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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 6 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 7 mars 2005

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 13 h 30, pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.

L'honorable Eymard G. Corbin (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Pour débuter, nous passerons à l'adoption du budget spécial dont vous avez pris connaissance lors d'une réunion à huis clos. Je suis prêt à recevoir une motion pour l'adoption du budget.

Le sénateur Comeau : Je propose que nous adoptions le budget.

Le président : Il est proposé par le sénateur Comeau que la demande d'autorisation du budget pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2006 soit adoptée. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter cette motion?

Des voix : Oui.

Le président : La motion est adoptée.

Nous passons maintenant aux témoignages. Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Denise Moulun- Pasek, présidente de l'Alliance des responsables, des enseignantes et des enseignants en français langue maternelle. Elle est accompagnée de Mme Lise Charland, directrice générale.

Madame Moulun-Pasek, nous vous remercions de votre présence. Je vous demanderais de bien vouloir vous présenter, nous dire d'où vous venez et nous exposer les objectifs et préoccupations de votre organisme.

Mme Denise Moulun-Pasek, présidente, Alliance canadienne des responsables, des enseignantes et des enseignants en français langue maternelle (ACREF) : Je suis Franco-Albertaine de naissance, de la région de Rivière-la-Paix, née d'un père canadien de première génération. Moulun est un nom français de la région de Champagne. Ma mère, Québécoise de naissance, est venue s'établir dans l'Ouest pendant la disette.

Je suis mariée, j'ai deux enfants et je travaille comme conseillère pédagogique au niveau secondaire pour le Conseil scolaire Centre-Nord, à Edmonton, le plus grand conseil scolaire francophone en Alberta.

J'ai travaillé pendant 16 ans à la formation des maîtres, à la faculté Saint-Jean, pour l'enseignement en français et en immersion. Auparavant, j'ai enseigné à l'École secondaire bilingue JH Picard, avant l'arrivée d'une première école francophone en Alberta. Je n'ai donc jamais eu l'occasion d'enseigner à des francophones dans une école purement francophone. Toutefois, en tant que parent, je me suis jointe au groupe de personnes qui se sont débattues dans le but d'obtenir des écoles francophones en Alberta. En effet, j'ai été présidente du comité de parents qui a ouvert la première école franco-albertaine à Saint-Albert, en banlieue d'Edmonton. L'ouverture de cette première école a eu lieu l'an dernier après un long processus. Auparavant, nous occupions 44 p. 100 des locaux du Conseil scolaire public de Saint- Albert. Nous avons enseigné dans ces locaux de la maternelle à la sixième année et ce sans gymnase.

Je fais partie du conseil d'administration de l'ACREF depuis huit ans et demi et j'en suis à ma deuxième année en tant que présidente. C'est vraiment un honneur pour moi, avant de quitter l'ACREF, de venir vous parler au nom des enseignants des écoles francophones en Alberta.

Au cours de mes huit années et demie au sein de cet organisme, j'ai eu l'occasion à maintes reprises de m'entretenir avec des enseignants d'un peu partout au Canada, dans des congrès où j'ai tenu des ateliers pour les enseignants du niveau secondaire.

J'aimerais vous remercier de nous avoir invités dans le cadre de votre étude sur l'éducation dans la langue de la minorité.

L'ACREF est une association à but non lucratif dont la mission s'insère dans les objectifs de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'alliance oeuvre en contribuant à repousser l'assimilation par la valeur ajoutée du développement de la pédagogie, de la formation et de l'appui pédagogique en milieu francophone minoritaire au Canada.

L'ACREF est un organisme francophone dont le mandat national est fixé par un palier décisionnel majoritairement élu par ses membres. Les membres votant sont des pédagogues œuvrant dans le domaine de l'éducation. Ce sont des responsables du système scolaire. On compte parmi eux, par exemple, du personnel de direction, du personnel de services d'appui pédagogique ainsi que des enseignants qui oeuvrent dans nos 31 conseils scolaires francophones.

Les activités de l'ACREF s'effectuent dans les trois grandes régions du pays où vivent les minorités francophones, soit la région de l'Ouest et des Territoires, celle de l'Ontario et celle de l'Atlantique. Les membres de l'ACREF viennent de ces trois grandes régions. Son créneau unique, centré sur l'apprentissage et l'enseignement, contribue au développement des milieux éducatifs et, par extension, des communautés francophones minoritaires partout au Canada.

Nos propos aujourd'hui se concentreront sur certains éléments de la deuxième question dans le cadre de votre étude, soit la question des études primaires et secondaires et du programme de langues officielles dans l'enseignement. Néanmoins, toute question que vous poserez nous intéresse, et leur réponse a un rôle énorme dans la réussite en éducation des élèves francophones dans leurs communautés. Notons par exemple qu'il est urgent de rattacher aux écoles francophones des services de garde et d'éducation pour les plus jeunes. Des services de haute qualité en français, disponibles et accessibles pour l'ensemble de notre population en milieu minoritaire, favoriseraient un rendement académique égal, s'insérant dans les normes de la majorité canadienne.

Des programmes de la petite enfance, spécifiques aux francophones, financés en fonction de résultats à long terme représentent un investissement dans le capital humain pour tous les Canadiens. Pour soutenir la dualité linguistique, ces programmes conçus sur mesure pour la minorité francophone constituent un élément de survie linguistique. Ces services sont essentiels afin de permettre aux élèves de se préparer à un apprentissage réussi et continu en français. Plusieurs recherches confirment que les développements critiques du cerveau s'effectuent avant l'âge de six ans. Les défis que rencontreront les jeunes francophones face à l'assimilation linguistique en milieu minoritaire exigent que des programmes d'avant-garde soient mis sur pied et que l'on fasse un suivi sérieux du progrès pour favoriser le plein épanouissement de ces jeunes en tant que francophones.

Mais, en général, ces programmes n'existent pas, et plusieurs enfants se voient commencer l'école sans être prêts à apprendre en français. L'apprentissage, en vertu des programmes existants, est plus difficile pour ces enfants de minorité francophone, tel qu'en témoignent les piètres résultats qu'ont obtenus ces élèves lors des tests internationaux.

De nombreux recours juridiques furent nécessaires pour finalement permettre à l'éducation francophone de se développer. Pour lutter contre l'assimilation et assurer un rendement scolaire égal en français à celui de la majorité, les jeunes enfants doivent être exposés à des services en français afin de maintenir l'usage de leur langue.

Sans entrer dans un long débat sur les besoins d'avoir une vision sur le développement dans l'éducation postsecondaire, nous posons la question suivante. N'est-il pas normal d'aspirer à la réussite scolaire en fonction d'un accès éventuel et abordable à une institution collégiale ou universitaire en français? Justice sera-t-elle exercée cette fois sans recours aux tribunaux?

Revenons à la question qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui, celle des études primaires et secondaires, et du programme de langues officielles dans l'enseignement.

Des négociations sont en cours avec le ministère du Patrimoine canadien qui auront des répercussions à long terme. Les ententes fédérales, provinciales et territoriales sur l'enseignement dans la langue de la minorité doivent reconnaître le besoin urgent de formation initiale et continue, adaptée pour le personnel œuvrant en milieu minoritaire. La formation spécifique au personnel de notre milieu est rare. Sur ce point, l'ACREF tient un congrès à tous les deux ans. Le personnel enseignant reçoit peu ou pas de formation. La formation reçue est souvent décousue et rarement adaptée aux besoins de l'enseignant en milieu minoritaire.

Il est grand temps que l'on porte un regard critique d'envergure sur les programmes et stratégies d'enseignement et sur l'apprentissage en milieu minoritaire. En collaboration avec les conseils scolaires, une association de pédagogues œuvrant dans le milieu est bien placée peut soutenir l'évolution de la pédagogie et l'amélioration du rendement.

L'ACREF n'a pas d'ambition politique. Par conséquent, elle n'a pas à répondre à d'autres instances que celle de ses membres pédagogues en milieu minoritaire. Sa démarche et sa capacité d'agir tiennent aux subventions à la programmation et aux projets qu'elle reçoit. Les sommes reçues, principalement de Patrimoine canadien, sont minimes par rapport aux besoins existant. Toutefois, les investissements vont toujours très loin grâce au précieux bénévolat de ses membres. Néanmoins, il faudrait un appui financier plus important et ce rapidement.

L'amélioration des résultats de ces élèves en milieu minoritaire est une cause que nous devons soutenir ensemble. Nous disposons enfin de structures scolaires nous permettant de s'organiser. Il est urgent que l'on soutienne politiquement et financièrement la formation nationale du personnel des écoles en milieu minoritaire, sans quoi les efforts de recrutement et de rétention des élèves seront vains. Le personnel, provenant souvent de l'extérieur, ne saura comment garder les élèves à l'école. Il ne saura comment les accueillir, leur donner un sentiment d'appartenance pour que ces jeunes apprennent en tant que francophones dans les meilleures conditions possibles. Il ne pourra donc justifier le choix des parents d'inscrire leurs enfants dans une école de langue française.

Il faut que Patrimoine canadien soutienne un mouvement d'amélioration de la pédagogie en milieu minoritaire. À court d'emploi, si la formation n'est pas retenue comme essentielle à l'épanouissement de la communauté francophone, le beau projet national et le bel espoir de réussite auxquels aspire le gouvernement et le milieu pour la dualité linguistique canadienne fondra en désillusion. Pour que toutes et tous gardent confiance dans le système, il faut viser concrètement l'amélioration du rendement des élèves. On doit être capable de mesurer les améliorations non seulement du rendement, mais au niveau de la réussite scolaire.

Les possibilités de travailler ensemble entre provinces se multiplient depuis que nous avons la gestion scolaire. Le temps est maintenant venu de créer un mouvement national pour la réussite scolaire à partir d'un investissement important de fonds fédéraux pour la formation de nos pédagogues.

Plusieurs défis entourent l'accès à un personnel enseignant qualifié et se posent en matière de formation des pédagogues. Le plus grand défi est d'offrir un personnel accueillant et compétent pour que les conseils scolaires puissent répondre aux attentes de leurs communautés francophones. Autre défi auquel nous devons faire face est le niveau de succès des efforts de recrutement et de rétention des élèves. Des stratégies innovatrices devront être déployées pour attirer et garder le personnel.

La Fédération canadienne des enseignants a sans doute porté à votre attention la pénurie d'enseignants que l'on prévoit, la détérioration des conditions de travail et la lourdeur des tâches en milieu minoritaire. Le défi de l'heure est de garder le personnel que l'on a pu intéresser.

Pour l'ACREF, le grand défi à relever est la formation du personnel dans la spécificité des tâches en milieu minoritaire. Les maisons de formation n'arrivent pas à former de nouveaux enseignants prêts à assumer les tâches pour suffire aux exigences de la profession en milieu minoritaire. L'enseignement est une discipline qui ne s'acquiert pas du jour au lendemain. Il faut comprendre les fondements de l'apprentissage des divers groupes d'âges. Il faut pratiquer ces notions et le faire en milieu minoritaire. Les connaissances nécessaires sont nombreuses.

L'ACREF, sous la direction du professeur Benoît Cazabon, a fait une étude pour examiner les besoins des futurs enseignants. Cette étude a mené à la proposition d'un programme de bourse afin de permettre d'offrir aux futurs enseignants une formation supplémentaire pour faire face à la réalité dans nos écoles.

Grâce à une petite subvention du ministère de l'Éducation de l'Ontario, nous sommes en train d'élaborer un guide pédagogique de formation pour offrir un programme préparatoire aux futurs enseignants et enseignantes dans les écoles de langue française. Nous espérons développer un cours pour l'ensemble de nos futurs enseignants. Voilà donc une réponse possible. Toutefois, le développement et la mise en œuvre nationale d'un tel projet nécessitent des fonds fédéraux.

Malheureusement, les enseignants et les enseignantes en milieu minoritaire se sentent, dans leurs écoles, seuls, épuisés, découragés et socialement isolés, car certains sont surpris ou ne comprennent pas la réalité du milieu. Pour maintenir l'évolution actuelle nous devons recruter à l'extérieur. La planification de la formation à l'échelle nationale est chose possible. Sa mise en œuvre doit se soumettre à un suivi serré, car l'ensemble du personnel enseignant œuvrant en milieu francophone minoritaire n'est pas très grand. Cette formation au niveau national contribuerait au sentiment d'appartenance à la profession en milieu minoritaire et ajouterait à la formation minoritaire canadienne. Cette démarche représenterait un gain énorme pour la rétention du personnel à court et à long terme.

Il est possible de soutenir un plan qui valorise les experts en pédagogie et qui mette à contribution l'expérience des pédagogues de diverses disciplines à l'échelle pancanadienne. Un programme de formation basé sur l'échange et la réflexion entre les professionnels chevronnés est réalisable à court terme. La recherche aux États-Unis précise de plus en plus certaines stratégies qui améliorent l'apprentissage. S'agit-il de stratégies applicables en milieu minoritaire? De quelle façon pourraient-elles être adaptées?

La formation des pédagogues est au cœur de la démarche de l'ACREF. L'alliance croit pouvoir jouer un rôle de coordination pour assurer une évolution des stratégies d'enseignement en milieu minoritaire.

Avec la consolidation de la gestion des conseils scolaires, il est enfin possible de planifier la recherche et le soutien à savoir comment enseigner efficacement en milieu minoritaire. Le milieu éducatif a la maturité pour se pencher sur cette nouvelle priorité. Tous et toutes s'entendent à dire que l'avancement de la pédagogie améliore les chances de réussite scolaire en milieu minoritaire. Comment faire en sorte que les élèves apprennent en français, alors qu'ils baignent dans un milieu familial et communautaire anglais? La question est entière, et la quête d'une réponse l'est tout autant. Mais le milieu est motivé et motivant.

Depuis de nombreuses années, l'ACREF pratique une approche éprouvée qui se résume par la phrase : « je fais, donc j'apprends ». Cette approche vise l'application authentique du savoir, l'interaction directe de l'apprenant avec son milieu.

Elle permet le respect des rythmes et des styles de chacun. Elle est tirée d'une philosophie de l'apprentissage proposée par Vygotsky qui dit qu'il n'y a de véritable apprentissage que celui qui est pleinement vécu. Selon la théorie de Vygotsky, la conduite et les aptitudes cognitives et sociales ne peuvent se développer à l'extérieur d'un contexte d'interaction sociale, car celles-ci fournissent la motivation, le contenu et la forme de l'apprentissage. Le développement intellectuel s'incarne dans le milieu de vie. En d'autres mots, l'apprentissage doit se faire en fonction de la réalité de tous les jours.

L'école en minorité doit donc être un lieu dans lequel les professionnels de l'éducation enseignent des programmes pertinents et exigeants qui motivent les élèves et leur permettent de créer des liens avec leur vécu et leurs aspirations. Les élèves motivés par leur apprentissage ont besoin de personnes à qui s'identifier dans l'école francophone. La qualité de la personne enseignante est une motivation en soi.

Nous cherchons pour nos écoles des adultes convaincus de la valeur des élèves se trouvant devant eux. Nous cherchons des adultes connaissants, convaincus et aptes à interpeller les apprenants sur les défis qu'ils rencontrent dans le milieu familial et communautaire. Nous recherchons des pédagogues en réflexion et en dialogue sur la pratique des stratégies efficaces spécifiques au milieu minoritaire; des pédagogues dont le but est de développer l'image positive de l'élève comme apprenant, appartenant à sa communauté et capable de valoriser la dualité linguistique canadienne.

Sommes-nous trop exigeants? Devrions-nous nous contenter de moins? L'élève doit être engagé dans un cheminement de projets scolaires individuels lui permettant de développer sa capacité d'agir. Pour ce faire, l'enseignant doit se sentir capable de faire une différence considérable chez l'élève et dans sa profession.

L'ACREF est d'avis qu'il faut absolument former le personnel enseignant en milieu minoritaire. Il faut entretenir un réseau national. L'enseignant doit être impliqué et son apport doit être valorisé pour l'amélioration du rendement des élèves et pour la réussite scolaire de la francophonie minoritaire.

Le président : Nous vous remercions, Madame, pour cette présentation. Nous passerons maintenant à la période des questions.

Le sénateur Comeau : J'aimerais en savoir un peu plus sur votre organisme. Qui sont vos représentants? Je suppose que vous avez un bureau de direction?

Mme Moulun-Pasek : Nous avons un conseil d'administration constitué essentiellement de représentants par région et non par province.

Le sénateur Comeau : Considérons une région comme l'Atlantique, par exemple. Ses besoins sont très différents de ceux d'une autre province.

Mme Moulun-Pasek : Oui.

Le sénateur Comeau : Un représentant de la Nouvelle-Écosse risque de ne pas connaître les réalités du Nouveau- Brunswick, par exemple. Avez-vous pris ce facteur en considération?

Mme Moulun-Pasek : Il se trouve que cette année nous avons des représentants de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau- Brunswick et de l'Île-du-Prince-Édouard. La province de Terre-Neuve, pour la première fois depuis huit ans, n'est pas représentée.

Le sénateur Comeau : Vous avez donc pris ce facteur en considération. Ce n'est pas que l'on soit jaloux les uns des autres, mais il s'agit de réalités très différentes.

Mme Moulun-Pasek : Absolument.

Le sénateur Comeau : Vos représentants sont des enseignants?

Mme Moulun-Pasek : Les représentants sont surtout des enseignants et des conseillers pédagogiques. Nous avons eu par le passé la direction d'une d'école à titre de représentants.

