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Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 13 - Témoignages du 3 mai 2005


OTTAWA, le mardi 3 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 17 h 10 pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères en général. Sujet : Irak

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Comme vous le savez, le comité est autorisé par le Sénat à étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux affaires étrangères en général, nos témoins seraient peut-être intéressés de savoir que nous sommes, depuis quelques mois, très occupés par un projet Afrique sur lequel nous travaillons. Cela dit, nous vous souhaitons la bienvenue.

Deux nouveaux sénateurs sont parmi nous, le sénateur Nancy Ruth et le sénateur Dyck qui sont ici pour voir comment nous fonctionnons. Nous leur souhaitons la bienvenue. Ce ne sont pas encore des députés, mais ils ont les mêmes droits que les autres sénateurs, sauf celui de voter.

Je vais vous lire les noms des témoins tels qu'ils sont sur ma liste : Nassreen Rahem, du Centre des femmes pour les médias et l'éducation, Irak, du Kurdistan; Surood Mohammed Falil Ahmmad de l'Alliance des femmes pour la démocratie en Iraq, de Karkuk; Mme Taa'meem Abd-ul-Hussein, de Ockenden International, Irak, de Amarah; Mme Ula A. Ibrahim, Rassemblement des démocrates indépendants, Irak, de Bagdad et Mme Zainab H. Salman, Research Triangle Institute, aussi de Bagdad.

Nous disposons d'environ 45 minutes. Nous aimerions, vous le comprendrez mesdames, que les membres du comité vous posent des questions. Je suis sûr que vous avez des choses à nous dire. Nous commençons par Mme Rahem. Je vous prie d'être assez brève, car nous voulons que tout le monde puisse parler.

Mme Nassreen Rahem, Centre des femmes pour les médias et l'éducation, Irak, témoignage à titre personnel : Merci, beaucoup de nous recevoir ici aujourd'hui. Je veux seulement dire que nous sommes ici pour voir les différents modèles de systèmes fédéraux en vigueur et nous informer, pour comparer les différents modèles et les adapter à notre pays pour le plus grand bien de la société civile irakienne.

Mme Surood Mohammed Falih Ahmmad, Alliance des femmes pour la démocratie en Irak, témoignage à titre personnel : Je suis originaire de Karkuk où vivent différentes ethnies et différentes religions. Après la chute de Saddam, j'ai pu voir pour la première fois, en tant que Kurde, que la démocratie avait réussi dans la province de Karkuk et nous voulons voir les différents modèles de démocratie dans votre pays et au Royaume-Uni afin de les comparer à celle dans notre pays.

Mme Taa'meem Abd-ul-Hussein, Ockenden International, Irak, témoignage à titre personnel : Je suis originaire du Sud de l'Irak, de Amarah, une ville religieuse au passé religieux. Notre conseil municipal était un forum religieux. Nous nous servons des valeurs islamiques pour faire respecter les droits de la femme.

Mme Ula A. Ibrahim, Rassemblement des démocrates indépendants, Irak, témoignage à titre personnel : Je m'appelle Ula Ibrahim. Je suis membre du groupe des femmes démocrates indépendantes irakiennes. Notre organisation a pour but l'élimination de toute discrimination de genre injuste. Je suis venue afin d'approfondir mes connaissances sur le fonctionnement des politiques dans des pays différents. Je ferai état de ce que j'aurais appris à mon organisation et à d'autres femmes irakiennes.

Mme Zainab H. Salman, Research Triangle Institute, Irak, témoignage à titre personnel : Je suis directrice d'un programme visant les femmes à Bagdad. À ce titre, je travaille à la base pour encourager les femmes à s'impliquer plus dans la vie politique. Je suis aussi directrice d'une association de femmes à Bagdad dont l'objectif est de former les femmes à s'impliquer plus dans la vie publique.

Le président : Merci beaucoup. J'ai l'impression — peut-être que je suis le seul, mais je ne le crois pas — que la situation en Irak ne s'est pas stabilisée comme on l'aurait pensé après les événements que nous connaissons tous. Il semble qu'il y a encore certains troubles, pour utiliser un terme raisonnable.

Je viens de lire une critique assez intéressante de cinq livres traitant de l'Irak. Cette critique indiquait le peu de connaissances que des étrangers comme moi avons au sujet de l'Irak et les raisons de ce qui nous paraît être beaucoup de troubles.

Devons-nous nous attendre à encore plus de troubles ou y a-t-il une chance d'accalmie?

Mme Rahem : Pardon, je veux demander la signification de ce mot, nous ne le comprenons pas.

