-étatiques.

Il y a tout d'abord la question du moment de l'intervention. Nous avons ici plusieurs options, notamment l'intervention dite préemptive, le rétablissement ou l'imposition de la paix en plein conflit, mais nous pouvons aussi nous limiter à la consolidation de la paix une fois le conflit terminé.

La deuxième question concerne le choix des alliés. Ici encore, nous avons plusieurs possibilités. Allons-nous intervenir à côté des États-Unis ou au sein d'une coalition de partenaires pour une même cause, ou plutôt limiter notre intervention à des opérations menées sous l'égide des Nations Unies ou d'une organisation régionale?

La troisième question, évidemment, consiste à savoir quelle devrait être la contribution du Canada à de telles opérations. Compte tenu de mes commentaires antérieurs sur la nature de ces conflits, de ces guerres dites tripartites, nous avons plusieurs possibilités : il peut s'agit des forces armées; d'une police civile; d'un certain nombre de travailleurs humanitaires; ou d'autorités civiles, comme des organisateurs d'élection.

Il me semble que chacune de ces questions obligent le gouvernement à faire différents compromis politiques en tenant compte à la fois de considérations intérieures et de considérations internationales.

Avant de terminer, j'aimerais ajouter que si le Canada décide, avec d'autres États, d'intervenir dans ces conflits intra-étatiques, il doit donner une réponse pluridimensionnelle axée sur le long terme.

Quant on intervient en réagissant à de tels conflits, il est impératif de reconnaître, compte tenu de ce à quoi on assiste presque quotidiennement en Irak, qu'il est aussi important de gagner la paix que de gagner la guerre. La paix est par ailleurs aussi — sinon plus — difficile à gagner que la guerre.

Il ne faut pas pour autant en déduire que face à ces crises et à ces conflits, le Canada et les Forces armées canadiennes n'ont pas leur rôle à jouer.

Au contraire, le major-général Nash, commandant de la 1re Division Blindée américaine en Bosnie a dit à propos du renforcement de la paix au milieu des années 90 : « Il n'y a pas de changement d'orientation de mission; il y a une mission. Dans un sens très concret, l'institution militaire doit aller au-delà du maintien de l'ordre et de la dissuasion; depuis des siècles, l'objectif des forces armées est de gagner les cœurs et les esprits dans la population civile. »

Je considère donc que le problème posé aux Forces armées canadiennes et au gouvernement canadien si ce dernier veut contribuer plus efficacement au renforcement de la paix face aux États défaillants ne concerne pas la compétence des Forces armées canadiennes; c'est plutôt un problème de capacité de contribution et de choix du moment où les forces armées devront être déployées.

Ainsi, même s'il faut s'interroger sur les besoins des Forces armées canadiennes dans l'éventualité où le Canada doit jouer un rôle efficace dans le renforcement de la paix, il est tout aussi essentiel, à mon avis, que le gouvernement étudie les exigences pluridimensionnelles à long terme du rétablissement de la paix avant de s'engager à jouer un rôle international ou d'y affecter ses forces armées.

Le sénateur Munson : Bon après-midi, professeur. Pour revenir sur ce que vous disiez au sujet des États non viables, qui prend la décision? Comment la décision est-elle prise et par qui? Et qu'est-ce qu'un État non viable? Quels sont les critères pour déterminer qu'un État est non viable?

Je sais que les pays membres des Nations Unies peuvent se réunir pour en discuter, mais à quel moment est-ce que cela se produit?

M. Keating : C'est une très bonne question, et une question très importante. Et comme nous l'avons constaté je pense lors du débat sur l'intervention en Irak, c'est une question à laquelle il devient de plus en plus difficile de répondre, car il y a différentes façons de déterminer qu'un État est non viable.

En un sens, on peut tout simplement constater la chute de l'infrastructure de l'État et de sa capacité de maintenir l'ordre civil dans une société en particulier. De plus en plus, cependant, je pense que nous commençons à imposer des normes aux États pour ce qui est de leur performance intérieure. Comme nous l'avons constaté dans le cas de l'Irak, on fait de plus en plus valoir que certains États n'ont pas réussi à respecter ces obligations, et que la communauté internationale doit réagir pour essentiellement les obliger à respecter ces normes.

Donc je pense qu'il est vitalement important de pouvoir déterminer qu'un État est non viable ou qu'un État se qualifie pour de telles interventions. Nous devons réfléchir aux normes que nous utiliserons pour prendre cette décision et également décider qui prendra cette décision, c'est-à-dire le Conseil de sécurité des Nations Unies ou nos alliés ou l'OTAN, ou encore d'autres États.

Le sénateur Munson : Lorsque je travaillais comme correspondant à l'étranger pour un réseau canadien, lorsque je travaillais pour un ancien premier ministre et aussi lorsque je couvrais la Colline du Parlement, on entendait constamment le mot « multilatéralisme ». Le multilatéralisme est en quelque sorte à la base de la politique étrangère canadienne; pourtant, il y a ces temps-ci des tensions entre notre pays et les États-Unis d'Amérique.

Que signifie le conflit du multilatéralisme pour nos rapports avec les États-Unis à l'heure actuelle, en ce sens que les États-Unis sont allés en Irak avec une petite coalition? Nous n'avons pas participé à cette guerre, et en même temps nous disions constamment qu'il fallait adopter une approche multilatérale, et pourtant, le président Bush était d'avis que les Nations Unies ne faisaient pas leur travail.

M. Keating : Exact.

Le sénateur Munson : Comment cela affecte-t-il nos relations avec les États-Unis à l'heure actuelle? Quels éléments de base doivent être mis en place si nous voulons à nouveau avoir des relations harmonieuses avec ce pays?

M. Keating : Je pense que manifestement cela complique énormément nos relations avec les États-Unis, de façon très importante, pour un certain nombre de raisons.

De toute évidence la relation bilatérale est très importante pour le Canada, et il est très important de maintenir de bonnes relations avec les États-Unis.

Cependant, à mon avis, il est tout aussi important que le Canada maintienne un degré de légitimité pour les organisations internationales et la primauté du droit international. Il est très important pour le Canada de faire en sorte que dans la mesure du possible les États-Unis appuient cette légitimité, appuient ces organisations et appuient le droit international.

Je pense que nous sommes maintenant à un point où les lois internationales ont toutes évolué assez rapidement dans certains domaines, dont celui de la question de l'intervention.

À certains égards, lorsque les États tentent de devancer la loi en faisant valoir qu'ils doivent intervenir pour défendre les droits de la personne ou d'autres préoccupations en considération, notamment dans le cas d'armements de destruction massive, il poussent en fait la limite de la légitimité du droit et de la légitimité des organisations à qui ils demandent d'intervenir.

Cela devient alors extrêmement difficile pour le Canada et pour d'autres États qui veulent défendre la légitimité de ces organisations, car je pense qu'il faut retenir ces États qui veulent intervenir de façon précoce et les empêcher de le faire jusqu'à ce qu'il y ait davantage de consensus au sujet d'une telle intervention.

La raison pour laquelle je pense que cela devient si important — et les Américains, j'espère, le découvriront — c'est que, comme nous le constatons dans la situation d'après-guerre en Irak, la nécessité d'avoir un consensus international pour appuyer le processus de consolidation de la paix est absolument essentiel pour faire en sorte que ces États défaillants et ces régions puissent un jour être des sources de paix stables, et il faut pour cela un appui multilatéral. Ce n'est pas quelque chose qu'il est possible de faire unilatéralement, et il faut essentiellement le soutien institutionnel.

J'espère que les Canadiens, dans leurs activités diplomatiques, continueront d'encourager les Américains à être attentifs à la nécessité d'avoir cette légitimité internationale et de mettre de l'espoir dans ce que je considère comme étant la nécessité sous-jacente de coopération multilatérale, si l'on veut assurer la stabilité de ces régions.

Le sénateur Munson : À la lumière de ce que vous venez de dire, comment à votre avis la politique étrangère et la politique de défense du Canada devrait-elle évoluer?

Vous dites que le Canada doit encourager les États-Unis d'Amérique, mais comment les Forces canadiennes devraient-elles changer pour atteindre cet objectif?

M. Keating : Je pense que nous constatons qu'il y a des pratiques constructives, notamment avec ce qui se passe en Afghanistan aujourd'hui, et avec la contribution des Forces canadiennes pour tenter de restaurer la stabilité, l'ordre et la paix en Afghanistan.

Je pense que ce qui s'est produit jusqu'à présent en ce qui concerne notre contribution pour ce pays démontre bien qu'il est nécessaire d'améliorer la capacité. Il faut améliorer la capacité simplement pour pouvoir maintenir notre engagement, car pour que l'édification de la paix soit efficace et pour que notre contribution à l'édification de la paix soit efficace, nous devons être en mesure de maintenir notre contribution à long terme.

Ce n'est pas quelque chose que l'on peut faire pendant six mois pour ensuite se retirer et penser que tout ira bien; c'est quelque chose qui exigera une rotation régulière des forces à long terme. Donc, je pense que nous devons nous assurer que les forces armées ont la capacité de le faire.

Une autre chose qui, à mon avis, est absolument essentielle, c'est qu'il faut tenter d'intégrer les forces armées aux autres aspects des activités diplomatiques canadiennes et aux activités de développement de ce qu'on appelle l'approche en trois dimensions pour l'Afghanistan et qui, à mon avis, constitue un bon modèle que l'on devrait continuer à développer.

Comme je l'ai mentionné, avec cette idée de la guerre à trois volets, le processus d'édification de la paix comporte différents éléments qui doivent tous être mis en place en même temps si l'on veut reconstruire ces sociétés. Pour faire tout cela de façon constructive, il faudra une très bonne coopération entre ces divers éléments qui peuvent contribuer efficacement aux différents aspects de la reconstruction après le conflit.

Le sénateur Munson : Avons-nous vraiment un rôle à jouer sur la scène internationale? Est-ce que nous avons vraiment de l'influence sur qui que ce soit?

M. Keating : Je pense que nous avons de l'influence sur le terrain, et c'est à mon avis vitalement important. Cela peut devenir le fondement d'une influence plus importante sur tout le système, à long terme. C'est pour cette raison qu'à mon avis l'appauvrissement de nos ressources et les ressources que nous avons engagées pour notre politique étrangère au cours des 10 à 15 dernières années ont atteint un point où, si cela continue, nous n'aurons à mon avis plus de rôle à jouer.

Je crois cependant qu'il est toujours possible d'empêcher que cela ne se produise, mais il faudra pour cela investir dans notre politique étrangère au sens large du terme : dans nos forces armées, oui, mais aussi dans notre personnel diplomatique, dans notre développement et dans nos budgets.

Il faudra réinvestir, mais je pense que ce nouvel investissement pourra rapporter. Nous ne jouerons plus jamais le rôle que nous avons joué dans les années 40 ou 50. Il y a tout simplement trop d'autres intervenants, et trop de choses à faire. Je ne pense que nous puissions nous attendre jouer le rôle que nous avons joué dans les années 40 ou 50 alors que nous étions l'un des intervenants les plus importants dans la communauté internationale; cependant, je pense que nous pouvons jouer un rôle plus important.

Il faudra peut-être nous concentrer un peu plus sur les domaines dont nous nous occupons et je pense que c'en est un où nous pouvons obtenir des résultats, vu la qualité de notre travail sur le terrain, mais il faudra pour cela réinvestir des moyens considérables dans notre politique étrangère, prise au sens large.

Le sénateur Meighen : Je veux approfondir une question soulevée par le sénateur Munson et à laquelle vous avez répondu : l'importance de gagner la paix et, si je vous ai bien compris, de la manière de faire intervenir la communauté internationale.

Le premier ministre Mulroney a réussi à convaincre le président Bush à obtenir l'appui de l'ONU lors de la première guerre du Golfe. Le premier ministre Chrétien n'y est pas parvenu et Bush fils est allé de l'avant sans le feu vert de l'ONU.

Pour le meilleur ou pour le pire, sous le régime d'un nouveau président à Washington, cela sera sans doute la tendance générale. À aucun moment, je ne l'ai entendu dire : « Je suis d'accord avec vous et désormais je n'irai pas de l'avant sans l'appui de la communauté internationale pour essayer de gagner la paix ».

Vu les difficultés que connaissent les Américains en Irak, peut-on conclure que la prochaine fois — si, Dieu nous en préserve, il y a une prochaine fois — ils accorderont plus d'importance à la nécessité d'obtenir l'appui des autres pays? Y a-t-il quelque chose que l'on puisse faire pour les y encourager?

M. Keating : Il est difficile de deviner s'ils voudront obtenir de plus larges appuis internationaux en faveur de leur activité. On parle des États-Unis.

Ils envoient de petits signes, comme le voyage récent du président en Europe, et selon l'évolution de la situation en Irak, il faudra un jour ou l'autre — sans doute prochainement — obtenir de plus larges appuis de la communauté internationale en faveur des activités des États-Unis là-bas, à moins que les choses changent du tout au tout d'ici peu.

Je pense qu'il y aura davantage de pressions sur les États-Unis en ce sens de la Grande-Bretagne, et d'autres pays, parce que l'on se rend compte combien sont essentiels au succès de cette opération l'appui de la communauté internationale et sa plus grande participation; essentiels sur le plan pratique parce qu'il faut des moyens supplémentaires et sur le plan politique pour légitimer l'effort d'après-guerre en Irak.

Malheureusement, il faudra peut-être que la situation se détériore davantage ou que l'administration américaine éprouve encore plus de difficulté dans son action unilatérale ou au sein de petites coalitions; c'est peut-être ce genre de choses qui ferons tourner le vent. Mais les États-unis reconnaîtront peut-être plus tôt que l'on a besoin de ce genre d'appui, surtout si leurs proches alliés ou les proches partisans de la coalition exercent des pressions.

Quant à savoir ce que le Canada peut faire, il peut sans doute continuer à apporter sa contribution là où il le fait déjà, comme en Afghanistan, montrer qu'il est prêt à participer à un effort international légitime de restauration de la paix et de la stabilité. C'est ainsi que nous pouvons commencer à redorer notre blason au lieu de nous liguer à eux malgré notre désaccord fondamental, comme nous le faisons souvent. Nous pouvons leur montrer que lorsque les choses sont faites comme il se doit, organisées grâce à une plus grande coopération internationale et à un consensus élargi, ils pourront compter sur nos ressources matérielles et notre appui politique pour que cela marche.

Il me semble que cela aidera à restaurer la crédibilité et à leur montrer que le jour où ils voudront réintégrer les instances multilatérales, il y aura des pays comme le Canada qui seront à la fois désireux et capables de les aider.

Comme vous l'avez dit aussi, je crois, si l'on veut jouer ce rôle au mieux de nos capacités, il faudra augmenter de manière non négligeable notre investissement dans nos efforts diplomatiques et militaires.

Peut-être suis-je en train de vous demander comment nous devrions faire notre travail, mais notre groupe est particulièrement sensible à la perte de nos quatre soldats en Afghanistan.

D'après tous les échos que j'ai eus, nous nous sommes, je crois, très bien acquittés de notre tâche en Afghanistan et dans le Golfe. Pourtant, à en croire les sondages d'opinion, sauf dans quelques régions isolées, les avis ne sont pas davantage favorables à l'augmentation des dépenses, en tout cas en ce qui concerne l'Armée.