Le sénateur Comeau : Vous avez donc, parmi vos représentants, des responsables. Qui finance votre groupe?

Mme Lise Charland, directrice générale, Alliance canadienne des responsables, des enseignantes et des enseignants en français langue maternelle : Premièrement, l'alliance est composé de membres à titre individuels. Chaque pédagogue, quel que soit son poste dans nos écoles de langue française, s'inscrit individuellement et doit verser des frais d'adhésion de 20 $ pour deux ans. Il ne s'agit pas là d'une somme très importante, mais d'une simple contribution de la part de chacun.

Nous obtenons également un soutien du ministère du Patrimoine canadien pour la programmation. Il ne s'agit pas non plus de grosses sommes, si on compare aux autres associations, mais ce soutien nous a permis de survivre. Nous avons également quelques projets qui nous apportent des bénéfices pour l'administration.

Bref, ces sommes nous ont permis de nous tailler une place, de grandir et de se pencher sur les éléments nécessaires afin d'avoir une meilleure pédagogie et un enseignement de qualité. Nous jouissons maintenant d'une certaine maturité en la matière qui nous guide pour accomplir d'avantage ensemble. Toutefois, ce dont nous disposons ne suffit plus.

Le sénateur Comeau : Votre siège social est situé à Ottawa?

Mme Charland : Oui. Il est situé au Centre Franco-ontarien, 435, rue Donald, à Ottawa.

Le sénateur Comeau : Avez-vous l'occasion de rencontrer vos représentants de chaque région une fois par an?

Mme Moulun-Pasek : Ces dernières années nous les avons rencontrés deux fois par an.

Le sénateur Comeau : Depuis combien d'années votre organisme existe-t-il?

Mme Moulun-Pasek : L'ACREF existe depuis 13 ans.

Le sénateur Comeau : Avez-vous identifié des institutions d'enseignement postsecondaire où vos pédagogues pourraient recevoir un cours de pédagogie qui répondraient aux besoins des communautés minoritaires?

Mme Moulun-Pasek : Je peux répondre en partie à cette question, ayant travaillé à la faculté Saint-Jean pendant 16 ans, et n'ayant quitté que depuis deux ans. À mon arrivée, la faculté offrait alors quatre cours spécifiquement pour les francophones, dans le cadre de son programme de bachelier en éducation : un cours en psychologie de l'éducation pour les francophones; un cours de fondement intitulé « L'école francophone »; un cours de curriculum et de méthodologie; et le quatrième cours m'échappe. Aujourd'hui il n'en existe plus que deux.

Le sénateur Comeau : Vous êtes donc en contact avec toutes les institutions à travers le Canada, à Sudbury comme à Moncton?

Mme Moulun-Pasek : En effet. D'ailleurs, à Moncton, au moins un cours est offert.

Le sénateur Comeau : Je crois qu'il existe également un programme à l'Université Sainte-Anne qui répondrait un peu à vos exigences. Toutefois, je ne suis pas sûr qu'il touche en particulier la question concernant l'enseignement dans les communautés.

Mme Moulun-Pasek : En règle générale, les cours existants ne suffisent pas.

Le sénateur Comeau : J'aimerais attirer votre attention sur une question que vous avez soulevée dans votre présentation, soit celle de l'enseignement à la petite enfance. Il fut annoncé la semaine dernière qu'un budget de cinq milliards de dollars serait réparti sur cinq ans pour répondre aux besoins d'un enseignement de qualité à la petite enfance. Vous avez parlé d'accessibilité, de qualité et d'une foule d'autres besoins. Croyez-vous que ce nouveau budget de cinq milliards de dollars réparti sur cinq ans pourra de quelque façon répondre à ces besoins? Je parle au niveau national d'un système de garde tant pour les anglophones que pour les francophones.

Mme Charland : Je ne suis pas experte en finance, mais je crois qu'en posant la question, on a un peu la réponse.

Le sénateur Comeau : Je suis un de ces rares politiciens qui, parfois, posent des questions sans avoir la réponse. C'est le cas présentement.

Mme Charland : Il existe très peu de services spécifiquement conçus pour la francophonie. Là où il en existe, c'est parce que les conseils scolaires et les parents ont mis des programmes sur pied. Ces programmes sont souvent si coûteux que les parents ne peuvent se permettre d'en bénéficier.

Ces programmes et services à la petite enfance nous tiennent à cœur. En tant que pédagogues, nous accueillons à l'école les enfants âgés de quatre, cinq ou six ans. Dès leur arrivée ils doivent apprendre à écrire, à lire et à compter. Toutefois, ils ne sont pas aptes à le faire.

Le sénateur Comeau : Je suis tout à fait convaincu des bénéfices. Toutefois, la question que je vous pose est à savoir si ces propositions budgétaires, en termes de chiffres, répondront à vos besoins.

Mme Charland : Je ne peux répondre à cette question. Je siège sur un comité de recherche qui étudie la situation. La problématique que nous avons observée concerne les programmes.

Comme nous n'avons pas eu de services dans le passé, trouver un programme de qualité qui répondra aux besoins sera une tâche difficile. Il faudra innover et inventer un tel programme, car nous sommes très loin derrière les anglophones.

Le sénateur Comeau : Examinons tout de même ce chiffre. On pouvait lire dernièrement dans les journaux au sujet de ce nouveau programme de 5 milliards de dollars sur cinq ans qu'il s'agissait d'une contribution de près de 20 millions de dollars par an pour la Nouvelle-Écosse. Il est probable que les chiffres dépendent de la population. Est-ce que ces 20 millions de dollars, une fois répartis à travers la province de la Nouvelle-Écosse pour un programme de la petite enfance, répondront aux besoins que vous soulevez?

Mme Moulun-Pasek : Il faut penser à la création d'un programme et il faut du personnel formé. Pour enseigner la littératie à la petite enfance nous avons besoin de gens qualifiés.

À titre d'exemple, au Conseil scolaire Centre-Nord, pour la prématernelle, notre directeur général M. Henri Lemire, que vous avez peut-être connu dans un autre contexte, nous a demandé d'étudier la mise en place d'un programme de littératie pour la petite enfance de trois et quatre ans en classes préscolaires. Les enfants d'âge préscolaire fréquentent nos écoles et ils ne nous coûtent pas très cher. Nous leur prêtons un local et le reste des coûts sont défrayés par les parents. Lorsque vous commencez à former du personnel pour enseigner la littératie, les coûts augmentent considérablement. On parle d'enseignants on non d'éducateurs ou d'éducatrices à 14 $ ou 17 $ de l'heure.

Le sénateur Comeau : Rendre ce programme accessible à la population en général, peut entraîner plusieurs coûts. Si on tente de cibler les gens à faibles revenus vivant en régions rurales, il faut considérer mettre en place un système de transport.

Si ces 20 millions de dollars destinés à la Nouvelle-Écosse ne suffisent pas aux besoins, que sommes-nous donc en train de créer? S'agit-il seulement de quelques espaces, ou est-ce qu'on crée un programme véritable?

Mme Charland : Je vous dirais qu'il s'agit de 20 millions de dollars pour la Nouvelle-Écosse et de plusieurs milliards pour le reste du Canada. Néanmoins, c'est le début d'une solution attendue à une situation urgente. Ces moyens ne peuvent faire de tort. Ils nous permettrons certes de voir à la situation de plus près.

Pour les francophones en milieu minoritaire nous avons besoin d'un système qui s'apparente à certains autres pays. Par exemple, en France et en Belgique les jeunes enfants commencent très tôt dans le système scolaire, parfois même dès l'âge de deux ou trois ans, selon les besoins. Il faut que les jeunes aient la possibilité de faire de même ici de façon abordable pour qu'on puisse aspirer à des résultats comparables à ceux que l'on retrouve en milieu anglophone.

Notre situation est différente de celle des anglophones. Nous avons besoin de certains services pour préparer nos élèves à apprendre en français dans les autres programmes.

Le sénateur Comeau : Vous pourriez sans doute nous assister dans cette démarche. Vous avez accès à des données dont nous ne disposons pas ou qui nous sont plus difficiles d'accès. Il faudrait tenter d'arriver à des chiffres concrets en dollars. Vous avez une plus grande connaissance que la nôtre du nombre d'étudiants ou de jeunes qui seront impliqués et des coûts rattachés à la formation des enseignants.

Mme Charland : Il est possible d'obtenir ces données.

Le sénateur Comeau : Ces données nous aideraient à faire le point sur la situation. De prime abord, ce budget de 5 milliards de dollars sur cinq ans m'a paru énorme. Mais quand j'ai vu qu'il s'agissait de 20 millions de dollars pour une province spécifique, le chiffre a soudain pris une toute autre dimension. Un milliard de dollars est une somme difficile à visualiser. Il est plus facile de concevoir de 20 millions de dollars, car le montant est moindre. Il paraît d'autant moindre si on examine les objectifs que nous envisageons.

Mme Charland : Nous pourrons vous fournir ces données. D'ailleurs, la Commission nationale des parents dispose de telles données. Il suffira de les obtenir pour les communautés francophones.

Le sénateur Comeau : Il est préférable de se référer à des données précises.

Mme Moulun-Pasek : En effet, ce peut être utile afin d'affecter les dépenses au bon endroit.

Le sénateur Chaput : Compte-t-on parmi les membres de l'ACREF des enseignants des cégeps et collèges francophones du Canada?

Mme Moulun-Pasek : Oui. Si je ne m'abuse, nous avons des membres au Collège Boréal.

Mme Charland : Nos membres proviennent de toutes les institutions francophones. Nous avons également des professeurs d'université. Toutefois, nous n'avons pas de professeur de cégeps, car nos membres sont des communautés minoritaires. Il s'agit de pédagogues enseignant dans les écoles primaires, secondaires, collégiales et universitaires hors Québec.

Mme Moulun-Pasek : L'énoncé n'était peut-être pas clair car nous avons omis de mentionner qu'il s'agissait d'institutions hors Québec.

Le sénateur Chaput : Il en va de soi, car les langues officielles en situation minoritaire sont hors Québec.

Mme Charland : Nous travaillons toutefois de très près avec les professeurs de français du Québec. Néanmoins, notre situation est différente et les stratégies pour enseigner et réussir le sont aussi.

Le sénateur Chaput : Nous avons parlé ce matin, avec les autres témoins, de l'identité de l'élève francophone en situation minoritaire. Il fut question du lien entre la culture et la langue. On a mentionné l'importance de connaître son histoire, l'histoire canadienne mais aussi l'histoire et ses composantes régionales.

La formation des enseignants à l'éducation en situation minoritaire prend-elle en considération ces deux aspects?

Mme Moulun-Pasek : Étant familière avec le programme à la faculté Saint-Jean, je baserai ma réponse sur cette expérience. Le cours de fondement offert présentement s'intitule « L'école francophone. » J'ai suivi ce cours au niveau de la maîtrise, éventuellement, car il n'existait pas au tout début. Ce cours expose tous les fondements à savoir comment on est arrivés à avoir nos écoles. Il ne faut pas prendre cette sensibilisation pour acquise. Nous avons travaillé fort pour obtenir des résultats, et il faut savoir agir en conséquence.

Le sénateur Chaput : Est-il question des aspects culturel et artistique?

Mme Moulun-Pasek : Non, il n'en est pas question directement. Pour que l'individu s'épanouisse pleinement, la formation inclut l'aspect culture et folklore, puis l'aspect enseignement.

Prenons à titre d'exemple l'école secondaire Maurice-Lavallée. Dans cette école, on a mis sur pied, en collaboration avec le Centre de développement musical, des cours offerts en option. Cette initiative offre la possibilité aux jeunes de développer leur talent à l'aide de musiciens professionnels. L'école offre également certains cours en collaboration avec le théâtre local. Ces activités permettent aux jeunes de vivre leur culture et de se l'approprier.

Mme Charland : J'ai travaillé pendant trois ans à l'amélioration du rendement des élèves avec les enseignants et enseignantes d'écoles de langue française en l'Ontario. J'ai constaté une très grande difficulté chez ces enseignants dans leur façon d'agir en animation culturelle. Lorsqu'on observe l'activité culturelle dans les écoles d'Ottawa, on remarque qu'il existe plusieurs centres bouillonnant d'animation dans la communauté.

Toutefois, dès qu'on sort des grands centres où la vie francophone culturelle est très accessible, la culture repose en grande partie sur l'école. L'animation culturelle communautaire s'alimente en grande partie de l'école.

Les enseignantes et les enseignants doivent savoir animer la culture. Au départ, il faut savoir qui on est. Si on ne vient pas de la minorité, peut-on s'identifier à elle? À mon avis, chaque enseignant, par sa présence à l'école, joue un rôle d'animateur culturel. Par contre, ce rôle n'est pas enseigné et il faut le cultiver.

Mme Moulun-Pasek : Cette formation ne se fait pas de façon explicite.

Mme Charland : Non, et c'est ce que nous cherchons à développer. En milieu minoritaire, contrairement à l'enseignement dans les écoles anglophones, il faut offrir cette formation culturelle.

Le sénateur Chaput : Est-ce qu'on l'enseigne?

Mme Moulun-Pasek : Oui. Nous avons organisé à la faculté Saint-Jean des journées d'orientation pour les enseignants qui venaient de l'extérieur de l'Alberta afin de les sensibiliser à la situation francophone. Une personne venant du Nouveau-Brunswick ne connaît pas nécessairement la situation du milieu francophone en Alberta.

Mme Charland : Un projet pilote a débuté en Ontario dans lequel les enseignants peuvent vivre pendant trois jours un cheminement culturel. Cette initiative tient presque du miracle, car c'est la première fois que ces enseignants ont la chance de se pencher sur leur identité en tant que francophones. Après s'être prêté à cette réflexion, il est plus facile pour eux de faire l'exercice avec les élèves. Il faut toutefois s'arrêter et prendre le temps de faire cet exercice. Jusqu'à présent, seuls quelques groupes d'enseignants ont pu vivre cette expérience.

Le sénateur Léger : Vous avez dit qu'une formation spéciale était nécessaire pour enseigner en milieu minoritaire?

Mme Moulun-Pasek : Oui.

Le sénateur Léger : Vous avez également indiqué que la situation est différente pour un enseignant du Nouveau- Brunswick qui s'en va enseigner en Alberta. Quelle est la différence entre la situation en Nouvelle-Écosse et celle en Alberta?

Mme Moulun-Pasek : Elle est un peu semblable.

Le sénateur Léger : C'est bien ce que je pensais. La faiblesse se situerait plutôt du côté du Nouveau-Brunswick où la minorité est plus importante au sein de la majorité. Cette réalité comporte de grandes richesses mais également certains dangers. Les minorités transposées d'un milieu minoritaire à l'autre exigent-elles vraiment une formation spéciale?

Mme Moulun-Pasek : Les enseignants qui viennent du Québec sont un groupe distinct. Toutefois, ceux qui viennent d'ailleurs ont besoin d'être sensibilisés à la communauté dans laquelle ils enseignent. Un animateur culturel enseignant dans une école francophone doit forcément connaître la région dans laquelle il enseigne.

Le sénateur Léger : La culture est-elle si différente en Nouvelle-Écosse qu'en Alberta?

Mme Moulun-Pasek : Non. Pour les francophones minoritaires qui viennent enseigner dans d'autres régions minoritaires, une simple sensibilisation suffit. Toutefois, pour les gens du Québec il faut plus qu'une sensibilisation.

Mme Charland : En ce qui a trait au projet pilote dont il fut mention, il pourrait s'appliquer à l'ensemble des enseignants, qu'ils soient à Moncton, en Nouvelle-Écosse, en Alberta ou en Colombie-Britannique. La possibilité de bâtir une identité est un concept nouveau. Lorsqu'on veut aider un enfant à bâtir son identité au sein d'une dualité linguistique hors Québec, la personne qui accompagne l'enfant doit se poser certaines questions. Ces questions n'ont pas fait l'objet de réflexion car il s'agit d'un nouveau concept.

Le sénateur Léger : Avec l'immigration et les enfants qui viennent de partout, ce concept de bâtir l'identité s'appliquera sans doute. J'aimerais savoir en quoi l'identité minoritaire est différente de l'identité anglophone.

Mme Moulun-Pasek : Le concept d'identité, peu importe où on se trouve, est le même. La notion de minorité, quant à elle, est plus fragile. L'identité, dans un endroit où on désire altérer les effets de l'assimilation et s'assurer que les élèves apprendront activement en français, comporte une certaine particularité. Dans les milieux où il n'existe que peu de ressources, la responsabilité qu'a le pédagogue d'offrir à ses élèves l'occasion de s'épanouir en français est d'autant plus lourde.

Mme Charland : Il faut s'identifier à un groupe, à une communauté ou à des modèles. Pour un enseignant baignant dans un monde qui ne ressemble en rien à celui dans lequel il enseigne, la tâche est difficile. C'est pourquoi il est nécessaire d'investir davantage. Il faut que nos enseignants soient mieux formés et plus convaincus.

Il faut soutenir la communauté en entier. Il est plus facile de s'identifier au sein d'une communauté dont le statut linguistique politique et économique est fort. Le problème d'identité alors ne se pose pas.

Le sénateur Léger : Je suis d'accord avec la notion de degré d'identité, mais je ne crois pas que tous les anglophones au pays ont la même conviction. Par exemple, il existe des différences fondamentales entre ce qui est américain et ce qui est canadien. Au point de vue de la culture, la situation est très difficile pour une minorité, et je suis tout à fait d'accord qu'elles ont besoin de plus de ressources.

