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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans

Fascicule 5 - Témoignages du 14 avril 2005


OTTAWA, le jeudi 14 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui à 10 h 51 en vue d'examiner les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada.

Le sénateur Gérald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : La séance est ouverte. Bienvenue à tous.

Au mois d'octobre 2004, le Sénat a confié au comité le mandat d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au nouveau cadre stratégique en évolution du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Nos délibérations jusqu'à ce jour ont principalement porté sur l'opportunité d'attribuer, à des particuliers ou à des entreprises de pêche, une certaine forme de propriété privée dans les stocks de poissons, notamment en leur attribuant des quotas individuels (QI) et des quotas individuels transférables (QIT). Au Canada, des QI et des QIT ont été attribués graduellement au fil des années, une espèce à la fois. Ce mécanisme a été instauré pour la pêche de plus de 40 différentes espèces jusqu'à maintenant, représentant au-delà de la moitié de la valeur des débarquements.

Certes, la privatisation soulève bien des inquiétudes et suscite des débats fort animés. Nombreux sont ceux qui considèrent la Nouvelle-Zélande comme l'un des chefs de file mondiaux de la gestion des pêches, un pays où les théories économiques sur les quotas de pêche privés ont été mises à l'essai à grande échelle. Les membres du comité avaient prévu se rendre en Nouvelle-Zélande, mais n'ont pas réussi à obtenir du Sénat le financement nécessaire pour réaliser leur projet.

Il semblerait que le haut-commissaire de la Nouvelle-Zélande connaît à fond les enjeux en matière de pêche, ayant siégé au Comité des pêches de son pays. À ce qu'on m'a dit, il a abordé la question des QI et des QIT avec beaucoup de réserves à leur sujet, mais il endosse tout à fait maintenant ce concept. Il nous apparaît utile d'obtenir le point de vue de responsables d'un pays ayant mis à l'épreuve cette théorie économique.

Nous sommes heureux de compter parmi nous M. Graham Kelly, haut-commissaire de la Nouvelle-Zélande au Canada depuis le mois de juillet 2003. Avant de devenirhaut-commissaire, M. Kelly a été député de 1987 à 2003 du parti travailliste néo-zélandais. On lui avait confié notamment le rôle de porte-parole du parti travailliste dans le dossier des pêches.

M. Kelly est accompagné aujourd'hui par M. Andrew Needs, haut-commissaire adjoint.

Soyez le bienvenu, monsieur Kelly. C'est avec grand plaisir que nous attendons votre exposé sur les résultats obtenus dans l'industrie des pêches, en Nouvelle-Zélande.

Son Excellence Graham Kelly, haut-commissaire, Haut-Commissariat de la Nouvelle-Zélande : Je vous remercie, monsieur le président, madame et messieurs les sénateurs. Il me fait grand plaisir de renouer avec le milieu halieutique.

M. Andrew Needs, haut-commissaire adjoint et qui m'accompagne aujourd'hui n'a aucune connaissance particulière des pêches, outre le fait qu'il soit un grand amateur de poisson. Si nous pouvons vous fournir des renseignements supplémentaires à la fin de cette séance, que ce soit de manière officielle ou officieuse, nous sommes à votre disposition.

À l'époque, on m'a fait siéger à notre Comité sur les pêches sans doute pour me punir. Je ne savais rien à propos du poisson, à part du fait qu'il vit dans l'eau. Je suis ensuite devenu porte-parole de l'opposition pour le dossier des pêches, et j'ai alors dû apprendre beaucoup en peu de temps.

J'ai abordé ce dossier sans connaître quoi que ce soit, mais j'avais l'esprit ouvert quant aux rouages du système. Compte tenu de mes débuts dans la gauche, étant député du parti travailliste, je me suis opposé dès le départ à la privatisation de nos pêches par le biais de l'adoption d'un système de gestion par quotas, lequel avait été instauré deux ans avant mon arrivée au Parlement.

J'ai fait volte-face depuis parce que ce régime s'est avéré, pour nous, un miracle contemporain, tant au plan écologique qu'au plan de la conservation. Il a sauvé quelques-unes des pêches menacées auparavant. Il nous a également permis d'exploiter les pêches tout en assurant un milieu durable où la protection des stocks de poisson est la pierre angulaire de notre action.

La Nouvelle-Zélande n'est pas un pays connu pour ses pêches. Les eaux qui nous entourent sont plus abondantes que pour tout autre pays au monde. Il faut voyager douze heures en avion dans une direction et trois heures dans une autre pour trouver le prochain lopin de terre ou faire neuf heures de vol pour atteindre l'Antarctique. L'agriculture a été à la base de notre économie, sauf pour les Maoris indigènes qui pêchent, mais pour leur propre subsistance.

Après la Deuxième Guerre mondiale, à mesure que l'économie du Japon se redressait, on a commencé à voir graduellement des bateaux de pêche japonais dans nos eaux, surtout dans les années 60 et 70. Quelques-uns de nos stocks de poisson sont devenus menacés. Les Japonais pouvaient toutefois pénétrer nos eaux territoriales parce que nous ne pêchions pas le poisson. Selon le droit de la mer, tous ont le droit de pêcher ce que les autres pays ne pêchent pas. Nous ne participions pas à cette activité économique.

Quelques petits exploitants s'intéressaient à la pêche, des Italiens pour la plupart, qui pêchaient le long des plages ou de petits quais, dont les prises suffisaient à approvisionner leurs propres stands de « poisson et frites », mais c'était tout.

La surpêche et la question de la pêche durable ont incité le gouvernement néo-zélandais à examiner les mesures à prendre, d'une part, pour exploiter nous-mêmes la ressource et, d'autre part, pour protéger les pêches. Le gouvernement a décidé d'adopter le système de gestion par quotas et de commercialiser les stocks de poisson. En 1986, c'était la première tentative du genre au monde. Il s'agissait donc d'une expérience. Le gouvernement a accordé des quotas à des pêcheurs actifs et a calculé ceux-ci en fonction de la quantité de poissons que ces derniers attrapaient normalement. On leur a donné les quotas; ils les ont obtenus gratuitement.

Quand les pêcheurs ont reçu les quotas, ils n'étaient pas conscients de leur valeur, mais ces quotas ont vite pris de la valeur, parce que les pêcheurs pouvaient les acheter et les vendre comme une voiture usagée. De nombreux petits pêcheurs ont vendu leur quota. Un gain fortuit que presque tous ont regretté amèrement par la suite. La vente des quotas a eu une incidence sur les petites localités de pêche parce qu'une fois les quotas vendus, les pêcheurs ne pouvaient plus se permettre de les racheter parce leur valeur s'était sensiblement appréciée. C'est alors qu'apparut pour la première fois le phénomène de la concentration des quotas.

À l'époque, les Maoris représentaient environ 13 p. 100 de la population du pays. Le Traité de Waitangi, conclu en 1840 avec le gouvernement britannique, garantissait aux Maoris leurs pêches, leurs forêts et leurs terres. Or, on a ensuite fait fi de ce traité si bien que les Maoris avaient à peu près tout perdu de ces gains. La nouvelle entente reposait sur une législation séparée, garantissant cette fois aux Maoris 20 p. 100 des pêches, sous forme de quotas. Dans un cas particulier, le gouvernement a acheté une entreprise de pêche titulaire de quotas correspondant à cette proportion de 20 p.100, et a ensuite cédé l'entreprise aux Maoris.

Les Maoris s'en portent très bien depuis. Ils détiennent maintenant 60 p. 100 du quota. Un exemple de réussite qui dépasse toutes les attentes.

Nous avons présenté le concept des droits de propriété du quota en partant du principe qu'aucun étranger ne pourrait détenir plus de 24,9 p. 100 de ce quota. Nous nous sommes aussi assurés que les stocks visés par les quotas se trouvaient dans la zone économique de 200 milles, interdite en principe aux entreprises étrangères. Le problème était le manque d'argent, de compétences, de connaissances spécialisées, de bateaux et de pêcheurs pour accomplir le travail. Les entreprises néo-zélandaises à qui on a accordé le quota ont établi des coentreprises avec les Japonais, les Norvégiens et n'importe quelle autre partie capable de pêcher le poisson. Ils pêchaient le poisson pour nous.