Personnellement, je pense que les politiques doivent prendre le taureau par les cornes et dire : « Nous sommes élus pour défendre les intérêts de la nation tels que nous les concevons. Nous sommes élus pour diriger. Voici ce que nous comptons faire », puis agir.

Si vous attendez que l'opinion soit de votre avis, armez-vous de patience. On a déjà trop attendu, vu la cadence opérationnelle de nos forces armées d'aujourd'hui, qui sont déjà débordées.

M. Keating : Je suis d'accord et cela est d'autant plus difficile en raison de la menace obscure et indirecte de ces situations pour le Canada.

Il importe pour la sécurité du Canada de lutter contre l'instabilité dans des pays comme l'Afghanistan et des pays du Proche Orient ou de l'Afrique centrale. Il y va de l'intérêt du Canada. Je vois bien toutefois que pour la population en général, le lien est beaucoup plus difficile à établir qu'il ne l'était pendant la guerre froide, par exemple. Je pense qu'il revient davantage aux politiques de prendre les décisions et de rallier la population même si elle regimbe.

Il est vraiment décevant de voir combien on a désargenté notre politique étrangère à une période où le pays est plus riche que jamais il ne l'a été dans son histoire.

Il faut renverser la vapeur — c'est peut-être une question de leadership politique, mais nous avons tous aussi à faire un travail de pédagogie — montrer qu'il est important d'investir dans notre politique étrangère et dans la communauté internationale si nous voulons changer quoi que ce soit.

Le sénateur Meighen : Vous avez parlé d'accroître notre effort diplomatique et autres, mais je ne vous ai pas entendu parler du « renseignement ». Est-ce parce que vous estimez que l'activité relative au renseignement n'est pas particulièrement importante ou bien parce qu'elle fait partie de ce que vous appelez « l'action diplomatique », en ce sens que vous souscrivez à l'idée — je ne veux pas vous prêter des propos — que nous devons renforcer notre capacité de collecte du renseignements pour combler les lacunes causées par l'absence de matériel ou de personnel militaire?

M. Keating : Je suis d'accord, mais je ne suis pas spécialiste du renseignement et je ne sais pas si je me hasarderais à dire où exactement il faut investir, mais je suis convaincu que c'est un domaine où il faut investir.

Il y a quantité de raisons à cela. D'abord, dans l'immédiat, pour lutter contre le terrorisme et d'autres problèmes de ce genre, mais aussi pour décider, comme je l'ai déjà dit, où et quand intervenir.

Il nous faut un meilleur mécanisme de recension des crises mondiales et des endroits où nous pouvons compter pour quelque chose. Le renseignement, pour moi, c'est aussi cela, et c'est ce dont le Canada a besoin.

Peut-être peut-on le faire en collaboration avec d'autres; c'est possible parce qu'une partie du travail sert l'intérêt général de la communauté internationale, à laquelle nous appartenons. Une autre partie nous intéresse plus particulièrement et nous voudrons sûrement en conserver la mainmise.

Oui, investir dans le renseignement fait partie des investissements dont j'ai parlés, mais je n'irais pas beaucoup plus loin parce que vous avez entendu d'autres témoins mieux informés que moi.

Le sénateur Atkins : L'ancien ambassadeur à l'ONU a comparu devant nous et nous a dit que certaines propositions et réformes allaient être rendues publiques à l'automne. Dans quelle mesure l'ONU est-elle importante pour nous, quel rôle devrions-nous y jouer et quelle influence y avons-nous?

M. Keating : L'ONU continue d'avoir de l'importance pour notre politique étrangère et pour la communauté internationale dans son ensemble. C'est le seul lieu où puisse se créer un véritable consensus international. Cela reste le seul organe où toute la communauté internationale est représentée, ce qui lui permet de légitimiser des mesures comme des interventions, qui sont de plus en plus nécessaires ou courantes dans le monde. J'estime donc que la légitimité que peut offrir ou qu'offre parfois l'ONU a toujours un poids considérable.

Il y a toutefois un grand nombre de problèmes qui perdurent à l'ONU, à commencer par le dossier du Conseil de sécurité. Beaucoup estiment que le Conseil de sécurité est trop largement dominé par les puissances occidentales, notamment les États-Unis, et c'est pourquoi il faut envisager une réforme en profondeur de l'organisation si l'on veut qu'elle conserve sa légitimité dans l'avenir.

Quant au degré d'influence dont le Canada jouit à l'ONU, je pense que notre pays se repose encore sur ses lauriers et il bénéficie sans doute d'un peu plus d'influence là qu'ailleurs, comme à l'OTAN, où ses lauriers sont depuis longtemps flétris et où il n'exerce sans doute plus l'influence qu'il avait.

Le Canada a encore des chances de maintenir son influence à l'ONU, mais il doit avoir une vision plus modeste de ses capacités et admettre qu'il doit collaborer davantage avec les autres États s'il veut avancer dans un sens plus favorable à son point de vue.

Le sénateur Atkins : Est-ce que c'est la voie de la facilité pour nous de mettre de temps en temps l'ONU sur la sellette?

M. Keating : Trop souvent, oui, et c'est une façon de ne pas avoir à exiger davantage de l'ONU. Je crois que cela s'explique en partie par notre propre incertitude ou notre propre incapacité à lui consacrer tout ce que nous voudrions, et c'est aussi en partie à cause de l'importance que nous accordons au consensus, une question qu'il faudrait régler.

Nous sommes à la croisée des chemins. Les lois changent et les pratiques internationales changent aussi. C'est pourquoi je pense qu'il y a sans doute davantage d'appuis en faveur de certains de ces changements. Par exemple, on appuie davantage l'idée d'intervenir pour protéger et défendre les droits de la personne; des réserves subsistent parce que beaucoup d'États craignent de voir débarquer les Américains ou une poignée de puissances impériales.

Ce qu'il faut à ce moment-ci, c'est encourager les États qui éprouvent ces réserves à travailler dans une organisation comme l'ONU et à intervenir de façon constructive et légitime en faveur des droits de la personne de manière à régler les conflits intra-étatiques et à apaiser les désordres civils. Cela ne signifie pas être foulé au pied par une puissance impériale ou se livrer à la merci des soldats américains ou d'autres nationalités.

Les Nations Unies sont un forum — bien que ce ne soit pas le seul — au sein duquel ont peut essayer de dégager un consensus de manière à faire entériner un principe comme « la responsabilité de protéger », principe proposé par le Canada au cours des dernières années. En agissant de façon plus constructive à l'intérieur des Nations Unies, on pourra peut-être gagner plus d'adhésion à de telles pratiques.

Le sénateur Atkins : À votre avis, les États membres de l'ONU estiment-ils que le Canada joue le rôle qui lui revient?

M. Keating : J'hésite à répondre à cette question. Nous sommes probablement perçus comme un État relativement militant, mais dont les capacités déclinent et qui retient de moins en moins l'attention.

Je peux difficilement me prononcer sur la perception qu'on a de nous, mais je crois qu'elle n'est pas aussi favorable qu'elle l'était il y a une vingtaine d'années environ.

Le sénateur Atkins : Passons à un autre sujet. Maintenant que le gouvernement a pris position sur le bouclier antimissile, d'une façon qui n'est pas parfaitement claire à mon avis...

Le sénateur Meighen : C'est sa position aujourd'hui.

Le sénateur Atkins : Oui, en effet.

Quelles seront les répercussions de cette prise de position sur nos rapports avec les États-Unis? Seront-elles graves ou s'agira-t-il d'un froid passager?

M. Keating : Je pense que ce sera passager. Je ne suis pas aussi au fait de ce processus que je devrais l'être ou peut- être que d'autres le sont.

Ce qui me frappe, c'est que dans beaucoup de ces dossiers, le problème tient autant au processus suivi qu'à la décision qui en résulte; dans certains cas, la façon dont on communique les décisions suscite plus de réactions négatives que les décisions elles-mêmes.

Je pense que c'était le cas, du moins en partie, de la décision de ne pas participer à la guerre en Irak et, plus j'en apprends sur la question du bouclier antimissile, plus je crois que le même phénomène a joué : la façon dont les Américains ont été informés de la décision du Canada a peut-être engendré autant de mécontentement que la décision proprement dite.

Cette décision n'était pas en contradiction avec les pratiques passées du gouvernement canadien, si bien qu'elle n'a pas dû surprendre exagérément les Américains. Rien ne laissait entendre que nous allions faire autre chose. Si nous leur avons laissé entendre que nous ferions autre chose ou si nous avons trop tardé à les informer de notre position, cela peut avoir suscité du mécontentement.

Je trouve intéressante la façon dont les groupes à l'intérieur des États-Unis utilisent cette décision du Canada, mais je crois que ces réactions seront passagères.

Le sénateur Atkins : Mais est-ce de notre faute?

M. Keating : Non. Nous n'y pouvons rien. À mon avis, ils feront flèche de tout bois pour poursuivre les débats dans l'arène politique américaine et, au sens général, cela...

Le sénateur Atkins : Même si cela crée un milieu quelque peu hostile au Canada?

M. Keating : Oui, si c'est dans leur intérêt de le faire. Du reste, c'est ce qui s'est passé dans d'autres dossiers par le passé : je pense à la question des magazines et à d'autres dossiers où des intérêts américains alimentent une hostilité envers le Canada dans leur sphère respective afin de protéger leurs intérêts politiques.

N'oublions pas que les Canadiens font de même à l'occasion. Ni le Canada, ni les États-Unis ne sont tout à fait surpris de ces réactions.

Le sénateur Atkins : Pourquoi les Américains ne percevraient-ils pas le Canada comme un intermédiaire efficace dans la mise en œuvre de leur politique étrangère?

Les Canadiens qui voyagent dans d'autres pays, peu importe lesquels, sont toujours très favorablement perçus par rapport aux Américains. Pourquoi les Américains ne profiteraient-ils pas de cela, même si nos décisions relatives à l'Irak ou au bouclier antimissile leur déplaisent?

M. Keating : Je crois qu'ils sont peu enclins à faire appel à des intermédiaires dans beaucoup de domaines. Leur attitude est souvent quelque peu plus dogmatique, et ils ne sont pas toujours prêts à faire des compromis. C'est cela qui pose problème depuis longtemps.

Rappelez-vous comment Lester B. Pearson a été traité lorsqu'il a essayé de résoudre la guerre de Corée dans les années 1950. Ce qui me frappe, c'est que...

Le sénateur Atkins : À l'époque où Brian Mulroney était premier ministre, je crois que le président Ronald Reagan a fait appel à lui à titre d'intermédiaire à certaines occasions, avec succès.

M. Keating : Cela arrive de temps à autre, et c'est arrivé à l'époque de la guerre du Vietnam, où Paul Martin père a joué un rôle de l'intermédiaire en quelque sorte.

Cela arrive donc effectivement, mais pour cela il faut à mon avis que le gouvernement américain veuille faire appel à un intermédiaire pour régler certains problèmes. D'où l'un des différends que nous connaissons actuellement. Le gouvernement américain semble peu enclin à se servir d'intermédiaires dans certains cas. C'est ce que nous observons dans le cas de la Corée et je pense aussi dans le cas de l'Irak.

Le sénateur Atkins : Et les questions relatives à l'environnement?

M. Keating : Dans beaucoup de dossiers, ils ne semblent pas vouloir procéder de cette façon. À mon avis, cela ne les intéresse guère.

Cette attitude ne s'applique pas seulement au Canada; les Américains ne semblent pas vouloir faire appel à qui que ce soit pour jouer un rôle d'intermédiaire en ce moment.

Le sénateur Atkins : En ce qui concerne le bouclier antimissile, croyez-vous que ce sont des conséquences passagères de nos rapports avec les États-Unis?

M. Keating : C'est mon avis.

Le sénateur Atkins : D'autres événements se présenteront qui —

M. Keating : C'est ce que je crois, à la lumière de l'expérience passée.

Le président : Monsieur Keating, quel intérêt le Canada a-t-il à traiter avec les États en déroute? Comment justifier au citoyen ordinaire que nous dépensions ainsi notre argent et que nous envoyions nos jeunes dans des régions dangereuses? Qu'avons-nous à faire dans une ville comme Kaboul?

M. Keating : Si ces États en déroute méritent notre attention, c'est qu'ils peuvent devenir un terreau fertile pour la criminalité internationale. Ils risquent d'être des pépinières de terroristes. Ces pays contribuent à l'instabilité régionale, qui a des conséquences tant économiques que politiques pour le Canada, que ce soit simplement sur le plan des déplacements et du tourisme ou sur celui des investissements importants et des relations commerciales.

Enfin, d'une façon plus large, ces pays risquent de miner la paix et la stabilité internationales, selon leur emplacement stratégique. Le Canada ne ressentira peut-être pas immédiatement les effets de cette instabilité, mais il s'en ressentira à plus long terme de différentes façons : les coûts économiques grimperont, le nombre de réfugiés et de personnes déplacées s'accroîtra et les attentats terroristes et autres crimes risquent de se multiplier à l'échelle internationale.

Le président : Croyez-vous que ces questions sont au premier rang des préoccupations des Canadiens?

M. Keating : Non.

Le président : Que pensez-vous de l'imposition des normes occidentales à certains de ces États? Nous ventons les mérites de la démocratie dans des parties du monde qui n'ont jamais connu la démocratie et dont les sociétés partagent une culture qui remonte à des milliers d'années?

Avons-nous le droit d'exporter nos normes?

M. Keating : Je dirais que non, mais ce n'est pas une raison pour ne pas intervenir. C'est cependant une raison, à mon avis, pour remettre le pouvoir aux autorités locales dès que possible et faire participer la communauté locale le plus possible et sans tarder à l'édification de la paix.

J'estime en particulier que nous ne devrions pas imposer nos normes à ces pays sur les questions politiques touchant la nature de leur gouvernement ou la procédure électorale, par exemple.

En revanche, je crois que nous avons intérêt à appliquer de grands principes humanitaires en assurant l'ordre et la protection des populations civiles. À mon avis, ce n'est pas-là une norme occidentale ni une norme canadienne, mais bien un principe humanitaire général qui justifie dans bien des cas de telles interventions.

Le président : Mais s'il s'agit d'une dictature et que cela nous déplaît, jusqu'où devons-nous aller?

Nous pourrions en tant que Canadiens dresser la liste des chefs d'État dont nous désapprouvons les méthodes — il y en aurait des dizaines —, mais en vertu de quels critères pouvons-nous déterminer qu'il s'agit d'un État en déroute et qu'il faut intervenir?

M. Keating : C'est évidemment une zone grise. Il n'y a pas de critère bien tranché, mais personnellement, j'estime que la situation qui avait cours en Irak en janvier 2003 ne justifiait pas une intervention fondée sur l'idée d'un État en déroute. En revanche, c'était bien le cas au Rwanda au printemps 1994, malgré le fait qu'il y avait encore dans ce pays un gouvernement au pouvoir, qui tolérait des actes d'une grande brutalité envers ses propres citoyens. Dans ce cas, l'intervention aurait été justifiée.

À mon avis, dans le premier cas, l'intervention n'était pas justifiée alors qu'elle l'était très clairement dans le deuxième; mais entre ces deux extrêmes, il y a une zone grise. Par exemple, le cas d'Haïti.

Le sénateur Meighen : Et le Soudan?