Mme Moulun-Pasek : En travaillant avec des élèves en milieu minoritaire, on remarque que la construction d'une identité francophone minoritaire est toutefois très canadienne.

Le sénateur Léger : J'aime beaucoup l'expression « bâtir une identité ».

Mme Moulun-Pasek : On bâtit cette identité au reflet de la réalité culturelle. Au Québec il est facile de bâtir une identité au reflet du français, car le français existe partout autour de soi. Toutefois, en milieu minoritaire, les professeurs enseignent leur identité.

Lorsque j'enseignais à l'université, j'ai demandé à mes étudiants les souvenirs qu'ils avaient gardés de ce qu'ils ont appris à l'école, de certains professeurs et de leur enseignement. J'ai noté les commentaires de mes étudiants, et le plus souvent ils me disaient que c'était surtout la façon d'être de l'enseignant qu'on a retenue. On enseigne ce qu'on est.

Le sénateur Léger : Je suis un peu de la vieille école. Mon identité fut tirée de mon père et de ma mère, car ils étaient mes racines. Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce ne sont pas seulement les parents qui sont la source d'identité.

Mme Charland : Aujourd'hui, on retrouve des parents d'origines ethniques différentes qu'à l'époque. Les élèves sont issus de familles où un parent est anglophone et l'autre soit francophone ou d'une autre ethnie. Pour ma part, je suis issue de parents francophones. Donc, il n'a jamais été question d'autre chose. Je suis parfaitement bilingue et j'ai toujours grandi en milieu minoritaire. Le problème ne se posait pas. Mais l'élève d'aujourd'hui vit son quotidien en anglais et en français, et il étudie en français.

Cela ne réduit en rien son attache émotive importante à l'anglais, et l'idée n'est pas de la diminuer. Plus nos élèves seront forts en français et en anglais, plus ils seront des Canadiens forts. Tel est notre objectif. Toutefois, la partie francophone est plus difficile à développer. Nous sommes moins nombreux et le statut n'est pas encore assez élevé. Voilà pourquoi il faut investir. Plus le français sera fort, plus on aura des Canadiens qui représenteront la dualité linguistique.

Le sénateur Léger : Vous avez dit que votre travail était un investissement. Vous avez également ajouté que cet investissement se faisait grâce aux bénévoles. S'il s'agit d'un investissement de la part de tous, j'espère qu'il sera présenté comme un investissement de tout le pays.

Mme Moulun-Pasek : C'est un investissement pour le pays.

Le président : Avant de céder la parole au sénateur Murray, j'aimerais reprendre le commentaire d'un psychologue — psychiatre ou psychanalyste — qui était à l'émission télévisée Thalassa diffusée sur les ondes de TV5 vendredi soir dernier. Cette personne disait : le « moi » ne se développe pas en dehors d'une société, d'un contact social.

Ce commentaire rejoint un peu votre exposé sur la définition de l'identité. Pour une personne vivant en milieu minoritaire, sa société est son milieu culturel. Si cette personne désire se développer comme francophone, elle doit s'immerger dans un milieu francophone dès la petite enfance.

Mme Moulun-Pasek : En effet, elle doit le faire le plus tôt possible.

Le président : Au foyer et à l'extérieur.

Le sénateur Murray : Dans cette même ligne d'idée, on se rappellera, il y a quelques semaines, les commentaires des témoins qui ont comparu devant ce comité lorsqu'ils disait que malgré tous les efforts qui ont été déployés et nonobstant le progrès qui a été fait, le pourcentage des ayants droit qui exercent leurs droits et fréquentent les écoles françaises est toujours à un niveau lamentable.

Bien sûr, le programme de maternelles et de garderies dont on parle actuellement fera peut-être une différence.

Mme Moulun-Pasek : Oui, définitivement.

Le sénateur Murray : Également, la création de centres communautaires liés aux écoles, comme on l'a fait au Nouveau-Brunswick et ailleurs, aura un certain impact. Mais il reste tout un travail de sensibilisation à faire auprès des parents et des francophones mêmes. J'aimerais connaître votre perspective sur ce point. Vous venez d'Alberta. Et vous, madame Charland, vous êtes de quelle région?

Mme Charland : Je suis de l'Ontario. Je connais bien la région du nord, du sud, de l'est, bref tout l'Ontario.

Le sénateur Murray : Vous êtes donc, toutes les deux, bien placées pour nous donner une perspective particulière sur cette question.

Mme Moulun-Pasek : Je me souviens des premières vagues de sensibilisation qui ont eu lieu en Alberta, entre 1982 et 1987, lorsque j'enseignais à l'école JH Picard. Une première vague a commencé vers 1985 alors qu'on tentait de sensibiliser les populations à l'importance et à la nécessité d'ouvrir une école francophone pour faire en sorte que la population francophone demeure en santé.

Une deuxième vague de sensibilisation s'est produite, car nous avons toujours en Alberta un important pourcentage d'élèves qui suivent les programmes d'immersion en langue française. Parfois les parents se contentent de les envoyer à ces programmes car l'école se situe près du domicile. Nous nous trouvons face à un défi important vis-à-vis ces parents qui parfois envoient leurs enfants à l'école francophone jusqu'à la sixième année et ensuite décident de les envoyer en immersion. Nous devons alors convaincre ces parents du bien-fondé de laisser leurs enfants terminer leurs études à l'école francophone. Or comment pouvons-nous les convaincre de ce bien-fondé si, par exemple, les programmes ne sont pas tous disponibles?

Je suis entrée en poste l'année dernière et j'ai découvert certaines choses dont le Certificat vert. Un jeune élève de notre école nourrissait l'ambition de devenir fermier et d'avoir un gros troupeau de vaches. J'ai dû intervenir, car à ma connaissance on n'offre pas une telle formation dans nos écoles. J'ai fait plusieurs démarches afin que ce jeune homme puisse obtenir des crédits tout en apprenant sur la ferme.

Cette programmation est négligée chez nous. Si un élève désire apprendre un métier tel la soudure, pour garder cet élève, et les autres intéressés à apprendre un tel métier, il faudra que nos écoles soient en mesure d'offrir de tels programmes. Notre vocation jusqu'à maintenant a toujours été plutôt académique et à certains points de vue nous devons priver plusieurs élèves.

Le sénateur Murray : Nous avons entendu le témoignage de représentants des cégeps qui parlaient de la nécessité d'un meilleur réseau d'institutions postsecondaires à travers le pays. Doit-on commencer avec les maternelles, les garderies, les écoles primaires, secondaires, postsecondaires?

Mme Moulun-Pasek : Toute cette gamme de cours professionnels n'est pas offerte. Je crois qu'il s'agit d'un palier nécessaire pour garder les francophones que nous avons dans nos écoles.

Mme Charland : Sénateur Murray, pour revenir à votre question, plusieurs parents ne savent pas qu'ils ont accès à une école francophone. Ils ignorent parfois l'existence d'une telle école car elle est trop récente. La gestion scolaire existe dans toutes les provinces que depuis tout récemment et on ne retrouve pas des écoles partout encore. Il faut l'annoncer à nos élèves qui se trouvent dans d'autres écoles.

Le sénateur Murray : Les parents ne sont certes pas si isolés. Il existe bien un centre communautaire près de chez vous?

Mme Charland : Les nouveaux parents ne viennent pas nécessairement du monde de l'éducation. Ils sont parents pour la première fois et ne connaissent pas les ressources qui s'offrent à eux. Ils commencent alors à s'intéresser au monde de l'éducation et considèrent l'école la plus rapprochée du domicile. Ils souhaitent le bien de leur enfant, mais l'école la plus rapprochée n'est peut-être pas une école de langue française. Ces parents ayants droit doivent alors chercher une école alors que celle-ci n'est pas annoncée. On n'a pas fait de campagne pour annoncer l'ouverture de ces écoles. Or nous arrivons à maturité et il nous manque encore beaucoup d'élèves. Ces élèves sont ailleurs et il faut aller les chercher, les recruter. Pour ce faire, nous devons mener une campagne de publicité qui alors attirera ces élèves.

Ayant occupé des postes administratifs à la surintendance et ayant mis sur pied des écoles, j'ai appris que lorsqu'on bâti une école française dans un nouveau coin, tout à coup, on découvre les francophones de ce coin. Nous ignorions l'existence de ces francophones, car il n'existait pas d'école.

Nous ne connaissons pas nos francophones. Les francophones ne savent pas qu'il existe de telles écoles, qu'ils peuvent en faire la demande et qu'il pourrait s'en construire d'autres. Il suffit de bâtir une école et de mettre sur pied un service de garderie de langue française, et vous trouverez des enfants. Ces enfants sont partout, mais ils sont dissimulés dans la population anglaise.

Mme Moulun-Pasek : Souvent on place les annonces dans le journal francophone alors qu'il faudrait le faire dans les journaux anglophones. Nous venons de recevoir un cadeau de Radio-Canada qui nous a proposé de diffuser gratuitement trois annonces à la télévision et trois autres à la radio. Quel geste magnifique! Nous les avons fait paraître, toutefois elles ne sont diffusées qu'à la chaîne française. Ce n'est pas nécessairement là où on peut rejoindre les gens autres que ceux déjà inscrits dans les écoles francophones.

Mme Charland : Il existe aussi beaucoup de parents exogames — un parent anglophone et un parent francophone. Le parent anglophone qui souhaite pour son enfant une éducation francophone doit savoir qu'il existe des écoles de langue française. Il doit savoir également que son enfant a le droit de fréquenter ces écoles, étant donné qu'un des parents est francophone. Ce parent devrait être capable d'appuyer son enfant en ce sens. Faute de publicité, ces parents ne peuvent être informés.

Le président : Seriez-vous prêts à recommander, comme il a été fait ailleurs, qu'on élabore un programme de publicité visant à sensibiliser les ayants droit à l'école française?

Mme Moulun-Pasek : Cette campagne pourrait se faire à l'échelle nationale. J'ajouterais qu'en plus d'avoir un programme de promotion pour rejoindre les élèves, il faudrait avoir un programme de publicité pour recruter du personnel.

Mme Moulun-Pasek : Il serait intéressant d'avoir un site national qui puisse faciliter le déplacement des enseignants d'une province à l'autre. Lorsqu'on embauche du personnel d'une autre province, il faut dépenser beaucoup en voyages.

Le président : Il existe une foule de possibilités. Il suffit que quelqu'un prenne l'initiative et en assume les coûts. À titre d'exemple, l'organisme « Parents for French » fait de la publicité à travers le Canada. Cette publicité nous montre des jeunes élèves fiers d'apprendre le français de la première année jusqu'à la 12e.

Le sénateur Murray : D'autre part, il existe plusieurs ayants droit qui ne parlent pas le français. Une publicité spéciale pourrait s'adresser à ces personnes pour les inviter à s'avancer sans crainte.

Mme Charland : Vous avez tout à fait raison. C'est exactement ce dont on parle lorsqu'il est question d'une école accueillante. Elle doit pouvoir accueillir toute sa clientèle, élèves et parents. Nous connaissons très bien le milieu et nos élèves apprennent facilement. La plupart des parents à qui on donne une chance sont motivés et généreux. Qu'il s'agisse d'une langue ou d'une autre, pourvu que ces parents nous confient leurs enfants et les appuient à l'école.

Mme Moulun-Pasek : À notre école, les parents qui ne parlent pas le français ont justement demandé qu'on leur offre des cours de français. Voilà une autre raison pourquoi l'enseignant dans l'école francophone doit posséder une formation. Cet enseignant est alors plus apte à comprendre, par exemple, qu'il ne faut pas se fâcher lorsqu'un enfant entre dans sa classe et qu'il parle à peine le français. Cela fait partie du projet d'accueil et de francisation de l'élève.

Le président : J'ai entendu dire récemment que le gouvernement de l'Alberta encourage l'apprentissage d'une deuxième langue et a suggéré toute une liste de langues proposées par Citoyenneté et Immigration Canada dont le français. Cette nouvelle initiative ne va-t-elle pas brouiller quelque peu vos cartes?

Mme Moulun-Pasek : Selon notre directeur général, il semble que plusieurs écoles emprunteront la voie du français, car c'est celle qui est déjà en place comme langue seconde.

Le président : Vous avez parlé des ayants droit. Il est arrivé qu'on implante une maternelle ou une école et que tout à coup les francophones ou les ayants droit quittent cet établissement. Ce fut le cas récemment dans le parc national de Jasper, n'est-ce pas?

Mme Moulun-Pasek : En effet, une école francophone fut ouverte et plusieurs enfants ont quitté.

Le président : Êtes-vous impliqués à un niveau quelconque, que ce soit sur le plan financier ou administratif, dans les négociations entre l'école, la commission scolaire, les directeurs d'école, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral?

Mme Moulun-Pasek : Non.

Le président : Est-ce que vous êtes consultés?

Mme Moulun-Pasek : Généralement, non.

Le président : Si vous n'êtes pas consultés, comment véhiculez-vous vos idées, vos suggestions et vos propositions? Avez-vous un rôle dans la sensibilisation au niveau des besoins scolaires de votre clientèle qui sont les enfants mêmes? Faites-vous partie d'un processus de consultation qui mène éventuellement à l'octroi d'importantes sommes d'argent de la part du gouvernement fédéral?

Mme Charland : Nous faisons partie de la table nationale sur l'éducation qui est une table nationale d'associations. Il s'agit d'un regroupement sur lequel siègent des parents, des universités, la Fédération des conseils scolaires et notre alliance. À cette table, nous discutons du grand plan d'éducation et des fonds en général.

Par contre, si la question que vous me posez est à savoir si le gouvernement nous approche directement pour voir si on peut faire quelque chose de plus pour faire avancer la pédagogie afin que nos élèves aient un meilleur rendement, la réponse est non. Nous ne sommes pas impliqués à ce niveau, bien que nous devrions l'être.

Voilà un peu pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous croyons qu'il est important que l'on parle aux pédagogues pour changer les stratégies et faire place à l'amélioration. Nous connaissons les stratégies spécifiques en milieu d'apprentissage et il faut des fonds pour les développer. Nous ne disposons pas suffisamment de fonds pour réunir les pédagogues de la Nouvelle-Écosse avec ceux de Moncton et ceux de la Colombie-Britannique. Toutefois, nous pourrions le faire. Nous avons des gens chevronnés, comme Mme Moulun-Pasek, qui peuvent nous montrer comment on enseigne la lecture au secondaire. Nous pourrions sans doute aider Moncton et Terre-Neuve. Toutefois, nous n'avons pas d'argent pour les réunir.

Dans le grand projet d'amélioration que visent les fonds fédéraux, l'ACREF doit être considérée pour un important projet de pédagogie en milieu minoritaire.

Le président : Nous allons retenir cette suggestion importante.

Mme Charland : Merci.

Le sénateur Comeau : Avez-vous approché le ministère du Patrimoine canadien?

Mme Charland : On le fait régulièrement. Le message que nous avons à vous livrer ce soir est que le milieu minoritaire a atteint une maturité qui permet désormais d'aller plus loin. Pour aller plus loin, nous avons besoin de fonds supplémentaires. Il faut nous reconnaître plus que par le passé afin de nous permettre d'agir. Nous sommes capables d'agir au niveau de la pédagogie. Et il est important que nous agissions si nous voulons accroître le rendement de nos élèves et faire en sorte que la dualité linguistique demeure une fierté pour tous.

Mme Moulun-Pasek : La création d'une gestion scolaire fut le premier grand pas. Depuis ce temps, nous avons fait plusieurs expériences et nous avons beaucoup réfléchi. Nous sommes fin prêts. Ce qui fera maintenant une différence c'est la façon dont on enseignera à ces jeunes.

Le président : Cet échange intéressant pourrait se poursuivre encore pendant plusieurs heures. Hélas, je dois mettre un terme à la discussion. Je tiens à remercier Mme Moulun-Pasek et Mme Charland. Vous avez apporté une contribution inestimable à nos travaux.

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir Joseph-Yvon Thériault, directeur du Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités et Anne Gilbert, directrice de recherche. Mme Gilbert a comparu devant nous accompagnée d'un groupe d'enseignants il y a deux semaines. M. Thériault et Mme Gilbert sont accompagnés de Sophie LeTouzé, chercheure.

Nous vous souhaitons la bienvenue à notre comité. Monsieur Thériault, je vous prierais de bien vouloir faire votre présentation.

M. Joseph-Yvon Thériault, directeur, Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités : Je vous remercie de nous avoir invités. Comme j'avais un cours jusqu'à 14 h 30, j'ai demandé à Mme Gilbert de préparer la présentation. Je vais donc lui laisser le soin de présenter le court document que nous avons préparé pour l'ensemble des questions.

Nous avons également apporté une série de petits textes qui ont alimenté un peu ce document. Il s'agit de recherches que nous aimerions déposer devant ce comité. Sans plus tarder, je cède la parole à Mme Anne Gilbert, directrice de recherche sur le volet francophonie au Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités.

Le président : Mme Gilbert va nous décrire un peu votre centre?

M. Thériault : Elle va vous exposer le contenu du document que nous venons de vous remettre.

Le président : Nous aimerions que vous nous décriviez d'abord, brièvement, votre centre afin de bien nous situer.

M. Thériault : Le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités est un centre de recherche qui s'intéresse tout d'abord aux questions politiques de citoyenneté et aux grandes questions de la minorité. Ce centre est situé à l'Université d'Ottawa. Il regroupe une vingtaine de professeurs, dont quatre ou cinq en particulier sont au cœur des activités du centre.

