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Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 17 - Témoignages du 22 juin 2005


OTTAWA, le mercredi 22 juin 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit à 16 h 7 aujourd'hui à Ottawa pour étudier le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel du Canada (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve du Canada.

Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je déclare la séance ouverte. Nous avons le plaisir d'avoir avec nous le ministre Cotler, ministre de la Justice, pour discuter du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada.

Accompagnent le ministre : Mme Catherine Kane, avocate-conseil et directrice, Centre de la politique concernant les victimes, Mme Carole Morency, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal et Mme Lisette Lafontaine, avocate-conseil de la même section.

[Traduction]

Bienvenue, monsieur le ministre. Je viens d'apprendre que vous devez aller à la Chambre parce qu'il y aura des votes et que vous devez nous quitter à 17 h 20. Nous nous faisons un plaisir d'entendre ce que vous avez à nous dire à propos du projet de loi C-2. Nous avons déjà entendu le sénateur Pearson, qui a parrainé le projet de loi, et le sénateur Nolin. C'est toujours un plaisir de vous accueillir.

[Français]

M. Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci, madame la présidente et merci pour la présentation de mes fonctionnaires. Elles sont trois expertes dans ce domaine.

[Traduction]

Je les considère comme les trois expertes tant au gouvernement qu'à l'extérieur du gouvernement sur la question de la protection des enfants. Elles ont comparu devant des comités sénatoriaux par le passé, et je profite de leurs conseils, de leurs compétences et de leur expérience.

C'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui pour vous parler du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et mieux connu sous le nom de Loi sur la protection des enfants et d'autres personnes vulnérables, et la Loi sur la preuve au Canada.

J'ai fait de la protection des personnes vulnérables — et les enfants sont les plus vulnérables parmi les vulnérables — l'une de mes grandes priorités depuis ma nomination à titre de ministre de la Justice et de procureur général du Canada. Cette question constitue toujours une priorité pour le gouvernement, réitérée plus récemment dans le discours du Trône d'octobre 2004 par l'engagement de réprimer la pornographie juvénile. De fait, c'est le premier projet de loi qui a été présenté au Parlement au nom du gouvernement pour témoigner de l'importance de la protection que l'on accorde aux enfants et aux autres personnes vulnérables.

Et il s'agit là de l'essence même du projet de loi C-2 : fournir aux enfants une protection accrue contre la violence, la négligence et l'exploitation sexuelle, notamment l'exploitation par la pornographie juvénile. Il s'agit d'améliorer le régime de détermination de la peine en fonction du principe de la proportionnalité qui tient compte de la gravité de l'infraction de même que de la responsabilité du contrevenant à l'égard des enfants. Il s'agit de mieux protéger les Canadiens et Canadiennes contre les invasions de leur vie privée par voyeurisme et s'assurer que le processus de justice pénale est sensible aux réalités des enfants ainsi que des autres victimes et témoins vulnérables et facilite leur témoignage plutôt que de compliquer encore plus une expérience déjà difficile.

En somme, le projet de loi C-2 protège ce qui nous tient vraiment à cœur à nous, parlementaires, et en fait à tous les Canadiens et Canadiennes, soit nos enfants et les personnes plus vulnérables de notre société.

[Français]

Le projet de loi C-2 propose des modifications en matière pénale dans cinq domaines clés. Premièrement, il renforcera les dispositions actuelles interdisant la pornographie juvénile; il améliorera la protection des adolescents contre les personnes qui pourraient les exploiter sexuellement en profitant de leur vulnérabilité; il renforcera les dispositions portant sur la détermination de la peine pour les infractions commises contre des enfants et mettant en cause de la violence, de la négligence et de l'exploitation sexuelle afin que ces peines reflètent adéquatement la gravité de ces infractions; il facilitera le témoignage des enfants ainsi que des autres victimes et témoins vulnérables; et, enfin, il créera deux nouvelles infractions de voyeurisme.

[Traduction]

Je vais commencer par aborder la réforme effectuée dans le domaine de la pornographie juvénile.

Le projet de loi C-2 repose pour une large part sur nos lois de portée générale qui visent à lutter contre la pornographie juvénile. Notre point de départ avec le projet de loi sur cette question est très simple — envoyer un message fort et clair pour faire comprendre que toute forme de représentation des enfants comme objets d'exploitation sexuelle, sous quelque forme que ce soit et pour quelque motif que ce soit, risque de porter indûment préjudice aux enfants et à la société canadienne et ne sera pas tolérée.

Dans ce contexte, nous avons proposé cinq réformes qui n'étaient pas prévues dans les lois précédentes mais qui existent dans le projet de loi C-2. Par conséquent, le projet de loi C-2 élargit la définition existante de la pornographie juvénile pour inclure les enregistrements sonores et les documents écrits ayant comme caractéristique dominante la description, dans un but sexuel, d'une activité sexuelle illicite avec un enfant. Il crée une nouvelle interdiction en ce qui a trait à la publicité.

[Français]

Il renforcera de façon importante les peines imposées en matière de pornographie juvénile, notamment en augmentant les peines maximales sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en prévoyant des peines minimales obligatoires et en prévoyant que la commission d'une infraction de pornographie juvénile dans le dessein de réaliser un profit constitue un facteur aggravant aux fins de la détermination de la peine.

[Traduction]

Enfin, il propose de restreindre de façon importante les moyens de défense actuels en matière de pornographie juvénile, en ne prévoyant qu'un seul moyen fondé sur le préjudice et reposant sur le but légitime. En vertu du projet de loi C-2, un moyen de défense ne pourrait être invoqué que si l'acte reproché a un but légitime lié à l'administration de la justice, à la science, à la médecine, à l'éducation ou aux arts — et il est important d'ajouter — ne pose pas un risque indu pour les enfants. Par exemple, la possession d'un document de pornographie juvénile par la police à des fins liées à une enquête criminelle serait protégée. Par contre, la possession du même document par un pornographe à des fins personnelles ne pourrait faire l'objet d'une protection.

La deuxième modification proposée concerne l'exploitation sexuelle des adolescents. Le projet de loi C-2 offrira à nos adolescents une protection accrue contre les comportements prédateurs et l'exploitation. Il étendra la portée des interdictions actuelles visant à protéger les adolescents de moins de 18 ans contre l'exploitation sexuelle par l'entremise de la prostitution, de la pornographie ainsi que des relations de confiance, d'autorité ou de dépendance en autorisant les tribunaux à déduire de la nature de la relation entre l'accusé et l'adolescent et des circonstances qui l'entourent, notamment l'âge de l'adolescent, la différence d'âge entre l'accusé et l'adolescent, l'évolution de leur relation et l'emprise et l'influence que l'accusé exerce sur l'adolescent, qu'il s'agit d'une relation où l'adolescent est exploité.

[Français]

Ainsi, le projet de loi C-2 reconnaît qu'un adolescent ne peut, en aucun cas, consentir à être exploité sexuellement et, par conséquent, ne porte pas sur le consentement de l'adolescent à un tel comportement, mais plutôt sur le comportement exploitant de l'auteur de l'infraction. Cette approche fait également ressortir qu'en réalité, la vulnérabilité d'un adolescent est démontrée non seulement par son âge, mais également par d'autres facteurs et elle requiert explicitement des tribunaux qu'ils prennent en considération les besoins précis et la situation de chaque adolescent.

Les adolescents ne partagent pas tous les mêmes caractéristiques, mais nous croyons qu'ils méritent tous d'être protégés de la même façon contre les comportements tirant profit de leur vulnérabilité et c'est ce que fera le projet de loi C-2.

[Traduction]

La troisième modification proposée concerne la détermination de la peine lorsque les victimes sont des enfants.

[Français]

Le projet de loi C-2 propose de nombreuses réformes en matière de détermination de la peine dans le cas des infractions perpétrées à l'égard d'enfants. Notre objectif a toujours été de s'assurer que la gravité de l'exploitation d'un enfant ou de l'usage de violence contre un enfant se reflétait dans la peine imposée dans ces cas.

[Traduction]

À cette fin, le projet de loi C-2 propose d'augmenter les peines maximales à l'égard d'infractions sexuelles sur la personne d'un enfant, de la pornographie juvénile, de l'abandon d'un enfant et de l'omission de fournir les choses nécessaires à l'existence des enfants.

En outre, dans tous les cas de mauvais traitements envers des enfants, le projet de loi C-2 oblige les tribunaux chargés de la détermination de la peine à prendre en compte principalement les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion de tels comportements et il fait des mauvais traitements des enfants une circonstance aggravante aux fins de la détermination de la peine.

[Français]

Nous croyons que le projet de loi C-2, tel que présenté à l'origine avec ses réformes en matière de détermination de la peine, nous permettait d'atteindre notre objectif de façon utile et efficace tout en respectant les principes et objectifs du Code criminel en matière de détermination de la peine.