M. Keating : Le cas du Soudan est compliqué. Je ne suis pas persuadé qu'une intervention armée aurait été justifiée, mais nous aurions pu et pourrions intervenir autrement au Soudan.

Le sénateur Meighen : Pour vous, c'est chose du passé?

M. Keating : Je suis désolé, je ne voulais pas parler au passé. Une intervention quelconque serait encore justifiée.

Le président : On a beaucoup parlé du Rwanda à cause du général Dallaire. Si ce n'était de lui, la plupart des Canadiens ne sauraient rien de ce qui s'est passé au Rwanda.

C'est un cas classique où l'ONU s'est engagée à intervenir sans vraiment le faire, et n'avait pas les ressources nécessaires ni la capacité de se les procurer. Que faire dans ce cas?

On peut bien définir les critères qui nous permettront de déterminer si un État est en déroute ou non, mais si on n'a pas les ressources pour intervenir auprès de cet État en déroute, qu'arrive-t-il? Ces deux conditions doivent être réunies.

M. Keating : Effectivement.

Le président : Comment y arriver?

M. Keating : Depuis 1994, l'attitude des Nations Unies a quelque peu évolué. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, c'est la Belgique et les États-Unis qui ont essayé d'empêcher les Nations Unies d'intervenir au Rwanda et de mettre fin au massacre de civils dans ce pays.

Voilà pourquoi il faut favoriser cette évolution et édifier un consensus international qui nous permettra de déterminer où, quand et comment nous interviendrons. Nous devons contribuer au débat parce qu'il faut répondre à plusieurs questions. Quelle est la situation sur le terrain et justifie-t-elle une intervention? L'intervention envisagée sera- t-elle efficace? Permettra-t-elle d'atteindre l'objectif souhaité? En plus d'être rapide, l'intervention doit favoriser l'enclenchement d'un processus de paix à plus longue échéance dans ces sociétés.

Toutes les interventions ne porteront pas fruit et encore une fois, c'est une question de jugement. Il appartient à chaque gouvernement de décider s'il interviendra ou non, s'il mettra en jeu la vie de ses soldats, de ses travailleurs humanitaires ou d'autres intervenants qui pourraient être envoyés à ces endroits. C'est une décision qui revient aussi à la communauté internationale.

Je ne pense pas que ce soit-là un art raffiné; je pense que dans la communauté internationale, la meilleure façon de réagir aux événements évolue constamment.

Le président : Ce n'est certainement pas un art raffiné, mais en ce qui concerne les intérêts du Canada, faisons-nous ce qu'il faut alors que nous semblons éparpiller nos très petites ressources dans des dizaines et des dizaines de pays? Devrions-nous plutôt faire un choix, nous concentrer sur un plus petit nombre de pays de sorte que lorsque nous intervenons, nous puissions le faire avec davantage de force, avoir ainsi un plus grand impact et tenter de fournir davantage de ressources en défense et en aide étrangère?

M. Keating : J'aurais plutôt tendance à pencher pour la deuxième option. Il est sans doute plus efficace d'utiliser nos ressources si elles ont un plus grand impact, étant donné le nombre excessif de demandes qui existent.

Le président : Cela signifie qu'il faudrait dire non à beaucoup de gens.

M. Keating : Cela signifie qu'il faudrait dire non, et en fait, cela signifierait peut-être aussi une meilleure coordination à l'échelle internationale entre les États qui sont en mesure de faire une contribution dans différentes régions, de façon à travailler soit là où le besoin est le plus grand, soit là où notre contribution peut être la plus efficace pour restaurer la stabilité, parce qu'on serait alors en mesure de passer au pays suivant après avoir atteint un certain succès et une certaine stabilité.

Ce que l'on constate de plus en plus aux Nations Unies, c'est que bon nombre des petites interventions ont tendance à se poursuivre indéfiniment ou à redevenir nécessaires, et c'est à ce moment-là que les forces internationales doivent intervenir de nouveau, comme cela a été le cas en Haïti.

En Haïti, en 1995, il aurait peut-être été plus efficace d'intervenir de façon à mettre en place une structure de paix, d'ordre et de stabilité durable à plus long terme, car la contribution internationale a été plus limitée, plus ponctuelle, et n'a jamais vraiment été complète.

Le président : De l'Alaska à la Colombie-Britannique jusque dans les pays d'Europe de l'Est, quels problèmes de gouvernance anticipez-vous avec l'élargissement de l'OTAN? Croyez-vous que l'unanimité, ou plutôt le consensus qui correspond à l'unanimité là-bas, sera un outil efficace, ou envisagez-vous une nouvelle forme de gouvernance avec un cadre intérieur et un cadre extérieur ou un autre mécanisme pour s'éloigner de notre processus décisionnel par consensus?

M. Keating : Eh bien, j'espère que nous garderons le processus décisionnel par consensus ou que nous adopterons un processus décisionnel par consensus, parce que je pense que nous aurions une plus grande légitimité si nous pouvions garder ce processus au sein de l'OTAN élargi.

Le président : L'unanimité sur toutes les questions?

M. Keating : Oui. Peut-être pas sur toutes les questions absolument. Je sais que c'est ainsi que l'OTAN fonctionne à l'heure actuelle.

Le président : Ce sont les règles à l'heure actuelle.

M. Keating : Ce sont les règles à l'heure actuelle, et idéalement ces règles devraient être maintenues.

Elles devraient être maintenues, je pense, parce qu'elles nous donnent l'occasion de vraiment élargir la légitimité de l'institution de façon à ce qu'elle devienne une entité plus constructive pour faire face à ce que l'on appelait auparavant les problèmes hors zone, tout en ayant une présence plus efficace pour réagir aux situations dans des endroits comme l'Afghanistan et d'autres pays dans le monde. Sinon, il me semble que l'OTAN perdra une certaine légitimité et une certaine crédibilité pour ce qui est de refléter le point de vue de tous les pays membres.

L'un des aspects inquiétants de l'intervention de l'OTAN en Irak est le fait que la coalition a été constituée à partir de différents éléments de l'OTAN. On n'a jamais laissé entendre qu'il s'agissait là d'une opération de l'OTAN, mais à l'origine cela aurait pu commencer comme une opération de l'OTAN; cela n'a pas été le cas, manifestement. Je pense que le fait que certains États aient participé à l'opération américaine et d'autres pas pourrait miner la légitimité de l'organisation comme agent efficace d'intervention dans différentes régions du monde.

Le président : Alors, vous ne voyez pas cela comme une coalition des pays volontaires avec une structure de commandement efficace à laquelle les pays pourraient adhérer ou dont ils pourraient s'exclure en fonction de leur intérêt national?

M. Keating : Non. Je ne voudrais pas que les membres choisissent d'adhérer ou de se retirer selon qu'ils appuient ou non l'intervention.

Le président : C'est exactement ainsi que cela se passe à l'heure actuelle.

M. Keating : Parlez-vous des membres de la coalition actuelle?

Le président : Eh bien, à l'heure actuelle en Afghanistan, on a les avantages d'une structure de commandement et la capacité de prendre des décisions, mais certains pays ont choisi d'adhérer et d'autres ont préféré s'abstenir.

M. Keating : Mais pas sur le plan politique.

Le président : Non, pas sur le plan politique, mais en termes de troupes sur le terrain.

M. Keating : Oui, c'est vrai pour ce qui est des troupes. Mais à mon avis, c'est moins important qu'un appui politique, car le fait de ne pas avoir de troupes sur le terrain veut dire que ce pays est peut-être en mesure de répondre à une autre situation ailleurs où les pays membres ne seraient pas tous appelés à participer. On peut avoir moins de pays qui contribuent tout en maintenant la cohésion politique.

Le président : Au nom du comité, monsieur, je vous remercie beaucoup. Votre témoignage a été très instructif pour nous. Vous avez touché à des questions que nous n'avions pas suffisamment explorées et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir partager vos opinions avec nous.

Nos prochains témoins sont de Cold Lake. Le colonel Sullivan est commandant de la 4e Escadre et de la base de Cold Lake. Il est entré dans les Forces canadiennes en 1979 et il est pilote de chasse de formation. Il a occupé un certain nombre de postes de commandement et d'état-major en Allemagne, à Ottawa, à Winnipeg et à Cold Lake. Il était commandant du détachement de CF-18 à Aviano, en Italie, qui a participé à la campagne aérienne au Kosovo en 1998.

Le colonel Sullivan est diplômé du Royal Air Force Command and Staff College de Bracknell, en Angleterre, où il a suivi un cours d'études militaires avancées, et du Collège des Forces canadiennes, où il a suivi un cours sur la sécurité nationale.

Il est accompagné du colonel Werny, qui est commandant du Centre d'essais techniques (Aérospatiale) de Cold Lake depuis juillet 1998. Il est pilote d'hélicoptère de profession et a reçu son brevet de pilote en 1975. Il a occupé des postes de commandement et d'état-major en Allemagne, à Winnipeg, à Gagetown et au Moyen-Orient. Il a commandé le contingent canadien de la Force multinationale et Observateurs à El Gorah, en Égypte, de 1996 à 1997.

Il a suivi une formation militaire professionnelle au Collège de commandement et d'état-major des forces terrestres canadiennes et au Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Le colonel C.S. Sullivan, commandant, 4e Escadre, Cold Lake, Défense nationale : Monsieur le président, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, c'est pour moi un plaisir d'être ici aujourd'hui, ainsi qu'un privilège et un honneur de vous faire part de mes opinions et de mes perspectives sur la 4e Escadre et sur la Base des Forces canadiennes Cold Lake.

Permettez-moi de dire tout d'abord que la BFC Cold Lake est une opération militaire qui a beaucoup de succès. Nous avons une longue et riche histoire qui remonte jusqu'en 1954, et l'an dernier, nous avons célébré le 50e anniversaire de la base.

En 1953, le gouvernement fédéral a signé une entente avec les provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan pour obtenir une parcelle de terre d'environ 120 milles nautiques sur 40 milles nautiques pour en faire un polygone de tir aérien. Cela reste la raison d'être de la 4e Escadre et de nos opérations de chasse. Le polygone de tir de Cold Lake — mieux connu sous le sigle CLAWR — et la base de Cold Lake ont évolué jusqu'à devenir une installation considérée comme étant l'une des meilleures en son genre dans le monde.

La 4e escadre est la seule base des forces aériennes en Alberta et le principal employeur dans le nord-est de l'Alberta. L'escadre et la base constituent une vaste opération militaire diversifiée composée de 13 unités de la taille d'un escadron, qui sont sous mon commandement et mon contrôle en tant que commandant d'escadre, et de 11 unités hébergées, que j'appuie en tant que commandant de la base.

La base compte environ 1 700 militaires et 430 employés civils. En comptant les membres de nos familles, notre population militaire est de 5 300 personnes, pour une population régionale totale de militaires et de civils qui s'élève tout juste à un peu moins de 12 000 personnes. La BFC Cold Lake représente 46 p. 100 de la population locale, ce qui est un privilège unique pour notre communauté militaire.

Cold Lake a l'une des opérations de vol les plus importantes et les plus occupées des Forces canadiennes, avec quatre escadrons de chasseurs, un escadron d'hélicoptères d'appui-protection, une installation d'essai technique ainsi que la présence continue de proches amis et alliés, qui viennent en formation à Cold Lake à l'année longue.

Les deux escadrons d'appui technique de CF-18 de la 4e Escadre sont des unités expéditionnaires aptes à être déployées n'importe où dans le monde en quelques jours pour appuyer l'OTAN, les opérations de paix de l'ONU et les opérations de contingences mondiales. Au jour le jour, des éléments de ces deux unités se maintiennent à un haut niveau de préparation et de cote d'alerte pour défendre la souveraineté aérienne nationale et nord-américaine, pour assurer la défense du territoire et respecter les engagements du Canada au sein du NORAD. Chaque escadron de chasse tactique a un tableau d'effectifs et de dotation de 13 chasseurs CF-18 et d'environ 170 employés. Il convient de signaler que les chasseurs CF-18 des escadrons tactiques de la 4e escadre viennent de terminer la première des trois phases d'un programme de modernisation qui nous a permis de rehausser notre flotte de CF-18 parmi les forces de chasse les plus modernes et les plus capables dans le monde. Le programme de modernisation des CF-18 a été un immense succès et a dépassé toutes nos attentes.

Le 3e escadron de CF-18 de la 4e Escadre est une unité d'entraînement opérationnel qui a un tableau d'effectifs et de dotation de 22 aéronefs et d'environ 220 employés opérationnels et de soutien. L'escadron forme de 30 à 40 pilotes de chasse par année et offre également le Cours d'instructeur — Armement de chasseurs. En outre, l'escadron effectue tous les essais opérationnels et l'évaluation des CF-18, ainsi que les spectacles aériens de CF-18.

La 4e Escadre compte un deuxième escadron de formation tactique chargé de la phase 4 de l'entraînement en vol de l'OTAN au Canada, mieux connu sous le sigle NFTC. Lorsque les étudiants ont terminé leur formation de base à Portage et Moose Jaw et sont choisis pour piloter des avions de chasse, ils suivent l'entraînement initial des pilotes de chasse à Cold Lake avec les aéronefs Hawk avant de passer aux chasseurs de conception avancée comme les CF-18. Cette unité vraiment internationale est commandée par un officier canadien et assure la formation de tous les pilotes de chasse canadiens, en plus des pilotes de cinq autres pays. L'unité compte 25 instructeurs provenant de huit pays différents. L'unité a un tableau d'effectifs et de dotation de neuf aéronefs Hawk dont la maintenance est assurée par Bombardier Aéronautique et ses 39 employés civils.

Le 417e Escadron de soutien au combat de Cold Lake utilise l'hélicoptère Griffon et fournit les services de recherche et de sauvetage à Cold Lake. Il se charge également des évacuations médicales et du soutien des avions polyvalents au polygone de tir aérien de Cold Lake. L'escadron compte 17 membres d'équipage et 29 techniciens de soutien; il maintient ses membres d'équipage et ses aéronefs à un haut niveau de préparation pour répondre aux urgences.

La 4e Escadre a également un escadron de radar de surveillance tactique qui peut être pleinement déployé et un escadron du génie de l'air. Ces deux unités sont essentielles à la formation et aux activités d'emploi des forces à Cold Lake. La 4e Escadre compte également un escadron de maintenance (air) et un escadron d'instruction technique appliquée. Ce dernier assure la formation des techniciens de CF-18 pour toute la communauté de CF-18.

La 4e Escadre est fière d'englober le centre d'instruction tactique de la force aérienne, mieux connu sous le sigle CITFA, et d'être le siège de l'exercice Maple Flag. L'exercice Maple Flag est un exercice de combat aérien international tenu chaque année au cours des mois de mai et de juin et qui est maintenant reconnu comme l'une des principales activités de formation de la coalition dans le monde. Depuis le premier exercice, en 1997, 17 pays ont participé à l'exercice Maple Flag, et 14 autres pays qui envisagent de devenir des membres participants ont envoyé des observateurs.

Maple Flag est une occasion rare pour le personnel chargé des chasseurs, du transport, de AWACS, du ravitaillement en vol et de toutes sortes d'autres tâches d'appui au combat de planifier, de coordonner et d'exécuter une campagne aérienne de la coalition comprenant l'application du système d'armes dans son ensemble contre des cibles fortement défendues et des adversaires capables dans une situation similaire à un véritable combat. Les futurs exercices Maple Flag comprendront des UAV, un entraînement de nuit tous temps et un entraînement spécialisé pour le personnel de commande et de contrôle ainsi que les forces aériennes expéditionnaires.