Nous nous penchons sur trois grands volets. Le premier traite des questions de la diversité, de la démocratie et du pluralisme au sens des pensées politiques. Il s'agit d'une réflexion sur la citoyenneté et la démocratie. Le deuxième volet s'intéresse aux questions de l'État et de la justice. Le troisième volet se penche sur les questions touchant les minorités et la francophonie particulièrement, point saillant du centre.

Je suis le directeur de ces trois volets. Chacun des volets est supporté par un professeur spécialiste du domaine. Madame Gilbert est directrice de recherche pour le volet de la francophonie et des minorités. Elle est également professeure en géographie. La question des minorités de la francophonie est aussi une de mes spécialités.

Le centre existe depuis l'an 2000. Nous avons mené une série de recherches auprès des milieux associatifs de la Francophonie. Madame Gilbert et moi avons un parcours volumineux. Je me penche sur la Francophonie depuis déjà 20 ans. Madame Gilbert a étudié du point de vue de la géographie culturelle et moi de la sociologie politique. Nous serons d'ailleurs heureux de répondre à de plus amples questions sur nos activités. Toutefois, c'est en tant que centre de recherche et non en tant que membre d'une association francophone que nous sommes ici devant vous, donc, en tant que chercheurs.

Mme Anne Gilbert, directrice de recherche, Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités : Tout d'abord, j'aimerais préciser que notre texte n'est pas un mémoire proprement dit que nous présentons devant votre comité. Il s'agit plutôt de quelques notes sur les enjeux de l'éducation en milieu minoritaire francophone, 23 ans après l'article 23.

Comme le soulignait M. Thériault, ces notes furent réalisées dans le cadre de recherches menées au centre en collaboration avec certains groupes associatifs, notamment la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants avec qui j'ai comparu il y a deux semaines, l'Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens et le ministère de l'Éducation de l'Ontario.

Nous menons cette recherche sur l'éducation en milieu minoritaire depuis maintenant trois ans avec ces trois principaux partenaires.

Une remarque préliminaire s'impose. Nos analyses ne s'inscrivent pas directement sous le thème du bilinguisme officiel. C'est plutôt une dynamique basée sur le principe d'autonomie de la communauté franco-canadienne qui nous inspire ici. Nous croyons qu'avant le bilinguisme, ce qui distingue l'histoire de la communauté franco-canadienne, c'est la volonté de se donner des institutions autonomes. Bilinguisme et autonomie ne s'opposent pas toujours, mais ne doivent pas être confondus pour autant. Si le bilinguisme s'inscrit largement à l'intérieur d'une politique d'égalité des langues à l'échelle du pays, le développement d'une communauté francophone, dotée de son propre espace public et d'institutions culturelles autonomes, relève avant tout d'une dynamique asymétrique qui met en présence des communautés linguistiques exigeant des politiques adaptées à cette réalité différenciée.

Commençons avec les trois grands paliers de l'éducation pour vous présenter les enjeux qui nous semblent les plus pressants de l'éducation en milieu francophone minoritaire : le palier préscolaire, ou la petite enfance; le palier scolaire, ou l'éducation élémentaire et secondaire; et le palier postsecondaire, couvrant les collèges et universités non seulement dans leur dimension enseignement, mais aussi dans leur dimension recherche. À partir de ces trois paliers, on veut soulever un ensemble d'enjeux propres à chacun mais qui, en même temps, sont liés à la dynamique de création d'une institutionnalisation autonome de l'éducation en milieu francophone minoritaire.

Tout d'abord, parlons de la petite enfance. C'est à ce palier que se produit véritablement une institutionnalisation. Le dossier de la petite enfance suscite énormément d'intérêt au sein des communautés francophones, vous le savez aussi bien que moi. Les services d'accueil et d'éducation à la petite enfance préparent les jeunes enfants francophones à apprendre et leur permettent de mieux s'intégrer à l'école. Ces services sont désormais considérés comme partie intégrante du processus d'éducation.

Selon une recherche que nous avons effectuée, le développement de ces services est très mal assuré. Les communautés francophones ne sont pas les seules à accuser un tel retard au Canada — et nous en sommes conscients. Les effets de ce retard sont, chez ces communautés, beaucoup plus importants à cause de la minorisation croissante qui diminue chez les jeunes enfants la capacité de maîtriser la langue française et les repaires culturels.

L'examen des services en place dans d'autres contextes que le nôtre, notamment dans certains contextes propres aux minorités européennes, suggère qu'on ne devrait pas se satisfaire de ce retard. Dans de nombreux pays de l'OCDE, l'accès à des services d'éducation et d'accueil à la petite enfance est un droit statutaire à partir de l'âge de trois ans. Une approche universelle caractérise la plupart des pays européens. Pour les minorités, l'effet du statut politique a une influence incontournable sur le degré de développement des services à la petite enfance. La situation, par exemple, en Catalogne ou en Corse rappelle, jusqu'à un certain point, celle du Québec. L'autonomie administrative dont on jouit permet de faire en sorte que la langue de l'enseignement soit la langue de la minorité et ce même au palier préscolaire.

Mais ces minorités ne sont pas les seules à bénéficier de services à la petite enfance dans la langue de la minorité. En Finlande, par exemple, dont le système rappelle le nôtre, la minorité suédoise bénéficie d'une autonomie sur le plan scolaire. Cette autonomie a permis l'accès à un système de garderies qui fonctionne à l'instar du système d'éducation sur un mode linguistique, même s'il relève d'une administration différente. Dans un système similaire au nôtre, où il existe un système d'éducation de la minorité, on a réussi à faire valoir que ce système devait aussi s'appliquer au palier préscolaire. De la même façon, le peuple sami de Suède profite d'un système scolaire parallèle pour se donner des services à la petite enfance distincts. Il existe plusieurs expériences desquelles on peut s'inspirer.

À l'heure actuelle, les initiatives visant la petite enfance au Canada ont été menées sous l'égide de l'école ou avec sa participation étroite. Ce sont ces initiatives qui ont eu la plus grande durabilité en milieu francophone minoritaire. De ces initiatives se dégage un certain consensus à l'intérieur des communautés sur le fait qu'on doit le plus possible intégrer les services de la petite enfance à l'école afin de s'assurer qu'ils soient accessibles au plus grand nombre. C'est le principe même de l'école. Il faut s'assurer aussi qu'ils sont contrôlés par les francophones — l'école française étant elle- même gérée par les francophones. Ces services doivent être conçus en fonction des réalités propres à la francophonie, tout en maximisant les possibilités de continuité entre les services offerts à la petite enfance et ceux offerts aux autres paliers de l'éducation.

Cette idée de continuité nous apparaît importante. Nous avons organisé, dans le cadre de notre recherche, des forums qui ont regroupé des intervenants de plusieurs types d'organisations. Lors de ces forums, tous s'entendaient sur la priorité de consacrer à la recherche sur ces services un financement permanent à partir des fonds public. La recherche a révélé l'importance d'une programmation cadre axée sur les objectifs à atteindre en vue de l'intégration des jeunes enfants à l'école de langue française. Il s'est avéré que la question de la pénurie du personnel enseignant doit être au centre des politiques qui visent le développement des services à la petite enfance.

Les questions de la petite enfance dans la langue de la minorité comportent des enjeux particuliers, notamment l'intégration linguistique et culturelle et l'égalité des chances. Notre revendication est particulière. Les besoins sont plus urgents et sont différents en contexte minoritaire, et les minorités francophones ne peuvent se satisfaire de services équivalents à ceux dont bénéficie la majorité. C'est là un élément très important dans les politiques à mettre en place. Comparativement à d'autres dossiers, on ne peut demander ou se contenter de l'équivalence.

Autre différence essentielle, le secteur de la petite enfance n'est pas clairement défini sous l'article 23 comme relevant de l'éducation. Pour ces raisons, il n'est pas certain que le recours aux tribunaux soit l'outil le plus approprié dans ce dossier qui vise à doter les communautés francophones minoritaires d'un réseau de structures de langue française pour l'accueil et l'éducation de leurs jeunes enfants. On a identifié quelques pistes d'actions politiques qui se dégagent de la recherche que nous menons dans le dossier depuis quelques années.

En conclusion, notre étude a identifié le besoin d'une politique nationale en matière de petite enfance en milieu minoritaire qui stipule les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir. Nous avons aussi suggéré l'élargissement du protocole d'entente relatif à l'enseignement dans la langue de la minorité pour inclure les services préscolaires dans le continuum d'apprentissage en milieu minoritaire. Nous avons maintenu le besoin d'obtenir pour les francophones une part équitable des programmes existants, ce qui n'est pas nécessairement réalité à l'heure actuelle.

Nous parlons également de consolider les sources actuelles de financement des projets dans un fonds de développement des services à la petite enfance. Les projets sont financés à partir d'une multitude de programmes dont on perd souvent la portée car ils ne sont pas intégrés. On ne profite donc pas de la capacité de ces programmes.

Soulignons également la reconnaissance de la part des gouvernements provinciaux de la nécessité d'intégrer pour les communautés francophones la programmation préscolaire au système d'éducation. S'il est une action qui peut être faite, c'est bien celle-là.

À l'invitation de votre comité, nous nous sommes penchés sur le palier plus strictement scolaire, celui qu'on reconnaît à l'école élémentaire et le secondaire. Certains enjeux se dégagent encore une fois de nos réflexions. Nous avons intitulé cette section « Une école à imaginer ».

Nous parlions précédemment, sur la question de la petite enfance, d'une « institutionnalisation à mettre en place ». Cette fois nous parlons d'imaginer l'école. À mon avis, ce thème s'apparente à la présentation des témoins précédents. L'enseignement en français, l'école française et la gestion scolaire sont maintenant des acquis. Les actions devant les tribunaux seront certes encore nécessaires pour assurer le respect de ce que la loi dorénavant permet et aussi pour vérifier ses limites.

Pour la grande majorité des francophones hors Québec, la question n'est plus « Avons-nous droit à l'école? » mais plutôt « Quelle école française voulons-nous mettre en place? »

L'école est souvent présentée comme le pivot de l'épanouissement des communautés francophones. Nos recherches ont démontré que la mise sur pied de conseils scolaires de langue française a permis de mettre en place certaines structures. Toutefois, on n'a peut-être pas encore véritablement mis au point la structure qui convient le mieux à nos besoins particuliers — du moins du point de vue de la gestion.

Il faut se pencher plus attentivement sur l'organisation de notre système d'éducation, sur ses politiques et sur ses façons de faire qui ont été empruntées directement au système anglophone. Dans l'urgence que l'on ressentait, nous avons emprunté ces façons de faire sans vraiment réfléchir si elles sont les plus aptes à remplir les besoins particuliers de la francophonie minoritaire. Les outils manqueraient à l'heure actuelle pour mener à bien une telle démarche de révision des pratiques, notamment en ce qui concerne l'aspect plus pédagogique, voire la pédagogie la mieux adaptée à l'école de langue française. D'ailleurs, les enseignants à qui nous nous sommes adressés dans le cadre d'une autre recherche ont souligné l'urgence de se pencher sur cet aspect pédagogique.

Une seconde recherche que nous avons effectuée fait mieux comprendre l'enjeu complexe que représente l'enseignement en milieu minoritaire et fait ressortir le malaise ressenti par les enseignants lorsqu'il s'agit de transmettre une identité française. Je dis « malaise » car, bien que les enseignants nous disent être très engagés et motivés envers le développement du fait français, ils ont noté qu'ils ne disposent que de très peu d'outils pour assumer la tâche. C'est précisément sur ce type de manque que nos prédécesseurs ont attiré l'attention. Les enseignants ne savent pas exactement comment faire, ni sur quel matériel compter. Ils ne croient pas toujours avoir l'expérience requise pour bien transmettre aux enfants l'identité dont ils ont besoin. Encore là, aux niveaux élémentaire et secondaire, bien qu'on ait l'impression qu'un grand travail ait été accompli, les formes institutionnelles restent toutefois à développer. Les contenus scolaires de l'éducation, la programmation et la pédagogie demeurent encore largement à définir.

Une question qui nous anime particulièrement au CIRCEM porte sur le genre de projet scolaire qu'on veut mettre en place au sein des communautés francophones minoritaires.

L'école acquise par les communautés francophones canadiennes vivant en situation minoritaire depuis les années 60 est-elle bien celle qui fut au cœur de leurs revendications historiques? Comme nous l'ont rappelé Rodrigue Landry et Réal Allard, l'école reconnue par la Charte n'est pas une école de la minorité, mais une école fondée sur l'égalité dans l'éducation qui brise le modèle « majorité-minorité ». C'est pourquoi les francophones canadiens peuvent affirmer que, comparativement aux reconnaissances minoritaires existant ailleurs en Occident, ils jouissent d'une position avantageuse sur le plan juridique. Si telle est la trame directrice dans laquelle s'inscrit la question de l'école pour les francophones vivant en milieu minoritaire, il n'est pas certain que l'évolution récente des perceptions et des attitudes aille dans le sens d'une école qui soit travaillée par une logique visant à amener les jeunes francophones, à travers un projet éducatif commun, à partager une culture nationale, une culture qui se voit comme une culture égale à celle des anglophones. L'école de l'égalité linguistique semble être devenue plutôt une école de la minorité dans plusieurs milieux.

Alors que les francophones ont historiquement revendiqué une école nationale inscrite au cœur de la dualité nationale, l'école existante apparaît largement fragmentée aujourd'hui, construite avant tout sur des identités communautaires, locales et provinciales. En insistant sur leurs spécificités, les multiples communautés francophones n'ont-elles pas, à travers l'école, oublié ce qui les unissait? Pour assurer le maintien et la reproduction d'une culture française, ne serait-il pas temps de songer à un curriculum pancanadien? Ne serait-il pas temps de se pencher sur un projet commun qui permettrait de donner à chacune de ces écoles la portée qu'on attend d'elles?

Pour mener à bien cette entreprise de réflexion, les communautés francophones ont à réfléchir sur leur projet. Ils auront à effectuer un difficile rapprochement avec la francophonie québécoise, de laquelle elles ont voulu se détacher au cours des 40 dernières années. Tel est notre point de vue.

Permettez-moi de vous suggérer quelques pistes d'action politique dans ce dossier. Le programme des langues officielles en éducation et les ententes et modalités qui s'y rattachent constituent des mécanismes de première importance pour améliorer le système d'éducation en langue française en milieu minoritaire. Le programme des langues officielles en éducation constitue un mécanisme de premier plan. Le Plan d'action pour les langues officielles apporte des ressources additionnelles pour mener à bien la mission de l'école, tant sur le plan organisationnel et administratif que pédagogique. Enfin, les gouvernements provinciaux doivent participer à l'effort collectif de réflexion visant à nous donner un cadre scolaire qui réponde bien aux besoins et aux aspirations des communautés francophones.

Comme le soulignait l'ACREF précédemment, nous avons la maturité pour le faire et nous suggérons qu'il est urgent qu'on se serve des dispositifs en place que je viens de mentionner pour formuler un projet pédagogique francophone apte à répondre aux besoins du développement de la francophonie, ces besoins incluant le contenu des programmes, le type de pédagogie qui prévaudra, les ressources utilisées en salle de classe et la formation des enseignants.

Nous croyons aussi qu'une piste importante d'action politique soit de s'assurer que ce projet pédagogique francophone émane de toutes les forces vives de la communauté francophone engagées en éducation. Les gestionnaires n'ont souvent pas donné suffisamment d'importance à cet aspect de leur mission. On peut inclure les enseignants, parents et élèves. En prenant une autre façon de catégoriser les intervenants, ajoutons les facultés d'éducation, les conseils scolaires, les associations de parents, afin que cette réflexion puisse se faire dans la plus grande synergie possible.

Autre piste d'action politique, il faut bien sûr financer adéquatement cette initiative de réflexion. Il faut financer les aménagements auxquels elle donnera forcément lieu afin qu'ultimement nous ayons l'école française à laquelle nous aspirons.

Le troisième élément est le palier postsecondaire. Nous insistons sur le fait qu'il s'agit d'un lieu de haut savoir et de recherche en français qui reste à créer. « Les institutions postsecondaires francophones, une pénurie généralisée » est le thème de la première section de notre texte. En Ontario et au Nouveau-Brunswick, les collèges communautaires ont habituellement suivi la consolidation qui s'est réalisée au niveau des écoles élémentaires et secondaires. Il reste que la formation professionnelle en français hors Québec demeure un défi. Ce défi n'est pas exclusivement d'ordre scolaire; il est étroitement relié au milieu du travail qui, plus que jamais, est massivement anglophone. La réflexion sur l'éducation doit donc être la plus large possible et inclure le milieu de travail.

Revenons aux institutions postsecondaires francophones. Au niveau universitaire, la situation est plus alarmante. Historiquement, le passage des vieilles institutions catholiques francophones gérées par l'État n'a pas toujours été profitable à la francophonie. Souvent, cela a signifié que les anciens réseaux des collèges francophones soient intégrés à des institutions anglophones. À l'exception de l'Université de Moncton et de l'Université Sainte-Anne, il n'existe aucune institution autonome de langue française dans la francophonie canadienne.