Le président : Trouble — agitation, violence, guerre, mauvaise situation.

Mme Salman : En fait, la sécurité en Irak, à l'exception du nord où il y a moins de troubles qu'au sud, est un très grave problème. Nous luttons et souffrons à cause de cette situation.

Nous en avons parlé cet après-midi avec des personnes que nous avons rencontrées et nous leur avons dit que cette situation est créée par les pays voisins et que la plupart des terroristes viennent de l'extérieur de l'Irak. Nous avons parlé de la résistance nationale. C'est seulement un point de vue personnel, mais je ne pense pas qu'il y ait une résistance nationale. Il y a des extrémistes qui sont les auteurs d'explosions et commettent des attentats contre des innocents. Nous espérons que le nouveau gouvernement provisoire règlera ce problème.

Mme Ahmmad : Il existe un autre groupe que nous appelons les orphelins de Saddam. Ils créent des problèmes au pays, car ils ont tout perdu et puisque les Irakiens ne les respectent pas, ils ont décidé de causer des ennuis.

Le président : Je suppose que vous parlez des Sunnites?

Mme Ahmmad : Pas seulement les Sunnites.

Mme Salman : Les Baathistes qui sont très bien financés par d'autres pays pour commettre tous ces attentats en Irak. Ils sont très riches, car ils se sont accaparés des richesses de l'Irak quand Saddam était au pouvoir.

Mme Ahmmad : Ils représentent un petit groupe d'Irakiens.

Mme Rahem : Des élections se sont tenus avec un taux de participation beaucoup plus élevé que l'on espérait, même dans les régions où la sécurité n'était pas aussi renforcée. C'est une preuve du désir de paix des Irakiens. Ils en ont assez des guerres. C'est pour cette raison que les négociations visant à choisir les membres du cabinet prennent autant de temps. Nous avons bon espoir qu'il n'y aura pas une autre guerre, mais il faut du temps pour assurer la sécurité.

Mme Abd-ul-Hussein : Je peux aussi répondre que la situation en Irak n'est pas réglée parce que l'Amérique a apporté la guerre en Irak, parce qu'il y a des extrémistes islamistes dans les deux communautés chiite et sunnite et aussi parce que les Irakiens n'utilisent pas à leur avantage leur diversité. Chaque ethnie ne se soucie que de ses intérêts.

Mme Rahem : Je suis vous prie de m'excuser, mais je ne partage pas son point de vue. Nous ne sommes pas de cet avis. Ce ne sont pas les États-Unis qui ont apporté les explosions; ce ne sont pas eux qui font exploser des bombes aujourd'hui. Ils n'ont pas apporté les terroristes en Irak. Ce sont les pays voisins qui ne nous laissent pas vivre en paix car ce n'est pas leur intérêt. Si nous vivons en paix, ils n'auront pas cet argent. Ils ne recevront pas cet argent. C'est la raison pour laquelle ils veulent que notre pays reste en guerre, afin qu'ils puissent en bénéficier. Vous connaissez tous nos voisins. Ce n'est pas l'Amérique qui nous a apporté ces terroristes.

Mme Abd-ul-Hussein : La présence des Américains sert encore de prétexte à certains extrémistes pour mener des opérations terroristes.

Le président : Il y a une divergence d'opinion.

Mme Salman : Pas une divergence, mais...

Le président : Je n'ai contre, nous sommes très intéressés.

Le sénateur Grafstein : Nous sommes habitués aux désaccords démocratiques.

Mme Salman : Je voudrais préciser que lorsque Saddam était au pouvoir, il avait une politique très curieuse d'aider les pays voisins, surtout la Syrie et la Jordanie. Je ne veux pas en mentionner d'autres. En raison de ces politiques, ces pays refusent le modèle démocratique que l'Irak pourrait être. Ils ont transféré leur conflit avec l'Amérique dans notre pays. Il y a des rapports très complexes entre le terrorisme et la sécurité en Irak. Quand ces pays n'ont plus reçu d'aide financière ni de pétrole gratuit, ils ont envoyé des gens pour créer l'instabilité en Irak.

Le président : Je me souviens très bien du tout début du mouvement bassiste vers la fin des années 1950. Je pense qu'il a commencé en Syrie. C'était en Syrie qu'il y a eu ce mouvement socialiste arabe. Au début, il était considéré comme étant très progressiste. Les relations entre les bassistes irakiens et les bassistes syriens ont dû être très étroites. Cela a duré pas mal de temps.

Mme Rahem : Ce sont eux qui ont fondé le régime bassiste. C'est le même type de régime, le même système.