Cold Lake et Maple Flag sont considérés par nos amis et alliés comme les meilleurs du monde, à cause de notre espace aérien, de nos polygones de tirs aériens, de nos systèmes d'appareillage, de nos émetteurs de menace de surface, de nos systèmes d'armes avancées et de notre réputation de 27 années de formation pour la coalition.

La charge de travail habituelle à la 4e Escadre de Cold Lake représente à peu près 40 p. 100 de la capacité de mise sur pied d'une force et d'infrastructure de la base des Forces canadiennes Cold Lake. Au cours de l'exercice Maple Leaf, l'afflux à la base augmente à 140 p. 100 environ, avec l'aide des forces d'appoint canadiennes et américaines. Il existe un excès de capacité d'environ 40 à 60 p. 100 plusieurs mois par année, lorsque Maple Flag n'est pas en cours. Notre intention est de partager cet excès de capacité avec nos amis les plus proches et nos alliés, afin d'améliorer l'interopérabilité du Canada avec les forces aériennes du monde.

Aussi bien placée que soit la 4e Escadre, elle n'est pas sans avoir à relever des défis. La 4e Escadre est en manque de techniciens d'aéronefs qualifiés en raison des initiatives de réduction du personnel qui ont eu lieu dans les années 90 et des taux d'attrition élevés qui ont suivi. Cela pose un problème à toutes les unités de vol des forces aériennes, problème auquel s'attaque l'état-major supérieur. Des initiatives ont été mises en œuvre et on commence à voir des améliorations.

La base des Forces canadiennes de Cold Lake doit relever des défis particuliers en ce qui concerne les services médicaux et sociaux, à cause de son emplacement relativement isolé. La réduction des effectifs des forces armées canadiennes au cours des années 90, conjuguée aux initiatives provinciales de centralisation des services de soins de santé dans des centres plus importants, a donné pour résultat un manque de services spécialisés à notre base même. Par conséquent, le personnel de la 4e Escadre ayant besoin d'attention d'un spécialiste médical doit se déplacer jusqu'à Edmonton. En 2003, près de 2 000 militaires ont été référés à des cliniques de spécialistes à Edmonton, ce qui nous a fait perdre pratiquement 2 200 jours de travail.

Le logement et le coût de la vie à Cold Lake sont artificiellement élevés, à cause d'un boom local dans l'industrie du pétrole en Alberta. Les prix des logements locaux et des loyers au centre-ville ont grimpé, ce qui a précipité une augmentation des loyers de militaires sur la base, tel que le recommandent les directives du Conseil du Trésor. Bien que tout le personnel militaire soit affecté, ce sont les membres les plus jeunes qui ont le plus de difficultés. La base de la 4e Escadre est en train de mener une étude, afin de déterminer le besoin de logements militaires à faible loyer et d'indemnités de vie chère afin d'aider notre personnel. Les hauts gradés de l'aviation canadienne sont sensibles à ce problème et attendent les résultats et les recommandations de notre étude.

Comme je l'ai mentionné plus tôt, la base des Forces armées canadiennes de Cold Lake a célébré son 50e anniversaire l'an dernier. La plupart de nos infrastructures et de nos installations ont dépassé leur durée de vie utile prévue. Dans bien des cas, une réparation sera difficile et coûteuse. Le remplacement est devenu la seule option viable et requerra un financement important au cours de la prochaine décennie. L'état-major supérieur est au courant de la nécessité de reconstituer un capital d'investissement dans les infrastructures existantes et élabore des stratégies de ressources et de financement.

L'un des plus grands défis auquel doit faire face la base des Forces canadiennes de Cold Lake est la sécurité et la protection des forces. En mai et juin 2005, Cold Lake accueillera d'importants contingents de personnel américains, britanniques et israéliens, de concert avec plusieurs autres partenaires internationaux, pour l'exercice Maple Flag. Les mesures de sécurité doivent être améliorées pour inclure la surveillance vidéo, des cartes magnétiques à glisser, une zone de sécurité plus développée dans l'aire de trafic et de nouvelles clôtures. Du personnel supplémentaire des forces de sécurité sera également nécessaire pour bien protéger nos amis et nos alliés. L'état-major supérieur est conscient de ces défis et est en train d'évaluer nos besoins. Nous faisons actuellement tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que toutes les mesures de sécurité nécessaires seront en place pour protéger nos amis et nos alliés au cours de l'exercice Maple Flag.

Si l'on se tourne vers l'avenir, la 4e Escadre de Cold Lake est placée de façon idéale pour s'épanouir dans les années à venir. Nous avons réussi à créer un centre international de l'excellence des activités pour la coalition et de formation des forces aériennes expéditionnaires et nous essayons de maintenir cette excellence. Notre espace aérien énorme et nos polygones de tir aérien de classe internationale, de même que notre infrastructure et nos installations d'escadre et de base font de la 4e Escadre un lieu idéal pour que nos amis et nos alliés viennent y faire leur entraînement.

Il est bien clair que notre priorité est de défendre le Canada et l'Amérique du Nord. Cependant, nous sommes conscients que le gouvernement du Canada pourrait nous demander de nous déployer à tout moment, n'importe où dans le monde, pour soutenir l'effort de paix et de sécurité au niveau international. La bonne nouvelle est que le personnel des forces aériennes canadien, à la fois dévoué et professionnel, est prêt à défendre immédiatement notre mission de chasseurs, que cette mission ait lieu au Canada ou à l'étranger.

Le colonel W.S. Werny, commandant, Centre d'essais techniques (Aérospatiale), Défense nationale : Monsieur le président, distingués sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de vous parler du Centre d'essais techniques (aérospatiale) qu'on appelle aussi le CETA.

Le principal rôle de mon unité est de fournir des services et une expertise d'essais en vol aux Forces canadiennes. Nous jouons un rôle essentiel dans la détermination de la navigabilité technique et de la pertinence des rôles. Nous le faisons en vérifiant de façon méthodique que le système en armement aérien est conforme aux attentes de nos autorités en matière d'acquisition, de nos responsables techniques, ainsi que de notre personnel naviguant.

Je passerai les quelques minutes suivantes à discuter des problèmes qui m'ont été transmis.

Les tests et les évaluations sont, de fait, un aspect essentiel de notre processus d'acquisition. Les normes de navigabilité civile sont des points de départ valables, mais elles doivent être adaptées aux rôles militaires, afin d'assurer la sécurité de notre personnel et de notre matériel militaires. Par exemple, un aéronef conforme aux normes des lignes aériennes n'est pas forcément assez sûr pour opérer dans un contexte de guerre anti-sous-marine. Il est de ma responsabilité de m'assurer de son applicabilité à notre mission.

Le CETA est une organisation d'essais aériens de classe internationale. Outre l'équipement d'essai typique utilisé dans nos activités, nous avons des capacités d'essais spéciales dans les domaines des systèmes de vision nocturne et des systèmes d'évacuation.

La question est la capacité du CETA à effectuer ces essais. Nous avons dû nous soumettre à une réduction importante du personnel d'à peu près 33 p. 100 il y a cinq ans et nous avons aujourd'hui atteint une masse critique dans certains domaines. Certains des membres du CETA sont déployés près de 180 jours par an. Il sera peut-être possible, avec le nouveau budget, de résoudre certains des problèmes de manque de personnel.

Chaque fois que c'est possible, la capacité d'essai et d'évaluation du CETA est rendue accessible à des forces armées canadiennes et étrangères, ainsi qu'à l'industrie, sur une base de recouvrement des coûts. Cela se fait dans le cadre du concept du centre d'essais en vol du Canada et a permis à des sociétés telles que STARS Air Ambulance of Alberta d'utiliser notre système d'essais de la vision nocturne à la pointe de la technologie et d'obtenir la certification de Transport Canada pour le port de verres de vision nocturne. Ces services ne sont disponibles nulle part ailleurs au Canada.

Une partie de notre stratégie a été d'établir un réseau d'agences d'essais et d'évaluation et de partager le coût des activités. L'an dernier, nous avons consolidé notre partenariat naturel avec le Conseil national de recherche et Recherche et développement pour la défense Canada en publiant des communiqués de presse pour proposer des services clés en mai. De plus, nous entretenons d'étroites relations avec nos homologues aux États-Unis, au Royaume- Uni, en France et en Australie, entre autres.

En tant que zone géographique et que communauté, Cold Lake est avantageuse pour le CETA. Sa proximité de l'un des meilleurs polygones de tir aérien du monde, le soutien remarquable de la base et le temps généralement clair font de Cold Lake un milieu convenant parfaitement aux essais.

Le CETA est conçu pour 232 employés de la force régulière et de la fonction publiques. Il emploie des pilotes d'essai, des ingénieurs des essais en vol, des techniciens en entretien des aéronefs, des techniciens en imagerie et en instrumentation, des navigateurs, ainsi que divers spécialistes de l'ingénierie et du personnel de soutien.

Quatre-vingts pour cent des ingénieurs doivent détenir un diplôme de deuxième cycle. Une telle concentration de personnel qualifié est simplement extraordinaire dans une zone aussi éloignée que Cold Lake et pose un réel problème de recrutement. J'ai à l'heure actuelle quinze postes qui ne sont pas comblés et j'ai dû accepter du personnel qui n'a pas les qualifications ou l'expérience requises. Cela peut se gérer, mais il y a un coût en termes de temps et d'efficacité.

Un autre aspect de ressources humaines qui complique la gestion du manque de personnel, c'est qu'au cours des trois prochaines années, on prévoit le départ à la retraite d'un groupe d'employés civils qui représente pratiquement 190 ans d'expérience et d'ancienneté. Le nombre limité d'ingénieurs en aérospatiale effectuant des études de second cycle universitaire est dû essentiellement à deux facteurs : d'abord la démographie, parce que nous avons réduit le personnel au cours des années 90, qu'il n'y a maintenant plus autant de personnel qui est admissible à ces études et que le personnel qui n'est pas certain de son avenir n'est pas prêt à s'engager; ensuite les niveaux plus faibles d'expérience des techniciens des forces armées qui sont en poste au CETA.

L'infrastructure du CETA ne pose pas problème. Nous avons l'un des hangars les plus neufs des Forces canadiennes et nous investissons dans le renouveau de l'infrastructure tous les ans, afin de nous assurer d'être à l'avant-garde de la technologie. Nous venons de signer un contrat avec BAE Systems pour mettre à jour notre système de poursuite optique sur les champs de tir avec instruments. Nos champs de tir sont dorénavant parmi les plus modernes du monde.

Le budget de fonctionnement du CETA est suffisant pour notre mandat d'essais en vol, à l'exception d'un manque fonds de rémunération pour le personnel civil. Ce manque signifie que je ne peux pas embaucher notre plein tableau d'effectifs. Cette situation est semblable à celle d'autres entités du ministère, qui ont manqué de fonds pour acquérir du personnel. Nous espérons que le prochain budget de la défense va corriger cette situation.

Pour ce qui concerne les véhicules aériens sans pilote, ou UAV, ou le statut du UAV Sperwer qui a été utilisé en Afghanistan, nous avons récemment reçu la mission d'effectuer des essais supplémentaires tant au sol qu'en vol. Le plan d'essais a été divisé en deux volets. Le premier programme d'essais en vol limité aura lieu ce mois-ci et se concentrera sur la vérification de la fonctionnalité des deux Sperwer récemment achetés et englobera une évaluation initiale des opérations par temps froid. Le second volet des essais aura lieu cet automne et consistera à vérifier le système pour les opérations de déploiement en conjonction avec l'armée ainsi qu'à recueillir des données supplémentaires en vue d'autoriser des opérations plus vastes au sein du Canada. Il visera aussi à évaluer l'exactitude du système de navigation et la précision des procédés d'enlèvement.

J'y ai fait allusion tout à l'heure, un contrat de plus de 25 millions de dollars sur une période de 12 ans a été octroyé à BAE Systems pour le remplacement et le soutien de notre myriade de théodolites sur les champs de tir avec instruments. Ce système va nous permettre de tester des systèmes en armement comme des bombes à guidage laser dans un environnement à haute sécurité. Nous aurons des caméras vidéo haute vitesse numériques à infrarouges et pourrons faire le suivi des armes par leur signature thermique.

Pour conclure, le défi que le CETA devra relever à l'avenir sera de continuer de gérer le rythme accéléré des opérations et de se tenir prêt en vue des projets qui vont sans doute arriver à la suite du budget fédéral récemment annoncé. Pour nous, il s'agira essentiellement d'un problème de personnel. Nous aurons besoin de fonds le plus tôt possible pour pouvoir embaucher et former le personnel nécessaire afin de réussir le programme futur de réinvestissement du capital. Pour être tout à fait efficaces, les fonds doivent être libérés dès le début des programmes, pour que nous puissions embaucher du personnel aux postes qui s'ouvrent au fur et à mesure. Il faut de deux à trois ans pour effectuer un examen préalable des candidats et former les pilotes d'essais, les ingénieurs des essais en vol, les navigateurs d'essais et les ingénieurs titulaires de diplômes universitaires supérieurs. De nouveau, je dirais que les fonds supplémentaires affectés dans le budget devraient remédier au manque de financement pour embaucher du personnel. C'est mon problème le plus urgent.

Le sénateur Forrestall : Bienvenue, messieurs. J'ai dit tout à l'heure pour plaisanter que nous connaissions toutes les bonnes nouvelles, maintenant il faut que vous nous donniez les mauvaises nouvelles. Et vous ne nous avez pas déçus à ce sujet.

Aujourd'hui, en 2005, que constitue un escadron? Combien d'aéronefs?

Le col Sullivan : Eh bien, sénateur, si vous examinez la doctrine de la force aérienne ou du pouvoir aérien, la taille des escadrons change d'un secteur à l'autre.

Donc pour un escadron de C-130...

Le sénateur Forrestall : Non, je suis désolé, un escadron de F-18.

Le col Sullivan : Oh, de F-18, d'accord. Nos escadrons ont évolué au cours des ans et ils dépendent des ressources et du capital qui sont disponibles. Aujourd'hui, nos escadrons de chasseurs — on parle ici de post-modernisation — disposent tous de F-18 nouveaux et modernes. Ils recevront 13 avions de combat et ils en ont deux supplémentaires que nous appelons des avions de servitude ou de réserve, pour un total de 15 avions par escadron.

À l'heure actuelle, nous sommes limités par le nombre de pilotes que nous pouvons affecter à l'escadron. Notre limite est de 17 pilotes, et l'effectif de notre service d'entretien s'échelonne de 140 à 190 ou 200 personnes, et cela représente l'effectif caractéristique d'un escadron d'appui tactique.

Nous avons d'autres escadrons pour la formation, et ces escadrons ont tendance à être un peu plus importants, mais les chiffres que je vous ai donnés concernent un escadron d'appui tactique.

Le sénateur Forrestall : De combien d'aéronefs disposeriez-vous demain matin à dix heures?

Le col Sullivan : L'expression que nous utilisons est « la disponibilité et l'état de fonctionnement des aéronefs ».

Le sénateur Forrestall : L'état de fonctionnement?