Nous avons scindé le pays en zones de gestion des quotas. Si l'on vous accordait un quota pour une espèce particulière, vous deviez pêcher cette espèce à l'intérieur de la zone. Nous avions installé des systèmes de surveillance par satellite et placé des observateurs sur les bateaux. Toute entreprise qui prenait une quantité plus importante de poisson que ne leur permettait le quota ou qui pêchait à l'extérieur de la zone s'exposait à de sérieux problèmes. Je décrirai cet aspect tantôt plus en détail, car les conséquences sont assez onéreuses.

On retrouvait des équipages affrétés ou non, c'est-à-dire des équipages engagés ou non avec le bateau affrété. Il était bien souvent moins coûteux d'engager l'équipage parce qu'un nombre non négligeable de pêcheurs provenait de pays comme les Philippines et d'autres pays en développement, travaillant à faible salaire. Dans un cas particulier, les membres d'un équipage russe gagnaient 4,50 $ américains par jour pour une journée de 12 heures. Au début, nous avons édifié notre industrie des pêches en partie en exploitant des travailleurs du Tiers monde et d'ailleurs.

On transformait parfois le poisson à bord ces mêmesbateaux, sinon la transformation se faisait sur la terre ferme.Il a fallu attendre quelque temps pour obtenir une« néo-zélandisation » de l'industrie. Le système de gestion par quotas a été adopté en 1986, et la législation sur les pêches pour les Maoris en 1991 ou en 1992. On voit bien à quel point cette évolution s'est faite rapidement. L'industrie a aussi pris de l'essor, de même que les droits de propriété néo-zélandaise des bateaux et des usines et le recrutement local de membres d'équipage. L'industrie de la pêche occupe maintenant le cinquième rang parmi les secteurs d'exportation du pays. Auparavant, aucun produit de la pêche n'était exporté, alors qu'aujourd'hui, entre 98 et 99 p. 100 du poisson est exporté. Un très bel exemple de réussite.

En ce qui concerne les Maoris, nous avons institué la Commission des pêches Waitangi, laquelle fut chargée d'attribuer les quotas aux tribus. Certaines tribus avaient toujours vécu le long de la côte et pêché, alors que d'autres vivant à l'intérieur des terres n'avaient jamais pêché. Que faire avec ces tribus? Elles ont fait valoir que tous devaient obtenir une part des pêches en haute mer. C'est précisément ce qui s'est produit.

J'aimerais prendre un moment ici pour vous parler des divers intervenants dans ce dossier. Il serait peut-être utile de distribuer à l'instant une brochure où l'on décrit les rouages de notre système. Je ne veux pas trop m'y attarder, mais vous aurez peut-être quelques questions à poser à ce sujet.

Les Canadiens semblent se lancer sans fin dans des processus de consultation pour éviter d'offenser quiconque. Nous avons appris une nouvelle technique en Nouvelle-Zélande : la consultation des intervenants. Nous consultons beaucoup les divers intervenants. Les deux tiers des enfants néo-zélandais pêchent probablement parce que toute la population de la Nouvelle-Zélande n'est jamais à plus de deux heures de la mer. C'est ce qui se produit dans un pays long et étroit. Nous comptons de nombreuses rivières et lacs; les gens y pêchent. Les intervenants viennent de tous les horizons : groupes d'intérêts commerciaux, organismes de loisirs, groupes environnementalistes, les Maoris et les administrations régionales et locales — dans votre pays, sans doute il y aurait lieu de consulter aussi les gouvernements provinciaux et territoriaux — et divers autres organismes intéressés à ces questions. Il importe évidemment de consulter les « écolos » et les groupes environnementalistes, lesquels n'hésitent pas à se faire entendre pendant que vous tentez de régler le dossier et sont omniprésents.

Le ministère des Pêches est chargé de ce dossier et arrive à trouver un terrain d'entente. Le ministre des Pêches fait preuve d'une grande prévoyance lorsqu'il négocie le quota de l'année.

Étant donné que ce régime est axé sur les écosystèmes, la première règle d'or est de ne jamais accepter les propos des entreprises commerciales, lesquelles soutiennent notamment qu'il y a toujours du poisson dans la mer. Une photo prise pendant une expédition de pêche ne révèlera rien. En revanche, une photo prise en avion d'un troupeau de moutons ou d'une forêt permettra d'obtenir une bonne vue d'ensemble de la situation. Nous avons alors constitué des bases de données avec l'aide de scientifiques afin d'établir les quotas. Lorsque les quotas visant une espèce particulière sont attribués à chaque année, les quotas sont alors calculés en fonction du principe du volume total autorisé des prises. Le volume total autorisé des prises découle d'une évaluation en vue d'une pêche récréative et d'une évaluation en vue de la pêche commerciale, le volume total autorisé des prises commerciales étant à l'intérieur de ces paramètres. On établit ensuite des limites de possession, au cas où la situation tournerait mal.

Tous ces calculs sont réalisés avant le 1er octobre, soit le début de notre saison de pêche. Si vous pêchez une espèce en particulier, vous pouvez remplir votre quota les trois premiers jours. Il y reste donc alors 362 jours sans pêche. On ne se rue pas chez nous comme au Canada, où les bateaux se précipitaient tous à la pêche à la morue. La ressource a été surexploitée et l'industrie s'est écroulée. Les gens n'ont pas à se précipiter et peuvent attendre un bateau d'outre-mer. Certains bateaux sont spécialisés dans une espèce particulière. Il n'est pas toujours rentable de les acheter. Il vaut mieux les noliser, parce qu'il existe pratiquement plus de navires à noliser ou à engager que de poissons à pêcher!

Il est important de tenir compte des principes écologiques, que l'on n'arrive à peu près jamais à concilier avec les impératifs commerciaux et les pressions découlant de ceux-ci. Il y a toujours des prises de bec. Il faut un ministre des Pêches qui a du cran, qui ne plie pas sous la pression de l'industrie commerciale. S'il plie, le péril nous guette tous. La perche de mer, par exemple, est un poisson de haute mer vivant près des sommets de petites montagnes sous la mer. Pour les pêcher, il faut chaluter sans toutefois percuter les flancs de la montagne submergée. On estime à environ 70 ans l'espérance de vie de cette espèce.

Or, si on s'est trompé, il faudra attendre plus d'une vie pour savoir si on a réglé ou non le problème. En tout cas, la surpêche viendra éliminer pratiquement toute chance de survie de l'espèce. Nous avons acquis une foule de connaissances à cet égard, et cela nous a été fort utile.

Nous préconisons une démarche préventive. Tous ceux qui s'occupent des pêches adopteront une attitude prudente parce que personne ne veut commettre d'erreurs. En cas d'erreur de calcul du volume total autorisé des prises commerciales, cette erreur risque d'être la dernière.

J'aimerais vous parler des collectivités de pêche en Nouvelle-Zélande. Environ 4 000 membres d'équipages de l'étranger viennent pêcher à tous les ans dans le cadre de coentreprises.

Nous comptons maintenant plusieurs grandes entreprises de pêche néo-zélandaises, y compris des entreprises maories, qui engagent 10 000 personnes en Nouvelle-Zélande. Nous transformons beaucoup plus de poisson dans des usines sur terre, mais quelques-unes des entreprises étrangères qui pêchent le poisson vendent leurs prises en déclarant qu'elles sont japonaises. C'est ce qu'elles déclarent. C'est aussi ce qu'ils font avec nos kiwis en Chine. Ils y apposent des étiquettes de kiwis. Voilà le problème touchant la gestion de cette partie du régime. S'agit-il d'un poisson canadien, néo-zélandais, ou d'un poisson d'ailleurs?