L'Université d'Ottawa, institution hors Québec qui regroupe le plus grand nombre d'étudiants francophones et le plus grand nombre de programmes en français, voit la proportion de ses étudiants de langue française diminuer de un p.100 par année depuis 30 ans. En effet, depuis 30 ans, on est passé de 65 p.100 d'étudiants de langue française à 34 ou 35 p. 100 aujourd'hui. Ce n'est pas sans conséquence sur la capacité de l'université à maintenir un milieu intellectuel francophone, car plus le nombre d'étudiants anglophones augmente, plus on cherche des enseignants anglophones pour interagir avec ceux-ci. Pour maintenir le milieu intellectuel francophone et adapter ses programmes et sa structure aux besoins de la communauté franco-ontarienne, on pourrait l'élargir à la communauté franco-canadienne, compte tenu de la portée de l'Université d'Ottawa dans la francophonie canadienne.

La faiblesse des institutions universitaires francophones est grandement responsable de l'absence d'une participation francophone hors Québec dans les efforts récents des gouvernements à promouvoir la recherche et le développement au Canada. La recherche en milieu universitaire francophone hors Québec se fait presque exclusivement en anglais. L'Université de Moncton est encore une université de premier cycle. À Ottawa, les programmes de formation de chercheur en sciences ne sont pas bilingues. Malgré qu'ils soient souvent offerts en français au premier cycle — au niveau de la formation des chercheurs aux deuxième et troisième cycles — il y a très peu de présence française. C'est ainsi que le milieu de recherche, largement financé par le gouvernement fédéral, n'a pas réussi à développer une véritable expertise francophone hors des universités québécoises.

En sciences humaines, la situation est un peu moins dramatique, mais il a fallu attendre 2004 pour que le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada propose un modeste programme lié aux langues officielles, longtemps après que la plupart des groupes sectoriels de la société canadienne, pour leur part, l'aient obtenu.

Ni le programme des chaires de recherche du Canada, ni le programme de la Fondation canadienne pour l'innovation, où un important financement est accordé, ni la Fondation canadienne des bourses d'étude du millénaire n'ont défini la francophonie minoritaire comme une population cible.

Encore une fois, quelques pistes d'action politique découlent de ces constats. Comme les services éducatifs à la petite enfance, l'éducation postsecondaire n'est pas couverte par l'article 23. Or il ne fait aucun doute qu'elle fait partie intégrante du continuum d'éducation devant permettre à la francophonie canadienne de se développer et de s'épanouir.

Dans ce contexte, il faut trouver des avenues originales pour assurer la consolidation attendue des collèges et universités de langue française, ainsi que le développement de la recherche en leur sein. Dans ce but, nous ne pouvons trop insister sur le besoin d'une réflexion collective engageant toutes les forces vives de la francophonie sur l'état actuel de l'éducation postsecondaire et de la recherche scientifique dans les différentes régions du pays et sur sa portée, eut égard au développement des communautés.

Parallèlement, au sein des gouvernements, il faudra réfléchir sur le besoin d'une politique nationale en matière d'éducation supérieure et de recherche scientifique en français hors Québec qui stipule les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir. Il faudra aussi s'interroger sur la pertinence de revoir les modes de financement de l'éducation collégiale et universitaire en français au pays, notamment dans le contexte des institutions bilingues, où de nombreuses observations démontrent que les financements accordés aux programmes et aux services en français ne vont pas toujours là où on s'attend. On doit aussi s'assurer que les organismes subventionnaires de recherche répondent aux objectifs de la Loi sur les langues officielles.

Nous ouvrons ces quelques pistes ici et nous pourrons les développer lors de la période des questions.

Pour que la minorité francophone puisse s'épanouir, des mesures particulières lui sont nécessaires : services à la petite enfance, école primaire et secondaire qui n'a pas à vanter ses mérites pour retenir ses effectifs, institutions postsecondaires qui remplissent leur mandat. En exigeant de tels services qui répondent à leurs besoins particuliers, les communautés francophones pourront se faire accepter politiquement comme l'une des composantes essentielles de la société canadienne.

Les milieux francophones sont aujourd'hui enthousiasmés par l'interprétation généreuse que les tribunaux ont donnée à leurs droits linguistiques. Cette démarche s'inscrit d'ailleurs dans une judiciarisation généralisée de nos sociétés. Pourtant, ce que l'on mesure souvent mal est le fait que les gains ainsi acquis ne se sont pas réalisés dans le cadre d'une délibération où la majorité a été convaincue du bien-fondé d'une politique juste envers la minorité. Au contraire, en imposant le droit, on participe à un durcissement des positions où l'autre ne bouge que si la cour ne lui impose de le faire. C'est manifestement le cas de l'Hôpital Montfort. Les décisions des tribunaux deviennent ainsi les limites supérieure et inférieure de ce que les gouvernements sont prêts à accorder, peu importe les besoins sociaux ou la force politique du groupe.

Cet aveuglement devant l'asymétrie des situations est heureux pour les revendications minoritaires, lorsque l'interprétation de la cour est généreuse, mais il devient complexe lorsque la cour applique la limite inférieure — ce qui fut le cas, rappelons-le, dans le domaine de l'éducation jusqu'aux années 80.

C'est pourquoi la question scolaire, comme la question linguistique dans son ensemble, doit redevenir un enjeu du compromis politique canadien. En conclusion, nous tenons à souligner que ce n'est pas uniquement par l'élargissement de l'article 23 que l'on apportera au cours des prochaines années des solutions aux problèmes existants.

M. Thériault : J'aimerais apporter quelques précisions, si vous le permettez. L'éducation dans les milieux minoritaires n'est pas uniquement une question d'accès à l'école, mais également une question d'institutionnalisation. Les communautés francophones sont un des deux éléments de la dualité nationale canadienne. L'école est le lieu par excellence de cet élément où, par le biais de l'éducation en général, prend forme la culture et la société.

On ne peut traiter de la question scolaire uniquement en se basant sur l'accès à l'école. L'institution scolaire est au cœur de la société. Telle est notre réflexion sur l'autonomie.

Pour ce qui est de l'école proprement dite, bien que les droits scolaires aient été acquis, le projet de l'école francophone en milieu minoritaire demeure un enjeu. En d'autres mots, maintenant que nous avons une école, quelle école voulons-nous? Est-ce l'école de la communauté, l'école de la francophonie ou l'école de la diversité?

Les milieux francophones doivent aujourd'hui se pencher sérieusement sur plusieurs enjeux qui ne sont pas strictement d'ordre juridique. Rappelons qu'il existe certaines limites lorsqu'on judiciarise les questions linguistiques. La judiciarisation a pour effet de sortir la question des langues du débat public pour la remettre entre les mains des juges. La question linguistique ne devient pas alors une reconnaissance politique de la minorité par la majorité, mais une imposition. Plusieurs prétendent que les enjeux d'aujourd'hui devraient se régler par un retour au débat politique canadien de la question linguistique plutôt que par un recours aux tribunaux.

Les deux dossiers sur lesquels nous termineront notre exposé peuvent sembler des dossiers nouveaux. Toutefois, on ne pourra les traiter aussi facilement que celui de la question scolaire en exigeant simplement les mêmes institutions que les anglophones. Sur le plan de la petite enfance, des institutions différentes doivent être créées en fonction de la francisation et du milieu minoritaire. Il en va de même au niveau universitaire. Cette condition est importante pour que la francophonie canadienne puisse participer à la nouvelle économie du savoir et à l'ensemble des enjeux sociétaux.

La discussion demeure sur la création d'un espace public universitaire francophone hors Québec. Cette élaboration ne peut se faire de la même façon que pour les institutions appartenant à la majorité.

Tels sont donc les enjeux auxquels nous devons faire face. Il nous fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Chaput : Votre présentation fut fort intéressante et suscite une profonde réflexion. Les écoles françaises que nous avons acquises après un effort laborieux ne me sont jamais apparues comme étant « des écoles de la minorité ». Vos propos semblent souligner encore une fois ce contexte de minorité.

Lorsque j'étais petite, à l'époque où mon grand-père Joseph Charrière livrait un dur combat, nous étions Canadiens français. Puis, je ne sais pas à quel moment dans ma vie, mais tout à coup nous avons cessé d'être Canadiens français et sommes devenus Franco-Manitobains.

Vous dites maintenant qu'il faut retourner à ce concept. En ce sens, il faudrait définir un curriculum pancanadien et créer des écoles de la francophonie et de la diversité. Je trouve ce concept fort intéressant. Cette réflexion a-t-elle été faite avec les intervenants du domaine de l'éducation sur le plan national?

M. Thériault : Au départ, pour des raisons fort compréhensibles, les écoles francophones hors Québec et acadiennes, après les années 60, ont mis beaucoup d'emphase sur le développement d'une identité dite « communautaire » liée à leur réalité. On est peut-être allé trop loin dans cette optique de se particulariser au point de faire en sorte que chaque province possède sa propre littérature et son propre théâtre. Toutefois, nous nous sommes posés la question à savoir si chacune de ces communautés avait les effectifs nécessaires pour concevoir une école en termes de société et non de minorité. A-t-on ramené cette question à un concept plus étroit? Le concept a une incidence sur l'adhésion des jeunes à cette école. Est-il exaltant pour un jeune d'entendre que sa culture se limite à sa province ou à son village?

L'idée est de repenser l'école en fonction d'une francophonie aujourd'hui beaucoup plus diverse, plurielle et pancanadienne.

Le sénateur Chaput : Les intervenants sur le plan national se sont-ils prêtés à cette réflexion?

M. Thériault : J'ai effectivement soulevé cette question lors d'un débat tenu devant l'Association canadienne d'éducation de langue française. Toutefois, de façon générale, le débat n'est pas très actif.

Mme Gilbert : Je crois que la démarche se fait indirectement. Tous les milieux scolaires francophones insistent sur la nécessité des programmes de formation du personnel enseignant pour sensibiliser la minorité. On a besoin de matériel en salle de classe. Il est question de mettre sur pied un portail canadien qui inclurait plusieurs ressources pour les éducateurs et éducatrices de l'ensemble du pays.

À mon avis, la démarche s'effectue donc pas par choix idéologique, mais par nécessité. On a besoin de ressources, et ces ressources ne sont pas disponibles partout. En voulant créer des ressources pour l'ensemble des conseils scolaires de langue française au Canada, nous devons nous entendre sur un contenu commun pour répondre aux préoccupations communes et décider du matériel que nous désirons offrir à nos jeunes et à nos enseignants. Par nécessité, nous devons soulever la question à savoir quelle sera l'école de la minorité. Malgré une certaine appréhension sur le plan théorique, je crois qu'en pratique il est possible d'arriver à ces fins.

Le sénateur Chaput : Quelles sont les prochaines étapes? Suite à cette réflexion, avez-vous l'intention d'en discuter avec d'autres intervenants?

M. Thériault : Nous avons entamé, il y a trois ans, une recherche sur l'école et la communauté en collaboration avec la Fédération canadienne des enseignants. Dans un premier temps, nous nous sommes penchés sur le problème d'intégrer la communauté dans l'école, soulevant notamment le volet de la petite enfance. Le deuxième volet portait sur les attitudes des enseignants francophones par rapport à la communauté et à la minorité. Dans le cadre du troisième volet, nous proposons une analyse du curriculum pancanadien des écoles. Nous proposons également une analyse comparative dans les domaines de la culture, de l'histoire, donc, des affaires sociales, pour examiner la façon dont ces domaines se reflètent dans les curriculums. Cet exercice se fera sans pour autant porter de préjugés sur la façon dont les enseignants interprètent le contenu de ces curriculums. Néanmoins, il doit exister un lien entre ces curriculums et le matériel scolaire fourni aux écoles.

Cette étude s'insère donc dans le cadre du débat sur la prise de conscience que la francophonie canadienne est une réalité et que cette francophonie possède maintenant ses écoles.

La discussion d'aujourd'hui se prête-t-elle à savoir quel est le contenu culturel de ces écoles? Nous pouvons examiner la façon dont les différentes provinces se sont penchées sur la question. Parle-t-on de communauté canadienne ou de communauté régionale? Le débat est très actif dans les écoles de la Nouvelle-Écosse. Lorsqu'on dit « nous avons notre école », qui est le « nous » qui a cette école?

Le sénateur Chaput : Au Manitoba, il y a plusieurs années, avant même que je sois nommée au Sénat, lorsqu'on parlait de la communauté franco-manitobaine et que, de plus en plus, on a commencé à accueillir des immigrants de langue française à St-Boniface, ces immigrants nous disaient qu'ils ne se sentaient pas inclus dans le terme « communauté franco-manitobaine » et auraient préféré le terme « communauté francophone du Manitoba ».

Cette analogie m'est venue à l'idée lorsque vous avez parlez d'une école et de la diversité culturelle.

Le sénateur Comeau : Votre présentation était excellente. Elle nous a donné une approche structurée de tous les niveaux de l'éducation.

Ma première question traite de la petite enfance. Vous mentionnez à la page 3 de votre texte la nécessité d'obtenir une part équitable des programmes existants. Je présume que vous faites référence aux programmes de garde de la petite enfance et qu'une part équitable des fonds qui seront disponibles, tel que prévu dans le dernier budget, soit distribuée à chaque province.

J'ai posé la question suivante plus tôt aujourd'hui à un autre groupe. Avez-vous fait une analyse ou un calcul pour voir si le budget tel que prévu pourra répondre aux besoins à l'échelle pancanadienne? De ce budget, restera-t-il suffisamment d'argent pour les régions et pour nos communautés minoritaires?

Mme Gilbert : Nous n'avons pas fait l'analyse financière de ce qu'il coûterait de mettre en place une structure relativement complète de services à la petite enfance à l'échelle nationale. Toutefois, je crois que certaines organisations en ont fait l'analyse. Elles pourront vous donner l'information. Compte tenu du pourcentage de notre population, nous pourrons alors, en comparant ces données, répondre à votre question.

Le sénateur Comeau : J'aimerais revenir à l'échange que vous avez eu avec le sénateur Chaput au sujet de la question du Québec. À la page 5 de votre texte, la dernière phrase du troisième paragraphe se lit comme suit :

Pour mener à bien cette entreprise de réflexion, les communautés francophones hors Québec auront à effectuer un difficile rapprochement avec la francophonie québécoise de laquelle elles ont voulu se détacher au cours des 40 dernières années.

J'ai réfléchi à cette phrase et je me suis posée la question suivante. Est-ce nous qui nous sommes détachés ou est-ce les Québécois qui, à un certain moment, se sont détachés de la francophonie canadienne ou qui l'ont rejetée?

M. Thériault : Nous ne ferons pas l'attribution des torts aujourd'hui. Bien sûr, on peut se poser la question, comme l'a fait le sénateur Chaput quand elle disait « À quel moment ai-je cessé d'être canadienne-française pour devenir franco-manitobaine »?

On peut dire qu'en 1967, à l'époque des États généraux, des ruptures entre le Québec et les francophones hors Québec se sont produites. C'est à ce moment qu'on a compris que les Québécois, par leur volonté d'autonomie, ont placé l'autonomie francophone au Québec. Les francophones hors Québec se sont alors sentis un peu trahis.

Ce commentaire ne répond qu'en partie à votre question. Si on regarde l'évolution des identités culturelles à partir des années 60, les francophones hors Québec ont suivi un cheminement similaire. Ils sont devenus plus provinciaux avec la montée de l'État. Par exemple, quand on a voulu un hôpital, on a dû passer par les provinces. On ne pouvait plus passer par le clergé. Ce faisant, les élites hors Québec ont dû passer par Toronto, Fredericton et Winnipeg, alors qu'ils ne le faisaient pas auparavant.

Toutefois, au niveau de l'identité, il est clair que chez les francophones hors Québec, comme chez les Québécois, on remarque une tentative de dire « la culture québécoise n'est pas ma culture, c'est une autre culture ». On le voit parfois dans des débats diffusés sur les ondes de Radio-Canada et à l'ONF. Ils se sentent en quelque sorte aliénés par rapport à cette culture, alors qu'à l'époque du Canada français il en était tout autrement.

Je cite souvent la petite anecdote suivante à titre d'exemple. Je suis originaire du Nouveau-Brunswick. Lorsque Félix Leclerc est décédé, j'étais à Caraquet. Ma mère me dit alors : « Il y a un des nôtres qui est mort ». Jamais elle n'a imaginé que Félix Leclerc faisait partie d'une culture autre que la sienne. On s'est identifiés au théâtre de Michel Tremblay, qui au fond n'est pas notre théâtre. Si l'on prétend faire partie d'une francophonie qui est québéco- canadienne, le théâtre de Michel Tremblay devient aussi notre théâtre. Sinon, le seul théâtre qui nous reste est celui de notre village.

Le sénateur Comeau : Votre phrase est quelque peu provocante. Au bas de la page 6 de votre texte, vous mentionnez la recherche scientifique et quelques organismes dont la Fondation canadienne pour l'innovation, la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire et les Chaires de recherche du Canada. Mais ces fondations ne sont pas les nôtres. Elles ne contribuent en rien ou très peu au développement de la francophonie. Je n'avais réalisé ce fait. Vous nous avez fait part ici de quelque chose qui était pourtant devant nos yeux. Cette phrase nous éclaire.

Mme Gilbert : Je peux vous expliquer pourquoi nous sommes désavantagés particulièrement par de tels programmes. Les universités de la francophonie canadienne sont pour la plupart de petites universités où les unités qui font de l'enseignement ou de la recherche en français sont de petites unités, qu'il s'agisse du Collège universitaire Saint- Boniface ou de la faculté Saint-Jean. La tâche dévolue aux enseignants est souvent supérieure dans ces petites universités que dans les grandes universités. À la faculté Saint-Jean on enseigne sept cours par année; à l'Université d'Ottawa on en enseigne quatre ou cinq. Toutefois, dans les grandes universités du sud de l'Ontario, les chercheurs n'enseignent que deux cours par année.