Le sénateur Andreychuk : Je veux aussi vous souhaiter la bienvenue au Canada et au Sénat. Je suis désolé que nous n'ayons pas plus de temps. Peut-être que lors de votre prochaine visite, il y aura plus de temps pour échanger des points de vue.

Je sais que vous travaillez dans des circonstances extrêmement difficiles, le manque de stabilité, le manque d'infrastructures, un système complètement nouveau, mais je sais que l'une des raisons de votre visite ici est la recherche d'un moyen pour améliorer la situation des femmes, les encourages à s'impliquer dans toutes les structures de votre société et à lutter contre la discrimination à l'égard des femmes. J'aimerais que l'une d'entre vous ou toutes nous disent de quelle façon vous comptez atteindre cet objectif alors que vous avez tellement d'autres problèmes à régler?

Vous prenez en considération le point de vue particulier des femmes. De quelle façon? Il serait intéressant d'avoir votre avis à ce sujet.

Mme Rahem : Je peux vous parler de mon expérience. Nous sommes libérés depuis 1991. De mon domaine, nous avons joui de 14 années de liberté. La société dans laquelle je vis est dominée par les hommes. Nous avons commencé à penser comme des nationalistes. Nous travaillions et combattions pour notre liberté aux côtés des hommes, mais ils nous ont oubliés lorsque à l'avènement de la liberté. Ils ont commencé à se conduire comme des hommes. Au bout de cinq ans d'une longue bataille, nous avons réalisé qu'il fallait avoir des droits pour la femme. Nous avons commencé à préparer quelques amendements pour modifier notre loi, la Loi du statut personnel qui est issue de la loi musulmane. Elle est complètement injuste à l'égard des femmes. Nous avons pu faire quelques amendements, par exemple, en ce qui concerne la polygamie. Nous avons changé cette loi en ce qui concerne les meurtres pour l'honneur. Cette loi autorisait les hommes à tuer leurs épouses ou leurs soeurs ou à les accuser d'avoir déshonoré la famille sans aucune raison.

Nous avons modifié cela. Aujourd'hui, il existe un grand nombre de groupes de femmes activistes. Elles s'expriment librement et nous oeuvrons pour inclure certains articles de droits de la personne dans la nouvelle Constitution qui sera rédigée très prochainement.

Voilà nos objectifs. Nous avons créé un réseau de femmes.

Mme Salman : En ce qui concerne le mouvement des femmes, nous avons été libérées il y a seulement deux ans en dépit de tout ce que vous avez mentionné concernant la sécurité et la situation dangereuse que nous avons vécue. Vous savez que la Constitution va être bientôt rédigée. Le mouvement des femmes à Bagdad qui est soutenu par le mouvement des femmes du nord, oeuvre à l'établissement d'un comité qui assurera que la Constitution ne contienne pas d'articles contre les droits de la femme. Le moment est venu pour les femmes d'agir et de réclamer leurs droits. Si nous ne défendons pas nos droits aujourd'hui, la Constitution se fera sans nous. Comme vous l'avez mentionné, nous progressons lentement, mais nous nous approchons de nos objectifs.

Mme Abd-ul-Hussein : Je crois que nous pouvons créer une déclaration des droits de la femme dans ma ville à partir des valeurs islamiques concernant le respect des femmes. Nous devons, en même temps, faire une séparation. Nous ne devons pas dépendre entièrement de la loi musulmane, mais nous pouvons incorporer des pratiques musulmanes qui ne créent pas de problèmes dans notre société.

Par exemple, si les femmes acceptent la polygamie dans la loi, ce sera un désastre, car cela crée beaucoup de problèmes économiques et aussi d'autres problèmes. Nous devons trouver un compromis entre la loi musulmane et les lois sur les droits de la personne.

Le sénateur Nancy Ruth : Au Canada, la Charte des droits et libertés a été adoptée en 1982. Les articles 15 et 28 traitent essentiellement de l'égalité. En plus d'inclure des dispositions dans la Constitution, il devint nécessaire de s'assurer que les juges aient une formation sur l'interprétation de la loi. On craignait beaucoup, au Canada, que les juges canadiens suivent l'exemple des Américains et fondent leur théorie de l'égalité sur « l'uniformité », c'est-à-dire, que les hommes et les femmes soient traités de la même façon. Ce serait bien surprenant si les hommes étaient traités de la même façon que les femmes, mais cela n'a pas eu lieu. Nous avons insisté sur le mot « différence » mais il a fallu beaucoup de travail pour enseigner aux juges comment interpréter l'article sur l'égalité dans la Charte. Cela a été fait en créant un fonds de litige pour financer des causes judiciaires afin de se présenter devant les juges et de les aider à interpréter la loi.

