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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 2 - Témoignages du 18 novembre 2004


OTTAWA, le jeudi 18 novembre 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 52, pour étudier, conformément à son ordre de renvoi, le projet de loi S-10, visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue. Ce matin nous entendrons le témoignage du professeur Louis Perret de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

[Français]

M. Louis Perret, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa : C'est pour moi à la fois un honneur et un plaisir que de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour la deuxième fois.

La première fois, c'était, je crois, en l'an 2000, lors de l'analyse du premier projet de loi d'harmonisation. Je comparaissais devant ce même comité pour encourager ou appuyer l'adoption de ce premier projet de loi. Il a par la suite été adopté et est entré en vigueur le 1er juin 2001, ce dont je me réjouis.

Aujourd'hui, je comparais à nouveau devant ce même comité afin de vous inviter très fortement à récidiver en recommandant l'adoption du projet de loi d'harmonisation, le deuxième cette fois-ci. Compte tenu de l'écoulement du temps et de l'expérience, nous avons pu mieux mesurer la portée de ce processus d'harmonisation des lois fédérales.

Je comparais également pour réfléchir ou extrapoler dans un deuxième temps sur la portée potentielle future de ce processus que l'on doit prendre en considération au moment où, justement, on analyse le projet de loi.

Si on se limite au présent dans une première partie, donc sur la portée de la deuxième loi d'harmonisation et de son processus dans l'état actuel des choses, il faut bien reconnaître qu'au-delà de son aspect très technique et un peu rebutant, il s'agit de changements de termes juridiques extrêmement pointus et de vocabulaire dans les deux langues, ceci dans 26 lois fédérales, dont une qui n'est pas la moindre, soit la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, dans laquelle même les avocats les plus chevronnés ont quelquefois du mal à s'y retrouver.

Cette loi, par son processus et sa finalité, puisqu'il s'agit d'assurer la compatibilité des lois fédérales avec le droit civil du Québec et la common law dans les autres provinces et territoires du Canada, a une portée très importante, tant sur le plan intérieur canadien que sur le plan international.

Commençons d'abord par mesurer cette importance sur le plan interne canadien. Même si l'on a pu s'interroger quant à savoir si cette tâche difficile, ardue et coûteuse qu'est l'harmonisation en valait la peine du point de vue économique, il faut bien dire qu'il était en effet temps que cette initiative soit prise à l'occasion de l'entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994.

En effet, quoi de plus normal que la législation fédérale parle le langage juridique de chaque province où elle est censée s'appliquer. Par exemple, la loi fédérale peut-elle référer d'une manière générale à des conseillers juridiques au Québec, alors que dans cette province les actes que vise la loi fédérale sont réservés aux avocats et aux notaires?

Autre exemple : lorsque la loi fédérale attribue une compétence pour les cours des provinces en matière d' « equity » dans cette province, alors qu'au Québec la notion d' « equity » n'existe même pas.

Par ailleurs, quoi de plus normal que la loi fédérale soit compatible avec le droit et les concepts juridiques des provinces qui la constitue et où elle est censée s'appliquer. Pour le Québec, les concepts de droit civil et leur formulation; pour les autres provinces et territoires, les concepts de common law et leur formulation.

De cette harmonie entre le droit fédéral et le droit de chaque province, il ne peut en résulter pour chaque province qu'une plus grande clarté de son droit, ce qui en facilitera la compréhension, donc l'application et l'interprétation; réduira les sources de conflit, donc de litige; réduira les coûts de l'application et de l'accès à la justice; et augmentera la prévisibilité du droit et, bien sûr, la sécurité juridique. Ceci est aussi bien important pour le monde des affaires.

Il en résulte également une plus grande cohésion entre le fédéral et les provinces et territoires, et donc un plus grand sentiment d'appartenance à l'ensemble, c'est-à-dire au Canada.

Il pourrait, sans doute, en être très différemment si les lois fédérales ne respectaient pas la diversité de chaque province par rapport aux autres, en ne parlant pas son langage juridique. Certaines pourraient se sentir à l'étranger à l'intérieur du Canada.

Créer l'unité tout en respectant la diversité, voilà, en effet, tout le génie du fédéralisme qu'il s'agit de faire jouer ici à plein.

Tel est donc au-delà de sa technicité la portée de la Loi d'harmonisation no 2 sur le plan interne canadien, c'est-à- dire assurer un droit plus clair et donc plus accessible et prévisible, en outre assurer une meilleure cohésion entre le fédéral et les provinces à la satisfaction des justiciables de tout le pays.

Qu'en est-il maintenant de la portée du processus de la Loi d'harmonisation no 2, au niveau international.

On assiste, au niveau international, à un effort d'uniformisation du droit commercial international afin de faciliter les échanges transfrontaliers. C'est le but de la mondialisation. En effet, sous l'effet combiné du GATT, maintenant devenu l'OMC plus les accords de libre-échange, le commerce mondial transfrontalier s'est multiplié par 13 dans les 50 dernières années.

Pour le Canada qu'est-ce que cela signifie? Cela représente 43 p. 100 de son PIB et représente un emploi sur trois qui est relié directement aux exportations donc au commerce international. Si les barrières tarifaires ont été abaissées par le GATT, l'OMC et le libre-échange ou même quelquefois abolies, il n'en est pas de même des barrières juridiques. Une étude très approfondie que nous avons menée à l'Université d'Ottawa, et publiée sur notre site Web, démontre que le monde est divisé en différents systèmes juridiques et que, en particulier, le droit civil pur ou mixte, fusionné avec d'autres droits tel le droit musulman, par exemple, ou la common law coutumière en Afrique, représente les deux tiers de la population mondiale. De son côté, la common law pure ou mixte représente un tiers de la population mondiale et ensemble ils représentent à peu près 99 p. 100 des systèmes juridiques applicables de façon pure ou mixte dans le monde.

Bien sûr, au niveau du commerce frontalier, il y a des chances que l'on ait affaire à un autre système juridique et c'est là que surgissent les problèmes de conflits de lois, ou bien que pour les résoudre, une entreprise appartenant à une économie plus forte qu'une autre arrive à imposer son droit et son hégémonie. C'est un reproche que l'on fait bien souvent à l'impérialisme américain dans ce sens.

Pour y remédier, on cherche à uniformiser le droit, à pouvoir référer à un dénominateur commun, qui ne serait ni de droit civil ni de common law mais plutôt la résultante des deux. Donc qu'il y a des dénominateurs communs. On peut citer, par exemple, la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises, qui est ratifiée par une cinquantaine de pays, si ma mémoire est bonne, dont le Canada. Sur notre continent la Convention de Vienne de 1980 a été ratifiée par la plupart des pays d'Amérique du Sud, le Mexique, les États-Unis et le Canada. L'autre exemple est celui des principes d'unidroit pour les contrats commerciaux internationaux qui ont été publiés en 1994. Ils ont fait l'objet d'une récente réédition, dix ans plus tard, en 2004, pour tenir compte de l'expérience, qui sont très largement utilisés : ce droit dénominateur commun entre le droit civil et la common law dans l'arbitrage international, en particulier.

La combinaison des deux systèmes, le droit civil et la common law, plus un droit sui generis élaboré par les commerçants, que l'on appelle la lex mercantoria, est donc la voie que le milieu juridique des affaires internationales cherche à privilégier en utilisant la méthodologie simple, parce que synthétique et exposée en des termes clairs et concis, la méthodologie du droit civil présente de façon harmonieuse des concepts qui proviennent tant du droit civil que de la common law. Par exemple, les principes de « unquestionability » ou de « frustration » dans le domaine des contrats internationaux.