La tâche des enseignants est donc plus lourde dans les petites universités et le fardeau administratif est considérable.

La Faculté Saint-Jean existe depuis 25 ans et l'Université de Moncton depuis 30 ans. Ce sont de jeunes institutions. Dans ces établissements, les professeurs sont bien sûr des enseignants avant tout, mais bien souvent aussi des administrateurs. Le rôle administratif dans ces nouvelles institutions est plus développé que dans les autres universités canadiennes plus âgées.

Quelle place reste-t-il donc pour la recherche? Une place bien dérisoire, malheureusement. Notre curriculum chargé ne nous permet pas de bien concurrencer avec les grandes universités. Les universités de la francophonie partagent ces mêmes défis avec les petites universités canadiennes en général.

Il faut demeurer attentif à ce dossier, sinon la francophonie minoritaire canadienne ne fera pas la cible des chaires et des fondations dans l'attribution des fonds et elle se trouvera alors très pénalisée.

Le sénateur Comeau : Avez-vous fait part de ce résultat aux présidents de ces fondations pour susciter leur réaction?

Mme Gilbert : Nous avons tenté de le faire, à l'occasion, par l'entremise de nos recteurs.

M. Thériault : En effet.

Le sénateur Comeau : Mais l'avez-vous fait réellement?

Mme Gilbert : Non, on ne l'a pas fait.

Le sénateur Comeau : Vous devriez le faire. En tant que parlementaire, j'aimerais voir la réaction de ces fondations. Après tout, elles ont été créées par le gouvernement pour donner une autonomie et une certaine indépendance politique. Or plusieurs d'entre nous aujourd'hui remettent en question la valeur de ces fondations.

M. Thériault : C'est pourquoi nous soulevons ces propos. Il semble que le gouvernement fédéral soit intervenu de façon importante dans le domaine de la recherche et du développement. Ce n'est pas une question d'expertise.

Prenons l'exemple des chaires au Canada. Environ 3 000 chaires canadiennes furent développées en recherche dont près de 1 000 en sciences humaines et en sciences sociales. Des chaires furent développées pour la recherche sur les Autochtones, sur les femmes et sur l'environnement. Au Québec, toutes les universités ont des chaires pour la recherche sur la société québécoise. Or il n'existe aucune chaire au Canada sur la francophonie hors Québec. Il ne s'agit pas d'un manque d'expertise dans le domaine. Les fondations n'ont tout simplement pas mis cette question au centre de leurs préoccupations et par conséquent le programme des chaires la définit ainsi.

On a dit la même chose du Conseil de recherche en sciences humaines. Ce conseil a, depuis au moins 15 ans, développé des programmes spécialisés en collaboration avec plusieurs ministères du gouvernement fédéral. Le ministère paie une partie de ces programmes et le Conseil de recherche finance le reste pour ensuite orienter ces programmes vers les universités.

Le premier programme a vu le jour en décembre 2004. Je crois qu'il s'agissait d'un petit programme de 200 000 $ — le montant m'échappe — qui est arrivé 20 ans après. Cela signifie que dans certaines instances de recherche en sciences humaines au Canada, la dimension « francophonie » n'existe pas.

Le sénateur Comeau : J'ai noté vos commentaires et ils pourraient faire l'objet d'une excellente recommandation de la part de notre comité.

En terminant, vous avez mentionné que, bien souvent, les petites universités canadiennes n'ont pas accès aux mêmes industries que les grandes universités anglophones. Je me demande pourquoi on ne fait pas de partenariats avec les industries locales.

Dans ma région de la Nouvelle-Écosse, très peu de nos industries locales distribuent des fonds — je parle des industries acadiennes. Contrairement aux universités anglophones qui existent en Nouvelle-Écosse depuis 225 ans, les petites universités n'ont pas accès aux mêmes grandes industries. Avez-vous considéré ce fait dans votre étude?

M. Thériault : Nous sommes intervenus à quelques reprises auprès des universités. Toutefois, nos travaux n'ont pas porté sur la question des universités mais sur la recherche dans les milieux de la francophonie hors Québec. La question mériterait en effet d'être adressée sur la place publique.

Le sénateur Comeau : Ce serait là une bonne chaire d'étude.

M. Thériault : Vos propos démontrent, d'autre part, le fait que les petites institutions doivent souvent se greffer à un milieu restreint. L'idée d'un réseau permettant de rassembler la masse critique nécessaire aux ententes avec les entreprises afin d'obtenir la formation particulière est d'autant plus importante.

Nous avons d'ailleurs évoqué cette perspective pour le domaine de la petite enfance et de l'université. L'idée de créer des institutions en calquant celles de la majorité n'est peut-être pas la meilleure alternative. Nous faisons face à des problèmes particuliers. Il est vrai qu'on ne pourra pas créer en Saskatchewan une université ayant toutes les dimensions d'une grande université, des diplômes de deuxième et de troisième cycle. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne puisse exister un espace universitaire, un espace de recherche, un espace de formation francophone hors Québec. Il doit être possible de réaliser cet objectif sans multiplier les institutions.

Le président : Notre temps est presque écoulé. Par conséquent, je vous demanderais d'être bref dans vos questions et réponses.

Le sénateur Léger : À vous entendre, de plus en plus de questions me viennent à l'esprit, chacune plus importante que l'autre.

Tout d'abord, parlons de votre rôle de recherche. Vous avez dit qu'il existait environ 3 000 chaires universitaires au Canada. Ce chiffre représente beaucoup d'argent. Ces chaires reflètent-elles la réalité des besoins en recherche, ou aspirent-elles à un idéal? Vous avouerez que 3 000 chaires est un nombre astronomique.

M. Thériault : La majorité d'entre elles sont consacrées aux sciences de la nature et aux sciences pures. Ce chiffre reflète l'ensemble des domaines de la recherche. Certaines chaires sont très spécialisées.

Prenons à titre d'exemple le domaine des sciences sociales, des sciences humaines et leur rôle distinct. Au début, la politique des chaires n'incluait pas le domaine des sciences humaines et des sciences sociales. Tout à coup, les conseils de recherche on affirmé que les grands enjeux de la société canadienne ne résident pas uniquement dans le domaine de la médecine, de la physique ou de la biologie, mais également dans le domaine des sciences humaines. Les sciences humaines furent donc ajoutées à la politique. Nous connaissons très bien la valeur des sciences humaines lorsqu'on traite des enjeux en matière d'environnement, d'éthiques, du déclin et du vieillissement de la population, pour l'orientation des politiques.

La seule lacune que je vois à ce chiffre de 3 000 chaires est qu'ils auraient pu en trouver une ou deux pour la francophonie. Cette lacune me paraît d'autant plus surprenante, alors que se déploie une grande politique pour mettre de l'avant de nouvelles chaires de recherche visant à traiter des enjeux actuels.

Le sénateur Léger : Ces chaires pour la recherche visent à créer d'autres chaires?

M. Thériault : Non, elles visent à mieux comprendre la société et l'environnement. Le programme des chaires, à l'origine, était un moyen destiné à lutter contre l'exode des cerveaux et ramener au pays les chercheurs canadiens qui travaillaient dans des universités à l'étranger. La recherche en sciences humaines et en sciences sociales, même à son état fondamental, a toujours une incidence sur les politiques.

Le sénateur Léger : Je ne suis pas contre la recherche en soi. Toutefois, elle peut s'avérer dangereuse lorsqu'elle se détache de la réalité. D'ailleurs, on le constate de plus en plus.

J'aimerais soulever un autre point. Si j'ai bien compris, du point de vue linguistique, il faudrait passer à une étape autre que l'étape d'imposition judiciaire. Je ne vous suis pas tout à fait, et veuillez me corriger. Il faudrait donc dépasser l'imposition judiciaire? La langue est une partie de la culture. Toutefois, ne va-t-on pas devant les tribunaux justement lorsque la question dépasse le cadre culturel? Nous n'avons pas encore réussi à intégrer ce principe dans les mœurs.

M. Thériault : C'est un cercle vicieux. On doit parfois recourir aux tribunaux lorsqu'on pense que nos droits ne sont pas respectés. Toutefois, si le fait d'avoir une école supplémentaire à Summerside ou ailleurs doit découler d'une imposition de la cour, le débat public faisant en sorte que la majorité a acceptée le bien-fondé d'avoir des écoles francophones dans cette région n'existe plus. Les communautés n'ont qu'à attendre de se faire imposer par la loi. Elles ne vont plus discuter à savoir s'il faut un hôpital francophone universitaire en Ontario, par exemple. On attendra que la loi nous indique la marche à suivre.

À notre avis, le fait de judiciariser trop fortement les questions linguistiques fait en sorte qu'on n'a plus à convaincre la contrepartie que la dualité nationale est une valeur commune. On lui dit tout simplement que c'est un droit qui nous sera accordé car la cour oblige. Ce que je déplore, d'une certaine façon, c'est que cette culture judiciaire se soit généralisée et qu'au lieu d'essayer de convaincre les politiciens de nous donner un hôpital francophone, par exemple, on dira « nous irons en cour ».

Le sénateur Léger : Ces mesures s'imposent lorsqu'on ne reconnaît pas la nécessité d'un tel hôpital ou d'une telle école.

M. Thériault : Et parfois c'est la faute des politiciens. Au moment de la création de l'article 23, le sénateur Jean- Robert Gauthier a déclaré que les francophones désormais auront droit à leurs institutions. Lorsqu'on lui a demandé ce qu'était une institution, il a répondu que dans le dictionnaire il existe 23 définitions du mot « institution » et que la cour devra décider. Il s'agissait là en quelque sorte d'une abdication politique. Les politiciens refusent de dire « voici ce qu'on vous donne ». Ils disent plutôt « la cour décidera ».

Le sénateur Léger : Je suis d'accord pour dire que le gouvernement ne fait toujours pas ce qu'il devrait faire.

Vous avez dit qu'il fallait créer une nouvelle école pancanadienne au reflet de la francophonie. Vous incluez bien sûr le Québec, n'est-ce pas?

M. Thériault : Oui.

Le sénateur Léger : Nous ne parlons plus seulement des minorités.

M. Thériault : Nous disons que dans un tel projet un nouveau rapport entre les minorités et le Québec doit se dessiner. Nous ne disons pas que l'école franco-manitobaine ou acadienne du Nouveau-Brunswick sera nécessairement la même que l'école québécoise. Cependant, nous incluons cette dynamique sans noyer les différences.

Le sénateur Léger : Il me reste quelques questions, mais je céderai la parole à mon confrère.

M. Thériault : Nous vous inviterons au CIRCEM afin que vous puissiez nous poser vos autres questions.

[Traduction]

Le sénateur Buchanan : Je trouve que cette discussion sur l'enseignement postsecondaire et les chaires de recherche est des plus intéressantes. Je n'étais pas au courant de cet aspect, et je suis le seul ici qui était un participant à titre de premier ministre, lorsque l'article 23 a été adopté dans les années 80. D'après vos observations, je crois comprendre qu'il n'y a aucune chaire de recherche hors Québec, n'est-ce pas?

M. Thériault : Il existe des chaires de recherche hors Québec, et certaines sont occupées par des francophones. Cependant, aucune ne porte sur les questions francophones hors Québec. Bon nombre traitent notamment de questions autochtones, de questions québécoises, de questions portugaises, mais aucune ne s'intéresse aux questions touchant les francophones hors Québec.

Le sénateur Buchanan : Il y a des chaires de recherche dans les domaines de la médecine, de l'exploitation minière, de la fabrication, entre autres.

M. Thériault : Des francophones hors Québec occupent des chaires de recherche.

Le sénateur Buchanan : Si je me souviens bien, vous avez indiqué dans votre exposé que l'enseignement postsecondaire ne figure pas à l'article 23.

M. Thériault : C'est exact.

Le sénateur Buchanan : À la page précédente, il est précisé que la recherche universitaire à l'extérieur du Québec est exécutée presque exclusivement en anglais dans des établissements comme l'Université de Moncton qui n'offre encore que des programmes de premier cycle, tout comme l'Université de Sainte-Anne.

Vous ajoutez qu'il faudrait aller plus loin dans ces deux universités et peut-être dans d'autres établissements afin qu'ils n'offrent pas uniquement des programmes de premier cycle. Est-ce exact?

M. Thériault : Effectivement, nous affirmons qu'il faut favoriser l'information sur la recherche dans les universités hors Québec. Nous ignorons cependant quelles en seraient les modalités exactes.

Le sénateur Buchanan : Comment peut-on y parvenir si l'article 23 n'en traite pas? Il faudrait peut-être recourir aux tribunaux, mais je suppose que vous ne pourriez pas employer ce moyen.

M. Thériault : Nous devons convaincre le gouvernement de financer la création de réseaux universitaires hors Québec.

Le sénateur Buchanan : Cela ne pourrait s'accomplir grâce aux tribunaux.

M. Thériault : Non, les tribunaux ne constitueraient pas le meilleur moyen de parvenir à ce résultat.

Le sénateur Buchanan : Je souscris à votre idée d'obtenir de l'argent du gouvernement fédéral.

[Français]

Mme Gilbert : J'aimerais ajouter quelque chose. Le réseau de l'Université du Québec nous donne un modèle intéressant duquel on pourrait s'inspirer. Ce réseau comporte un ensemble de constituantes qui, avant d'être regroupées, n'avaient que très peu de portée. On a consolidé les anciens collèges classiques et institutions qui n'offraient que quelques programmes reliés à des universités existantes en un réseau.

Je pense que nous pourrions tirer de précieux renseignements du modèle de l'Université du Québec. Nous n'en sommes qu'à l'étape initiale de la réflexion. Toutefois, il ne faut pas abandonner le dossier, car, soyons réalistes, certaines institutions, comme l'Université d'Ottawa, sont déjà en train de nous échapper.

Le sénateur Chaput : À la lumière de ce que nous avons entendu aujourd'hui, je crois qu'il faudrait une chaire pour étudier ce concept d'école de la francophonie canadienne et de la diversité culturelle. Il faut faire le débat et voir s'il ne s'agit que d'un idéal ou d'une chose qui peut devenir réalité.

Plus tôt, lorsqu'on parlait de la francophonie pancanadienne, vous avez mentionné le théâtre de Michel Tremblay. Mais le théâtre de Michel Tremblay est universel. Il vient chez moi et me touche; il va au Nouveau-Brunswick et les touche. L'œuvre de Gabrielle Roy est universelle; la Sagouine est un personnage universel. Il faudrait peut-être voir pourquoi ces personnages et ces écrits nous touchent tant, d'un bout à l'autre du Canada. Peut-être que l'on trouverait alors un élément de réponse.

M. Thériault : Je suis d'accord avec ces deux commentaires.

Le président : Je vous remercie. J'avais également quelques questions. Malheureusement, le temps dont nous disposons est écoulé et nous sommes arrivés au terme de cet échange. Mme LeTouzé a indiqué qu'elle avait certains documents à nous remettre. Si les membres du comité sont d'accord, les documents seront remis à la greffière et conservé dans les archives du comité. Vous pourrez ainsi les consulter à loisir.

Le sénateur Comeau : Je propose la motion.

Le président : Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion proposée par le sénateur Comeau?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée.

Il ne me reste qu'à remercier nos témoins de leur comparution cet après-midi. Vous nous avez énormément aidés dans notre réflexion.

Il nous fait maintenant plaisir d'accueillir M. Jean-Guy Rioux, vice-président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. M. Rioux est originaire de Shippagan, au Nouveau-Brunswick. Il a œuvré dans le domaine de l'éducation tant au pays qu'à l'étranger et a fait plusieurs séjours en Afrique. Il a été impliqué à l'Université de Moncton et fut administrateur intérimaire de la ville de Shippagan. M. Rioux est membre de l'Association canadienne d'éducation de langue française et de la Fondation franco-acadienne pour la jeunesse. Il est président de la Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick (SAANB) depuis 1999 et est vice-président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada depuis le mois de juin 2002.

M. Rioux est accompagné de Marielle Beaulieu, directrice générale de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. Mme Beaulieu a consacré la plus grande partie de sa vie professionnelle à aider les organismes de la francophonie canadienne à servir le mieux possible les communautés qu'ils représentent. Elle est détentrice d'une maîtrise en sciences, gestion de projets, de l'Université du Québec à Hull, et d'un baccalauréat ès arts, communications et administration publique. Elle fut choisie comme directrice générale de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada par le bureau de direction de l'organisme en septembre 2003.

Mme Beaulieu a fait beaucoup d'autres choses dans sa vie. Parmi ses engagements, elle a été membre du conseil d'administration et présidente de l'Association canadienne-française de l'Ontario dans la région d'Ottawa-Carleton en 1989 et 1990; membre du conseil d'administration de la Caisse populaire Orléans de 1993 à 1995; membre du comité consultatif du Conseil ontarien de formation et d'adaptation de la main-d'œuvre de l'Ontario pour la région du sud-est; et membre du Réseau socio-action des femmes francophones de l'est de l'Ontario. Mme Beaulieu est une personne qui incarne la vie communautaire au quotidien.

Sans plus tarder, M. Rioux, je vous invite à nous présenter votre mémoire.