La faiblesse des salaires a soulevé des problématiques particulières. Nous avons apporté des modificationsimportantes à la Fisheries Act lors de son réexamen en 1996. La New Zealand Minimum Wage Act s'applique maintenant aux équipages de pêche de l'étranger. Je crois que le salaire minimum en Nouvelle-Zélande est d'environ neuf dollars de l'heure, ce qui représente environ 8,20 $ canadiens. Tous les pêcheurs doivent recevoir ce salaire minimum. Nous n'exploitons plus lamain-d'œuvre étrangère pour mettre en valeur notre industrie des pêches.

J'ai aussi réussi à régler un autre dossier : que faire lorsque les entreprises font faillite. Les entreprises qui concluent des coentreprises font aussi faillite, qu'il s'agisse du propriétaire néo-zélandais ou du propriétaire étranger. En pareil cas, vous vous retrouvez avec tous ces bateaux encombrant les ports, et l'équipage n'est pas payé. Où doivent-ils aller? J'ai proposé un projet de loi d'initiative parlementaire il y a trois ou quatre ans. Ils doivent maintenant être rapatriés au port duquel ils ont quitté. Il faut les payer, et ils peuvent notamment obtenir leur paie du produit de la vente du bateau, par exemple. Ce projet de loi a réglé au moins une de ces situations problématiques.

Au chapitre de l'application de la loi, il faut dire que les entreprises de pêche, telles qu'elles étaient à l'époque, mentaient toutes, du moins la grande majorité. Elles auraient pu aussi bien affirmer que ce qui est noir est, en fait, bleu. Il a donc fallu les former au respect des lois et leur enseigner comment s'y prendre. Il y avait aussi la problématique de la « banque de poissons ». Imaginez une banque commerciale où chacun y dépose tout son argent. Chacun a son compte. Mais si l'un de nous décidait de piller les fonds et si les autres l'apprenaient en constatant que l'argent (en l'occurrence, les poissons) est retiré du compte, que feront les autres épargnants? Quant à vous, il n'y aurait rien pour vous retenir. Vous ne prendriez sans doute même pas le temps d'en aviser un policier. Vous vous en prendriez à la personne en question en un clin d'œil. Ce qui s'est passé, et cela s'est passé plus rapidement qu'on ne l'aurait jamais pensé, c'est que les entreprises de pêche s'accusaient l'une l'autre de surpêche — et ce, en toute impunité. Ils volaient la banque sans retenue aucune. Maintenant il est à leur propre avantage que la banque continue d'exister. Chacun a sa part du compte, comme dans une banque commerciale, et cela semble fonctionner.

Il faut toujours affecter des agents de pêche sur les bateaux. Nous avons doté tous nos navires de systèmes de communication par satellite et savons où ils se trouvent en tout temps. Une entreprise pêchait en dehors de la zone de gestion par quotas plus loin au large des côtes. Comment les avons-nous pris sur le fait? Quelqu'un a fait un appel téléphonique avec un téléphone cellulaire. Le signal est passé par le satellite ou je ne sais trop où, et nous avons pu établir que le bateau pêchait en dehors de la zone permise. Tout l'équipage s'est retrouvé devant les tribunaux. L'entreprise a perdu ses bateaux, son quota et son usine. Tout a été saisi. Avant longtemps, tous les entrepreneurs se montraient soucieux de respecter la loi, même si personne ne les surveillait nécessairement.

Ces mécanismes ont porté fruit. La saisie ou la confiscation des navires a été un élément central de ces mécanismes. Selon la première mouture de la loi, le navire, le quota et tout autre bien, notamment les camions et les usines, devaient tous être saisis. Le ministre des Pêches mettait le grappin dessus et il n'y avait rien à faire. Sans ces sanctions, ce régime n'aurait pas fonctionné. Il fallait être vraiment déterminé et sans merci, les premiers temps. Voilà l'une des meilleures leçons retenues. Il fallait tout simplement poser des gestes comme ceux-ci. Le processus était sans appel. « Je suis canadien français! » ou « Je suis canadien anglais! » : aucune de ces balivernes. Il fallait que cela fonctionne dès le départ, et ces mesures étaient un très bon moyen pour y parvenir. On avait beau être aussi jolie que le sénateur Johnson, il n'y avait aucune exception. Tant pis, vous perdiez tout. Il n'y avait aucune compensation possible.

Les amendes peuvent atteindre aujourd'hui jusqu'à undemi-million de dollars. Nous les avons augmentées récemment. C'est plutôt sévère. Bien souvent, le capitaine d'un navire étranger exploité en coentreprise — et les Coréens sont particulièrement habiles à cet égard — va faire valoir qu'il ne savait pas, qu'il ne se doutait de rien, ou qu'il ne parlait pas anglais. Eh bien, tant pis! Le capitaine étranger perd son bateau et le partenairenéo-zélandais perd son quota. Malgré tout, certains vont tout de même tenter leur chance s'ils pensent pouvoir s'en tirer.

Une des lacunes du système réside dans la pression commerciale exercée sur l'équipage pour que l'expédition rapporte des dividendes aux actionnaires, et donc il faut pêcher le quota sinon une espèce pour laquelle on n'a pas obtenu de quota — les prises accidentelles, comme on les appelle. Selon la législation d'origine, on ne pouvait pas rapporter au port du poisson qui n'était pas compris dans le quota. Sur certains bateaux, on balançait par-dessus bord parfois le tiers, la moitié ou parfois même les deux tiers des prises. Ces poissons morts s'échouaient sur les plages. Les gens voulaient nager, mais tous ces poissons morts les rebutaient. Bref, pas très brillant, ce système. Nous avons alors conçu un mécanisme obligeant les équipages à rapporter leurs prises accidentelles au quai. Nous avons attribué une valeur à ces prises. Nous les payons, pour les rendre au quai, non pas la valeur commerciale de ces prises, mais plutôt leur valeur « estimative ». Le ministre fait alors une estimation de cette valeur, ce qui incite les équipages à rapporter leur cargaison accidentelle. Nous avons réussi à esquiver le problème. Si les entreprises pêchent accidentellement du poisson et peuvent acheter un quota en conséquence, tout va. Ces mesures donnent maintenant de bons résultats, malgré les problèmes de rodage au départ.

La pêche par les Maoris, la part que détiennent les Maoris et l'expertise acquise par les Maoris ont connu une nette progression. Le nombre d'emplois chez les Maoris a augmenté et, bien sûr, le poisson est pratiquement tout exporté. On leur a appris des techniques, sans quoi ils seraient partis en canots ou quelque chose du genre. C'est tout simplement magnifique. Les Maoris retiennent les services de leurs propres comptables, avocats, etc. Tout le système est mis à contribution. L'activité ne consiste plus seulement d'un équipage qui tire le poisson à bord.

Les exportations de la Nouvelle-Zélande ne se limitent pas maintenant à du poisson. Nous exportons un poisson avec des pois et des haricots et des carottes, et les entreprises de pêche sont propriétaires des terres et cultivent les pois, les haricots et les carottes. Tout est cuit d'avance et vendu à New York. On achète le produit au supermarché, on le met au four à micro-ondes pendant trois minutes et demie, et le tour est joué. Un plat parfait. On vend aussi ces produits dans les chaînes d'hôtels, les foyers pour personnes âgées et les hôpitaux. Une véritable prime. Le produit est commercialisé à titre de mets propre, écologique et frais, et c'est ce qu'il est en réalité. Il s'agit d'un produit de qualité supérieure. Le repas compte bien souvent du poisson de haute mer, une nouveauté sur certains marchés mondiaux.