Dans ce contexte, il est évident que l'expérience du bijuridisme canadien est extrêmement utile. Qu'on pense aux organisations internationales qui accueillent avec grand plaisir les fonctionnaires du gouvernement canadien, qui, bien souvent, sont formés dans les deux systèmes juridiques et dans les deux langues. Et cela, lorsqu'il s'agit de la préparation de conventions internationales bijuridiques et donc bilingues et même dans d'autres langues aussi naturellement, mais l'anglais est, bien sûr, la première langue de communication au monde. Il ne faut pas oublier — et nous avons fait une étude là-dessus à l'Université d'Ottawa — que le français est toujours la deuxième langue de communication la plus importante au monde. C'est celle qui est utilisée comme langue officielle dans le plus grand nombre d'organisations internationales en outre y compris pour le G7 et les Jeux olympiques. Elle est répartie sur les cinq continents, ce qui n'est pas le cas de l'espagnol, du chinois et du russe, par exemple. Toutefois, c'est le cas de l'anglais et du français. Le bijuridisme et le bilinguisme sont des atouts phénoménaux pour un pays comme le Canada dont il commence à tirer parti, mais peut-être pas encore suffisamment.

J'ai parlé des organisations internationales mais on peut parler aussi du secteur privé. Dans le domaine des affaires, d'avoir la double formation juridique et d'être parfaitement bilingue permet d'éviter les problèmes, de mieux négocier et de mieux procéder à des médiations entre des juristes appartenant à ces systèmes différents ou en matière d'arbitrage commercial international. Nous avons, par exemple, des personnes comme Yves Fortier, Marc Lalonde et Paul Gélinas, qui sont extrêmement connus dans ce domaine. Dans le domaine de l'harmonisation du droit, des organisations internationales, des personnes comme le professeur Crépeau ou madame le juge Anne-Marie Trahan ont beaucoup travaillé dans le domaine de l'harmonisation du droit sur le plan d'unidroit. C'est donc une réalité, ce n'est déjà plus une potentialité, mais un domaine qui peut être encore développé.

Donc sur le plan international, le bijuridisme apporte au Canada une expertise unique, utile dans les organisations internationales pour l'élaboration de conventions et dans le milieu des affaires pour le développement des exportations et donc, des ressources économiques du Canada.

Le Canada ne peut, bien sûr, en retirer que du prestige et des avantages économiques. Et c'est d'ailleurs dans ce sens que des universités comme l'Université McGill, avec son programme trans-systémique et que l'Université d'Ottawa, grâce à son programme national, contribue à former des experts bijuridiques et bilingues dont le Canada aura besoin pour son développement économique interne et international.

Il est à souligner au passage, d'ailleurs, que ces universités mériteraient d'être davantage encouragées dans ce sens par le gouvernement fédéral, même si l'éducation est de compétence provinciale. Car les objectifs sont naturellement canadiens. Et c'est le sens, d'ailleurs, de la nouvelle appellation de l'Université d'Ottawa, l'université canadienne et on peut voir quelle est sa portée ici.

Et sans doute qu'une aide fédérale appropriée dans ce domaine stimulerait d'autres universités à en faire autant dans l'intérêt du Canada, alors qu'elles sont plutôt passives, surtout les provinces de common law, à s'intéresser à l'autre système juridique. Ce potentiel du processus d'harmonisation des lois fédérales nous conduit à envisager à présent les applications futures, éventuelles de ce processus d'harmonisation.

J'entame donc la deuxième partie, la portée potentielle future du processus d'harmonisation. Je l'envisage sous deux angles : premièrement, celui du fédéralisme canadien et deuxièmement, celui de la science juridique. Sous le premier angle du fédéralisme canadien, pour les mêmes raisons qu'indiquées précédemment, il ne serait que juste d'arriver à harmoniser également le droit fédéral avec le droit autochtone dans la mesure naturellement où on le connaît.

Il s'agit d'un grand défi puisqu'il s'agit d'un droit coutumier, encore méconnu par beaucoup, et qui est sans doute très diversifié. Des études sur le droit autochtone coutumier devraient en conséquence être poursuivies et être davantage financées et développées, et un projet pilote d'harmonisation pourrait sans doute être développé, surtout dans les régions où la population autochtone est la plus nombreuse et peut-être même majoritaire.

Je pense aux territoires, je pense au Nunavut. Avec la collaboration de juristes de ces régions, de juristes d'origine autochtone que nous avons contribué à former, que ce soit à l'Université de la Saskatchewan ou à l'Université d'Ottawa, avec des programmes « pré-droit » autochtones.

Une autre dimension de la potentialité du bijuridisme est l'élaboration d'une véritable science du droit dans le domaine du bijuridisme. Dans le processus d'harmonisation du droit fédéral, le bijuridisme a principalement consisté à faire coexister en parallèle le droit fédéral et, d'une part, le droit civil dans la province de Québec, et le droit fédéral et, d'autre part, la common law dans les autres provinces. Des études très sérieuses ont été menées de façon à distinguer les concepts propres à chacun des systèmes de façon à bien respecter la spécificité de chacun et leur diversité. Il faut s'en féliciter.

Le résultat de ces études est déjà partiellement disponible dans les banques de données du ministère de la Justice sur Internet et également sous forme de vocabulaire juridique, de dictionnaire. On pense aux travaux du PAJLO qui a changé de nom récemment ou des fiches terminologiques bilingues du ministère de la Justice. Celles-ci sont en effet très utiles pour aider à l'interprétation des textes dans un système comme dans l'autre. C'est un résultat qui est déjà très intéressant pour le bénéfice de la clarté juridique et des avantages qui en résultent.

On peut peut-être souhaiter que les sites Web soient améliorés pour que leur accessibilité soit encore rendu plus facile. Mais quel que soit leur mérite dans cette coexistence, une publication plus poussée des recherches comparatives qui ont mené à ces distinctions serait très utile pour le développement de la science comparative entre ces deux systèmes pourrait faciliter l'élaboration de règles de droit juridique et bijuridique, mais bijuridique d'intégration et non pas de coexistence. Il s'agirait de droit uniforme qui combinerait en les intégrants dans un même texte, les concepts et méthodologies de chacun des systèmes et même de l'expérience du commerce international, de façon à fusionner ces deux systèmes pour arriver à un dénominateur commun en prenant ce que chacun a de meilleur. Alors ici il ne s'agit plus d'un bijuridisme de coexistence qui constate qu'il y a deux systèmes juridiques différents et qu'il faut les respecter, mais il s'agit d'aller plus loin et de se dire maintenant qu'on a cette somme de données, qu'est-ce que l'on peut mettre éventuellement ensemble? Quel dénominateur commun peut en résulter?

C'est donc la recherche d'une troisième voie dans le sens des travaux d'unidroit, par exemple, et qui peuvent être très utiles pour nous sur le plan interne au Canada. On vient de renforcer l'existence d'un marché commercial interne, interprovincial. Peut-être que dans le domaine interprovincial, des lois uniformes pourraient être de la même utilité qu'au palier international. Le commerce entre le Québec et l'Ontario représente 45 p. 100 du commerce intérieur canadien. N'y a-t-il pas lieu de le faciliter dans le domaine interprovincial sans toucher au droit interne de chaque province de façon à respecter leur diversité. Mais dans le domaine interprovincial, la problématique est autre. Il s'agit de faciliter, d'enlever les obstacles. Bien sûr, la situation est la même au palier international pour faciliter les échanges transnationaux. Il est certain qu'une banque de données qui a permis d'aboutir au vocabulaire juridique et aux fiches juridiques, si elles étaient publiées et mises à la disposition, plus facilement accessibles aux chercheurs dans les universités au Canada ou à l'étranger, ou aux législateurs au Canada ou à l'étranger, pourrait avoir une très grande utilité. Dans ce domaine, le Canada, grâce à ses travaux, grâce à son expérience, a un leadership et une potentialité extraordinaire à développer sur la base d'un processus d'harmonisation du droit.