Avez-vous quelque chose de ce genre?

Même si ce n'est pas suffisant, car notre Cour suprême n'aide pas particulièrement ceux qui luttent pour obtenir l'égalité, et ce Parlement est saisi d'un projet de loi sur le mariage entre conjoints du même sexe, qui est la loi au Canada, mais fondé sur le traitement « de la même façon que ».

Nous avons déjà commencé à perdre les avantages acquis par les femmes dans le domaine de la différence au cours de ces vingt dernières années. Que projetez-vous pour aider l'interprétation de votre Constitution et de quelle façon allez-vous maintenir la pression sur les politiciens et les juges pour qu'ils vous donnent ce que vous voulez?

Mme Abd-ul-Hussein : Quand nous reviendrons en Irak, chaque femme recevra une formation sur diverses stratégies. Nous nous en servirons pour présenter aux femmes nos nouvelles idées concernant l'ajout de lois dans notre Constitution et aussi pour exercer des pressions sur le gouvernement par le biais du ministère des Femmes et du réseau des organisations de femmes non gouvernementales en Irak. Nous pensons, de cette façon, obtenir de bons résultats.

Mme Salman : Comme je l'ai dit tout à l'heure, en tant que réseau d'organisations de femmes, nous sommes sur le point de fonder une commission qui parrainera la rédaction de la Constitution. Ainsi, nous pourrons faire pression sur le gouvernement pour ajouter ce que nous voulons dans la Constitution.

En outre, nous avons plus de 100 organisations de femmes qui travaillent à partir de la base pour accroître la sensibilisation du public à l'égard des droits de la femme, surtout des femmes instruites qui veulent participer au gouvernement local.

Nous utiliserons aussi les députés femmes qui appuient les questions concernant les femmes. De plus, le réseau des femmes organisera une conférence pour les députés femmes et les femmes qui travaillent dans les gouvernements locaux pour débattre de la question des droits de la femme dans la Constitution. C'est une question très importante aujourd'hui car la Constitution est sur le point d'être rédigée.

Le président : Combien de femmes ont été élues au Parlement et quel est le nombre de députés?

Mme Rahem : Il y a 89 femmes, soit 25 p. 100 conformément au code. En plus, il y a sept femmes ministres.

Le président : Quel est le nombre des députés?

Mme Rahem : Il y en a 274 ou 275.

Le président : C'est intéressant.

Le sénateur Nancy Ruth : De quelle façon allez-vous vous protéger devant l'appareil judiciaire? De quelle façon allez-vous les former à l'interprétation de la Constitution que vous allez élaborer?

Mme Rahem : Au Kurdistan, nous demandons la laïcité pour séparer la religion de l'État. C'est la première chose que nous devons faire. Ensuite, nous ferons des plaintes concernant les droits de la personne, ceux de la femme en particulier, et l'égalité entre les sexes. Ils ne le comprendront pas et en feront une mauvaise interprétation. Ils demanderont si nous voulons avoir quatre maris, de la même façon que les hommes ont le droit d'avoir quatre épouses. Nous ferons notre possible pour notre message soit clair. Puis, nous nous assurerons que les juges, les avocats et à tous les niveaux de la collectivité aient une formation. Nous avons besoin de beaucoup de formation.

Le sénateur Grafstein : C'est très intéressant, c'est rafraîchissant et nouveau pour nous dans ce Parlement. Je ne crois pas que l'on trouve dans nos journaux le type d'informations que vous venez de partager. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il y a une forte envie de démocratie en Irak.

Mme Ahmmad : Permettez-moi de vous relater une petite histoire. À Kirkuk, la situation est complètement différente de celle des autres régions de l'Irak. La société est multiethnique et multi religieuse. Quand Saddam a été déchu, il y a eu comme une explosion, tout le monde voulait se battre et s'entretuer. Ils pensaient que c'était cela la démocratie. Aujourd'hui, les gens commencent à se respecter mutuellement. J'étais une fois dans un taxi. Je suis Kurde. J'ai vu des Turkmènes. Ils ont leur propre administration et le drapeau turc flottait. Je me suis oubliée et j'ai dit: « Regardez ce qu'ils font. » Le chauffeur de taxi a répondu: « Nous devons les respecter. » J'ai eu honte de moi. Vraiment, nous devons respecter les autres. Quoi que je veuille dire, ils ont les mêmes droits. Je considère, aujourd'hui, que les gens apprennent ce que signifie la démocratie et qu'ils le montrent en respectant les autres.