Contrairement à ce qui se passe dans l'Atlantique, où la ressource a été surexploitée et où l'on voit décharger des bateaux des poissons de cette taille, nous sommes très stricts à l'égard de la taille des poissons que nous pêchons. Nous avons préparé un guide à l'intention des pêcheurs récréatifs, et ce guide doit être obligatoirement conservé à bord du bateau. On a installé sur toutes les plages et quais un dispositif de mesure doté d'un trou correspondant à la taille du poisson qu'on peut garder. S'il est question de homards ou d'une autre espèce particulière, il est possible de mesurer la taille de la prise. Il n'y a aucune excuse. Nul ne peut partir sans connaître la taille de quoi que ce soit. On ne peut pas dire : « J'ai oublié d'apporter ma règle ».

Mais toutes les excuses ont été essayées. Je pense à ce pasteur se trouvant sur la berge, en soutane, qui ressemblait à Moïse. Toute sa congrégation de gens des îles du Pacifique l'accompagnait, et ils ratissaient tout ce qui se trouvait au large de la plage. Ils raflaient tout ce qui bougeait. Il a dit qu'il faisait cela pour Dieu. Eh bien, je peux vous dire que Dieu ne l'a pas sauvé.

Les gens ramassaient des poissons de trop petite taille. Chacun a reçu une amende, et le pasteur a écopé de l'amende la plus imposante. Il faut être strict, surtout lorsqu'il s'agit de la pêche récréative.

Une de nos plus importantes problématiques est liée à l'arrivée de nouveaux immigrants venant d'Asie, lesquels semblent peu sensibilisés aux principes de conservation et de protection de l'environnement. On les voit souvent nettoyer de fond en comble une plage de ses bigorneaux pour les faire bouillir. Une telle pratique est inadmissible si on veut préserver la prochaine génération. Il faut trouver une méthode qui ne favorisera pas l'une ou l'autre des diverses communautés ethniques. Nos peuples indigènes diront qu'ils en ont le droit selon leurs traités. Eh bien, ils n'en ont pas le droit. Ils jouissent de droits d'accès et de pêche que d'autres n'ont pas, mais ils ne peuvent pas capturer des poissons de trop petite taille et ne peuvent pêcher plus que la limite de prises quotidiennes imposée à l'ensemble des pêcheurs récréatifs.

Auckland compte un million d'habitants et ne se trouve qu'à quelques milles de l'eau des deux côtés. Il a fallu interdire les plages aux pêcheurs parce que les gens pêchaient au beau milieu de la nuit pour contourner les règles. D'autre part, on a assez bien maintenu le cap dans le dossier de l'exploitation durable. Comme je l'ai dit tantôt, c'est là un bel exemple de réussite.

Je vais terminer en vous racontant une histoire sur les petites collectivités. J'ai mentionné au début de mon exposé qu'après avoir obtenu leurs quotas, les titulaires les ont considérés comme une aubaine inattendue et les ont vendus. Quand ils se sont rendus compte du fait que, sans ces quotas, ils ne pouvaient plus pêcher, ils ont commencé à se plaindre aux politiciens. On disait aux politiciens que c'était alors la faute du gouvernement sans coeur, qui les empêchait d'exercer leur droit de gagner un revenu. Eh bien, la réalité, c'est plutôt qu'ils avaient vendu ce droit.

Il faut, dès l'adoption du régime, veiller à ce que les gens comprennent les droits et les revenus qu'ils perdront s'ils vendent leur quota, parce qu'ils n'auront pas une deuxième chance, à moins d'avoir les moyens de le racheter.

Les îles Chatham sont à une heure de vol à l'est de l'île du Sud de la Nouvelle-Zélande. Il s'agit d'une région balayée par les vents et pratiquement dénuée d'arbres. Les herbes y poussent, mais c'est à peu près tout. On comptait sur l'île des fermiers et des pêcheurs. À l'adoption du système de gestion par quotas, les habitants de l'île ont eu leur part, une part appréciable même. La plupart des habitants, pour ne pas dire tous les habitants, ont vendu leurs quotas à des plus grandes entreprises. En bout de compte, il ne leur restait plus qu'à observer en soirée, par leurs fenêtres de salon, le scintillement des lumières des bateaux des gens d'Auckland venus y pêcher leurs poissons. L'île ne comptait que 750 habitants, et 749 d'entre eux sont venus nous raconter le mauvais traitement qu'il leur était maintenant réservé.

Le gouvernement a récemment établi des quotas visant de nouvelles espèces et les a remis au conseil de comté en précisant qu'il lui était interdit de vendre ces quotas. Le conseil pouvait les louer, mais jamais les vendre. S'il les vendait, le gouvernement les reprendrait. Les habitants ont ainsi réussi à reprendre quelques quotas, ce qui a permis de satisfaire plusieurs d'entre eux, dans une certaine mesure. Voilà une idée qu'on pourrait appliquer à plus grande échelle.

La Commission des pêches du traité de la Waitangi loue ses quotas depuis 1992 parce qu'elle n'avait pas jusque là réussi à conclure une entente avec les tribus relativement à l'attribution des quotas, ce qu'elle a réussi cependant à faire l'an dernier. Dans certains cas, au tout début, quelques quotas ont été donnés et certaines tribus les ont ensuite vendus. Maintenant ils se préparent à une nouvelle offensive. Dans un cas, un dirigeant de la tribu, qui est depuis décédé et qui ne représentait pas vraiment les intérêts de la tribu, avait vendu tous les quotas.

Le principe de la location à perpétuité n'est pas sans mérite. Les quotas peuvent alors être répartis commodément au sein des tribus. La Commission des pêches a maintenant établi à qui revenait la part des pêches hauturières et des pêches côtières, et a attribué la moitié des quotas. Si les membres d'une tribu décident de vendre leurs quotas, ils le peuvent, mais l'autre moitié leur sera alors uniquement louée. Dans 20 ou 30 ans, quand tous seseront habitués à l'idée, peut-être les parties intéressées nous verront-elles moins comme des personnes méprisantes.

Toutefois, ces types de mesures vous attireront inévitablement la critique, surtout des peuples indigènes, qui vous traiteront de personnes condescendantes. Je n'ai nullement honte d'être taxé ainsi, parce que j'ai vu quelques-uns des chefs de ces collectivités vendre leurs quotas. Je ne sais trop s'ils avaient consulté tous les membres de la tribu, mais même si c'était le cas, qu'advient-il de la prochaine génération? Mon opinion à ce sujet est sans équivoque. Nous n'assumons pas la fonction de politicien pour prendre des décisions dont les résultats ne toucheront que nous-même et la population actuelle jusqu'à ce qu'elle trépasse. Les législateurs ont un contrat intergénérationnel. Il leur incombe de ne pas vendre le pays au plus offrant. Je crois qu'on peut intégrer certaines mesures de protection, tout en tirant le meilleur de la pression commerciale.

Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie de cette excellente présentation.

Le sénateur Mahovlich : Je vous remercie beaucoup de vous être joint à nous, Votre Excellence.

Croyez-vous que votre programme puisse fonctionner dans un pays de la taille du Canada? Parfois, plus c'est petit, mieux c'est. La Nouvelle-Zélande est un pays très réglementé, mais je ne sais pas si un pays de la taille du Canada pourrait administrer l'industrie de la pêche de la même manière que vous le faites.

M. Kelly : Je ne serais pas venu ici aujourd'hui si je ne croyais pas que c'était possible. C'était certes plus facile pour un pays de plus petite taille de tenter le coup le premier, mais maintenant le monde entier nous imite. Bien d'autres pays ont adopté le système de gestion par quotas que nous avons mis de l'avant. Aucun d'entre eux ne s'est plaint. Ils sont tous plus grands que le nôtre, mais peut-être pas autant que le vôtre. Il faudrait leur poser la question. Le comité gagnerait sans doute à aller visiter ces pays pour s'enquérir de la situation et ensuite établir des comparaisons entre ces systèmes et le vôtre.

Ce n'est pas parce que votre pays est vaste et compte des rivières et des lacs que la situation est différente que dans un pays où la mer occupe une place prédominante. Nous avons adopté un système de gestion par quotas pour les anguilles et de nombreuses espèces de poissons d'eau douce.