Je terminerai en faisant appel à une collaboration entre le PAJLO et ce qu'il est devenu, le ministère de la Justice, la Commission du droit du Canada ainsi qu'aux diverses universités intéressées afin qu'elles mettent en commun leur ressource intellectuelle en matière de recherche fondamentale sur le bijuridisme dans le cadre d'un centre de recherche d'excellence sur le bijuridisme. Il pourrait être parrainé par de brillants sénateurs puisque la perspective est canadienne. Un tel effort mériterait d'être généreusement financé par le gouvernement fédéral compte tenu du fait que l'investissement serait important. Mais le retour sur l'investissement serait non moins important en termes de prestige, d'efficacité législative, judiciaire et commerciale pour notre pays.

En conclusion, je recommanderais très fortement la poursuite du processus de l'harmonisation des lois fédérales, notamment en faisant un deuxième pas cette année, en adoptant le projet de loi d'harmonisation no 2.

La présidente : Vous avez mentionné les efforts de plusieurs facultés de droit afin de former des juristes dans les deux systèmes de droit au Canada. Il est vrai que de plus en plus de juristes reçoivent une double formation.

Pouvez-vous nous dire si concrètement, dans vos salles de cours, le bijuridisme est abordé dans la formation au premier cycle en droit?

M. Perret : Cela dépend de ce que l'on entend par « bijuridisme », si c'est un bijuridisme de coexistence ou un bijuridisme transsystémique. Le bijuridisme de coexistence est abordé dans tous les cours ou dans de nombreux cours. Lorsque l'on a, dans un même groupe, des étudiants qui proviennent, par exemple, d'une formation de common law et qui sont immergés dans un cours de droit civil, il faut faire des ponts avec la comparaison. Nous le faisons dans ce sens à l'Université d'Ottawa, au niveau du premier cycle. L'Université McGill le fait autrement puisque dans certains cours, par exemple le droit des contrats, on voit à la fois le droit des contrats de droit civil et de common law. C'est une autre méthode. Nous avons préféré les former d'abord dans un système pour qu'ils aient un système de référence, de droit civil ou de common law, pour qu'ensuite, une fois qu'ils aient des bases solides dans l'un, ils puissent venir pendant une année dans l'autre, apprendre l'autre système juridique.

Comme je le disais précédemment, nous sommes vraiment deux facultés à le faire systématiquement, et depuis de nombreuses années. L'Université de Montréal, au deuxième cycle, a un programme de maîtrise en droit des affaires basé sur le droit de New York, le New York law. C'est une américanisation plus qu'une réflexion sur les systèmes juridiques. L'Université de Sherbrooke le fait aussi sous forme de cours d'été.

Par ailleurs, nous avions fait une étude, qui est publiée par ma collègue, le professeur Aline Grenon, sur l'enseignement de l'autre système juridique, soit un cours de droit comparé ou un cours de droit international, une ouverture dans les autres provinces du Canada et les autres facultés au Québec. Oui, il y a du progrès, mais il est lent et embryonnaire.

La situation est pire aux États-Unis, puisque les statistiques ont démontré que seulement 17 p. 100 des étudiants américains ont été exposés à du droit international. Cela veut donc dire que la différence est de presque 90 p. 100. D'autres n'ont jamais entendu parler de droit international et cela paraît dans l'actualité.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Eyton, avez-vous des questions?

Le sénateur Eyton : Je vous remercie, monsieur, de votre exposé, qui était très éloquent. Je voudrais faire quelques observations liminaires et j'aurai ensuite trois ou quatre questions précises.

D'abord, vous avez parlé de l'application de ce projet de loi en termes généraux et vous avez ensuite évoqué toutes les autres provinces de même que les conséquences positives de ce projet de loi au Canada et sur la scène internationale. Cependant, le titre du projet de loi, lequel reflète clairement son objectif d'après vos remarques, est le suivant : « Loi no 2 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil de la province de Québec ». C'est donc l'objet du projet de loi. En revanche, selon moi, vos propos sur la mise en œuvre de ce texte législatif ont largement dépassé cet objet.

Vous avez mentionné certains chiffres. Vous avez dit que nos exportations ou nos échanges commerciaux représentaient plus de 40 p. 100 de notre production brute, de notre produit intérieur brut. Vous avez ensuite dit que presque tous les pays du monde étaient régis par un système de common law ou par un système de droit civil. Je crois même vous avoir entendu dire que cette affirmation vaut pour 99 p. 100 du monde entier. Je suis d'accord avec vous en principe, mais en termes pratiques, je vous rappelle que plus de 85 p. 100 de nos échanges commerciaux se font avec les États-Unis. À cela s'ajoute 4 ou 5 p. 100 de nos échanges commerciaux avec d'autres États régis par la common law. Par conséquent, en réalité, la langue du commerce au Canada est l'anglais et le vocabulaire de la common law.

J'aimerais tracer un parallèle avec mon expérience personnelle, car j'ai été avocat pendant un certain nombre d'années. Il y a 25 ans maintenant que je ne pratique plus le droit, mais je travaillais pour un cabinet d'avocats réputé de Toronto. Dans les années 60 et 70, Montréal était le centre financier du pays. Comme je travaillais pour un cabinet de droit commercial, je passais une journée ou deux par semaine au Québec, où je m'occupais de diverses transactions commerciales. J'avais essentiellement pour fonction d'aider des entrepreneurs à acheter et à vendre des entreprises, à gérer de grandes sociétés, nationales ou multinationales, et j'étais en outre responsable du financement.

Je travaillais sans problème avec mes homologues civilistes de Montréal et nous nous adaptions en apportant des ajustements ou en concluant des ententes au besoin. De mon point de vue, cette façon de faire était tout à fait satisfaisante et je n'ai pas éprouvé de difficultés lorsqu'il s'agissait de concilier à tout le moins les intérêts commerciaux des parties québécoises et d'autres parties.

Ma dernière observation porte sur les mesures d'encouragement au commerce. Le Canada est aujourd'hui l'une des plus grandes nations commerçantes de tous les pays industrialisés. Il est certain que le Canada figure en tête de liste des nations commerçantes de l'OCDE, la situation du Canada est très reluisante à cet égard à l'heure actuelle. Ainsi, la question implicite qui me vient à l'esprit est à nouveau la suivante : pourquoi ce processus est-il nécessaire? Vous m'avez réellement effrayé lorsque vous avez évoqué l'idée d'harmonisation avec le droit autochtone, car je crois qu'un tel exercice exigerait des siècles et, dans les faits, risquerait de ne jamais atteindre les objectifs visés.

Je suis quelque peu sceptique face à tout ce processus. Je comprends que le projet de loi dont nous sommes saisis a une portée modeste. Il ne s'agit que d'une étape qui concerne des termes très précis et des problèmes circonscrits. Néanmoins, ce projet de loi participe d'un effort continu qui suscitera la participation de nombreuses autres personnes et qui pourra avoir de nombreuses conséquences supplémentaires.

Tout d'abord, qui est à l'origine du projet de loi S-10 et de toute cette question de convergence? Qui en fait la promotion?

Deuxièmement, est-il bien nécessaire? Je regarde les 100 dernières années de notre histoire, et je vois que les gens s'arrangeaient très biens les uns avec les autres, du moins d'après ce que j'ai constaté, ce n'était pas un problème.