[Traduction]

Comme vous le savez, le projet de loi C-2 a été amendé par le Comité de la justice de façon à prévoir des peines minimales obligatoires à l'égard des trois infractions sexuelles sur la personne d'un enfant, de la pornographie juvénile et des infractions de proxénétisme se rapportant à des enfants, renforçant ainsi la peine minimale obligatoire prévue au paragraphe 212(2.1) du Code criminel, adoptée en 1997, ayant trait à l'infraction grave que constitue le fait de servir d'entremetteur à un adolescent à des fins de prostitution. Ces amendements répondent aux préoccupations constatées par le comité en ce qui a trait aux pratiques actuelles en matière de détermination de la peine dans les cas qui impliquent l'exploitation sexuelle d'enfants, par exemple en ce qui a trait à un recours de plus en plus fréquent aux condamnations avec sursis ou aux assignations à résidence.

[Français]

Il ne s'agissait pas de l'approche préférée du gouvernement, principalement parce que les peines minimales obligatoires n'entraînent pas toujours les résultats recherchés dans la pratique, mais nous reconnaissons tout de même que ces amendements ont pour but d'accroître notre capacité, par l'entreprise du projet de loi C-2, d'atteindre notre objectif partagé qui est de dénoncer et de dissuader plus explicitement l'exploitation sexuelle des enfants.

Et nous partageons le point de vue voulant que la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle est trop importante pour ne pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour atteindre notre objectif. Par conséquent, l'amendement apporté par le gouvernement et prévoyant un examen parlementaire cinq ans après l'adoption du projet de loi C-2, nous permettra d'évaluer si nous avons réussi à atteindre tous les objectifs visés par le projet de loi C-2.

[Traduction]

La quatrième modification proposée vise à faciliter le témoignage. Le projet de loi C-2 fait fond sur les réformes adoptées au cours des 17 dernières années en vue de renforcer la capacité des enfants et d'autres personnes vulnérables de fournir un récit des faits clair, complet et exact, tout en respectant les droits et les libertés de l'accusé. En précisant et en établissant un critère uniforme régissant l'utilisation des moyens destinés à faciliter les témoignages, comme un écran, une personne de confiance et une télévision en circuit fermé, le projet de loi C-2 facilitera le témoignage de trois groupes de témoins et victimes.

[Français]

Cela comprend les enfants victimes ou témoins âgés de moins de 18 ans et tous les témoins atteints de déficience, les victimes de harcèlement sexuel et d'autres victimes et témoins vulnérables.

[Traduction]

Dans le cas de tous les enfants et témoins victimes, ces moyens destinés à faciliter les témoignages seraient disponibles sur demande, sauf lorsque cela nuirait à la bonne administration de la justice.

Dans le cas de victimes de harcèlement sexuel, lorsque l'accusé se représente lui-même, le poursuivant pourrait demander au tribunal d'ordonner la nomination d'un avocat chargé de mener le contre-interrogatoire de la victime. Dans un tel cas, le tribunal serait tenu de rendre l'ordonnance demandée à moins qu'il soit d'avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice.

[Français]

En ce qui concerne le dernier groupe, celui des autres victimes ou des témoins vulnérables, comme par exemple des victimes d'agression et de violence conjugale, le poursuivant pourrait demander l'autorisation d'utiliser tout moyen destiné à faciliter le témoignage ou de faire nommer un avocat pour mener le contre-interrogatoire dans les affaires où l'accusé se représente lui-même. Dans de tels cas, ces témoins adultes seraient tenus de prouver que compte tenu des circonstances de l'espèce, notamment de la nature de l'infraction et de leur relation avec l'accusé, ils ne sont pas capables de donner un récit complet et franc des faits sans que soit utilisé le moyen en question.

[Traduction]

Le projet de loi C-2 vise aussi à modifier la Loi sur la preuve au Canada pour éliminer la tenue obligatoire d'une enquête sur la capacité de témoigner et pour éliminer la distinction entre le témoignage sous serment et le témoignage sans serment par un enfant de moins de 14 ans. La capacité de témoigner d'un enfant ne devrait pas dépendre de sa capacité à comprendre ce que signifie pour lui le fait de prêter serment ou de promettre de dire la vérité. Elle devrait plutôt dépendre de sa capacité à comprendre les questions et à y répondre, et à saisir l'exigence de dire la vérité. Et c'est ce que propose le projet de loi C-2. En vertu de ce nouveau critère, il appartiendra ensuite au juge des faits, comme dans toute autre situation, de déterminer le poids à accorder au témoignage.

Enfin, en ce qui concerne le voyeurisme, le projet de loi C-2 permettra de moderniser le droit pénal afin de lutter plus efficacement contre les atteintes à la vie privée par le voyeurisme.

[Français]

Il faut instituer de nouvelles infractions pour se tenir à l'avant-garde de la technologie qui permet à une personne, cachée à distance, d'observer ou d'enregistrer secrètement d'autres personnes au moyen de caméras et d'autres moyens technologiques.

Le projet de loi C-2 érigera en actes criminels l'observation ou l'enregistrement subreptice d'une personne dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée, dans l'un des cas suivants :

[Traduction]

Il existe trois cas précis à cet égard : la personne est dans un lieu où on peut s'attendre à ce qu'une personne soit nue ou se livre à une activité sexuelle, comme une chambre à coucher, une salle de bain ou un vestiaire; la personne est nue ou se livre à une activité sexuelle et l'observation ou l'enregistrement est fait dans le dessein d'observer ou d'enregistrer une personne; l'observation ou l'enregistrement est fait dans un but sexuel.

Le projet de loi C-2 interdit aussi la publication et la distribution du matériel voyeuriste, y compris par exemple, au moyen de l'Internet. On pourrait opposer une défense fondée sur le bien public dans le cas d'actes qui constituent du voyeurisme, mais qui servent le bien public.

En conclusion, madame la présidente, dans l'ensemble, le projet de loi C-2 offre un grand nombre de mesures de protection nouvelles et améliorées aux enfants et à d'autres personnes vulnérables. Ces réformes sont bien accueillies par les responsables de l'application de la loi, par mes homologues des provinces et des territoires, qui ont demandé l'adoption accélérée du projet de loi C-2 et, en fait, par les Canadiennes et les Canadiens qui citent toujours la protection des personnes vulnérables comme une priorité élevée. C'est aussi la priorité et l'engagement du gouvernement et c'est précisément ce que permet d'assurer le projet de loi C-2.

[Français]

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Le projet de loi modifie quand même de façon importante la définition de pornographie juvénile de l'article 163.1 du Code criminel. Les créateurs ont exprimé des craintes relatives à leur liberté d'expression. La nouvelle définition faisait référence à des écrits dont la caractéristique dominante et la description dans un but sexuel, d'une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de 18 ans qui constituerait une infraction à la présente loi, malgré un moyen de défense de but légitime. N'y a-t-il pas un danger de porter atteinte à la liberté d'expression avec cette nouvelle définition?

M. Cotler : Non, madame la présidente. Je pense qu'il n'y a pas de danger parce que c'est une défense qui est très restrictive par exemple, à l'égard d'un moyen de défense fondé sur la valeur artistique. Dans la forme proposée, il ne reste plus qu'un seul moyen de défense. C'est ce qui est important ici. Ainsi, le motif de défense fondé sur la valeur artistique n'existera plus mais une action ayant des fins légitimes en rapport avec l'art pourra être invoquée. Cependant, contrairement à la défense actuelle fondée sur la valeur artistique, l'analyse devra se faire sur deux points. C'est très important à l'égard de la défense. L'acte en question a-t-il un but légitime? Et si oui, pose-t-il un risque indu de préjudice pour l'enfant? C'est un sommaire de cette défense qui protège en même temps la liberté d'expression et la protection des enfants.

Le sénateur Rivest : Monsieur le ministre, vous avez questionné les peines minimales. Vous avez dit que le gouvernement n'était pas très favorable à l'imposition de peines minimales. Pourquoi?

M. Cotler : Notre expérience et les recherches scientifiques démontrent que les peines minimales obligatoires n'assistent pas l'infraction et la question de l'efficacité.

Toute la recherche, non seulement au Canada, mais dans d'autres pays, démontre que ceux et celles qui préfèrent une option comme les peines minimales obligatoires est à l'inverse de ce que ceux qui veulent cette option ont voulu. Je ne questionne pas leurs intentions parce qu'elles sont animées de la même bonne foi.

En ce qui a trait au projet de loi, d'abord, le gouvernement n'a pas proposé de peines minimales obligatoires, mais des amendements proposés par des députés parce que le but de ce projet de loi est la protection des enfants. Si le but est la protection et si on veut avoir une revue de ce projet de loi après cinq ans, peut-être que la recherche démontrera qu'il y avait une raison pour cela. Ce n'était pas ma préférence ni celle du gouvernement, mais c'était en conséquence d'un processus parlementaire qu'on doit respecter.