Le sénateur Grafstein : Peut-être que les autres pourraient dire un mot. Quel est le sentiment des gens du sud?

Mme Ibrahim : Je pense que le fait que notre président actuel soit un Kurde est un exemple de notre démocratie. Voir un Kurde occupait un poste dans notre gouvernement est un signe de démocratie.

Le président : Combien parmi vous sont Kurdes? Deux. Merci.

Le sénateur Grafstein : Permettez-moi de passer à un de vos sujets. Vous avez parlé de la participation des femmes dans l'assemblée élue, 89 sur 210, et vous nous avez dit que parmi les 30 ministres, sept sont des femmes. Quel est le pourcentage de femmes dans la fonction publique ou quel est le pourcentage de femmes dans la fonction publique que vous voulez atteindre? Je parle des femmes qui travaillent pour le gouvernement, pas celles élues au Parlement.

Mme Salman : Je n'ai pas les statistiques, mais au ministère de l'Éducation, plus de 75 p. 100 des enseignants à l'université, des conférenciers et ainsi de suite sont des femmes. Cela est dû à la guerre entre l'Iran et l'Irak. La plupart des hommes sont allés faire la guerre et leurs postes ont été occupés par des femmes et des personnes venant d'autres pays. Cependant, malgré que les femmes occupent tellement d'emplois, elles n'occupent pas les postes les plus hiérarchiquement élevés. Il est important de le noter. Les femmes travaillaient, mais elles n'occupaient pas les postes de direction. On les gardait aux postes au bas de l'échelle. Toutefois, dans l'enseignement, je suis sûre qu'il y a plus de 70 p. 100 de femmes.

Le sénateur Grafstein : Quels sont les pourcentages des femmes dans les professions? Le pourcentage est élevé dans l'enseignement, donc c'est un secteur où il n'y a pas de problèmes. Qu'en est-il de la profession médicale? J'ai remarqué qu'il y a parmi vous des professionnelles, des informaticiennes et des ingénieures. Par exemple, quel est le pourcentage de femmes dans l'ingénierie?

Mme Abd-ul-Hussein : Un petit pourcentage, car même à l'école d'ingénieurs, les lois musulmanes sont appliquées — 50 hommes, 5 femmes. C'est de la discrimination dans l'enseignement.

Le sénateur Grafstein : Ne perdez pas espoir. Quand j'étudiais le droit, il y avait une femme dans ma classe. Cela faisait moins de 1 p. 100. Aujourd'hui, 55 p. 100 des étudiants en droit au Canada sont des femmes.

Dites-nous un mot sur la participation des femmes dans les affaires. Je sais que pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran, les femmes ont dirigé un certain nombre d'entreprises et ont fait des affaires.

Mme Salman : Il y en a très peu, peut-être 1 p. 100, car nous n'avons pas beaucoup d'emplois pour les femmes ou d'entreprises dirigées par des femmes. Les femmes ont des emplois très simples. C'est un très faible pourcentage.

Le sénateur Prud'homme : Je vous souhaite une nouvelle fois la bienvenue. J'ai eu l'occasion de vous parler plus tôt aujourd'hui, je salue votre courage et votre dévouement. Je fais partie de ceux qui comptent vraiment sur les femmes pour apporter quelque chose de nouveau.

Lorsque je suis allé au Pakistan, je suis arrivé le jour où M. Musharraf a été renvoyé du Commonwealth alors que je devais le rencontrer. Je me suis donc promené et j'ai rencontré une femme qui s'occupait de deux ou trois millions de réfugiés afghans. À cette époque, ils ne recevaient aucune aide financière des pays occidentaux. Qui s'occupait de ces réfugiés? C'était des femmes. Deux d'entre elles sont devenues ministres.

Alors que vous construisez l'avenir, vous devez tenir compte du passé et, bien sûr, nous sommes au courant des atrocités dont nous parlons aujourd'hui. Vous savez combien je vous encourage à partager le pouvoir. Nous sommes au Canada, si j'étais exclu du pouvoir au Canada en tant que nationaliste, en tant que Canadien français du Québec, en tant que fédéraliste, je lutterais. Étant donné que nous ne sommes pas tous pareils, nous devons partager. Nous sommes assis autour de la table. Regardez-nous, vous voyez que nous sommes tous différents.