Troisièmement, si ce n'est pas nécessaire, est-ce au moins utile? Je reconnais qu'il y a là beaucoup de travail pour les professionnels du droit. Je le dis assez facilement, moi qui ne suis plus avocat, bien que je sois encore qualifié pour l'être.

Je comprends que des avocats disent que c'est un effort qui en vaut la peine et qui vaut le temps qu'on y consacrera. Mais je me demande si c'est utile, à part du strict point de vue de l'étude théorique?

Je présume que c'était là ma quatrième question. Dans tout cet exercice, on présume clairement une fusion, un compromis entre les deux régimes. Vous avez parlé des avantages de cela et il y en a que je mets en doute. Il doit aussi y avoir des coûts, ou des inconvénients, et j'aimerais que vous me disiez lesquels vous voyez. Qui est derrière tout cela? Est-ce nécessaire? Est-ce utile? À quoi renonçons-nous, dans ce processus?

M. Perret : Qui est derrière tout cela? Je ne pense pas qu'il m'incombe de répondre à cette question, mais au législateur fédéral. Cela doit être une initiative fédérale. Je partage le sentiment de nombreux Canadiens : c'est une valeur canadienne.

Je ne sais pas qui est l'instigateur de cette convergence, mais je partage le même désir. Est-ce nécessaire? Est-ce utile? Oui, tout à fait. Si votre droit n'est pas compatible avec le mien, je voudrai partir. Cela encourage le séparatisme. Voilà. C'est un problème pour le pays. Si je me sens chez moi, je resterai. Si je ne me sens pas chez moi, j'irai ailleurs.

Le sénateur Eyton : Nous parlons de commerce et d'échanges.

M. Perret : S'il y a incompatibilité entre mon droit et celui que vous voulez m'imposer, c'est du colonialisme. Voilà. Rappelez-vous l'histoire du Québec. À l'époque du Traité de Paris, en 1763, la common law s'appliquait au Québec. Onze ans plus tard, 1774, les pouvoirs britanniques ont adopté l'Acte de Québec. On est alors retourné à la Coutume de Paris. La codification des lois a commencé en 1857 et a culminé en 1866 avec l'entrée en vigueur du Code civil du Bas- Canada, dans le respect de la culture propre au Québec.

Le sénateur Eyton : Je ne le conteste pas.

M. Perret : Sir George-Étienne Cartier a déposé une loi de codification au Parlement du Canada uni, mais voulait d'abord s'assurer que soit respectée la particularité des deux piliers que sont la langue et le système juridique. Autrement, il n'aurait pas déposé le document de codification.

Qui est l'instigateur de cela? Est-ce utile? Voilà ma réponse. Est-ce coûteux? Le ministère de la Justice a réalisé une étude à ce sujet.

Le sénateur Cools : Nous ne savions pas que le ministère de la Justice avait fait cette étude.

La présidente : Des hauts fonctionnaires du ministère sont toujours ici et pourront répondre aux questions, après M. Perret.

[Français]

M. Perret : Est-ce que c'est coûteux ou non? Des études ont été faites là-dessus. De toute façon, concernant la question du coût, nous n'avons pas le choix au point de vue de la politique intérieure, et sur le plan international cela va payer des dividendes.

On parle d'un projet de loi qui est limité à l'harmonisation, donc il y a un lien spécifique. C'est pour cela que j'ai divisé ma présentation en deux parties, l'une pour le projet de loi spécifique, et la deuxième est de dire : voyez un peu plus loin pour voir si cela vaut la peine de faire ce deuxième pas.

J'ai dit moi-même qu'il s'agit d'une extrapolation; il n'est pas permis, en faisant un deuxième pas, que de regarder vers l'horizon plutôt que de regarder ses pieds. Si l'on regarde ses pieds, on risque de se casser la gueule. En regardant l'horizon, on a quand même des perspectives plus amples pour son avenir.

Dans le commerce international, on parle beaucoup de l'impérialisme américain qui vous impose les lois de New York, surtout lorsqu'il s'agit de refinancement d'entreprises. Mais c'est bien pour cela qu'il y a des réactions; c'est bien pour cela qu'on cherche d'autres solutions qui soient plus harmonieuses et qui permettent justement le meilleur respect de ces partenaires politiques.

D'ailleurs, je suis invité le 30 novembre prochain à un colloque à Paris où on doit discuter du rapport de la Banque mondiale sur « Doing business in 2004/2005 », et le titre du colloque est « Est-ce que le modèle français est un empêchement au développement? » Voilà où on en est. Quelques années plus tôt, un colloque portait sur l'efficience comparée du droit civil et de la common law. Toutes les deux sont efficientes. En combinant les deux on peut peut-être trouver quelque chose qui est encore plus efficient, et surtout qui permettra de respecter chacun.

Notre commerce est fait à 87 p. 100 avec les États-Unis. C'est de la common law, c'est de l'anglais. Mais justement, on cherche à diversifier notre commerce pour ne pas être aussi dépendant.

En conséquence, avec l'Amérique latine c'est 3 p. 100 de plus, donc notre commerce est à 90 p. 100 sur le continent. Mais n'oubliez pas que l'Amérique latine continentale est entièrement, à deux exceptions près qui sont le Bélize et la Guyane, sous le droit civil qui est majoritaire. Par ailleurs, ne renonçons pas d'avance, puisqu'on a les deux langues, on a tout l'avantage qui est de faire partie de la Francophonie. Ne mettons pas cela de côté.

Le Canada est un pays qui appartient au Commonwealth avec les avantages de la langue qu'est l'anglais; il fait partie de la Francophonie avec l'avantage de la langue qui est le français. Ne renions pas ces avantages. D'autant plus que ces deux langues sont les plus importantes du monde occidental. Si l'on veut diversifier notre commerce, dont 10 p. 100 reste en dehors du continent, toutes les chances sont que ce soit vers un pays de droit civil.

Mais par ailleurs, le Canada n'est-il pas le pays qui respecte la diversité? N'a-t-il pas un exemple à donner justement dans sa législation pour ne pas faire comme notre grand voisin et écraser tout le monde avec sa puissance?

Cela crée des réactions dans le monde et de la sympathie à l'égard de notre pays.

Le sénateur Ringuette : Je dois avouer que j'ai beaucoup aimé votre présentation. J'aimerais qu'on puisse discuter de l'implication de l'Université de Moncton, que vous avez omis de mentionner.

M. Perret : L'Université de Moncton, c'est la common law en français. Mais ils ne font pas les deux : droit civil et common law. Mais oui, vous avez raison.

Le sénateur Ringuette : Je dois avouer que vous avez amené une perspective très intéressante, en aucun moment dans les présentations précédentes nous n'avons pu constater l'ampleur du droit civil sur le plan international.

Honnêtement, vous parlez des deux tiers de la population mondiale, j'aurais pensé plutôt que ce serait un tiers. Vous nous avez révélé l'ampleur du phénomène.

M. Perret : La Chine est de droit civil, le Japon également.

Le sénateur Ringuette : Je suis en mesure de constater, nonobstant les coûts de recherche, que si l'on veut du progrès, il faut de la recherche. Dans le domaine de la santé ou dans le domaine juridique, c'est une question de progrès, de vision. Les coûts à court terme sont très discutables et certains de mes collègues voudront en discuter, j'en suis certaine. Par contre, nos jeunes juristes pourront bénéficier du travail qui se fait présentement sur la scène mondiale. On parle beaucoup de l'exportation de nos produits, mais l'exportation de notre intellect représente une autre dimension. Très peu souvent, dans nos discussions ou dans nos statistiques, on tient compte de tout ce phénomène de l'exportation de notre expertise et vous l'avez bien démontré ce matin.