Le sénateur Rivest : C'est un peu étrange comme technique législative. On dit : c'est inutile, mais on le fait pareil. Une étude commandée par le ministère de la Justice en 2002 qui s'intitulait : Les effets des peines minimales obligatoires sur la criminalité et la conclusion des deux experts, arrivait exactement à la même conclusion que celle que vous avez donné dans le sens que c'était totalement inefficace. Vous dites que vous avez inclus cette disposition à cause du processus parlementaire. D'ailleurs, votre adjoint parlementaire l'avait très bien dit à la Chambre lorsqu'il a déclaré que, et je le cite :

Je dirais tout d'abord que dans le cadre d'un gouvernement minoritaire, ce que nous constatons également à ce comité, c'est que nous devons accepter de faire certaines concessions dans la mesure du possible.

C'est donc pour des raisons purement politiques. Comme le signalaient les experts, très souvent ces dispositions sont mises dans l'étude pour apaiser l'indignation des électeurs qui voient les manchettes. On met des peines minimales pour satisfaire une certaine vindicte.

Ces considérations devraient être totalement étrangères à la prise de décision d'un ministre de la Justice ou d'un gouvernement. On ne devrait pas inclure dans un projet de loi des peines minimales pour des raisons purement politiques. Ces dispositions ne seront-elles pas sujettes à contestation, car malgré une apparence d'efficacité, elles ne pourront être maintenues au plan juridique puisqu'elles ne procèdent pas d'une analyse sérieuse et reconnue. Vous dites vous-même ne pas croire en l'efficacité ou la pertinence du recours à cette technique des peines minimales.

Je trouve étrange que le gouvernement accepte d'introduire une disposition de peine minimale pour des considérations purement politiques et non juridiques. Un projet de loi est avant d'ordre juridique, surtout dans le Code criminel.

M. Cotler : Alors je dois dire que les considérations étaient particulièrement ancrées dans le but de cette législation. On parle de la protection des enfants. Le message du gouvernement demeure clair et uniforme à cet égard. La protection des enfants, particulièrement la protection contre l'exploitation sexuelle, est notre priorité. C'est ce que vise le projet de loi C-2.

À l'égard de ces amendements, le projet de loi a été amendé par le Comité de la justice, mais de façon à prévoir des peines minimales obligatoires à l'égard des trois infractions sexuelles sur la personne et les enfants. La pornographie juvénile et l'infraction de proxénétisme se rapportent à des enfants, renforçant ainsi la peine minimale obligatoire prévue maintenant au paragraphe 212.2.1 du Code criminel adopté en 1997, ayant trait à l'infraction grave que représente le fait de servir d'entremetteur auprès d'un adolescent à des fins de prostitution.

Ces amendements répondent aux préoccupations relevées par le comité en ce qui a trait aux pratiques actuelles en matière de détermination de la peine dans les cas qui impliquent l'exploitation sexuelle d'enfants. Par exemple, en ce qui a trait à un recours de plus en plus fréquent aux condamnations associées aux assignations à résidence.

Alors nous avons adopté — et nous sommes dans une position minoritaire — à cet égard un amendement qui prévoit une revue de du projet de loi C-2, particulièrement en ce qui concerne le processus des peines minimales obligatoires et voir si les inquiétudes et les préoccupations des députés étaient fondées.

Je peux conclure par une analogie. L'ancien premier ministre Pierre Trudeau avait répondu, quand on lui avait demandé pourquoi — et j'étais un des professeurs à l'époque qui avait posé la question — il avait inclus dans la Charte des droits et libertés une clause dérogatoire? Il a répondu qu'il ne s'agissait pas de choisir entre une charte avec une clause dérogatoire ou une charte sans clause dérogatoire, mais une charte avec une clause dérogatoire ou pas de charte.

C'est la même chose ici. On a le projet de loi C-2 pour protéger les enfants avec des peines minimales obligatoires ou pas de projet de loi. À mon avis, il est préférable d'avoir un projet de loi avec inclusion de peines minimales obligatoires — ce qui, franchement, n'était pas mon choix, le plus important, au fond, est l'adoption de ce projet de loi.

Lorsque j'ai comparu devant le comité de la Chambre des communes, j'ai dit : s'il y a un cas pour lequel je suis prêt à reconsidérer des peines minimales obligatoires, c'est pour la question de la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle et particulièrement contre la pornographie juvénile. Dans ce cas, je suis ouvert, si c'est nécessaire, à inclure des peines minimales obligatoires. En principe non, mais dans ce cas particulier, peut-être.

Le sénateur Rivest : Vos experts et vos études vous disent que de toute façon c'est totalement inefficace et vous personnellement n'y croyez pas. Pourtant, vous l'avez mis dans le projet de loi.

M. Cotler : Oui, j'ai dit cela franchement, mais j'ai donné la raison : la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle. En conséquence, afin de respecter le processus parlementaire, peut-être qu'il y aura un amendement, par exemple, proposé par le comité du Sénat avec lequel je ne serai pas d'accord. Cette législation existe pour le bien public. Cela ne veut pas dire que ne n'accepterai pas d'amendement.

On doit respecter le processus parlementaire, particulièrement, et c'est ce qui est important, lorsqu'il s'agit de la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle.

La présidente : Quelles étaient les motivations des membres de la Chambre des communes pour proposer les peines minimales?

M. Cotler : Je pense que c'était leur compréhension des peines conditionnelles. Ils pensaient que s'il n'y avait plus de condamnation conditionnelle il était nécessaire d'avoir des peines minimales obligatoires. Corriger ce qu'ils pensaient être une approche dans la question de combattre les infractions sexuelles contre les enfants. Je pense que c'était la motivation des députés et c'est la raison pour laquelle nous avons dit que s'il y a des peines obligatoires, nous ferons une révision, après cinq ans. On verra alors qui avait raison. Vous avez cité les inquiétudes de notre expert et des députés à ce sujet.

Le sénateur Rivest : Selon mes informations, il n'y a que le Bloc québécois qui ait demandé des peines minimales obligatoires. Est-ce que les conservateurs ou le NPD l'ont aussi demandé?

M. Cotler : Oui, les conservateurs n'étaient pas seulement en faveur de cela, ils ont dit que sans cela, ils ne seraient pas prêts à appuyer ce projet de loi. Le Bloc a dit la même chose, que pour avoir leur appui, il était nécessaire d'inclure ces peines minimales obligatoires, et les représentants de ces deux partis sont en majorité sur ce comité.

[Traduction]

Le sénateur Eyton : J'ai une question supplémentaire.

Monsieur le ministre, pourriez-vous m'aider à mieux comprendre le processus d'examen, de débat et de participation publique qui s'est déroulé dans l'autre endroit? J'aimerais savoir dans quelle mesure le projet de loi dont nous sommes saisis a fait l'objet d'un examen approfondi.

M. Cotler : Honorables sénateurs, ce projet de loi a fait l'objet d'une discussion soutenue. Il faut comprendre que le projet de loi C-2 fait suite à la version précédente qui était le projet de loi C-12. Bien que nous ayons présenté une série d'initiatives qui ne faisaient pas partie du projet de loi C-12, la loi précédente a également reçu l'appui de l'autre endroit.

Nous considérons avoir amélioré la loi précédente, qui a également fait l'objet d'audiences approfondies au cours desquelles des témoins ont comparu devant le comité et ont présenté des mémoires. Le comité a entendu toute une gamme d'experts, y compris des organisations non gouvernementales et des représentants de l'application de la loi, et il y a eu une analyse comparative à cet égard.

Étant donné que le projet de loi est mort au Feuilleton, nous avons eu l'occasion d'y jeter un autre coup d'œil pour déterminer si nous pouvions y apporter des améliorations. Je crois que nous avons réussi à le faire en élargissant la définition de pornographie juvénile et en réduisant le moyen de défense concernant la pornographie juvénile. Il s'agit d'importantes initiatives qui ont fait fond sur le projet de loi précédent et qui permettront d'améliorer le régime de détermination de la peine.

Le projet de loi C-2 a également fait l'objet de questions et d'un examen soutenus de la part du comité de l'autre endroit. L'unique changement apporté à ce projet de loi concernait les peines minimales obligatoires. Mon opinion en ce qui concerne les peines minimales obligatoires est bien connue et est assez similaire à ce que vous avez exprimé. Je considère que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif et ne sont pas efficaces. C'est la conclusion à laquelle je suis arrivé d'après les indications dont je dispose jusqu'à présent.

Cependant, les parlementaires considéraient que les peines minimales obligatoires en ce qui concerne les infractions d'exploitation sexuelle des enfants pourraient servir d'antidote au régime de condamnation à l'emprisonnement avec sursis, qu'ils considéraient avoir été indûment utilisé dans la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle. Au bout du compte, nous nous sommes entendus sur la question des peines minimales obligatoires pour plusieurs raisons : tout d'abord, cela était conforme au principe et à l'objet généraux de la protection des personnes les plus vulnérables; deuxièmement, c'était le souhait de la majorité parlementaire, que nous avons dû respecter au comité; et troisièmement, les modifications se limitaient aux infractions à caractère sexuel, qui avaient déjà leur propre précédent dans le Code criminel.