Le col Sullivan : L'état de fonctionnement. L'état de fonctionnement des CF-18 à Cold Lake n'a jamais été aussi élevé qu'il ne l'est à l'heure actuelle.

En fait, j'ai un escadron d'appui tactique qui est déployé à l'heure actuelle à la base de la force aérienne Tyndall, en Floride, et la semaine dernière, avant son déploiement, son état de fonctionnement était de 100 p. 100.

Parfois, dix aéronefs sont assignés à l'escadron et l'ensemble des 10 aéronefs est en état de fonctionnement, prêt pour la mission.

L'autre escadron d'appui tactique affiche un état de fonctionnement de 60 à 70 p. 100, et ce sont une fois de plus de très bons pourcentages.

Je pourrais peut-être expliquer pourquoi l'état de fonctionnement est si élevé. C'est attribuable à la façon dont nous abordons l'entretien pour l'instant. Nous avons un assez grand nombre de techniciens d'entretien inexpérimentés et pour nous assurer que ces techniciens reçoivent la formation voulue pour assurer l'entretien des aéronefs, nous avons en fait réduit le nombre d'heures de vol de l'escadron.

Un autre aspect critique en ce qui concerne ces aéronefs en état de fonctionnement, ce sont les pièces de rechange qui nous sont fournies par le système d'approvisionnement. Ici encore, le rendement pour les F-18 n'a jamais été aussi bon qu'il ne l'est pour l'instant à Cold Lake.

Le sénateur Forrestall : J'en déduirais donc qu'en ce qui concerne votre objectif et votre mission, vos installations et vos structures sont en assez bon état.

Les lacunes, par conséquent, se situeraient du côté du logement, des locaux à bureaux, et cetera. Est-ce une observation valable?

Le col Sullivan : Si vous me le permettez, j'aimerais revenir aux escadrons d'appui tactique.

Tout d'abord, chaque jour, nous devons faire face à d'importantes difficultés. Comme je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires, nous sommes assez préoccupés par le nombre de ce que nous appelons des techniciens qualifiés en activité qui font partie de notre escadron, et c'est une expression bien connue que vous entendrez probablement dans tous les autres secteurs.

Nous aimerions que 90 p. 100 de l'effectif de nos escadrons d'appui tactique soit qualifié en activité.

En ce qui concerne mes deux escadrons d'appui tactique, dans l'un l'effectif est de 64 p. 100 et dans l'autre, de 68 p. 100, c'est donc une situation assez difficile. Lorsque l'on commence avec seulement les deux tiers de sa capacité, il est considérablement difficile de faire en sorte que l'ensemble des aéronefs soit en état de fonctionnement et d'utiliser toutes les heures de vol qu'on vous a données.

Nous réussissons à former nos techniciens, mais en contrepartie, nous avons réduit le nombre d'heures de vol, ce qui influe sur les compétences de nos pilotes.

Le sénateur Forrestall : Cette baisse du nombre d'heures de vol est-elle importante?

Le col Sullivan : Oui, elle l'est. En fait, nous arrivons à la fin du présent exercice financier, et nos pilotes de CF-18 auront 25 p. 100 de moins d'heures de vol à Cold Lake; comme le disent les pilotes de guerre : « Chaque heure de vol en moins réduit la capacité de fonctionnement. »

Cela pourrait représenter une réduction de 20 p. 100 des compétences et de la capacité.

Le sénateur Forrestall : Je dirais qu'en ce qui concerne les hélicoptères, ce sont des compétences que l'on a perdues.

Le président : Je ne vous suis pas, colonel. Je pensais que vous étiez en train de nous dire que l'état de fonctionnement de vos aéronefs n'a jamais été aussi élevé, que vous avez autorisé des heures de vol, mais que votre effectif qualifié en activité se trouve réduit.

J'en déduirais donc que les pilotes dont vous disposez sont constamment en train de piloter leurs appareils. Ai-je manqué quelque chose?

Le col Sullivan : En fait, l'équation comporte certains aspects assez compliqués, c'est ce que nous appelons l'équation de constitution d'une force.

Il est vrai que certains aéronefs resteront très rarement au sol sans que les pilotes ne les pilotent. Les techniciens travaillent sur ces aéronefs et parfois, ils travaillent sur des aéronefs en état de fonctionnement simplement pour maintenir leurs propres compétences et acquérir le niveau de qualification voulu.

En ce qui concerne les pilotes eux-mêmes, nous sommes limités dans ce cas par le nombre d'heures pendant lesquelles nous sommes en fait autorisés à voler et par le montant qu'on nous remet pour acheter du carburant, c'est-à- dire des produits pétroliers d'aviation, ce qu'on appelle en anglais AvPOL, une expression que vous connaissez peut- être.

Lorsque le prix du carburant augmente, le nombre d'heures de vol dont nous disposons a tendance à diminuer.

Le sénateur Meighen : C'est donc cela la raison.

Le président : Donc cette limite est un règlement ou une directive provenant d'Ottawa, selon laquelle vous disposez seulement d'un certain nombre d'heures de vol par année?

Le col Sullivan : La première contrainte qui nous est imposée, c'est qu'on nous accordera un certain montant pour acheter des produits pétroliers d'aviation, et c'est en fonction de la quantité de carburant que nous pourrons acheter que nous déterminerons le nombre d'heures de vol.

Le président : Combien faut-il d'heures de vol par année pour qu'un pilote de chasse devienne compétent?

Le col Sullivan : Nous aimerions que nos pilotes de chasse pilotent pendant environ 180 heures par année. C'est l'objectif visé. À l'heure actuelle, ils ont environ 150, 160 heures de vol, ce qui n'est pas si mal, compte tenu des difficultés que nous avons avec les techniciens.

Je ne voulais pas vous induire en erreur à propos de l'état de fonctionnement des flottes d'aéronefs de nos escadrons. Je vous ai mentionné que nous avions un escadron qui fonctionnait à 100 p. cent et un autre dont l'état de fonctionnement était légèrement inférieur, de 60 à 70 p. cent, ce qui représente des pourcentages récents et satisfaisants.

Il y a un an, les taux d'état de fonctionnement se situaient aux environs de 40 p. cent, peut-être 50 p. cent. Nous avons rééquilibré l'équation en réduisant le nombre d'heures de vol, ce qui permet aux techniciens de se concentrer sur la réparation des aéronefs.

Si nous augmentions le TAU, l'état de fonctionnement diminuerait, les techniciens n'attendraient pas le niveau de qualifications voulu et ne seraient pas en mesure de recevoir une formation suffisante.

Le président : Qu'est-ce que le TAU?

Le col Sullivan : Désolé, le TAU est le taux annuel d'utilisation ou ce qu'on appelle aussi le contingent annuel d'heures de vol, qui est de 180 heures.

Le président : Compte tenu de la réduction du nombre d'heures de vol, combien de pilotes possèdent les compétences requises?

Le col Sullivan : Tous les pilotes de l'escadron, une fois qu'ils ont terminé leur programme d'entraînement, même si le nombre d'heures est réduit, s'ils pilotent de 150 à 160 heures par année, termineront leur programme et seront prêts pour accomplir des missions.

Nous aimerions bien entendu qu'ils disposent d'heures supplémentaires pour piloter leurs appareils de manière à améliorer leurs compétences et leurs aptitudes de base, mais pour l'instant, ils répondent aux normes ou aux qualifications de base minimales.

Le sénateur Forrestall : J'aimerais m'adresser au colonel Werny pendant quelques instants.

En ce qui concerne la pénurie dont vous avez parlé, je ne savais pas que vous étiez à la recherche de titulaires de doctorat en génie.

Pourriez-vous nous donner un peu plus de précisions à ce sujet et nous indiquer tout d'abord d'où viennent les personnes qui possèdent ce genre de diplôme, quelles sont les universités que vous surveillez de près et quel est votre taux de réussite annuel?

Quelles étaient vos attentes, par exemple, l'automne dernier ou l'été dernier? Dans quelle mesure avez-vous réussi à recruter les candidats?

Le col Werny : Tout d'abord, comme je l'ai expliqué, dans le secteur des essais en vol, nous avons besoin de personnes d'expérience, tant en ce qui concerne les pilotes et les techniciens, et certainement aussi les ingénieurs.

Le sénateur Forrestall : Que se passe-t-il dans le cas simplement des ingénieurs?

Le col Werny : En ce qui concerne uniquement les ingénieurs, nous les recrutons parmi nos officiers expérimentés du génie aérospatial qui font partie de l'armée. C'est principalement parmi eux que nous recrutons nos ingénieurs des essais en vol, et aussi parmi nos diplômés d'études supérieures.

Chaque année, nous présentons des demandes de candidatures par l'intermédiaire des forces armées à notre personnel subalterne afin de combler des postes dans le secteur des essais en vol, qu'il s'agisse des instruments, des structures, de l'aérodynamique, ce genre de choses. C'est le principal bassin auquel nous faisons appel.

Il existe une réelle pénurie de personnes d'expérience qui présentent leur nom aux universités; ensuite, elles vont toutes ailleurs. Cependant, une fois qu'elles posent leur candidature, elles font l'objet d'un processus de sélection et sont assignées à des universités partout dans le monde, que ce soit au Royaume-Uni, aux États-Unis ou ailleurs, où elles iront suivre ce genre de cours.

Elles auront alors une période de service obligatoire, puis elles nous reviendront dans le secteur des essais en vol et se joindront aussi à nos techniciens d'Ottawa, avec lesquels nous travaillons en très étroite collaboration, étant donné que nous avons tous deux besoin de ce genre de personnes.

Nous n'avons pas de postes de civils chargés d'engager des diplômés des universités civiles. Tout ce que nous pouvons faire, c'est de travailler en étroite collaboration avec l'Université de l'Alberta et l'Université de Calgary. Nous travaillons étroitement avec ces universités pour tâcher de déterminer quels étudiants pourraient souhaiter devenir des fonctionnaires à un moment donné et faire alors partie de notre système, à Ottawa ou ici.

Notre taux de réussite n'est pas élevé. Cela revient encore à la question de l'insuffisance des ressources financières nous permettant d'engager des civils, ce à quoi j'ai fait allusion dans ma présentation, et il s'agit d'un réel problème pour nous.

Le sénateur Forrestall : Qu'est-ce qui vous pose le plus de difficultés, le recrutement ou le maintien de l'effectif?

Le col Werny : À l'heure actuelle, je dirais que c'est probablement le recrutement. Une fois que les gens entrent dans le système, le maintien de l'effectif est excellent.

C'est un secteur stimulant, car il s'agit de technologies de pointe, d'essais en vol pour vérifier l'exposition à divers nouveaux systèmes d'armements et cetera, donc le maintien de l'effectif ne pose pas vraiment de difficulté. Le problème, c'est de les recruter.

Le sénateur Forrestall : En ce qui concerne les exigences techniques de votre service, ceux qui font le travail, comment vous débrouillez-vous pour ce qui est du recrutement et du maintien de l'effectif des techniciens?

Le col Werny : En ce qui concerne les techniciens, comme nous nous occupons d'aspects extrêmement techniques, tous nos aéronefs, ou du moins la majorité d'entre eux, sont des aéronefs équipés d'instruments, et par conséquent les techniciens qui travaillent sur ces aéronefs doivent être des techniciens chevronnés. Je suis en fait une source d'irritation constante pour les secteurs opérationnels, parce que je cherche des techniciens chevronnés pour le secteur des essais en vol, et c'est ce que j'exige.

Il m'est très difficile de prendre une nouvelle recrue qui vient d'arriver dans l'armée parce qu'il faut pas mal de temps pour qu'elle se familiarise avec le système et reçoive l'entraînement voulu, jusqu'à quatre ans, et je n'ai simplement pas les ressources nécessaires pour m'en occuper, donc je compte sur mon collègue pour assurer la formation et m'envoyer des gens d'expérience.

Comme je l'ai déjà dit, il est difficile d'atteindre l'équilibre, parce qu'il a besoin de personnel chevronné et moi aussi, donc nous travaillons très étroitement en ce sens.

Le sénateur Forrestall : Je ne saurais dire qui dépend de qui. Je crois qu'en ce qui vous concerne tous deux, c'est la question de la poule et de l'œuf.

Enfin, parlons des avions sans pilote. Pouvez-vous nous dire un mot ou deux à propos du travail que vous faites à cet égard et du travail que vous avez déjà fait et qui dans certains cas, je crois, a été très efficace? Dans d'autres cas, je me demandais si vous aviez connu un échec total, comme en Afghanistan par exemple. Dans quelle mesure le programme est-il efficace?

Le col Werny : En ce qui concerne le véhicule aérien sans pilote Sperwer, nous sommes arrivés un peu tard dans le programme en Afghanistan. Comme je l'ai déjà dit, nous aimons participer au tout début d'un programme, de façon à nous familiariser avec le système; nous pouvons alors conseiller ceux qui s'occupent de l'achat et de l'approvisionnement sur certaines difficultés que nous pourrions éprouver.

On nous a envoyé en Afghanistan alors que le programme Sperwer était déjà en oeuvre. Ce n'était donc pas le moment pour nous de procéder à des essais en vol. Nous aurions préféré avoir eu l'occasion de le faire plus tôt. Nous avons donc déployé des militaires en Afghanistan et nous avons collaboré très étroitement avec l'armée pour tâcher de déterminer certains aspects qui étaient préoccupants, et nous en avons découvert un certain nombre, bien que le système, à ma connaissance, ait fonctionné assez efficacement là-bas.

J'ai parlé à ceux qui ont été déployés à Cold Lake ce matin; au cours des deux prochaines semaines, nous allons essentiellement examiner les systèmes Sperwer, c'est-à-dire certains des nouveaux dispositifs de lancement pour tâcher de régler les problèmes que présentent ces dispositifs et que nous avons constatés à Kaboul ainsi que pour déterminer comment le véhicule fonctionne par temps froid. À l'automne, nous voulons vérifier le système de navigation pour nous assurer qu'il communique efficacement avec son poste de commandement. Nous sommes en mesure d'assurer le suivi. Donc, je crois que le système sera efficace.

Grâce aux essais que nous avons faits, nous en avons beaucoup appris sur ce programme, et je crois que cela augure bien pour l'avenir en ce qui concerne la technologie et les essais futurs du véhicule aérien sans pilote.

Le sénateur Forrestall : À part les Forces canadiennes, est-ce que nous collaborons avec d'autres pays ou d'autres groupes?

Le col Werny : Est-ce que nous collaborons au point où nous...

Le sénateur Forrestall : Pour ce qui est du développement et...

Le col Werny : Pas à ma connaissance en ce qui concerne le développement, mais par exemple les Néerlandais utilisent le Sperwer et nous tâchons d'obtenir d'eux autant de renseignements que possible et de connaître leurs préoccupations pour qu'ils nous aident à développer notre propre programme d'essais.

Le sénateur Forrestall : Y a-t-il des initiatives en cours avec nos voisins du sud?

Le col Werny : Pas à ma connaissance, pour l'instant.

Le sénateur Forrestall : C'est dommage. Cela aurait été une bonne chose. Avec tout l'air pur que vous avez là-bas, il s'agit d'un atout formidable.

Le sénateur Munson : Quel est le salaire d'un pilote?

Le col Sullivan : Est-ce que vous parlez de nos pilotes de CF-18?

Le sénateur Munson : Oui, un pilote de CF-18.