M. Jean-Guy Rioux, vice-président, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Je tiens à vous transmettre les excuses de M. Arès, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, pour son absence. Il fut retenu à Montréal pour une réunion de la Fondation Dialogue. M. Arès m'a toutefois demandé de comparaître devant vous aujourd'hui et j'aurai l'honneur de vous adresser ces quelques remarques de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.

Notre présentation portera sur quatre éléments. Nous parlerons tout d'abord de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et des difficultés de mettre en application cet article, encore aujourd'hui, 23 ans après sa création. Nous parlerons, deuxièmement, de l'imputabilité à l'égard des ententes bilatérales entre le fédéral et le provincial dans le domaine de l'éducation. Enfin, il sera question des ayants droit et finalement du projet de loi S-3.

Le président : Le Sénat est bien renseigné sur le projet de loi S-3.

M. Rioux : Comme principal porte-parole des francophones vivant en milieu minoritaire, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada a pour mandat de promouvoir la vitalité de ces communautés, et l'éducation joue un rôle très important dans cette vitalité.

Au cours des dernières semaines, vous avez entendu plusieurs intervenants qui se sont prononcés sur l'état et les besoins du système d'éducation en milieu francophone minoritaire. Le bilan que ces intervenants ont dressé est à notre avis très complet. Il fait part de constats préoccupants sur l'état de santé du système. Il suggère également quelques solutions intéressantes. À cet égard, nos communautés ont atteint un degré de maturité remarquable dans leurs interventions.

Le but de la FCFA du Canada est de présenter une évaluation des actions entreprises par le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le domaine de l'éducation.

Il y a deux semaines, M. Pierre Foucher de l'Université de Moncton vous indiquait qu'un des obstacles majeurs à la mise en œuvre de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés est l'inertie des gouvernements et la lenteur du processus de prise de décisions. Il a aussi soulevé le manque de procédure, de mécanismes et d'imputabilité permettant faire un suivi sur les sommes que le gouvernement fédéral transfère aux provinces pour la mise en œuvre de l'article 23. Nous croyons que les provinces devraient, à toutes fins pratiques, être aussi imputables des sommes d'argent qu'elles reçoivent pour l'éducation que les communautés le sont des sommes d'argent qu'elles reçoivent dans le cadre des ententes Canada-communauté.

Pour la FCFA du Canada, ce n'est pas seulement la mise en œuvre de l'article 23 qui pose un problème. Il faut se rendre à l'évidence que le gouvernement fédéral, de mêmes que les gouvernements provinciaux et territoriaux font preuve de lenteur lorsqu'il s'agit de mettre en œuvre des politiques favorisant le développement des communautés de langues officielles. On en témoigne dans le domaine de l'éducation de même que dans tous les secteurs d'activités essentiels au développement et à l'épanouissement des communautés francophones et acadienne.

Il suffit de constater le nombre de cause qui ont dû être plaidées devant les tribunaux afin de pouvoir arriver à une reconnaissance, par le système juridique, des droits que nous confère déjà la charte. Nos efforts ont servi surtout à défendre nos droits plutôt qu'à les développer.

Un autre problème se situe au niveau de la capacité de nos communautés d'influencer les politiques gouvernementales. Bien que le Plan d'action pour les langues officielles contienne un engagement du gouvernement fédéral à tenir compte systématiquement des besoins des communautés minoritaires de langues officielles dans l'élaboration des politiques, la réalité est tout autre. Le plan d'action du ministre Dion ne s'est pas avéré la panacée à tous les maux qu'on avait identifiés.

Dans plusieurs cas, nos associations porte-parole doivent faire un travail considérable de représentation auprès des ministères ou agences du gouvernement fédéral pour s'assurer que les besoins de nos communautés soient pris en considération. Le processus est souvent très long et les résultats ne sont pas toujours garantis.

La question qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui est celle de l'éducation. Je me référerai donc à la situation actuelle quant au programme des langues officielles en enseignement. Comme vous le savez, ce programme est régi par un protocole signé à tous les cinq ans avec le Conseil des ministres en éducation du Canada. Or, ce protocole est échu depuis le 31 mars 2004. Le prochain protocole est toujours en négociation. Selon nos informations, il pourrait être signé avant le 1e avril 2005. Toutefois, les ententes avec les provinces ne seront certainement pas complétées pour le 1er avril 2005. On suppose qu'il faudra signer le protocole au préalable.

Les conseils scolaires viennent de vivre une année de transition et il n'est pas exclu que l'année 2005-2006 soit une deuxième année de transition. Il faut se demander, peut-être un peu cyniquement, si deux années de transition consécutives constituent le meilleur moyen de gérer le programme des langues officielles en enseignement.

Chose certaine, ces situations de transition causent des problèmes aux conseils scolaires de nos communautés. Les 31 conseils scolaires francophones en sont directement affectés.

La Fédération nationale des conseils scolaires francophones a accompli un travail remarquable de représentation. Ce travail se constate à tous les niveaux. Elle a fait avancer les discussions en vue de la signature du protocole et a contribué à assurer que les conseillers scolaires soient consultés officiellement par les gouvernements provinciaux et territoriaux sur les plans d'action futurs présentés au gouvernement fédéral. Nos communautés ont atteint une maturité qui permettra cette consultation lorsque des programmes seront mis en œuvre. Toutefois, malgré ce travail, il n'est pas garanti que les conseils scolaires auront voix au chapitre. Le gouvernement fédéral s'est engagé sur ce point, mais il reste encore beaucoup à faire au niveau des provinces et des territoires.

Pour la FCFA du Canada, il est absolument essentiel que les communautés soient consultées dans le contexte actuel. Après tout, c'est dans ces communautés que l'appui financier du gouvernement fédéral devra produire des résultats. Il est donc normal de développer des mécanismes pour assurer que leurs besoins soient pris en considération.

Ceci nous amène à la question de l'imputabilité. Traditionnellement, les montants transférés aux provinces et aux territoires en vertu du Programme des langues officielles dans l'enseignement (PLOE) ne les engageaient pas à rendre des comptes sur l'utilisation de ces sommes. Or il semble que cette situation soit en voie d'être corrigée. Le ministère du Patrimoine canadien compte inclure des mécanismes de reddition de comptes dans les ententes avec les provinces et les territoires. Il s'agira d'un gain important pour nos communautés. Il faudrait toutefois que ce genre de mécanisme s'applique systématiquement à toutes les ententes fédérales-provinciales dans le domaine de l'éducation.

Lorsqu'on parle de prendre en considération les besoins des communautés francophones et acadienne, il est important que des politiques fédérales soient mises en place pour engager les gouvernements qui reçoivent les fonds au même titre que le gouvernement qui les octroie.

Parlons maintenant du dossier de la petite enfance. Les intervenants qui nous ont précédés au cours des dernières semaines ont fait valoir le fait que ce dossier représente la clé pour compléter le système d'éducation francophone en milieu minoritaire. Il faut augmenter le nombre d'ayants droit qui seront inscrits dans des écoles de langue française au niveau primaire et secondaire et, en bout de ligne, contrer l'assimilation qui se produit trop souvent au cours des premières années de la vie.

Une bonne partie de l'avenir de nos communautés va se jouer au niveau des garderies. C'est pourquoi plusieurs intervenants ont travaillé très fort pour promouvoir le concept des garderies de langue française gérées par nos communautés. Ce concept garantit un continuum dans le système d'éducation à partir des garderies jusqu'au postsecondaire. La Commission nationale des parents francophones a accompli un travail remarquable à ce niveau. On a même identifié le nombre d'ayants droit actuellement dans le système anglophone qui pourraient intégrer le système francophone. La situation existe car nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour encourager ces gens à se joindre au système francophone. Souvent, nous n'avons rien à leur offrir pour les attirer. Encore une fois, il n'est pas garanti que les besoins de nos communautés seront pris en considération dans les projets du gouvernement en ce qui a trait à la petite enfance.

Nous pouvons nous réjouir de l'investissement de 5 milliards de dollars sur cinq ans dans l'initiative d'apprentissage de garde des jeunes enfants qui fut annoncé dans le budget fédéral du 23 février 2005. Voilà une bonne nouvelle. Toutefois, rien dans cette annonce ne nous indique qu'on tiendra compte des besoins spécifiques des francophones en milieu minoritaire. Il reste à savoir quelle portion de ce montant de 5 milliards de dollars pour les garderies sera impartie aux francophones en milieu minoritaire. À notre connaissance, aucune clause ou disposition n'est prévue pour engager les gouvernements provinciaux et territoriaux à investir une partie de ces sommes dans un système de garderie pour les francophones.

Vous voyez donc le travail qui se dessine. Dans le Plan d'action pour les langues officielles, le gouvernement fédéral a identifié la petite enfance comme étant un secteur de développement prioritaire. Les attentes sont donc assez élevées par rapport à l'investissement annoncé dans le budget.

Du point de vue de la FCFA du Canada, il est essentiel que les ententes qui seront signées avec les provinces et les territoires pour le transfert de ces fonds comprennent des dispositions pour les francophones en milieu minoritaire.

La FCFA du Canada est préoccupée par la lenteur du processus décisionnel et le processus de négociation d'ententes dans plusieurs dossiers de langues officielles. Les prises de décisions se font souvent après que les annonces aient été faites. En d'autres mots, on ne fait que réagir aux annonces pour obtenir ce qui nous revient.

Les délais causés par l'année de transition que nous venons de vivre dans le domaine de l'éducation pour le renouvellement du protocole sur les langues officielles en enseignement nous rappelle un peu l'année de transition au niveau des communautés francophones et acadienne pour le renouvellement des ententes Canada-communauté. Vous avez certes entendu parler des problèmes auxquels nous avons été confrontés concernant la signature et le rehaussement de ces ententes. Rien dans le budget ne laissait présager ces difficultés.

D'autre part, on a pu constater que le travail effectué par les intervenants comme la Commission nationale des parents francophones ne semble pas avoir affecté le traitement des besoins des francophones en milieu minoritaire dans les ententes fédérales-provinciales sur la petite enfance qui seront signées.

Malgré le travail de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, il ne semble pas assuré que les communautés minoritaires seront consultées officiellement dans l'élaboration des plans d'action sur les langues officielles en enseignement. La mise en œuvre des politiques pour le développement des communautés minoritaires de langue officielle dépend souvent d'une volonté politique qui n'est pas toujours là. Les années ont montré que pour assurer cette mise en œuvre, le caractère déclaratoire de la partie VII est insuffisant.

Pour cette raison, le projet de loi S-3 est pour nous très important. Le gouvernement fédéral a pris plusieurs engagements envers le développement des communautés francophones et acadienne. Toutefois, dans plusieurs cas, la concrétisation de ces engagements se fait attendre et ne se traduit pas nécessairement par des mécanismes d'imputabilité dans les ententes fédérales-provinciales. Donner un caractère exécutoire à la partie VII pourra accélérer la mise en œuvre des programmes et des politiques qui visent le développement de nos communautés. Ce caractère exécutoire rendra également beaucoup plus systématique le traitement de nos besoins dans l'élaboration des programmes et politiques des différents ministères et organismes fédéraux.

En somme, le projet de loi S-3 est important pour nos communautés, car il faut développer immédiatement la petite enfance en français et perfectionner notre système d'éducation. Plus les années s'écoulent, plus on trouvera raison de dire que le nombre a diminué et qu'il ne justifie plus les sommes à investir dans la petite enfance en milieu minoritaire.

Les intervenants qui nous ont précédé ont démontré le besoin urgent en éducation. Pour assurer la vitalité de nos communautés, nous devons attirer davantage d'ayants droit dans nos écoles. Il faut que avons encadrions nos enfants en français dès la garderie et le préscolaire. Nos enseignants ont besoins d'outils leur permettant de fournir une éducation en français de qualité à la prochaine génération.

Le projet de loi S-3 est important pour nous car nous n'avons pas le luxe d'attendre que la volonté politique soit là pour nous permettre de répondre à tous ces besoins. Nos communautés sont fatiguées de toujours devoir recourir aux tribunaux pour faire reconnaître des droits inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés ou dans la Loi sur les langues officielles.

Merci de nous avoir écoutées. Mme Beaulieu et moi-même seront maintenant heureuses de répondre à vos questions.

Le président : Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir fait le point aussi clairement sur la situation. La franchise est toujours utile pour un comité qui cherche à formuler des recommandations dans le but d'améliorer le système.

Vous avez parlé d'imputabilité. Selon vous, à qui revient cette imputabilité? Si on donne de l'argent aux provinces et aux ministres de l'Éducation, est-ce le ministère de l'Éducation provincial ou le gouvernement provincial qui est imputable au gouvernement fédéral?

Ou doit-elle plutôt relever des contribuables de la province et des organismes? Comment percevez-vous cette notion d'imputabilité dans le contexte actuel?

M. Rioux : La question d'imputabilité comporte deux éléments. Les ententes sont signées conformément à des conditions établies au préalable. Dans le domaine qui nous intéresse, soit celui de l'éducation, les communautés francophones bénéficieront des ententes signées. Avant de négocier une entente, une consultation doit être faite auprès des communautés. Celles-ci peuvent alors réagir au domaine d'imputabilité et confirmer que les fonds destinés à un secteur donné ont été utilisés aux fins sur lesquelles on s'est entendus.

Si ce processus ne se fait qu'au niveau gouvernemental, entre les provinces, les territoires et le fédéral, et que les montants d'argent vont dans des fonds généraux de la province, il est plutôt difficile de les retracer après coup. On prétendra avoir accompli plusieurs choses, mis sur pied une école ici et là, mais ultimement on ne pourra confirmer exactement si l'argent fut utilisé aux fins convenues dans l'entente.

Le président : Votre dernière phrase retient mon attention. A-t-on a raison de dire qu'on ne sait pas où va l'argent?

M. Rioux : Dans certaines provinces, on le sait de moins en moins; dans d'autres provinces, oui.

Le président : Voulez-vous être plus spécifique?

M. Rioux : Au Nouveau-Brunswick, la communauté est de plus en plus consultée. Avant que des ententes ne soient signées, on a la chance de faire entendre son point de vue. On constate ensuite que les consultations effectuées par la province se traduisent par des faits concrets, car on sait où l'argent est allé ou ira.

Dans d'autres provinces où il n'existe pas de consultation, la province reçoit les fonds pour l'éducation de façon générale. Dans une province comme l'Alberta, les francophones risquent d'avoir du mal à savoir où est passé cet argent.

Le président : Le Nouveau-Brunswick a quand même une masse critique de francophones en mesure de s'imposer auprès du gouvernement et dans l'opinion, ce qui n'est pas nécessairement le cas dans d'autres provinces. Par conséquent, dans ces provinces, il peut se produire une certaine dilution des fonds et ceux-ci risquent de ne pas se rendre à terme.

M. Rioux : Effectivement, et nous en avons des preuves. En Nouvelle-Écosse, on a fait un relevé des ententes signées entre les provinces et le fédéral pour savoir où l'argent était allé. On s'est alors rendu compte qu'une partie des argents versés dans les fonds généraux de la province n'est pas allée à l'éducation.

Le président : J'aimerais clarifier un dernier point. Qu'entendez-vous exactement par période de transition?

M. Rioux : Les ententes ont pris fin le 31 mars 2004. On a alors indiqué que les montants prévus pour 2004 et 2005 seraient les mêmes, ou encore qu'on votait sur les mêmes ententes déjà signées en attendant d'en signer de nouvelles.

Le président : Jusqu'à ce qu'il y ait une nouvelle entente?

M. Rioux : Oui. Prenons l'exemple qui nous concerne de plus près, soit celui des ententes Canada-communauté avec Patrimoine canadien. Ces ententes ont été reconduites l'année dernière de 2004 à 2005 avec les mêmes montants d'argent prévus aux ententes depuis 1999. Nous sommes en 2005 et on se base sur les mêmes principes. Cela signifie qu'on reçoit moins d'argent maintenant qu'on en recevait. Bien qu'il y ait eu augmentation des ententes au cours des cinq dernières années, le montant d'argent est toujours moindre en dollars courants qu'il ne l'était en 1999. On parle donc d'une période de transition et je crois qu'on se dirige vers une autre année de transition.

Le président : Pourriez-vous m'indiquer la cause possible de ce laxisme?

M. Rioux : Ce laxisme est attribuable à plusieurs causes. La situation politique au Canada n'a certainement pas aidé. On a eu un changement de chef, puis les élections. Tout cela a retardé le processus. Voilà une des causes majeures qui a fait en sorte que les ententes n'ont pas été signées.

Le président : Il y a également eu un remaniement ministériel.

M. Rioux : Oui, plusieurs changements se sont effectués à Patrimoine canadien. Depuis un an, trois ministres se sont succédés. Les fonctionnaires aussi ont changé. Ces remaniements ont ralentit l'appareil administratif qui est déjà très lourd.

La Sagouine dirait que c'est peut-être une bonne année, parce qu'on va avoir une autre élection. Toutefois, s'il y a élection et que la situation ne se règle pas, le développement et l'épanouissement de nos communautés seront à nouveau retardés.

Samedi dernier, j'ai terminé l'évaluation des demandes de financement déposées par les communautés du Nouveau- Brunswick. Nous disposions de 1,6 millions de dollars que nous devions distribuer dans l'ensemble de la province pour les différents comités, les activités et autres secteurs. Une somme de 1,6 millions de dollars peut sembler énorme, mais si on la divise par une population de 250 000 francophones, elle ne représente pas tellement d'argent.