Comme je l'ai indiqué dans mon témoignage devant le comité, même si je suis par principe contre les peines minimales obligatoires, c'est le secteur où je pourrais envisager d'y avoir recours.

Enfin, lorsqu'ils ont choisi d'adopter cette modification particulière concernant les peines minimales obligatoires, nous avons proposé notre propre amendement, qui a été adopté, portant que toute la question sera examinée après cinq ans et à ce moment-là les faits parleront d'eux-mêmes.

Il ne s'agit pas de choisir entre une loi sur la protection des enfants qui prévoit des peines minimales obligatoires ou une loi qui n'en prévoit pas. Il s'agissait de choisir d'avoir une loi sur la protection des enfants prévoyant des peines minimales obligatoires restreintes dans ce domaine ou de ne pas avoir de loi sur la protection des enfants. Il fallait prendre une décision à ce stade et c'est ce que nous avons fait.

Le sénateur Ringuette : En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, le ministère en a-t-il analysé le coût?

M. Cotler : Je demanderai à l'une de mes trois collaboratrices de répondre; elles ont une mémoire institutionnelle que je ne possède pas.

Mme Carole Morency, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Nous n'avons pas de façon précise déterminé le coût des peines minimales obligatoires imposées par le projet de loi C- 2. Tout a fini par se faire très vite. Nous avons examiné les types d'infractions qui étaient envisagées et qui avaient été proposées par les députés d'opposition faisant partie du comité et nous avons examiné les pratiques en matière de détermination de la peine dans ces cas.

Par exemple, un projet de loi d'initiative parlementaire parrainé par M. Marceau, le projet de loi C-303, proposait un certain nombre de peines minimales obligatoires. Ce projet de loi a été cité constamment comme un exemple du type de comportement qui était au cœur des discussions concernant les peines minimales obligatoires, et nous les avons examinées.

Pour ce qui est des répercussions sur le système correctionnel fédéral, une peine minimale obligatoire de 14 jours, par exemple, n'aurait pas de répercussions importantes pour nous parce que 14 jours équivaudraient à 2 ans moins un jour purgés dans un établissement provincial. Donc, sur ce plan, les conséquences sont minimales.

Nous avons fourni au comité des indications à propos du nombre de cas qui avaient fait l'objet de ce type d'accusations auparavant. Nous avons fourni de l'information au comité, à l'étape de l'étude article par article sur le nombre de cas de ce genre, en nous fondant sur une enquête effectuée auprès des tribunaux pénaux pour adultes en 2002-2003 afin que le comité ait une idée du nombre d'accusations. Cela a donc fait partie du tableau.

Certains des témoins qui ont comparu devant le comité ont soulevé des préoccupations particulières à propos des pratiques en matière de détermination de la peine qui ont été suivies dans ce genre de cas. À titre d'exemple, la police a indiqué qu'elle a dû prendre la peine d'enquêter sur ces cas et de déposer des accusations mais que si le contrevenant est condamné, il obtient une peine avec sursis. D'après les indications fournies par le corps policier de Toronto, les peines avec sursis étaient imposées dans la moitié des cas qu'ils avaient suivis au cours des dernières années. Certains policiers considéraient que si la peine infligée n'était pas appropriée, il ne valait pas la peine pour eux d'investir du temps et de l'énergie dans ce genre de cas.

Le comité a entendu les témoignages de toute une gamme de spécialistes qui ont parlé d'un certain nombre de questions et de préoccupations. Les membres du comité ont pris connaissance de ces témoignages lorsqu'ils ont étudié les peines qui devraient être imposées et les accusations qui pourraient être portées pour répondre de façon plus efficace ou directe aux besoins dont traitait ce projet de loi.

Le sénateur Ringuette : D'après les chiffres, je n'arrive pas à croire que le ministère n'a pas étudié la gamme probable de coûts reliés à l'imposition d'une peine minimale obligatoire.

Mme Morency : Si nous examinons les infractions proposées dans le projet de loi C-303, certaines d'entre elles se trouvent dans le projet de loi C-2. Ce projet de loi proposait une période beaucoup plus longue de peines minimales obligatoires : trois mois dans le cas d'une déclaration de culpabilité par procédure sommaire; un an par mise en accusation, ou cinq ans. Il est difficile d'en déterminer le coût à l'avance.

Compte tenu des dispositions prévues par ce projet de loi — des modifications aux articles 170, 171 et 212 du Code criminel et des amendements à la pornographie juvénile — la plupart de ces amendements sont proposés maintenant pour le projet de loi C-2, et le coût minimal se situe aux environs de 500 000 $. Comme je l'ai déjà dit, il ne s'agit pas d'une évaluation complète des coûts.

Le sénateur Ringuette : Vous avez un chiffre approximatif.

Mme Morency : Fondé là-dessus, étant donné que nous n'avions pas les amendements.

Le sénateur Ringuette : Je donnerai assurément mon appui à toute mesure législative tendant à renforcer la protection des enfants.

Il y a quelques années, il y a eu à Vancouver le cas très médiatisé d'un magasin qui vendait de la pornographie juvénile sur ses étagères. Les propriétaires ont été traduits en justice, et ils ont invoqué la liberté d'expression et l'aspect artistique de la pornographie.

La présidente : Avez-vous le nom de l'affaire en question, madame le sénateur?

Le sénateur Ringuette : Non. Je ne suis pas avocate. J'ai tendance à garder l'œil sur ce genre d'affaires, mais je ne peux pas vous dire qu'il s'agissait de l'affaire X c. Y. Peut-être nos attachés de recherche pourront-ils vérifier cela.

M. Cotler : Il s'agit peut-être de l'affaire Little Sisters, mais je n'en suis pas sûr. Par ailleurs, il y a eu l'affaire dont la Cour suprême a été saisie plus directement, à savoir l'affaire Sharpe.

Le sénateur Nancy Ruth : C'était l'affaire Sharpe.

M. Cotler : L'affaire Sharpe ne concernait pas la librairie, mais elle était plus fondamentale.

Le sénateur Ringuette : Si ma mémoire est bonne, l'homme en question a été déclaré non coupable sur la base de la liberté d'expression et l'aspect artistique de ce qu'il exposait publiquement dans son magasin. Quelle sera l'incidence du projet de loi C-2 sur la liberté d'expression dans le cas de revues contenant de la pornographie juvénile? D'après moi, une revue illustrant de la pornographie juvénile n'est pas de l'art, ni ne relève de la liberté d'expression. J'espère que le projet de loi C-2 corrigera cette lacune et ce moyen de défense possible ou, à tout le moins, qu'il précise dans quelle mesure on peut invoquer la liberté d'expression et la liberté artistique pour se défendre contre la pornographie juvénile.

M. Cotler : Permettez-moi de mettre en contexte l'affaire que vous avez citée et, en même temps, de répondre à votre question.

L'existence d'un moyen de défense dans notre législation existante en matière de pornographie juvénile a été un facteur important dans la décision de la Cour suprême du Canada de déclarer constitutionnelles nos dispositions législatives relatives à la pornographie juvénile. D'aucuns vous demanderont pourquoi il existerait même des moyens de défense. La constitutionnalité même de la législation exige qu'il y ait un moyen de défense. C'est que notre définition de la pornographie juvénile est large. En effet, elle s'étend à tout un éventail de matériel, y compris du matériel illustrant l'abus sexuel d'un enfant, réel ou imaginaire.

Cette définition large est intentionnelle. Nous admettons que les deux types d'illustrations comportent un risque raisonnable de préjudice à l'enfant, qu'il s'agisse d'une photographie illustrant l'abus sexuel d'un véritable enfant ou d'une photo générée par ordinateur ou composée d'un enfant imaginaire ou même d'un texte écrit qui préconise l'abus sexuel d'un enfant. L'important, cependant, c'est qu'en vertu du projet de loi C-2, aucun moyen de défense ne pourra être invoqué s'il y a illustration réelle ou imaginaire si le matériel en question présente un risque indu de préjudice à l'enfant.

Ce qu'il faut comprendre du projet de loi C-2 en rapport avec l'affaire Sharpe et aux autres affaires de ce genre, c'est que, dans un premier temps, nous avons élargi la définition de ce qui constitue du matériel pornographique pour que celle-ci s'applique à tout genre de matériel qui n'était peut-être pas couvert dans l'affaire Sharpe. S'agissant de la définition, nous avons restreint le moyen de défense de manière à protéger la liberté d'expression, mais nous n'avons pas éliminé la défense à tel point que la constitutionnalité de la législation risque d'être remise en question.