Savons-nous aujourd'hui pourquoi ces atrocités ont eu lieu en Irak? Il est très facile de blâmer une personne ou une autre, et surtout, de dire que Saddam Hussein est devenu un monstre, mais quand j'étais là-bas et après la guerre de l'Iran, l'Ouest ne le considérait pas comme un monstre. Il était bien armé et bien approvisionné. D'un seul coup, on dirait que l'Ouest a oublié tout cela. Est-ce que vous y pensez aussi ou ne vous concentrez-vous que sur les difficultés présentes et la façon d'affronter l'avenir?

Mme Salman : Je crois que l'Ouest a créé Saddam Hussein pendant la guerre entre l'Irak et l'Iran seulement pour ses intérêts. Pendant la guerre entre l'Iran et l'Irak que vous avez mentionnée, il était soutenu par l'Ouest, il a envoyé les hommes à la guerre et aussi a donné l'occasion aux femmes de participer à l'enseignement. Il a fait quelque chose pour les femmes et pour le peuple irakien au cours de cette période.

Puis, après l'invasion du Koweït et la révolution au sud et au nord, il est devenu le dirigeant du pays, car l'Ouest a libéré le nord et lui a donné le pouvoir dans le sud. Les pays occidentaux ont fait cela pour les mêmes raisons pour lesquelles ils l'avaient soutenu au cours de la guerre entre l'Irak et l'Iran, car au sud, la majorité était Chiite, il y a avait des groupes religieux, et cetera. Je crois que Saddam est devenu le leader, car il a tué son peuple pour les intérêts de l'Ouest. Puis, l'Ouest a simplement décidé qu'il n'avait plus de rôle à jouer et qu'il devait disparaître.

C'est seulement mon point de vue personnel. C'est ce que je pense.

Le président : C'est un avis.

Mme Rahem : Je veux dire que Saddam a toujours été là. Il n'a pas été créé à partir de rien. Dès le départ, quand il a pris le pouvoir, il était un monstre, mais l'Ouest ne voulait pas voir cela.

Il a commencé par détruire les villages frontaliers au Kurdistan dans les années 1970, puis il a commencé la guerre entre l'Irak et l'Iran. Quand ils ont jugé qu'il représentait aussi un danger pour leurs propres pays, ils ont pris des mesures contre lui. Autrement, il avait ordonné les bombardements chimiques en 1988, il avait envahi le Koweït, et avant cela, il avait détruit 4 500 villages dans ma province. Il a toujours été là.

Mme Ahmmad : Je suis d'accord. Je veux ajouter que nous avons essayé plusieurs fois d'éliminer Saddam, mais c'était très difficile. En 1991, il y a eu un soulèvement dans tout le pays, du sud ou nord. Nous avions libéré beaucoup de régions de l'Irak, mais seulement pour quelques jours, surtout dans la province de Kirkuk, où cela n'a duré que 10 jours. Quand Saddam est revenu, il a tué des milliers et des milliers de gens. J'en ai été témoin. J'ai perdu trois membres de ma famille et on m'a tiré dessus à deux reprises; nous avons tout perdu à cette époque.

Le sénateur Di Nino : Vous êtes certainement un groupe intéressant de témoins et cela ouvre une perspective différente dans notre étude sur l'Afrique.

Nous avons examiné la situation en Afrique, et cela m'amène à vous poser une question très précise. Au cours de ces délibérations, nous avons entendu souvent les témoins, Africains ou non, représentant les ONG et des agences gouvernementales, nous dire qu'ils s'attendaient à ce que les femmes africaines continuent de travailler à bâtir la société civile recherchée.

J'ai l'impression, particulièrement à la lumière de notre rencontre de ce matin, que les mêmes objectifs sont visés en Irak. Je me demandais si vous ne représentiez pas en fait un mouvement qui a cours en Irak pour amener les Irakiennes à contribuer à la mise en place de la société civile. Est-ce que c'est ce qui se produit actuellement?

Mme Abd-ul-Hussein : Oui, c'est vrai, parce que les femmes ne sont pas seulement dans la société civile. Depuis l'embargo, les femmes ont commencé à assumer la responsabilité de leur subsistance. Auparavant, nous avions amorcé la reconstruction de notre pays. Il faut constater qu'une famille ne comptant que peu de membres ne peut pas survivre sans le travail de tous, et des femmes tout particulièrement.

Quelques jours à peine après la chute de Saddam, des organisations de la société civile et des organisations non gouvernementales ont été établies dans ma ville; elles regroupent des hommes, des hommes et des femmes, et aussi des femmes seulement. Les organisations de femmes ont été créées par des organismes internationaux venus en Irak ainsi que par les partis politiques, les groupes autonomes de femmes et les institutions religieuses. Chaque entité voulait compter sur l'appui de groupes de femmes.