J'ai fait de la politique provinciale. Je suis en mesure de constater à quel point, dans les barrières interprovinciales, les systèmes juridiques interviennent. Elles sont très coûteuses pour les Canadiens.

Il faut dire que vous avez aussi touché notre rôle en tant que chef de file mondial dans la recherche de la paix. Il y a une dimension dans ce que l'on fait présentement qui renchérit cette dimension, cette valeur intrinsèque que notre pays peut apporter au plan mondial. Je vous remercie de votre présentation qui m'amène dans la bonne direction de ma pensée sur ce projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Cools : J'espère que le projet de loi dont nous sommes saisis ne signifie pas que le ministère de la Justice a choisi la voie dont parle le témoin. Si tel est le cas, j'ai de graves préoccupations au sujet du projet de loi. Il ne s'agit donc pas d'harmoniser le droit du Québec avec les lois adoptées au Parlement, mais de la création de quelque chose de nouveau.

J'ai quelques questions. J'aimerais que vous m'aidiez à comprendre. J'ai manqué quelques minutes de votre exposé et je vous prie de m'excuser. Je vous ai bien écouté. Quand vous utilisez le mot « droit » vous entendez des choses différentes, et cela a semé la confusion chez ceux qui écoutaient votre exposé. Parfois, en disant « droit » vous parliez du résultat, plutôt que de ce qui mène aux résultats. Il y a de nombreux sens.

Au sujet de l'harmonisation du droit, je dirais que personne au monde, ni dans ce Parlement, que je sache, n'est contre l'idée que les peuples autochtones aient au Canada la place à laquelle ils ont droit, contre le droit au Canada, tout le droit du Canada, sous toutes ses formes, en reconnaissant les justes et bonnes aspirations de ces peuples. Je ne crois pas toutefois juste de décrire cela comme une harmonisation, et ce n'est pas la même chose que ce qu'on veut faire dans cet exercice, dans ce projet de loi. Nous confondons les choses, quand nous parlons des justes aspirations des peuples autochtones dans le cadre de l'exercice dont parle ce projet de loi. Je ne pense pas qu'il soit utile de confondre ces questions.

Question suivante : vous parlez de la common law et du droit civil et de la création d'un droit uniforme. Revenons à l'harmonisation, à votre théorie, et il s'agit surtout d'une théorie. Si vous voulez l'uniformité ou l'harmonisation, je me demande quelles sont les limites de cette harmonisation. Ainsi, faut-il inclure dans l'harmonisation du droit fédéral les lois de la charia ou d'autres lois, par exemple, qui permettent la polygamie? J'ai bien du mal à le comprendre, parce que ma conception du projet de loi dont nous sommes saisis avait des limites bien définies. Il s'agissait de réduire la confusion et de clarifier les choses. Si j'ai tort, je veux le savoir. Peut-être que les gens du ministère pourraient nous dire clairement que le projet de loi dont nous sommes saisis n'est rien d'autre que ce qu'il est et non un élément d'un projet à plus grande portée, dont on ne nous a rien dit.

Je me demande si on ne donne pas au mot « harmonisation » un sens un peu trop large. Je ne suis pas convaincu que le droit soit si élastique, mais je peux me tromper. Certains de ces concepts me semblent terriblement élastiques. Dans votre définition du terme « harmonisation », quelles sont les limites? À quel moment est-ce que l'harmonisation signifie façonnement, flexion, sculpture, torture, disons, du droit, pour obtenir le résultat que vous voulez?

Le droit n'est pas un outil auquel s'applique la sociologie. L'une des caractéristiques de la common law, c'est qu'elle est venue de la base. Voilà pourquoi on l'a appelée ainsi. C'est le même terme qu'on entend dans Chambre des communes. La common law vient des gens du commun.

Quand j'entends des discussions sur ce qu'on veut faire du droit, qu'on l'oriente de telle ou telle façon, il me semble que cela va à l'encontre de l'objectif de la common law. La common law n'est pas censée se plier aux caprices de l'élite. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Ne dites-vous pas qu'un système judiciaire doit noyer l'autre?

Vous avez parlé de la Coutume de Paris et du Traité de Paris. Je fais partie de ceux qui croient que ces arrangements avec la langue et le droit, et non seulement la langue et le droit, l'église — on ne parle plus beaucoup de l'église, mais l'importance de l'Église catholique romaine pour les Français après 1769 était immense. Je fais partie de ce groupe de Canadiens qui croient que ces arrangements étaient extraordinaires et qu'ils font partie de notre histoire.

Je comprends aussi que d'une certaine façon, ce dont nous parlons et ce dont vous parlez, c'est exactement le contraire. Tout ce que j'ai lu affirme que ces arrangements ont été pris pour permettre aux Français d'avoir leur pleine autonomie, comme peuple, et leur pleine possibilité d'expression, comme peuple.

D'ailleurs, le mot qu'on trouve le plus dans les documents d'époque, c'est « distinct » et caractère distinct. Notre présidente a participé à l'élaboration de l'accord du lac Meech, autrefois. Si j'ai bien compris, à l'époque, beaucoup de personnes envisageaient d'employer le terme « société distincte » parce qu'ils retrouvaient cette expression dans de vieux...

Une voix : Nous ne parlons pas de politique.

Le sénateur Cools : Non, nous ne parlons pas de politique, nous parlons d'harmonisation d'un droit avec l'autre. Je réagis à l'exposé du témoin, à moins que vous ne vouliez pas de cet exposé. J'interviens en réponse à cet exposé. Il a dit que s'il était content, il restera. S'il n'est pas content, il partira. C'est à cela que je réagis.

Je ne suis pas obligée de rester ici, madame la présidente. Je ne joue plus.

[Français]

Le sénateur Gill : Je dois vous féliciter pour votre présentation, professeur. Je fais partie des Premières nations. Je suis donc soumis, depuis ma naissance, au régime de la Loi sur les Indiens qui a été créée par la common law. Quand on est soumis à ces lois, on ne peut refuser la révision de certaines choses. Vous comprendrez que quand on n'est pas le colonisateur, on est colonisé, et on a les souffrances du colonisé.

On parle d'harmonisation. Je ne m'arrêterai pas sur les termes, j'en serais incapable, je ne suis pas avocat et la terminologie m'importe peu. Par contre, je sais que dans le pays, il y a deux groupes majoritaires. On a été quelque temps sous le régime français et ensuite sous le régime anglais, puis il y avait les Premières nations au pays. Cela me surprend qu'on n'ait pas pensé avant à faire un exercice qui pourrait nous rapprocher, et faire des efforts pour harmoniser tout cela. Je me demande pourquoi on ne l'a pas fait avant aujourd'hui. Et d'autant plus, uniquement pour les Premières nations. À chaque fois qu'on adopte une loi au gouvernement — que ce soit provincial ou fédéral —, nos droits sont bafoués comme Autochtones. Cette raison serait suffisante pour réviser tout le système de loi. Alors qu'on est des citoyens du pays et que nos droits doivent être respectés exactement de la même façon que les autres.

Je ne doute pas que cela doit se faire. Cela aurait dû se faire il y a très longtemps, mais cela doit se faire maintenant. Les gens qui se refusent à ce que cela se fasse maintenant et qui ne veulent pas collaborer à un exercice comme celui-là, ne subissent pas les effets négatifs que cela peut provoquer. Je ne dis pas que le Code civil doit se marier complètement, mais vous avez parlé d'intégration et de coexistence. Il y a certainement moyen d'améliorer l'existence des deux et aussi les droits coutumiers. Cela existe en Afrique, vous l'avez mentionné. Vous avez dit qu'il y a des droits communs coutumiers en Afrique. J'imagine qu'on est capable de le faire au Canada.