Le projet de loi tend à tenir compte du mérite artistique en tant que moyen de défense et de la définition de la pornographie juvénile de deux manières. Premièrement, les infractions existantes relatives à la pornographie juvénile sont limitées à ce qu'on pourrait appeler un moyen de défense unique et à deux volets qui impose une justification fondée sur le préjudice.

La nature de la pornographie juvénile ne changera pas. Tout moyen de défense devra prouver une fin légitime, soit l'administration de la justice, soit l'éducation, la science ou l'art. Outre la fin légitime, le matériel ne doit pas présenter de risque injustifié de préjudice à l'enfant. C'est la justification fondée sur le préjudice.

Pour commencer, il y a une définition élargie de la pornographie. La nature de la pornographie ne change pas. Pour tout acte pour lequel une personne est inculpée, le seul moyen de défense est une fin légitime comme l'agent de police qui mène une enquête criminelle ou une situation qui ne présente pas de risque de préjudice injustifié à l'enfant. Ce serait le cas du motif artistique, par exemple.

Le sénateur Pearson : Un segment de ce projet de loi que j'ai trouvé intéressant concerne la facilitation de la déposition des témoins, y compris les enfants. Je sais que c'est une source de préoccupation de longue date.

J'ai été très heureuse de voir dans le préambule du projet de loi des allusions à la Convention relative aux droits de l'enfant et au droit de participer de l'enfant. Je ne remets pas cela en question. Je veux simplement dire, pour mémoire, dans quelle mesure les dispositions de ce projet de loi sont fondées sur un corpus impressionnant de recherches sur la capacité des enfants à comprendre leur affirmation « Je promets de dire la vérité », c'est-à-dire qu'ils comprennent ce serment. Je sais que les gens posent la question : « Comment pouvez-vous croire à cela? » Vous devriez peut-être en faire part à un de nos fonctionnaires. L'argument est bon.

M. Cotler : J'ai abordé ce sujet durant mon témoignage initial. J'ai évoqué le changement qui consistait à s'éloigner de la question de la compétence en faveur de l'amendement qui figure dans le projet de loi C-2. Je vais laisser mes collaboratrices vous en parler en détail.

Mme Catherine Kane, avocate-conseil et directrice, Centre de la politique concernant les victimes, ministère de la Justice Canada : Honorables sénateurs, je pense que vous faites allusion aux amendements très importants proposés à la Loi sur la preuve au Canada. Ces amendements reposent sur une assise solide de recherches compilées au Canada et sur la scène internationale. Le système que nous avons actuellement en place exige que l'enfant se soumette à deux types d'examen de compétence : premièrement, on doit déterminer si l'enfant peut comprendre la prestation de serment et, deuxièmement, s'il est capable de communiquer la preuve. Cette norme a été interprétée par nos tribunaux de manière plus rigoureuse qu'on le prévoyait au départ, si bien que le témoignage d'un enfant est souvent jugé non admissible, et ce, même si l'enfant est tout à fait capable de faire une déposition et que le tribunal est en mesure d'évaluer les éléments de preuve et de déterminer ce qui est recevable et ce qui ne l'est pas.

Les modifications mettront l'accent sur la capacité pour l'enfant de comprendre les questions et d'y répondre. Ainsi, si l'enfant est capable de comprendre les questions et d'y répondre, il pourra faire une déposition.

Tous les témoignages seront faits sans serment. On demandera à l'enfant de promettre de dire toute la vérité. Les recherches montrent que les enfants comprennent ce que cela signifie que de faire une promesse. D'ailleurs, cela fait partie de leurs relations quotidiennes avec leurs pairs, leurs enseignants et leurs parents. Les enfants ne peuvent pas toujours expliquer ce que signifie une promesse, mais nous, les adultes, ne pouvons pas toujours le faire non plus. C'est un concept plutôt abstrait, mais les enfants comprennent néanmoins ce que signifie faire une promesse. Avec ce projet de loi, les enfants comprendront que c'est une occasion solennelle et qu'ils doivent, par conséquent, dire toute la vérité dans leur témoignage. S'ils peuvent assimiler ce concept, leur témoignage sera admissible.

Si la capacité de l'enfant à comprendre les questions et à y répondre est contestée, la partie qui conteste doit présenter des arguments, lesquels arguments seront examinés. Vraisemblablement, le juge demandera au procureur de la Couronne, qui connaît l'enfant le plus, de poser à celui-ci quelques questions afin d'établir sa capacité.

Le sénateur Cools : Ma question porte sur un aspect quelque peu différent des enjeux entourant la protection de l'enfant. Monsieur le ministre, étant donné que vous nous dites que vous êtes occupé à travailler sur tout le phénomène de la protection des enfants, quand pouvons-nous nous attendre à voir un projet de loi tendant à modifier, sinon à abroger, l'article 233 du Code criminel qui porte sur l'infanticide? L'article dispose que :

Une personne du sexe féminin commet un infanticide lorsque, par un acte ou une omission volontaire, elle cause la mort de son enfant nouveau-né, si au moment de l'acte ou de l'omission elle n'est pas complètement remise d'avoir donné naissance à l'enfant et si, de ce fait ou par suite de la lactation consécutive à la naissance de l'enfant, son esprit est alors déséquilibré.

J'ai étudié cette question à fond et je ne vois pas de lien entre un comportement meurtrier et la lactation. Dans bien des cas de ce genre — bien trop, je dois dire, notamment les cas de néonaticides religieux — le motif est rarement lié à des troubles mentaux. En fait, certains actes sont prémédités et volontaires. Je présume que tout le monde connaît le terme « néonaticide », et qu'un homme ne peut commettre d'infanticide.

La présidente : Cela n'a pas trait au projet de loi C-2.

Le sénateur Cools : Le ministre a parlé d'une série de projets de loi qu'il avait l'intention de présenter pour assurer la protection des enfants. Je me demandais simplement s'il avait réfléchi à cette question. Nous n'avons pas souvent l'occasion d'entendre le ministre.

La présidente : Il doit nous quitter sous peu.

Le sénateur Cools : Sénateur Mercer, est-ce que vous voulez me parler? Vous voulez toujours me parler, n'est-ce pas? Vous me trouvez irrésistible.

Le sénateur Mercer : Le ministre est très généreux de son temps.

Le sénateur Cools : C'est vrai, et c'est pour cette raison que je lui ai posé une question. Le ministre est doté d'une intelligence inouïe et je l'ai connu avant qu'il ne devienne ministre. J'aimerais savoir s'il a réfléchi à cette question et, sinon, je voudrais la lui signaler. L'article 223 du Code criminel n'est pas connu et compris de tous, mais il est trop souvent invoqué pour fermer l'œil sur des crimes très graves. Voilà ce que j'avais à dire.

Le sénateur Mercer devrait parler moins et réfléchir plus.

La présidente : Sénateur Cools, c'est inadmissible.

Le sénateur Cools : C'est lui qui a commencé, madame le sénateur.

La présidente : C'est inadmissible. Un instant s'il vous plaît!

Le sénateur Cools : Je ne peux ouvrir la bouche sans qu'il n'ait quelque chose à dire; et trop c'est trop.

La présidente : Nous ne sommes pas ici pour tenir de tels propos.

Le sénateur Cools : Rappelez-le à l'ordre, pas moi.

La présidente : Vous avez tous les deux enfreint le Règlement.

M. Cotler : Vous avez raison de signaler que même avant que je n'assume le rôle de ministre de la Justice et de procureur général, la question de la protection de l'enfant a toujours été une priorité pour moi. Quand j'ai évoqué une série de réformes, j'entendais des réformes ayant trait au projet de loi C-2 et à la protection des enfants et des autres personnes vulnérables. Je ne parlais pas des autres questions législatives à cet égard. Nous avons tenté de recenser cinq axes généraux de réforme dans ce projet de loi générique qui tend à protéger les enfants et les autres personnes vulnérables.

Je dois avouer que je n'ai pas examiné la disposition du Code criminel que vous avez citée. Cela étant, comme mes collaboratrices m'en ont avisé, je sais que le ministère se penche actuellement sur certaines dispositions dépassées du Code criminel. Nous proposerons des mesures législatives pour les moderniser en temps et lieu. Cela pourrait se faire dans le cadre d'une de ces initiatives.

Le sénateur Cools : Une étude d'envergure a été entreprise au Royaume-Uni il y a quelques années par la commission Butler, si je ne m'abuse.