Même si vous avez des différends avec vos gouvernements provinciaux, je ne vois aucune raison pour que ce système ne puisse pas chevaucher les responsabilités provinciales.

Si vous souhaitez faire de la pêche à petite échelle sans prendre de risques, continuez dans la voie actuelle. N'adoptez pas le système, parce qu'une fois déployé et face aux pressions commerciales, il évolue de son propre chef. Si vous ne voulez pas d'industrie commerciale et si vous ne voulez pas voir quelques petits villages fermer, ne faites rien. Vous pourriez toutefois essayer un modèle modifié de notre système, mais au bout du compte, il ne sera pas possible de protéger tous les petits bleds le long des côtes si vous voulez vous doter d'une véritableindustrie. Vous ne serez pas ici bien longtemps encore et un autre groupe viendra vous remplacer — de nouveaux politiciens entrent en scène — et quelqu'un succombera à une pression quelconque, même si vous résistez, la pression commerciale amènera quelques- unes de ces collectivités à vendre leurs quotas. Ceci surviendra malgré vos bonnes intentions ou les prescriptions de la loi.

Permettez-moi aussi d'ajouter à cet égard que nous avons imposé des restrictions quant aux droits de propriété. Il n'est pas possible d'accumuler des quotas au delà d'un certain pourcentage pour une espèce particulière.

Le président : Soit dit en passant, c'est précisément ce que nous avons au Canada.

M. Kelly : Malgré tout cela, les pressions sont bien réelles.

Le président : Ce n'est pas permis. Je ne veux pas interrompre. La législation n'est pas appliquée. La restriction existe, mais le MPO en fait fi.

M. Kelly : Nous avons des restrictions de l'ordre de 10, 20, 25, 35 p. 100 et ainsi de suite. On exerce constamment sur nous des pressions pour que abroger la limite. Une fois de plus, il faut un ministre qui a du caractère ou une personne chargée de ce dossier qui peut résister aux arguments des autres. Ceux qui exercent des pressions feront valoir des impératifs économiques ou diront qu'on peut importer de nouvelles technologies d'ailleurs ou qu'il y aura davantage d'emplois. Ils feront valoir tous ces arguments et, au bout du compte, dès que vous commencez à plier au sujet des limites imposées à la concentration des quotas, vous concentrez alors le pouvoir dans les mains d'un petit nombre de personnes.

C'est ce qui se produira avec certaines espèces de toute façon, mais vous ne voulez pas que cela se produise dans un secteur où vous ferez disparaître inutilement des emplois et des collectivités.

Le sénateur Mahovlich : J'ai une autre question. A-t-on commencé la pisciculture en Nouvelle-Zélande?

M. Kelly : Oui. Nous faisons l'élevage des moules, et je ne sais pas si cette brochure présente une photo de cette activité. Je vous laisserai un document comptant des photos d'élevages de moules dans les fjords ou les détroits. On s'inquiétait de l'écoulement de fertilisants ou d'eaux usées qui viendrait nuire à la qualité des moules. Il y a effectivement des risques. Si l'on place ces élevages près de régions habitées, ces risques peuvent augmenter, mais peuvent aussi bien provenir de l'agriculture.

Si vous roulez à la campagne en Angleterre, vous constaterez qu'il y a beaucoup d'arbres le long des routes. En Nouvelle-Zélande, on ne voit aucun arbre le long des routes. Les herbages s'étendent jusqu'à la route et nous profitons du dernier pouce d'herbe que peut consommer une vache ou un mouton. Nous maximisons l'espace utile. Mais l'un des effets indésirables de cette pratique consiste en l'écoulement qui se produit lorsqu'il pleut, et il pleut beaucoup chez nous; le fertilisant s'écoule dans les cours d'eau, les lacs et les rivières et dans les détroits. L'on planifie maintenant le reboisement le long des routes ou des rivières pour tenter d'absorber ce type d'écoulement. Cela nous permettra — si nous planifions correctement ces travaux, ce qui exigera quelques années encore — de faire davantage de culture dans les lacs et les détroits.

L'élevage de moules, parce qu'il relève du système de gestion par quotas, est une activité très rentable. Nous exportons des moules vertes, et obtenons de bons prix pour ces moules.

Le sénateur St. Germain : Je vous remercie, votre Excellence, d'être venu nous parler ce matin. Si c'est le sénateur Mahovlich qui a eu la brillante idée de vous inviter, il faudrait lui présenter aussi nos compliments parce que vous nous avez présenté un excellent exposé.

Ma question a trait à la science. Selon vous, à quel point votre science est-elle fiable? Je crois que la pêche de la morue était surveillée par nos scientifiques. Y a-t-il quelque chose de spécial à propos de la science en Nouvelle- Zélande? Y est-il plus facile de surveiller les activités de manière scientifique? Vous avez mentionné au début de votre exposé que vous pouvez prendre des photos de moutons et de forêts, mais non des poissons. La science est-elle suffisamment avancée pour veiller à ce que les espèces ne soient pas menacées?

M. Kelly : Nous nous en sommes bien tirés jusqu'ici — il faut toucher du bois. Nous avons évité de justesse la catastrophe avec la perche de mer. Les scientifiques avaient mal calculé et ont dû réduire le volume total autorisé des prises pendant quelques années, mais pour le reste des stocks, parce que les volumes autorisés sont augmentés ou abaissés certaines années, compte tenu que tous détiennent des quotas, tout le monde souffre également, d'une manière. Le gouvernement a fini par réduire arbitrairement les quotas après de multiples consultations. Tout le monde doit maintenant capturer une quantité proportionnellement moindre de cette espèce. C'est très impressionnant de constater à quel rythme les stocks se repeuplent. Par conséquent, les stocks reviennent à ce qu'ils étaient auparavant et dépassent parfois ce niveau, une situation qui profite alors à tous.

La réponse abrégée est qu'il semble que nous ayons réussi jusqu'ici. Les données dont disposent nos scientifiques est aussi à la disposition des vôtres; il n'y a rien que nous faisons que vous ne pourriez pas faire. Il nous fera plaisir de partager avec vous les données dont nous disposons.

Le sénateur St. Germain : Somme toute, vous êtes d'avis que l'application stricte des quotas contribue à protéger vos stocks contre la surpêche?

M. Kelly : Je ne crois pas qu'on puisse tenir compte des données scientifiques et revoir les quotas tous les ans, ainsi que les limites de prise, sans en même temps se soucier de l'application des mesures qui en découlent.

Le sénateur St. Germain : Quels sont les effectifs administratifs qui s'occupent des pêches? On nous accuse souvent d'avoir plus de fonctionnaires que de poissons. Évidemment, pour faire respecter la loi aussi efficacement que vous nous l'avez décrit ce matin, il faut un nombre considérable d'agents d'exécution et d'importants effectifs administratifs pour gérer le tout. Avez-vous trouvé un moyen de faire les choses tout en réduisant les effectifs?

M. Kelly : Nos exportations se chiffrent à 1,3 milliard de dollars par année et le budget consacré aux pêches est de l'ordre de 86 millions de dollars, mais il en coûte beaucoup plus pour administrer le système. À tous les mois, les frais d'utilisation du système sont facturés aux pêcheurs. Essentiellement, les pêcheurs payent le gouvernement pour qu'il gère le système. Je ne sais à combien s'élève le total de cette facturation, mais je sais qu'elle est bien au-delà de 86 millions de dollars. Les frais d'utilisation représentent donc la quasi-totalité du budget. Ces frais ne cessent d'augmenter, et les utilisateurs ne cessent de se plaindre, soutiennent que l'imposition de ces frais est injuste, et qu'ils feront faillite, sans que cela se produise. C'est la seule façon de faire sans devoir se doter d'un trop grand nombre de fonctionnaires.