Le col Sullivan : Je crois que le salaire est d'environ 65 000 $ à 75 000 $ par année, selon qu'ils sont capitaines ou majors.

Le sénateur Forrestall : Ils ne gagnent pas autant que Tiger Woods?

Le col Sullivan : Pas vraiment, mais ils ne jouent pas aussi bien au golf que Tiger Woods non plus.

Le sénateur Forrestall : Il ne pilote pas d'avion non plus.

Le sénateur Munson : 65 000 $ à 70 000 $?

Le col Sullivan : 75 000 $.

Le sénateur Munson : Ce n'est pas beaucoup, en fait.

Le col Sullivan : Ce n'est pas beaucoup si l'on compare avec l'industrie civile, mais il y a eu un rajustement des salaires assez important du côté civil également. On peut dire que, depuis les événements du 11 septembre, il y a eu un rajustement des salaires des pilotes de l'aviation commerciale.

Le sénateur Munson : Mais il doit être frustrant pour vous d'assurer leur formation et de n'arriver à les garder que pour une courte période de temps, 10 ans ou moins, après quoi ils deviennent pilotes pour Air Canada. Ce doit être une situation très difficile pour vous.

Le col Sullivan : Oui, effectivement c'était difficile. Mais nous constatons maintenant qu'un certain nombre d'entre eux se réenrôlent, c'est-à-dire ceux qui ont quitté les forces armées lorsque les compagnies aériennes recrutaient intensivement. Depuis les événements du 11 septembre, l'industrie aérienne a en fait légèrement piqué du nez, si je peux utiliser cette expression, et un grand nombre de pilotes reviennent et les jeunes pilotes qui envisageaient une deuxième carrière auprès d'un transporteur commercial sont en train de revoir leur décision et de choisir de demeurer au sein des Forces canadiennes.

Le sénateur Munson : Avez-vous songé à des manières nouvelles ou différentes de recruter? On parlait d'un manque de personnel.

Le col Sullivan : Du côté des pilotes?

Le sénateur Munson : Oui, du côté des pilotes.

Le col Sullivan : Eh bien, les difficultés que nous avons du côté des pilotes, par opposition aux autres groupes professionnels, demeurent très considérables.

Lorsqu'il s'agit de diplômés universitaires — et je crois que vous savez que nous sommes obligés de recruter chez les diplômés universitaires les candidats qui veulent devenir officier ou pilote dans les Forces canadiennes —, il est très difficile d'être concurrentiel dans certains domaines. Si la personne termine un grade universitaire, elle aura vivement intérêt à faire carrière dans le domaine où elle vient d'étudier. Il est parfois très difficile de les convaincre d'entrer dans les Forces canadiennes et de consacrer de quatre à six ans à leur formation avant de pouvoir effectuer des vols opérationnels au sein d'un escadron.

Le sénateur Munson : Ma question est peut-être naïve, mais pourquoi est-il nécessaire d'exiger un degré universitaire pour les pilotes de chasse? Le candidat pourrait avoir acquis des compétences techniques dans un collège communautaire ou autre.

Le col Sullivan : C'est vrai.

Le sénateur Munson : Écoutez, vous êtes pilote de chasse. Ce n'est pas un examen théorique que vous faites dans les airs.

Le col Sullivan : Absolument. Monsieur le sénateur, c'est une excellente question qui fait l'objet d'une discussion et même d'un débat en ce moment.

Il y a de nombreuses années, vous pouviez avoir achevé vos études secondaires et entrer directement dans les Forces canadiennes pour entreprendre votre formation de pilote. On se contentait de tester vos aptitudes pour voir si vous aviez la concentration et les capacités voulues pour réussir votre formation de pilote. Une fois qu'on était un pilote établi dans les Forces canadiennes et qu'il était nécessaire d'élargir votre formation postsecondaire, on vous encourageait à entreprendre un diplôme universitaire plus tard au cours de votre carrière.

Je crois que cela résulte entre autres de l'enquête sur la Somalie, et je crois que c'est peut-être Jack Granatstein qui a recommandé que tous les futurs officiers des Forces canadiennes aient un diplôme universitaire; sa recommandation a été acceptée, et c'est aujourd'hui la politique que nous avons.

Le sénateur Munson : Colonel Sullivan, je crois que vous avez parlé des possibilités de formation formidables que vous avez, et vous avez mentionné le Cours d'instructeur — Armement de chasseurs.

Le col Sullivan : C'est exact.

Le sénateur Munson : Nous croyons savoir que ce cours a été annulé cette année. Si oui, pourquoi?

Le col Sullivan : Monsieur, le cours vient en fait de commencer à Cold Lake. C'était ce que nous appelons le Cours radar guerre électronique — Chasseur (Niveau avancé), et ces deux cours sont essentiellement offerts par la même école.

Le cours que nous avons annulé en effet nous présentait un petit risque cette année. Comme vous le savez, nous sommes en train de moderniser nos flottes ou nos escadrons de chasse. Les deux escadrons de Cold Lake ont été modernisés l'an dernier. C'est comme mettre un navire en cale sèche. Essentiellement, on cloue au sol l'escadron, puis on modernise tous les appareils. On lui redonne ses avions, et les pilotes apprennent alors à utiliser leur tactique en fonction de cette nouvelle technologie. Il y a eu essentiellement une année où les deux escadrons de Cold Lake étaient hors circuit et ne pouvaient pas suivre ce niveau avancé de formation.

Dans notre esprit, le Cours d'instructeur — Armement de chasseurs ou CIAC équivaut au doctorat en formation des pilotes de chasse, et c'est la formation la plus avancée qu'on puisse recevoir. Cette année, et nous commençons justement en mars maintenant, nous donnons le CIAC à quatre stagiaires, même si, à Bagotville, les deux escadrons de notre escadre de chasse au Québec sont en train d'être modernisés. Les stagiaires de Cold Lake ont reçu cette formation : le CIAC avec l'avion modernisé. Il y a deux stagiaires de Bagotville qui participent à la formation avancée avec les avions modernisés afin de suivre le CIAC, mais c'est le Cours radar guerre électronique — Chasseur (Niveau avancé) qui a été annulé cette année à cause de la modernisation.

Le sénateur Munson : Je sais qu'il est tôt pour le dire, mais savez-vous quand Cold Lake recevra sa part du budget?

Disons les choses simplement, avez-vous pris le téléphone et communiqué avec votre patron à Ottawa, qui lui a parlé à Ralph Goodale? Vous avez parlé de toutes ces lacunes, entre autres des soins médicaux et du fait qu'il vous faut plus de pilotes, de techniciens, et cetera. Avez-vous des indications qui vous permettent de croire que vous toucherez votre part du butin?

Le col Sullivan : Non, monsieur. J'ignore totalement si nous allons recevoir de l'argent frais, mais je rappelle toujours que le secteur des F-18 a été bien traité ces dernières années.

Comme je l'ai dit, nous sortons d'une période de modernisation, à s'avoir la mise à niveau de notre flotte de F-18 qui à coûté 1,2 milliard de dollars, et au moment où je vous parle, on apporte les dernières touches à l'immeuble qui abritera notre simulateur flambant neuf à Cold Lake aussi, ce qui nous donnera des capacités totalement nouvelles pour former et préparer nos pilotes de chasse au nouvel avion. Cet argent avait été mis de côté et utilisé dans le cadre d'autres projets, et il semble maintenant que nous pourrons fonctionner encore de trois à cinq ans.

Le sénateur Munson : L'ancien journaliste que je suis s'inquiète de savoir si l'on ne joue pas de temps en temps des tours de passe-passe avec l'argent qu'on verse aux forces armées.

Je ne sais pas si cela a un rapport avec ce que vous nous dites à propos de Cold Lake, mais vous avez signalé l'escadron était à Tyndall, en Floride.

Le col Sullivan : À Tyndall, en Floride, oui.

Le sénateur Munson : Une telle collaboration avec les Américains est-elle chose courante? Et à ce propos, quelle relation personnelle avez-vous, vous pilotes ou vous, avec vos homologues américains actuellement?

À en croire les médias, nos rapports sont difficiles, et nous ne nous entendons pas très bien — à cause de la défense antimissile balistique et je ne sais quoi d'autre. Dans le contexte actuel, quels sont les rapports que vous avez avec vos homologues des États-Unis?

Le col Sullivan : Eh bien, ce sont deux très bonnes questions. Avec votre permission, je vais répondre à la première.

Notre escadron F-18 qui est à Tyndall en Floride s'entraîne avec les escadrons de F-15 qu'il y a là bas. C'est ce que nous appelons un échange de bons procédés, à savoir qu'ils viennent à Cold Lake pour s'entraîner avec nous pendant quelques semaines, et ils nous diront un peu plus tard quand ils voudront nous recevoir à leur base pour que nous puissions nous entraîner chez eux avec leurs installations, leurs instruments et leurs champs de tir. Normalement, chacun de nos trois escadrons de F-18 de Cold Lake va une fois par année dans une base américaine, et c'est donc ce que cet escadron fait en ce moment.

Pour ce qui est rapport entre nos pilotes et leurs homologues américains, ce que nous voyons est très encourageant. Je peux citer l'exercice Maple Flag, dans le cadre duquel 12 ou 14 pays viennent habituellement s'entraîner chez-nous pendant six semaines avec tous leurs équipages et leurs avions, et même quand il y a, dirons-nous, des divergences politiques entre ces pays, on ne ressent rien de tout cela sur le plan tactique.

Le meilleur exemple que j'ai été à même d'observer de première main, c'est lorsque, l'an dernier, l'aviation française a dépêché l'un de ces plus gros contingents à l'exercice Maple Flag; les Américains avaient envoyé eux aussi au même moment l'un de leur plus gros contingent. On se rappelle quels étaient les sentiments entre la France et les États-Unis, mais au niveau tactique — et nous encourageons cela vivement —, chacun laisse ses problèmes politiques chez lui. Nous nous réunissons pour faciliter l'interopérabilité et nous entraîner ensemble ainsi que pour apprendre à mieux nous connaître afin que nous puissions être prêts à agir de concert à l'avenir.

Les rapports entre pilotes canadiens et américains sont excellents; ils n'ont jamais été meilleurs. Il en est ainsi depuis plusieurs années, et je m'attends à ce que ces rapports demeurent excellents.

Le président : Les Américains ont un programme appelé Red Flag?

Le col Sullivan : C'est exact, sénateur.

Le président : Combien de Français ont pris part à l'exercice Red Flag?

Le col Sullivan : Cela fait quelques années que les Français ne participent pas à l'exercice Red Flag.

Le président : Je voulais seulement vérifier.

Vous avez parlé de la capacité excédentaire que vous avez à Cold Lake. A-t-on songé à regrouper là-bas l'entraînement au vol des FC? Vous avez indiqué qu'il est formidable d'unir des forces provenant de divers pays étrangers dans le cadre de l'exercice Maple Flag. Évidemment, ce n'est pas vous qui décidez, mais la base convient-elle? Pourrait-elle absorber les autres formations qui sont assurées au Canada?

Le col Sullivan : Il est vrai que notre capacité excédentaire est considérable. Nous préférons la partager avec des types d'avion similaires. Par exemple, il est un peu plus efficient d'utiliser un avion de chasse avec nos circuits et nos pistes. Inviter d'autres types d'avion causerait un peu plus de confusion; ils ne sont pas compatibles; mais il ne fait aucun doute que Cold Lake pourrait offrir davantage de formation.

Le président : Mais les Hawk présentent les mêmes caractéristiques de vol que les F-18.

Le col Sullivan : C'est vrai. En fait, ils sont très semblables. Les Hawk eux-mêmes sont parfaitement compatibles avec les circuits et les opérations de la base de Cold Lake.

Le président : N'est-il pas plus réaliste d'accueillir des avions qui vont à des vitesses différentes à des moments différents?

Lorsque vous accueillez un avion AWACS, celui-ci n'atterrit pas à la même vitesse qu'un F-18, n'est-ce pas?

Le col Sullivan : En fait, il existe des mesures particulières qui nous permettent d'accueillir un avion plus lent, qu'il s'agisse d'un avion ravitailleur ou AWACS.

Sénateur, permettez-moi de le dire, Cold Lake accueille aussi un type de vol plus avancé; si vous regardez ce qui se fait à Moose Jaw, on y trouve un type de vol très élémentaire. Pour gérer ces deux opérations de vol très considérables, je pense qu'il vaut mieux concentrer le vol élémentaire en un endroit et le vol avancé dans un autre.

Si l'on unit les deux — le très élémentaire et le très avancé —, cela pourrait causer des problèmes dans la mesure où le côté élémentaire exige un échange très intense entre instructeur et pilote, et une bonne partie de cette instruction intensive a lieu sur les circuits; par contre, il y a un peu d'instruction sur les circuits pour le côté avancé, mais l'essentiel de l'instruction se fait dans le champ de tir.

Le président : Cela correspond grosso modo à ce que le général MacDonald nous disait, et je vous ai vu tous les deux conspirer à l'extérieur, mais merci quand même.

Avons-nous un stock imposant de bombes intelligentes? Plus particulièrement, est-ce qu'on cesse d'utiliser les vieilles pièces d'artillerie, est-ce que nos pilotes sont formés à utiliser à utiliser les nouvelles et en avons-nous en stock suffisant?

Le col Sullivan : Eh bien, monsieur, nous ne conservons pas les grands stocks de guerre que nous avions au cours de la guerre froide. Nous avons réduit la plupart de nos stocks, et nous conservons maintenant un stock minimal. En fait, ceux que nous conservons correspondent à ce que nous appelons les « opérations autres que la guerre », ce qui est un type de dépense moins grande pour ce genre d'armes.

Dans nos dépôts, nous avons en ce moment les stocks voulus pour mener les opérations autres que la guerre. Si nous devions revenir à un type quelconque de campagne de bombardement intense, comme celle qu'on a connue avec les forces alliées au Kosovo et en Serbie, nous devrions acheter ou obtenir autrement des armes supplémentaires, normalement de nos alliés américains. Ils nous les fourniraient.

Le président : Ils ont ces stocks; vous pouvez compter sur eux et non seulement pouvez-vous compter sur eux, mais vous avez aussi des protocoles d'entente qui indiquent qu'ils fourniront le matériel lorsqu'on le demandera.

Le col Sullivan : Je ne crois pas que nous ayons des protocoles d'entente. Quand on nous demande d'adhérer à une coalition, ce qui arrive, c'est le genre de questions sur lesquelles se penche le commandant de la coalition.

Le président : Mais tout le monde en a besoin en même temps, n'est-ce pas?

Le col Sullivan : Tout à fait, et parfois le fait que l'on soit accepté ou non dans une coalition dépend de ce que l'on y apporte.

Le président : Si l'on n'a pas ce qu'il faut, on ne l'apporte pas?

Le col Sullivan : En effet, mais si vous me permettez de parler du Canada, ce que nous apportons, c'est un leadership tactique et l'aptitude à mener des opérations dans les environnements et les situations de combat les plus difficiles, et c'est ce que reconnaissent d'abord et avant tout les Américains.

Lorsqu'il s'agit de ravitaillement en vol ou de transport aérien stratégique ou encore de stocks d'armements, c'est ce dont nous discutons lorsque nous arrivons dans une coalition.

Le président : Le message que je retire de cet échange, colonel, c'est que nos restrictions financières ont fait considérablement diminuer nos stocks, n'est-ce pas?