Mme Rahem : Les femmes étant les principales victimes des guerres, je peux vous assurer qu'elles sont les premières à vouloir reconstruire l'Irak et vivre en paix. Il existe de nombreux groupes de femmes. Elles redoublent d'efforts pour mettre sur pied les organisations de la société civile. Un autre facteur est aussi à considérer. Le ratio femmes-hommes est d'environ sept pour un, ce qui fait qu'elles représentent plus de la moitié de la communauté. Elles ont un rôle à jouer et des campagnes sont mises en œuvre pour les sensibiliser à cet égard, ce qui devrait également aider. Elles veulent vivre en paix et elles nourrissent cette ambition dans le fond de leur cœur.

Mme Ibrahim : Toutes les femmes veulent maintenant jouer un rôle au sein des organisations non gouvernementales; elles veulent être mieux renseignées et mieux connaître leurs droits. Lorsque les élections ont été tenues, toutes les femmes ont voté. Par exemple, ma mère et moi avons été ce matin-là les premières à sortir pour aller voter. J'ai pu voir dans mon voisinage que toutes les femmes y sont allées avant les hommes.

Le sénateur Di Nino : Je dois vous avouer que le reste de la planète a tourné des yeux stupéfaits vers l'Irak lors de ces élections. Je peux certes me faire le porte-parole de tous les sénateurs ici présents pour vous dire que nous avons été agréablement surpris du taux de participation au scrutin et à l'ensemble du processus, ce qui, dans certains cercles du moins, n'était pas attendu. Vous avez droit à toutes nos félicitations.

J'ai une autre question qui fait suite à ma première. Existe-t-il en Irak un mouvement coordonné des femmes de toutes origines pour travailler ensemble à l'atteinte de ces objectifs de leadership, de contribution à la reconstruction du pays e de création de cette nouvelle société civile? Y a-t-il un mouvement coordonné ou subsiste-t-il des frictions entre les différents segments de la société?

Mme Rahem : Il y a différents mouvements. Il y a des réseaux qui se tissent dans tout l'Irak. Je sais que l'un de ces réseaux regroupe de nombreuses organisations civiles de tout le pays, du nord jusqu'au sud. De plus, dans ma région, le Kurdistan, il y a deux ou trois réseaux regroupant les organisations de femmes. Il existe une volonté de travailler ensemble. Même si les points de vue peuvent diverger, nous regardons vers l'avant et nous sommes optimistes.

Mme Salman : Je suis persuadée qu'il n'y a pas un seul mouvement pour tout l'Irak. Ce sont plutôt de nombreuses petites organisations qui se sont constituées. À Baghdad, il y a un réseau irakien qui regroupe plus de 88 organisations. Il est bien connu et respecté par le gouvernement. L'organisation mentionnée par Mme Rahem sera chargée de diriger le mouvement féminin dans le centre et dans le sud du pays et de transmettre le point de vue des femmes au gouvernement. Il s'agit d'une responsabilité très considérable pour cette organisation.

Le sénateur Mahovlich : Bienvenue au Canada. Vous êtes venues au bon endroit. En 2000, le Canada s'est classé au premier rang parmi les démocraties du monde; alors, on peut dire que nous donnons l'exemple. Vous devriez examiner de près le fonctionnement de notre gouvernement. Près de 50 p. 100 de nos sénateurs sont des femmes; et les sénateurs sont nommés. C'est là un bel équilibre. Je crois que vous apprendrez beaucoup de choses parmi nous.

Vous avez parlé des États-Unis. Qui a créé le phénomène Oussama ben Laden?

Mme Ahmmad : Les États-Unis.

Le président : Et voilà; au moins il n'est pas Irakien.

Mme Abd-ul-Hussein : Oussama ben Laden est islamiste, mais toutes ses activités vont à l'encontre du vrai islam; c'est un extrémiste. Tous les musulmans rejettent ben Laden, qui n'a été créé ni par les Américains ni par l'islam. Je ne sais pas exactement qui l'a créé, mais il n'est pas à 100 p. 100 islamiste.

Le sénateur Mahovlich : Pourrons-nous jamais éradiquer le terrorisme si Oussama ben Laden reste libre? Peut-on mettre fin au terrorisme?

Mme Abd-ul-Hussein : Si nous avons un gouvernement stable et de bonnes mesures de sécurité, alors il n'y aura pas d'Oussama ben Laden en Irak. Si les Irakiens sont témoins d'activités terroristes, ils vont chercher l'étranger qui en est responsable. Nous avons l'impression que nous ne laisserons pas les terroristes vivre parmi nous, pour autant que nous puissions compter sur un gouvernement irakien stable et uni.