Nous avons nommé des agents de pêches honoraires qui patrouillent les rivières, les lacs et la côte, mais leur nombre n'est pas aussi élevé que ce que certains souhaiteraient. Ces agents honoraires s'exposent souvent à des risques dans les régions reculées. Il leur arrive parfois de se faire attaquer avec un bâton de base-ball ou autre chose du genre.

Les agents de pêches salariés s'occupent principalement de l'industrie commerciale; il agissent à titre d'observateurs à bord des bateaux, surveillent les quais et donnent un suivi aux plaintes. Personne n'a le droit d'acheter du poisson d'un bateau commercial qui entre au quai; ce sont les réceptionnaires inscrits de poisson qui sont chargés de cette fonction. Je crois qu'il est permis de vendre cinq poissons ou quelque chose du genre, mais on ne peut acheter qu'une petite quantité de poissons des bateaux qui entrent au port. Il faut vendre sa cargaison à un réceptionnaire inscrit de poisson. Ces réceptionnaires sont strictement surveillés par les inspecteurs des pêches. Tout le poisson vendu doit passer par ce système. Comme vous, nous imposons une TPS. On peut donc faire le suivi.

Je désire souligner encore une fois que nous imposons de graves sanctions à ceux qui tentent de tricher. Même si le réceptionnaire de poisson ne perd pas son droit d'exploitation, comme il peut arriver dans le cas d'un pêcheur, il arrive à l'occasion qu'un réceptionnaire écope d'une forte amende. Cela suffit généralement à les inciter à l'honnêteté.

Le sénateur St. Germain : Chez vous, il y a les Maoris. Ici, il y a environ 600 nations autochtones, chacune très différente de l'autre, des Haïdas sur la côte Ouest aux Micmacs sur la côte Est. Les Maoris forment-ils essentiellement une seule communauté en Nouvelle-Zélande?

M. Kelly : Ils parlent tous la même langue. Ils sont donc plus unis que ce que l'on constate ici, où les nations vivent séparées les unes des autres depuis des siècles.

Je puis vous dire ceci : depuis les années 50, environ 90 p. 100 des Maoris se sont installés dans les banlieues. Ils ont délaissé les régions rurales.

Le sénateur St. Germain : Ne sont-ils pas propriétaires fonciers dans les banlieues?

M. Kelly : Ils possèdent deux types de propriétés. Ils sont propriétaires de leur maison en banlieue, et la tribu est propriétaire collectivement des terres, des pêches ou des forêts.

Le président : C'est un sujet, sénateur St. Germain, sur lequel nous voulons plus de détails. Je n'avais jamais vraiment songé à cette question auparavant; les Maoris sont très différents des peuples autochtones du Canada; ils forment un seul groupe. Ils ne sont pas répartis en quelque 600 nations distinctes, comme c'est le cas des Autochtones ici.

M. Kelly : Non. En fait, sept canots sont arrivés en 740 d'Hawaiki; on compte donc sept tribus. Les membres de toutes les tribus se sont tenus par la main pour ne pas couler au cours du voyage. Une fois arrivées en Nouvelle- Zélande, les tribus se sont mises à se battre et à se décimer les unes les autres; il y a des guerres maories depuis. Les Maoris apprennent maintenant à s'entendre. Ils se disputent au sujet de leur attribution des quotas de pêches en haute mer ou de pêches côtières, mais ne se font pas la guerre pour autant.

Le sénateur Johnson : Vos propos au sujet des Maoris étaient fort intéressants. Merci pour cet excellent exposé.

Selon la légende, la Nouvelle-Zélande a été tirée de la mer par le demi-dieu. Qui est le demi-dieu, Maori?

M. Kelly : Maui.

Le sénateur Johnson : Voilà donc pour la légende maorie. J'aimerais maintenant vous poser une question au sujet des Maoris, parce qu'ils se sont adonné à la pêche dans votre pays avant qui que ce soit. Selon l'entente conclue avec eux, le traité de Waitangi, est-il toujours question que les Maoris détiennent 40 p. 100 de la part des pêches?

M. Kelly : Cette part est de 60 p. 100 maintenant. Leur part est passée de zéro à 20 p. 100 des quotas accordés en 1992, et ils détiennent maintenant 60 p. 100 des quotas. Le régime des pêches a été adopté par le Parlement en 1986, mais le texte législatif distinct qui a permis de régler les revendications des Maoris en matière de pêches a été promulgué en 1992.

Le sénateur Johnson : Combien d'autres habitants de la Nouvelle-Zélande vivent de la pêche?

M. Kelly : Il y en a environ 15 000 en tout, dont la moitié des Maoris, à mon avis. Je ne connais pas le chiffre précis, mais je crois que c'est la moitié.

Le sénateur Johnson : Cela comprend l'industrie de transformation aussi?

M. Kelly : En effet, des administrateurs siégeant au conseil des entreprises de pêche, au directeur général, au comptable, au chauffeur, au pêcheur, au capitaine, peu importe.

Le sénateur Johnson : Est-ce que le nombre a augmenté depuis l'adoption du système de gestion par quotas en 1986?

M. Kelly : Oui. Ils ne faisaient pratiquement rien avant cela. Personne, d'ailleurs.

Le sénateur Johnson : À quelle époque la Nouvelle-Zélande s'est-elle rendue compte des faits?

M. Kelly : Wellington Harbour ressemble un peu à San Francisco ou à Hong Kong. Je me souviens d'être passé près du port et d'avoir vu dans Wellington Harbour 30 ou 40 bateaux de pêche japonais. Les gens se sont rendus compte du potentiel commercial, mais s'inquiétaient profondément de la viabilité de certaines espèces de poissons.

Certaines de ces entreprises n'avaient aucune conscience environnementale. Ils violaient et pillaient les stocks de poissons, c'est le moins qu'on puisse dire. Plus ces entreprises s'approchaient des côtes, plus les conséquences étaient graves pour la viabilité des stocks. C'est la principale raison ayant motivé nos interventions. Nous avons alors songé à en prendre pleine possession par l'entremise d'un système de gestion par quotas.

C'est le droit international de la mer qui nous a donné l'idée, soit qu'on a le droit de se rendre à l'intérieur de la zone des 200 milles des côtes et de pêcher par droit implicite; mais si le poisson est déjà attribué et vendu, il est alors interdit de le pêcher. C'est la clé du fonctionnement du système.

Le sénateur Johnson : Vous avez dit que l'industrie de l'aquaculture a connu un vif succès. À quel point est-elle viable par rapport à la viabilité des pêches d'espèces sauvages?

M. Kelly : Elle est très viable.

Le sénateur Johnson : Que cultivez-vous à part les moules?

M. Kelly : Un peu de saumon. Comme vient de le mentionner M. Needs, l'aquaculture ne doit pas rivaliser avec les pêches ouvertes. Une infime part de ces pêches se trouve dans cette catégorie, 5 ou 7 p. 100, bien qu'il s'agisse malgré tout d'un nombre appréciable.

Le sénateur Johnson : Vous attendez-vous à ce que ce nombre augmente?

M. Kelly : Il augmentera, mais il faudra trouver un juste milieu. Les gens qui habitent la zone littorale ne veulent pas de désastre écologique causé par un grand nombre de plates-formes et l'activité commerciale. L'administration locale a un rôle à jouer à cet égard en veillant aux attributions et subit des pressions des gens qui possèdent de belles maisons donnant sur les baies et qui ne veulent pas que leur vue soit défaite par des plates-formes en bois sous lesquelles on élève des moules.

On ne fera jamais une exploitation massive de nos côtes, et en voilà la raison. Il est de plus en plus difficile d'aménager ces piscicultures. C'est pour cette raison que vous ne verrez pas d'explosion de cette industrie en Nouvelle- Zélande.

Le sénateur Johnson : C'est très bon pour l'environnement et la protection des côtes.