Le col Sullivan : Il est vrai que nous n'affectons pas les mêmes ressources financières à l'achat de ces armes; par conséquent, nos stocks d'armes ont diminué.

Le président : Avons-nous toujours des bombes guidées et des bombes lisses, ou la situation du matériel militaire vous permet-elle d'offrir des armes de précision?

Le col Sullivan : Monsieur, nous avons à la fois des bombes lisses et des bombes guidées, mais nous sommes en transition et nous allons avoir des réserves plus importantes d'armes de précision.

Le président : Pouvez-vous nous donner un ratio?

Le col Sullivan : J'aimerais pouvoir vérifier les chiffres, mais à l'heure actuelle, le ratio est d'environ 60/40 — 60 p. 100 d'armes de précision et 40 p. 100 d'armes de non-précision. Nous allons passer à environ 80/20 dans les prochaines années.

Le président : Aidez-moi. Il est évident que plus les bombes sont intelligentes, plus elles coûtent cher, mais pourquoi voudrions-nous continuer à utiliser des bombes conventionnelles? Elles ne vont pas là où on veut; elles provoquent des dommages collatéraux; les civils sont touchés inutilement, et cetera.

En fait, pourquoi ne pas aller jusqu'à 100 p. 100?

Le col Sullivan : Les bombes conventionnelles que nous avons en stock à l'heure actuelle sont celles qui nous restent.

Dans bien des cas, la bombe elle-même est la bombe conventionnelle, et nous achetons les pièces qui la transforment en bombe intelligente. Souvent, il s'agit simplement d'acheter les pièces. Plus nous en achetons, plus nous aurons de bombes conventionnelles à convertir en bombes intelligentes.

Le président : Merci, c'est un renseignement utile.

Dernier point que je voulais aborder avec vous, c'est ce que vous avez dit à propos des lignes directrices du Conseil du Trésor et du logement. Certes, Cold Lake n'est pas la seule base qui connaît ce problème. Il me semble que nous avons là un système particulier en vertu duquel, lorsque l'économie est prospère quelque part, le prix des habitations est à la hausse et les loyers augmentent donc en conséquence. Les militaires ne profitent pas de cette prospérité économique. Le reste de la population en profite certainement, du moins ceux qui n'ont pas des revenus fixes.

Défendez-vous les intérêts des bases qui se trouvent dans ces régions de prospérité économique et qui font face à des coûts de logement trop élevés? Existe-t-il des moyens collectifs — par exemple, c'est la même histoire à Esquimalt — qui permettent de faire comprendre aux autorités que c'est une politique qui ne marche pas bien et qui ne sert pas les Forces canadiennes? Tout le monde en comprend l'équité, mais il semble qu'il y ait des conséquences inattendues.

Avez-vous défendu ces intérêts et quel genre de réponse avez-vous obtenu des autorités supérieures?

Le col Sullivan : Ma foi, sénateur, c'est exactement ce que nous faisons actuellement; en fait, vous avez tout à fait raison, c'est ainsi que je vois les choses et que les voit la 4e Escadre Cold Lake.

Au fil des années, nous avons entretenu les autorités sur le problème que rencontrent nos militaires qui vivent dans une région prospère. Nous avons maintenant une démarche tout à fait rigoureuse et officielle, puisque nous avons demandé à deux experts-conseils d'effectuer une analyse approfondie de l'économie en examinant en particulier les éléments suivants : assurance-automobile, prix d'un litre de lait, prix du logement acheté ou loué — ou autre chose du genre —, afin de savoir exactement quels coûts supplémentaires encourent les militaires qui vivent à Cold Lake.

En fait, le chef d'état-major de la Force aérienne me indiqué que, lorsque j'aurai remis cette étude au chef d'état- major supérieur, c'est-à-dire lui-même, elle sera défendue au Conseil des forces armées, et nous nous pencherons justement sur la nécessité d'avoir cette prime de poste.

C'est absolument nécessaire à Cold Lake. À l'heure actuelle, nous n'avons aucune prime, et Cold Lake, de notre point de vue et à la lumière de l'étude, est l'un des endroits où le coût de la vie est le plus élevé au Canada, qu'il s'agisse du prix du gaz naturel ou de l'essence. Ce sera donc l'indemnité de séjour.

Nous essayons également de récupérer la possibilité qu'avaient les dirigeants militaires locaux de rajuster le loyer des logements familiaux, en particulier pour les caporaux et soldats.

Comme je le disais tout à l'heure, des gens comme le colonel Werny et moi s'en tirent très bien à Cold Lake — les militaires des grades supérieurs n'ont pas de difficulté — ce sont les jeunes soldats, caporaux, sous-lieutenants et élèves- officiers qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts.

Nous avons une caisse de secours pour les aider à joindre les deux bouts : à payer leurs factures de services publics durant l'hiver. L'appareil de chauffage fonctionne presque continuellement quand la température tombe à moins 40 ou moins 50. Je crois que à peu près tout le monde poussent un peu l'appareil de chauffage pour ne pas avoir froid. La difficulté, c'est que les plus jeunes ne peuvent se le permettre, et c'est là que nous intervenons grâce à cette caisse de secours. C'est une question très délicate et c'est un des gros problèmes que nous avons, le colonel Werny et moi, à Cold Lake.

Le président : C'est honteux. Inacceptable.

Le col Sullivan : En effet.

Le sénateur Meighen : C'est terrible.

Le président : Ce n'est pas une question qui touche la Force aérienne, ce n'est même pas une question qui est limitée aux FC. La GRC a eu ce problème aussi. Nous avons vu notre division quitter l'Ontario à destination d'un endroit plus abordable. Nous voyons les problèmes qu'elle rencontre quand il s'agit de muter des gens à Vancouver, et cetera.

Il me semble qu'il y aurait lieu de faire cause commune lorsque nous avons ce genre d'organisations qui offrent la même rémunération où que l'on vive au Canada. Là encore, cela ne relève pas de votre domaine particulier, mais comme vous connaissez directement la situation, savez-vous si différents ministères essaient de faire cause commune à ce sujet?

Le col Sullivan : Non, je ne sais pas, mais deux fois par an, tous les commandants d'escadre et de base se réunissent pendant une semaine, habituellement sous l'égide du vice-chef d'état-major de la Défense, le VCEMD, à Ottawa.

Il y a un an, j'ai indiqué combien la situation était difficile à Cold Lake, et l'étude que j'ai fait faire à Cold Lake sera un des arguments majeurs pour essayer de faire bouger le Conseil des forces armées et finalement le Conseil du Trésor. Nous espérons que cela incitera à réexaminer les mécanismes actuels qui ont en fait retiré les pouvoirs nécessaires aux commandants d'escadre et de base afin que nous puissions nous occuper des gens sous nos ordres comme nous le faisions autrefois.

Le sénateur Forrestall : J'ai écouté avec intérêt ce que vous avez dit. Il me semblerait qu'il y en ait d'autres — en fait, j'en suis certain —, mais la base de Greenwood n'est pas touchée par une très forte croissance dans cette partie de la vallée.

Dans votre étude, faites-vous une comparaison des pressions et des loyers? Votre logement a au moins 50 ans, et il y a radiation au cours des deux premières années. Par conséquent, le gouvernement a rejeté l'idée que, au nom des caporaux et soldats, les Forces canadiennes mettent de côté ou en fiducie une partie de l'argent qui leur reviendrait à leur départ des Forces canadiennes, pour pallier cette incapacité d'amasser un avoir propre.

Savez-vous combien vous pourriez payer à Cold Lake, pas nécessairement à Greenwood, et ce qu'on peut devoir à payer à Moose Jaw?

Le col Sullivan : Oui, sénateur. Je crois que nous avons 92 ou 93 points dans l'ensemble du pays qui constituent la base de l'étude. Tous les emplacements militaires sont inclus dans la comparaison et, de plus, d'autres endroits ont été choisis au hasard pour que nous ayons une très bonne représentativité. Ces données proviennent de toutes les provinces, de tous les territoires, toutes les bases militaires et d'autres collectivités, et qui nous servent pour faire une analyse comparative.

Le sénateur Forrestall : Combien de temps faudra-t-il avant que le tout soit achevé?

Le col Sullivan : Eh bien, j'espérais que le tout soit achevé il y a quatre mois, mais quand nous arrivons à une étape de l'étude où nous pensons qu'elle est terminée, il se pose alors parfois plus de questions qu'on a de réponses, et nous poursuivons donc encore. J'espère que ce sera terminé d'ici juin.

Le sénateur Forrestall : Pourriez-vous en faire parvenir une copie au greffier quand elle sera terminée?

Le col Sullivan : Oui, certainement.

Le sénateur Meighen : Messieurs, veuillez m'interrompre si je pose une question à laquelle on a déjà répondu quand j'étais absent de la salle, mais j'ai dû me retirer, et veuillez m'excuser si je répète quelque chose qu'on a déjà dit.

Nous sommes allés à Edmonton en tant que comité pour la dernière fois, en l'an 2000, je pense; depuis, nous nous sommes rendus dans de nombreuses bases et de nombreuses collectivités dans l'ensemble du pays; les lacunes et la gravité des lacunes sont désespérément semblables et sérieuses. Il semble que la situation concernant les installations et le temps de formation, le nombre de formateurs, l'infrastructure, l'accès à des soins médicaux spécialisés, la qualité et le coût du logement, les techniciens et les problèmes que pose leur perfectionnement est au même point qu'il y a cinq ans.

Je sais que la rémunération dans les forces armées a augmenté, je pense qu'il faut dire qu'elle a été majoré sensiblement; c'est donc une bonne chose, mais évidemment, quand on parle du coût de la vie, l'autorité supérieure — l'état-major supérieur, plutôt — dont j'ai toujours pensé qu'elle se trouvait au ciel; je ne savais pas qu'elle était à Ottawa. On apprend de nouvelles expressions chaque fois qu'on voyage, et je n'avais encore jamais entendu celle-là.

Quoi qu'il en soit, l'état-major supérieur semble avoir vraiment du mal à combler ces lacunes dans un délai raisonnable.

Puis-je revenir à ce dont nous parlions quand j'ai dû quitter la salle, pour que je puisse mieux comprendre pourquoi le gouvernement estime d'une part qu'en raison de restrictions, de restrictions financières, on ne peut voler plus de 150 heures?

Le col Sullivan : Oui.

Le sénateur Meighen : Et vous aimeriez voler 180 heures, ce qui serait normal; il vous manque donc 30 heures par pilote?

Et puis d'autre part, il y a la question de l'inexpérience des techniciens qui, je pense, s'explique en grande partie par le départ d'un bon nombre de techniciens d'expérience, et c'est, à mon avis, lié à l'essor de l'économie, surtout là où vous vous trouvez.

Pouvez-vous me donner une idée des délais dans un cas comme dans l'autre? Si Ottawa décidait demain de supprimer les limites au temps de vol et déterminait que vous pouvez voler 180 heures, que feriez-vous? Ou inversement, combien de temps vous faudrait-il selon votre plan actuel pour que les techniciens répondent aux normes appropriées?

Le col Sullivan : Nous réfléchissons à cette question tous les jours, et malheureusement, la réponse n'est pas très encourageante.

Nous ne pouvons combler la lacune avec laquelle nous composons maintenant avec nos techniciens. Nous ne pouvons la combler; nous ne pouvons pas améliorer les choses. C'est un trou béant.

Si vous voyiez la répartition de nos techniciens d'expérience, vous verriez qu'il y en a qui possèdent deux ans d'expérience et ceux qui peuvent en avoir jusqu'à 25, et nous avons ce trou béant entre ces deux extrêmes. Cette situation s'est fait jour entre le milieu et la fin des années 90. Nous ne parvenons pas à combler cette lacune. Nous le pourrions; il y a un moyen : réembaucher tous les techniciens qui sont partis, moyennant de l'argent.

Nous avons donc ce trou béant; cet obstacle énorme, qui s'étale sur trois à cinq ans maintenant et pourrait durer jusqu'à huit ans, va traverser tout le système du boa constrictor, et il nous faudra 20 ans pour que cette lacune cesse de se faire sentir parmi nos escadrons.

Le problème n'est pas près de disparaître, mais nous tentons de l'atténuer. C'est très décourageant, mais nous tentons de l'atténuer. L'une des meilleures mesures que nous avons mises en place s'avère étonnamment simple, mais si vous examinez la situation des escadrons de chasse, vous verrez que le tiers de ces techniciens n'ont pas de formation. Ils sont simplement là sous la surveillance de techniciens principaux, mais ils ne sont vraiment d'aucune utilité. Les techniciens principaux font tout ce qu'ils peuvent pour essayer de réparer l'aéronef qu'ils ont en main, et ils essaient aussi de s'occuper de ces jeunes gens qui attendent d'apprendre pour acquérir les qualifications voulues.

Nous avons créé ce que nous appelons des escadrilles d'instruction technique. Nous en avons installé une à chacune de nos escadres de chasse, et je pense qu'elles sont réparties dans toutes les autres escadres aériennes. Cette escadrille d'instruction technique est semblable à une école pour techniciens où nous réunissons jusqu'au tiers de l'effectif de chacun des escadrons; nous les faisons venir et nous leur donnons un cours théorique en parallèle, dans un environnement contrôlé.

Autrefois, on apprenait sur le tas. Ils apprenaient comment réparer un train d'atterrissage et remplacer des moteurs en travaillant au côté de techniciens d'expérience, et c'est ainsi que le programme fonctionnait, en grande partie. Nous avons dû faire preuve d'imagination, mais en utilisant une méthode très simple, c'est-à-dire en retirant ces techniciens subalternes de l'escadron.

Cela dit, nous y avons doublement gagné, parce que ces techniciens subalternes sont maintenant formés dans un environnement très contrôlé, et les techniciens principaux peuvent maintenir consacrer tout leur temps à la réparation des aéronefs; c'est pourquoi nous constatons d'extraordinaires résultats pour ce qui est de l'état de fonctionnement, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, et que nous avons cet escadron qui fonctionne à 100 p. 100; c'est parce que 65 p. 100 d'entre eux, pendant un mois, se sont concentrés sur tous leurs aéronefs et les ont tous réparés.

Ils ne seraient pas en mesure de le faire s'ils devaient s'occuper entièrement des tâches opérationnelles ou de formation et des techniciens subalternes, et c'est ce à quoi nous sommes parvenus. Nous avons dû créer ces nouvelles façons d'envisager nos méthodes de formation pour l'escadre et voir comment nous pouvions assurer la formation dans un environnement contrôlé en dehors de l'escadrille.

Le sénateur Meighen : C'est très éclairant, colonel.

Ne serait-il pas merveilleux cependant — et vous avez abordé le sujet dans vos observations — si vous pouviez réembaucher les gens pour la formation desquels vous avez dépensé des milliers et des centaines de milliers de dollars. Ils auront peut-être été attirés par le secteur de l'aviation civile, et c'est là qu'ils se trouvent; peut-être sont-ils dans la Réserve, mais peut-être ne le sont-ils pas.

Inlassablement, le comité a entendu parler des incroyables difficultés administratives que pose le processus de mutation de la Réserve vers la Force régulière.

Le col Sullivan : C'est vrai.