Le sénateur Joyal : Si vous faites allusion à votre conversation avec M. Trudeau sur la Charte, je pourrais vous fournir des éléments d'information supplémentaires auxquels vous n'aviez pas accès à l'époque. Il y avait eu une rencontre avec le ministre de la Justice d'alors, M. Chrétien, son secrétaire parlementaire, Jim Peterson, un de vos collègues, le premier ministre Trudeau et moi-même, qui occupais le poste de vice-président du comité mixte. Nous devions prendre une décision. M. Trudeau nous avait demandé à chacun ce que nous pensions d'une charte comportant une clause dérogatoire. La réunion s'était déroulée dans mon bureau, et ce n'était pas une réunion de cabinet. Comme M. Chrétien en a parlé dans ses mémoires, je ne révèle pas la teneur de discussions qui devraient rester confidentielles. Quand M. Trudeau est venu me voir et m'a demandé ce que j'en pensais, je lui ai répondu ceci : « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. » C'est mieux de prendre ce que nous avons maintenant que rien du tout.

Bien sûr, c'était dans le contexte de la négociation de quelque chose que nous n'avions jamais eu — une charte. Nous avons maintenant la Charte. Quant aux peines obligatoires ou minimales, je me demande s'il faut parler de mauvaise politique ou de mauvaise législation.

Il incombe au ministre de la Justice de s'assurer qu'il ne s'agit pas de mauvaise législation. Si la politique est mauvaise, nous pouvons toujours y apporter des modifications ou des ajustements. Toutefois, il incombe au ministre de la Justice, particulièrement compte tenu des articles 7 et 12 de la Charte, d'être convaincu, lorsqu'il donne son avis au Parlement, que ces peines minimales ne sont pas contraires à la Charte.

Certains arrêts de la Cour suprême traitent de la constitutionnalité des peines minimales. Pouvez-vous confirmer au comité aujourd'hui que ces peines minimales respectent la jurisprudence créée par les arrêts de la Cour suprême et les critères qu'elle a arrêtés en ce qui a trait aux peines minimales?

M. Cotler : C'est une bonne question. Bien que j'aie des réserves en ce qui concerne la politique, vous avez raison de dire que je dois attester de la conformité de la loi à la Charte. À mon avis, le projet de loi est conforme à la Charte en ce sens que la peine minimale obligatoire prévue dans le projet de loi n'est pas disproportionnée compte tenu de la gravité de l'infraction et de la conduite du contrevenant. On peut en ce sens dire que c'est la plus légère des peines minimales obligatoires. C'est conforme au principe de la proportionnalité et aux arrêts de la Cour suprême et d'autres tribunaux qui font jurisprudence.

En règle générale, les dispositions relatives aux peines minimales obligatoires dont la validité a été confirmée prévoient une peine minimale faible qui, si elle était considérée rigoureuse dans certaines circonstances, ne risque pas d'être jugée disproportionnée au regard de critères raisonnables; ou encore, la série de peines minimales obligatoires est suffisamment modulée de sorte que les infractions regroupent une gamme relativement étroite d'agissements et sont idéalement assez graves pour justifier l'imposition d'une peine obligatoire.

Dans ce cas, les peines minimales obligatoires sont modulées en fonction d'une gamme relativement étroite d'actes suffisamment graves pour que l'on puisse justifier l'imposition d'une peine obligatoire qui ne serait pas disproportionnée compte tenu de la gravité de l'infraction et de la responsabilité du contrevenant. À mon avis, ces dispositions seraient jugées conformes à la Charte même si elles ne cadrent pas toujours avec certaines de mes propres préférences, pour les raisons que j'ai énoncées.

Permettez-moi de faire un autre commentaire. Lors de la réunion fédérale-provinciale-territoriale des ministres de la Justice, j'ai renvoyé la question des peines avec sursis et des peines minimales obligatoires au comité FPT sur la détermination de la peine. J'attends son rapport sous peu et nous pourrons tous en prendre connaissance.

Madame la présidente, j'ai même demandé à votre comité d'examiner cette question puisqu'elle est récurrente et qu'il serait utile d'avoir l'avis du comité, compte tenu de son expérience et de son savoir-faire. Toutefois, j'ai pris bonne note de votre réponse, à savoir que votre comité n'a pas le temps d'entreprendre un tel examen.

Nous prendrons connaissance des résultats de l'examen entrepris par le comité FPT et nous en ferons part à votre comité. Mon ministère réexamine toute la question des principes de la détermination de la peine. Nous ne voulons pas réaliser cet examen uniquement dans le contexte d'un projet de loi donné mais plutôt dans le contexte du système de justice pénale en tenant compte des principes sous-jacents, dont la proportionnalité.

Le sénateur Joyal : Vous nous avez donné votre avis sur la conformité du projet de loi C-2 à la Charte, mais à mon avis si les tribunaux étaient un jour appelés à se prononcer sur sa constitutionnalité, ils examineraient d'abord les objectifs sous-jacents. Or, la cour examinerait aussi les autres articles du Code criminel où sont prévues des peines minimales. À mon avis, les peines minimales ne sont pas tirées d'un chapeau où vous dites : « Le crime est si odieux que nous imposerons cette peine minimale ». Il faut respecter certains principes lorsqu'on impose une peine minimale et il doit y avoir une certaine cohérence par rapport aux autres articles du Code qui imposent, ou n'imposent pas, de peines minimales. Cela va dans les deux sens. Il faut une certaine rationalité, de la cohésion et de la cohérence au sein du Code criminel en ce qui a trait aux principes de détermination de la peine.

Quand vous avez accepté la proposition des partis d'opposition dans l'autre endroit, avez-vous eu le temps de confirmer que ces peines minimales concordent avec les autres articles du Code?

M. Cotler : Oui, nous avons examiné les autres articles du Code criminel. Apparemment, 29 infractions sont actuellement passibles d'une peine minimale obligatoire. Nous avons pu confirmer à notre satisfaction que les peines minimales obligatoires prévues dans le projet de loi concordent avec les autres peines minimales obligatoires prévues ailleurs dans le Code criminel.

Comme je l'ai dit, elles existent aussi, par exemple, dans le cas du proxénétisme aggravé de prostitués juvéniles. Il existe déjà une peine minimale obligatoire en ce qui a trait à la protection des jeunes victimes de conduites sexuelles prédatrices.

Je ne veux pas m'attarder trop longuement sur la question, mais nous avons aussi vérifié la conformité au regard de la Charte. J'ai fait un compte rendu un peu écourté parce que les peines minimales obligatoires risquent d'être contraires à l'article 12 de la Charte, droit de chacun à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Selon l'article 12, il s'agit de déterminer si la peine imposée est disproportionnée par rapport à l'infraction, à tel point que les Canadiens jugeraient qu'il s'agit d'une peine disproportionnée ou intolérable.

À mon avis, les Canadiens ne trouveraient pas les peines minimales obligatoires prévues dans ce cas disproportionnées ou intolérables compte tenu de la nature du crime ou du contrevenant. Lorsqu'une contestation porte sur l'incidence d'une peine minimale obligatoire, l'analyse de l'article 12 a amené les tribunaux à examiner deux questions distinctes. L'instance révisionnelle doit déterminer si la peine imposée est, comme je l'ai indiqué, exagérément disproportionnée pour le contrevenant à qui elle est imposée compte tenu des principes de détermination de la peine, du but de la loi et des circonstances actuelles du requérant.

Nous avons examiné les objectifs de la loi et les principes de détermination de la peine. Ce projet de loi fait état de l'importance des principes de dissuasion et de dénonciation puisqu'il s'agit de protéger les enfants et nous devons tenir compte des circonstances du requérant.

À supposer que cette analyse ne mette en lumière aucune infraction à la Charte, l'instance révisionnelle examinerait la question de savoir si la gamme des peines aurait un effet inconstitutionnel dans des scénarios hypothétiques raisonnables. À notre avis, ce projet de loi serait jugé conforme à la Constitution pour les raisons que j'ai données. Il serait conforme aux peines prévues pour 29 autres infractions au Code criminel et il serait particulièrement conforme aux objectifs du projet de loi, à savoir de protéger les enfants contre les pratiques sexuelles prédatrices.

Le sénateur Joyal : Mme Morency pourrait-elle nous remettre un exemplaire de l'étude qui a été réalisée sur la détermination de la peine dans les cas de pornographie juvénile? Cette étude a été remise aux députés de l'autre endroit.

Vous voudrez peut-être me répondre après ma prochaine question au ministre, puisque le temps file.

J'aimerais revenir à la question de la pornographie juvénile comme infraction objective dans le contexte de la modification à l'alinéa 163.1b) concernant les œuvres d'art. Lorsqu'il s'agit de déterminer si une œuvre d'art est pornographique, le critère objectif est le tort causé aux enfants. Cette définition n'entraînerait-elle pas la désignation comme œuvre pornographique de la célèbre peinture de Rosso Fiorentino, maître de l'art de la renaissance au XVIe siècle? L'une de ses œuvres d'art en montre au Musée des beaux-arts du Canada illustre une déesse touchant le sexe d'un jeune cupidon. Certains ont déjà dit que cette œuvre est « pornographique ». Le film de Louis Malle, Pretty Baby, au sujet d'une jeune fille qui travaille dans une maison close ou encore le film Lolita, dans lequel jouait Jeremy Irons, ne pourraient-ils pas être décrits comme « pornographiques » s'ils étaient vus par un enfant ou des enfants, étant donné cette définition? Cette définition ou le fait d'inclure dans le Code criminel l'élément objectif du tort causé à un enfant ne mènerait-il pas à l'inclusion dans la catégorie d'œuvres pornographiques de certaines œuvres d'art qui ont été acceptées compte tenu du niveau de tolérance de la société?