M. Kelly : En effet.

Le sénateur Johnson : J'ai une dernière question au sujet de la conservation. Vos propos m'impressionnent. Comment arrivez-vous à faire comprendre l'importance pour l'environnement de maintenir certaines techniques dans l'industrie de la pêche et tout le reste en Nouvelle-Zélande, surtout compte tenu de ce que vous avez dit au sujet de l'immigration — que les gens d'Asie n'ont aucune conscience environnementale?

M. Kelly : Je vous laisserai une copie de la loi; ayant débattu de chaque ligne de ce texte en Chambre, je ne vais pas la parcourir une fois de plus.

Le sénateur Johnson : Vous êtes certainement bien renseigné pour une personne qui ne connaissait rien à l'industrie de la pêche à prime abord. Vous avez bien assimilé le dossier.

M. Kelly : La législation sur les pêches traite de l'environnement. Le ministère a adopté une politique qui découle de cette législation et qui vise à assurer une exploitation durable des stocks. Il y est notamment question de l'écosystème. Cela fait partie des exigences que chacun doit respecter. Nous avons une ressource qui n'est pas unique, mais l'image de propreté et d'écologisme nous est chère. Nous ne voulons pas la ternir en tolérant la surpêche ou en polluant les eaux.

Notre approche est axée sur la prévention. Nous pencherons donc du côté de la conservation en cas de doute, pendant un ou deux ans, et augmenteront ensuite graduellement le volume total autorisé des prises. Par conséquent, personne ne peut augmenter les plafonds prescrits, parce que la politique sur laquelle tout repose est coulée dans le béton.

Le sénateur Johnson : Je souhaiterais certes qu'elle soit coulée dans le béton au Canada. Il faudra y parvenir un jour. Merci beaucoup.

Le sénateur Adams : Je suis de la région du Nunavut, région qui est quelque peu différente de la Nouvelle-Zélande.

M. Kelly : J'ai déjà eu l'occasion de m'y rendre.

Le sénateur Adams : Votre Excellence, la pêche commerciale est-elle meilleure depuis que vous l'avez privatisée? Vous dites avoir adopté une meilleure réglementation en matière de pêche commerciale. Cette pêche est-elle beaucoup mieux gérée par des quotas, ou réglementée par le gouvernement néo-zélandais?

M. Kelly : Il n'est pas possible de faire une pêche commerciale sans quota. Il y a certes quelques espèces qui ne sont pas visées par le système de gestion par quotas. Nous en avons ajouté quelques-unes au système il y a quelques mois déjà, des crabes, quelque chose que je n'aurais jamais imaginé. Vous avez soit un quota, soit un permis de pêche vous permettant de pêcher une quantité donnée de poissons. Et c'est tout. Vous ne pouvez pas en pêcher davantage. À cet égard, la législation est coulée dans le béton.

Dans le secteur de la pêche récréative, les prises permises ne sont pas définies dans la législation, mais les pêcheurs ont droit à un nombre intéressant de poissons. Les espèces que les gens peuvent pêcher et la quantité qu'ils peuvent pêcher changent à tous les ans. Si vous pêchez le vivaneau, poisson qu'on retrouve couramment le long des côtes et que les gens pêchent en bateau à la tonne, vous devez vous limiter à 20 poissons par jour pour chaque personne sur le bateau. C'est tout. Si on constate une trop forte pression de pêche sur une espèce donnée, les responsables réduiront les prises l'année suivante et imposeront une limite de 10 par jour ou interdiront totalement la pêche de cette espèce. Cela nous donne une grande souplesse parce que nous pouvons réagir rapidement et, une fois de plus, préconiser la méthode axée sur la prévention.

Le sénateur Adams : Alors, les pêches sont sous la gestion de l'entreprise privée, en plus d'être gérée par le gouvernementnéo-zélandais.

M. Kelly : Le gouvernement ne pêche aucun poisson. Cette tâche revient à des entreprises privées et à quelques particuliers. Mon voisin où j'habite dans une banlieue située sur la plage à Wellington est pêcheur et possède un quota. Il pêche sur un petit bateau et est accompagné d'un assistant. Par conséquent, quelques particuliers n'ont toujours pas vendu leur quota. Il vendra un jour toutefois parce qu'il a 50 ans et soutient que le travail est trop ardu; son fils n'a pas l'intention de pêcher; il vendra donc son quota au plus offrant. Qui sera le plus offrant? Ce sera une grande entreprise. Et ça fera une petite exploitation de moins.

Si vous décidez de lancer ce système, il faut savoir que ces choses arriveront. Il ne faut pas aborder la question avec l'intention de préserver toutes ces petites collectivités et toutes ces petites exploitations dans l'industrie de la pêche. Dès que vous laissez libre cours aux forces économiques, vous n'avez plus de prise sur les événements et il n'y a qu'un seul résultat final.C'est-à-dire que les gens détiendront la plus grande part possible des quotas s'ils ont les moyens de le faire. Par conséquent, il faut imposer, dans la législation, des limites à la concentration des quotas.

Ne laissez aucune échappatoire. Ne vous laissez pas dire que, parce qu'un tel est vert, ou bleu, ou un homme, ou une femme, qu'il ou elle est une exception à la règle. Ce n'est tout simplement pas possible.

Le sénateur Adams : Avez-vous imposé une limite de 12 milles dans la zone en question ou une limite de 200 milles?

M. Kelly : La limite des 12 milles ne compte pas selon ce système parce que les quotas sont attribués pour une zone s'étendant 200 milles.

Le sénateur Adams : En tout, 10 000 Maoris participent à cette activité. Y a-t-il une entreprise pour les peuples indigènes de la Nouvelle-Zélande? Cette entreprise s'intéresse-t-elle à la pêche commerciale à l'extérieur de la communauté?

M. Kelly : Un peu plus de la moitié probablement de ce nombre sont des Maoris. Ils font partie des entreprises commerciales, soit à titre de co-propriétaires ou d'employés.

Le sénateur Adams : Les quotas sont-ils fixés par les Maoris ou par le gouvernement néo-zélandais?

M. Kelly : Le gouvernement. S'il fallait que les pêcheurs fixent leurs propres quotas, ce serait un peu comme aller à la banque et dire au gérant ce que doit être la limite de votre marge, sans qu'il n'ait quoi que ce soit à dire. Vous seriez bientôt sans le sou. Si tout le monde fixait son quota, il ne resterait plus de poisson dans la banque.

Le sénateur Adams : Vous avez toujours une garantie de quota à tous les ans?

M. Kelly : À tous les ans. Selon l'année, il n'y a pas de poisson. Le quota a été gelé; ça a été le cas avec le homard des côtes. Il y avait beaucoup de fraude et les pêcheurs ne pouvaient pas en pêcher en quantité suffisante. De plus, la baisse était attribuable au cycle reproducteur. Je ne sais pas si c'était parce que la température de l'eau avait augmenté ou baissé à cause du phénomène El Niño. Nous comprenions mal l'interaction de ces phénomènes, mais nous avions malgré tout strictement interdit la capture du homard dans certaines régions visées par la gestion par quotas, tant les prises commerciales que récréatives, jusqu'à ce que les stocks se soient reconstitués.

Les pêcheurs devaient accepter cette décision. Je ne sais pas toutefois comment ils ont survécu pendant cette période. Certains n'ont peut-être pas survécu, mais il faut être sans pitié de la sorte pour que le système fonctionne. Les stocks se sont reconstitués dans les régions assujetties à l'interdiction. Il n'a fallu que quelques années. Les quotas des pêcheurs ont baissé à cette époque, mais ils augmentent peu à peu. Contrairement aux autres choses qu'on cultive ou fabrique, on peut facilement régénérer les stocks.

Le sénateur Adams : Vous avez mentionné que vous emballiez le poisson avec des carottes, des haricots et des pois. Ces mets sont-ils préparés à bord de bateaux-usines, ou le fait-on commercialement sur l'île?

M. Kelly : Sur l'île.

Le président suppléant : J'aimerais poser une question. D'abord, je vous souhaite la bienvenue, votre Excellence.