Le sénateur Meighen : On n'arrive pas à retrouver le dossier; il faut six mois — des histoires parfaitement incroyables. Y a-t-il eu des améliorations à cet égard?

Le col Sullivan : Il y a des exemples d'amélioration, parce que je pense que nous apprenons au fur et à mesure. C'est d'une très grande lourdeur administrative : il faut d'abord passer par le centre de recrutement — le recrutement et la formation sont séparés des opérations la plupart du temps; puis ils arrivent, et ils sont confiés aux escadrons.

Si nous prenions un pilote ou un technicien de formation, qui peut n'être là que depuis quelques années et voulions par exemple les affecter directement aux opérations, nous pourrions essayer de court-circuiter la lourdeur administrative du recrutement. Il y a certains éléments dont il faut tenir compte : ils doivent obtenir à nouveau une autorisation de sécurité; ils doivent subir un examen médical et le réussir. Nous le reconnaissons, mais la plupart du temps maintenant, ces mesures administratives concernant le recrutement, l'examen médical, l'autorisation de sécurité sont toujours en place, et c'est pourquoi il faut attendre très longtemps avant que ne revienne quelqu'un qui a terminé sa formation.

Le colonel Werny et moi le constatons régulièrement, et c'est très frustrant.

Le sénateur Meighen : Nous compatissons. On a beaucoup de mal à comprendre comment ce problème peut persister depuis si longtemps. Tout le monde dit y travailler. Rien ne se passe.

Le col Sullivan : C'est juste.

Le sénateur Meighen : Compte tenu de la réduction du nombre d'heures de vol dont vous avez parlé, je suppose donc qu'il faut plus de temps à un pilote pour acquérir de l'expérience et, si l'on devient un pilote d'expérience et au fil de cette expérience acquise, on obtient probablement de l'avancement. Cela a-t-il un effet sur les promotions? Le cas échéant, cela se répercute-t-il sur le moral des intéressés?

Le col Sullivan : Cela a un effet d'entraînement à de nombreux égards. Si on vole moins d'heures par année, il faut alors plus de temps à un pilote débutant pour acquérir de l'expérience. Cela a de lourdes conséquences sur nos escadrons.

Quand nous avions un programme de formation ou un cycle de formation dans le cadre duquel un nouveau pilote de chasse arrivait dans un escadron, il avait normalement atteint un certain niveau 18 mois plus tard, et c'est le niveau d'expérience de 18 mois, comme nous l'appelons.

Maintenant quand il nous arrive, il faut normalement de deux ans à deux ans et demi, parfois trois ans, pour qu'il atteigne ce niveau, ce qui veut dire que nous devons le laisser plus longtemps à l'escadron, ce qui ralentit la cadence à laquelle nous pouvons former les pilotes, parce que chaque fois que des nouveaux pilotes nous arrivent, nous devons leur faire de la place, et nous retirons les anciens de l'escadron pour faire de la place aux nouveaux. Les anciens qui sont retirés de l'escadron n'ont pas encore atteint le niveau d'expérience souhaité, et cette situation a des répercussions importantes au bout du compte.

Le sénateur Meighen : Dernière question, ou voulez-vous que je m'arrête là?

Le président : Poursuivez. Le colonel vient tout juste de nous décrire la spirale de la mort, mais poursuivez.

Le col Sullivan : C'est exactement cela.

Le sénateur Atkins : Par simple curiosité, quand un pilote monte à bord de son CF-18, quelle est la durée approximative de chaque vol?

Le col Sullivan : S'il se trouve à Cold Lake, il s'agit normalement d'une mission d'une heure et demie, et il ne volerait qu'une fois dans la journée.

Ordinairement, si nous pouvons le faire voler deux fois, parfois trois fois au cours d'une semaine, ce serait considéré comme une bonne semaine pour lui.

Le sénateur Atkins : La question est ennuyeuse. Je sais que vous avez décrit le polygone de 140 kilomètres environ, mais il est certain qu'ils vont au-delà de celui-ci.

Le col Sullivan : Oui.

Le sénateur Atkins : Où vont-ils?

Le col Sullivan : La zone de travail aérien à Cold Lake — et je vous prie de m'interrompre si jamais ces données vous sont déjà familières — est le plus grand espace aérien au monde pour la conduite des opérations de vol d'entraînement.

L'espace aérien pour le vol à basse altitude s'étend des contreforts des Rocheuses de la Colombie-Britannique jusqu'à la forêt boréale au Manitoba, et du cercle arctique jusqu'au deux tiers de la distance de la frontière américaine. C'est dans cet espace aérien qu'on peut faire nos vols à basse altitude, c'est-à-dire d'une hauteur de 250 pieds jusqu'à 12 000 pieds. Vous pouvez imaginer ce qu'en pensent nos alliés européens lorsqu'ils voient les dimensions de cet espace aérien, qui couvre une surface qui est presque aussi grande que l'Europe. Cet espace pourrait donc couvrir de Londres à Varsovie, et du Danemark à la Suisse. On parle donc d'un espace aérien énorme. Le champ de tir qui comporte nos cibles se trouve à l'intérieur de cet espace aérien et mesure 120 milles marins sur 40 milles marins.

Lorsque les Américains viennent le regarder, ils le qualifient du plus grand plateau hollywoodien depuis toujours, parce que nous avons un champ de tir qui compte 640 cibles, plus de 90 installations, sept terrains d'aviation simulés, tous à l'échelle, et toutes ces zones de cible comportent des avions, des TTB, des chars d'assaut, des véhicules et des radars pour l'ensemble du polygone.

Par conséquent, un pilote peut décoller de Cold Lake, faire un vol d'une heure dans une direction sans quitter notre espace aérien, faire demi-tour et revenir. En fait, l'espace aérien à notre disposition est tellement grand qu'il nous permet à mener toutes nos diverses activités d'entraînement sans problème.

Le président : On a cru comprendre que Goose Bay n'est plus une destination de choix notamment parce que la théorie des groupes de chasse à l'OTAN a changé depuis la première guerre du Golfe et que la demande en ce qui concerne les vols à basse altitude est en baisse.

Vous étiez en train de discuter des possibilités de faire des vols à basse altitude. Y a-t-il quelque chose que je n'ai pas compris?

Le col Sullivan : Non, sénateur. Essentiellement, vous avez tout compris. Goose Bay servait surtout aux vols à basse altitude. Nous pouvons toujours faire les vols à basse altitude à Cold Lake, et certains pays le font mais pas le Canada.

Nous avons décidé de ne plus faire des vols à basse altitude pour des raisons de ressources. Étant donné qu'on nous a réduit les heures de vol au fil des ans, nous avons commencé à éliminer certaines tâches, et les vols à basse altitude étaient parmi les premières que nous avons éliminées.

Le sénateur Meighen : Et l'opération Maple Flag est prévue pour le mois de mai, n'est-ce pas?

Le col Sullivan : Oui,sénateur.

Le sénateur Meighen : Donc dans un ou deux mois?

Le col Sullivan : Oui, monsieur.

Le sénateur Meighen : Attendons-nous toujours la permission en ce qui concerne la clôture, les laissez-passer et ainsi de suite? Il est tout à fait impossible que vous obteniez tout cela d'ici cette date, n'est-ce pas?

Le col Sullivan : Non, monsieur. Nous n'attendons pas la permission afin de construire les clôtures. La construction des clôtures est déjà en cours. Au fait, les clôtures sont presque prêtes, ce qui a exigé des efforts énormes depuis les six ou douze derniers mois.

Nous n'avons pas encore les autres éléments auxquels j'ai fait allusion, c'est-à-dire les caméras de vidéosurveillance, l'accès à clef et les cartes magnétiques — donc, nous serons obligés d'embaucher du personnel de sécurité, ce qui coûte très cher.

Au rythme où vont les travaux, nous aimerions avoir en définitive des mécanismes et une technologie de sécurité modernes et entièrement financés, ce qui nous permettrait à réduire le coût du personnel de sécurité.

Le sénateur Meighen : À l'heure actuelle, vous pouvez empêcher les orignaux d'entrer, mais c'est à peu près tout.

Je crois que vous avez dit, colonel Sullivan, que les deux escadrons opérationnels sont des unités aériennes expéditionnaires, ce qui m'amène à vous poser deux questions. Combien de personnes possèdent les qualifications en matière de ravitaillement en vol et combien de CF-18 pourriez-vous déployer d'une façon suivie, compte tenu de vos responsabilités au sein du NORAD et de la pénurie du personnel?

Le col Sullivan : Je continuerai donc de parler d'unités aériennes expéditionnaires plutôt que d'escadrons, même si il s'agit d'une expression relativement nouvelle, quoique les Américains s'en servent depuis un certain temps déjà. Le terme « expéditionnaire » signifie que nous pouvons nous rendre à destination plutôt rapidement et que nous n'avons pas besoin, à destination, de gros hangars permanents comme nous avons ici. Nous pouvons tout transporter : nous avons nos abris déployables, nos hangars déployables qui ressemblent à de grosses tentes montées sur des cadres d'aluminium rigides.

Nous avons aussi un poste de commande et de contrôle que nous déployons et qui, avec l'unité aérienne expéditionnaire, comprend quelques 450 personnes; nous laissons nos hangars à Cold Lake et déployons nos effectifs dans un « lieu rudimentaire » où nous trouverons peut-être une piste et une voie de circulation ainsi qu'une voie de garage, mais où il nous faudra fournir tout le reste. Nous sommes donc prêts à ce genre de choses. Nous sommes prêts à ce genre de déploiement. Cold Lake est prêt à ça, car nous avons notre unité aérienne expéditionnaire. Cette unité peut partir à quelques jours d'avis pour toute destination qu'on nous donnera.

Quant au ravitaillement en vol, tous les pilotes de nos escadrons de chasse perfectionnent cette compétence qui, comme vous pouvez le penser, est essentielle.

Le sénateur Forrestal : Et à quoi s'entraînent-ils?

Le col Sullivan : À l'occasion, nous voyons nos propres ravitailleurs canadiens KC-130 et environ deux fois par année nous les verrons et à Cold Lake et à Bagotville, ce qui donnera à tous l'occasion de se rafraîchir sur la procédure qui est très exigeante.

Le sénateur Meighen : Et deux fois l'an, est-ce assez?

Le col Sullivan : Non, ce n'est pas assez. Il faut se prêter à ce genre d'exercice plus souvent pour tenir à jour sa compétence, et le ravitailleur que nous préférons est encore le KC-135 américain. Il y en a un en alerte à Spokane, Washington, prêt à voler vers le Nord en appui de notre défense du Canada et il y en a un autre aussi à Bangor, Maine, qui appuie nos opérations dans l'Est du Canada.

S'il y avait une alerte véritable, disons à deux heures du matin, les aéronefs décolleraient immédiatement pour établir une zone de protection au-dessus de Vancouver et nous trouverions dans cette zone un ravitailleur KC-135 américain pour nous aider.

Le sénateur Meighen : Est-ce sous l'égide du NORAD?

Le col Sullivan : Oui, sénateur. Voilà pour le ravitaillement en vol, et le troisième point m'échappe.

Le sénateur Meighen : Compte tenu de vos autres engagements, combien d'appareils pouvez-vous déployer sans interruption de service.

Le col Sullivan : Voilà l'autre question qui nous tourmente constamment. Nous nous entraînons pour bien des éventualités, mais l'activité concurrente constitue notre plus grand défi.

Nous pouvons déployer une demi-douzaine de ces F-18 en provenance du Canada vers d'autres pays tout en respectant le gros de nos engagements envers le NORAD pour ce qui est de la défense de l'Amérique du Nord. Nous ne pourrions pas respecter nos engagements en totalité, et certains chiffres sont confidentiels ou classifiés, mais si nous devions déployer six de nos chasseurs à l'étranger, nous pourrions revenir au même niveau d'alerte avec le même nombre d'avions déployés au Canada que nous avons eu pendant les 14 mois qui ont suivi le fameux 11 septembre. Vous comprenez donc que nous pouvons respecter le gros de nos engagements pour ce qui est de la défense du territoire que nous devons protéger et que nous pourrions le faire indéfiniment.

Le sénateur Meighen : Le sénateur Atkins m'a soufflé une question impertinente lorsque vous avez parlé de 450 personnes et de tout ce matériel.

Vous vous servez de quel moyen de transport? Vous tirez tout ça sur des traîneaux?

Le col Sullivan : Le ministre Graham est venu faire un tour à Cold Lake récemment. Je lui ai brossé un tableau de la situation et il a posé exactement la même question.

À l'heure actuelle, les Forces canadiennes n'ont pas la capacité de transport aérien stratégique qu'il faut pour assurer un déploiement d'une telle importance, mais nous avons trois solutions qui s'offrent à nous : le plus probable, c'est que nous ferions appel à la solution dite Antonov c'est-à-dire le transport aérien stratégique commercial; deuxièmement, nous pourrions faire appel à nos plus proches amis et alliés, les Américains, qui ont tout ce qu'il faut en matière de capacité de transport aérien stratégique et, s'ils répondaient à notre demande, nous pourrions aller de l'avant; la troisième option serait de faire appel à l'un quelconque de nos autres alliés, qu'il s'agisse des Britanniques ou des Français ou de tout autre pays qui voudrait bien nous aider à déployer nos troupes à l'étranger.

Le sénateur Meighen : N'y a-t-il pas une quatrième solution?

Le col Sullivan : J'espérais que cette quatrième solution serait qu'un jour nous puissions faire appel à nos propres ressources, ce qui deviendrait alors notre première option.

Le sénateur Meighen : Et vous l'avez dit au ministre Graham, je l'espère?

Le col Sullivan : Oui, sénateur, absolument.

Le sénateur Forrestal : Il vous en faut combien?

Le col Sullivan : Combien? Pour pouvoir déployer une unité aérienne expéditionnaire de 450 personnes — la moitié composant l'escadron et l'autre moitié, le personnel de soutien, c'est-à-dire les cuisiniers, les ingénieurs et tout le reste — il nous faudrait 14 Antonov ou 14 vols d'Antonov, juste pour vous situer.

Il s'agit d'un mouvement aérien d'importance et, en fonction de la rapidité avec laquelle nous pouvons assurer la disponibilité des avions, le personnel à Cold Lake est prêt à effectuer ce mouvement en quelques jours et, dès l'arrivée du premier appareil, nous nous emploierions à embarquer le matériel et à assurer le déploiement.

Le président : Ce qui donne 86 Chalks et un Hercules, n'est-ce pas?

Le col Sullivan : Oui. En réalité, sénateur, nous n'avons pas effectué nos calculs en fonction du C-130

Le président : Messieurs les colonels, au nom du comité, merci beaucoup. Cette heure et demie a été très riche en renseignements et nous savons gré d'avoir pu vous déplacer jusqu'ici pour nous aider dans notre étude. Comme vous pouvez le constater, nous sommes encore en mode d'apprentissage. Vous nous avez permis d'accroître beaucoup nos connaissances et nous vous en sommes très reconnaissants.

Avant votre départ, je vous charge de transmettre un message à Cold Lake, à tous ces hommes et à toutes ces femmes qui nous servent là-bas : dites-leur que nous sommes très fiers du travail qu'ils y font. À titre de membre du Parlement, nous leur sommes reconnaissants de ce qu'ils font pour le pays, et nous vous saurions gré de leur faire savoir notre gratitude et notre fierté à leur endroit.

La séance est levée.


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