Le sénateur Mahovlich : Une fois que vous aurez un gouvernement stable, est-ce que les Américains vont quitter l'Irak?

Mme Abd-ul-Hussein : Je crois que oui. Notre gouvernement veut vivre en paix avec les États-Unis, et non les combattre. Nous devons poursuivre dans cette voie et nous montrer patients jusqu'à ce qu'ils partent. S'ils ne partent pas, peut-être aurez-vous droit à une troisième guerre mondiale.

Le président : Voilà qui résume bien la situation.

Mme Rahem : Je veux seulement dire que Oussama ben Laden est une personne qui représente un symbole. Il y a de nombreux Oussama ben Laden dans les pays avoisinant l'Irak. Si nous sommes en mesure d'assurer le maintien de la paix et de la sécurité et de leur faire comprendre que ce n'est pas leur pays et qu'ils devraient nous laisser en paix, alors nous serons débarrassés du symbole Oussama ben Laden.

Le président : Je comprends cela.

Le sénateur Corbin : J'ai un bref préambule. Vous avez élu un gouvernement transitoire et les choses se déroulent lentement. Votre parlement devrait en venir à adopter de nouvelles lois et à adapter les anciennes. Il y a actuellement un occupant militaire qui contrôle différents secteurs; vous avez un gouvernement civil transitoire; et vous avez une doctrine religieuse qui est extrêmement importante pour certains groupes et dans certaines régions. Quel est le système judiciaire en vigueur dans votre pays? Auparavant, c'était Saddam Hussein qui décidait de quelle façon les choses allaient se passer. Y a-t-il encore un semblant de régime judiciaire dans votre pays ou est-ce que tout cela s'est effondré? Comment le pays est-il administré actuellement?

Mme Rahem : La situation est temporaire car nous vivons une période de transition. Nous souhaitons instaurer un modèle de fédéralisme et c'est d'ailleurs la raison de notre présence ici. Hier et aujourd'hui, nous avons examiné différents modèles de systèmes fédéraux qui pourraient fonctionner en Irak. Nous avons aussi étudié le modèle du Royaume-Uni. Nous avons bon espoir de pouvoir créer un système semblable en Irak.

Le sénateur Corbin : Est-ce le chaos actuellement?

Mme Rahem : Non. Dans le nord, les mesures de sécurité sont en place et le gouvernement fait son travail. Cependant, dans les régions du centre et du sud de l'Irak, il y a un certain chaos en raison des extrémistes. Mais il y a toutefois de l'espoir pour le nouveau gouvernement irakien. Il est toujours en transition, mais nous mettons tous les bouchées doubles pour le partage des pouvoirs et la création d'un système fédéral.

Mme Salman : Pour répondre à votre question, depuis la chute du régime de Saddam, nous avons une loi transitoire qui a été rédigée par le conseil du gouvernement. Elle forme la base des lois qui régissent l'ensemble de l'Irak. Nous suivons également l'ancienne loi rédigée par le régime de Saddam Hussein pour ce qui est de la gestion de la question judiciaire en Irak. L'ancienne loi et la loi transitoire formeront la base pour la rédaction de notre nouvelle constitution. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Corbin : Oui, merci.

Le président : Il est important de souligner que l'élection a permis de former une assemblée constituante qui rédigera la constitution de l'Irak. Est-ce exact? Cela n'a pas encore été fait, mais le processus est en marche.

Mme Salman : C'est exact. La loi transitoire a été rédigée et promulguée par le conseil du gouvernement et nous nous en servirons comme fondement pour la nouvelle constitution.

Mme Rahem : Il y a aussi eu une loi spéciale après la chute de Saddam; elle a également été appelée loi transitoire. Tout est transitoire actuellement.

Le président : Au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier pour votre dynamisme et vos témoignages fort intéressants.

Il est important de signaler que l'Irak est un pays marqué par d'importantes variations, des régions kurdes du nord jusqu'à la grande ville de Bagdad qui constitue une société complexe. Combien de personnes vivent à Bagdad?

Mme Salman : Je vis à Bagdad.

Le président : Mais combien de personnes au total vivent à Bagdad?

Mme Salman : Il y a environ six millions d'habitants.

Le président : Bagdad est une ville de six millions d'habitants avec toutes les complexités qui s'ensuivent bien évidemment.

La séance se poursuit à huis clos.


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