Comme vous êtes dans le domaine, je vous demande pourquoi cela se fait en Afrique mais pas ici?

M. Perret : Je comprends d'autant plus votre réaction qu'à l'époque, la Loi des Indiens s'appelait la « Loi des sauvages ». Cela veut tout dire. Vous ne pouvez que recevoir de la sympathie pour cela.

Cela ne va pas se faire en une fois. Il y a une méconnaissance du droit autochtone, et c'est même un peu honteux de ne pas le connaître un peu mieux. On le connaît plus par le droit des traités que par le droit coutumier, le droit privé interne, et l'organisation. Je pense qu'il y a des études qui ont été faites, en particulier en collaboration avec les peuples autochtones, peut-être pas pour le codifier, mais pour le comprendre, le connaître, et l'écrire.

Ce qui est intéressant aussi de voir, c'est que dans les pays musulmans, par exemple — pays qui ont adopté soit le droit civil soit la common law, mais qui sont mixtes avec leur propre droit, le droit musulman —, c'est le statut personnel qui appartient au droit musulman, c'est-à-dire tout ce qui touche justement la personne, la famille, le mariage, l'affiliation, et cetera. Les régimes matrimoniaux, la propriété, font aussi partie du statut personnel, qui est vraiment le droit musulman. C'est beaucoup moins personnalisé, moins culturel comme tel.

J'aimerais répondre à des questions qui ont été posées auparavant. J'ai séparé ma présentation en deux parties : le projet comme tel, dans son état actuel, et ce qu'il veut dire. Dans ce cadre, harmonisation veut dire coordination entre le droit fédéral et le droit des provinces. C'est une coordination. Il ne s'agit pas d'aller changer le droit des provinces ou de changer le droit fédéral. C'est ce que cela veut dire.

En extrapolant dans ma deuxième partie, quand on réfléchit à tout cela, on peut aller plus loin et se demander si on peut harmoniser et faire un bijuridisme de synthèse, amalgamé. Il ne s'agit pas que l'un bouffe l'autre, mais de voir au contraire, comme dans les principes d'unidroit, par exemple, ce que chacun des systèmes a de meilleur, l'un dans sa méthodologie et l'autre dans ses concepts très commerciaux. Où doit-on se limiter de cette uniformisation? Autrement dit, c'est la malbouffe du droit, la « MacDonalisation » du droit. Doit-on arriver à cela pour tous? Bien non, cela viendrait nier la nécessité du respect de la culture de chacun.

C'est tout simplement au palier international, transfrontalier et interprovincial, sans toucher le droit interne que ceci peut exister. Encore une fois, si je prends l'exemple du droit musulman, on a respecté vraiment ce qu'il y avait de plus culturel dans leur statut personnel. Pour le reste, ils se sont harmonisés. Quel est le degré de sensibilité de chaque nation par rapport à sa culture, ce qu'ils veulent mettre en commun ou pas, c'est là que se pose le problème de la limite. La common law provient de la base, elle a été élaborée sur le terrain en Angleterre depuis Guillaume le Conquérant, grâce aux cours royales qui ont organisé tout le système de la propriété. Tout le système de la propriété est basé là-dessus. Mais quand même, le droit civil lui-même est basé sur la droit romain qui est un droit prétorien auquel on a ajouté une synthèse parce qu'on parle de droit savant.

La codification du code Napoléon s'est faite à partir de toutes les coutumes en plus du droit prétorien tout en tenant compte du code Justinien. On a rationalisé.

Quand on regarde le monde après la colonisation et quand on regarde le monde après l'ère communiste, quel système juridique les pays émergents adoptent-ils pour leur droit interne? La Chine, par exemple, la République tchèque et la Roumanie ont choisi le droit civil. Aucun n'a choisi la common law. Ce qui n'empêche pas d'adopter certaines lois commerciales, des lois bancaires pour les valeurs mobilières, mais ce n'est pas tout le système avec le système judiciaire de common law. D'ailleurs, quand on regarde dans le monde, la common law ne s'est répandue que par le colonialisme. Il n'y a pas un pays qui ait adopté la common law en son entier dans son système global, c'est-à- dire les juges avec perruque. On en a été épargnés au Canada. Mais qui a adopté tout ce système de façon volontaire? Ce n'est pas le cas pour le droit civil. La Chine, le Japon, la République tchèque, la Roumanie, la Lituanie, ce n'est pas par colonialisme. C'est tout simplement parce que c'est plus simple du point de vue méthodologique, c'est plus facile d'accéder à la justice que toute une série de jurisprudence qui remonte à Guillaume le Conquérant. C'est de même nature que le système métrique. Il y a d'ailleurs un lien entre l'esprit rationnel de Napoléon et le système métrique puisque c'est lui qui a introduit les deux à l'époque.

[Traduction]

Le sénateur Milne : Il me semble qu'il y a de grands malentendus autour de la table. Je tiens à répéter ce que vous avez dit, monsieur Perret : ce projet de loi ne change ni le droit civil, ni la common law.

M. Perret : En effet, il ne change ni l'un, ni l'autre.

Le sénateur Milne : Ce projet de loi fait simplement en sorte que les mots aient le même sens dans les deux.

M. Perret : Oui, il les rend compatibles et permet la coordination entre les deux.

Le sénateur Milne : Précisément. Il change certains des termes, afin qu'ils veuillent dire exactement la même chose, dans les deux systèmes.

M. Perret : C'est exact.

Le sénateur Milne : Il y a un malentendu ici et il faut continuer à insister sur ces précisions. Je vous en félicite.

Quel pourcentage du monde vit sous le régime du droit civil, et quel pourcentage, sous celui de la common law? Avez-vous dit 60 ou 66 p. 100?

M. Perret : C'est deux tiers pour le droit civil et un tiers pour la common law.

Le sénateur Milne : C'est environ 33 p. 100. Puisqu'il y a une dichotomie mondiale entre les deux systèmes, un domaine du droit a été créé, sur les conflits de droit, et qui sert à décider quel droit servira à trouver des solutions pour les peuples de pays différents, régis par des systèmes de droit différents, en cas de litige.

M. Perret : Oui.

Le sénateur Milne : Je me demande si ce genre de règlement des conflits a laissé des traces dans ce projet de loi, monsieur, et je vous demande une réponse courte, parce que le temps file.

M. Perret : Non.

Le sénateur Milne : Non?

M. Perret : Non.

Le sénateur Milne : Il s'agit simplement de correctif terminologique?

M. Perret : Oui. Je veux que cela soit très clair. Mon exposé est en deux volets. Le premier se rapporte uniquement au projet de loi, et dans l'autre, il s'agit d'une extrapolation.

Le sénateur Milne : Merci beaucoup, monsieur.

Le sénateur Watt : Monsieur, je suis ravi de vous voir ici. J'ai très bien compris ce que vous disiez et je crois bien comprendre ce que vous avez signalé à notre attention. J'appuie de tout cœur l'examen du droit civil et de la common law pour voir s'il y a moyen de les améliorer pour qu'ils fonctionnent sans se nuire l'un à l'autre mais plutôt en se respectant l'un l'autre. Je pense que c'est de cela qu'il est question. Le terme « harmonisation » ne devrait pas nous préoccuper puisqu'on va un peu plus loin que cela.

Vous avez aussi porté à notre attention une autre possibilité que vous préféreriez, en parlant des milieux internationaux, du commerce international et ce genre de choses, une solution qui pourrait être positive plus tard pour le droit civil et la common law, ainsi que pour notre pays.