M. Cotler : Je vais tenter de répondre à cette question tant du point de vue de la nature du matériel jugé offensant que du point de vue du moyen de défense. Je vais ensuite demander à mes collaboratrices si elles veulent ajouter quelque chose à ma réponse.

Le projet de loi vise à élargir la définition du terme « écrit » et s'appliquera donc à plus d'écrits qu'à l'heure actuelle.

La définition actuelle de pornographie juvénile écrite ne s'applique qu'aux écrits qui « préconisent ou conseillent une activité sexuelle prohibée avec des enfants ». C'est ce dont la Cour suprême était saisie dans l'affaire Sharpe. L'amendement proposé élargira la définition pour qu'elle s'applique aux écrits qui décrivent une activité sexuelle prohibée avec des enfants où — et ceci est essentiel — cette description écrite est la caractéristique dominante de l'œuvre et où elle est faite dans un but sexuel.

Il faudrait donc décider si la description écrite est la caractéristique dominante de l'œuvre et si elle est faite dans un but sexuel. La Cour suprême a interprété l'expression « dans un but sexuel » comme étant raisonnablement perçue comme visant à stimuler sexuellement certaines personnes. Il m'est difficile de faire des conjectures sur la façon dont cela pourrait s'appliquer aux œuvres existantes, à part vous décrire la nature de la définition et le critère qui a émergé jusqu'ici.

Toutefois, si on pouvait soutenir qu'un écrit répondait à la définition élargie de ce qui constituerait un écrit pornographique, ce serait au tribunal de décider si cela répondait au critère du nouveau moyen de défense, à savoir si l'écrit avait un but légitime et posait un risque indu pour les enfants.

Je peux vous expliquer les critères quant à la nature de la définition de pornographie et au moyen de défense. Je ne peux pas deviner ce qu'un tribunal ferait dans un cas donné. N'oublions pas que tout cela se situe dans le contexte de l'alinéa 2b) de la Charte — une protection générale de la liberté d'expression, telle que reflétée dans notre jurisprudence. Ce serait la méthode contextuelle à cet égard.

La présidente : Monsieur le ministre, je sais que vous devez nous quitter maintenant, et je vous remercie beaucoup de votre présence ici aujourd'hui.

M. Cotler : De rien. Mes fonctionnaires peuvent rester là. Il se peut que vous gagniez au change, que vous obteniez de plus amples et de meilleurs renseignements d'elles que de moi.

Le sénateur Pearson : J'ai maintenant une définition de pornographie juvénile, mais dans ce cas, qu'est-ce qui est un risque et qu'est-ce qui est un risque indu? Les tribunaux vont peut-être le définir un jour.

Mme Morency : Le projet de loi C-2 s'appuie en grande partie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sharpe et, dans cet arrêt, la Cour suprême a eu l'occasion d'examiner le régime existant en matière de pornographie juvénile. Dans ce contexte, elle s'est penchée sur chaque élément de l'infraction actuelle, sur chaque élément du moyen de défense et sur tous les termes, et elle a donné de très amples conseils sur l'interprétation de ces termes-là, y compris du risque indu pour les enfants.

Comme le comité le sait peut-être, la Cour suprême, en maintenant l'infraction de possession de pornographie juvénile, a exclu de cette infraction limitée les œuvres issues de l'imagination qui sont créées par des personnes pour leur propre usage exclusif et qui ne sont montrées à personne, au motif qu'elles ne suscitent pas une crainte raisonnée qu'un préjudice ne soit causé. La Cour en est venue à cette conclusion en se fondant sur la preuve au dossier sur les façons dont les pornographes utilisent la pornographie juvénile. La Cour a tenu compte de tous les éléments de preuve, y compris une preuve portant que la pornographie juvénile sert à alimenter des fantasmes qui pourraient inciter à commettre une infraction de nature sexuelle avec contact, qu'elle favorise la distorsion cognitive, qu'elle peut servir à initier et à séduire des victimes, et que dans bon nombre de cas, de vrais enfants sont utilisés pour produire la pornographie juvénile.

Dans ce contexte, la Cour a dit que ce genre d'écrits suscitent une crainte raisonnée qu'un préjudice soit causé à des enfants, exception faite de ce que je viens de décrire — les œuvres issues de l'imagination qui sont réservées à un usage personnel.

Le projet de loi C-2 serait interprété à la lumière de cette interprétation et compréhension très complètes. C'est l'origine du critère à deux volets. À l'heure actuelle, en vertu du moyen de défense fondé sur la valeur artistique, encore une fois, selon l'interprétation de la Cour suprême, toute valeur artistique, si minime soit-elle, suffit à fonder le moyen de défense.

Le projet de loi C-2 prévoit les deux étapes : le but légitime lié à l'un des domaines énumérés et l'analyse.

Le sénateur Joyal : Les choses sont donc laissées en bonne partie à l'interprétation des tribunaux. Nous sommes tous d'accord avec le but légitime de ce projet de loi, notamment la lutte contre la pornographie et l'exploitation des enfants. Cependant, il faut s'inquiéter lorsqu'on modifie les limites et qu'on les pousse dans une zone grise puisqu'on laisse beaucoup de place à l'interprétation des tribunaux. J'estime que les Canadiens ont le droit de savoir ce qui est permis et ce qui ne l'est pas dans notre société.

L'article 7, qui modifierait le paragraphe 163.1(1) du Code, prévoit que :

toute représentation ou tout enregistrement sonore qui préconise ou conseille une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de 18 ans constituerait une infraction à la présente loi.

La simple possession d'un tableau représentant un adulte avec un enfant ou d'un film représentant un adulte ayant des rapports sexuels avec un enfant ou préconisant de tels rapports sexuels constitue une infraction en vertu de ce projet de loi. Le projet de loi prévoit des moyens de défense, et ces moyens de défense doivent aussi être très clairs. Sinon, plutôt que de lutter contre la pornographie, chose avec laquelle je suis tout à fait d'accord, nous allons créer davantage de problèmes.

L'arrêt Sharpe a au moins clairement établi ce qui était permis et ce qui ne l'était pas. Ce projet de loi vient ajouter des incertitudes, et il faut être très conscient de ce que l'on fait.

Mme Morency : Le projet de loi C-2 s'appuie sur ce que prévoit déjà le Code criminel, qui comprend deux groupes de moyens de défense. Nous avons déjà un moyen de défense fondé sur le bien public dans les cas de pornographie juvénile, et ce moyen de défense est incorporé par renvoi à la disposition portant sur l'obscénité. L'administration de la justice, la science, l'éducation, la médecine, les arts, et cetera, sont incorporés par renvoi. En outre, un moyen de défense précis se retrouve au sein même des dispositions portant sur la pornographie juvénile lorsque l'écrit a un valeur artistique ou un but éducatif, scientifique ou médical.

En combinant les deux, le projet de loi C-2 en condense l'essentiel dans un critère simplifié à deux volets. Le moyen de défense fondé sur le bien public en matière de pornographie juvénile, qui existe déjà dans le Code criminel et qui figurait dans le projet de loi antérieur au C-2, proposait seulement le moyen de défense fondé sur le bien public avec un critère semblable à deux volets, fondé sur le préjudice. Or, même si le projet de loi avait été adopté à la Chambre des communes, il y a eu un débat public à propos de la pornographie juvénile l'été dernier. Il y avait de l'incertitude quant à savoir ce qu'on entend par bien public et comment traiter de la question dans le contexte de la pornographie juvénile.

Pour ce qui est de la façon de traiter la question, comme le ministre l'a expliqué, le projet de loi C-2 propose un critère unique. Il ressemble à l'ancienne approche à deux volets, fondée sur le préjudice, mais il est plus clair et reflète davantage ce dont la Cour suprême parlait dans l'arrêt Sharpe. En effet, il s'inspire des moyens de défense déjà prévus au Code criminel.

Notre définition actuelle de pornographie juvénile est relativement générale, en ce sens qu'elle englobe les images qui représentent l'exploitation tant d'un enfant réel que d'un enfant virtuel. Nos voisins aux États-Unis n'ont pas une définition générale semblable de la pornographie juvénile. C'est l'une des choses qui caractérise notre loi et la rend plus robuste et plus efficace. Comme l'a dit la Cour suprême dans l'arrêt Sharpe, de nos jours, avec ces images créées par ordinateur, comment distinguer entre une image créée par ordinateur et une vraie image?