Nous avons reçu des demandes pour 3 millions de dollars, alors que nous ne disposions que de 1,6 millions de dollars. Certes, les demandes ne sont pas toutes justifiées. Les comités examinent chaque demande et accordent les sommes appropriées. Néanmoins, nous ne disposons pas d'une somme d'argent adéquate à la demande. Par conséquent, on constate un ralentissement considérable du développement de nos communautés. Cette lacune met également certains organismes en péril.

Le président : Vos propos me laissent songeur. Le système est-il brisé? Si les choses ne bougent pas plus que vous le dites, il faut se poser la question. Y a-t-il un défaut dans la mécanique? Que faut-il faire? Notre comité aimerait solliciter votre opinion à ce sujet.

M. Rioux : Le système est très lourd. Je vais vous donner un exemple concret. Au Nouveau-Brunswick les choses s'améliorent, mais à pas de tortue. Entre le moment où le comité d'évaluation des demandes de financement recommande au ministre le montant des fonds à être distribués aux différentes associations et le moment où les communautés reçoivent leurs chèques, il faut compter au moins 140 jours ouvrables.

Une demande est faite. En supposant que la ministre donne son accord pour les fonds demandés au début du mois d'avril, si on compte 140 jours ouvrables, cela représente un délai de cinq à six mois avant que les organismes aient l'argent en main. La moitié de l'année financière s'est écoulée. Les gens doivent dépenser ce montant dans les six mois qu'il reste. C'est une course! On ne peut pas faire du développement structuré dans de telles conditions.

Le président : Êtes-vous au courant si l'autre minorité linguistique officielle du pays, nos amis anglophones du Québec, vit une situation semblable à la vôtre?

M. Rioux : Je crois que oui.

Mme Marielle Beaulieu, directrice générale, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : En effet, la situation est similaire à bien des égards. La FCFA du Canada entretient de bons rapports avec le ministère du Patrimoine canadien. Toutefois, on me dit que les rapports avec la communauté anglophone du Québec sont très difficiles. Autrement dit, nous jouissons d'une communication plus étroite dans le cadre de nos demandes que la communauté anglophone du Québec. Néanmoins, les délais sont à peu près les mêmes.

Je ne dirais pas que le système est en péril. Je dirais plutôt que les mécanismes sont lourds. Par le passé, on a constaté qu'à certains endroits on a réussi à réduire les délais pour permettre aux organismes d'avoir accès à des fonds plus rapidement. Toutefois, dans l'ensemble, il reste encore un travail énorme à faire pour alléger le processus et faire en sorte que le traitement soit plus proactif pour les communautés.

M. Rioux : Ma fille Marie-Claude est directrice de l'Association des juristes acadiens de la Nouvelle-Écosse. Elle doit faire des demandes de subventions au ministère de la Justice. Au mois de janvier et au début du mois de février elle a envoyé ses demandes. Ce n'est que le 1e avril qu'elle a su les montants qu'on lui a accordés.

Le sénateur Comeau : L'article 23 de la charte nous indique qu'on touchera au système scolaire, alors que la petite enfance et le postsecondaire ne sera pas visé. On devra alors dépendre sur d'autres moyens dans ces deux domaines. Vous dites que le projet de loi S-3 rendra la partie VII de la charte exécutoire et répondra à cette lacune. Nous devons voir à une obligation qui répondra aux besoins de nos communautés spécifiquement.

Je reviens aux systèmes de garderie. Vous avez mentionné l'investissement de cinq milliards de dollars sur cinq ans. On me disait récemment qu'un système de garderie national de qualité, avec une rémunération adéquate, exigerait des coûts d'environ dix milliards de dollars par année. Le système national accuse donc, selon ces données, un manque à gagner de cinq milliards de dollars. Avec le montant actuel de cinq milliards de dollars sur cinq ans, nos communautés n'ont que très peu de chances.

Un article publié récemment indiquait qu'une somme de 20 millions de dollars fut promise à la Nouvelle-Écosse pour l'année qui vient, pour le système de garderie. Je n'ai pas fait le calcul à savoir si cette somme de 20 millions de dollars pour toute la Nouvelle-Écosse répondra aux besoins de nos communautés acadiennes. Toutefois, j'en doute fortement. Dans le cadre du système envisagé, les régions rurales exigeraient que l'on mette en place, entre autres, un système de transport, des garderies et des édifices. Je ne vois pas comment il serait possible de réaliser un tel projet. Avez-vous examiné cette perspective?

M. Rioux : La Commission des parents francophones fera ce travail. Vous avez soulevé un point très important. Souvent, lorsqu'on met sur pied un nouveau programme, on le fait au niveau national sans toutefois tenir compte des particularités régionales. L'implantation d'un programme national dans les régions ne se compare pas à l'implantation d'un tel programme dans les grandes villes.

Le sénateur Comeau : Il y a quelques années, le gouvernement fédéral a choisi de se retirer du programme national de santé. On a voulu ainsi réduire le déficit national. En ce faisant, les provinces et les juridictions provinciales ont dû absorber les sommes qui, dans le passé, étaient versées pour le système de santé.

Nous constatons aujourd'hui une certain réticence de la part des juridictions provinciales à s'impliquer, et pour cause, car elles ne veulent pas à nouveau se faire brûler dans des programmes nationaux. Avez-vous eu la chance de discuter de cette question avec les juridictions provinciales pour voir s'il existe un problème?

Mme Beaulieu : Votre perception de la situation est juste. Il existe définitivement une problématique. Il est très clair que n'importe quel programme impliquant des transferts fédéraux-provinciaux-territoriaux exige des clauses ou des dispositions particulières pour les communautés francophones et acadienne. Sans de telles dispositions, la reddition des comptes devient difficile.

Pour répondre à votre question de façon plus spécifique, nous sommes de plus en plus conscients du fait qu'il faudra continuer de travailler en toute cohésion et convergence avec l'ensemble de nos organismes oeuvrant dans les différents secteurs. Qu'il s'agisse des parents, des conseils scolaires ou de la FCFA du Canada, tous devront collaborer pour sensibiliser les gouvernements provinciaux et territoriaux à l'importance des dossiers et des dispositions particulières.

Bien entendu, à ce point-ci, certaines provinces sont récalcitrantes. Cependant, il faut reconnaître que dans certains cas, des situations particulières doivent être prises en considération. En ce qui a trait à ce programme, le dernier budget nous a beaucoup déçus, comme M. Arès en a témoigné.

Le sénateur Comeau : Le président a soulevé la question de l'année de transition. Vous avez choisi un terme très poli. J'aurais sans doute utilisé un terme plus graphique, tel que « dans les limbes ».

Quand vous n'avez pas les fonds et que vous ne pouvez pas savoir quels sont les montants qui seront accordés, vous vous trouvez dans les limbes et commencez à perdre les gens qui songeaient à quitter pour un autre système scolaire. Pendant ce temps, on ne peut pas prendre de décision. Quand on est dans les limbes, on n'avance pas, on recule.

Le président : Vous n'allez toutefois pas en enfer pour autant.

Le sénateur Comeau : Soit, mais quand on essaie d'avancer et qu'on se trouve dans les limbes, rien ne bouge.

Le sénateur Chaput : Vous avez fait preuve d'une grande politesse lorsque vous avez expliqué la situation. J'aurais moi aussi sans doute été moins polie. Il ne fait aucun doute que le processus est lent. Les délais sont incroyables et on ne semble pas pouvoir changer cette réalité.

En ce qui concerne les ententes de collaboration et le Programme des langues officielles dans l'enseignement (PLOE), le tout est présentement en négociation. D'après vous, quelles sont les chances que ces ententes ou protocoles soient signés d'ici la fin mars?

Mme Beaulieu : On nous dit que la fin mars est l'objectif visé. Il faut considérer tout d'abord le protocole. Ensuite, on considère les ententes. La question des fonds ciblés dans le plan d'action doivent être discutés de façon bilatérale. Il reste donc beaucoup de travail.

Le sénateur Chaput : Mais tout cela pourrait prendre encore plusieurs mois?

Mme Beaulieu : La première étape est certainement le protocole. De ce côté, on remarque tout de même un mouvement assez positif. Cependant, avant d'arriver au point final il faudra sans doute encore un bon bout de temps.

Le sénateur Chaput : Dans le cadre des ententes Canada-communauté, un des groupes qui reçoit de l'appui financier au niveau provincial est le groupe des parents. Mettons de côté pour l'instant la question de bonification. Est-ce qu'une entente d'ici la fin mars est possible, telle que l'avait promis la ministre Frulla? Faute de bonification, allez-vous refuser de signer?

M. Rioux : Nous serons en mesure de vous répondre mercredi, suite à notre réunion qui aura lieu demain soir. Tout semble indiquer que les membres des communautés ne sont toujours pas prêts à signer.

Le sénateur Chaput : Avez-vous entendu dire que le Plan d'action des langues officielles prévoirait des fonds qui permettraient la bonification de ces ententes?

M. Rioux : Cette possibilité n'est pas écartée de la table des discussions.

Le sénateur Chaput : Vous vous souviendrez, madame Beaulieu, que j'avais communiqué avec vous alors qu'on demandait aux sénateurs, aux députés et aux ministres de développer des politiques à être présentées au congrès du Parti libéral. J'ai développée une politique qui touchait les protocoles d'entente entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux — me doutant bien qu'elle ne passerait pas tout de suite — et qui proposait une clause linguistique pour nous protéger d'une enveloppe ciblée.

J'ai suivi le processus et ai présenté cette politique à mon caucus de l'Ouest du Canada. On a choisi trois priorités et la nôtre est arrivée quatrième sur neuf. Au niveau national, les Québécois ont affirmé qu'il était honteux de n'avoir qu'une seule politique qui traite des langues officielles et qu'elle ne se rende pas au congrès. Ils ont donc pris cette politique et l'ont acheminée jusqu'au congrès qui s'est déroulé la semaine dernière. Elle fut inscrite à l'agenda d'un atelier sur la diversité culturelle, pour fins de discussion, et je suis allée la débattre. Six politiques figuraient à l'agenda de cet atelier. Notre politique a passé à l'unanimité. Chaque atelier devait se fixer une priorité. On retrouvait le multiculturalisme, l'immigration, une politique sur les femmes, une autre sur les aînés et cette pauvre politique sur les ententes.

Voilà donc un certain progrès en la matière, car cette politique fait maintenant partie du document qui sera remis au premier ministre. J'ai cru bon de vous en faire part afin qu'on réfléchisse sur le genre de politique que nous aimerions avoir pour l'année prochaine. Il faut se pencher également sur une façon plus systématique de procéder pour inciter les gens à se joindre à nous et faire passer notre politique.

M. Rioux : Nous vous remercions. Il est très important de connaître le travail qui a été fait et savoir comment nous devons envisager l'avenir.

Le sénateur Chaput : C'est le Québec qui nous a appuyés.

Le président : J'aimerais revenir au domaine de l'éducation. Êtes-vous membre de l'Association canadienne d'éducation de langue française?

M. Rioux : Oui.

Le président : Nous avons invité les membres de cette association à comparaître devant ce comité et ils ont refusé. C'est un organisme national qui existe depuis des années. Est-ce qu'il fait partie de votre entité?

M. Rioux : Non, l'ACELF n'est pas membre de la Fédération des communautés francophones et acadienne.

Le président : C'est un organisme autonome?

M. Rioux : Oui, c'est un organisme qui a des racines au Québec et à l'extérieur. Monsieur Gérald Boudreau en est le président.

Le président : D'ailleurs, par le passé, l'organisme a eu des présidents venant du Nouveau-Brunswick.

M. Rioux : J'ai moi-même été président de l'ACELF pendant trois ans, de 1987 à 1990.

Le président : Pouvez-vous expliquer pourquoi l'ACELF ne voudrait pas comparaître devant notre comité sur une question aussi importante que celle de l'éducation?

M. Rioux : Je n'en ai aucune idée.

Le président : Pourriez-vous vous renseigner et me donner une réponse?

M. Rioux : Nous allons vérifier.

Le président : Je n'ai pas compris pourquoi ils refusaient.

M. Rioux : Moi non plus, je ne comprends pas.

Le président : Nous avons également invité les membres du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada. Ils ont décliné notre invitation parce que des discussions sont en cours. Il faudra peut-être que notre comité fasse des détours afin d'obtenir l'information que nous croyons utile.

Nous entendrons dans deux semaines l'honorable Liza Frulla, ministre du Patrimoine canadien, le ministre Ken Dryden sur la question des garderies, et le ministre Mauril Bélanger.

Revenons au Conseil des ministres de l'Éducation du Canada. Nous vivons dans une démocratie. Les négociations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux en matière d'éducation ont une portée importante sur la survie de la minorité, sur la formation des jeunes et sur leur contexte communautaire. Je suis ce processus depuis des années et je trouve qu'il se déroule en vase clos. Dans une démocratie, je trouve cette situation inappropriée.

Est-ce que votre organisme ou vos composantes, qu'il s'agisse de la SAANB ou d'autres, avez eu l'occasion de discuter avec vos ministres de l'Éducation respectifs au sujet du processus de négociation entre les provinces et le gouvernement fédéral? Ces programmes s'adressent à vous et pourtant vous n'êtes pas partie prenante au débat. Vous n'êtes consultés ni avant, ni après. Des fonds sont octroyés aux provinces et vous n'êtes pas sûrs s'ils arrivent à destination comme il se doit. Il n'existe pas de reddition de compte formel et la vérificatrice générale du Canada ne peut intervenir car la juridiction est du domaine provincial.

Je vous ai suffisamment fait part de mes préoccupations pour susciter quelques commentaires de votre part. N'est-ce pas là une façon de faire désuète qu'il faudrait changer dans notre pays? Ne faudrait-il pas faire preuve d'une plus grande ouverture envers tout le monde?

M. Rioux : Premièrement, ce que vous soulevez s'inscrit dans le cadre de la transparence. Deuxièmement, c'est la façon dont on rend les gens imputables à l'égard des sommes d'argent qu'ils ont reçues et aussi une partie du travail qui se fait dans le développement des communautés.

Je suis d'accord avec vous. Monsieur Arès a été invité une fois à participer à la réunion du Conseil des ministres de la francophonie. Il n'a jamais été invité à une réunion du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada et peut-être qu'on devrait le faire. Chaque province a un ministre de l'Éducation responsable et les communautés devraient être tenues au courant pour ensuite être en mesure de faire entendre leur point de vue. Cette consultation ne se fait pas actuellement.

Le sénateur Chaput : Il est tellement important que la communauté soit consultée. De plus en plus, le gouvernement fédéral négocie ce genre d'entente dans divers secteurs. Une entente vient d'être conclue en santé avec les provinces. Nous avons des services en français qui nous reviennent, de nouvelles garderies, de nouvelles ententes avec les municipalités. Certaines provinces ont des municipalités bilingues. Il va falloir qu'on prenne la bonne habitude de consulter les communautés.

Mme Beaulieu : La question des consultations est très importante. À bien des égards, nous avons cru, peut-être à tort, que le plan d'action allait nous procurer ces consultations de façon sine qua non. On se rend compte que dans certains cas tout se déroule très bien. On a mentionné tout à l'heure le progrès réalisé dans le dossier de la justice. Dans d'autres cas, il demeure encore une certaine résistance.

Les consultations sont bien importantes. Cependant, n'oublions pas le travail qu'a accompli la Fédération nationale des conseils scolaires dans le dossier de l'éducation pour s'insérer le plus possible dans les discussions entourant les partenaires, notamment les ministres en éducation. Très souvent, les discussions ont lieu avec les sous-ministres en charge des communautés minoritaires ou des affaires francophones. Il semble que nous nous fassions mieux entendre. Toutefois, la situation est loin d'être idéale. En d'autres mots, le travail doit se poursuivre. Nous devons apprendre à mieux travailler avec les communautés dans de telles situations.

Le sénateur Comeau : Je trouve curieux que les juridictions provinciales ne soient pas intéressées à venir nous rencontrer afin qu'on leur pose des questions, surtout compte tenu du fait que c'est le Parlement qui vote les argents.

Après vous avoir écouté aujourd'hui, et après avoir écouté les autres intervenants dénoncer ce manque de consultation et la façon un peu secrète dont on traite les questions, il me semble que ces ministres devraient se montrer plus intéressés. Comme le sénateur Chaput l'a mentionné, on parle de l'arrivée de nouveaux programmes et les parlementaires auront certes besoin de votes.

D'autre part, je trouve surprenant que l'ACELF n'ait pas accepté de comparaître devant nous. Pourrais-je avoir une copie de votre correspondance afin de savoir comment ils ont répondu à notre invitation?

Le président : Nous n'avons pas communiqué avec le président de l'ACELF, M. Boudreau. Nous avons communiqué avec l'administration et on nous a dit non.

Le sénateur Comeau : Il ne faut rien prendre pour acquis, mais si l'administration nous a dit non, on ne peut que présumer qu'ils ont consulté M. Boudreau. Je dois avouer que leur refus me surprend.

Le président : Au nom des membres de ce comité, j'aimerais remercier M. Jean-Guy Rioux et Mme Marielle Beaulieu d'avoir accepté de comparaître devant notre comité, plus particulièrement compte tenu des conditions météorologiques d'aujourd'hui.

Comme toujours, votre fédération a su bien répondre aux questions et exposer la situation avec franchise. Votre témoignage nous sera fort utile et nous vous en sommes bien reconnaissants.

Honorables sénateurs, je lève la séance. Le comité reprendra ses travaux le lundi 21 mars 2005, à 14 h 30.

La séance est levée.


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