M. Perret : En fait, ce n'est pas exactement ce que je préférerais. Il s'agit d'une coordination, ce qui est déjà bien. Beaucoup de travail a été fait. Avec tout le travail qui a été fait, nous pourrions aller encore plus loin, dans l'intérêt du pays, en raison de la tendance à la mondialisation et à l'unification. Mais l'unification, c'est autre chose, puisqu'il faut alors considérer les différences, les avantages et les inconvénients, comparer et décider.

Le sénateur Watt : Je crois que je le comprends et que ce n'est que positif. Cela n'enlève rien; au contraire, c'est un avantage supplémentaire. C'est ainsi que je vois les choses. Ce processus a permis de choisir des orientations positives.

Je vais parler de la deuxième partie de votre exposé, où vous parliez des peuples autochtones, qui n'ont pas été au premier plan. C'est parce que le droit autochtone n'a jamais été écrit. Il s'agit de lois orales, sur la façon dont fonctionnent les peuples autochtones. Je ne parlerai que de ce que je connais le mieux, soit les Inuits qui vivent au Nunavik, au Nunavut et au Labrador. Je crois que le sénateur Adams a bien parlé de la question pour ce qui est d'autres groupes autochtones du Canada, dont on doit aussi s'occuper. Je leur laisse le soin.

Vous avez parlé de la possibilité de faire quelque chose pour le Nunavut, parce qu'on y trouve la majorité des zones géographiques désignées. Le Nunavik a le même statut, une zone désignée pour la majorité des gens du territoire du Nunavik, qui fait partie du Québec.

Je vais vous parler de mon expérience personnelle et vous poser des questions connexes. Comment corriger les conflits avec lesquels j'ai vécu pendant des années? J'ai négocié des changements à l'accord de la Baie James, comme vous le savez sans doute. Je suis le sénateur Watt. Pendant les premières années de nos négociations, nous avons conclu une entente avec les gouvernements fédéral et provincial. Pendant tout le processus de négociation, je détestais que les lois générales s'appliquent au-delà de ce qui avait été accepté. Comprenez-vous où je veux en venir?

M. Perret : Oui.

Le sénateur Watt : Comme je le disais plus tôt, le droit autochtone n'est pas écrit, et nous n'avons donc pas de pilier. La common law est un pilier pour les anglophones et le droit civil, un pilier pour les francophones. Les Autochtones n'ont pas de pilier, faute de pouvoir dire qu'ils ont un pilier écrit.

Il faudrait peut-être songer à concrétiser le droit autochtone, soit à l'écrire, comme on aurait dû le faire il y a bien longtemps. C'était mon objectif, lorsque j'ai parlé aux négociations de la Baie James. Je vous dirai plus tard pourquoi. J'estimais aussi qu'il était urgent pour nous de participer aux négociations constitutionnelles, en espérant que nous choisirions cette voie — ce dont nous parlons maintenant, et les propositions dont vous avez traité, ou la réflexion dont vous nous avez fait part au sujet des peuples autochtones.

Il est parfois bien difficile de convaincre les autorités, pour nous les Autochtones, parce que nous n'avons pas le poids électoral nécessaire. C'est un fait à retenir. Ainsi, l'article 35 de l'Acte d'Amérique du Nord britannique, qui me touche si directement, n'a pas été mis en oeuvre. J'ai essayé de trouver moyen de le mettre en oeuvre. Je dirais que si on l'isole du code civil et de la common law, c'est dangereux, parce qu'on ira nulle part. Il nous faut donc trouver un créneau. Autrement dit, profiter de ce qui est sur sa lancée, pour veiller à ce qu'on traite en même temps de nos intérêts.

Voilà pourquoi je trouve vos paroles encourageantes. Il y a quotidiennement des interactions entre le gouvernement du Québec et le Nunavik. Il y a aussi des interactions entre le Nunavut et le gouvernement du Canada, tous les jours. Les gens commencent à demander, et notre système, à nous? Pense-t-on au fait que nous devons survivre? Notre éternité n'est plus intacte. Notre éternité fait de nous ce que nous sommes. Mais elle est de plus en plus mise en doute. Voilà pourquoi l'étude du projet de loi S-10 par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est si encourageante, non seulement pour le Canada, mais aussi pour les peuples autochtones.

Voici ma question : j'ai signé ce qu'on a appelé le traité de l'aire moderne avec le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. Il dispose que les lois d'application générale ont préséance sur tous les progrès qui ont été réalisés. N'est-ce pas une façon de reprendre d'une main ce qu'on a donné de l'autre? Cela n'est peut-être pas perçu ainsi, mais, en dernière analyse, nous devons nous doter de notre propre code disant pourquoi nous tenons à ces droits, pourquoi ils doivent être protégés et pourquoi ils doivent être reconnus dans les autres lois et règlements. Si cela ne se fait pas, tous les progrès qui ont été réalisés dans les relations entre les Autochtones et le gouvernement du Canada subiront une érosion constante.

J'irai même plus loin. J'ai examiné divers accords qui sont intervenus dans les diverses régions du pays et un seul semble fonctionner, la Convention de la Baie James et du Nord québécois. J'ignore pourquoi il en est ainsi. Peut-être en raison des similitudes dans la façon dont les Inuits et les Canadiens français décrivent les choses. C'est peut-être un facteur qui a contribué à son succès et nous faisons toujours de notre mieux à ce chapitre. Pourriez-vous nous dire comment on pourrait surmonter ce problème de la suprématie des lois d'application générale? Avez-vous des solutions à proposer?

La présidente : Est-ce là votre question, monsieur le sénateur?

Le sénateur Watt : C'est ma question. Je crains de me répéter un peu.

M. Perret : Je tiens à être clair. Le projet de loi d'harmonisation no 2 ne traite pas des droits des peuples autochtones. C'est bien clair.

Le sénateur Watt : Je comprends cela.

M. Perret : Nous en discuterons ultérieurement car cela fait l'objet d'un autre processus...

Le sénateur Gill : Nous espérons que cela se fera.

M. Perret : ...qui ne doit pas relever de la présente mesure législative. Je tiens à ce que cela soit bien clair dans l'esprit de tous.

Je veux aussi insister sur le fait que l'harmonisation ne modifie en rien les lois provinciales ou territoriales. Il s'agit simplement de coordonner les lois fédérales aux lois locales.

Le sénateur Watt : Je comprends cela.

M. Perret : Le défi, bien sûr, est de déterminer avec exactitude l'état du droit autochtone car il n'est pas connu avec précision — sauf peut-être par les Autochtones. Le droit autochtone devrait-il être écrit? Je l'ignore. C'est à vous d'en décider. Si un jour on décide de l'écrire, cela représenterait la première étape vers une meilleure compréhension du droit autochtone; on pourrait ensuite adopter une mesure législative fédérale d'harmonisation comme on le fait pour les provinces de common law et de droit civil. Voilà ma réponse. Pour le reste, je ne suis pas un expert en droit autochtone ou en droit des traités.

Le sénateur Watt : Il y a une autre question liée à celle que j'ai soulevée. Pourquoi avez-vous conclu un accord conformément aux conditions d'un tiers et non pas des vôtres? Aucun code ne permet de déterminer si vous avez atteint votre objectif. Pouvez-vous me donner votre interprétation personnelle de ce que constitue un accord par opposition à un traité?

M. Perret : Je n'en suis pas certain.

Le sénateur Watt : Vous préférerez ne pas répondre à la question?