Je sais que l'Association canadienne des chefs de police sera là demain, mais ce que nous avons entendu d'un point de vue pratique, c'est que ce genre de cas ne met pas la police dans un dilemme. Elle se penche sur la saisie d'éléments de preuve, quel que soit le nombre d'images saisies. Il n'y a pas de débat quant à savoir si les images constituent de l'art. Dans les rares cas où on tombe sur un écrit qui constitue de la pornographie juvénile, c'est dans le contexte d'une saisie beaucoup plus grande qui permet facilement de justifier des accusations de pornographie juvénile.

Quant aux exemples précis donnés, est-ce que l'oeuvre en question respecte la définition? En renforçant le Code criminel actuel, le projet de loi C-2 propose une définition plus large pour un écrit. On garde la même définition que nous avons à l'heure actuelle, « qui préconise ou conseille ». Le projet de loi C-2 propose une définition supplémentaire pour un écrit. Le tribunal devrait se servir de la même grille d'analyse que lorsqu'il évalue d'autres matériaux : est-ce que l'on respecte le critère de la définition? Dans l'exemple donné, il serait difficile de respecter le critère selon lequel les œuvres étaient écrites à des fins d'ordre sexuel ou que la caractéristique dominante est la description, à des fins d'ordre sexuel, d'une activité sexuelle illicite. Les termes « à des fins d'ordre sexuel » et « caractéristique dominante » ont une signification claire selon l'interprétation de la Cour suprême.

Est-il vrai que lorsqu'on change, renforce ou modifie une loi, il peut y avoir une incidence? Il va sans dire qu'il sera toujours nécessaire d'examiner la loi, de l'interpréter, de l'appliquer et de la mettre en œuvre. En se fondant sur l'analyse de la Cour suprême, comme le fait le projet de loi C-2, on a une base très solide à partir de laquelle on peut travailler afin de renforcer les objectifs du projet de loi pour s'assurer qu'en pratique, on met en œuvre les objectifs de la mesure proposée.

Le sénateur Pearson : Quelqu'un qui lit Lolita à Téhéran aura du mal à dire que c'est pour le bien public.

Je suis satisfaite. Vous avez expliqué clairement ce qui constitue de la pornographie juvénile, et je crois que cela a été très utile. Ce n'est toujours pas clair pour bien des gens.

Je peux comprendre pourquoi les policiers n'auraient aucune difficulté à faire la différence entre la photo d'un bébé qui joue dans la baignoire et la pornographie juvénile. La différence est énorme.

Mme Morency : Même à ce sujet-là, la Cour suprême a déclaré que ces genres de photos dans une baignoire ne sont pas couvertes, car elles ne répondent pas aux critères de la définition de base des dispositions de la pornographie juvénile dont nous discutons. Cela étant dit, dans un autre contexte, il est possible — et la Cour le dit — que tandis que ces mêmes photos ne constituent pas en soi de la pornographie juvénile, on pourrait tirer une autre conclusion dans une situation précise, si on saisissait toutes sortes de matériaux recueillis à d'autres fins.

Encore une fois, la décision de la Cour suprême dit très clairement que ce n'est pas ce qui est couvert lorsqu'on parle d'activité sexuelle explicite. Cela fait partie de la définition actuelle dans le Code criminel.

Le sénateur Pearson : L'écrit doit être explicite, interdit et d'ordre sexuel.

J'ai une question sur le voyeurisme. Compte tenu des changements technologiques, nous savons qu'il y a des enfants qui se servent d'un téléphone cellulaire pour prendre des photos de leurs amis dans la salle de bain, et cetera, et que parfois ces photos sont mal utilisées. C'est une évolution intéressante, quelque chose que je n'aurais jamais envisagé.

Avant que la Loi sur le divorce soit modifiée, les gens essayaient de photographier et de prendre des individus « en flagrant délit ». Je présume que ce genre d'activités serait maintenant couvert par la disposition sur le voyeurisme, n'est-ce pas?

Mme Lisette Lafontaine, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : C'est exact; on ne parle plus du in flagrante delicto en vertu de la loi sur le voyeurisme.

Le sénateur Pearson : C'est un changement intéressant quant à notre façon de voir les choses. Si une femme retenait les services d'un détective privé pour faire enquête sur son mari, le détective privé commettrait une infraction s'il prenait une photo, n'est-ce pas?

Mme Lafontaine : S'il le faisait d'une façon qui répond à la définition de l'infraction, oui. Le voyeurisme ne comprend pas uniquement le voyeurisme à des fins d'ordre sexuel. Il s'agirait de toutes sortes de violations du caractère privé des activités sexuelles de quelqu'un. Que la photo soit prise pour obtenir des preuves d'adultère, pour faire du chantage, ou pour faire une blague, c'est toujours couvert par l'infraction.

Le sénateur Pearson : J'approuve l'ajout de ces nouvelles infractions au Code.

Le sénateur Joyal : Est-ce juste pour nous donner bonne conscience compte tenu du fait que la plupart de la pornographie aujourd'hui est sur Internet et que c'est là où en on fait la promotion? L'intention de ce projet de loi est bonne. Cependant, en termes pratiques, étant donné les trous dans les mailles du filet, nous n'attraperons pas beaucoup de poissons une fois que cette loi sera mise en œuvre. Notre capacité de lutter contre la pornographie est limitée par la réalité de la technologie actuelle.

Mme Morency : Je pense que vous aurez des commentaires à ce sujet demain, de la part de l'Association canadienne des chefs de police. J'aborderai la question sous un autre angle. La technologie nous oblige à réexaminer la façon dont les lois tiennent compte des moyens utilisés pour commettre ces infractions.

Le comité se rappellera du projet de loi C-15A de 2002, qui a modifié le Code criminel pour mieux tenir compte de l'utilisation de la technologie pour rendre disponible la pornographie juvénile sur Internet. Grâce à la force de nos interdictions en matière de pornographie juvénile, la loi tient compte de l'utilisation de ces technologies dans ces cas-ci.

Est-ce que le projet de loi C-2 ajoute quelque chose à ces interdictions? Je dirais que oui. Par exemple, il y a l'élargissement de la définition proposée pour couvrir les formats audio. Nous sommes satisfaits de ce changement, car il nous permettra de mieux tenir compte des situations où la police nous dit qu'elle n'a trouvé que des formats audio lors d'une opération de saisie. Souvent les matériaux sont en format audiovisuel, mais parfois le format est uniquement audio. Cela nous aide, surtout lorsqu'on pense aux nouvelles technologies.

La définition proposée de pornographie juvénile écrite peut aussi être utile pour nous, par exemple, dans les cybersalons. Je ne prétends pas être une experte technologique, mais dans des cybersalons où il y a un échange de textes écrits entre personnes, c'est souvent et rapidement à des fins d'ordre sexuel. Nous envisageons la possibilité de tenir compte de cela et d'utiliser la nouvelle définition pour couvrir ce genre d'échange, ainsi que des écrits qui sont autrement offerts — c'est-à-dire des histoires d'abus sexuels d'enfants.

Une affaire était récemment devant la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. Beattie, et je crois qu'il y aura un appel bientôt. Si ce n'est pas déjà fait, on demandera l'autorisation de faire appel sous peu. La personne en question avait écrit des histoires qui semblaient être, selon la décision, semblables à ce que nous avons vu dans l'affaire Sharpe, quoique l'individu les avait écrites ou les possédait à d'autres fins, je crois. Dans ce cas-là, la Cour a statué que les écrits tombaient sous le coup de la définition actuelle d'écrits à des fins de pornographie juvénile. Qu'il y ait un appel ou non, la nouvelle définition d'écrits à des fins de pornographie juvénile nous permettra de mieux tenir compte des choses qui se passent à l'heure actuelle.

Certainement, les critères portant sur le moyen de défense, la précision, la restriction, le raffermissement et la clarté nous seront utiles. Faut-il en faire plus? L'ACCP parlera sans doute demain de certaines grandes initiatives lancées par le gouvernement fédéral en vue d'élaborer une stratégie nationale pour protéger les enfants contre l'exploitation sexuelle en direct, sous la direction de la vice-première ministre, ainsi que de récentes initiatives entre la police, les fournisseurs d'accès Internet et le gouvernement visant à mieux traiter des questions de mise en œuvre et d'application. Il faut certainement faire plus. Cependant, d'un point de vue législatif, le projet de loi C-2 renforce un cadre solide et nous permettra d'aller plus loin avec l'étape suivante, c'est-à-dire la mise en œuvre dans la pratique.

[Français]

La présidente : Merci beaucoup pour vos interventions. Je pense que nous avons eu une bonne séance de travail aujourd'hui afin de connaître davantage les tenants et les aboutissants de ce projet de loi.

[Traduction]

Nous allons ajourner la séance jusqu'à demain.

Le sénateur Joyal : Qui sont nos témoins demain?

La présidente : Demain, nous avons trois représentants de l'Association canadienne des chefs de police.

La séance est levée.


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