J'essaierai d'aborder une fois de plus les effets sociaux et économiques des pêches sur les habitants de la Nouvelle- Zélande.

Vous avez indiqué qu'il n'y avait aucun régime de gestion avant 1986. À mon avis, on ne peut pas s'en servir comme exemple de ce que seraient les effets potentiels d'un régime de gestion des pêches et des océans au Canada.

Les membres de ce comité sont inquiets des effets que l'orientation de notre ministère des Pêches s'est donnée aura sur les collectivités côtières. Ces collectivités ont appris au fil des années à se fier à la bienveillance de la mer pour assurer le développement économique durable. Je crois que le fait d'accorder une trop grande importance à la viabilité économique équivaut à négliger les collectivités côtières dont l'activité économique aussi bien que la vie sociale sont fortement tributaires de la pêche.

Vous ne disposez peut-être pas des données précises qui permettraient de comparer ce qui s'est passé dans votre pays à ce qui est sur le point de se passer au Canada. Cela se produit déjà au Canada dans une certaine mesure parce que la mise en œuvre du régime est déjà bien entamée.

Vous avez parlé des gens qui habitent une île et qui ont reçu des quotas, puis les ont vendus à de grandes entreprises. Nous craignons que la même situation se produise ici. Si tel était le cas, cela provoquerait tout un bouleversement, alors que l'on passerait d'une structure axée sur les collectivités et à une structure dictée par la grande entreprise, et alors les collectivités côtières perdraient la seule activité économique qu'elles aient connue. Je ne vois aucun autre scénario qui leur permettrait de produire des revenus et ainsi veiller au mieux-être des gens qui y habitent.

Était-ce l'absence d'occasions économiques qui a poussé les habitants de cette île à oublier les avantages à long terme et à ne penser qu'aux gains à court terme que leur procurait la vente de leurs quotas aux grandes entreprises?

M. Kelly : Ils ont survécu pendant des centaines d'années grâce à un agencement de pêche et d'agriculture. Il y avait 30 ou 40 familles s'intéressant à la pêche, dont certaines en faisaient une entreprise à petite échelle. Certaines personnes ayant vendu leur quota approchaient l'âge de la retraite et souhaitaient prendre leur retraite sur l'île. D'autres estimaient que l'argent serait mieux investi dans leur ferme, pour remplacer leurs vieux tracteurs et d'autre matériel désuet. Personne n'était vraiment riche, un peu comme dans quelques-unes de vos plus petites collectivités que j'aie pu voir. La plupart étaient naïfs. Selon moi, ils croyaient pouvoir survivre avec l'agriculture et obtenir de nouveaux quotas par un moyen quelconque.

Ils faisaient concurrence à de grandes entreprises commerciales efficaces et dynamiques qui ne se préoccupaient aucunement de leur sort. Et pourquoi en serait-il autrement? En effet, ces entreprises avaient conclu des ententes commerciales de bonne foi. Personne n'a exercé de pression sur les habitants de l'île pour qu'ils y consentent. Ces derniers ont durement appris leur leçon.

Si vous adoptez un système de gestion par quotas, je peux vous garantir que la même chose se produira. La nature humaine est ce qu'elle est. Quand quelqu'un se présente avec un gros carnet de chèques, les gens imaginent la nouvelle moquette qu'ils pourront installer et la nouvelle auto qu'ils pourront acheter. Lorsque la valeur du quota augmente, comme il le fait pendant la période où les quotas sont échangés, ces mêmes gens regretteront leurs décisions. La première personne qu'ils iront voir, c'est leur député. Tout cela, c'est de votre faute.

Le gouvernement pourrait envisager de louer le quota plutôt que de le vendre. Chez nous, la Commission des pêches Waitangi a accordé aux gens le pourcentage qui leur revenait de droit, mais les quotas étaient loués un dollar par année ou quelque chose du genre. Peu importe le montant. Le problème avec cette stratégie est que les pressions commerciales normales qu'on retrouve dans un contexte commercial ne s'appliqueront pas toujours. Il se peut que vous souhaitiez vendre votre quota pour une espèce particulière et acheter un quota pour une autre, tout vendre définitivement ou accroître la taille de votre quota. Comment faire si tous les quotas sont loués?

Comme je l'ai indiqué, cette stratégie comporte des conséquences inévitables, et il vaut mieux adopter une orientation rigoureuse dès le départ. Inutile de se plaindre àmi-chemin qu'on a commis une erreur. Vous pourriez toutefois faire une exception pour certaines collectivités, comme nous l'avons fait pour les îles Chatham lorsque nous avons accordé un quota au conseil de comté.

Si vous souhaitez un seuil normal d'investissements dans ce secteur d'activité, de plus gros bateaux, une meilleure capacité de transformation et tout le reste, il vous faut un important apport de capital. Si toute cette industrie repose sur des quotas loués, ce secteur d'activité sera alors de faible taille et plutôt restreint. Vous pourriez peut-être attribuer les quotas selon une formule moitié loué, moitié vendu, ou le tiers et les deux tiers.

Le président suppléant : Serait-il possible de fixer une date d'échéance des permis de pêche pour que le gouvernement puisse reprendre un quota si le titulaire souhaite le vendre? Est-ce une formule employée en Nouvelle-Zélande?

M. Kelly : Non, on ne procède pas de cette manière.

Le président suppléant : Si vous le perdez, il est perdu et c'est tout?

M. Kelly : Si on vous a retiré le quota à titre de mesure punitive parce que vous avez contrevenu à la réglementation, vous ne pouvez pas le ravoir. C'est la seule façon de le perdre, à part de le vendre.

Le président suppléant : Quelle est la durée de vie d'un quota?

M. Kelly : Il est accordé à perpétuité — pour toujours. Une entreprise peut acheter un quota ou le quota peut être légué d'une génération à l'autre. C'est un peu comme être propriétaire d'une entreprise concessionnaire de voitures; le concessionnaire peut être vendu ou on peut l'acquérir, comme un autre bien.

La valeur d'un quota est intéressante. Elle est fonction non seulement de l'état de santé de la pêche, mais aussi de la demande internationale. Vous ferez concurrence à d'autres pays où le poisson est peut-être moins cher ou d'autres pays offrant des espèces différentes.

Le sénateur Adams : Les Maoris revendiquent-ils des terres en Nouvelle-Zélande?

M. Kelly : Oui, ils en revendiquent.

Le sénateur Adams : Peuvent-il pêcher en tout temps de l'année, comme chez les Autochtones ici? Les Maoris ont-ils réussi à conclure une entente avec votre gouvernement qui leur permettrait de pêcher en toute saison pour assurer leur subsistance?

Le président suppléant : Qu'advient-il de la pêche de poissons qu'ils consomment? Vous avez mentionné dans votre présentation que certains peuples autochtones, les Maoris, par exemple, peuvent pratiquer une pêche de subsistance.

M. Kelly : Chacun peut pêcher, mais il y une limite de prises par jour et une taille minimale des prises. Il est interdit de pêcher autant de poissons qu'on veut, mais les Maoris jouissent de droits autochtones particuliers.

Le président suppléant : C'est justement à cela qu'il faisait allusion.

M. Kelly : D'accord. Ils peuvent dépasser la limite de poissons imposée aux pêcheurs récréatifs lors d'un cérémonial particulier, lors d'obsèques par exemple, ou à l'occasion de célébrations spéciales. Certains étireront cette définition au- delà de l'imaginable. À l'occasion, on les surprend, et ils font alors valoir leurs droits en vertu du traité.

Ce n'est pas aussi clair que nous le souhaiterions. Cela se prête un peu à l'interprétation. Ce flou nous convenait au début, mais maintenant nous devons composer avec.

Le président suppléant : Je vous remercie infiniment de votre excellent exposé. Je crois que cette séance a été fort instructive pour les membres du comité.

M. Kelly : C'était un plaisir pour moi d'être ici parmi vous.

La séance est levée.


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