M. Perret : Je préférerais ne pas répondre à la question.

[Français]

Le sénateur Joyal : En ce qui concerne le droit autochtone, selon mes propres convictions, ce droit est reconnu et confirmé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui mentionne :

Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

Les Autochtones ont des droits ancestraux à gouverner leur relation privée, on parle du droit civil, les relations des citoyens entre eux, selon leur propre tradition et coutumes. Cela a été clairement affirmé par la Proclamation royale et l'article 25 qui reproduisent les garanties contenues dans la Proclamation royale et je vous lis l'article 25 :

Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 17 octobre 1763.

La Proclamation royale reconnaissait parfaitement le droit des Autochtones à réglementer leur relation privée comme ils le faisaient traditionnellement. La Proclamation royale n'a pas imposé la common law au peuple autochtone pas plus qu'elle ne leur a imposé à l'époque la coutume de Paris — elle n'avait pas été reconnue à cette époque mais reconnue en 1774 — pas plus qu'elle imposait d'autres formes de droit. La Proclamation royale reconnaissait parfaitement au peuple autochtone le droit de gérer leur rapport privé, par exemple, dans le mariage, dans leur contrat, dans leurs obligations réciproques comme ils l'avaient toujours fait. Je suis d'avis qu'ils ont le droit à leur droit. Ils ont un droit constitutionnel à leur droit. Alors quand on parle du droit des Autochtones, ce n'est pas une faveur qu'on semble vouloir leur faire tout à coup, on va être gentil avec les Autochtones à compter de maintenant.

[Traduction]

Après des centaines d'années, nous constatons que le résultat n'est pas très satisfaisant.

[Français]

Mon approche est beaucoup plus encadrée sur le plan constitutionnel que simplement une initiative qu'on pourrait vouloir entreprendre au Canada, parce qu'il serait bien aujourd'hui de parler du droit des Autochtones. Ils ont un droit constitutionnel à la reconnaissance et à la formulation de leur droit coutumier et à la prise en compte de leur droit coutumier dans l'interprétation des obligations ou des droits qu'ils ont dans les traités ou les conventions qu'ils signent avec le gouvernement canadien.

M. Perret : Absolument; j'appuie l'existence de ce droit au droit, c'est bien pour ça qu'en analysant tout ce processus, je me dis pourquoi pas, le droit autochtone aussi devrait y être. Le droit au droit ne fait pas de doute et ce n'est pas une faveur. Le problème, c'est de le répertorier et de l'identifier. Le fonctionnaire qui a besoin d'harmoniser ou de coordonner, pour ne pas utiliser le mot harmoniser, le droit fédéral, doit avoir quelque chose pour le faire. C'est ce quelque chose qui n'est pas encore suffisamment connu ou écrit.

[Traduction]

Un coussin, comme vous l'avez dit. Qu'est-ce que c'est? Cela devrait exister. En fait, cela existe, mais ce doit être découvert, couché sur papier, mieux connu et mis en pratique.

[Français]

Le sénateur Joyal : Je pense qu'on aura probablement l'occasion de vous réentendre avec peut-être des représentants de l'Université de Saskatchewan dans un autre forum, peut-être pas à l'occasion de ce projet de loi qui n'en traite pas, mais je pense que c'est incident à la nature même de ce projet de loi.

Ma deuxième et dernière question est au sujet de votre présentation. Je reprends les termes que vous avez utilisés. Vous avez dit : « J'envisagerai sous deux angles le fédéralisme canadien et la science juridique. » C'est le fédéralisme canadien et la présentation du concept qu'on en fait qui me préoccupent. La manière dont je perçois l'initiative d'harmonisation, ce n'est pas la consécration de deux individualités distinctes — j'utilise ce mot dans tous les sens où on peut l'avoir utilisé depuis 20 ans — qu'en pratique la création ou l'expression d'une autre réalité qui intègre l'ensemble des individualités distinctes. En d'autres mots, le fédéralisme canadien n'est pas de dire que chacun reste dans sa cour comme il veut. C'est essentiellement de dire qu'il y a des individualités distinctes, il y a la common law qui parle en français et en anglais dont le sénateur Ringuette est une représentante, il y a la common law qui parle selon le génie anglophone comme en Ontario et d'autres provinces, et il y a le Code civil qui s'exprime à la fois en français et en anglais. Mais ces quatre expressions sont réunies à l'intérieur du droit qui est la législation canadienne.

La législation canadienne est l'expression fondamentale de la nature du fédéralisme canadien. Je crois que l'approche d'harmonisation, comme on la conçoit, comme elle a débuté, visait à reconnaître les individualités et à valoriser le fait que nous avons réexprimé un droit fédéral qui fait coexister, à l'intérieur de la même expression, des réalités différentes selon la volonté du législateur.

C'est un pas énorme pour l'évolution et la compréhension du fédéralisme canadien, non seulement dans le droit, mais dans les autres domaines de l'activité fédérale-provinciale puisque fondamentalement, c'est ce dont on parle.

M. Perret : Oui, je vous suis parfaitement. C'est un peu ce que j'ai essayé d'exprimer d'une autre façon, l'unité avec les valeurs communes dans le respect de le diversité.

Le sénateur Joyal : Ne croyez-vous pas que le Canada, au stade de son évolution actuelle, est davantage mieux positionné? Nous avons vécu avec la Charte depuis 20 ans. Nous pouvons assurer cette capacité de partager en commun des individualités sur la base de la reconnaissance des valeurs communes.

M. Perret : Bien sûr.

Le sénateur Joyal : Est-ce que dans le contexte du droit autochtone, n'est-on pas en meilleure position de pouvoir le reconnaître et l'intégrer à la législation fédérale?

M. Perret : Oui.

Le sénateur Joyal : Quel rôle les facultés peuvent-t-elle jouer pour faire un pas en avant dans ce domaine?

M. Perret : D'abord en enseignant les différentes bases juridiques. Comme vous le disiez au-delà du bijuridisme, le trijuridisme peut-être, mais aussi dans le droit constitutionnel, les valeurs canadiennes, en particulier celles véhiculées par la Charte et les chartes.

Le sénateur Joyal : Est-ce que vous croyez qu'il n'y aurait pas lieu que des universités comme l'Université d'Ottawa — qui est particulièrement bien positionnée — l'Université de Moncton et certaines universités ontariennes, qui ont fait du travail important dans la common law d'expression française ou anglaise, poussent plus avant la réflexion sur cet aspect de l'évolution du fédéralisme canadien pour qu'à la fois les législateurs et les Canadiens en général réalisent comment le pays évolue?

M. Perret : Absolument, ma formation est en droit privé commercial, plus que le droit public fédéral. Mais toute cette réflexion amène justement le rapprochement des systèmes et conduit exactement à cela. C'est l'extrapolation que j'ai faite dans mon texte de la science bijuridique ou trijuridique fédéraliste.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Eyton, avez-vous des questions pour les fonctionnaires?

Le sénateur Eyton : J'ai posé des questions et j'ai obtenu des réponses. Je ne suis pas entièrement satisfait, mais je ne répéterai pas les questions.

La présidente : Nous poursuivrons nos travaux la semaine prochaine, à moins que vous ne vouliez faire l'étude article par article du projet de loi aujourd'hui. Nous aurons aussi des observations la semaine prochaine et si vous n'y voyez pas d'objection, je préférerais que nous poursuivions notre étude mercredi prochain. Nous pourrions alors procéder à l'étude article par article et à l'adoption du projet de loi et discuter des observations que nous aimerions faire à l'intention du ministre et du ministère.

Le sénateur Joyal : Je propose qu'on indique aux membres du comité que l'étude article par article du projet de loi se fera à la prochaine séance de ce comité.

La présidente : Ce sera mercredi prochain.

La séance est levée.


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